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Qui est Bernie Sanders ?

Thursday 11 February 2016 at 02:44

Bon, allez, quelques mots sur Sanders, j’ai finalement un peu creusé.

C’est assez intéressant – on restera bien entendu TRÈS PRUDENTS (www.syriza.gr), mais enfin rien que dire ça et faire plus de 1 % aux USA, c’est déjà miraculeux.

Le Monde nous a encore “informés” :

Hmmm, le type gagne haut la main, mais attention,

1/ j’ai cru que le vieux socialiste avait brillé, mais non, il s’est “installé”, nuance

2/ c’est normal, Clinton s’y attendait, tout va bien (façon 1914 les Allemands sont à porté de canon de Paris, mais c’était prévu…)

3/ pas cool pour Clinton, bouuuuuuuuuuuuuuuu :(

4/ le vainqueur haut la main ne veut pas de contenter du rôle de clown.

(bon, Le Monde a aussi fait un autre papier plus intéressant sur son parcours)

À d’autres époques ou dans d’autres pays, on aurait juste salué le vainqueur (vae victis), mais ici, non, pas cool pour la favorite des démocrates à plus de 200 000 $ par an…

SURTOUT quand on entend ce qu’il dit – de quoi donner envie de lapider un Macron, donc chuuut, ne le dites pas fort :

Admirez cette vidéo de 2015 :

Voici celle du 2 février :

Une de ses affiches :

(Notez le jeu de mots entre US = USA et US = “Nous”)

Ses déclarations :

Un discours féroce de Sanders au Congrès, en 2012. « Il y a une guerre dans notre pays entre les plus riches et ceux qui travaillent. [...] 1% des américains possèdent 23% de la richesse du pays, plus que les 50% les plus pauvres. Et apparemment, ce n’est pas assez pour eux! »

 

Source: http://www.les-crises.fr/mais-qui-est-bernie-sanders/


Hillary Clinton a gagné avec 12 discours aux grandes banques plus que la plupart d’entre nous gagnent dans leur vie, par Zaid Jilani

Thursday 11 February 2016 at 01:41

Source : The Intercept, le 8 janvier 2016.

Hillary Clinton avec le PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, lors d’un événement du Clinton Global Initiative, en septembre 2014, à New York. Photo: Stephen Chernin/AFP/Getty Images

Le candidat démocrate à la présidentielle Bernie Sanders a attaqué cette semaine sa rivale Hillary Clinton pour avoir perçu des cachets importants du secteur financier depuis son départ du Département d’État.

Selon les déclarations publiques, en donnant seulement 12 discours à des banques de Wall Street, des sociétés de capital-investissement et d’autres sociétés financières, Clinton a gagné 2 935 000$ entre 2013 et 2015.

L’année la plus lucrative pour Hillary Clinton fut 2013, juste après sa démission du poste de secrétaire d’État. Cette année-là, elle a gagné 2,3 millions de dollars pour trois discours à Goldman Sachs et des discours à la Deutsche Bank, Morgan Stanley, Fidelity Investments, Apollo Management Holdings, UBS, Bank of America, et à des gestionnaires d’actifs de chez Golden Tree.

L’année suivante, elle a ramassé 485 000 dollars pour un discours à la Deutsche Bank et un autre à Ameriprise. L’année dernière, elle a gagné 150 000 dollars pour une conférence devant la Banque Impériale Canadienne de Commerce.

Pour mettre ces chiffres en perspective, comparons-les aux revenus du travailleur américain moyen au cours d’une vie. En 2011, le Bureau du recensement a estimé que, quelles que soient les disciplines, le « titulaire de licence peut s’attendre à gagner environ 2,4 millions de dollars au cours de sa vie de travail ». Une analyse Pew Research publiée la même année a estimé qu’un ou une « bachelier/e typique » peut s’attendre à gagner seulement 770 000 dollars au cours de sa vie.

Cela signifie qu’en une année — 2013 — Hillary Clinton a gagné presque autant en 10 conférences à des entreprises de la finance qu’un américain titulaire d’une licence gagne de toute sa vie — et près de quatre fois ce que quelqu’un qui détient un diplôme d’études universitaires supérieures pourrait espérer gagner.

Le coup de filet que Hillary Clinton a réalisé grâce à ses discours à Wall Street pâlit en comparaison de celui de son mari, qui a aussi dû être rendu public parce que les deux partagent un compte bancaire.

« Je n’ai pas gagné d’argent jusqu’à mon départ de la Maison Blanche », a déclaré Bill Clinton lors d’un discours en 2009 à un groupe d’étudiants. « J’avais la valeur nette la plus basse, corrigée de l’inflation, de tout président élu au cours des 100 dernières années, y compris le président Obama. J’étais un pauvre vaurien quand j’ai pris mes fonctions. Mais après mon mandat, j’ai gagné beaucoup d’argent. »

L’agence Associated Press note que pendant le mandat de Hillary Clinton comme secrétaire d’État, Bill Clinton a obtenu 17 millions de dollars en conférences pour des banques, des compagnies d’assurances, des fonds alternatifs, des entreprises immobilières, et d’autres sociétés financières. Au total, on estime que le couple a gagné plus de 139 millions de dollars en discours rémunérés.

Source : The Intercept, le 8 janvier 2016.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/hillary-clinton-a-gagne-avec-12-discours-aux-grandes-banques-plus-que-la-plupart-dentre-nous-gagnent-dans-leur-vie-par-zaid-jilani/


L’homme le plus dangereux du monde ? Par Bill Law

Thursday 11 February 2016 at 00:45

Source : The Independent, le 08/01/2016

Le ministre saoudien de la Défense est agressif et ambitieux – et ses ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur sont dans sa ligne de mire

Bill Law

Mohammed bin Salman assiste au sommet des chefs des pays arabes et d’Amérique du Sud à Riyad AP

Quand Mohammed bin Salman avait tout juste 12 ans, il assistait déjà à des réunions dirigées par son père Salman, le gouverneur à cette époque de la province de Riyad en Arabie saoudite. A 29 ans, 17 ans plus tard, l’alors plus jeune ministre de la Défense au monde plonge son pays dans une guerre brutale et sans issue au Yémen.

En ce moment, le Royaume d’Arabie saoudite joute dangereusement avec l’Iran, son ennemi dans cette région, et mené par un homme semblant vouloir devenir le plus vite possible l’homme le plus puissant du Moyen-Orient.

Le prince Mohammed était encore un adolescent quand il commença à spéculer dans les actions et l’immobilier. Et quand il tombait sur un os ou deux, son père était capable de prendre les affaires en main. À la différence de ses plus grands demi-frères, MbS, comme il se fait appeler, n’est pas allé à l’université à l’étranger, préférant rester à Riyad où il étudia le droit à l’université King Saud. Ceux qui le fréquentaient le voyaient comme un jeune homme sérieux, qui ne fumait pas, ne buvait pas, et qui n’avait aucun intérêt pour la fête.

En 2011, son père devint deuxième Prince Héritier et obtint le très convoité ministère de la Défense, avec son budget colossal et ses juteux contrats d’armements. MbS, en tant que conseiller privé, géra la cour royale d’une main ferme en 2012, après que son père fut  nommé Prince Héritier.

A chaque étape de cette ascension dans la hiérarchie de la Maison des Saoud, le Prince Mohamed, fils favori, était au côté de son père. Parmi les Saoudiens influents, tant religieux qu’hommes d’affaires, il était entendu que si vous vouliez voir le père, il fallait passer par le fils.

Les détracteurs soutiennent qu’il a amassé une vaste fortune, mais c’est le pouvoir plutôt que l’argent qui motive le prince. Quand Salman accéda au trône en janvier 2015, sa santé était déjà mauvaise et il s’appuyait beaucoup sur son fils. Âgé de 79 ans, le roi souffrirait de démence et ne serait capable que de quelques heures quotidiennes de concentration. Gardien de l’accès à son père, MbS est donc le véritable détenteur du pouvoir royal.

Ce pouvoir s’est considérablement accru dès les premiers mois du règne de Salman. Le prince Mohamed a été nommé ministre de la Défense, il a été mis à la tête de la compagnie énergétique nationale Aramco, et d’une nouvelle et puissante structure, le Conseil pour l’Économie et le Développement, qui supervise tous les ministères. Il est aussi devenu responsable du fonds d’investissement souverain du royaume. Deuxième Dauphin, il a cependant obtenu l’ascendant sur son rival Mohammed bin Nayef, qui est Prince Héritier en titre et ministre de l’Intérieur, en intégrant la cour de celui-ci à la cour royale.

Mal disposé à l’égard de la bureaucratie, MbS a vite imposé sa marque en exigeant que les ministères définissent et fournissent chaque mois des indicateurs de performance ; ce système économique sclérosé, fondé sur le clientélisme, le capitalisme de connivence et la corruption, n’avait jamais vu ça. Ses descentes inopinées dans les ministères, tôt dans la matinée, où il exigeait de voir les registres, sont vite passées dans la légende tant il secouait et forçait à l’action un Riyad encore ensommeillé, à la grande admiration des jeunes Saoudiens. “Il est très apprécié de la jeunesse. Il travaille dur, il a des projets pour réformer l’économie et il est ouvert aux jeunes. Il les comprend,” s’enthousiasme un homme d’affaires.

Et ça compte, parce que 70% de la population saoudienne a moins de 30 ans, et que le chômage des jeunes est élevé ; certains l’estiment entre 20 et 25% de cette tranche d’âge.

Mais ce même zèle qu’il déploie dans ses réformes économiques a aussi conduit l’Arabie saoudite à une sale guerre chez les voisins du Yémen. En mars dernier, il a lancé une campagne aérienne contre les forces rebelles Houthi qui avaient expulsé du pays le président – installé par Riyad – Abd Rabbuh Mansur Hadi. En menant l’opération Tempête Décisive (“Decisive Storm”), MbS a jeté par la fenêtre les années de circonspection saoudienne.

Cela a dû passer pour une très bonne idée sur le moment : le jeune et ambitieux fils du vieux roi déclenche une guerre contre la rébellion chez un voisin méridional déstabilisé. Le fait que les rebelles fussent soutenus par l’Iran rendait l’aventure encore plus attrayante. L’armée saoudienne étalait fièrement ses nouvelles armes – valant de nombreux milliards de dollars. MbS avait un puissant rival, plus âgé, au ministère de l’Intérieur, et il voulait montrer ce dont il était capable tant à son rival qu’à ses propres supporters. D’après les plans, la victoire allait être rapide, sans appel, donc propre à confirmer sa stature de meneur de troupes, le plaçant dans la lignée du grand roi guerrier et fondateur de l’Arabie moderne, son grand-père Ibn Saoud.

MbS ne tint pas compte du fait que les Houthis constituaient un précieux tampon protecteur contre la vraie menace pour la Maison Saoud : al-Qaïda dans la péninsule arabe (AQPA). Il semble aussi avoir méconnu l’embarras où les tenaces Houthis avaient placé les Saoudiens lors d’une guerre frontalière, à peine quelques années plus tôt. C’était en 2009, lorsqu’ils prirent le port saoudien de Jizan, sur la mer Rouge, et ne le quittèrent qu’en échange d’une substantielle rançon de 70 millions de dollars.

Jusqu’à présent, l’Opération Tempête Décisive n’a rien prouvé du tout. La guerre a traîné en longueur sur près d’une année, plongeant le peuple yéménite dans une misère infinie. Une grande partie des infrastructures du pays a été détruite par d’intenses bombardements aériens, tandis que les Houthis conservent fermement le contrôle de la capitale Sanaa et de l’essentiel du nord. Au sud, AQPA a eu le champ libre. Imperturbable, MbS a juré de continuer, déterminé qu’il est à contraindre les Houthis, par la force des bombes, à venir à la table des négociations.

“Il est très pugnace,” dit Jason Tuvey, économiste pour la zone Moyen-Orient à Capital Economics. Mais Tuvey, comme maints analystes, a été impressionné par la maîtrise dont a fait preuve le prince Mohammed de tous ces problèmes exaspérants de complexité qui empoisonnent l’économie saoudienne. “Sur le front économique, il s’en est très bien sorti. Il a renouvelé la stratégie, il mériterait des éloges pour cela,” dit Tuvey.

Les qualités de son impétueuse nature pourraient être prises en défaut dans le développement de la lutte avec l’Iran pour l’hégémonie régionale. Quand MbS a annoncé la mise en place, mi-décembre, d’un conseil de 34 pays musulmans pour combattre le terrorisme, il visait manifestement l’Iran. Les Iraniens ont vigoureusement appuyé Bachar al-Assad, le président syrien assiégé, tant directement qu’à travers le Hezbollah, une milice que l’Iran a entraînée et armée pendant des années. Les Saoudiens sont résolus à vaincre Assad avant le début de toute négociation de paix en Syrie.

Aujourd’hui, après l’exécution par les Saoudiens du haut dignitaire chiite le cheikh Nimr al-Nimr, la spirale des représailles est enclenchée. Les Iraniens ont permis la mise à sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran, et les Saoudiens, de concert avec les autres pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ont répliqué en rappelant leurs ambassadeurs. La destruction de l’ambassade iranienne à Sanaa, apparemment bombardée, a encore aggravé les tensions.

Dans une lettre ouverte qui a largement circulé l’été dernier, des adversaires du jeune prince au sein même de la famille régnante ont dénoncé son arrogance, allant jusqu’à demander son éviction en même temps que celle de son père et de Mohammed bin Nayef. Mais cet appel n’a pas eu de suite, et MbS continue de surfer sur une crête de popularité en Arabie saoudite. Une question demeure, cependant : jusqu’où son impétuosité naturelle l’emportera-t-elle dans le conflit avec l’Iran ?

On ne peut pas écarter la possibilité que ce jeune et brillant casse-cou, qui se coule dans le moule grand-paternel de guerrier sunnite, ne soit en train de soupeser les options, d’envisager une frappe militaire contre l’Iran chiite – une effrayante perspective pour cette région déjà déchirée par la guerre sectaire.

Source : The Independent, le 08/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lhomme-le-plus-dangereux-du-monde-par-bill-law/


Le Brexit maintenant soutenu par 47% des électeurs britanniques

Wednesday 10 February 2016 at 03:49

Source : The Telegraph, le 17/12/2015

Exclusif : Dans le plus gros sondage d’opinion sur l’Europe jamais réalisé au R-U, Lord Ashcroft révèle que la Grande-Bretagne pourrait se diriger vers la porte de sortie, à moins que David Cameron n’obtienne d’importantes réformes


La Grande-Bretagne pourrait se diriger vers la porte de sortie de l’UE d’après un sondage qui a découvert que 47 pour cent des électeurs veulent partir – photo : PA

Kate McCann, Mathew Holehouse et Christopher Hope

Le 17 décembre 2015

Les électeurs britanniques qui veulent quitter l’Union Européenne dépassent maintenant considérablement le nombre de personnes qui veulent y rester, constate aujourd’hui le plus gros sondage jamais réalisé au R-U sur cette question.

Coup dur pour David Cameron, le jour où se tenait à Bruxelles un sommet crucial, une grande enquête auprès de 20 000 électeurs révèle qu’ils sont 47 pour cent du public à vouloir désormais quitter l’UE – contre seulement 38 pour cent choisissant d’y rester et 14 pour cent d’indécis.

