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Revue de presse du 27/06/2015

Saturday 27 June 2015 at 00:04

La revue de presse du samedi. Merci à nos contributeurs. Bonne lecture !
PS : nous sommes toujours à la recherche de volontaires pour nous aider à sélectionner des articles.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-27-06-2015/


UberPOP : pourquoi taxis, VTC et internautes doivent s’unir contre Uber

Friday 26 June 2015 at 04:09

Bon papier de Numerama.

Je préciserais cependant que, si les violences sont inacceptables, la pusillanimité du politique l’est encore plus…

Cette histoire de taxis est une caricature montrant à quel point on n’arrive plus à résoudre le moindre problème… Il semble pourtant clair :

  • qu’il faut en finir avec ces histoires de licence (donc que l’État les rachète aux taxis, moyennant une taxe sur 10 ou 20 ans – taxe qui existe déjà de facto sous forme privée pour le client, pour financer les licences ; donc les prix baisseront seulement dans 10 ou 20 ans) et laisser la liberté d’installation pour doubler ou tripler l’offre comme dans les autres capitales, il y a plein d’emplois possibles ;
  • qu’il faut revoir les tarifs pour augmenter l’offre dans Paris plutôt que dans les aéroports
  • que cette profession doit rester réglementée mais qu’il faut clairement augmenter la qualité de service en contrepartie…

Mais je pense qu’on ne fera rien, comme d’hab…

Lorsque taxis, VTC ou prestataires UberPOP se font la guerre, Uber regarde ceux qui s’affrontent comme autant de proies qu’il entend abattre les unes après les autres. Plus qu’un conflit entre des professionnels, c’est un symptôme d’une société malade, qui doit choisir sa voie. Le capitalisme décomplexé qui fait de certaines plateformes les nouveaux seigneurs d’un monde féodal moderne, ou un autre modèle de société à inventer, en restant uni ?

Si l’on en croit les indiscrétions de Business Insider traditionnellement reprises dans la presse, Uber pourrait réaliser cette année un chiffre d’affaires d’environ 10 milliards de dollars. Sur ces 10 milliards, l’entreprise de VTC reverse 8 milliards de dollars à ses chauffeurs, qu’il s’agisse des traditionnels chauffeurs VTC professionnels de l’offre UberX, ou des chauffeurs occasionnels de l’offre UberPOP. Aucun d’entre eux n’est salarié, tout le modèle d’affaires de l’entreprise consistant à offrir une plateforme de mise en relation entre les clients et les chauffeurs, lesquels travaillent officiellement pour leur propre compte.

Le risque d’une baisse d’activité ou d’un changement de réglementation est donc assumé d’abord et avant tout par les chauffeurs, qui ne bénéficient pas d’une couverture chômage (sauf si UberPOP ne constitue pour eux qu’une activité secondaire), et ne toucheront aucune indemnité de départ. Si ce n’est quelques dizaines d’emplois par pays dans lesquels il s’implante, Uber reste fondamentalement une structure légère, qui prélève auprès des travailleurs un “impôt” de 20 % pour la mise en relation avec la clientèle.

Plus Uber gagne en notoriété et en nombre de chauffeurs, plus la plateforme donne l’impression au client final d’être incontournable, et donc plus la dîme devient elle-même obligatoire de fait pour les professionnels qui dépendent de ses services pour vivre. C’est une nouvelle féodalité créée par un libéralisme débridé par internet, qui a accentué les effets de la mondialisation sur l’autel d’une dérégulation. Sur Internet plus qu’ailleurs, sur les plateformes d’intermédiation plus encore, “The Winner Takes All“.

Comme l’avaient analysé les économistes Robert Frank et Philip Cook il y a vingt ans, en observant la société américaine, “de plus en plus de gens se concurrencent pour des prix toujours moins nombreux et plus gros“, entraînant une accentuation de la pauvreté et des inégalités. Pour toutes les qualités innombrables qu’on lui connaît, il faut savoir reconnaître qu’Internet a le défaut d’avoir accéléré et globalisé l’importation de cette politique libérale dont le jusqu’au-boutisme n’est pas indifférent à la panne de croissance. Combien d’entre vous (nous en sommes trop souvent) ont le réflexe de rechercher LA boutique en ligne qui proposera le prix le moins cher, lorsqu’ils commandent un produit qui sera fabriqué, emballé, stocké et expédié par des femmes et des hommes qui aimeraient eux aussi être mieux payé ?

Il est plus facile que jamais de mettre la planète entière en concurrence, et de trouver des travailleurs pauvres qui accepteront toujours de travailler pour moins cher encore que le travailleur pauvre voisin, et puisque le droit du travail est un obstacle, il est même possible désormais de convaincre des travailleurs de s’inscrire avec le sourire sur des plateformes pour y proposer leur travail sans avoir à signer de contrat de travail. Ca vaut pour Uber, mais ça vaut aussi pour bien d’autres plateformes d’intermédiation. Google Play et l’App Store comptent chacun environ 1,5 millions d’applications. Mais combien de best-sellers parmi elles ? Dans la course aux mines d’or, celui qui fait fortune est toujours le vendeur de pioches et de tamis, jamais ou très rarement ceux qui font la course.

LES VTC UBER CONTRE LES TAXIS. UBERPOP CONTRE LES VTC UBER. UBERBOT CONTRE UBERPOP…

Dans ce monde moderne, les taxis et leur corporatisme font tâche. Il est vrai qu’ils n’acceptent pas la concurrence et qu’ils sont chers. Depuis un siècle le modèle économique des taxis français repose pour partie sur l’absence de concurrence, par l’organisation d’un contingent restreint de licences, et des prix fixés par l’administration. Il est vrai que certains ne sont pas toujours accueillants, et même qu’il leur arrive, parfois plus souvent que rarement, de refuser des courses qui ne les arrangent pas. Il leur arrive même de refuser la monnaie électronique et de se faire payer en liquide, pour des raisons qui ont bien plus trait à la fiscalité qu’au souci de protéger la vie privée de leurs clients. Parfois même certains puent, parlent trop, ou pas assez. Ils ont le défaut d’être humain dans un monde où l’on voudrait que l’homme se comporte comme un logiciel à l’interface soignée, parfaitement débuggé.

Mais qu’ils souhaitent conserver leur monde qui n’est pas celui de l’hyper-concurrence doit s’entendre. Peut-être même cela doit-il s’envier. Et si c’était les taxis et les corporations qui, au fond, avaient raison ?

Que fait Uber des 2 milliards de dollars de recettes (20 % de commission) qu’il prélève sur les courses de ses chauffeurs ? Des sommes colossales sont immédiatement réinvesties pour mettre au chômageceux qui les génèrent aujourd’hui, et ainsi permettre à Uber de ne plus prendre 20 % d’une course, mais 100 %. L’entreprise a de l’ambition, et une vision à 5, 10 ou 20 ans. Elle a pour elle le temps, et l’argent. Depuis de nombreux mois Uber dépense des millions de dollars pour recruter certains des meilleurs roboticiens et spécialistes de l’intelligence artificielle du monde, et développer les voitures robotisées de 2020, 2025 ou 2050, qui viendront chercher le client à son domicile et le conduiront où il voudra aller, sans qu’Uber n’ait à payer qui que ce soit.

La question qui se posera alors, qui se pose plus généralement avec le développement de la robotique et de l’IA (dans des proportions beaucoup trop insoupçonnées par excès de naïveté ou d’aveuglement), est celle de la propriété privée et des inégalités. A quoi ressemblera un monde où ce sont des millions de robots détenus par Uber ou quelques grandes firmes internationales qui transporteront des individus qui ne pourront que les louer ? Comment se fera l’équilibre économique et social de ce monde là ? Bien sûr, il faudra toujours des hommes et des femmes pour concevoir les robots, et (quoique) pour fabriquer les voitures automatisées dans les usines. Mais il en faudra énormément moins qu’il faut actuellement de taxis ou de VTC pour conduire les voitures.

C’est à ce monde là qu’il faut réfléchir, et peut-être contre celui-ci qu’il faut s’unir. C’est ce libéralisme là qu’il faut commencer dès aujourd’hui à réguler, sans entraver pour autant la modernité, mais en le pensant en terme de libertés et d’égalités. Interdire ici les VTC, déréguler là le marché des taxis, n’est que pansements sur une jambe de bois. Le progrès est à nos portes, mais encore faut-il qu’il ne soit pas privatisé.

Source : Guillaume Champeau, pour Numerama, le 24 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/uberpop-pourquoi-taxis-vtc-et-internautes-doivent-sunir-contre-uber/


Allemagne-Grèce : deux poids, deux mesures – L’annulation de la dette allemande en 1953…

Friday 26 June 2015 at 03:23

 

Voici 60 ans, en février 1953, à Londres était signé un accord historique sur la detteallemande. Les termes de l’accord signé tranchent radicalement avec la manière dont est aujourd’hui traitée la Grèce. Après la seconde guerre mondiale, de multiples conditions ont été réunies pour permettre à l’Allemagne de l’Ouest de se développer rapidement en permettant la reconstruction de son appareil industriel. Non seulement la dette contractée par l’Allemagne en-dehors des deux guerres mondiales a été réduite de plus de 60%, mais le règlement des dettes de guerre et le paiement des réparations aux victimes civiles et aux Etats ont été reportés à une date indéterminée : de fait, à la réunification allemande qui est intervenue en 1990 et au traité de paix qui a été signé à Moscou la même année entre les autorités des deux Allemagnes en cours d’unification, les Etats-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni et la France. Le poids des réparations sur l’économie allemande a donc été longtemps différé. Et dans le cas des réparations dues à la Grèce, celles-ci n’ont pas représenté le moindre effort de la part de l’Allemagne puisque les autorités allemandes refusent de donner suite aux demandes grecques.

À la différence de ce qui s’était passé à l’issue de la première guerre mondiale, les puissances occidentales ont voulu après la seconde guerre mondiale éviter de faire peser sur l’Allemagne le poids de remboursements insoutenables car elles ont considéré qu’ils avaient favorisé l’accession du régime nazi au pouvoir. Les puissances occidentales voulaient également une Allemagne de l’Ouest forte économiquement (mais désarmée et occupée militairement) face à l’Union soviétique et ses alliés. Rien de tel n’est de mise avec la Grèce et les autres pays de la Périphérie au sein de l’Union européenne.

Pour atteindre cet objectif, non seulement le fardeau de la dette a été très fortement allégé et des aides économiques sous forme de dons ont été octroyées à l’Allemagne, mais surtout on lui a permis d’appliquer une politique économique tout à fait favorable à son redéploiement. Les grands groupes industriels privés ont pu se consolider, ceux-là mêmes qui avaient joué un rôle clé dans l’aventure militaire de la première guerre mondiale, dans le soutien aux nazis, dans le génocide des peuples juifs, tsiganes…, dans la spoliation des pays occupés ou annexés, dans la production militaire et l’effort logistique gigantesque de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a pu développer d’impressionnantes infrastructures publiques, elle a pu soutenir ses industries afin de satisfaire la demande locale et de conquérir des marchés extérieurs. L’Allemagne a même été autorisée à rembourser une grande partie de sa dette dans sa monnaie nationale. Pour rendre cela concret, il suffit de réfléchir à la situation qui a suivi l’accord de Londres de 1953. L’Allemagne rembourse par exemple à la Belgique et à la France une partie de ses dettes de l’entre deux guerres en deutsche marks. Ces deutsche marks qui n’avaient pas d’intérêt dans les échanges avec le reste du monde, Belges et Français ont essayé de s’en débarrasser rapidement en achetant des marchandises et des équipements fournis par l’économie allemande et contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.

De leur côté, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Estonie, la Slovénie et les autres pays périphériques de la zone euro doivent rembourser leurs dettes publiques en euros alors qu’ils en manquent vu leur déficit commercial face aux pays les plus forts de la zone euro. Dans le même temps, les puissances qui dominent la zone euro les obligent, via la Commission européenne et les traités adoptés, à mener des politiques qui les empêchent tant de satisfaire la demande de leur marché que d’exporter. S’ils veulent quand même réussir à exporter, ils sont poussés à réduire encore plus les salaires, ce qui comprime un peu plus la demande intérieure et accentue la récession. Le programme de privatisation achève de porter des coups à leur appareil industriel, à leurs infrastructures et à leur patrimoine en général.

L’accord de Londres de 1953 sur la dette allemande

L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique de ses créanciers, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux (Grande-Bretagne, France). En octobre 1950, ces trois alliés formulent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration signifiant que « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne » |1|.

La dette réclamée à l’Allemagne concernant l’avant-guerre s’élève à 22,6 milliards de marks si on comptabilise les intérêts. La dette de l’après-guerre est estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953 |2|, ces montants sont ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde |3|. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6%.

De surcroît, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources |4|.

Pour s’assurer que l’économie de l’Allemagne occidentale est réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers font des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. On part du principe que l’Allemagne doit être en condition de rembourser tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Rembourser sans s’appauvrir. Pour cela, les créanciers acceptent primo que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le deutsche mark, l’essentiel de la dette qui lui est réclamée. A la marge, elle rembourse en devises fortes (dollars, francs suisses, livres sterling…). Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations, elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41% des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66%.
Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de paiement de l’Allemagne, de ses débiteurs privés et publics, ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements. L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont : 1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3. les conditions de commerce futures probables ; 4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. » |5|

En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).

Autre élément très important, le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et des revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5%. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2% de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts qui oscillent entre 0 et 5%.

Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) que pourraient réclamer à la RFA les pays occupés, annexés ou agressés (ainsi qu’à leurs ressortissants).

Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 10 milliards de dollars aujourd’hui) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars d’aujourd’hui) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.

Allemagne 1953 / Grèce 2010-2012 

Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points :
1.- Proportionnellement, la réduction de dette accordée à la Grèce en mars 2012 est infiniment moindre que celle accordée à l’Allemagne.
2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à ce plan (et à ceux qui ont précédé) ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors qu’elles ont contribué largement à relancer l’économie allemande.
3.- La Grèce se voit imposer des privatisations en faveur des investisseurs étrangers principalement alors que l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance.
4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan de la Troïka) ne sont pas réduites (seules les dettes à l’égard des banques privées l’ont été) alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne étaient réduites de 60% ou plus. Sans oublier les réparations de guerre reportées à une date indéterminée.
5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), tandis que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.
6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Deutsche Bank prêtait aux autorités allemandes et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.
7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5% de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.
8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien elles sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.
9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse bien sûr que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des « marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka.
10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.
11.- Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.

Depuis 2010, dans les pays les plus forts de la zone euro, la plupart des dirigeants politiques, appuyés par les médias dominants, vantent les mérites de leur supposée générosité à l’égard du peuple grec et d’autres pays fragilisés de la zone euro qui font la une de l’actualité (Irlande, Portugal, Espagne…). Dans ce contexte, on appelle « plans de sauvetage » des mesures qui enfoncent encore un peu plus l’économie des pays qui les reçoivent et qui contiennent des reculs sociaux inédits au cours des 65 dernières années en Europe. S’y ajoute l’arnaque du plan de réduction de la dette grecque adopté en mars 2012 qui implique une réduction des créances dues par la Grèce aux banques privées de l’ordre de 50% |6| alors que ces créances avaient perdu entre 65 et 75% de leur valeur sur le marché secondaire. La réduction des créances des banques privées est compensée par une augmentation des créances publiques aux mains de la Troïka et débouche sur de nouvelles mesures d’une brutalité et d’une injustice phénoménales. Cet accord de réduction de la dette vise à enchaîner définitivement le peuple grec à une austérité permanente, il constitue une insulte et une menace pour tous les peuples d’Europe et d’ailleurs. Selon les services d’étude du FMI, en 2013, la dette publique grecque représentera 164% du Produit intérieur brut, c’est dire que la réduction annoncée en mars 2012 n’aboutira pas à un allègement réel et durable du fardeau de la dette qui pèse sur le peuple grec. 

