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Comment la France est devenue une cible « légitime » pour les groupes djihadistes, par Alain Gresh et Jean-Pierre Sereni

Tuesday 12 April 2016 at 02:29

Source : Le Grand Soir, Alain Gresh, Jean-Pierre Sereni, 29-03-2016

arton30149-50ab4Il n’existe aucun rapport entre la politique française au Proche-Orient ou au Sahel et les attentats dont elle a été la victime : telle est la doxa qui domine à Paris. Ce ne seraient pas les guerres que la France mène « là-bas » qui provoqueraient des répliques meurtrières sur son sol, mais la haine de « nos valeurs », de « nos idéaux », voire du mode de vie hexagonal. Pourtant, toute l’histoire récente enseigne le contraire.

Au temps des colonies, le scénario des expéditions militaires outre-mer était simple : la guerre se déroulait exclusivement sur le territoire de la victime et l’agresseur n’imaginait pas que ses villes et ses villages puissent être la cible de contre-attaques ennemies. Non sans raison. La supériorité de ses armements, sa maîtrise absolue des mers et l’absence de toute « cinquième colonne » active sur son sol l’interdisaient. Le Royaume-Uni et la France ont conquis la presque totalité du globe au XVIIIe et au XIXe siècle selon ce schéma très différent des guerres européennes où les destructions, les morts et les blessés n’épargnaient aucun pays ni aucune population civile en dehors de l’insulaire Royaume-Uni.

Désormais, il n’en va plus de même. Certes, la bataille reste toujours inégale, même si l’Organisation de l’État islamique (OEI) dispose d’un territoire, administre des millions d’habitants et défend ses frontières. Mais un équilibre de la terreur s’ébauche et les spécialistes parlent de « guerre asymétrique », les uns ayant des avions, des drones et des missiles, les autres maniant Internet, l’explosif et la « kalach ». « Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins », expliquait en substance Larbi Ben M’Hidi, l’un des chefs de l’insurrection algérienne arrêté en 1957 à ses bourreaux qui lui reprochaient de déposer des bombes camouflées dans des couffins.

Les ennemis de la France ou des États-Unis, que ce soient des États ou des organisations politico-militaires, ne sont plus impuissants au-dehors et peuvent désormais atteindre d’une façon ou d’une autre le territoire d’où partent les opérations qui les visent, comme on vient encore de le voir à San Bernardino en Californie où 14 civils ont payé de leur vie la vengeance d’un couple inspiré par l’OEI que l’US Air Force combat à plusieurs milliers de kilomètres.

De la guerre Irak-Iran au conflit algérien et aux bombardements contre l’OEI

Moins de 25 ans après la fin de la guerre d’Algérie avec son long cortège de fusillades, de sabotages et d’attentats en métropole, la France fait à nouveau connaissance avec le terrorisme. Le 17 septembre 1986, au 140 de la rue de Rennes, à Paris, face au magasin populaire Tati, une poubelle municipale en fer explose ; bilan : 7 morts et 55 blessés. C’est le dernier d’une série de 14 attentats commis en moins d’un an par un mystérieux « Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient ». L’intitulé cache le véritable objectif de son « cerveau », Fouad Ali Saleh, un Tunisien converti au chiisme, qui cherche moins à libérer ses camarades emprisonnés qu’à faire cesser le soutien militaire de Paris à l’Irak dans le conflit meurtrier qui l’oppose à la République islamique d’Iran depuis 1980.

Élu en mai 1981, François Mitterrand ne cache pas son penchant pro-irakien. Mais l’attentat de l’immeuble Drakkar à Beyrouth occupé par l’armée française (58 parachutistes tués) le 23 octobre 1983 et attribué à des groupes liés à Téhéran le pousse à autoriser la livraison de munitions aux forces armées iraniennes. Celles-ci sont équipées en petite partie de matériel français livré avant la chute du chah en 1979. Cinq cent mille obus de 155 et 203 mm sont acheminés vers l’Iran par le biais de pays sud-américains et balkaniques qui fournissent des certificats de complaisance. Avec la victoire de Jacques Chirac et de la droite aux élections parlementaires de 1986 commence la « cohabitation ». Le ministre de la défense, André Giraud, ordonne l’arrêt immédiat de toute livraison de munitions à destination de l’Iran et livre à la justice les protagonistes de ce qu’on appellera « l’affaire Luchaire » [1]. La réponse iranienne aura lieu rue de Rennes.

Depuis l’interruption des premières élections législatives libres en Algérie en décembre 1991, soldées par la victoire du Front islamique du salut (FIS), Mitterrand et son gouvernement oscillent entre le soulagement — les islamistes ne sont pas au pouvoir — et la dénonciation du putsch, contraire à leurs principes. En mars 1993, Édouard Balladur devient premier ministre. En décembre 1994, un Airbus d’Air France est détourné à Alger et se pose à Marseille où le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) le prend d’assaut sans qu’il ait pu atteindre son objectif : s’écraser sur la Tour Eiffel. Charles Pasqua, nouveau ministre de l’intérieur, avait rompu avec l’attitude de son prédécesseur socialiste qui fermait les yeux sur les complicités agissantes dont bénéficiaient le Groupe islamique armé (GIA) en France dans la diaspora algérienne. Il avait lancé des opérations de répression, multiplié les perquisitions et les assignations à résidence contre les soutiens plus ou moins discrets du GIA, obligés alors de quitter la France pour la Suisse ou la Belgique.

Entre juillet et octobre 1995, une nouvelle vague de 8 attentats vise l’Hexagone. Le plus meurtrier, le 25 juillet 1995 à la station Saint-Michel du RER B à Paris, fait 8 morts et 55 blessés. Attribués au GIA, ces attentats font encore suite aux prises de position politique de Paris vis-à-vis de la guerre civile algérienne. Le nouveau président de la République, Jacques Chirac, élu en 1995, comprend parfaitement le message et se place en retrait par rapport à l’Algérie, celle du président Liamine Zeroual comme celle des islamistes.

Janvier 2015. Moins de 5 mois après le début des bombardements français sur l’Irak, Paris est à nouveau ensanglanté par le terrorisme. Si les deux agresseurs de Charlie Hebdo sont mus par l’intolérance religieuse la plus extrême, Amedy Coulibaly, celui de la supérette cacher de la porte de Vincennes prétend venger les victimes de l’intervention française dans son pays d’origine, le Mali. Le 13 novembre, moins de 3 mois après l’extension des bombardements à la Syrie, l’OEI revendique les fusillades meurtrières de l’Est parisien (130 morts, plus de 400 blessés).

Inflexions de la politique de Paris

Comme on le voit, les attentats, aussi condamnables soient-ils, ne peuvent se comprendre (et donc se combattre) que dans un cadre politique et diplomatique. Après le 11 septembre 2001, et surtout la guerre déclenchée par les États-Unis contre l’Irak en mars 2003, le sol européen est à nouveau un objectif : deux attentats majeurs frappent Madrid en mars 2004 et Londres en juillet 2005. Ils ne visent pas « le mode de vie » occidental, mais deux pays parmi les plus actifs de la coalition qui démolit l’Irak. La France est épargnée, sans doute grâce, entre autres, au discours anti-guerre du 14 février 2003 de son ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, au Conseil de sécurité des Nations unies.

On ne mesure pas à quel point les guerres menées par les Occidentaux dans le monde musulman nourrissent une haine qui dépasse très largement les cercles extrémistes. Les centaines de milliers de morts, les millions de réfugiés, les tortures d’Abou Ghraib, les « dommages collatéraux », les tirs de drones — tous concentrés sur les pays musulmans — alimentent la propagande de l’OEI dénonçant une guerre des « Croisés » contre l’islam et une impunité aussi injuste qu’unilatérale : aucun des responsables étasuniens de la catastrophe irakienne n’a été jugé, ni même inquiété par la Cour pénale internationale (CPI).

Au Proche-Orient, la voix de la France a perdu cette petite musique qui faisait sa spécificité. Paris s’est aligné, après 2003, sur les États-Unis dans les dernières années de la présidence de George W. Bush, a entériné l’occupation de l’Irak, est intervenue militairement en Libye, au Mali, en RCA, et finalement en Irak puis en Syrie. Son appui va — sans réserve publiquement exprimée — à l’écrasement du Yémen par l’Arabie saoudite, à laquelle elle fournit de l’armement. Aucune autre puissance occidentale, à l’exception des États-Unis, n’est aussi présente militairement en terre d’islam. Et quand Paris fait entendre sa différence, c’est pour critiquer le président Barack Obama, jugé trop souple avec l’Iran sur le dossier nucléaire et insuffisamment interventionniste à ses yeux en Syrie.

Sans oublier l’infléchissement français sur le conflit israélo-palestinien. Depuis l’écrasement de la seconde intifada par les chars israéliens en 2002-2003, l’opinion a assisté, souvent en direct à la télévision, aux attaques massives contre Gaza en 2008, 2012 et 2014. À chaque fois, le gouvernement français, de droite comme de gauche, les a entérinées au nom du « droit d’Israël à se défendre ». Comment le Quai d’Orsay, à l’instar de nombre d’intellectuels, peut-il prétendre que la rage contre l’Occident et contre la France ne résulte pas aussi du drame palestinien ? Le général étasunien David Petraeus, alors chef du Central Command [2], était plus lucide :

Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violence et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain, à cause de la perception du favoritisme des États-Unis à l’égard d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples de cette zone et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps, Al-Qaida et d’autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser.

L’oubli du lien entre la politique étrangère menée dans le monde arabe et le développement du djihadisme amène une cécité qui explique quinze ans d’échec de la « guerre contre le terrorisme ». Cette omission paralyse la réflexion stratégique et entraîne la France dans un engrenage infernal dont elle ne peut que payer le prix fort.

[1] NDLR. Scandale de ventes occultes d’armes à l’Iran par la société d’armement Luchaire et de reversement de commissions occultes aux partis politiques français dans les années 1980.

[2] Le Central Command, le plus important des cinq commandements régionaux américains, couvre le Proche et le Moyen-Orient. Discours prononcé devant le Sénat le 25 mars 2010.

25 mars 2016

Source : Le Grand Soir, Alain Gresh, Jean-Pierre Sereni, 29-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-france-est-devenue-une-cible-legitime-pour-les-groupes-djihadistes-par-alain-gresh-et-jean-pierre-sereni/


Lexique pour temps de grèves et de manifestations, par Henri Maler et Yves Rebours

Tuesday 12 April 2016 at 01:29

Source : ACRIMED, Henri Maler, Yves Rebours, 21-03-2016

Le lexique que nous avions publié en 2003 devait être révisé et complété en permanence. Notre version actualisée de 2010 aurait mérité d’être réactualisée. Malheureusement la réactualisation ne semble pas nécessaire, comme chacun pourra le constater. Nous y travaillerons cependant…

La langue automatique du journalisme officiel est une langue de bois officielle. 