M. Cameron a fait savoir à ses amis qu’il allait ce soir suivre l’exemple de Margaret Thatcher et tenir tête aux dirigeants de l’UE comme elle l’avait fait en 1984 quand elle avait obtenu un rabais sans précédent pour le R-U.

Le Premier ministre affrontera ce soir les dirigeants européens et refusera de réviser à la baisse sa tentative controversée d’interdire aux migrants les prestations sociales du R-U pendant quatre ans, malgré l’opposition de la majorité des dirigeants de l’UE, dont Angela Merkel et François Hollande.

La nuit dernière, Mme Merkel a affirmé qu’elle s’opposerait à la principale exigence britannique, mais M. Cameron assurera aux dirigeants de l’UE qu’il “n’a pas de plan B”, dans un effort ultime de maintenir son plan de référendum sur la bonne voie.

François Hollande, le président français, répondra à M. Cameron qu’il ne peut y avoir “de flexibilité” sur les droits des travailleurs en UE et exigera qu’il “réfléchisse à des alternatives”.

Quoi qu’il en soit, M. Cameron refuse de revoir à la baisse ses exigences et maintiendra auprès de ses 27 homologues qu’il a besoin de modifications dans les traités pour garantir que les réformes sur les prestations sociales soient promulguées.

On tend vers un pari aux enjeux très élevés tenu par Downing Street et qui survient après des semaines de propositions qui suggéraient que M. Cameron se préparait à faire des concessions sur ses exigences en matière d’aide sociale.

Une source haut placée dans l’entourage de M. Cameron a déclaré : « Mme Thatcher a dit que lorsqu’elle négociait un rabais elle avait besoin de ’10 clés pour ouvrir la serrure’ quand il y avait 10 autres membres – à présent il a besoin de 27 clés. »

M. Cameron voulait d’ici février passer un marché avec Bruxelles, qui lui permettrait d’organiser le référendum de-maintien-sortie en juin 2016.

Cependant, des sources proches du Premier ministre ont reconnu la nuit dernière que le contrat pourrait ne pas être conclu avant mars ou juin, ce qui signifie un référendum à la fin de l’année 2016.

 

Le Président français s’oppose à un certain nombre de réformes majeures de M. Cameron – Photo: BENOIT TESSIER/REUTERS

Downing Street s’inquiète du fait que n’importe quel vote après l’été prochain – au moment où on s’attend à ce que la crise des migrants soit à son apogée – pourrait pousser la Grande-Bretagne vers la porte de sortie.

Il apparaît aujourd’hui, avec le sondage de Lord Ashcroft, que les Britanniques vont voter pour quitter l’UE à moins que le Premier ministre ne soit capable de convaincre le public qu’il a réussi à conclure un accord satisfaisant, qui ferait partie de ses renégociations avec Bruxelles.

La nouvelle étude a montré que 35 pour cent des gens étaient prêts à voter pour rester dans l’UE, si M. Cameron pouvait obtenir des concessions, dont un pourcentage important de ceux qui penchent actuellement vers la sortie.

Cependant, seulement 19 pour cent des électeurs britanniques croient que M. Cameron reviendra de Bruxelles avec un bon accord pour le R-U.

 

Le sondage a été conduit par Lord Ashcroft – Photo: Julian Simmonds/The Telegraph

Le sondage de Lord Ashcroft a souligné que les détails du plan de renégociation de M. Cameron étaient “à peine enregistrés” par les électeurs.

Il a indiqué clairement que les électeurs conservateurs détiennent “les clés de l’issue du référendum”.

Lord Ashcroft a déclaré : “Les électeurs des conservateurs détiennent la clef de l’issue du référendum. Plus de la moitié de ceux qui ont voté pour les conservateurs en mai se situent du côté “sortie” sur notre spectre, et ils considèrent actuellement que se maintenir dans l’UE est plus risqué que d’en sortir.

“Mais bien qu’il y ait des pessimistes quant aux chances qu’a Cameron de réussir ses renégociations, ce sont eux qui, de loin, ont la plus grande probabilité de bien réagir s’il arrive à crier victoire de façon convaincante.”

 

Le Premier ministre se rend à Bruxelles pour des négociations de crise

Dans l’ensemble, les votants sont partagés équitablement avec 53% qui pensent qu’il est plus risqué de quitter l’UE et 47% qui pensent qu’il est plus risqué de rester dans l’UE, a déclaré Lord Ashcroft.

Des sources venant de Downing Street ont confirmé la nuit dernière qu’il se peut qu’on ne parvienne pas à un accord final en février comme ils l’avaient initialement espéré.

Une source de haut rang proche du Premier ministre a déclaré : “Nous n’allons pas trouver un accord demain, tout est une question de bonne volonté derrière l’accord de février, mars, juin – de faire avancer les choses.”

 

On reste ou on part ?

Lord Ashcroft a interrogé 20 000 personnes dans le cadre d’un sondage

La Grande-Bretagne doit-elle rester dans l’UE ?

38% veulent rester dans l’UE

47% penchent vers une sortie

14% restent indécis

Parmi les indécis, seulement 50% disent qu’ils vont aller voter

1% a disparu en arrondissant les chiffres

Est-ce que cela compte pour vous que la Grande-Bretagne soit dans l’UE ?

81% ça compte énormément

13% ça ne fait pas de grande différence pour moi

Si Cameron annonçait qu’il a trouvé un meilleur accord pour la Grande-Bretagne…

52% déclarent que ça ne changerait rien à leur vote

35% seraient plus enclins à voter pour le maintien dans l’UE

13% voteraient probablement pour la sortie

Pourquoi est-ce important de savoir si le Royaume-Uni va rester ou non dans l’UE ?

Qu’est-ce qui est en jeu ?

Immigration 23%

Contrôle des frontières 18%

Immigration/réfugiés 16%

Liberté de circulation 15%

Contribution du Royaume-Uni au budget de l’UE 13%

Libre-échange 13%

Sécurité économique 12%

Accords commerciaux 11%

Sécurité intérieure 11%

Droits de l’homme 10%

Les personnes interrogées ont choisi trois réponses sur un panel de quarante-et-une options elles-mêmes choisies par des groupes de consommateurs

David Cameron a promis un référendum sur l’adhésion de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne avant la fin de l’année 2017, mais avant qu’il puisse avoir lieu, il a promis la garantie d’un meilleur accord pour son pays.

Janvier 2013 : Le discours de Bloomberg

David Cameron donne les contours d’une vision réformatrice à grande échelle pour sauver l’Europe, mettant l’accent sur la directive sur le temps de travail et sur la bureaucratie excessive de Bruxelles, suivi de l’annonce d’un référendum en 2017 sur le maintien ou non dans l’UE.

1 janvier 2014 : Les frontières britanniques s’ouvrent aux Bulgares et aux Roumains

Bulgares et Roumains ont reçu le droit sans restriction de voyager et de travailler dans l’UE après l’avoir rejointe en 2007. Le gouvernement répond par de nouvelles lois pour expulser les mendiants et pouvoir mettre fin au bout de six mois aux paiements des allocations.

Mai 2015 : l’UKIP [Parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni, dirigé par Nigel Farage, NdT] gagne du terrain

L’UKIP recueille la majorité des voix aux élections européennes. Durant l’été, les parlementaires conservateurs Douglas Carswell et Mark Reckless rejoignent les rangs de l’UKIP.

Juin 2014 : Défaite de Cameron

David Cameron est battu par 26 à 2 lors de sa tentative de détrôner Jean-Claude Juncker en devenant président de la Commission européenne. Angela Merkel devait le soutenir, mais a changé d’avis.

Novembre 2014 : Cameron durcit sa politique d’allocations vis-à-vis des migrants

Cameron dévoile son plan de réforme de la politique migratoire de l’UE, qui vise à supprimer les prestations liées à l’emploi pendant quatre ans pour les migrants et à expulser les migrants de l’UE sans-emploi après six mois de chômage.

Décembre 2014 : Une facture de 1,7 milliard de livres pour la Grande-Bretagne

Cameron est furieux après que son pays se voit adresser une facture de 1,7 milliard de livres au titre de l’adhésion à l’UE, calculée en vertu du succès de son économie par rapport à l’Euro-zone.

7 mai 2015 : Cameron – et son engagement à renégocier avec l’Union européenne – est élu par la Grande-Bretagne

David Cameron stupéfie Bruxelles en gagnant les élections législatives sur un programme de réforme et un référendum. Le processus de renégociation est lancé et Cameron se lance dans un tour éclair de l’Europe pour rencontrer ses 27 homologues.

Juin 2015 : La Grande-Bretagne va financer la crise grecque ?

Lors du premier choc désagréable de la renégociation, la Commission européenne menace d’utiliser les contributions budgétaires britanniques pour des prêts d’urgence en Grèce – faisant fi d’une promesse obtenue par David Cameron quatre ans auparavant.

Septembre 2015 : Cameron est contraint de s’engager à aider les réfugiés

Alors que la crise des réfugiés engloutit le continent, l’UE avertit Cameron que s’il ne fait pas plus pour s’attaquer à la crise, il n’obtiendra rien de sa renégociation. Il propose d’accueillir 20 000 réfugiés syriens.

29 novembre 2015 : Le Premier ministre parle fermement

Face à un tollé de protestations, il durcit sa position envers la réforme des allocations – et annonce à plusieurs dirigeants qu’il démissionnera, à moins qu’il n’obtienne quatre ans de politique de restrictions, et déclare qu’il forcera le Conseil européen à prendre une décision en décembre.

3 décembre 2015 : Pas d’accord pour Noël

Angela Merkel s’entretient avec M. Cameron au téléphone. Des heures plus tard, il concède qu’il n’y aura pas d’accord avant Noël, février devient la nouvelle échéance.

17 – 18 décembre 2015 : Conseil européen

M. Cameron espère avoir une “discussion substantielle” durant le Conseil européen mais l’agenda prédéfini est rempli avec les questions liées au terrorisme et à la crise migratoire.

5 janvier 2016 : Cameron accorde aux ministres la liberté de vote

David Cameron a annoncé qu’une fois achevées les négociations avec les dirigeants européens, il supprimera la responsabilité collective et permettra aux ministres de décider leurs propres positions sur la question.

18-19 février 2016 : Date limite

La date-butoir pour que M. Cameron scelle un accord.

Juin 2016 : Date du référendum ?

Si un accord est signé en février, la date la plus proche pour un référendum est juin.

FAQ

Qu’est-ce que le Brexit ?

Que signifie l’expression “Brexit”?

Ce terme est une abréviation couramment utilisée pour désigner la sortie de l’UE de la Grande-Bretagne.

Comment sera-t-il décidé ?

La décision dépend du résultat d’un référendum national, actuellement préparé par le gouvernement.

Quand le référendum aura-t-il lieu ?

David Cameron a promis qu’il se tiendrait avant la fin de l’année 2017, mais il semble probable qu’il se tienne plus tôt, vraisemblablement en 2016.

Quelle sera la question ?

La question sera : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? »

Que se passe-t-il ensuite ?

Le parlement doit décider de l’adoption du projet de loi de David Cameron concernant le référendum sur l’UE.

Pendant ce temps, Cameron essaie d’obtenir un meilleur accord de la part de l’UE en négociant avec les ministres des États membres sur des sujets comme l’accès des migrants aux allocations.

Quel est le résultat attendu ?

La plupart des sondages montrent que le public britannique est à peu près également divisé sur l’avenir du pays, avec une légère tendance pour rester dans l’UE.

Source : The Telegraph, le 17/12/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-brexit-maintenant-soutenu-par-47-des-electeurs-britanniques/


« L’UE est au bord de l’effondrement » – Interview de George Soros

Wednesday 10 February 2016 at 02:28

Source : The New York Review of Books, le 11/02/2016

George Soros et Gregor Peter Schmitz

Ce qui suit est une version révisée d’un entretien entre George Soros et Gregor Peter Schmitz du magazine allemand WirtschaftsWoche.

Sean Gallup/Getty Images
Un réfugié syrien tenant une photo de la chancelière allemande Angela Merkel lors de son arrivée à Munich avec des centaines d’autres migrants en provenance de Hongrie, en septembre 2015

Gregor Peter Schmitz : Quand le Time a mis la chancelière allemande Angela Merkel en couverture, il lui a attribué le titre de « Chancelière du monde libre. » Pensez-vous que cela soit justifié ?

George Soros : Oui. Comme vous savez, j’ai critiqué la chancelière par le passé et je continue à fortement critiquer sa politique d’austérité. Mais après l’attaque de l’Ukraine par le président russe Vladimir Poutine, elle devint le leader de l’UE et par conséquent, et indirectement, du monde libre. Jusqu’alors c’était une politicienne douée qui savait lire l’humeur du public et répondre à cette humeur. Mais en résistant à l’agression russe, elle s’est transformée en leader montant au créneau en contradiction avec l’opinion alors dominante.

Elle fut peut-être encore plus perspicace lorsqu’elle a reconnu que la crise migratoire avait le potentiel pour détruire l’UE, d’abord en provoquant une rupture dans le système Schengen de frontières ouvertes et finalement en sapant le marché commun. Elle a pris une initiative audacieuse pour changer l’attitude du public. Malheureusement, le plan n’était pas suffisamment bien préparé. La crise est loin d’être résolue et sa position de dirigeante – non seulement en Europe mais aussi en Allemagne et même dans son propre parti – est menacée.

Schmitz : Merkel était d’habitude très prudente et réfléchie. Les gens pouvaient lui faire confiance. Mais dans le cas de la crise migratoire, elle a agi de manière impulsive et a pris un gros risque. Sa façon de diriger a changé et cela rend les gens nerveux.

Soros : C’est exact mais je suis heureux de ce changement. Il y a plein de raisons d’être nerveux. Comme elle l’avait très justement prédit, l’UE est au bord de l’effondrement. La crise grecque a enseigné aux autorités européennes l’art de patauger d’une crise à une autre. Cette pratique est connue sous le nom de « remettre les choses à plus tard » mais il serait plus approprié de décrire cela comme frapper une balle vers le haut d’une pente si bien qu’elle retombe sans cesse dans vos pieds. L’UE doit aujourd’hui faire face non pas à une crise mais à cinq ou six à la fois.

Schmitz : Pour être plus spécifique, faites-vous référence à la Grèce, à la Russie, à l’Ukraine, au référendum britannique à venir et à la crise migratoire ?

Soros : Oui. Et vous n’avez pas abordé la cause qui est à la racine de la crise migratoire : le conflit en Syrie. Vous n’avez pas non plus abordé l’effet regrettable que les attaques terroristes à Paris et ailleurs ont eu sur l’opinion publique européenne.