Pour voir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales en Grèce et dans le reste de l’Union européenne ainsi que l’accession au pouvoir d’un gouvernement du peuple à Athènes. Il faudra un acte unilatéral de désobéissance provenant des autorités d’Athènes (soutenues par le peuple), telles la suspension du remboursement et l’abrogation des mesures antisociales, pour forcer les créanciers à des concessions d’envergure et imposer enfin l’annulation de la dette illégitime. La réalisation à une échelle populaire d’un audit citoyen de la dette grecque doit servir à préparer le terrain.

Eric Toussaint, docteur en sciences politiques, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) et membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a écrit, avec Damien Millet, AAA. Audit Annulation Autre politique, Seuil, Paris, 2012.

Source : http: www.cadtm.org/ 28 février 2013 par Eric Toussaint

1953, le tournant qui a permis à l’Allemagne de rebondir

L’Accord de Londres, signé le 27 février, a permis à la République fédérale d’effacer la moitié de sa dette d’avant et d’après-guerre. Le «miracle économique» allemand est lancé

Par Yves Hulmann Samedi 28 juillet 2012

En 1951, lorsque Hermann Josef Abs est chargé de représenter la délégation allemande lors d’une série de conférences prévues à Londres, le banquier est conscient de la difficulté de la tâche qui l’attend. «Monsieur Abs, si vous faites du mauvais travail, vous serez pendu à un poirier. Et si vous faites du bon travail, ce sera à un pommier», lui déclare Fritz Schäfer, le ministre des Finances. La boutade, rapportée par Hermann Josef Abs, ne décourage pas pour autant le conseiller financier du chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer.

Durant deux ans, le responsable de la délégation allemande tentera de négocier les conditions les plus avantageuses pour la jeune République fédérale d’Allemagne. La RFA doit rembourser à la fois les obligations financières issues du Traité de Versailles, jamais honorées; les emprunts internationaux contractés durant la République de Weimar, dont le paiement des intérêts a été suspendu au début des années 1930; à quoi s’ajoutent encore les aides financières accordées par les Alliés pour reconstruire le pays ravagé après 1945.

Suite à la partition du pays en deux Républiques au sortir de la guerre, les négociateurs allemands sont confrontés à un premier dilemme: la RFA doit-elle accepter d’assumer pleinement l’héritage des dettes d’avant-guerre du Reich? Ou peut-elle se soustraire à cette responsabilité, étant donné que la partie est du territoire, la RDA, est occupée par les troupes soviétiques? Deux raisons incitent Konrad Adenauer à opter pour la première solution.

Souverainté et crédibilité

Premièrement, le chancelier, en place depuis 1949, fait du regain de souveraineté de la jeune République l’une des priorités de son action politique. Or, lors d’une conférence réunissant les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, organisée en septembre 1950 à New York, les Alliés ont fait miroiter une révision du statut d’occupation de la RFA, à condition que le pays reconnaisse les dettes d’avant-guerre de l’Allemagne.

Deuxièmement, le chancelier veut aussi rétablir la crédibilité du pays comme débiteur sur le plan international. Avoir accès à l’emprunt est indispensable pour permettre aux entreprises allemandes de se refinancer à l’international. En raison du défaut de paiement d’avant la guerre, ces dernières sont alors pénalisées dans leur activité d’exportations par des problèmes de liquidités et des coûts supplémentaires. Au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative, la valeur des importations dépassant celle des exportations.

Lorsque les négociations commencent, la partie est loin d’être gagnée. La délégation allemande fait face aux réticences de certains pays, comme la Grande-Bretagne et la France, concernant les dettes d’avant-guerre, jamais honorées. Ces dernières découlent encore en grande partie des réparations pour dommages de guerre prévues par le Traité de Versailles de 1919.

Une Allemagne étranglée

Très vite, l’Allemagne a été étranglée par le poids de ces paiements, soumis à un moratoire partiel dès 1922. En 1923, la République de Weimar n’est plus en mesure de verser quoi que ce soit.

Face à l’incapacité de l’Allemagne à satisfaire à ses engagements, un banquier américain, Charles Dawes, élabore, au milieu des années 1920, un premier plan de rééchelonnement. Le paiement des annuités est abaissé et la dette elle-même est réaménagée sous la forme d’emprunts internationaux à un taux de 7% avec une maturité de vingt-cinq ans. Leur valeur totale atteint 800 millions d’anciens Marks. Pendant un temps, l’économie allemande se redresse et le pays paie une partie de ses dettes. Grâce à ces remboursements, l’Allemagne affiche même un net bilan excédentaire de 1926 à 1929. Mais l’embellie est de courte durée: à la suite du krach boursier de 1929, l’économie allemande replonge.

En 1930, un autre Américain, Owen Young, patron de General Electric, élabore un deuxième plan de rééchelonnement de la dette ­allemande. Les «emprunts Young», d’un montant de 1,2 milliard d’anciens Marks, sont émis à un taux inférieur, de 5,5% et étalés sur une durée encore plus longue. Mais très vite, l’aggravation des conditions économiques réduit à néant l’effet des concessions consenties.

En 1931, le président américain Herbert Hoover suspend le paiement des réparations de guerre pour un an. Et en juillet 1932, les Alliés renoncent finalement à toute indemnité de guerre lors de la conférence à Lausanne, qui réunissait des représentants de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne pour régler la question des réparations prévues dans le Traité de Versailles. C’est le premier défaut de paiement officiel du Reich.

Négociations

Cependant, les emprunts de Dawes et de Young, qui avaient été souscrits par des investisseurs de divers pays, restent, eux, valables. L’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir ralentit une nouvelle fois les paiements, qui reprendront peu à peu par la suite. Après l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, seuls quelques pays comme la Suisse et la Suède continuent d’être remboursés. Lorsque Hermann Josef Abs entame en 1951 les négociations avec les représentants des Alliés, la question des engagements découlant pour l’Allemagne des emprunts de Dawes et de Young reste ainsi entièrement ouverte.

Les dettes d’avant-guerre sont estimées au départ à 13,5 milliards de Deutsche Marks. Au fil des négociations, leur valeur est d’abord ramenée à 9,6 milliards, en raison notamment de l’abandon de la ­référence à l’or et de la chute de la valeur du dollar. Au final, la somme des emprunts d’avant-guerre est encore ramenée à 7,3 milliards de Deutsche Marks, soit une remise de plus de 45% comparée à la somme initiale.

Quant aux dettes d’après-guerre, chiffrées initialement entre 15 et 16 milliards de Deutsche Marks, elles sont rabattues à un montant de 7 milliards également, soit une remise de dette de plus de moitié. Elles seront payées en tranches annuelles d’un peu plus de 200 millions, qui s’ajoutent à celles de 340 millions par an pour les emprunts d’avant-guerre.

Avec l’essor économique de la RFA durant les années 1950, ces montants peuvent être versés aisément. Le montant annuel d’un demi-milliard de Deutsche Marks versé par l’Allemagne en 1953 correspond à environ 4% du total de ses exportations. Les derniers emprunts de Dawes ont été entièrement remboursés en 1969, ceux de Young en 1980.

Une dette divisée par deux

La question du règlement de la dette allemande n’est pas encore terminée. La RFA ne s’estimait pas responsable d’assumer l’entier des sommes dues par le Reich. Mais une clause dite de «réunification» garantissait le remboursement des intérêts supplémentaires si les deux parties du pays devaient être réunifiées. Les derniers paiements correspondant à ces intérêts furent effectués en 2010.

A l’issue de la conférence de Londres, la République fédérale est ainsi parvenue à diviser par deux le poids de sa dette, avec le consentement de ses créanciers. Partant d’un montant total initial de près de 30 milliards de Deutsche Marks, les dettes d’avant et d’après-guerre de l’Allemagne sont ramenées à moins de 14 milliards, résume l’historienne Ursula Rombeck-Jaschinski, auteur d’un ouvrage consacré à cette question, publié en 2005.

Cette remise de dette, d’une ampleur rare en Europe au XXe siècle, est scellée avec l’accord signé le 27 février 1953 à Londres entre la RFA et 21 pays ayant pris part aux négociations. Outre les Etats-Unis, la plupart des pays européens ainsi que la Suisse en font partie. L’accord, qui sera ratifié par une loi le 24 août de la même année, sera reconnu par une douzaine de pays supplémentaires, y compris Israël en 1955.

Une approche non pas politique mais «comptable»

Comment la RFA a-t-elle pu obtenir des conditions aussi favorables? La réponse tient en partie à l’argumentation de Konrad Adenauer et de son conseiller économique: il ne faut pas mettre en péril le «miracle économique» naissant de la jeune République, un argument qui fait mouche auprès des Américains. De plus, les Etats-Unis veulent pouvoir compter sur la RFA, non seulement comme client mais aussi et surtout en tant que rempart contre le bloc communiste.

Enfin, la capacité de négociateur de Hermann Josef Abs, qui a siégé dans une trentaine de conseils d’administration d’entreprises et qui finira par présider la Deutsche Bank dans les années 1960, a aussi joué un rôle clé. Le banquier, que ses contemporains disent coquet et obsédé par les détails, parlait couramment plusieurs langues étrangères, dont le français, l’anglais et le néerlandais. S’y ajoute son pragmatisme lors des négociations.

Dans un long article publié en 1959, où il revient sur la phase qui a précédé l’Accord de Londres, il est frappant d’observer que Hermann Josef Abs raisonne plus comme un comptable que comme un politicien. Cette approche, tout comme la distance qu’il a gardé avec le régime nazi durant la guerre, jugée suffisante par les Alliés, ajoute à sa crédibilité. Peu importe s’il avait aussi siégé dans les conseils de plusieurs entreprises qui ont employé des prisonniers de guerre.

Cette remise de dette peut-elle servir de modèle dans le contexte la crise actuelle? On peut en tout cas observer que l’Accord de Londres, peu connu du grand public, a la particularité de faire parler de lui à chaque crise importante liée à l’endettement. Au milieu des années 1980, cet accord a souvent été cité en exemple par les adeptes d’un effacement d’une plus grande partie de la dette des pays en voie de développement. L’Allemagne, faisaient-ils valoir, n’a jamais dû rembourser plus de 5% de la valeur de ses exportations à partir de 1953, alors que de nombreux pays du tiers-monde ont dû y consacrer plus de 20%.

Le cas grec

Plus récemment, l’aggravation de la crise de la dette en Grèce et en Espagne a aussi ramené cet accord sur le devant de la scène. La remise de dette octroyée à l’Allemagne a favorisé un redémarrage rapide du pays, argumente-t-on en substance.

Mais on entend aussi un autre argument, plus inattendu: en 1946, l’Allemagne avait été condamnée à payer une somme de 7 milliards de dollars à la Grèce à titre de réparation pour l’occupation du pays de 1941 à 1944, un montant non réglé par l’Accord de Londres. Toutefois, en acceptant la réunification de la RFA et de la RDA dans le cadre du Traité de Moscou, la Grèce s’est privée de la possibilité de réclamer des réparations, a fait valoir l’Allemagne par la suite.

Selon une interpellation déposée au Parlement européen en février par le député Daniel Cohn-Bendit, cette dette vaudrait aujourd’hui plus de 80 milliards d’euros compte tenu des intérêts qui s’y sont ajoutés. Cette somme permettrait à la Grèce de rembourser une partie de la dette que le pays doit à l’Union européenne.

Si les chances d’obtenir gain de cause apparaissent plutôt minces pour la Grèce dans ce dossier, ce dernier épisode démontre qu’en matière de dette, l’histoire n’est jamais vraiment terminée.

Source : http: www.letemps.ch

 

économie. ”Au XXe siècle, Berlin a été le roi de la dette”

Publié le 26/01/2015 – 11:40

Au cours du siècle dernier, l’Allemagne s’est trouvée trois fois en faillite. Si elle a pu se relever, c’est entre autres au détriment de la Grèce, expliquait l’historien de l’économie Albrecht Ritschl en 2011 dans un entretien avec l’hebdomadaire de Hambourg.

L’Allemagne joue les donneuses de leçons sur la question de savoir s’il convient d’accorder de nouvelles aides à la Grèce. Le gouvernement se montre inflexible sur le mode : “Vous n’aurez de l’argent que si vous faites ce que nous vous demandons.” Cette attitude est-elle justifiée ?Albrecht Ritschl Non, absolument pas. Dans toute l’histoire récente, c’est l’Allemagne qui a connu les pires faillites d’Etat, au XXe siècle. Sa stabilité financière et son statut de bon élève de l’Europe, la République fédérale les doit uniquement aux Etats-Unis, qui, aussi bien après la Première Guerre mondiale qu’après la Seconde, ont renoncé à des sommes considérables. Malheureusement, on a un peu trop tendance à l’oublier.

Que s’est-il passé exactement ?
Entre 1924 et 1929, la république de Weimar a vécu à crédit et a même emprunté auprès des Etats-Unis l’argent dont elle avait besoin pour payer les réparations de la Première Guerre mondiale. Cette pyramide s’est effondrée pendant la crise de 1931. Il n’y avait plus d’argent. Les dégâts ont été considérables aux Etats-Unis et l’effet a été dévastateur sur l’économie mondiale.

Il s’est produit la même chose après la Seconde Guerre mondiale.
Sauf que les Etats-Unis ont veillé à ce que l’on n’exige plus de l’Allemagne des réparations aussi exorbitantes. A quelques exceptions près, toutes les demandes ont été renvoyées à une future réunification des deux Allemagnes. C’est véritablement ce qui a sauvé l’Allemagne, cela a été le fondement du miracle économique qui a commencé dans les années 1950. Mais les victimes de l’occupation allemande ont dû renoncer aux réparations, y compris les Grecs.

Quelle a été l’ampleur des défauts de paiement de l’Etat allemand ?
Si l’on prend la puissance économique des Etats-Unis comme point de référence, le défaut allemand des années 1930 a eu autant d’impact que la crise financière de 2008. En comparaison, le problème de la Grèce est minime. Seul le risque de contagion à d’autres pays de la zone euro pose problème.

La République fédérale passe pour être un modèle de stabilité. Combien de fois l’Allemagne a-t-elle fait faillite, au total ?Cela dépend du mode de calcul. Rien qu’au cours du siècle dernier, au moins trois fois. Après les premiers défauts de paiement, dans les années 1930, les Etats-Unis ont consenti une remise de dette considérable à la République fédérale, en 1953. A partir de là, l’Allemagne s’est portée comme un charme pendant que le reste de l’Europe se saignait aux quatre veines pour panser les plaies laissées par la guerre et l’occupation allemande. Même en 1990, le pays s’est retrouvé en situation de non-paiement.

Pardon ? Un défaut ?
Oui, le chancelier d’alors, Helmut Kohl, a refusé d’appliquer l’Accord de Londres de 1953 sur les dettes extérieures de l’Allemagne, qui disposait que les réparations destinées à rembourser les dégâts causés pendant la Seconde Guerre mondiale devaient être versées en cas de réunification. Quelques acomptes ont été versés. Mais il s’agissait de sommes minimes. L’Allemagne n’a pas réglé ses réparations après 1990 – à l’exception des indemnités versées aux travailleurs forcés. Les crédits prélevés de force dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale et les frais liés à l’occupation n’ont pas non plus été remboursés. A la Grèce non plus.

Contrairement à 1953, il s’agit moins aujourd’hui d’accorder une remise de dette à la Grèce que d’étirer l’échéancier du remboursement. Peut-on dire que le pays est menacé de faillite ?
Absolument. Un pays peut faire faillite même s’il n’est pas complètement fauché. Tout comme en Allemagne dans les années 1950, il serait illusoire de croire que les Grecs pourront s’acquitter seuls de leur dette. Aujourd’hui, il faut fixer le volume des pertes auxquelles doivent consentir les créanciers de la Grèce. Et, surtout, il s’agit de savoir qui va payer.

