les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Dans le piège de l’État Islamique, par William R. Polk

Wednesday 3 February 2016 at 02:44

Source : Consortiumnews.com, le 17/11/2015

Reportage spécial : l’État Islamique a entamé la “phase 2″ de son plan. Après avoir établi un rudimentaire “califat” en Syrie et Irak (phase 1), il cherche maintenant à provoquer une réaction “fatale” de l’Occident, un piège dans lequel les politiciens “durs” sont en train de tomber, selon l’historien William R. Polk.

Par William R. Polk

A la suite de l’attaque terroriste de Paris, on a réagi comme “le stratège de l’État Islamique” – en supposant qu’une telle personne existe – l’attendait et le souhaitait : un bombardement massif de représailles.

Un stratège sait qu’une telle action militaire occidentale contient sa propre défaite, comme l’ont prouvé les opérations d’Afghanistan, d’Irak, de Libye et ailleurs. Ces réactions prévisibles et exagérées ont non seulement échoué à arrêter les insurgés, mais les ont même aidés à recruter de nouveaux soutiens en blessant des spectateurs non engagés. L’État Islamique a appris la leçon ; pas nos leaders apparemment.

 

Le président Barack Obama réunit son équipe de sécurité nationale pour discuter de la situation en Syrie, dans la salle de crise de la Maison-Blanche, le 30 août 2013. De gauche à droite autour de la table : la Conseillère à la sécurité nationale Susan E. Rice, le procureur général Eric Holder, le Secrétaire d’État John Kerry, et le vice-président Joe Biden. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Souza)

La colère et la vengeance sont émotionnellement satisfaisantes mais elles ne sont pas productives. Le problème que nous rencontrons n’est pas juste de répliquer contre l’État Islamique, ce qui est simple, mais de rétablir une sécurité mondiale à moindre coût. Les premières étapes pour cela sont de comprendre d’où viennent ces extrémistes, pourquoi certains les soutiennent, et ce qu’ils veulent. Alors seulement nous saurons lutter contre eux.

Mais lorsque je lis la presse, que j’écoute les déclarations des chefs d’États et que je regarde décoller les chasseurs bombardiers, je ne vois pas le signe que nos chefs aient trouvé une voie vers la sécurité. Je n’ai pas la satisfaction de trouver, dans ce qui m’est donné à lire ou à entendre, les premières étapes d’une analyse prudente et élaborée. Je propose donc ici, tirant parti de nombreuses années d’observation, quelques réflexions sur le terrorisme et les politiques de contre-insurrection, en me focalisant sur l’ÉI (connu également sous le nom de ISIS, ISIL, Daech ou État Islamique).

Mes commentaires sont de cinq ordres : (1) analyse de nos forces et de celles de nos adversaires ; (2) notre stratégie et la leur ; (3) ce qui motive leurs actions ; (4) le résultat de nos actions ; et (5) les choix qui s’offrent à nous. Je commencerai par nos forces et nos faiblesses puis les leurs :

– Les États-Unis, la puissance occidentale majeure et la Russie ont à leur disposition de vastes services de renseignement qui collectent des informations à travers de nombreux biais (écoutes téléphoniques, interceptions radio, décryptage, images aériennes et satellites et d’autres moyens, parfois plus ésotériques, de filature, d’observation et d’identification des personnes).

De plus, nos services de sécurité continuent d’employer les moyens traditionnels de l’action secrète et ont un budget quasi illimité pour acheter de l’information, pour encourager la désertion ou pour “louer” des loyautés temporaires. De plus, la majorité des personnes au sein de la communauté d’où émanent les attaques souhaiteraient que celles-ci s’arrêtent. Ainsi, notre plus grand avantage réside dans le fait que la vaste majorité des membres de toutes les sociétés concernées ne désirent pas voir leurs vies perturbées. Ils veulent tout simplement vivre en paix.

Choisir son camp

– Les populations locales dans les zones tenues par les rebelles sont sans doute neutres. Mais elles sont prises entre deux feux : l’ÉI et nous. Ce que nous faisons et ce que nous ne faisons pas les fera pencher en faveur d’un camp ou d’un autre. Les “stratèges de l’ÉI” ont compris cela et cherchent à nous pousser à faire du mal ou à effrayer les populations. Dès que possible, beaucoup fuiront le proche danger là où elles le pourront (des centaines de milliers de personnes l’ont fait).

Mais l’arme de prédilection de la guerre contre-insurrectionnelle – le bombardement aérien – fait qu’il y a peu de différence entre “la proximité” et “le lointain”. Les tirs ciblés tuent peut-être les chefs (et les personnes à proximité), mais les bombardements aériens sont plus massifs et moins ciblés. Le “stratège de l’ÉI” sait que plus nos attaques seront massives, plus il y aura de soutiens pour rallier la bannière de l’ÉI.

– Le grand avantage dont jouit l’ÉI c’est la grande asymétrie dans la nature des cibles que chaque protagoniste offre à l’autre : les États modernes et industriels comme les nôtres sont des structures très élaborées et nécessairement complexes, alors que l’organisation de l’ÉI est forcément mobile, peu coûteuse et dispersée. Nous avons perçu ce contraste clairement, avant l’avènement de l’ÉI ; lors des attaques d’al-Qaïda du 11 septembre 2001. Les attaques ont coûté la vie à seulement quelques dizaines de terroristes et ont coûté sans doute moins de 100 000 dollars, mais ont tué plusieurs milliers de victimes et le coût pour l’économie américaine dépasse les 100 milliards de dollars (en comptant les longues guerres qui en ont résulté en Afghanistan et en Irak).

De plus, il faut y ajouter les coûts psychologiques, légaux et politiques. al-Qaïda n’avait pas grand-chose à perdre en termes de légalité ou de moralité, mais ils ont poussé les États-Unis à des actes qui ont affaibli leurs valeurs traditionnelles et créé la défiance de leurs propres citoyens. Pour al-Qaïda, ce fut une victoire acquise à moindre coût.

– La plus grande faiblesse de l’ÉI c’est que la vaste majorité des musulmans veut, comme tout individu, pouvoir “vaquer à ses occupations”, se réunir et consommer, travailler et se divertir, rivaliser et procréer. Ce ne sont pas des fanatiques et ils ne veulent pas finir martyrs ou héros.

En vérité, le “stratège de l’ÉI” n’a pas une très haute opinion de ces gens ordinaires. Dans un document qui décrit la stratégie de l’ÉI – Idarah at-Tawhish (la gestion de la sauvagerie) – le ou les stratèges écrivent :

“Notez que … nous disons que les masses posent des difficultés… nous savons que nous ne pouvons généralement pas leur faire confiance, étant donné la façon dont les impérialistes étrangers et les traîtres locaux les ont formés, et nous comprenons qu’il n’y aura pas d’amélioration pour la population avant la victoire finale. En conséquence notre stratégie est de gagner leur sympathie, ou au moins de les neutraliser.”

Comment le “stratège de l’ÉI” compte-t-il faire cela ? La réponse réside dans un programme socio-politique qui vise à “unir le cœur du peuple” en donnant de l’argent, de la nourriture ou des services médicaux et en fournissant un système judiciaire efficace pour remplacer celui – corrompu – de ses rivaux locaux. Ce programme a enregistré quelques succès, mais il est fragilisé et mis en danger par la violence de l’ÉI et la terreur qu’il suscite.

(On peut considérer que Sayyid Qutb, un théoricien islamiste exécuté en Égypte en 1966, est le philosophe à l’origine de l’Islam fondamentaliste. Ce que j’appelle “le stratège” est peut-être – ou a été – Abu Bakr Naji, il s’agit éventuellement d’un nom de guerre ou même d’un pseudonyme de comité. Pour plus de détails, voir “Comprendre l’Islam fondamentaliste” sur Consortiumnews.com)

Des guerres mal gérées

– Les stratégies euro-américaines et russes contre les guérillas et les terroristes se sont toutes appuyées avant tout sur l’action militaire. Ce fut évident lors de notre campagne en Afghanistan. Les Russes répètent aujourd’hui en Syrie à peu près la stratégie qui fut la leur en Afghanistan, tout comme nous avons nous-même répété notre stratégie du Vietnam lors de notre engagement en Afghanistan. Les É-U, nos alliés et la Russie sont maintenant apparemment embarqués dans la même stratégie générale en Syrie et en Irak.

Les stratégies prétendument plus sophistiquées (comme la formation, les campagnes anticorruption, les programmes “de sécurité”, la création d’emplois, diverses formes de corruption et autres activités économiques) reçoivent assez peu d’attention. La partie la moins discutée est la dimension politique de l’insurrection.

Pourtant, tout du moins selon moi, la réalité de l’insurrection est exactement l’inverse des priorités sur lesquelles nous misons notre argent et mettons nos efforts. Dans mon calcul, lors d’une insurrection, la politique compte sans doute pour 80% du problème, l’administration pour 15% et la composante militaire et paramilitaire ne compte que pour 5%. Un bref regard sur les sommes engagées démontre que nos attributions de fonds, notre action politique, nos compétences administratives et notre puissance militaire se font dans l’ordre exactement inverse.

– Trois raisons expliquent pourquoi cet ordre d’attribution, même s’il a démontré son inefficacité, est toujours employé : la première est l’incapacité des “experts” de la contre-insurrection à comprendre la nature politique de celle-ci ; la seconde est que l’attitude martiale, les roulements de tambours et l’appel à l’action militaire permettent aux dirigeants politiques de se faire remarquer ; et la troisième, c’est que les fabricants d’armes et les travailleurs qui les fabriquent veulent gagner de l’argent.

Sur ce dernier point, le président Dwight Eisenhower avait raison, c’est le monde à l’envers : le complexe militaro-industriel (auquel il faut adjoindre le Congrès corrompu par les lobbies) dirige la vie politique américaine.

Nous n’avons pas besoin de deviner quelle est la stratégie de l’ÉI. Ses chefs nous l’ont dit. La gestion de la sauvagerie (utilisant le terme arabe de tawhish, qui évoque la répugnance, et s’applique à un lieu désolé, hanté de bêtes sauvages, dans lequel il n’y a aucune humanité ni douceur, mais seulement la sauvagerie, la terreur et la cruauté) détaille la campagne à long terme de destruction du pouvoir des États et des sociétés que Daech appelle “les Croisés” – c’est-à-dire les puissances occidentales, que l’ÉI dénonce comme impérialistes – et d’élimination des traîtres qui les soutiennent au sein des sociétés musulmanes.

Les Trois Étapes

– La campagne de l’État Islamique se répartit en trois étapes :

La première étape est de harceler l’ennemi afin de créer un chaos par lequel le pouvoir des forces étrangères et leurs mandataires locaux sont distraits et affaiblis, tandis que les terroristes musulmans et les guérilleros apprennent à se servir de leur pouvoir de manière efficace.

La deuxième étape est “la propagation de la sauvagerie”, qui commence localement par des attaques à faible échelle pour ensuite se métastaser. Des individus et des groupes locaux reprennent la cause, et agissent d’eux-mêmes ou en coordination limitée. Ceux qui mettent à exécution les programmes de l’ÉI le font parce qu’ils en ont adopté les idées, et non parce qu’ils sont dirigés par une autorité centrale.

Pendant que sa campagne se déploie, les ennemis de l’ÉI, en particulier les États-Unis, chercheront à répliquer, mais ils n’y parviendront pas. “L’Amérique ne trouvera pas d’État sur lequel se venger, parce que les seuls États qui restent sont ses clients,” d’après le plan. “Elle n’aura d’autre choix que d’occuper le terrain et d’installer des bases militaires dans la région… ceci la fera entrer en guerre contre les populations locales. Il est évident qu’à ce moment-là cela accélère les mouvements qui favorisent l’expansion djihadiste et crée des vocations chez de nombreux jeunes qui observent les évènements et cherchent un moyen de résistance.

“Ainsi,” poursuit le “stratège de l’ÉI”, la tactique correcte est de “diversifier et d’élargir les frappes de harcèlement partout dans le monde musulman, et même à l’extérieur si c’est possible, afin de disperser les efforts de l’alliance ennemie et ainsi les vider, autant que possible, de leur énergie, de leur volonté et de leurs fonds.”

“Par exemple : si une destination touristique indonésienne prisée par les Croisés est frappée, alors toutes les destinations touristiques dans tous les États du monde devront être protégées par l’emploi de forces additionnelles, ce qui causera une forte augmentation de la dépense.”

Ainsi, dans le cadre de ce plan, l’ÉI a déclaré récemment que ses membres avaient abattu un avion de ligne russe au-dessus du Sinaï, alors qu’il revenait de la station balnéaire égyptienne de Sharm-el-Sheikh au bord de la mer Rouge.

Le plan poursuit : “Si une banque usuraire des Croisés est frappée en Turquie, alors toutes les banques appartenant aux Croisés devront être sécurisées dans tous les pays, drainant ainsi les ressources (c’est à dire le coût de la sécurité).”

“Si des intérêts pétroliers sont frappés près du port d’Aden, d’importantes mesures de sécurité devront être mises en place par l’ensemble des compagnies pétrolières, sur leurs tankers, le long de leurs pipe-lines afin de les protéger, augmentant ainsi les coûts. Si deux des auteurs apostats sont tués dans une opération simultanée dans deux pays différents, ils devront assurer la sécurité de centaines d’écrivains dans les autres pays musulmans.

“Ainsi, il y a diversification et élargissement du cercle des cibles et des attaques, accomplies par de petits groupes séparés. De plus, frapper répétitivement le même type de cibles deux ou trois fois leur montrera clairement que ce type de cibles est vulnérable.”

L’attaque de Paris ne fut pas, comme l’a annoncé le New York Times le 16 novembre, un changement de tactique de l’ÉI ; c’était au contraire un évènement qui s’intégrait parfaitement à sa stratégie à long terme.

“Société combattante”

La troisième étape est constituée de “la gestion de la sauvagerie” afin de créer une “société combattante”. Pour minimiser l’effet de la puissance aérienne de ses ennemis, l’ÉI s’est transformé en État nomade, pratiquement sans frontières. Mais à l’intérieur des zones qu’il contrôle, il a mis en place un programme socio-politique afin “d’unifier le cœur du peuple en fournissant moyens financiers, nourriture et services médicaux et en mettant en place un système judiciaire fondé sur la charia. Sur cette base, il devient possible de créer un État rudimentaire.”

Le “stratège de l’ÉI” a tiré les leçons de la défaite russe en Afghanistan. Comme les Afghans ne pouvaient pas vaincre les Russes dans une bataille rangée, ils ont cherché à provoquer les Russes afin de les obliger à étendre excessivement leurs forces, ce qui les engagea dans un conflit coûteux et sans issue. Ce conflit a acculé l’économie soviétique à la banqueroute, tandis que les méthodes cruelles employées par l’armée Rouge ont coûté à l’Union Soviétique le soutien à la fois de son propre peuple et celui des Afghans. L’Amérique et l’Europe, selon le “stratège de l’ÉI”, peuvent être attirées dans le même piège.

Dans ce combat, le “stratège de l’ÉI” considère la violence comme la stratégie-clé. Elle affaiblit l’ennemi et en même temps agit comme l’école – presque “l’hôpital” social – nécessaire pour transformer les sociétés corrompues actuelles en “véritables croyants” du monde islamique de demain. L’ÉI a pu s’inspirer de Franz Fanon, un psychiatre franco-carribeo-africain, dont le livre, “Les Damnés de la Terre”, a eu une large audience dans le tiers-monde.

Selon Fanon, la violence est “une force régénératrice. … Elle libère l’indigène de son complexe d’infériorité, de son désespoir et de son inaction ; elle le rend courageux et lui rend sa dignité.”

Le stratège de l’ÉI pense la violence dans ces termes, ainsi qu’en termes d’impact sur ses opposants, en écrivant : le djihad “n’est rien que la violence, la cruauté, le terrorisme, la terreur (inspirée aux autres) et le massacre.”

Il doit être conduit sans pitié : “Le djihad ne peut être poursuivi par la douceur. … La douceur est un facteur d’échec dans toute action djihadiste. … Que nous employions la douceur ou la dureté, nos ennemis ne nous épargnerons pas s’ils se saisissent de nous. Donc, il nous est nécessaire de leur donner de quoi réfléchir mille fois avant de s’attaquer à nous…”

“En conséquence, rien ne nous retient de faire couler leur sang ; au contraire, nous voyons que c’est l’une des plus importantes obligations, puisqu’ils ne se repentent pas, qu’ils ne prient pas et ne donnent pas les aumônes (comme l’Islam l’exige). Toutes les religions appartiennent à Dieu.”

Faire “payer l’ennemi” peut être fait partout : “si le régime apostat d’Égypte tente de capturer ou tuer un groupe de moudjahidines (combattants) … les moudjahidines d’Algérie et du Maroc peuvent frapper directement l’ambassade d’Égypte et revendiquer cette action, ou ils peuvent kidnapper un diplomate égyptien jusqu’à ce que le groupe de combattants soit libéré…”

“La politique de la violence exige également que, si les demandes ne sont pas exaucées, les otages doivent être liquidés de la façon la plus atroce, afin de terroriser au plus profond l’ennemi et ses soutiens.”

Comme nous le savons, liquider des captifs de façon atroce est une spécialité de l’ÉI. Mais, si nous regardons l’ensemble des guérillas, nous voyons que cela a été largement pratiqué.

Le petit livre de la guérilla

– La doctrine politico-militaire de l’ÉI que décrit le “stratège” peut être vue comme une version religieuse des guerres dont se réclamaient Mao Zedong et Ho-Chi Minh : une combinaison de terrorisme lorsque c’était la seule option, guérilla lorsque cela était possible quand les zones d’opération étaient sûres, et enfin – lorsque le conflit devenait “mature” – la création d’un État minimal mais belliqueux. Cet enchaînement des faits s’est souvent répété pendant les dix-neuvième et vingtième siècles, comme je l’ai rapporté dans mon livre “Violent Politics”. Cette stratégie est sale, brutale et coûteuse, mais elle a presque toujours réussi. L’ÉI l’a adoptée.

