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Revue de presse du 29/11/2014

Saturday 29 November 2014 at 12:20

La revue de presse où il sera question de l’Islande et de la Suisse, de l’Evasion Fiscale à l’export mais aussi à l’import, de la France où l’on possède des emprunts toxiques mais peut-être bientôt plus d’engins militaires, de Réflexion sur l’avenir du capitalisme et les mécanismes de la corruption, et de bien d’autres sujets encore. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-29112014/


[Grand Débat] Comment permettre aux médias et aux journalistes de jouer leur rôle de contre-pouvoir ?

Friday 28 November 2014 at 00:02

Aujourd’hui, je vous (re)propose un espace de débat, afin de réfléchir aux idées que nous pourrions promouvoir pour lutter contre la désinformation. Ce sera une contribution du 5e pouvoir (Internet) pour que celui-ci fasse pression pour que le 4e pouvoir (la presse) exerce ses prérogatives…

Avec un axe “médias” et un axe spécifiques “journalistes”. Je vous soumets quelques idées, pour que vous puissiez commencer à débattre. Je complèterai au fur et à mesure.

A vous de jouer en commentaires – surtout si vous êtes journaliste ! :)

Les médias

M1 : Voter une loi sur la Liberté d’information, imposant l’indépendance et le pluralisme des médias, et protégeant l’indépendance des journalistes et le secret de leurs sources

M2 : Mise en place d’un système transparent de large financement public des journaux d’information (comme pour les partis et les syndicats) via un choix individuel annuel des citoyens lors de la déclaration d’impôts. (on pourra cocher “Le Figaro”, et cela donnera une subvention annuelle de 5 euros au journal)

M3 : Interdiction à des groupes vivant de la dépense publique (Armes, BTP…) d’entrer au capital de journaux d’information.

M4 : Interdiction de la publicité dans les journaux d’information (les pertes sont compensées par M2)

M5 : refondre le fonctionnement et le contrôle de l’Agence France-Presse et augmenter ses moyens. Assurer un contrôle externe indépendant de son travail.

M6 : Toute sensibilité politique réalisant plus de 2 % des voix aura droit à un financement public destiné à la création d’un journal d’information sur Internet

M7 : Toute sensibilité politique réalisant plus de 5 % des voix aura droit à un financement public destiné à la création d’un journal d’information papier

M8 : Seront créés 1 ou 2 journaux papiers publics

Les journalistes

Là, je lance quelques propositions en l’air, pour avoir le regard de professionnels

J1 : bien séparer les journaux et magazines d’information des autres titres. Les premiers ont obligation de ne travailler qu’avec des Journalistes professionnels pour leurs pages d’information, qui seront clairement séparées des pages des éditorialistes (qui pourront s’y exprimer sans aucune contrainte).

J2 : Le titre de “Journaliste” sera conféré par un nouvel Ordre Professionnel des Journalistes auxquels ceux-ci devront obligatoirement adhérer. Celui-ci délivrera la Carte de presse.

J3 : Il sera créé un code de déontologie des journalistes, s’appuyant largement sur La Charte de Munich. Son non-respect par un journaliste – agissant dans le cadre de son journal ou de tout autre média destiné au public, entrainera passage dans un Conseil de Déontologie, pouvant transmettre le cas à un Conseil de Discipline – où les journalistes seront minoritaires -, pouvant sanctionner le journaliste jusqu’au retrait temporaire ou définitif de la Carte de Presse. Tout particulier s’estimant lésé peut saisir le Conseil de Déontologie.

J4 : L’Ordre des journalistes est financé par une cotisation des employeurs ainsi que par une dotation publique venant diminuer la montant des aides à la presse par plafonnement absolu des aides à un seul journal.

J5 : Il sera créé un Haut-Conseil à la pluralité de l’information (ou un Conseil Supérieur de la presse papier, comme le CSA), qui veillera à éviter le “bourrage de crane”, à ce que les experts invités à s’exprimer soient compétents, et que les propos soient toujours balancés tant que la réalité des faits n’aura pas été établie.

 

Source: http://www.les-crises.fr/grand-debat-journalistes/


[On va y arriver, patience...] Violée ? “Tu y es pour quelque chose” selon la police hongroise [+ entraide Hongrie]

Friday 28 November 2014 at 00:01

On va y arriver aux problèmes avec la Hongrie, dont on a déjà parlé, ça prend un peu de temps pour retourner l’opinion…

Poursuite du début de la propagande de guerre

Dans un clip de prévention, la police hongroise estime que le meilleur moyen de prévenir le viol, c’est de culpabiliser les victimes.

Une capture d'écran de la vidéo de prévention du viol par la police hongroise. (Capture d'écran)
Une capture d’écran de la vidéo de prévention du viol par la police hongroise. (Capture d’écran)

Pour la police hongroise, le meilleur  moyen de prévenir le viol c’est de culpabiliser les victimes (et donc les femmes). C’est en tout cas le message qui ressort du dernier clip de prévention, mis en ligne sur YouTube le week-end dernier, de la police du district de Baranya, dans le sud-ouest du pays.

Le pitch du clip ne laisse pas de place au doute. Dans la vidéo, trois jeunes femmes se préparent pour aller faire la fête. Forcément, elles sont en jupe courte. Puis elles se rendent en boîte de nuit. Forcément, elles consomment beaucoup d’alcool et rencontrent des hommes. La soirée se termine mal pour l’une d’entre elles qui se fait agresser sexuellement.

A la fin de la vidéo, le message de la police hongroise, très explicite :

Tu y es pour quelque chose, tu peux faire quelque chose pour éviter cela.

Face aux critiques des femmes et des organisations de défense des droits civils, la police hongroise a tenté de se justifier, et plutôt mal : “Nos expériences montrent que la métacommunication féminine [comprendre : le langage corporel, NDLR] joue un rôle important dans la prévention. C’est souvent la coquetterie des jeunes femmes qui déclenche la violence.”

Un rapport d’Amnesty International, publié en 2007, montrait pourtant clairement les préjugés auxquels sont confrontées les femmes victimes de viol en Hongrie. La police a dû oublier de le lire.

Source : L’Obs, non signé, 27/11/2014

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bien bien bien

1/ quelqu’un parlant hongrois pourrait-il nous traduire exactement tous les mots de la fin svp ? et nous dire comment il comprend la pub ?

2/ on voit quand même surtout, me semble t il vu de loin, que c’est une pub mettant en danger contre les dangers des conséquences de l’alcool

3/ quand bien même tout serait exact, on notera qu’on parle de la police de Baranya, département aussi peuplé que l’Ardèche (330 000 hbts). Une connerie de la police de l’Ardèche reprise en Hongrie sous le titre “la police française…” (assassine les manifestants pro-environnement à coups de grenade, par exemple… ?) ça semble normal au “journaliste” ?

4/je suis bien triste et plein de compassion poru les femmes violées en Hongrie, mais pourquoi cette sous-info se trouve-elle en Une sur l’Obs ? Pas de viols en Slovaquie, Roumanie, Pologne – Ukraine ??

Bref, l’agenda de la prochaine révolution colorée est en marche…

Pour se faire, j’aimerais avoir des volontaires, au cas où, pour des traductions depuis le hongrois, et des témoignages de personnes connaissant ce pays… On va essayer de s’intéresser à ceci avant que ça pète…  :)

P.S. Amnesty s’intéresse aussi à la France si ça intéresse l’Obs…

Source: http://www.les-crises.fr/on-va-y-arriver-patience-violee-tu-y-es-pour-quelque-chose-selon-la-police-hongroise-entraide-hongrie/


[Invité] Les illusions perdues d’un jeune journaliste, par Léonard

Thursday 27 November 2014 at 01:57

Excellent papier d’un jeune journaliste, qui ira apparemment loin :) Son prénom a été changé…

Je m’appelle Léonard. Je suis né quelques semaines avant la chute du Mur de Berlin. Je peux légitimement et insolemment dire que je suis jeune. Je suis journaliste. J’ai intégré une école de journalisme juste après le bac, presque par hasard.

Voici mon histoire.

Hasard et chance

Contrairement à bon nombre de mes camarades, je n’avais jamais ressenti la fibre journalistique auparavant. Je me cherchais. Seule certitude : j’aimais apprendre et restituer. Vulgariser. Expliquer. J’aime la pédagogie. Je me suis d’ailleurs longtemps (et encore?) prédestiné au métier de professeur. Passionné par l’astronomie, les sciences, fidèle lecteur de Sciences et vie et téléspectateur attentif et enjoué de C’est pas sorcier quand j’étais enfant, je pensais me diriger vers un cursus universitaire en biologie. J’étais également passionné par l’Histoire ainsi que par ses consœurs : la géopolitique, la géostratégie. En fait, je crois que j’aimais à peu près tout, hormis les langues étrangères, ce que je regrette amèrement aujourd’hui et tente de corriger petit à petit.

Or, en déambulant sur le Web, je suis tombé à l’époque par hasard sur le programme d’un établissement formant les journalistes de demain. Géopolitique, droit, histoire de la presse, sciences politiques, exercices de style…

Programme alléchant !

Accès restreint

Cette école faisant partie du cercle restreint des structures reconnues par la profession (elles sont 12 ou 13 selon les années), l’entrée y est difficile. Je ne connais pas les chiffres exactes mais il me semble que nous étions peu ou prou un millier à déposer une candidature pour 25 places. Mes bonnes notes au bac en Français et en Histoire m’ont permis de passer la phase de sélection initiale sur dossier. Première petite victoire. Les épreuves écrites arrivèrent quelques semaines plus tard. Un exercice de synthèse de document, un QCM et une photo à légender, si ma mémoire est bonne. Et un adolescent très stressé par ce nouveau monde qui s’ouvrait à lui. Sans grand espoir, je passe les tests. Je me rappelle avoir souri de contentement pendant le QCM : oui, je connaissais Raphaël Poirée pour l’avoir vu gagner de nombreuses courses de Biathlon sur Eurosport étant plus jeune ! Surprise, on me sélectionne pour les épreuves finales d’admission. Fierté des parents. Si je m’arrête là, ce sera avec les honneurs. D’autant qu’une épreuve d’anglais, mon point faible, est prévue. L’autre exercice du jour consiste en un oral de motivation. Étonnamment calme, certain d’être recalé en raison de mon jeune âge (une remarque que l’on me fera tout au long de ma jeune carrière et encore aujourd’hui), je passe les tests sans grande pression. La surprise intervient quelques jours plus tard.

Je suis admis. Diantre.

Des codes et des formats

Une nouvelle vie s’ouvre à moi ! Certains oncles me surnomment déjà en riant le « futur Pujadas » de la famille. Les cours commencent. Intensifs sans être insurmontables. Intéressants sans être déterminants. Je me rends vite compte que mes camarades, disons une bonne moitié, savent qu’ils veulent être journalistes depuis plusieurs années. Ils ont fait des stages, ils ont lu le manuel du pigiste, certains sont déjà correspondants locaux dans leur village, d’autres ont déjà la grosse tête. Une promotion somme toute agréable avec le recul. J’y ai rencontré des personnes passionnantes, étonnantes, stimulantes et des abrutis condescendants. A l’image de la vie quoi. Normal. Rassurant. Personne dans ma famille ou dans nos amis proches n’avait mis un pied dans cet univers journalistique. J’ai dû tout apprendre : les codes, les formats, les genres, l’importance du réseau que je n’ai jamais cultivé avec assez de soin et d’envie. Après des débuts difficiles, je me suis fondu dans la masse. Dans les derniers en langues étrangères, dans les meilleurs en sciences humaines.

Rien ne change.

Naïveté salvatrice

Lors du premier stage de fin d’année, dans un journal de la presse quotidienne régionale, j’avais amusé malgré moi mes collègues en commençant mon article par « Bonjour ». Naïveté originelle salvatrice pour la suite. Salvatrice car l’exercice journalistique requiert, selon moi, une remise en question permanente. Un journaliste « rouille » à partir du moment où il a la certitude d’être arrivé au bout de ses capacités. Où il ne doute plus et pense tout savoir, tout connaître, tout maîtriser. Or, comme me l’a dit un jour un scientifique de l’INRA, « la différence entre un chercheur et un journaliste est simple mais fondamentale : vous ne connaissez rien sur tout, alors que nous connaissons tout sur rien ». Façon de décrire leur spécialisation extrême et notre formation généraliste qui pose des problèmes de compréhension mutuelle. Nous participions à une session sur le journalisme scientifique.

A la fin de ce premier été de stage en presse régionale, j’avais pris confiance en moi. En mes capacités de recherches, de compréhension, d’abnégation parfois. Je me rappelle avoir bataillé des jours pour tenter de découvrir l’origine du nom d’un stade de football local. Des heures passées aux archives départementales à éplucher les comptes-rendus jaunis et rébarbatifs de conseils municipaux d’antan. Tout cela pour découvrir, un peu déçu, que le nom provenait tout bonnement d’un mot patois local signifiant « souche » ou « fossé ». Toujours est-il que j’avais acquis les codes et les us du métier. J’ai compris comment aborder les gens. J’ai compris comment flatter les égos des élus et des chefs d’entreprise. J’ai appris à composer avec la police et la gendarmerie pour obtenir les informations de la page « faits divers ». J’ai aimé aller au tribunal pour écrire des comptes-rendus d’audience que je croyais magnifiques. J’ai adoré arpenté les fêtes de village avec mon calepin et mon appareil photo pour rencontrer les « petites gens » et raconter leurs histoires.

J’ai commencé à aimer mon métier.

Et au milieu, des fils et des ondes

A la fin de la deuxième année, je m’étais spécialisé en radio. C’est aujourd’hui encore mon média de prédilection. Quel pied que ce rapport à la fois distant et intime avec l’auditeur. Juste la voix et le tympan. Et au milieu, des fils et des ondes. J’aime le micro, j’aime le pouvoir de la voix. La radio est un média injuste : un bon timbre, un bon ton, un peu de travail et des rencontres essentielles. Voilà ce qu’il faut pour percer. Des intervenants passionnés à l’école. Des rédacteurs en chefs patients, des collègues aux conseils précieux et gratuits lors des premiers stages, des premières piges. Il y a de tout dans ce métier. Le journalisme m’a ouvert des portes inespérées. Voler en hélicoptère, travailler en Corse, interroger des stars, passer en direct, avoir pour collègues de bureau des figures de la profession, être quelqu’un. Notre métier est grisant. Attendre fébrilement un direct avec ses quelques notes griffonnées, respecter le délai, ne pas bafouiller, recevoir les félicitations du rédacteur en chef, fumer une cigarette pour se calmer, ralentir un rythme cardiaque monté à un niveau anormal. Il y a quelque chose qui ressemble à une dépendance, à une drogue.

Et puis vient la troisième année. Nous passons de la découverte à la spécialisation. De la spécialisation à l’émancipation. On se prend en main. On monte des projets. On cherche du travail. On commence à avoir des contrats de travail. Des piges. On gravit fébrilement mais fièrement les escaliers d’une célèbre radio, on le dit à ses amis, à sa mère, à sa grand-mère admirative. Étonnante période où l’on passe par toutes les émotions. Contentement et honte de soi. On se félicite de savoir faire tout Paris en un minimum de temps, Nagra à l’épaule, aisselles en sueur. On regrette d’être obligé d’aller harceler des acheteurs dans un magasin de jouets pour savoir pourquoi, mais oui pourquoi, le catch est la nouvelle mode dans les cours de récré. C’est Le Parisien qui le dit donc c’est vrai « et même si ça fait deux heures que tu demandes à tout le monde et que personne ne confirme, ni les vendeurs, ni les clients, continue de chercher car on veut un reportage là-dessus pour 18h, alors pas de commentaires, tu es en stage je te rappelle ». C’est une qualité primordiale et indispensable de tout jeune journaliste. Apprendre vite.

A acquérir les bons réflexes et à supporter les frustrations.

La bourse, c’est la vie

J’ai eu une chance énorme. Celle de gagner une bourse. La plupart des grandes radios organisent une sorte de concours pour les étudiants en école de journalisme. Celui qui arrive premier se voit offrir un contrat de travail. Un vrai. Un CDD. Trois lettres dont tous les étudiants rêvent. On devient alors une petite star dans son école. Les élèves des promotions suivantes parlent de vous avec respect : « Il a gagné la bourse… » Vous prenez automatiquement du charme et gagnez de l’intérêt. L’école de la vie.