Et le premier des payeurs devrait être l’Allemagne…
En résumé, oui. Nous avons été très inconséquents – et nos industries exportatrices s’en sont bien trouvées. Personne en Grèce n’a oublié que la République fédérale devait sa bonne forme économique aux faveurs consenties par d’autres nations. Les Grecs sont parfaitement au courant des articles hostiles à leur égard parus dans les médias allemands. Si le vent tourne dans le pays, de vieilles revendications liées aux réparations de guerre pourraient refaire surface, y compris dans d’autres pays européens. Et si l’Allemagne se trouve contrainte de les honorer, nous y laisserons notre chemise. En comparaison, le renflouement de la Grèce est plutôt une bonne nouvelle. Si nous écoutons les boniments dont on nous abreuve et si nous continuons à jouer les grippe-sous, le cigare aux lèvres, nous sommes condamnés tôt ou tard à voir resurgir de vieilles ardoises.

Quelle solution serait actuellement préférable pour la Grèce – et l’Allemagne ?
Les faillites qu’a essuyées l’Allemagne au siècle dernier nous enseignent que le plus raisonnable serait de consentir une remise de dette généreuse. Ceux qui ont prêté de l’argent à la Grèce seraient alors contraints de renoncer à une bonne part de leurs créances. Certaines banques n’y survivraient pas, et il faudrait alors mettre sur pied de nouveaux programmes d’aide. Cela pourrait revenir cher à l’Allemagne, mais, d’une manière ou d’une autre, il nous faudra mettre la main à la poche. Et puis la Grèce se verrait ainsi donner une chance de prendre un nouveau départ.

Yasmin El-Sharif

Source : http://www.courrierinternational.com

Source: http://www.les-crises.fr/lannulation-de-la-dette-allemande-en-1953/


Le rapport sur l’audit de la dette grecque

Friday 26 June 2015 at 01:24

La Commission pour la vérité sur la dette publique grecque présente ses premières conclusions. C’est dans ce cadre qu’Eric Toussaint, qui coordonne les travaux est intervenu le 17 juin au Parlement hellénique. Le rapport conclut que la dette grecque est en grande partie illégale, illégitime et odieuse.

Ce rapport préliminaire présente une cartographie des problèmes et des questions clés liées à la dette publique grecque, et fait état des violations juridiques associées ; il retrace également les fondements juridiques sur lesquels peut se fonder la suspension unilatérale des paiements de la dette.

Un résumé en français du rapport a été publié dans ce billet.

Voici le rapport intégral :

Rapport sur la dette grecque

Extraits :

Hmmmm les banques françaises…

Source: http://www.les-crises.fr/le-rapport-sur-laudit-de-la-dette-grecque/


Grèce : pourquoi les discussions n’avancent pas

Thursday 25 June 2015 at 04:38

Le point de la situation par l’excellent Romaric Godin

L’Eurogroupe se réunit jeudi à 13 heures pour tenter de trouver un nouvel accord. Les logiques entre Grecs et créanciers semblent opposées.

La Grèce est désormais prise entre le marteau et l’enclume. Ce mercredi 24 juin, l’espoir d’un accord aura fait long feu. Le soir, l’Eurogroupe s’est séparé sans rien décider, reportant les discussions à jeudi 13 heures. Les propositions grecques, incluant des mesures de 8 milliards d’euros sur deux ans, ont été rejetées sèchement ce matin. La contre-proposition du FMI a été rejetée à son tour ensuite par Athènes. Ce plan grec était loin d’être parfait, il était même sans doute nocif pour l’économie hellénique. En réalité, il avait une qualité : montrer que le gouvernement d’Alexis Tsipras était prêt à entrer dans la logique des créanciers. Logique que l’on peut juger économiquement absurde, mais qu’il était indispensable, aux yeux du premier ministre grec, d’accepter afin de sortir le pays de la paralysie économique dans laquelle il s’enfonce.

Changement de la part des Grecs

Cette proposition représentait un changement total de stratégie du gouvernement grec et de Syriza. Il s’agissait d’obtenir un « mauvais accord » pour pouvoir appliquer une partie de son programme et bénéficier du soutien de l’Union européenne. C’était clairement une main tendue vers les créanciers. Evidemment, cette main tendue faisait grincer des dents à Athènes, mais elle était proche d’être acceptée. Il suffisait mercredi de regarder les visages des députés Syriza pour se convaincre que l’affaire n’était pas simple. Yannis Balaouras est l’un d’entre eux. « Je ne suis pas très heureux », reconnaissait-il d’emblée mercredi avant le rejet de l’offre grecque à Bruxelles. La hausse de la TVA qui frappera les plus pauvres le gènait, notamment. Mais il admettait que la Grèce doit « reprendre sa respiration » et « les liquidités doivent revenir dans le pays pour faire redémarrer l’économie. » Pour cela, il était prêt à voter un accord sur la base des propositions grecques de lundi 22 juin. Selon lui, ses électeurs qui lui envoient des messages sont d’accord sur ce point : « ils me disent, l’accord est mauvais, mais il faut continuer à lutter. » Ces concessions ne pouvaient cependant pas être acceptées sans contrepartie, notamment sur la dette. Mercredi à Athènes, il n’était pas question de réclamer une restructuration immédiate de la dette. « Nous savons que cela ne se fera pas immédiatement, mais il faut un engagement à trouver une solution », affirmait Yannis Balaouras. Le prix à payer pour les créanciers était donc léger…

Logiques opposées

Mais pour les créanciers, cette contrepartie est impossible. Les Européens (et pas seulement les Allemands, même si leur voix est décisive) refuse d’aborder le sujet de la dette. Et le FMI a intégré dans son approche cette décision. Du coup, en tant que créancier le plus concerné dans l’immédiat (les pays européens commenceront à être remboursés en théorie en 2020), il cherche à garantir les excédents primaires nécessaires au paiement de ses créances. L’institution a donc pris son stylo rouge et a biffé les propositions grecques, principalement sur les retraites. Ramenant ainsi sur la table la baisse des pensions et la suppression dès 2017, sans remplacement, des retraites complémentaires ciblées sur les plus pauvres (le complément EKAS). La question n’est donc pas, comme on l’entend souvent, la division des créanciers, mais bien leur unité. Une unité bâtie sur le refus de toute restructuration de la dette qui suppose alors des coupes dans les dépenses. Les créanciers préfèrent en effet une baisse des dépenses qui offre un montant sûr à des hausses de recettes sujettes à l’évolution de la croissance. Et les principales dépenses grecques, ce sont les retraites.

Voici pourquoi l’accord est impossible entre les deux parties. Les approches sont strictement inversées. La Grèce consent à donner des gages, mais contre un effort sur la dette et sans toucher aux retraites. En face, les créanciers ne veulent pas parler de la dette, et, en conséquence, veulent un plan incluant des baisses de pensions.

Manque de volonté politique

Reste que ce blocage, on le voit, est théoriquement technique. Ce qui manque à ces négociations, c’est une volonté politique de parvenir à un accord. Cette volonté imposerait le changement de logique de la part des créanciers en prenant en compte l’effort politique important réalisé par le gouvernement grec lundi. Cela est impossible dans la configuration actuelle : les Eurogroupes ne discutent que de l’issue des discussions techniques et les sommets que de l’issue des discussions de l’Eurogroupe. Autrement dit, dans ce calendrier, la décision politique arrive en dernier lorsqu’elle devrait arriver en premier lieu. Elle n’a donc pas la capacité à donner une impulsion nouvelle. Pourtant, Angela Merkel ou d’autres dirigeants pourraient décider de donner des instructions aux discussions techniques en leur indiquant un cadre nouveau. Mais la chancelière ne le souhaite pas. Comme à son habitude, elle joue le pourrissement de la situation pour remporter la mise. Comme elle refuse toute discussion sur la dette qui serait difficilement acceptable en Allemagne, elle cherche la capitulation d’Athènes. Cette capitulation entraînera la chute sous une forme ou sous une autre du gouvernement actuel. Un nouveau gouvernement grec plus obéissant viendra se mettre en place et tout continuera comme avant. Le problème grec sera un temps mis de côté, elle pourra conserver la Grèce dans la zone euro – donc ne pas fragiliser cette zone euro – et affirmer à ses électeurs-contribuables qu’elle les a défendus. Elle n’a donc aucune raison de modifier l’ordre des discussions.

Exaspération grecque

En Grèce, cette hypothèse du but politique des créanciers, jadis circonscrites aux cercles proches de Syriza, commence à gagner du terrain dans l’opinion. C’est ce que souligne dans un tweet le journaliste du site Macropolis, Nick Malkoutsis : la question de savoir si les créanciers ne cherchent pas à renverser le gouvernement, indique-t-il, « parcourt maintenant l’esprit de nombreux Grecs, même de ceux qui ont été critiques du gouvernement. »

Les créanciers ont, de surcroît, multiplié les humiliations : faire venir Alexis Tsipras mercredi matin pour lui signifier le refus de son plan, lui remettre une feuille biffée comme une copie d’écolier, faire recevoir par Jean-Claude Juncker le président du petit parti d’opposition To Potami ce mercredi… Les Grecs demeurent encore calmes, mais après cinq ans d’austérité, ils supportent de moins en moins cette humiliation permanente. Surtout, la lassitude commence à gagner du terrain, ouvrant la voie à l’hypothèse d’une rupture. FMI et Européens jouent donc avec le feu en refusant de se donner les moyens de trouver un accord. L’Europe doit donc de toute urgence abandonner ses buts politiques et accepter enfin le résultat de l’élection du 25 janvier. Elle doit aussi respecter sa propre parole, celle qui, le 20 février, affirmait que la Grèce devait décider de ses propres réformes dans le cadre du programme. Sinon, la rupture deviendra inévitable.

Source : Romaric Godin, La Tribune, 25/06/2015

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Le courage d’Achille, la ruse d’Ulysse, par Jacques Sapir

Les dernières péripéties dans la négociation entre le gouvernement grec et ses créanciers mettent en lumière les contre-sens de beaucoup des commentateurs. Ils partent du principe que le gouvernement grec « ne peut que céder » ou « va immanquablement céder » et considèrent chaque des concessions tactiques faites par le gouvernement grec comme une « preuve » de sa future capitulation, qu’ils la regrettent ou qu’ils l’appellent de leurs vœux. De ce point de vue, il y a une étrange et malsaine synergie entre les plus réactionnaires des commentateurs et d’autres qui veulent se faire passer pour des « radicaux » et qui oublient sciemment de prendre en compte la complexité de la lutte conduite par le gouvernement grec. Ce dernier se bat avec le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse. Disons déjà qu’aujourd’hui tous ceux qui avaient annoncé la « capitulation » du gouvernement grec ont eu tort. Il faut comprendre pourquoi.

Le point de vue du gouvernement grec

En fait, le gouvernement grec bien fait des concessions importantes depuis le mois de février dernier, mais ces concessions sont toutes conditionnelles à un accord général sur la question de la dette. Il faut savoir que c’est le poids des remboursements qui contraint le gouvernement grec à être dans la dépendance de ses créanciers. Le drame de la Grèce est qu’elle a réalisé un effort budgétaire considérable mais uniquement au profit des créanciers. L’investissement, tant matériel qu’immatériel (éducation, sante), a donc été sacrifié sur l’autel des créanciers. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner que l’appareil productif de la Grèce se dégrade et qu’elle perde régulièrement de la compétitivité. C’est cette situation que le gouvernement actuel de la Grèce, issu de l’alliance entre SYRIZA et l‘ANEL, cherche à inverser. Le gouvernement grec ne demande pas des sommes supplémentaires à ses créanciers. Il demande que l’argent que la Grèce dégage puisse être utilisé pour investir, tant dans le secteur privé que public, tant dans des investissements matériels qu’immatériels. Et sur ce point, il n’est pas prêt à transiger, du moins jusqu’à maintenant.

Les mauvaises raisons des créanciers

Les créanciers de la Grèce, quant à eux, continuent d’exiger un remboursement intégral –dont ils savent parfaitement qu’il est impossible – uniquement pour maintenir le droit de prélever de l’argent sur la Grèce via les intérêts de la dette. Tout le monde sait qu’aucun Etat n’a remboursé la totalité de sa dette. De ce point de vue les discours qui se parent d’arguments moraux sont parfaitement ridicules. Mais, il convient de maintenir la fiction de l’intangibilité des dettes si l’on veut maintenir la réalité des flux d’argent de la Grèce versles pays créanciers. Quand, ce 24 juin, Alexis TSIPRAS a constaté l’impossibilité d’arriver à un accord, ce qu’il a résumé dans un tweet en deux parties, il a pointé ce problème.

Il insiste sur le fait que le comportement des dirigeants européens montre soit qu’ils n’ont aucun intérêt dans un accord, et la négociation est vaine, ou qu’ils poursuivent des intérêts « spéciaux » qu’ils ne peuvent avouer. L’accusation est grave, même si elle est très réaliste. Et c’est peut-être l’annonce d’une rupture à venir.

En fait, on peut penser que les « créanciers » de la Grèce, et en particulier les pays de l’Eurogroupe, poursuivent deux objectifs dans les négociations actuelles. Ils veulent, tout d’abord, provoquer la capitulation politique de SYRIZA et ainsi, du moins l’espèrent-ils, sauver la politique d’austérité qui est désormais contestée dans de nombreux pays, et en particulier en Espagne comme on l’a vu avec la victoire électorale de PODEMOS. Mais, ces pays veulent aussi maintenir le flux d’argent engendré par les remboursements de la Grèce, car ce flux profite largement aux institutions financières de leurs pays. Tsipras a donc parfaitement raison d’indiquer un « intérêt spécial », qui relève, appelons un chat un chat, de la collusion et de la corruption.

Il est, à l’heure actuelle, impossible de dire si le gouvernement grec, désormais menacé par l’équivalent d’une « révolution de couleur » arrivera à maintenir sa position jusqu’au bout. Mais, jusqu’à présent, il a défendu les intérêts du peuple grec, et au-delà, les intérêts des européens, avec la force d’un lion. Nous n’avons pas le droit d’oublier cela et nous nous en souviendrons quel que soit le résultat final de cette négociation.

Source : Jacques Sapir, 24/06/2015

Source: http://www.les-crises.fr/grece-pourquoi-les-discussions-navancent-pas/


Quand “Le Monde” rêve d’un putsch contre Tsipras (+ Acrimed)

Thursday 25 June 2015 at 01:20

Les eurocrates les plus fous sont prêts à tout, y compris au pire. Il suffit pour s’en convaincre de lire, en ce jour de sommet européen exceptionnel, un récent éditorial signé d’Arnaud Leparmentier. Oubliant que les Grecs se sont choisis démocratiquement ceux qui les gouvernent, celui-ci écrit noir sur blanc comment les destituer !

Markus Schreiber/AP/SIPA

Si les Grecs ont inventé la démocratie, d’autres ont en tête de leur appliquer la technique du coup d’Etatsoft, histoire sans doute de leur faire oublier la version hard expérimentée du temps des colonels.

La chose a été explicitée de manière sereine par Arnaud Leparmentier, éditorialiste du Monde connu pour ses penchants néolibéraux décomplexés. Ayant expliqué que tout le mal venait non de la Troïka mais des Grecs eux-mêmes (air connu) et que l’Europe courait au désastre au cas de « Grexit » (ce qui n’est pas exclu), Leparmentier en arrive à la conclusion suivante : « La Grèce doit trouver un accord avec les Européens. Signé par Alexis Tsipras ou un autre, peu importe ».

Comment ça « peu importe » ?  Il y aurait donc un autre représentant du peuple grec que l’on pourrait sortir de sa manche et installer à la place de celui qui a été dûment élu ? On a beau se frotter les yeux, telle est l’hypothèse envisagée par le vénérable éditorialiste d’un journal qui aime à faire des leçons de démocratie à la planète entière.

Lisons le plus avant : « Il existe des précédents peu reluisants. C’était en novembre 2011, au G20 de Cannes, au plus fort de la crise de l’euro : le Premier ministre grec Georges Papandréou et l’Italien Silvio Berlusconi avaient comparu au tribunal de l’euro devant Sarkozy, Merkel et Obama. Bien sûr, ils ne furent pas putschés comme de malheureux démocrates sud-américains victimes de la CIA. Mais de retour dans leur pays, ils ont comme par miracle perdu leur majorité. Papandréou fut remplacé par le banquier central Loukas Papademos et Berlusconi par l’ex-commissaire européen Mario Monti. » Au passage, on appréciera la notion de « tribunal de l’euro », digne des procureurs de l’URSS, avec Obama, le roi du dollar, dans le rôle du juge suprême.

