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Évasion fiscale : « On a affaire à des oligarchies nationales complètement vérolées »

Thursday 21 January 2016 at 00:01

Source : The Dissident, Julien Le Gros, 23-12-2016

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon – DR

Ne vous fiez pas à l’apparence inoffensive de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Dans leur dernier ouvrage « Tentative d’évasion (fiscale) », les deux sociologues égratignent une fois de plus nos puissants. Et racontent comment, de Bercy à Genève, la fraude fiscale est désormais un système au service de l’oligarchie. Signe du destin, The Dissident les a rencontrés à Paris, à la station… Luxembourg !

The Dissident : Au début de votre essai, on comprend que les affaires Cahuzac et Liliane Bettencourt ont été le déclencheur du livre.

Monique Pincon-Charlot : Dans Le président des riches (Zones, 2010) il y a déjà des choses sur les paradis fiscaux. Dans Les ghettos du gotha, il y a l’histoire de la famille Mulliez, propriétaire du groupe Auchan, et de son emménagement à Estaimpuis, en Belgique, à 300 mètres de la frontière française. C’est un sujet sur lequel on se documente depuis le début de notre travail. On a eu des lectures très nombreuses… et très rasoir ! Le sujet n’est pas drôle du tout. Et il y a un an pile, on est partis en Suisse pour ce livre.

Qu’y apprend t-on ?

Il n’y a aucun scoop : les membres de la noblesse et de la bourgeoisie qui sont cités sont déjà dans la presse. L’intérêt de notre livre, c’est de montrer une classe sociale mobilisée au-dessus de tous les États pour ne pas contribuer à la solidarité nationale.

À l’époque des Ghettos du gotha, vous avez eu accès à des cercles très fermés. Aujourd’hui, est-ce plus compliqué d’avoir accès aux informations ?

Michel Pinçon : C’est difficile de travailler sur la fraude fiscale ! Dans nos travaux antérieurs, on a eu des informations par des gens de ce milieu. Mais c’est carrément tabou de leur demander comment ils gèrent leur patrimoine, de fraude fiscale, de paradis fiscaux. On a obtenu des informations diverses et variées, souvent de militants. Au Luxembourg et en Suisse, des groupes de résistance dénoncent la connivence de leurs États avec cette fraude fiscale.

Le Luxembourg est un des lieux privilégiés de la fraude fiscale. Amazon y a construit son siège social sur une presqu’île, dans la vieille ville de Luxembourg. Il y a juste de quoi loger une cinquantaine de salariés ! Ce n’est pas là où se font réellement les choses. Cela permet tout simplement d’y inscrire les bénéfices d’Amazon et d’être très peu taxé. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a été Premier Ministre du Luxembourg. On a la tête de l’Europe un individu qui un est complice évident de la fraude fiscale. C’est d’un cynisme… Ils sont tous complices : Juncker, Obama, le pourfendeur de la finance que se prétendait Hollande quand il cherchait des voix.

Monique Pinçon-Charlot : En 2010, le lanceur d’alerte Antoine Deltour a dévoilé le nom de tous les rescrits fiscaux1 qu’il a pu recopier avant son départ de l’un des big four, c’est-à-dire l’un des quatre plus grands cabinets d’audit financiers, le cabinet PWC. À l’époque, Juncker était ministre des Finances du Luxembourg. Il ne pouvait pas ne pas être au courant. En récompense, l’oligarchie l’a coopté comme président de la Commission européenne. Tandis qu’Antoine Deltour est poursuivi pour violation du secret des affaires et encourt cinq ans d’emprisonnement. Son procès aura lieu en janvier au Luxembourg.

Comment remonter le fil de ces évasions fiscales ?

Michel Pinçon : Nos sociétés dites démocratiques fonctionnent avec énormément d’interdits, de secrets. En particulier le secret fiscal. En France, on peut consulter les revenus d’une personne auprès de l’administration fiscale. Au bureau des impôts, vous pouvez demander à voir les déclarations fiscales des gens qui habitent votre quartier. Mais on surveille que vous ne preniez pas de notes. Si vous révélez les sommes que gagne telle personne, vous êtes automatiquement condamné à une amende correspondant au montant de ce que vous avez révélé. Si vous dites que Monsieur Untel a déclaré 2 millions de revenus l’année précédente, vous êtes imposé de la même somme. Ça refroidit les tentatives de révélation ! Pour les fraudes fiscales, ce sont des documents secrets auxquels même les employés des impôts n’ont pas accès. C’est le secteur bancaire qui garde ces documents à l’abri.

Monique Pinçon-Charlot : Il y a une multiplication des secrets : secret fiscal, secret bancaire, secret des affaires. Dès qu’on touche aux problèmes de la défense, c’est le secret défense. Le travail d’investigation peut toujours tomber sous le coup du secret des affaires. Être lanceur d’alerte relève de l’exploit. S’est mis en route un système de protection des lanceurs d’alerte, qui n’est pas encore parfait. Ce sont des grains de sable dans la machine oligarchique de ceux qui dorment dans les beaux quartiers.

Et le rôle des services fiscaux contre les fraudes ?

Monique Pinçon-Charlot : Tous les grands procès en cours – UBS France, HSBC France ou le Crédit mutuel – ne sont jamais le résultat de la traque des services fiscaux de Tracfin. Ces informations peuvent venir d’un conflit familial : les 80 millions d’euros de Liliane Bettencourt non déclarés en Suisse ont été révélés par le procès initié par sa fille. Elles peuvent aussi venir de lanceurs d’alerte comme Stéphanie Gibaud, Nicolas Forissier, ou Olivier Forgues à UBS France.

Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, il y a une machine de guerre très sophistiquée. Dans le reportage sur le Crédit Mutuel2, les spectateurs ont vu le système des poupées gigognes. On part d’un compte numéroté pour construire des sociétés écran, on fait des fiducies en utilisant des noms d’écrivains comme pseudonyme. Seul le chargé de clientèle connaît le véritable nom du client. Ça, ce n’est pas informatisé ! UBS France a démarché sur le sol français des Français pour rapatrier leurs avoirs en Suisse. Ils avaient des « carnets du lait ». C’est-à-dire une double comptabilité.

Dans votre livre, vous expliquez comment un directeur de la Direction nationale d’enquête fiscale (DNEF) a été placardisé pour avoir voulu traiter le cas Falciani (ancien salarié de HSBC, qui a livré des informations sur 130 000 comptes appartenant à des exilés fiscaux présumés).

Monique Pinçon-Charlot : On a pu interviewer de façon anonyme six inspecteurs des impôts qui témoignent du fait qu’ils ne peuvent plus vraiment faire leur travail. Dès qu’il s’agit d’une personnalité, tout est cloisonné. Ils n’ont pas accès à l’ensemble des informations. Il y a toute une machine, qu’on décrit dans le chapitre sur Bercy, faite pour préserver les intérêts des plus riches.

On apprend aussi que les paradis fiscaux ne sont pas toujours là où on le croit…

Michel Pinçon : Les entreprises se réfugient dans des îles où elles ne font rien à part engranger des bénéfices sans payer d’impôts. Les îles Vierges britanniques, les Bermudes… une dizaine d’îles au total. Mais c’est trompeur. L’un des paradis fiscaux les plus importants est le Delaware, ce petit État américain entre New-York et Washington. Il y a plus de sociétés que d’habitants. C’est un paradis fiscal sous la houlette du gouvernement américain. C’est un secret de polichinelle. Dans une des éditions du Bottin mondain, il y avait une publicité pour les facilités fiscales qu’offre le Delaware aux Français. Il y avait même une adresse à Paris ! Depuis qu’on l’a signalé, elle a été fermée. Mais ça continue de fonctionner sous une autre bannière. C’est étonnant, puisqu’Obama se veut pourfendeur des inégalités… Mais il ne parle jamais du Delaware !

Monique Pinçon-Charlot : Il n’a toujours pas signé l’accord historique du 29 octobre 2014 à Berlin, dans lequel quatre-vingt-dix pays ont ratifié l’échange automatique d’information entre administrations fiscales. Mais pas les États-Unis. La fameuse loi TAFTA élaborée sur recommandation de Barack Obama est à sens unique. Sous peine de ne plus avoir d’activités aux États-Unis, tous les pays du monde doivent déclarer les citoyens américains qui ouvrent des comptes non déclarés. Par contre, le Delaware n’est pas tenu à une réciprocité. Il y a une guerre fiscale. Et les États-Unis veulent détourner l’argent de l’évasion fiscale à leur profit.

Quelle morale peut-on tirer de tout ça?

Michel Pinçon : Une conclusion de notre livre, c’est qu’on a affaire à des oligarchies nationales complètement vérolées. C’est le Monopoly ! Ce sont des gens qui n’ont plus aucun sens du bien commun, comme il y en avait encore sous la IIIème ou IVème République. Enrichissons-nous ! C’est vraiment la morale des politiques d’aujourd’hui.

Monique Pinçon-Charlot : La violence des riches est opaque. Tandis que l’histoire de la chemise du DRH d’Air France, ça c’est visible ! Ça permet de criminaliser le salarié. On traite de voyous les travailleurs d’Air France. Pour gagner des millions d’euros, le PDG de Wolkswagen a fait une énorme fraude, avec des conséquences terribles pour le réchauffement climatique. Le Figaro a parlé de « tricherie ». Vous voyez la différence : voyou d’un côté, tricheur pour les grands de ce monde.

Qu’est-ce qui vous donne malgré tout des raisons d’espérer?

Michel Pinçon : Il y a des initiatives citoyennes, des rassemblements de magistrats, de fonctionnaires des impôts, avec des associations. Une plate-forme sur les paradis fiscaux regroupe une vingtaine d’associations comme Attac. Le mouvement Solidarité en Suisse nous a bien surpris. Quand on est sortis de la gare de Genève, pendant notre enquête, la première chose qu’on a vu ce sont des affiches : « À bas les forfaits fiscaux, les riches doivent payer leurs impôts. » Avec nos valises à roulette, on s’est dit : « Tiens c’est bizarre, on est attendu s! » On n’avait pourtant rien dit à personne. En fait, Solidarité en Suisse avait fait une votation [pour demander l’abolition] des forfaits fiscaux, qui font que les étrangers – contrairement aux Suisses – peuvent ne pas payer d’impôt sur leur patrimoine en Suisse.

Notes : 

1 Un rescrit fiscal peut faire prévaloir la sécurité juridique du contribuable et lui permettre d’obtenir un régime fiscal particulier. Le « Lux Leaks » révélé en 2014 met en cause une liste d’accords fiscaux entre l’administration luxembourgeoise et des entreprises pratiquant l’évasion fiscale.

2 Initialement programmé sur Canal +, ce documentaire a été censuré par Vincent Bolloré, proche du patron du Crédit Mutuel, Michel Lucas. Il a finalement été diffusé par France 3 dans le magazine Pièces à conviction.

