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Regards ‘changés’ et ‘langues déliées’ : Des musulmanes évoquent l’Europe d’aujourd’hui

Friday 23 September 2016 at 01:45

Là encore, article du New York Times en Français – on dirait qu’ils commencent à s’inquiéter pour la situation ici outre-Atlantique (à tort ou à raison)…

P.S. Pour les mal-comprenants habituels, je n’approuve pas forcément tout, je vous montre simplement ce qu’il y a dans le NYT…

Source : The New York Times, Lillie Dremeaux, septembre 2016

Saima Ashraf, 39 ans, à la mairie de Barking, à Londres, où elle travaille. Elle dit qu’elle n’aurait jamais pu accomplir en France ce qu’elle a construit à Londres en portant le voile. Credit Andrew Testa pour le New York Times

Saima Ashraf, 39 ans, à la mairie de Barking, à Londres, où elle travaille. Elle dit qu’elle n’aurait jamais pu accomplir en France ce qu’elle a construit à Londres en portant le voile. Credit Andrew Testa pour le New York Times

Les voix des femmes musulmanes ont été quasiment noyées par le débat agité sur l’interdiction de se baigner en burkini sur les plages de plus de 30 municipalités françaises; femmes pour qui ces maillots couvrant complètement le corps ont été conçus. Le New York Times a sollicité leurs avis, et les réponses — plus de 1000 messages de Belgique, de France et d’ailleurs — vont bien au-delà de la question des tenues de plage.

Le résultat brosse le portrait de la vie de la femme musulmane, voilée ou pas, dans les parties d’Europe où le terrorisme a le plus tendu les sociétés. Le mot “combat” a été utilisé des dizaines de fois. Beaucoup de celles qui sont nées en France parlent de confusion quand on les enjoint de rentrer là d’où elles viennent.

Les tribunaux ont suspendu plusieurs interdictions suite à une décision du Conseil d’État la semaine dernière — l’interdiction à Nice, où s’est déroulé un horrible attentat terroriste le 14 juillet dernier, a été suspendue ce jeudi — mais le débat est loin d’être terminé.

“Depuis des années, nous supportons les regards et les propos menaçants,” écrit Taslima Amar, 30 ans, enseignante en banlieue parisienne. “On m’a demandé de rentrer chez moi (alors que je suis chez moi).” Désormais, Mme Amar a ajouté, elle espère quitter la France avec son époux.

Laurie Abouzeir, 32 ans, écrit qu’elle envisage de se mettre à son compte et de s’occuper d’enfants à son domicile toulousain. Cela lui permettrait de porter le voile, qui est vu d’un mauvais œil et parfois même interdit sur certains lieux de travail.

Beaucoup de femmes écrivent que les préjugés anti-Musulmans se sont intensifiés ces derniers mois et années, citant les attaques terroristes de Paris en 2015, ainsi que celles de Bruxelles et de Nice cette année. Halima Djalab Bouguerra, étudiante de 21 ans à Bourg-en-Bresse, évoque une date antérieure, estimant que les choses avaient déjà commencé à changer en 2012, avec les meurtres de Mohammed Merah dans le sud-ouest du pays.

“Il y a surtout eu des regards qui ont changé”, écrit Mme Bouguerra. “Les langues se sont déliées, plus personne n’a peur de dire à un musulman : “Rentre chez toi.”

Voici quelques extraits des commentaires que nous avons reçus, parfois condensés et modifiés pour plus de clarté, et traduits en français lorsqu’ils nous ont été envoyés en anglais.

Dina Srouji, 23 ans, est étudiante à l’Université de Gand en Belgique. Credit Gael Turine pour le New York Times

Dina Srouji, 23 ans, est étudiante à l’Université de Gand en Belgique. Credit Gael Turine pour le New York Times

Quand le burkini est apparu, j’étais heureuse pour ma sœur, qui était en vacances et pouvait enfin jouer sur la plage avec ses enfants plutôt que de devoir rester à l’ombre. Au début de la polémique, je me suis dit, “C’est pas grave, Dina, c’est simplement quelques personnes étroites d’esprit qui n’ont rien d’autre à faire que de semer la haine.” Mais là ? Je pensais que c’était justement tout ce contre quoi l’Europe se battait. … Comment est-il possible que dans un monde “moderne”, bronzer toute nue soit acceptable, mais garder ses vêtements à la plage ne le soit pas ?

Dina Srouji, 23 ans, Lebbeke, Belgique. Étudiante et apprentie journaliste à l’Université de Gand. Instagram: @dindinsr.

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Cela me rappelle mon premier jour au lycée après l’interdiction en France du port du hijab à l’école. Mon professeur m’avait obligé à retirer mon voile devant tous les autres élèves. J’étais humiliée. … Aujourd’hui, ça me brise le cœur de nouveau. J’ai simplement regardé cette femme retirer un vêtement et je me suis demandée : quand est-ce que cela va s’arrêter ?

Hajer Zennou, 27 ans, Lyon. Designer. Elle faisait référence à une femme à Nice qui a été obligé de retirer sa chemise à la plage.

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On m’insulte, me crache dessus (littéralement) tous les jours dans le métro, le bus, mon école. Pourtant, je n’ai jamais insulté, frappé quelqu’un. Non, je suis juste musulmane. Je pense sérieusement partir vivre ailleurs, où le regard des autres ne me fera plus pleurer chaque soir dans mon lit. … J’ai peur un jour de porter une lune jaune sur mes habits, comme l’étoile de David pour les Juifs il n’y a pas si longtemps.

Merci à vous de nous écouter et nous donner la parole.

Charlotte Monnier, 23 ans, Toulouse. Étudiante en architecture.

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J’étais curieuse de voir si, dans les villes où ils ont interdit les femmes en burkini, les chiens avaient le droit de nager. La réponse est oui dans certains cas. Personnellement, je suis scandalisée que les chiens aient plus de droits que des femmes voilées.

Samia Fekih, 36 ans, Paris. Chef de projet numérique.

Nawal Afkir, 25 ans, de Bruxelles. Elle est passionnée par la photographie. Credit Gael Turine pour le New York Times

Nawal Afkir, 25 ans, de Bruxelles. Elle est passionnée par la photographie. Credit Gael Turine pour le New York Times

Je suis assistante sociale et je fais mon maximum pour œuvrer pour une société juste et libre. Porter le voile ne signifie pas être asservie par un homme. Au contraire, cela signifie la réappropriation du corps et de ma féminité. … Merci New York Times de nous laisser cet espace de parole et la possibilité de nous exprimer librement. Chose qui nous manque peut-être en Europe.

Nawal Afkir, 25 ans, Bruxelles.

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À chaque fois que je me rends au Maroc, je me sens plus libre qu’en Occident, et j’y vois plus de libertés.

Souad el Bouchihati, 26 ans, Gouda, Pays-Bas. Assistante sociale.

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Ça ne me dérange pas de retirer mon voile pour travailler, ce qui me dérange, c’est de le cacher à mes collègues. … Bien entendu, je ne me suis pas cachée bien longtemps, j’ai croisé ma collègue de bureau en faisant les boutiques avec mon amie, donc forcément, j’étais voilée. Nous nous sommes dites bonjour, et dans l’oreille, je lui ai dit que je lui expliquerai. Je me sentais tellement mal de lui mentir depuis tout ce temps ! Un enfer ! Je lui ai donc envoyé un SMS pour lui dire la vérité. Elle m’a promis qu’elle comprenait et qu’elle ne le répéterait pas.

Hadjira Skoundri, 22 ans, Toulouse. Agent administratif à la préfecture.

Mira Hassine, 27 ans, habite Orléans et est responsable administrative dans une entreprise du bâtiment. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Mira Hassine, 27 ans, habite Orléans et est responsable administrative dans une entreprise du bâtiment. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Quand bien même vous faites tous les efforts inimaginables en croyant ainsi vous “intégrer”, il vous est toujours martelé que pour bien faire et ainsi répondre à une intégration “complète” il nous faut renoncer à nos principes et notre religion. Dans nos foyers, au bureau ou entre amis, une sorte de pression sévit. On n’ose plus répondre favorablement à une invitation “d’amis”, car nous en avons marre de devoir refuser un verre d’alcool et justifier poliment en y mettant les formes, tout ça en veillant à ne pas dire de choses préjudiciables dans ce que l’on peut presque appeler des excuses. Au bureau, les petites vannes du genre “tu as aidé tes cousins ?” à la suite d’un attentat. Et nos familles lors des repas qui maudissent ces terroristes et sont insultés par la nouvelle législation.

Alors quoi. On s’isole. Et lorsqu’on s’isole, on ne s’intègre plus.

Mira Hassine, 27 ans, Orléans. Responsable administrative dans une entreprise du bâtiment. Elle est musulmane mais ne porte pas le voile.

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Être musulmane en France, c’est vivre dans un régime d’apartheid dont l’interdiction de plage n’est que le dernier avatar. … Je crois que les femmes françaises musulmanes seraient fondées à demander l’asile aux USA, par exemple, tant les persécutions que nous subissons sont nombreuses.

Karima Mondon, 37 ans, professeur de français. Elle vient de quitter Lyon avec sa famille pour s’installer à Casablanca, au Maroc.

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Je suis une femme française et musulmane. Je vis à Londres. En France, je n’aurais jamais pu accomplir ce que j’ai fait à Londres en portant le voile. Je travaille dans l’administration locale, je suis adjointe au représentant de mon quartier et je porte le voile. Si j’étais en France, cela ne serait jamais arrivé.

Saima Ashraf, 39 ans, Londres. Twitter: @saimaashraf25.

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Je suis infirmière et voilée. Au travail, il m’est impossible d’avoir mon voile. Je le retire en arrivant. Pas de couvre-chef, pas de manche, rien qui puisse me couvrir pour être en corrélation avec mon mode de vie. … On nous refuse la possibilité d’aller à la piscine et maintenant à la plage. … Quelle est la prochaine étape ? Allons-nous porter des lunes pour être reconnus ?

Linda Alem, 27 ans, Paris. Infirmière en centre d’hémodialyse.

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Je me sens mal à en devenir parano ! Élève en classe préparatoire, je me suis fait insulter de salafiste et menacer de mort par un de mes camarades de classe. Pourquoi ? Car il m’a vue dans la rue avec mon voile. Quand je suis partie voir le proviseur-adjoint du lycée, la seule solution qu’elle a trouvée était notre renvoi à tous les deux si nous n’apaisions pas les tensions qu’il avait provoquées. Un vrai cauchemar, où toutes les issues mènent à l’injustice. …

En écrivant ces mots, j’ai les larmes aux yeux, et sans vouloir nous positionner en tant que victimes, leurs acharnements sur ces détails vont faire que je vais partir de ce pays tôt ou tard. Ils auront surement obtenu ce qu’ils veulent, mais je n’ai pas la force de Rosa Parks. Une ingénieure en moins en France, voilà leur punition.

Nora Mahboub, 21 ans, Paris. Étudiante en école d’ingénieurs.

Assia Boukhelifa, 22 ans, est étudiante en sciences politiques à Lille. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Assia Boukhelifa, 22 ans, est étudiante en sciences politiques à Lille. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Je trouve fou que les Français ont l’air de découvrir l’islam et nous parlent encore d’intégration alors qu’on en est aujourd’hui à la troisième voire quatrième génération de maghrébins musulmans installés en France.

Assia Boukhelifa, 22 ans, Lille. Étudiante en sciences politiques.

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Durant mes études, j’étais quelqu’un qui travaillait bien, j’adorais apprendre. Au fur et à mesure que j’avançais dans ma scolarité, je perdais toute motivation : Je savais qu’en tant que musulmane voilée, je n’avais aucun avenir dans le monde professionnel. On nous demande de nous intégrer, mais malheureusement eux ne nous intègrent pas.

Saadia Akessour, 31 ans, Liège, Belgique. Elle est mère au foyer qui a dû retirer son voile pendant un stage de sage-femme et qui a ensuite arrêté ses études.

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Je me suis baignée cet été du côté de Hendaye (sud-ouest de la France). J’ai été un peu la curiosité du coin, mais j’ai trouvé les gens bienveillants. Il me semble que les médias et politiciens sont en contradiction avec ce que le peuple pense.

Fadoua Hachimi, 41 ans, Les Lilas, France. Assistante achats.

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J’ai la sensation d’être une hors-la-loi, une espèce de bandit qui exige quelque chose d’interdit alors que je n’exige rien d’autre que mon droit à la liberté.

Nadia Lamarti, 35 ans, Zellik, Belgique. Elle est mère de quatre filles et de formation auxiliaire sociale.

Siam Ferhat-Basset, 29 ans, près de chez elle à Drancy. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Siam Ferhat-Basset, 29 ans, près de chez elle à Drancy. Credit Ed Alcock pour le New York Times

Même diplômée d’un master, je n’ai pas réussi à trouver un travail dans mon domaine d’études. Je ne vois aucun espoir pour notre avenir, et comme beaucoup d’autres, j’envisage de partir à l’étranger. Mon cœur est 100 % français, mais j’ai le sentiment de devoir prouver ma “francité,” et avec tout ce qui se passe en ce moment, je suis fatiguée de devoir justifier mon identité.

Siam Ferhat-Basset, 29 ans, Drancy. Ancienne hôtesse d’accueil.

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Je suis une femme qui porte ce maillot couvrant (burkini étant un terme trop connoté). Alors qu’avant je me contentais d’observer les autres profitant des plaisirs de la baignade, au mieux je rentrais avec mes vêtements de ville (ce qui n’est absolument pas pratique). Ce vêtement a cassé mes chaînes.

Ennaji Loubna, 30 ans, Perpignan. Étudiante en Master de sociologie.

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Merci infiniment de nous considérer comme des êtres humains et de prendre en compte nos opinions. En Belgique, tout comme en France d’ailleurs, nous n’avons jamais la parole alors que nous musulmanes (voilées ou non) sommes les premières intéressées par ces polémiques récurrentes au sujet de l’islam et des femmes. Nous sommes considérées comme des bigotes écervelées et soumises à leur mari ou père. Je suis moi-même musulmane, enseignante, tolérante, féministe ET voilée.

Khadija Manouach, 29 ans, Bruxelles. Institutrice.

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En tant que jeune femme musulmane, je ne me sens plus en sécurité. … Je m’apprête à partir au Royaume-Uni où je peux travailler et vivre normalement. Cela m’attriste, car j’aime vraiment mon pays.

Sarah Nahal, 24, Grenoble. Étudiante en économie et gestion.

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Mon père a grandi et vécu en France depuis l’âge de 8 ans, et travaille depuis ses 14 ans, mais malgré tout, ce n’est pas assez pour que la France nous considère comme des concitoyens lambdas, puisque mon voile les dérange. … Que faire ? Prendre son courage à deux mains et se battre avec les armes que l’on dispose, le savoir, les diplômes et la volonté !

Nadia Benabdelkader, 25 ans, Roubaix. Étudiante.

Source : The New York Times, Lillie Dremeaux, Septembre 2016

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Et notre Premier ministre joue de nouveau au Nain Tellectuel en se croyant obligé de prendre la plume…

En France, les femmes sont libres

Source : Huffington Post, Manuel Valls,  

Le Premier Ministre français Manuel Valls

Le premier ministre français Manuel Valls

Je tenais à répondre à l’article “Regards changés et langues déliées”, paru dans les colonnes du New York Times le 2 septembre, et qui donne une image insupportable, car fausse, de la France, pays des Lumières et pays des libertés.

La France, comme tous les pays, connaît le racisme. Et je n’ignore rien de la xénophobie, des actes antimusulmans qui peuvent exister dans mon pays. Il ne fait pas exception. Ces maux, tout comme l’antisémitisme – et aux Etats-Unis, chacun connaît mon combat contre ce fléau -, les actes anti-chrétiens, frappent l’Europe aussi bien que l’Amérique. La France les combat sans relâche.

“Par son histoire, sa géographie, par son immigration, la France entretient des liens très forts avec l’Islam.”

Ce que je conteste avec la plus grande vigueur, c’est que la journaliste donne la parole à des femmes de confession musulmane en prétendant que leur voix serait étouffée, et ce, pour dresser le portrait d’une France qui les oppresserait. Par ailleurs, elle n’explique pas ce que sont les principes républicains : liberté, égalité, fraternité, et la laïcité à la française.