I. Consensus sous surveillance

« Réforme » : Quand une réforme proposée est imposée, cela s’appelle « LA réforme ». Et s’opposer à cette réforme devient : le « refus de la réforme ». Ne plus dire : « les travailleurs combattent les politiques libérales qui favorisent chaque jour davantage les revenus du capital et dissolvent l’Etat social ». Ecrire : « Une autre chose dont on peut être sûr – et qui nourrit l’antienne d’un pays impossible à réformer -, c’est la nature difficile des rapports sociaux en France. La conflictualité l’emporte sur le consensus. Vieil héritage de la culture ouvrière revendicative du XIXe siècle du côté des organisations syndicales, crispées sur la défense des droits acquis […]. »(Le Monde Economie, mardi 7 juin 2005, page I). Le terme peut désigner spécialement les attaques successives du système des retraites par répartition. En 2003,  « Sur France 2, Arlette Chabot réforme la France » : une émission “Mots croisés” benoîtement intitulée : « Pourquoi est-il impossible de réformer la France ? ». En 2007, au sujet des régimes spéciaux, grand « retour des gardiens du consensus » et de LA réforme.
Henri Maler et Yves Rebours

« Réformistes » : Désigne ou qualifie les personnes ou les syndicats qui soutiennent ouvertement les réformes gouvernementales ou se bornent à proposer de les aménager. Les partisans d’autres réformes constituent un « front du refus ».

« Modernisation » : Synonyme de « réforme » ou de l’effet attendu de « LA réforme ». « LA modernisation » est, par principe, aussi excellente que « LA réforme »… puisque, comme l’avait fort bien compris, M. de La Palisse, fondateur du journalisme moderne, la modernisation permet d’être moderne. Et pour être moderne, il suffit de moderniser. Le modernisme s’oppose à l’archaïsme. Seuls des esprits archaïques peuvent s’opposer à la modernisation. Et seuls des esprits tout à la fois archaïques, réactionnaires et séditieux peuvent avoir l’audace et le mauvais goût de proposer de subordonner “LA modernisation” au progrès social. D’ailleurs, « LA modernisation » est indifférente à la justice sociale, que la modernité a remplacée par l’« équité ». Voir ce mot.

« Ouverture » : Se dit des opérations de communication du gouvernement. L’ « ouverture » se traduit par des « signes ». Les « signes d’ouverture » traduisent une « volonté d’apaisement ». Ne pas confondre avec cette autre ouverture : « l’ouverture de négociations », qui pourrait manifester un dommageable « recul ».

 « Apaisement » : Se dit de la volonté que l’on prête au gouvernement. Par opposition au « durcissement » de la mobilisation. Voir « ouverture ».

« Concertation » : Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisations syndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir aucun compte. Selon les besoins, la « concertation » sera présentée comme un équivalent de la « négociation » ou comme son substitut. Le gouvernement est toujours « ouvert » à la « concertation ». Voir « ouverture ».

« Négociation » : Selon les besoins, tantôt synonyme, tantôt antonyme de « concertation ». On est prié de ne pas indiquer que, à la différence de la « concertation », la « négociation » est généralement terminée avant d’avoir commencé. Inutile aussi de souligner ce miracle : au printemps 2003, dix heures de « négociation » ont suffi au gouvernement pour ne céder que sur les quelques points qu’il avait déjà prévu de concéder.

« Dialogue social » : Se dit des rencontres où un ministre parle aux syndicats, par opposition au « conflit social », comme si le « dialogue » n’était pas généralement de pure forme : destiné à dissimuler ou à désamorcer le « conflit ».

« Pédagogie » : Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plus encore qu’aux enseignants…). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve…) de « pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment. Et si « la réforme » passe, c’est que la pédagogie (et non la force) a triomphé, comme s’en félicitait par avance Challenges (13 septembre 2007) à propos de la « réforme des régimes spéciaux » : « Si (…) cette réformepassait sans coup férir, ce serait le signal que la pédagogie finit toujours par triompher ».

II. Déraison des foules

« Crispation » : Un mot parmi d’autres pour désigner l’attitude des salariés qui se battent contre les délocalisations, le chômage, le dumping social, la destruction du droit de travail, du système de santé et des retraites par répartition. La France « crispée » est rigide et s’oppose à la France moderne et flexible. Un exemple ici.

« Égoïsme » : Frappe les chômeurs, les travailleurs précaires, les classes populaires en général. Exemple : le refus du dumping social est un symptôme évident d’égoïsme. Vice dont sont dépourvus les bénéficiaires de stock-options.

« Individualisme » : Peut être vice ou vertu. Vice quand il entame la solidarité des dominés avec les dominants, vertu quand il détruit les défenses immunitaires des mouvements sociaux. En parler beaucoup, pour ne rien dire des conditions collectives de l’émancipation des individus.

« Corporatisme » : Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, à l’exclusion des tenanciers des médias. Dans ce dernier cas, s’exclamer, comme Jean-Michel Aphatie : « Trouvez un argument de meilleure qualité que le corporatisme, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! ». L’accusation de « corporatisme » est en effet un argument de bonne qualité, sauf quand elle vise des éditorialistes de qualité supérieure. (Voir ici pour un exemple récent de non-corporatisme)

« Malaise » : Se dit du « trouble », plus ou moins profond, qui peut aller jusqu’au « mal-être », vécu ou ressenti par une profession. Depuis le printemps 2003, le « malaise » affecte particulièrement les enseignants. Le « malaise » peut se traduire par des « revendications » qui ne sont alors que des « symptômes ». Le « malaise » et ses « symptômes », diagnostiqués par les éditorialistes et les experts, réclament un « traitement » approprié.

« Grogne » : Un des symptômes les plus graves du « malaise », un signe de l’animalité privée de mots des « grognons ». Voir ce mot, son analyse et un exemple récent opposant les « grognons » universitaires aux « diplomates » gouvernementaux.

III. Paroles, paroles

« Grognements » : Ne se dit pas mais tient lieu de parole des « grognons.

« Témoins » : Exemplaires de la foule des grévistes et manifestants, interrogés en quelques secondes à la télé ou en quelques lignes dans les journaux. Le « témoin » témoigne de ses affects, jamais de ses motifs ou du sens de son action. Seuls les gouvernants, les « experts » et l’élite du journalisme argumentent, connaissent les motifs, et maîtrisent le sens. L’élite pense, le témoin « grogne ». Voir ce mot.

« Expert » : Invité par les médias pour expliquer aux grévistes et manifestants que le gouvernement a pris les seules mesures possibles, dans l’intérêt général. Déplore que les « grognements » des « jusqu’auboutistes » et des « ultras » (voir ce mot), ces privilégiés égoïstes et irresponsables (voir « corporatisme »), empêchent d’entendre le « discours de raison » des artisans du « dialogue social ». Un exemple de service public, daté de 2005.

« Éditorialiste » : Journaliste en charge des éditoriaux. Pour ne pas se laisser enfermer dans cette lapalissade sortie du dictionnaire, l’éditorialiste est condamné à changer de titre pour se répandre simultanément dans plusieurs médias. Dans certains d’entre eux, il devient « chroniqueur ». Dans d’autres, il est « interviewer ». Dans tous, il est « invité ». Exemple : Alain Duhamel. Exemple de « chroniqueur » : Pierre-Luc Séguillon, particulièrement performant, en 2003.

« Interviewer » : Journaliste en charge des entretiens. Les meilleurs d’entre eux sont des éditorialistes modestes puisqu’ils ne livrent leurs précieuses opinions que dans la formulation des questions qu’ils posent. L’interviewer est un éditorialiste condamné aux points d’interrogation. Ou presque : Christine Ockrent est une intervieweuse, Jean-Pierre Elkabbach aussi. Aphatie l’est indiscutablement, comme on peut le vérifier ici même, face à un représentant de Sud-Rail.

« Débat »  : Se dit notamment des sessions de papotage qui réunissent autour d’une table l’élite pensante des « experts » et « éditorialistes ». Certains d’entre eux peuvent même « refaire le monde », comme on a pu le constater en 2005.

« Tribunes libres » : Souvent invoquées pour répondre à ceux qui s’inquiètent de l’état du pluralisme dans les médias. Ces espaces réservés à l’expression des « experts » dominants, peuvent être occasionnellement décorés par la présence de contestataires, pour peu qu’ils se rendent respectables en s’abstenant de toute critique des médias.

« Courrier des lecteurs »  : Dans la presse écrite, se dit de la sous-rubrique où sont relégués les propos, soigneusement triés, des non-experts.

« Micro-trottoir » : Equivalent audiovisuel du courrier des lecteurs, cette forme avancée de la démocratie directe, concurrencée par les SMS, permet de connaître et de faire connaître l’opinion des « gens ». Technique recommandée pour faire dire en quinze secondes à chaque exemplaire d’un échantillon soigneusement sélectionné ce que l’on attend qu’il dise. Ne pas confondre avec « entretien » : trop long. Quelques cas d’école, ici, ou .

« Opinion publique » : S’exprime dans les sondages et/ou par l’intermédiaire des « grands journalistes » qui lui donnent la parole en parlant à sa place. Quelques exemplaires de l’opinion publique sont appelés à « témoigner » dans les journaux télévisés. Les grévistes et les manifestants ne font pas partie de « l’opinion publique », qui risque de (ou devrait…) se retourner contre eux.

« Contribuables » : Nom que porte l’opinion publique quand elle paie des impôts qui servent au service public. Quand l’argent public est dépensé pour consentir des avantages fiscaux aux entreprises, cet argent n’a plus d’origine identifiée. On dira : « les régimes de retraites du secteur public sont payées par les contribuables ». On ne dira pas : « les exonérations de charges consenties aux entreprises sont payées par les contribuables.

IV. Mouvements de troupes

« Troupes » : Mode d’existence collective des grévistes et des manifestants, quand ils répondent (ou se dérobent) aux appels et aux consignes des syndicats. Parler de « troupes de manifestants », de « troupes syndicales », de syndicats qui « mobilisent » ou « ne contrôlent pas » leurs « troupes ». (Re)voir Pierre-Luc Séguillon en 2003.

