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Ça se passe comme ça, l’état d’urgence…

Saturday 28 November 2015 at 00:01

C’est une bonne idée, pendant un état d’urgence où les fouilles sont possibles 24h/24, de perquisitionner un restaurant halal connu, le Pepper Grill (95) juste aux heures des repas…

Et de partir sans le moindre contrôle d’identité…

P.S. voir aussi sur ITélé

République : -1 / Islamistes : +1

 

 

Source: http://www.les-crises.fr/ca-se-passe-comme-ca-letat-durgence/


Michel Onfray : La diplomatie, c’est faire primer le cerveau sur les testicules !

Friday 27 November 2015 at 05:43

Du petit lait – et un gros clin d’oeil au blog…  :)

“Arrêtez avec vos guerres de religion !”

“C’est fini la France des Lumières !”

“La diplomatie, c’est faire primer le cerveau sur les testicules. Et nous avons actuellement une politique testiculaire !”

Pour Daech, pour ma part, je pense surtout qu’il faut laisser Assad faire le sale boulot à notre place…

Et qu’on pourrait lui livrer clandestinement des armes. L’avantage, c’est qu’on sait très bien faire, vu qu’on a armé comme ceci les islamistes qui le combattent… Il suffit donc juste de changer l’adresse de livraison…

Une fois Daech bien affaibli, il sera temps que la population syrienne s’intéresse au sort d’Assad…

Source: http://www.les-crises.fr/la-diplomatie-cest-faire-primer-le-cerveau-sur-les-testicules/


La guerre ne nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables, par Dominique de Villepin

Friday 27 November 2015 at 04:14

Source : Libération, 25-11-2015

Un Rafale sur une base militaire du Golfe, le 17 novembre. Photo Karim Sahib. AFP

Pour Dominique de Villepin, accepter la guerre, en France comme au Moyen-Orient, c’est accepter la fuite en avant. Alors que Daech cherche méthodiquement à créer les conditions d’un conflit généralisé, répondre par les armes équivaut à éteindre un incendie au lance-flammes.

Je refuse de vivre dans le monde que veulent nous imposer les terroristes. C’est pourquoi je veux que nous nous donnions les moyens de décider nous-mêmes de notre avenir, forts du courage et de l’exemple de tant de nos compatriotes à l’occasion des attentats de Paris et Saint-Denis.

La guerre ne nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables. Quelle est, en effet, la stratégie de Daech ? Elle est double et il faut savoir la prendre au sérieux pour la combattre.

Premièrement, les hommes de Daech cherchent à susciter la guerre civile en France et en Europe, à monter les populations contre les musulmans, français, immigrés ou réfugiés. C’est ce qu’ils visaient en attaquant Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. C’est ce qu’ils confirment par la violence aveugle et sauvage du 13 novembre. En nous lançant à corps perdu dans la restriction des libertés individuelles ou dans la suspicion généralisée envers l’islam à travers une laïcité de combat traquant barbes et voiles, nous leur donnerions le choix des armes.

Notre force, c’est notre Etat de droit et c’est la fidélité à nos principes, c’est l’équilibre et la mesure, en utilisant avec fermeté tous les moyens d’enquête et de poursuite de notre Etat, en mobilisant ses forces de sécurité et de défense. Qu’il faille des mesures exceptionnelles pour faire face à l’urgence, je le crois. Mais méfions-nous de l’état d’urgence permanent et de la surenchère sécuritaire qui, je le crains, va dominer notre vie politique pour plusieurs années. On voudra toujours plus de fermeté vis-à-vis des étrangers et on n’obtiendra que le ressentiment. On voudra, de façon préventive, une lutte de plus en plus dure contre la délinquance, notamment dans les banlieues, et on obtiendra la criminalisation d’une frange de la société et l’incitation à la radicalisation. On voudra le contrôle accru de l’expression des religions et on n’obtiendra que la radicalisation de l’islam des caves. Bref, nous serons un pas plus proche de la guerre civile. Et nous aurons renié les libertés mêmes que les terroristes ont voulu attaquer.

Deuxièmement, Daech cherche méthodiquement à créer les conditions de la guerre généralisée au Moyen Orient. Regardons les mois écoulés. L’organisation cessait de progresser en Irak et en Syrie. En quête d’un appel d’air, elle a multiplié les attentats hors de sa zone de contrôle. En Tunisie, pour fragiliser la transition démocratique, entraîner la répression et la récession, marginaliser un islam politique qui n’est pas son allié ; en Egypte, pour durcir la persécution de tous les opposants au régime et les pousser davantage vers le jihadisme et pour entraîner la Russie plus avant dans l’engagement au sol avec les forces de Bachar al-Assad ; au Liban, pour déstabiliser un pays fragilisé par plus d’un million de réfugiés syriens ; en France, enfin, pour susciter une alliance militaire tout-sauf-Daech qui unirait les forces du régime syrien, de l’Iran, des Occidentaux dans une lutte qui nourrirait le sentiment victimaire des populations sunnites. Dans quel but ? La chute des régimes politiquement fragilisés, comme l’Arabie Saoudite, avec en ligne de mire la conquête symbolique des lieux saints. Daech place ses pions méthodiquement et les meilleurs ne sont pas dans le territoire qu’il s’est taillé, ils se trouvent dans l’expansion du conflit vers l’Afrique sahélienne où l’organisation noue des liens avec les islamistes locaux, vers le Caucase et l’Asie centrale et vers l’Asie du Sud-Est, notamment au Bangladesh. Regardons aussi la stratégie de Daech au Proche-Orient, où il se prépare peu à peu à agir à Gaza et en Cisjordanie, pour usurper la cause palestinienne, l’un des plus puissants vecteurs de ressentiment parmi les populations musulmanes.

Dans ce contexte, répondre à l’attaque par la guerre, c’est éteindre un incendie au lance-flammes. Après vingt ans d’échec des opérations de paix des Nations unies, après dix ans d’interventions militaires occidentales désastreuses, la clé, c’est d’inventer une nouvelle forme d’intervention de paix, articulant d’une façon inédite outils militaires et instruments diplomatiques, au service d’objectifs précis avec des moyens de coordination efficaces. Rien de tout cela n’existe aujourd’hui.

Soyons lucides aussi sur la solitude de la France en dépit des protestations de solidarité. Les Européens ne s’engagent que du bout des lèvres de peur d’être ciblés à leur tour, les Américains ne rêvent que de désengagement ; la Russie a ses propres objectifs, parmi lesquels Daech n’est pas forcément la priorité ; la Turquie joue sur plusieurs tableaux, comme les Etats du Golfe et l’Iran. Sabre au clair et seuls sur le champ de bataille, quelles seront nos marges de manœuvre ?

Dire que la solution est politique, cela ne signifie pas que la lutte ne doive pas être sans merci. Cela veut dire qu’elle doit être efficace. Les militaires sont les premiers à le dire : une guerre sans stratégie politique, c’est au mieux un coup d’épée dans l’eau. Il faut au contraire une lutte chirurgicale, appuyée par des frappes aériennes ciblées et avant toute éventualité d’un engagement de troupes régionales au sol, pour couper les canaux alimentant les trois flux qui maintiennent en vie l’Etat islamique : l’argent, les idées et les hommes.

L’argent en s’attaquant en priorité aux transferts financiers par la coopération bancaire et fiscale, aux ressources propres en frappant les puits de pétrole à leurs mains et les intermédiaires qui vivent, dans la région, du trafic d’armes, d’antiquités, d’êtres humains. Pour tout cela, les frappes militaires peuvent être utiles, mais ne seront pas suffisantes.

Couper les canaux diffusant l’idéologie jihadiste, c’est agir sur la propagande en mettant tous les moyens nécessaires pour agir contre le cyberjihad, contre la circulation de vidéos qui donnent à certains jeunes en mal d’autorité, d’idéal et d’aventure l’image d’un héros certes négatif, mais total, à la fois bourreau et martyr, victime absolue et terreur de ceux qui l’avaient méprisé.

Couper l’alimentation en hommes, en sécurisant la frontière syrienne, pour étouffer les territoires de Daech notamment aux abords de la Turquie, où s’est créé un grand no man’s land, et y créer une zone humanitaire internationale permettrait à la fois de réguler les flux de réfugiés, d’y améliorer les conditions de vie et de surveiller entrées et sorties sérieusement. S’attaquer au recrutement, cela signifie, dans notre propre pays, prévenir la contagion en identifiant les parcours menant à la dérive islamiste, en luttant contre les prêcheurs de haine, mais aussi en assainissant le terreau de rejet, de discrimination et de pauvreté que constituent certaines de nos banlieues. Et cela passe par un grand travail de justice et d’unité nationale, recoudre ensemble les territoires et rapprocher les hommes, d’abord par l’école. Dans les prisons également, le travail de prévention, d’identification et de déradicalisation est immense.

Cela signifie également empêcher la contagion dans les opinions sunnites en ne donnant pas le spectacle d’une alliance antisunnite et en appuyant les Etats du Golfe quelles que soient nos réserves légitimes. Le vide du pouvoir y serait aujourd’hui pire que tout. Imaginons, avec les fortunes qui y sont accumulées, ce que serait une Arabie transformée en nouvelle Libye au nom du changement de régime.

Tout cela suppose une coordination des politiques de renseignement et judiciaires. Cela nécessite une diplomatie qui n’a pas pour but de négocier avec l’Etat islamique – qui le souhaiterait ? – mais de créer une légitimité internationale et une action collective. Aujourd’hui, les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies sont des victimes directes du terrorisme islamiste. Souvenons-nous du 11 Septembre et de Londres, mais aussi de Beslan et de Kunming. Aujourd’hui, plus des deux tiers de l’humanité sont des cibles avérées du terrorisme islamiste, en Inde, en Amérique du Nord, en Asie, en Asie du Sud-Est. Pourtant, où est la stratégie mondiale ? Où est la communauté internationale ? Une résolution aux Nations unies ne suffira pas. Il faut parler à Moscou, mais aussi à Pékin. L’Occident seul n’aura pas les moyens de dire non au terrorisme.

Il faut forcer la main aux Etats de la région pour qu’ils dépassent rancœurs et arrière-pensées et qu’ils organisent un équilibre régional et une architecture de sécurité permanente, comme l’a fait la conférence d’Helsinki en 1975 dans l’Europe de la guerre froide. C’est vrai avant tout pour l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui s’affrontent par satellites interposés dans toutes les guerres de la région, en Syrie comme au Yémen. C’est vrai aussi pour la Turquie, rétive à se ranger dans le même camp que les combattants kurdes.

Accepter la guerre, c’est accepter la fuite en avant. Il faut bien tirer les leçons de l’expérience. Le 11 septembre 2001, nous étions tous derrière une Amérique frappée au cœur. L’administration Bush a alors choisi dans les premières heures le mot d’ordre de la guerre au terrorisme parce qu’elle donnait l’illusion de la riposte. Ils se sont ainsi enlisés en Afghanistan puis jetés dans l’aventure de l’Irak en 2003. Ils ont largement affaibli Al-Qaeda, mais au prix de la naissance de Daech, qui unit d’anciens combattants d’Al-Qaeda à d’anciens officiers baasistes, sur fond d’humiliation des populations sunnites d’Irak. Ce n’est pas seulement une page d’histoire, mais aussi un avertissement pour la France. Ayons la force de ne pas commettre les erreurs qui élargiront encore davantage le cercle de l’horreur.

