les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

En Espagne, cette lettre à Bruxelles qui dérange Mariano Rajoy, par Romaric Godin

Sunday 29 May 2016 at 01:04

Source : La Tribune, Romaric Godin, 24-05-2016

Mariano Rajoy embarassé par une lettre envoyé à Bruxelles. (Crédits : JUAN MEDINA)

Mariano Rajoy embarassé par une lettre envoyé à Bruxelles. (Crédits : JUAN MEDINA)

En pleine campagne électorale, la presse espagnole publie une lettre du chef de gouvernement à Jean-Claude Juncker qui promet de nouvelles coupes budgétaires. Des révélations gênantes.

C’est un coup de tonnerre dans la nouvelle campagne électorale espagnole. Ce mardi 24 mai,  le quotidien madrilène El País a rendu public une lettre de l’actuel président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Dans cette lettre, datée du 5 mai dernier, le locataire de la Moncloa se dit « disposé, une fois qu’il y aura un nouveau gouvernement, à prendre de nouvelles mesures budgétaires dans la seconde moitié de l’année. »

Levée de bouclier

Cette lettre a déclenché une levée de bouclier de la plupart des partis qui s’opposent dans la campagne au Parti populaire (PP), du chef du gouvernement sortant. Le secrétaire général du parti socialiste (PSOE), Pedro Sánchez, a accusé Mariano Rajoy de « mentir sans pudeur ». A Ciudadanos, parti de centre-droit, on lui reproche de « s’engager vis-à-vis de Bruxelles sans savoir s’il gouvernera ». Enfin, Unidos Podemos, l’alliance de la gauche radicale regroupant Podemos, ses alliés régionaux, les Communistes et les Verts, évoque, par la voix de la députée européenne Marina Albiol un « programme occulte du PP ».

Mise en danger du programme du PP

Il est vrai que la publication de cette lettre met en danger l’essentiel du programme économique du PP et de Mariano Rajoy. Ce dernier promet en effet certes de respecter la trajectoire fixée par la Commission, mais il promet de se limiter aux 4 milliards d’euros d’économies prévues cette année et de baisser les impôts ensuite pour dynamiser la croissance. Compte tenu du niveau du déficit public en Espagne, 5,1 % du PIB à la fin de l’année 2015, beaucoup d’observateurs se sont inquiétés des incohérences de ce programme, mais le PP a toujours rétorqué que ce programme était réaliste. Avec cette carte, il semble que Mariano Rajoy soit d’ores et déjà prêts à écorner ces promesses au nom de la trajectoire budgétaire et du respect des engagements européens.

Bienveillance ciblée ?

Faut-il voir un lien entre cette missive et la décision de la Commission européenne, mercredi 18 mai, de ne pas engager de procédure de sanctions à l’égard de Madrid et de Lisbonne ?  Selon le quotidien El Mundo du 20 mai, citant des sources gouvernementales espagnoles, l’Allemagne, Jean-Claude Juncker et les Conservateurs européens auraient été des partisans déterminants de la mansuétude de Bruxelles. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la part d’un camp souvent très sévère en matière d’orthodoxie budgétaire. Mais il semble qu’ayant eu les garanties de la lettre du 5 mai, Berlin et le PPE aient pu juger qu’il n’était pas temps de lancer une procédure qui aurait été préjudiciable à la campagne du PP. Mariano Rajoy tente, en effet, d’apparaître comme le candidat du respect des engagements européens et du « sérieux ». Une procédure de sanction contre sa gestion aurait sans doute été pénalisé cette campagne.

Un problème de méthode

Reste que la publication de la lettre pose un problème également. Sur la méthode, d’abord. Cette « lettre secrète » sur des mesures supplémentaires qui pourraient s’élever à 12 milliards d’euros n’est pas un détail. Tout se passe comme si, avec la bénédiction de la Commission – habituellement si prompte à dénoncer le procédé – le chef du gouvernement voulait se dissimuler derrière le prétexte d’une décision « d’en haut », autrement dit de Bruxelles, s’imposant à l’Espagne et le forçant à imposer une nouvelle cure d’austérité, une fois le scrutin passé.

Pourquoi Mariano Rajoy est-il si sûr de lui ?

Cette lettre pose un autre problème : celui d’un Mariano Rajoy sûr de rester au pouvoir, lui ou un membre du PP pour lequel il peut s’engager, après les élections du 26 juin. L’explication en est simple : comme Pedro Sánchez a échoué à allier autour du PSOE Ciudadanos et Podemos, le PP se considère, dans le cas d’une stabilisation des forces politiques, incontournable pour constituer un futur gouvernement. Dans le cadre des négociations, il suffira de faire du respect de la trajectoire dressée par Bruxelles une condition de l’alliance pour, in fine, après la revue de la Commission en juillet, imposer aux alliés, sans doute Ciudadanos, voire le PSOE, les « nouvelles mesures ». Dans ce cas, Mariano Rajoy ne s’est pas engagé que pour le PP mais pour ses futurs alliés…

Blocage politique

Cette publication peut profiter in fine à Unidos Podemos qui, précisément, après des débuts délicats, commence à progresser dans les sondages. Le 20 décembre, Podemos et ses alliés et Izquierda Unida avaient, ensemble, obtenu 24,4 %. Le dernier sondage réalisé par NC Report lui attribue 24,9 % des intentions de vote, ce qui le place en deuxième position derrière le PP (30,4 %, +1,7 point), mais devant le PSOE (21,1 %, -0,9 point) et Ciudadanos (14,5 %, +0,6 point). Dans ce contexte de grande stabilité des positions et compte tenu de la loi électorale espagnole qui favorise les grands partis, Unidos Podemos peut espérer progresser en sièges et peser davantage dans les négociations gouvernementales. Dans ce cadre, la question budgétaire sera centrale. Unidos Podemos réclame une renégociation des engagements avec Bruxelles. Une promesse qui sera aussi difficile à tenir que celles du PP.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 24-05-2016

Source: http://www.les-crises.fr/en-espagne-cette-lettre-a-bruxelles-qui-derange-mariano-rajoy-par-romaric-godin/


Revue de presse Internationale du 29/05/2016

Sunday 29 May 2016 at 00:56

Un bon quota d’articles traduits dans cette revue internationale. Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-29052016/


Vie privée : faites du bruit pour vous protéger de Google et compagnie

Sunday 29 May 2016 at 00:01

22Source : Le Nouvel Obs, Claire Richard, 30/03/2016

Générer de « fausses » recherches pour égarer les traqueurs, c’est l’idée de l’extension TrackMeNot (« Ne me piste pas »).

Pour brouiller vos traces, plutôt que de couper le fil de votre routeur, d’installer des systèmes pour anonymiser vos discussions et d’emballer votre téléphone dans du papier aluminium, mieux vaut générer du bruit.

C’est le principe de l’« obfuscation », une tactique développée par des chercheurs et des activistes, et dont on vous parle parce qu’en ces temps de surveillance généralisée, c’est de salut public.

L’idée est de se protéger de la surveillance en générant des informations superflues, inutiles, ambiguës ou inexactes, qui rendent alors le ciblage peu précis et inefficace.

Pour en parler, nous avons rencontré Vincent Toubiana, qui s’occupe d’un programme appelé TrackMeNot, cas d’école en matière d’obfuscation. Il travaille à la Cnil mais insiste pour dire qu’il ne parle qu’en son nom.

TrackMeNot (littéralement « Ne me piste pas ») a été développé par deux chercheurs américains, Daniel C. Howe et Helen Nissenbaum, en 2006.

A l’époque, la société AOL vient de mettre en ligne par erreur les données de recherche de plus de 650 000 de ses utilisateurs, révélant non seulement l’ampleur de ses archives mais aussi à quel point les recherches effectuées en disent long sur un utilisateur.

L’historique de l’utilisatrice n°711391

Un exemple ? La bande-son du film documentaire qui suit est constituée des recherches effectuées par l’utilisatrice enregistrée sous le numéro 711391 par AOL. Elles révèlent son manque de confiance et ses histoires d’amour.

Suivez les recherches effectuées par l’utilisatrice 711391 : touchant et glaçant à la fois, ce film montre tout ce que nos données disent de nos rêves et de nos fragilités.

Le principe de TrackMeNot est simple et efficace : une fois installée sur le navigateur (pour l’instant Firefox et Chrome), elle génère automatiquement des recherches sur le moteur de recherche choisi (Yahoo, Google, Bing), noyant celles de l’utilisateur dans une nuée de recherches non pertinentes. Ainsi, explique la page de l’extension :

« TrackMeNot cache vos recherches dans un nuage de recherches “fantômes” afin de complexifier le profilage des utilisateurs et de le rendre inefficace. »

L’extension est totalement paramétrable par l’utilisateur, qui peut décider d’exclure certains mots clefs des recherches générées automatiquement.

Des vertus de « Dragon Ball »

Vincent Toubiana a rejoint le projet en 2008, à New York, où il était alors post-doctorant. Il a pris conscience pendant ses études du rôle essentiel que jouent les recherches sur les moteurs, à la fois dans l’économie du Web et dans le marketing :

« A l’époque, j’étais en thèse à Télécom Paris et Google parrainait l’une des promos. Ils étaient venus nous expliquer leur business model, comment les mots clés généraient de l’argent. Et ils nous ont raconté que le mot clé qui générait le plus d’argent, c’était “mesothelioma” (mésothéliome en français) : c’est un cancer rare pour lequel le traitement est très cher. Donc si quelqu’un cherchait ce mot clé, il était probablement malade et prêt à débourser des dizaines de milliers de dollars. »

A l’époque, le discours de protection de la vie privée se concentre beaucoup sur l’anonymat. Vincent Toubiana, lui, imagine une approche différente – avec des sources d’inspiration peu orthodoxes :

« Dans un épisode de “Dragon Ball”, Son Goku s’énerve et fait en sorte que son ennemi absorbe trop d’énergie pour qu’il explose. »

Extrait de « Dragon Ball », en anglais : aux origines de l’obfuscation.

Une évidence est apparue à Vincent Toubiana : la surveillance ne marche que parce qu’on fournit nous-mêmes des informations exactes.

Capture d’écran de Jim Carrey dans « Menteur, menteur », de Tom Shadyac, 1997

Capture d’écran de Jim Carrey dans « Menteur, menteur », de Tom Shadyac, 1997

« Je ne mens pas beaucoup, en général. Mais pourquoi est-ce qu’on ne ment pas plus

souvent aux moteurs de recherche ?

Bien sûr, on les utilise pour obtenir des informations précises et on perd du temps si on leur donne de fausses informations. Mais si on arrive à automatiser le processus, ça n’a presque plus de coût pour l’utilisateur. »

Aujourd’hui, TrackMeNot est utilisé par 28 000 utilisateurs sur Firefox et 11 000 sur Chrome. Vincent Toubiana insiste :

« C’est le seul moyen de pression que les gens ont contre ces grosses sociétés. Le retrait, les sociétés peuvent l’ignorer et le jour venu, couper l’accès. »

L’arme des faibles

« Obfuscation », par Finn Brunton et Helen Nissenbaum, éd. The MIT Press, septembre 2015

« Obfuscation », par Finn Brunton et Helen Nissenbaum, éd. The MIT Press, septembre 2015

On a reproché à l’extension de surcharger inutilement les bandes passantes ou de consommer trop

d’électricité. Vincent Toubiana hausse les épaules : par rapport à l’énergie qu’utilise Google lui-même, c’est une goutte d’eau.

Helen Nissenbaum, professeure à l’université de New York et l’une des créatrices du projet, a récemment publié avec Finn Brunton (auteur d’une passionnante histoire des spamsun petit ouvrage sur l’obfuscation, mi-plaidoyer mi-manuel.

Pour eux, l’obfuscation est « l’arme des faibles ». Car la déconnexion est une option de plus en plus irréaliste, réservée aux plus puissants ou aux plus radicaux. Surtout, la plupart des gens ne veulent pas se priver de toute interaction en ligne mais ils veulent avoir plus de contrôle sur l’utilisation de leurs données, ou être moins pistés.

De « Spartacus » à Best Buy

Les tactiques d’obfuscation sont vieilles comme la domination. Dans « Obfuscation », les auteurs donnent de nombreux exemples, parmi lesquels :

L’obfuscation en toge version Kubrick, en anglais

« Les premières fois que nous avions vu des nuages de rubans scintillants descendre du ciel, nous avions cru qu’il s’agissait de tracts, de messages d’amitié et d’espoir semés par les Alliés. Tout le monde avait couru pour les attraper, en ramasser. Déception, ce n’étaient pas des messages, mais de simples bandes de papier métallisé. […]

Nous avons finalement appris que ces nuages de bandelettes, s’éparpillant en altitude et sur de grandes distances, avaient pour but de brouiller les ondes du radar allemand : ils réfléchissaient vers le poste radar des échos imprécis venant de toutes les altitudes et de tous les azimuts, empêchant de détecter la position exacte et la direction des avions. »

Parmi ces gens vêtus de T-shirts bleus, certains sont employés par Best Buy. Mais lesquels ?

Un « epsilon de bruit »

Contrairement aux techniques d’anonymisation, souligne Vincent Toubiana, l’obfuscation est une tactique plus généreuse car elle protège potentiellement tout le monde :

« Le retrait est assez individualiste parce que ça ne protège que vous.

Mais si vous savez que 5% de vos utilisateurs utilisent TrackMeNot, sans savoir qui en détail, vous êtes obligé de supposer que toute personne que vous essayez de “profiler” masque potentiellement ses actions.

Avec cette probabilité non nulle, vous ne pouvez plus affirmer avec certitude que telle personne a fait telle action. Ça protège tout le monde – de façon diluée, certes, mais chacun y gagne un droit à la répudiation. »

Pour ce faire, il suffit de rien, d’un « epsilon de bruit » dans les données.

« Epsilon de bruit » : c’est une formule de matheux qui résonne aussi comme un concept poétique. Mentir un peu, introduire des intervalles entre soi et le monde, des intervalles d’imprécision ou de mystère.

Source : Le Nouvel Obs, Claire Richard, 30/03/2016

Source: http://www.les-crises.fr/vie-privee-faites-du-bruit-pour-vous-proteger-de-google-et-compagnie-par-clair-richard/


1957 : des prêtres et des séminaristes nantais rappelés en Algérie témoignent…

Saturday 28 May 2016 at 02:06

En 1956, plusieurs séminaristes du Grand Séminaire de Nantes, qui avaient déjà effectué leur service militaire, sont « rappelés » en Algérie. Avant de partir, ils sont ordonnés prêtres à Laval en avril 1956.

ordonnes

Arrivés en Algérie, ils servent comme officiers, sous-officiers ou hommes de troupe et restent en contact les uns avec les autres. Parfois se rencontrent. Lorsque Jean-Paul Sartre publie les témoignages d’appelés dans Les Temps Modernes, plusieurs écrivent à la revue. Devant les questions que se posaient les prêtres et séminaristes appelés en Algérie, le cardinal Feltin, aumônier aux armées, envoie sur place le P. d’Ouince. Ce jésuite très respecté fait le tour des garnisons et recueille les témoignages.

François de L’Espinay, aumônier chargé des séminaristes en Algérie, informé des drames de conscience que se posent les séminaristes, et des SOS qu’ils adressent à leurs supérieurs, leur écrit une lettre de deux pages. « Nous sommes ici des hommes de guerre écartelés entre notre désir de paix et notre obligation de faire la guerre. Le militaire porte la mort et il meurt. La main du Seigneur s’appesantit parfois d’une façon bien mystérieuse. Je sais combien est douloureuse pour beaucoup cette dualité d’homme de paix et d’homme de guerre. » Cette lettre ne répond pas totalement aux questions qui taraudaient les prêtres et que, parfois, leurs supérieurs hiérarchique leur posaient.

A leur retour au Grand Séminaire de Nantes, sept prêtres – dont Marcel Bauvineau, Henri Demangeau, Henri Poisson et Paul Templier – rédigent un rapport qui présentaient à leurs autorités religieuses d’alors les cas de conscience qui leur étaient soumis. Avec l’aval de leur supérieur, l’adressent en mars 1957 à Mgr Badré, directeur de l’Aumônerie militaire. Aucun de ces prêtres n’est antimilitariste, aucun ne veut accuser l’armée ni salir les militaires qui se battent en Algérie. Ils veulent que leur Eglise sache ce qui se passe en Algérie en 1956-1957, et qu’elle leur apporte des réponses aux cas de conscience qu’ils se posent, et qu’on leur pose. Ils n’ont écrit que des faits rigoureusement vérifiés et ont écarté les rumeurs. Dans leur lettre d’accompagnement à Mgr Badré ils écrivent : « Nous nous permettons de vous faire parvenir ces documents « à titre de compte rendu », dirions-nous s’il fallait employer un langage militaire. Les témoignages sont clairs et absolument vérifiables. Ils sont présentés sans commentaires. Ils sollicitent le jugement de moralistes. Ce serait fausser le sens de notre réflexion que d’y voir un réquisitoire portant sans nuance sur l’ensemble de l’armée d’Afrique du Nord. »

Quinze jours plus tard, Mgr Badré leur répond. « Votre document me servira dans l’action que j’essaie de mener pour que, malgré les difficultés, nous arrivions à maintenir les principes moraux au milieu de cette guerre inhumaine. Il est indispensable de ne pas condamner toute une institution ou tout un corps social parce que certains de ses membres se conduisent mal. Je suis heureux que vous n’ayez pas fait, comme beaucoup d’autres, un travail purement négatif. »

Leurs Documents sur l’Algérie, datés du 1er février 1957, polycopiés à l’alcool, décrivent pourtant la désespérance des rappelés, les dérives de la « pacification ». « Tout ce qu’on décrit, ce n’est pas la torture, dit l’un d’eux, c’est le terreau sur lequel elle ne peut pas ne pas naître. » Mais leur initiative se heurte à l’époque à un silence quasi complet de leur hiérarchie. Déçus, les trois amis rangent tout cela dans un carton, « on s’est renfermés sur nous-mêmes, ça ne nous a pas fait de bien ! » ajoute l’un d’eux.

