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[1984 ?] Quand les médias modifient leurs archives dérangeantes…

Tuesday 17 November 2015 at 19:09

J’avais vu sortir sur le web hier le cas de France Inter, qui a modifié un de ses articles assez dérangeant :

Aujourd’hui :

La semaine passée encore (merci archive.org !) :

Heum heum, fantasme assez réel, en effet.. Et merci pour “l’explication” – ils n’allaient pas laisser penser que Le Pen ou Estrosi avaient raison sur ce point là – alors que c’est du simple bon sens : comme s’il n’y avait pas un risque colossal que Daesh profite de l’émigration de dizaines de milliers de Syriens pour glisser quelques hommes à lui dans le lot…

J’avais trouvé cette manipulation du texte très dérangeante, mais, bon, il y a d’autres urgences.

EDIT : 18/11 On me signale qu’en effet France Inter a inséré à droite du texte :

Je n’ai pas souvenir d’avoir vu ça dimanche. sois j’étais inattentif (comme ce soir), soit  ça a été rajouté après la polémique sur le web, je ne sais pas.

C’est mieux, mais j’ai du mal à comprendre : qu’ils enlèvent le nom de la journaliste, je peux très bien comprendre, mais qu’ils modifient le texte, non. Cela engage France Inter. Et puis effet Streisand garanti…

Arrêts sur Images a analysé ce cas d’ailleurs…

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Et voilà qu’aujourd’hui un lecteur me signale que Paris Match a fait de même pour l’interview choc du juge Trévidic du 30 septembre dernier :

Aujourd’hui :

Ça m’avait étonné, car j’ai repris cette interview sur le site, mais j’avais changé le titre tant il était insipide et correspondait peu au contenu explosif de l’interview. J’aurais dû me méfier de cette “frilosité” peu courante dans les médias – mais outre que je manque de temps vu l’urgence, j’avoue que je n’aurais pas pensé qu’un grand média ose faire ça, mea culpa (notez que c’est marqué en tout petit, la date de modification a en effet changé)… Et en effet, on voit que l’adresse de la page comporte l’ancien titre…

La semaine passée encore en effet (merci archive.org !) :

Tiens, c’est vrai qu’on pourrait se demander :

C’est classique dans plein de domaines : quand on alerte avant le drame, on est un sale “pessimiste”. Quand le drame a eu lieu, il faut vous effacer, car vous êtes la preuve de l’incompétence des décideurs, qui ne vous ont pas écouté. On peut alors sortir le “personne n’avait pu prévoir que…”

Bref, il n’y a pas mort d’homme, le corps des billets n’ayant pas été modifié, mais il ne faudrait pas que ça s’étende… – et ça donne en tous cas des arguments aux “tous pourris” contre les journalistes (tu m’étonnes qu’il y a des complotistes délirants quand ils voient des trucs comme ça)…

Il faudrait peut être qu’un rappel déontologique ait lieu : on ne modifie pas rétroactivement des archives dérangeantes !

P.S. signalez-nous si vous tombez sur d’autres choses comme ceci…

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Nous n’en sommes évidemment pas là, mais, relisons 1984 d’Orwell (1948) pour finir :

“À partir de ce moment, la guerre, pour ainsi dire, n’avait jamais cessé, mais, à proprement parler, ce n’était pas toujours la même guerre. Pendant plusieurs mois de l’enfance de Winston, il y avait eu des combats de rue confus dans Londres même, et il se souvenait avec précision de quelques-uns d’entre eux. Mais retrouver l’histoire de toute la période, dire qui combattait contre qui à un moment donné était absolument impossible. Tous les rapports écrits ou oraux ne faisaient jamais allusion qu’à l’événement actuel. En ce moment, par exemple, en 1984 (Si c’était bien 1984) l’Océania était alliée à l’Estasia et en guerre avec l’Eurasia. Dans aucune émission publique ou privée il n’était admis que les trois puissances avaient été, à une autre époque, groupées différemment. Winston savait fort bien qu’il y avait seulement quatre ans, l’Océania était en guerre avec l’Estasia et alliée à l’Eurasia. Mais ce n’était qu’un renseignement furtif et frauduleux qu’il avait retenu par hasard parce qu’il ne maîtrisait pas suffisamment sa mémoire. Officiellement, le changement de partenaires n’avait jamais eu lieu. L’Océania était en guerre avec l’Eurasia. L’Océania avait, par conséquent, toujours été en guerre avec l’Eurasia. L’ennemi du moment représentait toujours le mal absolu et il s’ensuivait qu’aucune entente passée ou future avec lui n’était possible. [...]

Le Parti disait que l’Océania n’avait jamais été l’alliée de l’Eurasia. Lui, Winston Smith, savait que l’Océania avait été l’alliée de l’Eurasia, il n’y avait de cela que quatre ans. Mais où existait cette connaissance ? Uniquement dans sa propre conscience qui, dans tous les cas, serait bientôt anéantie. Si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti – si tous les rapports racontaient la même chose –, le mensonge passait dans l’histoire et devenait vérité. « Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » Et cependant le passé, bien que par nature susceptible d’être modifié, n’avait jamais été retouché. La vérité actuelle, quelle qu’elle fût, était vraie d’un infini à un autre infini. C’était tout à fait simple. Ce qu’il fallait à chacun, c’était avoir en mémoire une interminable série de victoires. Cela s’appelait « Contrôle de la Réalité ». On disait en novlangue, double pensée. [...]