« Troubles sociaux »  : Se dit des effets de la mobilisation des « troupes ». Un journaliste rigoureux se garde généralement de les désigner comme des « soubresauts » (ainsi que le fit au cours du journal télévisé de 20 h sur TF1 le mercredi 28 mai 2003, le bon M. Raffarin).

« Concernés » : Se dit des secteurs ou des personnes qui sont immédiatement visés par « LA réforme ». Sinon, dire : « les cheminots ne sont pas concernés par la réforme des retraites » ou « les enseignants ne sont pas concernés par la décentralisation ». Vous pouvez pousser le souci de la rigueur jusqu’à affirmer que « les cheminots ne sont pas directement concernés ». Dans les deux cas, vous pouvez même ajouter qu’ils « se sentent menacés ». D’où l’on peut déduire ceci : se sentir menacé, ce n’est pas être menacé, et en tout cas être ou se sentir menacé, ce n’est pas être concerné. (« La CGT de la SNCF qui n’est pourtant pas du tout concernée par le CPE a déposé un préavis de grève nationale pour le mardi 28 », décrète Jean-Pierre Pernaut, qui déplore ainsi, le 21 mars 2006, que les cheminots ne soient pas assez corporatistes.)

« Usagers » : Se dit de l’adversaire potentiel des grévistes. Peut également se nommer « élèves qui préparent le bac » et « parents d’élèves inquiets ». « La grève […] s’annonce massive et dure. Dure surtout pour les usagers », précise David Pujadas, compatissant et soucieux de l’avenir des cheminots le 13 novembre 2007.

« Otages » : Synonyme d’« usagers ». Terme particulièrement approprié pour attribuer les désagréments qu’ils subissent non à l’intransigeance du gouvernement, mais à l’obstination des grévistes. « Victimes » des grèves, les « otages » sont d’excellents « clients » pour les micros-trottoirs : tout reportage se doit de les présenter comme excédés ou résignés et, occasionnellement, solidaires. Parmi les « otages », certains méritent une compassion particulière. Nous vous laissons découvrir deux d’entre eux : un  premier et un second.

« Pagaille » : Se dit des encombrements un jour de grève des transports. Par opposition, sans doute, à l’harmonie qui règne en l’absence de grèves.

« Galère » : Se disait (et peut se dire encore…) des conditions d’existence des salariés privés d’emploi et des jeunes privés d’avenir, vivotant avec des revenus misérables, de boulots précaires en stages de réinsertion, assignés à résidence dans des quartiers désertés par les services publics, sans loisirs, et subissant des temps de transports en commun démesurés. Phénomène presque invisible à la télévision, ses responsables ne sont pas identifiables. « Galère » se dit désormais des difficultés de transports les jours de grève : on peut aisément les mettre en images et les imputer à un coupable désigné, le gréviste. Un seul exemple (en fin d’article) : quelques titres de la PQR en 2007.

« Noir » : Qualifie un jour de grève. En 2005, c’était un mardi. En 2009, un jeudi – un « jeudi noir » finalement « plutôt gris clair », d’ailleurs, selon le contemplatif Jean Pierre Pernaut [1]. Peut également se dire des autres jours de la semaine. « Rouge » ou « orange » sont des couleurs intermédiaires réservées aux embouteillages des week-ends, des départs ou des retours de vacances. Le jour de grève, lui, est toujours « noir », couleur du « chaos » (toujours en 2009).

« Chaos » : Se dit sobrement des conséquences des journées « noires ». Pour désigner les conséquences d’un tsunami ou d’un tremblement de terre… chercher un autre mot ?

« Surenchère » : Se dit, particulièrement au Figaro, de tout refus des mesures imposées par le gouvernement, dont l’attitude au contraire se caractérise par la « fermeté ».

« Durcissement » : Se dit de la résistance des grévistes et des manifestants quand elle répond à la « fermeté » du gouvernement, une « fermeté » qui n’est pas exempte, parfois d’ « ouverture ». Voir ce mot.

« Essoufflement » : Se dit de la mobilisation quand on souhaite qu’elle ressemble à ce que l’on en dit.

« Ultras » : Désigne, notamment au Figaro, les grévistes et les manifestants qui ne se conforment pas au diagnostic d’« essoufflement ». Vaguement synonyme d’ « extrême gauche », lui-même synonyme de… au choix ! Autre synonyme : Jusqu’auboutistes.

« Violence » : Impropre à qualifier l’exploitation quotidienne, les techniques modernes de « management » ou les licenciements, le terme s’applique plus volontiers aux gens qui les dénoncent, et aux mots qu’ils emploient pour le faire. Par exemple quand les patrons de Caterpillar sont qualifiés de « chiens ». A condition de respecter cette règle d’usage, la « violence » est presque toujours « condamnable ». Et condamnée.

Henri Maler et Yves Rebours

Source : ACRIMED, Henri Maler, Yves Rebours, 21-03-2016

acrimed

Source: http://www.les-crises.fr/lexique-pour-temps-de-greves-et-de-manifestations-par-henri-maler-et-yves-rebours/


L’Arabie saoudite continue d’embaucher des lobbyistes à tour de bras, par Lee Fang

Tuesday 12 April 2016 at 00:01

Source : Lee Fang (ancien journaliste du Washington Post) The Intercept, le 21/03/2016

Photo: Mohommed Al-Shaikh/AFP/Getty Images

Photo: Mohommed Al-Shaikh/AFP/Getty Images

Le royaume d’Arabie saoudite ajoute encore des lobbyistes américains à ses effectifs salariés avec l’embauche de BGR Government Affairs, une société fondée par l’ancien président du Comité national républicain Haley Barbour, selon des documents divulgués la semaine dernière.

Le contrat offre 500 000 $ par an à BGR pour aider, avec le soutien des médias américains, au rayonnement du Centre d’études et des affaires médiatiques de la Cour royale saoudienne, un organisme gouvernemental. Le dispositif inclut les services de Jeffrey Birnbaum, ancien journaliste du Washington Post qui couvrait autrefois l’industrie du lobbying et travaille à présent en tant que lobbyiste, ainsi que Ed Rogers, ancien fonctionnaire de l’administration Reagan, qui actuellement milite et écrit une rubrique pour le Post appelée « PostPartisan ».

Ce contrat est le dernier d’une série au cours des deux dernières années.

Comme The Intercept l’a déjà signalé, le gouvernement saoudien a rassemblé un éventail ahurissant d’experts américains et de lobbyistes pour aider la communication des journalistes et influencer les décideurs. Depuis 2014, le régime a payé le groupe Podesta, une société de lobbying dirigée par un collecteur de fonds pour la campagne d’Hillary Clinton ; Norm Coleman, l’ancien sénateur GOP [Grand Old Party] qui dirige un grand Super PAC [comité d’action politique] républicain ; H.P. Goldfield, lobbyiste du cabinet d’avocats Hogan Lovells et vice-président du Albright Stonebridge Group de Madeleine Albright ; Edelman, un poids lourd des relations publiques ; Targeted Victory, un cabinet de conseil fondé par d’anciens assistants de la campagne présidentielle de Mitt Romney ; ainsi que deux grands cabinets d’avocats comprenant une longue liste d’anciens fonctionnaires du gouvernement, DLA Piper et Pillsbury Winthrop Shaw Pittman.

Les honoraires des Saoudiens à Qorvis, son cabinet de lobbying de longue date, ont augmenté de façon spectaculaire. L’an dernier, Qorvis a facturé 7 millions de dollars à l’ambassade d’Arabie saoudite pour ses frais de dépôt semi-annuels, plus de deux fois le montant facturé le cycle précédent.

La semaine dernière, Al Arabiya, une chaîne d’information en anglais soutenue financièrement par les membres de la famille royale saoudienne, a annoncé la création de la commission de relations publiques américano-saoudienne, encore un autre média  fraîchement créé et d’une campagne de lobbying au nom des intérêts saoudiens aux États-Unis.

L’argent dépensé pour le lobbying a été utilisé afin de s’opposer aux controverses croissantes entourant le royaume. Lorsque Nimr al-Nimr, un pacifique critique du gouvernement, a été exécuté en janvier, le groupe Podesta a aidé à élaborer la couverture médiatique du régime, en fournissant une citation du New York Times pour salir Nimr en tant que « terroriste ». D’autres consultants américains travaillant pour l’Ambassade d’Arabie saoudite ont utilisé les médias sociaux et se sont évertués à attaquer Nimr et à justifier son exécution.

Le royaume a compté sur ses médias et ses appareils de lobbying pour lutter contre les critiques de son bilan en matière de droits de l’Homme, dont un taux croissant d’exécutions et de décapitations. Son influence s’étend également à la promotion du rôle controversé de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, y compris l’invasion du Yémen dirigée par les Saoudiens et l’incapacité du pays à désigner les financiers privés des groupes islamiques radicaux tels que l’EI.

Le royaume saoudien peut être concerné par une éventuelle autre série de polémiques. Cette semaine est diffusé un nouveau documentaire, l’Arabie saoudite à nu, révélant des enregistrements de caméras cachées de décapitations publiques, de la police religieuse saoudienne battant des femmes dans la rue, de la destruction d’instruments de musique (jouer de la musique en public est strictement interdit) et d’enfants apprenant dans les écoles saoudiennes à haïr les juifs, les chrétiens et les musulmans chiites. En avril, une visite du président Barack Obama est prévue en Arabie saoudite, pour assister au sommet du Conseil de coopération du Golfe.

Source : Lee Fang (ancien journaliste du Washington Post) The Intercept, le 21/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/larabie-saoudite-continue-dembaucher-des-lobbyistes-a-tour-de-bras/


[Conférence des Éconoclastes] L’Europe sociale n’aura pas lieu

Monday 11 April 2016 at 01:30

Voici la vidéo de la conférence des Éconoclastes du 15 mars à Paris

Ma présentation sur l’Union européenne est téléchargeable ici. Elle est basée sur cette série de billets du blog.

Source : Les Econoclastes, 31-03-2016

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Les Econoclastes donnaient mardi 15 mars leur deuxième conférence à Paris. Comme à leur habitude, les membres de cette communauté de spécialistes hétérodoxes avaient décidé de sortir le bazooka.

Mardi soir, ambiance explosive dans les locaux de l’école de commerce ISEG à Paris. Le collectif des Econoclastes donnait sa deuxième conférence dans la capitale. Il réunit des acteurs du monde économique venant d’horizons très divers. Une chose les rassemble : le désir de faire partager une vision différente. En ces temps de turbulences sur la planète finance, ils ont, durant deux heures, abordé des thèmes allant du maquillage des chiffres économiques à la politique européenne en passant par l’énergie et la crise syrienne. Le tout devant une salle comble.