Comme nous le disent les chefs de l’ÉI, de leur point de vue il ne s’agit pas d’un combat “économique, social ou politique” entre des adversaires étatiques pour le contrôle d’un territoire, mais d’une “bataille des esprits,” sous-tendue par une proclamation déterminée de l’Islam. Nous n’avons rien vu de tel dans le monde depuis les grandes guerres de religion en Europe il y a quelque 400 ans.

Pourquoi les nations occidentales plongeraient-elles aujourd’hui dans un tel conflit ? Si nous ne répondons pas à cette question – ou si nous ne sommes pas à la hauteur de la réponse – nous risquons de passer quelques années très douloureuses.

– Le guide de l’ÉI, La Gestion de la Sauvagerie, commence par une analyse du monde dont les musulmans ont hérité des impérialistes et des colonisateurs. Non seulement les musulmans, mais tous les peuples du tiers-monde ont grandement souffert. Et leurs descendants continuent d’entretenir la mémoire de la “destruction de leur âme”. Selon l’ÉI, les grandes puissances et leurs alliés locaux “ont fait plus de victimes que tous les djihads de ce siècle.”

Est-ce seulement une exagération destinée à enflammer la haine de l’Occident ? Malheureusement, non. Que nous nous souvenions de ces évènements ou non, les descendants des victimes, eux, s’en souviennent.

Le souvenir des années qui ont suivi la traversée de l’Atlantique par Colomb devient de plus en plus amer. Alors que les Européens tout d’abord, puis les Américains et les Russes – le monde du “Nord” – ont gagné en puissance relative, ils ont plongé vers le “Sud”, détruisant les États locaux, défaisant les sociétés et supprimant les ordres religieux. L’impérialisme, et l’humiliation et les massacres de masse qu’il a engendrés, bien que largement oubliés par les coupables, sont néanmoins bien présents dans la mémoire actuelle des victimes.

Les chiffres sont ahurissants : dans une région relativement petite d’Afrique, le Congo, où un habitant sur dix est musulman, on estime que les Belges ont tué deux fois plus d’indigènes que les nazis n’ont tué de Juifs et de Roms – 10 à 15 millions de personnes.

Presque aucune société de ce que j’appelle “le Sud” n’est épargnée par le souvenir d’évènements similaires, infligés par “le Nord”. Il suffit de considérer l’histoire militaire récente :

A Java, les Hollandais ont imposé un régime colonial aux indigènes et, lorsque ceux-ci ont tenté de recouvrer leur indépendance, environ 300 000 “rebelles” ont été tués entre 1835 et 1840 ; de même les “rebelles” de Sumatra ont été éliminés entre 1873 et 1914.

En Algérie, après un conflit de 15 ans commencé en 1830, les Français ont volé la terre des locaux, rasé des centaines de villages, massacré un nombre incalculable d’autochtones et imposé un régime d’apartheid aux survivants.

En Asie centrale, les Russes et les Chinois ont appauvri puis expulsé des populations auparavant prospères. Alors dans une âpre guerre dans le Caucase, les Russes, comme le raconte Tolstoï, ont éliminé des sociétés tout entières.

En Inde, après une tentative de révolte en 1857, les Britanniques ont détruit l’Empire moghol et ont tué des centaines de milliers d’Indiens. En Libye, les Italiens ont tué environ les deux tiers de la population de Cyrénaïque.

Anciens et nouveaux griefs

On pourrait considérer que tout cela appartient au passé et devrait être oublié. Peut-être, mais il y a d’autres massacres datant de la dernière décennie, et qui ne peuvent être excusés ainsi. Lors de la campagne américaine au Vietnam (un pays non-musulman), le napalm, les bombes à fragmentation et les mitrailleuses ont été suivis par la défoliation, les produits chimiques cancérigènes et un programme d’assassinats qui, au total, ont causé la mort de peut-être 2 millions de civils.

En Afghanistan, les chiffres sont inférieurs, parce que la population est moins nombreuse mais, en plus du demi-million de morts estimé, toute une génération d’Afghans a été “marquée” et n’atteindra jamais sa taille physique normale ou, peut-être, ne développera pas ses capacités intellectuelles. Les victimes dues au conflit russe en Afghanistan ne sont pas connues, mais ne peuvent être inférieures au demi-million. En Irak, on estime qu’à la suite de l’invasion par les É-U en 2003, environ un million d’Irakiens sont morts.

La mort n’est que l’une des conséquences de la guerre ; les survivants doivent faire face à la peur, la famine, l’humiliation et la misère. Alors que la structure même de la société est endommagée, la vie civile est souvent remplacée par la guerre des gangs, la torture, le kidnapping, le viol et la peur généralisée.

En étudiant ces évènements, les mots de Thomas Hobbes décrivant l’humanité avant la civilisation me sont revenus : “pauvre, méchante, brutale et petite.”

Collectivement, ces conséquences de l’impérialisme, du colonialisme et des incursions militaires dans “le Sud” du monde constituent un holocauste fondateur de l’action musulmane, autant que l’holocauste par les nazis a été fondateur pour l’action juive.

Les blessures ne se sont pas entièrement refermées dans bien des sociétés. Nous en voyons la conséquence dans la fragilité – et parfois même la destruction complète – des organisations civiques, dans la corruption des gouvernements ou dans la violence.

Comme l’écrit “le stratège de l’ÉI”, et comme je l’ai entendu de nombreux connaisseurs de l’Afrique et de l’Asie, nous, du “Nord”, pratiquons le deux poids deux mesures dans le domaine racial et religieux. Lorsqu’il arrive qu’”ils” tuent un Européen, nous réagissons bien sûr avec horreur. Mais quand “nous” tuons un Africain ou un Asiatique, ou même quand un grand nombre d’Africains ou d’Asiatiques sont tués par l’ÉI ou par un autre groupe de terroristes, nous le remarquons à peine.

Le 13 novembre, la veille de l’attaque de Paris, une attaque similaire a été perpétrée à Beyrouth, au Liban, dans laquelle 41 personnes ont été tuées et 200 blessées. Presque personne en Europe et en Amérique ne l’a relevée. Ce n’est pas seulement une question morale – bien que cela en soit une aussi – mais cela touche aussi à un aspect fondamental de la question du terrorisme.

Le souvenir de tels évènements explique en grande partie pourquoi de jeunes hommes et femmes, même ceux issus de sociétés sûres et prospères, rejoignent l’ÉI. Mettre de côté cet aspect, comme l’a remarqué récemment un journaliste connaisseur de l’Asie, nous empêchera de comprendre la nature de ce que nous affrontons et comment bâtir une sécurité mondiale.

Insurrections victorieuses

– Les résultats d’une insurrection sont décrits dans mon livre “Violent Politics”. J’y ai montré que dans les deux derniers siècles, dans des sociétés très diverses, en plusieurs endroits d’Afrique, d’Asie et d’Europe, les guérillas ont toujours accompli leurs objectifs malgré les mesures les plus draconiennes de contre-insurrection.

Prenons simplement un exemple, l’Afghanistan : les Russes, puis les Américains ont déployé des centaines de milliers de soldats, un grand nombre de mercenaires et de troupes locales et ont utilisé un niveau de force létale sans précédent au cours d’un demi-siècle de guerre.

Si le résultat n’est pas définitif à ce jour, il est toutefois clair que la guérilla n’a pas été vaincue. L’Afghanistan a été surnommé “le tombeau de l’impérialisme.” Son rôle dans la destruction de l’Union Soviétique a été correctement décrit. Ils n’en n’ont pas encore fini avec nous.

Considérons aussi les résultats dans les régions du monde où les hostilités ont relativement décru. Lorsque j’étais un jeune homme, dans les années 40 et 50, je pouvais aller pratiquement n’importe où en Afrique ou en Asie et être reçu cordialement, être nourri et protégé. Aujourd’hui, partout où j’irai, je serai en danger d’être abattu.

Quelles sont nos alternatives dans ce monde de plus en plus dangereux ? Soyons honnêtes et admettons qu’aucune n’est satisfaisante. La colère et la peur en rendent certaines difficiles voire impossibles à mettre en œuvre. Mais je vais toutes les mettre “sur la table” afin de les évaluer en termes de coûts et d’efficacité potentielle.

La première réponse, qui fut annoncée par les présidents François Hollande et Barack Obama quelques heures à peine après les attaques de Paris, est de s’engager dans une guerre totale. L’Armée de l’Air française a immédiatement procédé au bombardement de zones supposées abriter des camps d’entrainement de l’ÉI.

L’étape suivante, sans doute, et bien qu’aucun des deux chefs n’ait été précis sur ce point, inclura sans doute l’envoi de troupes au sol en Syrie et en Irak, en addition de la campagne de bombardement de ces deux pays maintenant rejoints par la Russie. Il s’agit d’une extension et d’une intensification de la politique déjà en œuvre, et, si l’on en juge par le résultat de l’expérience russe en Afghanistan et de la nôtre en Afghanistan et en Irak, les chances de détruire l’ÉI sont faibles. Ces chances diminueront encore si nous tentons un “changement de régime” en Syrie.

Une seconde option, qui je suppose est envisagée à Washington alors que j’écris ces lignes, est de voir Israël envahir la Syrie et l’Irak tout en utilisant sa puissance aérienne pour augmenter ou remplacer celles qui opèrent actuellement. Cette option serait douloureuse pour l’ÉI mais elle collerait parfaitement à sa stratégie à long terme.

De plus, elle démolirait le bloc anti-ÉI qui émerge actuellement, constitué de l’Iran, de la Russie et de la Syrie. Si Israël avançait cette idée, ce qui me semble probable, celle-ci serait rejetée et Israël recevrait en échange une large compensation.

Une troisième option consisterait pour les États-Unis à cesser leur politique anti-Assad et à rejoindre la Russie et l’Iran dans une campagne coordonnée contre l’ÉI. Bien que cette solution soit plus rationnelle que les deux premières, et qu’elle puisse initialement avoir du succès, je ne crois pas qu’à elle seule elle remplisse nos objectifs.

Les drones et les forces spéciales sont déjà utilisés et continueront à l’être, en appui de l’effort principal, quel qu’il soit, mais ils n’ont pas non plus été décisifs là où ils ont été utilisés. A vrai dire, en Afghanistan, ils ont même été contre-productifs.

Comme l’avait prévu “le stratège de l’ÉI”, ces attaques ne feront qu’augmenter l’hostilité des locaux à l’égard des étrangers, tandis que les combattants de l’ÉI, s’ils sont assez astucieux pour cela, disparaîtront simplement pour réapparaître un autre jour. Pire, en “décapitant” une guérilla dispersée, on ouvrira la voie à de nouveaux chefs, plus jeunes, plus agressifs.

Répression intérieure

Simultanément aux trois options précédemment citées, je tiens pour presque certain que les gouvernements des États-Unis et d’Europe vont renforcer leurs programmes de surveillance sur leur territoire. Contrôle des déplacements, expulsions (en particulier en France) de populations étrangères ou quasi-étrangères, raids dans les zones urbaines défavorisées, surveillance et autres activités de ce type vont augmenter.

Ces tactiques sont ce que l’ÉI espérait. Les dépenses de “sécurité” vont augmenter et des populations seront confrontées à des mesures “vexatoires”. Mais ces politiques n’assureront pas la sécurité. Lorsque des terroristes sont prêts, comme ceux de l’attaque de Paris, à se faire sauter ou à se faire tuer, il faut s’attendre à de nouvelles attaques, quelles que soient les mesures de sécurité.

Quelles sont alors les mesures non-policières et non-militaires ? Quelles options doit-on considérer ? Deux combinaisons d’économie et de psychologie apparaissent :

La première est l’amélioration des conditions de vie de la communauté nord-africaine en France. Les bidonvilles qui encerclent Paris sont un terrain de choix pour recruter des agents de l’ÉI. Une amélioration des niveaux de vie peut faire une différence, mais au vu de l’expérience passée en Amérique et même en France, le “renouveau urbain” n’est pas la panacée.

Même si elle l’était, cette politique serait difficile à mettre en œuvre par l’administration française. Elle serait fort coûteuse, alors que le gouvernement français se considère déjà comme surendetté, et que les sentiments antimusulmans en France étaient déjà vifs avant les attentats de Paris. Maintenant, l’opinion publique se détourne de la solution sociale et incline à la répression.

Comme dans d’autres pays européens, la combinaison de la peur du terrorisme et de l’afflux de réfugiés rendra difficile la mise en œuvre d’une politique décrite comme pro-musulmane.

Il existe une autre approche, peut-être encore plus improbable, et que l’ÉI redoute particulièrement à mon sens. Le “stratège de l’ÉI” nous a dit qu’une des ressources majeures du mouvement est la communauté, mais il a reconnu que, malgré les terribles souvenirs laissés par l’impérialisme, le public est resté relativement passif.

Cette attitude pourrait grandement évoluer sous le coup d’une invasion ou d’une intensification des bombardements aériens. L’ÉI en est convaincu, et que cela ferait basculer un grand nombre de civils, actuellement “neutres”, en soutien des djihadistes, voire en djihadistes eux-mêmes.

Clairement, ce serait à l’avantage des autres pays d’empêcher cela d’advenir.

On peut empêcher, peut-être dans une certaine mesure, la violence de l’ÉI, par des mesures de sécurité, mais je suggère qu’un programme multinational orienté vers des questions de protection sociale, psychologiquement satisfaisant, puisse rendre moins virulents les sentiments de haine dont se nourrit l’ÉI.

Par inadvertance, l’ÉI en a identifié pour nous les éléments cruciaux : combler les besoins des communautés, offrir des compensations aux transgressions récentes, et lancer des appels à un nouveau départ. Un tel programme n’aurait pas besoin d’être massif, et pourrait se limiter, par exemple, aux enfants en établissant des mesures de santé publique, en fournissant des améliorations en nourriture et vitamines.

Des organisations existantes (comme Médecins Sans Frontières, la Fondation Rostropovitch, la Croix Rouge et le Croissant Rouge) pourraient mener à bien ce projet, et, en vérité, elles en font déjà beaucoup. L’ajustement serait surtout psychologique – sur la volonté des nations de reconnaître leurs torts – comme nous l’avons vu dans le cas des “excuses” allemandes pour l’holocauste ou l’absence de remords des Japonais pour le sac de Nankin. Cela coûterait peu et ferait beaucoup, mais à l’heure actuelle cela paraît illusoire.

Ainsi donc, malheureusement, je crains que nous nous dirigions vers une nouvelle décennie de peur, de colère, de misère et de perte des libertés fondamentales.

(Pour plus d’informations sur ce sujet par William R. Polk, lire “Pourquoi beaucoup de musulmans haïssent l’Occident” et “Souvenir musulman de l’impérialisme Occidental” sur Consortiumnews.com)

Source : Consortiumnews.com, le 17/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/dans-le-piege-de-letat-islamique-par-william-r-polk/


Patriarche Aphrem II : « Je demande une seule chose à l’Occident : arrêtez d’armer nos assassins »

Wednesday 3 February 2016 at 02:15

Mais l’avis des chrétiens de Syrie intéresse-t-il quelqu’un ?

Source:la Stampa, 29-06-2015

Interview du patriarche orthodoxe syrien Aphrem II : le martyre n’est pas un sacrifice humain offert à Dieu afin d’obtenir ses faveurs. C’est pourquoi il est blasphématoire d’appeler les auteurs d’attentats suicide des martyrs ».

« Quand on regarde les martyrs, on voit que l’Église n’est pas une église unique, sacrée, catholique et apostolique. Dans sa traversée de l’Histoire, l’Église a aussi été une Église qui souffre. » D’après le patriarche orthodoxe syrien d’Antioche, Moran Mor Ignatius Aphrem II, le martyre révèle un élément essentiel de la nature de l’Église. Une connotation qui pourrait être ajoutée à celles professées dans le Credo et qui accompagne toujours ceux qui suivent les traces du Christ, quels que soient les aléas qu’ils traversent dans la vie, agissant comme ses disciples. C’est un trait distinctif qui peut être clairement observé maintenant à travers les multiples expériences auxquelles les chrétiens et les Églises du Moyen-Orient sont confrontés.

Dans un passé récent, le Patriarche Aphrem — qui a rencontré le Pape à Rome le 19 juin — a été impliqué dans les épreuves et les vicissitudes qui affligent son peuple. Sa dernière mission pastorale, qui vient de se terminer, se situait à Kameshli, sa ville de résidence. Il y est allé pour rencontrer les milliers de nouveaux réfugiés chrétiens qui avaient fui devant l’offensive lancée par les djihadistes de Daech contre le centre urbain voisin de Hassaké, dans la province de la Jezire au nord-est de la Syrie.

Votre Sainteté, quelles sont les caractéristiques du martyre des chrétiens ?

« Jésus a souffert sans raison, gratuitement. Étant donné que nous le suivons, la même chose peut nous arriver. Et lorsque cela se produit, les chrétiens ne posent pas d’exigences, ne protestent pas « contre » le martyre. Après tout, Jésus nous a promis qu’il ne nous abandonnerait jamais, il ne nous prive jamais du secours de sa grâce, comme l’attestent les histoires des premiers martyrs et aussi des martyrs actuels. Ils font face au martyre avec une expression de joie et le cœur en  paix . Le Christ lui-même le dit : soyez bénis lorsqu’on vous persécute à cause de moi. Les martyrs ne sont pas des vaincus, ils ne sont pas des personnes discriminées qui ont besoin de se libérer de la dite discrimination. Le martyre est un mystère d’amour gratuit. »

Et cependant, nombreux sont ceux qui continuent de parler du martyre comme d’une anomalie qui devrait être supprimée, ou comme d’un phénomène qui doit être dénoncé et contre lequel nous devrions nous mobiliser et nous opposer.

« Le martyre n’est pas un sacrifice offert à Dieu, comme ces sacrifices qui sont offerts aux dieux païens. Les martyrs chrétiens ne cherchent pas le martyre pour prouver leur foi. Et ils ne cherchent pas à verser leur sang pour obtenir des faveurs de Dieu ou une autre récompense comme le Paradis. Donc il est complètement blasphématoire de désigner les auteurs d’attentats suicide par le terme de martyrs. »

En Occident, nombreux sont ceux qui insistent pour que quelque chose soit fait en faveur des chrétiens du Moyen-Orient. Est-ce qu’une intervention militaire est nécessaire ?