Ce rapport n’a jamais été publié.

Le voici :

==============================================

 

 

Source : Paul Templier, 21-05-2002

Documents sur l’Algérie

 I° Partie : Des faits inquiétants.

II° Partie : Réflexions sur l’action militaire

dans certains secteurs.

III° Partie : Des réalisations plus heureuses

_________ _ _________

En guise de préambule

Paul Templier Le 21 Mai 2002
7 Rue François Albert
44200 – NANTES

Aux copains du 117° RI rappelés en Algérie en Avril 1956
qui ont commandé la plaquette « Documents sur l’Algérie »

Chers amis,

J’ai beaucoup de plaisir à vous envoyer ce dossier, que je vous ai présenté lors de notre rencontre du 26 Avril 2002 à Vitré et que vous avez été 25 à commander.

Comme je vous l’ai dit, si je ne vous avais pas parlé plus tôt de ce témoignage que nous avions réalisé à notre retour d’Algérie, c’est que nous n’avons commencé à nous réunir que bien des années plus tard et que je n’y pensais plus du tout !

Il a fallu que notre passé nous rattrape, du fait de la campagne médiatique de ces années 2001 / 2002, et que le journal « La Croix » publie en Mars 2001 une partie de nos témoignages, pour que nous soyons amenés à le ressortir.

Vous ne vous y reconnaîtrez pas totalement car ce dossier a été réalisé par une quinzaine de rappelés, dont quelques-uns ont vécu des choses très dures… et qui, de plus étaient tous prêtres ou séminaristes : ce qui donne naturellement une tonalité un peu particulière. J’espère tout de même que vous ne vous sentirez ni jugés, ni trahis.

Quelques-uns d’entre vous m’ont dit que leurs enfants ou petits enfants se posaient des questions sur ce que leur père ou grand-père avait pu vivre en Algérie : aurions-nous tous plus ou moins trempé dans les pratiques sauvages largement évoquées par les médias ces derniers mois ? J’espère qu’ils pourront découvrir que même si nous avons été plongés dans des situations difficiles, parfois dramatiques, nous avons essayé de rester des hommes dignes de ce nom. D’autant que notre compagnie a été relativement épargnée, puisqu’elle n’a eu aucun tué et qu’il est à peu près certain que la torture n’y ait jamais été pratiquée. Il n’en reste pas moins qu’une certaine haine de l’arabe nous a gagnés et que parfois des réactions de violence instinctive nous ont conduit à des attitudes dont nous ne sommes pas très fiers. Mais c’est surtout l’écœurement qui nous a tous envahis, d’autant que nous pressentions que ce conflit était sans issue.

Nous avons la chance d’en être tous revenus, d’avoir gardé une vraie camaraderie et de solides amitiés. Entre nous, nous nous comprenons à demi-mots, mais ceux qui n’ont pas vécu cette situation auront toujours du mal à s’en faire une idée juste. Ces quelques pages peuvent y aider.

Bien cordialement à vous…

I° PARTIE : Des faits inquiétants

Les témoignages qui suivent sont la relation par des rappelés, de faits vécus. Il ne s’agit pas pourtant d’un reportage, car ces faits ont été intentionnellement choisis et groupés, en raison du problème moral qu’ils posent.

On ne s’étonnera donc pas de trouver seulement les aspects plus ou moins horribles de la guerre, et l’on se rappellera que, malgré les apparences, ce n’est pas un acte d’accusation de l’armée en Algérie.

Ce sont des faits authentiques. D’autres faits aussi graves auraient pu être cités. Par souci d’objectivité, nous nous sommes limités aux plus indiscutables. Ce sont des faits, rien de plus, mais des faits inquiétants, angoissants même pour une conscience d’homme et de chrétien. Nous les livrons tels quels.

1…TEMOIGNAGE D’UN SOUS OFFICIER, CHEF D’UNE DEMI-SECTION G.V.
D’UNE COMPAGNIE D’INFANTERIE COLONIALE. ( SECTEUR D’ORANIE )

14 JUIN : Accrochage au douar “S.M.” Au cours de la bagarre, durant environ deux heures, un suspect ( un indicateur connu comme tel et pris sur le fait le matin même au cours d’un ratissage ) est fait prisonnier. Ayant été malmené par la police, se voyant en mauvaise posture, il fait le mort. Profitant d’un manque de surveillance et d’une panique occasionnée par une bande de fellaghas exécutant une sortie d’une mechta fortifiée d’où ils se défendaient depuis plus d’une heure, il se sauve avec eux… Réaction immédiate de la police: parmi les suspects ( ? ) arrêtés, pour éviter d’autres évasions, deux ou trois sont exécutés sur place d’une rafale de P.M.

Vers midi, fin de l’accrochage. Un fellagha en uniforme agonise dans une mechta. Il a été blessé par une grenade anti-char, et ne risque pas de survivre. Quelques gars rentrent pour le rouer de coups de pieds. Puis, ayant jeté sur lui tout ce qu’ils ont pu trouver dans la mechta, ils mettent le feu.

Quelques instants plus tard, les suspects, toujours les mêmes, sont rassemblés, solidement gardés. Pressentant les intentions de la police, le sous-lieutenant F., chef de section, rappelé, vient me trouver. “Que fait-on des prisonniers? Il faut éviter un massacre!”… Je lui conseille d’aller s’adresser au commandant pour qu’il empêche ces exécutions sommaires. Le commandant est occupé à prendre liaison avec l’hélicoptère qui doit évacuer les blessés. Aucune décision n’est prise. Le sous lieutenant F. revient les larmes aux yeux. Déjà, une ou deux rafales isolées ont retenti: les gendarmes ont “descendu” un vieillard et une femme. Les autres sont chargés dans les camions et emmenés dans les locaux de la police. Après une nuit de tortures, plusieurs seront exécutés le lendemain.

SOIR DE LA TOUSSAINT: Dans un petit village arabe, après un match de basket, une dispute éclate. Les Arabes ont la riposte facile. L’un de ceux qui sont là sort son couteau et blesse le fils d’un colon. Profitant de la panique, il s’enfuit. Réaction immédiate de la population: “c’est un fellagha”! On vient prévenir la compagnie cantonnée non loin de là, sur un piton. Les gars se mettent à leurs emplacements de combat. Quelques coups isolés partent. Un jeune garçon arabe ( 14 à 15 ans ) prend peur et se sauve encourant. Les gars hésitent à tirer dessus. Mais, quelques Européens les encouragent: “Ca ne fait rien! Ils sont tous pareils! Il faut tous les tuer! Ca fera un de moins!” Quelques rafales de F.M., des coups de fusils, et le jeune homme est abattu. On nous appelle en renfort. A notre arrivée, tous les Arabes du village sont entassés dans la cour d’une grande ferme. Ils vont être interrogés par la police. Pendant ce temps, les gars sont à compter le nombre de balles qu’il leur a fallu pour tuer le jeune homme. Ils avaient gardé précieusement les étuis dans leurs poches

PROCEDE DE DENONCIATION SOUVENT EMPLOYE. 

Pendant le ratissage, les suspects sont groupés au P.C. de l’opération. On les fait passer dix par dix, en ligne, devant un half-track. Dans celui-ci ont pris place deux dénonciateurs ( deux Arabes habillés en treillis, pour que personne ne les reconnaisse ). Les plaques de blindage du half-track sont abaissées, laissant une toute petite fente qui leur permettra de voir ce qui se passe à l’extérieur. Le commandant prend place sur la tourelle du véhicule et, sans que rien ne paraisse, prenant conseil des dénonciateurs, il indique lui-même d’un grand geste ceux qui devront être relâchés, et ceux qui doivent être faits prisonniers, sans qu’ils n’aient rien compris, puisqu’ils se savent inconnus du commandant… Dénonciations?… personnelles?… Chose curieuse, au bout d’un certain nombre de séances de ce genre, les deux dénonciateurs seront emprisonnés à leur tour.

M.B. Prêtre

2…TEMOIGNAGE D’UN SOUS-OFFICIER D’INFIRMERIE
DANS UNE UNITE D’INFANTERIE ( DEPARTEMENT DE TIZI-OUZOU ).

On torturait des prisonniers tout près de l’infirmerie, pour la grande joie des malades d’ailleurs. C’était toujours l’occasion d’un attroupement considérable, et chacun y allait de son coup de poing. L’interprète ( un Arabe du pays ) s’est cassé le poignet à cette besogne. Il a dû être plâtré, et pour continuer son travail, il faisait s’allonger le patient à terre, et lui bourrait les côtes de coups de pieds.

Combien de prisonniers ont connu le supplice de la bouteille enfoncée profondément dans l’anus !

Un jour, je suis allé mener un blessé à l’infirmerie du sous-secteur. Une balle lui avait traversé les cuisses, et nous avions réussi à arrêter l’hémorragie. Arrivé à l’infirmerie, le commandant nous demande s’il était armé. Sur notre réponse affirmative, il enlève le garrot, et met le blessé sous la douche… “On le soignera quand il sera décidé à parler”… On ne s’est pas davantage occupé de lui, et il a succombé dans la nuit.

Au cours d’une opération, on fait un blessé. L’un des hommes l’achève à coups de crosse. Réprimande de son chef: “La prochaine fois, tu commenceras par décharger ton fusil. De la prudence, mon ami!”… Au retour, c’était à qui avait chapardé les plus beaux bijoux, colliers, robes…

Un jour d’embuscade, un vieillard monté sur un âne suivait les véhicules. Revenus de leur surprise, les gars se vengèrent sur lui et l’abattirent sans plus de pitié.

B.J. Séminariste

3…TEMOIGNAGE D’UN 2ème CLASSE RADIO-VOLTIGEUR
D’UNE COMPAGNIE OPERATIONNELLE DE FUSILIERS-MARINS ( ORANIE )

2 JUIN I956 : 6 Heures: … Embuscade qui fait 14 morts G.M.P.R. Les fellaghas s’enfuient par la N.W… Réponse des forces de l’ordre: 9 heures: les camarades ( arabes ) des victimes récupèrent 35 suspects dans les villages des alentours de l’embuscade.

Ces suspects sont alignés dans un champ de blé, par rangées de six, sur le bord de la route nationale. Les camarades rappelés regardent. 5 ou 6 travailleurs arabes qui passaient par hasard, montés sur un camion de pierres, sont arrêtés et mis avec les suspects, malgré les supplications de la femme de l’entrepreneur, ( une française ), qui affirmait que ces ouvriers étaient innocents.

Pendant plus d’une heure, j’ai pu voir brutaliser les prisonniers: coups de pieds bas, coups de crosse dans l’estomac, les côtes, la nuque. L’homme tombe, assommé. On jette un seau d’eau sur ceux qui s’obstinent à rester allongés. Coups de cravache pour les faire se relever. Et l’on recommence. Tous n’arrivaient pas à se relever.

3 des suspects seraient morts sur-le-champ. Tous les autres ont, selon toute vraisemblance, été fusillés dans la soirée. Un des Arabes ayant fait partie du peloton d’exécution m’a assuré que, le lendemain, 21 autres auraient été fusillés, y compris femmes et enfants. La précision dans les détails laissait supposer que c’était vrai.

10 heures : Notre bataillon est alors entré en action. On a eu ordre de brûler les 3 ou 4 villages situés dans la direction prise par les fellaghas. L’ordre a été exécuté. Mais, nous prenions soin de faire évacuer femmes et enfants. Les hommes, eux, étaient tous en fuite. Quant aux villages plus éloignés ( où il n’était pas possible de se rendre le jour même ), ils ont été mitraillés par 4 avions de chasse, et bombardés à la roquette. Les officiers étaient cependant bien d’accord pour estimer que la bande était déjà loin dans la montagne.

5 JUIN I956 : Du 5 au 9 juin, grande opération dans le djebel S. A l’actif du bataillon, on peut compter au moins 15 Arabes tués. Et pourtant, nous n’avons pas vu un seul fellagha, pas essuyé un seul coup de feu.

Un exemple du 1er jour: les villages que nous devons traverser étant systématiquement mitraillés et bombardés, toute la population s’est réfugiée dans les grottes et les ravins. Des gars de la compagnie trouvent des gens dans une grotte. Un homme sort, les mains en l’air. Une rafale part: l’homme tombe. Les autres ne veulent plus sortir. Un camarade entre dans la grotte et mitraille les 7 occupants. Pour se débarrasser des cadavres, on les traîne dans l’oued.

Quelque 50 mètres plus loin, le même gars tombe sur un fuyard blessé: il l’achève d’une rafale.

PRISON DE N.: Malgré les agrandissements, les prisons de la caserne sont trop petites pour les 140 à 160 prisonniers suspects. Dans une cellule pour 4, où il y a deux bas-flancs, on a mis pendant plusieurs semaines 15, 25 prisonniers ( peut-être plus. J’ai pu constater, et un prisonnier me l’a affirmé, qu’il était impossible de s’allonger. Il faut dormir accroupi. Les plus fatigués se relayent sur le bas-flanc. L’odeur, la chaleur humide et lourde rendent l’atmosphère irrespirable, surtout en juin, juillet et août. La nuit, on urine dans un coin de la cellule, et ça sort par-dessous la porte.

LA TORTURE. 

Tous les internés subissent des interrogatoires successifs très durs: “passage à tabac”. Un bon nombre ont droit à la torture. La torture à l’eau, par exemple, ( faire ingurgiter avec une sonde 5 ou 6 litres d’eau ) et la torture électrique sont appliquées méthodiquement. Il est très difficile de dire quelle proportion de prisonniers est ainsi torturée. Ce qui est sûr, c’est que les séances de torture ont lieu à la caserne, plusieurs fois par semaine.

Deux fois, par hasard, ( le 14.8, vers 21 h. et le 1.9, vers 16 h. ) j’ai pu assister derrière la porte, à une séance de tortures: poulies au plafond, anneaux dans le mur, cordes, nerf de bœuf, génératrice électrique. Il existe aussi un personnel spécialisé: la police judiciaire. Un officier de l’armée (l’officier S.A.S.) y assiste souvent.

Ca commence par un passage à tabac en règle, qui ne laisse cependant pas de traces physiques. Puis le patient, les mains liées derrière le dos, est suspendu par les poignets au plafond, grâce à la corde et à la poulie. Au bout de quelque temps, il y a désarticulation complète des épaules. On s’arrange pour que les bouts de doigts de pieds touchent de justesse le sol. L’interrogatoire continue. J’ai entendu de mes propres oreilles un patient répondre: “Je ne dirai rien; de toute façon, vous me tuerez”.

A la fin, on applique un fil électrique aux parties et un autre à l’oreille, et pendant quelques secondes, on tourne la manivelle de la génératrice. L’homme alors, se tord de douleur, et hurle à la mort. On ne sait plus si c’est un homme ou une femme qui crie, tellement la voix est altérée. On relâche doucement la corde. Le patient s’affale sur le sol comme une loque. Il urine, parfois fait dans son pantalon. C’est la relaxation. L’esprit est dans une semi-conscience. C’est à ce moment qu’on peut, quelquefois, obtenir des renseignements.

LA CORVEE DE BOIS.

Le sort final de ces gens ainsi torturés ne faisait pas de doute. C’était ce qu’on appelait la “corvée de bois”. A la nuit, la jeep de la police arrivait dans la cour de la caserne. L’homme de garde allait chercher parmi les prisonniers ceux qui étaient désignés, et les faisait monter dans un véhicule. Quelques minutes plus tard, sur une falaise bien connue, près de la mer, l’exécution avait lieu. Il est très difficile d’évaluer, même approximativement, le nombre des personnes envoyées chaque semaine à la corvée de bois: 5 ou 6, peut-être plus.

Quant aux fellaghas en uniforme, faits prisonniers au combat, leur sort n’est pas meilleur. Je peux citer un exemple qui donne la ligne de conduite généralement suivie dans mon unité.. Le 30 octobre, 7 fellaghas sont faits prisonniers. Après les avoir fait défiler en ville sous bonne escorte, on les a remis au bataillon qui les avait faits prisonniers. Celui-ci s’est chargé de les faire passer à la corvée de bois. Un des premiers fellaghas en uniforme que nous avons pris a été, pendant une demi-journée, attaché au fond de sa cellule. La porte était ouverte, et chacun pouvait venir cogner dessus à sa guise. Les visites n’ont pas manqué.

OCTOBRE : Courant octobre, un jeune Arabe ( 17 ans ) d’un village voisin vient au poste pour demander protection. Son père avait été égorgé par les fellaghas. Au bout de quelques jours, il demande à être habillé, puis armé, et il patrouille avec nous. La réaction des fellaghas est immédiate: 4 personnes de la famille du goumier sont enlevées par les rebelles. Sa grand-mère est trouvé égorgée.