Les Grecs ne jouent pas au poker : ils jouent leur peau, leur souveraineté, leur dignité et leur place dans une Europe qui a tendance à les oublier

Arnaud Leparmentier continue son rêve à voix haute et à plume libérée : « Imaginons donc un scénario de crise : 30 juin, constat de défaut de la Grèce : 1er juillet, panique bancaire et instauration d’un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d’un gouvernement d’union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet, retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique ? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous ? »  Fin de la leçon d’éducation civique.

Bref, dans un journal qui sermonne quotidiennement la Russie, un éditorialiste de renom propose de traiter la Grèce avec la délicatesse de Poutine en Ukraine. On a les modèles qu’on peut.

Jusqu’à preuve du contraire, les Grecs ne jouent pas au poker : ils jouent leur peau, leur souveraineté, leur dignité et leur place dans une Europe qui a tendance à les oublier. C’est déjà beaucoup. Comme l’écrit l’économiste américain Jeffrey Sachs, peu suspect de dérive gauchisante puisqu’il fut l’un des instigateurs de la « thérapie de choc » dans la Russie de Boris Eltsine : « Les exigences de l’Europe sont fondamentalement autodestructrices. En les rejetant, les Grecs ne jouent pas. Ils essaient de survivre ».

Sauf à demander à Alexis Tsipras de se suicider pour le plaisir des banquiers, nul ne peut décemment lui suggérer de poursuivre une politique qui a produit une catastrophe humanitaire et économique vérifiable par tous, à l’exception des esprits taquins qui considèrent que la Grèce ne vaut que par les îles ensoleillées où les bobos vont se dorer la pilule pendant les mois d’été. Quant à le menacer d’un complot pour le déstabiliser, comme dans un roman de John Le Carré, c’est la confirmation que les eurocrates les plus fous sont prêts à tout, y compris au pire.

L’étonnant, dans cette affaire, n’est pas que certains préparent une Grèce post-Tsipras imposée par la volonté de créanciers se rêvant en apprentis putschistes. Non, l’étonnant est qu’une telle hypothèse puisse être imprimée noir sur blanc dans un journal comme Le Monde sans susciter de réactions indignées, comme si la démocratie était devenue un passager encombrant.

Source : Jack Dion, pour Marianne, le 22 juin 2015.

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Grèce : la croisade d’Arnaud Leparmentier, vice-pape du Monde - par Acrimed

par Frédéric LemaireHenri Malerle 24 juin 2015

Au moment où nous écrivons, les pressions s’accentuent sur la Grèce pour qu’elle accepte les mesures de rigueur imposées par ses créanciers. Depuis plusieurs mois, Le Monde y contribue à travers, notamment, les chroniques furieuses d’Arnaud Leparmentier contre le gouvernement d’Alexis Tsipras. Les réactions à l’activisme du directeur adjoint des rédactions du Le Monde n’ont pas manqué : dans un article exhaustif, Romaric Godin épingle les arguments fallacieux employés par Arnaud Leparmentier pour accabler les Grecs. Pierre Rimbert a quant à lui signé un petit rappel des précédents accès de fièvre libérale d’un éditocrate qui, depuis vingt ans, fait l’éloge des plans de licenciements et peste contre toutes les formes de protection sociale. Mais les partis pris de Leparmentier posent une autre question : au nom de qui parle-t-il ?

Arnaud Leparmentier a encore frappé. Dans une chronique publiée dans Le Monde du 18 juin, il se prend à rêver d’un « scénario de crise » : défaut de la Grèce, panique bancaire, renversement du gouvernement Tsipras, signature de l’accord des créanciers par un nouveau gouvernement. Il est évident que dans l’esprit du directeur adjoint des rédactions du Monde, il n’y a pas d’alternative à l’orthodoxie budgétaire européenne : la rigueur doit être appliquée de gré ou de force.

L’éditocrate n’en était pas à son coup d’essai. « Nous allons continuer de nous ruiner pour les Grecs », se lamentait-il dans une autre chronique datée du 21 janvier [1] parue une semaine avant les élections grecques, plaisamment agrémentée de culture classique :« le masque de Solon tombe : les Grecs refusent de payer des impôts. » La métaphore du masque inspire décidemment Leparmentier. Il signe deux semaines plus tard une nouvelle chronique, datée du 4 févier 2015 et intitulée « Le masque de la tragédie grecque » [2] – masque à travers lequel il faudrait à nouveau percer les mensonges des Grecs.

En voici un réjouissant pot-pourri : la Grèce « n’aurait pas été victime de l’austérité », d’ailleurs « elle ne verse quasiment aucun intérêt » ; la « tragédie » ne serait pas celle qu’on croit, puisque ce sont les braves États baltes, bons élèves de l’austérité, qui paieraient en vérité les excès des « pays du Club Med » (sic) ; enfin, les 18 autres pays de la zone euro auraient une légitimité supérieure à celle du nouveau gouvernement grec pour déterminer du sort du pays. Et« le petit couplet sur la légitimité démocratique du vote des Grecs en faveur de Syriza qui supplanterait les oukases d’une “troïka” (Commission, BCE, FMI) non démocratique est un brin fallacieux » [3].

La croisade d’Arnaud Leparmentier se poursuit avec une autre chronique publiée le 8 avril [4], au titre évocateur : « La France, une Grèce qui s’ignore ». Faisant d’une pierre deux coups, notre croisé châtie la France « plus socialiste que jamais », qui « étouffe sous l’impôt et la dépense publique », et moque « la complainte des Grecs sacrifiés sur l’autel de l’euro et de la rigueur » alors qu’ils connaissent « depuis 1990 » (sic) une croissance supérieure à celle de la France [5].

Jusqu’où ira Leparmentier ? Loin, apparemment. Dans sa dernière chronique, évoquée au début de cet article, il envisage, ni plus ni moins, le renversement du gouvernement d’Alexis Tsipras au nom de l’impérieuse nécessité de l’orthodoxie néolibérale dont il se fait le champion. Les amateurs apprécieront la version « live » de cette chronique, diffusée le lundi 15 juin sur France Inter dans l’émission « Un jour dans le Monde » animée par Nicolas Demorand. En introduction de cette performance bouffie d’importance (« me revoici tel Cassandre » [6]), l’éditorialiste du Monde se veut provocateur : « auditeurs sensibles, éteignez vos appareils, mélenchonistes de tous bords serrez les poings, chronique scélérate, ce soir ».

La jubilation d’Arnaud Leparmentier à l’idée de justifier, à une heure de grande écoute, le renversement d’un gouvernement qu’il honnit (« Eurêka, Syriza a déjà capitulé ») est celle d’un bateleur d’estrade, qui mime la transgression et cultive la provocation. Soyons clair : Arnaud Leparmentier est libre d’avoir ses opinions. Ses interventions soulèvent néanmoins cette question : au nom de qui parle-t-il ?

 

Le « nous » majestueux d’un chroniqueur-éditorialiste

Des défenseurs sourcilleux de la liberté d’opinion soutiendront qu’Arnaud Leparmentier ne parle qu’en son propre nom. En son nom certes, mais en qualité de directeur adjoint des rédactions duMonde. Une position dont il use et abuse partout où il s’exprime et quel que soit le sujet, faisant de lui un porte-parole officieux de l’ensemble de la rédaction.

Certes les bouffées de rage d’Arnaud Leparmentier sur la Grèce se présentent dans Le Monde sous la forme d’une « chronique » et non d’un « éditorial » qui engagerait officiellement l’ensemble de la rédaction. Cette nuance permet au directeur adjoint de la rédaction de s’épargner l’anonymat et le ton traditionnellement plus modéré des éditoriaux non signés. Mais il serait naïf de penser qu’un tel artifice permette aux lecteurs de faire la différence (byzantine) entre l’éditorial de la rédaction et la chronique éditorialisée du directeur en chef adjoint des rédactions… disposés côte-à-côte sur la même page du journal.

Sans compter que, sur le fond, les éditoriaux non signés ne se distinguent pas vraiment des « chroniques » de Leparmentier – exaltation mise à part. Il suffit pour s’en convaincre de lire notrearticle précédent. Qu’on le veuille ou non, sur la Grèce, les partis pris politiques du Monde se confondent avec ceux d’Arnaud Leparmentier.

Certes, il arrive que les articles plus factuels des pages d’information contredisent les grandiloquents anathèmes du vice-pape du Groupe Le Monde, comme ce fut récemment le cas des articles des correspondantes à Athènes Adéa Guillot [7] ou Aline Leclerc [8].

Peut-être les auteures de ces articles et, plus généralement, la majorité des journalistes du Monde sont-ils d’accord avec les commentaires d’Arnaud Leparmentier ? Peut-être pas. Auquel cas, ont-ils les moyens de contester la ligne éditoriale imposée par un vice-pape qui aspire, comme on le murmure dans les couloirs du quotidien, à devenir pape lui-même ? Difficile de le savoir : la démocratie au sein du Monde est aussi transparente que les réunions du Conseil européen.

Quoi qu’il en soit, les journalistes du Monde peuvent apprendre, en lisant le journal pour lequel ils travaillent, qu’Arnaud Leparmentier, non content de parler pour « eux », parle également pour « nous ». Un « nous » prophétique et insistant. Celui du 21 janvier annonçait :« Nous allons continuer de nous ruiner pour les Grecs ». Celui du 18 juin annonce : « Hébétés, nous marchons droit vers le désastre ». Quels sont ces hébétés en marche ? Les journalistes duMonde ? Sans doute pas. Le peuple français, dont Arnaud Leparmentier se ferait le porte-parole sans en avoir reçu le mandat ? C’est peu probable, du moins pour cette fois.

Les peuples européens ? C’est possible. Mais ils sont immédiatement englobés dans une entité : l’Europe. Relisons :« Hébétés, nous marchons droit vers le désastre. C’est l’Europe qui est cette fois menacée. » Une « Europe » qui se confond, comme souvent dans la prose de Leparmentier, avec ses gouvernements – dont on sait en quelle estime ils tiennent la démocratie quand elle contrarie leurs projets. Inutile de douter davantage : le « nous » englobe les gouvernements européens et les éditorialistes-choniqueurs qui partagent le point de vue et les angoisses, non du peuple grec, mais d’Arnaud Leparmentier…

… qui pousse son identification avec les gouvernements européens au point d’imaginer, pour eux, de recourir à un coup de force qui s’apparente à un quasi coup d’État :

Imaginons donc un scénario de crise : 30 juin, constat de défaut de la Grèce ; 1er juillet, panique bancaire et instauration d’un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d’un gouvernement d’union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet : retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique ? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous ? [9]

À « nous » de jouer avec le sort du peuple Grec et de la démocratie ! Décidément, Le Monde est bien malade…

Frédéric Lemaire et Henri Maler
Post-Scriptum : Au Monde, il n’y a pas que le directeur adjoint des rédactions qui fustige l’insoutenable légèreté des Grecs…

 

Dessins de Plantu en « Une » des éditions du Monde, respectivement du 8 et du 15 juin.

Notes

[1] Version intégrale dans l’édition abonnés.

[2] Version intégrale dans l’édition abonnés.

[3] Nous ne développerons pas davantage cet argumentaire rageur, démonté dans La Tribune par l’article de Romaric Godin précédemment cité.

[4] Version intégrale dans l’édition abonnés.

[5] Voir aussi le commentaire de cette chronique dans l’article de Pierre Rimbert cité précédemment.

[6] Détail amusant : Leparmentier se vante dans sa chronique d’avoir eu raison avant tout le monde. Or en février, il affirmait qu’un défaut grec ne pourrait pas « menacer l’euro dans son existence générale ». Quatre mois plus tard, il est contredit par un certain… Leparmentier Arnaud : « Nul ne peut jurer qu’un “Grexit” n’entraînera pas […] un démantèlement de la zone euro » s’inquiète en effet l’éditorialiste du Monde, dans sa chronique du 18 juin.

[7] Par exemple dans un article intitulé « La Grèce intensifie ses tractations avant le sommet crucial de lundi », publié le 21 juin 2015.

[8] Par exemple dans un article intitulé « En Grèce, en euro ou en drachmes : « Nous n’avons rien maintenant, nous n’aurons rien après », publié le 21 juin 2015.

[9] Lire ce commentaire de la chronique de Leparmentier dans Marianne : « Quand “Le Monde” rêve d’un putsch contre Tsipras »

Source : Acrimed, 24/06/2015

Source: http://www.les-crises.fr/quand-le-monde-reve-dun-putsch-contre-tsipras/


« Quand je commencerai à mentir, je cesserai d’être utile », interview avec Yanis Varoufakis

Thursday 25 June 2015 at 01:08

“Non la Grèce ne souffre pas d’un manque de liquidités, elle est tout simplement insolvable” répète Yanis Varoufakis. Ce dont son pays a besoin? “C’est d’arrêter ce système qui perpétue et reproduit les dysfonctionnements.” Interview.

L’épicentre de la crise économique européenne se trouve dans une petite rue délabrée à l’arrière de la rue Ermou, la principale artère commerçante d’Athènes. Deux chiens dorment sur le pavé brûlant. Guidé par des gardiens au sixième étage, je me retrouve dans une salle d’attente dont la climatisation est en panne. Une heure s’écoule. Des employés sortent bruyamment d’une salle de réunion, relax, en jeans et T-shirts. Mais je m’étais préparée à devoir attendre; je suis déjà franchement surprise que le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, ait accepté de me rencontrer.

Notre interview devait avoir lieu à Paris, dans le luxueux Hôtel du Collectionneur Arc de Triomphe. Mais j’ai reçu un message de l’attaché de presse du gouvernement Syriza: “URGENT-URGENT. TRIP TO PARIS CANCELLED DUE TO VERY SERIOUS DEVELOPMENTS IN NEGOTIATIONS”. Varoufakis reste sur place. Son premier ministre Alexis Tsipras, part pour Bruxelles. La situation est, pour dire le moins, changeante.

Deux jours après notre rencontre, la Grèce devra honorer son premier remboursement de juin au Fonds Monétaire International – 310 millions d’euros – qui sera suivi par deux autres échéances, pour un total de près de 1,3 milliard d’euros plus tard dans le mois. La Grèce devra gratter les fonds de tiroirs pour trouver l’argent. Les hôpitaux, les universités et les pouvoirs locaux ont cédé leurs réserves, et le gouvernement a reporté le paiement de ses fournisseurs. Après cinq ans d’austérité, l’économie grecque a reculé de 25% et vient de retomber en récession. Un quart de sa population (et 60% des jeunes) est au chômage.

La Grèce a-t-elle les moyens de rembourser? Et est-elle prête à le faire? ”Ah, c’est un sujet beaucoup trop ennuyeux”, commente Varoufakis, refusant d’en dire davantage (Ce n’est pas étonnant: le lendemain, la Grèce annoncera qu’elle souhaite combiner ses quatre remboursements en un seul, et le régler ensemble à la fin du mois de juin, un acte de provocation assez rare pour être souligné).

Ce dont la Grèce a besoin – et qu’elle attend furieusement – ce sont des outils lui permettant de creuser un trou pour reboucher un autre. En d’autres mots, un nouveau prêt de 7,2 milliards d’euros de ceux que l’on appelle la troïka: le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne. Mais cette demande a été mise au frigo en attendant que la Grèce accepte de répondre aux demandes de la troïka en matière de privatisations, de coupes dans les pensions et de modifications de la loi sur le travail, destinées à faciliter les licenciements. En d’autres mots, plus d’austérité, ce qui est exactement ce que le gouvernement radical Syriza combat avec force, et qui lui a valu sa victoire éclatante aux élections de janvier.