« Nous ne demandons pas à l’Occident une intervention militaire pour défendre les chrétiens et tous les autres. Nous leur demandons de cesser d’armer et de soutenir les groupes terroristes qui détruisent notre pays et massacrent notre peuple. S’ils veulent nous aider, ils n’ont qu’à soutenir les gouvernements locaux qui ont besoin de forces armées en nombre suffisant pour maintenir la sécurité et pour défendre leur population respective contre les attaques. Les institutions d’État ont besoin d’être renforcées et stabilisées. Au lieu de cela, ce que nous voyons est leur démantèlement  par la force encouragé de l’extérieur.

Avant votre récent voyage en Europe, vous, ainsi que les évêques de l’Église orthodoxe syrienne, avez rencontré le Président Assad. Que vous a-t-il dit ?

« Le Président Assad nous a enjoint de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que les chrétiens ne quittent la Syrie. « Je sais que vous souffrez », a-t il-dit « mais je vous en prie, ne quittez pas cette terre, qui a été votre patrie pendant des milliers d’années, même avant que l’Islam naisse ». Il nous a dit que le pays aura besoin des chrétiens lorsque le temps de la reconstruction de ce pays dévasté viendra. »

Est-ce que Assad vous a demandé de transmettre un message quelconque au Pape ?

« Il nous a dit de demander au Pape et au Saint-Siège d’utiliser leur diplomatie et leur réseau de contacts pour aider les gouvernements à comprendre ce qui se passe réellement en Syrie. De les aider à prendre la mesure du véritable état de choses. »

Il y a des cercles à l’Ouest qui accusent les chrétiens de l’Est de se soumettre à des régimes autoritaires.

« Nous ne nous sommes pas soumis  à Assad et à des gouvernements prétendument autoritaires. Simplement nous reconnaissons les gouvernements légitimes. La majorité des citoyens syriens soutiennent le gouvernement Assad et l’ont toujours soutenu. Nous reconnaissons les autorités légitimes et prions pour ceux qui en font partie, ainsi que l’enseigne le Nouveau Testament. Nous constatons aussi que de l’autre côté il n’y a pas d’opposition démocratique, seulement des groupes extrémistes. Par-dessus tout, nous voyons qu’au cours des années récentes, ces groupes ont fondé leurs actions sur une idéologie qui vient de l’extérieur, apportée ici par des prêcheurs de haine qui viennent d’Arabie saoudite, du Qatar, d’Égypte, et sont soutenus par ces pays. Ces groupes reçoivent  également des armes à travers la Turquie, comme les médias nous l’ont montré. »

En fait, qu’est réellement l’État islamique ? Est-ce le vrai visage de l’Islam ou est-ce une entité artificielle utilisée dans des jeux de pouvoir ?

« L’État islamique (Daech), n’est certainement pas l’Islam qu’on nous a enseigné et avec lequel nous avons vécu pendant des centaines d’années. Il y a des forces qui l’alimentent en armes et argent parce que c’est utile à ce que le Pape François appelle « la guerre sporadique ». Mais tout ceci attire aussi une idéologie religieuse perverse qui se prétend inspirée par le Coran. Et c’est possible parce que dans l’Islam il n’y a aucune structure d’autorité qui ait la force d’offrir une interprétation authentique du Coran et fasse preuve d’autorité en rejetant les prêcheurs de haine. Chaque prédicateur peut aussi donner son interprétation littérale de versets isolés, qui semblent justifier la violence et le lancement de fatwas sur cette base, sans aucune autorité supérieure pour les contredire. »

Vous avez mentionné la Turquie. Les autorités turques essayent de faire revenir le Patriarcat orthodoxe syrien. Pendant quelques siècles il avait été déplacé vers un emplacement près de Mardin. Que ferez-vous ?

« Notre Patriarcat porte le nom d’Antioche. Quand il est apparu, Antioche faisait partie de la Syrie. C’était la capitale de la Syrie à l’époque. Nos églises antiques en Turquie ont une grande valeur historique pour nous, mais Damas, la capitale actuelle de la Syrie, est notre base maintenant et donc le restera. C’est notre libre choix et aucune pression de gouvernements ou de partis politiques ne nous fera changer d’avis. Nous avons donné son nom à la terre qui est appelée la Syrie, un nom qu’elle a gardé. Et nous n’allons pas partir. »

Quels sont les effets des souffrances subies par les Chrétiens au Moyen-Orient sur les relations œcuméniques entre les différentes Églises et communautés ?

« Ceux qui tuent des chrétiens ne font pas de différence entre les catholiques, les orthodoxes et les protestants. Le pape François le rappelle continuellement quand il parle d’œcuménisme du sang. Les choses ne restent pas en l’état. Vivre ensemble de telles situations nous rapproche, nous conduit à découvrir la source de notre unité. Les prêtres se découvrent frères dans la même foi et peuvent prendre ensemble d’importantes décisions. Par exemple, il sera important de décider d’une date commune pour célébrer Pâques. Au regard des épreuves et des malheurs du peuple de Dieu, que nous subissons ensemble, les disputes à propos de questions concernant le pouvoir ecclésiastique s’avèrent dénuées de pertinence. »

Que manque-t-il pour réaliser une communion sacramentelle pleine et entière ?

« Il nous faut professer ensemble la même foi et régler les questions doctrinales et théologiques sur lesquelles existent toujours des divergences. Mais je dois dire que les chrétiens syriens ont déjà progressé en ce domaine parce qu’il existe un accord d’accueil réciproque entre les chrétiens orthodoxes syriens et les catholiques. Quand les croyants ne peuvent pas participer à la liturgie et recevoir les sacrements de leur propre Église, ils peuvent participer aux célébrations dans les lieux de culte d’autres Églises. Et ils peuvent même participer à l’Eucharistie. »

Vous avez récemment participé à une conférence organisée par la communauté de Sant’Egidio à Rome, sur le Sayfo, le génocide perpétré par les Jeunes Turcs à l’encontre des chrétiens syriens au même moment que le génocide arménien. Pourquoi tenez-vous tellement à préserver le souvenir de ces événements douloureux ?

« A Kameshli, alors que j’étais un jeune garçon, je me rendais souvent à l’église une heure avant la prière. Je m’asseyais parmi les anciens et j’écoutais leurs histoires. Nombre d’entre eux étaient des survivants du Sayfo. Ils évoquaient des familles déchirées, des enfants arrachés à leur famille et donnés À des musulmans. J’ai compris que pour eux, parler de ces épreuves terribles était un moyen de se soulager d’un grand poids. Mais pendant longtemps il a été impossible de parler de cela en public. Ces dernières années, quand les Églises ont commencé à commémorer publiquement ces événements tragiques, de nombreuses personnes ont pu entendre des histoires qui avaient été enfouies dans la mémoire familiale comme taboues, quelque chose dont vous ne deviez même pas faire mention. Pour elles, ce fut une libération. Quand nous parlons du Sayfo en tant qu’Églises, notre but n’est autre que d’encourager ce sentiment intérieur de réconciliation. Et nos amis turcs devront comprendre ceci tôt ou tard : se souvenir de ces faits n’est pas pour nous un prétexte pour nous opposer à eux, mais peut aussi les aider à mieux comprendre leur passé et se réconcilier avec lui. »

Source:la Stampa, le 29 juin 2015.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/patriarche-aphrem-ii-je-demande-une-seule-chose-a-loccident-arretez-darmer-nos-assassins/


Chuck Hagel : la Maison-Blanche a tenté de me « détruire »

Wednesday 3 February 2016 at 01:44

C’est juste l’ancien ministre de la Défense d’Obama…

L’intérêt n’est pas tant sa vision que la compréhension du niveau de chaos politique dans l’administration américaine…

Source : Foreignpolicy.com, 18-12-2015

Dans un entretien exclusif, Chuck Hagel a déclaré que l’administration Obama était intervenue de manière invasive dans la gestion du Pentagone, l’avait poignardé dans le dos sur le chemin de la sortie et n’avait toujours aucune stratégie pour régler le problème syrien.

Par Dan De Luce

De retour d’un long voyage à l’étranger et souffrant de décalage horaire, le ministre de la Défense Chuck Hagel venait juste de s’installer avec sa femme à la table d’un bon restaurant italien au nord de la Virginie pour un dîner tranquille, quand son téléphone a sonné. Au bout du fil, c’était la Maison-Blanche. Le président Barack Obama voulait lui parler.

C’était le 30 août 2013 et l’armée des États-Unis était prête pour la guerre. Obama avait publiquement averti l’homme fort de la Syrie, Bachar el-Assad, que son régime devrait faire face aux conséquences, s’il franchissait « une ligne rouge » en employant des armes chimiques contre son propre peuple. Assad le fit quand même et Hagel avait passé la journée à approuver des plans finaux pour lancer contre Damas un barrage de missiles de croisière Tomahawk. Des navires de guerre américains étaient en Méditerranée, attendant l’ordre de tirer.

Au lieu de cela, Obama dit à Hagel, stupéfié, de démissionner. L’attaque chimique d’Assad le 21 août dans une banlieue de Damas avait tué des centaines de civils, mais le Président dit que les États-Unis n’allaient lancer aucune opération militaire contre le gouvernement syrien. Le Président avait décidé d’ignorer sa propre ligne rouge — une décision qui, pense Hagel, a porté un coup sévère à la crédibilité tant d’Obama que des États-Unis.

« L’histoire déterminera si c’était ou non la bonne décision », a déclaré Hagel à Foreign Policy dans un entretien de deux heures sur la politique étrangère, ses premiers commentaires publics détaillés depuis son départ forcé de ses fonctions en février. « Il n’y a aucun doute dans mon esprit que cela a nuit à la crédibilité du discours présidentiel quand cela s’est produit. »

Durant les jours et les mois suivants, dans le monde entier, les homologues de Hagel lui dirent que leur confiance envers Washington avait été ébranlée par la volte-face d’Obama. Et l’ancien ministre de la Défense a dit qu’à ce jour il entend toujours des plaintes de dirigeants étrangers. « La parole d’un Président est importante et quand le Président parle, on en fait grand cas », dit-il.

Hagel, à présent que le temps a  passé et qu’il est disposé à parler de son mandat ministériel, a cité cet épisode pour illustrer la difficulté pour la Maison-Blanche de formuler une politique cohérente sur la Syrie, tenant d’interminables réunions qui n’aboutissaient souvent à aucune décision, tandis que les conditions sur le terrain empiraient et que le nombre de morts allait sans cesse grandissant.

L’ancien sénateur du Nebraska âgé de 69 ans et vétéran de la guerre du Vietnam, parlant pour la première fois du traitement qui fut le sien dans le gouvernement Obama, a dit que le Pentagone était soumis à l’ingérence paralysante et à la micro gestion de la Maison-Blanche — une critique faisant écho à celle de ses prédécesseurs, Robert Gates et Leon Panetta.

En repensant à son rôle, Hagel a dit dans l’entretien du 10 décembre qu’il restait perplexe quant au motif pour lequel certains représentants de l’administration ont cherché à le « détruire » personnellement dans les derniers jours de son mandat, le critiquant via des commentaires anonymes dans les journaux, et cela même après qu’il eut remit sa démission.

Bien qu’il ne la désigne pas par son nom, les critiques de Hagel visent clairement la conseillère à la sécurité nationale d’Obama, Susan Rice et certains membres de son équipe. Les anciens collaborateurs de Hagel et d’anciens responsables de la Maison-Blanche disent que le ministre de la Défense était souvent en conflit avec Rice sur la politique en Syrie et sur la prison militaire américaine à Guantánamo.

L’ancien chef du Pentagone offre la vision interne d’une administration qui fut prise au dépourvu par le conflit complexe en Syrie et par l’offensive de l’État islamique qui s’en suivit. Son compte-rendu décrit une administration qui a manqué de stratégie claire sur la Syrie pendant la période où il était en fonction et suggère qu’elle n’en aura pas de sitôt — malgré l’extension du carnage et des vagues de réfugiés.

La Maison-Blanche a refusé de commenter ce récit après avoir été informée des commentaires de Hagel sur les retombées de l’annulation des frappes contre Damas sur injonction d’Obama, l’absence d’une politique claire sur la Syrie et le traitement que lui a réservé l’administration.

Mais un haut responsable de l’administration, parlant sous couvert de l’anonymat, a dit que le Président n’était pas prêt procéder à des opérations militaires en 2013 sans avoir au préalable consulté le Congrès et en avoir reçu l’approbation. Et le résultat final de la décision d’Obama a ouvert la voie à un accord diplomatique négocié par la Russie qui a vu le régime d’Assad remettre ses réserves d’armes chimiques déclarées. « Le résultat final de tout ceci est une Syrie débarrassée de son programme d’armes chimiques », a déclaré ce responsable à Foreign Policy.

Le haut responsable a aussi souligné que pour battre l’État islamique, le Président possédait une stratégie claire reposant sur la puissance aérienne américaine et la formation de forces locales, tout en promouvant des tentatives diplomatiques pour mettre fin à la guerre civile en Syrie et négocier le départ d’Assad.

Nommé pour faire évoluer les objectifs du Pentagone sur des bases pacifistes et superviser des coupes budgétaires strictes, Hagel a du faire face à l’incursion de la Russie en Ukraine et à une nouvelle guerre au Moyen-Orient peu après son entrée en fonction en février 2013.

Et au sein du département de la Défense, il faisait face à une série de crises : la réduction systématique des budgets, l’arrêt des activités gouvernementales qui provoqua le chaos dans les budgets du Pentagone, une fusillade meurtrière qui fit 12 morts dans le complexe maritime de Washington, une vague d’affaires d’agressions sexuelles dans l’armée et un scandale lié à une fraude commise par certaines des équipes des missiles nucléaires.

En tant que ministre de la Défense, Hagel exécuta scrupuleusement la politique de l’administration. Mais ses commentaires publics nébuleux semblaient inappropriés en ces moments d’agitation et, bien qu’il n’ait commis aucune grosse erreur, il n’avait pas non plus de réussite majeure. Au plus fort des mesures répressives d’Abdel Fattah al-Sissi, alors  ministre de la Défense, contre les Frères Musulmans en Égypte, les assistants de Hagel se vantaient des dizaines d’occasions durant lesquelles le chef de la défense des USA parlait à son homologue égyptien, dépeignant Hagel comme le principal lien entre l’administration et Le Caire. Ce qui ne se disait pas est que Sissi ignorait les exhortations de Hagel et continua sa campagne de répression brutale contre le groupe.

Cependant, le plus grand obstacle rencontré par Hagel est qu’il n’a jamais vraiment été intégré par le cercle rapproché de l’équipe d’Obama. Avant même qu’il occupe ce poste, sa réputation avait été salie par une audition de confirmation du sénat exceptionnellement tendancieuse, durant laquelle de nombreux anciens collègues républicains le dénonçaient comme inapte à cette position, le dépeignant comme hostile à Israël et faible dans sa position sur l’Iran.

Quelques Républicains l’avaient averti à l’avance qu’ils auraient à le « malmener » à l’audition à cause de leur mécontentement envers le président. Des sites conservateurs l’avaient décrit comme « antisémite » avant que l’audition ne commence. Mais le niveau de virulence à l’audition — de la part de législateurs avec lesquels il avait longtemps travaillé et pour lesquels il avait même récolté des fonds — fut un choc pour Hagel.

Plus d’un sénateur prirent les commentaires de Hagel hors de leur contexte ou déformèrent simplement ses propos. Pendant la guerre du Liban de 2006, Hagel avait appelé à la fin de « l’écœurant massacre » perpétré par les deux camps, mais les législateurs républicains l’accusèrent à tort de cibler Israël.

Le sénateur Ted Cruz (Républicain-Texas), un des principaux candidats à la Maison-Blanche aujourd’hui, accusa Hagel de recevoir d’éventuelles indemnités d’allocution en provenance de « groupes extrêmes ou radicaux », mais ne fournit aucune preuve.

« Il est au moins pertinent de savoir si les 200 000 $ qu’il a déposés sur son compte en banque proviennent directement d’Arabie Saoudite ou de Corée du Nord, » dit-il dans une prestation que certains commentateurs ont comparée au style diffamatoire de Joe McCarthy.

Hagel sembla déconcerté, mais choisit de ne pas résister. « Tout cela m’avait sidéré », dit Hagel à Foreign Policy. À un moment, Hagel rapporta incorrectement les propos du président sur sa politique en Iran, disant que le but était de « contenir » Téhéran.

Face à l’opposition sévère des Républicains, l’ex-sénateur dit à la Maison-Blanche qu’il était prêt à retirer sa candidature « parce que je ne veux entraîner ni le président ni le pays là-dedans. »

Obama, le vice-président Joe Biden — un vieil ami du temps où il siégeait au sénat — et le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Denis McDonough, l’appelèrent tous pour l’encourager à persévérer. Mais certains responsables ne rallièrent pas sa cause. « Je sais que tout le monde à la Maison-Blanche n’était pas aussi compatissant », dit-il sans apporter d’autres précisions.

Après un blocage de ses collègues républicains, un événement sans précédent pour la nomination d’un ministre de la Défense, Hagel a été élu par un vote serré de 58 voix contre 41 suivant majoritairement la ligne du Parti. Seuls quatre Républicains votèrent en sa faveur. Après-coup, raconte Hagel, certains sénateurs républicains lui présentèrent, en privé, leurs excuses pour leurs attaques.

Pour Hagel, le combat amer pour sa confirmation illustrait le nouveau style de politique qui a pris les commandes à Washington : extrêmement partisan et ne faisant pas de quartier. Et il a fait office d’énième rappel de la quasi disparition de la branche modérée qu’il représentait au parti Républicain. Hagel se voit comme un républicain dans la lignée de l’ancien président George H.W. Bush et de l’ex-conseiller à la Sécurité Nationale Brent Scowcroft, des pragmatistes rationnels qui favorisaient une politique étrangère centrée sur les intérêts nationaux et des décisions applicables. Mais ce courant « va en se tarissant », dit-il.