Nous bondissons au village dès le matin. La population ne nous donne aucun renseignement. Le jeune Arabe dénonce alors 2 hommes du village, et les accuse de complicité avec les fellaghas. Ces hommes sont déjà fichés: nous les emmenons à la prison du poste.

Une séance de torture, avec les moyens du bord, ne donne rien. Embarrassé de ses prisonniers, le capitaine imagine alors ce scénario: faire croire aux autres prisonniers et aux gens du village, que les 2 hommes se sont évadés, qu’ils ont voulu rejoindre les fellaghas, et qu’ils ont été égorgés malgré tout. C’est au moins ce que m’a dit l’interprète.

Quoi qu’il en soit du scénario, une nuit suivante, on fait sortir les deux homes de prison. Deux camarades que j’accompagne vont alors dans la prison, et agrandissent sans faire de bruit, la lucarne avec une barre à mine. Pendant ce temps, une section emmène les 2 types ligotés et bâillonnés. A une dizaine de mètres de l’entrée du village, on s’arrête. On fait s’allonger les deux hommes sur la piste. On leur attache les pieds avec le cou. Le jeune Arabe s’approche, tire son poignard, et leur tranche la gorge. L’opération est terminée. La section revient au poste.

5 OCTOBRE : Dans la matinée, le bataillon est appelé pour ratisser un djebel. Plusieurs heures auparavant, l’aviation avait pris à partie une colonne de rebelles. Le djebel est désert. Pas un coup de feu. Au cours du ratissage, derrière un buisson, on découvre un blessé. 3 ou 4 gars l’entourent. Il est en uniforme, il n’a pas d’arme, et il parle français. Par radio, on demande des ordres au commandant: “Que faut-il faire?” La réponse arrive: “Envoyez-le au Maroc!” Les gars ont compris. Une rafale de mitraillette part. Pour plus de sûreté, on loge une dernière balle de pistolet dans la tête. La progression continue.

Le même jour, dans la soirée, nous marchons sur une piste de montagne pour regagner les camions. Sur le bord de la piste, un cadavre d’Arabe. B…, de la 4ème section ( rappelé parisien ) : “Je te parie que je ramène une oreille de fellagha”. C… son collègue : “22”. C… sort son couteau, coupe l’oreille et la tend à B… qui la met dans son portefeuille. B… ira demander du formol à l’infirmerie – qui lui sera quand même refusé – et ne jettera son “souvenir” que lorsque les copains lui auront dit: “Jette ça! C’est dégoûtant! Ca pue!”. Réaction de son chef de section : “Si ça lui fait plaisir! On ne fait pas la guerre avec des enfants de chœur!”

28 OCTOBRE : Un camion de l’escorte de l’Administrateur de N; saute sur une mine. C’est à 1 km du poste; il y a 6 morts. Sur une fréquence radio, je peux entendre l’Administrateur réclamer 50 coups de 105, sur le village le plus proche du lieu de l’attentat. Les règlements militaires ne permettent pas un tel tir: il est refusé.

Mais, quelques heures plus tard, 8 Arabes sont exécutés sur les lieux mêmes de l’attentat. Ce sont, dans la meilleure hypothèse, des civils plus ou moins suspects que la police est allé tirer des prisons de N… Mitraillés sur le bord de la route de montagne, ils ont été poussés dans le petit ravin. Je peux les voir le lendemain, en passant. Ils gisent à flanc de talus, recroquevillés, entassés les uns sur les autres, à quelques mètres du passage des véhicules. Je repasse le 3 novembre: ils y sont encore. Je repasserai plusieurs fois ensuite. Les corps pourrissent au soleil, dévorés dans la journée par les corbeaux, et la nuit, par les chacals que nous pouvons entendre hurler du poste même. Ca pue à 100 mètres à la ronde. Quand nous passons en convoi, nous nous bouchons le nez, et lez chauffeurs accélèrent. Vers le 15 novembre, on jugera que l’exemple a assez duré ou que ça empeste trop, et l’on fera recouvrir de terre les cadavres. Réaction des gars: “Ce n’est pas hygiénique; on aurait pu attraper des maladies”.

H.D. Séminariste

4…TEMOIGNAGE D’UN OFFICIER D’ADMINISTRATION.
( SECTEUR D’ORANIE )

Les officiers d’administration d’un hôpital d’évacuation, stationnés dans un quartier militaire de la ville, ont des contacts quotidiens avec les officiers des unités de tirailleurs implantés dans le quartier.

Dans une conversation avec plusieurs officiers rappelés, le lieutenant V…, officier de tirailleurs, originaire d’Oran, et servant sur sa demande en situation d’activité, montre à ses interlocuteurs deux photos prises par lui et représentant 2 Arabes, vêtus de costumes civils, égorgés et pendus à un arbre, à l’entrée d’un village. Le lieutenant V… déclare les avoir égorgés et pendus de sa propre main “pour l’exemple et pour venger ses hommes”.

A l’un de ses auditeurs qui lui exprime nettement sa désapprobation, le lieutenant V… répond “qu’à la guerre, il ne faut pas faire de sentiment”.

Un peu plus tard, cet officier fait l’apologie de l’anti-terrorisme, “justice par les faits suppléant la carence de la justice par les principes”, et se vante d’avoir lui-même jeté une grenade dans un café maure, déguisé en Arabe.

D.H. Séminariste

5…TEMOIGNAGE D’UN BRIGADIER-CHEF
( SECTEUR DU CONSTANTINOIS.)

OCTOBRE 1956 : Un prêtre rappelé, lieutenant, responsable d’une section, me raconta le fait suivant: “L’autre jour, je visitais un village avec mes hommes, quand, tout à coup, l’un d’eux reçoit une rafale de mitraillette en entrant dans une mechta. En réaction, j’ai fait tuer tous les hommes du village”.

Devant mon étonnement, il me répondit: “Les gens du village savaient qu’on nous attendait. Pourquoi ne nous ont-ils pas prévenus? Bien sûr, moi aussi, je suis écœuré d’agir ainsi en tant que chrétien d’abord, à plus forte raison en tant que prêtre. Mais, je suis militaire et, en tant que tel, je dois agir ainsi, sinon je quitte l’armée, ou alors, il ne nous reste plus qu’à nous présenter aux Arabes la gorge tendue…”

SEPTEMBRE 1956 : Après l’enterrement de G.M. G…, le lieutenant commandant la section me dit: “Ce garçon a été blessé mortellement en allant chercher des camarades blessés. Alors, j’ai fait massacrer les habitants des villages avoisinants: femmes, enfants, tout le monde”

NOVEMBRE 1956 : Extrait d’une lettre d’un militaire actuellement en Algérie: “Après l’embuscade de B…, le colonel s’adresse à la troupe. J’ai 8 de mes hommes qui sont morts; je vous permets de tuer 400 Arabes”. Résultat: les plus méchants sont sortis et ont tué tous les Arabes rencontrés.

A.L. Prêtre.

6…TEMOIGNAGE D’UN SOUS-OFFICIER CHEF DE GROUPE
( SECTEUR ALGEROIS )

8 AOUT 1956 : A 1 km. de B…, – 9 h. 15 – embuscade montée par les fellaghas. 13 militaires tués… 1 blessé… 2 fellaghas en uniforme tués… 3 blessés seront achevés dès l’arrivée des sections de renfort… 1 autre blessé sera achevé au camp par la section de garde.

A 15 h., au retour d’une opération de ratissage, 4 Arabes sont amenés sur les lieux de l’embuscade, pour creuser la fosse où seront déposés et brûlés les corps des fellaghas. Le travail terminé, les 4 Arabes sont fusillés sur place, et enterrés sommairement. Raison donnée: “Ont essayé de camoufler le corps d’un fellagha”.

A 17 h., retour au camp de la compagnie de B… avec 6 Arabes ramassés au cours du ratissage, à plusieurs km. du lieu de l’embuscade. Ils sont remis aux mains des gendarmes de T… venus sur place faire une enquête. Ils sont sommairement interrogés et, devant leur refus de parler, sont remis par les gendarmes à la disposition des militaires de la compagnie. Passage à tabac en règle, pendant lequel les militaires de B… peuvent calmer leurs nerfs, et assouvir leur soif de vengeance. Après avoir demandé à la police de faire cesser ce passage à tabac qui ne se terminerait qu’avec la mort des Arabes, devant son refus, je demande au commandant de compagnie de prendre ses responsabilités et d’intervenir. Ce n’est pas sans peine qu’il réussit à délivrer les 6 Arabes, devenus de vraies loques humaines, des mains des militaires déchaînés.

J.L. Prêtre.

7…TEMOIGNAGE D’UN SOUS-OFFICIER.
( SECTEUR DE L’ALGEROIS ).

Quelques faits dont je n’ai pas été témoin, mais qui se sont passés dans un bataillon que je connais bien, et qui m’ont été rapportés par un séminariste que je connais, Y.L…, qui, lui, a été témoin.

Au cours d’une opération héliportée, dans le djebel B.L.., des suspects sont arrêtés. On les fait monter en hélicoptère pour les conduire au P.C. opérationnel. Mais, en cours de route, les suspects sont largués de l’appareil, sans parachute évidemment.

Au retour d’une opération qui n’avait donné aucun résultat, ( et après d’autres du même genre ), des gars excédés de toujours marcher ainsi apparemment pour rien, tombent à bras raccourcis sur 3 Arabes qu’ils rencontrent. L’un d’eux, ancien séminariste, et par ailleurs fort sympathique, ( je le connais bien ) les égorge tous les trois de sa propre main. Cet acte, connu du commandant de compagnie, n’attire aucune sanction. Et le journal, 2 jours plus tard, titre: “A K…, règlement de compte entre fellaghas”.

Toujours au même bataillon, un soir de fête, les gens sont un peu gais. Le commandant de compagnie ordonne comme “réjouissance”, de mettre mortiers et mitrailleuses en batterie sur le douar voisin. Et le feu d’artifice commence. Deux jours plus tard, nouvel article sur le même journal: “A K…, dans la nuit du… au…, attaque rebelle victorieusement repoussée par les forces de l’ordre”.

CAS DE CONSCIENCE : (qui m’a été posé par un colonel ) “Une embuscade a fait 11 morts dans mon secteur. Une opération de ratissage immédiate a permis de coffrer un bon nombre de suspects. J’ai la certitude, par aveux, recoupements, témoignages, que 13 d’entre eux sont coupables directement, non seulement d’avoir participé à l’embuscade, mais d’autres crimes et sabotages. Le règlement m’ordonne de les remettre à la justice civile qui seule, est habilitée à prononcer une condamnation. Mais, si j’agis ainsi, l’expérience me prouve abondamment que ces gens seront certainement relâchés d’ici peu de temps, sans doute parce que cette justice civile n’aura pas réuni les preuves convaincantes, et les témoins nécessaires pour un procès en règle. Ils reviendront donc, et continueront leurs exactions. Je suis responsable de la vie mes hommes, et ne puis laisser faire cela. J’estime qu’il y a carence de la justice, et par conséquent, je puis suppléer, et faire la justice moi-même.

J’en ai déjà fait tuer 5; je me dispose à faire tuer les 8 autres. Croyez-vous que je suis en état de péché mortel?”

P.T. Prêtre

8…TEMOIGNAGE D’UN SOUS-OFFICIER
( SECTEUR DE L’ALGEROIS )

27 MAI 1956 : .Au cours de la 1ère “opération casbah” à Alger, les soi-disant auteurs de la 1ère embuscade de Palestro sont amenés au début de l’après-midi, en camion: une vingtaine d’hommes et parmi eux, un sergent français déserteur. Le camion stationne quelques instants sur une grande place d’Alger. Très rapidement, des militaires participant à l'”opération casbah”, montent dans le camion, et à coups de pieds, de poings, de crosses, frappent les occupants du camion qui sont, non seulement tués, mais littéralement mis en morceaux. Ensuite, bagarre pour emporter une “oreille-souvenir”. Un légionnaire a même coupé l’une des oreilles du jeune sergent déserteur avec ses dents.

Au cours de la même “opération casbah”, 3 suspects sont découverts dans un garage, avec quelques provisions, deux sacs marins, et quelques effets militaires. Les 3 hommes sont sortis sur la rue. Alors, commence le “passage à tabac” à coups de poings et coups de pieds. Les Arabes s’écroulent, et sont relevés à coups de baïonnettes, et la séance continue. Ceci se renouvelle plusieurs fois. Et finalement, ne pouvant plus se tenir debout, jambes et bras cassés, ils sont traînés au camion qui devait les emmener.

H.P. Prêtre

CONCLUSION.

Au terme de cette douloureuse collecte de faits, deux remarques s’imposent:

1 – Toutes les régions d’Algérie sont touchées par de tels excès. Le mal est plus ou moins grave, plus ou moins camouflé, mais il est général.

2 – Ces faits séparés, faciles à monter en épingle, faciles aussi à excuser, voire justifier, ne portent pas en eux-mêmes leur explication. C’est l’ambiance qu’il faudrait évoquer, ce climat moral, où, peu à peu, la haine arrive à s’installer froidement.

Les gens s’apitoient volontiers sur le sort que fut le nôtre; mais, en général, ils tombent à faux. Ils croient que ce qui a rendu pénible notre séjour en Algérie, c’est l’insécurité,, la fatigue, l’inconfort, l’isolement. Dans l’ensemble, très peu de ceux qui n’y sont pas passés réalisent ce qui a fait le drame humain de tant de jours.

Des prêtres et séminaristes rappelés.

GRAND SEMINAIRE DE NANTES

Le 1° Février 1957

II° PARTIE REFLEXIONS SUR L’AMBIANCE MILITAIRE

INTRODUCTION

Parmi les faits inquiétants qui ont été cités, les uns se présentent comme exceptionnels, sortes d’accès de folie de compagnies qui d’ordinaire restent sages et humaines. D’autres faits, au contraire supposent une certaine mentalité, une certaine ambiance qui les porte et les prépare.

C’est cette dernière situation concrète que nous envisageons dans les lignes qui suivent. Nous voudrions redonner l’atmosphère particulière de compagnies de combat où, par suite de circonstances diverses, il y a eu durcissement.

Que le lecteur prenne donc bien garde de ne pas étendre automatiquement à toutes les compagnies de combat ce que nous affirmons de certaines d’entre elles. Pour être clair, disons que notre témoignage ne concerne directement que sept ou huit compagnies dont nous avons partagé la vie journalière, et qui étaient engagées dans des secteurs peut-être un peu plus pourris. Telles sont les limites très réelles de notre expérience.

Nous pensons cependant que les remarques qui suivent débordent notablement notre entourage immédiat. Elles peuvent valablement s’appliquer à chacun des régiments auxquels appartenaient les rédacteurs de ce texte (infanterie, infanterie coloniale, artillerie, fusiliers-marins). Les opérations menées en commun permettaient des contacts entre les compagnies et élargissaient le champ d’observations.

Enfin, nos cas sont-ils tellement exceptionnels ? C’est ce qu’une enquête plus étendue pourrait seule préciser.

DANS QUEL ESPRIT ? Tous les journaux ont signalé les diverses manifestations qui se sont produites à l’occasion des départs. Nous n’insistons pas. Il est plus intéressant d’observer le moral des gars au cours de ces six mois.

Dans les compagnies de combat, parmi ceux qui nous entouraient, il n’était guère question d’accomplir son devoir ou de servir les intérêts de la France. Au contraire, les attitudes et les réflexions reflétaient généralement une hostilité déclarée à l’égard du gouvernement et de l’armée : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre de l’Algérie… Qu’elle devienne Russe ou Américaine, ça m’est égal. Tout ce que je demande, c’est de retrouver ma femme et mon petit boulot tranquille ».

Un témoignage : Nous avons eu au poste plusieurs visites de parlementaires et de généraux. Chacune de ces visites réveillait cette rancœur profonde contre tous ces « politiciens qui nous ont envoyés dans ce pays pourri.. » « Ce sont tous des salauds, y compris les communistes qui ont voté comme les autres ».

Il faut avoir vécu avec le troupe pour sentir toute la violence de cette attitude hostile. Ni les colis de Mme Lacoste ou du P.C.F., ni les concessions sur le chapitre de la discipline militaire n’arrivaient à la désarmer. Il est sûr que le penchant bien français pour tout ce qui est « anti », la mauvaise humeur d’avoir été dérangé, l’égoïsme, entraient pour une certaine part dans cette attitude. Elle dénotait aussi une absence de sens civique peu honorable. Mais, à n’en pas douter, elle traduisait en même temps ce sentiment profond de la majorité d’entre nous, à savoir que la guerre d’Algérie n’était pas la nôtre.

LE COURAGE AU COMBAT Les quelques discours entendus à la radio, les articles des journaux ou les ordres du jour militaires qui s’aventuraient sur le thème de « l’héroïsme » ou du « cran magnifique » étaient accueillis par un haussement d’épaules et ressentis par certains comme une injure.

Nous n’étions ni plus ni moins courageux que d’autres. Au bout de quelques semaines, nous commencions même à posséder une certaine tactique militaire. Dans l’ensemble, et malgré notre impuissance dans bien des cas, nous avions cependant conscience de protéger des vies autour de nous, tant françaises qu’arabes. Le cas échéant, nous nous serions volontiers exposés au danger pour éviter des crimes.