Source : The Dissident, Julien Le Gros, 23-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/evasion-fiscale-on-a-affaire-a-des-oligarchies-nationales-completement-verolees/


[Risque de Démocratie] “Aux Pays-Bas, une consultation sur les relations UE-Ukraine à haut risque”

Wednesday 20 January 2016 at 05:00

Aidez-nous amis néerlandais, on compte sur vous !

Bref, cela démontre l’importance des référendums d’initiative populaire !

Source : Luxemburger Wort, 9-01-2016

Jean-Claude Juncker et le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, le 7 janvier
Photo: Reuters

La Haye, 9 jan 2016 (AFP) – Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a appelé samedi les Néerlandais à ne pas s’opposer à l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine lors du référendum prévu en avril, estimant qu’un non pourrait provoquer une “crise européenne”.

Trois organisations eurosceptiques aux Pays-Bas sont parvenues à obtenir un référendum non contraignant sur la question, prévu le 6 avril, en récoltant plus de 300.000 signatures.

Un non néerlandais “pourrait ouvrir la voie à une crise européenne”, a estimé M. Juncker dans une interview publiée samedi par l’influent quotidien NRC.

Ne transformons pas ce référendum en un vote sur l’Europe

OB Notez, le gars est lucide, hein… Bon, démocrate, non, à l’évidence…

“Ne transformons pas ce référendum en un vote sur l’Europe”, a ajouté le président de la Commission européenne. “J’espère sincèrement que (les Néerlandais) ne voteront pas en faveur du non, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le traité lui-même”.

Même si le référendum n’est pas contraignant, il sera vraisemblablement suivi de près dans un pays où les eurosceptiques caracolent en tête des sondages en vue des élections législatives de 2017.

Si le non l’emporte, c’est la Russie “qui en sera le grand bénéficiaire”, a souligné M. Juncker.

Donc aucun souci à se couper un bras, si ça empêche la Russie de gagner…

L’accord de libre échange conclu entre Kiev et l’UE est entré en vigueur le 1er janvier. Il vise à renforcer le dialogue politique ainsi que les échanges économiques et commerciaux entre l’UE et l’Ukraine.

Le refus en 2013 de l’ancien président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch de signer cet accord avait entraîné la révolte sur la place Maïdan, à Kiev, et sa chute.

Donc le type est “pro-russe” mais il a négocié un accord avec l’UE pendant 4 ans, avant de se rendre compte que ça aller couler son pays et ne pas le signer…

Lors d’une visite aux Pays-Bas en novembre, le président ukrainien, Petro Poroshenko, a salué l’accord comme le début d’une nouvelle ère pour son pays.

Il n’a pa smenti notez -l’ère Uption ?

Moscou, de son côté, voit cet accord d’un mauvais œil, et le considère comme un empiètement des Européens dans sa sphère d’influence.

Ils sont bizarres ces Russes…

Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, dont le pays vient de prendre la présidence tournante de l’UE, a indiqué qu’il évaluerait les conséquences du référendum une fois son résultat connu. Son gouvernement jugera alors si des changements de politique sont nécessaires.

Ouf, j’ai cru qu’il allait dire qu’il en respecterait le résultat…

Source : Luxemburger Wort, 9-01-2016

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Aux Pays-Bas, une consultation sur les relations UE-Ukraine à haut risque

Énorme : GROS RISQUE démocratique en vue !

Source : Le Monde, Jean-Pierre Stroobants, 15-01-2016

La tension politique monte, aux Pays-Bas, à l’approche d’un référendum sur l’accord d’association conclu entre l’Union européenne (UE) et l’Ukraine. Appliqué de manière provisoire depuis le 1er janvier, ce texte doit être entériné par les 28 pays membres de l’Union. Si 25 Etats l’ont déjà approuvé, aux Pays-Bas, trois organisations eurosceptiques ont obtenu qu’il soit soumis à une consultation populaire, prévue pour le 6 avril. Un « non » serait une fâcheuse épine dans le pied de la présidence néerlandaise de l’UE, qui a commencé le 1er janvier.
À La Haye, les députés sont furieux : ils jugent contre-productives de récentes déclarations du président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker. Il a souligné, le 9 décembre 2015, qu’un « non » de la population néerlandaise pourrait « entraîner une crise continentale » et bénéficier à la seule Russie.
Pour les partis favorables à l’Europe, ces propos sont maladroits et ont focalisé l’attention sur cette consultation dont un tiers des citoyens disait ne pas avoir entendu parler. « M. Juncker a raté une nouvelle occasion de se taire », déclare le député Han ten Broeke, membre du Parti libéral (VVD), la formation du premier ministre Mark Rutte. Diederik Samsom, le dirigeant des sociaux-démocrates du PVDA, membres de la coalition au pouvoir, a estimé que « les menaces ne sont vraiment pas nécessaires ».
Les partis proeuropéens craignent, en fait, une réédition de l’épisode de 2005, quand les électeurs avaient, quelques jours après les Français, rejeté le projet de Traité constitutionnel européen. A l’époque, toutes les grandes formations avaient été désavouées. Aujourd’hui, les principaux responsables politiques savent que M. Juncker a raison d’inviter leurs concitoyens à ne pas transformer la consultation en « un vote sur l’Europe » mais ils redoutent que beaucoup de Néerlandais profitent de l’occasion pour manifester leurs critiques à l’égard de ce qu’Emile Roemer, leader du parti de la gauche radicale SP, appelle « le mépris total de la population par la petite élite bruxelloise ». Son parti est le seul, avec le Parti de la liberté (PVV, extrême droite) de Geert Wilders et le Parti des animaux (PVDD) à avoir voté contre l’accord conclu entre l’UE et Kiev.

L’Ukraine présentée comme instable et corrompue

Les trois organisations qui ont relayé leurs critiques ont réuni 428 000 signatures – il leur en fallait 300 000 au minimum – pour obtenir que la population se prononce sur l’accord. La Chambre, le Sénat et le roi ont entériné ce texte, toutefois suspendu, désormais, au résultat de la consultation. Le résultat de celle-ci ne sera pris en compte que si 30 % des électeurs y participent et il ne sera pas contraignant : le gouvernement et les Assemblées pourraient passer outre un « non » éventuel. Le premier ministre, le libéral Mark Rutte, indique qu’il « évaluera » le bilan du référendum.
Quand même, il vaut mieux lire ça qu’être aveugle, mais c’est tellement incroyable… A une époque, le politique et le journaliste auraient été lapidés par la foule…
La plupart des observateurs pensent, cependant, qu’il ne pourrait tenter un passage en force. D’autant que sa coalition atteint des records d’impopularité tandis que M. Wilders, incarné en leader du camp du « non », frôle les sommets : le dernier sondage, publié dimanche 10 janvier, le crédite de 36 % des intentions de vote et de 41 des 150 sièges de la deuxième chambre. Quatorze de plus que les deux partis du gouvernement.
M. Wilders a, lui aussi, réagi au propos de M. Juncker, en évoquant une tentative « d’intimidation » qui « ne servira à rien ». Comme les partisans du référendum, il refuse que les Pays-Bas soutiennent financièrement une Ukraine présentée comme instable et corrompue, conteste l’idée que l’accord d’association puisse assurer la stabilité du pays et agite le spectre d’une future adhésion à l’Union. M. Rutte dément formellement : « Cela n’a rien à voir avec un élargissement. »
Même s’il a appelé ses concitoyens à voter « oui », M. Rutte paraît hésiter à engager son gouvernement dans la campagne. Il préfère laisser le champ libre à l’association Stem voor Nederland (Votez pour les Pays-Bas) : récemment constituée, en liaison avec le patronat et le ministère des affaires étrangères, elle entend informer la population sur les vrais enjeux de ce dossier, pour renverser une tendance qui indiquait, en décembre, que 17 % des Néerlandais seulement étaient, a priori, favorables à l’accord avec l’Ukraine.
Là aussi, j’ai dû mal lire : le journaliste n’a quand même pas écrit que le Premier Ministre ne va pas faire la campagne électorale, mais qu’il va laisser la patronat le faire à sa place ?
Source : Le Monde, Jean-Pierre Stroobants, 15-01-2016
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Les Pays Bas s’apprêtent à infliger une leçon de démocratie à l’Union Européenne

Par Djordje Kuzmanovic, Blog Mediapart, 15/01/2016

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, craignant les conséquences d’un tel vote juste avant des élections législatives cruciales au Pays-Bas et en France en 2017, mais aussi en pleine négociation du TTIP, le traité de libre-échange transatlantique, a enjoint les citoyens des Pays-Bas à ne pas « mal voter ».

L’accord d’association controversé entre l’Ukraine et l’Union européenne a été l’un des déclencheurs du renversement du gouvernement ukrainien de Ianoukovitch à la suite du mouvement populaire du Maïdan. Le nouveau gouvernement ukrainien présidé par M. Porochenko, signataire de cet accord et appuyé par les États-Unis, a été à l’initiative d’une guerre civile à l’est du pays qui a fait plus de 10 000 victimes, dont de nombreux civils, et a provoqué le déplacement de plus de 1 100 000 réfugiés.

Il est légitime que les peuples des États membres de l’Union européenne se posent la question de l’opportunité d’un tel accord, d’une part eu égard aux coûts colossaux qu’il va faire peser sur les budgets européens, et d’autre part, car il pose la question du bien-fondé des décisions des institutions européennes rarement prises dans l’intérêt des peuples. Enfin, il marque l’alignement de l’Union européenne sur la politique étrangère étatsunienne, au risque de la paix en Europe, pourtant argument principal légitimant l’existence de l’Union.

Cet accord, déjà ratifié par le parlement néerlandais, est entré en vigueur le 1er janvier 2016. La très démocratique loi néerlandaise prévoit la tenue d’un référendum consultatif si au moins 300 000 signatures sont recueillies auprès des citoyens. Les auteurs de l’initiative visant à rejeter cet accord d’association en ont réuni 420 000. Le vote aura donc lieu le 6 avril. Si de plus, le taux de participation dépasse les 30 %, le gouvernement serait formellement obligé de reconsidérer l’accord. Or, selon les sondages, environ trois quarts des électeurs néerlandais voteront “probablement ou certainement” contre l’accord.

Jean-Claude Juncker, qui avait déclaré il y a quelques mois qu’”il ne [pouvait] y avoir de choix démocratique contre les traités européens“, est en train de réaliser que le peuple peut encore faire irruption sur la scène politique à l’échelle de l’Union. Inquiet, il a appelé les Néerlandais à ne pas s’opposer à l’accord et fait remarquer qu’une réponse négative pourrait “déboucher sur une grave crise continentale, qui dépasserait largement le cadre néerlandais” (Reuters).