Dominique de Villepin Ancien ministre des Affaires étrangères et ex-Premier ministre

Source : Libération, 25-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-ne-nous-rend-pas-plus-forts-elle-nous-rend-vulnerables-par-dominique-de-villepin/


Bombarder et espérer, par le colonel Michel Goya

Friday 27 November 2015 at 03:14

Source : lavoiedelepee, Colonel , 26-11-2015

Je faisais partie de ceux qui estimaient que l’engagement de la France contre l’Etat islamique en septembre 2014 n’était non seulement pas nécessaire mais qu’il était même dangereux. L’EI existait sous ce nom depuis 2006 avec comme matrice l’organisation d’Abou Moussab al-Zarquaoui créée en 2003 après l’invasion de l’Irak par les Américains et leurs alliés. L’Etat islamique faisait alors régner la terreur dans Bagdad et dans de nombreuses provinces du pays. L’Irak menaçait de s’effondrer, entraînant l’ensemble de la région dans le trouble. A cette époque, la France, qui avait refusé de participer à la coalition, n’envisageait en aucune façon de faire la guerre à cette organisation. L’Etat islamique en Irak ne faisait guère la une des journaux et nos dirigeants ne l’évoquaient jamais.
Partis en guerre avec une grosse fleur sur un petit fusil

En 2014, les mêmes qui se taisaient à l’époque sont soudainement devenus horrifiés par ces « égorgeurs de Daesh », dont on semblait alors découvrir l’existence. Il est vrai qu’à la suite d’une politique du gouvernement de Bagdad assez proche de celle de Damas, l’Etat islamique, qui avait bien failli mourir, renaissait de ses cendres et obtenaient des succès spectaculaires face aux d’autres mouvements rebelles syriens et surtout face à une armée irakienne devenue instrument à la fois faible et oppresseur au service d’un pouvoir chiite corrompu. Il est vrai que, à la fois des autres milices locales, et reprenant le principe des exécutions filmés de Zarquaoui avec des moyens plus sophistiqués, l’EI filmait l’odieux pour l’« édification des masses » et la terreur des ennemis. Il est vrai enfin que l’EI s’en prenait aussi à des citoyens américains obligeant le Président des Etats-Unis à réagir. Celui-ci organisait alors une nouvelle coalition et engageait l’opération militaire, non pas sur des critères d’efficacité mais selon sa marge de manœuvre politique interne. Cette opération reposait alors sur des fondements faibles.
Le premier était que l’idée que l’Irak était encore un véritable Etat disposant d’une véritable armée qu’il suffirait d’aider par des conseils et un peu d’équipements, pour venir à bout d’un groupe de bandits. La réalité est que cet Etat, hormis les unités de protection rapprochée du pouvoir, ne faisait pas confiance à cette armée créée par les Américains et s’appuyait surtout sur les milices des partis chiites. Ces milices sont aptes à défendre Bagdad et les provinces du sud mais, malgré l’aide iranienne, peu capables de reprendre le terrain perdu sur le Tigre et l’Euphrate et elles sont surtout peu légitimes à l’occuper. Quant à reconstituer une « nouvelle nouvelle » armée irakienne sous l’égide américaine, on ne voit pas très bien ce qu’elle aurait de plus qui lui permettrait de survivre plus longtemps que les deux précédentes. Lorsqu’au mois d’août 2014, changeant d’alliance (les Kurdes, si sympathiques, ont quand même facilité la prise de Mossoul par l’EI et en ont profité pour s’emparer du pétrole de Kirkouk), l’EI s’est attaquée au Kurdistan irakien, la coalition a trouvé un autre allié local, militairement plus efficace mais tout aussi peu légitime à agir dans les provinces sunnites.
Restait alors les frappes aériennes, second fondement faible. Des frappes peuvent s’effectuer en appui rapproché de troupes au sol ou seules sur l’ensemble du dispositif ennemi. Un premier problème vient du fait que les frappes de la coalition américaine ne sont réalisées, hormis quelques drones armés, que par des bombardiers ou des chasseurs-bombardiers. La raison de cette restriction vient d’abord du peu de risques de ce mode opératoire pour les hommes engagés, eu égard aux moyens antiaériens limités des organisations rebelles. La raison principale est cependant qu’à partir du moment où l’US Army n’est pas engagée (y compris avec des hélicoptères d’attaque), cela n’est pas vraiment considéré comme une guerre pour les Etats-Unis et ne justifie donc pas d’un vote du Congrès. Or, des bombardiers ou des chasseurs-bombardiers ne sont pas forcément les moyens les plus efficients pour appuyer les troupes au sol. Ces moyens lourds, coûteux et donc rares, sont plus indiqués pour frapper des cibles importantes et peu mobiles que des cibles petites et multiples sur la ligne de contact. Les drones armés et surtout les hélicoptères ou les avions spécialisés dans l’appui, par leur capacité à rester longtemps sur un zone et à mitrailler sont bien plus efficaces pour cela, comme l’avait prouvé le changement survenu à l’été 2011 avec l’intervention du groupement d’hélicoptères français en Libye. Bien entendu, l’emploi de ces nouveaux moyens est plus risqué.
Lorsqu’il s’agit de frapper sur l’ensemble du système de l’ennemi, on peut espérer l’amener à négocier ou au moins à modifier son comportement, comme après les campagnes israéliennes contre le Hezbollah et le Hamas ou celle des Américains contre l’armée du Mahdi à Sadr-City en 2008. On ne peut pas espérer le détruire par ce seul moyen car cela n’est jamais arrivé. On n’a même jamais réussi à approcher vraiment de cette destruction, surtout face à des organisations armées qui savent parfaitement tirer parti du milieu humain et/ou physique pour se protéger. A moyen terme, ces mêmes campagnes aériennes par leur impact sur la population locale, souvent habilement instrumentalisé, ont plutôt contribué au renforcement des organisations qu’elles visaient.
Par raisonnement inductif (une série de mêmes causes produisant toujours les mêmes effets) on pouvait donc facilement prédire que cette opération serait assez stérile. Les raisonnements inductifs peuvent être mis en défaut par des phénomènes de rupture, nous y reviendrons, mais pour l’instant tout ce passe comme prévu. Les 8 300 frappes aériennes de la Coalition ont permis d’aider les troupes irakiennes et surtout les Kurdes irakiens ou syriens à obtenir quelques succès locaux. Elles ont permis d’exercer une pression forte et de détruire plusieurs milliers d’objectifs matériels et de tuer des milliers de combattants (au coût moyen de 200 000 euros chacun). Il n’y a pourtant là, au bout de quatorze mois de guerre, rien de décisif. L’EI occupe de fait tout l’espace géographique qu’il pouvait occuper dans l’espace sunnite syro-irakien et la campagne fait, comme d’habitude, aussi office de sergent-recruteur.
C’est dans ce contexte politique et militaire que la France, redevenue pleinement atlantiste, a découvert cette fois l’existence de l’Etat islamique et décidé de lui déclarer la guerre en rejoignant cette fois la nouvelle coalition dirigée par les Américains.
On y est donc allé avec nos équipes de conseillers sur le terrain et nos douze avions de combat, parfois renforcés de l’aviation embarquée du Charles de Gaulle, tous remarquablement professionnels mais évidemment sans aucun espoir d’obtenir le moindre résultat vraiment important. A ce jour après quatorze mois de guerre (car, rappelons-le, il s’agit évidemment d’une guerre à partir du moment où il y a affrontement politique violent), la France a réalisé 300 frappes soit environ 4 % du total de la coalition au sein d’une opération, on l’a vu, globalement peu décisive. Si on en croit les chiffres du Pentagone, on peut donc estimer que nous avons tué entre 400  et 600 combattants ennemis, soit environ 1 % du total des effectifs armés, sachant que ces hommes ont pu être remplacés. Très clairement, l’intention annoncée de détruire Daesh n’était pas très sérieuse mais on se vantait d’être le deuxième contributeur de la coalition et de « peser». Au bout d’un an, on s’empressait de frapper aussi en Syrie pour pouvoir parler avec plus de force, croyait-on, à l’Assemblée générale de Nations-Unies. Nous étions partis en guerre la fleur au fusil, grosse fleur et petit fusil.
Il est toujours délicat de jouer les gros bras quand on n’a plus de bras et il est singulier de constater que notre si ferme ministre des affaires étrangères est le même qui, vingt-cinq plus tôt, réclamait de toucher les « dividendes de la paix », autrement dit de réduire l’effort de défense, et même globalement de sécurité, pour faire quelques économies de court terme. On l’a dit et il ne faut pas cesser de le répéter, si on avait simplement poursuivi le même effort qu’en 1990 (qui n’était pas jugé écrasant à l’époque, autant que je me souvienne), c’est très exactement 37,4 milliards d’euros qui seraient dépensés en plus chaque année pour nos forces armées, nos forces de police et de gendarmerie, le renseignement intérieur et extérieur, les prisons, la justice et la diplomatie. Quelque chose me dit que les choses ne seraient pas tout à fait ce qu’elles sont, que notre sécurité intérieure serait peut-être mieux assurée et qu’au front nous aurions un peu plus de moyens pour peser non pas au sein de la coalition mais sur l’ennemi.
On avait sans doute oublié, car ce n’était plus arrivé depuis longtemps (raisonnement stratégique inductif), que cet ennemi peut aussi ne pas se laisser faire et frapper à son tour durement ceux qui le frappent y compris sur le sol métropolitain et y compris en utilisant des traîtres. En termes d’effets stratégiques, l’Etat islamique, qui, il faut le rappeler, n’avait tué aucun Français avant que nous lui déclarions la guerre, est pour l’instant, gagnant.
Section Dassault