J’ai ainsi pu travailler comme présentateur dans une grande radio. Formidable expérience pour un jeune homme. Je me rappelle que l’un des responsables de la radio de l’époque, juste avant l’oral final de la bourse, m’avait dit : « Vous êtes beaucoup trop jeune, je ne vous aurais jamais sélectionné ». Première carte de presse. Une sorte de Graal que tous les nouveaux journalistes, moi compris, exhibent comme une carte d’agent spécial les premières semaines. Premiers journaux en direct. Premières bourdes amusantes. J’ai continué à apprendre, énormément. Notre métier a cela de formidable qu’il consiste à apprendre, à lire. Le travail d’un présentateur est composé à 70% de lectures de dépêches et d’articles divers et variés (les 30% restants étant partagés entre le travail d’écriture, de hiérarchisation, de discussion avec le coordinateur, de prises de caféine et de nicotine). A la fin d’une journée de travail, on en a appris autant qu’en une journée de cours intensifs.

Salle de classe permanente, petit paradis pour celui qui aime apprendre.

Étonnante gestion des conflits

Je précise que la critique du journalisme qui suit concerne uniquement l’information nationale et, dans une plus grande mesure encore, l’actualité internationale. Selon moi, la presse locale et régionale, si elle a bien d’autres problèmes (de financements notamment) n’est pas soumise aux effets pervers que je vais tenter de décrire modestement. C’est d’ailleurs vers cette presse que je me tourne actuellement pour régler mon conflit intérieur.

Notre profession est en perpétuelle évolution et en remise en question permanente. Il suffit de se rendre une fois aux Assises du journalisme pour le constater. Les sujets de débat sont nombreux : déontologie, objectivité, moyens techniques, droit à l’image, protection des sources, précarité des pigistes, etc…

Je crois que mes premiers problèmes de conscience sont apparus avec les révolutions arabes et en particulier la guerre en Libye. La fuite de Kadhafi est intervenue au mois d’août, tout à la fin de mon premier vrai contrat de travail. La rédaction étant réduite à cette période, vacances obliges, j’ai suivi le dossier avec attention. J’ai vite constaté que l’AFP (Agence France Presse), qui réalise un travail inestimable pour les rédactions, est géopolitiquement orientée. Je suis convaincu que les journalistes qui écrivaient les dépêches sur la Libye sont de braves types qui font leur boulot le plus honnêtement du monde. Mais les faits sont là. Nous, journalistes, lors d’une guerre, nous prenons partie, malgré nous, pour un camp. Kadhafi était le méchant. Les rebelles, les gentils. Or, s’il est vrai que le guide libyen était un personnage repoussant à bien des égards (lire le livre d’Annick Cojean sur les « Amazones » , esclaves sexuelles de Kadhafi), comme l’est Bachar Al Assad aujourd’hui, le faire passer, à peu de choses près, pour le diable en personne me troublait. En face, les rebelles libyens étaient, eux, présentés systématiquement comme des héros de la liberté, des « justes » menacés par un massacre imminent. Je ne nie pas que bon nombre de manifestants aient été de cette trempe là, mais le manichéisme m’ayant toujours repoussé, j’ai douté.

Mensonges par omission

Quand j’observe la Libye d’aujourd’hui, il semble que l’enthousiasme qui a accompagné la chute du natif de Syrte a été un peu rapide. J’ai douté à l’époque comme j’ai douté ensuite sur la Syrie ou sur l’Ukraine. Je me suis étonné que sur bon nombre de sujets, l’Iran, le Vénézuela, nos agences de presse préférées et si peu nombreuses (il y en a trois principales) relatent certains faits et pas d’autres. Cette orientation est subtile, presque imperceptible. L’AFP ne ment pas, techniquement. Mais elle oriente la pensée par la sémantique et en omettant certaines informations. Je me rappelle très bien d’une dépêche évoquant un discours d’Hugo Chavez. Elle mettait en avant « le soutien » de l’ancien président au guide libyen et son énième critique de « l’impérialisme » américain. L’article résumait la pensée du président vénézuélien de manière très caricaturale, presque grossière. J’ai ensuite visionné l’intégralité de son intervention, traduite par un site indépendant. L’information principale était qu’Hugo Chavez proposait un plan de paix, au nom de l’Amérique latine, avec l’accord des autorités libyennes et le soutien du duo Ligue Arabe – Union Africaine. Est-ce notre égocentrisme qui nous a fait considérer cette information comme d’une importance mineure ? La résolution des conflits est-elle de la seule compétence de l’Occident ? Ou y a-t-il une raison d’ordre géopolitique ? Une information chassant l’autre, le plan de paix du président vénézuélien ne fut jamais évoqué sur notre radio.

L’AFP omet et oriente donc. Et les présentateurs radios suivent. L’AFP et ses deux consœurs (Reuters et AP) sont les bibles des présentateurs. Nous donnons à voir à nos auditeurs (car les présentateurs radios sont esclaves des dépêches qui représentent 90% de leurs sources) un monde orienté. Cela ne veut pas dire que cette orientation est mauvaise mais elle ne devrait tout simplement pas exister dans un travail journalistique sérieux.

Autre carence de ce système relayant l’information. La surexposition de certains acteurs. Combien de fois ai-je ri avec mes collègues de l’inquiétude de Ban-Ki Moon ? Le secrétaire général des Nations-Unies s’inquiète de manière perpétuelle. De tel conflit larvé. De telle catastrophe humanitaire à venir. Son émotion est légitime, bien sûr, mais doit-on attendre qu’une agence de presse cite ce haut responsable pour parler d’une situation alarmante ? Et l’information à mettre en avant n’est-elle pas l’inefficacité et le manque de moyens de l’ONU ? Le fait que Ban Ki-Moon s’inquiète perpétuellement sans avoir les moyens d’agir n’est-il pas le plus inquiétant ? A quoi bon relayer systématiquement ses déclarations si sa marge de manœuvre est si faible ?

Combien de fois nous sommes-nous fait la réflexion, avec mes jeunes collègues, qu’il est bizarre voir révoltant que nous traitions un sujet uniquement quand l’AFP le signale ? Avec un dialogue qui ressemble à celui-ci :

- Bruno (le coordinateur), tu as vu les derniers chiffres de l’INSEE sur la démographie européenne ? C’est intéressant car…

- L’AFP en parle ?

- Euh, non mais…

- Laisse tomber.

Le traitement permanent des « sujets AFP » est une facilité professionnelle qui me paraît néfaste. Aujourd’hui, certains grands journaux nationaux ne traitent plus les sujets internationaux que par le biais de dépêches reprises telles quelles. Pour la valeur ajoutée et la vérification des sources, on repassera. Les responsables de cette situation sont multiples : manque de moyens humains et dictature de l’urgence (les fameuses « breaking news ») en premier lieu.

Inconscience inconsciente ?

Le journaliste est un observateur. Au pire, un commentateur. Il ne doit pas être un militant. Ou alors il doit l’assumer et le dire avec clarté à ceux qui le lisent ou l’écoutent. Or, dans les grands médias généralistes, nous nous flattons d’être indépendants et libres. Mais la base même de notre métier est biaisée par le fait que nous ne disposons pas des outils et des sources nécessaires pour assurer un suivi juste et objectif des situations. Partant de ce constat, nous n’avons tout simplement pas les ressources, le recul et la légitimité pour parler de ces sujets. Et pourtant nous en parlons, avec verve et certitude. C’est une des bases du métier apprise à l’école : « même quand vous ne savez pas de quoi vous parlez, donnez l’impression d’être un expert ». Je ne crois pas que cette orientation soit lié à un quelconque complot ou à un choix assumé. Cela à trait, selon moi, à quelque chose d’un ordre inconscient. Personne ne part du principe qu’il est dans le camp du méchant. Nous faisons partie de l’Occident, avec ses codes, ses références, ses intérêts, sa culture, son histoire. Les journalistes occidentaux, dans leur grande majorité, assument et intègrent donc, ce parti pris originel, cette identité initiale. Le travail d’un journaliste devrait donc être avant toute chose, quand il parle d’un sujet international aussi grave qu’une guerre ou qu’un conflit larvé, de s’oublier.

De sortir de lui-même pour appréhender les situations sous un angle neuf, le plus objectif possible.

Le leurre du journalisme-citoyen comme solution

Je précise également que je pense profondément que les journalistes sont d’une importance capitale et irremplaçable. Avec l’émergence et la formidable montée en puissance des réseaux sociaux, on constate que le journalisme-citoyen a le vent en poupe. C’est une bonne chose. Le journalisme institutionnel, traditionnel est extrêmement critiqué (rappelons qu’il s’agît de l’une des professions les plus détestées) et certains se réjouissent de sa disparition à moyen terme. Je pense d’une part, que ce serait une catastrophe et d’autre part, que cela n’arrivera pas. Pour moi, l’information constitue une matière brute, indigeste. Notre travail consiste à la préparer, la cuisiner, pour que les citoyens puissent la consommer et la digérer. Toute la difficulté de notre travail réside en ce point : simplifier, reformuler l’information sans la travestir ou la déformer. C’est un travail délicat et indispensable, qui s’apprend, qui demande du temps et des efforts.

Le journalisme dit « citoyen » doit être un complément et non un substitut à son aîné.

Prostitués de l’intellect

Quand on regarde la presse occidentale et celle des pays arabes ou des pays en voie de développement sur des sujets aussi variés que le conflit israélo-palestinien, la guerre civile en Ukraine ou la guerre en Syrie, les différences sont frappantes et le constat est clair : nous défendons, malgré nous, des intérêts.

« Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

Cette phrase, attribuée à l’ancien rédacteur en chef du New York Times, John Swinton, date de 1880. Je ne suis pas le premier à relever qu’elle est d’une confondante actualité. Ayant travaillé dans un pays arabe, la différence d’approche sur certains sujets géopolitiques est très forte. Je constate cependant, et cela me semble important à relever, que la vision sur l’économie mondiale est en revanche la même chez les élites journalistiques arabes et occidentales. L’ultra-libéralisme me semble avoir de beaux jours devant lui car les vives critiques qu’il rencontre sont l’apanage d’hommes isolés ou de groupes qualifiés, au mieux d’utopistes, de penseurs minoritaires et/ou gauchistes, au pire de complotistes. Cela me déprime d’avoir l’impression (fausse certainement) d’être plus à même de conduire un débat ou une interview sur des sujets de relations internationales que mes éminents collègues des chaînes d’information en continu. Sont-ils ignorants à ce point ? Jouent-ils les candides ? Ont-ils peur ? Sont-ils soumis à des consignes, des pressions ? S’autocensurent-ils ? Cela me déprime également de voir les plus brillants de mes anciens camarades en école de journalisme s’être reconvertis, par dépit ou par choix, dans des domaines aussi variés que passionnants. J’ai l’impression que pour réussir dans le journalisme, il ne faut pas être le plus intelligent ou le plus honnête, mais être celui ou celle qui avalera le plus de couleuvres sans tressaillir.

A l’image du monde d’aujourd’hui, peut-être.

Complotiste !

Et cela m’amène à une conclusion pessimiste. Je l’ai dit plus haut. Je suis un homme curieux. Je m’intéresse à peu près à tout et à tous les avis. Je ne pense pas que la légitimé se gagne par la reconnaissance, par les titres ou par les postes. Cette curiosité m’a amené à lire et à écouter des avis extrêmement variés. Certains m’ont fait peur, d’autres m’ont passionné, d’autres encore m’ont questionné. Mais je constate que, loin de créer une émulation naturelle dans toute société démocratique qui se respecte, la contestation et le questionnement de l’ordre économique et géopolitique établi, rencontrent dans l’immense majorité des cas, une limite insurmontable et insupportable : la délégitimation par l’insulte.

Vous estimez que le néoconservatisme américain est une idéologie dangereuse, potentiellement guerrière ? Vous êtes un complotiste ! Vous êtes impressionné par le travail de Naomi Klein sur le capitalisme du désastre ? Complotiste ! Vous trouvez Michel Collon un peu excessif mais redoutable quand il parle des médias mensonges ? Complotiste ! La version officielle des attentats du 11 septembre vous semble un peu légère et vous estimez que nous sommes en droit de nous poser des questions (et d’inciter à lire l’enquête d’Éric Laurent, par exemple) ? Complotiste ! Vous considérez que le traité euro-atlantique devrait être le principal sujet de discussion actuel tant ses implications à long terme sont lourdes ? Calmez-vous, excentrique !

Et maintenant ?

Que dire ? Que répondre face à des insultes et des qualificatifs si lourds de sens et pourtant si vides de contenus ? Pour l’instant, j’ai la chance de ne pas être trop exposé. Ma jeune carrière m’a amené à conduire ces débats en cercles restreints, avec pour conséquences bénignes, de rares énervements passagers entre collègues. Mais je constate qu’il coûte cher de se poser certaines questions dans cette profession. Or, je ne veux pas choisir de camp. Comme Brassens avec l’oncle Martin et l’oncle Gaston. Je ne veux pas choisir entre un système et des rebelles. J’aimerais juste être dans un monde où le débat est une chose reconnue comme importante et capitale. Il me semble qu’au contraire, nous nous dirigeons vers une société vidée de toute émulation de ce type. Une société uniformisée, aseptisée, manichéenne, où, pour reprendre la métaphore de Naomi Klein sur le capitalisme du désastre, des « zones vertes » officielles et adoubées s’affronteront à des « zones rouges » considérées comme menaçantes et maladives.

Des solutions semblent émerger, les gens s’organisent, une portion de la jeunesse bouge, se mobilise. Mais je ne suis pas sûr que cela suffise. Une partie de cette frange se radicalise et se perd. Une autre s’essouffle et abandonne. Une dernière enfin, résiste et invente de nouveaux modes de pensées, d’échanges, de débats (éducation populaire, mouvements politiques, blogs, etc..). Le journalisme tel qu’il existe aujourd’hui doit écouter les critiques et ne pas s’enfermer dans une posture de victime. Les jeunes journalistes ont leur révolution à conduire. Exiger davantage de moyens humains, trouver de nouvelles sources de financement et d’information, refuser la marchandisation de l’information et assumer leurs positionnements idéologiques. Informer, simplifier, raconter, c’est notre métier, notre chance.

A nous de le faire évoluer sans crainte, ni tabou, pour pouvoir le pratiquer honnêtement et plus sereinement.

Léonard (le prénom a été changé)

Source: http://www.les-crises.fr/invite-les-illusions-perdues-dun-jeune-journaliste-par-leonard/


[2 poids, 2 mesures] Ils sont vraiment énormes chez Mediapart…

Thursday 27 November 2014 at 00:36

Petit point en rapport avec la vision internationale de Mediapart

Je reçois souvent des mails de votre part me disant en gros “Mediapart sur l’Ukraine, c’est plus possible, je résilie mon abonnement !”.

Je trouve ça très dur, car je trouve que Mediapart est clairement parmi ce qui se fait de mieux dans les grands médias sur la dénonciation du pouvoir de la finance (supers billets de Martien Orange, une référence !), du néolibéralisme, des dérives politiques et démocratiques, des problèmes des grands médias, etc.

J’ai entendu une conférence de Plénel cet été sur les dangers qui courent sur la Démocratie, et c’était vraiment très très bien…

MAIS il y a un vrai souci sur l’international, c’est clair…

Exemple de ce we, à la Une de Mediapart :

(fichtre que je n’aime pas toutes ces histoires de listes nominatives de semi-proscrits dans les journaux et ici de propos des années 30…)

J’ai regardé pour info, cette banque historiquement tchèque est quand même la 151e banque russe (fichtre…)

 

Propriété d’un certain Roman Popov :

Bon, ok. Donc si je comprends bien, cette banque a prêté de l’argent au FN.

Je rappelle que les dons étant interdits, le FN devra donc rembourser cet argent…

Et donc Mediapart s’inquiète donc très très fort à cause de “ces millions russes”, qui pourraient constituer une éventuelle “ingérence étrangère dans la vie politique française” – rejoignant ici le fameux “le parti, non seulement de l’anti-Europe, mais de l’anti-France.” de BHL en mai 2014.