Ne doutons pas que Juncker, entre deux moments d’ébriété, y voit clair et s’inquiète à juste titre de chaque retour du peuple dans la vie politique. La portée du vote sera fortement symbolique, car ce référendum se tiendra alors que la Hollande, centrale dans l’Union européenne dont elle est fondatrice, assure la présidence tournante depuis le 1er janvier.

Les Pays-Bas pourraient réaliser un vote de défiance vis-à-vis de l’Union européenne et ses traités en illustrant combien les élites européennes sont coupées des intérêts des peuples qu’elles sont censées servir. Ce serait également un coup porté aux certitudes bruxelloises et au dogme de l’élargissement sans fin de l’Union européenne. Cela relancerait enfin le débat sur le degré d’intégration de chaque État-Nation dans l’Union et donc d’abandon de souveraineté, un an avant des élections législatives d’importance aux Pays-Bas et en France, deux pays phares de l’Union européenne où, par référendum populaire, le Traité constitutionnel européen avait été rejeté de manière retentissante en 2005 (61 % de « non » aux Pays-Bas, 55 % en France).

Les Néerlandais se prononceraient légitimement contre cet accord de libre-échange compte tenu du coût colossal pour l’Union européenne, donc pour ses citoyens, qu’il impliquerait. L’économie ukrainienne est, en effet, en faillite continue, soutenue à bout de bras par l’Union européenne et le FMI (qui, au contraire de la Grèce, lui a accordé une restructuration de sa dette). Il faudrait y injecter entre 40 et 65 milliards d’euros pour la remettre à flots et assurer un soutien de quelque 15 milliards d’euros par an pendant de nombreuses années, sommes impensables dans un contexte de récession, de crise grave, de chômage et de politique d’austérité dans les autres pays européens. Ces aides risqueraient d’ailleurs de n’y rien changer puisque le niveau de corruption de l’actuelle Ukraine est un des plus élevés au monde et supérieur – si c’est possible – à celui en vigueur sous Ianoukovitch.

Par ailleurs, le rapprochement plus marqué de l’Union européenne et de l’Ukraine augure d’un dumping social sans précédent en Europe, déjà largement initié par l’Allemagne dans ses usines. L’Ukraine compte une des plus importantes populations d’Europe – 46 millions d’habitants – pour un salaire moyen de 250 euros par mois et un salaire minimum de… 50 euros par mois. Ce rapprochement risque de causer un tsunami social dans toute l’Europe de l’Ouest où le travail, de plus en plus rare et précaire, est dévoyé par le déferlement des « travailleurs détachés » – nom pudique donné en Europe à la légalisation de l’exploitation.

Juncker redoute également les conséquences géopolitiques d’un « non » néerlandais, tant cet accord d’association sert surtout les intérêts hégémoniques des États-Unis. Pour Washington, l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN et son éloignement de la sphère d’influence de la Russie reste un des objectifs géostratégiques centraux et l’accord d’association UE/Ukraine n’en est qu’une étape. Cet accord mettrait l’Europe encore plus en porte-à-faux par rapport à la Russie ; or sans ce pays, comme le déclarait le général de Gaulle, un projet européen indépendant n’est pas viable.

Il est à noter que cela se déroule au même moment où se négocie, en catimini, l’accord sur le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership - Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), visant à construire un grand marché entre l’Europe et les États-Unis, lequel, s’il était ratifié ainsi que le désirent ardemment les élites européennes, signerait le basculement définitif et complet de l’Europe dans le giron étasunien.

Si le référendum d’initiative populaire néerlandais se soldait par un vote « non » à l’accord d’association UE/Ukraine, une crise supplémentaire éclaterait au sein de l’Union européenne. Ce serait le retour du peuple dans un système d’institutions qui ne le représente plus et où la démocratie est inexistante : la banque centrale européenne n’a pas les mêmes prérogatives que la réserve fédérale des États-Unis, la Commission européenne est non élue et le parlement européen est composé de députés élus, mais sans réels pouvoirs. Caractère non démocratique qui sera encore renforcé par une des dispositions phares du TTIP, les tribunaux d’arbitrage, instances non élues dont les décisions s’imposeront aux États-Nations, si nécessaire en opposition aux décisions prises par le peuple, que ce soit par voie référendaire ou par le truchement de ses représentants au parlement – ce qui dans le cas de notre pays est en contradiction radicale avec l’article 3 de la Constitution.

Si, monsieur Juncker, il peut y avoir un choix démocratique contre les traités européens !

 

Source: http://www.les-crises.fr/risque-de-democratie-aux-pays-bas-une-consultation-sur-les-relations-ue-ukraine-a-haut-risque/


[Ukraine] Libre-échange : Kiev rejoint l’UE et dit au revoir à la vodka russe, par Ekaterina Dvinina

Wednesday 20 January 2016 at 03:16

Ils l’ont fait ces crétins : ils vont détruire l’économie de l’Est du pays, tournée vers la Russie (CEI)

Rappel de notre série Ukraine :

On a ceci au niveau du solde commercial (= exportations-importations) :

On note le déficit apocalyptique au niveau de la ville de Kiev.

Par grande région, cela donne ceci :

L’Ukraine est en déficit face à ses principaux partenaires, et on a au niveau des régions :

  • l’Est, industriel, exporte beaucoup, et est en net excédent commercial ;
  • l’Ouest, agricole, exporte très peu et est en net déficit commercial ;
  • le Centre, avec la capitale, exporte modérément, mais est en énorme déficit commercial.

Source : Courrier International, Ekaterina Dvinina, 04-01-2016

Le rayon vodka dans un supermarché à Moscou (Russie), en juin 2014. PHOTO MIGHTY TRAVELS/FLICKR/CC

A coups de mesures de rétorsion mutuelles, Moscou et Kiev continuent à rompre les liens commerciaux qui les reliaient. Cela, dans le contexte d’entrée de l’Ukraine, le 1er janvier 2016, dans la zone de libre-échange avec l’Union européenne.

Alors que la zone de libre-échange entre l’Ukraine et l’Union européenne est entrée en vigueur le 1er janvier 2016, Kiev prend plusieurs mesures de rétorsion vis-à-vis de Moscou.

Deux décrets, entérinés par le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk, le 30 décembre 2015, suspendent ainsi, à partir du 2 janvier 2016, la zone de libre-échange avec la Russie et les tarifs préférentiels sur les échanges russo-ukrainiens, et introduisent, à partir du 10 janvier, l’interdiction d’importer du territoire russe certaines marchandises, telles que la viande, le poisson, la vodka, le chocolat, les cigarettes ou encore les équipements pour les chemins de fer, rapporte le journal en ligne russe Vzgliad.

Ces mesures sont prises en réaction aux mesures analogues décidées en décembre par le président russe Vladimir Poutine. La Russie a en effet suspendu sa zone de libre-échange avec l’Ukraine à compter du 1er janvier, et soumet désormais les produits ukrainiens à des droits de douane à la frontière. Ces mesures ont été dictées par la crainte de Moscou que “les produits européens non taxés inondent le marché russe”, rappelle Vzgliad.
Un préjudice pour l’économie ukrainienne

L’Ukraine ne dispose pas du poids économique suffisant pour peser contre la Russie, estime ce quotidien conservateur : “Même si l’Ukraine introduisait des droits de douane sur les marchandises russes, il est peu probable qu’elle ose faire de même avec l’importation des matières premières énergétiques, de loin la première recette des exportations russes en Ukraine.”

“La rupture des relations commerciales est bien plus douloureuse pour l’Ukraine que pour la Russie”, argumente encore Vzgliad. Malgré la crise sans précédent entre les deux pays, Moscou reste l’un des plus importants partenaires commerciaux pour Kiev, assurant 16,4 % du commerce extérieur ukrainien (selon les résultats d’échanges commerciaux des neuf premiers mois 2015), tandis que cette part n’est que 2,7 % pour la Russie.

Ekaterina Dvinina
Source : Courrier International, Ekaterina Dvinina, 04-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-libre-echange-kiev-rejoint-lue-et-dit-au-revoir-a-la-vodka-russe-par-ekaterina-dvinina/


La connexion saoudienne avec le terrorisme, par Daniel Lazare

Wednesday 20 January 2016 at 02:40

Source Consortiumnews.com, 20 novembre 2015

En exclusivité : Tandis qu’à Washington les autorités consacrent beaucoup de temps et d’énergie aux demandes d’extension de la guerre en Syrie et à la nécessité de refouler les réfugiés syriens, les Démocrates et les Républicains esquivent la question la plus judicieuse : comment confronter l’Arabie saoudite à son financement caché de l’État islamique et des terroristes d’Al-Qaïda, écrit Daniel Lazare

Par Daniel Lazare

Comment l’EI finance-t-il ses opérations ? Ceci est la question centrale au moment où la guerre contre l’organisation terroriste franchit un niveau supérieur depuis les atrocités commises à Paris. Mais la réponse la plus courante constitue une part du problème.

Cette réponse, partagée par de nombreux responsables politiques et autres « experts en terrorisme », est que Daesh (aussi connu sous le nom de l’EIIL, l’État islamique et l’EIIS) finance ses opérations grâce à diverses activités illicites comme la vente illégale d’antiquités, les enlèvements contre rançon, les hold-up de banque et le trafic de brut depuis les champs pétrolifères sous son contrôle depuis le nord de la Syrie et de l’Irak.

Le roi saoudien Salman rencontre le président  Barack Obama à l’hôtel Erga durant une visite d’État en Arabie saoudite le 27 janvier 2015

La ligne, consciencieusement suivie par les organes de presse depuis le New York Times jusqu’au Wall Street Journal et au Guardian, est pour le moins politiquement correcte. Si Daesh s’autofinance réellement, alors il est essentiellement autonome. Dans ce cas, les puissances occidentales, après l’avoir bouclé dans son califat, n’auront plus qu’à envoyer des F-18 et des Mirage 2000 afin de déclencher une pluie de bombes « intelligentes » et le réduire en miettes.

Telle est la pensée qui affleure les propos malheureux tenus le 12 novembre par le Président Barack Obama lorsqu’il répondit à George Stephanopoulos sur ABC This Week qui lui demandait si Daesh gagnait en puissance. Il rétorqua que ce n’était tout simplement pas le cas :

« La vérité est que depuis le début, notre but a tout d’abord été de les contenir, et nous les avons contenus. Ils n’ont pas gagné de terrain en Irak. Et en Syrie, ils viendront et repartiront. Mais vous ne verrez pas une avancée systématique de Daesh sur le terrain. Ce que nous n’avons pas encore pu faire, c’est décapiter complètement leur structure de commandement et de contrôle. Nous avons fait des progrès en essayant de réduire le flux de combattants étrangers »

Contenir et décapiter, voici l’essence même de la stratégie américaine. Ainsi, plus le gouvernement Obama tente de contenir militairement Daesh, plus il fait savoir que ce dernier est également économiquement autonome.