Les témoignages se succèdent, décrivant une France où “la lune jaune” cousue sur les vêtements des musulmans serait la prochaine étape, comme il y eut une étoile jaune pour désigner les juifs sous l’occupation nazie. Une France où les musulmans seraient “moins bien considérés que des chiens”. Une France avec un régime d’apartheid forçant les musulmans à quitter leur pays pour faire des études, trouver un emploi, faire carrière.

Par son histoire, sa géographie, ouverte sur le bassin méditerranéen et le continent africain, par son immigration, la France entretient des liens très forts avec l’Islam. Elle s’enorgueillit que l’Islam soit la deuxième religion du pays. Des millions de citoyens de confession ou de culture musulmane vivent en respectant parfaitement leurs devoirs, et en jouissant pleinement de leurs droits.

Les femmes musulmanes à qui cet article donne la parole expriment un point de vue. Elles sont libres de le faire. Mais l’exigence aurait dû porter la journaliste du New York Times à interroger l’immense majorité des femmes musulmanes qui ne se reconnaissent pas dans une vision ultra-rigoriste de l’Islam.

La réalité, c’est qu’il ne s’agit pas d’une enquête de terrain, qui permet les différents éclairages ou la nuance dans l’analyse. Ces témoignages ont été pour la plupart obtenus à la suite d’un événement scandaleux organisé en France : un “camp d’été décolonial”. Un camp qui, et cette information a son importance, était interdit – je cite – aux “personnes à la peau blanche”! Son but était de rassembler tous les partisans des communautarismes, tous les opposants à la mixité entre les personnes “blanches” et “non-blanches”, tous ceux qui veulent, je cite encore, dénoncer le “philosémitisme d’Etat” dont la France serait victime.

“Le burkini n’est pas une tenue de bain anodine. C’est une provocation, l’islamisme radical qui surgit et veut s’imposer dans l’espace public !”

Cette initiative, loin d’être isolée, montre au grand jour les contestations prosélytes qui sont à l’œuvre en France. Elles veulent revenir sur deux principes fondamentaux qui font notre pays.

Le premier principe, c’est l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut avoir les yeux ouverts sur l’influence croissante du salafisme, qui laisse entendre que les femmes sont inférieures et impures et qu’elles doivent être mises à l’écart. Voilà la question, absolument pas anecdotique, qui était au cœur du débat sur le burkini, contraction du bikini et de la burqa. Ce n’est pas une tenue de bain anodine. C’est une provocation, l’islamisme radical qui surgit et veut s’imposer dans l’espace public !

En lecteur assidu de la presse internationale, j’ai vu comment une partie d’entre elle a hâtivement conclu à la stigmatisation, à l’atteinte à la liberté des musulmans à pratiquer leur culte… Mais enfin ! C’est précisément pour la liberté que nous nous battons.

“Le corps des femmes n’est ni pur ni impur. Il est le corps des femmes. Il n’a pas à être caché pour protéger de je ne sais quelle tentation. “

Celle des femmes, qui ne doivent pas vivre sous le joug d’un ordre machiste. Le corps des femmes n’est ni pur ni impur. Il est le corps des femmes. Il n’a pas à être caché pour protéger de je ne sais quelle tentation. Car voici l’incroyable retournement : dans les témoignages cités, le burkini est présenté comme un instrument de libération de la femme ! Une lectrice écrit ainsi : “Quand le burkini est apparu, j’étais heureuse pour ma sœur, qui était en vacances et pouvait enfin jouer sur la plage avec ses enfants plutôt que de devoir rester à l’ombre.” Pour une autre, porter le voile signifie “la réappropriation du corps et de [sa] féminité …”. C’est une domination masculine qui est ainsi complètement intégrée !

En France, nous considérons bien au contraire qu’une femme qui a envie de se baigner n’a pas à rester dans l’ombre. Que les femmes ne peuvent être l’objet de la moindre domination. Et il y a bien domination masculine, dès lors que l’on considère que le corps de la femme doit être soustrait de l’espace public.

Nous nous battons, aussi, pour la liberté de la grande majorité des musulmans, qui ne se reconnaissent pas dans cette minorité prosélyte qui instrumentalise leur religion. C’est pour cela que l’Etat ne doit pas céder d’un pouce face à l’islamisme radical.

“La laïcité, ce n’est pas la négation de la religion.”

Le second principe – il est lié – c’est celui de la laïcité. Je sais combien cette singularité française a du mal à être comprise à l’étranger. Je veux donc réexpliquer ce qu’elle est.

La laïcité, c’est la liberté pour chacun de croire ou de ne pas croire ; la liberté de pratiquer son culte, à condition de ne pas imposer ses pratiques ou ses croyances à l’autre. La laïcité, ce n’est pas la négation de la religion. Elle fixe simplement une séparation très nette entre ce qui relève du temporel et du spirituel. Que dit-elle, au juste ? Que l’Etat et ses fonctionnaires sont strictement neutres, qu’il ne reconnaît, ne finance, ni ne privilégie aucun culte.

Au cours de son histoire longue, la France a connu la haine religieuse, elle s’est déchirée dans des guerres atroces … La République et la laïcité ont mis un terme à des siècles de conflit. La laïcité est cet équilibre exigeant fait de respect mutuel. Un équilibre qui est le garant de la cohésion de notre société.

Les ennemis de la laïcité voudraient en faire un instrument de discrimination et d’humiliation… Rien n’est plus faux. L’interdiction de porter des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques concerne autant la kippa que le voile ou la croix catholique. Les femmes musulmanes peuvent porter le voile dans la vie de tous les jours. Mais quand elles sont fonctionnaires, elles doivent le retirer dans l’exercice de leur mission.

La conviction sur laquelle s’est bâtie la Nation française, c’est que pour avoir des citoyens libres et égaux, la religion devait relever de la sphère privée. La France, à la différence d’autres pays, ne se pense pas comme une juxtaposition de communautés, qui auraient chacune leur parcours autonome. Pour dire les choses autrement : nous ne concevons pas l’identité comme quelque chose d’ethnique. L’identité française, c’est une adhésion, vouloir partager un même destin. C’est aussi pour cela que l’islamisme radical nous a frappés, à Paris, à Nice, ou à Saint-Etienne du Rouvray.

La France défendra toujours la raison et la liberté de conscience face au dogme. Car elle sait que, sans cela, ce sont le fondamentalisme et l’intolérance qui l’emportent. La France a à cœur de faire vivre cet Islam moderne, fidèle à son message d’ouverture et de tolérance. Nous protégeons nos concitoyens musulmans contre ceux qui veulent en faire des boucs émissaires. Là où l’extrême droite voudrait que les musulmans soient des citoyens de seconde zone, nous voulons, au contraire, faire la démonstration éclatante que l’Islam est pleinement compatible avec la démocratie, la laïcité, l’égalité femmes-hommes. C’est le coup le plus cinglant que nous pourrons porter à l’islamisme radical, qui n’aspire qu’à une seule chose : nous dresser tous les uns contre les autres.

Source : Huffington Post, Manuel Valls,  

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Et la réponse du NYT toujours en français… (ils doivent nous prendre pour des dingues…)

Valls critique un article du New York Times donnant la parole aux musulmanes

Source : The New York Times, Alissa J.Rubin, 06-09-2016

Manuel Valls, le premier ministre français, à Paris la semaine dernière. Dans une tribune sur le site français du Huffington Post, il “conteste avec la plus grande vigueur” le fait qu’un article du New York Times “donne la parole à des femmes de confession musulmane en prétendant que leur voix serait étouffée.” Credit Bertrand Guay/Agence France-Presse — Getty Images

Manuel Valls, le premier ministre français, à Paris la semaine dernière. Dans une tribune sur le site français du Huffington Post, il “conteste avec la plus grande vigueur” le fait qu’un article du New York Times “donne la parole à des femmes de confession musulmane en prétendant que leur voix serait étouffée.” Credit Bertrand Guay/Agence France-Presse — Getty Images

Le premier ministre français, Manuel Valls, a vivement critiqué ce lundi un article du New York Times dans lequel des femmes musulmanes françaises décrivent être ostracisées par des non-musulmans, victimes de discrimination à l’emploi et se sentir persécutées.

L’article, puisant dans de nombreux témoignages de femmes musulmanes européennes, pour la plupart françaises, a été écrit suite à la polémique sur le maillot de bain qui couvre entièrement le corps, le “burkini”. Plus de 30 villes et communes françaises ont interdit le port du burkini sur leurs plages publiques, bien que certaines de ces interdictions aient été suspendues par la suite par les tribunaux français.

Dans une tribune publiée sur le site français du Huffington Post, M. Valls décrit l’article du New York Times comme donnant une “image insupportable, car fausse, de la France.”

Il accuse également le New York Times de tirer ses conclusions sur la base d’entretiens qui ne reflètent pas une enquête de terrain, mais plutôt l’objet de débats dans les médias à ce moment-là: un “camp d’été” qui avait été “interdit aux personnes à la peau blanche” et où les participants s’opposaient à la mixité des personnes blanches et non-blanches.

Le premier ministre faisait allusion à un rassemblement près de Reims que les organisateurs décrivaient comme un “Camp d’été Dé-Colonial”, où des personnes appartenant à des minorités pouvaient se réunir pour évoquer la discrimination. Selon les organisateurs, environ 170 à 180 personnes y ont participé entre le 25 et le 28 août.

Le New York Times a répondu que les propos de M. Valls sur la réalisation de ce reportage étaient erronés.

“Notre article est le produit d’une enquête rigoureuse. Il est basé sur les réponses de plus de 1,200 lectrices à un appel à témoignages en ligne, en anglais, en français et en arabe,demandant l’opinion des femmes musulmanes en Europe après l’interdiction du burkini”, a expliqué Danielle Rhoades Ha, porte-parole du New York Times. “Nous maintenons l’article”

Dans la tribune du Huffington Post, M. Valls écrit qu’il “conteste avec la plus grande vigueur” le fait que l’article du New York Times “donne la parole à des femmes de confession musulmane en prétendant que leur voix serait étouffée, et ce, pour dresser le portrait d’une France qui les oppresserait.”

M. Valls a également déclaré qu’il n’acceptait pas l’idée, évoquée par des musulmanes françaises parmi les témoignages cités, que le burkini permettait aux femmes de participer pleinement aux activités estivales. Certaines expliquaient que leur interprétation du Coran exigeait qu’elles adoptent une tenue modeste, et que le burkini leur permettait d’aller à la plage.

M. Valls a rétorqué que le burkini “n’est pas une tenue de bain anodine. C’est une provocation.”

Source : The New York Times, Alissa J.Rubin, 06-09-2016

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Même le propre journal de M. Valls, le Monde, l’a descendu – c’est dire…

bancale

Lire ici.

Source: http://www.les-crises.fr/regards-changes-et-langues-deliees-des-musulmanes-evoquent-leurope-daujourdhui/


[Connaître l’ennemi] La confrérie des Frères musulmans

Friday 23 September 2016 at 00:59

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Hassan Al-Bannâ

Petit article de synthèse que je vous propose aujourd’hui – comme quoi, on peut défendre la fraternité et la paix civile dans le pays, et dénoncer les fondamentalistes… 😉

Hassan Al-Bannâ (1906-1949) fut instituteur, professeur de théologie égyptien et imam. Il prolongea la synthèse entre le réformisme salafiste et le wahhabisme et reprit à son compte le célèbre nom des combattants Ikhwan des Al-Saoud pour fonder la confrérie secrète des Frères musulmans (« al-Ikhwān al-Muslimūn ») en 1928 à Ismaïlia, en Égypte. L’objectif déclaré d’Al-Bannâ était de prendre le pouvoir pour créer le grand califat islamique abolissant les frontières coloniales et rétablissant la loi islamique (« charia ») et le style de vie de l’Arabie au VIIe siècle de notre ère1 .

Durant la Seconde Guerre mondiale, les disciples d’Al-Bannâ avaient établi des contacts avec le roi Farouk2 d’Egypte ainsi qu’avec ses opposants, mais également avec les Allemands et les Britanniques. La structure de la confrérie comprenait l’obéissance aveugle au chef et la mise en place d’un organe clandestin et paramilitaire : « l’appareil secret », financé dans les années 1930 par le parti nazi3 .

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Logo officiel des Frères Musulmans

Les Frères musulmans (FM) gagnèrent la sympathie des masses populaires grâce à leurs actions caritatives, financées par de généreux donateurs du Golfe.  Après 1945, la confrérie réunissait plus de deux millions de partisans en Égypte et le gouvernement du roi Farouk, subordonné des Britanniques, décida d’interdire l’organisation en 1948 pour entraver leur activisme trop subversif, comprenant des assassinats de personnalités politiques4 . En réaction, la confrérie assassina le Premier ministre égyptien Mahmoud Fahmi El-Nokrashi, le 28 décembre de la même année. Hassan Al-Bannâ fut tué par la police secrète du régime, le 12 février 19495 .

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Gamal Abdel Nasser

En 1952, le coup d’État des « officiers libres », menés par le colonel Gamal Abdel Nasser (un ancien FM de l’appareil secret6 ) et le Général Mohamed Néguib, renversa la monarchie au profit d’un régime républicain. Les FM s’étaient associés aux officiers libres dans ce coup d’État. Nasser, qui avait prêté serment à Al-Bannâ, ne tint pas la promesse qu’il leur avait faite d’islamiser la nouvelle constitution égyptienne et bloqua petit à petit les ambitions de cette confrérie décidément trop ambitieuse. Un membre de l’appareil secret, bras armé des FM plus ou moins autonome, tenta de l’assassiner le 26 octobre 19547 , ce qui entraîna une nouvelle vague de répression des FM par Nasser.

L’idéologue des Frères musulmans

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Sayyid Qutb

Sayyid Qutb8 , membre officiel des FM depuis 1953, fut le principal idéologue du courant radical des Frères musulmans. Il prônait le jihad offensif, c’est-à-dire le recours à la violence pour revenir aux sources de l’islam orthodoxe et instaurer un Califat mondial. Qutb va notamment inspirer un islamisme groupusculaire radical nommé qutbisme ou encore takfirisme (de la racine « takfîr » : excommunication). Son œuvre fut la doctrine principale des FM et la « bible » de tous les mouvements de l’islam radical contemporain : Qutb y donnait une définition stricte de l’État islamique, justifiait l’assassinat de tout souverain musulman et le renversement de tout régime jugé contraire à la loi canonique islamique (« charia »).

L’arrivée du « président croyant » au pouvoir

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Anouar El-Sadate

L’organisation fut interdite jusqu’à l’arrivée au pouvoir du « président-croyant », Anouar El-Sadate, le 28 septembre 1970. Ce successeur de Nasser (décédé d’une crise cardiaque) fut aussi un ancien membre des FM. Il proclama une amnistie générale et fit libérer de nombreux militants des FM ainsi que d’autres opposants politiques, afin de peser politiquement face aux communistes et aux nassériens9 . Sadate pensait pouvoir contrôler et utiliser les FM à ses fins. Ce fut une grave erreur. Derrière le discours officiel des FM, de renoncement à la violence et de compatibilité avec le pluralisme politique, se terrait une bien violente réalité. En effet, dès le début des années 1970, les groupes radicaux armés issus de la confrérie  se multiplièrent et lancèrent des opérations paramilitaires contre l’État égyptien10 . Le « président-croyant » fut assassiné le mardi 6 octobre 1981 par des membres du Mouvement du Jihad Islamique (« Gama’at al-jihad al-Islami »), le principal groupe wahhabite d’Égypte, proche des FM, et massivement financé par l’Arabie Saoudite. Ce fut le célèbre cheikh aveugle Omer Abdel Rahman, mufti du groupe, qui émit une fatwa autorisant le meurtre de Sadate et de son entourage, en raison de leur politique infidèle à l’islam.