Les discussions, qui se sont déroulées à Riga, Berlin, Paris et Bruxelles, se sont transformées en un jeu dangereux. Qui sera le premier à reculer? La Grèce, qui risque le défaut de paiement, une sortie de l’euro et une récession économique profonde? Ou les Eurocrates, qui mettent en garde contre un “Grexit” qui déstabiliserait l’union monétaire, et qui risquent de voir la Grèce rejoindre le camp de la Russie?

«Tous ceux qui se montrent enthousiastes envers le pouvoir politique devraient en être écartés.»

Lorsque l’attaché de presse apparaît, il secoue la tête. “La situation est terrible.” Mais l’intellectuel qui est convaincu qu’un pays brisé de 11 millions d’habitants peut gagner contre l’Allemagne, et que l’économie radicale peut mettre en échec le néo-libéralisme, n’a pas l’air effrayé. Yanis Varoufakis se lève pour me saluer, les yeux pétillants.

Il parle très ouvertement, s’arrêtant toutes les dix minutes pour prendre un appel téléphonique. Pour le dernier – “Hi Larry!” – c’est Larry Summers, le professeur de l’Université de Harvard, et secrétaire d’État du gouvernement Clinton, il mènera la conversation dans sa salle de bains privée. A 54 ans, Varoufakis ne semble pas tourmenté par le fait qu’il porte le destin de son pays sur ses épaules. Lorsqu’il me raconte ses journées de 16 heures – il est passé hier soir à 20 heures pour voir Alexis Tsipras et ne l’a quitté qu’à minuit, et “ces quatre derniers mois lui ont paru un siècle” – il a l’air simplement enthousiaste. Je soupçonne que l’universitaire qui se cache en lui s’amuse de toute cette matière étonnamment primaire. Compte-t-il écrire un livre? “Bien sûr! Haha!”

Et bien entendu, il fait partie des politiciens les moins blasés. Lorsque je lui demande si le jeune chargé de cours qu’il était à l’Université d’Essex – où sa célèbre phrase “Subvert the dominant paradigm” (Opposez-vous au paradigme dominant) s’est retrouvée imprimée sur des T-shirts par ses étudiants – avait imaginé qu’il deviendrait un jour ministre des finances, Varoufakis répond en riant: “Je n’aurais même pas pu l’imaginer l’an dernier!” En effet, il travaillait au Texas au moment où Syriza l’a placé sur les listes électorales. Il n’était pas membre du parti, et il ne l’est toujours pas. Aux élections de janvier, il a malgré tout obtenu le plus grand nombre de voix parmi les candidats soutenus par Syriza.

“Qui porte les plus beaux costumes d’Armani ? Les mafiosi.”

Malgré ses nombreux livres, Varoufakis se décrit lui-même comme un “économiste accidentel”, et se présente aujourd’hui comme étant un “politicien réticent”. C’est sa grande force. Lorsqu’il était professeur, il ne comprenait pas pourquoi tout le monde voulait être chef de département. “C’est une corvée. Pourquoi vouloir ce poste, à moins que vous ne soyez pas un bon universitaire.” Il estime que les collègues devraient se rassembler autour du meilleur candidat et assumer cette charge à tour de rôle. “De la même façon, je crois dans les politiciens réticents. Tous ceux qui se montrent enthousiastes envers le pouvoir politique devraient en être écartés.

Pendant la première réunion du gouvernement Syriza, me raconte-t-il, le nouveau premier ministre a dit “Les amis, n’oubliez pas: nous ne sommes pas ici pour nous occuper de la décoration de nos bureaux”. Varoufakis regarde son bureau – avec sa peinture moderne faite de taches de couleur, ses yuccas anémiques, une étagère remplie de livres d’économie, et sans aucun effet personnel – et donne une tape sur son sofa couleur magenta en disant: “Je ne suis pas attaché à ce bureau, à ce canapé. Je veux dire par là que si je le perds demain, je m’en fous. C’est fondamental. Si vous commencez à penser que si vous perdez votre poste de ministre – Les sondages sont mauvais: oh mon dieu; Le Wall Street Journal ne dit pas des choses positives à mon sujet, peut-être que je vais être viré – si vous commencez à vous en faire pour ce genre de chose, vous perdez très vite votre punch.”

Le refus de Varoufakis de faire des compromis, ses idées et ses paroles flamboyantes ont des conséquences diverses. Son visage de renard, ses cheveux rasés, son air sexy, la veste en cuir qu’il portait durant ses premières rencontres avec les leaders européens, et sa moto avec laquelle il roule tout le temps, lui donnent un air de star du rock au milieu des costumes gris.

“Ils vont essayer de t’avoir, de semer la zizanie entre nous, parce que tu es incontournable. S’ils réussissent à t’abattre, ils m’auront, moi aussi.” ALEXIS TSIPRAS À VAROUFAKIS

“Ma moto est en bas”, dit-il. “Je suis venu avec elle ce matin. J’ai acheté ma première moto en 1978, à Colchester, et j’ai toujours eu une moto depuis lors.” Il a demandé que l’on vende la BMW ministérielle blindée de 350.000 euros et utilise une Toyota vieille de six ans pour se rendre à l’aéroport. “Et j’ai toujours eu des vestes en cuir”, ajoute-t-il, même si, avec la chaleur de juin, il porte un jeans et une chemise mauve, déboutonnée. “Alors je ne vois pas pourquoi je devrais changer uniquement parce que je suis devenu ministre des finances. C’est très simple en ce qui me concerne: qui porte les plus beaux costumes d’Armani? Les mafiosi. Est-ce que cela les rend respectables?”

Mais son franc-parler et les rumeurs sur ses colères après le sommet de Riga, lui ont valu l’étiquette de gaspilleur de temps poids léger et d’obstacle à tout accord. Certains ont dit que Tsipras l’aurait mis sur la touche et qu’il serait bientôt mis dehors. Varoufakis a répondu sur Twitter en citant Roosevelt:

FDR, 1936: “They are unanimous in their hate for me; and I welcome their hatred.” A quotation close to my heart (& reality) these days

Ce fut son message à la presse responsable de cette “propagande noire” et ce n’est pas un hasard s’il a choisi FDR (Franklin Delano Roosevelt, ndlr), vu qu’il se considère aussi comme l’auteur d’un New Deal.

 © EPA

C’est le job du ministre des finances d’être un paratonnerre contre les critiques, de jouer le rôle du mauvais flic. Tsipras l’avait mis en garde: “Il m’a dit: ‘Écoute, ils vont essayer de t’avoir, de semer la zizanie entre nous, parce que tu es incontournable. S’ils réussissent à t’abattre, ils m’auront, moi aussi’ “. Il n’a pas été mis de côté durant les discussions, explique-t-il. Il n’est pas allé à Bruxelles parce que son homologue, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, n’était pas là.

Ce qui est rafraîchissant, c’est que Varoufakis n’a suivi aucune formation aux médias, et ne pratique pas la langue de bois. Il écrit un blog fait de candeur et d’éloquence. Quand je lui dit qu’il n’a pas encore appris les codes des politiciens, il me répond avec emphase: “Le jour où je les aurai appris, je démissionnerai. En d’autres mots, quand je commencerai à mentir, et que je n’appellerai plus un chat un chat, je cesserai d’être utile. Je ne pense pas que le monde – et certainement pas la Grèce – ait besoin d’un autre politicien qui donne une fausse représentation de la réalité. Je ne suis pas franc. Je dis simplement la vérité.”

Il a provoqué un certain émoi en déclarant à propos de son élection: “Je suis le ministre des finances d’un État en faillite”. Mais cela, dit-il, est un simple fait. La Grèce ne souffre pas d’un manque de liquidités, elle est tout simplement insolvable. Et aucun prêt ne pourra résoudre le problème. “C’est comme si un de vos amis, incapable de rembourser son prêt hypothécaire, demandait une nouvelle carte de crédit et déclarait que le problème est résolu.” Varoufakis tient ce discours depuis la crise de 2010. Il a dénoncé les fonds de sauvetage, les “kleptocrates qui siphonnaient les fonds” et l’injustice du peuple grec souffrant de l’intransigeance des banquiers avec une telle virulence qu’il a reçu des menaces de mort. Ce dont nous avons besoin, dit-il, ce ne sont pas uniquement d’investissements mais d’ouverture d’esprit. Il cite le fameux “speech of hope”, du secrétaire d’État américain James Byrnes, adressé à l’Allemagne en 1946, comme prélude au Plan Marshall. Ce fut la “déclaration de paix” de l’Amérique à son ennemi vaincu. Qui reconnaissait que l’Allemagne avait le droit, si elle travaillait dur, de retrouver la prospérité. Le “speech of hope” grec, dit-il, devrait venir d’Angela Merkel.

Lorsqu’il négocie, il n’oublie pas les Grecs qui symbolisent, selon lui, le mal dont souffre son pays. Il a rencontré quelques jeunes entrepreneurs qui se battent pour faire décoller leur entreprise, mais qui sont freinés par le système fiscal. Il pense à un homme – fin de la quarantaine – qui est venu pour faire la traduction lorsqu’il a accordé une interview à un journal espagnol. Un ancien professeur de langues avec une famille, et qui vit aujourd’hui dans la rue. “Il m’a dit ‘Je vous soutiens, mais vous ne pouvez rien faire pour moi. Je suis parti, fini. Faites quelque-chose pour ceux qui sont au bord du précipice et qui ne sont pas encore tombés’.”

 © AFP

Un soir, alors qu’il prenait un verre avec sa femme, l’artiste Danae Stratou, dans le quartier chic d’Athènes, Kolonaki, il a vu “une vieille dame très belle, âgée de 80 ans ou plus, assise sur un banc dans le parc. Elle vient d’une famille bourgeoise, vivait dans un appartement, mais elle s’est retrouvée sans logement. Elle passe la nuit là-bas, et les gens qui la connaissent s’occupent d’elle.”

Et ensuite, il y a ses anciens étudiants de l’Université d’Athènes. Avant la crise, ils faisaient la file devant son bureau pour avoir des références pour un diplôme de master. Depuis 2010, ils viennent pour des références pour partir travailler à l’étranger. Il a lui-même rejoint le mouvement de fuite des cerveaux, lorsqu’il est parti en 2012 pour aller travailler aux États-Unis, consterné par la diminution de son département et la baisse de son salaire, qui signifiait qu’il ne pouvait plus payer pour sa fille, Xenia, qui vit depuis 2005 avec son ex-femme, Margarite Poulos, professeur d’université à Sydney.

JEUNE EN POLITIQUE, MAIS

Même s’il est relativement nouveau en politique, Varoufakis a grandi pendant une époque hautement politisée. Son père, Giorgos, qui a réussi, à force de travail, à devenir le président de la plus importante société sidérurgique de Grèce, a combattu aux côtés des communistes durant la guerre civile. Sa mère, biochimiste, fut une féministe militante. Son père a été brièvement arrêté par la junte militaire qui occupait le pouvoir en Grèce à la fin des années ‘60 et le début des années ’70. Un de ses oncles a passé plusieurs années en prison. “Je me souviens que la police secrète est venue frapper à la porte” raconte Varoufakis. La nuit, la famille se réunissait en secret pour écouter la radio BBC World Service, interdite.

Il quitte la Grèce à l’âge de 17 ans pour aller étudier en Angleterre. Il y restera dix ans. Il admet qu’il a eu du mal à expliquer à ses amis anglais l’horreur que représentait la vie sous une dictature. Il se sent à l’aise en Grande Bretagne et cite les Monty Pythons dans ses discours aux Allemands (probablement perplexes). Il est malgré tout déconcerté par la volonté du Royaume Uni de quitter l’Union Européenne. “Je pense que les Anglais sont un peu paranoïaques. Ils cherchent un bouc émissaire.”

Il sait certainement ce que pensent les populations de l’Europe du nord qui, même si elles s’émeuvent du sort du peuple grec, estiment que le pays est entièrement responsable de ses problèmes. L’évasion fiscale grecque a toujours été endémique, ses politiciens corrompus, l’âge de la pension trop bas, son secteur public pléthorique, ce qui a durci les cœurs. “Beaucoup de gros mensonges trouvent leur origine dans des myriades de vérités”, réagit Varoufakis. “L’immunité fiscale des puissants, la corruption, l’oligarchie inefficace… oui, beaucoup de dysfonctionnements. C’est vrai depuis 1827, au moment de la naissance de l’État grec moderne.” Mais, estime-t-il, l’État grec vit selon ses moyens en ce qui concerne les pensions et les salaires; il est tout simplement criblé de dettes. Et les problèmes actuels de la Grèce sont entièrement dus à son entrée dans la zone euro.” La crise que nous subissons depuis sept ans ne se serait tout simplement pas produite. En 2008, nous aurions eu une petite secousse, comme la Bulgarie, et aujourd’hui, nous connaîtrions depuis trois ou quatre ans une croissance rapide.”

Syriza rejoint la troïka sur la nécessité de réformer le système fiscal. Mais des milliards de capitaux ont déjà été retirés des banques grecques pour être mis de côté ou envoyés à l’étranger. Les riches ne vont-ils pas partir? “Laissez-les partir”, répond Varoufakis avec un geste dédaigneux. “Ils sont de toute façon déjà partis – ils ont leur argent à Londres ou aux Iles Cayman. Nous nous passerons d’eux. Ce dont nous avons besoin, c’est d’arrêter ce système qui perpétue et reproduit les dysfonctionnements.”

Mais que répond-il à ceux qui disent que la Grèce a menti sur sa dette pour correspondre aux critères d’entrée dans l’euro? “Pouvez-vous vraiment croire que les Européens soient aussi naïfs?” s’écrie-t-il. “Que nous leur avons menti et que c’était tout? Dire que les gouvernements grecs de cette époque ont réussi à mentir et à passer à travers est tout simplement hypocrite.” La Grèce, dit-il, n’aurait “absolument pas” dû entrer dans l’euro, mais vu que sa crise est entièrement causée par cette entrée, c’est à l’Europe de trouver une solution.

Après des mois de négociations, ne trouve-t-il pas que les positions de l’Allemagne et de la Grèce sont irréconciliables? “Je suis un optimiste”, poursuit-il. Ce qui l’a le plus déçu à propos des négociations – après des années passées dans le monde académique – c’est leur superficialité et le manque de rigueur dans le débat. Pendant 10 minutes, chacun “des bureaucrates non élus parlent du point de vue de leur institution, et ensuite nous passons des heures pour trouver un accord sur un communiqué de presse.”

 © REUTERS

Wolfgang Schäuble est celui qui s’oppose le plus ouvertement à la Grèce, insistant sur le besoin de mesures d’austérité, mais Varoufakis dit qu’il le préfère à d’autres, peut-être plus hypocrites.

“J’aime bien le rencontrer parce que lui aussi, il appelle un chat un chat. Alors quand nous discutons, c’est très civilisé et très respectueux. Nous ne sommes pas d’accord, mais je sais que je peux croire ce qu’il dit.”

VAROUFAKIS AU SUJET DE SCHAUBLE

Dans le tourbillon spéculatif sur les intentions de Syriza, il existe une théorie qui dit que Varoufakis – qui a publié plusieurs livres sur la théorie du jeu – travaille en secret à un Plan B: la sortie de la Grèce de la zone euro. Mais il nie farouchement. “Je n’ai pas un mandat pour rendre plus pauvres encore un million ou deux de Grecs supplémentaires – pour faire une expérience sociale – alors que nous avons déjà quatre millions de citoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté, juste pour voir à quelle vitesse nous nous remonterons la pente plus tard.” Il faudrait un an à la Grèce pour créer une toute nouvelle monnaie. “Imaginez que la Grande Bretagne annonce un an à l’avance qu’elle compte dévaluer la livre. Destruction. Complète. Tout le monde vendrait et tous les capitaux quitteraient le pays. Il ne resterait rien, le pays retournerait à l’âge paléolithique. Alors je ne suis pas prêt à faire l’expérience d’une sortie de l’euro. Je pense que nous devons plutôt régler le problème de l’euro. ”

Syriza a beaucoup utilisé ses “limites à ne pas franchir” dans les négociations. Mais Varoufakis a-t-il ses propres limites? “Simplement, cela m’est égal d’être ou non un politicien, et certainement d’être ministre. Ce que je veux dire, je ne vais pas mettre en jeu mon intégrité pour conserver ce poste.” Il partira, dit-il s’il est incapable de libérer la Grèce de son cycle infernal et éternel d’austérité et de remboursements.