« Je ne suis pas sûr que si vous demandiez au gens, ‘Qu’est-ce que le parti Républicain ?’ ils pourraient vous répondre », dit Hagel. Quand le poste de ministre de la Défense lui a été offert après la réélection  d’Obama en 2012, un poste pour lequel il dit n’avoir jamais fait de demande ou de démarche, sa seule requête fut d’avoir accès au président.

Une fois en poste, sa requête était généralement acceptée. Mais il découvrit que parfois l’accès au président ne voulait pas forcément dire une réunion en tête à tête dans le bureau ovale. « Il y a des fois où j’avais appelé et demandé à avoir une réunion privée avec le président, mais quand j’arrivais, il y avait d’autres personnes dans la pièce », dit-il.

Ajournement des décisions

Alors que Hagel préférait les réunions en plus petit comité et les conversations téléphoniques à deux, la Maison-Blanche le convoquait souvent à de grandes sessions dans la Salle de crise dont l’ordre du jour de dernière minute était envoyé la veille au soir ou le matin même de la réunion.

Les délibérations de la Maison-Blanche sur la politique en Syrie et d’autres sujets conduits par Rice et ses adjoints semblaient ne mener nulle part, d’après Hagel. « D’abord, il y avait beaucoup trop de réunions et elles n’étaient pas productives », a déclaré Hagel. « Je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup d’occasions où nous soyons parvenus là où nous aurions dû. Nous avons continuellement reporté les décisions difficiles. Et puis il y avait toujours trop de monde dans la pièce. »

Au milieu d’assemblées plus grandes, comprenant des employés qu’il ne connaissait même pas, Hagel éprouvait des réticences à développer ses propos, de crainte que son point de vue ne se retrouve dans les médias. « Plus vous avez de monde dans une pièce,  plus il y a de possibilités de fuites — servant des intérêts tout personnels — afin de modeler et influencer les décisions au sein de la presse », a-t-il révélé.

Hagel quant à lui préférait transmettre ses opinions au cours de réunions hebdomadaires que lui-même et le général Martin Dempsey, à l’époque commandant de l’état-major interarmées, avaient avec le Président ou lors d’échanges téléphoniques et de rencontres avec Rice, Biden ou le ministre des Affaires étrangères, John Kerry.

Les conseils sur la sécurité nationale conduits par le Président contrastaient par leur efficacité et leur précision, sans temps perdu à partir sur des digressions, précise-t-il.

« En deux temps trois mouvements », dit Hagel. « J’ai fini par atteindre le point où j’ai dit à Susan Rice que je ne passerai pas plus de deux heures dans ces réunions. Certaines d’entre elles duraient quatre heures. »

Mais le même haut fonctionnaire du gouvernement défendait les longues réunions du Conseil national de sécurité,  plaidant que leur longueur s’expliquait naturellement par la complexité des défis que le pays rencontrait. « Cela démontre le processus politique rigoureux que nous menons. »

Toutefois Hagel déclara qu’on passait trop de temps à « couper les cheveux en quatre et à chercher des poux dans la tête », tandis que des questions plus importantes étaient ignorées. « On semblait se détourner des grandes questions. Quelle était donc notre stratégie politique en Syrie? »

Bien qu’il fût d’accord avec les réticences d’Obama à déployer un grand nombre de troupes au sol en Syrie ou en Irak,  il voulait que le gouvernement forge un plan pour une résolution diplomatique en Syrie et clarifie si Bachar el-Assad devait partir et dans quelles conditions, a-t-il ajouté.

Tandis que la Maison-Blanche cherchait à rester en dehors du conflit syrien, l’avancée foudroyante de l’État islamique dans le nord de l’Irak en juin 2014 — alors que l’armée de Bagdad s’effondrait dans sa retraite — eu l’effet d’un « choc » sur le gouvernement,  nous dit Hagel.

En août de cette même année, à la question posée par des journalistes lors d’une conférence de presse sur la nature de la menace posée par l’État islamique, Hagel répondit que : « cela dépasse tout ce que nous avons connu jusqu’ici ». Il fit référence aux compétences militaires, aux ressources financières du groupe et à  son habile propagande en ligne comme à des dangers sans précédent qui surpassaient les organisations terroristes connues auparavant.

De hauts représentants du gouvernement n’étaient pas satisfaits de la description de Hagel, ce qui « me valut quelques critiques de la part de la Maison-Blanche » dit-il. Cependant les événements ont validé ses observations.

« Ensuite, on m’a accusé d’essayer de faire un battage médiatique, d’exagérer et d’amplifier les faits », dit Hagel. « Je n’avais pas toutes les données mais je savais que nous affrontions là quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant. Et qu’à bien des égards, nous n’étions pas préparés à cela. »

Pour Hagel, l’indécision de l’administration sur la façon de s’occuper du conflit syrien fut révélée avec force durant une audition du Congrès en septembre 2014, quand il fut cuisiné par des sénateurs à propos des plans du gouvernement pour constituer une force de combattants rebelles pour attaquer l’État islamique.

Le sénateur John McCain (Républicains – Arizona), un critique véhément de la stratégie anti-État islamique de la Maison-Blanche, demanda à Hagel si l’administration viendrait au secours des rebelles soutenus par les États-Unis s’ils se faisaient attaquer par le régime Assad. L’administration avait débattu de cette question pivot des semaines sans prendre de décisions et Hagel fut forcé d’improviser.

« Nous n’étions jamais arrivés à une réponse ou à une conclusion à la Maison-Blanche », dit Hagel à Foreign Policy. « J’ai dit ce que je pensais devoir dire. Je ne pouvais pas dire ‘Non.’, Bon Dieu, tous nos alliés nous auraient lâchés au Moyen-Orient. »

McCain le pressa et Hagel dit aux législateurs : « Nous aiderons ceux que nous avons entraînés et qui nous soutiennent en cas d’attaque contre eux. »

Mais la question resta une « criante » lacune dans la politique de l’administration, ce qu’il fit remarquer lors des réunions suivantes.

« Est-ce qu’on va soutenir nos gars ou est-ce qu’on ne va pas les soutenir ? » dit Hagel à Foreign Policy. « C’est une question cruciale. » Sollicité cette semaine pour faire ses commentaires, le haut responsable du gouvernement a rejeté le portrait dressé par Hagel comme trompeur et dit que le Département de la Défense avait un rôle majeur dans l’établissement du programme d’entraînement et aurait pu faire face à tous les problèmes survenant.

Un mois plus tard, ses inquiétudes s’accumulant à propos de l’absence d’une politique globale concernant la Syrie et le combat contre l’État islamique, Hagel écrivit une note de deux pages à Rice et Kerry — et une copie au président — disant que l’administration devait décider de son approche sur le conflit en Syrie et sur sa position envers le régime Assad. Le mémo soutenait que « nous n’avons pas de ligne politique », déclara Hagel à Foreign Policy.

« J’y écrivais : Nous ne parvenons pas à nos fins, souhaitées et souhaitables », disait-il « parce que c’est ce que me disent tous mes collègues du monde entier. Tous mes homologues m’interpellent au cours de réunions de l’OTAN et partout ailleurs, avec les mêmes questions : Que faites-vous donc ? Où cela va-t-il nous conduire ? »

Mais Hagel a dit que la note — qui ne fut pas bien reçue par la Maison-Blanche — ne devait être entendue que comme un appel à inventer une marche à suivre cohérente et non une tentative de dicter une politique.

« Dans la note, je n’accusais personne. Nom de Dieu, je faisais partie du Conseil de Sécurité nationale! », dit Hagel.

Depuis qu’il a quitté ses fonctions en février, Hagel dit n’avoir vu aucune stratégie sur la Syrie se concrétiser. « Le gouvernement a encore des difficultés à établir une stratégie politique mais le ministre des Affaires étrangères, John Kerry, effectue des progrès dans la bonne direction », a encore déclaré Hagel, citant des entretiens avec la Russie, l’Iran ainsi que plusieurs gouvernements arabes.

Bien que Hagel s’oppose à une escalade majeure de la campagne militaire contre l’État islamique, ses critiques de l’administration vont très certainement nourrir une critique républicaine menée par McCain, disant que l’administration Obama a été faible et indécise sur le conflit syrien.

Ce résultat prend une tournure ironique pour Hagel dont les violentes critiques envers l’administration du Président George W. Bush à propos de la guerre en Irak — et son opposition au déferlement de troupes de 2007 — ont généré un ressentiment durable parmi ses confrères républicains, McCain inclus.

Ingérences au Pentagone

Le penchant de la Maison-Blanche à intervenir était un problème fréquent, dit Hagel. Dempsey se plaignait que des membres de la Maison-Blanche appelaient des généraux « et posaient des questions de niveau 5 dans lesquelles la Maison-Blanche ne devrait pas être impliquée », dit-il

Les prédécesseurs  de Hagel, Gates, Panetta ainsi que Michèle Flournoy, l’ancienne n°3 au Pentagone, ont tous critiqué les prises de décisions centralisées de la Maison-Blanche et ses interférences dans les rouages du département de la Défense.

Hagel dit que les ingérences politiquement motivées combinées avec une prolifération de la bureaucratie au Conseil National de Sécurité posent un vrai problème pour la branche exécutive — pouvant potentiellement enrayer le bon fonctionnement du Pentagone et de  bureaux dans d’autres cabinets.

« Il y a un danger dans tout ça », dit-il. « Il s’agit ici de gouvernance; pas d’objectifs politiques. Il s’agit de faire fonctionner le pays et de devancer les dangers et les menaces que vous voyez arriver. »

Réagir à la Russie

La prise de la péninsule de Crimée en mars 2014 par la Russie et son soutien aux séparatistes pro-Russes en Ukraine a pris de court Washington et produit un autre désaccord entre Hagel et les représentants de la Maison-Blanche.

Lors des réunions du Conseil de Sécurité nationale, Hagel dit qu’il avait souligné l’importance d’éviter une confrontation directe avec Moscou et de garder les canaux de communication ouverts avec les militaires russes. Mais il exhorta l’administration à envoyer un signal clair à Moscou — et aux alliés des Américains en Europe — en expédiant des messages et du matériel au gouvernement ukrainien pour son combat contre les séparatistes pro-Russes.

« J’ai aussi fait remarquer que les États-Unis devraient donner plus d’équipement non-létal aux Ukrainiens que nous ne le faisions et beaucoup plus rapidement », dit-il. « Il faut garder à l’esprit qu’il y avait une optique de leadership global. Le monde, nos partenaires de l’OTAN compris, observait pour voir comment nous allions répondre. »

L’administration bougea trop lentement pour aider Kiev, dit-il, bien qu’il ne pense pas que Washington aurait dû donner des armes aux Ukrainiens.

« Je pense que nous aurions dû faire plus, que nous aurions pu faire plus », dit-il.

Discorde sur Guantánamo

A part son irritation vis à vis des dérives de l’administration concernant la Syrie, Hagel dit que certains de ses plus gros désaccords avec la Maison-Blanche venaient du controversé centre de détention de la baie de Guantánamo à Cuba.

Suite à une loi adoptée par le Congrès, Hagel, en tant que ministre de la Défense, avait la responsabilité ultime de l’approbation du transfert de prisonniers vers d’autres pays. Ce qui voulait dire qu’il serait tenu responsable si un détenu relâché prenait plus tard les armes contre les États-Unis.

La Maison-Blanche, dans une tentative de tenir la promesse d’Obama de fermer l’établissement, qui avait été condamné par des groupes de défense des droits humains comme une zone de non-droit, fit pression sur Hagel pour approuver les extraditions de prisonniers.

Mais Hagel refusait ou retardait souvent la signature de dizaines de transferts quand il jugeait le risque envers la sécurité trop important, se fondant souvent sur des avis internes au département de la Défense.

La Maison-Blanche fut de plus en plus profondément exaspérée par Hagel et ses retards.

« C’est devenu assez méchant, assez brutal », dit Hagel. « Je me faisais tout le temps rentrer dedans à ce propos à la Maison-Blanche. »

Bien qu’il ait soutenu depuis longtemps la fermeture du centre de détention, Hagel soutint qu’il ne voulait pas être poussé à approuver des transferts. La Maison-Blanche continua à faire pression, arguant que les intérêts de sécurité devaient être comparés aux dommages causés à l’image de l’Amérique à l’étranger tant que Guantánamo restait ouvert et aux arguments que cela fournissait à la propagande extrémiste.

Les querelles concernant les prisonniers de Guantánamo furent citées par des responsables de la Maison-Blanche comme la dernière goutte qui obligea Hagel à démissionner. Mais durant ses deux années en poste, Hagel avait approuvé 44 transferts de détenus. Son successeur, Ash Carter, a autorisé seulement 15 transferts selon le Pentagone, citant des chiffres datant du 15 décembre. À ce rythme, à la fin du second mandat d’Obama, Carter aura autorisé moins d’extraditions que Hagel.

Après s’être affronté régulièrement à la Maison-Blanche, Hagel dit qu’il était probablement inévitable qu’il ait à démissionner du poste de chef du Pentagone, étant donné les désaccords qui s’étaient développés. Mais il n’était pas préparé à la façon humiliante dont il fut écarté, « avec certaines personnes qui m’ont calomnié officieusement comme des lâches. »

La Maison-Blanche demanda à Hagel s’il voulait rester jusqu’à ce qu’un successeur soit trouvé et il accepta. Mais même après qu’il ait accepté de partir, dit-il, certains officiels le démolirent dans des commentaires anonymes dans les journaux, affirmant qu’il parlait rarement aux réunions de crises et s’en remettait à Dempsey, le chef d’état-major des armées.

« Ils avaient déjà ma démission, quel intérêt y avait-il à continuer d’essayer de me détruire ? » dit-il.

C’était une fin douloureuse pour une carrière durant laquelle Hagel avait remporté succès après succès. Après avoir combattu au Vietnam en 1968, où il a été décoré de deux médailles Purple Heart, il a servi en tant que membre du personnel du Capitol Hill, le siège du congrès, puis il a travaillé comme administrateur adjoint à l’administration des vétérans sous la  présidence de Ronald Reagan, fait fortune au début de l’industrie du téléphone portable, gagné habilement deux mandats de sénateur du Nebraska et fut à un moment considéré comme un éventuel candidat à la Maison-Blanche.

Malgré la façon dont son passage au Pentagone s’est terminé, Hagel dit toujours tenir Obama en haute estime  « J’ai toujours eu une très bonne et positive relation avec le Président. »

Hagel — qui partage avec Obama un scepticisme sur l’usage de la force militaire — se félicite que le président n’ait pas réagi de manière excessive aux menaces terroristes, pour chercher un rééquilibrage stratégique envers l’Asie-Pacifique et pour avoir scellé un traité marquant avec l’Iran visant à limiter son programme nucléaire.

Mais Hagel reste peiné par la façon dont son mandat en tant que chef du Pentagone a été détruit par ce qu’il voit comme des coups de poignard dans le dos de la part de certains membres de la Maison-Blanche.

« Je ne sais pas quel était le but. A ce jour, j’en suis toujours perplexe. Mais je vais de l’avant. Je suis fier de mes états de service », dit-il.

Cependant, il ajoute : « J’aurais préféré que mes jours en tant que ministre de la Défense ne se terminent pas de cette façon. »

Photo crédit: NICHOLAS KAMM/AFP/Getty Images

Source : Foreignpolicy.com, 18 décembre 2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/chuck-hagel-la-maison-blanche-a-tente-de-me-detruire/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 3 February 2016 at 01:10

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (1/2): Quels sont les enjeux d’une éventuelle crise financière chinoise ? – 01/02

Olivier Delamarche VS Sarah Thirion (2/2): Les stratégies des banques centrales ont-elles porté leurs fruits sur l’économie ? – 01/02

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): La fébrilité des marchés va-t-elle persister ? – 27/07

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Une politique monétaire plus accommodante de la Fed impactera-t-elle positivement les marchés ? – 27/01

Les indés de la finance: La BoJ surprend les marchés en abaissant son taux de dépôt à -0,1% – 29/01

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (1/2): Banques centrales: Quelles solutions adopter pour faire revenir l’inflation à 2% ? – 02/02

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (2/2): Quels sont les impacts de la baisse du pétrole sur l’économie mondiale ? – 02/02


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-7/


[Recommandé] Destructions wahhabites : les lieux saints de l’islam en péril

Tuesday 2 February 2016 at 02:30

Par Corinne Autey-Roussel, pour Les-Crises.fr

Au delà de l’émotion, la destruction de sites historiques majeurs par Daech en Syrie et en Irak pose question : le vandalisme de l’organisation terroriste relève-t-il de la simple irresponsabilité ou au contraire, est-il fondé sur une idéologie précise ? A l’examen des attitudes wahhabites envers les lieux de mémoire, la réponse se trouve en Arabie Saoudite. Si la destruction de lieux sacrés – et avant tout ceux de l’islam lui-même – a eu ses adeptes dans le passé, dont les premiers Abassides au VIIIème siècle et les premiers Séfévides persans au XVIème siècle, ce n’est qu’avec l’arrivée du wahhabisme, au XVIIIème siècle, qu’elle s’inscrit au cœur même de l’islam réformiste radical. Or, le wahhabisme est aux fondements de l’Arabie Saoudite.

En 1703, à Al-Uyaynah, une oasis du nord de Riyad, naît Muhammad ibn Abd al-Wahhab. En esprit aussi individualiste que puritain, n’écoutant que ses propres perceptions, al-Wahhab conteste l’autorité de ses professeurs et, selon certaines sources, puise dans les prescriptions de l’école hanbalite (la plus rigoriste des quatre écoles de l’islam) pour fonder une ligne doctrinale à même de purger l’islam de ce qu’il considère comme des éléments de décadence et le ramener à une pureté originelle dont il définit personnellement les conditions. D’autres sources, en particulier wahhabites, nient tout rapport avec l’école hanbalite et proclament l’originalité absolue d’al-Wahhab, dont l’inspiration aurait émané d’une révélation divine directe. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, une autre mouvance musulmane fondamentaliste, le Salafisme, est aussi liée au wahhabisme qu’à l’école hanbalite dont elle tire son origine.