Les Frères musulmans, vecteurs des intérêts anglo-saxons

Le premier contact direct documenté entre des officiels Britanniques et les FM date de 1941, à une époque où les Britanniques considéraient officiellement les FM comme une menace en Égypte11 . Dès 1942, Londres finança directement les FM contre le parti nationaliste égyptien Al-Wafd (parti le plus conséquent à l’époque) et les communistes. Il semble que les Britanniques ont noué très tôt des contacts réguliers avec Hassan Al-Bannâ, avec lequel ils se réunissaient à l’ambassade britannique du Caire. « Le succès des Frères musulmans sur la scène politique égyptienne durant les années 1930 et 1940 n’aurait pu survenir sans l’approbation des Britanniques et leur soutien implicite »12 . Selon Le Nouvel Observateur, à cette époque « les Frères musulmans bénéficient d’une aide financière et militaire de la CIA américaine, prête à tout pour affaiblir un pouvoir soutenu par l’URSS »13 .

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Le président Dwight D. Eisenhower s’entretient dans le Bureau ovale avec la délégation des FM conduite par Saïd Ramadan (le second à droite) le 23 septembre 1953

En juillet 1953, le président américain Dwight Eisenhower reçut à la Maison-Blanche une délégation des FM, où fut présent l’éminent Saïd Ramadan, membre des FM depuis 1940. Il fut notamment le gendre et l’héritier spirituel d’Hassan Al-Bannâ. Homme fort du mouvement, il fut le pionnier des relations extérieures, entre les FM et les gouvernements occidentaux, et le précurseur de la diffusion de l’islam en Europe de l’Ouest et du Nord, avec le soutien des monarchies du Golfe.

« Saïd Ramadan est, entre autres, un agent d’informations des Anglais et des Américains » selon une note rédigée par un diplomate suisse14 . Il semble en effet, le personnage aurait eu des liens privilégiés avec la CIA et le MI-6, évoqués dans de nombreux documents15 . La création du réseau européen des FM remonterait à la fin des années 1950 lorsque « Robert Dreher, l’agent de la CIA qui dirigeait l’Amcomlib [ou Comité américain pour la libération, l’organe de propagande de la CIA] de Munich, décida de faire appel à une pointure reconnue de la Confrérie »16 .

Ce fut donc Saïd Ramadan qui se chargea d’organiser la construction de la première mosquée des Frères en Europe, à Munich. À partir de lui s’est donc construit un réseau qui se matérialisa à travers l’Union des Organisations Islamiques en Europe (ou Fédération des Organisations Islamiques en Europe) dans les années 1990. Cette entité fut à l’origine notamment de la création de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), intégrée en 2003 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, au sein du Conseil Français du Culte Musulman. Ce conseil se veut être la principale organisation de représentation de l’islam de France. L’UOIF, quant à elle, est l’organisme le plus influent des FM en Europe et constitue le noyau idéologique de sa doctrine depuis 1983 sur le continent17 . Elle dispose d’un réseau important dont des associations (les Jeunes Musulmans de France, la Ligue Française de la Femme Musulmane, etc.), des écoles privées, une soixantaine de mosquées et un rassemblement annuel au Bourget, la Rencontre Annuelle des Musulmans de France18 .

Une grande victoire de la confrérie fut également permise dans un pays colonialement lié au Royaume-Uni, où le premier coup d’État réussi des FM arriva. Le putsch de Khartoum19 de 1989 amena le Soudan à être gouverné par le Frère Omar Al-Bashir20 , toujours en place depuis. Et les FM participent actuellement à la vie politique de nombreux pays du Moyen-Orient (Jordanie, Koweït, Tunisie …).

Conclusion

Gardons en mémoire que la très grande majorité des protagonistes de l’islamisme radical wahhabite de notre ère sont issus de la confrérie des Frères musulmans. Citons le cheikh Omar Abdel Rahman21 , Oussama Ben Laden, Ayman El-Zawahiri22 , Youssef Qardhawi23 , Khaled Cheikh Muhammad24 , Abou Moussaab El-Zarqawi25 , Abou Qoutada El-Filistini26 , Abou Hamza El-Mastri27 , Omar Bakri Muhammad28 , Abdalmajid El-Zindani29 et tant d’autres. Bien que les FM actuels s’en dissocient, l’actuelle Organisation de l’État islamique réalise le rêve d’Hassan Al-Bannâ, dans leur projet de Grand Califat.

Le corpus idéologique qu’ils partagent est indéniable (hanbalisme, wahhabisme historique, qutbisme/takfirisme, etc.). Face à l’intégration certaine de la confrérie dans nos sociétés, il semble essentiel d’appréhender correctement son histoire pour éviter de mauvaises surprises…

Article écrit par Franck pour le site www.les-crises.fr, librement reproductible en intégralité, en citant la source.

A priori auc

  1. Chérif Amir, « Histoire secrète des Frères Musulmans », Ellipses Marketing, 2015, p.25
  2. Le roi Farouk peinait par un manque de légitimité populaire : il s’appuya sur la religion en s’associant fructueusement avec les FM durant une décennie jusqu’à que les relations se dégradent à partir de 1945, voir Michaël Prazan, « Frères Musulmans : Enquête sur la dernière idéologie totalitaire », Grasset, 2014, p.60.
  3. Michaël Prazan, ibid, p.41 et Chérif Amir, op.cit., p.34.
  4. Assassinat du Premier ministre égyptien Ahmed Maher le 24 février 1945, du ministre des Finances Égyptien, Amin Osman, le 5 janvier 1945 (en collaboration avec le futur président Anouar El-Sadate), du juge Ahmed El-Khezendar le 22 novembre 1947 et du préfet de la police du Caire Séliem Zaki le 4 décembre 1948, voir Chérif Amir, op.cit., p.37, 40 et 41.
  5. Michaël Prazan, op. cit., p.63.
  6. Nasser quitta la confrérie au plus tard en septembre 1949, voir Michaël Prazan, ibid., p.71.
  7. Chérif Amir, op.cit., p.70.
  8. « Sayyed Qutb » http://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html
  9. Michaël Prazan, op.cit., p.167.
  10. Nous pouvons citer le Mouvement du Jihad Islamique (« Gama’at al-jihad al-Islami »), Excomunication et immigration (« al-Takfir Wal Hijra ») également appelée la Communauté des musulmans (« Jama’at al-Moslemine »), Les rescapés du feu ou Ceux qui ont choisi le bon chemin ne seront pas jetés en enfer (« al-Najoun Men al-Nar »), Les soldats d’Allah (« Jond-Allah »), Les jeunes de Mohamed (« Shabab Mohamed »), Le Groupe Islamique (« al-Gama’a al-Islamiyyah ») ou encore le Parti de la libération islamique (« Hezb l-Tahrir al-Islami ») formé en 1974 pour renverser le régime égyptien conformément à la doctrine de Sayyid Qutb.
  11. Mark Curtis « Secret Affairs : Britain’s Collusion with Radical Islam », Serpent’s Tail, 2012. Un livre recommandé par le quotidien britannique The Independent www.independent.co.uk/arts-entertainment/books/reviews/secret-affairs-by-mark-curtis-2038691.html.
  12. Chérif Amir, op. cit., p66.
  13. « ÉGYPTE. Qui sont les Frères musulmans ? » http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20111201.OBS5814/egypte-qui-sont-les-freres-musulmans.html.
  14. Pour plus d’information sur Saïd Ramadan, voir le journal de référence de la Suisse romande et francophone : “Quand la suisse protégeait l’islam radical au nom de la raison d’État” www.letemps.ch/opinions/2004/10/26/suisse-protegeait-islam-radical-nom-raison
  15. « Quand la CIA finançait les Frères musulmans » www.lepoint.fr/monde/quand-la-cia-financait-les-freres-musulmans-06-12-2011-1404368_24.php
  16. Michaël Prazan, op.cit., p.225.
  17. Anne-Clémentine Larroque, « Géopolitique des islamismes », Puf, 2016, p.57.
  18. « Géopolitique du culte musulman en France : des rivalités locales aux enjeux internationaux » www.diploweb.com/Geopolitique-du-culte-musulman-en.html
  19. Khartoum et son Université Internationale d’Afrique (UIA) ont la mauvaise réputation de servir de centre de formation intellectuelle aux djihadistes africains notamment du groupe Boko Haram, voir « Quand Khartoum “éduque” et islamise l’Afrique » www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/20/quand-khartoum-eduque-et-islamise-l-afrique_4814347_3212.html.
  20. À partir de cette prise de pouvoir et durant une dizaine d’années, tous les acteurs de la subversion wahhabite allèrent se réfugier à Khartoum : les FM égyptiens persécutés par le régime, les Égyptiens des Gamaa Islamiyyah qui préparaient des attentats contre Moubarak, les militants armés du Groupe Islamique Combattant Libyen, les islamistes somaliens, les militants du FIS algérien, le cheikh Omar Abderrahmane et Oussama Ben Laden, voir Chérif Amir, « Histoire secrète des Frères Musulmans », Ellipses Marketing, 2015, p.13.
  21. Commanditaire de l’assassinat de Sadate et du premier attentat du WTC en 1993.
  22. Fondateur du Jihad Islamique en Égypte et chef d’Al-Qaïda après la mort de Ben Laden.
  23. Frère d’Égypte établi à Doha, principal prêcheur mondial du jihadisme sur al-Jazeera.
  24. Chef des opérations d’al-Qaïda en 2001.
  25. Chef autoproclamé d’al-Qaïda en Irak de 2003 à 2006.
  26. Considéré comme le représentant d’al-Qaïda en Europe, il fut expulsé de Londres qu’en 2012.
  27. Prêcheur jihadiste à la mosquée de Finsbury Park à Londres.
  28. Prédicateur jihadiste à la mosquée de Four Feathers à Londres. Relais et soutien du GIA algérien dans les années 1990, puis des volontaires maghrébins pour le jihad après le 11 septembre 2001.
  29. Inspirateur d’Anour Al-Awlaqi, chef autoproclamé d’al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Source: http://www.les-crises.fr/la-confrerie-des-freres-musulmans/


Hollande élu “Homme d’Etat mondial” de l’année

Friday 23 September 2016 at 00:19

Désolé, mais il fallait quand même que je garde ça pour les archives du blog…

Et le pire, c’est qu’il est allé chercher son prix…

Source : Europe 1, AFP, 26-05-2016

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La fondation interconfessionnelle “The Appeal of Conscience”, basée à New York, a décerné à François Hollande son prix “Homme d’État mondial” en 2016.

Dans notre pays, seuls 16 % des Français considèrent que François Hollande est un “bon président”, selon la dernière enquête Odoxa. Mais outre-Atlantique, le président français a l’air d’avoir davantage la cote. La fondation interconfessionnelle “The Appeal of Conscience“, basée à New York, a décerné à François Hollande son prix “Homme d’Etat mondial” 2016.

“Leadership dans la sauvegarde de la démocratie”. Ce prix “honore les dirigeants qui soutiennent la paix et la liberté, par la promotion de la tolérance, la dignité humaine et les droits de l’homme, en défendant ces causes dans leur pays et en travaillant avec d’autres dirigeants mondiaux pour bâtir un avenir meilleur pour tous”, a précisé la fondation dans un communiqué. “Le président Hollande sera reconnu pour son leadership dans la sauvegarde de la démocratie et de la liberté dans un moment d’attaques terroristes et pour sa contribution à la stabilité et la sécurité mondiales”, ajoute le communiqué.

Le président mexicain, honoré l’année dernière. En 2014, ce prix était allé au président mexicain Enrique Peña Nieto. La Fondation “Appeal of Conscience”, fondée en 1965 par le rabbin Arthur Schneier et qui dit “travailler au nom de la liberté religieuse et des droits de l’homme partout dans le monde”, présentera son “World Statesman Award” au président français le 19 septembre 2016, lors de son 51e dîner annuel au Waldorf Astoria à New York.

Source : Europe 1, AFP, 26-05-2016

Hommage à Gandhi :

— Journaliste : Que pensez-vous de la civilisation occidentale ?
— Gandhi : Ce serait une bonne idée…

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Hollande, un prix et l’indignité, par Jacques Sapir

Le Président François Hollande est allé chercher le 19 septembre 2016 un prix décerné par une fondation américaine. Ainsi, huit ans après Nicolas Sarkozy, François Hollande a été désigné « homme d’État de l’année » par la fondation The appeal of conscience  et a reçu sa distinction ce lundi à New York des mains de l’ancien Prix Nobel Henry Kissingeret du rabbin Arthur Schneier[1]. Il est humain de céder aux honneurs. Après tout Nicolas Sarkozy avait reçu ce prix avant lui, ce qui n’est pas nécessairement une référence. Mais il est sage de chercher à en savoir un peu plus sur qui vous honore.

Une indignité

Cette fondation a été créée en 1965 par le rabbin Arthur Schneier pour défendre la liberté religieuse et les droits de l’homme à travers le monde[2]. Rassemblant le monde des affaires et des responsables religieux, elle cherche à promouvoir les dirigeants qui ont promu la paix, la tolérance, et qui ont œuvré pour la résolution des conflits. Jusque là, il n’y a rien à dire. Mais, la première chose qui dérange est le précédant récipiendaire de la distinction « d’homme de l’année ». Ce n’était autre que le Président du Mexique, M. Enrique Peña Nieto. Qui ne s’est pas spécialement distingué dans la paix, la tolérance, et la résolution des conflits.

Et puis, la présence à la cérémonie d’Henry Kissinger, suscite plus qu’un trouble. Rappelons, pour les jeunes générations, qu’Henry Kissinger, alors ministre des affaires étrangères (Secrétaire d’Etat) de Richard Nixon, a été l’homme qui a suscité le coup d’Etat de 1973 au Chili et la prise de pouvoir des généraux argentins en mars 1976, qui s’est accompagnée de ce que l’on appelle la « sale guerre ». Ces coups d’Etat ont fait des centaines de milliers de victimes et encore aujourd’hui le souvenir des « disparus », torturés et assassinés par ces dirigeants militaires hante la mémoire du Chili et de l’Argentine. Lors de son récent voyage à Buenos-Aires le président Barack Obama a été accueilli par des manifestants qui demandaient aux Etats-Unis des explications pour leur implication dans ce qui reste comme l’un des chapitres les plus sombre de l’Argentine. Jon Lee Anderson, dans le NewYorker pose la bonne question : Henry Kissinger a-t-il une conscience[3] ? Et la réponse, bien évidemment, est non.

Henry Kissinger avait apporté son soutien à ces généraux, tout comme il avait soutenu les généraux chiliens. A sa demande, le Congrès des Etats-Unis avait voté des budgets incluant une aide militaire importante pour les généraux argentins. Les mains d’Henry Kissinger sont tachées du sang des argentins et des chiliens, mais aussi de bien d’autres, car durant les années où il a exercé les fonctions de ministre des affaires étrangères des Etats-Unis, il n’a eu de cesse de promouvoir la plus brutale et la plus sanguinaire des politiques.

Une liste a été établie par Dan Froomkin (et traduite par Laurent Schiaparelli) qui a a été publiée sur le site du SakerFrancophone

  1. Il a inutilement prolongé la guerre du Vietnam de cinq années.
  2. Il a fait bombarder illégalement le Cambodge et le Laos.
  3. Il a poussé Nixon à mettre sur écoute ses équipes et des journalistes.
  4. Il porte la responsabilité de trois génocides, au Cambodge, au Timor oriental et au Bangladesh.
  5. Il a encouragé Nixon à poursuivre Daniel Ellsberg pour avoir publié Les papiers du Pentagone, déclenchant ainsi un enchaînement d’événements qui ont précipité la chute du gouvernement Nixon.
  6. Il a renforcé l’ISI, les services secrets pakistanais, et les a encouragés à utiliser un islam politique pour déstabiliser l’Afghanistan.
  7. Il a été à l’origine de la politique, addictive pour les États-Unis, de pétrole-contre-armes avec l’Arabie saoudite et avec l’Iran avant sa révolution.
  8. Il a encouragé d’inutiles guerres civiles en Afrique subsaharienne, qui, au nom d’un soutien au suprémacisme blanc, ont laissé dans leur sillage des millions de morts.
  9. Il a soutenu d’innombrables coups d’État et escadrons de la mort en Amérique latine.
  10. Il s’est acquis les bonnes grâces de la première génération de néo-conservateurs, les Dick Cheney et Paul Wolfowitz, qui ont amené le militarisme américain à un niveau supérieur de désastre pour le pays.