Merkel avait prévu le potentiel de la crise migratoire à détruire l’UE. Ce qui était une prédiction est devenu réalité. L’UE a sérieusement besoin de réparations. C’est indéniable mais ce n’est pas irréversible. Et ceux qui peuvent empêcher que la prédiction funeste de Merkel se réalise sont en fait les Allemands. Je pense que les Allemands, sous la direction de Merkel, ont atteint une position d’hégémonie. Mais ils l’ont fait au rabais. Normalement, ceux qui acquièrent une hégémonie doivent faire attention non seulement à leurs propres intérêts mais aussi à ceux qui se trouvent sous leur protection. L’heure du choix a maintenant sonné pour les Allemands : veulent-ils accepter les responsabilités et les engagements incombant à la puissance dominante en Europe ?

Schmitz : Diriez-vous que la direction de Merkel face à la crise migratoire diffère de sa direction face à la crise de l’euro ? Pensez-vous qu’elle est à présent plus encline à devenir une dominatrice bienveillante ?

Soros : Ce serait trop en demander. Je n’ai aucune raison de changer mon point de vue critique sur sa façon de diriger durant la crise de l’euro. Si elle avait fait preuve bien plus tôt du leadership qu’elle montre maintenant, cela aurait été utile à l’Europe. Il est dommage que, lors de la faillite de Lehman Brothers en 2008, elle n’ait pas été disposée à autoriser que le sauvetage du système bancaire européen soit garanti au niveau européen parce qu’elle sentait que l’opinion publique allemande y serait majoritairement opposée. Si elle avait essayé d’infléchir l’opinion publique au lieu de la suivre, la tragédie de l’UE aurait pu être évitée.

Schmitz : Mais elle ne serait pas restée chancelière d’Allemagne pendant dix ans.

Soros : Vous avez raison. Elle a été très habile à satisfaire les exigences et aspirations d’une grande diversité de citoyens allemands. Elle avait le soutien à la fois de ceux qui voulaient être de bons Européens et de ceux qui voulaient qu’elle protège les intérêts nationaux de l’Allemagne. C’est un exploit non négligeable. Elle a été réélue avec une majorité plus forte. Mais, en ce qui concerne la question des migrants, elle a quand même agi par principe, et elle a été prête à mettre en jeu sa position de leader. Elle mérite le soutien de ceux qui partagent ses principes.

Je le prends très personnellement. Je suis un ardent défenseur des valeurs et des principes d’une société ouverte du fait de mon histoire personnelle, avoir survécu à l’holocauste en tant que juif sous l’occupation nazie de la Hongrie. Et je pense qu’elle partage ces valeurs du fait de son histoire personnelle, avoir grandi sous le régime communiste en Allemagne de l’Est sous l’influence de son père qui était pasteur. Ce qui fait que je la soutiens même si nous sommes en désaccord sur de nombreuses questions importantes.

Schmitz : Vous vous êtes tellement impliqué dans la promotion des principes d’une société ouverte et dans le soutien à un changement démocratique en Europe de l’Est. Pourquoi y a-t-il autant d’opposition et de ressentiment envers les réfugiés là-bas ?

Soros : Parce que les principes d’une société ouverte n’ont pas de fortes racines dans cette partie du monde. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán promeut les principes d’une identité hongroise et chrétienne. Combiner identité nationale et religion est un très puissant mélange. Et Orbán n’est pas tout seul. Le chef du parti nouvellement élu pour diriger la Pologne, Jarosław Kaczyński, adopte une approche similaire. Il n’est pas aussi intelligent qu’Orbán, mais c’est un politicien habile et il a choisi la migration comme thème central de sa campagne. La Pologne est l’un des pays les plus homogènes ethniquement et religieusement en Europe. Un immigré musulman en Pologne catholique est la personnification de l’Autre. Kaczyński a réussi à le dépeindre comme le diable.

Schmitz : Plus généralement, comment voyez-vous la situation politique en Pologne et en Hongrie ?

Soros : Bien que Kaczyński et Orbán soient des personnes très différentes, les régimes qu’ils prévoient d’établir sont très similaires. Comme je l’ai suggéré, ils cherchent à exploiter un mélange de nationalisme ethnique et religieux pour se maintenir perpétuellement au pouvoir. Dans un sens, ils essaient de rétablir le genre de démocratie de façade qui a prévalu dans la période entre la Première et la Seconde Guerre Mondiale dans la Hongrie de l’amiral Horthy et la Pologne du maréchal Piłsudski. Une fois au pouvoir, ils sont susceptibles de s’emparer de certaines des institutions de la démocratie qui sont et doivent être autonomes, comme la Banque centrale ou la Cour constitutionnelle. Orbán l’a déjà fait ; Kaczyński commence à peine maintenant. Ils vont être difficiles à éliminer.

En plus de tous ses autres problèmes, l’Allemagne va bientôt avoir un problème polonais. Contrairement à la Hongrie, la Pologne est l’un des pays les plus prospères d’Europe, à la fois économiquement et politiquement. L’Allemagne a besoin que la Pologne la protège de la Russie. La Russie de Poutine et la Pologne de Kaczyński sont hostiles l’une envers l’autre mais elles sont encore plus hostiles aux principes sur lesquels l’UE a été fondée.

Schmitz : Quels sont ces principes ?

Soros : J’ai toujours considéré l’UE comme l’incarnation des principes de la société ouverte. Il y a un quart de siècle, lorsque j’ai commencé à m’impliquer dans la région, vous aviez une Union soviétique moribonde et une Union européenne émergeante. Et, il est intéressant de noter, toutes deux ont entrepris une gouvernance internationale. L’Union soviétique a essayé d’unir les prolétaires du monde et l’Union européenne a essayé d’établir un modèle d’intégration régionale basé sur les principes d’une société ouverte.

Schmitz : Quelle est la comparaison avec la situation actuelle ?

Soros : L’Union soviétique a été remplacée par une Russie renaissante et l’Union européenne se voit dominée par les forces du nationalisme. La société ouverte en laquelle Merkel et moi-même croyons tous deux du fait de nos histoires personnelles, et que les réformateurs de la nouvelle Ukraine veulent rejoindre du fait de leurs histoires personnelles, n’existe pas en réalité. L’Union européenne était supposée être une association délibérée entre parties égales mais la crise de l’euro l’a transformée en une relation entre créanciers et débiteurs dans laquelle les débiteurs ont du mal à faire face à leurs obligations et les créanciers déterminent les conditions que les débiteurs doivent remplir. Cette relation n’est ni délibérée ni égalitaire. La crise migratoire a apporté d’autres brèches. Par conséquent, la survie même de l’UE est menacée.

Schmitz : C’est un point intéressant parce que je me rappelle que vous étiez très critique à l’égard de Merkel, il y a deux ans de cela, au motif qu’elle était trop préoccupée par les intérêts de ses électeurs et la mise en place d’une hégémonie allemande à peu de frais. Maintenant, elle a vraiment changé de cap quant à la question migratoire et ouvert grand la porte aux réfugiés syriens. Cela a créé un appel d’air qui a permis en retour aux autorités européennes de développer une politique d’asile avec un objectif généreux, jusqu’à un million de réfugiés par an avec cet objectif ciblé pour plusieurs années. On peut s’attendre à ce que les réfugiés qualifiés pour être admis demeurent où ils sont jusqu’à ce que leur tour vienne.

Soros : Mais nous n’avons pas de politique d’asile européenne. Les autorités européennes doivent en assumer la responsabilité. Ceci a transformé l’afflux croissant de réfugiés de l’an dernier, d’un problème gérable c’est devenu une crise politique aigüe. Chaque État membre s’est égoïstement concentré sur ses propres intérêts, souvent agissant contre les intérêts des autres. Ce qui a précipité la panique parmi les demandeurs d’asile, le grand public et les autorités responsables du maintien de la loi et de l’ordre public. Les demandeurs d’asile ont été les victimes principales. Mais vous avez raison. C’est à Merkel que revient le crédit d’avoir rendu une politique d’asile européenne possible.

L’UE a besoin d’un plan de réponse complet à la crise, un plan qui réaffirme la gouvernance effective sur le flux de demandeurs d’asile afin qu’ils prennent place d’une manière sûre et ordonnée, et à une allure qui reflète la capacité de l’Europe à les absorber. Pour être complet, le plan doit s’étendre au-delà des frontières de l’Europe. Il est moins déstabilisant et beaucoup moins coûteux pour les potentiels demandeurs d’asile de demeurer où ils sont actuellement, ou pas trop loin.

Ma fondation a développé un plan en six points sur cette base et l’a annoncé exactement au moment où Orban a introduit son plan en six points, mais les deux plans étaient diamétralement opposés. Le plan d’Orban était conçu pour protéger les frontières nationales contre les demandeurs d’asile ; le nôtre vise à protéger les demandeurs d’asile. Nous avons été opposés depuis lors. Orban m’accuse de tenter de détruire la culture nationale de la Hongrie en déversant un flot de réfugiés musulmans sur le pays. Paradoxalement, notre plan laisserait les demandeurs d’asile qualifiés où ils sont actuellement et fournirait des infrastructures à ces emplacements ; ce sont ses politiques à lui qui les incitent à se dépêcher vers l’Europe tant que les portes sont encore ouvertes.

Dmitri Azarov/Kommersant Photo/Getty Images
Vladimir Poutine et Viktor Orban à une conférence de presse à Budapest, février 2015

Schmitz : Pouvez-vous éclaircir votre paradoxe ? Pourquoi votre plan empêcherait-il l’afflux de réfugiés en Europe ?

Soros : Nous en appelons à une politique d’asile européenne commune qui réaffirmerait le contrôle au niveau des frontières européennes plutôt que nationales, et permettrait aux demandeurs d’asile d’atteindre l’Europe d’une manière ordonnée et sûre, et à une allure qui reflète la capacité de l’UE à les absorber. Orban en appelle à l’utilisation des frontières nationales pour empêcher les migrants d’entrer.

Schmitz : Et qui gagne ce conflit?

Soros : En Hongrie, il a largement gagné. Plus dérangeant, il gagne également en Europe. Il dispute à Merkel la direction de l’Europe. Il a lancé sa campagne au congrès de la CSU (Union chrétien-social de Bavière, le parti frère du CDU – Union Chrétienne-démocrate – de Merkel) en septembre 2015, et il l’a fait main dans la main avec Horst Seehofer, le président du parti allemand. Et c’est un vrai défi. Il attaque les valeurs et principes sur lesquels l’Union européenne a été fondée. Orban les attaque de l’intérieur ; Poutine de l’extérieur. Les deux essaient de renverser la subordination de la souveraineté nationale à un ordre supranational européen.

Poutine va plus loin encore : il veut remplacer l’état de droit par la loi du plus fort. Ils reviennent à des pratiques de temps révolus. Heureusement, Merkel a pris le défi au sérieux. Elle réplique et je la soutiens, non seulement par mes déclarations mais également par mes actes. Mes fondations ne font pas que rédiger des plaidoyers ; elles s’efforcent d’apporter une contribution positive sur le terrain. Nous avons créé une fondation en Grèce, « Solidarity Now, » en 2013. Nous avions clairement anticipé que la Grèce, étant donnée son impécuniosité, allait avoir des difficultés à prendre en charge le nombre élevé de réfugiés se trouvant bloqués sur son territoire.

Schmitz : D’où viendrait l’argent nécessaire à votre projet ?

Soros : Il serait impossible à l’UE de financer cette dépense sur le budget actuel. Il lui serait néanmoins possible de trouver de telles ressources en émettant des obligations à long terme bénéficiant de son crédit respecté d’emprunteur noté AAA. La charge des intérêts des emprunts pourrait être équitablement distribuée entre les États membres qui acceptent les réfugiés et ceux qui refusent de le faire ou imposent des restrictions spéciales. Il va sans dire que c’est là que je diverge avec la chancelière Merkel.

Schmitz : Vous avez passé la main de la gestion de votre hedge fund pour consacrer toutes vos énergies à votre fondation. Quels sont vos principaux projets ?

Soros : Ils sont trop nombreux pour être tous cités. Il semble que nous soyons impliqués dans la plupart des questions politiques ou sociales brûlantes dans le monde. Mais je mettrais en avant l’Institute for New Economic Thinking (INET) (Institut pour une Pensée Economique Nouvelle) et le Central European University (CEU) (Centre Universitaire Européen) parce qu’une révolution a lieu dans le domaine des sciences sociales et que j’y suis fortement impliqué tant sur le plan personnel qu’à travers mes fondations. Grâce aux sciences naturelles, l’humanité a pris le pouvoir sur les forces de la nature mais notre capacité à nous gouverner n’a pas connu les mêmes progrès. Nous avons la capacité de détruire notre civilisation et nous en prenons résolument le chemin.

Schmitz : Votre tableau du futur est sombre.

Soros : Oui mais c’est une vision délibérément tendancieuse. Identifier un problème est une invitation à le résoudre. C’est la principale leçon que j’ai tirée de l’expérience formatrice que j’ai vécue, en 1944, quand les Nazis ont occupé la Hongrie. Je n’aurais peut-être pas survécu si mon père n’avait pu se procurer des faux-papiers pour sa famille (et pour beaucoup d’autres). Il m’a appris qu’il valait bien mieux affronter la dure réalité que de fermer les yeux. Une fois que vous avez conscience des dangers, vos chances de survie sont bien meilleures si vous prenez quelques risques que si vous suivez docilement la foule. C’est pourquoi je me suis entraîné à regarder le côté obscur. Cela m’a été d’une grande utilité sur les marchés financiers et guide à présent ma politique philanthropique. Tant que je parviens à trouver une stratégie efficiente, même fragile, je n’abandonne pas. L’opportunité est nichée dans le danger. Il fait toujours le plus sombre avant l’aube.

Schmitz : Quelle est votre stratégie gagnante pour la Grèce ?

Soros : En fait je n’en ai pas. Le cas grec a été mal géré depuis le début. Fin 2009, quand la crise grecque a commencé à se dessiner, l’UE, avec l’Allemagne à sa tête, a organisé un sauvetage financier mais en imposant des taux d’emprunts punitifs sur les prêts accordés. C’est ce qui a rendu la dette grecque intenable. Et la même erreur a été de nouveau commise dans les négociations récentes. L’UE a voulu punir le Premier ministre Alexis Tsipras, et particulièrement son ancien ministre des finances Yanis Varoufakis, tout en n’ayant d’autre choix que d’éviter un défaut grec. Il en résulte des conditions imposées par l’UE qui vont pousser la Grèce dans une dépression plus profonde.

Schmitz : La Grèce présente-t-elle un intérêt pour les investisseurs privés ?

Soros : Pas tant qu’elle fait partie de la zone euro. Avec l’euro, le pays a peu de chance de prospérer un jour, son taux de change est trop élevé pour être compétitif.

Schmitz : Êtes-vous inquiet qu’au milieu de toutes ces crises, un membre important de l’UE comme le Royaume-Uni réfléchit à quitter l’UE ?

Soros : Très inquiet. Je suis convaincu que la Grande-Bretagne doit rester en Europe non seulement pour des raisons économiques mais pour des raisons politiques avant tout. Une UE sans le Royaume-Uni serait une union très affaiblie.

Schmitz : Mais les sondages indiquent qu’une majorité de Britanniques sont pour un Brexit, ou British exit, une sortie de l’UE.

Soros : La campagne pour le Brexit a sciemment induit en erreur le grand public. A l’heure actuelle, la Grande-Bretagne a le meilleur des accords avec l’Europe. Elle a accès au marché commun où près de la moitié des exportations est envoyée sans le poids d’avoir rejoint la zone euro.