L’article précise :

“Un proche conseiller de la présidente du FN confirme lui aussi à Mediapart la signature de ce prêt, d’un taux d’intérêt fixé a 6% “ Si l’on en croit Marine Le Pen, c’est à contrecœur que le Front national s’est tourné vers les banques étrangères. « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté, a-t-elle expliqué, le 23 octobre, à L’Obs. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. » [...] « On a pris des contacts avec beaucoup de banques françaises et européennes, a expliqué Me Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national à Mediapart, fin octobre. C’est niet en France. Ils ne prêteront pas un centime après le rejet des comptes de Nicolas Sarkozy. Nous, on a élargi le cercle. Ce genre de négociations, plus c’est discret mieux c’est. On a pris des contacts avec les plus grosses banques. On a envoyé des lettres, c’est tout. La plupart du temps, on n’a pas de réponse. » [...]  Jean-Luc Schaffhauser a confirmé : [...] « Les banques sont très frileuses pour prêter aux partis politiques, quels qu’ils soient, confie un membre du bureau politique du parti. Ce n’est pas un boycott du Front national, c’est une crainte généralisée. À partir du moment où ce n’est pas un don, ni une subvention, ce qui serait interdit venant d’un État étranger, cela ne me choque pas. »

Notez que rien que cette situation pourrait susciter un intéressant débat sur les moyens de financer les partis ou sur le rôle des banques…

L’info est intéressante, mais si on est cohérent, on doit donc exiger la création d’une obligation de prêt à un parti pour les banques françaises (dans certaines limites à définir).

(PS : non, je ne suis pas là pour défendre du tout le FN que je ne soutiens en rien, ce n’est pas ce point là qui m’intéresse)

Je note ne pas avoir vu d’alerte Mediapart sur le fait que, par exemple, l’UMP – dont nous avons analysé les comptes, qui montrent que cette structure est en fonds propres négatifs depuis sa création, ce qui signifie qu’elle ne survit que par la générosité de prêts bancaires (français, ouf !)

comptes ps ump

Moi, il me semble très gênant qu’un parti politique dépendent du bon vouloir de banques privées pour survivre – étonnez-vous que la droite ne réforme pas le secteur après… Petit problème “d’ingérence” ?

Mais plus largement, cette idée “d’ingérence russe”, “de propagande russe” est quand même grotesque : alors comme ça, Poutine voudrait dépenser de l’argent pour corrompre la politique d’un pays, “acheter des soutiens” et donc il choisit… tadam, le FN !!!! Le parti avec 0 ministres, 2 députés et 2 sénateurs  (sur 900), et un audience médias absolue – TREEEEEMBLE RÉPUBLIIIIIQUE ! C’est d’une logique imparable… (et qu’on ne vienne pas faire croire que le prix d’un Cahuzac ou d’un Thevenoux soit si élevé…)

 

Alors du coup, comme Mediapart s’inquiète fort justement du risque d’influence étrangère sur la politique du pays, je me dis, “mais c’est bizarre, ont-ils enquêté sur l’influence américaine en France – qui me semble un peu plus prégnante que l’influence russe ?”

Alors au hasard, ont-ils enquêté sur les Young Leaders de la French American Fundation (dont nous parlerons bientôt, nous…), “issus de la politique, de la finance, de la presse « à fort potentiel de leadership et appelés à jouer un rôle important dans leur pays et dans les relations franco-américaines » et qui permet donc de développer « des liens durables entre des jeunes professionnels français et américains talentueux et pressentis pour occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays » ?

Ah flute…

Bon, au moins 1 ?

Ah flute…

Bon, c’est dommage, car il avait par exemple :

Bon, n’ayez crainte, on reverra bientôt Alain Juppé, Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez, Jeannette Bougrab à l’UMP…
Bon alors la National Endowment for Democracy ?
 
En abrégé peut être ?

Caramba, encore raté..

Allez, un dernier : le German Marshall Fund ?

Bon, rien en enquête, et en citation on a droit à “un cercle de réflexion” ! Sérieusement ??? Un machin qui s’appelle Fonds ? Qui a un bilan de :

200 millions de dollars ! Et qui dépense tous les ans juste :

37 millions de dollars !!!

Ok, dormez braves gens… Et attention à la propagande russe !!!!!

EDIT : CORRECTION

La recherche google ne semble pas ramener toutes les sorties – mea culpa.

Je l’avais utilisée pour essayer de séparer ce qui relevait des journalistes de ce qui relevait des blogs – très utiles, très riches qui eux d’intéressent à tout ça ; pour eux aussi, il est utile de s’abonner à Médiapart à mon avis.

Via le site, on trouve :

0 articles du journal avec “young leaders” ou “young leader”

5 articles mentionnant la NED dans le journal – mais surtout sur le financement de RSF, sans présentation de ce que c’est, son rôle, etc

2 articles du journal sur German Marshall Fund, présenté comme “un cercle de réflexion” (sic)

Avec mes excuses pour l’erreur – même si cela ne change rien au fond de mon propos..

 

Mais est-ce étonnant ?

Je rappelle certains propos de Mitterrand (qui n’avait QUE les services secrets à son service) sur Edwy Plénel :

« Il faudra tout de même qu’on sache qui est vraiment ce monsieur Plenel. […] Il parlera moins haut quand on saura qu’il travaille pour une puissance étrangère. » [propos de François Mitterrand rapporté par Gérard Colé à Pierre Péan, cité dans La Face cachée du Monde, 2003]

Confirmé par une autre source :

« Plenel ? Il ne m’a pas lâché pendant dix ans et j’ai fini par penser qu’il travaillait lui aussi pour les Américains. » [propos de François Mitterrand rapporté par Pierre Favier, journaliste longtemps accrédité à l'Élysée, La décennie Mitterrand, 1999]

Et une troisième :

Cela rappelle un autre propos de Mitterrand, plus général, sur les journalistes à scoops :

« Il ne faut pas croire qu ‘il y ait des envoyés spéciaux, fins limiers, remarquables journalistes, Rouletabille inlassables, allant chercher l ‘information. Non, ils attendaient à leur bureau où on venait leur apporter des informations.» [Mitterrand, portrait total, Pierre Jouve, 1986]

Je ne veux pas ici diffamer M. Plénel, je n’ai évidemment aucune idée de la véracité ou non de la chose.

Mais on peut aussi faire un lien avec les agissements de la NSA. Si on réfléchit en se mettant à la place des services secrets américains : vous avez accès aux données de la NSA qui espionne, de plus ou moins près, à peu près toutes les personnes avec un peu de pouvoir dans le monde. Donc vous connaissez tous les fraudeurs, tricheurs, adultérins, etc. Qu’en faites-vous ? Vous pouvez tenter de faire pression sur eux si les choses sont graves, mais enfin, cela ne marche pas toujours. Moi, il me semblerait logique d’approcher des journalistes amis, et de leur donner des informations croustillantes qui vont les respectabiliser, les mettre à la une. Même pas besoin d’un deal explicite après : il semble clair qu’ils vont éviter de trop vous critiquer par la suite, surtout quand on est “le phare de la liberté” mondial… Non ?

Bref, en conclusion, et pour répondre aux mails que je reçois donc régulièrement, cela ne me choque pas de continuer à soutenir Mediapart pour tout ce qu’ils apportent. Disons qu’il est assez probable que vous apprendrez ainsi “Tout ce qu’on vous cache et qui ne dérange pas les Américains” – et cela est déjà énorme. Après, il faut juste ne pas avoir trop confiance dans le regard international porté, et de croiser de multiples sources d’informations externes pour la partie “Tout ce qu’on vous cache et qui dérange les Américains”…

Mais bon, ce n’est que mon avis…

Source: http://www.les-crises.fr/fn-ils-sont-vraiment-enormes-chez-mediapart/


[Mémoire] Propagande ordinaire en 1941…

Thursday 27 November 2014 at 00:27

On m’a envoyé cet intéressant ouvrage de propagande collaborationniste de Vichy de juin 1941.

Toute ressemblance etc.

I. — ASPECT GÉNÉRAL DE LA VIE FRANÇAISE

a) ALLOCUTION DE L’AMIRAL DARLAN.

L’Amiral Darlan, vice-Président du Conseil, a adressé le 11 juin, au peuple français, le message radiodiffusé suivant :

Français,

Dans mon précédent message, je vous ai dit que le Maréchal a pris en mains les destinées du pays à l’époque la plus critique de notre histoire.

Prendre le pouvoir dans des circonstances pareilles n’est pas le fait d’un ambitieux, mais bien celui d’un grand patriote.

Nous n’aurons jamais assez de reconnaissance pour notre Chef qui a fait don de sa personne à la France pour la sauver.

Or, sauvée, elle ne l’est pas encore. L’heure n’est pas venue des disputes stériles et des critiques acerbes contre le gouvernement.

L’heure est à la discipline et à l’union.

La défaite engendre toujours le malheur. Et c’est une tradition française de rendre le gouvernement responsable des malheurs du peuple. Nos misères présentes, nous les devons au régime qui nous a conduits à la défaite; c’est lui le responsable, et non le gouvernement du Maréchal qui, héritier d’une situation désastreuse, s’efforce de remédier aux maux dont vous souffrez et d’en réduire la durée.

Il lui faut, pour réussit, du courage, de la ténacité, de l’abnégation et l’appui de la nation. Si la nation ne veut pas comprendre, elle périra.

Nombreux sont ceux qui cherchent à obscurcir l’entendement de la nation.

Comme vous êtes nerveux, inquiets parce que vous êtes malheureux, beaucoup d’entre vous croient tout ce qui se raconte, tout ce qui se chuchote, sans même prendre parfois la peine de réfléchir —
ils tiennent pour des vérités indiscutables ce que leur rabâche tous les jours une radio clandestine ou dissidente payée par une puissance étrangère.

Ils ne se donnent pas la peine de faire le rapprochement pourtant si troublant, entre la propagande gaulliste et la propagande communiste qui, par les mêmes moyens, veulent atteindre le même but: faire naître le désordre dans notre pays, accroître la misère de la population pour empêcher la France de revivre.

Et cela porte à penser que les mots d’ordre auxquels obéissent les chefs communistes, que les subsides qu’ils reçoivent peuvent venir de l’occident de nos frontières.

Français, méfiez-vous et secondez le gouvernement dans sa lourde, dans sa très lourde tâche.

Cette tâche du gouvernement est triple :

Il est bon de vous rappeler que l’armistice n’est pas la paix.

L’armistice est une suspension des hostilités dans des conditions fixées par le vainqueur et Acceptées par le vaincu. Il peut être dénoncé unilatéralement par le vainqueur.

Pour la France, ne pas appliquer loyalement l’armistice et donner, de ce fait, motif au vainqueur de le dénoncer équivaudrait au suicide pour elle, pour son Empire.

Appliquer l’armistice, sans essayer d’en atténuer les conditions, c’est maintenir l’état de choses dont vous souffrez grandement.

L’armistice étant un acte signé par l’Allemagne et par nous, si nous voulons le modifier, il nous faut négocier avec l’Allemagne.

Le Maréchal m’a chargé de cette négociation.

Il en approuve les développements.

Pourquoi, vous dites-vous, les Allemands, qui sont vainqueurs, acceptent-ils de négocier ?

Parce que l’Allemagne qui a le dessein de reconstruire l’Europe, sait qu’elle ne pourra le faire utilement qui si les diverses nations européennes appelées à participer à cette reconstruction le font de leur plein gré. Aussi domine-t-elle sa victoire pour nous permettre de dominer notre défaite.

Sachons donc la dominer et penser à la France de demain.

Croyez-vous par exemple, que l’armée d’occupation accepterait de diminuer ses réquisitions et ses prélèvements, si elle avait le sentiment d’une hostilité persistante de notre part ?

Croyez-vous que nos prisonniers nous seraient rendus par l’Allemagne, si elle avait la sensation qu’en agissant ainsi, elle devrait grossir le nombre de ses ennemis ?

Croyez-vous que nos agriculteurs, chassés de leurs fermes, pourront y retourner, si les Allemands ont l’impression que la France reste l’ennemie héréditaire ?

Ces quelques exemples vous suffiront, je pense, pour vous faire comprendre la nécessité des négociations que, sur l’ordre du Maréchal, je poursuis depuis plusieurs semaines pour améliorer notre situation présente.

C’est la première tâche du gouvernement.

La deuxième est la préparation de la paix.

La situation actuelle est sans précédent dans l’histoire. L’une des puissances avec lesquelles nous devons traiter est en guerre avec une autre puissance et ses troupes en opérations occupent une partie de notre sol. La signature d’une paix définitive demeure chose difficile, tant que les grands problèmes posés par le conflit actuel n’ont pas reçu de solution.

Mais, dès maintenant, et sans attendre la fin des hostilités, le devoir du gouvernement est d’agir de telle sorte que soit créé un climat favorable à l’établissement d’une paix honorable. Ce climat ne peut être créé que si nous dominons notre défaite. Cela veut dire qu’il faut nous appliquer à régler notre conduite sur la raison.

Mettez-vous courageusement en face du réel, ne vous abandonnez pas à des réactions sentimentales, qui n’auraient d’autre résultat que d’élargir encore, à notre seul détriment, le fossé que tant de luttes ont creusé entre deux peuples voisins et que nous devons, de part et d’autre, pour la paix de l’Europe, commencer à combler.

Si ce climat ne pouvait être créé, je craindrais une paix désastreuse pour la France. Cette crainte n’est pas fondée sur une impression, elle l’est sur une certitude.
La troisième tâche du gouvernement est de préparer l’avenir de la France dans la Nouvelle Europe. Cette tâche ne peut être utilement entreprise que si la deuxième est menée à bonne fin.

Si nous n’obtenons pas une paix honorable, si la France amputée de nombreux départements, privée d’importants territoires d’outre-mer, entre dans l’Europe nouvelle diminuée et meurtrie,elle ne se relèvera pas. Nous et nos enfants vivrons dans la misère et dans la haine qui engendre la guerre.

La nouvelle Europe ne vivra pas sans la France placée au rang que son passé,sa civilisation et sa culture lui donnent le droit d’occuper dans la hiérarchie européenne.

Français, ayez le courage de dominer votre défaite. Soyez assurés que l’avenir du pays est intimement lié à celuide l’Europe.

Si, pour vous engager dans la voie que le Maréchal et son gouvernement vous invitent à suivre, il vous faut vaincre des illusions ou consentir des sacrifices, puisez votre force dans la certitude que cette voie est pour notre Patrie la voie unique du salut.

c) LE CHEF DE L’ÉTAT.

Hommage des journalistes professionnels.

Le jeudi 5 juin, s’est tenue à Lyon, une assemblée des journalistes résidant actuellement en zone libre. Ils ont constitué un Comité de défense des journalistes professionnels, dont le siège se trouve 200, rue Paul-Bert, à Lyon (3e).
Au début de leur réunion, ils ont voté l’ordre du jour suivant:

« 136 journalistes professionnels représentant 369 mandats, réunis pour la discussion de leurs intérêts professionnels, conscients de la haute mission qui leur incombe dans la réalisation de la Révolution nationale, décidés à faire tout leur devoir en secondant le gouvernement dans la lourde tâche de redressement national par l’union de tous, autour du chef de l’Etat, qui, trois fois, sauva la Patrie, donnant l’exemple de l’abnégation, assurent le Maréchal Pétain et ses collaborateurs de leur entier dévouement et leur font confiance pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels. »

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-ordinaire-en-1941/


En Occident, le respect de la vérité n’existe plus, par Paul Craig Roberts

Thursday 27 November 2014 at 00:01

Je rappelle que cet économiste et journaliste paléoconservateur américain a été sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan (1981-1982), et est un des pères fondateurs des Reaganomics. Il a également été rédacteur en chef adjoint au Wall Street Journal. Sa vision décape, en général… Sans adhérer à tout, elle permet à chacun d’aiguiser son esprit critique…

Paul Craig Roberts

Paul Craig Roberts

Les médias occidentaux ont prouvé aux yeux de tous qu’ils constituent soit une bande d’idiots ignorants et incompétents, soit une maison de passe qui vend des guerres pour de l’argent.

Les médias occidentaux ont aveuglément suivi Washington et ont accusé la Russie d’avoir abattu l’avion malaisien. Aucune preuve n’a été fournie. A la place, les médias ont répété en boucle la même histoire. Washington a dissimulé la preuve que Kiev était responsable. L’objectif des médias n’était pas la vérité, mais la diabolisation de la Russie.