Après qu’il ait pris sur lui d’infliger des punitions à ceux qui ne se joignaient pas aux prières communales, détruit de ses mains la tombe d’un saint de l’islam et mené un groupe de zélotes à lapider une femme, l’activisme religieux d’al-Wahhab lui vaut un bannissement de sa ville pour hérésie. A Dariya, un village distant de quelques soixante kilomètres, il trouve la protection de l’émir local, Mohammed ibn al-Saoud. Al-Whabbab qui, à l’instar d’un Luther ou d’un Calvin, rejette les exégèses des oulémas accumulées au cours des siècles pour y substituer le libre examen individuel du Coran, des hadiths et de la Sunna, décrie le culte populaire des saints de l’islam et rejette violemment les innovations inacceptables (bid’ah) constituées, selon lui, par le chiisme et le soufisme, est si bien accueilli qu’al-Saoud officialise sa doctrine moyennent un pacte : le minuscule émirat adopte les vues d’al-Wahhab contre le soutien loyal de tous les wahhabites à sa famille régnante. Ainsi, dès ses débuts au XVIIIème siècle, le wahhabisme a représenté le socle du pouvoir politique des Saoud. Il le reste à ce jour.

Le wahhabisme, instrument guerrier et politique

A l’époque, l’empire ottoman administre La Mecque et Médine, mais l’émirat wahhabite-saoudien entreprend une série de campagne de conquêtes militaires et s’étend rapidement. Dès 1790, les wahhabites dominent de vastes territoires de la péninsule arabique et lancent des raids contre Médine et des villages d’Irak et de Syrie. Entre leurs mains, le rejet de “l’idolâtrie” devient un outil de contrôle politique par la terreur : les accusations d’hérésie justifient toutes les discriminations et tous les massacres. En 1801, outre leurs habituels raids meurtriers contre les “apostats” des villages d’Arabie, les troupes d’Abdelaziz ben Mohammed ben Saoud mettent à sac la ville sainte chiite de Karbala, profanent la mosquée de l’imam Al-Hussein ibn Ali, rasent sa tombe et assassinent des milliers de chiites, femmes et enfants compris. Le coup de main forge une réputation de cruauté telle à  Abdelaziz qu’en 1803, les habitants de La Mecque, pris de panique, se rendent sans combattre – une victoire que les wahhabites fêteront par une véritable orgie de destruction de sites historiques, de mosquées et de tombeaux de saints de l’islam. Et même si, la même année, un assassin chiite tue Abdelaziz pour venger Karbala, la guerre de conquête saoudienne, poursuivie par son fils, continue d’avaler des pans entiers de l’empire ottoman, dont Médine en 1804. Face au désarroi des musulmans, en 1812, le sultan ottoman Mahmoud II se décide à envoyer une armée égyptienne renforcée de tribus arabes anti-wahhabites à la reconquête des territoires perdus. Au terme de deux ans de combats, La Mecque, Djeddah et Médine repassent sous contrôle ottoman. Les Égyptiens poussent leur avantage et en 1818, les forces wahhabites finissent décimées, leur capitale Dariya en ruines et leur émir Abdallah ben Saoud, décapité pour ses profanations de lieux saints.

Le premier État saoudien n’existe plus.

Au début du XXème siècle, à la tête des Ikhwan, une milice wahhabite recrutée au sein de tribus bédouines sédentarisées dont il se débarrassera une fois la victoire acquise, Ibn Saoud ressuscite le rêve saoudien de conquête de la péninsule arabique et reprend Riyad en 1902, la région du Hasa en 1913 puis, à la faveur de l’engagement ottoman dans la Première Guerre mondiale, La Mecque en 1924 et Médine en 1925. Les méthodes sanguinaires de groupes terroristes actuels tels que Daech ou Boko Haram copient à la lettre celles des Ikhwan, des adeptes par tradition ancestrale de la razzia mués en combattants fanatiques : la conversion ou l’épée. En 1924, à Ta’if, près de La Mecque, la résistance des habitants aboutit au sac de la ville, au massacre de trois cent  hommes adultes et à la réduction en esclavage de leurs femmes et enfants.
Sur les décombres de l’empire ottoman, le 22 septembre 1932 Ibn Saoud annonce la création d’un nouvel état, l’Arabie Saoudite. Principalement composé de vastes étendues désertiques, le royaume est misérable, mais cela ne durera pas. Dès l’année suivante, la découverte d’immenses champs de pétrole place l’Arabie Saoudite au rang des pays les plus importants de la planète et le wahhabisme, avec ses moyens dorénavant inépuisables, au centre des débats sur l’islam.

Wahhabisme et lieux de mémoire, une incompatibilité structurelle

Selon al-Wahhab, le monde musulman doit être purifié des tombes, reliques et sanctuaires qui “divinisent des êtres humains” et à ce titre, représentent un polythéisme déguisé. Quant aux pèlerins qui se pressent dans les lieux saints de l’Islam, ce sont à ses yeux des “infidèles”. Le double dogme de l’excommunication (takfir) et de la destruction des lieux de pèlerinage représente donc un axe du puritanisme wahhabite. La première tombe à raser, choisie par al-Wahhab lui-même, sera celle de Zayd ibn al-Khattab, compagnon de Mahomet et frère du second calife Omar. Al-Wahhab signifie par ce choix que tous les lieux de pèlerinage de l’islam doivent être démantelés, pas seulement les lieux saints chiites ou soufis.

Après leur seconde prise de La Mecque et Médine, les Saoudiens progresseront dans leurs déprédations, mais probablement à cause de leur nouveau statut de gardiens des lieux centraux de l’islam, avec une certaine mesure  – Jusqu’à ces deux dernières décennies, qui ont vu le rythme des démolitions s’accélérer.

Kaaba, La Mecque, avant. Photo non datée.

Kaaba, La Mecque, aujourd’hui.

L’Arabie Saoudite, une terre millénaire transformée en méga-complexe hôtelier

Destruction en cours des portiques ottomans, La Mecque 2014.

Depuis 1985, 98% des sites religieux et des édifices millénaires de l’Arabie Saoudite ont disparu. En 2014, les portiques ottomans qui entouraient la Kaaba depuis des siècles ont été enlevés, officiellement pour permettre l’extension de la grande mosquée de La Mecque. Auparavant, la maison de l’oncle de Mahomet, Hamza, avait déjà cédé la place à un hôtel ; la maison de Khadijah, sa première épouse, à des toilettes publiques et celle d’Abou Bakr, le premier calife de l’islam, à un hôtel Hilton flanqué d’un Burger King.  Aujourd’hui, l’hôtel Mecca Royal Clock Tower construit par l’entreprise de bâtiment Saudi Binladin Group (groupe Ben Laden), qui fait partie d’un complexe ultra-moderne comportant un centre commercial de cinq étages, des hôtels de luxe et des parkings, surplombe la Kaaba à la place de la forteresse Al-Ajyad, une citadelle ottomane bâtie en 1780 pour protéger la ville sainte et ses sanctuaires.  L’acte a été qualifié “d’acte de barbarie” et de “massacre culturel” par la Turquie.

Forteresse al-Ajyad vue de la Kaaba. La Mecque, 1889

Mecca prayer, 1889.tif
By ʻAbd al-Ghaffār, al-Sayyid, Physician of Mecca, photographer - http://hdl.loc.gov/loc.pnp/cph.3b06798, Public Domain, $3

La forteresse al-Ajyad vue de près. La Mecque.
http://www.somalinet.com/forums/viewtopic.php?t=316140

Les bulldozers et les pelleteuses à l’œuvre. La forteresse a été rasée et la colline nivelée.

Forteresse ottomane Al-Ajyad en surplomb de la grande mosquée al-Haram, aujourd’hui détruite et remplacée par un complexe urbain, dont un hôtel 5 étoiles et un centre commercial. La Mecque.

Le complexe érigé à côté de la Kaaba (La Mecque) à la place de la forteresse ottomane Al-Ajyad.

Bibliothèque du lieu présumé de naissance de Mahomet. Démolition en cours, 2014.

À côté de ces bouleversements flagrants de l’espace public, d’autres changements plus discrets sont tout aussi définitifs. Des maisons anciennes, mosquées et sanctuaires ont disparu par centaines. Selon le témoignage de l’activiste saoudienne Nimah Ismail Nawwab à Time, les bulldozers sortent à la nuit noire. “Tout arrive la nuit. Le matin suivant, le monument est parti”. Même le lieu présumé de naissance de Mahomet, d’abord transformé en bibliothèque au cours des années 60, est aujourd’hui voué à la destruction dans le cadre d’un grand projet d’extension du palais royal.

Les bulldozers saoudiens actuels ne font que finir le travail entamé lors de la première prise de La Mecque, en 1803. A l’époque, entre autres destructions (comme celle de la coupole de la source Zamzam), les dômes des tombes de personnages centraux du cimetière Jannatul Mu’alla, dont celles du grand-père et de la première épouse de Mahomet, avaient fait place à une esplanade désertique jalonnée de cailloux marquant leur emplacement. Et, pour ne plus laisser aux pèlerins la moindre chance de les situer, même ces repères discrets ont été détruits ou déplacés lors des purges de 1925. A Abwa, la tombe de la mère de Mahomet, rasée, arrosée d’essence et brûlée, n’est plus signalée aujourd’hui que par un cercle de pierres perdu dans une étendue de rocailles.

Jannatul Mu’alla, à La Mecque, tombe de la première épouse de Mahomet, Khadija. Avant.

Jannatul Mu’alla, à La Mecque, où reposent la première épouse du prophète Mahomet et d’autres personnages centraux de l’islam, avant.

Jannatul Mu’alla, La Mecque, aujourd’hui.

A Médine, le cimetière Jannatul Baqi’ situé à quelques mètres de son cœur religieux, la mosquée al-Nabawi ou mosquée du prophète, a également vu ses dômes et mosquées rasés entre 1806 et 1925. Entre autres mausolées des nombreux proches, compagnons et membres de tribu de Mahomet, ont disparu ceux de son oncle, de ses tantes, de son fils, de sa fille, de ses épouses et des imams Al-Hassan ibn Ali, Muhammad al-Baqir, Ali Zayn al-Abidin et Ja’far al-Sâdiq. Et aujourd’hui, le lieu où le prophète de l’islam s’était réfugié au cours de la bataille d’Uhud a été scellé au ciment ; les sept mosquées de la Bataille du fossé, officiellement fermées pour restauration en 2006, avaient en réalité été laissées à l’abandon avant leur démolition, en 2014 ; une mosquée ayant appartenu à Abou Bakr a laissé place à un guichet automatique bancaire, et un projet officiel présenté sur 61 pages en 2014 suggère de détruire le tombeau de Mahomet abrité dans la mosquée al-Nabawi et de transférer ses restes dans une tombe anonyme. Étant donnée la levée de boucliers déclenchée par le projet, les Saoudiens l’ont pour le moment mis en sommeil, mais pour combien de temps ?

Mosquée d’Abou Bakr, Médine. Aujourd’hui disparue.

Tout la région du Hedjaz y est passée : de sites scellés au ciment ou dynamités en habitations historiques, mosquées et mausolées rasés, en deux décennies, le pays s’est mué en royaume de l’immobilier moderne où hôtels, parkings et centres commerciaux effacent toute trace d’histoire, à tel point que nombre de musulmans, lettrés comme simples fidèles, comparent ses villes saintes à Las Vegas.

Mais – car il y a un mais – la destructivité des Saoud envers le patrimoine de l’islam et au-delà, à travers les saccages d’organisations wahhabites comme Daech, envers l’héritage culturel général de l’humanité, exclut celui de l’Arabie Saoudite elle-même. Que ce soit de l’hypocrisie, du chauvinisme, une volonté d’afficher une façade de normalité ou une démonstration implicite de pouvoir, un fait inexpliqué demeure : en Arabie Saoudite, des fouilles archéologiques soigneuses mettent régulièrement au jour des objets antiques, aussi bien musulmans que préislamiques, que le musée national de Riyad et des musées de Djeddah se chargent d’exposer et de prêter à des musées du monde entier, représentations anthropomorphes interdites par le wahhabisme incluses. Et ceux-là, idolâtrie ou non, pas question pour eux d’y toucher.

Stèle anthropomorphe prêtée au Louvre en 2010. Arabie préislamique, 4000 av J.C. Musée National de Riyad.

Site archéologique nabatéen Al-Hijr, Arabie Saoudite. Classé patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

District At-Turaif de Dariya, première capitale des Saoud. Travaux de restauration en cours. Classé patrimoine de l’humanité par l’Unesco.

Quoi qu’il en soit, l’Arabie Saoudite d’al-Wahhab a développé une version sui generis de sa religion, le wahhabisme saoudien et qatari, animé d’un inlassable zèle prosélyte financé par ses pétrodollars, s’étend chaque jour un peu plus dans le monde, avec son cortège de destructions. Mais, par un étonnant retour des choses – qui ne consolera toutefois pas des centaines de monuments millénaires disparus – des tombes de moudjahiddines wahhabites particulièrement réputés pour leur baraka sont aujourd’hui devenues des lieux de pèlerinage “miraculeux”où les fidèles vont demander leur intercession, qui pour avoir des enfants, qui pour recouvrer la santé, trouver du travail ou d’autres faveurs… “Chassez le naturel, il revient au galop”.

Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui. Tombes de quatre imams et de l’oncle de Mahomet.

ANNEXE, photos et vidéos

La Mecque en 1930, vidéo

Destruction of Islamic heritage: How and Why, par le Dr Irfan Al Alawi de l’Islamic Heritage Research Foundation de Londres et Jerome Taylor, journaliste pour The Independent. En anglais.

Al Baqi’, le cimetière sacré et islamique détruit, avant-après.Vidéo.

Jannatul Baqi’, à Médine, où reposent des membres de la famille et des compagnons du Prophète, avant sa destruction de 1925 par Ibn Saoud.

Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui.

Autre vue de Jannatul Baqi’, à Médine, aujourd’hui.

La grande mosquée al-Haram de La Mecque, aujourd’hui.

Travaux d’extension et démolitions, grande mosquée de La Mecque, 2013

Portiques ottomans aujourd’hui démolis ou déplacés, La Mecque.

Médine, mosquée (Al-Masjid) al-Nabawi ou mosquée du prophète, avec le célèbre dôme vert qui marque la tombe de Mahomet située à l’intérieur.

ANNEXE 2, photos d’Arabie Saoudite

Le hadj à travers les âges. La Mecque, avant. Photos non datées.

La Mecque, avant. Photo non datée.

La grande mosquée de la Mecque, avant, avec ses arches et ses portiques ottomans encore intacts.

La Mecque, aujourd’hui.

La Mecque, quatre images de destructions d’arches et de portiques ottomans dans le cadre des travaux d’agrandissement du mataf (espace de circumambulation autour de la Kaaba).



La Mecque, décembre 2014.

La Mecque, décembre 2014. Au premier plan, les dômes des portiques ottomans.

Pelleteuses à La Mecque, décembre 2014.

Pelleteuses à La Mecque, décembre 2014.

Portiques ottomans défoncés, La Mecque 2014.

Sans commentaire…



LA La Mecque, les travaux ne s’arrêtent pas la nuit. 2014.




La Mecque by night, chantier et pèlerins.

Nouveaux portiques autour de la Kaaba. Briques, pas de décorations.

Plans de l’extension du mataf (espace de circumambulation autour de la Kaaba).


Sur la gauche, travaux d’extension du palais du roi. Décembre 2014.
http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=1237079&page=380

Vidéo de la chute d’une arche :
https://www.instagram.com/p/wM4bBjDBoW/

…et une photo de plus. La Mecque, décembre 2014.

La tradition cède le pas à une modernité sans concessions qui n’est pas sans rappeler le style architectural des aéroports : pylônes de béton, escaliers mécaniques, sobriété des volumes et luminosité du marbre. La Mecque, décembre 2014.

Enlèvement de la dernière colonne ottomane, 22 décembre 2014. Aux dernières nouvelles, l’intervention de la Turquie a sauvé les colonnes et portiques ottomans de la destruction. Après leur enlèvement, ils ont été pris en charge par une entreprise turque de restauration.

Médine, derrière la façade ouest de la mosquée du prophète. 12 300 bâtiments ont été démolis aux alentours de la mosquée. Décembre 2014.

Médine, mosquée du prophète, travaux d’extension de l’esplanade sur douze hectares de terrain exproprié, décembre 2014.

Médine, mosquée du prophète, aujourd’hui. 2016.

Intérieur de la mosquée du prophète, Médine.

Deux images de l’intérieur de la mosquée du prophète pendant le ramadan, Médine 2012.

Une des façades de la niche entourant la tombe de Mahomet, mosquée du prophète, Médine. La tombe elle-même ne peut pas être vue.

Fidèles devant la façade. Mosquée du prophète, Médine.

Une vidéo explicative de l’agencement intérieur de la niche contenant les tombes de Mahomet, d’Abou Bakr et d’Omar.

Par Corinne Autey-Roussel, pour Les-Crises.fr

Source: http://www.les-crises.fr/recommande-destructions-wahhabites-les-lieux-saints-de-lislam-en-peril/


“L’Europe sociale” des salaires…

Monday 1 February 2016 at 04:52

Comme on le sait, l’Europe sociale avance (presque) à grands pas :

Depuis 35 ans donc (en fait 60 ans, mais bon, ok, commençons avec les 1ères élections de 1979), les choses ont bien progressé, vu qu’on est passé de ça :


à ça :

Et donc, on a eu une convergence évidente au niveau du salaire minimal :

(j’ai rajouté quelques pays hors UE pour comparer…)

Bien entendu, des salaires qui vont de 1 à 5 dans une même zone monétaire, c’est du jamais vu, hein, cela relève de la psychiatrie lourde (simple, imaginez ce qui va se passer si vous mettez le SMIC à 300 € en Alsace… C’est sûr que le chômage va bien y baisser, mais ailleurs, ça ne va pas être rose…)

 

Mais comme il fallait aller encore plus loin dans l’Europe sociale, l’UE s’étend encore à l’Est avec le “partenariat oriental” (j’imagine que l’étape suivante c’est la partenariat grand-oriental avec l’Afghanistan, puis, enfin, le Japon):

Et nous avons donc signé un accord de libre échange avec l’Ukraine appliqué depuis le 01/01/2016…

Et donc, l’Europe sociale des salaires avance encore plus !