Il faut pourtant noter qu’en cas d’accrochage, c’est la solidarité entre les gars qui était le ressort de l’action. C’est elle qui explique les plus beaux actes de courage. On aurait tout fait pour « sauver un copain ». Cette solidarité remplaçait avantageusement le genre de patriotisme idéologique qu’on nous prêtait, par exemple l’Echo d’Oran.

En définitive, l’ardeur combattive des Unités n’égalait sûrement pas la violence des propos anti-fellagha. En fait, nous nous moquions pas mal des fellagha. Fatigués physiquement, souvent déprimés moralement, nous cherchions d’abord à sauver notre peau. Lorsqu’à l’enterrement d’un camarade, un officier ou un aumônier venait à aborder le thème de « l’Algérie Française », cela nous ulcérait profondément. Nous avions la conviction que les gars qui étaient morts étaient morts pour autre chose.

Avant d’aborder la question des contacts entre la troupe et la population, disons un mot des conditions physiques et morales dans lesquelles se trouvaient les camarades.

Au bout de quelques semaines dans le bled, la fatigue s’était tout de suite fait sentir : longues heures de garde, conditions défectueuses des cantonnements improvisés, marches harassantes dans la poussière et sous un soleil de plomb. La vie que nous menions était dure.

Elle était aussi pénible moralement. Beaucoup d’entre nous avaient été arrachés brutalement à leur femme, leurs enfants, leur métier. Certains avaient dû renoncer à des projets. Nous avons tous connu de ces gars soucieux et inquiets des situations dramatiques créées par leur départ. Bien sûr, la bonne humeur existait, mais sur un fond de récriminations, de rouspétance et de cafard. L’apparente inutilité de nos efforts et de nos fatigues n’était pas non plus un élément de réconfort.

LES PREJUGES RACISTES On s’en prenait alors à tous les gens responsables de la situation, ou jugés tels : les politiciens d’abord, les colons ensuite, et surtout l’Arabe, « ce sale bougnoul d’où venait tout le mal ».

Le ton général était à peu près celui-ci : « Tous les bougnouls sont de pauvres types, récalcitrants au progrès, sales, paresseux et par surcroît fourbes et menteurs ». « Pas un seul ne mérite notre confiance, ils ne comprennent que la manière forte : c’est une sale race ». « Tous les bougnouls qui ne nous dénoncent pas les fellagha sont complices et criminels comme eux »… « Plus on en tue, mieux c’est… Autant de fellagha en moins ».

Le travail que nous avions à faire ne contribuait pas le moins du monde à liquider ces préjugés. C’était un véritable travail de policier : arrestations à tout moment pour vérification d’identité, contrôle de chargement des mulets, fouille complète et répétée des habitations, rafles monstres sur des kilomètres carrés qui rassemblaient de véritables troupeaux d’Arabes, les mains à la nuque pour le contrôle et la fouille, perquisitions nocturnes pour arrêter les suspects.

Quand on se promène pendant quelques semaines, la mitraillette en bandoulière, que l’on a devant soi des hommes et des femmes apeurés, qu’on peut être obéi au doigt et à l’œil, on acquiert vite le complexe de « plus fort », de « l’occupant », du « Maître ».

Venons-en aux faits. Dans de telles conditions, quelle était l’attitude de la troupe ? Il y a eu ces excès très graves surtout à la suite d’accrochages et d’embuscades. Il y a eu aussi des réalisations heureuses. Nous ne voulons pas essayer d’établir un équilibre entre ces deux séries de constatations : ni tenter un plaidoyer, ni dresser un acte d’accusation. Nous voulons simplement dire ce que nous avons vu le plus souvent autour de nous.

Déjà en lui-même le port de l’uniforme semble excuser dans l’esprit des gars bien des entorses à la morale. Mais, en opérations, c’est d’un véritable effondrement de la morale qu’il faut parler.

Les biens

Nous n’étions sûrement pas voleurs par méchanceté. Mais les circonstances réveillaient en nous le vieil instinct du soudard. Une fois que l’on a commencé, on ne sait plus où s’arrêter. Si nous avions besoin de quelque chose, nous nous servions à l’occasion de la première fouille venue : volailles, œufs, sucre, coupons d’étoffe, seau à eau, bouilloires, casseroles, allumettes, lampes électriques, lampes à pétrole. « J’ai vu voler une montre au bras d’un arabe, s’approprier plusieurs dizaines de mille francs découverts dans des cachettes de murailles, détrousser un cadavre ».

Nous n’étions pas non plus vandales par sadisme. Souvent les fouilles se passaient sans trop de dégâts. Souvent aussi nous étions pressés et de mauvaise humeur. Le spectacle était alors moins beau : corbeilles de farine renversées sur le sol, sacs de blé éventrés, buffets vidés à coups de pieds, portes enfoncées à la hache. Quand sur ordre il fallait se montrer méchant, c’était plus rapide : après un pillage en règle autorisé, il suffisait de mettre le feu aux mechtas et aux tas de paille. Pendant six mois, nous avons vu, les uns et les autres, brûler de nombreux villages.

Les personnes

Malgré les distributions de bonbons aux enfants, les soins donnés à des malades, le café bu avec les chefs de village, les contacts dans l’ensemble étaient très durs et parfois humiliants pour la population.

D’abord un témoignage sur la fouille des femmes : « Toutes les femmes devaient passer une à une dans une pièce pour la fouille. Elles dégrafaient leurs vêtements pour permettre à l’interprète de passer la main partout où elles auraient pu cacher une arme. Le capitaine m’a demandé parfois d’assister à l’opération comme ‘caution morale’. Une fois ou l’autre, sous mes yeux, le gars chargé de la fouille a un peu abusé de la situation. Mais, à ma connaissance, je crois qu’il n’y a eu qu’un seul viol dans la compagnie ».

La misère des familles, leur pauvreté, ne touchait guère les camarades. De même, quand, après un ratissage, on emmenait tous les hommes d’un village, les cris et les larmes des femmes n’éveillaient souvent qu’indifférence, pour ne pas dire moqueries. Un témoignage : « Un de nos prisonniers porteurs rencontre sa femme et ses cinq ou six enfants alors que nous passons par hasard dans son village. La scène est pitoyable : toute la famille pleure. Je ne crois pas pourtant que la majorité des gars ait réalisé le drame ».

Vis à vis des hommes, et cela non sans raison, notre attitude était celle de la suspicion générale. La méthode forte semblait alors la seule indiquée. Si l’on n’en venait pas toujours aux brutalités, ni même aux coups de crosse ou coups de pieds dans le derrière, le nombre de ceux d’entre nous qui les traitaient avec ménagement était singulièrement restreint.

En somme, l’Arabe était jugé généralement comme un être inférieur, un être de moindre valeur. C’est ce qui explique que le fait de tirer sur un arabe, même un civil (un homme qui se sauve à notre approche par exemple), ne posait pas du tout le même problème que s’il d’était agi d’un européen. Quand, au cours d’opérations, la discipline de feu se relâchait ou devenait inexistante, un Arabe devant nous n’était plus un homme mais une cible à atteindre.

RESPONSABILITES Nous pensons, sans trop de risques d’erreur, pouvoir dégager quelques points plus précis.

Efficacité

D’abord, une certaine doctrine de l’efficacité à tout prix peut expliquer bien des attitudes du commandement. Un témoignage : « Mon capitaine m’a dit un jour : ‘Nous sommes ici pour faire la guerre, la loi de la guerre, c’est l’efficacité. La morale est faite pour les gars qui sont dans une situation normale. La guerre, elle, est une situation anormale ».

Pour nécessaire et légitime que soit ce désir d’efficacité, il y a quand même des limites. Or il est absolument exact que des ordres ont été donnés d’achever un blessé, de brûler des villages, de torturer, d’exécuter les prisonniers ou des otages. Il serait injuste d’en rejeter la responsabilité sur les officiers subalternes. En certains cas, il a été possible de constater que l’initiative venait précisément des officiers supérieurs. Ces ordres-là sont dans la logique de l’efficacité, sont-ils légitimes pour autant ?

Ordres injustes

On comprendra que de graves cas de conscience se soient présentés aux chrétiens, quelle que soit leur place dans la hiérarchie militaire. Un témoignage : « J’ai discuté avec un colonel qui n’admettait pas l’existence d’ordres injustes, ni qu’on puisse discuter un ordre. Un ordre est un ordre. L’autorité qui le donne en prend la responsabilité, le subordonné ne peut qu’obéir. Il a été jusqu’à me dire : ‘Si le gouvernement donnait l’ordre de tuer tous les Arabes, nous n’aurions qu’à obéir. Et d’ailleurs cet ordre pourrait se justifier par le principe de légitime défense d’un peuple contre un autre’. A son avis, lorsqu’une minorité entrave la vie d’un peuple, il peut être légitime de l’anéantir. Inutile de dire qu’il centrait tout sur l’efficacité : ‘Si nous en avions tué cinquante mille dès le début, nous n’en serions pas où nous en sommes’ m’a-t-il dit en se référant au précédent de Sétif en 1945. Il était très dur pour certains séminaristes qui ‘se réunissent pour discuter des ordres : ces gens-là sont extrêmement dangereux. Ils sont capables de vous foutre en l’air tout un bataillon’. Tout en reprochant au jeune clergé de manquer de sens de l’Eglise et en l’accusant de progressisme dans le sillage de Témoignage Chrétien et de la Vie Catholique, il ne se gênait pas pour traiter Mgr Duval de ‘Fellagha en soutane’. Ce colonel était un fervent catholique ».

Ceci est sans doute un cas extrême. Mais il reste que dans l’ensemble, le commandement voit d’un très mauvais œil tout cas de conscience au sujet de l’autorité. On peut même dire qu’il y a comme un postulat sur lequel semblerait reposer toute la discipline militaire, à savoir l’irresponsabilité totale de l’exécutant.

Pour ce qui est de la troupe, ce problème des ordres reste assez théorique. Peu se posent la question, d’une part, d’autre part, il se présentait toujours des volontaires pour les « sales besognes » et ceux qui avaient une opinion pouvaient pratiquement s’abstenir.

Laisser faire

Une attitude de laisser-faire du commandement n’avait pas de conséquence plus heureuse, soit pour empêcher les excès, soit pour sanctionner. Sans doute, l’autorité ne peut enrayer toute la séquelle des maux inévitables qu’entraîne la contre-guérilla. Mais si elle ferme les yeux trop longtemps, elle devient complice. Un témoignage : « J’ai tenté, par la voie hiérarchique, d’alerter le colonel sur des excès graves produits autour de moi. Je n’ai pu aller plus haut que le capitaine. Un recours par lettre au ministère a déclenché de la part de celui-ci une demande d’information. La réaction du colonel a été violente à mon égard. Mais il n’a nullement réprouvé les excès. Aucun blâme, aucune sanction n’ont jamais été portés ». Tous les chefs n’étaient pas de ce genre, mais il est certain que la carence de l’autorité à été souvent grave.

Conclusion

En somme, dans la mesure où les officiers croyaient à une morale de la guerre, dans la mesure en particulier où les officiers subalternes (lieutenants et capitaines) avaient un véritable sens de l’homme, le visage de la pacification pouvait totalement changer. Nous tenons à souligner les efforts d’officiers et de sous-officiers que nous avons connus qui, en des circonstances difficiles, ont fait courageusement et humainement leur devoir de soldat.

Tel est donc, dessiné à grands traits, le visage avec lequel la pacification s’est présentée à nous. Notre témoignage ne peut prétendre en refléter tous les aspects. Mais, n’en serait-il restreint qu’à nos unités de combat, qu’il mériterait déjà la plus grande attention.

L’affranchissement des principes ordinaires de la morale est bien la première chose à signaler : vols, injustices, brutalités, etc… ne posaient guère de problèmes. La conscience de nos camarades s’était singulièrement élargie. Ils posaient des actes que, dans le civil, ils ne se seraient pas permis et que, très probablement, ils ne se permettront plus. L’énervement, le manque de sang-froid et bien d’autres causes peuvent en donner l’explication partielle.

Mais l’explication véritable n’est pas là. Elle réside dans une perte du sens de l’homme. Puisque le fellagha est un ‘hors-la-loi’, c’est à dire un être qui, à cause de ses crimes, est déchu de tous ses droits, pourquoi s’obliger encore à respecter en lui l’homme ? Puisque la population arabe est plus ou moins complice, que parfois elle se solidarise avec les rebelles, pourquoi lui accorder plus d’égards ? De là à penser que la rébellion est le crime d’une race tarée, collectivement responsable, il n’y a qu’un pas à franchir. Ainsi, toute une gamme de sentiments, depuis l’absence d’amour jusqu’à la haine véritable, ont traduit cette perte de sens de l’homme.

Bien sûr ce n’était parfois qu’incompréhension vis à vis d’une civilisation différente de la nôtre, un manque de sympathie pour l’Arabe, ‘peu intéressant’, une absence de compassion devant les souffrances de la population, devant les misères de plus pauvre que nous.

Bien plus souvent, c’était un mépris véritable et profond contre ‘le bougnoul’. Nous signalons au passage tout le complexe affectif que comporte ce terme qui est à lui seul une injure.

Enfin, comment ne pas être inquiet de la place considérable qu’a pu prendre la haine (consciente ou non) dans notre action militaire : à la fois haine de l’ennemi et haine de l’arabe comme tel. N’est-ce pas, en tous cas, ce sentiment qui a animé la plupart des violences injustifiées que nous avons signalées ?

Nous n’accusons pas tel ou tel de nos camarades plus dépravés, plus fermés à l’amour, moins ouverts sur le véritable sens de l’homme. Mais nous dénonçons cette mentalité collective qui suait la haine. Nous nous élevons contre cette pression sociale inhumaine et anti-chrétienne. C’est un fait que, sans avoir choisi cette ambiance, bon nombre de nos camarades se trouvaient imprégnés et entraînés presque inévitablement. Nous-mêmes, nous ne prétendons pas avoir toujours échappé à cette contagion de la haine, et quand nous tentions de réagir autour de nous, de retenir et d’apaiser, quelle peine avons-nous eu à rappeler l’Evangile.

Dans tout cela, comment réagissaient les chrétiens ? Sauf exceptions, séminaristes et prêtres, nous nous trouvions d’accord généralement avec les militants des mouvements d’action catholique et autres chrétiens formés. Mais il ne nous semble pas que les chrétiens ‘simplement pratiquants’ aient eu des réactions différentes de l’ensemble des gars. De braves chrétiens ont fait piètre figure, parfois scandale, quant à leur sens de l’homme, à côté d’indifférents, d’athées ou de communistes que nous avons connus. En somme, pratiquants ou non, les réactions de nos camarades nous semblaient à la mesure de leur valeur humaine et plus précisément de leur ouverture aux problèmes sociaux.

Il faut aussi dire un mot de l’appui que les militants chrétiens pouvaient trouver auprès des aumôniers militaires et du clergé local. Quelques faits précis donnent à penser que, dans certains cas limites, la place que l’armée voulait laisser à l’aumônier militaire était assez utilitaire. On semblait d’abord attendre de ‘la Religion’ et de prêtres qu’ils maintiennent le tonus psychologique des combattants.

On comprendra dès lors les difficultés réelles des aumôniers. Certains chrétiens (prêtres rappelés, séminaristes, militants) auraient souhaité aborder avec leurs aumôniers les problèmes de conscience concrets dont nous avons parlé. En fait, dans bien des cas, il a fallu y renoncer. Le dialogue amorcé s’avérait impossible.

Par ailleurs, le grand nombre des postes isolés rendait le travail du prêtre difficile et limitait souvent son action à une courte visite pour dire la messe. Le dévouement admirable des aumôniers ne pouvait suppléer leur petit nombre.

Le point de vue auquel nous nous sommes placés, celui de l’action militaire, peut paraître étroit. Nous n’avons rien dit du comportement chrétien au poste, de l’amitié, de l’entraide, de la pratique religieuse, de la fréquentation des sacrements, etc… : c’est que ces problèmes ne sont pas particuliers à l’Algérie.

Nous avons surtout insisté sur les difficultés qu’il y a à vivre en chrétien dans cette guerre, non par esprit partisan, mais parce que ces difficultés sont réelles et graves. Dans les secteurs que nous avons connus, la pression sociale est si forte que l’appel à la conscience individuelle ne peut que difficilement être entendu. Les circonstances concrètes de la lutte sont tels qu’une morale de la guerre a toutes les chances de rester purement théorique.

Notre champ d’observation a été assurément limité, nous le soulignons de nouveau… mais les valeurs mises en cause sont trop importantes pour qu’on élude la question. Les risques que courent les jeunes exposés à cette influence déshumanisante et contraire à l’Evangile sont trop graves pour qu’on puisse négliger le problème. Pour notre part, sans prétendre envisager les multiples autres aspects du drame algérien, en nous plaçant sous ce simple angle moral, nous ne voyons d’issue nulle part sinon dans l’arrêt d’une guerre toujours fratricide.

H. DEMANGEAU, Matelot Fusiller Marin

J. BONFILS, Sous-Officier d’Artillerie

J. LEPINE, Brigadier-Chef de Cavalerie

M. BAUVINEAU, Sous-Officier d’Infanterie Coloniale

H. POISSON, Sous-Officier d’Infanterie

P. TEMPLIER, Sous-Officier d’Infanterie

J. PATRON, Sous-Officier d’Infanterie

III° PARTIE … ET DES FAITS PLUS CONSOLANTS .