A présent, nous avons l’histoire médiatique de la colonne de blindés russes qui aurait prétendument franchi la frontière ukrainienne et été détruite par les troupes désorganisées ukrainiennes, des forces que l’EIIL éliminerait en quelques minutes. Les reporters britanniques ont fabriqué cette histoire, à moins qu’elle ne leur ait été servie par un agent de la CIA travaillant à la scénarisation de la guerre. Tout le battage de la peu recommandable BBC autour de cette histoire s’est fait sans la moindre enquête. Les médias allemands, y compris Die Welt, ont beuglé l’histoire à travers l’Allemagne, sans s’inquiéter de l’absence de preuve. L’agence de presse Reuters, également sans enquêter, a relayé l’histoire. Des lecteurs me précisent que la chaîne CNN a diffusé cette fausse histoire 24h/24, 7jours/7. Bien que je ne puisse pas supporter de la regarder, je soupçonne que Fox “news” s’est également jetée sur ce canard boiteux. Des lecteurs me signalent que mon ancien journal, le Wall Street Journal, qui est tombé si bas qu’il en est devenu impossible à lire, a aussi répandu cette fausse information. J’espère qu’ils se trompent. Personne n’aime voir son ancienne maison tomber en ruine.

La version médiatique est grotesque pour plusieurs raisons qui devraient être évidentes aux yeux de toute personne normale.

La première raison est que le gouvernement russe a indiqué clairement que son but est la désescalade. Quand d’autres anciens territoires russes qui font aujourd’hui partie de l’Ukraine ont suivi la Crimée, ont voté leur indépendance et ont demandé la réunification avec la Russie, le président Poutine a refusé. Pour souligner sa volonté d’apaisement, le président Poutine a demandé à la Douma russe d’abroger son autorisation d’intervenir militairement en Ukraine pour le compte des anciennes provinces russes. Comme le gouvernement russe qui, contrairement à Washington ou aux gouvernements de l’UE, met en avant la légalité et l’Etat de droit, les forces militaires russes ne pourraient pas être envoyées en Ukraine avant que la Douma n’accorde à nouveau à Poutine le droit de le faire.

La deuxième raison pour laquelle cette histoire est évidemment fausse est que si le gouvernement russe décidait d’envahir l’Ukraine, la Russie n’enverrait pas un petit groupe de blindés, sans couverture aérienne ou d’autres troupes. Si la Russie envahit l’Ukraine, ce sera avec une puissance capable de terrasser les forces désorganisées ukrainiennes, pour la plupart des milices semi-privées menées par des néonazis. La « guerre » durerait quelques heures, après quoi l’Ukraine tomberait aux mains de la Russie, là où elle se trouvait durant des siècles jusqu’à l’éclatement de l’Union Soviétique et jusqu’aux efforts fructueux de Washington en 1991, qui a profité de la faiblesse russe pour en démembrer les provinces constitutives.

La troisième raison pour laquelle l’histoire est évidemment fausse est qu’aucune des agences de presse occidentales qui se sont enflammées sur cette histoire n’a présenté le moindre début de preuve.

Ce dont témoigne cette histoire montée de toutes pièces, c’est du manque total d’intégrité de l’ensemble des médias occidentaux.

Une histoire totalement dépourvue de preuve a été diffusée dans le monde entier. La Maison-Blanche a diffusé un communiqué mentionnant qu’elle ne pouvait pas confirmer cette information, mais la Maison-Blanche continue néanmoins à lancer des accusations contre la Russie, accusations que la Maison-Blanche ne peut étayer d’aucune preuve. Par conséquent, la répétition par l’Occident de mensonges éhontés s’est transformée en vérité pour un grand nombre de personnes. Comme je l’ai mis en avant dans mes articles, ces mensonges occidentaux sont dangereux, car ils poussent à la guerre.

Le même groupe à Washington et les mêmes « médias » occidentaux racontent des mensonges du même type que ceux qui ont justifié les guerres de Washington en Irak (armes de destruction massive), en Afghanistan (talibans = Al Qaïda), en Syrie (utilisation d’armes chimiques), en Libye (tout un assortiment d’accusations ridicules) et au Pakistan, au Yémen et en Somalie, où l’armée américaine continue ses meurtres à ce jour. La ville sur la colline, la lumière du monde, la maison du peuple exceptionnel et indispensable est la demeure des mensonges de Satan, où la vérité est interdite et où la guerre est la dernière manche.

Mise à jour : Après avoir prétendu que le convoi humanitaire russe contenait des troupes d’invasion dissimulées, le gouvernement-larbin de Kiev a été forcé par les faits d’admettre officiellement que les camions ne contenaient que de l’aide humanitaire pour les populations qu’il bombarde à l’artillerie lourde. http://rt.com/news/180844-ukraine-recognizes-russia-humanitarian-aid/

Source : Paul Craig Roberts, le 17/08/2014

Traduit par les lecteurs du site http://www.les-crises.fr/. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/en-occident-le-respect-de-la-verite-nexiste-plus/


[Reprises] Journalisme made in CIA – Le JSF-Rafale, par Philippe Grasset (2/2)

Wednesday 26 November 2014 at 02:32

Suite du billet précédent sur le journalisme made in CIA

Deux articles du site Dedefensa.org en date du 24 octobre 2014.


Journalisme made in CIA : DIA-PhG, Belgique et JSF-Rafale

Il nous a semblé, à l’une ou l’autre réaction de l’un ou l’autre lecteur, que le récit détaillé de la manipulation de la DIA à l’encontre de PhG mentionnée le 22 octobre 2014 pouvait être de quelque intérêt pour nos lecteurs. Pour cette raison, nous publions par ailleurs, ce même 24 octobre 2014 [lire plus bas] , un extrait conséquent de ce qui est actuellement, – classification accessoire ou par défaut, ou peut-être sans avenir, – la Troisième Partie du Tome III des Mémoires du dehors, dans laquelle est décrite la participation de l’auteur, en tant que journaliste éditeur d’une Lettre d’Analyse indépendante (de defensa & eurostratégie), à la bataille entre la France et les USA, entre 1986 et 1989, pour la participation de la Belgique au développement d’un avion de combat nouveau, dit éventuellement de « quatrième génération et demie ». Il s’agissait de l’avion français Dassault Rafale, que la France offrait en co-développement à la Belgique, et de l’Agile Falcon que General Dynamics offrait en concurrence à la Belgique. (L’Agile Falcon était une version-papier du F-16 qui n’exista jamais et dont il ne fut jamais question dans l’esprit de la direction de General Dynamics qui produisait le F-16 qu’elle existât jamais, qui fut un simple instrument de relations publiques pour contrer l’offre française.)

Ce récit détaillé, qui comprend notamment les situations et certaines évolutions des psychologies des personnages, permet de mieux détailler ce que peut être la bataille de la communication dans cette sorte de marché. D’autre part, la bataille franco-US elle-même pour un Rafale franco-belge est aujourd’hui largement oubliée, si pas complètement ; à cette époque, la France avait des arguments, et l’on pouvait se considérer comme « européen » sans déchoir complètement, et même avec une certaine alacrité. (PhG lui-même affirmait l’être sans penser déchoir dans la servitude bureaucratique et idéologique, c’est dire…) On trouve une autre longue mention de cette affaire du « Rafale en Belgique » de 1986-1989 dans un autre de nos textes qui pourrait être lu par les grands-pères qui participèrent à cet affrontement, aux « jeunes » d’aujourd’hui peuplant les cabinets ministériels, qui ont tout vu et tout compris (texte, le 10 octobre 2009)… Nous en donnons quelques extraits.

Parallèlement, une autre affaire avait démarré, impliquant une coopération sur le Rafale. A propos de la même réunion du GEIP du 28 avril 1986 à Madrid mentionnée plus haut, nous notions, dans de defensa du 10 mai 1986: « À Madrid, les Belges ont annoncé officiellement leurs contacts avec les Français à propos du programme Rafale (éventuel ACE-II). Des délégations industrielles des deux pays vont commencer le travail de négociation dans les prochaines semaines. » Une affaire était lancée, qui allait durer trois années agitées… L’idée était celle d’une participation financière belge dans le programme de développement du Rafale, les Belges attendant des retombées technologiques et des charges de travail. Implicitement, les Belges envisageaient le remplacement rapide de leurs F-16 par le Rafale… […]

Il y eut même un « concurrent » américain, annoncé en avril 1987 et sorti de sa pochette-surprise sous forme d’illustrations et de plans trois-vues en novembre 1987 – une bonne année après l’entrée en lice du Rafale. Le « maître d’œuvre » de ce coup publicitaire était évidemment General Dynamics (constructeur du F-16, racheté par Lockheed en 1992 et donc aujourd’hui partie intégrante de Lockheed Martin avec sa grande usine de Fort-Worth). Il s’agissait de l’Agile Falcon, version du F-16 classique dotée de quelques boulons et fioritures de plus et présentée comme une sorte de « super-F-16 » (le nom de baptême du F-16 est Falcon)… […]

Les Français sont arrivés en ne comprenant pas grand’chose à la Belgique, et ils en repartirent sans en savoir plus. Ils écoutèrent des conseillers intéressés qui leur recommandèrent de traiter cette affaire de la façon la plus discrète possible. Le principal conseiller belge des Français, qui trônait dans un grand établissement financier et bancaire belge et francophone, et en logique cartésienne intéressé d’investir dans le projet de coopération Rafale, était lui-même un ancien chef de cabinet d’un Premier ministre belge flamand, et lui-même, ce conseiller, avec un pied dans des intérêts flamands opposés par intérêt et idéologie à un projet français de cette importance. On aurait pu imaginer qu’il (ce conseiller) avait été placé là, autant pour soutenir que pour bloquer le projet français soutenu à fond par un establishment militaire belge alors très pro-français, voire de culture « gaulliste » (sauf les opérationnels de la Force Aérienne, plutôt de culture western-Hollywood).

Les Français se laissèrent prendre dans les rets de leur(s) conseiller(s) autochtone(s) : « Il faut agir discrètement, en sollicitant les influences souterraines dans les milieux politiques et financiers ». Ils ne comprirent pas l’un des fondements du système belge: il n’y a pas d’argent disponible mais si des mouvements publics y poussent, on en trouvera. Le choix de passer par des canaux souterrains, où il y avait de forts intérêts anti-français soutenus par la puissance financière US (plus efficace que l’Agile Falcon), conduisait effectivement à se heurter à la fin de non-recevoir vertueuse des apparences d’austérité du système belge.

Avec la meilleure foi du monde, la plus grande ingénuité possible, les Français conduisirent une désastreuse campagne de relations publiques. Convaincus par leurs relais belges et discrets d’eux-mêmes rester discrets, ils furent plutôt les « victimes » de la méthode. Ils ne comprirent jamais qu’en rendant le dossier public, ils auraient pu obtenir un soutien médiatique basé sur l’intérêt technologique pour la Belgique d’une coopération, qui aurait poussé le monde politique belge dans ce sens. En trois ans de bataille rangée en Belgique, Dassault organisa [en 1987] une seule tournée de promotions de deux jours (usines de Bordeaux, centre d’essais de Istres, direction parisienne), pour une trentaine de journalistes belges. Dans les deux mois qui suivirent, on décompta plus de 80 articles dans la presse belge, tous à la gloire de la puissance technologique française qui avait stupéfié les journalistes belges. Malgré quelques timides tentatives, aucune visite des infrastructures Dassault ne fut organisée pour les parlementaires belges, à propos de laquelle certains, et non des moins influents, se montraient très intéressés jusqu’à la solliciter par des intermédiaires officieux.

La dialectique était également fautive. La proposition française avait comme fil logique de fournir la base franco-belge à un Rafale transformé en deuxième chasseur européen, selon la logique [du secrétaire d'État à la défense néerlandais] Van Houwellingen. Il fallait donc parler Europe. Un exemple éclairant de la chose : lors de la luxueuse conférence de presse Dassault (Serge Dassault et Bruno Revellin-Falcoz), au Rond-Point des Champs-Elysées, en clôture de la tournée de presse signalée plus haut, pas une seule fois les deux dirigeants français ne prononcèrent le mot « Europe ». […]

… L’année 1989 fut celle de la débâcle du projet franco-belge. Les Français tentèrent d’intéresser l’exécutif wallon (dirigeant la partie francophone du pays). L’affaire aurait pu se faire, comme elle aurait pu se faire plus tôt, avec l’exécutif national (fédéral), avec plus d’alacrité, de volonté, de dynamisme impératif du côté français, et la conscience de chercher à faire un avion étiqueté « européen » plutôt que de vendre un projet français.

En 1989, il était trop tard…

… Au fait, pourquoi nous attarder à une affaire qui paraît si dépassée, par le temps, par les mœurs, par les protagonistes, et surtout par les circonstances politiques et métahistoriques extraordinaires que nous connaissons ? Parce qu’un fantôme est réapparu récemment, ou une sorte de monstre du Loch Ness rescapé d’une autre époque. C’est le retour de la Belgique sur la scène de l’aéronautique de combat avec la projet fabuleux, – au sens qu’on donnait au conte d’antan, pleins de magie et d’enchanteurs, – de remplacer les F-16 belges d’un autre siècle par un nouvel avion, – qui pourrait être idéalement, certes, pour tant d’esprits acquis au Système, le JSF… Mais pas si vite, car l’affaire n’est pas encore conclue.

La Belgique a une longue histoire polémique et significative, dans le domaine des avions de combat, avec des rapports souvent spectaculaires et des marchés extrêmement agités, essentiellement avec les États-Unis et la France comme concurrents. On doit essentiellement songer au « marché du siècle » qui aboutit au choix du F-16 contre le F1-E Mirage français, en 1973-1975 (voir le texte du 2 décembre 2002, qui reprend dans une de ses parties l’historique détaillé de ce marché) ; la bataille entre le Rafale et l’Agile Falcon en 1986-1989, dont nous venons de parler abondamment ci-dessus ; et une prise de position significative contre le JSF, en 2002, lorsque les Hollandais choisirent effectivement le JSF (voir le texte du 15 février 2002).

Or, il se passe que ressurgit aujourd’hui la possibilité d’un nouvel affrontement entre la France et les États-Unis sur le territoire de la Belgique. Un nouveau gouvernement belge (depuis début octobre) se met en place, qui a à son programme, de façon explicite, le remplacement des très vieux F-16 (livrés en 1979-1983) de la Force Aérienne. On parle de ce remplacement depuis deux bonnes années, et le précédent ministre de la défense avait affiché sa préférence impérative pour le JSF américaniste. Il semble désormais acquis qu’il n’y a pas encore de choix réel et qu’il y aura compétition entre plusieurs avions, dont le JSF et le Rafale. (On compte normalement 5 concurrents pour ce marché : outre les deux nommés, l’Eurofighter Typhoon, le SAAB Gripen suédois, le F-18 des USA.) Il existe également la possibilité que les F-16 ne soient pas remplacés et que la Belgique abandonne la composante « de combat » de sa flotte aérienne, mais cela reste une option très marginale, d’autant que les pressions sur la Belgique pour le maintien d’une flotte de combat sont et seront considérables, venues essentiellement de l’OTAN sacro-sainte.

Comme on l’a dit, jusqu’à cet été et depuis deux ans, le choix du JSF semblait être presque acquis. Ce n’est plus le cas avec le nouveau gouvernement, où le ministre de la défense Pieter De Crem, le partisan acharné du JSF, n’est plus à ce poste. Une nouvelle position est apparue, qui émet de graves réserves à propos du JSF et affirme qu’il faut tenir compte des autres concurrents. On trouve cette position dans les déclarations d’un député belge, qui est du parti MR présent dans la nouvelle coalition (le Premier ministre est lui-même MR), déclarations faites le 26 août 2014 pour l’agence Belga…

Le remplacement des F16 qu’envisage la future majorité doit également être analysé du point de vue du retour industriel et en termes d’emploi, estime le député Denis Ducarme (MR). Or, à cet égard, l’offre du F-35 n’ouvre guère de perspective. « Quand j’écoute les déclarations du vice-président de la firme F-35, et que j’entends qu’il n’y a pas de retombées économiques pour un marché comme le marché belge, je dis qu’il faut regarder les offres des autres firmes », a déclaré M. Ducarme au micro de La Première. […]

La Belgique ne s’est pas jointe au programme de fabrication de ce chasseur-bombardier coûteux mené par la société d’armement américaine Lockheed Martin. Les chances du royaume d’attirer sur lui des retombées économiques sont donc minces. Selon M. Ducarme, les offres des concurrents européens du F-35 sont plus intéressantes. « Je pense qu’aujourd’hui, en termes de retour industriel, les offres européennes du point de vue du retour industriel sont plus intéressantes. Je parle ici en milliers d’emplois. Remplacer des F-16, c’est aussi créer de la richesse en Belgique », a-t-il ajouté.