Dès lors, on peut s’interroger sur le trouble qu’a pu ressentir François Hollande quand il a reçu cette distinction des mains certes tremblantes mais toujours ensanglantées d’Henry Kissinger. A-t-il eu une pensée pour toutes les personnes torturées et assassinées, pour les citoyens français, qui ont été victimes des politiques suscitées ou soutenues par ce « cher Henry » ? Il n’y a pas de plus symbolique reniement des principes de la gauche que l’acceptation de la présence d’Henry Kissinger lors de la remise de ce prix. Et cela confirme ce que l’on écrivait dans une autre note : la véritable extrême-droite s’incarne aujourd’hui dans des hommes et des femmes qui, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, en passant par Alain Juppé et quelques autres, mettent en œuvre une politique dangereuse tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Une plaisanterie?

Mais qu’ont dû penser les responsables de Appeal of Conscience quand ils ont décidé d’attribuer le prix pour l’année 2015 à François Hollande ? Ils ne pouvaient ignorer la détestation qui entoure l’homme et sa politique. Le plus probable est qu’il ont voulu faire une plaisanterie et donner à « monsieur petites blagues » une leçon d’humour juif new-yorkais. Cette plaisanterie renvoie au folklore juif d’Europe centrale et fait référence à l’histoire suivante, que j’avais entendue enfant de la bouche d’amis de mon père :

Un jour, dans un ghetto situé entre Lvov et Cracovie, vivait un très misérable tailleur prénommé Moishe. Il vivait avec sa femme et ses six enfants, avec sa mère qui perdait un peu la tête, dans une pièce unique et insalubre. A bout de forces et de nerfs, il alla voir le rabbin et lui dit : « Rabbin, que dois-je faire ? Je n’ai plus la force de coudre alors que mes enfants crient dans la pièce, que ma femme se dispute avec ma mère, que c’est toujours le confusion ». Et le rabbin, après avoir réfléchi un instant lui dit : « Moïshe, achètes-toi une chèvre ». Et Moïshe, qui avait confiance dans le bon sens du rabbin fait ce que ce dernier lui a dit de faire : il achète une chèvre. Et là, la situation devient catastrophique. La chèvre court et bondit dans la pièce, mange le tissu sur lequel travaille Moïshe, fait des crottes partout. Alors Moïshe se précipite vers le rabbin et lui dit :  « Oh, rabbin, qu’avez vous fait ? C’est l’enfer que vous me faites vivre ». Alors le rabbin lui dit : « Moïshe, vend maintenant la chèvre… ». Et, là encore, Moïshe dont la confiance dans les avis du rabbin n’a pas été ébranlée, fait ce que le rabbin lui a dit de faire. Trois jours s’écoulent, et Moïshe vient pour le Shabbat à la pauvre Synagogue du lieu et il voit le rabbin. Et il se précipite vers lui, tombe à ses genoux, les embrasse et dit « Rabbin, vous m’avez sauvé la vie, maintenant tout est calme à la maison depuis que j’ai vendu la chèvre. Je n’entends plus mes enfants crier, ni ma femme et ma mère se disputer ».

Certains, à la lecture de cette histoire vont me dire : « comment, vous osez comparer François Hollande, Président de la république, à une chèvre ? » A ceux la, je répliquerai par une autre histoire, que l’on racontait dans la Pologne sous le joug soviétique, quand un commissaire de police vit entrer un homme en furie qui hurlait « un soldat suisse vient de me voler ma montre russe ». Le commissaire, un instant interloqué, lui dit « calmez vous. Vous vouliez dire: un soldat russe vous a volé votre montre suisse ? » Et l’homme de rétorquer « ce sont vos propres mots, monsieur le commissaire, ce sont vos propres mots »…

[1] http://www.lepoint.fr/monde/francois-hollande-recoit-le-prix-d-homme-d-etat-de-l-annee-20-09-2016-2069810_24.php

[2] http://www.appealofconscience.org

[3] http://www.newyorker.com/news/news-desk/does-henry-kissinger-have-a-conscience

 

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Source: http://www.les-crises.fr/hollande-elu-homme-detat-mondial-de-lannee-par-europe-1-et-afp/


Union européenne : la défaite de Bratislava, par Romaric Godin

Thursday 22 September 2016 at 01:40

Source : La Tribune, Romaric Godin, 19/09/2016

L'Europe est-elle irréformable ? (Crédits : REUTERS/Leonhard Foeger)

L’Europe est-elle irréformable ? (Crédits : REUTERS/Leonhard Foeger)

Le sommet de Bratislava devait relancer l’UE après le Brexit. De ce point de vue, c’est une défaite complète qui pourrait être lourde de conséquences pour l’avenir.

Le bilan du sommet européen de Bratislava du vendredi 16 septembre est terne. Il l’est encore plus lorsque l’on songe à l’objet initial de ce sommet extraordinaire, décidé dans les jours suivants le vote britannique en faveur du Brexit avec comme ambition la « relance » de l’Europe. Les enjeux n’étaient donc pas mineurs. Il s’agissait de savoir comment faire en sorte que le précédent britannique ne se reproduise pas et quel chemin prendra, dans l’avenir, l’Europe. A ces deux réponses, les chefs d’Etats et de gouvernements des 27 pays qui vont rester dans l’Union européenne n’ont pas été capables d’apporter de vrais réponses.

Réformes a minima

Certes, une « feuille de route » a été décidée avec pour ambition d’apporter des « réponses concrètes » afin de ne pas, a-t-on affirmé, rester dans les belles paroles. L’ennui, c’est que la feuille de route est bien mince. Et bien floue. En matière de défense, on prévoit certes quelques avancées : création réelle des unités européennes qui existent déjà sur le papier, création d’un quartier général et un financement commun. Tout cela reste à définir, à préciser et à valider. En matière de sécurité, on n’a guère prévu que l’intensification des échanges de données contre le terrorisme et l’assurance qu’on ne reverra plus de flot de réfugiés comme en 2015. Par quels moyens ? On l’ignore. En matière de jeunesse, de simples bonnes intentions. Tout ceci est évidemment loin d’être à la hauteur des enjeux.

Le surplace économique

Mais nulle part ailleurs qu’en matière économique, ce sommet de Bratislava n’a été un échec flagrant. Le vote britannique sur le Brexit a montré combien une partie de la population, parmi la plus fragilisée par la mondialisation, estimait que l’UE n’était pas en état de les défendre. Ce sont les ouvriers anglais et gallois qui n’ont pas écouté les consignes des Travaillistes qui ont fait basculer le vote. Il convenait donc de répondre à cette situation qui n’est pas propre au Royaume-Uni. Jean-Claude Juncker qui, mercredi 14 septembre, dans son « discours sur l’Etat de l’Union » avait beaucoup insisté sur « l’Europe sociale » avait beaucoup travaillé sur ce thème, semblait l’avoir compris. Mais ce n’est pas le cas du Conseil européen.

La zone euro en panne

Rien n’aura en effet été décidé sur ce sujet, pourtant celui où l’UE est en théorie le plus avancé, donc celui sur lequel sa responsabilité est la plus engagée. Pas un mot sur une éventuelle réflexion concernant la zone euro et sa réforme, pourtant considérée après la crise grecque de l’été 2015 une priorité. En réalité, la poussée d’AfD en Allemagne interdit le dossier tout autant que celle du FN en France. La BCE sera donc plus que jamais seule et contrainte à une fuite en avant monétaire qui prépare à coup sûr la prochaine crise financière, comme vient de le pointer la Bundesbank, alors qu’une action coordonnée avec la BEI permettrait de dynamiser rapidement et sans changer les traités l’économie de la zone euro. On continuera à vouloir lutter contre la déflation en demandant à l’Espagne et au Portugal de nouvelles mesures de consolidation budgétaire, ce qui est contradictoire. On continuera ainsi à réclamer des ajustements unilatéraux, sans s’attaquer aux excédents. En bref : l’occasion est une nouvelle fois manquée et ceci met à terme clairement l’euro en danger.

L’investissement remis à plus tard

Signe de cette volonté de ne rien faire : la prolongation du plan Juncker que le président de la Commission a réclamé le 14 septembre fera l’objet d’une « étude d’impact ». On sait ce plan globalement inefficace, mais la mauvaise volonté du conseil est désormais patent sur ce dossier, car cette « étude d’impact » semble ne laisser que deux options : sa prolongation ou son abandon. Aucune réflexion ne semble engagée pour en modifier les contours et le fonctionnement, notamment par des actions plus ciblées sur les investissements paneuropéens, sur les pays les plus en manque d’investissement et sur des projets plus risquées qui n’attirent pas les investisseurs privés. Du reste, l’UE et la zone euro n’ont pas tant besoin de projets en 2020 que rapidement. Et, de ce point de vue, la réponse de l’UE est bel été bien un niet absolu à tout changement. Pour preuve : l’Europe sociale, Leitmotiv de Jean-Claude Juncker le 14 septembre, est absente de ce sommet de Bratislava.

Impasse à Bratislava

En réalité, dans la capitale slovaque, personne n’était d’accord sur rien. Rien n’aura donc été décidé d’autre que la défense d’un statu quo dont on sait pourtant les dangereuses limites. Si la prise de conscience que, comme l’affirme Angela Merkel, l’Europe est dans une mauvaise passe, est peut-être réelle, l’incapacité des dirigeants à trouver un nouveau souffle est patent. En affirmant vouloir apporter du concret pour éviter de « belles paroles », on a donné ni « belles paroles », ni concret. La réponse n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu qu’ils s’étaient eux-mêmes fixer après le 23 juin. Elle confirme l’état d’incapacité de l’UE de répondre aux attentes des citoyens et d’agir pour leurs situations concrètes. Comme souvent, les dirigeants européens se sont faits, ce 16 septembre, les meilleurs alliés des Eurosceptiques.

Stratégie du statu quo

Tout se passe désormais comme si les dirigeants européens considéraient encore que le Brexit était une « bonne leçon » pour ceux qui sont tentés de sortir et qu’il va permettre de réutiliser l’argument du chaos et de la peur pour calmer les mécontentements. Pour le reste, rien n’a besoin de changer. Les dirigeants semblent avoir renoncé à faire aimer l’Europe, se contentant de le laisser être une sorte de « moindre mal ». C’est une stratégie possible, mais qui a déjà montré ses limites puisque, en un an, l’UE a déjà perdu trois référendums, en Grèce, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Surtout, c’est une stratégie qui est hautement risquée : la situation en zone euro pourrait conduire à une nouvelle déstabilisation économique dont la zone euro aura bien du mal à sortir indemne. Déjà, de nouvelles crises se profilent dans les pays « traités » par les programmes d’ajustement comme le Portugal ou la Grèce. Bref, l’UE a utilisé sa bonne vieille stratégie, celle en place depuis 2010 : mettre la poussière sous le tapis et tenter de gagner du temps. Ou plutôt de le perdre.

Le nœud gordien allemand

Le nœud gordien du problème européen est que les Etats ne veulent pas payer le prix de davantage d’intégration et donc de solidarité, mais veulent sauvegarder l’existant. Et le principal Etat concerné par ce nœud, c’est l’Allemagne. Ce pays ne peut prendre le flambeau d’initiatives nouvelles. La situation actuelle lui convient plutôt bien sur le plan économique et sa situation politique lui interdit toute avancée vers l’intégration.

Angela Merkel n’ira pas plus loin. La constitution allemande est un cadre étroit pour toute avancée « fédérale » et il n’est pas question d’ouvrir un débat dont profiterait à coup sûr les eurosceptiques d’AfD qui ne demandent pas mieux pour attirer encore davantage d’électeurs conservateurs que de reprendre le thème de la défense de la politique économique traditionnelle de l’Allemagne et du rejet de l’union des transferts. Aussi se drape-t-elle dans cette posture d’une demande constante de réformes supplémentaires des autres pays pour avancer vers l’intégration. Une stratégie qui est un gage de l’immobilisme de l’UE puisqu’on sait qu’il n’y a « jamais assez » de réformes. Il est donc un peu piquant de voir les Allemands accuser Matteo Renzi, qui réclame une réforme économique de l’UE, de défendre ses intérêts politiques intérieurs.

Une Europe qui apparaît comme irréformable

Avec un tel leader, l’UE ne peut que faire du surplace. D’autant que la France n’est pas loin de se trouver dans la même situation et que François Hollande, désormais obsédé par l’échéance présidentielle, a renoncé à peser en Europe depuis longtemps. Face à ces deux géants défenseurs du statu quo, les autres Etats ont aussi tendance à regarder ailleurs. L’Europe apparaît donc pour le moment comme irréformable. Et la vraie question est donc désormais de savoir si le statu quo augmenté de quelques éléments peut perdurer encore longtemps.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 19/09/2016

Source: http://www.les-crises.fr/union-europeenne-la-defaite-de-bratislava-par-romaric-godin/


Alstom, la financiarisation et le scandale par Jacques Sapir

Thursday 22 September 2016 at 01:20

Source : Comité Valmy, Jacques Sapir, 09-09-2016

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La décision de la société Alstom de fermer son usine de Belfort (sauf les travaux de maintenance) a surpris dans le monde politique. D’Arnault Montebourg à Emmanuel Macron, les critiques ont été virulentes. Mais, en réalité, cette décision n’est pas réellement étonnante quand on considère l’état – à court terme – du marché de la construction ferroviaire. Elle est la suite logique du dépeçage d’Alstom, consécutif à la vente à General Electrics de l’ensemble de ses activités dans la production d’énergie. Elle symbolise aussi parfaitement la logique de gestion d’une entreprise ou l’intérêt immédiat de l’actionnaire domine, mais aussi une logique économique où une puissance, les Etats-Unis pour les nommer, impose par la voix d’une justice aux ordres ses impératifs aux autres pays. Il est vrai que l’on pourrait résister à ces pratiques, mais cela impliquerait de faire de la souveraineté nationale un impératif de notre politique et de le défendre becs et ongles. Or, de ceci il n’est plus question depuis des années, et c’est bien cela qui transparaît dans cette décision.

Une décision et ses conséquences

Cette décision apparaît aussi comme scandaleuse parce qu’elle survient au moment même où Alstom se félicite d’avoir remporté un contrat important (le TGV dit « américain ») et vient de signer avec le gouvernement français un pacte d’innovation pour la production du TGV du futur. On voit le scandale, alors que les perspectives dans le domaine du transport se développent, qu’il y a à sacrifier ce qui représente la base historique de la production ferroviaire pour Alstom, l’usine de Belfort.

Cette décision va avoir des effets très négatifs à moyen et long terme. On sait que des compétences hautement spécialisées et non transmissibles (du moins facilement) sont accumulées dans les usines qui produisent ce type de matériel. L’apprentissage par la pratique joue un rôle déterminant dans l’approfondissement de ces compétences et dans leur transmission. Quand ces compétences sont perdues, par le biais de licenciements par exemple, cela constitue une perte immédiate, une perte nette pour l’entreprise. Et il faudra plusieurs années pour reconstituer ce « stock de compétences » qui est en réalité un capital, certes immatériel, de l’entreprise.

De ce point de vue, si l’on considère l’avenir de l’entreprise à long terme, à 10 ans et plus, il y a un véritable intérêt à maintenir en activité des sites de production même si ils peuvent être, temporairement, en situation de faible charge de travail. La préservation des compétences industrielles implicites est à ce prix.

Le contrat d’innovation n’est pas une panacée

Cette décision cependant est prise dans le même temps où l’on annonce un partenariat d’innovation entre l’Etat et la société Alstom, pour penser le développement du TGV du futur. Le partenariat d’innovation est une bonne chose, et permet de répondre à certains des problèmes rencontrés dans la production de grandes infrastructures où les délais de conception et de réalisation sont longs et l’irréversibilité des décisions d’investissement important. On est en présence de ce que l’on nomme en théorie économique des actifs (matériels et humains) hautement spécifiques, c’est à dire qui ne peuvent être employés dans d’autres activités sans des pertes de valeurs très importantes. A cet égard, l’association de la puissance publique et d’une entreprise privée très en amont, dans la conception du projet, permet de dégager des synergies intéressantes.

Mais, il convient immédiatement d’ajouter que ces synergies ne sont complètes que si l’Etat maîtrise parfaitement la dynamique de développement du secteur, et ici la séparation entre l’activité réseau et l’activité transport dans le domaine ferroviaire – une conséquence justement des directives européennes – soulève de graves problèmes d’incohérence dans les décisions. Il faut, aussi, que l’équilibre entre le développement du réseau TGV et du réseau non-TGV soit pensé et non laissé à de simples arbitrages financiers. Car, le développement du réseau TGV dépend en réalité de son alimentation par le réseau non-TGV.