Et si ce n’était pas le cas ? En réalité, il y a tout lieu d’être sceptique face à la position américaine et pas seulement parce que cela fait près de deux décennies que les dirigeants américains crient victoire dans diverses luttes contre le terrorisme islamique même si, de petites cellules disparates à l’origine, il s’est transformé en un vaste mouvement s’étendant du Nigeria au Bangladesh.

Des sommes surévaluées

Commençons par les antiquités. L’année dernière, NBC News rapporta en toute hâte que Daesh puisait dans un marché noir de 7 milliards de dollars pour financer ses opérations : « Des pièces historiques inestimables provenant de fouilles illicites ou dérobées dans les musées sont devenues une des quatre produits de contrebande les plus répandus — avec la drogue, les armes et les êtres humains. »

Mais le total de 7 milliards de dollars est curieux si l’on considère que le marché de l’art contemporain, en ne comptant que la partie émergée, se monte à seulement 2 milliards de dollars. Les marchés noirs sont impossibles à évaluer pour la simple raison que les participants s’enfuient comme des rats dès qu’on allume la lumière.

Le rôle de Daesh est néanmoins doublement difficile car il opère très secrètement. Mais nous savons certaines choses, par exemple que les antiquités ne se déplacent pas aussi facilement que, disons, le maïs ou le blé. Au contraire, les acheteurs sont relativement rares et clairsemés, des évaluations sont requises et le marchandage est la norme. Avec autant de policiers fouinant partout, les acheteurs sont particulièrement prudents de peur de se faire prendre en transférant de l’argent à Daesh. Donc, les antiquités ne sembleraient jouer qu’un rôle accessoire.

Il en va de même pour les braquages de banques. Même si Daesh a été généralement crédité d’un butin de 400 millions de dollars lors de la prise de Mossoul, au nord-est de l’Irak en juillet 2014, le Financial Times a décrit cette prise comme le plus grand braquage « jamais réalisé. »

Le journal citait un responsable du secteur bancaire irakien qui déclarait : « Nous sommes en contact permanent avec les banques là-bas »,. “nous avons été informés qu’elles sont toutes gardées de l’extérieur par leurs propres gardes et que rien n’a été enlevé des locaux d’aucune banque, pas même pas un morceau de papier »

L’enlèvement contre rançon lui aussi semble moins que rentable dans une économie appartenant à un territoire contrôlé par un État islamique déclinant. De même pour la taxation locale. Tandis que les ventes pétrolières illicites peuvent jouer un rôle important, elles aussi ne sont probablement pas aussi rentables qu’on le pense. En supposant qu’ils fussent pleins à ras bord, les 116 camions-citernes que des avions américains ont détruits lundi pouvaient contenir cent barils de brut chacun. Dans le meilleur des cas et d’après les tarifs actuels, Daesh aurait pu vendre le baril à environ 30 $. Ainsi, les dégâts à la « trésorerie » de l’État islamique représentent un montant relativement peu élevé d’environ 350 000 $.

De plus, à ce jour l’État islamique est une vaste organisation. Les troupes ont des effectifs d’au moins 20 000 à 31 500 combattants (chiffres diffusés par la CIA en septembre 2014) et peuvent s’élever jusqu’à 200 000, bien que 100 000 semble plus plausible. Où qu’ils soient, les combattants gagneraient de 350 à 800 $ par mois, ou plus. Ces chiffres, quoique très imprécis, suggèrent à tout le moins une organisation avec un budget mensuel approchant les dix millions.

Ainsi les revenus d’une centaine de camions-citernes n’expliquent  pas comment l’EI règle ses factures. Pas plus que les hypothèses au sujet du trafic des antiquités. Donc si l’État islamique ne tire pas l’essentiel de ses fonds de pareilles ressources, d’où provient l’argent ?

La connexion saoudienne

La réponse, celle qui dérange, est qu’il provient de l’extérieur, c’est-à-dire d’autres endroits au Moyen-Orient dans lesquels les champs pétrolifères ne sont pas d’ordre secondaire comme en Syrie et en Irak, mais au contraire, riches et productifs; pays dans lesquels les raffineries sont ultramodernes et où le pétrole est acheminé par pipeline et non par camions. Il s’agit également d’un marché massivement corrompu, peu soumis aux contrôles financiers et travaillé par de fortes affinités idéologiques, à la fois avec l’EI et Al-Qaïda.

Ce qui veut dire les États arabes du Golfe : le Koweït, le Qatar, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite, des pays disposant de richesses massives en dépit d’une chute de 50% des prix du pétrole. Les États du Golfe sont des autocraties politiques, pratiquant un sunnisme militant et, de surcroît, empêtrés dans une douloureuse contradiction idéologique.

Au niveau mondial, le nombre des sunnites dépasse celui des chiites dans un rapport d’au moins quatre pour un. Mais parmi les huit nations qui entourent le golfe Persique, la situation est inverse, les chiites étant presque deux fois plus nombreux que les sunnites. Plus le monde devient théocratique — et cette tendance est à l’œuvre non seulement dans le monde musulman, mais également en Inde, en Israël, voire aux États-Unis si certains républicains parviennent à leurs fins — plus le sectarisme s’intensifie.

Basiquement, le conflit entre sunnites et chiites est une guerre de succession parmi les partisans de Mahomet, disparu au septième siècle. Plus l’une des parties étend son pouvoir politique au nom de l’Islam, plus elle devient vulnérable aux accusations de l’autre partie qui prétend que sa revendication de pouvoir est tout sauf légitime.

La famille royale saoudienne, qui se présente elle-même comme « la gardienne des deux mosquées saintes » de La Mecque et de Médine, est particulièrement sensible à de telles accusations, ne serait-ce que parce que sa situation politique apparaît de plus en plus précaire. C’est la raison pour laquelle elle s’est jetée dans une croisade anti-chiite, du Yémen à la Syrie en passant par Bahreïn.

Alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France condamnent Bachar el-Assad en tant que dictateur, ce n’est pas la raison pour laquelle les rebelles sunnites se battent dans le but de le renverser. Ils le font en revanche parce que, en tant que pratiquant de la doctrine alaouite, une forme du chiisme, il appartient à une branche de l’Islam que les cheikhs du pétrole à Riyad considèrent comme une menace pour leur existence même.

La guerre civile est rarement un facteur de modération et, alors que la lutte contre Assad s’est intensifiée, le pouvoir au sein des rebelles est passé aux mains des forces sunnites les plus militantes, jusqu’à et y compris Al-Qaïda et son rival encore plus agressif, l’EI.

Autrement dit, l’État islamique n’est pas un phénomène local et autosuffisant, mais la construction et le bénéficiaire de pouvoirs plus importants et, dans son essence, une force paramilitaire agissant en sous-main pour le compte des cheikhs des États du Golfe. Les preuves d’un large soutien régional sont abondantes, même si des organes de presse comme le New York Times ont fait de leur mieux pour les ignorer. Quelques faits saillants sur cette piste de l’argent:

- Dans un rapport diplomatique datant de 2009 et rendu public par Wikileaks, Hillary Clinton, alors ministre des Affaires étrangères, indiqua que « les donateurs en Arabie Saoudite représentent la source de financement majeure des groupes terroristes sunnites dans le monde entier. »

(Mercredi, à l’occasion d’un discours belliciste devant le conseil des Affaires étrangères, Clinton, à présent la candidate démocrate la mieux placée dans la course à la présidentielle, a mis l’accent sur ses projets d’escalade militaire, incluant une invasion américaine de la Syrie pour « y imposer des zones d’exclusion aérienne » et sécuriser ce qu’elle a appelé « un espace sûr ». Mais elle a brièvement ajouté une allusion exaspérée à la réalité financière en disant : « une fois pour toutes, les Saoudiens, les Qataris et d’autres encore doivent empêcher leurs citoyens de financer directement les organisations extrémistes ainsi que les écoles et les mosquées qui par le monde ont conduit trop de jeunes gens sur le chemin de la radicalisation. »)

- En août 2012, un rapport de la DIA, l’ agence du renseignement de la défense, qui signalait qu’Al-Qaïda, les salafistes et les Frères Musulmans dominaient le mouvement de rébellion syrien et que leur but était d’établir « une principauté salafiste dans l’est de la Syrie », à l’endroit où se situe actuellement le califat de l’État islamique.

- Le propre dossier du Times , deux mois plus tôt, affirmant que la CIA travaillait avec les Frères Musulmans pour faire parvenir aux rebelles sunnites en Syrie des armes fournies par la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar.

- Le remarquable aveu de Joe Biden à la Harvard’s Kennedy School en octobre 2014 que « les Saoudiens, les émirats, etc. […] étaient si décidés à renverser Assad et fondamentalement à mener en sous-main une guerre entre sunnites et chiites [...] [qu'] ils ont déversé des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes sur quiconque se montrerait décidé à combattre Assad — sauf que ceux qui en ont bénéficié étaient Al-Nosra et Al-Qaïda. »

- Un éditorial du Times sorti tout juste le mois dernier se plaignant que les Saoudiens, les Qataris et les Koweïtiens continuent à faire parvenir des fonds à l’État islamique.

- Enfin, dans un article de première page vendredi, le Times a tardivement admis le rapport dévastateur de la DIA, à peine six mois après qu’il fut rendu public par les chiens de garde conservateurs de Judicial Watch. Mais même là, le journaliste Ian Fisher s’est arrangé pour laisser dans l’ombre le passage le plus important, qui est que le bastion salafiste que les sunnites cherchent à instaurer représente « exactement ce que les puissances soutenant l’opposition — c’est à dire l’Occident, les États du Golfe et la Turquie — souhaitent pour isoler le régime syrien. »

En affirmant qu’il y a « de nombreuses responsabilités » dans la débâcle en cours, Fisher s’est arrangé pour critiquer tout le monde sauf son propre journal.

L’argent roi

Pourquoi est-il si difficile de dire la vérité ? Une grande partie de la réponse est l’argent. Parce que les États-Unis, la France et d’autres puissances occidentales dépendent des États du Golfe pour le pétrole et voient les États du Golfe comme un marché de plus en plus important pour les armes de haute technologie.

Il y a un mois à peine , le Pentagone a annoncé qu’il vendait aux Saoudiens jusqu’à quatre navires de combat côtier fabriqués par Lockheed pour un total de 11,25 milliards de dollars, alors que la semaine dernière a suivi la nouvelle qu’il vendait pour 1,29 milliard de dollars de bombes intelligentes fabriquées par Boeing et Raytheon aux Saoudiens, afin de remplacer celles que le royaume a lancées sur le Yémen dans le cadre de sa croisade contre les Houthis chiites.

Les États-Unis fournissent donc les Saoudiens en bombes qui vont écraser des quartiers yéménites, produire plus de réfugiés et, dans la foulée, renforcer « Al-Qaïda dans la Péninsule arabe », afin que les États-Unis puissent alors envoyer des drones pour éliminer quelques membres d’Al-Qaïda.