La bataille pour le remplacement du F-16 devrait commencer d’ici la fin de l’année et battre son plein dès 2015, pour durer peut-être jusqu’en 2017. Malgré la petitesse du marché (autour de 40 appareils), ce n’est pas un cas inintéressant, – bien au contraire, dirions-nous, ce pourrait être une affaire fondamentale pour l’aéronautique, pour la situation politique transatlantique, les relations USA-Europe, l’UE, l’OTAN, etc. Cette sorte d’empoignade, ce fut toujours le cas pour la Belgique, et ce pourrait l’être plus que ce ne le fut jamais si les événements y contribuent. Nous développons quelques points qui justifient cette appréciation hypothétique et font que cette affaire de quincaillerie militaire qui semblerait assez mineure pourrait acquérir des dimensions considérables, sinon colossales, où les classifications entre Système et antiSystème, et la situation de « discorde chez l’ennemi » (à l’intérieur du bloc BAO) pourraient y trouver une place.


Mémoires du dehors: DIA-PhG à Bruxelles, 1987-1988

Très récemment, nous avons publié deux articles consacrés à ce que nous nommons « Le journalisme Made-in-CIA », qui concerne les méthodes de la CIA et autres services de renseignement US vis-à-vis des journalistes européens. Les deux textes sont du 20 octobre 2014 et du 22 octobre 2014. Dans le premier des deux textes, Philippe Grasset (PhG) prenait la parole directement au cours du texte, et il la conservait dans le second. Il évoquait ainsi des souvenirs personnels dont le sujet est évidemment celui des rapports entre les journalistes européens et les « services » US, essentiellement avec des rappels de la période de sa propre carrière allant jusqu’en 1985-1988. Dans le premier texte du 20 octobre, on lit notamment :

Ce qui m’intéresse ici est de comparer ces méthodes à celles d’aujourd’hui telles que les rapporte Ulfkotte. Je vais m’abstenir de donner des détails de lieux et de personnes et autres précisions opérationnelles qui nous entraîneraient trop loin. (L’affaire m’ayant alerté à cet égard, il serait logique et devrait être envisagé de mettre en ligne, prochainement, un passage des Mémoires du dehors concernant cette période et ces situations. [Concernant les Mémoires du dehors, deux textes ont déjà été mis en ligne les 5 novembre 2005 et 6 novembre 2006])

Les textes ci-dessous rencontrent la promesse faite ci-dessus. Il s’agit de passages des Mémoires du dehors, selon les termes d’un texte Bloc-Notes mis en page ce même 24 octobre 2014, concernant l’affaire de la tentative de désinformation et de diffamation de la DIA à l’encontre de PhG, où d’ailleurs les questions psychologiques et affectives soulevées par de telles circonstances sont également évoquées. Voici donc deux extraits de la « Troisième Partie du Tome III » des Mémoires du dehors, dans laquelle est décrite la participation de l’auteur, en tant que journaliste éditeur d’une Lettre d’Analyse indépendante (de defensa & eurostratégie), à la bataille entre la France et les USA, entre 1986 et 1989, pour la participation de la Belgique au développement d’un avion de combat nouveau, dit éventuellement de « quatrième génération et demie ». Il s’agissait de l’avion français Dassault « Rafale », que la France offrait en co-développement à la Belgique, et de l’« Agile Falcon » que General Dynamics offrait en concurrence à la Belgique.»

… À propos de ce travail des Mémoires du dehors de Philippe Grasset, qui se poursuit malheureusement de façon très, très épisodique, nous rappelons ce que nous avions indiqué à l’occasion de la publication d’un premier extrait, 5 novembre 2005 :

Précision concernant ces Mémoires du dehors : leur publication est envisagée par l’intermédiaire du site dedefensa.org, d’abord avec vente « en ligne », directement sur le site. Nous devrions commencer cette publication durant la période des douze prochains mois. Nous informerons précisément nos lecteurs de l’avancement du projet de vente en ligne de ces Mémoires. »

Il s’agissait de belles perspectives et de jolies promesses. Aujourd’hui, nous ne savons plus rien à cet égard, si Les Mémoires seront jamais publiées, mises en ligne, etc. Il s’agit d’un problème pendant, énorme dans l’entreprise qu’il implique, qui semble de plus en plus être rangé dans le grenier des beaux projets jamais menés à terme… Rien n’est jamais tout à fait perdu tant que tout n’est pas perdu, et l’on verra bien. Mais, pour l’instant, la perspective est bien incertaine par rapport aux ambitions de 2005-2006 ; en attendant, pourquoi pas des extraits… Voici donc l’extrait des Mémoires du dehors se rapportant à cette affaire PhG-DIA. Dans cet extrait, fait de deux parties détachées du récit suivi, les protagonistes sont désignés par leurs initiales (et l’un par un surnom imité de ses initiales) pour éviter toute gêne par identification formelle.

De la DIA et de PhG à Bruxelles, 1987-1988

… Je rencontrai WS à une réception que donnait, à l’hôtel Sheraton à Bruxelles, la société américaine à laquelle il appartenait, General Dynamics (GD). C’était un jour de 1983, le directeur de GD quittait ses fonctions et je crois que Wes lui succédait, ou bien devenait-il adjoint au nouveau directeur avant d’occuper lui-même ce poste. (Je fais une exception dans ce passage par rapport à ma politique d’utiliser des initiales pour les protagonistes, et je désigne WS du diminutif de prénom de « Wes » qui équivaut phonétiquement aux initiales, pour l’humaniser parce qu’il mérite de l’être, parce que ses initiales y invitent, parce que ce prénom pourrait tout aussi bien être le sien…) Je parlerai de Wes à partir de 1985-86, quand nous commençâmes à nous rencontrer régulièrement, et lui-même à cette époque sans aucun doute devenu directeur de GD Europe, et moi-même qui venais de lancer de defensa & eurostratégie (c’est cette initiative qui nous avait rapproché, puisque je l’avais sollicité pour un abonnement, qu’il prit d’ailleurs et renouvela avec régularité, jusqu’à son départ en 1990). Dès nos premiers contacts s’était établi entre nous ce courant de sympathie si fort, au-delà de toute raison et avant toute connaissance de l’autre, qu’on parle en général d’un sentiment né d’une chimie qui lie deux êtres avant que le sentiment et le jugement n’entérinent ce choix ; c’est une sympathie marquée d’empathie, de même qu’il existe, aussi forte, une antipathie également chimique qui vous oppose presque mécaniquement à un être, avec lequel s’installe avant même de le connaître une détestation qui vient du fond de soi, qu’on définit complètement à tort comme étant « à fleur de peau », où la peau ne joue un rôle que dans la mesure où elle transcrit vers l’extérieur cette hostilité du fond de soi. Bref, aussitôt rencontré Wes était un ami.

C’est un paradoxe, si l’on veut. Il représentait à Bruxelles la société qui fabriquait le F-16 Falcon, qui allait proposer un modèle nouveau de cet avion, l’Agile Falcon, qui serait opposé au français Rafale, l’Agile Falcon contre lequel j’allais suivre une ligne rédactionnelle complètement hostile, et même pas dissimulée derrière les artifices de la fausse objectivité dont se gavent mes confrères journalistes. Cela fut aussitôt conclu : cet antagonisme serait entre nous l’objet d’une plaisanterie constante.

Bien au contraire, d’ailleurs, — cet antagonisme formel que nous dépassions aisément, dont nous nous jouions, était devenu notre gloire dans cette mesure où, justement, nous le méprisions complètement. C’est comme une sorte de cessez-le-feu, d’armistice au cœur d’une guerre ; les soldats ennemis qui fraternisèrent durant la Grande guerre, notamment à la Noël 1914, durent ressentir ce sentiment. Soudain, au cœur d’un engrenage dont vous acceptez l’empire parce qu’il est impossible d’imaginer une autre situation, vous parvenez à vous libérer et faites triompher un instant ce qui est la transcription humaine et terrestre de ces slogans pompeux, particulièrement, si vous voulez, celui qui parle de la « grande fraternité humaine » ; soudain, vous voilà un être dégagé de tout, sans étiquette, sans vanité, sans forfanterie, comme si c’était la nature même. C’est un sentiment d’être « au-dessus de la mêlée », mais sans la sensation de trahir car vous restez attaché à votre camp, à votre engagement sans que ce lien ne vous entrave. C’est bien ce que j’éprouvais avec Wes ; il était « mon Américain », comme je devais être « son Français ». Comme les soldats de 1914, nous triomphions de la guerre qu’on nous imposait. En effet, s’il s’agit de vendre des avions, il s’agit également d’une guerre. Il s’agit aussi, pour notre compte, de rapports humains, cette chimie qui passe entre deux êtres, son visage qui s’éclaire en me voyant arriver, s’esclaffant déjà à la plaisanterie que je n’ai pas faite.

– Sale yankee, disais-je.

– Mangeoire de frogies, répond-il. Quand comprendras-tu que les Carolines ne sont pas aux yankees mais aux sudistes.

– Foutu rebelle, disais-je encore.

Nous allions manger en face du 190 du boulevard du Souverain, cet immense immeuble où General Dynamics avait ses bureaux, cadenassés, électroniquement surveillés et verrouillés, comme une forteresse au dernier étage de cet immeuble massif. Wes avait décidé qu’il payerait à chaque fois, — non pas lui, d’ailleurs, mais, comme il l’appelait à la manière de l’Oncle Sam : « Oncle GD », — c’était oncle GD qui régalait. Nos conventions étaient que nous parlions anglais une fois, français la fois suivante. Ces déjeuners étaient marqués par une gaieté si franche, une complicité à mesure, tout cela sans arrière-pensées, comme quelque chose d’une réelle pureté, qu’ils sont restés dans ma mémoire à l’égal d’une image faite de lumière. Je ne parviens pas à me souvenir d’un de ces déjeuners qui n’ait pas été fait un jour de soleil, ou bien encore, après la pluie, lorsque le soleil perce les nuages et commence à faire évaporer l’eau sur la chaussée. Nous ne faisions jamais ripaille, nous ne buvions pas outre-mesure. Nous ne célébrions rien, nous vivions un moment intense de notre estime réciproque…

[…]

Pour autant, Wes et moi, nous abordions et développions de façon régulière les sujets les plus graves, et même, je dirais, des sujets pesants, où nous n’étions pas du même côté. Cela nous faisait rire, cet antagonisme, je le répète avec insistance tant ce sourire commun paraît la meilleure caractéristique de nos relations, la plus profonde, la plus convaincante. De l’un à l’autre, nous nous suggérions des informations plutôt que nous les dire à haute voix, c’est-à-dire à demi-mot, avec une prudence résistible, et si voyante entre nous que cela était comme si nous transgressions une règle de secret. Nous nous en moquions.

Un jour de la fin de l’automne, ce devait être quelque part vers fin novembre 1987, Wes me dit que je devais mesurer l’influence importante de De defensa, que la Lettre est lue, écoutée, etc., dans une mesure que je n’apprécie pas toujours. Il insiste. Il me rapporte l’anecdote de cette rencontre, le 31 octobre, où il rencontre le directeur de la SONACA, une société belge de construction d’avions qui serait impliquée dans un marché d’avions de combat avec contrats de co-production et de sous-traitance, et qu’il importe de convaincre.

– Je commence à lui vendre ma salade, je lui dis que je lui apporte de nouveaux éléments dans la proposition d’« oncle GD » pour l’Agile Falcon. Il me laisse faire. Puis il m’arrête et il me dit : « C’est bien beau, ce que vous dites, mais je trouve que vous tournez la proposition pour qu’elle semble complètement à mon avantage. Il y a d’autres éléments : regardez ce qu’on écrit là-dessus… » Et il me tend une photocopie de De defensa. Mon vieux, tu as de l’influence, et il arrive que tu m’emmerdes.

– Je fais mon travail, et les déjeuners offerts par oncle GD n’y changeront rien.

– Attends, ce n’est pas fini.

« Quelques jours plus tard, même 2-3 jours plus tard, Dennis Kloske est de passage à Bruxelles. Kloske est un type du Pentagone, il est Under Secretary of Defense for European Affairs, tu vois ? Il s’occupe du marketing de l’Agile pour l’administration, et surtout en Europe bien sûr, et il voyage souvent. Note bien, hein, la vraie raison, c’est la baise. Il a une maîtresse en Allemagne et la moindre occasion est bonne pour y aller, il est fou d’elle. Enfin… Kloske m’interroge, je lui parle de l’affaire de la SONACA, puis j’en viens à parler de De defensa. Il me demande s’il peut lire. Je lui dis que c’est en français et il me réponds, du tac au tac, dans un superbe french, quelque chose de très chic, comme: ‘La langue de Molière ne m’est pas étrangère.’ Il a jeté un coup d’œil et dit ‘fascinating, really‘, puis il a fait faire une photocopie, demandé le prix de l’abonnement et tout le toutim. Mon vieux, je t’ai gagné un abonné ! »

Nous avons fêté cela. J’ai attendu pendant des mois, quand j’y pensais, l’abonnement de Kloske. Je n’ai jamais eu de nouvelle. Au contraire, j’ai eu des nouvelles de Kloske lui-même, me semble-t-il – c’est presque à coup sûr que j’avance cette hypothèse ; d’une manière inattendue, dans des conditions imprévues et qui étaient pour moi imprévisibles… Encore ne réalisai-je la chose, grâce à une déduction que je crois convaincante plus que toute autre preuve soi-disant irréfutable, que plusieurs mois après avoir disposé des éléments qui m’y conduisent. Je recueillis ces éléments lors d’une conversation que j’eus, autour du mois de mai 1988, avec RD, une relation devenue assez proche, dans le groupe de réflexion sur les questions de défense où j’avais été invité quelques années plus tôt, en 1984 ou 1985 je crois… (RD était, par ses fonctions et sa position de colonel de réserve, très proches des milieux de la direction militaire en Belgique.)

(Pour Wes, le mystère demeure, et je n’ai jamais su si ses confidences étaient de pure anecdote amicale et pour annoncer un abonnement hypothétique qui ne changerait pas la face du monde, ou si elle contenait une sorte d’avertissement indirect, dissimulé, fait avec le maximum de précision et de dissimulation à la fois, pour un ami qui se trouvait dans l’autre camp. Wes avait beaucoup roulé sa bosse dans ces milieux où les ventes d’armements ont nécessairement à voir avec l’action du renseignement… Je ne l’ai plus revu, ni plus entendu jamais parler de lui, après son départ de Bruxelles en 1990. Il reste l’ami que j’appréciai tant pendant cinq années, et j’ai gardé dans ma mémoire son visage souriant comme si c’était hier. Ainsi demeurent les armistices établis et respectés par la rencontre de deux êtres singuliers que devraient séparer et opposer ces grands conflits impitoyables et feutrés qui ne cessent jamais.)

[…]

… Le lecteur aura compris, pour autant, que RD est un homme qui mesure ses paroles, roule des yeux méfiants et approche son visage de votre oreille pour parler bas, et il a un ricanement en forme de gloussement lorsque l’on passe aux choses sérieuses (« On pense que…, au Palais… »). C’est le cas, ce jour du printemps 1988 où nous parlons à deux, pour un déjeuner au Club Prince Albert. Il n’est pas question du Palais. RD me parle des menaces qui rôdent et il s’avère bientôt que c’est autour de moi. Il parle à mots couverts comme on n’imagine pas.

RD me dit que des bruits précis courent à mon endroit, et plutôt à mon encontre qu’à mon avantage. « Certains disent que tu es un agent de l’Est », laisse-t-il tomber, sans plus de précision pour l’instant. RD manie la dramatisation comme un théâtreux de province subventionné, comme si elle pesait des tonnes, comme si le poids en fait la chanson. Je ne relève aucune de ces appréciations critiques ; j’avoue que, une fois de plus, je me sens envahi par une paralysie qui est celle de l’angoisse et presque de la culpabilité ; je retrouve cette solitude du chroniqueur indépendant dans ces matières si sensibles qui ne m’a jamais quitté, qui m’accompagne, dans cette partie de ma carrière, comme l’ombre de ma vie.

– Et alors ? dis-je, avec un air de défi qui doit sonner horriblement faux. Ce n’est pas la première fois… (Étrange phrase, défi également, aussi comme si, à elle seule, elle devait m’exonérer de tout soupçon, me blanchir : plus l’on médit à mon encontre, pensai-je, plus éclate le signe de la médisance. Ce n’est pas de cette façon qu’avancent les affaires du monde ; la formule serait plutôt du type « il n’y a pas de fumée sans feu », ou bien encore « Médisez, médisez … » J’ai une candeur assez grande pour ignorer cette implacable logique de la dénonciation.)