«Les chiffres économiques sont manipulés»

«Je dis souvent que pour tondre un mouton, il faut éviter qu’il bouge.» Olivier Delamarche a attaqué fort. Le chroniqueur de BFM Business, connu pour son franc-parler, était accompagné de Pierre Sabatier, un autre intervenant de la chaîne. Tous deux ont ouvert le bal. Dans leur viseur ? Les chiffres officiels en matière d’économie.

Olivier Delamarche s’est notamment attaqué à un de ses sujets de prédilection : les chiffres de l’emploi américains. Autant dire qu’il n’est pas convaincu par le taux annoncé de 4,9% de chômage au mois de février. «Il y a 94 millions d’Américains en âge de travailler qui n’ont pas d’emploi. Je veux bien qu’ils ne rentrent pas dans les statistiques et qu’on ne les appelle pas des chômeurs mais le fait est qu’ils ne travaillent pas», a -t-il expliqué. Pour Pierre Sabatier, les Etats-Unis se trouvent «en fin de cycle».

Selon Olivier Delamarche, les créations d’emplois aux Etats-Unis concerneraient en majorité les plus de 50 ans pour des jobs précaires et mal rémunérés. «Vous n’allez pas me faire croire que si on ne paie pas les gens, ils consomment ?», a-t-il interrogé avec ironie.

Il aussi été question des programmes d’assouplissements quantitatifs (injections massives de liquidité par les banques centrales) et de leur influence sur l’économie. «Quand le type au fond de sa cave décide de faire fonctionner la planche à billets dans des proportions gigantesques cela a un impact conséquent sur l’économie et les prix», a souligné Pierre Sabatier.

La Syrie, une histoire de tuyaux… entre autres (Meilhan / Louvet)

Les deux comparses ont ensuite laissé la place à deux experts du pétrole. Nicolas Meilhan, conseiller en énergie et transport et Benjamin Louvet, responsable matières premières, ont notamment abordé les cas du pétrole de schiste aux Etats-Unis et de la crise en Syrie.

Sur le premier point, les deux spécialistes sont loin de croire à l’indépendance énergétique de l’Oncle Sam. Nicolas Meilhan a rappelé qu’ils restent «les premiers importateurs de pétrole au monde»; Benjamin Louvet a quant à lui souligné les problèmes financiers du secteur du pétrole de schiste de l’autre côté de l’Atlantique : «60% des entreprises ont une dette sept fois supérieure à leurs bénéfices.» Il a par ailleurs fait mention de plusieurs études selon lesquelles l’ensemble des réserves de schiste contenue sous le sol étasunien représente à peine deux ans de leur consommation.

Les experts de l’énergie ont également abordé le problème syrien sous un angle peu souvent évoqué dans les médias : celui de la guerre du gaz. Nicolas Meilhan a rappelé à l’assemblée la position géographique stratégique de la Syrie. Selon lui, le Qatar rêverait de faire passer un pipe-line sur son sol afin d’obtenir un débouché vers la Méditerranée. Les résistances de Bachar el-Assad et sa préférence pour un deal avec l’Iran aurait motivé Doha à soutenir la rébellion syrienne à coups de milliards de dollars.

Ce qui a fait dire à Benjamin Louvet que le conflit syrien «s’explique en partie par des histoires de gros tuyaux et de gaz», tout en soulignant la crainte saoudienne de voir un axe chiite se former au Moyen-Orient.

L’Europe sociale n’aura pas lieu (Béchade / Berruyer)

Philippe Béchade, président des Econoclastes et Olivier Berruyer, auteur du blog Les Crises, ont clos la soirée par un point sur l’Union européenne et sa politique sociale. Cette dernière partie a été lancée avec une vidéo retraçant les déclarations d’hommes politiques, de François Mitterrand à Manuel Valls, sur la nécessité d’une Europe sociale. De grands discours loin d’avoir été suivis d’effet pour les deux Econoclastes.

Philippe Béchade en a profité pour critiquer la chancelière allemande Angela Merkel, mise récemment en difficulté au niveau électoral. C’est surtout sa politique d’accueil des migrants qui exaspère le président du think-tank. Il a analysé cette décision comme une «volonté de faire venir de la main d’oeuvre à bas coût tout en profitant de la « marque » Allemagne et d’une monnaie sur mesure».

Olivier Berruyer s’est pour sa part intéressé aux recommandations de l’UE pour la France. Notamment en ce qui concerne les salaires qu’elle verrait bien plus flexibles en fonction de la santé économique de l’entreprise. Il a qualifié la loi El Khomri de transcription des directives de Bruxelles.

S’en est ensuite suivi un débat avec la communuté des Econoclastes où Olivier Berruyer s’est fendu de deux saillies qui ont bien fait rire l’audience. La première concernait l’ancien ministre de l’économie grec Yannis Varoufakis, à qui il reproche de ne pas remettre en cause les institutions européennes.

La seconde portait sur la monnaie unique. Le résultat d’une démarche aussi «bête» que de se mettre «en groupe pour acheter des chaussures parce que c’est moins cher» car, a-t-il expliqué, «tout le monde se retrouve avec du 39, le problème c’est que certains ont des gros pieds et les Grecs ont de très grands pieds».

Compte-rendu très largement inspiré de l’article publié par RT France suite à la conférence.

Source : Les Econoclastes, 31-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/conference-des-econoclastes-leurope-sociale-naura-pas-lieu/


Philippe Ignace Semmelweis, la vérité prématurée…

Monday 11 April 2016 at 00:10

Un hommage à tous ceux qui cherchent la vérité…

Source : La Recherche, Thierry Kubler, avril 2003

Vienne, 1846. Entre 20 % et 30 % des femmes meurent de fièvre puerpérale à l’hôpital, après leur accouchement. Un médecin hongrois refuse cette « fatalité » et ses recherches l’amènent à édicter les principes de l’asepsie. Une découverte qui le met au ban de la Faculté : Semmelweis a le tort d’avoir raison avant que Pasteur mette en lumière le rôle des microbes. Son raisonnement est scientifiquement imparable, pourtant personne ne peut entendre. Ne veut entendre ?

C’est l’histoire de la lettre volée, que conte Edgar Alan Poe, où Dupin le détective, armé de logique, ridiculise la police scientifique, encombrée d’appareils à sonder les murs et de microscopes. Déguisé en habitude, camouflé de bana-lité – objet de toutes les convoitises –, le pli est là, dans le bureau du suspect. Tout est toujours là, à portée de regard. Il suffit de bien voir. C’est l’histoire de ces évidences, tellement évidentes après coup. Si causes et effets voisinent, encore faut-il un regard pour les relier. Le vôtre, Philippe Ignace Semmelweis, était un regard à se faire arracher les yeux. Non content de chambouler les représentations en place, il foudroyait de mépris les mandarins qui refusaient ses lumières. Bien sûr, après votre mort, vous êtes devenu un exemple, mais pour rendre un juste hommage au drame de votre vie, il convient de le lire comme une pièce éternellement actuelle.

Le 27 février 1846, fraîchement diplômé d’obstétrique, vous êtes nommé assistant du professeur Klin, à Vienne. Par rotation de vingt-quatre heures, deux pavillons accueillent les femmes au terme de leur grossesse. Le professeur Bartch dirige le second, mais mauvaise pioche ? c’est de celui du professeur Klin que se dégage une horrible réputation, comme vous le notez dès votre entrée en fonctions : « Une femme est prise brusquement vers cinq heures de l’après-midi de douleurs dans la rue… Elle n’a pas de domicile, se hâte vers l’hôpital et comprend qu’elle arrive trop tard…, la voici suppliante, implorant qu’on la laisse entrer chez Bartch au nom de sa vie qu’elle demande pour ses autres enfants… On lui refuse cette faveur [1]. » Pas une Viennoise ne l’ignore : plutôt accoucher dans la rue que chez Klin ! Installée en long séjour à l’hôpital, la fièvre puerpérale entraîne immanquablement la mort.

Une vieille lune que cette « fièvre des accouchées », et qui fait la nique à toutes les commissions d’étude. En 1774, Louis XVI réunissait déjà à Paris le collège des médecins pour enrayer l’épidémie qui frappe l’Hôtel- Dieu. On supposa le lait empoisonné, et toutes les nourrices furent éloignées de Paris. Si la mesure n’enraya pas l’épidémie, elle ne l’aggrava point. Londres, Paris, Milan : régulièrement, des conclaves d’experts tentent de comprendre la fièvre puerpérale, et nous aurions mauvais esprit de railler avec condescendance leurs vains efforts. Au moins s’inscrivent-ils en faux contre l’ordre admis – implacable et supérieur – qui affecte principalement les femmes sans logis, les « filles mères » enfantant à l’hôpital. Dans la bonne société, on accouche à domicile… À Vienne, en cette année 1846, la mortalité post-natale frappe 31 % des femmes chez Klin et 16 % chez Bartch. « On meurt plus chez Klin que chez Bartch » : les faits sont indéniables, mais vous osez les dire à voix haute, Semmelweis ; vous proclamez vouloir les comprendre et, pis, les modifier. Plus que la fatalité, le coupable serait donc l’ignorance des hommes. Klin ne va pas être content, vous allez l’humilier… Et cela tombe mal, c’est votre supérieur hiérarchique, et c’est un fat.

On incriminait les phases de la Lune ou la vétusté des locaux, mais la Lune est la même pour Bartch ou Klin, et les bâtisses ont le même âge. Et puis la diète, la chaleur, le froid… Quand même, chez Bartch, ce sont des sages-femmes qui procèdent aux touchers des futures mères, alors que, chez Klin, cette tâche est dévolue aux étudiants en médecine. Une supposition attribuait les causes de la fièvre à une inflammation ; une rumeur incrimine les étudiants : moins doux que les sages-femmes, leurs examens provoqueraient des irritations à leurs patientes. Hypothèse, expérimentation : faisons donc passer les étudiants chez Bartch et accueillons les sages-femmes chez Klin. Observation : les taux élevés de mortalité suivent les étudiants. Conclusion de Semmelweis : les étudiants sont responsables de la fièvre puerpérale. Interprétation de Klin : ce sont les étudiants étrangers. Chassons-les ! Jeune Hongrois écrasé par la prétention autrichienne, vous vous fâchez tout rouge, Semmelweis ; vos jours chez Klin sont maintenant comptés ; à la prochaine incartade, ce sera la révocation. Et la fièvre puerpérale reprend sa ronde macabre, la clochette de l’aumônier distribuant l’extrême-onction retentit de plus belle. Aigrelette et pourtant sinistre. Déclenche-t-elle le fléau en angoissant les autres parturientes ? On l’affirme, on prie le prêtre d’officier sans clochette.