A côté des faits pénibles et inquiétants du conflit algérien, il faut aussi, pour être juste, citer d’autres faits, plus consolants ceux-là. Ils restent un témoignage de la fraternité humaine existant entre hommes de races différentes.

Pour ne pas trop nous répéter, nous serons obligés de nous limiter, car les faits se ressemblent tous. Il serait injuste, croyons-nous, de juger le mouvement de « pacification » en Algérie à partir du petit nombre de ces faits et de conclure tout de suite à son inefficacité.

1- SECTEUR DE GRANDE KABYLIE.

Voici quelques faits tirés de la vie d’une compagnie de rappelés installés sur un piton du Grande Kabylie :

Activité du médecin rappelé : le point de départ : il soigne un jeune kabyle gravement blessé au pied dans un éboulement de pierres. Soins quotidiens, attentifs, gratuits, jusqu’à la guérison. Aussitôt, une nombreuse clientèle de kabyles vient le voir. Lui-même sort visiter les infirmes.

D’autres faits : le convoi quotidien de ravitaillement trouve un soir des kabyles désespérés. Un de leurs fils s’est gravement blessé dans une chute de cinq à sis mètres. Les rappelés prennent le blessé, le conduisent à la compagnie puis repartent immédiatement de nuit vers l’hôpital le plus proche (alors distant de 17 kms). Dans les jours qui suivent, on prend des renseignements par téléphone, on va voir les parents.

Près de la compagnie se trouve un douar dont les premières maisons ne sont qu’à quelques mètres du camp. Par un jour de pluie, une mechta bâtie depuis peu s’effondre. Une femme se trouve sous les décombres. Immédiatement, une cinquantaine de rappelés viennent dégager la pauvre femme de sa fâcheuse position. On appelle par téléphone l’ambulance du bataillon pour conduire la blessée à l’hôpital.

Durant les derniers mois de notre séjour, les camions servant au ravitaillement s’arrêtent en route pour prendre les kabyles du douar voisin qui reviennent à pied du marché. Dans les véhicules, soldats et kabyles fraternisent.

Plus important que ces faits séparés, il faudrait citer ici les propres paroles du commandant de compagnie demandant à ses hommes de rentrer en contact sympathique avec les Kabyles. C’était d’ailleurs l’un des buts de nos patrouilles quotidiennes. Combien d’heures nous avons ainsi passées en conversation avec les indigènes.

Encore des faits :

Pour les chômeurs, nombreux dans ce pauvre pays, un chantier est ouvert au début du mois de septembre. Il s’agit de refaire une piste. Dès le premier jour, vingt ouvriers se présentent. Ils sont pris en charge par une section S.A.S. et payés au prix syndical d’Algérie.

Une école est également ouverte, vers le milieu d’octobre dans le douar voisin. Un militaire, un appelé fait la classe. Dès les premiers jours, 30 à 40 élèves fréquentent l’école.

Notons aussi, dans les familles du douar voisin, le respect absolu de la femme. Les biens aussi sont respectés. Pas de vol, ou très peu, à l’insu des chefs, car les ordres sont formels. Les prisonniers, les suspects arrêtés (sur mandat d’arrestation), sont traités humainement avant d’être conduits à la prison de X… – Une seule exception : le jour d’une embuscade qui a coûté 11 morts à la compagnie voisine, deux suspects sont arrêtés sur les lieux par notre compagnie. Ils ont reçu nombre de coups de pieds et de coups de poings… Les hommes de cette compagnie ne sont pas mieux que les autres. Souvent, les conversations des hommes révèlent un certain nombre d’incompréhensions, de rancœurs, elles sont souvent la preuve d’un mépris pour une race différente. (Il y a bien chez tout homme un fond de sadisme, prêt à surgir en toute occasion). Il faut savoir gré au commandant de compagnie, qui a réussi malgré tout, à établir un climat de justice et, on peut le dire, de charité. P.G. Prêtre

2- SECTEUR D’ALGEROIS

Quelques heures dans un coin ‘pacifié’.

2 Novembre 1956. Je pars dès le matin de M., avec le convoi de ravitaillement, pour aller dire la messe dans un poste isolé. Il y a une bonne vingtaine de kilomètres de piste à faire. Nous traversons d’abord le douar Z. C’est comme partout ailleurs. Mais le capitaine me dite : « Vous allez voir le changement en arrivant au douar B.M. ». Et, de fait, je vois alors ce que je n’avais encore jamais vu – et Dieu sait pourtant le nombre de kilomètres de pistes que j’ai parcourus – j’aperçois soudain, dans les broussailles dominant la piste, un Arabe (en civil) armé d’un fusil de chasse. Mon premier réflexe est de penser que nous tombons dans une embuscade ! Mais le capitaine me rassure : c’est tout le contraire. Cet Arabe monte la garde pour assurer la protection du convoi. Et ce sera ainsi pendant 3 ou 4 kms, jusqu’au poste. Des Arabes armés sont postés tous les 220 mètres environ, qui nous font des grands signes d’amitié au passage.

Notre convoi s’arrête à 500 m du poste. Il ne peut aller plus loin, faute de piste. Mais plusieurs Arabes nous attendent encore, avec des chevaux et des mulets. Accueil très sympathique : les soldats et les Arabes se saluent comme de vieux amis. On charge le matériel et le ravitaillement – et aussi la valise-chapelle – sur les mulets pour arriver au poste. Là, même ambiance fraternelle. Tout un village arabe s’est formé près du cantonnement. Les hommes travaillent avec les soldats à la construction d’un ‘bordj’. Beaucoup viennent saluer le capitaine et lui présenter leur requête. Les uns voudraient qu’on leur donne un fusil, d’autres des papiers, d’autres demandent à profiter du convoi pour descendre à la ville de M.

Il y a là toute une « harca », c’est dire un groupe d’une soixantaine d’Arabes à qui on a donné des fusils de chasse et qui sont à la disposition de la compagnie. Ce sont même eux qui montent les couleurs chaque matin en présentant les armes. Pendant que je dis la messe, en plein air évidemment, sous le regard curieux d’un bon nombre d’entre eux, un petit groupe est parti essayer de tuer des perdreaux pour me les offrir. Ils n’ont tué qu’un lapin, mais il fallait voir comme ils étaient heureux de me le donner… Et nous sommes repartis, emmenant avec nous vers M. tous ceux qui avaient pu trouver une place dans les véhicules.

Mais j’ai visité bien d’autres postes et ce jour-là seulement j’ai trouvé une ambiance si pacifique.

P.T. Prêtre

3- SECTEUR D’ALGEROIS

Pour passer le temps et se détendre un peu, le soir, après la soupe, nous faisions du football. Les premiers jours, les Arabes qui habitaient le coin regardaient de loin les militaires jouer. Un soir, quelques gars vont leur demander de venir jouer avec eux. Ils acceptent timidement. Quelque temps après, ils avaient constitué une équipe et, chaque soir que nous étions libres, ils opposaient leur équipe à la nôtre. Un soir même, ils firent venir deux joueurs d’un club voisin.

En opération, pour porter nos sacs, nous récupérions des ânes et des mules avec un ‘chauffeur’ (pris habituellement parmi les jeunes). Plusieurs fois, et dans différents coins de l’Algérois, nous avons gardé l’animal et le jeune homme en question plusieurs jours. Nous nous arrangions pour nourrir nos compagnons. Le premier jour, habituellement, comme ils ne parlaient pas français, ces jeunes indigènes nous épiaient du coin de l’œil. Mais dès le deuxième jour, ils étaient très familiers avec nous et facilement nous pouvions engager une conversation. Ceci en raison de la nourriture et aussi de la sympathie apportée par les gars.

A P., véritable attaque du train par plusieurs centaines de gosses pour recueillir bonbons, chocolat, sucre, etc … Remarquable ! Les militaires, tous rappelés, donnaient tout ce qu’ils avaient comme nourriture, pain, conserves, tout y passait, si bien que la plupart ne mangeaient pas dans la soirée. Les enfants qui paraissaient les pauvres et les plus petits étaient les plus favorisés.

H.P. Prêtre

4 – SECTEUR D’ORANIE

Mi-juillet, la vallée d’A.I. a été complètement désertée par les habitants des douars : une population de 800 habitants. Raison : sauvagerie d’une répression aveugle.

Fin juillet, un nouveau bataillon dont je fus l’aumônier prend position dans la vallée surnommée par les Arabes ‘la vallée de la mort’. Volonté du commandement : inspirer confiance aux Arabes de façon à les ramener dans leurs fermes et leurs douars et leur assurer ainsi des récoltes normales et plus tard assurer les semailles.

Fin octobre, la grande majorité des Arabes avait repris possession des villages et une bonne entente régnait entre militaires et Arabes : réception sous la tente ou dans la mechta pour prendre le thé, pour manger le méchouis… Personnellement ‘ai été invité par plusieurs Arabes à prendre le thé chez eux et je m’y suis rendu en toute confiance.

Maison forestière de M. Le sous-lieutenant B. avait organisé à ses frais une infirmerie où, chaque jour, il donnait des soins à des habitants des douars voisins, plus particulièrement aux enfants atteints pour la plupart d’ophtalmies très graves.

Début Août, maison forestière de M. Un Arabe du douar voisin est piqué par un scorpion, il est impossible de le transporter à l’hôpital le plus proche. Le chef de poste confie à son infirmier l’unique sérum antivenimeux que possédait le poste. L’Arabe fut sauvé.

L’officier S.A.S. d’A.T. devenu un véritable juge de paix auquel chacun venait demander de régler ses différends. Soucieux en même temps du bien-être des Arabes, il organise une infirmerie dans les dépendances d’une ferme. Lorsque je suis passé le voir, j’ai constaté la reconnaissance des Arabes qui, depuis longtemps ne voyaient plus de médecin civil.

Après avoir organisé les vendanges dans la région, il avait établi tout un programme de travaux : nouvelles pistes à tracer, routes à améliorer, bordj à construire… tout cela pour permettre aux Arabes de gagner un peu d’argent.

J.L. Prêtre

5- SECTEUR DU BONOIS

Ma section de Fusiliers de l’Air a beaucoup voyagé entre Guelma, Duvivier, Souk-Arhas et Bône. Je ne pense pas que l’un de nous ait eu à se plaindre de l’attitude des indigènes, je ne pense pas non plus que les indigènes aient eu trop à se plaindre de notre conduite. D’ailleurs, ils l’ont bien prouvé, ces Arabes de N. qui pleuraient à notre départ.

Demi-brigade dite de ‘pacification’, nous avons tenu à garder les meilleurs rapports avec les populations civiles, tant musulmanes qu’européennes. Le capitaine commandant la compagnie, ainsi que les sous-lieutenants, devaient être particulièrement alertés sur ce point, puisque là résidait tout leur travail et qu’ils avaient à produire chaque mois un rapport sur leurs activité de pacification.

Les faits suivants, pris entre mille, ne paraîtront peut-être pas grand-chose, mais on voudra bien penser qu’ils étaient réalisés par des militaires.

Un jour, dans ma section, je vois revenir un soldat chargé de pommes (il les perdait malgré lui !) Il les avait découvertes au cours d’une fouille de mechta. Le sous-officier chef de groupe était, paraît-il, d’accord pour les emporter. Nous sommes retournée tous les deux reporter les pommes au propriétaire. Bonne leçon pour le soldat : c’était tout ce que ces Arabes avaient pour leur manger. Ils étaient si heureux qu’ils ont voulu que nous en gardions quelques unes, en échange de quoi nous leur avons donné du pain d’épices et des conserves. Huit jours plus tard, nous mangions le couscous dans cette famille (inutile de dire que nous avions largement contribué aux frais du couscous). Ce soldat avait fait de la pacification sans le savoir et sans doute sans le vouloir.

Le toubib de la compagnie venait deux fois par semaine dans la section. Avec quelques soldats, nous partions alors à travers les mechtas et notre docteur soignait, souvent avec des moyens bien rudimentaires, des plaies repoussantes et souvent gangreneuses. Il fallait voir la joie des Arabes alors qu’ils apportaient leurs enfants, pauvres être amaigris et malpropres… Ils guérissaient d’ailleurs avec une facilité étonnante. Le dévouement des docteurs a beaucoup contribué à redonner confiance et à établir la bonne entente.

Nous changeons de quartier : D. est un coin terrible, paraît-il, il y a souvent des embuscades et des déraillements de train. Nous gardons précisément la gare et la ligne de chemin de fer. La section se trouve un peu isolée, sur un piton. Trois ou quatre jours après notre arrivée, nous construisons des murailles tout autour du camp. Il s’agit de transporter des pierres, pour monter de la vallée sur le piton. Les arabes des mechtas avoisinantes, après quelques hésitations probablement, viennent d’eux-mêmes s’offrir pour transporter les pierres, ce qui nous est d’un grand secours. Quelques paquets de cigarettes, quelques boites de conserve, et la glace est rompue, l’ambiance d’amitié est crée.

La grande peur, pour ces gens, c’est le fellagha. Aussi viennent-ils se mettre sous notre protection. Nous engageons à notre service des hommes repérés par les rebelles. L’un d’eux (quel âge peut-il avoir ? C’est très difficile de le dire !) et son fils, 19 ans, nous suivront partout désormais. Les soldats leur parlent : rien d’amusant comme cet embryon de conversation où voisinent le français et l’arabe le plus invraisemblable ! Il ne faut surtout pas les appeler fellagha, c’est une insulte pour eux. Quand je partirai, au mois de décembre, le fils sera admis, après bien des démarches, dans l’armée de l’air.

V.R. Prêtre

CONCLUSION

Faits de « pacification »…, faits moins probants, moins spectaculaires, moins faciles monter en épingle que les précédents. Ce qu’il faudrait rapporter, ce ne sont plus des faits isolés, mais l’ambiance créée autour de telle compagnie, de tel régiment, de telle section … pour amener les arabes à faire confiance aux soldats.

C’est encore l’ambiance créée dans cette compagnie, ce régiment, cette section, pour amener les soldats à respecter les Arabes, à leur faire confiance et à leur rendre service.

Action psychologique, menée d’abord chez les militaires afin qu’elle puisse produire aussi de bons résultats chez les Arabes.

Cette action ne provoque pas des ‘retournements de situation’ aussi rapides et aussi radicaux qu’une bonne série de représailles, mais elle laisse des traces autrement plus profondes et ses effets se font sentir tôt ou tard.

Action possible puisqu’elle a été réalisée dans des régions qui sont devenues ou sont restées calmes.

Source : Paul Templier, 21-05-2002

==========================================

Vous pourrez aussi lire leur histoire ici.
pretres

Source: http://www.les-crises.fr/1957-des-pretres-et-des-seminaristes-nantais-rappeles-en-algerie-temoignent/


Revue de presse du 28/05/2016

Saturday 28 May 2016 at 01:00

Chine, Russie, Libye, Syrie, Norvège, États-Unis, Brésil, Corée du Sud, Suisse, Grande-Bretagne, Pologne, et même France, des nouvelles d’un peu partout dans le monde ! Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-28052016/


Israël plafonne les salaires des patrons des banques

Saturday 28 May 2016 at 00:04

Pour ceux qui disent que c’est pas possible, hein…

Source : La Tribune, AFP, 29/03/2016

La loi a été adoptée par les 56 députés présents à la Knesset, qui compte 120 sièges. (Crédits : © Ronen Zvulun / Reuters)

La loi a été adoptée par les 56 députés présents à la Knesset, qui compte 120 sièges. (Crédits : © Ronen Zvulun / Reuters)

Le Parlement israélien a décidé que dans le secteur financier aucun salaire ne pourra excéder 35 fois celui de l’employé le moins bien payé au sein de la même société. Une mesure qui se veut de répondre à “un problème d’éthique”.

Pour répondre à l’une des principales préoccupations de la population, à savoir le coût élevé de la vie, Israël s’attaque aux patrons des banques. Le Parlement israélien a adopté dans la nuit de lundi 28 à mardi 29 mars une loi limitant leurs salaires à 584.000 euros par an.

Décrite en Israël comme l’une des plus restrictives des pays ayant un système bancaire libre, cette loi stipule qu’aucun salaire versé dans le secteur financier ne peut excéder 35 fois celui de l’employé le moins bien payé au sein de la même société, avec une limite supérieure infranchissable de 2,5 millions de shekels. Un communiqué du Parlement, qui cite le président de la commission parlementaire des Finances Moshe Gafni, membre d’un des partis ultra-orthodoxes de la Knesset, explique ainsi la démarche:

Le texte “répond à un problème d’éthique et de valeurs quand il s’agit des salaires de ceux qui gèrent l’argent du public”.

L’Association des banques d’Israël se gardait de tout commentaire mardi mais des médias rapportent qu’elle envisage de saisir la Cour suprême.

Une réforme limitée au secteur bancaire

Certains éditorialistes israéliens ont mis en garde contre le tort que cette loi pourrait causer à l’économie israélienne, la décrivant comme sans précédent par sa rigueur. “Israël, un pays en quête d’investissements, ne peut pas adopter les positions les plus extrêmes sur le sujet”, peut-on lire dans le quotidien de gauche Haaretz.