Donc nous voilà dans une zone de libre-échange avec des salaires de 1 à 30, (contre 1 à 8 avant l’arrivée de l’Ukraine) pas de souci. Cela semble certes totalement délirant de prime abord, mais grâce à l’UE, on en aura ainsi la preuve par l’exemple – ça manquait…

On déplorera au passage, par esprit de solidarité, la concurrence salariale déloyale que l’Ukraine réalise au détriment du Bangladesh… (mais soyons honnêtes, le salaire minimal ukrainien devrait monter vers 50 € en 2016…)

 

Voici la situation des salaires médians :

(hélas Eurostat n’a pas refait d’étude depuis 2010, sujet annexe pour eux, les salaires, j’imagine… Les chiffres Chine, Turquie et Ukraine sont bien de 2015 eux)

L’Europe sociale est donc en marche – mais prévoir un délai, hein…

P.S. Comme on a étudié la semaine passée les débats des élus qui ont voté ça, n’hésitez pas à les contacter pour leur demander des explications…

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-sociale-des-salaires/


[Mobilisation] Référendum néerlandais sur l’accord UE/Ukraine

Monday 1 February 2016 at 02:00

Comme on nous refuse un référendum démocratique sur l’accord de libre-échange avec l’Ukraine, je vous propose de nous inviter dans le référendum auquel ont droit les Néerlandais, prévu le 6 avril.

Et pour cela, j’ai besoin de vous.

J’ai préparé la traduction de 2 graphiques qui vont drôlement plaire là-bas, je pense. Il s’agit de ceux-ci :



http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/02/minimum-loon-europa-1.jpg

http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/02/minimum-loon-europa-2.jpg

L’idée est de les tweeter en masse, pour qu’ils soient visibles aux Pays-Bas, et finissent par être repris et s’y propager, pour montrer pourquoi il faut voter non…

Mais pour que cela soit visuel et donc efficace, ne vous contentez pas de re-tweeter des tweets existants, créez bien des tweet avec l’image visible que vous téléchargez.

Il ne vous reste qu’à mettre un texte d’accompagnement :

Lonen in Europa. Beste nederlanders : stem goed, Europa rekent op U !

(“Salaires en Europe. Amis Néerlandais, votez bien, les Européens comptent sur vous !)

Voici les comptes Twitter des grands médias néérlandais :

@nrc@Webcare_VK@telegraaf@ADnl@Webcare_Parool@vrij_nederland@HPdeTijdNL@NOS@RTLNL@NUnl

 

On va passer la 1ère couche, on y reviendra 1 ou 2 fois d’ici le 6/4 :)

Je compte donc sur vous, vu votre nombre, si vous vous mobilisez régulièrement (étalez un peu les tweets sur quelques jours) ça ne devrait pas passer complètement inaperçu….

Courage, on les aura ! :)

Source: http://www.les-crises.fr/referendum-neerlandais-sur-laccord-ue-ukraine/


Paul Moreira répond aux critiques sur son film sur la révolution ukrainienne

Sunday 31 January 2016 at 04:19

Lundi 1er février à 22h35 sur Canal+ dans Spécial Investigation – Un film de Paul Moreira

Sans eux, la révolution ukrainienne n’aurait jamais triomphé.

En février 2014, des groupes paramilitaires ont affronté la police au coeur de Kiev et ont fait fuir le président Yanoukovitch. Ils ont installé un nouveau gouvernement.

Dans le récit médiatique communément admis, ils ont été présentés comme les héros de la révolution. Ils étaient du bon côté de la barricade. Personne ne s’est vraiment demandé qui ils étaient. En fait, il s’agit de corps francs d’extrême droite, désormais lourdement armés.

Ils s’appellent Secteur Droit, Azov ou Svoboda. Ils ont créé de véritables armées parallèles, largement incontrôlées. A Odessa, en mai 2014, ils ont commis un massacre de masse sans être sanctionnés. 45 personnes brûlées vives. Un massacre passé sous le radar.

Comment a-t-il pu nous échapper ? Pourquoi les démocraties occidentales n’ont-elles pas fait entendre leur voix ?

Sans doute parce que les milices nationalistes ukrainiennes jouaient les soldats supplétifs dans une guerre beaucoup plus large. La révolution ukrainienne a été soutenue massivement par la diplomatie américaine.

Dans la nouvelle guerre froide Russie-USA, l’Ukraine est un pion décisif dans une stratégie de contention de Poutine.

« Les masques de la révolution », de Paul Moreira, explore cette zone restée aveugle.

Lundi 1er février à 22h35 sur Canal+ dans Spécial Investigation

Sans eux, la révolution ukrainienne n’aurait jamais triomphé.

En février 2014, des groupes paramilitaires ont affronté la police au coeur de Kiev et ont fait fuir le président Yanoukovitch. Ils ont installé un nouveau gouvernement.

Dans le récit médiatique communément admis, ils ont été présentés comme les héros de la révolution. Ils étaient du bon côté de la barricade. Personne ne s’est vraiment demandé qui ils étaient. En fait, il s’agit de corps francs d’extrême droite, désormais lourdement armés.

Ils s’appellent Secteur Droit, Azov ou Svoboda. Ils ont créé de véritables armées parallèles, largement incontrôlées. A Odessa, en mai 2014, ils ont commis un massacre de masse sans être sanctionnés. 45 personnes brûlées vives. Un massacre passé sous le radar.

Comment a-t-il pu nous échapper ? Pourquoi les démocraties occidentales n’ont-elles pas fait entendre leur voix ?

Sans doute parce que les milices nationalistes ukrainiennes jouaient les soldats supplétifs dans une guerre beaucoup plus large. La révolution ukrainienne a été soutenue massivement par la diplomatie américaine.

Dans la nouvelle guerre froide Russie-USA, l’Ukraine est un pion décisif dans une stratégie de contention de Poutine.

« Les masques de la révolution », de Paul Moreira, explore cette zone restée aveugle.

Paul Moreira répond aux critiques sur son film sur le massacre d’Odessa

Quand j’ai commencé cette enquête sur l’Ukraine, j’ai découvert avec sidération à quel point le massacre d’Odessa en mai 2014 avait disparu des mémoires… 45 personnes tuées dans un incendie au coeur d’une grande ville européenne en plein milieu du XXIème siècle. Tout avait été filmé par des dizaines de caméras et de téléphones portables. Autour de moi, personne ne s’en souvenait.

45 Ukrainiens d’origine russe sont morts dans l’incendie d’un bâtiment provoqué par les cocktails Molotov de milices nationalistes ukrainiennes.

Après une rapide recherche, je découvrais que l’évènement n’avait pas été censuré. Il avait été abordé, évoqué, mais jamais enquêté. Comme s’il gênait.

Pourquoi ? Probablement parce que les victimes étaient d’origine russe. Ces victimes étaient rapportées comme des « personnes », sans qu’on sache qui elles étaient, qui les avaient tuées et pourquoi elles étaient mortes. Des « personnes » qui n’étaient personne.

Pour qu’on parle de ces morts, il aurait fallu que nos démocraties s’en émeuvent un peu, officiellement, solennellement. Des réactions fortes des chancelleries. Des communiqués des ministères des Affaires Etrangères. Et après l’invasion russe de la Crimée, les populations russophones, dans ce conflit, allaient garder le mauvais rôle.

Qu’est ce qui s’est passé ce 2 mai 2014, à Odessa ? Je l’ai découvert après avoir visionnés des heures d’images, interviewé des dizaines de témoins, retrouvé des victimes et des agresseurs, croisé les récits jusqu’à obtenir une relation des faits qui fasse sens de cette furie. Précision importante : je n’ai interviewé et diffusé que les témoins directs des faits, les gens que je voyais à l’image, cela me permettait de filtrer un peu les exagérations et les mensonges qui naissent toujours, du côté des attaquants comme des victimes. Le résultat de ce travail minutieux est au coeur du film qui est diffusé lundi soir par Canal+.

Lors de mon enquête sur ce massacre à bas bruit, j’ai vu l’importance des milices nationalistes. Elles étaient en première ligne dans les combats de rue à Maïdan, puis s’étaient formées en bataillons pour aller combattre à l’Est les troupes russes. Mais ces bataillons ne s’étaient pas dissous dans l’armée. Ils ne s’imposaient pas la même discipline. Ils pouvaient servir de supplétifs au gouvernement. Ou bien s’ériger en police parallèle. Et, oui, dans leurs rangs, les signes d’une idéologie néo-nazie étaient patents.

Mon enquête allait à l’encontre de la narration communément admise. Je savais que j’allais rencontrer une opposition virulente, qu’on allait m’accuser de faire le jeu de Poutine, de reprendre des éléments de sa propagande. Je ne m’attendais pas à tomber sur autant de déni, frisant parfois l’hystérie. Sur un site ukrainien, je suis qualifié de « terroriste » à la solde des services secrets russes. On demande l’interdiction du film. Et même l’ambassadeur d’Ukraine fait pression sur Canal+. C’est ce qui m’étonne le plus. Car il me semble que l’Ukraine doit de toute urgence se poser la question de ces groupes paramilitaires. Ils sont, comme l’affirme le film, la plus grande menace pour la démocratie ukrainienne.

Renoncer à dire ce que l’on sait parce que « ça fait le jeu de la propagande » russe, c’est soi-même devenir un propagandiste. On omet. Pas parce qu’on est menteur mais parce qu’on est pétri de bonnes intentions. Ne jamais oublier : de ces renoncements, naissent les pires théories du complot.

En France, les accusations sont venues principalement de deux blogs militants et d’un papier inhabituellement violent du journaliste chargé de l’Ukraine au Monde, Benoit Vitkine. Dans les trois publications, les arguments se ressemblent. Je n’ai pas assez nuancé ma perception de l’extrême-droite, elle va du néo-nazi brun-foncé, au beige clair du nationalisme. J’ai exagéré l’importance de ces groupes paramilitaires armés de kalachnikovs et parfois de tanks. Je n’ai pas assez souligné leur rôle héroïque dans leur combat contre les Russes. J’ai exagéré l’influence des Américains dans le changement de régime.

Et puis on met en cause certaines erreurs factuelles.

Je vais tenter d’y répondre ici.

 

Pour mettre en cause la rigueur de mon documentaire Benoit Vitkine ne cite qu’un seul exemple. Il m’accuse d’avoir sorti de mon imagination la fabrication d’une nouvelle génération de chars par le bataillon nationaliste Azov (pour lequel il semble nourrir une indulgence attendrie). C’est pourtant le cas. Et André Biletsky, le chef du bataillon, m’en a fait l’éloge avec beaucoup de fierté. 1,20 m de blindage à l’avant et des caméras vidéo en guise pilotage. On peut trouver les détails techniques de ces nouvelles bêtes de guerre ici.

Par ailleurs, Benoit Vitkine ne l’ignore pas, André Biletsky vient de l’extrême droite la plus radicale. Son poids électoral est faible (il est député tout de même) mais son poids en acier et en hommes aguerris est fort.

Ensuite, Benoit Vitkine insinue, sans rien citer à l’appui, que mon propos serait de mettre en lumière « l’installation d’un nouveau fascisme en Ukraine. » Vitkine doit être sacrément en colère pour écrire des choses pareilles. Je n’ai jamais dit que le fascisme s’était installé en Ukraine. La phrase clé de mon doc est : « La révolution ukrainienne a engendré un monstre qui va bientôt se retourner contre son créateur. » Puis je raconte comment des groupes d’extrême droite ont attaqué le parlement et tué trois policiers en aout 2015. Jamais je n’ai laissé entendre qu’ils étaient au pouvoir. Même si le pouvoir a pu se servir d’eux.

Le seul « bon point » que veut bien me décerner Benoit Vitkine, c’est d’avoir travaillé sur le massacre d’Odessa, un « épisode souvent négligé ». Je ne vous le fais pas dire, cher confrère…

Anna Colin-Lebedev tient un blog sur le site Mediapart. Elle, en revanche, me reproche justement mon traitement du « drame » d’Odessa. Elle prend un soin précautionneux à ne jamais écrire le mot « massacre », « tuerie », à ne jamais nommer précisément la sauvagerie de ces meurtres. Anna Colin-Lebedev affirme que ce « drame » donc n’est pas passé sous silence du tout. Et comme unique preuve, elle pose en référence des papiers publiés… un an après les faits. Ceux du Monde (de Benoit Vitkine) et de The Economist.

Un blogueur Olivier Berruyer, s’est livré à l’analyse des titres dans les jours qui ont immédiatement suivi le massacre. Cette analyse est disponible sur son site.

Anna Colin-Lebedev me reproche un récit « centré sur les larmes des victimes ». C’est vrai, j’ai donné la parole à une mère de famille qui avait perdu son fils de 17 ans, Vadim Papura. Elle m’a parlé avec réticence, elle était certaine que je ne garderais pas ses déclarations, que l’Occident ne se souciait pas de leur sort.

Je donne la parole aussi à des nationalistes ukrainiens dont certains avouent même un remord. J’ai interviewé les témoins directs de tout bord.

D’après Anna, tout est de la faute de la police, pas suffisamment efficace. C’est là dessus que le film aurait du se concentrer, affirme-t-elle. Pas sur les miliciens qui lancent des cocktails Molotov sur le bâtiment ou achèvent les blessés à terre. Pas sur le fait qu’aucun de ces tueurs n’a fait de prison et que le gouvernement ukrainien a saboté toute enquête judiciaire, comme le rappelle le papier de The Economist qu’elle a la bonté de citer en référence mais qu’elle n’a peut-être pas pris le temps de lire.

Voilà pour l’essentiel des critiques concrètes.

Après, on descend dans le minuscule.

Ainsi, Anna Colin-Lebedev me dit que j’évoque la présence du symbole d’Azov à Maïdan alors que le bataillon n’était pas encore créé. Il sera formé 3 mois plus tard. Certes, mais pour moi, c’est juste un changement de nom : leur symbole est partout à Maïdan, c’est celui du groupe Patriotes d’Ukraine; c’est le même chef, Biletzky, les mêmes hommes et ils se transformeront en bataillon militaire pour aller combattre à Marioupol. Donc, pour des raisons de clarté, j’ai pris la décision éditoriale de ne pas rentrer dans ce niveau de détail. Et ce fameux symbole, ça n’a pas l’air d’émouvoir mes critiques, est emprunté à une division SS, Das Reich.

Igor Moisichuk, d’après Anna Colin-Lebedev, n’était pas porte-parole du Pravy Sektor. Pourtant, il était présenté comme tel dans ce débat télévisé.

Igor est une figure des groupuscules nationalistes qui naviguait entre Azov et Pravy Sektor mais c’était surtout un escroc qui jouait pour son compte personnel. Il a fini par rejoindre le parti Radical et il a été emprisonné, devant notre caméra, après avoir extorqué 100 000 Krunas à un gars de son parti.

Dans le blog « Comité Ukraine » tenu par Renaud Rebardy, je suis accusé de ne pas signaler que le bataillon Azov avait intégré l’armée régulière.

Renaud Rebardy, aura mal entendu et surtout mal compris la nature des relations entre Azov et le gouvernement ukrainien.

Voilà le verbatim du commentaire tiré du film quand je rencontre Azov :

» Officiellement, cette brigade obéit à l’armée nationale ukrainienne. Et pourtant, nombre d’entre eux restent masqués. »

Et voilà ce que me dit leur chef André Biletsky sur leurs moyens :

» – Bon, si on parle finances, en ce qui concerne l’armement, il nous est fourni par l’Etat ainsi qu’une partie de notre équipement. Tout le reste est le fruit du travail des activistes parmi lesquels il y a des petits et des moyens businessmen qui investissent de l’argent et qui rendent tout cela possible. »

Lors de l’interview et dans des propos que j’ai finalement coupés au montage, Biletsky profère une menace voilée contre le gouvernement qu’il juge trop corrompu. La subtilité de Azov c’est qu’ils sont officiellement dans l’armée mais qu’ils gardent une grande marge d’autonomie.

Ensuite, Renaud Rebardy affirme qu’il n’a « jamais été question » de supprimer le russe comme langue officielle dans 13 régions ukrainiennes.

Les faits : le parlement ukrainien l’a proposé le 23 février 2014 et dès le lendemain la guerre démarrait. Les populations russophones s’inquiétaient pour leur avenir et Poutine en profitait pour déclencher des manoeuvres militaires. Le 28 février, le président ukrainien abroge la mesure. Mais c’est trop tard, le diable était sorti de la boite.

Renaud Rebardy, toujours, m’accuse de signaler que la nouvelle ministre des Finances ukrainienne est une ancienne diplomate américaine.

Natalie Jaresko a été naturalisée ukrainienne en décembre 2014 pour entrer au gouvernement.

Elle a travaillé d’abord comme diplomate au State Departement, spécialisée dans les pays de l’Est, de 1989 à 1995 mais par la suite, elle a maintenu un lien fort avec le gouvernement américain puisqu’elle a pris la présidence du Western NIS Enterprise Fund (WNISEF), un fond d’investissement chargé d’investir de l’argent d’une agence d’état américaine (USAID) dans l’économie ukrainienne. Elle y restera jusqu’à sa prise de poste au gouvernement ukrainien (en plus du fonds d’investissement privé qu’elle dirigeait : Horizon Capital).

C’est pas banal, non ?

Benoit Vitkine m’accuse de signaler que les nouveaux ministres de l’Economie sont « pro-business ». C’est pourtant de cette politique qu’ils se revendiquent : « agressivement pro-business », j’ai ça dans mes rushes. Et ça se traduit, par exemple, par une multiplication par quatre des prix du gaz. Entre autres.

Rebardy m’accuse aussi d’être trop sévère avec Oleg Tiagnibok, le chef de Svoboda. Je dis de lui : « Historiquement, il appartient à la mouvance néo-nazie« .

Cet homme a maintes fois déclaré qu’il voulait débarrasser le pays de sa « mafia judéo-moscovite » il utilise assez souvent le terme de » youpin ». Il a par ailleurs été le fondateur du parti social-national (ça vous rappelle quelque chose ?).