Mais il prévient: si la Grèce se retrouve en défaut de paiement et quitte l’euro, si le pays plonge, le gouvernement Syriza ne sera pas remplacé par les anciens partis centristes – sortis du jeu – mais par le mouvement Aube Dorée, le parti grec néo-nazi. “C’est un pays qui s’est battu avec acharnement contre les nazis. Les trois pays européens avec le plus fort pourcentage de pertes contre les Nazis sont la Russie, la Yougoslavie et la Grèce. L’émergence d’un mouvement indigène nazi en Grèce est un affront à notre histoire.” Mais la combinaison d’une implosion économique et d’une humiliation nationale – “Comme vous le dites, les Européens, le monde, voient les Grecs comme une bande irrécupérable de coquins, de vauriens, de tricheurs, et de paresseux, n’est-ce pas?” – pourrait le porter au pouvoir.

 © Paris Match_BaptiseGiroudon

Et où irait Varoufakis? “Je retournerais à l’université”, dit-il en haussant les épaules. Il regrette de ne plus avoir le temps de lire et de ne plus pouvoir marcher dans la rue sans être accaparé et arrêté par des citoyens qui lui racontent leurs histoires. (Il porte un enregistreur d’activité Fitbit et me dit qu’il meurt d’envie d’aller à la gym: “c’est la meilleure façon de se vider la tête”). Lui et la belle Danae continuent à manger à l’extérieur à Athènes, sans sécurité, même après l’incident d’avril où des anarchistes l’ont bloqué et menacé. Même si, ces jours-ci, ils ont un peu de temps pour profiter de leur petit bateau ou d’autres plaisirs de la vie. Après une séance photos pour Paris Match – qu’il regrette aujourd’hui – on l’a critiqué pour oser manger du poisson sur sa terrasse pendant une crise. “Je ne suis pas catholique, je ne crois pas au purgatoire ni à l’auto-flagellation. Les gens me disent: ‘Nous vous avons vu boire du vin’. Où est le problème?”

Le téléphone se remet à sonner. A Bruxelles, Berlin et Washington, les banquiers et bureaucrates sont curieux de savoir comment traiter avec ce politicien réticent qui continue à s’opposer au paradigme dominant, parce que lui et son pays estiment qu’ils ont tout à perdre.

 © EPA

Source : L’Echo, le 20 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/quand-je-commencerai-a-mentir-je-cesserai-detre-utile-interview-avec-yanis-varoufakis/


[Point Grèce n° 412] En route vers la rupture ?

Wednesday 24 June 2015 at 17:11

Petit point d’actualité en ce 24 juin.

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il convient d’être très prudent sur les anticipations de ce dossier.

1/ En effet une anticipation résulte normalement d’une tentative d’anticiper des décisions rationnelles en fonction des intérêts de chacun. Or, ici, on a déjà des confrontations d’intérêts complexes au sein des mêmes acteurs, plus des intérêts possiblement divergents entre le court et le long terme, plus des stratégies possiblement secrètes (exemple : l’hypothèse que l’Allemagne aurait décidé de tuer l’euro sans le dire – possible, mais on n’en sait rien)

2/ Mais pire, on est en présence de pressions de nature “politiques” – voire même quasi-religieuses (l’austérité à tout prix, briser la démocratie, …), ce qu’Alain Madelin avait résumé avec une totale franchise en 1992 :

“Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste pure et dure.” [Alain Madelin à Chalon-sur-Saône, 4/9/1992]

Réfléchissez bien à ce que ceci implique en termes de démocratie…

Bref, “L’Europe néolibérale, tu l’aimes ou tu la quittes – mais arrête d’emmerder le monde avec tes lubies de transformation sociale…”

3/ et pastèque sur le gâteau, on a en plus des dirigeants d’un niveau proche du crétinisme, imbus de leur égo et de leur totale impuissance et soumission…

Allez donc faire des anticipations avec tout ça… (ils sont quand même fortiches ceux qui pensent avoir tout compris dès le premier jour…)

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Ceci étant dit, on a vu ces derniers jours la Grèce faire de grandes concessions à l’UE (retraites, TVA), acceptant de franchir ses propres lignes rouges.

J’ai même été étonné de certaines, après :

1/ avoir rendu public un rapport au Parlement démontrant le caractère “illégal, illégitime et odieux” de la dette grecque (va négocier pour la rembourser après ça…)

2/que  Tsipras ait indiqué que ses propres concessions dépassaient déjà son programme électoral… (va négocier pour rembourser après ça…)

3/ que le ministre grec des finances Varoufakis ait accusé les créanciers de “sadisme” (va négocier pour rembourser après ça…)

MAIS ce qui ne semble pas vraiment avoir été vu dans les commentaires du genre “Le Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, a jeté lundi les bases d’un accord avec ses créanciers en cédant sur l’essentiel de leurs exigences” (Source) c’est que ceci était lié a l’acceptation d’une restructuration de la dette grecque (bref, un défaut partiel), ce qui peut faire sens.

S’imaginer que Tsipras va rentrer à Athènes pour faire de l’austérité en disant “en échange on a obtenu que nos créanciers nous prêtent 30 Md€ pour qu’on leur rembourse 30 Md€” , c’est quand même trèèès optimiste – quand bien même cela serait accompagné d’un “on négociera la dette plus tard” (ça la droite a déjà fait le coup aux Grecs en fait).

Tsipras a du coup tweeté ce jour :

Traduction pour vous :

ce qui augmente apparemment encore les chances d’accord d’après la bonne tenue des marchés financiers…

Bon après on verra si Tsipras lâche la proie pour l’ombre, tout reste possible à ce stade : Tsipras était quand même un européiste (mais il est déniaisé je pense là…), et un Grexit est tout sauf une partie de plaisir – et je ne parle même pas des révolutions orange et autre “Allendétisation”…

Mais une chose est claire (je suis plus pessimiste que les médias mainstream) : l’Eurozone et le FMI ne veulent apparemment pas lâcher un euro de remise de la dette grecque, ce qui augure quand même assez mal d’un accord… La volonté semble quand même d’influer sur la vie politique grecque…

À suivre donc, encore et encore… (mais on devrait y voir clair d’ici le week-end)

P.S. la fatigue et la lassitude autour de cette histoire sans fin est hélas de nature à précipiter les problèmes…

Edit : tiens, les dernières propositions de la Grèce, et les refus du FMI  en rouge – on y est presque !

IMF Counterproposal Redline Comparison

 

Source: http://www.les-crises.fr/point-grece-n-412-en-route-vers-la-rupture/


[Réponse aux Gracques] Non à une Sainte-Alliance en zone euro !, par Jean-Michel Naulot

Wednesday 24 June 2015 at 04:01

Délire de fauxcialistes et réponse au délire du courageux JM Naulot…

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Grèce: ne laissons pas M. Tsipras braquer les banques !, par les Gracques

La Grèce n’est pas écrasée par sa dette mais par sa politique économique. Lui céder sur l’ampleur de ses réformes serait encourager les stratégies d’extorsion d’autres Etats.

C’est vrai qu’ils ont été assez légers les Grecs sur les belles réformes néolibérales quand même… Il leur reste tant à faire encore pour atteindre le paradis promis…

Le FMI met en oeuvre la solidarité des nations, et même les plus pauvres y contribuent. Il est rarissime de ne pas y honorer ses engagements. Un membre de l’Union européenne, la Grèce, a pourtant rejoint la Zambie comme pays ayant retardé ses échéances ; et elle rejoindra peut être demain le Zimbabwe au ban des nations ayant fait défaut à la solidarité internationale. Cela mérite commentaire, en particulier pour corriger les fables que font circuler les spin doctors de la gauche radicale.

Il faudra surtout s’interroger sur le fait de savoir pourquoi le FMI a prêté de l’argent à un pays endetté à près de 200 %, ce qui est interdit par ses statuts….

Non, l’euro n’a pas « asservi » les Grecs. Il leur a au contraire donné les moyens de la souveraineté,

Les socialistes, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait…

et leur a permis pendant 15 ans d’endetter à des taux aussi bas que les Allemands un Etat qui avait déjà fait défaut quatre fois en deux siècles.

1/ Et ils sont contents en plus !!!!! Ils trouvent ça bien !!!! Enorme “regardez, sans l’euro, ils n’auraient pas pu s’endetter !!!”

2/ L’Allemagne, c’est bien cet État qui a fait défaut en 1807, 1812, 1813, 1814, 1932, 1939, 1953 et 1990 ? (Sources ici et )

Mais ils ont gaspillé cette chance.

Quels crétins… Notez, tous les pays de la zone ont gaspillé “l’euro la chance” à part l’Allemagne, mais comme c’était le but…

Plutôt que de moderniser leur économie pour la rendre compétitive et d’investir dans l’infrastructure d’un Etat,

Mais comment font-ils “sans État” pour avoir un taux de prélèvements fiscaux supérieur à celui de l’Irlande ou de l’Espagne ?

ils ont distribué prébendes et revenus, sans que la productivité ne s’améliore

c’est pas chez nous qu’on verrait ça ma bonne dame…

ni que la croissance vienne d’autre chose que de la consommation.

Euuuuh, c’est pas la définition du modèle occidental ça ?

Cela a entrainé des déficits budgétaires et des paiements inconnus dans l’histoire en temps de paix : à la veille de la crise, jusqu’à 10% du PIB de déficit budgétaire primaire, hors charge de la dette, jusqu’à 15% de déficit budgétaire total, et de 10 à 20% de déficit des paiements courants.

Ben merci l’euro, non ?

Les marchés financiers ont commis la faute de financer trop longtemps ces déficits.

Attention, un “marché” ça fait des “fautes” maintenant…

Leur perte n’a pas été couverte entièrement par les contribuables puisqu’ils ont dû revendre leurs créances au secteur public avec 40 à 50% de décote lors de la restructuration de 2011. On peut débattre de savoir si c’était assez, mais ce n’est pas rien.

100 % aurait réglé une bonne partie du problème non ?

Les contribuables européens ne sont pas intervenus seulement pour sauver leurs banques. Si l’argent de la troïka n’avait été utilisé que pour racheter les créances passées, les Grecs, qui n’avaient plus accès au crédit, auraient dû réduire leur déficit primaire de 10% du PIB à zéro non pas en quatre ans, mais en une semaine. La troïka a aussi apporté de l’argent frais pour financer les déficits grecs le temps qu’ils repassent sous contrôle. C’est un effort considérable, de plusieurs dizaines de points de PIB grec, que nous avons fait en sus des aides structurelles, pas pour nos banques, mais pour les Grecs. Et c’est un prêt qui doit être remboursé.

Ah on les a drôlement aidé, mais ils doivent tout rembourser jusqu’au moindre centime…

Bienvenue dans la solidarité européiste…

Et sinon, la Martinique et la Lozère, ils remboursent quand mes aides fiscales ?

Certes, l’ajustement a été brutal. Pour qu’il le fût moins, il aurait fallu que le contribuable européen apporte encore plus d’argent frais.

“Certes…”

Pas du tout, il suffisait qu’il ne demande pas grand chose tant que l’économie n’avait pas redémarré…

Et même s’il a ramené dix ans en arrière le revenu grec, il n’a fait que remettre en ligne les dépenses avec les recettes, les salaires avec la productivité, c’est à dire le niveau de vie avec le niveau de développement, sous réserve des aides structurelles consenties par l’Union.

Oui il a effacé (trop) les effets de la “drogue euro”

Les comptes étaient en train de s’équilibrer et la croissance de repartir, quand les Grecs ont approuvé le mandat que le gouvernement rouge-brun de M.Tsipras se faisait fort de mener à bien: augmenter les revenus, revenir aux déficits primaires, avant même charge de la dette, et les faire payer par une extorsion d’argent frais européen, par la menace et le chantage.

COLLECTOR Cette phrase immonde.

Du pur rose-brun.

Pour que ce mandat soit clair, les Grecs ont d’ailleurs depuis arrêté de payer leurs impôts, y compris sur le capital, et retiré leur argent des banques, ce qui force la Banque Centrale Européenne à envoyer des liquidités tous les jours. Quant au gouvernement, il ne règle plus aucune facture que les salaires et les retraites, ce qui bloque son économie. Et il attend que les Européens cèdent…

Merci en effet à la BCE de bien vouloir couper les aides au plus vide – et qu’on affronte la vérité…

On dit la Grèce écrasée par sa dette. C’est faux. Sa dette est d’un montant nominal très élevé en proportion du PIB, mais elle est restructurée à des taux proches de zéro, et l’essentiel n’est pas dû avant des décennies.

C’est quoi en effet 27 Md€ cette année ?

Elle n’a payé l’an dernier, en proportion de son PIB, qu’autant que la France et moins que l’Italie. Les créanciers publics ne lui demandent pas de s’acquitter de sa vieille dette, celle de 2011, dont ils savent bien qu’elle ne sera pour l’essentiel pas remboursée de nos vivants [sic.]. Ils ne lui demandent que de dégager un peu d’excédent pour rendre peu à peu la « new money » ajoutée depuis 2011, en commençant par le FMI, qui est aussi l’argent du Sénégal et du Bengladesh. Ce qui écrase la Grèce, ce n’est pas sa dette, c’est sa politique économique, ses déficits, son économie de rente, l’incapacité de l’Etat à y lever l’impôt.

Déficit public total de la Grèce 2014 : -3,5 % du PIB

Déficit public total de la France 2014 : -4 % du PIB

Donnons donc des leçons…

Ce que veut la Grèce, c’est une « union de transfert » où le montant des transferts n’est décidé ni par le Parlement européen, ni par les Parlements des pays contributeurs, mais par le Parlement grec qui enverrait sa facture tous les ans en fonction de ses besoins. Malgré toute la contribution que les Grecs ont eu à l’invention de la démocratie, ce n’est pas ainsi que marche un système démocratique.

Bien sur c’est que demandent les Grèce – ils sont précis et objectifs ces gusses…

Et puis donnons bien des leçons de démocratie #referendum2005

Une « union de transfert » ne peut pas être fondée sur le chantage; et même si elle était organisée, elle ne serait pas dans l’intérêt des pays dont le revenu par tête est supérieur à la moyenne, comme la France.

Ben ils ne sont plus fédéralistes bizarrement ces Crasses ?

Pour parvenir à ce résultat, l’arme de la Grèce est simple: menacer ses partenaires européens de provoquer une déflagration financière contagieuse qui menace toute l’union monétaire et toute l’économie européenne. C’est là qu’elle surestime sa main. Certes, le maintien de la Grèce en Europe a une valeur stratégique, en particulier dans le contexte de la politique russe actuelle.

Bats ton Russe tous les jours – si toi tu ne sais pas pourquoi, lui il sait…

Certes, la sortie d’un membre de la zone euro, même d’un membre qui n’aurait jamais dû y entrer, serait un mauvais précédent à moyen terme, qui devra nous inciter à renforcer la gouvernance de la zone et la solidarité avec les pays du Sud vertueux.

Ben je croyais qu’on n’y avait pas intérêt si on est au dessus de la moyenne ???

Ah pardon, il y a de la “vertu” là…

Mais nous ne sommes plus en 2011, et la contagion n’aura pas lieu: les autres pays du Sud vont beaucoup mieux, la BCE achète massivement leurs obligations, ce qui prévient une spéculation sur leur dette. Et la dette grecque n’est plus connectée au secteur privé, de sorte qu’elle ne peut pas être le Lehman Brothers de la prochaine crise.

Oui, c’est sûr, et comme la Grèce n’a pas de quoi faire sauter 2 fois la BCE, on est tranquille…

Les Européens sont face à un dilemme. Ils ne peuvent pas céder, juste retarder encore un peu le remboursement de la « new money » de 2011 en réduisant les objectifs d’excédent primaire. Mais ils ne vont pas apporter de l’argent frais pour maintenir un déficit primaire de l’Etat grec et soutenir un système de retraite plus généreux en proportion des revenus que celui de tous les autres pays européens.