Le coût élevé de la vie est l’une des priorités énoncées par le ministre des Finances Moshe Kahlon, qui a milité pour cette nouvelle loi. Celle-ci a été adoptée par les 56 députés présents à la Knesset, qui compte 120 sièges.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, bien que connu pour être favorable au monde des affaires, ne dispose que d’une voix de majorité au parlement. Il a ainsi besoin du soutien du parti centriste Koulanou de Moshe Kahlon. La semaine dernière, Eli Groner, directeur général du cabinet de Benjamin Netanyahu, a déclaré sur la radio publique:

“Il s’agit d’une importante réforme conduite par le ministre des Finances, qui a le soutien du Premier ministre”.

Avant de préciser:

“En même temps, nous ne pensons pas qu’il serait bon qu’elle soit étendue à d’autres secteurs”.

(Avec AFP)

Source : La TribuneAFP, 29/03/2016

Source: http://www.les-crises.fr/israel-plafonne-les-salaires-des-patrons-des-banques/


Algérie, août 1955 : la mort filmée en direct, par Marie Chominot

Friday 27 May 2016 at 04:27

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Le 20 août 1955, une insurrection a secoué l’ensemble du Constantinois, au cours de laquelle deux massacres d’Européens ont été perpétrés par des émeutiers : l’un à El Alia, petite agglomération minière où 35 personnes ont été tuées, l’autre au sein d’une famille d’Aïn Abid où 7 personnes ont été tuées. L’estimation globale du gouvernement général est de 123 tués : 31 militaires, 71 civils européens et 21 Algériens. Les représailles qui se sont abattues sur la population algérienne de la région, à partir du 20 août, ont été terribles. La violence, extrême et générale, a duré des semaines ; le nombre de victimes algériennes, hommes, femmes et enfants, n’est pas connu avec précision mais dépasserait 7 500. Un film d’actualités rend compte de la violence de cette répression. Ces images sont connues et documentées par les historiens depuis des années[i]. Malgré tout, elles suscitent encore aujourd’hui des interprétations erronées et restent instrumentalisées pour générer des polémiques. Cet article se propose de revenir en détail sur l’histoire de ces images, afin qu’elles puissent être lues et utilisées correctement et, surtout, sereinement. 

En cette année de cinquantième anniversaire de la fin d’une guerre qui vit l’Algérie accéder à l’indépendance, la diffusion d’un film documentaire (Guerre d’Algérie, la déchirure, de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, diffusé sur France 2 le dimanche 11 mars 2012 à 20h30) fait ressurgir l’une des plus grandes polémiques médiatiques qu’ait connue la France pendant la guerre d’Algérie, dans les derniers jours de l’année 1955.

La séquence incriminée montre un gendarme en train d’abattre, de sang froid et sans sommation, un civil algérien qui s’éloigne sur une route, avant de recharger son arme. Un message, posté sur un blog le 9 mars 2012, puis largement relayé auprès d’un certain nombre d’associations, qualifie ces images de « mise en scène, réalisée par la Fox Movietone et tournée le 22 août 1955 à Aïn Abid, devant une dizaine de journalistes. On voit le suspect s’éloigner. Soudain, il jette sa casquette en l’air (ce qui permet au gendarme de la prendre pour cible). Le suspect s’écroule ensuite, simulant la mort… Le gendarme G…. , qui avait accepté de tourner cette scène contre rétribution, a ensuite bénéficié d’un non-lieu devant le tribunal où il avait comparu pour faute. Tournée en 1955, ces images ont ensuite été utilisées par des cinéastes du FLN pour illustrer la répression qui a suivi les événements de Sétif, en 1945[ii] ».

Mise en scène, trucage des images : plus de cinquante ans après, on retrouve ici la rhétorique et les arguments utilisés par le gouvernement français lors de la publication de ces images, fin 1955, images qui le plaçaient face à la révélation de la brutalité et du caractère indiscriminé de la répression militaire consécutive à l’insurrection nationaliste du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Avant d’expliciter les conditions de production et de diffusion de ces images, puis le déroulement du scandale médiatique qu’elles ont provoqué en 1955, arrêtons-nous un instant pour les regarder vraiment.

Que s’est-il passé le 22 août 1955 à Aïn Abid ?

Le 22 août 1955, à Aïn Abid, petit village à une quarantaine de kilomètres au sud de Constantine qui venait d’être le théâtre de l’assassinat de sept de ses habitants européens par l’ALN[iii], ce n’est pas une mais trois exécutions sommaires qui se déroulèrent devant la caméra. Ces trois séquences différentes (deux sur une route et une autour d’une tente de nomades) ont été, parmi d’autres, tournées par le caméraman Georges Chassagne, natif d’Algérie et correspondant permanent dans ce pays pour deux firmes d’actualités : la française Gaumont[iv] et l’américaine Fox-Movietone.

Georges Chassagne a travaillé dans la plus grande légalité, respectant le système des autorisations alors en vigueur pour les journalistes : un laissez-passer délivré par les autorités civiles (Gouvernement général et préfets), permettant de se rendre dans des zones où l’armée opérait. Le 21 août, il a été « convié officiellement, par le gouvernement général, ainsi que cinq de ses confrères de la presse américaine et algéroise, à un voyage organisé, et sous escorte, dans le Constantinois[v] ». Le début de son reportage, tel que conservé dans les archives Pathé-Gaumont, montre qu’il a accompagné le Gouverneur général Jacques Soustelle lors de sa visite auprès des victimes européennes à l’hôpital de Constantine : c’était l’objectif de ce voyage de presse organisé. Le lendemain matin, il a profité, avec cinq autres journalistes (dont Robert Soulé, correspondant de France Soir et Jacques Alexandre, correspondant de la firme américaine d’actualités CBS News, concurrente de la Fox Movietone), d’une escorte de CRS, qui convoyait des autorités locales jusqu’à Oued Zenati, pour rejoindre la zone troublée.

Ils s’arrêtèrent à Aïn Abid, où l’armée était en train d’opérer un ratissage afin de retrouver les auteurs de la tuerie du 20 août. « Les militaires avaient demandé à tous les musulmans de se rassembler pour un contrôle d’identité. […] Tous ceux qui ne s’étaient pas présentés aux autorités devaient être considérés comme rebelles », rapporte Robert Soulé[vi]. Les journalistes suivirent alors une patrouille formée de six à huit soldats et d’un gendarme « qui semblait conduire les opérations de nettoyage[vii] ». Originaire d’Aïn Abid, il était proche de la famille Mello, dont plusieurs membres avaient été tués.

Première séquence filmée : la patrouille fouille des tentes de nomades (qui campaient, l’été, à l’extérieur du village). A peine sorti de sa tente, sans arme et les bras en l’air, un Algérien est abattu d’un coup de fusil. Un militaire l’achève d’une balle de revolver dans la tête, à bout portant. La tente est ensuite démontée. Selon Georges Chassagne, on y a « d’ailleurs retrouvé des objets provenant du pillage de la maison d’un fonctionnaire des PTT[viii] ». Un peu plus tard, « la patrouille entra dans la cour d’une ferme et demanda à un Algérien d’une soixantaine d’années si un musulman, nommément désigné, était resté à la ferme ou s’il s’était enfui ». Chassagne était resté à l’extérieur : « Il vit ressortir le gendarme, poussant un individu. Sur l’ordre du gendarme l’homme s’éloigna. Il fut abattu à quelques mètres par un coup de mousqueton[ix] ». Chassagne déclencha alors sa caméra, pour filmer une scène dont le déroulement lui était connu, puisqu’il en avait déjà filmé une semblable, quelques minutes plus tôt : un Algérien, vêtu d’une djellaba blanche, abattu par le même gendarme, devant une maison. Témoin de cette nouvelle exécution sommaire, Chassagne déclencha sa caméra plus rapidement et la séquence filmée est un peu plus longue (8 secondes, contre 3 pour la séquence précédente) et un peu mieux cadrée.

Des images qui font le tour du monde

Après avoir tourné quelques plans de la mosquée, qui a servi de PC aux émeutiers[x], Chassagne quitta Aïn Abid en fin de matinée, pour rejoindre Constantine puis Alger. Le soir même, il transmettait ses bobines à ses employeurs. Comme la firme Gaumont, qui n’inclut pas ces images dans son journal filmé de la semaine (diffusé dans les cinémas avant le film), le bureau parisien de la Fox Movietone décida « d’exclure les séquences en cause des montages destinés à la France et à l’Europe[xi] ». A New-York, ces images furent montées, avec d’autres – en provenance, notamment, du Maroc – pour une bande d’actualités évoquant les troubles qui avaient secoué l’ensemble de l’Afrique du Nord le 20 août 1955. Ce film d’actualités fut diffusé sur les télévisions du continent américain, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Amérique latine, à quelques jours de l’ouverture de la 10e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, à l’ordre du jour de laquelle 15 Etats du groupe afro-asiatique avaient demandé l’inscription de la question algérienne[xii]. Les images d’exécution étaient accompagnées du commentaire suivant : « Les victimes sont des fanatiques voués à l’assassinat. C’est une poursuite où les Français, qui ont vu des hommes, des femmes et des enfants européens dépecés sauvagement, ne peuvent prendre le temps de discuter (effet sonore sur l’image – silence au moment de l’exécution – effet sonore sur l’image). La pitié est à nouveau oubliée dans une guerre meurtrière[xiii]. »

Découvrant ces images à la télévision américaine, puis dans le magazine Life où cinq photogrammes issus de la bande filmée furent publiés le 5 septembre 1955[xiv], l’ambassadeur de France à Washington prévint immédiatement Paris, tout en l’informant que certaines avaient été utilisées par le MNA (Mouvement national algérien de Messali Hadj) dans un document adressé au gouvernement des Etats-Unis : A black paper on french repression in Algeria[xv]. Le 14 novembre, le ministère de l’Intérieur demanda au Gouvernement général de lui « adresser d’extrême urgence un projet de réfutation du livre noir » et que « ses services s’emploient à déterminer dans quelle mesure il n’y a pas trucage à l’origine des documents Fox Movietone et Life[xvi] ». Georges Chassagne fut alors convoqué au Gouvernement général pour authentifier ses images et confirmer le lieu et la date de la prise de vues. Dans sa note de synthèse du 23 novembre, le Gouvernement général dénonçait le film de la Fox comme un « montage truqué, dans lequel des images prises hors d’Algérie [notamment au Maroc] sont intercalées avec celles prises sur place[xvii] ».

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

Le scandale médiatique en France

C’est la publication de ces cinq mêmes photogrammes dans L’Express du 29 décembre 1955 (sous le titre : « Des faits terribles qu’il faut connaître ») qui déclencha le scandale en France où ces images n’avaient pas été vues, sinon, marginalement, via l’édition internationale de Life du 3 octobre 1955.

“Des faits terribles qu’il faut connaître”, L’Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

L’Express dénonçait certes la censure dont cette bande filmée aurait été victime en France (alors qu’il s’agissait d’une décision assumée d’autocensure de la part de la Fox) mais aussi, plus largement, les méthodes de la répression française en Algérie en révélant – témoignages oraux, documents écrits et images à l’appui – un certain nombre de « faits accablants » pour l’armée et le gouvernement, à qui le quotidien demandait d’apporter des démentis. Bien que connue des services gouvernementaux, l’exécution sommaire dont ces images apportaient la preuve n’avait donné lieu à aucune enquête sérieuse et le quotidien déplorait que « rien n’ait été fait depuis ni pour sanctionner ni pour prévenir le retour de tels abus ». Alors que la France se trouvait en pleine campagne électorale pour les législatives, L’Express considérait que « seule la connaissance des faits permettra à l’opinion de manifester sa volonté politique et d’arrêter la chute, par impuissance, dans une guerre sans honneur et sans issue[xviii] ».

La contre-attaque du gouvernement ne se fit pas attendre. Étonnamment, elle ne visa pas L’Express, qui ne fut pas saisi, mais les producteurs des images : la stratégie fut de discréditer ces images en criant au trucage et à la mise en scène pour ne pas avoir à s’expliquer sur les faits eux-mêmes. Le jour même de la publication dans L’Express, à l’issue d’une conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil, Edgar Faure reconnaissait l’exécution sommaire mais en faisait porter la responsabilité au caméraman qui avait tourné cette bande d’actualités, accusé d’avoir « soudoyé le gendarme auxiliaire afin qu’il se prête au scénario[xix]» : la mise à mort n’aurait eu lieu que pour permettre à l’opérateur de réaliser des images-choc.

Par le biais d’un communiqué officieux, diffusé par l’AFP sous la forme d’une « note émanant des milieux autorisés », le gouvernement annonçait que ce dernier serait poursuivi pour « corruption de fonctionnaire, provocation au meurtre et complicité » et qu’une action en justice serait intentée contre la firme américaine Fox Movietone, accusée d’avoir « alimenté la propagande antifrançaise[xx] ». Le communiqué n’hésitait pas à qualifier la réalisation de cette bande filmée d’ « opération montée », de « machination organisée par l’étranger » et de « véritable complot politique, car elle est intervenue quelques jours avant le vote de l’ONU sur l’affaire algérienne[xxi] ». Dans les milieux diplomatiques, la diffusion de ces images à travers le monde était en effet perçue comme l’une des causes du vote majoritairement hostile à la France. Quant au gendarme auxiliaire, le gouvernement annonçait qu’il avait été déféré devant un tribunal militaire.

Tous les points de cette version officielle se trouvèrent démentis en quarante-huit heures, mettant le gouvernement dans une posture délicate. Pour sa défense, la Fox organisa en effet à Paris, le 31 décembre, une conférence de presse au cours de laquelle Georges Chassagne détailla les conditions dans lesquelles il avait réalisé ce film[xxii]. Sa version des faits était dans le même temps corroborée par le témoignage que son collègue de France Soir Robert Soulé livrait à son journal[xxiii].

Empêtré dans ses mensonges, le gouvernement multiplia pendant plusieurs jours les réunions de crise et les communiqués contradictoires. Contraint de reconnaître l’innocence de Chassagne, contre qui aucune poursuite n’avait été effectivement engagée, il dut lui présenter des excuses officielles[xxiv], mais aussi révéler que le gendarme incriminé, loin d’avoir été inculpé par un tribunal militaire, n’avait fait l’objet que d’une mesure disciplinaire hâtive, peu de temps avant que le scandale n’éclate[xxv]. Jean Daniel dénonçait alors « l’égarement d’hommes responsables qui, devant la dénonciation de leur impuissance, s’en prennent aussitôt et avec une tragique frivolité à n’importe quel bouc émissaire. Pour se disculper ils n’ont pas un seul moment hésité à mettre en cause une nation alliée, à calomnier un journaliste honnête, à falsifier des informations pour construire de prétendus démentis[xxvi] ».

Finalement, l’affaire s’éteignit à la faveur du changement de majorité : les élections du 2 janvier 1956 firent du gouvernement responsable un gouvernement sortant. Le 4 janvier, Maurice Bourgès‑Maunoury, ministre de l’Intérieur au moment des faits, déclara prendre « l’entière responsabilité de ce qui s’est passé » mais invoqua le souvenir de « l’atmosphère au lendemain du massacre du 20 août[xxvii] » pour relativiser la violence de ces images d’exécution.

En participant à l’internationalisation du conflit, ces images ont donc servi la cause algérienne, bien que les nationalistes algériens ne soient en rien responsables de leur réalisation ni de leur diffusion. L’écho qu’elles obtinrent à travers le monde et à la tribune de l’ONU n’est peut-être pas pour rien dans la décision prise par les responsables de l’Armée de libération nationale (ALN), réunis en congrès dans la vallée de la Soummam, le 20 août 1956, tout juste un an après les événements d’Aïn Abid, de lancer une vaste campagne de publicité à l’étranger fondée sur l’image. A partir de 1956, la guerre qu’ils menaient contre les Français fut aussi une guerre diplomatique et une guerre médiatique, qui s’appuya notamment sur des reporters étrangers invités à venir filmer dans les maquis[xxviii].

Des images reprises dans les films documentaires sur la guerre d’Algérie

Le documentaire Guerre d’Algérie, la déchirure ne révèle pas ces images au public français puisqu’elles ont été incluses dans la plupart des documentaires consacrés à ce conflit depuis quarante ans (et notamment, dans La guerre d’Algérie, d’Yves Courrière et Philippe Monier en 1972 ; dans La guerre d’Algérie, de Peter Batty en 1984 ; dans L’ennemi intime, de Patrick Rotman en 2002 et dans Pacification en Algérie, d’André Gazut la même année). On peut donc s’étonner que leur diffusion en 2012 déclenche à nouveau une polémique sur leur origine et leurs conditions de production, polémique destinée à discréditer le documentaire (« fausses preuves, faux témoignages ») et le discours historique objectif et dépassionné que celui-ci porte sur le conflit algérien.

Il faut dire que l’insuffisante documentation des images, lorsqu’elles sont utilisées dans des documentaires filmés qui, au fil du montage, choisissent de séparer les séquences, de les intercaler avec d’autres sources ou leur faire illustrer des événements différents (la répression française de l’insurrection du 20 août 1955, mais aussi le thème plus général de l a torture ou des violences pendant la guerre) peut entretenir la confusion et concourt à la dilution de l’information. Quand André Gazut reprit les images de Chassagne en 1974 pour un documentaire sur Jacques de Bollardière et la torture, puis en 2002 pour Pacification en Algérie, il ne fit aucune référence aux événements précis dont ces images rendaient compte. Dans ce dernier film, elles sont montées en continu avec d’autres images tournées par l’armée française, à l’appui d’un commentaire général qui évoque le « début de la troisième année de guerre » (c’est-à-dire 1956) : « L’armée n’a pu venir à bout des Algériens du FLN qui luttent pour leur indépendance. Le gouvernement socialiste de Guy Mollet, élu sur une promesse de paix, a cédé aux ultras de l’Algérie française et envoyé 400 000 hommes faire la pacification [images de Chassagne]. Les soins à la population, les efforts de scolarisation, vont de pair avec une répression atroce : arrestations massives, tortures, exécutions sommaires ». Pour Gazut, il importait moins de les rattacher à un fait particulier que d’illustrer la violence de la pacification en Algérie.