Tout le monde s’y retrouve — les fabricants d’armes, le Pentagone, les politiciens de Washington comme les Clinton qui profitent des largesses saoudiennes, et même Al-Qaïda qui, tout en perdant quelques-uns de ses membres, voit sa puissance grandir en conséquence.

Mettre en évidence la manière dont l’argent coule depuis l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe vers les groupes responsables du carnage à Paris mettrait en danger cette organisation aux bénéfices mutuels. Compromettre ce circuit d’argent lucratif est une chose que Washington ne peut pas supporter, c’est pourquoi l’administration Obama préfère laisser apparaître l’EI comme une organisation autonome qui peut être paralysée par des opérations militaires du type bombardement d’un convoi de camions-citernes.

Tandis que la xénophobie enflamme l’Europe, la vraie question n’est pas les arabes ou l’Islam mais la relation « spéciale » américano-saoudienne qui est peut-être encore plus sacro-sainte que la relation avec Israël. C’est une alliance qui demande aux États-Unis de ne pas voir, entendre ou parler du démon caché dans ce partenaire arabe majeur. Ainsi, Washington doit cacher la cause réelle des horreurs allant du World Trade Center au Bataclan et à la guerre civile syrienne.

Tant que la relation « spéciale » américano-saoudienne continuera, les cadavres continueront à s’empiler.

Daniel Lazare est l’auteur de plusieurs livres, incluant The Frozen Republic: How the Constitution Is Paralyzing Democracy (Harcourt Brace).

Source Consortiumnews.com, 20 novembre 2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-connexion-saoudienne-avec-le-terrorisme-par-daniel-lazare/


25 vérités de Valéry Giscard d’Estaing sur la crise russo-ukrainienne

Wednesday 20 January 2016 at 00:30

Eh oui, il y avait des dirigeants dans les années 1970…

Source : La Pluma, Salim Lamrani, 07-11-2015

Dans une récente interview, l’ancien président français a fait part de son analyse au sujet du conflit entre la Russie et l’Ukraine [1].

Valéry Giscard d’Estaing. Crédits Photo: François BOUCHON/Le Figaro

1. L’annexion de la Crimée par la Russie constitue un acte de justice historique. Elle est « conforme à l’Histoire ».

2. La Crimée « a toujours été peuplée que par des Russes » depuis sa conquête au XVIIIe siècle, qui s’est faite au détriment « d’un souverain local qui dépendait du pouvoir turc ».

3. Pendant la Guerre froide, Nikita Khrouchtchev a voulu « accroitre le poids de l’URSS au sein des Nations unies ». Il a donc créé l’Ukraine et la Biélorussie afin d’avoir « deux voix de plus » dans le concert des nations et a rattaché la Crimée à la nouvelle Ukraine.

4. « A l’époque, déjà, je pensais que cette dépendance artificielle ne durerait pas ». L’annexion était donc prévisible.

5. « Le retour de la Crimée à la Russie a été largement approuvé par la population ».

6. « La méthode de Vladimir Poutine aurait pu être différente. Mais, aujourd’hui, la question de la Crimée doit être laissée de côté ».

7. « La Crimée […] a vocation à rester russe ».

8. L’Ukraine a longtemps été russe et Kiev fut la capitale de la Russie. « Lorsque, ministre des Finances, je suis allé en Union soviétique à la demande du général de Gaulle, j’ai été reçu par Khrouchtchev à Kiev ».

9. « Quel rôle la CIA a-t-elle joué dans la révolution du Maïdan ? »

10. « Quel est le sens de la politique systématiquement anti-russe menée par Barack Obama ? »

11. « La transition ukrainienne a un aspect peu démocratique. Ce sont des clans dirigés par des oligarques qui mènent le jeu ».

12. Les Etats-Unis « ont probablement soutenu et encouragé le mouvement insurrectionnel ».

13. La politique de sanctions contre la Russie viole le droit international.

14. « Qui peut s’arroger le droit, en effet, de dresser une liste de citoyens à qui l’on applique des sanctions personnelles sans même les interroger, sans qu’ils aient la possibilité de se défendre et même d’avoir des avocats ? »

15. Les sanctions contre la Russie portent atteinte aux intérêts de l’Europe et de l’Occident.

16. « Il serait irresponsable de souhaiter que l’économie russe s’effondre ».

17. « Pour l’Europe, les Russes sont des partenaires et des voisins ».

18. « L’Ukraine telle qu’elle est n’est pas en état de fonctionner démocratiquement ».

19. La solution à la crise ukrainienne doit passer par la création d’une confédération multiethnique « sur le modèle suisse des cantons, avec une partie russophone, une partie polonaise et une partie centrale. Un système à la fois fédéral et confédéral, sponsorisé par les Européens et soutenu par les Nations unies ».

20. Il est impossible que l’Ukraine entre dans le système européen.

21. « Les aspirations européennes de Kiev étaient un songe ».

22. « En tant qu’ancienne partie de la Russie, l’Ukraine ne peut pas être dans l’Union européenne ».

23. La place de l’Ukraine« est entre deux espaces, la Russie et l’Union européenne, avec lesquels elle doit entretenir des rapports normaux ».

24. Il est hors de question que l’Ukraine adhère à l’OTAN et la France a raison de s’y opposer.

25. L’Ukraine risque la faillite financière et sollicitera l’aide du FMI car l’Europe ne pourra pas lui apporter son concours.

Salim Lamrani

 Nota:

[1] Isabelle Lasserre, « Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing », Politique internationale, juin 2015. http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=146&id=1346&content=synopsis

 Source : La Pluma, Salim Lamrani, 07-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/25-verites-de-valery-giscard-destaing-sur-la-crise-russo-ukrainienne/


[Entraide] RH, The Times (UK), Recherches Paris, Synthèses, Wikipédia

Tuesday 19 January 2016 at 05:15

Bonjour – d’importants appels à l’entraide aujourd’hui

RH

Je souhaiterais un petit coup de main d’une personne qui bosse dans les RH et qui a l’habitude de rédiger des offres de postes, et de les diffuser – c’est important merci.

Abonnement The Times (UK)

Je cherche à récupérer cet article du journal anglais The Time - quelqu’un aurait il un abonnement, ou pourrait-il voir dans ses connaissances ?

Recherches Paris

J’ai une petite recherche assez simple sur un document d’archive à Paris – si quelqu’un pouvait aller le photographier (BNF je pense ou un ministère, à voir).

Wikipédia

Nous aurions besoin d’une personne habituée à rédiger des articles Wikipedia pour reprendre des articles traduits…

Synthèses

Nous cherchons un volontaire pour synthétiser les informations apparaissant en commentaire… (assez simple, mais il faut avoir un peu de temps régulièrement)

=> Contact

Contactez-nous ici en indiquant en objet le sujet sur lequel vous vous proposez…

Merci d’avance ! :)

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-19-01-2016/


«Culture de l’excuse»  : les sociologues répondent à Valls

Tuesday 19 January 2016 at 04:54

C’est quand même fascinant, et ça signe tellement notre époque : le Pouvoir qui vous demande de ne plus réfléchir ni d’essayer de comprendre…

Au passage, je me suis aussi dit après coup que c’était intéressant, car le Pouvoir tourne du coup aussi totalement le dos à la culture chrétienne du pardon…

On se croirait chez les députés UMP du Sud-Est les plus durs…

Source : Liberation, Sonya Faure , Cécile Daumas, Anastasia Vécrin, 12-01-2016


«Expliquer le jihadisme, c’est déjà vouloir un peu excuser.» Samedi, le Premier ministre a exprimé, une nouvelle fois, sa défiance envers l’analyse sociale et culturelle de la violence terroriste. Une accusation qui passe mal auprès des intellectuels.
En matière de terrorisme, Manuel Valls ferait-il un déni de savoir  ? Voilà trois fois qu’il s’en prend à tous ceux, sociologues et chercheurs, qui tentent de comprendre les violences contemporaines. Samedi, lors de la commémoration de ­l’attaque contre l’Hyper Cacher, le Premier ministre a de nouveau rejeté toute tentative d’explication à la fabrique de jihadistes. «Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille  ; car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser.» Au Sénat, le 26 novembre, il avait déjà porté la charge : «J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu’il s’est passé.» Et la veille, le 25 novembre, devant les députés  : «Aucune excuse ne doit être cherchée, aucune excuse sociale, sociologique et culturelle.»

Pourquoi ce rejet  ? Ces déclarations s’inscrivent dans une remise en cause bien plus large de la sociologie qui, à force de chercher des explications, donnerait des excuses aux contrevenants à l’ordre social. Aujourd’hui, il s’agit de jihadisme, hier, de délinquance. Cette dénonciation du «sociologisme» était un discours plutôt porté par la droite jusqu’ici. Manuel Valls innove sur ce terrain –  soutenu par des journalistes comme Philippe Val (dans Malaise dans l’inculture,Grasset, 2015)  – quitte à se couper encore un peu plus avec les intellectuels de gauche. En 2015, il les sommait de donner de la voix contre le Front ­national ; aujourd’hui, il répète leur inutilité. Face à un Valls multirécidiviste, la colère monte. «Il n’y a que la sociologie qui peut ­expliquer pourquoi la France est gouvernée par un PM [Premier ministre, ndlr] si médiocre. Mais ce n’est pas une excuse», tweetait dimanche l’historien des images André Gunthert. Même le pondéré Marcel Gauchet, historien et philosophe, juge «particulièrement regrettable» la phrase de Valls«Pour bien combattre un adversaire,a-t-il rappelé lundi à la matinale de France Inter, il faut le connaître. C’est le moyen de mobiliser les esprits et de donner une efficacité à l’action publique.»

Mais sur le fond, la sociologie se confond-elle vraiment avec la culture de l’excuse  ? Comprendre n’est ni excuser ni déresponsabiliser, rappelle le sociologue Bernard Lahire dans un essai qui vient de paraître (lire ci-dessous). Le propre de la recherche est de mettre à jour les déterminismes sociaux et replacer l’individu dans des interactions aussi fortes que souterraines. La sociologie n’a donc pas pour but de juger ou de rendre irresponsable, c’est à la justice d’effectuer ce travail. Pourquoi alors une telle hargne contre l’analyse sociologique  ? «En fait, écrit Lahire, la sociologie vient ­contrarier toutes les visions enchantées de l’Homme libre, autodéterminé et respon­sable.» Or, Valls, dans sa rénovation du socialisme, souhaite promouvoir un être respon­sable. En dénonçant la culture de l’excuse, il souscrit à cette vision libérale de l’individu.