– Mais ne t’en fais pas, poursuit RD, nous ne sommes pas d’accord.

La phrase est énigmatique, comme RD en a l’habitude ; cette fois, c’est un peu plus préoccupant. RD s’est arrêté, satisfait de l’effet. Il sait qu’il en a trop dit, ou bien pas assez, c’est au choix, donc que je reste suspendu à ses lèvres. Il fait l’important, il faut lui pardonner. Je ne songe toujours pas à ces subtilités psychologiques. Là-dessus et parce qu’il n’y tient plus, il s’explique et l’affaire s’éclaire.

Les services de renseignement belges, SGR (Services Généraux de Renseignement), dépendant des forces armées, ont reçu un avis dont la provenance est la DIA (Defense Intelligence Agency) américaine, qui a été relayé vers eux par la DST (Défense de la Sécurité du Territoire) française. L’intervention des Français indique qu’ils prennent à leur compte, au moins tacitement, les informations. SGR s’est tourné vers ses contacts. RD a été consulté, RD a consulté le chef d’état-major général, le général Maurice Gysemberg. Ils se sont fait leur religion : l’accusation est infondée. Les Belges ont répondu aux Français, c’est-à-dire aux Américains dans ce cas : « Nous ne sommes pas d’accord. »

Je demande des explications : comment peut-on me soupçonner d’être un agent de l’Est, moi qui n’ai jamais écrit une ligne qui soit procommuniste, qui me suis signalé plutôt, in illo tempore, par des discours très anticommuniste ? Finaud comme il sait être, la finesse souvent sanglée en pataugas de montagne mais cette fois presque transformé par un sourire ironique qui lui donne une légèreté de bon aloi et une qualité d’esprit bienvenu, RD répond :

– Justement…

En un sens, cette finasserie, ce paradoxe grossier, tout cela n’est pas faux. C’est de cette façon que fonctionnent les mondes du renseignement, j’aurai l’occasion d’en avoir plus d’une confirmation. RD reprend, rassurant :

– Ne t’inquiètes pas, nous allons organiser une riposte. Ce qu’il faut, c’est faire savoir indirectement mais d’une façon indiscutable que, pour nous, Grasset est un homme honorable. De ton côté, j’ai pensé à la riposte que tu peux mettre en place. Je te propose de passer dans eurostratégie une interview de JS (initiale bureaucratique du chef d’état-major général dans l’armée belge). J’en ai parlé avec lui, il est d’accord. Ce sera une réponse, tu comprends, un message si tu veux, façon de dire : « J’ai toute la confiance de JS ».

J’acquiesce, bien sûr. (Je parlerai plus loin de eurostratégie qui est venu se greffer sur de defensa.) Une interview du général Maurice Gysemberg paraîtra dans le numéro 13, de mai 1988, de eurostratégie, preuve éclatante dans ces milieux très attentifs aux formes et aux signes convenus de ma complète innocence. Mon innocence ? Allons, y a-t-il eu procès, et de quel droit, sur quels faits ? Je suis choqué et furieux de ces insinuations diverses mais aussi, je l’ai dit, cette solitude terrible, cette angoisse de celui qui est rejeté par la rumeur, tout cela pèse sur moi d’un poids qu’on n’imagine pas. D’une façon générale et une fois passée l’excitation de la pensée d’une telle façon de riposter, qui s’est élaborée comme si je pénétrais dans ce milieu du renseignement qui ne cesse de dispenser sa fascination, la tristesse m’envahit. Je cède aux traits les plus sombres de mon caractère en me disant que je pourrais aussi bien abandonner tout cela, l’article, les commentaires, mes positions politiques, tout le reste. Il y a, de cette façon, dans la vie d’un homme lorsqu’il subit sa solitude plutôt qu’en faire bel et bon usage, des instants d’une intense et affligeante lâcheté, où plus rien, plus aucune dignité n’est là pour vous retenir.

RD n’a cure de ces états d’âme, lui, il insiste. Pratique, il veut savoir si je n’ai pas l’idée d’une piste, d’où viendraient les rumeurs qui seraient parvenues jusqu’à la DIA, puis l’escale en France où l’on se fait « petit commissionnaire », jusqu’au port d’attache de la Belgique. Je cherche avec lui. Nous passons en revue des événements. Je crois que c’est à ce moment que j’ai mon illumination : mais oui, voilà l’abonnement de Dennis Kloske. Tout correspond, le délai est convenable, la DIA est dans le coup et pas la CIA, c’est-à-dire le Pentagone où travaille Kloske. RD abonde dans mon sens :

– Inutile de chercher ailleurs. Nous y sommes. C’est dans leur méthode. Tu les gênes, parce que tu soutiens le Rafale, eh eh…

– Je soutiens un choix européen, dis-je pour rectifier, heureux de rassembler un peu de dignité à bon compte , d’ailleurs n’exprimant rien de moins que la plus stricte vérité. J’essayai de m’expliquer plus avant, parlant quincaillerie, politique, le marché des avions de combat en Belgique. Je me pose en professionnel, vrai enquêteur et journaliste, espérant me débarrasser à ce compte de cet aura d’infamie qui m’a saisi à l’idée de cette rumeur que je ne peux considérer que comme une trahison, – moi, agent de l’Est !

L’argument ne fut guère écouté, encore moins entendu ; moi-même, croyais-je seulement à son efficacité, pouvais-je m’imaginer qu’il serait considéré ? Je ne parle pas de la véracité, qui leur importe fort peu en vérité. Dans cette sorte de situation où l’on vous accuse par rumeurs, cette situation que je commençais à connaître pour l’avoir expérimentée à plus d’une reprise comme l’on sait, ce qui compte est le volume et le ton des grosses voix qui le colportent sourdement, le rythme de la répétition, la conviction impérative de ceux qui transmettent sans savoir, la légitimité usurpée dont ils se parent d’autorité. C’est le domaine de la vox populi réduite aux conversations de salon, le territoire de l’imposture érigée en objet de toutes les attentions et qui vous est présentée comme l’image de la dignité. L’État est un « monstre froid » dit Nietzsche, on comprend dans ces instants comme celui que je décris ce que signifie l’expression. Ce gouvernement américaniste, qui n’a aucune légitimité puisqu’il s’appuie sur la loi qui est une matière manipulable, qui fonde son action sur sa force propre, qui a une morale qu’ils instituent à l’instant où ils frappent, et ses obligés innombrables et payés sonnant et trébuchant sont priés de confirmer la justesse du domaine. Vous êtes sans voix, comme livrés à un monde qui n’a plus de justice transcendante, qui est prêt à vous briser comme un fétu de paille, une fois couvert par une législation qu’il suffit, – rien de plus simple – de faire voter par une assemblée constituée pour la cause.

On ne s’habitue pas. J’ai subi plusieurs épreuves de cette trempe, avec la sensation indicible, pourtant inexpugnable, d’être marqué et désigné à une sorte de vindicte publique, quoique silencieuse, non exprimée mais vigilante. Il y a un sentiment vertigineux de solitude dans cette mise à l’index implicite, que vous êtes, finalement, le seul à connaître et à ressentir. Surtout, dans mon cas, il y avait cette découverte qui fut aussitôt une blessure horrible : la médisance américaine avait transité par la France, par conséquent comme si elle était authentifiée au passage ; et c’étaient les Belges qui avaient mis un terme à cette démarche inexcusable, la Belgique dérisoire et pathétique, à qui l’on ne trouve en général que des vertus médiocres et qui, pourtant, dans cette occasion, avait su faire preuve d’une réelle fermeté de caractère face à des « partenaires » qui l’écrasaient par leur poids… Sur ce point particulier de l’attitude de la France, je fus blessé profondément. Cette déclaration peut sembler exagérément dramatique jusqu’à être déplacée, mais elle est aussi le reflet d’une réalité qui persista et qui, malgré des évolutions et des transformations, persiste pour contribuer à certains sentiments mélangés, au moins à l’encontre des Français plus qu’à l’égard de la France. Je ne reconnaissais pas ce que je croyais être mon pays, selon l’image que je m’en étais faite depuis l’acceptation inconsciente et bientôt pleine de fierté de ma condition de « Français du dehors ». J’éprouvai dans ces circonstances du printemps 1988, contre la France, contre elle, une sourde rancoeur.

Mais la France, enfin, n’avait rien à voir dans ces complications et ces contradictions, m’écriai-je bientôt, – il s’agit des Français. Ainsi tout patriote avisé, en France, se sort-il de situations contradictoires, par la conceptualisation, l’identification, la personnalisation de l’objet abstrait qu’il a choisi comme référence, – alors, bien plus encore pour un « patriote du dehors ». Je repoussai le fameux « Mon pays m’a fait mal » de Robert Brasillach, poème écrit de la prison de Fresnes, avant le poteau d’exécution, cet instant où le politicien fourvoyé est redevenu poète et n’a plus rien à attendre de son séjour terrestre. Emporté par sa colère et sa peine, redevenu pur et par conséquent intransigeant, échappé des contingences terrestres, Brasillach fait bon marché de son pays. Il rompt avec le monde en maudissant ce qui l’a porté jusqu’ici mais dont il oublie que cela porte aussi d’autres hommes, choisissant la rupture ente les mondes de l’ici-bas et de l’au-delà, oubliant que la continuité entre ces mondes est la seule richesse des âmes terrestres promises à l’au-delà, exécutant un dernier acte de pure colère qui n’est pas bon conseiller.

Quant à moi, je m’abstins de cette condamnation radicale. La mesure la plus extrême que je pris fut d’acheter une voiture allemande, une Golf, confirmant ma rupture avec l’enseignement de mon père jusqu’alors respecté, de n’acheter que des voitures françaises pour soutenir l’économie de mon pays comme en un acte patriotique extraordinaire. Depuis, je suis revenu aux voitures françaises, montrant par là que j’ai complètement accepté cette dichotomie entre France et Français. La crise était passée grâce à cet acte ultime qui me gardait désormais de nouveaux déchirements de cette sorte. Ainsi fait-on des différences subtiles, je veux dire qui vous permettent de tenir à distance respectueuse les avatars de l’existence, entre l’ici-bas et l’au-delà, pour permettre à l’au-delà de mieux vous aider ici-bas.

Pour le reste, je reviens ici-bas où le travail ne manque pas. J’étais alors confirmé dans le jugement qu’une offensive puissante continuait à être conduite contre l’Europe, de la part d’organismes américains qu’on pouvait identifier sans hésitation. La DIA représentait le Pentagone. On sait que ce service, et le Pentagone en général, étaient soupçonnés précisément d’avoir déclenché et égrené une chaîne d’événements pendables, des mystères existant autour des Brigadi Rossi d’Italie aux « tueurs du Brabant », en Belgique ; j’en ai déjà parlé, en abondance, sur la place que cela mérite d’ailleurs, dans le premier Tome de ces mémoires. Je crois fermement que cette affaire de 1988, avec Kloske et la DIA, si elle n’a pas de lien direct avec le reste, lui est liée évidemment, dans tous les cas par la logique des enchaînements. Je jugeai complètement extraordinaire que les services français, sachant évidemment que j’étais Français, n’aient pas cherché à s’informer auprès de moi, qu’ils aient accepté l’information de la DIA comme on accepte la parole de l’Évangile. De façon plus générale dans ce constat, et d’une façon qui vaut autant pour aujourd’hui, 16 ans plus tard (le 11 avril 2004), pour le domaine psychologique sans aucun doute, cette révérence pour tout ce qui vient d’Amérique subsiste. N’y échappent que des exceptions, notamment une partie des services de renseignement français (certains à la la DGSE, certes pas à la DST) qui entretient un sarcasme vigilant pour l’utilisation intensive des technologies que font les Américains, leurs manières de cow boys, leur inculture, leur désintérêt étonnant à force d’ignorance et d’indifférence pour tout ce qui leur est extérieur…


Sources : articles du site Dedefensa.org en date du 24 octobre 2014 :

Source: http://www.les-crises.fr/reprises-journalisme-made-in-cia/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade)

Wednesday 26 November 2014 at 00:57

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : Le coup de sang de Delamarche: 1% de la population n’est pas l’ensemble de la population – 24/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): Comment la politique monétaire des banques centrales agit-elle sur le marché ? – 24/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): Faut-il s’inquiéter de la deuxième estimation du PIB américain ? – 24/11

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Guerre des monnaies, la BCE n’a qu’un “opinel” – 19/11

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 21/11

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Cac 40: le rallye de fin d’année aura-t-il lieu en Europe ? – 19/11

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Peut-on profiter du retour en récession du Japon ? – 19/11


 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi, ou les sites Soyons sérieux et Urtikan.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-26-11-2014/


[Reprise] Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier, par Philippe Grasset (1/2)

Tuesday 25 November 2014 at 12:40

Une belle série de Dédefensa

Par manque de temps, chez eux comme ici, les extraits en anglais n’ont pas été traduits. Pour les non anglophones (outre la facilité à utiliser Google Traduction pour avoir une bonne idée du propos), sachez cependant qu’on comprend très bien le billet sans les lire… Bref, on fait comme on peut…

Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier

Au tout début octobre, le livre Journalistes achetés de Udo Ulfkotte, ancien journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (la prestigieuse FAZ de Francfort), s’est aussitôt présenté comme un best-seller. A côté de cela, la presse allemande pour l’essentiel a conservé une discrétion, voire un mutisme significatif à l’égard de ce livre. Le succès de Ulfkotte-auteur en est d’autant plus remarquable, sinon très significatif du divorce chaque jour confirmé entre les populations et opinions publique d’une part, les élites-Systèmes et la presse-Système d’autre part.

Le 3 octobre 2014, le site Russia Insider (RI) consacrait un premier article à Ulfkotte et à son livre. On y lisait notamment ceci, qui marquait non pas la thèse de l’auteur, mais son constat née d’une expérience à la fois professionnelle et personnelle. «Members of the German media are paid by the CIA in return for spinning the news in a way that supports US interests, and some German outlets are nothing more than PR appendages of NATO, according to a new book by Udo Ulfkotte, a former editor of Frankfurter Allgemeine Zeitung, one of Germany’s largest newspapers. Ulfkotte is a serious mainstream journalist. Here he is on Germany’s leading political talk show a couple of years ago. The book is a sensation in Germany, [seventh] on the bestseller list. Its political dynamite, coming on the heels of German outrage of NSA tapping of their phones. [ ...]

»Here at Russia Insider, it has long been apparent to us that there is something distinctly odd about the German media regarding Russia. We follow it, and it is much more strident than even the anglo-saxon media regarding Russia, while German public opinion is much more positive towards Russia than in other countries. Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic. This is what one would expect if there was some financial influence ginning the system.»

Le 17 octobre 2014, IR poursuivait et approfondissait l’affaire en publiant une interview très approfondie de Ulfkotte. On y lisait notamment ceci, avec des précisions sélectionnées de l’interview (qui est plus loin, dans l’article de IR, présenté dans son intégralité)… «In his latest interview, Ulfkotte alleges that some media are nothing more than propaganda outlets of political parties, secret services, international think tanks and high finance entities. Repenting for collaborating with various agencies and organisations to manipulate the news, Ulkotte laments, “I’m ashamed I was part of it. Unfortunately I cannot reverse this.” Some highlights from the interview:

»“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service.” [...] “Most journalists from respected and big media organisations are closely connected to the German Marshall Fund, the Atlantik-Brücke or other so-called transatlantic organisations…once you’re connected, you make friends with selected Americans. You think they are your friends and you start cooperating. They work on your ego, make you feel like you’re important. And one day one of them will ask you ‘Will you do me this favor’…” [...] “When I told the Frankfurter Allgemeine that I would publish the book, their lawyers sent me a letter threatening with all legal consequences if I would publish any names or secrets – but I don’t mind.” [...] [The FAZ] hasn’t sued me. They know that I have evidence on everything.” [...] “No German mainstream journalist is allowed to report about [my] book. Otherwise he or she will be sacked. So we have a bestseller now that no German journalist is allowed to write or talk about.”»