Autre critique, venue du blog militant euromaidan : j’ai donné la parole à Alexis Albou, un militant communiste d’Odessa qu’ils accusent d’être homophobe et rouge brun.

Pourquoi j’interroge Albou ? Pas sur ses opinions mais parce que j’ai découvert sur les images amateur sa présence dans le bâtiment d’Odessa, ce fameux 2 mai 2014. Et, je le rappelle, mon dispositif est de retrouver les gens qui sont sur les images et les faire commenter ce qu’on voit. J’essaye d’établir les faits. Et ce qui m’intéressait avec Albou, c’est qu’on le voit sortir intact de la maison des syndicats puis, peu après, à terre, très gravement blessé à la tête.

Qu’est ce qui s’était passé entre les deux ?

Enfin Anna Colin-Lebedev a relevé une phrase écrite dans la présentation du site internet de Premières Lignes qui annonce mon documentaire : « Personne ne s’est vraiment demandé qui ils (les groupes paramilitaires nationalistes ukrainiens) étaient« . Cette phrase est bien évidemment factuellement fausse. Mais si elle a vu le film et écouté surtout, elle sait que cette phrase ne s’y trouve pas. Elle a été écrite pour « vendre » le film sur le site internet de la boite de production et on peut donc l’imputer à un marketing maladroit.

Ceci étant dit. Si on en reste au niveau de la perception publique globale, oui, il est clair que le grand public ne connait ni l’importance des groupes néo-nazis ukrainiens, ni l’existence du massacre d’Odessa. Et cela, parce que cette question a été sous-traitée (ce qui est différend de : pas traité du tout). On sait, un peu, que du côté russe, des nationalistes d’extrême droite sont allés combattre dans le Dombass. Mais moins de l’autre bord.

Pour conclure, j’invite tout le monde à regarder le film, lundi soir sur Canal+ et de se faire son jugement sur pièces. Car, sur les réseaux sociaux, les gens qui m’insultent et me menacent sont précisément ceux qui n’ont pas vu le documentaire. Ils l’ont imaginé. La foi est une drogue puissante.

Paul Moreira

Source : PLTV

Source: http://www.les-crises.fr/paul-moreira-repond-aux-critiques-sur-son-film-sur-la-revolution-ukrainienne/


[Recommandé] Soutien à Paul Moreira – et commentaires

Sunday 31 January 2016 at 03:55

Soutien à Paul Moreira, par Olivier Berruyer

(posté aux bons soins d’Internet),

Monsieur Moreira,

je tenais à vous apporter ici publiquement mon soutien pour votre documentaire sur l’Ukraine.

Soutien de principe : contrairement aux féroces blogueurs ukrainiens, je n’ai guère d’avis dessus, puisque, tout comme eux d’ailleurs, je ne l’ai pas vu.

Ceci n’est guère gênant, car, contrairement aux calomnies, je ne défends nullement les Russes (avec qui je n’ai aucun lien direct ou indirect, pas plus qu’avec qui que ce soit à l’est de Bastia), j’ai juste longuement cherché à éclairer, modestement mais très longuement, ce dossier – auquel je ne connaissais rien au moment de Maïdan.

Je vous confie au passage qu’il est quand même très agaçant de se dire qu’on est bien obligé de passer du temps, soir et week-end, à s’occuper de ça sur son blog personnel, alors que, je le rappelle, je ne suis pas journaliste, et que c’est non seulement leur métier, mais qu’en plus il y a de fortes aides publiques.

Ce qui est bien normal, car il n’y a pas de Démocratie sans Journalisme de Qualité. Hélas, le Journalisme de Qualité est décédé dans l’indifférence générale dans les années 1970-1980, comme tant d’autres choses.

Par chance, vous faites cependant partie des quelques rares exceptions (hommage aussi ici au très grand Denis Robert), et, ayant apprécié plusieurs de vos reportages passés, je vous soutiens simplement parce que vous êtes un journaliste intègre, et que je sais que votre reportage sera très très au-dessus de la soupe qui nous a été servie depuis 2013.

Sans doute certains points me feront tiquer, mais on est alors dans le cadre du débat normal – Hubert Beuve-Méry disait fort justement «L’objectivité n’existe pas. L’honnêteté, oui ! »

Ce qui nous manque, après, c’est 10 Paul Moreira, faisant 10 reportages sur l’Ukraine, qui auront des axes différents, et nous permettraient de mieux cerner la complexité de la situation.

Vous vous demandez dans un des extraits, à propos de la narrative vendue par les médias, “Mais d’où me venait cette légère impression de m’être fait avoir ?

J’ai eu envie de vous répondre : “Mais n’est-ce pas tout simplement de l’habitude ?”

Car il faut quand même bien arriver à la triste conclusion qu’en matière de politique internationale, la malinformation est quand même la règle.

Bien entendu, elle se devine plus ou moins aisément suivant les cas, mais on peut identifier quelques cas où sa présence est quasi-certaine ; les plus flagrants sont ceux où il y a un fort enjeu en matière de ressources ou de géopolitique, a fortiori si la zone est un sujet de tension avec la Russie ou la Chine.

Sa présence se détecte alors immédiatement lorsque le sujet est présenté avec un manichéisme débilitant, “les gentils contre les méchants” (et, par chance, on soutient toujours les gentils !!!), “les démocrates contre le Dictateur”, dans nuance, sans présentation des enjeux, etc.

Le cas ukrainien est donc sur ce thème un cas d’école (qui ne sera évidemment jamais enseigné en école de journalisme. D’ailleurs, comment se fait-il que la plupart des jeunes journalistes que je croise n’ont entendu parler ni de la Charte de Munich, ni de Noam Chomsky ? Mais on apprend quoi dans une école de journalisme ?? Cela me rappelle cette si belle citation de Bertrand Russell : “Les hommes naissent ignorants mais non stupides. C’est l’éducation qui les rend stupides.”)

 

Ensuite, intervenant avec honnêteté sur un tel sujet, vous ne pouvez qu’être confronté à la horde des chiens de garde, qui font montre d’ailleurs du plus beau visage de la nouvelle “Ukraine Démocratique” depuis qu’on y a chassé l’ignoooble Président PRO-RUSSE corrompu. On ne notera pas qu’il avait été démocratiquement élu ni que presque tous les élus ukrainiens sont corrompus, et que le nouveau Président est un milliardaire qui a été son Ministre (tout comme celui du Président précédent, son adversaire….).

Quand au journaliste du Monde en charge de l’Ukraine que vous égratignez à raison, je me permets de vous rappeler que son prédécesseur en poste en 2013/2014, avec qui j’ai débattu à Arrêts sur Images (mémorable !), à déclaré dans la chaine vidéo du Monde, plus de 15 jours après les évènements, que les manifestants à Maïdan n’étaient pas armés !!!

Il fallait oser, non ? Le bilan officiel du nouveau pouvoir pour les forces de l’ordre est pourtant de 1130 policiers blessés dont 200 par balle dont 17 morts !!

Un commentateur d’@si a formidablement résumé notre débat avec humour :

Un de mes deux haut-parleurs m’ayant lâché dans le fracas des missiles sol-sol, je n’ai capté que l’argumentation de Piotr Smolar:

– Faut arrêter le délire! Vous êtes intoxiqué par la propagande russe.
– …
– Il est faux de dire que le gouvernement de Kiev est illégitime et qu’il est composé d’aventuriers et de fascistes.
– …
– Bon, d’accord, il y a quelques ultranationalistes néonazis, mais ils ne sont pas au pouvoir.
– …
– Oui, OK, ils y sont, mais ils sont vraiment minoritaires dans l’opinion.
– …
– Bon, d’accord, ils y ont été portés par les acclamations de la foule, mais en tout cas, ils n’ont aucune influence sur la situation actuelle.
– …
– Bon, OK, ministre de la Défense, chef de la sécurité générale, procureur général, vice-Premier ministre, mais ils ont totalement abandonné leurs discours extrémistes.
– …
– Oui, d’accord, ils participent à des cérémonies à la gloire des Waffen-SS et leurs députés appellent publiquement à brûler les russophones, mais ça n’a absolument aucune conséquence sur les tensions régionales.
– …
– Bon, OK, mais de toute façon, on ne peut pas demander à la population de trancher, ça serait contraire à la Constitution!
– …
– Oui, d’accord, le pouvoir actuel n’est pas non plus légitime, puisque c’est un coup de force qui a chassé le président élu, mais il est quand même issu avant tout d’un grand mouvement populaire pro-européen.
– …
– Bon, OK, les oligarques corrompus que Maidan voulait chasser se sont réinstallés, mais ça n’a aucun rapport avec l’UE ou l’OTAN.
– …
– Oui, d’accord, peut-être que l’aide de la diplomatie euro-atlantique a été déterminante, mais… euh… faut arrêter le délire! vous êtes intoxiqués par la propagande russe….

Bref, à un moment, on ne peut plus présumer la bonne foi…

 

Arrêtons-nous donc sur ce merveilleux Comité Ukraine de Libération

Le Comité Ukraine de Libération

“Face à l’indifférence et à la guerre de l’information, ce blog propose des éclairages et des décryptages sur la vie d’un pays en révolution.

Il y a quelques mois, nous nous sommes rassemblés à la rédaction de la revue Esprit afin de discuter de l’Ukraine. La guerre avait éclaté en plein centre de l’Europe et nous étions alarmés par l’apathie de l’opinion. C’est pire aujourd’hui, alors que nous avons détourné les yeux vers la Syrie. Aussi voulons-nous ici parler de ce pays européen en péril”

Hmm, tout un programme. Et quelles sont les lumières qui vont nous “éclairer”  ? :

Bon, alors déjà, quand on voit Galia Ackerman, Antoine Arjakovsky et Marie Mendras, on se dit qu’on a le tiercé là.

C’est dommage, Bernard-Henri Lévy et Caroline Fourest auraient pu se libérer, on avait le quinté.

Ce club regroupe tout le meilleur du pays en termes de russophobie maladive – si ces gens critiquaient Israël comme ils critiquaient la Russie, ils seraient tous poursuivis depuis belle lurette, et la plupart interdits de médias.

Mais en l’espèce, c’est “Renaud Renardy (journaliste)” qui a pris la plume. Énorme :

Canal+ met en images le discours du Kremlin

La chaîne cryptée diffuse ce lundi 1er février un reportage qui prétend démasquer «les bandes armées d’extrême-droite» qui ont fait la révolution ukrainienne. Il comporte beaucoup d’erreurs factuelles et épouse sans nuance la vision véhiculée par les médias russes.

Par Renaud Rebardy

«Spécial »? Sûrement. Mais «investigation»? Pas du tout. Le reportage réalisé par Paul Moreira qui sera diffusé lundi 1er février au soir sur Canal +, dans l’émission qui porte ce nom, et consacré aux hommes qui ont fait la révolution ukrainienne, ne contient pas de révélation et aucun fait nouveau. Il compte en revanche pas mal d’erreurs factuelles, et semble nourri par une obsession anti-américaine.

Notez que le russophobe qui vous accuse d’américanophobie, c’est un peu comme un nazi qui vous accuse de racisme, vous devez-vous dire que vous vous rapprochez de la vérité…

Outre que je suis sûr que le reportage ne va pas très loin, c’est incroyable cette pensée : et au nom de quoi on ne pourrait d’ailleurs pas être “anti-américain”, ou plutôt “anti-gouvernement-ploutocratique-américain”, l’Américain de base, il veut juste payer moins d’impôt et réduire l’État, ce qui serait une TRES BONNE idée (le Tea-Party, espoir pour le monde ?). Peut-on faire le total du nombre de morts causés par les États-Unis et par la Russie depuis 1990 svp ? Pour les États-Unis, on est déjà à près de 4 millions de musulmans morts, selon l’ONG Prix Nobel de la Pais 1984. Et l’ancienne ministre des affaires étrangères de Clinton assume sans broncher 500 000 enfants morts (il y a très peu de pays où ça existe) :

Ou encore, si on s’est tapé des attentats en 2015, c’est parce que Daech existe, donc aussi, en partie, à cause des Américains qui ont attaqué l’Irak en 2003 sans écouter Chirac, et qui continuent de soutenir Arabie et Turquie, alors comme on dit “ça commence à bien faire” – fin du coup de gueule.

Sous le titre «Les masques de la révolution ukrainienne» il prétend faire découvrir les «milices incontrôlées d’extrême-droite» qui ont joué un rôle déterminant dans la révolution puis la guerre du Donbass. Il affirme que «derrière les gentils manifestants du Maidan», se trouvaient des groupes néo-nazis qui se sont armés, à la faveur de ces évènements et qui dictent aujourd’hui sa politique au nouveau pouvoir de Kiev. Il insiste longuement sur l’idée que les États-Unis ont volontairement fermé les yeux sur l’existence de ces groupes, parce qu’ils avaient besoin d’eux «pour bloquer Poutine».

Un peu comme le Congrès américain qui a voté la semaine passée la suppression de l’interdiction de financer des groupes néo-nazis en Ukraine, mais chuuuut.

Paul Moreira se rend au sein de l’organisation Pravy Sektor, puis du bataillon Azov. Il ne précise pas que les premiers sont des militants assez isolés et les seconds un régiment désormais totalement intégré au sein de l’armée ukrainienne.

Outre que c’est faux, quand bien même, quel est le rapport ?

Il revient longuement sur les évènements tragiques d’Odessa : la mort de manifestants pro-russes dans l’incendie de la maison des syndicats, le 2 mai 2014. Puis il participe au «Yes forum», à Kiev, où il croise des représentants américains venus exprimer leur soutien à la politique du nouveau gouvernement de Kiev.

Il conclut en que l’Ukraine est aujourd’hui un pays en proie au chaos, à la merci de bandes d’extrémistes armés et sous la coupe des Etats-Unis.

Mais QUI, QUI, QUI, pourrait bien croire ceci ?

Le ton est celui du commentaire plus que de l’exposé des faits. La nuance, on l’aura compris, n’a pas ici sa place.

Je ne commente même pas.

Chemin faisant, Paul Moreira commet quelques erreurs lourdes. Il affirme ainsi que le nouveau pouvoir ukrainien à voulu «interdire l’usage du russe» après la révolution de 2014. Or il n’en a jamais été question. Rappelons les faits : au moment de la révolution, certains députés ont voulu enlever au Russe son statut de langue officielle dans certaines régions de l’est. Et le président s’y est opposé. Personne n’a jamais voulu pénaliser les Ukrainiens qui emploient le russe dans leur vie quotidienne. Et le suggérer relève de l’ignorance ou de la volonté de désinformer.

Euh, ce n’est pas “certains députés”, c’est la majorité, la loi a été votée. Si ce n’est pas “le nouveau pouvoir ukrainien à voulu «interdire l’usage du russe»”, je ne sais pas ce que c’est…

De même, Paul Moreira présente Oleg Tiagnibok, le dirigeant du parti Svoboda, comme étant «issu de la mouvance néo-nazie». Il est un ultra-conservateur et un nationaliste. On peut le classer à l’extrême-droite. Mais cela ne fait pas de lui un admirateur d’Adolf Hitler. En réalité, il est plus proche d’un Viktor Orban, premier ministre de Hongrie, ou d’un Jaroslaw Kazczynski, le dirigeant du PiS, le parti au pouvoir en Pologne. On a le droit de ne pas l’aimer mais il n’est pas nécessaire de dresser un faux portrait de lui pour le combattre.

Le commentaire pratique aussi l’amalgame lorsqu’il présente la nouvelle ministre des finances Natalia Jaresko comme étant «une ancienne diplomate américaine», sans autre précision. La réalité est bien différente. Natalia Jaresko est en effet née aux États-Unis. Mais dans une famille ukrainienne de la diaspora. Elle a brièvement travaillé pour l’administration américaine. Elle est venue vivre en Ukraine dés 1993 et n’a plus quitté ce pays depuis. Elle y travaillait dans la finance. Elle n’est pas l’agent d’influence des Etats-Unis, mais plutôt l’incarnation du lien entre l’Ukraine et sa diaspora. Ces Ukrainiens de l’étranger, en effet, ont fui devant l’avancée des Soviétiques, dans les années 1920 ou après 1939. Ils ont vécu, dans l’exil avec le sentiment qu’ils devaient conserver les traditions. Ils ont espéré des changements dans leur pays d’origine. Ils se sont transmis cet espoir de génération en génération. Certains d’entre eux reviennent aujourd’hui, alors que des changements commencent à se produire. Natalia Jaresko en est l’illustration.

Euh :

6 ans au département d’État, dont 3 en tant que chef de la section économique de l’ambassade des États-Unis dans un des pays les plus corrompus du monde, avant de filer dans la finance, c’est une blague ?

Le plus dérangeant est que le reportage de Paul Moreira épouse au plus près la vision de l’Ukraine véhiculée depuis plusieurs années par le Kremlin. Il offre une illustration, dans un langage plus moderne et plus jeune, des thèses contenues dans les discours de Vladimir Poutine. Des reportages semblables à celui-ci, avec les mêmes images violentes, les mêmes déformations des faits, les mêmes commentaires, on a pu en voir des dizaines sur les chaines russes. Il est assez désolant d’être rattrapé, en France, par télé-Poutine.

Voilà, on y est, merci. C’est fabuleux comme l’aveuglement leur fait même perdre toute prudence. J’imagine, là-encore que c’est évidemment faux (la propagande du Kremlin est vraiment grossière, mais c’est le problème des Russes ça, le nôtre, c’est ce qu’on lit là). Mais ce qui est formidable, c’est ce nouveau crime de “Penser comme le Kremlin”, donc ce pseudo-journaliste écrit clairement que, partager l’analyse des Russes vous disqualifie, DONC que les Russes ont toujours et complètement tort, qu’il est impossible qu’ils aient raison.

Ce qui est exactement le contraire de la vision que doit avoir un journaliste, à savoir d’être neutre.

Ceci devrait lui valoir retrait de la carte de presse (qu’il écrive ce que bon lui semble, mais alors c’est “éditorialiste” ou “blogueur”, il salit la profession là), ou au moins mutation au Service Amérique du Sud (pour ne plus avoir d’affect avec son sujet).