Au sein d’une autre gauche pourtant, certains revendiquent le mot. «Excuser, c’est un beau programme, estime le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie (dans Juger : l’Etat pénal face à la sociologie, Fayard, 2016). Il prend en compte avec générosité et rationalité la manière dont les vies sont formées, les violences que les gens ont subies.» Un mot qu’il veut revaloriser dans les pratiques juridiques. «Aujourd’hui, la justice utilise déjà un savoir (psychiatrique) pour lever, parfois, la responsabilité (dans les cas de troubles mentaux). Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser de la même manière le savoir sociologique  ? Ne serait-ce pas une conquête de la raison sur les pulsions répressives et de jugement ?» (lire ci-dessous).

Plus largement, l’attitude de Valls serait symptomatique d’un déni de tout savoir sur la compréhension de la violence. «Ce qui s’est passé ressemble à une opération de non-penser de grande envergure,explique le philosophe Alain Badiou à Libération. De toute évidence, les pouvoirs ont intérêt à bloquer la chose dans son caractère incompréhensible.»

A l’inverse de Valls, on pourrait reprocher aux ­sociologues de ne pas assez expliquer. Les accusations répétées contre cette discipline ­sont peut-être aussi le reflet d’une déception. Celle d’une sociologie privilégiant les études qualitatives et l’enquête de terrain au détriment du chiffre et d’une vision globale de la société –  voire du travail avec les politiques. Quatre sociologues réagissent aux propos du Premier ministre.

 

Bernard Lahire :
«Il rompt avec l’esprit des Lumières»

«Déclaration après déclaration, Manuel Valls manifeste un rejet public très net de toute explication des attentats de 2015. Il ramène toute explication à une forme de justification ou d’excuse. Pire, il laisse penser qu’existerait une complicité entre ceux qui s’efforcent d’expliquer et ceux qui commettent des actes terroristes. Il fait odieusement porter un lourd soupçon sur tous ceux qui ont pour métier d’étudier le monde social. Ce discours est problématique à trois égards.

«Tout d’abord, le Premier ministre, comme tous ceux qui manient l’expression “culture de l’excuse”, confond explication et justification. Il accuse les sciences sociales d’excuser, montrant par là son ignorance. Tout le monde trouverait ridicule de dire qu’en étudiant les phénomènes climatiques, les chercheurs se rendent complices des tempêtes meurtrières. C’est pourtant bien le type de propos que tient Manuel Valls au sujet des explications scientifiques sur le monde social. Non, comprendre ou expliquer n’est pas excuser. Nous ne sommes ni des procureurs, ni des avocats de la défense, ni des juges, mais des chercheurs, et notre métier consiste à rendre raison, de la façon la plus rigoureuse et la plus empiriquement fondée, de ce qui se passe dans le monde social.

«Ensuite, le Premier ministre préfère marteler un discours “guerrier”, qui met en scène une fermeté un peu puérile censée rassurer tout le monde (mais qui ne fait qu’entretenir les peurs), plutôt que de prendre le recul nécessaire à la bonne gestion des affaires humaines. En faisant de la surenchère verbale pour clamer l’intransigeance du gouvernement, il prouve la montée dans l’espace public des discours d’autorité et des thématiques sécuritaires. Il devient ainsi une sorte de superministre de l’Intérieur. Il se cantonne dans un registre affectif au lieu de tenir un discours de raison, fondée sur une connaissance des réalités en jeu.

«Enfin, il rompt avec l’esprit des ­Lumières, qui est pourtant au fondement de notre système scolaire, de l’école primaire à l’université  : doit-on demander aux professeurs d’histoire et de géographie, de sciences économiques et sociales ou de philosophie de cesser de mettre en question les évidences, de cesser d’argumenter, d’expliquer et de transmettre les connaissances accumulées sur la société  ? A écouter certains de nos responsables politiques, on pourrait en déduire qu’une démocratie a besoin de policiers, de militaires, d’entrepreneurs et de professeurs de morale mais en aucun cas de savants. Ceux qui sont censés nous gouverner ont bien du mal à se gouverner eux-mêmes. Du calme et de la raison  : voilà ce dont nous aurions besoin.»

Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue «culture de l’excuse», La Découverte, janvier 2016.

Farhad Khosrokhavar :
«Il flatte une opinion publique blessée»

«La position de Manuel Valls sur les excuses sociologiques du terrorisme est indigne. Le Premier ministre semble oublier que la sociologie, en regardant à la loupe les trajec­toires de jihadistes, peut donner des clés de compréhension et donc des pistes pour en sortir. J’ai travaillé pendant plus de vingt ans sur les phénomènes de radicalisation, ce sont des sujets complexes qui ne peuvent être balayés d’un revers de main. Expliquer ne veut pas dire justifier. Mais dire l’état d’esprit de ces acteurs, c’est donner un sens et rendre intelligible le phénomène.

«Contextualiser permet de combattre les différentes formes de radicalisation et d’examiner de quelle façon la société peut y parer. Plus que jamais, on devrait donc analyser plutôt que d’abandonner ces phénomènes à des impensés. Comprendre, c’est précisément restituer, pénétrer l’intentionnalité des acteurs. Empathie ne veut pas dire sympathie. Dire qu’expliquer, c’est en partie excuser équivaut à dire qu’il ne faut surtout pas chercher à comprendre. C’est faire des jihadistes des bêtes féroces, ou alors des fous. Cette ­seconde hypothèse existe en partie. J’ai d’ailleurs souligné les fragilités mentales de certains. Pour les autres, il ne reste que la première, celle des bêtes féroces, qui consiste à souligner leur inhumanité et dire «on les tue». D’ailleurs, à la suite à la récente attaque dans un commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris, personne ne s’est interrogé sur la mort de l’assaillant.

«Finalement, il n’est pas vraiment question de sociologie. Le Premier ministre cherche à prendre des positions électoralement rentables comme il le fait avec la déchéance de la nationalité. Il tente de flatter une opinion publique blessée, en plein désarroi. La réalité demeure qu’il existe en Europe une armée de réserve jihadiste dont les acteurs sont des jeunes Européens souffrant d’exclusion sociale ou ayant grandi en banlieues. Pour la neutraliser sur le long terme, la mort ou la prison ne suffiront pas. Il faudra la neutraliser par des mesures socio-économiques, faire sortir du ghetto ces jeunes et inventer un nouveau mode d’urbanisme et de socialisation. Et pour cela, mobiliser l’ensemble des sciences sociales.»

Avec David Bénichou et Philippe Migaux, Le jihadisme. Le comprendre pour mieux le combattre, Plon, 2015.

Nilüfer Göle :
«Il franchit une nouvelle étape dans le débat sur l’islam»

«En accusant la sociologie de propager une culture de l’excuse, Manuel Valls franchit une nouvelle étape dans le débat autour de l’islam. Cette dynamique est une régression intellectuelle qui va de pair avec une politique basée sur la construction d’ennemis. En 2002 déjà, Oriana Fallaci, journaliste italienne de renom, appelait à ignorer “le chant” des intellectuels et leur prétendue tolérance pour pouvoir ­librement et courageusement exprimer la rage contre l’islam. Depuis, la rhétorique anti–intellectuelle ne cesse de se propager, trouvant d’autres porte-parole aussi bien à droite et à gauche, et ce dans toute l’Europe.

«En érigeant la liberté d’expression comme une arme dans la bataille contre l’islam, un appel à l’intransigeance gagne du terrain. A chaque étape, les tabous tombent les uns après les autres, on cherche à se libérer de la culpabilité du passé colonial, on annonce la fin du multiculturalisme, on refuse l’appellation raciste, et on ridi­culise la pensée bienveillante, «politiquement correcte». C’est la sociologie, accusée d’être porteuse de cette culture de l’excuse, qui entraverait la fermeté des politiques publiques.

«Certes, on ne peut pas expliquer des actes de violence par les seuls facteurs d’inéga­lités et d’exclusion. Ce serait bien trop superficiel. Mais il est tout aussi paradoxal d’ignorer que c’est par les enquêtes sociologiques que nous comprenons comment l’islam, les musulmans “ordinaires” comme les “jihadistes”, font partie des sociétés européennes. Le confort des frontières qui séparent les citoyens de “souche” de ceux issus de l’immigration a disparu. Les attaques terroristes en témoignent d’une manière violente et tragique. Les débats sur la présence des musulmans, la visibilité des signes religieux dans la vie de la cité en sont aussi la preuve. Le souhait de ne pas faire l’amalgame entre les différents musulmans n’a plus vraiment cours depuis le 13 Novembre. Vouloir ­juxtaposer une communauté ­monolithique de la nation avec la société, qui est de plus en plus constituée de ­citoyens aux multiples appartenances, est pourtant une nostalgie du passé républicain. Le désir d’adhérer à l’identité nationale et d’expulser ceux qui ne font pas corps avec la nation et ses valeurs conduit à une impasse politique. Plus que jamais, la sociologie peut nous aider à comprendre la possibilité de faire lien et de faire cité.»

Musulmans au quotidien. Une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam, La Découverte, 2015.

Geoffroy de Lagasnerie :
«Excuser, c’est un beau programme de gauche»

«Je revendique totalement le mot “excuse”. C’est un beau mot. Dans le débat rituel sur “explication”, “compréhension” et “excuse”, les deux attitudes qui s’affrontent me paraissent problématiques et me gênent beaucoup. Celle qui nie, comme Manuel Valls, la pertinence même de la sociologie : le déterminisme n’existerait pas, les individus seraient responsables de leurs actes. Cette position a au moins le mérite de la cohérence. Elle sent bien que le savoir sociologique met en crise les fondements du système de la responsabilité individuelle, du jugement et de la répression ; mais comme elle veut donc laisser intact ce système, elle doit nier la pertinence de la vision sociologique du monde.

«La deuxième position me paraît la plus étrange et incohérente. C’est celle de nombreux sociologues ou chercheurs en sciences sociales qui font un usage dépolitisant de leur pratique et leur savoir, et qui affirment ainsi que la tâche de connaître les phénomènes – qui relèverait de la “connaissance” – ne doit pas être confondue une prise de position critique sur les institutions – qui relève de l’engagement –, ou que comprendre un système relèverait de la science quand la responsabilité relèverait du droit, en sorte que nous aurions affaire ici à deux mondes différents. Expliquer ne serait pas excuser. Comment peut-on à ce point désamorcer la portée critique de la sociologie ?

«Je pense qu’il faut récupérer le mot d’excuse. On cède trop facilement aux offensives de la pensée réactionnaire ou conservatrice. Excuser, c’est un beau programme de gauche. Oui, c’est un beau mot “excuser”, qui prend en compte avec générosité et rationalité la manière dont les vies sont formées, les violences que les gens ont subies, les cadres dans lesquels ils vivent, etc. Il faut revaloriser ce mot dans la culture juridique et politique. C’est d’autant plus légitime que le droit prévoit déjà des excuses – ce qui montre à quel point des deux côtés, le débat se fonde sur une ignorance du fonctionnement du droit contemporain.