Le 18 octobre 2014, Russia Today (RT) reprenait l’affaire et en donnait son compte-rendu, à partir de l’interview de IR et après une première interview (de RT) de Ulfkotte. On retient ici un passage très spécifique, qui est symbolique de l’intérêt analytique que nous portons à cette affaire … «“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service,” Ulfkotte told Russia Insider. He made similar comments to RT in an exclusive interview at the beginning of October. “One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name,” Ulfkotte told RT. “That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Deux passages précisément sont à citer à nouveau, pour orienter et développer le commentaire… Celui où il est dit que la pénétration du milieu journalistique allemand est tel que le résultat obtenu est souvent bizarre, presque comique à force d’excès (cela, qu’on ressent sans aucun doute dans la façon complètement désordonnée, chaotique même si antirusse, rocambolesque et presque comique dont la crise ukrainienne est couverte..) : «Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic.» Le second passage concerne les circonstances précises, extrêmement détaillées pour un article précis (celui où il est dit que Kadhafi fait développer une usine de production de gaz mortel), aboutissant à une nouvelle inventée de toutes pièces qui fut largement reprise dans le monde entier :

«One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name… That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Ces divers détails donné par Ulfkotte ont inspiré à notre vénérable ancien Philippe Grasset quelques réflexions sur la façon dont la pénétration des milieux journalistiques européens se fait aujourd’hui par la CIA, ou plutôt par le système de l’américanisme, par rapport à la façon du temps de la Guerre froide. Cette comparaison est extrêmement éclairante, en nous donnant des indications précises sur l’évolution des méthodes américanistes, sur leur efficacité, sur ce que cette évolution nous dit de l’évolution de la politique US elle-même, par conséquent de sa transmutation en politique-Système. C’est donc à la première personne, PhG figurant comme témoin principal, que le reste de ce commentaire sera rédigé.

PhG et les “années-CIA” 1970-1990…

Je prends la plume à ce point en tant que journaliste déjà largement impliqué dans le travail de la politique extérieure et de sécurité nationale, à partir de 1973-1974 à Bruxelles, qui était déjà et qui reste, avec Washington, pour ce qui deviendrait le bloc BAO, l’un des deux centres de l’information pour ces matières avec la présence de l’OTAN et de l’UE. Auparavant (étant journaliste en Belgique, à Liège depuis 1967), j’étais peu “sorti” vers Bruxelles, pour établir un réseau de contacts et suivre l’information sur place, cantonné à un travail de rédaction sur dépêches de nouvelles venues de l’extérieur, – mais déjà, dès l’origine, sur ces mêmes matières de politique extérieure et de sécurité nationale. A partir de 1976-1977 (“seconde Guerre froide”) et jusqu’en 1989-1991 (chute de l’URSS/du communisme) l’activité de politique extérieure et de sécurité nationale essentiellement sur la question des relations avec l’URSS, et donc l’activité de communication à cet égard, furent particulièrement intenses, souvent polémiques, extrêmement “chaudes” en un mot.

Je vais surtout parler de la Belgique, mais en un lieu (Bruxelles) où des journalistes internationaux, surtout européens, se trouvaient déjà souvent présents en grand nombre, et donc avec à l’esprit que les méthodes de pénétration et de manipulation de l’américanisme en Belgique sur ces matières devaient se trouver assez proches de celles qui étaient utilisées dans les pays de l’OTAN avoisinants notamment (Hollande, Luxembourg, Italie, Allemagne, France, etc., en mettant UK à part pour des raisons évidentes, – pour ne pas mélanger une succursale à ciel ouvert avec des entreprises apparemment indépendantes…) (D’après ce que j’ai pu en savoir de source très sûre, le contingent des agents de renseignement, des agents traitants et des correspondants dépendant de la CIA à Bruxelles, atteignit jusqu’à 800 personnes à l’extrême de leurs effectifs dans cette période de tension, soit le double du personnel du SGR et de la Sûreté de l’État réunis, les deux services belges de renseignement et de contre-espionnage.) Je vais exposer les méthodes US en précisant que j’en fus non seulement le témoin direct, mais à plusieurs reprises la cible directe, – inconsciente et régulièrement ratée, – notamment en tant que principal journaliste spécialisé dans les questions de politique extérieure/de sécurité nationale du deuxième quotidien francophone de Belgique (de 1967 à 1985 à La Meuse-La Lanterne, 197 000 exemplaires en 1970-1972), collaborateur de l’hebdomadaire L’Evénement de 1980 à 1984, éditeur des Lettres d’Analyse Definter (1978-1980) et dedefensa & eurostratégie (1985-2012).

Ce qui m’intéresse ici est de comparer ces méthodes à celles d’aujourd’hui telles que les rapporte Ulfkotte. Je vais m’abstenir de donner des détails de lieux et de personnes et autres précisions opérationnelles qui nous entraîneraient trop loin. (L’affaire m’ayant alerté à cet égard, il serait logique et devrait être envisagé de mettre en ligne, prochainement, un passage des Mémoires du dehors concernant cette période et ces situations. [Concernant les Mémoires du dehors, deux textes ont déjà été mis en ligne les 5 novembre 2005 et 6 novembre 2006.])

Dans la période considérée, l’“approche” des journalistes par les “services US” se faisait de manière très classique et très soft, par des moyens initiaux tels que les décrit Ulfkotte (voyages, séminaires, réunions, etc.), mais d’une manière beaucoup plus policée et habile. En fait, au départ, il s’agissait d’un pur travail, normal et courant, de relations publiques et de relations avec la presse professionnelle, où intervenaient essentiellement sinon exclusivement les services adéquats US, dépendant du département d’État, essentiellement USIS (US Information Service), ou dépendant du département de la défense (services d’information des forces). La présence de la CIA ou d’autres services de renseignement, malgré l’énormité de leurs effectifs, était proscrite, même dissimulée, et restait absolument clandestine. Il existait à cet égard une rigoureuse surveillance et une jalousie bureaucratique extrêmement ferme des services impliqués, et USIS n’aimait guère coopérer avec la CIA. La seule fois où j’ai rencontré un officier de la CIA sous sa couverture d’“attaché culturel” (je n’ai su qu’après la rencontre que l’“attaché culturel” était la couverture du chef d’antenne de la CIA) l’a été par l’intermédiaire du chef de USIS à Bruxelles, Jim Hogan, lors d’un déjeuner suscité par Hogan à la demande de l’“attaché culturel”, en présence et sous le contrôle de Hogan, et aucune suite ne fut donnée ni aucune tentative effectuée par la CIA à mon égard. En fait, la CIA travaillait de manière très isolée dans les ambassades, et les antennes locales étaient elles-mêmes le plus souvent ignorées du centre de Langley. J’ai eu souvent des échos précis de la part de sources officielles non-US de la frustration des officiers de la CIA en poste à Bruxelles, devant le désintérêt que la centrale de Langley portait à leurs activités. (De façon très symptomatique de l’esprit de l’américanisme, la même tension existait entre le Pentagone et le commandant en chef suprême [un officier général US] de l’OTAN, le SACEUR, “exilé” en Europe, sur des terres lointaines, hostiles et inconnues…) Enfin et pour résumer, la CIA travaillait sur ses informations propres, sans guère de coopération de USIS et largement ostracisée au sein de l’ambassade.

Les opérations de tentative de recrutement étaient donc extrêmement discrètes et d’une forme très passive, et j’ai pu évoluer pendant des années, en tant que journaliste, dans les diverses manifestations classiques de relations publiques US avec la presse sans avoir le moindre signe qui ressemblât à une pression ou une offre quelconque. Il semble plutôt que la méthode US à cet égard, à cette époque en Europe, était fondée sur une méthodologie d’une suffisance extraordinaire : les journalistes non-US seraient nécessairement impressionnés, fascinés et conquis par ces manifestations de communication US, et demanderaient eux-mêmes à “travailler” avec et pour les USA, sous une forme ou l’autre de coopération, – moment à partir duquel des aspects de rémunération ou autres, sous forme de “privilèges” divers, pouvaient être envisagés mais pas nécessairement… Néanmoins, cette attitude était limitée dans le temps : si le journaliste restait ce qu’il était à l’origine, s’il ne demandait pas à coopérer d’une façon ou l’autre, s’il n’effectuait pas une évolution éditoriale satisfaisante et s’il évoluait au contraire d’une façon indépendante, éventuellement en se montrant critique (plus critique) des USA, il devenait suspect et la rupture devenait inévitable. Ainsi, en mars 1985, à une époque cruciale pour moi (je quittais mon poste dans le quotidien La Meuse-La Lanterne et m’apprêtait à lancer dd&e) mon avocat, Me Aronstein, me déclara : «J’ai demandé à mes contacts à la Sûreté [de l’État] s’ils avaient un dossier sur vous. Ils m’ont dit ce que les Américains pensaient de vous. Pour la CIA, vous êtes un agent du KGB. Pour le State Department, vous êtes un naïf.» (“Agent du KGB” puisque je n’étais pas devenu agent de la CIA, “naïf” puisque je n’avais pas demandé tel ou tel avantage, telle ou telle voie de coopération, – bref, “agent du KGB” et “naïf“ parce que je semblais décidément n’avoir pas compris l’avantage incomparable de coopérer de façon volontaire avec les USA.)

Dans cette logique de “recrutement d’influence” qui était en fait une approche très soft et assez habile, mais aussi avec cette suffisance qui conduit parfois sinon souvent à des déconvenues de taille, une approche fondée au fond sur les principes de la libre-entreprise et de l’exceptionnalisme américaniste, – la “loi du marché” vous amènera un jour ou l’autre à vous tourner vers le meilleur, c’est-à-dire les USA, – l’idée qu’on put suggérer sinon presser un journaliste même coopérant de publier un article rédigé par tel ou tel service US (la CIA ou USIS) sous sa propre signature était insensée. Il y avait même certaines réticences du côté US (USIS, certes) à ce qu’on reprenne sous leur forme originale, – en tout bien tout honneur, simplement pour l’information contenue, – des articles contenus dans des publications officielles, d’un auteur académique, d’un expert, etc. Ce qui était attendu, c’était vraiment que le journaliste passé “sous influence” se transmutât lui-même en porte-voix de l’américanisme, et produisît, avec son talent, avec son style, avec ses informations, des textes allant dans ce sens, – bref qu’il agît en toute liberté, comme La Boétie décrivait La servitude volontaire.

C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” La seule vertu qui survécut intacte alors dans mon jugement sur les activités US une fois que se fut affirmé complètement mon anti-américanisme, c’était leur brio dans les relations publiques, pour ne par faire sentir une trop grande contrainte sur les personnes visées ; et un brio qui était même décoré par une certaine référence au professionnalisme et à l’indépendance de la presse US (on pouvait alors y croire encore), ce qui revenait à vous dire effectivement que c’est en toute indépendance que vous en viendriez à coopérer avec les USA (La Boétie, toujours) … Quand je rapproche cela de l’esprit du “marché libre”, de l’absence d’“interventionnisme”, du “statisme”, je crois ne pas être trop loin de la vérité. La limite est que cela doit aboutir à un moment ou à un autre, sinon, si vous ne vous décidez pas, si le point de non-retour est dépassé sans que rien ne se soit passé, si enfin vous ne comprenez pas le diktat du “marché libre” (ou du Système), le masque tombe brutalement et vous voilà devenu “un mauvais”, un “bad guy”, un agent du KGB, un demeuré… (Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.)

La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte («Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic»), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.

Ce phénomène de l’information sous influence grossière, sous manipulation brutale, transmet sa vulnérabilité et sa fragilité à ceux qui s’appuient sur lui pour renforcer leur action, ce qui conduit au contraire à fragiliser cette action. Le paysage d’aujourd’hui, au contraire de celui d’hier qui était rationnellement et assez habilement contrôlé, est la transcription dans le monde de l’influence de l’hyper-désordre qui caractérise la vérité de notre monde. Les effets vont des nouvelles “comiquement apocalyptiques” sur la Russie au passage à l’antiSystème de “lanceurs d’alerte” journalistique type-Ulfkotte. La surpuissance est continuellement grosse de son autodestruction.

PhG

Source : DeDefensa.org


Suite : le journalisme made in CIA… (II)

Comme un brave pèlerin ployant sous le poids des ans au vu de cette carrière caractérisée au moins par sa longueur, je reprends la plume … Quelques précisions de plus parce que le sujet m’apparaît absolument vital, dans notre milieu et selon nos activités, parce qu’il s’agit du système de la communication qui est aujourd’hui la première force déterminante de la politique, parce que nous sommes dans cette époque extraordinaire où nous ne pouvons pas ne pas nous engager. Cette suite fait elle-même suite à la réaction d’un de nos lecteurs et amis, par ailleurs présents parmi les rares intervenants d’Ouverture libre, Jean-Paul Baquiast, sous le titre «Quid de la presse US que nous pensons non-alignée?», ce 21 octobre 2014, en commentaire du texte sur “le journalisme Made in CIA” du 20 octobre 2014, qui trouve ici son complément.

«Je pense à divers journaux que vous citez souvent vous-même, comme WSWS auquel je me réfère fréquemment. Sont-ils des faux nez de la CIA et autres?

»Je pense aussi aux sites “alternatifs” auxquels là aussi nous nous référons souvent, ZeroHedge ou The Saker. Je ne vois pas comment, en suivant l’analyse que vous faites, ils pourraient survivre sans être manipulés, ne fut-ce que dans la fonction de contestation-système officielle.

»Je pense qu’avec votre expérience, vous devriez donner votre avis sur ces points…»

Je vais me permettre de répondre indirectement parce que je ne distingue pas vraiment ce qui, dans mes propos, pourrait faire croire que cette presse alternative US soit plus manipulé que d’autres par la CIA, tout comme toutes les autres presses alternatives d’ailleurs… Donc, je réponds indirectement, en précisant mon propos, et vous verrez que ma conclusion tend à l’inverse de ce que craint notre intervenant JPB.

D’abord, les dates sont claires … J’ai bien écrit qu’à partir de 1985, année où j’ai lancé dd&e, ancêtre de dedefensa.org, les US avaient coupé les ponts avec moi, de leur propre initiative d’ailleurs. («Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.») Cela fait que la période dont j’ai parlé est bien une période où n’existait pas la presse alternative que l’on connaît aujourd’hui, où n’importe qui peut monter un blog pour une somme abordable, et jeter ses commentaires à la face du monde. Avant, à part l’exception de la “Lettre d’information” (d’“Analyse”), très peu coûteuse à produire mais extrêmement difficile à imposer par la notoriété, ce qui se passe aujourd’hui était impossible … Trop cher, trop dépendant d’un financier, de la publicité, ou bien d’un carnet d’abonné qu’il fallait des années, voire des décennies pour constituer. Ce que je décris des procédés US d’influence et de recrutement porte donc sur la période où la presse “alternative” dont parle JPB n’existait pas et ne pouvait économiquement pas exister.

D’autre part, le climat politique était extrêmement nuancé, beaucoup plus divers qu’il n’est aujourd’hui. Du côté de l’Ouest, il y avait les “libéraux” (politiques), partisans d’un rapprochement avec l’URSS et du “convergisme” (les deux régimes, Est et Ouest, devant finir par se confondre), il y avait les “réalistes” ou “détentistes”, partisans de la détente passant par l’intensification des échanges commerciaux et culturels entre Est et Ouest, et puis toutes les factions des durs, des “faucons”, etc., impitoyablement antisoviétiques. Cela faisait des nuances considérables qui permettaient à un journaliste passé sous l’influence US d’évoluer sans à-coups, habilement, sans qu’on puisse identifier cette influence. Les faux-nez de la CIA, ou d’USIS pour les cas envisagés, pouvaient apparaître avec un superbe profil grec semblant tout à fait naturel. Même chose d’ailleurs, selon les “faucons”, des agents d’influence du KGB, qu’il était très difficile d’identifier, – comme voulut le montrer le roman à clef L’Iceberg (traduction très libre de The Spike), écrit par Arnaud de Borchgrave et Robert Moss. Ce livre, publié en 1980, constitua l’archétype anglo-saxon de la dénonciation des manœuvres de retournement du KGB. (Vladimir Volkoff publiait en France, avec infiniment plus de nuances, des ouvrages sur le même thème, comme Le retournement.) Ce que je veux dire par ces divers rappels, c’est que la situation de la communication était alors infiniment complexe et nuancée, et elle ne le fut jamais plus que dans les années 1980, entre les tensions de la crise des euromissiles jusqu’en 1983 et le gorbatchévisme à partir de 1985, où s’activaient, à côté des faucons antisoviétiques un formidable parti pacifiste et détentiste, tandis qu’on retrouvait les mêmes nuances considérables à l’Est et en URSS.