Nous voici donc maintenant coincés entre un humiliant retrait à la manière de la fuite de Beyrouth en 1984 et une extension du domaine de la lutte, avec des moyens militaires à la fois réduits par notre politique de défense et dispersés dans les rues des villes de France, les sables du Sahara et ceux du Levant, sans parler de déploiements toujours en cours de stabilisation et d’interposition. A force d’être partout on n’est vraiment nulle part. On reste tactiquement forts car nos soldats sont bons mais stratégiquement faibles car, visiblement, les décideurs qui les emploient et les déploient le sont moins.
Le repli humiliant, je ne veux même pas l’évoquer tant les conséquences en seraient désastreuses. Cela n’est pas sérieusement envisagé pour l’instant, le désir de vengeance est encore trop fort et le coût de l’engagement militaire encore trop faible, et on notera le progrès en la matière par rapport aux « années Mitterand », la honte de ma génération de soldats. Ne reste que l’hypothèse de la victoire et là les choses sont complexes.
Sur le front intérieur, la sécurité de l’arrière, les choses bougent. Espérons qu’on ira jusqu’au bout des réformes nécessaires et qu’on élimera enfin les sources de collaboration avec l’ennemi. N’étant pas spécialiste de sécurité intérieure, je n’en dirai pas plus.
Sur la ligne de front, les options sont limitées.
La première, que l’on peut baptiser « bombarder et espérer », consiste à simplement augmenter les doses de frappes, dans un premier temps à titre de représailles et pour montrer à tous sa détermination à poursuivre le combat, et à long terme en espérant sortir de l’induction et provoquer enfin une rupture stratégique. Ces ruptures, à la manière d’une avalanche, sont le résultat de dynamiques souvent peu visibles (ou plutôt peu vues). L’apparition de la guérilla sunnite en 2003, la résistance de Falloujah, la révolte mahdiste, la diffusion des images des exactions d’Abou Ghraïb, l’effondrement des forces de sécurité irakiennes créés par le département d’Etat (tout ça au cours du désastreux mois d’avril 2004), l’extension exponentielle de la guerre civile à partir de février 2006, l’échec de la sécurisation de Bagdad, la découverte que le sud afghan était tenu par les Talibans lors de l’engagement de l’ISAF à l’été 2006, voilà autant de ruptures stratégiques survenues depuis le début de la « guerre contre le terrorisme » et toutes négatives pour les forces coalisées. Hormis la capture de Saddam Hussein, en décembre 2003, une seule rupture a vraiment été positive : le retournement des groupes rebelles sunnites (le mouvement du réveil-Sahwa), qui, à la fin de 2006, ont finalement décidé de s’allier aux Américains pour en finir avec l’Etat islamique. Cet exemple est à retenir pour la suite.
L’espoir est donc que la campagne indirecte affaiblisse suffisamment l’Etat islamique et renforce suffisamment ses ennemis pour obtenir un changement radical des rapports des forces. On peut décider pour cela d’augmenter le nombre de frappes, mais au risque de la pénurie de cibles (et de munitions). On peut surtout élargir la panoplie de nos moyens à notre disposition pour faire mal, autrement dit et pour revenir aux effets complémentaires évoqués plus haut, engager des hélicoptères d’attaque et même des forces de raids, spéciales ou d’infanterie légère, depuis la Jordanie, l’Irak, le Kurdistan irakien ou syrien. Cela implique bien sûr de faire prendre des risques à nos soldats mais dans cette guerre où, en quatorze mois, 100 % des pertes françaises sont civiles, on peut peut-être l’envisager. Quand on ne veut pas de pertes, on ne lance pas d’opérations militaires. Quand on veut gagner, on prend des risques. Des soldats tomberont mais l’Etat islamique souffrira beaucoup plus qu’il ne le fait actuellement. Bien entendu, si les Russes décident de s’engager vraiment contre l’EI et si les Américains élargissent aussi, ne serait-ce qu’un peu, le spectre de leurs moyens (c’est déjà le cas avec l’engagement d’avions d’attaque A-10 et quelques raids de forces spéciales), les effets seront multipliés.
On peut espérer pour le coup rendre l’ennemi plus vulnérable à nos alliés locaux que l’on peut aussi renforcer. On a vu les limites des forces kurdes et surtout des milices chiites. Pour vaincre vraiment Daesh, comme en 2007, nous avons besoin des Arabes sunnites et c’est avec eux, je crois, que nous devons surtout faire alliance.
World War S

Reprenons les débats en cours. Pour certains, tous les groupes rebelles arabes sunnites présents en Syrie sont désormais tous radicaux, salafistes, frèristes ou djihadistes, et donc tous ennemis, actuels ou potentiels de la France. Il faut donc, selon eux, s’accorder sur la ligne de Bachar el-Assad et de la Russie considérant que ce sont tous des « terroristes » à combattre.
Il convient de rappeler les fortes limites opérationnelles de cette vision. Outre que Bachar el-Assad a fortement aidé au développement de l’Etat islamique en Irak lors de la présence américaine, il a également largement aidé à les groupes djihadistes lors de la guerre civile, libérant notamment en 2011 tous les extrémistes présents dans ses prisons, comme par exemple Abou Moussab al-Souri, le théoricien de l’Administration de la sauvagerie. L’Etat islamique a, comme les Kurdes du Parti démocratique mais dans une moindre mesure, constitué un excellent allié de revers combattant bien plus les groupes rebelles syriens que le régime de Damas, dont il ne faut pas oublier qu’il reste de loin la plus grande organisation terroriste actuelle.
Il convient de rappeler aussi que dans le combat des puissances occidentales et d’Israël depuis quinze ans contre les organisations armées de tout le grand Moyen-Orient, du Hezbollah au réseau Haqqani en passant par l’armée du Mahdi ou les brigades de la révolution de 1920, ces mêmes puissances militaires (au moins 80 %du budget militaire mondial) n’ont pas réussi à en détruire une seule. Le seul cas de réussite est justement l’étouffement de…l’Etat islamique lorsque les Américains ont cessé de voir dans les rebelles sunnites en face d’eux un simple conglomérat de terroristes et considérés qu’ils pouvaient avoir des raisons de combattre, telles que le nationalisme ou la défense de leurs droits dans un nouveau système qui les excluait, voire les opprimait. C’est ce double changement de vision politique (et un gros effort sur soi), de la part des Américains et des rebelles vis-à-vis des Américains (devenus adversaires plus respectables, et plus lucratifs, que les djihadistes), qui a permis le déblocage de la situation et sauvé, in extremis, les Américains d’un repli piteux.
Donc quand François Fillon dit devant l’Assemblée qu’il ne faut pas s’ajouter des ennemis, il a raison. On s’est déjà ajouté l’Etat islamique alors que nous combattions déjà AQMI et al-Mourabitoune au Sahel. Il n’est pas forcément utile d’y ajouter Ahrar al-Sham, Liwa al-Islam ou Liwa al-Tawhid, sachant encore une fois que nous n’avons pas les moyens, sauf mobilisation générale, de vaincre une seule de ces organisations par forcément sympathiques mais qui n’ont qu’un agenda local. Nous verrons si ce n’est plus le cas. En attendant, ces groupes combattent aussi Daesh.
Je ne parle pas ici du Front sud ou des Forces démocratiques syriennes, car, malgré l’action des monarchies du Golfe et ce qu’on peut en dire, il y a encore beaucoup de gens avec qui s’entendre sans se trahir à condition de prendre (vraiment) quelques risques avec eux.
Les groupes rebelles sunnites et même l’Etat islamique ne sont pas nées de rien (ou d’une pulsion soudaine de détruire le monde) et ne subsistent pas sur rien. Tant que la population arabe sunnite d’Irak et de Syrie, avec la sympathie de celle des autres pays, se sentira, non sans de bonnes raisons, opprimée par les régimes de Damas et de Bagdad et bombardée par le reste du monde, la rébellion subsistera et parmi elle une tendance djihadiste forte…car justement forte. L’EI avec ses délires et son intransigeance n’est pas forcément apprécié mais il a su convaincre des tribus, des mouvements et des individus qu’il était un bon protecteur dans cette « guerre mondiale contre les Sunnites » et même un administrateur honnête dans un océan de corruption. Bombarder l’Etat islamique, tenter de l’étouffer économiquement (mais deux-tiers de ses ressources sont locales) c’est bien mais s’attaquer aux causes de sa force, c’est encore mieux. Pendant la guerre du Rif, Abd el-Krim a été vaincu par la France par la conjonction d’une forte pression militaire (100 000 soldats déployés avec des moyens puissants) et d’une diplomatie locale visant à déconstruire les allégeances autour de lui.
Dans la guerre en cours, on attend toujours ce qui est proposé aux Arabes sunnites. C’est pourtant certainement plus efficace que d’ajouter une croisade (les avions russes sont paraît-il bénis par les popes, ce qui doit faire le bonheur des communicants de l’EI) à un conflit régional entre l’axe chiite et les Arabes sunnites. Dépassons donc un peu le cubisme stratégique avec ses blocs de « il faut » (« s’allier aux Russes », « une coalition internationale », « une intervention au sol », « intensifier les frappes », « détruire le trafic de pétrole », etc.) par un peu de pointillisme s’appuyant sur la connaissance de la politique locale et des moyens de jouer dessus avec nos instruments de puissance. On a l’impression que les guerres en Afghanistan et en Irak ne nous ont rien appris.
Au bilan, en excluant l’hypothèse que nous convaincrons le monde entier de nous suivre sur les rives du Tigre et de l’Euphrate (nous ne sommes pas les Américains), deux options me paraissent réalistes pour la France :
Continuer les frappes aériennes en espérant une rupture dont nous ne serons que très indirectement les initiateurs et qui nous sera favorable. Si cette fracture ne nous est pas favorable ou s’il ne se passe rien de nouveau, la posture sera suffisamment légère pour pouvoir se désengager après un délai décent et en disant que nous avons suffisamment puni l’ennemi.
Engager la division aéroterrestre prévue par le Livre blanc en périphérie de l’Etat islamique, y mener une guerre de corsaires en diversifiant les moyens d’attaque et faire de la diplomatie locale, sans sous-traiter aux monarchies du Golfe. Appuyer au mieux les forces locales, en particulier les Arabes sunnites quitte à les intégrer dans des Légions arabes à encadrement français qui iront planter les drapeaux à Raqqa et Deir ez-Zor, voire à Mossoul. En 2007, pour 10 % du prix de la campagne aérienne en cours, les Américains avaient engagé 120 000 « fils de l’Irak », à 80 % sunnite, et les avaient intégrés dans leurs rangs en particulier à Bagdad. Ils ont alors gagné contre l’Etat islamique.
Dans tous les cas, l’effort s’exercera sur la durée, il impliquera une profonde réflexion (et action) sur l’évolution politique de la région. Ses conséquences sur la société française seront sans doute aussi considérables. On ne pourra échapper à une remontée en puissance des moyens de l’Etat. C’est toute une idéologie et une gestion des ressources du pays à repenser, au profit de la sécurité, au détriment de l’ouverture, au profit de l’action régalienne au détriment d’une action sociale qui faudra, au moins, mieux gérer. La guerre contre le djihadisme marque probablement la fin d’une forme de mondialisation pour la France.
Source : lavoiedelepee, 26-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/bombarder-et-esperer-par-le-colonel-michel-goya/


Olivier Roy : « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste »

Friday 27 November 2015 at 02:14

Source : Le Monde, 24.11.2015

Un dessin affiché à Bordeaux montre un djihadiste demandant : “Tu connais le Coran ?”. L’autre lui répondant : “Le quoi ?” JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Par Olivier Roy, politologue spécialiste de l’islam

La France en guerre ! Peut-être. Mais contre qui ou contre quoi ? Daech n’envoie pas des Syriens commettre des attentats en France pour dissuader le gouvernement français de le bombarder. Daech puise dans un réservoir de jeunes Français radicalisés qui, quoi qu’il arrive au Moyen-Orient, sont déjà entrés en dissidence et cherchent une cause, un label, un grand récit pour y apposer la signature sanglante de leur révolte personnelle. L’écrasement de Daech ne changera rien à cette révolte.

Le ralliement de ces jeunes à Daech est opportuniste : hier, ils étaient avec Al-Qaida, avant-hier (1995), ils se faisaient sous-traitants du GIA algérien ou pratiquaient, de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par la Tchétchénie, leur petit nomadisme du djihad individuel (comme le « gang de Roubaix »). Et demain, ils se battront sous une autre bannière, à moins que la mort en action, l’âge ou la désillusion ne vident leurs rangs comme ce fut le cas de l’ultragauche des années 1970.