Oui c’est sur qu’il est très “généreux en proportion des revenus”, vu que les revenus ont fait – 25 %…

Le magnifique système de retraite grec : moyenne des pensions 880 € ; 40 % des pensions < 500 € ; 80 % des retraites < 1 000 €…

Car le risque de contagion grec n’est plus financier. Il est politique. Le projet Syriza est celui de tous les populistes : c’est celui de Podemos, du mouvement 5 étoiles comme du Front National.

Par chance, ce n’est pas le PS ou l’UMPLR qui serait populiste…

La lâcheté, qui peut s’habiller de géopolitique, peut inciter à céder à la Grèce, qui est petite, un PIB inférieur à la quinzième ville chinoise. Mais céder à la Grèce encouragerait des Etats plus importants à élire des gens qui proposent les mêmes stratégies d’extorsion. Cela cela mettrait en danger tout ce que l’Europe a construit depuis 50 ans.

Le champs de ruines là ?

On n’obtiendra pas du salarié slovaque qu’il cotise pour que le retraité grec gagne plus que le retraité slovaque…

Ni du français pour le retraité allemand…

“L’Europe, c’est la paix…”

D’où la tragédie qui se déroule sous nos yeux: M.Tsipras est un braqueur de banque qui menace de tout faire sauter -lui et son peuple avec- sans réaliser que ses otages- les autres pays du Sud – ont été déjà exfiltrés. Bien sur, on négocie avec lui, on lui dit des mots polis, on essaie de le ramener à la raison. Mais il est hors de question qu’il parte avec la caisse. Et c’est tant mieux.

Bon ben, aucun risque alors !

“L’Europe, c’est la paix…”

Ne pas céder sera douloureux. Syriza aura le choix entre renier son mandat, ce que cette majorité aura du mal à assumer, ou entraîner son pays dans une spirale mortifère. D’abord, il faudra fermer les banques, comme à Chypre, puisque la faillite de l’Etat grec les rendra insolvables, ce qui privera les pauvres de leurs économies -les autres les ont déjà retirées-, et ramènera l’économie à l’âge du troc.

Et du cannibalisme même. Comme en Russie en 1998.

Puis il faudra, tout en laissant circuler les euros, payer fonctionnaires et retraités avec des assignats qui s’échangeront 50% en dessous de leur valeur en euros, ce qui plaira aux théoriciens de la « monnaie commune », mais réduira les revenus des intéressés bien au delà de ce que demande le FMI, pendant que le secteur privé continuera à être payé en euros.

Eh oui, mais l’intéressant sera de voir ça dans 5 ans…

Ou bien on appellera ces assignats « drachmes » et on les fera émettre par une banque centrale à la botte : là, la Grèce sortira vraiment de l’euro. Mais la contrainte se reportera alors de l’équilibre budgétaire sur l’équilibre extérieur. Qui voudra être payé en drachmes ?

Les Grecs, comme avant ?

Et où les Grecs trouveront-ils des devises pour payer les importations puisqu’ils exportent peu, que leur défaut les privera de crédit et que leurs actifs publics à l’étranger seront saisis ( comme par exemple les avions d’Olympic airways)? Au bout de cette route, la Grèce devra aussi quitter l’Union, sans doute en échange d’un pourboire humanitaire. Pas seulement parce que c’est ce que disent les Traités. Mais surtout parce que ses voisins auront du mal à tolérer la liberté de circulation des personnes avec un Etat failli, incapable de contrôler ses frontières extérieures; ni celle des marchandises avec une monnaie en dévaluation sauvage.

Cette dégringolade, où qu’elle s’arrête- et il faut espérer que ce soit le plus tôt possible -coûtera bien plus cher à la Grèce que ce que demande le FMI. Son seul intérêt sera de montrer aux peuples ce que donnent les recettes populistes, et ce n’est pas à l’avantage des Grecs, car une fois la spirale engagée, ce ne sera plus l’intérêt des autres pays européens d’amortir la chute. On peut former le souhait que le peuple grec réagira quand il touchera du doigt la catastrophe. Il demandera alors des comptes aux rouges-bruns. Ce jour là, mais ce jour là seulement, il faudra que l’Europe sache être généreuse.

Vivement qu’on puisse demander des comptes aux roses-bruns…

Les Gracques sont un groupe informel d’anciens hauts fonctionnaires socialistes 

#la-vieillesse-est-un-naufrage

Comme ils sont retraités, pourquoi l’anonymat ?

Source : Les Echos, 15/6/2015

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(Oh, tiens, un ancien député socialiste (à gauche)…)

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Grèce : Sainte-Alliance zone euro !

Grèce : non à une Sainte-Alliance en zone euro !, par JM Naulot

D’anciens hauts fonctionnaires socialistes, se faisant appelés « Les Gracques », ont lancé une charge violente contre les dirigeants grecs, dans une tribune publiée le 15 juin, dans « Les Echos ». Les signataires souhaitent, dans le fond, la capitulation du pays face à l’Union européenne.

Utiliser l’anonymat présente l’avantage de permettre aux signataires d’un article d’exposer librement le fond de leur pensée, des idées que l’on n’oserait peut-être pas exposer autrement. Au bas de la tribune intitulée « Grèce: ne laissons pas M. Tsipras braquer les banques ! »  dans « Les Echos » du 15 juin, il est précisé que les signataires (« Les Gracques ») sont « d’anciens hauts fonctionnaires socialistes ». Une précision utile car, à la lecture de ce pamphlet contre la Grèce, on aurait pu croire qu’ils venaient plutôt d’un univers conservateur.

Croisade contre la Grèce

De quoi est-il question dans cette tribune ? D’une véritable croisade contre la Grèce et ses dirigeants. D’entrée de jeu, la Grèce est comparée à la Zambie et au Zimbabwe ! Les Grecs ont dû apprécier cette belle manifestation de solidarité au moment où ils sont confrontés à une terrible épreuve. Militer avec ferveur pour la cause européenne justifie-t-il que l’on méprise l’autre lorsqu’il ne vous ressemble pas, lorsqu’il ne vote pas comme vous ?

Quelle faute ont donc commis les Grecs pour être à ce point tournés en ridicule ? Ils « ont élu Syriza, avec le mandat d’augmenter les revenus et de revenir aux déficits en les faisant payer par les Européens ». Au nom d’une Europe que l’on aimerait uniforme, sur un modèle bien précis (« ces visages familiers » chers à M. Juncker), on abîme ainsi l’idée européenne, on donne un grand coup de canif dans ce qui est l’essence même de la démocratie, le droit de choisir ses dirigeants.

Alexis Tsipras, « un braqueur »

La critique ne porte pas seulement sur le droit à l’alternance. Il porte sur le fonctionnement même de la zone monétaire européenne : « La Grèce veut une union de transferts où son Parlement enverrait sa facture tous les ans »… Doit-on rappeler à ceux qui défendent l’euro sans réserve que sans une union de transferts, identique à celle qui existe entre l’Etat de New-York et celui de Californie, l’euro ira de crise en crise ?  Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’a rappelé récemment : « Il ne peut y avoir de survie de la zone euro sans transferts des pays riches vers les faibles ». On ne peut être favorable à l’euro et ne pas en accepter les contraintes.

Vient alors l’aveu sur les raisons profondes de cette fébrilité guerrière : « Céder à la Grèce encouragerait les stratégies d’extorsion dans les autres Etats ». Rien de moins ! M. Tsipras est un « braqueur » ! En quelque sorte, l’objectif est d’obtenir progressivement la reddition des dirigeants grecs, c’est-à-dire le reniement de leurs engagements électoraux, pour éviter que le vote du peuple grec ne fasse tache d’huile dans une grande partie de la zone euro. Suit une description apocalyptique des malheurs qui attendent la Grèce si cet appel à la reddition n’était pas entendu : distribution d’assignats, retour à l’économie de troc, dévaluation sauvage, expulsion de l’Union européenne…

Une Sainte-Alliance aggraverait la crise

S’il fallait à nouveau démontrer qu’une monnaie unique entre Etats souverains est un exercice compliqué, cette tribune des « Gracques  » en serait une bonne illustration. N’en déplaise aux signataires, quelle que soit l’évolution de la crise grecque, même en cas de sortie de l’euro, la solidarité européenne devra être au rendez-vous. La Grèce est au cœur de l’Europe. Les Etats créanciers ont imposé pendant cinq ans une politique qui a conduit à l’effondrement du produit national et au gonflement de la dette ; ils ont leur part de responsabilité dans la crise.

Les sommets européens ne traitent pas l’essentiel, l’annulation d’une partie de la dette et la compétitivité de l’économie grecque. Transformer la gouvernance de la zone euro en une Sainte-Alliance destinée à réprimer toute tentative de politique économique alternative de gouvernements démocratiquement élus, en Grèce ou ailleurs, ne pourra qu’aggraver la crise que traverse l’Europe.

Jean-Michel Naulot est un ancien banquier et l’auteur de « Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien » (Seuil, 2013).

Source : Les Echos, le 23 juin 2015.

Le FMI met en oeuvre la solidarité des nations, et même les plus pauvres y contribuent. Il est rarissime de ne pas y honorer ses engagements. Un membre de l’Union européenne, la Grèce, a pourtant rejoint la Zambie comme pays ayant retardé ses échéances ; et elle rejoindra peut être demain le Zimbabwe au ban des nations ayant fait défaut à la solidarité internationale. Cela mérite commentaire, en particulier pour corriger les fables que font circuler les spin doctors de la gauche radicale.

Non, l’euro n’a pas « asservi » les Grecs. Il leur a au contraire donné les moyens de la souveraineté, et leur a permis pendant 15 ans d’endetter à des taux aussi bas que les Allemands un Etat qui avait déjà fait défaut quatre fois en deux siècles. Mais ils ont gaspillé cette chance. Plutôt que de moderniser leur économie pour la rendre compétitive et d’investir dans l’infrastructure d’un Etat, ils ont distribué prébendes et revenus, sans que la productivité ne s’améliore ni que la croissance vienne d’autre chose que de la consommation. Cela a entrainé des déficits budgétaires et des paiements inconnus dans l’histoire en temps de paix: à la veille de la crise, jusqu’à 10% du PIB de déficit budgétaire primaire, hors charge de la dette, jusqu’à 15% de déficit budgétaire total, et de 10 à 20% de déficit des paiements courants.

Les marchés financiers ont commis la faute de financer trop longtemps ces déficits. Leur perte n’a pas été couverte entièrement par les contribuables puisqu’ils ont dû revendre leurs créances au secteur public avec 40 à 50% de décote lors de la restructuration de 2011. On peut débattre de savoir si c’était assez, mais ce n’est pas rien.

Les contribuables européens ne sont pas intervenus seulement pour sauver leurs banques. Si l’argent de la troïka n’avait été utilisé que pour racheter les créances passées, les Grecs, qui n’avaient plus accès au crédit, auraient dû réduire leur déficit primaire de 10% du PIB à zéro non pas en quatre ans, mais en une semaine. La troïka a aussi apporté de l’argent frais pour financer les déficits grecs le temps qu’ils repassent sous contrôle. C’est un effort considérable, de plusieurs dizaines de points de PIB grec, que nous avons fait en sus des aides structurelles, pas pour nos banques, mais pour les Grecs. Et c’est un prêt qui doit être remboursé.

Certes, l’ajustement a été brutal. Pour qu’il le fût moins, il aurait fallu que le contribuable européen apporte encore plus d’argent frais. Et même s’il a ramené dix ans en arrière le revenu grec, il n’a fait que remettre en ligne les dépenses avec les recettes, les salaires avec la productivité, c’est à dire le niveau de vie avec le niveau de développement, sous réserve des aides structurelles consenties par l’Union.

Les comptes étaient en train de s’équilibrer et la croissance de repartir, quand les Grecs ont approuvé le mandat que le gouvernement rouge-brun de M.Tsipras se faisait fort de mener à bien: augmenter les revenus, revenir aux déficits primaires, avant même charge de la dette, et les faire payer par une extorsion d’argent frais européen, par la menace et le chantage. Pour que ce mandat soit clair, les Grecs ont d’ailleurs depuis arrêté de payer leurs impôts, y compris sur le capital, et retiré leur argent des banques, ce qui force la Banque Centrale Européenne à envoyer des liquidités tous les jours. Quant au gouvernement, il ne règle plus aucune facture que les salaires et les retraites, ce qui bloque son économie. Et il attend que les Européens cèdent…

On dit la Grèce écrasée par sa dette. C’est faux. Sa dette est d’un montant nominal très élevé en proportion du PIB, mais elle est restructurée à des taux proches de zéro, et l’essentiel n’est pas dû avant des décennies. Elle n’a payé l’an dernier, en proportion de son PIB, qu’autant que la France et moins que l’Italie. Les créanciers publics ne lui demandent pas de s’acquitter de sa vieille dette, celle de 2011, dont ils savent bien qu’elle ne sera pour l’essentiel pas remboursée de nos vivants. Ils ne lui demandent que de dégager un peu d’excédent pour rendre peu à peu la « new money » ajoutée depuis 2011, en commençant par le FMI, qui est aussi l’argent du Sénégal et du Bengladesh. Ce qui écrase la Grèce, ce n’est pas sa dette, c’est sa politique économique, ses déficits, son économie de rente, l’incapacité de l’Etat à y lever l’impôt.

Ce que veut la Grèce, c’est une « union de transfert » où le montant des transferts n’est décidé ni par le Parlement européen, ni par les Parlements des pays contributeurs, mais par le Parlement grec qui enverrait sa facture tous les ans en fonction de ses besoins. Malgré toute la contribution que les Grecs ont eu à l’invention de la démocratie, ce n’est pas ainsi que marche un système démocratique. Une « union de transfert » ne peut pas être fondée sur le chantage; et même si elle était organisée, elle ne serait pas dans l’intérêt des pays dont le revenu par tête est supérieur à la moyenne, comme la France.

Pour parvenir à ce résultat, l’arme de la Grèce est simple: menacer ses partenaires européens de provoquer une déflagration financière contagieuse qui menace toute l’union monétaire et toute l’économie européenne. C’est là qu’elle surestime sa main. Certes, le maintien de la Grèce en Europe a une valeur stratégique, en particulier dans le contexte de la politique russe actuelle. Certes, la sortie d’un membre de la zone euro, même d’un membre qui n’aurait jamais dû y entrer, serait un mauvais précédent à moyen terme, qui devra nous inciter à renforcer la gouvernance de la zone et la solidarité avec les pays du Sud vertueux. Mais nous ne sommes plus en 2011, et la contagion n’aura pas lieu: les autres pays du Sud vont beaucoup mieux, la BCE achète massivement leurs obligations, ce qui prévient une spéculation sur leur dette. Et la dette grecque n’est plus connectée au secteur privé, de sorte qu’elle ne peut pas être le Lehman Brothers de la prochaine crise.

Les Européens sont face à un dilemme. Ils ne peuvent pas céder, juste retarder encore un peu le remboursement de la « new money » de 2011 en réduisant les objectifs d’excédent primaire. Mais ils ne vont pas apporter de l’argent frais pour maintenir un déficit primaire de l’Etat grec et soutenir un système de retraite plus généreux en proportion des revenus que celui de tous les autres pays européens. Car le risque de contagion grec n’est plus financier. Il est politique. Le projet Syriza est celui de tous les populistes : c’est celui de Podemos, du mouvement 5 étoiles comme du Front National. La lâcheté, qui peut s’habiller de géopolitique, peut inciter à céder à la Grèce, qui est petite, un PIB inférieur à la quinzième ville chinoise. Mais céder à la Grèce encouragerait des Etats plus importants à élire des gens qui proposent les mêmes stratégies d’extorsion. Cela cela mettrait en danger tout ce que l’Europe a construit depuis 50 ans. On n’obtiendra pas du salarié slovaque qu’il cotise pour que le retraité grec gagne plus que le retraité slovaque…

D’où la tragédie qui se déroule sous nos yeux: M.Tsipras est un braqueur de banque qui menace de tout faire sauter -lui et son peuple avec- sans réaliser que ses otages- les autres pays du Sud – ont été déjà exfiltrés. Bien sur, on négocie avec lui, on lui dit des mots polis, on essaie de le ramener à la raison. Mais il est hors de question qu’il parte avec la caisse. Et c’est tant mieux.