Je me souviens fort bien de cette atmosphère des années 1980, incertaine, insaisissable, pleine de tensions dramatiques mais aussi d’espoirs enthousiastes, avec des failles béantes entre alliés de l’Ouest (bloc BAO) dans les rapports avec l’URSS. A cette époque, tout le monde soupçonnait tout le monde dans tous les sens, justement à cause de cette confusion dont les services de renseignement et d’influence usaient avec habileté, alors qu’eux-mêmes (ces SR) étaient soumis à des différences de tendance qui se marquaient dans des actes concrets. Dans ce climat, les manœuvres étaient faciles, même sans construction élaborée. Je me rappelle avoir été l’objet, en 1988 cette fois [1], d’un soupçon non plus passif mais activement diffusé dans les milieux de sécurité nationale et de communication à Bruxelles, d’être un agent du KGB. Un ami, colonel belge de réserve m’en avait averti, lui-même alerté par le SGR (renseignement belge). Il m’avait précisé que l’“information” venait de la DIA et non de la CIA et avait transité par la DST française avant d’arriver au SGR. Je lui avais demandé sur quelle base reposait cette accusation puisque je n’avais jamais rien écrit de procommuniste ou approchant ; mon ami répondit, avec un sourire ironique : «Justement…», ce qui donnait une mesure de la paranoïa dont bénéficiaient les instigateurs du canard, ma non-activité prosoviétique étant la preuve a contrario de mon rôle d’“agent dormant” … Finalement le SGR rejeta l’accusation selon la conclusion et la décision de l’état-major général (belge), et cet état-major général qui me considérait comme un complet indépendant voulut faire connaître sa position publiquement, dans les milieux concernés, en me proposant une interview du chef d’état-major général, le général Gysemberg, pour ma publication. Cela devait constituer, selon les codes en vigueur, le signe indubitable de cette position de confiance. J’acceptai, certes, pour me débarrasser de ce canard qui pouvait me faire un tort considérable du point de vue de mon statut d’indépendant. Pour le reste, le coup fut aisé à démonter, notamment par des recoupements extrêmement précis et selon des identifications de personnes, de lieux et de dates, qui étaient impliquées dans l’affaire qu’on signale ci-après : à cette époque, la France proposait une coopération Rafale à la Belgique, que je soutenais à fond, et le Pentagone tentait de contrer l’offre avec un projet F-16 Agile Falcon ; comme le coup venait de la DIA, le SR du Pentagone, concluez… Quant à la DST, d’une stupidité sans bornes (et d’ailleurs en désaccord avec la DGSE), elle avait relayé le canard sans en chercher plus loin les causes possibles… Voilà comment était le climat, et vous comprendrez que, dans ces conditions, tout pouvait être imaginé de tout le monde dans la sphère de la communication, sans que rien ne soit tranché. C’était bien une époque où, non seulement il était difficile d’identifier les faux-nez de la CIA, mais où, et c’est la remarque essentielle pour mon propos, cette difficulté pouvait causer des problèmes sérieux si l’on suivait les commentaires et informations d’une source-faux-nez mais non identifiée comme telle ; parce que les nuances infinies des informations pouvaient conduire à de telles erreurs de parcours…

Aujourd’hui, la situation est complètement différente, radicalement modifiée, et elle est à mon avis bien meilleure du point de vue des journalistes, commentateurs, chroniqueurs, notamment et essentiellement pour nous les indépendants et les antiSystème. Je vais énoncer quelques points en faveur de cette appréciation.

• D’abord, l’aspect économique, déjà vu plus haut. Il n’est besoin d’aucun soutien suspect (sponsor, publicité) pour exister dans le système de la communication. Les soutiens par abonnements, et surtout par donation des lecteurs, existent et ils peuvent permettre à un site de lui-même exister, vivre et faire son travail. Nous, à dedefensa.org, nous en savons quelque chose : nous pratiquons la chose depuis l’origine et pratiquement depuis 2008-2009 et l’intégration dans dedefensa.org de la Lettre d’Analyse dd&e devenue dde.crisis (cessation de parution en avril 2012 en tant que telle), nous vivons uniquement grâce aux donations de nos lecteurs, – parfaite et superbe garantie de notre indépendance. La vie n’est pas toujours facile, elle est même souvent angoissante, mais elle se poursuit, – et pourvu que ça dure, hein… Dans la période précédente (jusqu’aux années 1990), une telle situation était impensable parce que vous ne pouviez raisonnablement pas espérer publier (publication-papier, avec tirage imprimerie, distribution, etc.) avec les seules donations de lecteurs, – à moins, encore une fois, du cas d’exception des “Lettres d’information” et d’analyse (abonnements) qui constituaient un coup de dès incroyablement incertain, – et qui demandaient, de toutes les façons, une infrastructure technique et commerciale conséquente.

• Ensuite la situation institutionnelle. Ma religion est faite depuis 9/11, selon le principe imité en l’inversant de la formule juridique bien connue que toute information officielle venant du bloc BAO dans les domaines qui m’importent “est présumée mensongère” à moins que sa véracité puisse être établie (par mes soins). (Voir le texte «Je doute donc je suis», du 13 mars 2003.) Ce mensonge permanent développé en mode-pavlovien, passant du virtualisme à la narrative (voir le 27 octobre 2014), nous donne une paradoxale liberté. (Dieu sait que ce n’était pas le cas dans la période d’avant, jusqu’en 1985-1990, où l’information officielle gardait un certain crédit référentiel, ce qui constituait une difficulté même inconsciente dans le travail d’une éventuelle contestation de cette information.) Cette liberté se trouve dans le fait que nous ne sommes plus contraints sinon prisonniers du prestige impératif de l’institutionnalisation de la source parce que l’institutionnalisation n’est plus en quoi que ce soit une garantie de la validité de la source.

• Cette évolution visible et non dissimulée (voir à nouveau le 13 mars 2003) vers la culture du mensonge de toutes les sources institutionnalisées ne signifie pas une plus grande habileté de ces sources, mais un extrême appauvrissement. Le mensonge type-virtualisme puis type-narrative n’est en rien un sommet de machiavélisme, qui témoigne de la souplesse et de l’habileté de l’esprit, mais tout au contraire le produit de l’effondrement dans le conformisme pavlovien. La culture et l’expérience suivent, dans cette chute vers les abysses. Le niveau des services de renseignement, du point de vue de l’analyse et de l’observation, s’est absolument effondré en vingt ans, et avec eux, la validité et la qualité des opérations qu’ils produisent, y compris la désinformation et la mésinformation. Là-dessus, à cause de l’emploi excessif et exclusif de la méthode virtualisme-puis-narrative, les opinions et les perceptions n’ont cessé de s’exacerber vers les extrêmes, rendant bien plus facile pour ceux qui se trouvent en-dehors du circuit-Système que ces gens représentent, l’identification des montages de narrative par rapport aux vérités de situation qui importent. Y a-t-il un exemple plus flagrant de cette extraordinaire disparité que la crise ukrainienne où, au même instant, dans un même lieu, un côté vous dit “il fait grand soleil” et l’autre “il pleut à verse” ? Si vous avez une position politique, si vous avez de l’expérience, notamment depuis 9/11, si vous suivez l’évolution du Système, quelle difficulté y a-t-il à distinguer ce qui vient du Système ? Aucune… Vous pouvez ainsi déterminer une position de principe vis-à-vis de l’information et, là, commencer un travail de raffinement, d’enquête, qui est l’aspect le plus passionnant de la chose.

• C’est là où je veux en venir, pour répondre directement à la préoccupation (qui est un faux-nez de la CIA, qui ne l’est pas ?). Ma réponse est : aucun intérêt, bottez en touche cette question du faux-nez vers l’inconnaissance. Ce qui importe, c’est la valeur de l’information elle-même, pas la vertu de l’informateur : que m’importe au départ qui se cache derrière le Saker ou ZeroHedge.com dès lors que les informations qu’ils publient me satisfont d’une façon ou l’autre, – après enquête sur la valeur et la validité des informations, certes… L’enquête dont je parle (“commencer un travail de raffinement, d’enquête”) consiste à déterminer le crédit de l’information, et ce travail quelle que soit la source (Système ou antiSystème, – car toutes les sources sont susceptibles de céder plus ou moins à la tentation d’en rajouter ou bien s’en tiennent à la rigueur du propos, – à déterminer). Cette enquête demande de l’expérience, de la connaissance, du bon sens, l’art de la confrontation entre des domaines différents et enfin de l’intuition en fonction de positions fermement arrêtées selon des références principielles que vous vous êtes données. C’est alors, justement, à partir de ces enquêtes, qu’on “remonte à la source” et qu’on peut qualifier la source de “crédible” ou non en général, et la juger estimable, courageuse, etc. Il est beaucoup plus nécessaire de donner un label de qualité intellectuelle à une source que de déterminer si elle est faux-nez de la CIA ou pas (Système ou antiSystème). Par exemple, si vous prenez le cas de DEBKAFiles (à propos, – à condition que le site redémarre), vous savez que c’est plus ou moins un relais du Mossad mais vous devez savoir aussi que dans les informations diffusées, à côté des déchets de désinformation/mésinformation, se nichent quelques éléments qui peuvent être très intéressants pour la vérité de la situation. (Et même … Leurs nouvelles de désinformation/mésinformation ont de l’intérêt pour savoir ce qu’ils voudraient que vous croyiez.)

• La conclusion de tout cela, pour moi, pour mon compte et pour la philosophie du site dedefensa.org, se trouve dans le plus grand avantage qu’il y a à naviguer à ciel ouvert, à se présenter tel qu’on est, à clarifier sans la moindre ambiguïté l’engagement qu’on suit, à refuser le vrai faux-nez de la “vertu” de l’objectivité, qui s’apparente vite à une vertu-Système. Je considère comme absolument trompeur de se prétendre “objectif” et affirmer donner l’information juste et objective dans une époque qui répudie évidemment l’objectivité par absence de références. Au contraire, il faut affirmer son engagement qui est dans un champ autre que celui de l’objectivité, – dès lors qu’on sait bien que l’objectivité sera l’objectivité-Système institutionnalisée, c’est dire… Par les temps qui courent, dans une époque aussi extraordinaire, une telle attitude est évidente, les enjeux étant à la fois clairement identifiables et d’une puissance considérable. Il faut savoir ce que l’on est et ce que l’on veut, et il faut le dire. Je suis sûr qu’on vous en sera reconnaissant.

PhG

Note :

[1] … Et non 1987 comme indiqué pimitivement dans ce même texte. (Note incluse le 23 octobre 2014 à 15H30.)

Source : DeDefensa.org

Et si la CIA achetait directement les lecteurs de la presse allemande ?

Daniele Pozzati, spécialiste des médias, notamment allemands, du site Russia Insider, développe quelques observations festives concernant l’évolution du succès d’influence (et donc commercial), ou plutôt de l’insuccés grandissant de la presse-Système, en Allemagne, depuis la sortie du livre de Udo Ulfkotte, Gekaufte Journalisten (pour une fois, donnons le titre en allemand, après l’avoir évoqué en français, notamment le 20 novembre 2014). On rappelle que Ulfkotte détaillait la façon dont la CIA avait purement et simplement acheté une part importante du corps des journalistes allemands, exactement comme le maquignon, à la foire aux bestiaux, enrichit son patrimoine d’une espèce particulièrement succulente et efficace, – type charolais, si l’on veut…

La nouvelle que nous apporte Pozzati est que la publication du livre de Ulfkotte, dont le succès ne se dément pas malgré le blackout de la presse-Système, a eu un effet dévastateur sur l’audience et la fréquentation des sites de la grande presse-Système allemande. Un tel effet commençait déjà au mois de septembre, suite aux excès antirusse de la presse allemande (l’affaire de la destruction du vol MH17) mais la courbe devient un effondrement en octobre. Pozzati fournit un ensemble de graphiques de l’analyse d’audience par le système Alexa, une société de comptage de fréquentation travaillant pour Google, montrant cet effondrement d’octobre 2014, de six publications maîtresse de la presse-Système : Stern, FAZ, Focus, Spiegel, Die Welt, Zeit.

«They call it the Ulfkotte-effect. And it’s beginning to resemble an avalanche. Since the publication of Udo Ulfkotte’s “Gekaufte Journalisten“in September – now a n°1 Amazon bestseller, in which he charges that the CIA regularly bribes top German journalists, himself included, – German readers’ disaffection towards their mainstream media appears to have crossed a point of no return.

»Granted, sales of newspapers and magazines have fallen everywhere, not just in Germany. But this is different. This is a boycott that is affecting web traffic. Germans are steering clear of mainstream media websites. Many Germans have not been too shy to announce their intention on social networks. Some have uploaded videos calling for a boycott on YouTube. Others have created groups calling for the same on Facebook. The other visible result of reader disaffection has been that throughout September the number of unique visitors to six major German newspapers and magazines was falling steadily. In October, it simply sank.

»Yet up until early summer these same websites had been generating a large and stable amount of traffic. This is an unprecedented trend, and one that is wholly distinct from the fall in newspaper sales generally. [...] The Spiegel’s infamous “Stoppt Putin Jetzt” July 29 cover apparently played a key role in incensing public opinion. An official readers’ complaint against Der Spiegel’s cover was upheld in August by the German Press Council. The latter ruled that the pictures of MH17 victims on the cover had been “instrumentalized in the context of a political statement.”

»Germany’s print media was warned even before that, on April 28, when Cicero, a leading German monthly, published a column titled: “Pride after the Fall”. The captions read: “Newspapers die. The reason: they go against their readers. The current Russia reporting is an example. That’s not the way to engage with readers.” The author, Alexander Kissler wrote: “Every quarter the newspapers sector grieves. This is when plummeting circulation figures are released. The curve travels from top left to bottom right, in fact it is not a curve anymore, but a straight line, unstoppable on its way to Zero.”»

Il s’agit d’une analyse particulièrement impressionnante, qui constitue une première dans le monde de la communication, par sa brutalité, par sa rapidité, par sa connectivité entre une tendance si marquée et des événements clairement identifiés. L’avantage de l’internet à cet égard, par rapport aux sites de la presse-Système, c’est qu’il permet des actes instantanés, immédiatement comptabilisables, qui constituent des manifestations concrètes d’opinion. Il y a dans ce cas bien plus qu’une mesure quantitative d’audience, mais bien une mesure quantitative d’audience par rapport à la qualité du travail fournie.

Cela nous conforte dans l’appréciation que nous donnions dans le texte du 20 novembre 2014, dans le chef de Philippe Grasset, sur la qualité (justement) de l’action de la CIA avec ses annexes du BND allemand vis-à-vis de la presse, – telles que rapportées par Ulfkotte dans son livre. Il nous paraît de plus en plus évident que ces méthodes, et leurs effets qui sont à mesure dans les domaines de la grossièreté et de la crédibilité, sont bien entendu la cause essentielle de la désaffection du public à cause de ces caractères d’une telle médiocrité brutale ; tout cela forme un véritable événement qui devrait se traduire par un impact important au niveau commercial des ventes de la presse allemande sous contrôle de la CIA… PhG écrivait ceci concernant les méthodes que décrit Ulfkotte, notamment par rapport aux “anciennes“ méthodes des années1970-1980 qu’il avait connues :

«C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” [...]

»La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de la chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte (“Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic”), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.»

… Effectivement, dans de telles conditions et pour faire cesser ce mouvement inacceptable de non-consultation des nouvelles dispensées par la presse-Système, la seule solution raisonnable semble être, pour la CIA, d’acheter les lecteurs de la presse-Système allemande pour qu’ils poursuivent héroïquement leurs lectures selon les consignes données. A part cette solution radicale, qui serait pourtant bien dans les manières du Système, les perspectives sont extrêmement sombres pour la presse-Système, en Allemagne bien entendu, mais en Europe en général. (On place les USA à part, où l’identification de l’Ukraine et sa position géographiques reste une pré-condition assez peu souvent rencontrée à une lecture des nouvelles à cet égard.) L’affaire ukrainienne et l’hostilité vis-à-vis de la Russie devant se poursuivre à très grande vitesse, et même selon un rythme accéléré à notre estime, bien entendu sans aucun espoir de changement de la part du bloc BAO, et cela dans l’atmosphère d’affirmation et de réaffirmation surréaliste de la narrative qu’on connaît, il apparaît désormais très possible que la presse-Système en tant qu’institution rencontre des conditions d’effondrement, et de son crédit, et éventuellement de son existence … Pozzati termine son article de cette façon : «And it still looks like just the beginning. Has the time come to print a book titled: “2019: The Last Copy of Der Spiegel?” – if the German print media will survive even until then, that is.»

Source : DeDefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-le-journalisme-made-in-cia-aujourdhui-et-hier-par-philippe-grasset/