Il n’y a pas de troisième, quatrième ou énième génération de djihadistes. Depuis 1996, nous sommes confrontés à un phénomène très stable : la radicalisation de deux catégories de jeunes Français, à savoir des « deuxième génération » musulmans et des convertis « de souche ».

Le problème essentiel pour la France n’est donc pas le califat du désert syrien, qui s’évaporera tôt ou tard comme un vieux mirage devenu cauchemar, le problème, c’est la révolte de ces jeunes. Et la vraie question est de savoir ce que représentent ces jeunes, s’ils sont l’avant-garde d’une guerre à venir ou au contraire les ratés d’un borborygme de l’Histoire.

Quelques milliers sur plusieurs millions

Deux lectures aujourd’hui dominent la scène et structurent les débats télévisés ou les pages opinions des journaux : en gros, l’explication culturaliste et l’explication tiers-mondiste. La première met en avant la récurrente et lancinante guerre des civilisations : la révolte de jeunes musulmans montre à quel point l’islam ne peut s’intégrer, du moins tant qu’une réforme théologique n’aura pas radié du Coran l’appel au djihad.

La seconde évoque avec constance la souffrance postcoloniale, l’identification des jeunes à la cause palestinienne, leur rejet des interventions occidentales au Moyen-Orient et leur exclusion d’une société française raciste et islamophobe ; bref, la vieille antienne : tant qu’on n’aura pas résolu le conflit israélo-palestinien, nous connaîtrons la révolte.

Mais les deux explications butent sur le même problème : si les causes de la radicalisation étaient structurelles, alors pourquoi ne touche-t-elle qu’une frange minime et très circonscrite de ceux qui peuvent se dire musulmans en France ? Quelques milliers sur plusieurs millions.

Car ces jeunes radicaux sont identifiés ! Tous les terroristes qui sont passés à l’action avaient leur fameuse fiche « S ». Je n’entre pas ici dans la question de la prévention, je remarque simplement que l’information est là et accessible. Alors regardons qui ils sont et essayons d’en tirer des conclusions.

Islamisation de la radicalité

Presque tous les djihadistes français appartiennent à deux catégories très précises : ils sont soit des « deuxième génération », nés ou venus enfants en France, soit des convertis (dont le nombre augmente avec le temps, mais qui constituaient déjà 25 % des radicaux à la fin des années 1990). Ce qui veut dire que, parmi les radicaux, il n’y a guère de « première génération » (même immigré récent), mais surtout pas de « troisième génération ».

Or cette dernière catégorie existe et s’accroît : les immigrés marocains des années 1970 sont grands-pères et on ne trouve pas leurs petits-enfants parmi les terroristes. Et pourquoi des convertis qui n’ont jamais souffert du racisme veulent-ils brusquement venger l’humiliation subie par les musulmans ? Surtout que beaucoup de convertis viennent des campagnes françaises, comme Maxime Hauchard, et ont peu de raisons de s’identifier à une communauté musulmane qui n’a pour eux qu’une existence virtuelle. Bref, ce n’est pas la « révolte de l’islam » ou celle des « musulmans », mais un problème précis concernant deux catégories de jeunes, originaires de l’immigration en majorité, mais aussi Français « de souche ». Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité.

Qu’y a-t-il de commun entre les « deuxième génération » et les convertis ? Il s’agit d’abord d’une révolte générationnelle : les deux rompent avec leurs parents, ou plus exactement avec ce que leurs parents représentent en termes de culture et de religion. Les « deuxième génération » n’adhèrent jamais à l’islam de leurs parents, ils ne représentent jamais une tradition qui se révolterait contre l’occidentalisation. Ils sont occidentalisés, ils parlent mieux le français que leurs parents. Tous ont partagé la culture « jeune » de leur génération, ils ont bu de l’alcool, fumé du shit, dragué les filles en boîte de nuit. Une grande partie d’entre eux a fait un passage en prison. Et puis un beau matin, ils se sont (re)convertis, en choisissant l’islam salafiste, c’est-à-dire un islam qui rejette le concept de culture, un islam de la norme qui leur permet de se reconstruire tout seuls. Car ils ne veulent ni de la culture de leurs parents ni d’une culture « occidentale », devenues symboles de leur haine de soi.

La clé de la révolte, c’est d’abord l’absence de transmission d’une religion insérée culturellement. C’est un problème qui ne concerne ni les « première génération », porteurs de l’islam culturel du pays d’origine, mais qui n’ont pas su le transmettre, ni les « troisième génération », qui parlent français avec leurs parents et ont grâce à eux une familiarité avec les modes d’expression de l’islam dans la société française : même si cela peut être conflictuel, c’est « dicible ». Si on trouve beaucoup moins de Turcs que de Maghrébins dans les mouvements radicaux, c’est sans doute que, pour les Turcs, la transition a pu être assurée, car l’Etat turc a pris en charge la transmission en envoyant instituteurs et imams (ce qui pose d’autres problèmes, mais permet d’esquiver l’adhésion au salafisme et à la violence).

Lire la suite sur : Le Monde, 24.11.2015

Source: http://www.les-crises.fr/olivier-roy-le-djihadisme-est-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste/


Officiel : La France renonce à la Convention Européenne des Droits de l’Homme

Friday 27 November 2015 at 01:30

Source : 20minutes, 26-11-2015

« La République est forte, la meilleure réponse au terrorisme de continuer à vivre comme avant » : c’est le discours public qui tourne en boucle, et attention de ne pas en douter sinon vous êtes de mauvais Français… Sauf que la réalité est bien différente. Dans la discrétion, ce 24 novembre, le gouvernement français a déclaré au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence nécessitaient une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Voici la formule retenue par le gouvernement (ici, à la fin du § sur la France) “Some of them, prescribed by the decrees of 14 November 2015 and 18 November 2015 and by the Law of 20 November 2015, may involve a derogation from the obligations under the Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms”.

Le gouvernement fait application de l’article 15 de la Convention :

« 1/ En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.

« 2/ La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.

« 3/ Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont 14 15 inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application ».

Ainsi, seuls quatre droits restent intacts : le droit à la vie de l’article 2, l’interdiction de la torture et traitements inhumains ou dégradants de l’article 3, l’interdiction de l’esclavage de l’article 4, et le principe de légalité des infractions et des peines de l’article 7.

La France se libère du cadre de la Convention européenne pour tous les autres droits fondamentaux : liberté d’expression, liberté de réunion, liberté de manifestation, liberté d’association, liberté de religion, liberté d’aller et venir, règles du procès équitable, intimité de la vie privée, vie familiale…

Certes, il faudra justifier… mais ce sera très facile avec le contenu de la loi sur l’état d’urgence, en invoquant des renseignements dignes de foi, mais devant rester confidentiels pour raison de sécurité.

Alors, juste trois remarques :

- Montrer cette fragilité de la démocratie est une nouvelle victoire donnée aux groupes terroristes, et je ne peux que le déplorer, car le respect des droits est le meilleur ciment social ;

- Chères amies, chers amis, soyez prudents dans votre comportement, aujourd’hui n’est pas comme hier ;

- Pour défendre encore et toujours nos libertés, nous pouvons encore invoquer le Pacte des droits civils et politiques de 1966 qui est directement applicable… Il nous reste la protection de l’ONU. Pour combien de temps encore ?

 Source : 20minutes, 26-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/officiel-la-france-renonce-a-la-convention-europeenne-des-droits-de-lhomme/


États de terreur, par Chris Hedges

Thursday 26 November 2015 at 05:30

Source : LEPARTAGE 23/11/2015

Il est quasiment certain que nous allons subir, dans un futur probablement assez proche, un autre attentat terroriste catastrophique sur le sol US. Le pillage du Moyen-Orient par notre armée; les États faillis ayant émergé de la gestion calamiteuse et du chaos de l’Irak et de l’Afghanistan; les millions d’innocents que nous avons chassés de leurs maisons, terrorisés ou massacrés; la faillite des régimes fantoches que nous avons équipés et entrainés et qui ne combattront pas; la quantité massive de munitions et d’équipement militaire que nous avons laissé atterrir entre les mains des djihadistes — les milliers d’entre eux détenant des passeports occidentaux; et la politique étrangère myope dont le seul précepte est que plus de violence industrielle nous sortira du marasme dans lequel la violence industrielle nous a entrainés, font que, comme la France, nous allons en prendre pour notre grade.

Un mémorial à New York en l’honneur des victimes des attentats de Paris. Une vague de terrorisme de ce type aux USA pourrait bien donner naissance à un état d’anxiété nationale qui mutilerait la démocratie US Kathy Willens / AP

Tous les principaux candidats à la présidentielle, y compris Bernie Sanders, ainsi que la chambre d’écho éhontée de la voix des élites que nous appelons médias, adoptent l’optique de la guerre sans fin. Ce qui s’est perdu : l’art de la diplomatie, l’aptitude à lire le paysage culturel, politique, linguistique et religieux de ceux que nous dominons par la force, l’effort pour disséquer les racines de la rage et de la violence djihadistes, et la simple compréhension du fait que les Musulmans ne veulent pas plus vivre sous l’occupation  que nous le voudrions.

Un nouvel attentat terroriste djihadiste aux USA anéantira ce qui reste de notre démocratie anémique et largement dysfonctionnelle. La peur sera encore plus suscitée et manipulée par l’État. Les quelques libertés civiles qui nous restent seront abolies. Les collectifs défiant l’État capitaliste — Black Lives Matter, les activistes climatiques et les anti-capitalistes — seront ciblés sans ménagement tandis que le pays sera entrainé dans le monde manichéen du nous-et-eux, des traîtres contre les patriotes. La culture sera réduite aux vers de mirliton et au kitsch patriotique. La violence sera sanctifiée, à Hollywood et dans les médias, comme agent purificateur. La moindre critique de cette croisade et de ceux qui la mènent deviendra hérésie. La police et l’armée seront déifiées. Le nationalisme, qui n’est au final qu’auto-glorification et racisme, déformera notre perception de la réalité. Nous nous rassemblerons comme des enfants effrayés autour du drapeau. Nous chanterons l’hymne national à l’unisson. Nous nous agenouillerons devant l’État et les organes de la sécurité intérieure. Nous supplierons nos maitres de nous sauver. Nous serons paralysés par la psychose de la guerre perpétuelle.

Bagdad, 2009

En temps de guerre, le discours public crache le même venin que le roi Lear: « Alors, tue, tue, tue, tue, tue, tue! ». Les démagogues braillent et réclament plus de bombes et plus de cadavres ennemis. L’armée et les profiteurs de guerre les leur fournissent. Le public applaudit à ce massacre. La victoire est assurée. La nation se réjouit de l’éradication de cette toute dernière incarnation du mal. Mais à chaque fois qu’un de ces visages du mal — Cheikh Ahmed Yassine, Saddam Hussein, Oussama ben Laden, Abou Musab al-Zarqawi ou Abdelhamid Abaaoud — est exterminé, un autre prend rapidement sa place. Il s’agit d’une futile quête sans fin.