Schmitz : Pourquoi le monde des affaires britannique ne fait pas plus état des inconvénients d’un Brexit ?

Soros : Les directions des sociétés multinationales qui ont augmenté leurs capacités de production en Grande-Bretagne comme des tremplins vers le marché commun sont réticentes à exprimer publiquement leur opposition à un Brexit car elles ne veulent pas être entraînées dans un débat politique où leurs clients auraient un point de vue opposé. Mais posez-leur la question en privé, comme je l’ai fait, et ils vous le confirmeront volontiers.

La campagne pour le Brexit a essayé de convaincre le public britannique qu’il était moins risqué de ne pas faire partie du marché commun que d’en faire partie. La campagne a eu le champ libre parce que le gouvernement voulait donner l’impression qu’il résistait pour obtenir le meilleur accord possible.

Schmitz : Pendant longtemps, l’Europe — et le monde — pouvait compter sur la Chine pour être un moteur de croissance et une machine à crédit.

Soros : La Chine, sur le plan historique, reste le pays le plus déterminant. Elle possède toujours de vastes réserves de devises étrangères.

Schmitz : Et cela va protéger le pays ?

Soros : La Chine est en train d’épuiser ces réserves très rapidement. Elle bénéficie également d’un gisement de confiance incroyable de la part de sa population : beaucoup ne comprennent peut-être pas comment fonctionne le régime chinois mais ils croient qu’un régime qui a réussi à surmonter tant de difficultés sait ce qu’il fait. Mais à cause des nombreuses erreurs du gouvernement, la réserve de confiance s’épuise aussi à une cadence extrêmement rapide. Le président Xi Jinping peut poursuivre sa politique actuelle pendant encore trois ans, mais durant cette période, la Chine va exercer une influence négative sur le reste du monde en renforçant les tendances déflationnistes qui ont déjà cours. La Chine a la responsabilité d’une partie plus importante que jamais auparavant de l’économie mondiale et les problèmes qu’elle doit affronter n’ont jamais été plus inextricables.

Schmitz : Le président Xi peut-il se hausser au niveau du défi ?

Soros : Il existe un défaut fondamental dans l’approche de Xi. Il a pris le contrôle direct de l’économie et de la sécurité. S’il réussissait grâce à une solution dans la logique du marché, le monde et la Chine s’en porteraient mieux. Mais vous ne pouvez pas aller dans le sens du marché sans faire certains changements politiques. Vous ne pouvez pas lutter contre la corruption sans médias indépendants. Et c’est bien un point que Xi ne veut pas concéder. Sur ce point, il est plus proche de la Russie de Poutine que de notre idéal de société ouverte.

Schmitz : Quel est votre perception de la situation en Ukraine ?

Soros : En survivant pendant deux ans alors qu’elle faisait face à tant d’ennemis, l’Ukraine a accompli une chose qui touche à l’incroyable. Cependant, elle a besoin de beaucoup plus de soutien extérieur car elle est exsangue. En attachant une laisse financière aussi courte au cou de l’Ukraine, l’Europe répète la même erreur commise avec la Grèce. La vieille Ukraine avait beaucoup de points communs avec la vieille Grèce — elle était dominée par des oligarques et le service public servait des gens qui abusaient de leur position plutôt que servir le peuple. Mais nous voyons une nouvelle Ukraine qui veut être tout le contraire de l’ancienne. La Rada a récemment voté un budget pour l’année 2016 qui respecte les conditions imposées par le FMI. C’est le moment maintenant d’envisager une aide financière supplémentaire dont la nouvelle Ukraine a besoin pour mener des réformes radicales. Ceci permettrait au pays non seulement de survivre mais de prospérer et devenir une destination d’investissement attirante. Retransformer la nouvelle Ukraine en l’ancienne Ukraine serait une erreur fatale parce que la nouvelle Ukraine est l’un des atouts les plus précieux dans la main de l’Europe, à la fois pour résister à l’agression russe et pour re-capturer l’esprit de solidarité qui a caractérisé l’Union européenne des débuts.

Schmitz : Beaucoup reprochent au président des États-Unis Barack Obama d’être trop faible face à la Russie.

Soros : C’est juste. Poutine est un tacticien suprême qui est entré dans le conflit syrien parce qu’il y a vu une opportunité pour améliorer le statut de la Russie dans le monde. Il était prêt à continuer à presser tant qu’il ne rencontrait pas de résistance sérieuse. Le président Obama aurait dû le défier plus tôt. Si Obama avait décrété une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie lorsque la Russie a commencé à fournir des équipements militaires en grande quantité, celle-ci aurait été obligée de la respecter. Mais Obama avait à cœur d’éviter tout risque de confrontation militaire directe avec la Russie. Ainsi la Russie a pu installer des missiles antiaériens et les États-Unis ont dû partager le contrôle des airs syriens avec la Russie. On pourrait presque dire qu’en abattant un avion de chasse russe, le président turc Recep Tayyip Erdogan a fait une fleur à Obama. Poutine a dû admettre que son aventure militaire s’était heurtée à une sérieuse opposition et il semble maintenant prêt pour une solution politique. C’est prometteur.

Il y a aussi l’ÉI et les attaques terroristes qui menacent d’ébranler les valeurs et principes de notre civilisation. Les terroristes veulent convaincre la jeunesse musulmane qu’il n’existe pas d’alternative au terrorisme, et si nous écoutons des gens comme Donald Trump, ils vont parvenir à leurs fins.

Schmitz : Je ne peux m’empêcher de vous poser la question. Connaissez-vous Donald Trump ?

Soros : Cela remonte à pas mal d’années, Donald Trump voulait que je sois le locataire principal d’un de ses premiers immeubles. Il m’a dit : « Je vous veux dans l’immeuble. Donnez-moi votre prix. » Ma réponse fut : « J’ai bien peur que ce soit au-dessus de mes moyens. » Et j’ai décliné son offre.

Source : The New York Review of Books, le 11/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lue-est-au-bord-de-leffondrement-interview-de-george-soros/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Attentats)

Wednesday 10 February 2016 at 01:40

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Daniel Gerino (1/2): BCE: Un quantitative easing supplémentaire sera-t-il bénéfique ? – 08/02

Olivier Delamarche VS Daniel Gerino (2/2): Quantitative easing américain: Quels impacts ? – 08/02

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Phillipe Lesueur (1/2): Quid du recul des marchés financiers ? – 03/02

Philippe Béchade VS Phillipe Lesueur (2/2): Décryptage des premières publications d’entreprise du CAC 40 – 03/02

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (1/2): Quels sont les facteurs de la nouvelle vague de baisse des marchés financiers ? – 09/02

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (2/2): En quoi le ralentissement de la croissance économique américaine est-il inquiétant ? – 09/02

III. Attentats

Attentats du 13 novembre: Sonia, celle qui a permis de neutraliser Abaaoud


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-attentats/


Chris Hedges et Sheldon Wolin à propos du totalitarisme inversé comme menace pour la démocratie

Tuesday 9 February 2016 at 05:14

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Sheldon Wolin

Ici Yves [Smith]. Nous vous présentons ce que nous considérons comme des passages remarquables d’une série importante de vidéos de Real News Network. Une discussion approfondie entre Chris Hedges et Sheldon Wolin sur le capitalisme et la démocratie. Aujourd’hui nous nous intéressons à ce que Wolin appelle le « totalitarisme inversé, » ou comment les grandes entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour garder le grand public en esclavage. Wolin traite de la façon dont la propagande et la suppression de l’esprit critique servent à promouvoir une idéologie pro-croissance, pro-entreprises, qui juge la démocratie superflue et potentiellement un obstacle à ce qu’ils considèrent être le progrès. Ils discutent aussi de la façon dont l’Amérique est gouvernée par deux partis en faveur des sociétés et comment le candidat du non, « populaire » comme dans populiste, est piétiné lourdement.

Chris Hedges

Chris Hedges, journaliste lauréat du prix Pulitzer : Bienvenue pour la quatrième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin, qui a enseigné la politique de nombreuses années à Berkeley et ensuite à Princeton. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages fondamentaux sur la philosophie politique, dont Politics and Vision et Democracy Incorporated.

J’ai voulu simplement parcourir vos deux livres, Politics and Vision et Democracy Incorporated, et j’ai pris des notes sur les caractéristiques de ce que vous appelez le totalitarisme inversé, que vous utilisez pour décrire le système politique sous lequel nous vivons actuellement. Vous avez déclaré que ce n’était qu’en partie un phénomène centré sur l’État. Que voulez-vous dire par là ?

Sheldon Wolin, professeur émérite en sciences politiques à Princeton : Eh bien ce que je veux dire par cela, c’est que l’une des caractéristiques frappantes de notre ère est que l’on peut constater à quel point ce qu’on appelle les institutions privées, les médias par exemple, sont capables de travailler pour tendre vers le même objectif de contrôle, d’apaisement, que ce qui intéresse le gouvernement, que l’idée d’une opposition sincère est généralement considérée comme subversive, et donc que la critique est maintenant une catégorie que nous devrions vraiment regarder et examiner, et voir si elle équivaut réellement à un peu plus qu’un léger reproche au mieux, et, au pire, à une manière de fournir une sorte de confirmation au présent système en montrant son ouverture d’esprit à l’autocritique.

Hedges : Et vous avez dit qu’il y a une sorte de fusion aujourd’hui, et vous parlez beaucoup des dynamiques internes des entreprises elles-mêmes, de la façon dont elles sont complètement hiérarchiques, même dans quelle mesure ceux qui sont à l’intérieur de ces structures institutionnelles sont poussés à s’identifier à une entreprise sur un plan presque personnel. Je parle en tant qu’ancien journaliste au New York Times, même nous, nous recevions des notes à propos de la famille du New York Times, ce qui est évidemment ridicule. Et vous parlez de la manière dont cet ensemble de valeurs ou cette structure du pouvoir, associé à ce type de propagande, vient tout juste d’être transféré à l’État, que l’État fonctionne désormais exactement de la même façon, de la même façon hiérarchisée, qu’il utilise les mêmes formes de propagande pour que le peuple abandonne d’un coup ses droits politiques mais s’identifie aussi à travers le nationalisme, le patriotisme et la convoitise de la superpuissance elle-même, que nous voyons maintenant dans tout le paysage politique.

Wolin : Oui. Non, je pense que c’est un élément très fort, en fait un élément décisif de notre situation actuelle. Il y a une sorte de conjoncture entre la manière dont les institutions sociales et éducatives ont façonné une certaines forme de mentalité parmi les étudiants, à l’intérieur de l’université, et ainsi de suite, et les médias eux-mêmes qui marchent mécaniquement du même pas dans la direction exigée par l’ordre politico-économique que nous avons actuellement, et le fait que la question fondamentale, je pense, était que nous avons vu ce même genre d’absorption de la politique et de l’ordre politique dans tellement de domaines apolitiques, économie, sociologie, religion même, que nous avons en quelque sorte perdu, il me semble, tout le caractère unique des institutions politiques, qui est qu’elles sont supposées incarner les espoirs substantiels des gens ordinaires, en termes du type de présent et d’avenir qu’ils souhaitent. Et c’est ce dont est censée s’occuper la démocratie.

Mais à la place nous l’avons maintenant subordonnée aux soi-disant demandes de la croissance économique, les soi-disant demandes d’une classe économique qui est chez elle avec les avancées scientifiques et technologiques qui sont appliquées par l’industrie, ce qui conduit l’élément politique du groupe dirigeant à être maintenant façonné et, en grande partie je pense, incorporé dans une idéologie fondamentalement apolitique, ou politique d’une manière antipolitique. Ce que je veux dire par là : c’est une combinaison de forces qui veulent vraiment exploiter la politique sans rechercher ni à la renforcer, ni à la réformer dans une forme significative, ni à la régénérer. Elle voit la structure politique comme une opportunité. Et plus elle sera perméable, mieux ce sera, parce que les groupes dominants ont aujourd’hui tellement d’instruments sous leur contrôle pour réaliser cette exploitation, la radio, la télévision, la presse papier, et autres, que c’est le meilleur des mondes pour eux.

Hedges : De fait, vous citez Nietzsche, en disant le degré de prescience de Nietzsche. Je crois que vous avez dit qu’il était meilleur prophète que Marx, je crois, si je me souviens bien, dans Politics and Vision, mais dans la façon dont Nietzsche a compris la désintégration de la démocratie libérale et de la classe libérale, et également compris la montée du fondamentalisme religieux en plein âge de la laïcité et la dangerosité de ce phénomène.

Wolin : Oui. Je pense que – de toute évidence, je pense que c’est vrai en ce qui le concerne, et je pense qu’il a été très perspicace en la matière. Il n’était pas, bien sûr, favorable à une telle évolution, mais il n’était pas non plus un partisan banal des élites historiques ou même des élites contemporaines, qu’elles fussent capitalistes ou nationalistes, comme c’était le cas en Allemagne.

Nietzsche essayait véritablement de faire émerger une notion de la valeur, de la valeur intrinsèque, de la vie politique. Et il y est parvenu, quoiqu’elle ne fût intelligible à ses yeux qu’en termes d’une sorte de dichotomie séparant l’élite de la masse. Et cela a été, je pense, l’échec de Nietzsche, parce qu’il a perçu tant sur les tendances au sein de notre société et de notre culture qui nous menaient à la ruine en tant que démocratie et qui devaient être corrigées, mais corrigées dans le but de promouvoir la démocratie ; Nietzsche, en revanche, tentait d’en faire des vecteurs de célébration ou d’encouragement de nouvelles élites. Et il ne pouvait tout simplement pas concevoir de société valable dans laquelle les élites n’auraient pas reçu le rôle premier et dirigeant. Il ne pouvait tout simplement pas le concevoir. Il restait dans la notion hégélienne du XIXe siècle, selon laquelle les masses sont ignorantes, intolérantes, réactionnaires, et ainsi de suite. A l’instar de tant d’excellents auteurs du XIXe siècle, il ne savait tout simplement pas quoi faire du « peuple, » entre guillemets.

Hedges : Marx inclus.

Wolin : Non, non, tout à fait. Ils ont soit tenté de neutraliser le peuple, soit de l’enrôler, mais jamais ils n’ont vraiment essayé de le comprendre.

Je pense que le meilleur – le meilleur courant politique, je pense, qui ait vraiment essayé de le comprendre a été, assez étrangement, le courant progressiste américain, qui était très enraciné dans l’histoire américaine, dans les institutions américaines ; mais il a vu assez clairement les dangers dans lesquels il se précipitait et la nécessité pour les éviter, de réformes politiques en profondeur, par des moyens démocratiques, non élitistes, et qui par-dessus tout exigeaient de l’Amérique qu’elle réfléchisse très sérieusement à son rôle dans les relations internationales, parce qu’il a vu qu’il y avait là un piège, tout comme un rôle agressif et dominant dans les relations économiques était un piège parce que ce qu’il exigeait, ce qu’il exigeait de la population en termes de façon de penser, d’éducation, de culture, et de ce qu’il exigeait en termes d’élites à même de diriger cette sorte d’éducation.