Obsédé par la fièvre, vous passez désormais jour et nuit à l’hôpital, multipliez les observations et tentez de tisser la vérité entre tant de faits. Les femmes qui accouchent dans la rue avant d’être transportées à l’hôpital semblent épargnées par l’« épidémie ». Étrange… Votre formation première est la chirurgie et, lors de vos études, vous notiez déjà : « Tout ce qui se fait ici me paraît bien inutile, les décès se succèdent avec simplicité. On continue à opérer, cependant, sans chercher à savoir vraiment pourquoi tel malade succombe plutôt qu’un autre dans des cas identiques. » Neuf interventions chirurgicales sur dix se soldent alors par la mort sur la table d’opération ou, moins enviable et tout aussi fatal, par le long calvaire des infections. « Pus bien lié », « pus de bonne nature », elles ravagent les blessés, et les chirurgiens en discutent doctement pour masquer leur ignorance. Nous sommes sous le règne de la génération spontanée et l’on ne connaît rien aux infections. Rageur, obstiné, vous vous attachez aux pas des étudiants, et vous remontent des souvenirs de cours d’anatomie pathologique. Dissections, autopsies, coupes de tissus cadavériques, vous vous souvenez des coupures mortelles que s’infligèrent certains de vos camarades avec des instruments maculés. Là encore, la mort, et pas d’explications. Bizarre… Alors, l’intuition pure ; venue d’on ne sait où, l’idée qui s’impose : demander aux étudiants qui examinent les femmes de se laver les mains. Que ressent-on à ce moment, Semmelweis ? Une fébrilité sans pareille, un trépignement intérieur où bouillonne l’envie d’éprouver sa prémonition ? Ce ne sera pas pour cette fois : Klin refuse tout net cette mesure que, dans la science de l’époque, rien ne motive. Indignation, altercation, révocation le lendemain, 20 octobre 1846. Écorché, vous filez deux mois à Venise apaiser vos nerfs aux jardins de pierre.

C’est de retour à Vienne que vous apprenez que Kolletchka, l’un de vos amis professeur d’anatomie, est mort des suites d’une coupure survenue lors d’une dissection : « Quand je connus tous les détails de la maladie qui l’avait tué, la notion d’identité de ce mal avec l’infection puerpérale […] s’imposa si brusquement à mon esprit, avec une clarté si éblouissante, que je cessai de chercher ailleurs depuis lors […]. Phlébite… Lymphangite… Péritonite… Pleurésie… Péricardite… Méningite… tout y était ! Voilà ce que je cherchais depuis toujours dans l’ombre, et rien que cela. » Ce sont des exsudats cadavériques qui ont causé la mort de Kolletchka, et « ce sont les doigts des étudiants, souillés au cours de récentes dissections, qui vont porter les fatales particules dans les organes génitaux des femmes enceintes, et surtout au niveau du col utérin ». L’histologie n’offre pas encore les moyens de repérer les « fatales particules » au microscope ; seule l’odeur permet de les distinguer : « Désodoriser les mains, tout le problème est là. » Les étudiants devront se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux avant tout examen auprès d’une femme enceinte. Skoda, un médecin très influent auprès de la cour impériale, intercède pour que l’expérience soit tentée dans le pavillon de Bartch. La mortalité par fièvre puerpérale chute à 0,23 %…

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L’histoire pourrait s’arrêter là et intervenir le happy end, mais l’Histoire bafouille parfois, et, question bégaiement, vous avez été servi, Semmelweis ! Les étudiants et le personnel de l’hôpital, auxquels ont été imposées les ablutions à la chaux, protestent contre ces « lavages malsains ». Le professeur Klin intrigue furieusement pour discréditer son rival. Autant à Amsterdam qu’à Edimbourg et Londres, les éminents professeurs informés de cette nouvelle méthode la rejettent, avec dédain ou politesse. Pis, les rares qui l’expérimentent, comme Scanzoni à Prague, contestent ses résultats. À Vienne, seuls cinq médecins renommés, dont Skoda, soutiennent cette procédure révolutionnaire. Le scandale enfle, gagne toute la ville. Tous les jours dans votre hôpital, Semmelweis, malades et infirmiers vous insultent. Une bagarre éclate à l’Académie des sciences, où l’on débat. De votre méthode ou de votre cas ? Quoi qu’il en soit, c’en est trop : seconde révocation le 20 mars 1849 et interdiction de résider à Vienne. Aujourd’hui, les esprits vertueux s’indignent de cet acharnement qui vous frappa. Comme si, de nos jours, les passions idéologiques ne biaisaient plus les recherches. Comme avant – ni pire ni meilleur –, bêtise et méchanceté nouent leur sale alliance. Et, comme toujours, la vérité doit s’affubler chez les communicants pour se présenter dans le monde. C’est toujours la même histoire, Semmelweis. Terminons la vôtre, le sort s’acharne…

Vous vous réfugiez dans votre Budapest natale, juste après la révolution de décembre 1848 confirmant ainsi un talent certain à vous fourrer dans toutes les situations explosives !. Un temps chassés, les Autrichiens reviennent bien vite et corsètent encore plus le pays, poussant les années à venir dans les griffes de la misère. « Enfin, j’ai retrouvé notre meilleur ami vivant […]. Une grande mélancolie est marquée sur ses traits et, je le crains, pour toujours […]. Il ne m’a rien dit de sa gêne matérielle, trop évidente, hélas ! […] De ses travaux de Vienne, il continue à se taire », écrit l’un de vos anciens collègues à Skoda, votre protecteur viennois. Ce dernier use alors de son entregent pour vous recommander à un poste de premier assistant à la maternité de Pest. Vous n’allez même pas rendre au professeur de ce service la visite de courtoisie qui s’imposerait. Un autre Viennois, dont la mère fut épargnée par la fièvre puerpérale, aurait probablement qualifié votre état de dépressif ; plus aucun désir ne vous anime…

C’est alors qu’un jeune étudiant venu de Kiel vous raconte cette lugubre histoire : « J’étais l’élève du professeur Michaelis, le célèbre accoucheur de Kiel […]. Il s’est suicidé récemment dans des circonstances très particulières. Ayant récemment assisté une de ses cousines lors de son accouchement, celle-ci succombait peu de jours plus tard par infection puerpérale […]. Il ne devait pas tarder à se convaincre qu’il en était entièrement responsable, car dans les jours précédents il avait précisément soigné un certain nombre de femmes atteintes de fièvre puerpérale sans prendre ensuite aucune des précautions que vous aviez indiquées et qu’il connaissait depuis longtemps. » Ce messager de la mort vous procure un électrochoc salutaire et vous sollicitez un poste à l’hôpital de Budapest. Accordé, mais sous condition : pas question de reproduire les scandales de Vienne. Birley, le patron du service, brave homme un tantinet pleutre, a d’ailleurs son idée sur tout ce qui s’est passé : Klin ne purgeait pas méthodiquement ses patientes… Semmelweis, vous allez faire bonne mine et, pendant plus de quatre ans, rédiger en secret un livre essentiel : L’Étiologie de la fièvre puerpérale. Durant tout ce temps, vous désinfectez-vous les mains en catimini avant d’examiner vos patientes ? Vous essayez encore de correspondre avec de grands accoucheurs de l’étranger, qui ne prennent pas la peine de vous répondre. Quand Birley meurt, vous lui succédez.

« Lettre ouverte à tous les professeurs d’obstétrique », cette prise de fonctions s’effectue avec quelque éclat. Extraits : « Je voudrais bien que ma découverte se trouvât à être d’ordre physique, car on peut expliquer la lumière comme on veut, cela ne l’empêche pas d’éclairer, elle ne dépend en rien des physiciens. Ma découverte, hélas ! dépend des accoucheurs ! C’est tout dire… Assassins ! Je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale […]. Ce n’est pas les maisons d’accouchement qu’il faut fermer […], mais ce sont les accoucheurs qu’il convient d’en faire sortir, car ce sont eux qui se comportent comme de véritables épidémies. » Vous n’y allez pas avec le dos de la plume ! L’histoire va recommencer. Encore et encore plus violemment. La polémique explose à nouveau. Les cabales se nouent. L’un de vos étudiants file en France défendre votre cause auprès de l’Académie des sciences. La patrie de la Révolution saura bien reconnaître la vérité. Verdict de Dubois, le spécialiste parisien de l’obstétrique, sur la « théorie de Semmelweis » : « Peut-être contenait-elle quelques bons principes, mais son application minutieuse présentait de telles difficultés qu’il eût fallu, à Paris par exemple, mettre en quarantaine le personnel des hôpitaux pendant une grande partie de l’année, et cela d’ailleurs pour un résultat tout à fait problématique. » Maintenant, il ne vous reste plus que sept années à vivre, Philippe Ignace Semmelweis. Professeur « en disponibilité », vous ressassez l’imbécillité du monde, vous vous enfoncez en vous-même. En juillet 1865, vous déclamez le serment des sages-femmes à l’université de Budapest, votre équilibre nerveux vacille. Vous mourez le 16 août de cette année dans un asile d’aliénés.

Une dizaine d’années plus tard, les découvertes de Pasteur transforment votre vie en destin. Vous allez, post mortem, endosser la tunique du martyr suicidé par les systèmes établis. Louis- Ferdinand Destouches dit Céline, un autre teigneux, brillant et révolté, ne s’y trompera pas et vous consacrera sa thèse de médecine avant de bifurquer vers la littérature et, enfin, vibrionner dans le délire. L’université de Budapest porte votre nom ; des « Cours européens Semmelweis » enseignent la « stratégie glo-bale en hygiène hospitalière » et la stérilisation hospitalière. Bien sûr, tout cela… Semmelweis, aujourd’hui encore, combien d’évidences ne seront évidentes qu’après-demain ? Vous avez voulu améliorer la vie par les pratiques auxquelles vous amenait la logique, avant que la théorie ne vienne conforter vos expériences. Actuellement, ce sont les théories qui tendent à gouverner, et il faudrait que la pratique, la vie, se plie à leurs prédictions. Et, même si le niveau de nos techniques s’est diantrement élevé, je ne sais pas si nous avons vraiment changé. Mais bon, il se trouvera toujours un obstiné pour regarder autrement et refuser de rentrer dans le rang. C’est pour cela que j’aime bien votre histoire, Semmelweis, c’est tout de même celle de l’espoir. T. K.