La violence génère une contre-violence. Ce cycle ne s’arrête pas tant que les tueries continuent. Tout ce qui nous rend humains — l’amour, l’empathie, la tendresse et la gentillesse — est congédié en temps de guerre, car présenté comme inutile et signe de faiblesse. Nous nous délectons d’une hyper-masculinité démente. Nous perdons la capacité de ressentir et de comprendre. Nous n’avons de pitié que pour les nôtres. Nous aussi célébrons nos martyrs glorifiés. Nous associons à nos morts sanctifiés les nobles vertus et la bonté qui définissent notre mythe national, tout en ignorant notre complicité dans la perpétuation de ce cycle de morts sans fin. Nos drones et frappes aériennes, après tout, ont décapité bien plus de gens, enfants y compris, que l’État islamique.

Yémen

Les djihadistes s’infiltrent dans les sites web, dans les couloirs miteux des cités environnant les villes françaises, et dans les bidonvilles irakiens à la recherche de jeunes gens mis au rebut par la guerre et le néolibéralisme, tout comme les recruteurs de l’armée US débusquent nos propres exclus et dépossédés et les envoient au combat. Les jeunes marginalisés, à qui l’on offre une illusion d’héroïsme, de gloire et même de martyre, à qui l’on promet une chance d’être armés et puissants, sont séduits par ces charognards. Des centaines de millions de gens à travers la planète ont été exclus par la mondialisation, rejetés comme déchets humains. Ils n’ont aucune valeur aux yeux de l’État capitaliste. On leur refuse emplois, droits sociaux, dignité et auto-estime. Ils sont des proies faciles pour les chants de sirènes de ceux pour qui la guerre est un business lucratif. Ils revêtent l’uniforme. Ils abandonnent leur individualité. Ils font l’expérience de cette drogue addictive qu’est la violence. Ils endossent une nouvelle identité — celle du guerrier.

Robert Jackson, vétéran d’Irak

Lorsqu’ils parviennent à voir à travers les illusions et les mensonges, lorsqu’ils parviennent à saisir comment ils ont été utilisés et trahis, ils sont brisés, mutilés ou morts. Peu importe : ils sont légions derrière eux à attendre impatiemment leur chance.

Nous avons perdu les guerres d’Irak et d’Afghanistan. L’Irak, en tant que nation unifiée, a été éclaté en enclaves antagonistes et belligérantes. Il ne sera jamais réunifié. Nous avons assuré la faillite de l’Irak en tant qu’État au moment où nous l’avons envahi et avons démantelé son armée, ses forces policières et sa bureaucratie gouvernementale, au moment où nous avons tenté de manière insensée de dominer ce pays par la force, y compris en armant et en organisant des escadrons de la morts chiites, qui ont imposé aux sunnites le règne de la terreur. Les rebelles irakiens, Al-Qaïda, et plus tard, l’État islamique, ont facilement recruté au sein de la masse dépossédée d’enragés dont les familles ont été déchirées depuis l’invasion de 2003, dont l’enfance a été marquée par la pauvreté extrême, la peur, le manque d’éducation, l’absence de services élémentaires et des actes de violences horribles, et qui, à raison, ne voient aucun futur possible sous occupation US. L’État islamique contrôle maintenant une région de la taille du Texas, taillée dans les restes de la Syrie et de l’Irak. Toutes nos attaques aériennes ne l’en délogeront pas.

La situation n’est pas meilleure en Afghanistan. Les talibans contrôlent une plus grande partie de l’Afghanistan qu’il y a 14 ans lorsque nous l’avons envahi. Le régime fantoche de Kaboul que nous armons et soutenons est détesté, brutal, corrompu, impliqué dans le trafic de drogue et paralysé par la lâcheté. Il est aussi largement infiltré par les talibans. Le régime de Kaboul s’effondrera dès notre départ. Des billions et des billions de dollars, ainsi que des centaines de milliers de vies, ont été perdus pour rien, alors que le changement climatique est de plus en plus près de provoquer l’extinction de l’espèce humaine.

Nous avons plongé dans des conflits que nous ne comprenions pas. Nous étions propulsés par des fantasmes. L’occupation de l’Irak était censée faire de nous des libérateurs acclamés. Nous comptions instaurer la démocratie à Bagdad et la propager au Moyen-Orient. On nous a fait avaler la promesse absurde selon laquelle les revenus tirés des ventes pétrolières paieraient la reconstruction. Au lieu de cela, notre folie à engendré l’effondrement politique, social et économique, la pauvreté généralisée, les déplacements humains massifs, la misère et la rage qui ont donné naissance à l’extrémisme islamique en Irak et à travers la région.

La désintégration de l’Irak, de la Syrie et de l’Afghanistan nous a forcés à formé une alliance de fait avec l’Iran pour combattre l’État islamique et les talibans. Cette désintégration a chamboulé notre objectif de renversement du régime syrien de Bashar Al-Assad. Nous servons aujourd’hui, comme les Russes, de force aérienne de substitution pour Bachar. Et comme les combattants du Hezbollah, que les USA et Israël considèrent comme des terroristes et ont juré de détruire, font partie de l’armée de Bachar, nous servons aussi de force aérienne de substitution pour le Hezbollah. Le régime irakien est dominé par les mollahs d’Iran. Les objectifs censés justifier ces conflits — y compris la promesse d’éradication du djihadisme radical — ont tous échoué.

Dans les guerres sans fin, les ennemis d’hier sont, pour finir, les alliés d’aujourd’hui. C’est un thème illustré par George Orwell dans sa nouvelle dystopique « 1984 »:

« En ce moment, par exemple, en 1984 (si c’était bien 1984) l’Océania était alliée à l’Estasia et en guerre avec l’Eurasia. Dans aucune émission publique ou privée il n’était admis que les trois puissances avaient été, à une autre époque, groupées différemment. Winston savait fort bien qu’il y avait seulement quatre ans, l’Océania était en guerre avec l’Estasia et alliée à l’Eurasia. Mais ce n’était qu’un renseignement furtif et frauduleux qu’il avait retenu par hasard parce qu’il ne maîtrisait pas suffisamment sa mémoire. Officiellement, le changement de partenaires n’avait jamais eu lieu. L’Océania était en guerre avec l’Eurasia. L’Océania avait, par conséquent, toujours été en guerre avec l’Eurasia. L’ennemi du moment représentait toujours le mal absolu et il s’ensuivait qu’aucune entente passée ou future avec lui n’était possible. »

Tout cela finira mal. La violence massive que nous employons à travers le Moyen-Orient n’atteindra jamais ses objectifs. La terreur d’État ne vaincra jamais les actes de terreur individuels. De plus en plus d’innocents seront sacrifiés, ici et là-bas, dans une campagne aussi furieuse que futile. La rage et l’humiliation collective s’accumuleront. Tandis que nous continuerons à ne pas parvenir à empêcher les attentats contre nous, nous deviendrons de plus en plus agressifs et létaux. Les ennemis intérieurs — en particulier les Musulmans — seront diabolisés, feront l’objet de crimes de haine et seront pourchassés. Les formes de critique les plus tièdes et la dissidence seront criminalisées.

Nous sommes les otages, tout comme Israël, d’une spirale de mort qui s’accélère. Ce n’est que lorsque nous seront épuisés et diminués, lorsque le nombre de morts et d’estropiés nous submergera, que cette soif de sang s’étanchera. D’ici là le monde qui nous entoure sera méconnaissable, et, je le crains, dans un état irréversible.

Chris Hedges

Traduit par Nicolas Casaux
  Éditépar Fausto Giudice Фаусто Джудиче

Source : LEPARTAGE 23/11/2015

Source: http://www.les-crises.fr/etats-de-terreur-par-chris-hedges/


Comment l’argent de l’Arabie saoudite et du Golfe alimente la terreur, par Daniel Lazare

Thursday 26 November 2015 at 04:30

Source : Consortiumnews.com, le 14/11/2015

Exclusif : Alors que le bilan des morts des attentats de Paris continue de s’aggraver, le président Hollande dénonce “un acte de guerre” de l’État islamique, mais, nous explique Daniel Lazare, la réalité sous-jacente est que les riches amis de la France dans le Golfe persique sont les complices de cette horreur.

Par Daniel Lazare

Au lendemain du dernier attentat terroriste de Paris, la question n’est pas de savoir quel groupe en particulier est responsable de l’attaque, mais en tout premier lieu de savoir qui est responsable de l’émergence de l’État islamique et d’Al-Qaïda. La réponse qui a émergé de plus en plus clairement au cours de ces dernières années est que ce sont les dirigeants occidentaux qui ont utilisé des portions croissantes du monde musulman comme terrain pour leurs jeux guerriers, et qui viennent maintenant verser des larmes de crocodile sur les conséquences de leurs actes.

Ce phénomène a commencé dans les années 80 en Afghanistan, où la CIA et la famille royale saoudienne ont quasiment inventé le djihadisme en essayant d’imposer aux Soviétiques une guerre à la vietnamienne juste dans leur arrière-cour. C’est ce qui s’est passé aussi en Irak, que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont envahi en 2003, déclenchant ainsi une guerre civile féroce entre les chiites et les sunnites.

Le prince Bandar ben Sultan, alors ambassadeur de l’Arabie saoudite aux États-Unis, rencontre le Président Bush à Crawford, au Texas, le 27 août 2002. (White House photo)

C’est ce qui se passe aujourd’hui au Yémen où les États-Unis et la France aident l’Arabie saoudite dans une guerre aérienne de grande ampleur contre les chiites Houthis. Et c’est ce qui se passe en Syrie, théâtre du jeu guerrier le plus destructeur, là où l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe fournissent armes et argent à Al-Qaïda, à l’État Islamique, connu aussi sous les noms d’ISIS et de Daech, et à des organisations du même type, ce que les États-Unis savent parfaitement.

Les dirigeants occidentaux encouragent cette violence tout en s’en indignant quasi simultanément. En avril 2008, un responsable du ministère des finances a témoigné, lors d’une audition devant le Congrès : “L’endroit d’où part l’argent que reçoivent les groupes terroristes sunnites et les Talibans reste prioritairement l’Arabie saoudite.” [cf Rachel Ehrenfeld "Their Oil is Thicker Than Our Blood" dans Saudi Arabia and the Global Islamic Terrorist Network : America and the West's Fatal Embrace (New York: Palgrave Macmillan,2011), p. 127.]

En décembre 2009, Hillary Clinton a indiqué dans une note diplomatique confidentielle que les donateurs d’Arabie saoudite constituaient, et ce au niveau mondial, la source la plus importante de financement des groupes terroristes. En octobre 2014, Joe Biden a déclaré aux étudiants de la Kennedy School de Harvard : “les Saoudiens, les émirats, etc. [...] sont si déterminés à provoquer la chute d’Assad et surtout à mener par procuration une guerre chiites contre sunnites [...] [qu']ils ont versé des centaines de millions de dollars et fourni des dizaines de milliers de tonnes d’armement militaire à tous ceux qui voulaient se battre contre Assad, sauf que ceux qui ont reçu cette manne, c’étaient Al-Nosra et Al-Qaïda.”

Le mois dernier, le New York Times s’était plaint dans un éditorial de ce que les Saoudiens, les Qataris et les Koweitiens maintenaient leurs donations non seulement à Al-Qaïda mais aussi à l’État Islamique.