Quelle intervention pour l’Etat ?

Les fluctuations dans le temps des plans de charge, qui viennent justement de ce que tant les opérateurs publics que les acteurs privés sont englués dans des logiques de gestion à court terme, posent le problème du maintien des compétence sur les sites de production. C’est d’ailleurs un problème que connaissent bien les producteurs d’avions civils. Le partenariat d’innovation est ici impuissant pour gérer ce type de problèmes, et l’intervention de l’Etat s’avère alors nécessaire que ce soit en subventions, pour le maintien des sites opérant temporairement en sous-capacité, ou indirectement par des engagements de long terme dans des dépenses d’investissement. Cette importance du rôle, direct et indirect, de la puissance publique et les effets d’externalités qu’induisent ces grandes infrastructures sont des arguments importants, et sans doute décisifs, pour une nationalisation (partielle ou totale) de ces activités.

Mais, il faut rappeler que la décision de liquider le site de Belfort survient alors que ce site est une pièce maîtresse dans l’histoire du développement et de la construction du matériel ferroviaire à haute technologie. Plus qu’un signe de l’abandon de la fonction stratégique de l’Etat ici, c’est surtout le signe d’une incohérence à la fois politique (que l’on mesure à l’aune des promesses contradictoires et des engagements réels) mais aussi temporelle de l’Etat. Ce dernier cherche à suivre simultanément une logique de court terme (en matière de comptes publics) et de long-terme. Or, la définition d’un « Etat stratège » implique en réalité que les fonctions de long terme de l’Etat soient clairement sécurisées ou déconnectées par rapport aux impératifs de court terme.

Si l’Etat ne peut s’abstraire des impératifs de court terme, et il doit conserver une capacité de réaction importante devant les évolutions de la conjoncture, il doit impérativement conserver des moyens importants pour se projeter dans le long terme. Car, ce faisant, il favorise les décision d’investissement des acteurs privés. Plus et mieux il le fait et plus et mieux il stabilise les anticipations des acteurs privés et peut donc jouer sur la conjonction de ces anticipations avec sa propre stratégie et ainsi créer des « cercles vertueux ». Mais, cela implique qu’une partie importante du budget soit programmée dans le long terme.

Que s’est-il passé depuis 2004 ?

Il convient de se poser la question de la différence de comportement dans les actions du gouvernement en 2004, date à laquelle Alstom fut sauvée par Nicolas Sarkozy, et celles de ces dernières années. Le ralliement d’une grande partie de l’élite bureaucratique de notre pays (qu’elle soit apparentée au PS ou qu’elle soit proche de l’ex-UMP) au néo-libéralisme a conduit à l’abandon des perspectives stratégiques dans les différents secteurs de l’économie. Aujourd’hui, et ceci est vrai tant pour le PS que pour les « Républicains », on accepte en réalité la logique du court terme, la domination de la « puissance » des actionnaires. Bref, la « finance » n’est plus un problème, pour ne pas dire un « ennemi ».

Ne nous y trompons pas : c’est une conséquence directe, une conséquence immédiate, de la financiarisation de l’économie et avec elle de cette « tyrannie des actionnaires », en réalité des fonds de pensions, qui cherchent en permanence le rendement le plus élevé possible pour leurs investissements. Quand, avec d’autres économistes, nous écrivons qu’il faute « dé-financiariser » l’économie, ce n’est pas pour des raisons morales, parce que la « finance » serait intrinsèquement une entité mauvaise ou perverse. C’est parce que les rythmes imposés par la financiarisation aux entreprises (et au budget de l’Etat) sont en réalité incompatibles avec les rythmes de la production et du développement des activités, en particulier dans les secteurs où les externalités positives, les effets induits et non directement visibles de ces activités, sont les plus importants. On ne peut penser le développement de l’économie « verte », la transition énergétique, le développement d’un véritable aménagement du territoire, dans le cadre d’une rentabilité annuelle ou de quelques années. Il faut pouvoir penser à 15 ou 25 ans. Et, pour cela, il faut se dégager de l’emprise de la finance et la mettre au service, s’il le faut par la contrainte, de ces priorités de développement. Cette dé-financiarisation passe, il faut le rappeler, par la sortie de l’Euro car, et on le constate tous les jours, l’Euro est un carcan fait pour imposer la domination de la finance sur nos économies.

***

Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

Source : Comité Valmy, Jacques Sapir, 09-09-2016

Source: http://www.les-crises.fr/alstom-la-financiarisation-et-le-scandale-par-jacques-sapir/


Miscellanées du Jeudi (Delamarche, Sapir, Béchade, ScienceEtonnante, DataGueule)

Thursday 22 September 2016 at 01:00

I. Olivier Delamarche

La minute de Delamarche : “la dette, c’est de l’impôt décalé”.

Olivier Delamarche VS Marc Touati (1/2): Que penser de l’évolution des marchés ? – 12/09

Olivier Delamarche VS Marc Touati (2/2): Banques centrales: Que faudrait-il réellement faire pour relancer la croissance ? – 12/09

Un grand classique : La minute de Delamarche : “vraiment ça ne va pas bien aux Etats-Unis”

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (1/2): L’économie américaine est-elle sur un niveau de récession ? – 19/09

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (2/2): Sur quoi repose la croissance faible en Europe ? – 19/09

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade : L’inertie du marché, de la manipulation.

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Quelle stratégie d’investissement adopter dans cet univers de taux bas ? – 07/09

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Pourquoi les marchés financiers réagissent-ils peu aux indicateurs ? – 07/09

III. Jacques Sapir

La minute de Sapir : “l’objectif de passer sous la barre des 3% ne pourra pas être atteint”

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (1/2): Attentisme sur les marchés avant le discours de Janet Yellen – 20/09

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (2/2): Vu le contexte géopolitique mondial, l’Europe est-elle plus attractive ? – 20/09

IV. ScienceEtonnante

Fusion vs Fission nucléaire — Science étonnante #28

V. DataGueule

Charbon : le fossile qui a de beaux restes #DATAGUEULE 16


 

Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-jeudi-delamarche-sapir-bechade-scienceetonnante-datagueule/


Les néoconservateurs trouvent de nouvelles excuses pour bombarder la Syrie, par Paul R. Pillar

Wednesday 21 September 2016 at 05:01

Source : Consortium News, le 08/08/2016

Le 8 août 2016

Les néoconservateurs influents de Washington continuent à inventer de nouvelles excuses pour accroître l’intervention militaire des États-Unis en Syrie, y compris pour bombarder les forces gouvernementales syriennes et affronter la Russie, écrit l’ancien analyste de la CIA Paul R. Pillar.

Par Paul R. Pillar

La nature complexe et multidimensionnelle de la guerre civile syrienne entrave la clarté du débat aux États-Unis sur la politique envers la Syrie. L’implication dans le conflit de multiples protagonistes, tous objets d’anathèmes de la part des débatteurs américains, mais s’opposant les uns aux autres en Syrie, reste un élément de complication fondamentale trop souvent ignoré.

Les questions fondamentales sur ce que sont les intérêts américains en Syrie sont trop souvent abordées superficiellement. Un exemple récent nous est donné par un article de Dennis Ross et Andrew Tabler, du Washington Institute for Near East Policy, plaidant en faveur d’une campagne de bombardements contre le régime d’Assad et exprimant son opposition à toute forme de coopération avec la Russie dans les frappes contre les groupes extrémistes, tels que le front al-Nosra affilié à al-Qaïda.

Le Secrétaire d'État américain John Kerry lors d'une conférence de presse commune sur la crise syrienne avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. (Photo du Département d'État)

Le Secrétaire d’État américain John Kerry lors d’une conférence de presse commune sur la crise syrienne avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. (Photo du Département d’État)

En tentant de résoudre la quadrature du cercle, en voulant intervenir avec force dans la guerre contre le régime d’Assad sans saper les efforts faits contre les groupes terroristes anti-occidentaux contre lesquels ce régime se bat aussi, Ross et Tabler soutiennent que toute action américaine ou russe contre ces groupes « les pousserait ainsi que les réfugiés vers la Turquie voisine », entraînant les terroristes « et la menace de la violence militante, à se rapprocher encore plus de l’Occident. »

Ceci est une bien étrange manière de prendre le contre-pied du fameux « les combattre là-bas ou les combattre chez nous » appliqué à la lutte anti-terroriste. Ce point de vue n’a jamais fait la preuve d’une corrélation positive et directe entre les interventions à l’étranger et la sécurité intérieure, pas plus d’ailleurs que ce genre de corrélation négative directe proposée par Ross et Tabler.

L’expérience indique que les corrélations négatives ont beaucoup plus à voir avec le ressentiment lié aux opérations militaires des États-Unis, ce qui crée plus de radicalisation et une augmentation du sentiment anti-occidental, et Ross et Tabler plaident en faveur de plus de telles opérations en Syrie. Ils répètent la même erreur que les tenants du principe « les combattre là-bas ou chez nous », en supposant un nombre constant de méchants qui traversent les frontières internationales mais ne se multiplient pas.

De plus, pour autant que les réfugiés soient concernés, les personnes peuvent devenir des réfugiés autant parce qu’elles combattaient le régime d’Assad que parce qu’elles combattaient contre l’EI ou al-Nosra. Au final, Ross et Tabler ne font la quadrature d’aucun cercle ; ils ne font que répéter qu’ils veulent combattre Assad, et que le volet contre-terroriste de la politique des États-Unis ne devrait pas avoir la priorité en Syrie.

En critiquant l’approche de l’administration Obama qui consiste à se concentrer sur le contre-terrorisme tout en cherchant un terrain d’entente avec les Russes, Ross et Tabler produisent des scénarios comme s’ils étaient les conséquences de ce que fait l’administration, même si ce n’est pas le cas. Ils mettent en avant des arguments sur le manque d’hommes du gouvernement Assad pour occuper les zones rurales sunnites, et donc son besoin de s’appuyer sur le Hezbollah et d’autres milices shiites pour le faire, et cela poussera al-Nosra et d’autres vers la Turquie, les rapprochant de l’Occident.

Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec ce que fait l’administration Obama ou le fait de parler aux Russes ? Damas et le Hezbollah ont leurs propres raisons de faire ce qu’ils font dans les zones sunnites de la Syrie.

Procès d’intention

Ross et Tabler imputent certaines priorités au président russe Vladimir Poutine, affirmant qu’il « est plus intéressé à démontrer que la Russie et ses alliés gagnent en Syrie et que les États-Unis perdent », plutôt que d’essayer de trouver des façons de limiter l’engagement de la Russie et les coûts dans la guerre civile Syrienne.

Dennis Ross, qui a été émissaire haut placé des États-Unis au Moyen Orient.

Dennis Ross, qui a été émissaire haut placé des États-Unis au Moyen Orient.

Mais leur appel ultérieur à utiliser l’armée de l’air américaine pour infliger des dégâts aux Russes ou à leur allié syrien reviendrait plutôt à affirmer le contraire. Si Poutine était vraiment plus intéressé au jeu des gagnants et des perdants en Syrie plutôt qu’à la limitation des coûts pour son pays, alors la coûteuse escalade des États-Unis serait plus encline à provoquer une contre-escalade de la part des Russes qu’un repli.

C’est peut-être pour échapper à un tel manque de logique que Ross et Tabler disent que les frappes aériennes américaines qu’ils recommandent « seraient effectuées seulement si le gouvernement d’Assad violait la trêve que, selon la Russie, la Syrie s’est engagée à respecter. » Mais l’hypothèse implicite qu’il y aurait quelque chose d’approchant une vision commune de ce qui est ou non une violation de la trêve et de qui l’a ou ne l’a pas commise, est tout à fait irréaliste, en particulier dans un conflit aussi confus avec autant de combattants différents, que celui de la Syrie.

Le régime syrien justifierait presque certainement toutes les attaques qu’il mènerait comme une réponse aux violations de l’autre camp, et au moins dans certains cas, le régime pourrait avoir raison. Ross et Tabler écrivent qu’il faut persuader la Russie « de s’arranger pour que M. Assad se conduise correctement », comme si la Russie contrôlait le comportement de la Syrie, ce qui n’est pas le cas. Qui va donc s’arranger pour que l’opposition archi-divisée et infestée d’extrémistes « se conduise correctement » ?

L’article soutient l’hypothèse erronée que la création des conditions d’un règlement politique consiste simplement  à peser suffisamment sur le régime syrien et à obtenir alors de ses soutiens russes et iraniens qu’ils se débarrassent de leur conviction présumée (une autre hypothèse erronée de Ross et Tabler, pour laquelle ils ne fournissent aucune preuve) qu’une résolution purement militaire du conflit est possible.

Mais un seul camp ne suffit pas pour faire un règlement politique. Il y a eu au moins autant d’obstination et de réticence à faire des compromis du côté des éléments rebelles. En pesant sur ces éléments avec leur puissance aérienne, les États-Unis ne feraient probablement qu’augmenter ce durcissement. Les guerres civiles ne peuvent se régler que lorsque tous les côtés, et pas uniquement un seul, comprennent que continuer une guerre mène à une impasse. Il sera difficile d’obtenir un cessez-le-feu si une des parties voit le conflit se développer trop à son avantage, ou au contraire trop à son désavantage.

Le manque le plus flagrant et le plus fondamental dans l’analyse de Ross et Tabler est son échec à examiner avec précision quels sont les intérêts réels des États-Unis en Syrie. L’afflux de réfugiés venant de Syrie, l’instabilité ou le terrorisme sont des conséquences néfastes de la guerre elle-même, et non d’une coloration politique particulière du gouvernement de Damas.

Les Assad père et fils ont été au pouvoir depuis 46 ans. Il serait difficile de faire valoir que la vie ou la mort d’un régime d’Assad est essentielle pour les intérêts américains et ce serait encore plus difficile en prenant en compte les solutions de rechange actuelles, ou plutôt le manque de solutions de rechange.

La guerre syrienne finira par se terminer par une sorte de compromis par épuisement, probablement fragile et temporaire, comme l’accord de Taëf concernant le Liban ou l’accord de Dayton concernant la Bosnie. Et cela, on l’a déjà sans doute compris dans toutes les capitales concernées.

Obtenir un accord, même fragile, ne va pas consister simplement à exercer des pressions ou à imposer des coûts d’un côté. Pour y arriver, il faudra la coopération constructive de la Russie et de l’Iran. Aucun de ces alliés d’Assad ne va être amené par la puissance aérienne des États-Unis à se coller l’étiquette de « perdant » sur le front en s’éclipsant de la Syrie la honte au front.

Paul R. Pillar, pendant ses 28 ans passés à la Central Intelligence Agency, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.

Source : Consortium News, le 08/08/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: https://www.les-crises.fr/les-neoconservateurs-trouvent-de-nouvelles-excuses-pour-bombarder-la-syrie-par-paul-r-pillar/


Vu de Tunisie : le burkini, insulte au combat mené chaque jour par les femmes arabes, par Maya Ksouri

Wednesday 21 September 2016 at 03:55

Pour avoir le point de vue inverse afin que chacun se fasse son idée et comprenne le débat entre musulmanes, et la complexité du sujet – on essaie de ne pas être sectaire ici  😉

Il clôture la série purement “Burkini”, rassurez-vous… 🙂

Source : Marianne, 5/9/2016

burkini-insulte

Alors que la situation des droits des femmes fait actuellement débat en Tunisie, Maya Ksouri revient sur la polémique autour du burkini en France. Elle s’adresse à tous ceux qui, à l’image du fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, ont évoqué “un vêtement comme les autres”.

La semaine du 13 aout, fête de la femme en Tunisie, a été le théâtre d’un affrontement entre tenantes du boycott de la cérémonie officielle organisée au palais de Carthage et partisanes de la participation. Le point de friction entre les deux camps s’articulait autour de l’évaluation de la situation des droits de la femme aujourd’hui en Tunisie sous la présidence de Beji Caïd Essebsi. Les premières considèrent ce dernier comme un usurpateur de la mémoire bourguibienne et de ses acquis en faveur de la femme, ayant failli par calcul et opportunisme à entériner l’évolution du code du statut personnel vers l’égalité dans l’héritage. Les secondes encensent ce même président en tant que continuateur « florentin » de Bourguiba faisant ce qu’il peut dans un contexte difficile.