Par Thierry Kubler
Source : La Recherche, Thierry Kubler, avril 2003
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Pour en savoir plus : La fiche de Philippe Semmerlweis sir Wikipédia, où vous apprendrez qu’en juillet 1865, Semmelweis fut victime de ce qui semblait être une dépression nerveuse, bien que quelques historiens modernes croient que les symptômes qu’il présentait montrent qu’il était atteint d’un début de maladie d’Alzheimer ou de démence sénile. Il fut alors interné dans un asile psychiatrique, où il mourut, deux semaines plus tard seulement. En effet, il devint violent au point de se faire battre par le personnel de l’asile ; si bien qu’il mourut de ses blessures quinze jours plus tard des suites de mauvais traitements… – ces sévices causèrent une septicémie avec de nombreux foyers infectieux, superficiels et profonds (gangrène au niveau du majeur de la main droite, pneumothorax et foyer infectieux du rein gauche).

26 - Semmelweis

Philippe Ignace Semmelweis

Philippe Ignace Semmelweis

Le premier qui dit, se trouve toujours sacrifié
D’abord on le tue, puis on s’habitue
On lui coupe la langue, on le dit fou à lier
Après sans problème, parle le deuxième
R
Le premier qui dit la vérité
Il doit être exécuté
Le premier qui dit la vérité
Il doit être exécuté

(Paroles)

Source: http://www.les-crises.fr/philippe-ignace-semmelweis-la-verite-prematuree/


#PanamaPapers : le « journalisme d’investigation » du Ctrl+F, par Viktor Dedaj

Sunday 10 April 2016 at 04:34

C’est vrai qu’on peut se demander si ce micmac est encore du “journalisme” – n’est-ce pas d’abord le rôle de la justice ?

Source : Le Grand Soir, Viktor Dedaj, 04-04-2016

arton30186-f6174Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez réussi à lacer vos chaussures sans assistance ? Peut-être pas, mais vous avez sûrement sautillé sur place avec fierté, abordé tout adulte présent dans le périmètre pour lui faire constater de visu l’exploit. Plus débrouillard, vous auriez sans doute appelé un huissier pour immortaliser ce grand moment. Et même si les versions divergent, les Anciens qui ont connu cet épisode sont unanimes au moins sur un point : vous étiez drôlement mignon.

Connaissiez-vous le Consortium International des Journalistes d’Investigation ? Avouez que vous n’en aviez jamais entendu parler avant. Et pourtant, il existe depuis 1997. Basé aux Etats-Unis (à Washington – quelle meilleure base arrière pour faire des enquêtes et lancer des alertes ?), le Consortium affiche une liste de médias plus prestititigieux les uns que les autres, véritable « dream team » de la presse libre : El Pais, El Mundo, le Monde, Le New York Times, Le Washington Post, BBC, The Guardian, El Nacion… et j’en passe, d’un peu partout dans le monde.

Ah la la… On se souviendra avec émotion du travail inoubliable accompli par ce Consortium du Monde Libre (*). Leur travail sur les attentats du 11 Septembre 2001 – un modèle du genre. Leur ténacité sur les armes de destruction massive en Irak – un bijou. Leur longues enquêtes sur la plus féroce et longue « tentative de crime humanitaire du 20ème siècle », et qui perdure, à savoir la tentative de blocus des Etats-Unis contre Cuba… Leur détermination à révéler les origines et relations de l’Etat Islamique – j’en pleure encore. Ah, sans oublier leur couverture des nazis en Ukraine, des charniers en Colombie, des cartels de la drogue au Mexique (où, entre 1997 et février 2016, on compte un peu plus de 200 journalistes assassinés), des tentatives de coups d’état au Venezuela… bref, la liste est tellement longue.

Depuis hier, le Consortium est en surchauffe et en mode auto-congratulation maximum car voici qu’on nous annonce la plus grande révélation de tous les temps (graphiques à l’appui). Certes, certains médias français ont encore du mal à cracher le nom de leur patron présent dans la liste (Rappel : il s’appelle Drahi), mais bon, ne faisons pas la fine-bouche.

Pour le reste, j’ai noté la présence de personnalités plus ou moins déjà « grillées » (une sorte de confirmation, dirons-nous) et – sans surprise, avouons-le – quelques chefs d’état qui n’étaient déjà pas en odeur de sainteté sous nos latitudes (je trouve qu’il manque un peu de Front National pour boucler la boucle).

Permettez-moi de rendre un hommage appuyé à ces guerriers de l’information car il en faut du professionnalisme et de l’abnégation pour :

1 – soulever son cul de sa chaise
2 – ouvrir une enveloppe trouvée dans son casier
3 – sortir la clé USB
4 – la connecter à son ordinateur
5 – décompresser (probablement) les fichiers et
6 – lancer une recherche (Ctrl+F) sur des Giga Octets de données histoire de voir qui c’est qu’on y trouve.

Yep. Du grand travail d’ « investigation ». Du même niveau que celui que nous déployions pour trouver des œufs de Pâques cachés dans le jardin – et encore.

Remarquons que tous les commentateurs prennent soin de préciser que « toutes ces transactions/comptes » ne sont pas forcément « illégaux », et même loin de là (sauf évidemment, dans le cas des premiers noms lâchés dans la nature, cela va de soi). Et prévenir qu’il n’y a pas obligatoirement de l’illégalité dans l’air ni de blanchiment en cause permet de laisser la porte ouverte à toute découverte un peu malencontreuse et inopinée (la présence d’un copain, quoi… Drahi, tu nous entends ?).

Ils tentent de nous la jouer « super wikileaks » mais pendant ce temps, d’autres lanceurs d’alerte croupissent dans les prisons US (Chelsea Manning ?), ou ont été obligés de fuir (Edward Snowden) ou se réfugier dans une ambassade compréhensive (Julian Assange ? (**) ) et tous ont été lâchés, trahis et enterrés par ces mêmes médias une fois leur os rongé. Et je ne cite que les 3 noms les plus connus.

Non. Le Consortium préfère chasser des œufs de Pâques déposés par d’autres et nous les montrer en poussant de petits piaillements de joie. On verra – un signe qui ne trompe pas – combien de ces journalistes connaîtront des « problèmes ». Car, au cas où ils ne l’auraient pas remarqué, le système se défend lorsqu’il se sent menacé. Alors autant les prévenir : l’ambassade de l’Equateur à Londres affiche complet depuis 4 ans.

Viktor Dedaj
« encore un effort pour vous racheter les gars »

(*) A quoi vous attendiez-vous ? La fuite est gérée par un organisme qui porte le nom grandiose, mais qui prête à rire quand on connait l’oiseau, de « Consortium international des journalistes d’investigation ». Il est entièrement financé et géré par le Centre des États-Unis pour l’intégrité publique. Leurs bailleurs de fonds comprennent :

– La fondation Ford
– La fondation Carnegie
– La fondation de la famille Rockefeller
– La Fondation W K Kellogg
– La Fondation pour une société ouverte (Soros)

Le Consortium International des journalistes d’investigation (ICIJ) fait partie du Projet de rapport sur le crime organisé et la corruption (OCCRP) qui est financé par le gouvernement américain à travers l’USAID. cf : http://www.legrandsoir.info/les-panamapapers-sont-un-moyen-de-chantage…

(**) Le cas de Julian Assange étant à lui seul révélateur de la médiocrité de ces pseudo-investigateurs. Faut-il leur rappeler – combien de fois encore ? – que ce dernier n’a violé aucune loi (laquelle, au fait ?), et qu’il n’est pas poursuivi pour viol ou violences sexuelles par la Suède – mais a été « convoqué » par une procureure suédoise qui veut absolumentl’interroger sur le sol suédois (pas sur place, à Londres, ni via une vidéo-conférence, comme proposé). Sur le sol suédois où il existe un accord d’extradition de « témoins » avec les Etats-Unis. Les Etats-Unis, où un Grand-Jury a déjà été constitué pour régler le compte à quelqu’un qui n’a violé (on tourne en rond) aucune loi couverte par une juridiction US…

Source : Le Grand Soir, Viktor Dedaj, 04-04-2016

Source: http://www.les-crises.fr/panamapapers-le-journalisme-dinvestigation-du-ctrlf-par-viktor-dedaj/


[Actu’Ukraine] Une Française dans le Donbass

Sunday 10 April 2016 at 00:34

Article de Catalina.B, lectrice du blog, qui est partie dans le Donbass…

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Nous sommes nombreux à nous intéresser au Donbass. Il nous est bien sûr difficile de nous imaginer la vie sur place c’est pourquoi j’ai fait le voyage. Bien que je n’ai pas pu, parce que je ne parle pas russe, mettre en oeuvre mes projets humanitaires, je vous restitue des éléments de la vie quotidienne, celle dont on ne parle pas dans les médias. J’ai mis en lien  des articles de L.Brayard-journaliste français, écrivain et historien,  résident du Donbass que j’ai rencontré à Donetsk-ainsi que ses photographies qu’il a généreusement partagé avec moi, n’ayant pas les deux accréditations(presse et militaire)  nécessaires pour faire moi-même des photos et des entretiens.

Voici donc mon expérience, Donetsk vu par une Française, ne parlant pas le russe, je ne peux restituer ici que mon propre ressenti, amputé de relations sociales plus approfondies avec les gens du Donbass. J’espère qu’il vous apportera quelquechose, c’est tout ce que je souhaite à cet article.

Séjour d’un mois  à Donetsk, Février 2016

Les images les plus marquantes dès la frontière Russie-Donbass passée sont les énormes plots de ciment, que je suppose anti chars tellement ils sont imposants. On ne peut qu’imaginer à quoi ils sont promis et la réalité de la guerre explose aux alentours. Les impacts des tirs sur les arbres et les nombreuses tombes, toutes fleuries, parlent de deuils, de destructions, de souffrances.

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Photo L.Brayard

En regardant mieux, depuis le minibus-taxi qui nous emmène brinquebalant sur les routes défoncées, je discerne des maisons détruites au milieu d’autres. Pourquoi cette maison-ci et pas une autre ?

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Photo L.Brayard

En effet, pas de cible stratégique dans ces villages perdus dans la steppe où les gens restent parfois malgré les tirs quotidiens parce qu’ils n’ont nulle part où aller.

Ces gens qui semblent oubliés de tous. Qui se terrent dans les caves la nuit venue, et qui vivent, le jour, sous la menace proche des canons de l’armée ukrainienne.