«On peut penser à “l’excuse de minorité” pour les enfants, mais aussi à l’irresponsabilité pénale pour les malades mentaux. Aujourd’hui, la justice utilise déjà un savoir (psychiatrique) pour lever, parfois, la responsabilité (dans les cas de troubles mentaux). Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser de la même manière le savoir sociologique ? J’ai assisté à de nombreux procès d’assises pour mon dernier livre. A plusieurs d’entre eux, les accusés étaient des SDF : ils boivent, ils se battent, l’un d’entre eux tombe et meurt. Je pourrais très bien comprendre qu’on déclare ce SDF irresponsable de ces coups mortels, ou qu’on atténue sa responsabilité, en raison de la façon dont son geste fut prescrit et engendré par la situation dans laquelle il s’est trouvé pris. Ne serait-ce pas une conquête de la raison sociologique et politique sur les pulsions répressives et de jugement ?»

Juger, l’Etat pénal face à la sociologie, Fayard, janvier 2016

 Sonya Faure Cécile Daumas Anastasia Vécrin
Source : Liberation, Sonya Faure , Cécile Daumas, Anastasia Vécrin, 12-01-2016
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Bernard Lahire, sociologue : “Nos responsables politiques ont tendance à refuser toute explication”

Source : Telerama, Marion Rousset, 06-12-2015

Le 15 novembre 2015, le premier ministre et les ministre de la Défense et de l’Interieur rencontrent les forces de l’ordre à la Gare du Nord, Paris.
Photo : Eric Feferberg/REA

Face aux attentats, aux émeutes ou aux crimes, le sociologue s’inquiète de la réponse politique, qui balaye d’un revers de manche toute tentative d’éclairage apportée par les sciences humaines. “Les savants sont soupçonnés immédiatement d’identification avec les criminels”, estime-t-il.

Depuis les attentats du 13 novembre, le flot des commentaires ne s’est pas tari. Certains d’entre eux – dans la classe politique notamment, et récemment encore dans la bouche de Manuel Valls – remettent en cause de façon plus ou moins directe les travaux de sociologie soupçonnés d’« excuser » les horreurs perpétrées par les auteurs des attentats. La réponse du sociologue Bernard Lahire, qui publie justement, en janvier, un essai intitulé Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse » (éd. La Découverte, 2016).

Que vous inspirent les récents propos du Premier ministre Manuel Valls qui ne veut plus que l’on cherche d’« excuse sociale, sociologique et culturelle » au terrorisme ?

Un premier ministre qui lance au Sénat le 26 novembre 2015 qu’il en a « assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé », non seulement confond « justifier » et « comprendre », mais dénie toute légitimité à la connaissance. C’est donc à la fois l’expression d’une profonde ignorance quant à ce que font réellement les chercheurs en sciences sociales, et la victoire du registre émotionnel et guerrier. Savoir comment nous en sommes arrivés là n’aurait aucune espèce d’utilité, il s’agirait juste de désigner le mal et de le combattre. Si Manuel Valls veut par là prouver aux électeurs de droite et d’extrême droite qu’il est intransigeant, c’est un populisme très dangereux. Mais c’est surtout le signe d’une grande confusion intellectuelle et d’un abandon de l’idéal de connaissance des Lumières.

Les attentats comme ceux qui viennent d’avoir lieu sont-ils des événements propices aux procès faits à la sociologie ?

Oui. Cela fait au moins quinze ans que ça dure en France. Attentats, émeutes ou crimes sont immédiatement suivis de déclarations politiques très musclées qui accusent ceux qui ne font qu’apporter des éléments de compréhension des faits. Les savants sont soupçonnés immédiatement d’identification avec les criminels et on leur prête, à tort, l’intention de les excuser.

Après les attaques perpétrées notamment contre Charlie Hebdo en janvier 2015, son ancien directeur Philippe Val s’en était déjà pris au « sociologisme »…

Philippe Val a consacré un livre entier à ce « mal » qu’il désigne sous le qualificatif de « sociologisme ». Mais derrière la critique du « sociologisme » se cache en vérité une haine de la sociologie. Avec un livre pareil, on assiste à une désignation très claire de l’ennemi à combattre dans l’esprit de certains : la sociologie et plus généralement les sciences sociales. Hélas, Philippe Val montre surtout dans ce livre qu’il ne connaît à peu près rien de ce que font les sciences sociales. Il s’invente un adversaire inexistant, censé dominer progressivement les esprits des acteurs politiques, des journalistes, des cinéastes, des écrivains, etc., puis se bat contre cette fiction. C’est pathétique et pourrait même prêter à rire si cela n’avait aucun écho.

 

Le terme d’« excuse sociologique » apparaît dans la bouche d’un homme politique, Lionel Jospin, en 1999. Cette critique a donc une déjà longue histoire ?

L’idée du « No excuse » était présente depuis longtemps aux Etats-Unis. Ce thème de l’« excuse sociologique » est dans tous les cas à mettre en lien avec le développement des sciences sociales qui ont accompli, au cours du XXe siècle, un formidable effort de connaissance. Et l’on sait – pensez à Giordano Bruno ou à Galilée – que tout effort de connaissance déclenche des résistances.

Comprenez-vous, malgré tout, le besoin d’invoquer la responsabilité individuelle des auteurs de graves violences, ne serait-ce que pour pouvoir juger leurs actes devant un tribunal ?

La Justice préfère le plus souvent juger des individus que des institutions ou des groupes, en ramenant les actes criminels à la « responsabilité » de ceux qui les ont commis. Mais rechercher les « causes », les « conditions de possibilité » et surtout les « processus » qui ont conduit à une situation d’attentat ou de crime n’a effectivement rien à voir avec une recherche des « responsables » ou des « coupables ». Le problème est que l’on rabat aujourd’hui la science sur le droit. En accusant les sociologues, dont le travail consiste à comprendre ce qui se passe lorsqu’il y a délits ou crimes, d’« excuser » ces mêmes délits ou crimes, on fait comme s’ils étaient dans le tribunal et qu’ils demandaient l’acquittement des criminels. Mais nous ne travaillons pas dans un tribunal. On peut, d’une part, chercher à comprendre et, d’autre part, penser qu’il faut juger et punir. L’un n’empêche pas l’autre. Mais juger et punir ne devrait pas interdire de porter un regard scientifique un peu serein sur les faits. Ce sont deux ordres de réalité totalement différents. On nous reproche de « déresponsabiliser » les individus qui commettent des crimes, alors que nous ne faisons que replacer leurs actions dans une histoire personnelle et collective, parfois de très longue durée. Les chercheurs sérieux reconstruisent les conditions de possibilité des actes, contextualisent et relient les faits commis par des individus singuliers à toute une série d’autres faits. Cela n’a aucun sens de nous accuser de « déresponsabiliser » les criminels : la science n’a ni à désigner des responsables ni à dédouaner les individus de leur responsabilité.

Et êtes-vous d’accord avec l’idée qu’il puisse y avoir une chronologie à respecter : un temps pour l’émotion et un autre pour l’explication ?

Le premier temps de réaction à des événements horribles est nécessairement émotionnel. Mais les représentants politiques devraient justement avoir pour rôle de s’efforcer de faire passer du registre de l’émotion à celui de la raison. Si l’on reste dans l’émotion, l’affect, la tristesse et surtout la colère, on ne peut qu’entrer dans des logiques immédiates de guerre – « œil pour œil, dent pour dent » – sans se demander si ce n’est pas le but recherché par les commanditaires des attentats. Nos responsables politiques ont tendance à refuser toute explication. Pourtant, le temps des explications doit nécessairement reprendre le dessus pour pouvoir imaginer politiquement les choses à faire, afin d’éviter que ça ne recommence.

La sociologie peut-elle avoir tendance à sous-estimer d’autres causes – psychologiques, religieuses, etc. – en focalisant sur les déterminismes sociaux ?

La sociologie fait son travail et n’interdit pas à d’autres sciences d’étudier les mêmes réalités qu’elle. Chaque domaine de savoir peut contribuer à une meilleure compréhension des faits. Ceci dit, la représentation que l’on se fait de l’explication sociologique est souvent très datée et parfois totalement erronée. Par exemple, quand on oppose les explications « culturelles » ou « religieuses » aux explications « sociologiques », on fait comme si les sociologues expliquaient tout par le « milieu social » ou la « classe sociale », alors que les réalités culturelles ou religieuses sont des faits sociaux et étudiés comme tels. Par ailleurs, cela fait aussi très longtemps que les sociologues intègrent dans leurs champs d’intérêt des questions encore souvent associées dans l’esprit des gens à la psychologie : les structures mentales, les structures de la personnalité, les motivations ou les désirs, etc. Il suffit de lire Durkheim, Weber, Elias ou Bourdieu pour s’en convaincre.

Ceux qui critiquent la sociologie le font souvent au nom de l’efficacité de l’action. Est-ce le signe d’un anti-intellectualisme ambiant ?

Il y a de ça, oui. On enferme les intellectuels dans une sorte d’« irresponsabilité » de « gens inactifs » qui contrasterait avec la « responsabilité » des « gens d’action ». Mais il faut se poser la question de savoir à quoi mène une action irréfléchie conduite par les seuls affects. Si on refuse de chercher à comprendre ce qui se passe, on ne peut que penser en termes de destruction du mal. Un mal décrit alors comme forcément inhumain, extérieur à nous et ne pouvant être combattu que par la force. La connaissance scientifique, elle, permet d’ouvrir le champ d’actions possibles.

Source : Telerama, Marion Rousset, 06-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/culture-de-lexcuse-%e2%80%8a-les-sociologues-repondent-a-valls/


Lois anti-terroristes : le cri des hauts magistrats

Tuesday 19 January 2016 at 01:31

C’est quand même incroyable la tendance à la “révolte” de nombreux hauts fonctionnaires, ça en dit long sur le professionnalisme des élus…

Source : Le Nouvel Obs, Mathieu Delahousse, 15-01-2016

Face au projet de loi attendu en février, les premiers présidents de cour d’appel signent une motion alarmante. Un geste rarissime.

Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, le 29 août 2014 à Paris. (AFP PHOTO / FRED DUFOUR)

Il est rare que les hauts magistrats sortent de leur sacro-saint droit de réserve et de leur légendaire prudence. Leur initiative est donc suffisamment rare pour être soulignée. Dans un texte commun rédigé jeudi 14 janvier, la conférence des premiers présidents de cour d’appel s’alarme contre les dispositions anti-terroristes que la garde des Sceaux Christiane Taubira doit porter dans les toutes prochaines semaines dans son projet de loi contre la criminalité organisée.

“La France ne saurait sacrifier les valeurs fondamentales de sa justice, au motif qu’un manque cruel et ancien de moyens l’a affaiblie”, écrivent-t-il dans ce texte que “l’Obs” a pu lire. Selon ces hauts magistrats du siège, c’est toute l’autorité judiciaire qui est menacée par ces textes pris dans l’urgence. Ils estiment “essentiel” que les juges judiciaires retrouvent “l’intégralité de [leurs] fonctions premières de garant des libertés individuelles, notamment de contrôle des mesures d’enquêtes et de privation des libertés”.