P.S. Pour finir en beauté, revenons sur le “Paul Moreira présente Oleg Tiagnibok, le dirigeant du parti Svoboda, comme étant «issu de la mouvance néo-nazie». Il est un ultra-conservateur et un nationaliste. On peut le classer à l’extrême-droite. Mais cela ne fait pas de lui un admirateur d’Adolf Hitler. En réalité, il est plus proche d’un Viktor Orban

Rappelons qu’Oleg Tyagnibok, est leader et cofondateur du parti Svoboda, alias Parti Social National d’Ukraine :

Honoré en 2012 par le centre Simon Wiesenthal en tant qu’un des 10 pires antisémites mondiaux, en particulier pour son appel à purger l’Ukraine de 400 000 Juifs et Russes (Source : Centre Simon Wiesenthal) :

Honoré en 2010 de la médaille d’or des vétérans du bataillon de la Waffen SS Galicie (Source) :

(N.B. : vous noterez le respect du journaliste de ce grand journal ukrainien envers ce grand homme par le choix délicieux et judicieux de la photo)

Donc le type décoré de la Croix d’Or de la Waffen SS est juste “d’extrême-droite” ? Ca, c’est de la lumière…

Et encore, par chance, il n’a pas parlé de Yuri Mykhalchyshyn, l’idéologue de Svoboda :

Il anime le blog nachtigal88 - “Nachtigal” est le nom du bataillon ukrainien de la Wehrmacht qui a envahi l’Ukraine en juin 1941, “88″ est un chiffre néonazi : le H est la 8ème lettre de l’alphabet, donc 88 = HH = Heil Hilter). Il y a par exemple traduit l’ABC national-socialiste de Goebbels :

Yuriy Mykhalchyshyn

Il a rédigé un livre en 2010, « Feu », recueil de textes de nationalistes ukrainiens mais aussi de traductions en ukrainien des « plus brillants intellectuels nationaux-révolutionnaires européens » – comme Joseph Goebbels, Ernst Röhm, Alfred Rosenberg, Otto Strasser…

Yuriy Mykhalchyshyn: Feu. Version 1.0

Tant de tolérance et de sodomisation de diptères pour défendre des types comme ça dans Libération, venant de soi-disant Grands inquisiteurs contre l’extrême-droite en France ne laisse pas d’étonner…

 

Monsieur Moreira, pour conclure

Merci donc pour vos lumières.

J’espère que vous poursuivrez, histoire de nous aider à ne plus ressentir l’intense sensation de se faire avoir tout le temps.

Ainsi, par exemple, sur la Libye : quand Patrick Haimzadeh, qui est un ancien diplomate à Tripoli et un des experts français sur ce pays, explique sur France Inter que :  

Dès le départ, l’objectif c’était effectivement de faire sauter Kadhafi. Al Jazeera avait dès le départ mis en place une cellule de désinformation, en tout cas pour relayer les paroles de libyens qui étaient en fait dans les studios d’Al Jazeera à Doha et qui ont évoqué notamment l’histoire des bombardements. Qui a été centrale, parce que l’histoire des bombardements c’est ce qui a été repris par Nicolas Sarkozy le 21 février, 4 jours après le début de l’insurrection, à Bruxelles, pour déclarer la logique de guerre contre Kadhafi. Mais les bombardements, il n’y en a jamais eu.

Rassurez-moi, c’est une GROSSE BLAGUE ?

 

Le dossier Syrien est vraiment chouette aussi :

1/ Le fait que la France ait reconnu comme représentant du peuple syrien un machin non représentatif composé en majorité de Frères Musulmans. Ce sont eux surtout qui disaient que Al-Nosra faisait du bon boulot et essayaient de protéger Al-Qaïda… On aura du mal à en avoir une image claire, car la soeur de la journaliste de Libération en charge du dossier Syrien en a fait partie. Cette responsable de la rubrique Syrie à Libération a aussi créé une association militant pour le renversement d’Assad : chapeau la déontologie… Mais comment diable ceci est-il autorisé ? Comment espérer être informé si les journalistes sont des militants politiques ?

2/ Le fait que la France ait livré des armes à des rebelles en Syrie, contrairement au Droit international, comme l’a reconnu François Hollande. Armes qui ont tué des centaines d’appelés du contingent Syriens, et qui se sont retrouvées pour la plupart dans les mains de djihadistes. Et on servi à tuer des milliers d’appelés du contingent syriens. (Source : Le Monde). Rappelons que l’ancien chef de la CIA au Moyen Orient a déclaré :

“Les États-Unis ont été incapables d’identifier le moindre groupe syrien dit « modéré » lorsque la guerre civile a débuté. L’Armée syrienne libre n’a jamais vraiment existé et il était impossible de savoir dans quelles mains les armes données par les États-Unis allaient finir. La racine du mal remonte bien à 2003, lorsque les États-Unis ont adopté cette doctrine du « changement de régime » par la force au Moyen-Orient. Elle n’a conduit qu’à la guerre civile et sectaire.”

(encore un anti-américain primaire, notez)

On continue d’ailleurs…

3/ Le fait que le gouvernement a caviardé le rapport qu’il a rendu public sur l’attaque au gaz en Syrie en 2003, supprimant les passages qui indiquaient qu’Assad pouvait être innocent (ce qui serait logique, notez, mais on ne cherche plus la logique des chose désormais), le tout pour qu’on bombarde la Syrie. Cette manipulation est clairement de la haute trahison, et devrait être traitée comme telle. (source : Malbrunot/Chesnot)

4/ La fait que la France ait refusé la proposition de collaboration d’Assad sur les djihadistes français en Syrie, comme Bernard Squarcini (ancien chef du Renseignement intérieur) en a accusé le gouvernement, avant que Le Drian confirme.

5/ Le rôle de nos alliés, les gouvernements Turc, Saoudien et Qatari (et de leurs proches) dans le soutien au terrorisme, le tout avec l’appui des États-Unis comme le New York Times vient de le révéler

6/ Vous aurez noté comme les médias ont voulu nous faire pleurer sur l’assassinat par les Russes du chef militaire de l’armée djihadiste de l’Islam ? (lisez ce papier, franchement)

7/ Moins certain, le fait que la France aurait peut-être participé à la préparation d’un coup d’État en Syrie en 2012 – ce qui mériterait une enquête sévère, après la Libye

Mais attention, si vous traitez ça, vous allez passer dans la catégorie supérieure : “Complotiste !!!”

 

Vous m’accorderez que le traitement de ces points par la presse a été très en-dessous du minimum acceptable…

J’y pense : j’aurais aussi pu vous parler de votre chtite consœur, la pôvre Ursula Gauthier, honteusement expulsée par les super-méchants Chinois (mon papier ici)

Si on ne peut plus écrire : “Dans une société qui a tendance à se sentir à part, voire mal aimée, et qui en retour n’éprouve que peu de sympathie pour le reste du monde, la force des réactions d’empathie a surpris les observateurs.”

Damned, nous qui étions si bien informés sur la Chine du coup… (vous notez que les Chinois expulsent très rarement des journalistes, et ben, pas de bol, pour une fois que ça arrive, ça tombe sur une Française, dites, quel hasard…)

 

Bref, pour conclure : plutôt que de répandre le malheur sur la planète, occupons-nous donc de ce qui se passe chez nous, il y a beaucoup à faire au niveau des Médias, des Libertés publiques, de la 1984-isation du pays et donc, de la Démocratie. Arrêtons de vouloir exporter cette dernière, importons-là plutôt ! (exemple : Proportionnelle avec primes de la plupart des autres pays européennes, Votations de la Suisse, et, oh, tiens, 50 % des députés des classes inférieures et moyennes comme dans la nouvelle constitution syrienne {article 60 : “Au moins la moitié des membres de l’Assemblée du peuple sont des ouvriers ou des paysans“}.)

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/soutien-a-paul-moreira-et-commentaires/


La Chine développe un nouveau système de transport de missiles balistiques intercontinentaux

Sunday 31 January 2016 at 01:30

Je suis tombé complètement par hasard sur ça.

Je vous le mets pour ce qui m’a scotché quelques secondes : non pas tant l’article que la photo, cette vieille locomotive presque antédiluvienne qui transporte de quoi détruire Paris et sa couronne…

Source : IHS Jane’s 360, le 23/12/2015

Richard D Fisher Jr, Washington, DC – IHS Jane’s Defence Weekly

23 décembre 2015

Une image du train transportant le missile RT-23 (SS-24) pourrait donner des informations sur la configuration du convoi ferroviaire chinois DF-41. Source: Internet russe

Le 5 décembre 2015, la Chine a été observée en train de mener un test de lancement d’une nouvelle version d’un convoi ferroviaire transportant un missile balistique intercontinental nommé “DF-41″ de la Société des Sciences et Technologies Aérospatiales de Chine, selon des diplomates américains.

Ce test, qui ne s’est pas déroulé en entier, était un essai du système de “lancement à froid”, dans lequel le missile “DF-41″ fut éjecté de son tube de lancement à l’aide d’une charge à gaz, évitant la mise à feu du moteur. L’objet de cet essai était probablement de vérifier la compatibilité du système de lancement à tube avec son nouveau convoi ferroviaire. Il fut suivi d’un autre essai visible du “DF-41″, qui lui s’est déroulé en entier, le 4 décembre 2015.

Les détails de chaque test ont été, dans un premier temps, révélés par des diplomates américains au Washington Free Beacon, qui a rapporté le dernier test le 21 décembre 2015.

Cela confirme aussi des rapports précédents concernant l’intérêt que la Chine porte au rail mobile afin d’augmenter la capacité de survie de sa force balistique. Dans un article de journal paru en mai 2012, l’ancien officier des forces balistiques et stratégiques russes, le colonel général Victor Esin, a remarqué qu’il y aurait une version ferroviaire du missile “DF-41″.

En 2013, le projet du Contrôle des armes de l’Université de Georgetown a déclaré que la Chine avait obtenu des wagons capables de transporter des missiles balistiques de l’Ukraine, où le Bureau d’Etudes Ioujnoïe produisit le missile intercontinental RT-23 à propergol solide transportable par train qui fut utilisé par l’URSS et ensuite la Russie entre 1987 et 2005.

La première version du DF-41, d’une portée de 14 000 km et capable de porter 10 têtes nucléaires, est transportée par un tracteur-érecteur-lanceur à 18 roues.

Rappel : Pékin-Paris : 8 000 km ; Pékin-Washington : 11 000 km…

A vue de nez, cela doit faire de 100 à 300 fois Hiroshima par missile…

Nous savons peu de choses à propos de la structure des unités du missile chinois DF-41 transporté par convoi ferroviaire, bien que l’on attende qu’elles exploitent les tunnels ferroviaires de la Chine. Des sources taïwanaises ont affirmé que la Chine a déjà construit 1000 à 2000 km de rails spéciaux pour qu’ils soient compatibles avec ces missiles lourds.

Le système d’ogive balistique transportable par train de deuxième génération de la Russie, appelé Barguzin, pourrait entrer en service en 2020. Un train ou un régiment pourrait transporter jusqu’à six missiles.

Source : IHS Jane’s 360, le 23/12/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

===============================================================

L’hiver nucléaire (bon courage aux survivants) :

Sans retour, est un documentaire (0h35) sorti en septembre 2012 au titre original Unsurvivable, qui met en garde l’humanité contre le danger d’une possible Troisième Guerre mondiale nucléaire et ses conséquences, dans un avenir proche.

===============================================================

L’Hiver nucléaire, par Fidel Castro

Ce n’est pas juste pour citer Castro – mais il a vu de près le risque en 1962…

J’ai honte d’avoir tout ignoré de cette question dont je n’avais même pas entendu parler. Sinon, j’aurais compris bien plus tôt que les risques d’une guerre nucléaire sont pires que ce que j’avais imaginé. Je supposais que la planète pouvait supporter l’éclatement de centaines de bombes nucléaires parce que je calculais que les Etats-Unis et l’URSS avaient réalisé d’innombrables essais pendant des années. Je n’avais pas tenu compte d’une réalité toute simple : ce n’est pas la même chose de faire éclater cinq cents bombes atomiques en mille jours que de le faire en un jour.

Je l’ai appris après m’être informé auprès de plusieurs spécialistes en la matière. Inutile de dire que je suis resté stupéfait d’apprendre qu’il n’y avait pas besoin d’une guerre nucléaire mondiale pour faire périr notre espèce.

Il suffirait d’une guerre atomique entre deux puissances nucléaires parmi les plus faibles, tels l’Inde et le Pakistan – qui réunissent toutefois, à eux deux, bien plus d’une centaine d’armes de ce genre – pour que l’espèce humaine disparaisse.

Je vais raisonner un peu à partir des éléments que m’ont offerts nos experts en la matière, tirés de ce que les scientifiques les plus prestigieux du monde ont exposé.

Il y a des choses qu’Obama sait pertinemment :

…une guerre nucléaire entre les USA et l’URSS provoquerait un « hiver nucléaire ». Le débat international au sujet de cette prédiction, animé par l’astronome Carl Sagan, obligea les leaders des deux superpuissances à reconnaître que leur course aux armements mettait en danger, non seulement leurs deux pays, mais aussi l’humanité entière.« …les modèles mis au point par des scientifiques russes et étasuniens indiquaient qu’une guerre atomique provoquerait un hiver nucléaire terriblement destructeur pour toute la vie sur la Terre. Le savoir représenta pour nous, gens de morale et d’honneur, un grand encouragement… »

…Les guerres nucléaires zonales pourraient déclencher une catastrophe mondiale similaire. De nouvelles analyses prouvent qu’un conflit entre l’Inde et le Pakistan au cours duquel une centaine de bombes – soit à peine 0,4 p. 100 des plus de 25 000 ogives que compte le monde actuellement – seraient larguées sur des villes et des zones industrielles provoquerait assez de poussières pour ruiner l’agriculture mondiale. Une guerre régionale pourrait causer des morts jusque dans des pays éloignés.

Armée d’ordinateurs modernes et de modèles climatiques novateurs, notre équipe a démontré que les idées des années 80 non seulement étaient correctes, mais que les effets dureraient au moins dix ans, bien plus que ce qu’on croyait avant […] la poussière d’une simple guerre régionale serait réchauffée par le Soleil et s’élèverait pour rester suspendue pendant des années dans l’atmosphère supérieure, tamisant la lumière solaire et refroidissant la Terre.

Certains croient que la théorie de l’hiver nucléaire développée dans les années 80 est discréditée. Voilà pourquoi ils seront peut-être surpris de nous entendre dire qu’une guerre nucléaire zonale, par exemple entre l’Inde et le Pakistan, pourrait dévaster l’agriculture sur toute la planète.

La théorie originale a été rigoureusement validée. Ses fondements scientifiques étaient avalisés par des recherches que mena l’Académie nationale des sciences, par des études que parrainèrent les forces armées des USA et le Conseil international des syndicats scientifiques qui regroupe des représentants de vingt-quatre académies nationale de la science et d’autres organismes scientifiques .

Le refroidissement ne semble peut-être guère préoccupant. Or, il faut savoir qu’une légère diminution de la température peut avoir de graves conséquences.

Les céréales stockées aujourd’hui sur la planète peuvent alimenter la population mondiale pendant deux mois (cf. « Crisis alimentarias : ¿una amenaza para la civilización ? », par Lester R. Brown, Investigación Y Ciencia, juillet 2009).

La fumée des grands incendies de forêt pénètre parfois dans la troposphère et dans la stratosphère inférieure, pour être entraînée à de grandes distances, ce qui provoque un refroidissement. Nos modèles tiennent compte aussi de ces effets.

Voilà soixante-cinq millions d’années, un astéroïde s’est écrasé dans la péninsule du Yucatan. Le nuage de poussières qui en est résulté, mêlé à la fumée des incendies, occulta le Soleil, faisant disparaître les dinosaures. Le volcanisme massif qui avait lieu alors en Inde aggrava peut-être ces effets.

…le fait qu’il existe toujours plus d’États nucléaire élève les probabilités d’une guerre, déclenchée délibérément ou par accident.

La Corée du Nord a menacé de faire la guerre si on n’arrêtait pas d’inspecter ses navires à la recherche de matériaux nucléaires.

Des leaders extrémistes indiens, à la suite des dernières attaques terroristes dont l’Inde a été victime, ont prôné une frappe nucléaire contre le Pakistan.

L’Iran a menacé de détruire Israël, puissance nucléaire, qui a juré à son tour qu’il ne permettrait jamais que l’Iran le devienne.

Les deux premières bombes atomiques ont tellement bouleversé le monde que celles-ci n’ont jamais plus été employées, malgré leur nombre croissant.

Une guerre nucléaire est inévitable à partir du moment où le délai fixé par le Conseil de sécurité de l’ONU viendra à terme : tout peut arriver dès que le premier cargo iranien sera arraisonné.

Dans le cadre du Traité de réduction des armes stratégiques offensives (START), les USA et la Russie se sont engagés à ramener leur arsenal, d’ici fin 2012, à 1 700 et 2 200 ogives nucléaires déployées.Si ces armes étaient utilisées contre des cibles urbaines, des centaines de millions de personnes mourraient et un énorme nuage de fumée de 180 Tg inonderait l’atmosphère.

La seule possibilité d’éliminer les risques d’une catastrophe climatique est d’éliminer les armes atomiques.

J’ai rencontré aujourd’hui à midi quatre spécialistes cubains : Tomás Gutiérrez Pérez, José Vidal Santana Núñez, le colonel José Luis Navarro Herrero, chef du Secrétariat Science et technologie du ministère des Forces armées révolutionnaires, et Fidel Castro Dà­az-Balart, avec lesquels j’ai analysé le point que j’aborde dans ces Réflexions.

J’avais demandé cette réunion hier, 22 août. Je ne voulais pas perdre une minute. Elle a été sans aucun doute fructueuse.

Fidel Castro Ruz
Le 23 août 2010

Traduction J-F Bonaldi, La Havane

Source : LeGrandSoir

==========================================

On terminera par l’article Hiver Nucléaire de Wikipédia français, ou, bien bien mieux, la version américaine

 

Source: http://www.les-crises.fr/la-chine-developpe-un-nouveau-systeme-de-transport-de-missiles-balistiques-intercontinentaux/