Dans l’émission Arrêt sur images, diffusée sur France 5 le 7 janvier 2001, André Gazut indiquait d’ailleurs qu’il avait emprunté ces images au film de Courrière de 1972 et qu’il n’en connaissait pas l’auteur, la date et le lieu de prise de vue. Présent sur le plateau, l’historien Benjamin Stora émettait alors l’hypothèse qu’il s’agirait d’images prises lors de la répression du soulèvement du 20 août 1955 dans le Constantinois. La boucle était bouclée et nous voilà revenus à la case départ, puisque ces images illustraient bien, dès 1972, dans le film de Courrière, la séquence sur le 20 août 1955 et ses conséquences. Si les journalistes ont tôt fait de manier la rhétorique de l’occultation, de la dissimulation et de la censure, à laquelle ils opposent leur logique de dévoilement, de transparence, de scoop, il n’est aucunement question ici de manipulation des images, mais bien d’une absence de travail historique pour les documenter et, par conséquent, les utiliser à bon escient.

Comme en Algérie, où ces images sont régulièrement utilisées (à la télévision et dans les musées) pour illustrer la séquence de mai 1945, les réalisateurs Medhi Lallaoui et Bernard Langlois utilisèrent à tort les images de Chassagne, en 1995, dans leur film Les massacres de Sétif : un certain 8 mai 1945. Evoquant ce film ainsi qu’une photographie généralement mal légendée[xxix]Le Monde dénonçait en octobre 2004 « le double mensonge des images » à propos des massacres du Constantinois en 1945 et prétendait retrouver l’origine de ces images et contribuer à rétablir, une nouvelle fois, leur véritable datation[xxx], alors qu’elles avaient été correctement utilisées dans L’Ennemi intime de Patrick Rotman, en 2002.

Un regard calme sur les images

Quelques précautions méthodologiques sont à appliquer à la lecture des images, comme pour toutes les autres sources historiques[xxxi]. Dans le cas des séquences incriminées ici, elles permettent de réfuter l’argument de la mise en scène et du trucage. D’abord, les images seules ne suffisent pas pour écrire l’histoire. Il faut les croiser avec d’autres sources (sources écrites, mais aussi témoignages oraux) afin de les éclairer et, notamment, pour comprendre leurs conditions de production, leur contexte de diffusion et les réactions que cette diffusion a  suscitées, à toutes les époques.

Il est également nécessaire de revenir, chaque fois que cela est possible, à l’image originelle, l’image-source. L’analyse des images de Chassagne ne peut se satisfaire de la lecture des seuls photogrammes publiés dans Life puis dans L’Express qui, par définition, figent le mouvement dans une série d’instantanés. Regarder la séquence dans sa durée permet de se rendre compte que le coup de feu part avant que le couvre-chef du civil ne vole et que celui-ci ne fait aucun geste pour jeter celui-ci en l’air, offrant une cible de substitution au tir du gendarme.

Enfin, plutôt que de considérer une image isolément, il faut analyser des séries d’images, et les confronter à d’autres. Dans le cas d’une photographie, l’étude de la planche-contact  (la totalité des images prises sur une même pellicule, à l’ère de l’argentique) permet de visualiser l’amont et l’aval de la prise de vue, comment le photographe a abordé son sujet, tourné autour, et le hors-champ qui peut avoir disparu de l’image finalement choisie pour publication. On a vu combien les images tournées par Georges Chassagne à Aïn Abid le 22 août 1955 gagnaient à être regardées comme une série : dans cette perspective, l’exécution sommaire n’apparaît pas comme un acte isolé et exceptionnel, mais comme le corollaire d’opérations indiscriminées de ratissage, de véritables « chasses à l’Arabe » selon Claire Mauss-Copeaux[xxxii].

Le visionnage des trois séquences différentes ne laisse aucun doute quant à la mise à mort effective des « suspects » : le nomade, touché à la sortie de sa tente par un tir de fusil, est achevé d’une balle de revolver dans la tête, à bout portant, alors qu’il gît au sol. Le corps des deux hommes abattus sur la route sont agités des soubresauts de l’agonie. La comparaison des trois séquences permet également d’écarter la thèse de la mise en scène. Contrairement à cette première séquence devant une tente de nomades, longuement filmée, en plan large, les deux autres (civils abattus sur une route) sont extrêmement brèves et relativement mal cadrées. Chassagne a déclenché sa caméra bien avant l’assassinat du nomade : il suit alors les  militaires qui fouillent le campement et enregistre d’abord le démontage brutal d’une tente. La caméra tourne toujours quand l’homme, sorti de sa tente, est abattu devant l’objectif. Par leur cadrage et leur brieveté, les deux autres séquences sont marquées du sceau de  l’urgence : Chassagne, qui attend à l’extérieur du bâtiment où la patrouille est entrée, caméra éteinte, ne s’attend pas à la scène qui va suivre. Mais, ayant déjà assisté à une exécution sommaire, il en reconnaît les prémices. Quand l’homme s’éloigne sur la route et est mis en joue par le gendarme, Chassagne déclenche sa caméra presque en catastrophe : nous n’avons donc aucune trace des instants qui ont précédé. Mais un homme qui s’enfuit prend-t-il le temps de se retourner vers son poursuivant, et de le regarder ? On peut donc faire l’hypothèse que nous sommes là face à deux exemples de la pratique des « fuyards abattus ». Dans leur instruction du 1er juillet 1955, les ministres de l’Intérieur et de la Défense avaient clairement autorisé cette pratique : « Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir ». Mais, comme le montre l’historienne Raphaëlle Branche, « l’usage de l’expression “fuyard abattu” est devenu un moyen pratique de camoufler des exécutions sommaires en actes légaux[xxxiii] ». Ce qu’en d’autres termes on connaît sous le nom de « corvée de bois ».

Les documentaristes sont, la plupart du temps, dans une logique d’illustration des faits rapportés et non dans une logique d’analyse des images, de leur origine et de leur histoire. Il s’agit de deux approches différentes qui, malgré tout, peuvent se compléter : le travail scientifique du chercheur peut venir au secours du documentariste et l’on voudrait plaider ici pour des documentaires plus respectueux des images et de leurs sources et d’une collaboration plus grande entre réalisateurs et historiens spécialistes des images. L’enjeu est malgré tout de taille pour les spectateurs que nous sommes tous : ne pas rester passifs devant les milliers d’images dont nous sommes bombardés chaque jour.

Ce texte a été précédemment publié, le 17 mars 2012, sur le site de la section de Toulon de la Ligue des Droits de l’Homme (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4909).


[i] Fabrice d’Almeida, « Photographie et censure », dans Laurent Gervereau, Jean Pierre Rioux, Benjamin Stora (dir.) La France en guerre d’Algérie, Paris, BDIC, 1992, pp. 224-225 et Fabrice d’Almeida, « L’internationalisation des images », dans Laurent Gervereau et Benjamin Stora (dir.) Photographier la guerre d’Algérie, Paris, Marval, 2004, pp. 120 121.

[ii] http://francaisdefrance.wordpress.com/page/2/

[iii] Voir Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, pp. 162-170.

[iv] La totalité des images filmées les 21 et 22 août 1955 par Georges Chassagne est conservée dans les archives Pathé-Gaumont sous la référence 5500GNU14730 (www.gaumontpathearchives.com).

[v] L’Express, 31 décembre1955-1er janvier 1956, p. 5.

[vi] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.

[vii] Ibidem.

[viii] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[ix] Ibidem.

[x] Sur les représailles françaises à Aïn Abid, voir Claire Mauss-Copeaux, op. cit., pp. 211-219.

[xi] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[xii] Le film a même été diffusé à l’ONU. Voir M. Thomas, The French North-Africa Crisis, New-York, Saint Martin’s Press, 2000, p. 100-101.

[xiii] Le Monde du 3 janvier 1956 publie la traduction du texte du commentaire américain, p. 3.

[xiv] « Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24‑25.

[xv] A black paper on french repression in Algeria. Submitted to the Government of the USA by the Algerian National Movement, 20 septembre 1955, Archives nationales d’outre-mer (ANOM), 12CAB 93*. Au début du mois de septembre, le MNA avait soumis un autre texte au secrétariat des Nations Unies : Memorandum on recent bloody events in Algeria.

[xvi] Télégramme du ministère de l’Intérieur au Gouvernement général, 14 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xvii] Note du gouverneur général au ministre de l’Intérieur à propos de la documentation relative au dossier noir de Messali, 23 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xviii] « Des faits terribles qu’il faut connaître », L’Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

[xix] « A la suite de la publication des dossiers de la répression, conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil », L’Express, 30 décembre 1955, p. 3.

[xx] Ibidem.

[xxi] Le Monde, 30 décembre 1955, p. 1.

[xxii] La presse rend compte de cette conférence de presse, voir notamment Le Monde 1er et 2 janvier 1956. On trouve également une interview de Chassagne, réalisée avant la conférence de presse, dans les archives Pathé-Gaumont, sous la référence 5600ENU48806. Chassagne déclare notamment : « J’affirme qu’aucune mise en scène n’a été montée, que je n’avais jamais vu le gendarme, que je ne l’ai jamais revu et qu’à plus forte raison, je ne l’ai jamais soudoyé ».

[xxiii] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.  Il écrit notamment : « Je peux affirmer qu’à aucun moment les cinéastes n’ont proposé de l’argent au gendarme, ou tenté d’organiser avec lui une mise en scène ».

[xxiv] Un communiqué du Quai d’Orsay qualifie les accusations portées contre Chassagne et la Fox « d’hypothèses non confirmées » et présente des excuses. L’Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 1.

[xxv] D’après Claire Mauss-Copeaux (op. cit., pp. 213-215), le gendarme auxiliaire filmé par Georges Chassagne, proche d’une des familles victimes des massacres du 20 août, aurait été recruté en toute connaissance de cause pour guider les ratissages d’une des unités venues en renfort. Identifié et dénoncé dans les notes remises par la délégation des députés algériens au ministre de l’Intérieur le 30 août, il n’a été sanctionné par une mutation dans le Sud de la France qu’à la suite de l’affaire Chassagne.

[xxvi] Jean Daniel, « La vérité en 24 heures », L’Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 5.

[xxvii] « M. Edgar Faure a conféré avec MM. Bourgès-Maunoury et Jacques Soustelle », Le Monde, 5 janvier 1956, p. 6.

[xxviii] Voir Marie Chominot, « Des maquis algériens à la scène internationale. L’ALN sous l’objectif de deux reporters américains », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault, Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962, Paris, La Découverte, à paraître (septembre 2012).  Sur la dimension diplomatique du conflit, voir Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Payot, 2011. Sur la dimension médiatique du conflit et les usages de l’image par les deux camps, ma thèse sera publiée chez Payot au début de l’année 2013.

[xxix] Sur cette photographie, voir l’article « Algérie, août 1955 : une photo et sa légende », mis en ligne le 17 mai 2011 sur le site de la section de Toulon de la LDH (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4417).

[xxx] Sophie Malexis et Simon Roger, « Erreurs d’images à propos des massacres de Sétif, Le Monde, 29 octobre 2004 et des mêmes auteurs, « « Massacres du Constantinois de 1945 : le double mensonge des images », Le Monde 2, n° 37, du 30 octobre 2004, pp. 84-85.

[xxxi] Pour une synthèse éclairante, voir Ilsen About et Clément Chéroux, « L’histoire par la photographie », Etudes photographiques, n° 10, novembre 2001 (http://etudesphotographiques.revues.org/index261.html ).

[xxxii] Claire Mauss-Copeaux, op. cit., p. 213.

[xxxiii] Voir Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Paris, Gallimard, 2001, p. 72.

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Source: http://www.les-crises.fr/algerie-aout-1955-la-mort-filmee-en-direct-par-marie-chominot/


Le Brexit en perspective, par Jacques Sapir

Friday 27 May 2016 at 02:24

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Ce texte constituera la préface de l’ouvrage La Grande Dissimulation (et non Mystification, comme cela avait été indiqué par erreur, qui sortira fin juin 2016 aux éditions du Toucan)

Ce livre[1], traduction d’un ouvrage publié en langue anglaise en 2003 par Christopher Booker et Richard North, donne une lecture britannique de la construction européenne. Dans le même temps, il en établi, de manière rigoureuse, la généalogie. Il est toujours important de procéder à un décentrement, d’écouter ce que d‘autres ont à dire. Et ceci d’autant plus que ces autres, les britanniques en l’occurrence, vont avoir à choisir sur leur maintien au sein ou leur départ de l’Union européenne. Cet ouvrage éclaire alors la question du fameux « Brexit ». Il nous permet de comprendre l’évolution du débat en Grande-Bretagne, mais il permet aussi de mettre en lumière la dynamique de la construction européenne.

A-01-Great-deception

Aux origines de l’Union européenne

Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin 2016, son résultat constituera un choc politique qu’il conviendra d’analyser. Ce livre ne commencerait donc qu’avec le Traité de Rome de 1957 qu’il aurait déjà un prodigieux intérêt. Mais, et c’est là toute l’intelligence des auteurs, ils reconstituent comme on l’a dit toute la généalogie de la construction européenne. Or, l’un des arguments les plus fréquemment avancés dans les cercles européistes est que cette construction est un objet « sui generis », et dont l’origine est relativement récente. Ce mensonge a en partie pour but de masquer des origines plus que discutables à la construction européenne, qu’il s’agisse d’une idéologie profondément anti-démocratique que l’on retrouve chez certains des promoteurs de l’Europe, ou qu’il s’agisse du projet des Etats-Unis de contrôle indirect du continent, et dont l’Union européenne pourrait, alors, bien s’avérer l’instrument. Le rôle des agences de renseignement américaine dans le processus de création des futures institutions européennes y est clairement retracé, tout comme les liens que certains des acteurs européens, dont Jean Monnet, avaient avec ces agences.

On comprend l’importance symbolique de ce mensonge car l’Union européenne se prétend porteuse de « valeurs » (mot qu’il conviendrait de remplacer par celui de « principe ») démocratiques et prétend, surtout en France, se construire pour « défendre » l’indépendance des européens. Il est clair que rappeler les origines nazies du projet (et on sait bien que le thème de la « construction européenne fut important dans la propagande de l’Allemagne hitlérienne) fait désordre. Non qu’il n’y ait eu aussi un courant réellement démocratique, qui fut incarné par de grands résistants, qui porta aussi l’idée de la construction européenne. Mais, même au sein de ce courant émergent dès les années 1940, le thème d‘une grande méfiance envers les peuples et la démocratie. Aussi, la confrontation entre le discours tenu aux différents peuples et la réalité non seulement pose problème à l’historien mais aussi, et surtout, au citoyen. Ce mensonge sur les origines interpelle l’européen « de constat » que je suis. Il doit devenir un objet de réflexion pour tout personne qui cherche à comprendre les dynamiques actuelles de l’Union européenne.

 

Les sources du fédéralisme européen

Cet ouvrage prend aussi pour axe de réflexion le débat entre le fédéralisme, sous quelques formes qu’il soit, et ce que l’on appelle « l’intergouvernemental », soit une Europe fonctionnant comme une alliance d‘Etats souverains. C’est un débat fondamental, et qui a commencé dés les années 1920. Il a pris un tournure décisive dans l’immédiat après-guerre, de 1946 à 1951, car se sont alors entrechoquées au grand jour l’idéologie fédéraliste et les revendications à une souveraineté nationale retrouvée après la barbarie nazie.

En fait, on voit bien en lisant ce livre que ce qui porte l’idée fédéraliste, c’est une horreur, assurément justifiée, de la guerre, horreur qui conduit alors à l’absolutisation de la guerre et des deux conflits mondiaux. Or, ceci a un parallèle. L’historien Simon Epstein montre comment la répulsion non maîtrisée face à la guerre a conduit de nombreux militants socialistes pacifistes à se tourner vers la collaboration et le plus hideux antisémitisme[2]. Ceci amène à s’interroger sur la décomposition d’un courant politique important en Europe, la social-démocratie. Le cas de la France est typique mais point singulier. Cette décomposition est le double produit de la réussite de la Révolution russe, qui semble invalider la trajectoire réformiste de la SFIO, et de la guerre de 1914-1918 qui a montré les ambiguïtés de la stratégie socialiste. Le développement d’un courant que l’on peut qualifier de « social-pacifiste » se fait en réaction à ces deux événements, et c’est ce courant qui va largement alimenter tant les milieux les plus extrêmes de la collaboration que l’idéologie fédéraliste. Cette décomposition se poursuivra après-guerre. Il n’est donc pas étonnant que l’idéologie fédéraliste ait recruté une bonne partie de ses penseurs et de ses cadres dans la mouvance social-démocrate. Cette décomposition s’accompagne de celle, parallèle mais plus tardive, qui touche l’autre grand courant européen, celui des chrétiens-démocrates. Mais, ce courant a moins besoin d’une idéologie explicite d’une part parce que sa décomposition est plus tardive et d‘autre part parce que l’idéologie ne joue pas en son sein un rôle aussi central que pour la social-démocratie.