Cependant, même si on a souvent promis d’arrêter de financer ces groupes, les robinets sont demeurés grand ouverts. Les États-Unis ont non seulement approuvé de telles pratiques, mais ils en ont même été partie prenante. En juin 2012, le Times a écrit que la CIA travaillait avec les Frères Musulmans à faire passer aux rebelles anti-Assad des armes fournies par les Turcs, les Saoudiens et les Qataris.

Deux mois plus tard, la Defense Intelligence Agency, le Bureau du renseignement militaire, a indiqué qu’Al-Qaïda, les salafistes et les Frères Musulmans dominaient le mouvement rebelle syrien, que leur but était d’établir une “principauté salafiste dans l’est de la Syrie” là où se trouve maintenant le califat et que c’est “précisément ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition”, c’est-à-dire l’Occident, les États du Golfe et la Turquie, “afin d’isoler le régime syrien.”

Plus récemment, l’administration Obama n’a soulevé aucune objection lorsque les Saoudiens ont fourni à Al-Nosra, la branche officielle syrienne d’Al-Qaïda, des missiles de pointe TOW pour l’aider lors de son offensive dans la province d’Idleb au nord de la Syrie. Elle n’a pas protesté quand les Saoudiens ont souhaité très vivement accroître leur aide à ces groupes, en réponse à l’intervention russe qui soutient le régime affaibli d’Assad.

Il y a deux semaines, Ben Hubbard du Times a indiqué que les troupes des opérations spéciales américaines introduites dans le nord de la Syrie avaient reçu l’ordre de travailler avec des rebelles arabes qui avaient précédemment collaboré avec Al-Nosra et qui – bien qu’Hubbard ne le précise pas – ne manqueront sûrement pas de le faire de nouveau quand les Américains seront partis.

Collaboration, vous avez dit collaboration ?

Bien qu’ils vouent une haine éternelle à Al-Qaïda, les États-Unis et leurs alliés du Golfe travaillent main dans la main avec ces mêmes forces, lorsqu’il s’agit d’atteindre certains objectifs. Pourtant, à présent, de Washington à Riyad, les dirigeants se désolent fort de ce que ces mêmes groupes mordent la main qui les nourrit.

C’est là un scénario qui s’est trop souvent répété ces dernières années. “Terrorisme” est un terme quasiment dépourvu de sens, qui brouille et obscurcit les événements plus qu’il ne les éclaire. Les attaques du 11 septembre ont mené à “une guerre mondiale contre la terreur” et, en même temps, à une vertigineuse dissimulation à propos de ceux qui étaient effectivement responsables de cette terreur.

Une chape de plomb s’est abattue sur le rôle joué par les Saoudiens en Afghanistan, où est né le réseau de ben Laden, et l’administration Bush a discrètement exfiltré des États-Unis 140 Saoudiens, y compris une vingtaine de membres de la famille ben Laden, après que le FBI les eut entendus, d’une façon plus que superficielle.

Quand le régent saoudien Abdallah ben Abdelaziz , qui devait encore attendre trois ans avant de régner officiellement, a rendu visite à Bush dans son ranch du Texas en avril 2002, le président a à peine fait allusion au World Trade Center et il a coupé la parole à un journaliste qui insistait pour en parler.

“Oui, moi, le prince héritier condamne vigoureusement les individus qui ont tué des citoyens américains. Nous travaillons constamment avec lui et son gouvernement, pour l’échange de renseignements et pour tarir la source des  financements … ce gouvernement se donne du mal et c’est quelque chose que j’apprécie énormément.”

Bush mentait. Un mois seulement avant cette visite, Robert Kallstrom, l’ancien sous-directeur du FBI, s’était plaint que les Saoudiens ne montraient pas beaucoup d’empressement à enquêter. “Ils ne donnent pas l’impression de faire grand chose, et franchement, ça n’a rien de nouveau.”

En avril 2003, Philip Zelikow, le néoconservateur en charge de la commission du 11 septembre, s’est séparé d’une investigatrice, Dana Leseman, quand celle-ci s’est montrée trop déterminée à enquêter sur les liens avec l’Arabie saoudite. [cf Philip Shenon, The Commission : The Uncensored History of the 9/11 Investigation (New York: Twelve, 2008), pp 110-13.]

L’épisode le plus étonnant de l’étouffement d’une partie de l’enquête, c’est ce qui s’est passé pour un chapitre de 28 pages d’un rapport du Congrès, qui traitait de la question de la complicité de l’Arabie saoudite. Ce rapport a été, dans son ensemble, lourdement remanié, et ce chapitre s’est, quant à lui, trouvé entièrement supprimé. Bien qu’Obama, peu après être entré en fonction, ait promis à une veuve du 11 septembre, Kristen Breitweiser, de veiller à ce que ce chapitre soit rendu public, il n’en a rien été.

Au lieu d’identifier les responsables, Washington a préféré laisser les Américains dans l’ignorance. Au lieu d’identifier les vrais coupables, l’administration Bush, soutenue par les Démocrates et la presse, a préféré blâmer de vagues et “infâmes individus” d’un autre monde. Le même phénomène s’est produit en janvier dernier avec le massacre à Charlie Hebdo. On a beaucoup évoqué les insignes “Je Suis Charlie” et les grandes manifestations, où se trouvaient notamment Netanyahou, Sarkozy et l’ambassadeur d’Arabie saoudite, mais on n’a pas fait allusion aux rapports qui s’empilaient à propos des contributions financières des Saoudiens. C’est, en effet, à cette source que s’abreuve Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique, le groupe qui a entraîné Chérif Kouachi et a manifestement fomenté l’attaque.

Les rapports selon lesquels Riyad a depuis collaboré avec l’AQAP (Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) dans sa guerre contre les chiites Houthis ont connu le même sort. Les avions saoudiens sèment la mort et la dévastation dans tout le Yémen, Al-Qaïda a pris le contrôle d’une ville de l’est, Mukalla, un centre pétrolier et un port maritime de 300 000 habitants et s’est aussi emparé de certaines parties d’Aden. Le groupe a ainsi accumulé un arsenal de dizaines de tanks T-55, de chars 22, mais également des missiles antiaériens et d’autres armes.

Personne n’a tiré la sonnette d’alarme

Une telle situation devrait avoir de quoi alarmer Washington, pourtant tous se sont contentés de hausser les épaules. L’administration Obama continue à encourager l’Arabie saoudite dans son attaque contre la plus pauvre des nations du Moyen-Orient, elle lui fournit un appui technique et une aide navale, tandis que la France, si désireuse de supplanter les États-Unis dans son rôle de premier fournisseur d’armes du royaume, appuie ce pays, elle aussi.

Le président français, François Hollande, soutient ainsi le royaume, qui soutient les forces, qui ont soutenu les auteurs du massacre de Charlie Hebdo. Il soutient aussi un royaume qui permet à l’argent d’affluer vers ISIS, groupe qu’il identifie désormais comme responsable des dernières atrocités en date.

Hollande préfère battre sa coulpe et lancer des appels vibrants à “la compassion et à la solidarité” plutôt que de revoir d’abord ses liens avec ceux qui sont à l’origine de telles attaques.

Au niveau le plus fondamental, il s’agit d’une crise à propos du pétrole, de l’argent et d’un empire américain qui reste paralysé devant le désastre qu’il a créé au Moyen-Orient. Quand Obama a lancé son célèbre appel pour un changement de régime à Damas – “Pour le bien du peuple syrien, le temps est venu pour le président Assad de démissionner” – cela semblait un jeu d’enfant.

La révolte montait, le régime ne tenait plus qu’à un fil, et on pensait que ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’Assad ne subisse le même sort que Kadhafi. “Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort,” Hillary Clinton criait  victoire, quelques mois près la mort de Kadhafi ; on pensait alors qu’Assad n’allait pas tarder lui non plus à mourir sous les coups d’une foule insurgée.

Assad s’est cependant avéré plus résistant que prévu, principalement parce qu’il pouvait compté sur un parti de poids qui, bien que corrompu et coupé des réalités, jouissait tout de même encore d’un soutien populaire important. A mesure qu’il se montrait capable de rester au pouvoir, les États-Unis se trouvaient pris dans une guerre de plus en plus sectaire, menée par des extrémistes sunnites financés par des pays du Golfe.

Confronté à un dilemme entre d’un côté, Assad, et de l’autre, ISIS et Al-Qaïda, Obama a hésité et traîné des pieds, refusant de s’engager pleinement dans la cause des rebelles, mais échouant à s’opposer quand ses amis les plus proches financent les organisations que les USA considèrent officiellement comme des suppôts de Satan.

Au lieu de venir à bout d’ISIS, cette politique du ni-ni a laissé s’envenimer la situation. L’organisation est plus riche que jamais, ses troupes avancent dans de flamboyants pick-up Toyota et disposent de moyens techniques sans précédent. Il y a deux semaines, elle a, sans doute, abattu un avion de ligne russe dans le Sinaï. Jeudi, elle a dépêché deux tueurs-kamikazes  dans une banlieue chiite de Beyrouth, lesquels ont fait 43 morts et plus de deux cents blessés.

Et à présent, selon les autorités françaises, ISIS a envoyé une équipe d’au moins huit militants pour mitrailler différents endroits à Paris. Se référant manifestement aux bombardements occidentaux contre des cibles ISIS en Syrie, un tireur aurait crié pendant l’assaut du Bataclan : “Ce que vous faites en Syrie, vous allez le payer maintenant.”

Ce spectacle d’horreur est produit par Washington, Riyad et l’Élysée.

La montée de l’extrême-droite

Que faire ? Ces évènements sont une bénédiction pour Marine Le Pen, qui les utilisera sans aucun doute pour attiser la xénophobie, grande pourvoyeuse de voix pour le Front national. C’est une aubaine, pour d’innombrables politiciens de l’est de l’Europe, depuis le hongrois Victor Orban, jusqu’au premier ministre slovaque Robert Fico, qui profitent eux aussi du sentiment anti-immigration grandissant.

En Pologne, où le président Andrzeij Duda a dénoncé les quotas de réfugiés de l’Union Européenne, et où 25 000 manifestants d’extrême-droite ont récemment défilé à Varsovie aux cris de “la Pologne aux Polonais,” les nationalistes se frottent les mains avec jubilation.

Depuis des semaines, les sites web d’extrême-droite et les journaux ont averti qu’ISIS utilisait la vague de réfugiés pour infiltrer des combattants en Europe, et maintenant ils peuvent évoquer le massacre du Bataclan et dire qu’ils avaient raison.

C’est un argument que les gens ordinaires trouveront probablement imparable et c’est pourquoi il est crucial de souligner le rôle des gouvernements occidentaux dans la débâcle. Après avoir déversé la destruction sur les nations musulmanes les unes après les autres, les dirigeants occidentaux ne devraient pas à être surpris de voir la violence déborder chez eux.

Il se peut que la fermeture des frontières façon Donald Trump ou Nigel Farage soit considérée par les électeurs comme une démarche logique, mais plus les États-Unis et leurs alliés imposeront un “changement de régime” et terroriseront la population au Moyen-Orient, plus le nombre de réfugiés cherchant à fuir augmentera. Les pays européens peuvent ériger toutes les barrières qu’ils veulent à leurs frontières, un nombre croissant de migrants les contournera.