Les hauts magistrats prennent l’exemple de l’assignation à résidence par l’autorité préfectorale “pour des motifs imprécis et sans autorisation ni contrôle du juge judiciaire”. Mais aussi une autre mesure emblématique : celle des retenues de quatre heures, à l’initiative de l’autorité préfectorale, créant une garde à vue administrative.

Ce communiqué, rare de la part de ces premiers présidents, intervient alors que ce jeudi, lors de l’audience de rentrée de la cour de cassation, Bertrand Louvel, son premier président s’est interrogé solennellement : pourquoi l’Etat voudrait-il “éviter” l’autorité judiciaire pour son nouvel arsenal anti-terroriste ?

Mathieu Delahousse

Source : Le Nouvel Obs, Mathieu Delahousse, 15-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/lois-anti-terroristes-le-cri-des-hauts-magistrats/


Charlie Hebdo : une récente caricature jugée « répugnante » + analyse de Daniel Schneidermann

Tuesday 19 January 2016 at 00:01

Charlie Hebdo : une récente caricature jugée « répugnante »

Source : Ici Radio Canada, Tima Kurdi, 14-01-2016

Caricature controversée du dessinateur Riss de Charlie Hebdo. Photo : Charlie Hebdo

La tante du petit Syrien retrouvé noyé sur une plage turque en septembre a qualifié l’une des dernières caricatures du journal satirique Charlie Hebdo de « répugnante ». Le dessin suggère que si le petit Alan avait grandi, il serait devenu un agresseur sexuel comme ceux de Cologne, en Allemagne, durant la nuit de la Saint-Sylvestre.

« Je souhaite que les gens respectent la douleur de notre famille », commente Tima Kurdi, depuis son domicile de Port-Coquitlam en Colombie-Britannique. « C’est une perte énorme pour nous. Nous ne sommes plus les mêmes depuis cette tragédie. On essaie d’oublier et d’avancer, mais nous avons toujours aussi mal. »

La famille Kurdi est devenue tristement célèbre lorsque la photo du corps sans vie du petit Alan a fait le tour du monde il y a quelques mois. L’enfant de trois ans est mort avec son frère de cinq ans, Ghalib, et leur mère, Rehanna, lors d’une traversée entre la Turquie et la Grèce. L’affaire a eu une résonnance particulière au pays lorsqu’il a été révélé que le père d’Alan, Abdullah, avait participé au voyage après que la demande de réfugié de son frère Mohammed eut été refusée par les autorités canadiennes.

« C’est leur droit »

Tima Kurdi estime que la caricature du dessinateur Riss est « injuste ». Elle fait référence à la vague d’agressions sexuelles survenues en Allemagne, et particulièrement à Cologne, la nuit du 31 décembre. Plus de 600 plaintes ont été déposées dont une grande partie concerne des réfugiés.

« J’espère que [les dessinateurs de Charlie Hebdo] ne recommenceront pas, mais tout le monde a le droit d’avoir son opinion. Ils aiment exprimer leurs sentiments, ils l’ont déjà fait avant », ajoute-t-elle, conseillant tout simplement d’ignorer ce dessin.

Or, sur la Toile, et particulièrement sur Twitter, beaucoup d’internautes sont outrés. Le mot dièse #JeNeSuisPasCharlie a notamment émergé rapidement et se propage depuis quelques heures.

Ce n’est pas la première fois que Charlie Hebdo crée la polémique avec une référence à la famille Kurdi. L’année dernière, l’une des couvertures du journal signé Riss avait présenté la silhouette bien reconnaissable du petit Aylan, échoué sur la plage. Derrière lui, un panneau publicitaire McDonald’s « Deux menus enfants pour le prix d’un » et une légende : « si près du but ».

Source : Ici Radio Canada, Tima Kurdi, 14-01-2016

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Balle analyse de Daniel Schneidermann

Dessin de Charlie Hebdo : lettre à Riss, aux bons soins d’Internet

Source : Rue89Daniel Schneidermann, 14/01/2016

Hé, Riss  ! Je peux te parler deux minutes  ? On ne se connaît pas, je n’ai pas ton 06, et même pas celui de tes chargés de com’, mais je suis Charlie, alors je me permets de te tutoyer, et de t’envoyer une lettre aux bons soins d’Internet.

Mercredi après-midi, les « rézosociaux » comme on dit, vibrants d’indignation comme d’habitude, ont colporté jusqu’à moi ce dessin, apparemment extrait du dernier Charlie Hebdo, mis en vente le matin même.

On tape sur tout ce qui bouge

Ce dessin ne m’a pas particulièrement ému. Ni fait rire. Il m’a seulement rappelé l’esprit Hara-Kiri, l’esprit de la période Choron-Cavanna-Reiser : on tape sur tout ce qui bouge indifféremment, les flics ET les manifestants, les militaires ET les antimilitaristes, les cons, les fonctionnaires, les fachos, les profs, alors pourquoi pas aussi les migrants, sans trop faire l’effort de se demander si on parle des migrants eux-mêmes, ou des migrants tels que les fachos les désignent, tout est bon dans le crayon, tout ce qui vient sous le crayon.

Oui mais voilà, dans l’équipe, ils ne l’ont pas pris comme ça. Les jeunes membres de l’équipe d’@si (quasi-pléonasme), ceux qui n’ont qu’une connaissance livresque de la grande période Choron-Cavanna-Reiser-on-tape-sur-tout-ce-qui-bouge, tu sais quoi  ? Ils y ont carrément vu un dessin raciste.

Il faut dire que oui, c’est une question de génération. Quelle est leur image de Charlie Hebdo  ? Un ovni éditorial au sujet duquel le débat principal est de savoir s’ils sont islamophobes ou pas. Un journal dont nous avons méticuleusement épluché le contenu, pour y déceler des traces (ou non) d’islamophobie. Et dans la période récente, un journal marqué par le passage de Val et Fourest, moines-soldats de l’islamophobie française, même si, je sais, je sais, ils n’y sont plus depuis un bout de temps.

Vu de ce point de vue-là, rien ne distingue ton dessin, Riss, d’un dessin qui pourrait être publié dans Minute ou Valeurs actuelles. Rien. Pour bien le distinguer d’un dessin de Minute ou Valeurs actuelles, il faudrait avoir une vue d’ensemble de la page, ou du numéro entier, dans lequel il a été publié.

Dieu, Hollande, les flics, Johnny…

Je ne vais pas reproduire tous les dessins de ce numéro. Au-dessus du crobard fatal, un autre croque Valls et Taubira. Au-dessous, un autre se moque des dessinateurs eux-mêmes. Tout aussi férocement, au fil du numéro, sont croqués Bowie, la trilogie imams-curés-rabbins, Dieu, Hollande, les flics, Johnny, Depardieu, le Dakar, Sarkozy, Juppé, Trump, un curé pédophile, etc. Je n’en tire aucune conclusion. Mais c’est un des facteurs qui servent à caractériser le « lieu d’énonciation » du message, lequel est important pour qui veut se faire son propre jugement sur le dessin.

Le problème, c’est que ce dessin, soigneusement propagé par ceux-là même qui veulent le dénoncer, va atteindre des publics qui n’auront jamais accès au numéro entier de Charlie Hebdo. Et pas davantage à cette lettre que je t’envoie avec mes pauvres armes, des mots, moi qui dessine comme une casserole.

C’est un gros problème. On en avait parlé à Luz, de ce risque terrible de malentendu, centuplé par les rézosociaux, quand il était venu nous parlerde son si beau livre, « Catharsis » (et qu’il était resté perplexe face à un de tes dessins, mêlant esclaves sexuelles de Boko Haram et allocations familiales).

INITIALEMENT PUBLIÉ SUR ARRETSURIMAGES.NET
 Source : Rue89Daniel Schneidermann, 14/01/2016

Source: http://www.les-crises.fr/charlie-hebdo-une-recente-caricature-jugee-repugnante-analyse-de-daniel-schneidermann/


«Vendez tout ! » conseille la Banque royale d’Ecosse (RBS) aux investisseurs

Monday 18 January 2016 at 03:41

Je rappelle que RBS est une des plus grandes banques mondiales…

Tout va bien…

Source : Russia Today, 12-01-2016

Les traders travaillent dans une salle du New York Stock Exchange le 7 janvier dernier

La Banque royale d’Ecosse (RBS) a averti ses clients de s’attendre à une «année cataclysmique», ainsi qu’à une crise globale déflationniste. Il est temps de vendre ses actions avant qu’il ne soit trop tard, a-t-elle averti.

L’équipe de crédit de la RBS a indiqué que la situation des marchés était aussi alarmante que celle qui prévalait juste avant la crise financière de 2008. Les principaux marchés d’actions pourraient notamment perdre jusqu’à un cinquième de leur valeur, tandis que le baril de pétrole atteindrait 16 dollars. «Vendez tout excepté les obligations de haute qualité. Il s’agit de tout faire pour retrouver son capital de départ. Dans une salle bondée, la porte de sortie est petite», a-t-elle indiqué à ses clients dans une note, rapporte The Sydney Morning Herald.

Le chef du crédit de la RBS, Andrew Roberts, a déclaré que le commerce mondial et celui des emprunts se contractaient, un affreux cocktail pour la trésorerie des entreprises et les bénéfices comptables. Cet avenir funeste devrait également entraîner une augmentation considérable des ratios d’endettement.

«La Chine a effectué un ajustement majeur qui risque de faire boule de neige. Les emprunts et le crédit sont devenus très dangereux», a-t-il poursuivi. La Chine est en proie depuis plusieurs mois à des difficultés boursières sans précédent. En août dernier, en quatre jours, le Shanghai Composite Index avait perdu 22%, effaçant tous les gains enregistrés depuis le début de l’année et tombant sous son niveau du 31 décembre 2014.

Un effondrement de Wall Street de 10% à 20%

Wall Street et les actions européennes doivent s’attendre à une dégringolade de 10% à 20%, estime Andrew Roberts. Il a insisté en indiquant que Londres était vulnérable à un «choc négatif». «Toutes ces personnes qui possèdent beaucoup d’actions dans le pétrole et le secteur minier et qui pensent que leurs dividendes sont en sécurité vont découvrir qu’ils ne sont pas en sécurité», a ajouté le chef du crédit de la RBS.

La banque Morgan Stanley avait aussi averti des risques d’une chute du prix du baril de pétrole à 20 dollars, sachant que le pétrole influence largement le cours du dollars. L’un des principaux repères du marché pétrolier, le baril de Brent est passé sous les 31 dollars au matin du 12 janvier, son taux le plus bas depuis avril 2004.

Source : Russia Today, 12-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/vendez-tout-conseille-la-banque-royale-decosse-rbs-aux-investisseurs/