Ainsi, la présence symbolique de la femme, en tant qu’élément de plus-value politique, ne cesse d’être débattue en Tunisie, surtout dans le contexte actuel où la parole s’est libérée et où le compromis politique avec la réaction islamiste (dont la répression, sous Bourguiba et Ben Ali, était admise par l’Occident comme un gage de modernité) ne laisse de reposer la question du statut – réel – de la femme derrière la vitrine longtemps brandie. Des incidents comme l’interpellation par la police d’une jeune femme portant un short dans une zone résidentielle, le tollé islamiste lors de l’évocation du projet de l’égalité dans l’héritage, raviveront tous les jours les inquiétudes sur la nature de la république tunisienne.

Le statut de la femme dans une société donnée est un tel indicateur de la nature de cette dernière, surtout en ces temps agités – où la sinistrose économique, la perte de sens généralisée et le cynisme ambiant ressuscitent les démons identitaires et leurs consolants replis – que cette même semaine, on a vu la femme et son corps causer un autre affrontement, non pas en Tunisie mais dans un pays ou la question paraissait depuis longtemps réglée : la France.

Combat entre pro et anti-interdiction du burkini

La décision de certains maires d’interdire le burkini sur leurs plages, l’appui judicaire à ces décisions et la rétraction qui a suivi ont généré un affrontement entre deux camps, en France et ailleurs dans ce village-terre où tout s’est mondialisé : les pro-interdiction – des laïques, des progressistes anti-islamistes mais aussi une minorité de xénophobes ayant toujours vu d’un mauvais œil la présence étrangère et « maure » sur leurs terres -, et les anti-interdiction, des islamistes, des complexés de l’identité et des « droits-de-l’hommmiste ».

Et quoique l’argumentaire des premiers soit mis à mal vu la spécificité de l’endroit de l’interdiction (la plage), où ni l’argument sanitaire ni l’argument du bannissement des signes religieux dans l’espace public ne tiennent vraiment, l’argumentaire adverse, construit autour de la liberté de la vêture et de la diversité, n’en est pas moins dans une meilleure posture.

Si l’argumentaire des deux blocs paraît si friable, c’est qu’aucune des factions ne veut /n’ose afficher le fond de sa pensée. Le débat est biaisé car chacune des parties croupit dans les faux-semblants imposés par la bien-pensance et le politiquement correct.

Les pro-interdiction (exceptée la frange d’extrême-droite)n’osent plus aller au bout de leur raisonnement de peur d’être taxés d’islamophobes dans un environnement de compromis et de clientélisme politique socialiste ayant eu pour résultat de laisser des causes comme la laïcité, en France, en pâture à l’extrême droite. Ainsi, si discuter de la burqa leur est encore permis, discuter du bien-fondé du voile leur est interdit au risque de se voir opposer l’argument d’autorité de l’islamophobie même si le voile et la burqa découlent du même impératif religieux : cacher la « awra » (l’indécence) qu’est la femme.

Ce que taisent ces pro-interdiction, au-delà de l’argument sanitaire et de l’argument laïque – qui ne résistent pas à l’examen dans ce cas précis -, c’est leur rejet profond du voile, de la barbe, du « kamis », et de tout ce qui est signe de ralliement à cet islam qui devient depuis un moment si disert et si violent dans l’espace public. Pour ce camp, le burkini est l’extension de la burqa que les talibans ont imposé aux femmes et dont son nom est du reste issu. Le burkini est un signe du refus et de stigmatisation de l’autre via l’ostentation d’une tenue en dehors de laquelle on est dans le « haram »

Les anti-interdiction, composés en leur majeure partie d’islamistes et de conservateurs, n’osent pas, eux aussi, avouer le vrai motif de leur indignation : sous leur argumentaire adossé au très politiquement correct respect des libertés, se terrent leurs convictions moins avouables, celle de l’obligation qui doit être faite à la femme, et qui après tout est inscrite dans le coran, d’observer une pudeur de sorte à ne pas provoquer « les instincts mâles ». Les femmes vivant dans les pays arabes vous diront aisément les remarques/regards/gestes de déconsidération à leur égard quand elles osent s’afficher en bikini dans des plages publiques. Au fond, ce n’est que cela derrière les déclamations de disposer de son corps car jamais vous ne verrez ces anti-interdiction user de ce même appareil argumentatif pour militer pour le droit à la minijupe ou au nudisme.

Cependant, et malgré cela, ce camp jouit aujourd’hui d’une audience assez importante (recrutée surtout parmi les jeunes). Une des raisons principales de la résonnance du discours de ce camp est la caution d’honorabilité que lui donne une faction particulière de ses composantes : celle « des droits-de-l’hommiste » classés à gauche par l’opinion publique.

Edwy Plenel en est l’archétype ; ce dernier, et en pleine polémique sur l’interdiction du burkini, publie un article intitulé « Un vêtement comme les autres ». Cet article est naturellement repris par tous les sites « halal » en France et ailleurs et par une grande partie des profils islamistes/conservateurs sur Facebook et Twitter qui, d’habitude, dénigrent le monde d’où vient Edwy Plenel.

Et justement le tour de passe-passe idéologique est là : « Regardez ô islamophobes errants ! Voilà qu’un homme objectif, car faisant traditionnellement partie de nos ennemis, se range à nos côtés et c’est la preuve irréfutable que nous sommes indéniablement dans le vrai. »

Edwy Plenel, en réduisant le burkini (qui, rappelons-le encore, est un terme issu de burqa et de bikini) à un choix vestimentaire, se donne, à peu de frais, bonne conscience, se félicitant, sans doute, de sa droiture chevaleresque et de sa lucidité de justicier incorruptible même quand il s’agit du « camp adverse ». Sauf que cette posture fort honorable a des répercussions qui ne feront hélas de monsieur Plenel que l’idiot utile de l’Internationale wahhabite car la burqa n’est pas un vêtement comme les autres et n’est pas juste un choix vestimentaire.

On arguera qu’Il y a bien aujourd’hui des femmes rétives au projet wahhabite qui portent la burqa, mais qu’elles le fassent est, justement, éloquent sur la situation alarmante de la femme dans les sphères arabo-musulmanes où la respectabilité/le confort/la paix passe désormais par la mutilation d’une partie de soi. Que les femmes, mêmes hostiles au projet islamiste, aient intériorisé d’une manière inconsciente leur infériorité du fait de la chose inconvenante qui doit être couverte qu’est leur corps est, en soi, une insulte à tout humaniste qui se respecte.

Le voile, sous toutes ses formes, est-il anodin, juste un choix vestimentaire ?

Le débat, pollué aujourd’hui par des éléments conjecturaux (le contexte d’après Nice), des finauderies (« gardons-nous de leur victimisation ») et brimé par l’épée de Damoclès de l’islamophobie, élude le fond réel du problème : le voile, sous toutes ses formes, est-il anodin, juste un choix vestimentaire ?

Lire la « littérature » wahhabite-islamiste vous dira que non. Le voile, la burqa et le burkini ne sont pas des vêtements comme les autres mais des signes ostentatoires d’appartenance et de ralliement qui, a contrario, excluent toutes celles qui ne les portent pas du monde de « la bonne musulmane » pour les jeter dans celui des blâmables non pratiquantes, au mieux, ou, au pire, dans celui des catins mécréantes.

Lisez les mémoires* d’un des plus éminents dirigeants de la Nahdha (le parti islamiste tunisien vendu comme le parangon de l’islam modéré), Abdelhamid Jelassi, parues cette année, et vous verrez que le voile et ses pendants ne sont pas des vêtements comme les autres. Il le dit clairement.

Le voile et la volonté insidieuse de sa généralisation, sous toutes ses formes, dans l’espace public, est aujourd’hui, dans un contexte d’islam politique florissant, un élément de propagande, de démonstration de force et de victoire… Victoire remportée sur le modèle social caractérisé par la libération des femmes arabes et leur émancipation à partir des années 30 sous l’impulsion d’Atatürk, Bourguiba et Nasser. Un modèle social progressiste si bien accepté dans un premier temps qu’on vit des salles combles hilares devant un Nasser qui ridiculisait l’attachement des frères musulmans au hijab.

L’acte fondateur de la Tunisie moderne a été, plus que la constitution de 1959, le code du statut personnel de 1956 qui s’est accompagné d’actes symboliques comme le geste de Bourguiba ôtant publiquement le voile a une femme venue l’acclamer. Oter ce voile, c’était reconnaitre la femme comme un égal et non comme un objet, un bonbon (pour reprendre une comparaison en cours chez les islamistes) qu’il faut envelopper pour le soustraire à la convoitise.

Ainsi, prétendre aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme les autres est une insulte au combat qu’ont mené et que mènent les femmes arabes tous les jours pour faire évoluer leurs acquis -ou pour juste les sauvegarder – et pour changer les mentalités qui se ré-enlisent depuis quelques décennies de désenchantement national dans le bourbier identitaire.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre, c’est donner, à partir d’un confort parisien, un bâton de plus à ceux qui salissent les femmes émancipées tous les jours dans le monde arabe : du compte « Aicha Amal », très populaire au Maroc, qui photographie des femmes en bikini à leur insu pour les livrer à une curée de « slut-shaming » ensuite sur Facebook, aux déclarations publiques émanant de « respectables » présidents de « think tanks » tunisiens insultant la championne olympique tunisienne Habiba Ghribi et imputant sa déconvenue lors de derniers jeux à…. son slip impudent.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre au nom de la diversité culturelle et religieuse admettrait de soutenir que l’esclavage, s’il est pratiqué en Arabie saoudite par exemple, est une embauche comme une autre vu que le coran contient des versets qui le rendent licites et que c’est donc une spécificité culturelle. N’est-ce justement pas cela l’essentialisme que la gauche de monsieur Plenel dénonce ?

Soutenir aujourd’hui que la burqa est un vêtement comme un autre en exhibant sur Twitter, comme le fait monsieur Plenel, des photos de baigneuses couvertes de la belle époque, n’est autre (mise de côté la supercherie intellectuelle qui élude qu’à la même époque les hommes aussi se devaient de porter des costumes de bains couvrants, donc nulle discrimination de la femme), que de la condescendance, envers des peuplades que l’on considère comme attardées. Une condescendance travestie dans ce nouveau tiers-mondisme qu’est l’islamo-progressisme.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre, c’est nier l’importance de l’enjeu dans des sociétés où des femmes, dont le seul tort est d’exercer leur liberté de penser et d’expression pour défendre leurs acquis contre le travail de sape insidieux de wahhabisation à coups de pétrodollars, sont menacées dans leur existence et astreintes à une escorte policière. Soutenir le port du burkini c’est mieux les désigner à la vindicte des alliés objectifs de monsieur Plenel : les islamistes.

Soutenir que le burkini est un choix vestimentaire qui correspond à l’actuelle configuration politico-sociale arabe, c’est ignorer les errements des peuples qui, laminés par ce monde qui se complexifie, se laissent porter par leurs instincts primaires pour se réfugier dans une représentation fantasmatique et passéiste d’eux-mêmes. Au nom de quoi donc, si ce n’est au nom de la lutte contre ces errements et du rétablissement du sens de l’Histoire, la gauche française a-t-elle contré l’engouement pour le Front national en votant massivement Chirac un certain printemps 2002 ?

Le voile est régression et asservissement de la femme mais monsieur Plenel n’a cure que, par un certain effet, l’orgueilleux papillonnement de ses ailes chamarrées nous condamne, nous, femmes arabes, qui nous battons tous les jours contre ses réactionnaires alliés objectifs, à l’obscurité.

*Les moissons de l’absence : la petite main ne ment pas. Éditions librairie tounes, 2016 [en langue arabe].

Maya Ksouri
Avocate et chroniqueuse politique tunisienne.

Source : Marianne, 5/9/2016

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Annexe : l’article cité, je ovus le met pour comprendre

«Un vêtement comme les autres»…, par Edwy Plenel

Le propre des époques de transition comme la nôtre, de trouble et d’incertitude quand un vieux monde se meurt lentement et qu’un nouveau monde tarde à naître, c’est la perte des repères les plus élémentaires. Et notamment l’oubli des libertés fondamentales…

Ces libertés fondamentales pour lesquelles, depuis 1789 (puis 1830, 1848, 1871, 1898, 1936, 1944, 1968… pour ne prendre que les dates de surgissement des révoltes créatrices), notre peuple s’est battu contre des pouvoirs qui servaient les puissants et les dominants, au service en somme des injustices sociales. Parmi ces principes, qui sont ceux d’une République démocratique et sociale, il y a la liberté individuelle : l’égalité de droits pour toutes et tous, sans distinction d’origine, de condition, d’apparence ou de croyance, de sexe ou de genre, dont la seule limite est de ne pas imposer aux autres sa propre loi, celle d’une idéologie (politique) ou d’un dogme (religieux).

Ainsi sur une plage, chacun d’entre nous peut penser ce qu’il veut des postures choisies par les autres estivants (selon leurs cultures, leurs convictions, leurs religions, etc.), mais aucun d’entre nous n’a le droit d’imposer autoritairement aux autres son choix à la manière d’un uniforme obligatoire. Ainsi, de même que je m’opposerai demain de toutes mes forces à un pouvoir qui obligerait les femmes à couvrir leur corps dans l’espace public, de même je m’oppose aujourd’hui à ce qu’on interdise sur les plages une tenue qui les couvre parce qu’elle serait liée à une religion. Dans les deux cas, nous cédons nos libertés individuelles au profit d’une logique autoritaire et discriminatoire qui, dans le premier cas, vise les femmes en continuant d’en faire une minorité politique opprimée et, dans le second cas, vise les musulmanes en les constituant comme minorité à exclure.

La liberté ne se divise pas, et elle est donc aussi celle de ceux dont nous ne partageons pas les idées ou les préjugés. À condition, évidemment, qu’ils ne cherchent pas, à leur tour, à nous les imposer autoritairement – et ce n’est certes pas le cas de ces femmes musulmanes qui, comme en témoignent nombre de reportages, vont vêtues à la plage en compagnie d’amies aussi dévêtues qu’on peut l’être, affichant ainsi la diversité et la pluralité qui anime les musulmans de France. Faut-il rappeler à nos intolérants d’aujourd’hui qu’en 1905, lors du vote sur la loi de séparation des églises et de l’État, certains républicains conservateurs voulurent faire interdire le port de la soutane dans l’espace public ? Et qu’évidemment, Aristide Briand (qui portait la loi, fermement soutenu par Jean Jaurès) s’y opposa au nom de la liberté, celle d’afficher ses opinions (donc aussi sa croyance), avec le soutien de tous les républicains progressistes (lesquels hélas, comme les autres, oubliaient les femmes qui, alors, n’avaient pas voix au chapitre, ni droit de vote – avec parfois, ce prétexte, qui ne manque pas d’ironie rétrospective, qu’elles seraient sous l’emprise de l’obscurantisme religieux).

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Capture d’écran de France 3 Côte d’Azur, 12/08/2016

Les tenants de l’interdiction du « costume ecclésiastique » (comme d’autres, aujourd’hui, qui veulent interdire tout « costume islamique ») affirmaient qu’il s’agissait d’un habit de soumission et que le devoir de l’Etat républicain était d’émanciper par la loi (donc par la force… de la loi) les prêtres de la soutane. Au passage, machistes affirmés, ils affirmaient que la soutane, qui est une robe, portait atteinte à la « dignité masculine ». Voici ce qu’Aristide Briand leur répondit, en refusant qu’une loi qui entend « instaurer un régime de liberté »veuille imposer aux prêtres « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements » : « Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel (…). La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme les autres, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. »

Autrement dit (et d’ailleurs Briand lancera, provocateur, à cette assemblée masculine qu’il était du droit de chacun, dans un régime de liberté, de se promener s’il le souhaitait « en robe ») si, demain, des hommes (quels qu’ils soient) veulent se rendre en soutane à la plage, et se baigner sous cette apparence, ils en ont le droit… De même, d’ailleurs, que l’on peut rencontrer, en feuilletant Paris Match de cette semaine, un homme nu se promenant sur une plage non naturiste de Biarritz qui, croisant Emmanuel Macron et son épouse, les salue, salut que le ministre lui rend avec le sourire. Mais les mêmes qui s’alarment des tenues de plage couvrantes de musulmanes ne se sont pas émus de cette transgression exactement opposée. Dans les deux cas, nous sommes face à des choix relevant de la liberté individuelle. Si son exercice ne s’accompagne d’aucun prosélytisme (cherchant à contraindre la liberté d’autres individus), accepter qu’une autorité la contraigne, c’est ouvrir la voie à ces morales d’État qui ont toujours accompagné les régimes autoritaires, quels qu’ils soient et quelle que soit leur intensité.