En complément : Les enfants dans les caves du Donbass

Tous les jours les tirs résonnent dans la ville de Donetsk. Ces tirs qui pilonnent des villages dans la périphérie, déjà en partie détruits. Des tirs qui n’épargnent personne, ni aucun bâtiment, serait-ce une école.

Vidéo de L. Brayard, sans sous-titre mais suffisamment éloquente

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“on a connu le nazisme il y a 70 ans et ça recommence ?” (Photo L. Brayard)

A Donetsk, J’ai fait cet enregistrement depuis mon hôtel. Comme vous l’entendez, l’armée pilonne les villages dans la périphérie.
<<<Vidéo MVI_1763.AVI>>>

Situation de mon hôtel à Donetsk : Google Maps.

Les gens souvent démunis reconstruisent avec ce qu’ils ont. Là, on se sert de tapis pour recouvrir les toits.

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Explosions des fenêtres à cause des bombardements. Beaucoup de gens sont blessés s’ils sont à proximité.
Photos L. Brayard

A Donetsk, la vie suit son cours sous le bruit journalier des canons. Il y a des soldats dans les rues, des contrôles sur les grands axes, les banques sont fermées ainsi que les mac do et autres grand magasins.
Les universités sont ouvertes et c’est avec plaisir que je croise de nombreux étudiants.
Dans les rues, les gens vaquent à leurs occupations. La ville est très bien entretenue, très propre, il y a des poubelles partout et des agents d’entretien s’occupent des nombreux jardins disséminés dans la ville.
A Donetsk, on peut contempler des chefs d’oeuvres de la ferronnerie d’art.

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Photo Catalina

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Une belle ville (Photo L. Brayard)

Les bus qui n’ont jamais cessé de fonctionner sont bondés au petit matin. La ville vit comme toutes les grandes villes même si beaucoup d’entreprises ont fermé.
Insolite, le comportement des gens est très confiant, ainsi, dans le bus, si vous ne pouvez pas composter, vous donnez votre ticket à quelqu’un qui le donnera à une autre personne jusqu’à le compostage et il vous revient, idem avec l’argent, on se le passe jusqu’au chauffeur. Autre chose de bien différent de chez nous est que les hommes même jeunes laissent toujours la place assise aux femmes.

Les hôpitaux fonctionnent malgré les manques de moyens. La Russie essayant au mieux de pallier au manque de fournitures médicales. J’ai eu l’occasion de visiter un hôpital et j’ai eu l’impression de me retrouver 20 ans en arrière : peintures décrépies, murs défoncés, bois de portes vermoulus. Les problèmes de corruption de l’Ukraine sont pires aujourd’hui mais étaient déjà énormes avant le Maidan. Sur 17,5 milliards créés par le Donbass en richesse, seulement 6 milliards lui revenait. Ce qui explique l’état de délabrement de certaines structures hospitalières. Dans cet hôpital et dans d’autres, il nous faut honorer le personnel qui a parfois travaillé sans salaire plusieurs mois d’affilée avec un courage inégalable.

En me promenant je croise parfois des gens très pauvres qui font la manche. La vie ici est difficile, L’Ukraine ayant décidé de ne plus verser les pensions.

En complément : Ukraine : centre infernal d’un monde en décomposition par Kevin Queral (son site)

La Russie a pris le relais mais ne peut donner la totalité des salaires ou autres prestations. Elle aide comme elle peut le Donbass en accueillant des enfants pour des soins et en affrétant de nombreux convois humanitaires. Sur la ligne de front, la vie est plus que dramatique. En attendant l’instruction de leur demande de pension, beaucoup de familles n’ont pratiquement rien et bénéficient juste d’une aide financière ponctuelle et de produits distribués par des associations.

En complément : Plus de 60 000 tonnes d’aide humanitaire délivrée au Donbass par la Russie depuis Aout 2014

En complément : Sébastien Hairon lance un appel pour un hôpital de Donetsk

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Photos Catalina

Laurent Brayard journaliste et humanitaire prévoit toujours d’avoir de l’argent à donner aux plus nécessiteux.

En complément : “Veuves de guerre du Donbass, aux portes du malheur.”

En complément : Spartak, une mission humanitaire pour les civils sous les obus ukrainiens

En me promenant dans Donetsk, je croise des mamans avec leurs bambins, au loin, le bruit des tirs résonne et je ne peux m’empêcher de penser à ces petiots et à leur ressenti. Moi qui ne vis pas ici, j’en rêve la nuit et eux, quels sont leurs rêves?
A aucun moment dans mes conversations avec des gens d’ici, ils ne parlent de vengeance, ou simplement de haine. Bien que des jeunes-femmes m’aient montré leurs photos en tenue de soldats, elles n’ajoutent pas de commentaire, seulement qu’elles aimeraient que la paix revienne.
Le Donbass se reconstruit malgré les incessantes attaques de l’armée de Kiev. Il s’évertue à contrer la guerre en organisant de nombreuses manifestations culturelles.

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Photos L. Brayard

En complément : Un concert pour les enfants ayant perdu leurs maisons bombardées par les Ukrainiens.

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Donetsk à Noël (Photo L. Brayard)

Accords de Minsk et OSCE

Le Donbass respecte le cessez-le-feu. Il y a malgré tout des combats initiés par l’armée ukrainienne qui tente de percer la ligne de front et qui continue malgré les accords de Minsk à avancer et utiliser des armes interdites.

OSCE/Donbass : Plus de 600 observateurs déployés. Octobre 2015.

Rapport de situation de Lougansk : L’Ukraine empêche l’OSCE de travailler et tente de fermer les points de passage avec la RPL – 14 mars 2016.

Violation du cessez-le-feu par l’Armée ukrainienne le 16 Oct 2015.

Depuis le début des accords, l’armée ukrainienne n’a jamais respecté le cessez-le-feu. Elle bombarde, pille les villages et les fôrêts et continue à tuer. Les problèmes à l’intérieur même de l’armée ukrainienne vont en s’amplifiant, les conditions de vie déplorables étant en partie une des raisons de ces problèmes. D’autres sont liés à l’abus d’alcool et des mésententes entre bataillons ultranationalistes et soldats de l’armée régulière.

Le pillage des réserves forestières du Donbass par l’Ukraine.

Pillages systématiques (pogroms) du Donbass par l’armée de Kiev – Reportage d’une TV ukrainienne (Kiev).

Ukraine : délabrement et alcoolisme dans les forces armées [VOSTFR]

La situation militaire

Rapports de situation de Lougansk et de Donetsk : ici et .

“C’est inimaginable ce qu’ils font, les Ukrainiens. Ils tirent sur les enfants allant à l’école, les adultes partant travailler…. C’est pareil le jour comme la nuit.”
Novorossia

Les milices du Donbass surveillent les points stratégiques sur la ligne de contact, elles repoussent les essais de percées ukrainiens.
Bien souvent terrées dans les tranchées, elles sécurisent la région du mieux quelles le peuvent et parfois, à l’intérieur même des villages ciblés par l’armée ukrainienne.

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Photo L. Bravard

Situation politique.

Les réunions au format Normandie n’ont aucun impact sur le cessez-le-feu.

DniPress : Rapport de situation de Donetsk : Les FAU se préparent pour des combats en milieu urbain – 20 mars 2016.

Le président ukrainien semble ne pas avoir suffisamment d’autorité pour contraindre son armée à l’arrêt des hostilités.
La présence de l’OCSE n’a pas l’air d’avoir quelque incidence sur la situation.
Avec leur humour particulier, les opticiens du Donbass ont offert 80% de réduction aux gens de l’OSCE.
Deux délégations étrangères à caractère d’investigation sont allées dans le Donbass, il s’agit de la délégation tchèque et d’une délégation française.

BlogSpot Gaideclin : Jacques Clostermann : ” Demain, les combattants français dans le Donbass seront connus “.

DniPress : La délégation tchèque est arrivée en RPD pour apprécier les besoins humanitaires.

Article Facebook : A Genève, s’est ouverte la conférence des Nations Unies sur la tragédie d’Odessa de mai 2014 : dans la maison des syndicats des nationalistes ukrainiens (nazis)ont tué des dizaines de personnes, brûlant vives de nombreuses personnes.

Sur la ligne de front, la situation perdure avec des attaques quotidiennes, des exactions auprès des villageois, des pillages.
Le Donbass lui se reconstruit.

DniNews : Environ 40 entreprises de la République Populaire de Lugansk rétablies depuis le début de 2016.

L’avenir

Les enfants rêvent de paix, de reconstructions.

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Photos L. Bravard

Espoir de la nouvelle république

” L’autodétermination des peuples à décider pour eux-mêmes ”

DniPress : La distribution des passeports de la RPD a commencé à Donetsk le 16 mars 2016.

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Photo L. Bravard

La guerre

La guerre c’est aussi cette jeune maman qui s’est jeté sur son fils dans le bus ciblé par les tirs pour le protéger et qui a perdu un bras.

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Cette autre jolie jeune femme qui en plus a perdu son mari et son petit garçon.

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ou encore cette autre jolie femme qui a perdu une jambe…

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Photos L. Bravard

En conclusion

Des milliers de personnes dans la tourmente, des milliers de personnes en exode, des centaines de personnes mutilées pour toujours, des dizaines de vies d’enfants, perdues à jamais, des milliers de vies menacées par le choix d’absence de diplomatie du gouvernement de l’Ukraine qui refuse toute discussion avec le Donbass et lui impose ses troupes armées.

Le silence de l’ue sur cette tragédie et sa participation puisqu’elle ne met pas la pression sur le président pour qu’il respecte les accords de Minsk et qu’elle continue malgré tout à négocier avec l’Ukraine son éventuelle entrée dans l’union. Sans compter l’argent qu’elle lui prête alors que l’Ukraine ne fait pas partie de l’ue. En comparaison avec ce qu’impose l’UE à la Grèce, on est en droit de se poser des questions.

En complément : Rapport de presse Europa.

Le silence sans étonnement des chiens de garde qui doivent être occupés à ronger d’autres os tous aussi sanglants. Et le pire, cacher ces nazis qu’on ne saurait voir.

J’espère que ces petiots seront encore là dans 5 ans….