Et je pense que c’est pour cette raison que c’était un pessimiste au sens littéral sur ce qui pouvait advenir, et il n’avait rien vers quoi se tourner. Il n’avait pas grande confiance dans le peuple, et il en était venu à se méfier des élites. Je pense qu’en fin de compte il a adopté le point de vue selon lequel les élites devraient se replier et préserver la culture, la préserver dans ses manifestations les plus variées : la littérature, la philosophie, la poésie, et ainsi de suite.

Hedges : Mais il avait certainement compris ce qui était arrivé lorsque l’État s’est séparé de l’autorité religieuse -

Wolin : Oh, que oui.

Hedges : – que l’on verrait la montée de mouvements religieux s’opposer violemment à l’État laïque, primo ; et secundo que l’on assisterait à un effort effréné de l’État pour se faire sacraliser.

Wolin : Oui. Oui, ça c’est vrai. Il a essayé de le faire. Il l’a fait plutôt – beaucoup moins aux Etats-Unis, mais certainement il l’a fait en Allemagne, et à un certain degré en Italie, mais pas complètement.

Oui, je crois jusqu’à un certain point que le problème auquel s’est heurté Nietzsche est une exagération d’une position qui supposait une sorte de religiosité soutenue de la part des gens ordinaires dont je pense qu’elle n’est tout simplement pas vraie. Je ne veux pas dire qu’ils sont devenus sceptiques ou agnostiques ou quoi que ce soit d’autre de ce genre, mais je pense effectivement qu’il y a eu un relâchement et une diminution des engagements religieux et une sorte de marginalisation des groupes mystiques et -

Hedges : Faites-vous référence à la fin de la monarchie ?

Wolin : Non, la fin, vraiment, du rôle significatif de la religion dans la constitution de l’État moderne.

Hedges : Laquelle fin aurait été celle de la monarchie, n’est-ce pas ?

Wolin : C’aurait été la fin de la monarchie, sauf que celle-ci aurait gardé une sorte de rôle symbolique. Oui, elle aurait signifié la fin de la monarchie. Je pense que la monarchie demandera probablement toujours une sorte d’élément sacré. Certainement, les vestiges qu’il en reste dans des pays comme l’Espagne et la Grèce le montrent. Mais, non, la fin du rôle de la religion a sapé la monarchie. Il n’y a pas de discussion là-dessus. La plupart des évolutions contemporaines l’ont déstabilisée, et les rois ont principalement été des objets d’exhibition et guère plus.

Hedges : Vous dites également que le totalitarisme inversé est non seulement un signe de la démobilisation des citoyens, mais également qu’il ne s’exprime jamais en tant que concept idéologique, ou en tant qu’objet de débat public. Qu’entendez-vous par là ?

Wolin : Eh bien, ce que je veux dire, c’est qu’il n’a pas été cristallisé uniquement dans ces deux mots, qu’il est tout un processus opérationnel. Son fonctionnement est une combinaison d’éléments dont l’intrication et la cohérence n’ont jamais été proprement appréhendées ni débattues publiquement de manière durable. Et je pense que cela lui confère une sorte de qualité insidieuse, qui devient de plus en plus importante à mesure que les besoins d’une économie et d’un système éducatif modernes se manifestent, mais il n’a jamais suscité le genre de crise qui conduirait à une remise en question radicale. Il y a eu des critiques, il y a eu des récriminations et ainsi de suite, mais l’opposition ne s’est jamais concentrée sur cette cible de manière à présenter une véritable menace.

Hedges : Parce qu’il n’est jamais nommé explicitement.

Wolin : Il n’est jamais nommé.

Hedges : Il ne se présente jamais sous son nom.

Wolin : Non, non. Vous ne pouvez pas vous servir de ce nom. Je veux dire, c’est simple. Vous ne pouvez pas utiliser le terme capitalisme pour jeter l’opprobre sur lui.

Hedges : Vous avez déclaré que le totalitarisme inversé est alimenté par ceux qui détiennent le pouvoir ainsi que par les citoyens qui semblent tous bien souvent ignorants des conséquences en profondeur de leur action ou de leur inaction. Ce qui m’intéresse dans cette affirmation, c’est que vous dites que même ceux qui détiennent le pouvoir ne savent pas ce qu’ils font.

Wolin : Effectivement, je ne pense pas qu’ils le sachent. Je pense que c’est plus – je pense que cela se voit non seulement chez les membres du gouvernement, ceux que l’on appelle les conservateurs, mais également chez les libéraux. Et je pense que la cause n’est pas à chercher très loin. Les exigences du processus de prise de décision contemporain, c’est-à-dire, avoir réellement à décider d’actes législatifs ou exécutifs dans une société aussi politiquement et économiquement compliquée que la nôtre, dans une société politiquement et économiquement aussi compliquée que peut l’être le monde, demande une réflexion difficile. Extrêmement difficile. Et tout le monde est pris par les exigences immédiates, et c’est compréhensible. C’est une sorte de jeu où l’on essaie de maintenir les choses en l’état, de maintenir le bateau à flot, mais où l’on ne cherche pas sérieusement à changer de cap, sauf peut-être de manière rhétorique.

Je pense que les exigences du monde sont maintenant telles, et si dangereuses, avec toutes ces sortes d’armes et de moyens à la disposition de n’importe quel cinglé dans le monde, qu’il est extrêmement difficile pour un gouvernement de se détendre un moment pour penser à l’ordre social et au bien-être des citoyens d’une façon qui soit séparée des problèmes en puissance de sécurité de la société.

Hedges : Nous avons montré plus tôt comment, puisque des forces privées ont essentiellement pris le contrôle des systèmes non seulement médiatiques mais aussi éducatifs, elles ont effectivement détruit la capacité d’esprit critique à l’intérieur de ces institutions. Et ce qu’elles ont fait c’est éduquer une génération, probablement deux maintenant, de gestionnaires de systèmes, des gens dont l’expertise technique vise à garder le système tel qu’il a été construit, viable et à flot, pour que lorsqu’il y a une – en 2008, la crise financière mondiale, ils pillent immédiatement le Trésor américain pour réinsuffler vie au système grâce à un montant ahurissant de 17 000 milliards de dollars. Et quelles sont les conséquences ? Nous avons expliqué plus tôt comment même ceux au pouvoir ne comprennent pas souvent où ils vont. Quelles sont les conséquences aujourd’hui de ce manque de capacité à critiquer le système ou même à le comprendre ? Quelles sont les conséquences environnementales, économiques, démocratiques même, de nourrir et soutenir ce système de capitalisme institutionnel ou totalitarisme inversé ?

Wolin : Je pense que la seule question serait de quel intervalle de temps vous parlez. L’érosion de ces institutions que vous mentionnez est pour moi si continue que cela ne prendra pas longtemps avant que leur substance soit complètement vidée, et tout ce qu’il vous restera ce sont des organismes qui ne joueront plus le rôle qui était prévu, que ce soit le rôle de légiférer de façon indépendante, ou la critique ou la réactivité face à un électorat, donc je pense que les conséquences sont déjà avec nous.

Et bien sûr le décrochage des électeurs n’est qu’une indication, mais le niveau du débat public en est certainement une autre, et je vois cela comme un processus qui trouve maintenant de moins en moins de voix dissidentes et qui a une plateforme et un mécanisme concrets pour toucher le peuple. Ce n’est pas qu’il n’y ait personne qui ne soit pas d’accord, mais ont-ils des moyens de communiquer, de discuter de leurs points de désaccords et de ce qu’il peut être dit à propos de la situation contemporaine qui doit être traitée ? Le problème à l’heure actuelle, je pense, est que les instruments de relance sont dans un état de délabrement avancé. Et je ne vois aucune perspective immédiate, parce que -

Hedges : Vous voulez dire venant de l’intérieur du système lui-même.

Wolin : Venant de l’intérieur. Vous savez, il y a des années, disons au XIXe siècle, il n’était pas courant qu’un nouveau parti politique se forme et ait sinon un effet dominant, une certaine influence sur les affaires, comme l’a fait le Parti progressif. Aujourd’hui, ce serait aussi impossible que le plan le plus farfelu auquel vous puissiez penser. Les partis politiques sont tellement chers que je n’ai pas besoin de vous détailler les difficultés que rencontrerait quiconque voudrait essayer d’en organiser un.

Le bel exemple que nous avons aujourd’hui, j’y pense à l’instant, il a de nombreuses répercussions, est le rachat par les frères Koch du Parti républicain. Ils l’ont littéralement acheté. Littéralement. Ils avaient un montant spécifique qu’ils ont payé, et maintenant c’est à eux. Il n’y a jamais rien eu de semblable dans l’histoire des États-Unis. Evidemment, des intérêts économiques puissants influencent les partis politiques, en particulier les Républicains, mais ce genre de prise de contrôle grossière dans laquelle le parti tombe dans la poche de deux individus est sans précédent. Cela signifie que c’est sérieux. Cela veut dire qu’entre autres, il n’y a plus de parti viable d’opposition. Et même si beaucoup d’entre nous ne sont pas d’accord avec les républicains, il y a quand même une grande place pour le désaccord. Aujourd’hui il semble que tout cela soit fini. C’est maintenant devenu le véhicule particulier de deux personnes. Dieu seul sait ce qu’ils en feront, mais je ne me fais pas d’illusion si vous pensez que des résultats constructifs vont suivre.

Hedges : Et bien, est-ce que Clinton ne vient pas de changer le Parti démocrate en Parti républicain et forcer le Parti républicain à devenir fou ?

Wolin : Oui, c’est vrai. Le Parti démocrate fait aussi fausse route, à commencer par l’administration Clinton.

Mais j’ai toujours l’espoir, peut-être est-ce plus un espoir qu’un fait, j’ai toujours l’espoir que le Parti démocrate soit suffisamment disparate et désordonné pour que des dissidents aient la possibilité de faire entendre leur voix.

Cela ne durera peut être pas longtemps : pour rivaliser avec les Républicains, les Démocrates seront tentés de les imiter. Et cela signifie moins de démocratie interne, et plus de dépendance au financement d’entreprises.

Hedges : Ne serait-il pas juste de dire qu’après la nomination de George McGovern, le Parti démocrate a créé des mécanismes institutionnels pour qu’aucun candidat populaire ne soit plus jamais nominé à nouveau ?

Wolin : Oh, je pense que c’est vrai. L’épisode McGovern a été un cauchemar pour le parti, pour les responsables du parti. Et je suis sûr qu’ils ont fait le serment que plus jamais quelque chose comme cela ne puisse se reproduire. Et bien sûr, cela n’a jamais été le cas. Cela signifie aussi qu’avec, on a perdu avec l’unique chose qu’avait faite McGovern : raviver l’intérêt populaire pour le gouvernement. Par conséquent, les Démocrates n’ont pas seulement tué McGovern, ils ont tué ce pour quoi il s’est battu, ce qui était plus important.

Hedges : Et vous en avez vu une répercussion en 2000 lorsque Ralph Nader s’est présenté et a suscité le même genre d’enthousiasme de la base populaire.

Wolin : Oui, il en bénéficiait.

Hedges : Et comme si c’était l’establishment démocrate, durant la campagne présidentielle les Démocrates pro-Connolly se sont mis d’accord avec le Parti républicain pour détruire, en substance, leur propre candidat, vous avez vu que c’est le Parti démocrate qui a détruit la viabilité de Nader.

Wolin : Oui, c’est tout à fait vrai. Ce n’est pas surprenant parce que, je l’ai dit de nombreuses fois, les Démocrates jouent le même jeu que les Républicains et ont une nuance et un bagage historique qui les poussent à être un petit peu plus à gauche. Mais il me semble que les conditions actuelles dans lesquelles les partis politiques doivent manœuvrer, des conditions qui impliquent de grosses sommes d’argent, dont l’enjeu est colossal du fait du caractère de l’économie américaine d’aujourd’hui, qui doit être traitée soigneusement et avec prudence, et étant donné le rôle déclinant des États-Unis dans le monde des affaires, je pense qu’il y a toutes les raisons de croire que l’attitude prudente du Parti démocrate est emblématique d’un nouveau genre de politique où la marge de manœuvre et la place pour définir différentes positions significatives se réduisent beaucoup, vraiment beaucoup.

Merci beaucoup. Restez à l’écoute, bientôt la cinquième partie de notre interview avec le professeur Sheldon Wolin.

Source : Naked Capitalism, le 29/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/chris-hedges-et-sheldon-wolin-a-propos-du-totalitarisme-inverse-comme-menace-pour-la-democratie/


Le totalitarisme inversé, par Sheldon Wolin

Tuesday 9 February 2016 at 05:14

Source : Sheldon Wolin, The Nation, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

La guerre d’Irak a tellement accaparé l’attention du public que le changement de régime en train de s’accomplir chez nous est resté dans l’ombre. On a peut-être envahi l’Irak pour y apporter la démocratie et renverser un régime totalitaire, mais, ce faisant, notre propre système est peut-être en train de se rapprocher de ce dernier et de contribuer à affaiblir le premier. Le changement s’est fait connaître par la soudaine popularité de deux expressions politiques autrefois très rarement appliquées au système politique américain. « Empire » et « superpuissance » suggèrent tous les deux qu’un nouveau système de pouvoir, intense et s’étendant au loin, a pris naissance et que les anciens termes ont été supplantés. « Empire » et « superpuissance » symbolisent précisément la projection de la puissance américaine à l’étranger, mais, pour cette raison, ces deux termes en obscurcissent les conséquences domestiques.

Imaginez comme cela paraîtrait étrange de devoir parler de “la Constitution de l’Empire américain” ou de “démocratie de superpuissance”. Des termes qui sonnent faux parce que “Constitution” signifie limitations imposées au pouvoir, tandis que “démocratie” s’applique à la participation active des citoyens à leur gouvernement et à l’attention que le gouvernement porte à ses citoyens. Les mots “empire” et “superpuissance” quant à eux sont synonymes de dépassement des limites et de réduction de la citoyenneté à une importance minuscule.

Le pouvoir croissant de l’état et celui, déclinant, des institutions censées le contrôler était en gestation depuis quelque temps. Le système des partis en donne un exemple notoire. Les Républicains se sont imposés comme le phénomène unique dans l’Histoire des États-Unis d’un parti ardemment dogmatique, fanatique, impitoyable, antidémocratique et se targuant d’incarner la quasi-majorité. A mesure que les Républicains se sont faits de plus en plus intolérants idéologiquement parlant, les Démocrates ont abandonné le terrain de la gauche et leur base électorale réformiste pour se jeter dans le centrisme et faire discrètement connaître la fin de l’idéologie par une note en bas de page. En cessant de constituer un véritable parti d’opposition, les Démocrates ont aplani le terrain pour l’accès au pouvoir d’un parti plus qu’impatient de l’utiliser pour promouvoir l’empire à l’étranger et le pouvoir du milieu des affaires chez nous. Gardons à l’esprit qu’un parti impitoyable, guidé par une idéologie et possédant une base électorale massive fut un élément-clé dans tout ce que le vingtième siècle a pu connaître de partis aspirant au pouvoir absolu.