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Le reportage de Paris-Match sur Macron à la plage

Toutes ces polémiques, qui n’ont pour effet que de tomber dans le piège tendu par Daech (stigmatiser les musulmans par quête de boucs émissaires à nos peurs – voir plus bas), sont profondément ridicules quand on les confronte à un raisonnement logique. Va-t-on interdire, demain, au nom du refus de toute visibilité des convictions religieuses dans l’espace public, que des religieuses catholiques en coiffe se rendent à la plage ? Ou que des juifs pratiquants s’y promènent avec une kippa sur la tête ? Mais, demain, va-t-on également, au nom de la « neutralité » de l’espace public interdire des T-shirts affirmant des opinions supposées subversives ou des tenues juvéniles supposées dissidentes ? Faire la chasse aux cheveux longs, aux piercings, aux tatouages, etc. ?

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Les Sœurs de la Consolation assistant à une compétition de surf dans les Landes

Quand une liberté commence à tomber, sous un prétexte idéologique qui, en l’espèce, est sécuritaire, il est non seulement difficile de la reconquérir mais, surtout, elle en vient à être perdue pour tous, et pas seulement pour ceux que sa restriction semble viser. Demain, selon les aléas de notre vie politique, des municipalités, des gouvernements, des entreprises prendront prétexte de la restriction idéologique d’une liberté visant les corps et les apparences pour s’en prendre à d’autres attitudes jugées non conformes à leurs préjugés, à leurs dogmes, à leurs intérêts. Défendre nos libertés individuelles (parmi lesquelles celles de nos corps, de leurs vêtures ou de leurs nudités), c’est défendre la liberté de se battre pour nos droits, et de ne pas être soumis à la servitude des pouvoirs (qu’ils soient étatiques, économiques, idéologiques, religieux, sexuels, etc.).

La deuxième déclaration des droits de l’homme, la plus aboutie mais la plus éphémère, celle de l’An I de la République (1793) énonce ceci en son article 6 : « La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait ».

PS : j’ajoute à ce billet ce que j’ai récemment posté sur les réseaux sociaux, simple appel à la raison quand tant d’autres sujets (démocratiques, sociaux, écologiques, géopolitiques, scientifiques, etc.) devraient mobiliser nos énergies comme en témoignent les priorités éditoriales de Mediapart tout cet été :

À l’été 2014 (il y a deux ans donc, avant les attentats de 2015 et 2016), j’ai écrit ce qui suit, dans Pour les musulmans (Éditions La Découverte, lire ici). Est-il besoin de souligner que cette mise en garde est toujours d’actualité, plus que jamais ? Et qu’il est de notre devoir de soutenir toutes celles et tous ceux qui sont stigmatisés non pas pour ce qu’ils auraient fait mais pour ce qu’ils sont, en raison de leur croyance ou de leur apparence ? Voici donc l’extrait : « Sous toutes les latitudes, le sort fait aux minorités dit l’état moral d’une société. (…) Au-delà de mon pays, j’écris contre cette guerre des mondes dans laquelle on veut entraîner les peuples en fabriquant des haines identitaires dont la religion est l’alibi. Mais je suis en France, j’y vis, j’y travaille, et c’est ici même que, pour nous, se joue ce sursaut des consciences. Jamais les crimes commis par de prétendus musulmans ayant eux-mêmes sombré dans ces guerres sans fin ne justifieront qu’en retour, nous persécutions les musulmans de France. Jamais des dérives individuelles ou des conflits lointains n’autoriseront que, dans notre pays, on en vienne à assimiler en bloc des hommes, des femmes et des enfants à un péril qui menacerait l’intégrité, voire la pureté de notre communauté nationale, au prétexte de leur foi, de leur croyance, de leur religion, de leur origine, de leur culture, de leur appartenance ou de leur apparence. Jamais les désordres du monde ne sauraient excuser l’oubli du monde. De sa complexité, de sa diversité et de sa fragilité ».

Source: http://www.les-crises.fr/vu-de-tunisie-le-burkini-insulte-au-combat-mene-chaque-jour-par-les-femmes-arabes-par-maya-ksouri/


J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté, par Aheda Zanetti

Wednesday 21 September 2016 at 01:50

Article du Guardian journal de référence mainstream de la presse anglaise – mais attention, chose incroyable, il a été traduit en français sur le site même du journal, comme pour s’adresser aux Français. Le tout sans passion – comme quoi les Anglais montrent de nouveau, après le Brexit, qu’ils sont vraiment plus intelligents que nous en termes de capacité de débat et de diffusion des idées…  😉

On lire comme d’habitude ceci avec recul, et, si c’est encore possible (parce que là, certains commentaires commencent à ressembler à ceux du Monde, ça m’interroge…), sans passion – ce n’est pas l’affaire Dreyfus non plus… Donc on respire, tout va bien 🙂

En espérant que vous serez encore d’accord pour qu’on se parle et qu’on s’estime même si on n’est pas d’accord sur ce sujet… (sans que j’ai bien compris pourquoi les gens se fâchent à ce point, vu que j’ai bien dit qu’il y a évidemment des soucis sévères dans certaines banlieues. C’est juste qu’avant de parler des soucis là-bas, il faut peut-être arrêter les propos illégaux qui y versent du napalm dessus au risque de les enflammer, émis par des personnes qui ne proposent d’ailleurs rien de concret et réaliste…)

J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté

burkini-2

Quand j’ai inventé le burkini au début de l’année 2004, je ne cherchais pas à enlever leur liberté aux femmes, je voulais les libérer. Ma nièce voulait jouer au netball, mais nous avions du mal à lui trouver une équipe parce qu’elle portait un hijab. Ma sœur a dû se battre pour défendre le droit de sa fille à jouer. Elle a demandé: pourquoi empêcher cette fille de jouer uniquement parce qu’elle souhaite conserver sa pudeur ?

Une fois qu’elle a finalement été autorisée à joindre l’équipe, nous sommes tous allées la voir jouer pour l’appuyer, et nous avons constaté que sa tenue était complètement inappropriée pour le sport : un polo à manches longues, un pantalon de jogging et son hijab – un ensemble vraiment pas pratique pour le sport. Elle était rouge comme une tomate tellement elle avait chaud !

Une fois rentrée à la maison, j’ai commencé à chercher des tenues plus pratiques pour elle, des tenues de sports pour filles musulmanes et je n’ai rien trouvé. Je savais que je ne trouverais rien en Australie. Cela m’a fait réfléchir, quand j’étais à l’école j’ai raté tout les sports parce que j’avais choisi la pudeur, mais je voulais trouver quelque chose qui permettrait à ma nièce de s’adapter au mode de vie australien et aux vêtements occidentaux, tout en respectant les exigences d’une jeune fille musulmane.

Je me suis assise sur le sol de mon salon et j’ai crée quelque chose. J’ai observé le voile et j’ai enlevé l’excédent de tissu, ce qui m’a rendue un peu nerveuse : ma communauté islamique accepterait-elle cela? Le voile est censé couvrir vos cheveux et votre forme, rien ne doit dévoiler les formes du corps. Ceci marquais la forme du cou. Puis je me suis dit, cela montre la forme du cou, c’est juste un cou, cela n’a pas d’importance.

Avant de lancer la nouvelle tenue, j’ai fabriqué un échantillon et un questionnaire pour savoir ce que les femmes en pensait: le porteriez-vous? Est-ce que cela vous encouragerais à être plus active. À jouer plus de sport? À nager? De nombreux membres de ma communauté n’étaient pas trop convaincus, mais j’ai développé le modèle et cela a été une réussite commerciale.

Le burkini a attiré l’attention du grand public quand Surf Lifesaving Australia à introduit un programme visant à intégrer les filles et les garçons musulmans dans les activités de sauvetage sur plage suite aux émeutes de Cronulla ; une jeune fille musulmane voulait participer à un événement de la compétition. Elle portait un burkini.

Après le 11 Septembre, les émeutes de Cronulla, l’interdiction du voile en France, et les répercussions internationales que cela a eu – nous avons été stigmatisés comme étant des mauvaises personnes à cause de quelques criminels qui ne représentent pas les musulmans – je ne voulais surtout pas que les gens marginalisent les filles qui portent cette tenue. Il s’agit juste de jeunes filles qui souhaitent rester pudiques.

Pour elles il s’agissait d’une volonté d’intégration, d’acceptation et d’égalité, et pas de marginalisation. C’était difficile pour nous à l’époque, la communauté musulmane avait peur de se faire remarquer. Nous avions peur de nous rendre dans les piscines publiques ou à la plage et ainsi de suite, mais je voulais que les filles aient suffisamment confiance en elles-mêmes pour se créer des bonnes vies. Le sport est important, nous sommes australiens ! Je voulais créer quelque chose de positif, quelque chose que toutes les femmes peuvent porter qu’elles soient chrétiennes, juives ou hindous. C’est juste un vêtement pour une personne qui souhaite rester pudique, ou pour quelqu’un qui souffre d’un cancer de la peau, ou pour une nouvelle maman qui ne veux pas porter un bikini : cela ne symbolise pas l’Islam.

Fadila Chafic, australienne et musulmane, et une instructrice de natation, dans une piscine à Sydney. Photograph: Jason Reed/Reuters

Fadila Chafic, australienne et musulmane, et une instructrice de natation, dans une piscine à Sydney. Photograph: Jason Reed/Reuters

Quand je l’ai nommé burkini, je ne le voyais pas comme une burqa pour la plage. La burqa, c’était juste un mot pour moi ; j’ai passé toute ma vie en Australie, j’avais conçu ce costume de bain et j’avais besoin de lui donner un nom tout de suite. C’était une combinaison de deux cultures ; nous sommes australiens mais aussi musulmans par choix. La burqa ne symbolise rien ici, elle n’est pas mentionnée dans le Coran, et notre religion ne nous demande pas de nous couvrir le visage, c’est un choix personnel. La burqa n’est mentionnée nulle part dans les textes islamiques. J’ai dû rechercher le mot et il était défini comme une sorte de manteau couvrant: à l’autre bout de la gamme il y avait le bikini, alors j’ai combiné les deux.

Toute cette négativité que l’on voit partout en ce moment et ce qui se passe en France me rend triste. J’espère qu’il ne s’agit pas de racisme. Je pense qu’ils ont mal interprété un vêtement qui est complètement positif, il symbolise le loisir et la joie, les bons moments, le sport et la santé, et maintenant on demande aux femmes de quitter la plage et de retourner dans leurs cuisines ?

Ce vêtement est un outil de liberté pour les femmes, et ils veulent leur prendre leur liberté ? Alors qui est pire, le Taliban ou le politicien français ? Ils sont aussi mauvais l’un que l’autre.

Je pense que les hommes n’ont pas à décider de ce que les femmes doivent porter; personne ne nous force, c’est à chaque femme de décider. Ce que vous voyez, c’est notre choix. Est-ce que je me considère comme une féministe? Oui, peut-être. J’aime me tenir derrière mon mari, mais le moteur c’est moi et c’est mon choix. Je veux qu’il reçoive tous les honneurs, mais moi je suis la réussite silencieuse.

J’aimerais être en France pour dire que vous n’avez rien compris. Et n’y a-t-il pas suffisamment de problèmes dans le monde, faut-il en vraiment en créer de nouveaux ? Vous avez pris un produit qui signifie la joie, le plaisir et l’activité physique et vous en avez fait un objet de haine.

Quelles sont les valeurs françaises alors ? Qu’est-ce que vous voulez dire quand vous dites que le burkini n’est pas compatible avec les valeurs françaises ? Liberté ? Vous nous décidez ce que nous devons porter. En nous disant ce que nous ne devons pas faire, vous allez faire renvoyer les femmes à la maison, que voulez-vous que nous fassions alors ? Il y aura des répercussions. Si vous divisez la nation, si vous n’écoutez pas les voix des autres et si vous ne tentez pas de trouver des solutions, il y a des gens qui vont se mettre en colère. Repousser les gens et les isoler, ce n’est pas une bonne politique pour un politicien ou pour un pays.

Je me souviens de la première fois que j’ai essayé le burkini. Je l’ai d’abord essayé dans ma baignoire, il fallait que je sois sûre qu’il marche. Puis j’ai dû l’essayer en plongeant, alors je suis allée à la piscine locale pour tester si le bandeau restait bien en place. Je me suis rendue à la piscine Roselands Pool, je me souviens que tout le monde me regardait, mais qu’est-ce qu’elle porte ? Je suis allée tout droit jusqu’au bout de la piscine, je suis montée sur le plongeoir et j’ai sauté. Le bandeau est bien resté en place, et j’ai pensée, merveille ! Parfait !

C’est la première fois de ma vie que j’ai nagé en public, et c’était absolument merveilleux. Je me souviens parfaitement de la sensation. Je me suis senti libre, je me suis senti émancipée, je sentais que la piscine m’appartenait. J’ai marché jusqu’au bout de la piscine avec les épaules bien droites.

Plonger dans l’eau est une des sensations les plus fantastiques. Et vous savez quoi? Je porte un bikini sous mon burkini. J’ai le meilleur des deux mondes.

Source : The Guardian, Aheda Zanetti, 26-08-2016

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«On écrit pas mal de choses sur le burkini mais nous n’en avons pas vu beaucoup» par Fanny Arlandi

Source : Slate, Fanny Arlandis, 24.08.2016

Une tunisienne portant un burkin

Une tunisienne portant un burkin” se baigne avec un enfant, le 16 août 2016 sur la plage de Ghar El Melh, près de Bizerte, au nord-est de Tunis. FETHI BELAID / AFP

Aucune des grandes agences de presse n’a pu prendre de photos de femmes en burkini en France… faute d’en trouver.

Le mardi 23 août, une femme portant un simple hijab a été sommée par la police municipale de quitter une plage de Cannes ou de payer une contravention, faisant une nouvelle fois rebondir la polémique sur les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages. Depuis la validation, dix jours plus tôt, de l’arrêté municipal cannois, celle-ci est largement relayée par la presse. Pourtant, les articles publiés dans les journaux sont bien difficiles à illustrer alors que mardi, 21 communes concernées sur 26 n’avaient toujours procédé à aucune verbalisation.

«On écrit pas mal de choses sur le sujet, mais nous n’avons pas vu beaucoup de burkinis», s’amuse Francis Kohn, directeur de la photo à l’AFP. Aucune des grandes agences de presse ne dispose de photographies de femmes portant ce vêtement sur une plage française. Reuters met à disposition trois images réalisées en 2007, en Australie. L’AFP propose des photos prises en Tunisie, en Algérie ou également en Australie, sur des plages ou dans une boutique de vêtements. Et Associated Press n’a qu’une image prise en France, une capture d’écran d’une vidéo prise en août à Marseille.

«Être très chanceux»

L’AFP a envoyé des photographes sur les plages, notamment à Cannes et à Nice, «mais jusqu’à présent, aucun d’eux n’a pu voir de femmes en burkini. Et nous ne pouvons pas mettre des photographes en permanence sur toutes les plages», continue le directeur de la photo.

Associated Press met en avant la même raison: il faut «être très chanceux pour trouver une femme se baignant en burkini», explique Laurent Rebours, chef du service photo de l’Associated Press à Paris. Ce dernier complète avec un argument budgétaire:

«Sachant que mon photographe basé à Marseille était en vacances à cette période et que celui basé à Nice était en arrêt maladie, ma direction à Londres n’a pas jugé bon d’engager (et payer) des freelancers à la recherche d’hypothétiques femmes se baignant en burkini, sachant que nous avions en main un visuel via la capture d’écran d’une vidéo avec le nom et l’age de la personne filmée.»