Catalina.B pour www.les-crises.fr, avril 2016

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Source: https://www.les-crises.fr/actuukraine-une-francaise-dans-le-donbass/


Justine Brabant : « Le conflit au Congo n’est pas oublié, il est mal regardé »

Sunday 10 April 2016 at 00:01

Je vous recommande ce livre de Justine Brabant sur un conflit qui fait hélas rarement la une des médias…

Source : RFI, Florence Morice, 12-03-2016Capture d’écran 2016-03-14 à 23.10.40

Qui sont les hommes et les femmes qui se battent parfois depuis des décennies dans l’est de la République du Congo… Pourquoi se battent-ils ? Comment sont-ils organisés, de quoi ont-ils peur, à quoi rêvent-ils lorsqu’ils ne sont pas en train de se battre ? Les réponses à ces questions, Justine Brabant est allée les chercher, pendant trois ans, sur les sentiers du Kivu, province de l’est du Congo. Le résultat, c’est un livre qui vient de sortir, intitulé Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira. Justine Brabant en parle au micro de Florence Morice.

RFI: A propos de la situation dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), vous écrivez dans votre livre « Ce n‘est pas un conflit oublié, mais c’est un conflit mal regardé ». Qu’entendez-vous par là ?

Justine Brabant: J’ai longtemps cru que le Congo, on l’avait un peu oublié. En creusant, je me suis rendue compte qu’il n’était pas, à mon sens, oublié parce que dans la presse française, on en parle souvent. J’ajoute également que cette question des sept millions de morts qu’on utilise souvent pour dire « voilà, c’est un conflit oublié, la preuve il y a sept millions de morts et on n’en parle pas assez », c’est en fait un chiffre un petit peu exagéré.

Et finalement vous le remettez en cause dans votre ouvrage ?

Voilà. C’est quelque chose d’un peu contestable et aujourd’hui, les humanitaires s’accordent à dire, sur le bilan chiffré des morts au Congo, qu’il y en aurait plusieurs millions. Donc, conflit pas oublié mais, à mon sens, mal regardé parce que parfois on a tendance à le regarder avec des automatismes qui marchent sur toute l’Afrique, comme par exemple, le prisme du conflit ethnique. Cependant, si l’on raisonne uniquement avec des questions de conflits ethniques, on peut comprendre que certains groupes s’affrontent, mais on ne comprend pas pourquoi, dans un premier temps, ils ont commencé à s’affronter.

Justement vous, pour comprendre cela, vous allez à la rencontre de combattants ou de chefs de guerre congolais pour leur poser la question. Qu’est-ce qu’on vous répond ?

Il y en a beaucoup qui commencent à se décrire en des traits qui sont très surprenants, comme par exemple « résistants » aux invasions menées par des mouvements rebelles venus du Rwanda à l’époque, comme le RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie]. D’autres qui se décrivent en « patriotes » ou encore en « protecteurs de leur village », ou « protecteurs d’un Congo » qu’ils jugent menacé par des agressions extérieures.

Vous vous inscrivez donc en faux contre cette image répandue de rebelles sanguinaires qui passent leur temps à piller et à violer. Malgré tout, des exactions sont commises par des groupes armés à l’est de la RDC. Ne craigniez-vous pas qu’on vous accuse d’angélisme ?

Il me semble que j’explique clairement, dans ce livre, le dilemme qu’on a quand on se rend au Congo parce qu’en fait, on sait et on a lu les rapports. Seulement, quand on arrive sur place, on ne se trouve pas face à des gens qui ont l’air de venir de tuer ou de violer des centaines de personnes. J’ai donc considéré que mon travail de journaliste et de chercheuse consistait à raconter ce que j’ai vu et à décrire, avec autant d’honnêteté que possible, ce dilemme parfois très compliqué à gérer entre ce que l’on sait que les gens ont fait et les personnes qui se présentent à nous qui, souvent, s’expriment en des termes très simples et peuvent même paraître parfois sympathiques.

Parce que finalement à vous lire, on comprend que combattre, pour beaucoup d’entre eux, ce n’est pas forcément un choix mais un engrenage. Quel est l’exemple qui vous a le plus surpris ?

C’était quelqu’un qui était hébergé dans la plaine de la Ruzizi, peu après le génocide au Rwanda, et qui a vu arriver des réfugiés au Congo, et notamment des réfugiés [qui deviendront par la suite les FDLR, les Forces démocratiques de libération du Rwanda]. Dans la suite de ces réfugiés, il y a eu des gens qu’il a vus comme des agresseurs et qui étaient des gens de l’AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo] qui ont renversé Mobutu et qui ont installé Kabila au pouvoir.

Quand il a vu arriver ces gens, la première chose qu’on lui a fait, c’est qu’on lui a pris ses vaches. Et lui, en tant que berger, sa vache c’était l’essentiel de sa vie, l’essentiel de son revenu. Alors au début, il a tout simplement pris des flèches ou ce qui lui tombait sous la main et il a rassemblé quelques hommes autour de lui. Il ne pensait pas qu’il s’engageait dans une guerre qui allait durer 20 ans et qui allait faire des millions de morts. La plupart, bien entendu, n’imaginaient pas une seconde que, à l’image de ce berger, ils allaient devenir colonel ou finir par tuer ou encore voir leurs camarades tués. Parfois, ils ont tout simplement commencé par jeter des pierres.

Du coup, vous vous demandez aussi comment appeler ces personnes. Est-ce qu’il faut les appeler des rebelles ? Est-ce qu’il faut les appeler des miliciens ? Est-ce qu’ils ne sont que des supplétifs de l’armée régulière ? Avez-vous trouvé une réponse à cette question, aujourd’hui ?

Disons, à l’inverse, qu’il y a certains termes que j’essaie d’éviter d’utiliser maintenant. J’ai remarqué, au début, que j’avais tendance à parler très facilement de rebelles, en faisant référence à certains des Maï-Maï que j’ai rencontrés. Or, ces groupes locaux d’auto-défense, à leur début, ont été fournis en armes et en logistique par Kinshasa. Par conséquent, est-ce que des groupes, qui font un peu office de supplétifs de l’armée régulière, peuvent être appelés des rebelles ?

Même parler des civils, c’est compliqué parce qu’au Congo, vous avez des gens qui sont étudiants le jour et qui, la nuit, font des patrouilles avec d’autres jeunes du village pour se protéger. Est-ce qu’ils sont déjà un petit peu combattants ou est-ce qu’on peut vraiment parler de civils ? Ce livre, donc, c’est aussi une réflexion sur la manière dont on parle de la guerre. J’ai le sentiment que parfois on donne une image trop blanche ou trop noire de ce conflit alors qu’il est plein de zones grises.

Et plein de frontières poreuses. On le voit bien entre armée régulière et groupes armés puisque beaucoup passent de l’un à l’autre. Poreuses également entre groupes armés et humanitaire ?

Oui. On découvre, en enquêtant, que bon nombre de jeunes combattants, à leurs heures perdues, sont eux-mêmes investis généralement dans des associations, très locales, de développement en rapport avec la paysannerie. Il y en a même certains qui viennent d’ONGs internationales. Il y a ainsi des passerelles qui sont liées au fait que, quand on est jeunes au Kivu et si on est un peu diplômés, les deux débouchés sont généralement la guerre ou l’humanitaire.

Est-ce qu’en voyant tout ça, vous avez eu le sentiment que vos interlocuteurs voulaient réellement mettre fin au conflit ?

Je pense que beaucoup d’entre eux ne sauraient pas quoi faire d’autre que la guerre. Enfin, pour beaucoup, le premier réflexe n’est pas de se dire comment en sortir mais, comment faire avec.

C’est le sens de votre titre ?

C’est une partie du sens du titre. Le sens, je le laisse à ce vieil homme que j’avais rencontré dans un village où j’étais partie interroger un commandant Maï-Maï. Il a voulu conclure un entretien en disant, « de toute façon, qu’on nous laisse combattre et la guerre finira ».

Je ne sais pas exactement ce qu’il voulait dire par là mais, moi, je le comprends et je l’ai choisi comme titre parce que c’est la clé du paradoxe de cette guerre. De plus en plus de gens, en effet, s’engagent en pensant que c’est grâce à leur engagement que cela se terminera, que finalement il y a eu tellement de violences passées, qu’il faut soi-même, à son tour, prendre les armes pour y mettre fin définitivement, et si besoin en étant encore plus violents que les précédents. C’est un paradoxe terrible mais je pense qu’il explique, en partie, cette guerre qui dure tant.

Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira, de Justine Brabant, paru aux Editions La découverte.

Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira, de Justine Brabant, paru aux Editions La découverte.

Source : RFI, Florence Morice, 12-03-2016

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“Qu’on nous laisse combattre, et la guerre finira”
Avec les combattants du Kivu 

Lorsque le Congo se fraie un chemin jusque dans les colonnes de nos journaux, c’est souvent pour raconter les mêmes histoires tragiques : les trafics de minerais qui alimentent les groupes armés, les milliers de femmes violées, les colonnes de réfugiés fuyant une guerre qui semble ne jamais s’arrêter.

Et pourtant, nous ne savons rien ou presque de ceux qui font cette guerre. Pourquoi se battent-ils ? Pourquoi se sont-ils engagés dans une série de conflits qui a fait des millions de morts depuis vingt ans ? D’où viennent ces combattants dont on nous dit qu’ils violent et pillent sans scrupules ? Comment sont-ils organisés, de quoi ont-ils peur, à quoi rêvent-ils lorsqu’ils ne sont pas en train de se battre ? Les réponses à ces questions, Justine Brabant est allée les chercher, pendant trois ans, sur les sentiers du Kivu, province de l’est du Congo.
Elle livre ici la chronique de ses rencontres. Bergers devenus colonels, chefs insurgés de père en fils ou civils qui transportent leur vie dans un sac à dos : elle s’est plongée dans le quotidien de ces hommes – et de ces femmes – dont certains n’ont jamais connu la paix et qui ont la guerre pour seul horizon.
Rompant avec les récits habituels sur la « violence aveugle » et les « conflits ethniques », l’auteure décrit un monde où les frontières se brouillent entre civils et combattants, entre rebelles et forces de l’ordre, entre militaires et humanitaires. Son enquête offre par là même une réflexion originale sur ces guerres qui durent depuis si longtemps qu’on a fini, nous aussi, par ne plus les voir.

Source : Editions La découverte

Source: https://www.les-crises.fr/justine-brabant-le-conflit-au-congo-nest-pas-oublie-il-est-mal-regarde/


Revue de presse internationale du 10/04/2016

Sunday 10 April 2016 at 00:01

Avec plusieurs articles en traduction. Merci à tous nos contributeurs.

Source: https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-10042016/


Revue de presse du 09/04/2016

Saturday 9 April 2016 at 04:55

Avec cette semaine notamment pas mal d’OTAN et pas trop de Panama qui est partout, du nucléaire dangereux et cher (surprise !), mais pas autant que le réchauffement. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-09042016/