Le même raisonnement vaut pour la violence. Peu importe les efforts que l’Occident fera pour se protéger contre les désordres qu’il a lui-même créés, il s’apercevra qu’un cordon sanitaire est impossible à maintenir. L’Arabie saoudite a quadruplé ses achats d’armes ces dernières années, alors que le Conseil de Coopération du Golfe avec ses six membres dispose aujourd’hui du troisième budget militaire du monde.

Ce sont des nouvelles formidables pour les industries de l’armement, sans oublier les politiciens prêts à tout pour donner un petit coup de pouce à leur PIB, mais un peu moins réjouissantes pour la foule des gens ordinaires au Yémen, en Syrie, au Liban et à Paris qui subissent maintenant le contrecoup de tout cet armement et de toute cette violence. Plus l’alliance Occidentale et ses “partenaires” du Golfe persisteront à semer le chaos au Moyen-Orient, plus l’extrême-droite et la xénophobie augmenteront, que ce soit en Europe ou aux États-Unis.

Source : Consortiumnews.com, le 14/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-largent-de-larabie-saoudite-et-du-golfe-alimente-la-terreur-par-daniel-lazare/


Le courage de construire la paix, par William Martinet

Thursday 26 November 2015 at 03:30

Source : William Martinet, président de l’Union Nationale des Etudiants de France, pour Médiapart, le 17 novembre 2015.

En retournant à l’université, en parlant autour de nous, nous comptons nos morts. L’ami d’un ami ou un camarade d’amphithéâtre. Rien d’étonnant, malheureusement. Les lieux de culture et de convivialité ciblés par les terroristes sont ceux que la jeunesse scolarisée, urbaine et métissée prend plaisir à occuper. Nous avons le sentiment, angoissant, que nous étions tous visés.

Vient ensuite le temps de l’incompréhension et la colère. L’identité des terroristes est dévoilée par l’enquête. Des visages apparaissent et nous montrent que ce sont des jeunes français qui ont pris les armes et commis ces attentats. Préparés et dirigés depuis la Syrie ou l’Iraq, certes, mais des jeunes français tout de même. Nous aurions pu les croiser à un coin de rue, une station de métro ou même à l’école, avant qu’ils ne sombrent dans la barbarie.

Tout cela fait trop de souffrance et de violence pour une seule génération. Il y a, soyons honnêtes, de quoi devenir fou. A l’image de notre société, terrifiée, qui risque de basculer dans le délire collectif de la guerre. Et pourtant, c’est avec le sens des responsabilités que nous abordons le débat politique, celui qui doit nous empêcher de sombrer. « En tant qu’intellectuel, l’étudiant a le devoir de rechercher, propager et défendre la vérité ». Ces mots sont ceux de la Charte de Grenoble, votée au lendemain de la seconde guerre mondiale par les étudiants de l’UNEF qui s’étaient engagés dans la Résistance. Elle est considérée comme l’acte fondateur du syndicalisme étudiant. Elle fait partie de ces textes historiques qui paraissent parfois grandiloquents mais qui, dans la période que nous vivons, prennent tout leur sens.

Alors, humblement, malgré la panique qui nous entoure et les rappels à l’ordre de ceux qui refusent de penser, nous allons rechercher, propager et défendre la vérité. Il y a notamment une vérité qui nous importe : pour lutter contre le terrorisme, il faut avoir le courage de refuser la dérive guerrière. Ce n’est pas nier la violence des attaques terroristes, la détermination de nos ennemis, la souffrance des victimes qui est aussi la nôtre. Ce n’est pas, non plus, négliger la responsabilité de l’Etat à protéger la population. Refuser la dérive guerrière, c’est une méthode qui traduit une conviction : il ne faut pas sombrer dans le piège que nous tendent les terroristes. Face à la particularité de cette menace, l’idéologie qui en est le moteur, la démocratie sera toujours plus efficace que n’importe quelle armée.

Nous refusons de déclarer la guerre à l’intérieur de notre pays. Elle fait reculer nos libertés et nous enfermera dans un paradoxe dangereux : sortir de l’Etat de droit ceux qu’on soupçonne de le combattre. Elle justifie une révision constitutionnelle pour instaurer un état d’urgence permanent. Déclarer une guerre intérieure, c’est partir à la recherche de l’ennemi, porter la suspicion sur son voisin au nom de son origine, sa couleur de peau ou sa religion. Ce n’est pas dans cette société que nous voulons vivre. Plutôt que d’organiser la division, il faut défendre le commun de la République : respecter les droits fondamentaux, rassembler et protéger, pour qu’aucun citoyen ne soit en rupture, à la marge, exposé à l’embrigadement mortifère des terroristes.

Nous refusons la guerre qui est menée à l’extérieur de notre pays. C’est une leçon que nous tirons de l’histoire récente, celle du bellicisme déclenché par le 11 septembre et qui a produit le monstre qui nous frappe aujourd’hui. Il y a quelque chose de pascalien à répéter « nous sommes en guerre, face à un Etat, une armée » comme si ces propos allaient, par miracle, faire émerger en face de nous un interlocuteur rationnel, prêt à signer une capitulation sous la menace de nos bombes. Ce discours traduit une profonde incompréhension de la logique nihiliste du terrorisme. Il est mouvant, diffus et refait surface dans toutes les fractures du monde. Dans le contexte actuel, les bombardements des puissances considérées comme occidentales ne font que renforcer le terrorisme. En admettant que Daesch soit « détruit » par notre action militaire, ce sera pour laisser la place à un malheur plus grand encore. N’oublions pas que Daesch a succédé à l’affaiblissement d’Al-Qaïda. Cela ne veut pas dire que la France doit rester inactive. Notre pays a la capacité, donc la responsabilité, d’organiser le dialogue et le compromis entre les puissances régionales et internationales qui déstabilisent la Syrie et l’Iraq. L’enjeu, au Moyen-Orient comme partout sur la planète, c’est la construction et la défense, dans le cadre du droit international, d’Etats dans lesquelles les populations peuvent se reconnaitre. Cela peut nécessiter le recours à la force, mais les solutions sont avant tout politiques. Nous avons suivi attentivement le printemps arabe et nous en tirons de fermes convictions : tous les peuples aspirent à la démocratie, aucun n’attend qu’elle soit imposée de l’extérieur, certains payent encore les conséquences d’interventions hasardeuses sans perspectives politiques.

Ce refus de la dérive guerrière, nous souhaitons le faire vivre dans la jeunesse. Nous appelons donc à la constitution d’un collectif d’associations, syndicats et organisations politiques de jeunesse pour y participer. Cela nous parait une démarche indispensable, ne serait-ce que pour faire vivre le débat démocratique, pour que la peur ne l’emporte pas, pour que le collectif produise de l’intelligence plutôt que de l’aveuglement. Nous voulons donner un raison supplémentaire aux jeunes de réinvestir les terrasses de café qui ont été marquées par le drame : pour débattre, comprendre, se disputer, se convaincre… Nous voulons entendre, sur les lieux même des attentats, le ton monter, les arguments fuser, l’esprit critique se déployer. Nous voulons que les jeunes parlent des frappes aériennes de la France en Syrie, de la révision constitutionnelle de François Hollande, de la politique du gouvernement saoudien, de la détermination du peuple kurde…

Nous savons que la tâche est immense, c’est le propre des guerres de se déclencher en un éclair alors que la construction de la paix est affaire de décennies. Notre détermination est tout aussi grande, renforcée par nos liens avec la jeunesse du monde. Au lendemain des attentats, nous discutions avec nos camarades syndicalistes étudiants algériens. A travers eux, nous avons la mémoire de la « décennie noire ». Le prix qu’a payé un peuple, dans sa chair et dans ses libertés, au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Des années plus tard, l’énergie qu’ils mettent pour faire ressurgir les aspirations démocratiques des femmes et des hommes d’Algérie est pour nous un combat exemplaire. Un combat qui nous donne la force, aujourd’hui, en France, pour refuser la régression que certains nous préparent.

Source : William Martinet, président de l’Union Nationale des Etudiants de France, pour Médiapart, le 17 novembre 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-courage-de-construire-la-paix-par-william-martinet/


Trois réalités dures à entendre qui vous aideront à comprendre la colère du Moyen-Orient et les attaques à Paris, par Michael Brull

Thursday 26 November 2015 at 02:30

Source : newmatilda.com, le 15/11/2015

On ne peut que condamner les attaques à Paris. Mais nous pouvons – et nous devons – être aussi capables de comprendre pourquoi elles se sont produites et qui en a créé les conditions. La réponse est simple : NOUS, explique Michael Brull.

1. Pensez à ce que vous ressentez après les terribles événements de Paris. La tristesse, l’horreur. On se demande qui a pu commettre ces terribles atrocités. Et, pour la plupart, on ne se limite pas à des réactions de tristesse, mais également de colère. Il y a un désir de représailles contre ceux qui ont si sauvagement massacré tant de personnes innocentes.

Ces réactions ne sont pas compliquées à comprendre. Après les attentats, quelques Français éprouveront de la haine non seulement envers Daesh, mais aussi envers les musulmans en général. Après les attaques du 11 septembre, 16 Sikhs furent assassinés aux États-Unis, dans une tentative de punir ceux qu’ils prenaient pour des musulmans, pour ce qu’ils leur avaient fait. Juste après les attentats de janvier à Paris, 26 mosquées furent attaquées aux cocktails Molotov, grenades et armes à feu en quelques semaines. Aucune personne sensée ne peut approuver ou justifier ces atrocités, mais elles peuvent toutefois êtres comprises comme une réponse injustifiée au 11 septembre.

Si nous pouvons comprendre que les Occidentaux puissent réagir avec rage et tuer des innocents en réponse à l’assassinat de leurs citoyens à New York ou à Paris, alors est-il aussi possible de comprendre ce que les musulmans ressentent quand des innocents sont assassinés dans leur pays ? Depuis 2001, les pays occidentaux ont bombardé ou envahi l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, La Syrie, la Somalie, le Yémen et le Pakistan. Nous avons également admis les massacres de Palestiniens par Israël, et les répressions brutales des opposants en Arabie saoudite, Tunisie, Bahreïn, Yémen, Jordanie et, en 2013, le coup d’État militaire en Egypte, ainsi que les massacres de manifestants non armés qui en ont découlé.

Il ne s’agit pas d’excuser le terrorisme islamiste. Il s’agit de suggérer que, tout comme le peuple de Paris, les musulmans ressentent de la peine. Et si nous souhaitons comprendre pourquoi une minorité de musulmans ont parfois fait preuve d’une violence bestiale et cruelle contre des civils occidentaux, il pourrait être utile d’imaginer que l’empathie que l’on a pour le peuple français puisse être également ressentie pour les musulmans.

2. Regardons maintenant comment l’agence Reuters a présenté l’attentat à la bombe de Beyrouth par les terroristes de Daesh jeudi.

Les explosions de jeudi soir ont touché une zone résidentielle et commerciale dans une banlieue Sud de Beyrouth, un bastion chiite du groupe Hezbollah, dans le dernier débordement de violence de la guerre en Syrie voisine.