Les institutions représentatives ne représentent plus les électeurs. Au contraire, elles ont été court-circuitées, progressivement perverties par un système institutionnalisé de corruption qui les rend réceptives aux exigences de groupes d’intérêt puissants composés de sociétés multinationales et des Américains les plus riches. Les institutions judiciaires, quant à elles, lorsqu’elles ne fonctionnent pas encore totalement comme le bras armé des puissances privées, sont en permanence à genoux devant les exigences de la sécurité nationale. Les élections sont devenues des non-évènements largement subventionnés, attirant au mieux une petite moitié du corps électoral, dont l’information sur les affaires nationales et mondiales est soigneusement filtrée par les médias appartenant aux firmes privées. Les citoyens sont plongés dans un état de nervosité permanente par le discours médiatique sur la criminalité galopante et les réseaux terroristes, par les menaces à peine voilées du ministre de la justice, et par leur propre peur du chômage. Le point essentiel n’est pas seulement l’expansion du pouvoir du gouvernement, mais également l’inévitable discrédit jeté sur les limitations constitutionnelles et les processus institutionnels, discrédit qui décourage le corps des citoyens et les laisse dans un état d’apathie politique.

Il ne fait aucun doute que d’aucuns rejetteront ces commentaires, les qualifiant d’alarmistes, mais je voudrais pousser plus loin et nommer le système politique qui émerge sous nos yeux de “totalitarisme inversé”. Par “inversé”, j’entends que si le système actuel et ses exécutants partagent avec le nazisme la même aspiration au pouvoir illimité et à l’expansionnisme agressif, leurs méthodes et leurs actes sont en miroir les uns des autres. Ainsi, dans la République de Weimar, avant que les nazis ne parviennent au pouvoir, les rues étaient sous la domination de bandes de voyous aux orientations politiques totalitaires, et ce qui pouvait subsister de démocratie était cantonné au gouvernement. Aux États-Unis, c’est dans les rues que la démocratie est la plus vivace – tandis que le véritable danger réside dans un gouvernement de moins en moins bridé.

Autre exemple de l’inversion : sous le régime nazi, il ne faisait aucun doute que le monde des affaires était sous la coupe du régime. Aux États-Unis, au contraire, il est devenu évident au fil des dernières décennies que le pouvoir des grandes firmes est devenu si dominant dans la classe politique, et plus particulièrement au sein du parti Républicain, et si dominant dans l’influence qu’il exerce sur le politique, que l’on peut évoquer une inversion des rôles, un contraire exact de ce qu’ils étaient chez les nazis. Dans le même temps, c’est le pouvoir des entreprises, en tant que représentatif du capitalisme et de son pouvoir sans cesse en expansion grâce à l’intégration de la science et de la technologie dans sa structure même, qui produit cette poussée totalitaire qui, sous les nazis, était alimentée par des notions idéologiques telles que le Lebensraum.

On rétorquera qu’il n’y a pas d’équivalent chez nous de ce que le régime nazi a pu instaurer en termes de torture, de camps de concentration et autres outils de terreur. Il nous faudrait toutefois nous rappeler que, pour l’essentiel, la terreur nazie ne s’appliquait pas à la population de façon générale ; il s’agissait plutôt d’instaurer un climat de terreur sourde – des rumeurs de torture – propre à faciliter la gestion et la manipulation des masses. Pour le dire carrément, il s’agissait pour les nazis d’avoir une société mobilisée, enthousiaste dans son soutien à un état sans fin de guerre, d’expansion et de sacrifices pour la nation.

Tandis que le totalitarisme nazi travaillait à doter les masses d’un sens du pouvoir et d’une force collectifs, Kraft durch Freude (“la Force par la Joie”), le totalitarisme inversé met en avant un sentiment de faiblesse, d’une inutilité collective. Alors que les nazis désiraient une société mobilisée en permanence, qui ne se contenterait pas de s’abstenir de toute plainte, mais voterait “oui” avec enthousiasme lors des plébiscites récurrents, le totalitarisme inversé veut une société politiquement démobilisée, qui ne voterait quasiment plus du tout. Rappelez-vous les mots du président juste après les horribles évènements du 11 septembre : “unissez-vous, consommez, et prenez l’avion”, dit-il aux citoyens angoissés. Ayant assimilé le terrorisme à une “guerre”, il s’est dispensé de faire ce que des chefs d’États démocratiques ont coutume de faire en temps de guerre : mobiliser la population, la prévenir des sacrifices qui l’attendent, et appeler tous les citoyens à se joindre à “l’effort de guerre”.

Au contraire, le totalitarisme inversé a ses propres moyens d’instaurer un climat de peur générale ; non seulement par des “alertes” soudaines, et des annonces récurrentes à propos de cellules terroristes découvertes, de l’arrestation de personnages de l’ombre, ou bien par le traitement extrêmement musclé, et largement diffusé, des étrangers, ou de l’île du Diable que constitue la base de Guantanamo Bay, ou bien encore de la fascination vis-à-vis des méthodes d’interrogatoire qui emploient la torture ou s’en approchent, mais également et surtout par une atmosphère de peur, encouragée par une économie corporative faite de nivelage, de retrait ou de réduction sans pitié des prestations sociales ou médicales ; un système corporatif qui, sans relâche, menace de privatiser la Sécurité Sociale et les modestes aides médicales existantes, plus particulièrement pour les pauvres. Avec de tels moyens pour instaurer l’incertitude et la dépendance, il en devient presque superflu pour le totalitarisme inversé d’user d’un système judiciaire hyper-punitif, s’appuyant sur la peine de mort et constamment en défaveur des plus pauvres.

Ainsi les éléments se mettent en place : un corps législatif affaibli, un système judiciaire à la fois docile et répressif, un système de partis dans lequel l’un d’eux, qu’il soit majoritaire ou dans l’opposition, se met en quatre pour reconduire le système existant de façon à favoriser perpétuellement la classe dirigeante des riches, des hommes de réseaux et des corporations, et à laisser les plus pauvres des citoyens dans un sentiment d’impuissance et de désespérance politique, et, dans le même temps, de laisser les classes moyennes osciller entre la peur du chômage et le miroitement de revenus fantastiques une fois que l’économie se sera rétablie. Ce schéma directeur est appuyé par des médias toujours plus flagorneurs et toujours plus concentrés ; par l’imbrication des universités avec leurs partenaires privés ; par une machine de propagande institutionnalisée dans des think tanks subventionnés en abondance et par des fondations conservatrices ; par la collaboration toujours plus étroite entre la police locale et les agences de renseignement destinées à identifier les terroristes, les étrangers suspects et les dissidents internes.

Ce qui est en jeu, alors, n’est rien de moins que la transformation d’une société raisonnablement libre en une variante des régimes extrémistes du siècle dernier. Dans de telles circonstances, les élections nationales de 2004 constituent une crise au sens premier du terme, un tournant. La question est : dans quel sens ?

Source : Sheldon Wolin, The Nation, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-totalitarisme-inverse-par-sheldon-wolin/


L’intervention des É-U en Libye a fait un tel carton qu’un nouvel épisode est en préparation par Glenn Greenwald

Tuesday 9 February 2016 at 00:01

Source : The Intercept_, le 27/01/2016

Le Président français Nicolas Sarkozy, à gauche, le chef du CNT libyen Mustafa Abdul-Jalil, au centre, et le Premier ministre britannique David Cameron, à droite, posant lors de leur visite à Benghazi, en Libye, le 15 septembre 2011. Photo: Philippe Wojazer/AP

Glenn Greenwald

Le 27 janvier 2016

Au lendemain des bombardements de l’OTAN sur la Libye, l’heure était à la jubilation. De la même manière que les partisans de la guerre d’Irak ont mis en avant la capture et la mort de Saddam Hussein comme preuve du succès de leur guerre, les partisans de la guerre en Libye se sont justifiés en mettant en avant la capture et la mort brutale de Mouammar Kadhafi. Les défenseurs de la guerre tels que Anne-Marie Slaughter et Nicholas Kristof écrivaient des éditoriaux glorifiant leur prescience et se moquant des opposants à la guerre, discrédités selon eux, et le New York Times a publié un article en première page déclarant : « La tactique américaine en Libye pourrait être un modèle pour d’autres opérations. » De l’avis général, Hillary Clinton, l’une des grands défenseurs et architectes de la campagne de bombardements, serait alors vue comme une visionnaire en matière de politique étrangère pour ce grand succès libyen : « Nous sommes venus, nous avons vu, il mourut, » se vanta une Clinton aux allures de sociopathe à propos du viol et du meurtre collectifs de Kadhafi en s’esclaffant lors de l’émission 60 Minutes.

Pourquoi les sceptiques sur la question libyenne avaient tort sur toute la ligne

Depuis, la Libye – c’était tellement prévisible – s’est à peu près complètement effondrée, se noyant depuis des années dans l’instabilité, l’anarchie, le règne des milices fragmentées, les conflits sectaires et l’extrémisme violent. L’exécution de Saddam Hussein ne pouvait pas justifier cette guerre et n’était pas non plus le signe d’une amélioration de la vie des Irakiens, et il en est de même pour le meurtre collectif de Kadhafi. Ainsi que je l’ai écrit le lendemain de la fuite de Kadhafi de Tripoli et alors que les fidèles du parti Démocrate célébraient leur victoire en dansant : « Je suis sincèrement abasourdi de l’empressement à regarder ce qui a eu lieu en Libye comme une sorte de grand triomphe, même si virtuellement aucune information nécessaire à cette évaluation ne soit encore connue, y compris combien de civils sont morts, combien de flots de sang y seront encore versés, quels seront les moyens nécessaires pour stabiliser ce pays, et, par-dessus tout, quel  type de régime remplacera Kadhafi ? [...] Quand des pouvoirs étrangers utilisent la force militaire pour déposer un régime dictatorial qui a régné pendant des décennies, toutes sortes de chaos, de violence, d’instabilité et de souffrance – et une multitude de conséquences imprévisibles – sont inévitables. »

Mais la question la plus importante était de savoir quand (non pas si, mais quand) l’instabilité et l’extrémisme qui, de manière tout à fait prévisible, avaient suivi les bombardements de l’OTAN, seraient utilisés pour justifier une nouvelle guerre menée par les États-Unis – exactement comme cela s’est produit en Irak. En 2012, je posais la question de cette manière :

Combien de temps avant que l’on entende qu’une intervention militaire en Libye est (de nouveau) nécessaire, ce coup-ci pour reprendre la main sur les extrémistes anti-américains qui sont maintenant armés et renforcés par la première intervention ? Les interventions militaires américaines sont particulièrement utiles pour s’assurer que d’autres interventions américaines seront toujours nécessaires.

Nous avons maintenant la réponse, elle vient du New York Times :

Inquiets de la menace grandissante de l’ÉI en Libye, les États-Unis et leurs alliés y ont augmenté les vols de reconnaissance et la collecte de renseignements et se préparent pour d’éventuels frappes aériennes et raids de commandos, ont déclaré cette semaine de hauts décisionnaires politiques et des hauts représentants des services de renseignement. [...] « On peut dire que nous envisageons des actions militaires contre l’ÉI en conjonction avec le processus politique » en Libye, [Commandant en chef de l'état-major interarmées, général Joseph] Dunford. « Le président a été formel : nous avons l’autorité pour utiliser la force militaire. »

Tout comme il n’y avait pas d’al-Qaïda ou d’ÉI pour attaquer l’Irak avant que les États-Unis bombardent son gouvernement, il n’y avait pas d’ÉI en Libye avant que l’OTAN la bombarde. Maintenant les États-Unis vont utiliser les conséquences de leurs propres bombardements pour justifier une toute nouvelle campagne de bombardements dans le même pays. La page de l’éditorial du New York Times, qui avait affiché son soutien aux bombardements initiaux de la Libye, qualifiait hier ce projet de nouvelle campagne de bombardements de “profondément inquiétant” donnant comme explication : “Une nouvelle intervention militaire en Libye impliquerait la progression conséquente d’une guerre qui pourrait aisément se propager à d’autres pays du continent.” En particulier, « cette escalade conséquente est actuellement en préparation sans aucun débat digne de ce nom devant le Congrès ni sur les mérites ni sur les risques d’une campagne militaire dont on attend qu’elle comprenne des frappes aériennes et des raids effectués par des troupes d’élite américaines » (le premier bombardement de la Libye a eu lieu non seulement sans l’approbation du Congrès mais a été ordonné par Obama après le rejet par le Congrès d’une telle autorisation).

 

Les États-Unis et leurs alliés évaluent l’opportunité d’une action militaire contre l’ÉI en Libye

Ce devait être le modèle suprême de l’intervention humanitaire. Cela n’aura rapporté que d’infimes bénéfices sur le plan humanitaire tout en causant une immense souffrance humaine parce que – comme d’habitude – ceux qui exécutaient la guerre “humanitaire” (et la plupart de ceux qui l’applaudissaient) n’étaient intéressés que par la prolifération des glorieux bombardements et tueries mais se moquaient pas mal du véritable humanitarisme (comme l’a démontré leur quasi totale indifférence aux conséquences de leurs bombardements). Il en ressort qu’un des rares gains du bombardement de la Libye par l’OTAN va bénéficier aux perpétuels gagnants au sein de l’axe public-privé constituant la machine du militarisme sans fin : et ce sera d’avoir fourni un prétexte pour une nouvelle guerre.

Source : The Intercept_, le 27/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lintervention-des-e-u-en-libye-a-fait-un-tel-carton-quun-nouvel-episode-est-en-preparation-par-glenn-greenwald/


Le totalitarisme à front renversé : Une nouvelle façon de comprendre comment les États-Unis sont contrôlés, par Chalmers Johnson

Monday 8 February 2016 at 03:15

 

Un nouveau livre propose un diagnostic controversé, mais en fin de compte convaincant, sur la manière dont les É-U ont succombé à une tentation totalitaire inconsciente.

Source : Alternet, le 18/05/2008, par Chalmers Johnson / Truthdig

Critique du livre : Democracy Incorporated de Sheldon S. Wolin (Princeton University Press, 2008)

Ce n’est un secret pour personne que les États-Unis sont en grande difficulté. La guerre préventive déclenchée contre l’Irak il y a plus de cinq ans fut et reste une monumentale erreur – ce que la plupart des Américains n’admettent toujours pas. Au contraire, ils continuent de débattre sur une poursuite de la guerre vers la « victoire », alors même que nos propres généraux disent qu’une victoire militaire est inconcevable aujourd’hui. Notre économie a été vidée de sa substance par des dépenses militaires excessives, tandis que nos concurrents se sont consacrés à investir dans de nouvelles industries, lucratives et tournées vers les besoins de la société.

Notre système politique de pouvoirs et contre-pouvoirs a été virtuellement mis à bas par la corruption et le copinage latents à Washington, ainsi que par un président clamant depuis deux mandats à qui veut l’entendre « qu’il est le grand décideur », concept fondamentalement contraire à notre système constitutionnel. Nous avons permis que nos élections, l’institution incontournable par excellence dans une démocratie, soient avilies et détournées – à l’instar de l’élection présidentielle de 2002 en Floride – sans grande protestation de la part du public ou des gardiens autoproclamés du « Quatrième Pouvoir ». Nous pratiquons maintenant la torture de prisonniers sans défense, alors même que cela entache et démoralise nos forces armées et nos services de renseignement.