Dès lors, on peut mieux analyser les zones d’ombres que le livre met au contraire en lumière sur les différentes inspirations fédéralistes. Celles qui sont issues de l’ancien courant social-pacifiste, parce qu’elles font de la guerre le mal absolu et se refuse à analyser les raisons concrètes des conflits, les rejetant sur le « nationalisme » qui n’est lui non plus pas analysé ni compris, présentent l’Europe fédérale comme la panacée. C’est oublier, un peu vite, que la guerre civile est bien la pire des guerres. Le discours, « l’Europe c’est la paix » revient donc de manière récurrente comme justification du projet fédéraliste.

La décomposition du courant chrétien-démocrate se caractérise plutôt par une naturalisation de l’économie et une posture qui s’apparente à un darwinisme économique, et qui va faire du gouvernement par les règles l’alpha et l’oméga du projet politique. Ainsi, tel un Janus bifronts, se révèle la véritable figure du fédéralisme européen, anti-démocratique au nom de l’économie mais néanmoins justifié et accepté au nom de la préservation de la paix.

 

De l’intérêt du décentrement

C’est donc ici que le phénomène du décentrement se révèle le plus instructif. Car, la social-démocratie britannique est fort différente de son homologue continental. Si elle a, elle aussi, connu un phénomène de décomposition, ce dernier a été nettement moins idéologique que ce qui est survenu sur le continent. De même, la Grande-Bretagne n’a pas connu de démocratie chrétienne. Il en découle le fait qu’elle a été relativement épargnée par les processus idéologiques qui se sont développés tant en France, qu’en Italie, en Allemagne ou en Espagne.

Voilà sans doute ce qui fait que, pour un britannique, la seule conception légitime de l’Europe est intergouvernementale. On le constate dans les chapitres du livre qui traitent des années 1970 jusqu’au début des années 2000. On comprend aussi le titre de cet ouvrage. Si les auteurs parlent de « mystification » (ou deception en anglais) c’est qu’ils ont été préservés, de par une tradition et une culture politique spécifique, des débats que l’on a connus sur le continent. Mais, cela à une autre conséquence. L’expression de la souveraineté y est différente. Non qu’elle soit moins forte d’ailleurs. Cependant, elle prend la forme d’une souveraineté parlementaire, là où un français, un italien, voire un néerlandais ou un allemand seront plus attachés à une souveraineté populaire, ce qui explique l’importance d’un référendum.

Si l’on peut parler de fraude au sujet de l’UE, un continental mettra spontanément plus l’accent sur le déni de démocratie qui provient de la séparation de plus en plus évidente entre les institutions de l’UE et la volonté des peuples. Ce livre, rappelons-le, fut écrit en 2003. Il est un constat de l’évolution de l’UE qui est en réalité antérieur aux débats provoqués par le projet de traité constitutionnel. Il ne traite donc pas du rejet du TCE par les peuples français et néerlandais ni du traité de Lisbonne qui annula les votes souverains de ces deux peuples. Mais, il contient bien assez d‘indications qui ne laissent guère planer le doute sur le jugement que les auteurs auraient portés sur ces faits, s’ils en avaient eu connaissance.

 

Les conséquences de l’UEM sur la perception britannique de l’UE

Il reste un point important, c’est la constitution de l’Union Economique et Monétaire, qui s’est concrétisé dans l’Euro. Le livre possède déjà le recul suffisant pour juger des conséquences du projet. Il analyse bien le mouvement vers une union monétaire comme le levier dont usèrent les fédéralistes pour s’avancer masqués. De fait, Hubert Védrine qui exerça les fonctions de conseiller diplomatique puis de Secrétaire générale à la Présidence auprès de François Mitterrand parle d’une « avant-garde léniniste » quand il veut décrire les personnes qui impulsèrent le projet européen[3].

L’un des titres de paragraphe « encore du poisson pourri » résume bien la pensée du livre. Mais il n’est pas sûr qu’ils aient perçus toutes les conséquences de cette union monétaire. Depuis le traité de Maastricht (1993) était défini une « union monétaire » à laquelle les pays signataires devaient se « qualifier » par des contraintes portante sur l’importance du déficit budgétaire (règle des « 3% ») ou sur la dette publique. Ceci fut confirmé par le Pacte de stabilité et de croissance, ou PSC, pacte qui fut adopté lors du sommet d’Amsterdam le 17 juin 1999[4], et qui désigne un ensemble de critères que les États de l’UEM se sont engagés à respecter vis-à-vis de leurs partenaires. C’est l’instrument qui fonde en droit les diverses mesures qui seront prises par la suite pour ériger des règles supranationales dans le domaine budgétaire. La Grande-Bretagne protesta et exigea des garanties afin de défendre la souveraineté de son Parlement.

Néanmoins, ce traité constitua la première pierre dans la perte de la souveraineté budgétaire des Etats. En effet, le Conseil ECOFIN peut adresser alors des recommandations pour que l’État ne respectant pas les clauses du traité mette fin à cette situation. Si tel n’est pas le cas, ce Conseil peut prendre des sanctions : dépôt auprès de la BCEqui peut devenir une amende (de 0,2 à 0,5 % PIB de l’État en question) si le déficit excessif n’est pas comblé.

Il convient ici de rappeler qu’au conseil ECOFIN est associé l’Eurogroupe, sauf que ce dernier n’a nulle existence légale dans les traités[5]. Ceci pose alors le problème du statut d’agences dont tant le mandat que les prérogatives dépendent d’un consensus qui n’est pas soumis à un contrôle politique, ne serait-ce qu’ex-post. On assiste alors à un double dessaisissement de la démocratie, d’une part à travers la création de ces fameuses « agences indépendantes » et d’autre part du fait que certaines d’entre-elles sont maintenues dans un flou institutionnel qui rend d’autant plus difficile le contrôle démocratique. De là remonte l’hostilité fondamentale de nombreux britanniques envers l’UE. Même si la Grande-Bretagne ne fait pas partie de la zone Euro, elle ne peut que s’inquiéter de la trajectoire prise par l’UE à la suite de la constitution de cette zone.

Car la crise financière de 2007-2008 entraîna une crise de l’UEM. Elle entraîna un pivotement important dans les formes de gouvernance qui, à son tour, a entraîné une sortie des principes de la démocratie dans les pays considérés. Cette crise constituait en réalité le type même de « choc exogène » que l’UEM, du fait de son déséquilibre, était dans l’incapacité de gérer[6]. La montée de la crise des dettes publiques (en Grèce, mais aussi en Espagne, au Portugal et en Italie) provoqua, alors, la mise en œuvre d’un ensemble de cinq règlements et d’une directive proposés par la Commission européenne et approuvés par les 27 États membres et le Parlement européen en octobre 2011. On appelle cet ensemble le « Six-Pack »[7]. Les États doivent désormais avoir un objectif à moyen terme (OMT) qui permet de garantir la viabilité des finances publiques. Celui-ci, qui consiste à prévoir un retour à l’équilibre structurel des comptes publics (déficit structurel limité à 1 % du PIB) est défini par la Commission européenne pour chaque État. Les pays qui ont une dette qui dépasse 60 % du PIB feront l’objet d’une PDE (ou « procédure de déficit excessif ») s’ils ne réduisent pas d’un vingtième par an (sur une moyenne de trois ans) l’écart entre leur taux d’endettement et la valeur de référence de 60 %. Si les pays qui sont en procédure de déficit excessif (PDE) (23 sur 27 pays en décembre 2011) ne se conforment pas aux recommandations que le Conseil leur a adressées, le Conseil, sur recommandation de la Commission Européenne leur adressera des sanctions, sauf si une majorité qualifiée d’États s’y oppose, procédure nouvelle au sein de l’UE et que l’on appelle la règle de « majorité inversée »[8].

 

Ces différentes dispositions sont pleinement incompatibles avec la vision que les britanniques ont défendue depuis de très nombreuses années. Voici qui éclaire le débat qui traverse la société britannique depuis plusieurs années, et qui a aboutit au référendum sur le « Brexit ». Ce livre éclaire alors la perception britannique du processus de construction européenne et nous permet, à notre tour de mieux voir une certaine réalité, au travers d’un nécessaire décentrement.

 

[1] La Grande Mystification, éditions le Toucan, Paris, 2016, traduit par Julien Funnaro à partir de The Great Deception, Continuum International Publishing Group Ltd. Londres, 2003.

[2] Epstein S., Un paradoxe français, Paris, Albin Michel, 2008.

[3] Voir l’entretien qu’il accorda en 1997 à Bertrand Renouvin in Renouvin B., La Nation et l’Universel – 40 ans de débats dans Royaliste, Paris, IFCCE, Col. Cité, 2015, 236 pages, pp. 159-162.

[4] « Qu’est-ce que le Pacte de Stabilité et de Croissance », 1er juillet 2013, http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/action/euro/qu-est-ce-que-pacte-stabilite-croissance.html

[5] http://www.assemblee-nationale.fr/europe/fiches-actualite/eurogroupe.asp

[6] Sapir J. « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.

[7] Contre la Cour, « Gouvernance européenne, souverainetés et faillite démocratique », 5 septembre 2014, http://www.contrelacour.fr/gouvernance-europeenne-souverainetes-faillite-democratique/

[8] Voir Commission Européenne, 12 décembre 2011, « EU Economic governance « Six-Pack » enters into force », http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-898_en.htm

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-brexit-en-perspective-par-jacques-sapir/


Le Transatlantic Trade and Investment Partnership est en ligne…

Friday 27 May 2016 at 00:23

Wikileaks a mis en ligne le projet de TTIP d’une façon très pratique – pour ceux que cela intéresse…

C’est ici :

ttip

Source : Wikileaks

TTIP/Tafta : vin, finance, auto… les négociations sont loin d’être terminées

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l'état d'avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l’état d’avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

La Tribune a analysé l’un des 16 documents sur le TTIP/Tafta publiés lundi par Greenpeace. Baptisé “Tactical State of Play”, il apporte un éclairage sur des points précis encore en discussion entre l’UE et les Etats-Unis.

La publication des documents de négociation du TTIP/Tafta par Greenpeace permet de plonger de manière très concrète dans les débats entre Européens et Américains. Presque trois ans après le début des négociations, un constat s’impose : les divergences entre les deux économies sont loin d’être effacées.

A cet égard, le document intitulé “Tactical State of Play of the TTIP Negotiations” (“état d’avancement tactique de la négociation du TTIP”, disponible en pdf) révèle les divergences entre les deux parties. Comptant 25 pages, rédigé en anglais, il fait le point sur “les trois piliers de l’accord, c’est-à-dire l’accès au marché, la coopération réglementaire, et les règles“. Dans cette étude, La Tribune a sélectionné trois points de débats qui touchent à notre quotidien.

1- Le vin

A la fois enjeu économique et symbolique très fort, la dénomination des vins est l’un des points d’achoppement des discussions. Plus précisément, les appellations dites “semi-génériques” qui sont copiées à l’étranger. L’exemple le plus marquant est celui du Champagne, rebaptisé “California Champagne” lorsqu’il est produit en Californie.

Dans le document mis en ligne par Greenpeace, on lit que l’UE veut que les Etats-Unis “suppriment la possibilité pour les producteurs américains d’utiliser les 17 appellations semi-génériques.” Une demande apparemment mal reçue de l’autre côté de l’Atlantique, puisque “les Etats-Unis réitèrent leur opposition à l’insertion de règles concernant le vin dans le TTIP“.

2- Les services financiers

Moins festifs que le vin, les services financiers (épargne, assurance, titres financiers) sont un point de désaccord criant entre Européens et Américains. Et cela ne date pas d’hier : en juin 2014, un article d’Euractiv rappelait “l’opposition ferme des Etats-Unis à l’intégration d’une coopération réglementaire sur les services financiers dans le cadre du TTIP”.

Deux ans après, rien ne semble avoir bougé. Le document de négociation explique que “les Etats-Unis et l’UE n’ont pas changé leurs positions en matière de coopération réglementaire des services financiers“.

3 – L’automobile

Aujourd’hui, les normes américaines concernant les voitures diffèrent des règles européennes. Ainsi, en janvier 2014, le Point donnait l’exemple du crash-test de la Fiat 500. La citadine avait récolté la note maximale pour l’Europe, mais la pire note de l’autre côté de l’Atlantique. Un accord inclus dans le TTIP permettrait par exemple de définir des normes communes pour faciliter les exportations de véhicules.

Sur ce point, le document révélé par Greenpeace fait état de quelques avancées et parle de “points potentiels pour lesquels une harmonisation bilatérale rapide est possible“, parmi lesquels “les phares adaptatifs“, “le système automatique de freinage d’urgence” ou encore “le verrouillage des ceintures de sécurité“.

“La France dit non”

Ces trois points, pris dans la masse des questions soulevées par le TTIP/Tafta, montrent l’étendue des négociations mais aussi les résistances de part et d’autre. Les 248 pages publiées par Greenpeace vont-elles bouleverser les négociations ? Si les Etats-Unis et la Commission européenne ont allumé un contre-feu en parlant dès lundi de “malentendus” et d”‘interprétations erronnées“, la France a fait part de ses doutes et de ses réticences.

En effet, lors d’une allocution mardi matin, François Hollande s’est montré très clair sur le TTIP: “Nous n’accepterons jamais la mise en cause de nos principes essentiels, a expliqué le président de la République. C’est pourquoi à ce stade, la France dit non”. Plus tôt dans la matinée, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Mathias Fekl, interviewé par Europe 1, reconnaissait que l’abandon des négociations “[semblait] l’option la plus probable“. Le prochain round de discussions, qui sera le 14e depuis 2013, s’annonce animé.

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

=================================

TTIP : Bruxelles regrette des “malentendus” après la fuite de documents

Source : La Tribune, 02/05/2016

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement”, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. (Crédits : Reuters)

La Commission européenne tente de renverser la vapeur après les révélations de Greenpeace sur le partenariat actuellement en négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

“Des malentendus”. Voici ce qu’a regretté lundi la Commission européenne après la fuite de documents confidentiels sur le traité de libre-échange TTIP (ou Tafta) actuellement en discussion avec les Etats-Unis. Bruxelles a assuré que l’UE n’accepterait “jamais” d’abaisser son niveau de protection des consommateurs ou de l’environnement. Ce qu’affirmait d’ailleurs déjà Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur au début des négociations.

Aucun abaissement de protection ?

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement“, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. Et d’insister:

“Les accords commerciaux ne changeront pas nos lois sur les OGM ou sur la façon de produire de la viande de bœuf en toute sécurité, ou sur la façon de protéger l’environnement”

Capture d’écran 2016-05-25 à 22.51.07

“Je ne suis pas de celles qui vont abaisser les normes”, a ajouté Mme Malmström, soulignant avant tout que les documents publiés lundi par l’ONG Greenpeace “ne traduisent pas ce qui résultera de la négociation” en cours et regrettant donc “un certain nombre de malentendus”.

L’ONG écologiste affirme que les 248 pages de documents confidentiels du projet d’accord représentent deux-tiers du texte du futur traité de libre-échange, assurant que ces pages “confirment les menaces sur la santé, l’environnement et le climat”.

Les positions de chaque partie

“Ils reflètent les positions de négociation de chaque partie, rien d’autre“, estime au contraire Mme Malmström. “Et ce n’est une surprise pour personne qu’il y a des domaines où l’UE et les Etats-Unis ont des points de vue différents.”

“Dans certains domaines, où nous sommes encore trop éloignés les uns des autres dans la négociation, il n’y aura tout simplement pas d’accord“, a-t-elle encore déclaré.

Renforcer la législation

Et de marteler :

“Un accord de l’UE ne peut changer la législation que pour la renforcer. Nous pouvons tomber d’accord avec un partenaire pour renforcer par rapport à auparavant les règles entourant la sécurité des médicaments, par exemple, mais pas pour les affaiblir”.

Depuis mi-2013, les Etats-Unis et l’Union européenne tentent de parvenir à un accord qui supprimerait les barrières commerciales et réglementaires mais qui rencontre par ailleurs des résistances croissantes dans la société civile et auprès des dirigeants politiques.

Le président américain Barack Obama souhaiterait boucler les négociations d’ici la fin de l’année avant l’arrivée à la Maison Blanche de son successeur, qui sera élu en novembre.

Cela n’empêche pas les détracteurs du projet de poursuivre leur mission. A l’instar du député européen Yannick Jadot, qui en profite pour demander une nouvelle fois l’arrêt des négociations:

“Une nouvelle fois les Verts réitèreront leur demande d’arrêt des négociations Tafta. Le gouvernement français, qui semble ouvrir les yeux sur ce dossier doit, à l’instar de Lionel Jospin en 1997, y mettre fin. Il doit tout autant dénoncer l’accord de libre-échange UE-Canada (Ceta), dont la négociation est achevé, véritable cheval de Troie du Tafta”.

(Avec AFP)

Source : La Tribune, 02/05/2016

Source: http://www.les-crises.fr/transatlantic-trade-and-investment-partnership/


Deux heures de lucidité avec Emmanuel Todd

Thursday 26 May 2016 at 02:50

Vidéo du 18 mai :

P.S. Tout commentaire qui ne traitera pas des propos tenus ici sera supprimé…

todd-resto

Source: http://www.les-crises.fr/deux-heures-de-lucidite-avec-emmanuel-todd/