Trois femmes

Certain(e)s photographes ont cependant réalisé des reportages sur le sujet. C’est le cas d’Eléonora Strano pour Le Monde ou de France Keyser, envoyée par Libération à Marseille le 16 août. Cette dernière raconte s’être rendu «sur la plage des Catalans. C’est une plage où tout le monde va, avec une vraie diversité de personnes. Comme pour n’importe quel reportage, je vais discuter avec les gens avant de faire les photos car je photographie au 35 mm. Des femmes ont accepté que je les photographie sur la plage et lorsqu’elles se baignaient en burkini». 

France Keyser a publié sur le site de l’agence Myop cinquante-neuf photos issues de ce reportage (les images sont visibles ici), mais ces femmes n’étaient que «trois, sur des centaines de personnes».

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Source: http://www.les-crises.fr/jai-cree-le-burkini-pour-liberer-les-femmes-pas-pour-enlever-leur-liberte-par-aheda-zanetti/


“Pour les femmes qui le portent, le burkini est un compromis entre la modernité et la foi”, par Olivier Roy (+ Edwy Plenel et Pierre Joxe)

Tuesday 20 September 2016 at 00:59

Du coup, n’anticipant pas le niveau de bascule de la société, je regrette de ne pas avoir plus parlé du sujet fin août, alors je me rattrape.

Je vous donne donc, comme souvent ici, des analyses à contre-courant – à vous de voir si elles vous aident à réfléchir. J’ai bien aimé celui d’Olivier Roy, qui apporte des arguments intéressants (d’ailleurs, on a rarement le point de vue des musulmans sur tout ceci). Après, bien sûr, comme toujours sur ce blog, il ne s’agit pas d’adhérer à tout, juste élargir son horizon…

Je considère que ce sujet est important, car il signe une bascule, et sème des choses que j’estime dangereuses. Peut-être en récolterons-nous les fruits amers, peut-être pas. On en parlera donc encore setet semaine (si ça vous horripile, libre à vous, revenez lundi  🙂  )

Je ne vois pas pourquoi on me crie dessus quand je demande que des poursuites soient engagées contre le “multi-récidivste de la condamnation pour incitation à la haine” Zemmour. Je demande juste que la justice dise simplement si ses propos respectent la loi ou ne la respectent pas, c’est tout. Je ne soutiens pas les délinquants pour ma part. Et les poursuites ne visent pas la partie “débat” mais l’incitation à la haine. Pour le fond des propos, que certains semblent apprécier, très bien, on peut en discuter – mais enfin, autant prendre un sociologue qui va dans son sens, au moins, il fera moins de mal au pays… N’oubliez pas non plus que, si vous êtes en franc désaccord avec moi, il ne fait cependant jamais trop de mal qu’il reste des personnes à contre-courant, défendant (sans complaisance) la fraternité et la paix civile. Parce que, s’ils ne sont plus là et que la machine s’emballe et déraille, c’est vous qui en paierez le prix élevé, et pas ceux qui pilotent la machine…

Enfin, je rappelle que dans un mois, normalement, Dieudonné (dont j’ai condamné sans ambiguïté les propos antisémites) va être emprisonné pour ses propos, alors que Zemmour, qui dit “aussi pire”, est reçu comme un milord dans les médias sans poursuites. (je parle juste de deux faits, ni plus ni moins, pour anticiper des réactions possibles)

Ok. Continuons donc à jouer à la roulette russe, on fera le bilan à la fin…

Edwy Plenel donne une leçon de laïcité à Apolline de Malherbe

Source : Youtube, BFM TV, 12-09-2016

Source : Youtube, BFM TV, 12-09-2016

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“Pour les femmes qui le portent, le burkini est un compromis entre la modernité et la foi”

Source : FranceTV, Olivier Roy, 21/08/2016

Une femme en burkini, sur une plage près de Rabat (Maroc), le 17 août 2016. (FADEL SENNA / AFP)

Une femme en burkini, sur une plage près de Rabat (Maroc), le 17 août 2016. (FADEL SENNA / AFP)

En pleine polémique sur le burkini, plusieurs mairies de villes côtières de France, de Corse jusqu’au Pas-de-Calais, ont pris des arrêtés pour interdire ce type de tenue de plage qui couvre le corps et la tête des femmes. La mairie de Cannes a été la première à s’être opposée, le 28 juillet, à “une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d’attaques terroristes”.

Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), où il dirige le programme méditerranéen, Olivier Roy est un spécialiste de l’islam. Il y a consacré différents ouvrages comme En quête de l’Orient perdu, en 2014,ou La laïcité face à l’islam, en 2005. A contre-courant du débat actuel, le chercheur en science-politique estime que le burkini, loin d’être un “retour en arrière”, est révélateur d’une alliance entre modernité et religion.

Francetv info : Cannes, Villeneuve-Loubet, Sisco, Le Touquet, Nice… En quelques jours, de nombreuses communes ont pris des arrêtés anti-burkini. David Lisnard, le maire de Cannes, a expliqué qu’à ses yeux, il s’agit d'”un uniforme qui est le symbole de l’extrémisme islamiste”, dans un contexte “d’actes terroristes”. Le port du burkini est-il un signe d’adhésion à des “mouvements terroristes” ?

Olivier Roy : Ces amalgames sont absurdes. Le groupe Etat islamique ou les talibans n’autoriseraient jamais le burkini. Au contraire, cette tenue est l’exemple même de la gentrification de la pratique religieuse musulmane dans l’espace occidental. Ce maillot de bain couvrant est symboliquement lié l’ascension sociale de certaines musulmanes. Le porter représente une tentative, pour des femmes, plutôt jeunes, de poser un signe religieux sur une pratique moderne, c’est-à-dire la baignade en famille.

Le burkini est typiquement une tenue de femme de deuxième ou de troisième génération des descendants d’immigrés maghrébins. Ce n’est pas leurs mères qui le porteraient. Si elles avaient voulu se baigner, elles l’auraient fait tout habillé. Dans ce débat, il y a une incompréhension totale de ces stratégies individuelles d’affirmation.

Mais est-ce que le lien entre fondamentalisme et jihadisme est fondé ? 

Nous n’avons aucune preuve qu’une longue pratique religieuse pousse au jihadisme. Selon moi, c’est même exactement le contraire. Tous les terroristes, que ce soit les frères KouachiAmedy Coulibaly, ou encore Adel Kermiche, sont ce que l’on appelle des “born again”, des personnes qui font un soudain retour au religieux, dans une perspective de radicalisation. Ces jeunes ne se préoccupaient pas de l’islam avant. Leur volonté est de se révolter contre la société française. Et ce n’est pas en opposant “un bon islam” et “un mauvais islam”, qu’on luttera contre le terrorisme.

En revanche, on peut contribuer à leur isolement et faire en sorte qu’ils ne représentent pas l’avant-garde de l’islam, en laissant émerger une pratique de la religion apaisée, qui se fond dans le paysage français. Mais pour cela, il faut reconnecter des marqueurs religieux avec des marqueurs culturels modernes. Et le paradoxe, c’est que le burkini, à sa manière, est une tentative de reconnexion.

Pour le maire de Sisco, en Corse, l’interdiction “n’est pas contre la religion musulmane, mais pour éviter que l’intégrisme ne se propage”. Le port du burkini est-il révélateur d’une augmentation des pratiques rigoristes chez les musulmans ? 

Non. Les débats sur le port du burkini et de la burka, par exemple, doivent être distingués, car le burkini est une invention récente [créé en 2003 en Australie], qui fait sauter les fondamentalistes au plafond. Pour ces derniers, une femme n’a pas à se promener sur la plage, et encore moins se baigner ! Donc le burkini est, au contraire, une tenue moderne, qui n’a rien de traditionnel ou de fondamentaliste.

De plus, l’acceptation de signes religieux, comme le burkini, dans l’espace public, est la meilleure manière de saper l’influence des fondamentalistes. Plus on éloigne la pratique religieuse de l’espace public, plus on laisse le champ libre aux extrémismes religieux. Il faut donc, au contraire, laisser aux individus une certaine forme de liberté dans l’expression de leur religiosité. Après, le problème est que ces signes religieux doivent s’inscrire dans une compatibilité avec la société française.

Mais il y a quand même une volonté d’affirmation religieuse…

Oui, évidemment. Les femmes qui portent le burkini sont croyantes, et le revendiquent, tout en essayant de trouver un compromis entre leur foi et leur vie de jeune intégrée. C’est tout le paradoxe du débat actuel. En France, on estime que le burkini est un retour en arrière. Alors que ces femmes sont dans l’invention d’un compromis entre leur modernité et leur foi. Cette tenue est un compromis, de même que le port du foulard sur une tenue moderne d'”executive woman“… Mais ce n’est pas perçu comme tel par notre société laïque.

Qu’est-ce que les gens trouvent scandaleux aujourd’hui en France ? Qu’une jeune fille, conseillère financière, arrive au travail en étant voilée. On ne comprend pas que des femmes qui réussissent affichent des signes religieux. Si on pose la question du voile à l’université, c’est certes parce que des étudiantes le portent, mais, surtout, que ces jeunes filles sont désormais visibles dans l’espace public.  

Les polémiques récurrentes sur la viande halal, le port du voile à l’université ou les prières de rue poussent certains à se demander si la pratique de l’islam est compatible avec la laïcité française… 

C’est un faux débat. On peut, bien entendu, se poser de nombreuses questions théologiques sur l’islam. Mais le port du foulard à l’université, du burkini, ou le débat sur la viande halal ne sont pas des problématiques propres à l’islam. Elles sont liées à l’évolution de l’acceptation des signes religieux en France, au même titre que la soutane, la kipa ou la viande casher.

La conception de la laïcité française a considérablement évolué depuis la loi de 1905, sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cette législation ne dit rien sur les religions. Il n’y a donc pas lieu d’interdire le voile à l’université ou le burkini. Dans son essence, la laïcité ne devait pas chasser le religieux de l’espace public, mais seulement organiser la gestion des lieux de culte. Mais la laïcité est devenue une idéologie politique, qui sert à exclure la religion vers l’espace privé. Il y a désormais une “morale laïque”.

Pourquoi le débat se cristallise-t-il autour de l’islam ? 

Si cette religion fait autant parler d’elle, c’est parce qu’il y a une conjonction entre une droite identitaire, qui définit le christianisme comme la religion fondatrice de la société française, et une gauche laïque et anti-cléricale. Quand Manuel Valls déclare qu’il “comprend” les maires qui ont pris l’arrêté anti-burkini, il se place dans la continuité d’une certaine gauche fondamentalement hostile aux religions. Rappelez-vous qu’en 1996, Michel Charrasse, un ancien ministre du Budget socialiste, avait refusé d’entrer dans l’église pour les obsèques de François Mitterrand, par conviction laïque.

Cette alliance hors-nature entre cette droite et cette gauche se concentre sur l’islam, qui est devenu l’ennemi commun, mais pour des raisons complètement différentes. C’est ce qui lui donne autant de résonance dans le débat public.

Pourquoi ce débat sur la compatibilité entre islam et laïcité n’a pas eu lieu avec la même ampleur en 1995, lors de la vague d’attentats terroristes perpétués par le Groupe islamique armé ?

En 1995, on était dans une logique d’intégration, dans la foulée de “la marche des beurs”. Mais dans l’esprit de la gauche, à l’époque, intégration signifiait sécularisation. Aujourd’hui, ce que la gauche ne pardonne pas aux immigrés maghrébins, c’est d’avoir fait des enfants musulmans. Elle s’attendait à ce que la deuxième et la troisième génération soient sécularisées et a été très surprise de découvrir une génération de croyants…

Que pensez-vous de la déclaration de Jean-Pierre Chevènement, pressenti pour être à la tête de la Fondation pour l’islam de France, qui conseille aux musulmans de la “discrétion” dans la manifestation des convictions religieuses ? 

On est dans ce que l’on appelle une double contrainte. On impose à la population musulmane des demandes contradictoires. La première, c’est d’éviter tout communautarisme, en n’affichant pas d’identité religieuse. Mais en parallèle, à chaque attentat terroriste, on demande à ces mêmes musulmans de réagir en tant que communauté, alors qu’il n’y a pas de communauté musulmane en France. S’il y en avait une, il n’y aurait pas besoin de fabriquer le Conseil français du culte musulman (CFCM).

Après une telle polémique sur le burkini, quelles peuvent-être les répercussions dans la société française ?

Cela risque de créer un sentiment de rejet et de dégoût chez les musulmans, qui pourrait se traduire par un repli identitaire. Après, il y a des tensions, mais la France est un pays de tensions permanentes. Les gens ont complétement perdu la mémoire historique. L’identité française est un mythe : relisons Celine et Bagatelle pour un massacre, souvenons-nous de l’OAS ! Les arguments utilisés par les antisémites dans les années 1920 sont aujourd’hui repris à propos de l’islam : incompatibilité culturelle et une loyauté plus grande accordée à la religion qu’à la nation. 

Source : FranceTV, Olivier Roy, 21/08/2016

burkini

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Baignade surveillée, par Pierre Joxe

Source : Mediapart, Pierre Joxe, 26-08-2016

Dans un communiqué transmis à Mediapart depuis sa villégiature balnéaire, Pierre Joxe, ancien ministre de l’intérieur et membre honoraire du Conseil constitutionnel, explique pourquoi il avait décidé d’aller nager ce vendredi après-midi 26 août dans la tenue vestimentaire de son choix, c’est-à-dire « un costume couvrant entièrement mon corps depuis les chevilles jusqu’aux poignets et ne laissant apparaître que ma tête ». Mais, à l’heure de la marée haute, est intervenue la décision du Conseil d’Etat…

Pour soutenir les positions de bon sens prises par Anne Hidalgo, Maire de Paris, comme par Mesdames les Ministres de la Santé Publique et de l’Education Nationale;

Pour inciter Jean-Pierre Chevènement à un peu plus de discrétion;

Pour rendre un hommage affectueux et respectueux à nos grands mères qui – il y a un siècle – inaugurèrent les « bains de mer » au Touquet-Paris-Plage comme à Nice, avec des «costumes de bain » qui furent longtemps d’assez longues robes;

Pour affirmer le droit des femmes à porter les vêtements de leur choix – y compris sur les plages –;

Je me préparais à aller nager cet après midi dans la tenue vestimentaire de mon choix, correspondant à l’idée que l’on avait naguère des bonnes mœurs dans la France laïque et républicaine, au début du siècle, au lendemain de la loi de séparation des églises et de l’Etat.

J’avais choisi bien sûr un costume couvrant entièrement mon corps depuis les chevilles jusqu’aux poignets et ne laissant apparaître que ma tête (couverte cependant d’un bonnet de bain) mais aussi mes pieds et mes mains, appareils natatoires indispensables dans les circonstances de l’espèce…

Un pyjama allait faire l’affaire.

Mais heureusement, à l’heure de la marée haute, vers 15 heures, j’ai appris la décision du Conseil d’Etat, saisi en appel contre l’arrêté d’un Maire.

Heureusement, cette haute juridiction n’a pas écarté la demande de la Ligue des droits de l’Homme, comme elle aurait pu le faire aisément, en observant que cette Ligue n’était guère fondée à agir pour les Droits des femmes, ignorés depuis 1789 par la célèbre Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

Heureusement, ce Juge suprême a rappelé des textes que chacun devrait connaître – et surtout chaque Maire et chaque baigneur.

Citation de la décision du Conseil d’Etat de ce jour :

En vertu de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la police municipale qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». L’article L. 2213-23 dispose en outre que : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés… Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… » (Fin de citation)

Heureusement, le Conseil a sagement jugé que le Maire de Villeneuve Loubet  « …ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions interdisant l’accès à la plage alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence ».

Il a jugé que l’arrêté  litigieux de ce Maire avait « …porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et de venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».

Il a suspendu l’exécution de cet arrêté.

Rassuré, j’ai rangé mon pyjama et suis allé nager en short.

Pierre Joxe,

Ancien ministre de l’Intérieur,

Membre honoraire du Conseil constitutionnel

26 Août 2016

Source : Mediapart, Pierre Joxe, 26-08-2016

Source: http://www.les-crises.fr/pour-les-femmes-qui-le-portent-le-burkini-est-un-compromis-entre-la-modernite-et-la-foi/