Le problème est qu’il y a trop de choses qui tournent mal en même temps pour que quiconque ait une compréhension globale du désastre qui nous touche, et, si c’est seulement possible, de ce qui peut être fait pour que notre pays retrouve un gouvernement plus constitutionnel et au moins un peu de démocratie. À l’heure actuelle, il y a des centaines de livres traitant de sujets précis de notre actualité – les guerres d’Irak et d’Afghanistan, le budget distendu et hors de contrôle de la « défense », la présidence impériale et son mépris des libertés civiques, la privatisation massive des fonctions gouvernementales traditionnelles, et un système politique où aucun leader n’ose seulement prononcer en public les mots « impérialisme » et « militarisme ».

Il existe cependant des tentatives d’analyses plus complexes sur la façon dont nous en sommes arrivés à cette lamentable situation. Il y a celle de Naomi Klein, La Stratégie du Choc : la Montée du Désastre Capitaliste, qui montre comment le pouvoir économique « privé » est aujourd’hui à quasi-parité avec la puissance politique légitime ; celle de John W. Dean, Gouvernement Déchu : comment le régime républicain a détruit les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, sur le détournement de nos défenses contre la tyrannie et la dictature ; celle d’Arianna Huffington, Le Juste est Faux : Comment une minorité folle a pris les États-Unis en otage, déchiqueté la Constitution, et nous a placés en état de grande insécurité, sur la manipulation politique par la peur et le rôle majeur joué par les médias. Enfin Naomi Wolf, La Fin de L’Amérique, Lettre d’avertissement à un jeune patriote, à propos des dix étapes qui mènent au fascisme et notre situation actuelle sur cette échelle. Mon propre livre, Némésis : Les derniers jours de la République américaine sur le militarisme comme inévitable auxiliaire de l’impérialisme se classe dans la même catégorie.

Nous disposons à présent d’un diagnostic exhaustif et à jour de nos échecs en tant que démocratie, rédigé par l’un de nos philosophes politiques les plus chevronnés et respectés. Pendant plus de deux générations, Sheldon Wolin a enseigné l’histoire et la philosophie politique, de Platon à nos jours, aux étudiants de Berkeley et Princeton (j’ai fait partie du lot : j’ai assisté à ses séminaires à la fin des années 50, ce qui a eu une influence déterminante sur mon approche de la science politique). Il est l’auteur d’ouvrages primés et désormais classiques tels que : Politique et Vision (1960, édition revue et augmentée en 2006), et Tocqueville entre deux mondes (2001), ainsi que de nombreux autres ouvrages.

Son dernier ouvrage, Démocratie S.A., la démocratie contrôlée et le spectre d’un totalitarisme à front renversé, est un brûlot contre la gestion actuelle du pouvoir aux États-Unis. Il évoque notamment les évènements des dernières années et donne des propositions pour éviter que notre système ne sombre dans les méandres de l’histoire en compagnie de ses prédécesseurs totalitaires : l’Italie fasciste, l’Allemagne nazie, et la Russie bolchévique. Le moment est bien tardif, et il est peu probable que le peuple américain se réveille et emprunte le chemin qui éviterait à notre nation de connaître son Crépuscule des Dieux. Toutefois, Wolin est celui qui analyse le mieux en quoi l’élection présidentielle de 2008 ne changera rien à notre destin. Ce livre démontre pourquoi la science politique, lorsqu’elle est appliquée correctement, reste la reine des sciences sociales.

L’ouvrage de Wolin est parfaitement abordable. Il n’y a nul besoin de connaissances pointues pour comprendre son argumentation, quoiqu’il soit recommandé de le lire par petits bouts, et de réfléchir sur son propos avant de poursuivre. Son analyse de la crise actuelle de l’Amérique s’appuie sur une perspective historique remontant à l’entente constitutionnelle de 1789, et jette un éclairage tout particulier sur le niveau de démocratie sociale atteint pendant la période du New Deal, ainsi que sur le mythe contemporain d’États-Unis qui se seraient dotés au cours de la Seconde Guerre mondiale d’une puissance inédite jusqu’alors à l’échelle mondiale.

Ce canevas historique brossé, Wolin introduit trois nouveaux concepts pour nous aider à appréhender ce que nous avons perdu en tant que nation. Son concept phare est celui de « totalitarisme à front renversé », renforcé par deux notions auxiliaires qui l’accompagnent et le mettent en valeur : celle de « démocratie contrôlée », et de « Superpuissance », cette dernière étant dotée d’une majuscule et systématiquement sans article. Le terme de Superpuissance peut prêter à confusion, jusqu’à ce que le lecteur soit familiarisé avec cette licence littéraire. L’auteur en use comme d’une entité indépendante, à l’image d’un Superman ou d’un Spiderman, et par essence incompatible avec la démocratie ou un gouvernement constitutionnel.

Selon Wolin, « notre thèse est la suivante : il est possible qu’une forme de totalitarisme, différent de la forme classique, émerge d’une présumée « démocratie solide », au lieu d’une « démocratie ratée ». Sa conception de la démocratie est classique, mais elle est également populaire, anti-élites, et très faiblement représentée dans la constitution des États-Unis. « La démocratie, écrit-il, est ce qui permet aux gens ordinaires d’améliorer leur vie en devenant des êtres politiques, et qui rend le pouvoir réactif à leurs aspirations et leurs besoins. » Elle dépend de l’existence d’un demos – « un corps civique politisé et doté de pouvoir, qui vote, délibère, et occupe toutes les charges de la fonction publique ». Wolin affirme que si les États-Unis ont pu se rapprocher, par moments, d’une démocratie authentique, c’est parce que les citoyens ont combattu et provisoirement vaincu l’élitisme inscrit dans la Constitution.

« Pas un travailleur, pas un commerçant, ni un fermier, pointe Wolin, n’a participé à l’écriture de la Constitution. » Il affirme ensuite : « Le système politique américain n’est pas été créé en tant que démocratie, mais au contraire avec un parti-pris antidémocratique. Il a été élaboré par des personnes sceptiques, voire hostiles envers la démocratie. La marche vers la démocratie fut lente, laborieuse, et éternellement incomplète. La république a connu trois quarts de siècle d’existence avant qu’il ne soit mis fin à l’esclavage ; il a fallu encore un siècle de plus avant que les Noirs américains ne puissent exercer pleinement leur droit de vote. Ce n’est qu’au vingtième siècle que les femmes ont obtenu le droit de vote, et les syndicats celui de mener des négociations collectives. »

« La victoire n’a été complète dans aucun de ces cas : les femmes ne disposent toujours pas d’une égalité pleine et entière, le racisme perdure, et la destruction du peu de syndicats restants est toujours un objectif stratégique du patronat. Bien loin de leur être inhérente, la démocratie aux États-Unis a au contraire lutté contre la nature, contre la méthode même par laquelle les puissances politiques et économiques de ce pays l’ont façonnée, et continuent de le faire. » Wolin n’a pas grand-mal à contenir son enthousiasme pour James Madison, le principal rédacteur de la constitution, et voit dans le New Deal la seule période de l’Histoire américaine où le demos a véritablement eu l’ascendant.

Pour synthétiser son argumentation complexe, depuis la Grande Dépression, les forces jumelées de la démocratie contrôlée et de Superpuissance ont pavé la voie pour quelque chose de nouveau : le « totalitarisme inversé », forme tout aussi totalitaire que son avatar classique, mais reposant sur la collusion interne, l’apparence de liberté, le désengagement politique au lieu de la mobilisation des masses, et comptant davantage sur les « médias privés » que sur des officines gouvernementales pour renforcer sa propagande sur la version officielle des évènements. Il est inversé dans le sens où il ne nécessite pas de coercition, de puissance policière ou d’idéologie messianique à l’instar des versions fasciste, nazie ou stalinienne (à noter toutefois que les États-Unis ont le plus fort taux de citoyens emprisonnés – 751 pour 100 000 habitants – de toute la planète). Selon Wolin, le totalitarisme inversé a vu le jour « de façon imperceptible, non préméditée, et avec les apparences d’une parfaite continuité avec la tradition politique du pays ».

Le génie de notre système totalitaire inversé est de « manier un pouvoir totalitaire sans le montrer, sans créer de camp de concentration, sans imposer d’idéologie uniformisante, et sans supprimer les éléments dissidents tant qu’ils restent inoffensifs. La régression du statut de “peuple souverain” à celui de “sujet impuissant” est le symptôme d’un changement de système, d’une démocratie qui est un moyen de “populariser” le pouvoir à celle qui n’est que la marque d’un produit que l’on vend chez nous et à l’étranger. Ce que ce nouveau système, le totalitarisme inversé, prétend être, est l’opposé de ce qu’il est réellement. Les États-Unis sont devenus l’exemple de la façon dont on gère une démocratie sans révéler qu’elle n’existe plus. »

Le totalitarisme inversé a émergé à la suite de plusieurs facteurs : la publicité et sa psychologie, la domination des « forces des marchés » dans des contextes qui leurs sont étrangers, une évolution technologique perpétuelle qui encourage des rêves de plus en plus élaborés (jeux vidéo, avatars virtuels, voyage dans l’espace), la pénétration dans chaque foyer des médias de masse et de la propagande, et enfin la collaboration totale des universités. Parmi les fables les plus répandues de notre société, les thèmes les plus récurrents sont ceux de l’individu héroïque, de la jeunesse éternelle, de la beauté rendue possible par la chirurgie, de l’action mesurée en nanosecondes, et une culture fantasmée de possibilités infinies dont les adeptes perdent le sens des réalités parce que la majorité d’entre eux a plus d’imagination que de culture scientifique. Les maîtres de ce monde sont les maîtres de l’image et de leur manipulation. Wolin nous rappelle que l’image d’Adolf Hitler décollant pour Nuremberg en 1934 au début du classique de Leni Riefenstahl “Le Triomphe de la Volonté” fut répétée le premier mai 2003 par un Georges Bush sortant d’un avion de chasse de la Navy sur le pont du USS Abraham Lincoln et proclamant « Mission accomplie » en Irak.

En comparant les campus du totalitarisme inversé qui « s’autopacifient » avec le bouillonnement intellectuel qui habite normalement les centres d’apprentissage, Wolin dit que « c’est par une combinaison de marchés publics, de financements privés d’entreprises ou de fondations, de partenariats entre chercheurs universitaires et industriels, et de riches mécènes que les universités (tout spécialement les soi-disant universités de recherche), les intellectuels, les érudits et les chercheurs ont été incorporés discrètement dans le système. Pas d’autodafé, pas d’Einstein en fuite. Pour la première fois de son histoire, le système éducatif supérieur américain rémunère grassement ses meilleurs professeurs, leur accordant des salaires et des avantages dont le premier PDG venu serait jaloux.

Les principaux secteurs qui promeuvent et soutiennent ce Shangri-La des temps modernes sont le patronat, chargé de gérer la démocratie, et le complexe militaro-industriel, qui s’occupe de Superpuissance. Les principaux objectifs de la démocratie contrôlée sont de maximiser les profits des grandes entreprises, de démanteler les institutions de la social-démocratie (la sécurité sociale, les syndicats, les allocations familiales, la santé publique, le logement public, etc.), et de revenir aux idéaux sociaux et politiques du New Deal. Son outil principal est la privatisation. La démocratie contrôlée a pour but « l’abdication sélective de la responsabilité du gouvernement envers le bien-être des citoyens » sous les prétextes d’augmentation de « l’efficacité » et de la diminution des coûts.

Wolin poursuit : « la privatisation des services publics est représentative de l’évolution régulière du pouvoir des entreprises vers un pouvoir politique, un partenaire à part entière, dominant même, de l’État. Elle marque la transformation du paysage politique américain et sa culture d’un système où les pratiques et les valeurs démocratiques étaient, sans être fondamentales, au moins des éléments majeurs à un système où les éléments démocratiques restants et les politiques populaires sont systématiquement démantelés. » Cette campagne a eu un grand succès. « La démocratie défiait le statu quo, aujourd’hui elle s’est adaptée au statu quo. »

Une autre tâche annexe de la démocratie contrôlée est de faire en sorte que les citoyens soient préoccupés par des considérations de la vie courante, périphériques ou privées, afin qu’ils ne puissent pas constater combien la corruption est répandue et la confiance du peuple trahie. Selon Wolin, « Le but des polémiques telles que la valeur de l’abstinence sexuelle, le rôle des organisations caritatives religieuses dans les activités financées par l’État, la question du mariage homosexuel, et autres, est de ne pas pouvoir être résolues. Leur fonction politique est de diviser les citoyens tout en masquant les différences de classes et en détournant l’attention des électeurs des problèmes économiques et sociaux qui concernent tout le monde. » On peut prendre comme exemples parlants d’une utilisation experte de tels incidents, qui ont divisé et enflammé le public, le cas de Terri Schiavo en 2005, où une femme en état de mort cérébrale était maintenue artificiellement en vie, et le cas en 2008 au Texas de ces femmes et enfants qui vivaient dans une communauté polygame soupçonnée de les abuser sexuellement.

Une autre tactique avancée de démocratie contrôlée est d’ennuyer l’électorat à tel point qu’il se désintéresse graduellement de la politique. Wolin perçoit qu’« une méthode de contrôle est de rendre les campagnes électorales continuelles, toute l’année, saturées par la propagande des partis, saupoudrée des morceaux de sagesse délivrés par les éditorialistes de garde, ce qui mène à un résultat plus ennuyeux que dynamisant, le genre de lassitude civique sur laquelle la démocratie contrôlée prospère. » L’exemple classique est sans doute la nomination des deux principaux partis politiques américains en 2007 et 2008, mais la « compétition » dynastique entre les familles Bush et Clinton entre 1988 et 2008 est tout aussi pertinente. Il faut remarquer qu’entre la moitié et les deux tiers des inscrits se sont abstenus dernièrement, ce qui rend la gestion de l’électorat actif bien plus simple. Wolin ajoute que « chaque citoyen apathique est un membre silencieux de la cause du totalitarisme inversé. » Il reste à voir si la candidature d’Obama pourra réveiller ces électeurs apathiques, mais je soupçonne que Wolin prédirait un barrage médiatique absolu qui annihilerait cette possibilité.

La démocratie contrôlée dissout très bien les vestiges de démocratie restant dans le système politique américain, mais sa puissance n’est rien comparée à celle de Superpuissance. Superpuissance est le sponsor ; le défenseur et le gestionnaire de l’impérialisme et du militarisme américains, deux facettes du gouvernement qui ont toujours été dominées par les élites, drapées dans le secret de l’exécutif, et soi-disant bien au-delà de la compréhension des citoyens pour qu’ils en exercent le moindre contrôle. Superpuissance s’occupe des armes de destruction massive, de manipulation clandestine à l’étranger (parfois domestique aussi), d’opérations militaires, et d’incroyables sommes d’argent prélevées au public par le complexe militaro-industriel. L’armée des É.-U. a un budget supérieur à la somme de ceux de toutes les autres armées du monde. Ce budget s’est monté à 623 milliards de dollars pour l’année fiscale 2008 ; le deuxième budget mondial étant celui de la Chine à 65 milliards de dollars, d’après la CIA.