Ne pas céder sera douloureux. Syriza aura le choix entre renier son mandat, ce que cette majorité aura du mal à assumer, ou entraîner son pays dans une spirale mortifère. D’abord, il faudra fermer les banques, comme à Chypre, puisque la faillite de l’Etat grec les rendra insolvables, ce qui privera les pauvres de leurs économies -les autres les ont déjà retirées-, et ramènera l’économie à l’âge du troc. Puis il faudra, tout en laissant circuler les euros, payer fonctionnaires et retraités avec des assignats qui s’échangeront 50% en dessous de leur valeur en euros, ce qui plaira aux théoriciens de la « monnaie commune », mais réduira les revenus des intéressés bien au delà de ce que demande le FMI, pendant que le secteur privé continuera à être payé en euros.

Ou bien on appellera ces assignats « drachmes » et on les fera émettre par une banque centrale à la botte : là, la Grèce sortira vraiment de l’euro. Mais la contrainte se reportera alors de l’équilibre budgétaire sur l’équilibre extérieur. Qui voudra être payé en drachmes ? Et où les Grecs trouveront-ils des devises pour payer les importations puisqu’ils exportent peu, que leur défaut les privera de crédit et que leurs actifs publics à l’étranger seront saisis ( comme par exemple les avions d’Olympic airways)? Au bout de cette route, la Grèce devra aussi quitter l’Union, sans doute en échange d’un pourboire humanitaire. Pas seulement parce que c’est ce que disent les Traités. Mais surtout parce que ses voisins auront du mal à tolérer la liberté de circulation des personnes avec un Etat failli, incapable de contrôler ses frontières extérieures; ni celle des marchandises avec une monnaie en dévaluation sauvage.

Cette dégringolade, où qu’elle s’arrête- et il faut espérer que ce soit le plus tôt possible -coûtera bien plus cher à la Grèce que ce que demande le FMI. Son seul intérêt sera de montrer aux peuples ce que donnent les recettes populistes, et ce n’est pas à l’avantage des Grecs, car une fois la spirale engagée, ce ne sera plus l’intérêt des autres pays européens d’amortir la chute. On peut former le souhait que le peuple grec réagira quand il touchera du doigt la catastrophe. Il demandera alors des comptes aux rouges-bruns. Ce jour là, mais ce jour là seulement, il faudra que l’Europe sache être généreuse.

Les Gracques sont un groupe informel d’anciens hauts fonctionnaires socialistes


En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021137279879-grece-ne-laissons-pas-m-tsipras-braquer-les-banques-1128409.php?qoY4C3G6syH6pVod.99

Source: http://www.les-crises.fr/reponse-aux-gracques-on-a-une-sainte-alliance-en-zone-euro-par-jean-michel-naulot/


Grèce : la stratégie du “toujours plus” de l’Eurogroupe

Wednesday 24 June 2015 at 02:58

Pas d'accord à l'Eurogroupe ce lundi, malgré des concessions grecques. (Photo: Jean-Claude Juncker accueille Alexis Tsipras à Bruxelles le 22 juin 2015)

Pas d’accord à l’Eurogroupe ce lundi, malgré des concessions grecques. (Photo: Jean-Claude Juncker accueille Alexis Tsipras à Bruxelles le 22 juin 2015)

(Crédits : Reuters)

Malgré de nouvelles concessions faites par le gouvernement grec, aucun accord n’est sorti de l’Eurogroupe de ce lundi 22 juin. La cible des ministres des Finances de la zone euro reste la levée des “lignes rouges.”

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers ressemblent de plus en plus au paradoxe de la flèche de Zénon d’Elée: plus on se rapproche du but et plus on s’en éloigne. L’Eurogroupe « de la dernière chance » de ce lundi 22 juin devait déboucher sur un accord, il a débouché sur un nouveau report des « discussions » à jeudi 25 juin. Pourtant, encore une fois – et pour la troisième fois en dix jours -, la partie grecque avait fait un gest en faveur des créanciers.

Nouvelles concessions grecques

La dernière proposition grecque ne touche pas aux retraites complémentaires pour les plus pauvres, mais prévoit leur remplacement par un “revenu minimum garanti” en 2020. Aujourd’hui, ce complément concerne 230.000 personnes de plus de 65 ans qui touchent entre 50 et 250 euros supplémentaires par mois. La proposition prévoit de couvrir le maintien des pensions par des hausses de cotisations de 3,9 %, la hausse des contributions santé des retraités de 4 % à 5 %, une contribution des retraites complémentaires à 5 %et la suppression des départs anticipés à la retraites. Les salariés seront donc mis à contribution. Par ailleurs, le gouvernement grec a reculé sur le relèvement de 10 points de la TVA sur l’alimentation. Il a également été décidé de relever l’impôt sur le revenu dès 30.000 euros de revenus annuels et de créer une taxe sur les entreprises de plus de 500.000 euros de chiffres d’affaires de 12 %.

Le gouvernement grec a donc sauvé ses “lignes rouges”, même s’il y a des concessions sur les retraites anticipées qui jusqu’ici devaient être “désincitées” et la TVA.

Un accord dans la semaine, mais sur quelles bases ?

Mais, encore une fois, ces concessions ne sont pas suffisantes aux yeux de l’Eurogroupe. Certes, son président, Jeroen Dijsselbloem, a estimé que la dernière proposition grecque était “un pas en avant”. On parle pour la première fois d’une proposition “complète” et l’on vise un accord “dans la semaine”.

Pour justifier l’incapacité de l’Eurogroupe à trouver un accord dès ce lundi, on explique que les propositions grecques sont arrivées trop tard. L’argument est assez étrange, car la presse mondiale disposait, dès dimanche soir, de ces propositions. Sans doute plus proche de la vérité, le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, a indiqué que la proposition grecque était un « pas dans la bonne direction », mais il affirmait qu’il y avait « beaucoup de travail avec les institutions. »

Bref, il faut encore changer quelque chose. Donc, il faut encore plus de concessions grecques. Du reste, Wolfgang Schäuble avait tué tout suspense avant la réunion en affirmant qu’il ne voyait “pas de différences entre les propositions de ce lundi et celles de jeudi dernier”

La stratégie du « toujours plus » de l’Eurogroupe

On voit donc se dessiner la stratégie de l’Eurogroupe : exiger toujours plus de concessions, pilonner sans cesse les lignes rouges du gouvernement grec pour les abattre. Le but de cette instance n’est pas de trouver un « compromis », c’est de supprimer ces lignes rouges, autrement dit la hausse de la TVA sur l’électricité et l’énergie, et de pratiquer des coupes dans les pensions. Peu importe que la Grèce propose des équivalences, l’Eurogroupe veut profiter du peu de temps qu’il reste jusqu’à la date butoir du 30 juin – date à partir de laquelle le défaut vis-à-vis du FMI deviendra effectif – pour faire céder le plus possible Athènes.

Chaque concession est donc prise comme un aveu de faiblesse d’Athènes et conduit donc à enfonce davantage le clou. C’est la preuve que le but des créanciers n’est pas d’obtenir de simples garanties sur le remboursement de leurs créances, mais d’ouvrir avec l’accord un nouveau front, politique celui-là : mettre en difficulté, par ses concessions, Alexis Tsipras dans son propre camp.

Contrairement à ce que martèle la presse occidentale, ce dernier n’est pas « otage » de son aile gauche, qui a accepté les concessions jusqu’aux lignes rouges, il est bien plutôt otage des créanciers qui le poussent à abandonner ces lignes rouges.

L’intérêt de placer l’Eurogroupe avant le Conseil

Cette stratégie a été rendue possible par un jeu sur le calendrier. Après l’échec de l’Eurogroupe de jeudi dernier, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait convoqué un sommet ce lundi 22 juin. Athènes espérait que ce sommet permettrait de décider d’un accord entre chefs d’Etats et de gouvernements sur des concessions communes. Ces derniers auraient ensuite pu imposer leurs décisions à leurs ministres des Finances. Mais le diable se cache dans les détails. Le calendrier a été inversé. On a continué à donner la priorité à l’Eurogroupe qui a été placé avant le conseil.

Or, l’Eurogroupe est dominé par Wolfgang Schäuble et le très discipliné Jeroen Dijsselbloem qui tente d’arracher actuellement le renouvellement de son mandat. En son sein, aucun accord politique n’est possible puisqu’il ne s’agit que d’un examen en théorie technique des propositions. Or, si l’Eurogroupe a échoué, le conseil qui suit ne peut être qu’inutile, et ne peut que conclure à une attente des négociations au sein de l’Eurogroupe… Du reste, ce report de l’accord est aussi un échec pour les autres pays de la zone euro, en particulier la France. Depuis 24 heures, François Hollande appelait en effet à un accord “maintenant”. Encore une fois, il n’a pas été écouté.

Nouveau bluff d’Angela Merkel ?

Reste à savoir si ce nouveau délai est un nouveau coup de bluff de l’Allemagne. Angela Merkel pourrait bien avoir laissé carte blanche à Wolfgang Schäuble afin d’arracher de nouvelles concessions aux Grecs pour disposer d’un accord « mieux vendable » auprès de son camp au Bundestag. Les signes positifs envoyés ce lundi signifient également que la Chancelière n’est pas prête à prendre le risque d’un défaut sur le FMI le 30 juin. Un accord sur la base de la proposition grecque pourrait donc être trouvé cette semaine. Désormais, il sera bien difficile de servir aux opinions publiques occidentales la litanie de “l’intransigeance grecque”. Mais le but principal de la manoeuvre allemande pourrait bien être d’enterrer toute proposition sur la restructuration de la dette. Ce serait alors le respect de lignes rouges écornées contre le maintien du joug de l’endettement.

Marges de manœuvre réduites pour Alexis Tsipras

Au reste, la marge de manœuvre d’Alexis Tsipras est désormais réduite. On le voit mal rogner encore sur ses lignes rouges. Ses propositions à l’Eurogroupe sont déjà extrêmement éloignées du programme de Syriza. Certaines d’entre elles ressemblent à s’y méprendre à de l’austérité : la hausse de l’impôt sur le revenu dès 30.000 euros de revenus annuels va frapper la classe moyenne, la hausse de la TVA sur l’alimentation et la restauration sera sans doute aussi fortement ressentie par les ménages. Certes, il peut compter sur l’effet de l’intégration de la Grèce au programme de la BCE d’assouplissement quantitatif en cas d’accord, et sur un redémarrage « de rattrapage » de l’économie après cinq mois de blocage. Mais, s’il ne parvient pas à se présenter devant le parlement en pouvant prétendre avoir sauvegardé ses « lignes rouges », il aura du mal à prétendre avoir rompu avec l’austérité. Il avait prévenu ce week-end qu’il s’agissait de la “dernière offre”grecque.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 22 juin 2015.

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Grèce : pourquoi la question de la dette est désormais centrale

Pour maintenir sa majorité, Alexis Tsipras doit, d’ici à jeudi, éviter de faire de nouvelles concessions aux créanciers, mais aussi obtenir un accord sur la dette. Une tâche difficile.

Les larges concessions acceptées par Alexis Tsipras pour obtenir un accord avec les créanciers dès ce jeudi 25 juin ont conduit la gauche de Syriza à faire part de sa mauvaise humeur, ce mardi matin en Grèce. Dans uneinterview accordée à Die Zeit, le député et économiste Costas Lapavitsas, une des principales figures de cette aile gauche, ne refuse pas explicitement ces concessions, mais il prévient qu’il ne votera pas de « nouvelles mesures d’économies » et fait clairement savoir sa préférence pour une sortie de l’euro. De son côté, le vice-président du parlement Alexios Mitropoulos a prévenu, à la radio ce mardi 23 juin au matin, que la proposition grecque ne sera pas adoptée au parlement telle quelle.

Moins de lignes rouges, moins de majorité

Rien d’étonnant à cette révolte : les « lignes rouges » d’Alexis Tsipras avaient précisément pour vocation de maintenir l’unité interne de Syriza. Une fois ces dernières largement écornées, les tensions internes au parti renaissent logiquement. Le but principal des créanciers, celui de contraindre le premier ministre hellénique à devoir s’allier avec les centristes de To Potami, voire avec la droite au parlement, a donc à nouveau ses chances. Pour éviter un tel scénario, Alexis Tsipras  devra convaincre la gauche de Syriza que ses reculs sont non seulement nécessaires, mais qu’ils permettent de remplir les principaux objectifs du parti.

Comment maintenir la majorité d’Alexis Tsipras

Dans son interview à Die Zeit, Costas Lapavitsas résume ces conditions : pas de politique d’austérité, un plan de restructuration de la dette publique et un plan d’investissement. Alexis Tsipras peut toujours prétendre que, malgré ses concessions, il aura évité le pire en réduisant la facture demandée par les créanciers. A condition que, d’ici à jeudi, aucune nouvelle exigence ne naisse du côté des créanciers. Concernant le plan d’investissement, Jean-Claude Juncker, soucieux de passer pour bienveillant sur la Grèce, propose un plan d’investissement (qui reste à définir, sera-ce de l’argent réel ou inclut-il un « effet de levier ») de 35 milliards d’euros. Reste alors la question, désormais centrale, de la dette.

Les leaders européens, lundi soir, ont exclu toute négociation sur la dette. Or, on le comprend, Alexis Tsipras ne peut réellement « vendre » au parlement un accord sans un plan sur la dette. Selon une source gouvernementale grecque, “nous insistons sur un règlement de la dette, il sera inclus dans l’accord”.

Mais cet optimisme devra être confronté à la logique européenne, notamment allemande, qui, depuis le premier jour, refuse d’évoquer le sujet. Au mieux, Alexis Tsipras pourrait arracher une promesse de restructuration “plus tard, lorsque la confiance sera revenue”. La même qu’avait obtenu son prédécesseur Antonis Samaras en novembre 2012, sans qu’elle ne soit suivie d’effet…

La dette, une question centrale

Pourquoi cette question de la dette est-elle centrale, alors que la dette aux Etats européens n’est remboursable qu’à partir de 2020 ? Parce qu’accepter des mesures d’austérité sans restructuration de la dette ferait revenir la Grèce entièrement à la logique précédente où les excédents budgétaires ne servaient qu’au remboursement éternel des créanciers.

Autrement dit, l’économie grecque serait ponctionnée pendant des années par des taxes et plombée par des mesures budgétaires restrictives (l’excédent primaire doit être de 3,5 % du PIB à partir de 2018 dans le nouvel accord) afin de rembourser les créanciers. Ce serait, en pire, la situation italienne depuis le milieu des années 1990 où les excédents primaires se succèdent et conduisent à un affaiblissement de la croissance qui, à son tour, rend les excédents primaires encore plus nécessaires… Un cercle vicieux qui laisserait l’économie grecque, malgré les investissements Juncker et l’assouplissement quantitatif de la BCE, dans des tourments infinis, la Grèce n’ayant pas, comme l’Italie, un secteur exportateur fort.

Eviter le « coup d’Etat financier »

Mais cette logique ne prévaut guère devant celle des créanciers qui peut se résumer par ces mots : « pas un euro des contribuables aux Grecs. » La tâche désormais du gouvernement grec d’ici à jeudi est d’arracher un accord sur la dette afin de maintenir dans la majorité le plus de députés de Syriza possible et éviter que les créanciers ne réussissent à obtenir ce qu’ils cherchaient depuis le début : la destruction de la majorité du premier ministre. Reste à savoir ce qu’Alexis Tsipras fera s’il n’y parvient pas…

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 23 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/grece-la-strategie-du-toujours-plus-de-leurogroupe/