Les premières attaques depuis plus d’un an sur un bastion du Hezbollah à l’intérieur du Liban se sont produites à un moment où ce groupe intensifie son implication dans la guerre civile syrienne, qui entre dans sa 5e année.

Epaulé par l’Iran, le Hezbollah a envoyé des troupes le long de la frontière pour aider le président syrien Bachar al-Assad contre les groupes insurgés sunnites, y compris l’État Islamique.

De but en blanc, disons-le de manière crue et détachée. Le Hezbollah a envoyé des troupes pour combattre Daesh, alors Daesh a répliqué par une attaque à la bombe au Liban, en visant des zones civiles qui se trouvent abriter de nombreux soutiens du Hezbollah.

Dans un sens, il y a un genre de parallèle entre cette analyse et ce qui s’est passé à Paris. Associated Press a annoncé, le 19 septembre de l’année dernière, que la France “était devenue le premier pays à rejoindre les troupes des États-Unis en frappant des cibles à l’intérieur de l’Irak depuis les airs” dans la nouvelle guerre contre Daesh. Daesh a répondu le 21 septembre : “Si vous pouvez tuer un infidèle américain ou européen – en particulier un malveillant et répugnant français – ou un Australien, ou un Canadien, ou tout autre infidèle parmi les infidèles qui font la guerre, y compris les citoyens des pays qui ont rejoint la coalition contre l’État islamique, alors remettez-vous en à Allah et tuez-le de n’importe quelle manière ou façon possible.

Selon les critères de Reuters, c’est un débordement de la guerre contre Daesh, et Daesh a simplement frappé une place forte d’un de ses adversaires militaires. Mais retrouverons-nous le même discours pour couvrir des événements en Occident ? Bien sûr que non.

Appeler une zone comportant des partisans du Hezbollah un “bastion” ou une “place forte” suggère une sympathie latente avec l’attentat. Le Hezbollah a une frange armée, mais c’est aussi un parti politique avec des soutiens politiques importants au Liban. Le Premier ministre [australien] Malcolm Turnbull a beau faire partie de la coalition militaire contre Daesh, si ce dernier commettait un attentat à la bombe à Vaucluse [banlieue Est de Sydney], personne ne suggérerait qu’un “bastion” ou une “place forte” des Libéraux a été frappée.

Depuis les atrocités de Paris, Daesh a publié un communiqué expliquant qu’ils continueront à porter des coups à la France “aussi longtemps qu’elle restera à l’avant-poste de la campagne des Croisés, osera insulter notre prophète, se félicitera de la guerre à l’Islam faite en France et frappera des musulmans sur les terres du Califat avec son aviation.”

Parmi les autres cibles attribuées à Daesh dans les mois précédents il y a une manifestation pro-Kurde en Turquie et un avion de ligne civil russe. Les Kurdes constituent l’une des forces majeures qui résistent à Daesh en Irak et en Syrie, et la Russie a depuis peu étendu son implication indirecte en Syrie en soutenant directement le combat du dictateur Bachar al-Assad contre Daesh.

Le fait que Daesh réponde aux armées qu’il affronte en Syrie et en Irak par le biais d’un terrorisme extra-territorial ne justifie pas ce terrorisme. Il s’agit simplement de souligner que ceux qui mènent la guerre contre Daesh savaient que ce n’était pas une opposition armée qui allait respecter scrupuleusement les conventions internationales et éviter les victimes civiles.

Patrick Cockburn a noté que Daesh “a toujours massacré des civils en grand nombre pour montrer sa force et instiller la peur chez ses adversaires. En Occident, les gens remarquent ces atrocités seulement lorsqu’elles ont lieu dans leurs rues.” Daesh “est très clair à ce sujet, si un pays nous bombarde par les airs, nous répliquerons à l’identique au sol, en utilisant les méthodes du terrorisme urbain avec le soutien d’un État bien organisé.”

3. Certains pourraient juger déplacé de répondre aux meurtres de Paris par autre chose que de la sympathie et l’expression d’une solidarité. Pourtant, Daesh n’a pas émergé du néant. Pour ceux qui tiennent à éviter de telles atrocités à l’avenir, il est cohérent d’examiner les types de politiques qui ont participé à son ascension et à sa puissance. Les deux facteurs qui ont créé les conditions préalables à l’émergence de Daesh furent l’invasion de l’Irak en 2003 et le soutien occidental aux djihadistes syriens.

La contribution de l’invasion de l’Irak à la montée de Daesh devrait être à présent relativement peu controversée. L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair a admis qu’il y a des “éléments de vérité” dans cette accusation. Le président Obama a observé de la même façon que “ISIS est une émanation directe d’al-Qaïda en Irak qui s’est développée du fait de notre invasion. Ce qui est un exemple de conséquences inattendues. C’est pourquoi nous devrions généralement viser avant de tirer.” Ceci est en effet un sage conseil pour les Occidentaux.

Avant l’invasion de 2003, l’Irak a été gouvernée par le tyrannique Saddam Hussein, qui était théoriquement laïque, et des musulmans sunnites en second plan.

L’invasion menée par les Américains a installé un gouvernement qui, selon les termes du spécialiste de l’Irak Toby Dodge, “a introduit un sectarisme manifeste qui n’était pas jusqu’ici au cœur du discours politique irakien.” C’était “le marchandage d’une élite qui a exclu toutes les autres. Cela a joué un rôle majeur dans le déclenchement de l’insurrection et a conduit le pays à la guerre civile.”

Le système de gouvernement mis en place par les États-Unis, “associé à la dé-baassification radicale menée tant par les États-Unis que par le nouveau gouvernement irakien, a créé un marchandage au sein d’une élite qui a sciemment exclu, et en fait diabolisé, non seulement l’ancienne élite dirigeante, mais aussi toute la part sunnite de la société irakienne dont cette élite était largement issue. Cet accord sur l’élite par l’exclusion a brutalisé la politique irakienne en divisant la société en groupes religieux et ethniques.

Dodge a observé que, “Ceux qui sont actuellement en charge de l’état ont rallié leurs supporters et diabolisé leurs ennemis au travers d’appels aux symboles religieux chiites et à la défense de leur communauté définie en termes d’exclusion religieuse. Ceux luttant pour les évincer du pouvoir ont déployé un islam sunnite radicalisé pour justifier leur propre usage de la violence, prétendant défendre leur communauté contre les forces qui souhaitent les mener au néant politique.

Cela vous semble familier ? Tandis que le conflit mijotait à petit feu depuis des années, les griefs des sunnites contre un règlement politique sectaire qui les excluait et les marginalisait perduraient. La destitution de Nouri al-Maliki par les États-Unis suggérait une reconnaissance du mécontentement qui nourrissait la sympathie pour Daesh. Les succès tactiques de Daesh sont vraisemblablement venus de vétérans endurcis, parmi lesquels des baassistes dont l’expérience remonte à la guerre Iran-Irak des années 80, et d’autres aguerris aux tactiques de guérilla depuis l’invasion et l’occupation de 2003.

L’autre pays dans lequel Daesh a pris de l’importance, c’est la Syrie. Pour quelle raison ? La rébellion de 2011, ainsi que la réponse brutale d’Assad, a créé un terreau favorable. Mais, parallèlement, la réaction occidentale à ce mouvement de rébellion et à la contre-insurrection a également encouragé l’éclosion de Daesh.

Le vice-président américain Joe Biden a commenté le rôle joué par les pays alliés des occidentaux, en citant la Turquie, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite : “Qu’ont-ils fait ? Ils ont versé des centaines de millions de dollars et fourni des milliers de tonnes d’armes à quiconque combattrait Assad. Sauf que ceux qui étaient approvisionnés, ce sont al-Nosra, al-Qaïda et les extrémistes djihadistes venus de tous les coins de la Terre”.

 

En 2012, des documents jusqu’ici classés secrets par le renseignement militaire américain révèlent que l’Occident a également soutenu l’opposition, tout en sachant de quelle sorte d’opposition il s’agissait. On s’attendait à des conséquences en Irak, à ce que “le territoire irakien soit utilisé par les forces de l’opposition comme un refuge pour ses troupes”, et que c’est là qu’elle tenterait de recruter et entraîner ses combattants. Même le “tournant sectaire évident” que prendrait l’insurrection dirigée par “les principales forces motrices” que sont les salafistes, les Frères Musulmans et al-Qaïda en Irak avait été décelé.

Ces documents indiquent que la détérioration de la situation “crée le cadre idéal pour qu’al-Qaïda en Irak se replie vers ses poches historiques de Mossoul et de Ramadi, et redonnera un nouvel élan en supposant qu’on unifie le djihad, entre les sunnites d’Irak et de Syrie, et le reste des sunnites du monde arabe, contre ceux qu’ils considèrent comme un seul et même ennemi, les hérétiques. Daesh pourrait également instaurer l’État Islamique grâce à cette alliance avec d’autres organisations terroristes d’Irak et de Syrie, ce qui mettrait en péril l’unification de l’Irak et la protection de son territoire.”

Avec ces éléments, on comprend que le renseignement militaire américain avait une vision plutôt claire de la direction que prendrait cette alliance des Affaires étrangères occidentales avec la Turquie et les États du Golfe. Cette orientation politique choisie passait par le soutien à des groupes terroristes djihadistes, ce qui a facilité la montée en puissance de Daesh. Ce dernier a d’ailleurs déclaré publiquement qu’il massacrerait où qu’ils soient les civils des nations qui le combattraient.

Rien de tout cela ne légitime Daesh, cette force sauvage et barbare dont je souhaite voir la défaite. Ce qu’il me semble intéressant de remarquer, c’est que depuis que la guerre contre le terrorisme a été initiée en 2001, les politiques étrangères occidentales ne nous ont pas apporté plus de sécurité. Oussama ben Laden a été assassiné, mais Daesh se trouve dans une position de force qu’al-Qaïda elle-même n’a jamais atteinte.

Cependant, lorsque des atrocités telles que celles commises à Paris ont lieu, la réaction instinctive est toujours de rendre les coups encore plus fort, de montrer sa puissance et qu’on ne se laissera pas intimider par nos ennemis.

La réponse apportée par l’Occident au terrorisme djihadiste semble être de faire encore et toujours usage de la force et de poursuivre le soutien aux tyrans de la région.

Nos mesures politiques ont aidé à créer les condition favorables à la montée en puissance de Daesh, et Daesh a clairement montré que s’attaquer à lui entraînerait des attaques terroristes sur les populations civiles de ceux qui ont envoyé des soldats le combattre.

Ceci ne signifie pas que personne ne doive combattre Daesh. Ceci suggère de réexaminer les politiques qui ont permis l’essor de Daesh.

Et ce que je suggèrerais également, c’est que, de même que ceux qui ont assassiné des innocents dans les rues de Paris pourraient causer une fureur meurtrière en retour, de même la politique étrangère occidentale pourrait bien causer les mêmes effets.

Il serait possible d’empêcher l’émergence du prochain Daesh en changeant ces orientations.

Source : newmatilda.com, le 15/11/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/trois-realites-dures-a-entendre-qui-vous-aideront-a-comprendre-la-colere-du-moyen-orient-et-les-attaques-a-paris-par-michael-brull/