Les interventions militaires à l’étranger forcent littéralement la démocratie à changer de nature : « Afin de faire face aux contingences impérialistes des guerres extérieures et des occupations, la démocratie va changer de visage, en adoptant de nouveaux comportements à l’étranger (par exemple, absence de pitié, indifférence à la souffrance, mépris des us et coutumes locaux, inégalité de traitement des populations assujetties), mais aussi en opérant à domicile sur des hypothèses expansionnistes faussées. En général, elle va essayer de manipuler le public plutôt que d’ouvrir le débat. Elle va demander plus de prérogatives et plus d’indépendance (les secrets d’État), plus de contrôle sur les ressources de la société, des méthodes de justice plus expéditives et moins de législation et d’opposition, et demander à grands cris des réformes économiques et sociales. »

Selon Wolin, l’impérialisme et la démocratie sont littéralement incompatibles, et le nombre croissant de ressources consacrées à l’impérialisme signifie que la démocratie va inévitablement se flétrir et disparaître. « La politique impérialiste comprend la conquête de la politique domestique et sa conversion en un élément central du totalitarisme inversé. Ça n’a aucun sens de demander comment un citoyen démocrate pourrait “participer” concrètement à une politique impériale ; de même il n’est pas surprenant que le sujet de l’empire soit tabou dans les débats électoraux. Aucun politicien ou parti de premier plan n’a seulement évoqué l’existence d’un empire américain. »

Depuis la fondation des États-Unis, ses citoyens ont une longue histoire de complicité avec les aventures impérialistes de ce pays, dont son expansion à travers le continent aux dépens des Amérindiens, des Mexicains et des impérialistes espagnols. Théodore Roosevelt a souvent émis l’idée qu’ayant victorieusement échappé à l’emprise britannique, les citoyens américains étaient profondément opposés à l’impérialisme, mais qu’en revanche, « l’expansionnisme » coulait dans leurs veines. Au fil des ans, les analystes politiques américains se sont soigneusement efforcés de séparer la question militaire de l’impérialisme, alors même que le militarisme est l’inévitable bagage accompagné de l’impérialisme. La force militaire crée en premier lieu l’empire, et devient indispensable à sa défense, au maintien de l’ordre, et à son expansion. « Que les citoyens patriotes soutiennent sans relâche la force militaire et ses énormes budgets montre que les conservateurs ont bien réussi à convaincre l’opinion publique que l’armée était distincte du gouvernement. De cette manière, le plus considérable des éléments de pouvoir étatique échappe au débat public », observe Wolin.

Cela a pris du temps, mais le gouvernement des États-Unis de George W. Bush est finalement parvenu à élaborer une idéologie officielle d’expansion impérialiste comparable à celle des totalitarismes nazi et stalinien. En accord avec la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis (prétendument rédigée par Condoleezza Rice, et promulguée le 9 septembre 2002), les États-Unis se consacrent désormais à ce qu’ils appellent la « guerre préventive ». La guerre préventive implique la projection de la puissance au-delà des frontières, généralement contre un pays plus faible, à l’instar, disons, de l’invasion de la Hollande et de la Belgique par l’Allemagne nazie en 1940. Elle déclare que les États-Unis sont en droit de frapper un autre pays en raison d’une menace potentielle d’affaiblissement ou d’une sévère atteinte à la puissance américaine, à moins que celle-ci ne réagisse pour éliminer le danger avant qu’il ne se concrétise. La guerre préventive est le Lebensraum ["l'espace vital" brandi par Hitler pour justifier son impérialisme] de l’ère du terrorisme », nous explique Wolin. Ce qui constitua, bien sûr, le prétexte officiel pour l’agression américaine envers l’Irak, entamée en 2003.

De nombreux observateurs, moi compris, pourraient en conclure que Wolin parvient à la conclusion quasi absolue que les jours de la République américaine sont comptés ; mais Wolin lui-même s’inscrit en faux contre cette idée. Vers la fin de son ouvrage, il montre une liste de souhaits, sur ce qui devrait être fait pour enrayer le désastre induit par le totalitarisme inversé : « faire reculer l’empire, faire reculer les méthodes de la démocratie contrôlée ; en revenir au concept et à la pratique d’une coopération internationale plutôt que de recourir aux dogmes de la mondialisation et des frappes préventives ; restaurer et renforcer la protection de l’environnement ; revigorer les politiques populaires ; défaire les ravages imposés à notre système de droits individuels ; restaurer les institutions d’un pouvoir judiciaire indépendant, séparation des pouvoirs, et des contre-pouvoirs ; réassurer l’intégrité d’agences de régulation indépendantes, et des protocoles de conseil scientifique ; revivifier un système de représentation qui serait réactif face aux besoins du peuple pour la santé, l’éducation, des pensions garanties et un salaire minimum décent ; restaurer un pouvoir gouvernemental de régulation de l’économie ; et effacer les aberrations d’un code des impôts courtisant les riches et la puissance des groupes industriels ».

Malheureusement, il s’agit davantage d’une visite guidée de tout ce qui n’a pas fonctionné que d’un manuel de réparation, plus particulièrement lorsque Wolin constate que notre système politique est « vérolé par la corruption, et financé principalement par les contributions des riches et des donateurs industriels ». Il est fort peu probable que notre appareil de parti œuvre à ramener le complexe militaro-industriel et les 16 agences de renseignement sous contrôle démocratique. Il n’en reste pas moins que lorsque les États-Unis auront rejoint les totalitarismes classiques dans les poubelles de l’histoire, l’analyse de Wolin restera comme l’une des plus fouillées de la façon dont les choses ont mal tourné.

Source : Alternet, le 18/05/2008

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Le collectivisme totalitaire

Source : Breaking All The Rules, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

“La privatisation des services publics et de leurs fonctions témoigne de l’évolution constante du pouvoir de l’entreprise en quelque chose de politique, qui relève d’un partenariat intégral, voire dominant, avec l’État.” – Sheldon S. Wolin

Le totalitarisme inversé et l’État corporatiste

Le déclin de la société traditionnelle, malade en phase terminale, est inévitable. Depuis des décennies, les institutions politiques qui ont favorisé une République fondée sur la liberté individuelle et la responsabilité, cette République n’est plus qu’un vague souvenir. Les défenseurs de tout ce qui fit l’Amérique comme un exemple brillant des libertés humaines sont attaqués et ridiculisés, car attachés à un système moral et éthique construit sur la dignité de chacun. La plupart des gens blâmeront pour cela les politiciens qui ont sciemment aguiché les masses avec leur nouvelle génération de programmes sociaux. Définir les politiciens comme des scélérats méritant la damnation semble naturel ; la source sous-jacente de la décadence qui affecte la culture vient de plusieurs directions.

Les tendances au despotisme sont visibles de tous. La plupart des gens préfèrent y rester aveugles parce qu’accepter cette réalité mortifère requiert un effort proactif. L’idée qu’un seul dictateur s’emparera du pouvoir et dirigera en tyran semble bien loin pour beaucoup de citoyens. Cependant, le flot des nouvelles quotidiennes apporté par les mass-médias corporatistes est construit sur l’absence de vrais reportages et sur l’ignorance de vérités fondamentales ; ce flot de nouvelles insignifiantes se substitue à des événements planétaires accablants.

De fait, la valeur du concept de “totalitarisme inversé”, comme défini par Sheldon S. Wholin, mérite attention.

“C’est toujours de la politique, mais de la politique non déterminée par le politique. Les querelles de partis sont occasionnellement offertes au public. Il y a une rivalité frénétique et continue entre les différentes factions d’un parti, des groupes d’intérêt, une compétition entre le pouvoir capitaliste et les médias rivaux. Et bien sûr, il y a ce moment culminant que sont les élections nationales, quand toute l’attention de la nation est requise pour un choix de personnalités plutôt qu’un choix d’alternatives. Le fait politique est absent et l’engagement pour trouver le bien commun se trouve confronté au tourbillon d’intérêts personnels, bien organisés et tenaces, qui cherchent les faveurs du gouvernement en court-circuitant la démocratie et l’administration publique avec un torrent d’argent.”

Regardez l’interview sur You Tube de Sheldon Wolin pour un résumé de son point de vue.

Pour une étude approfondie des idées de M. Wolin, revoir “Démocratie managériale et le spectre du totalitarisme inversé“. Il pose les questions suivantes :

“Est-ce que la ‘démocratie’ a un avenir à l’âge de la globalisation des réseaux de communication instantanée, et des frontières souples mouvantes ? La notion de démos comme seul corps compact avec une ‘volonté’ et une identité qui persiste dans le temps, est-elle possible ou peut-elle encore rester une notion même cohérente à l’heure des blogueurs politiques ? Y a-t-il de la place pour une politique plus authentique, plus en phase avec le caractère multiple de la réalité ?”

Il définit la démocratie de la façon suivante :

“La démocratie traite des conditions qui donnent la chance aux gens ordinaires de vivre mieux en devenant des êtres politiques et en construisant un pouvoir qui répond à leurs espoirs et besoins. Ce qui est en jeu dans une démocratie politique, c’est que femmes et hommes ordinaires reconnaissent que leurs intérêts sont mieux protégés et étendus dans un régime aux actions gouvernées par les principes de bien commun, d’égalité et de justice, un régime où la vie politique permet le partage de la vie en commun et la satisfaction des besoins de chacun. La démocratie ne signifie pas s’agiter ensemble, mais plutôt de tenir ensemble ces leviers de pouvoir qui affectent immédiatement et de façon significative les conditions de vie des autres et de soi-même.”

Le pouvoir influent des multinationales réduit toute conception idéaliste de la démocratie comme étant la voix du peuple. Le message de propagande déversé par les médias possède une énorme influence. L’économie des grandes firmes dicte les conditions du débat public. Le profane remplace le profond. Dépenser de l’argent conduit à une soif de consommation déraisonnée et toxique. Le façonnage de la culture populaire n’est pas seulement censé avilir le public, mais également de normaliser l’acceptation de la banalité. Le dialogue sur la nature de l’homme et sur le rôle d’un gouvernement juste est rejeté et remplacé par une sorte de régime fait de “droits de la dépendance” et de “prestations”.

De Démocratie en perdition : Sheldon Wolin et l’observation détaillée, la citation ci-dessous offre un aperçu de la nature de l’apathie politique conduisant à accepter une culture pathologique dénuée de toute réalité.

« Au sein de l’économie politique qui se fait jour, Wolin distingue un mouvement “antipolitique” fusionnant le pouvoir corporatif et l’Etat vers Superpuissance – c’est-à-dire, “un pouvoir expansionniste qui n’accepte d’autres limites que celles qu’il se donne lui-même” (p. xvi). A mesure que cette économie politique “postmoderne” tend vers Superpuissance, ceux qui sont aux postes de pouvoir exigent une nouvelle forme de citoyenneté : la citoyenneté impériale. Sheldon Wolin nous rappelle les mots du président américain George W. Bush, dans les instants chargés de tension qui ont suivi le 11 septembre 2001, exhortant les gens à montrer leur civisme par la consommation : “unissez-vous, consommez, et prenez l’avion” (590). Cette préoccupation pastorale du président met en lumière la puissance postmoderne de l’économie politique, telle qu’elle recompose la “culture civique” à l’image d’un plan en deux dimensions, détaché de la structure dynamique d’une Superpuissance absolument souveraine dans sa gestion des affaires mondiales. Le mieux que les citoyens puissent faire est de montrer leur patriotisme en se soumettant à l’autorité des puissances établies sans la moindre manifestation de protestation ou de différence (d’où l’incitation à “s’unir”). Plutôt que de gaspiller inutilement son temps et son énergie à s’inquiéter des changements de la vie quotidienne – des réseaux qui nous lient à nos voisins, proches ou lointains – le citoyen postmoderne affronte la multitude de choix et d’exigences disponibles au Starbucks du coin, tout en faisant dérouler les dernières offres sur eBay, en écoutant de la musique sur son iPod, le tout en attendant que le dernier morceau disponible sur iTunes soit chargé sur son iBook. Avec tant de choses à faire, pourquoi s’inquiéter de ce que nos représentants sont payés à faire ? Voilà ce qu’est le citoyen impérial, selon Superpuissance – un sujet apolitique en roue libre, conduit par l’impulsion télévisuelle à naviguer de la sécurité du foyer à la perpétuelle satiété offerte par les centres commerciaux. “Superpuissance a besoin d’un citoyen impérial, nous dit Wolin, prêt à accepter la relation forcément lointaine entre les intérêts du citoyen et ceux des puissants, qui abandonne avec soulagement son devoir de participation, et fervent patriote.” (565). »

Le citoyen impérial est vraiment un benêt. La puissance souveraine imposant son carcan au citoyen désengagé est la dernière étape d’une escalade vers la servitude librement consentie, résultat final de l’État-corporation.

L’auteur et gourou progressiste, Chris Hedges ajoute son point de vue dans la vidéo “Totalitarisme inversé : la marque Obama et l’État-corporation“.

Le talent de Hedges à mettre en pièces l’État-corporation dans toute son horreur est bien connu. Néanmoins, sa voix claironnante ne trouve aucun écho dans les cercles de pouvoir. L’économie dicte quel marché est disponible à la vente. La publicité est le seul message qu’il soit convenu de croire. Et la limitation des capacités de tout un chacun à penser et agir de façon rationnelle est sous le contrôle du totalitarisme inversé de notre propre création.

Rejeter la faute des malheurs du temps sur des forces extérieures n’est qu’une pétition de principe. Tant que des individus passifs accepteront leur sujétion, les tyrans de la culture dominante saisiront toute occasion de tondre les moutons. Notre existence même justifie la résistance à toute forme de tyrannie qui se présenterait à nous. En dépit de ce droit humain et naturel fondamental, bien des citoyens succombent à ce lavage de cerveau encadrant les aspirations.

Les effrayantes implications de la société totalitaire reposent sur les épaules de chaque individu qui refuse d’affronter le système. Résister à une autorité injuste est votre devoir premier en tant que citoyen. Notre but déclaré est d’abolir l’État-corporation et la gouvernance mondiale qui réduit la planète en esclavage.

Le déphasage entre les progressistes gauchisants et le contexte historique du principe des droits naturels constitue la raison principale pour laquelle les coalitions antisystème échouent. Les rêves partagés doivent devenir une croyance concrète. Tant que les utopistes refuseront d’assimiler les leçons et d’admettre la validité d’une authentique philosophie conservatrice, la tactique du “diviser pour régner” du Nouvel Ordre Mondial perdurera.

L’implosion économique de ces dernières années est indéniable. La consolidation du pouvoir continue parce que le commun des mortels obéit à l’autorité répressive. Malheureusement, l’indifférence à l’égard de la notion de respect vis à vis de soi-même est le premier résultat de cette culture populaire pervertie. Le renoncement de la Civilisation Occidentale est presque complet mais n’est pas définitif. Le totalitarisme est un crime contre l’humanité. Il ne tient qu’à vous de faire votre devoir de désobéissance civile.

Source : Breaking All The Rules, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-totalitarisme-a-front-renverse/