Elle était, par certains côtés, beaucoup plus fine que Winston et beaucoup moins perméable à la propagande du Parti. Il arriva une fois à Winston de parler, à propos d’autre chose, de la guerre contre l’Eurasia. Elle le surprit en disant avec désinvolture qu’à son avis il n’y avait pas de guerre. Les bombes-fusées qui tombaient chaque jour sur Londres étaient probablement lancées par le gouvernement de l’Océania lui-même, « juste pour maintenir les gens dans la peur ». C’était une idée qui, littéralement, n’était jamais venue à Winston. Julia éveilla encore en lui une sorte d’envie lorsqu’elle lui dit que, pendant les Deux Minutes de la Haine, le plus difficile pour elle était de se retenir d’éclater de rire. Mais elle ne mettait en question les enseignements du Parti que lorsqu’ils touchaient, de quelque façon, à sa propre vie. Elle était souvent prête à accepter le mythe officiel, simplement parce que la différence entre la vérité et le mensonge ne lui semblait pas importante.

Elle croyait, par exemple, l’ayant appris à l’école, que le Parti avait inventé les aéroplanes. Winston se souvenait qu’à l’époque où il était, lui, à l’école, vers 1958-59, c’était seulement l’hélicoptère que le Parti prétendait avoir inventé. Une douzaine d’années plus tard, pendant les années de classe de Julia, il prétendait déjà avoir inventé l’aéroplane. Dans une génération, il s’attribuerait l’invention des machines à vapeur. Et quand il lui dit que les aéroplanes existaient avant qu’il fût né et longtemps avant la Révolution, elle trouva le fait sans intérêt aucun. Après tout, quelle importance cela avait-il que ce fût celui-ci ou celui-là qui ait inventé les aéroplanes ?

Ce fut plutôt un choc pour Winston de découvrir, à propos d’une remarque faite par hasard, qu’elle ne se souvenait pas que l’Océania, il y avait quatre ans, était en guerre contre l’Estasia et en paix avec l’Eurasia. Il est vrai qu’elle considérait toute la guerre comme une comédie. Mais elle n’avait apparemment même pas remarqué que le nom de l’ennemi avait changé.

– Je croyais que nous avions toujours été en guerre contre l’Eurasia, dit-elle vaguement.

Winston en fut un peu effrayé. L’invention des aéroplanes était de beaucoup antérieure à sa naissance, mais le nouvel aiguillage donné à la guerre datait de quatre ans seulement, bien après qu’elle eût grandi. Il discuta à ce sujet avec elle pendant peut-être un quart d’heure. À la fin, il réussit à l’obliger à creuser sa mémoire jusqu’à ce qu’elle se souvînt confusément qu’à une époque c’était l’Estasia et non l’Eurasia qui était l’ennemi. Mais la conclusion lui parut encore sans importance.

– Qui s’en soucie ? dit-elle avec impatience. C’est toujours une sale guerre après une autre et on sait que, de toute façon, les nouvelles sont toujours fausses.

Il lui parlait parfois du Commissariat aux Archives et des impudentes falsifications qui s’y perpétraient. De telles pratiques ne semblaient pas l’horrifier. Elle ne sentait pas l’abîme s’ouvrir sous ses pieds à la pensée que des mensonges devenaient des vérités. [...]

– Te rends-tu compte que le passé a été aboli jusqu’à hier ? S’il survit quelque part, c’est dans quelques objets auxquels n’est attaché aucun mot, comme ce bloc de verre sur la table. Déjà, nous ne savons littéralement presque rien de la Révolution et des années qui la précédèrent. Tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres récrits, tous les tableaux repeints. Toutes les statues, les rues, les édifices, ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Et le processus continue tous les jours, à chaque minute. L’histoire s’est arrêtée. Rien n’existe qu’un présent éternel dans lequel le Parti a toujours raison. Je sais naturellement que le passé est falsifié, mais il me serait impossible de le prouver, alors même que j’ai personnellement procédé à la falsification. La chose faite, aucune preuve ne subsiste. La seule preuve est à l’intérieur de mon cerveau et je n’ai aucune certitude qu’un autre être humain quelconque partage mes souvenirs. [...]

Je ne pense pas que nous puissions changer quoi que ce soit pendant notre existence. Mais on peut imaginer que de petits nœuds de résistance puissent jaillir çà et là, de petits groupes de gens qui se ligueraient et dont le nombre augmenterait peu à peu. Ils pourraient même laisser après eux quelques documents pour que la génération suivante reprenne leur action au point où ils l’auraient laissée. [...]

Au sixième jour de la Semaine de la Haine, après les processions, les discours, les cris, les chants, les bannières, les affiches, les films, les effigies de cire, le roulement des tambours, le glapissement des trompettes, le bruit de pas des défilés en marche, le grincement des chenilles de tanks, le mugissement des groupes d’aéroplanes, le grondement des canons, après six jours de tout cela, alors que le grand orgasme palpitait vers son point culminant, que la haine générale contre l’Eurasia s’était échauffée et en était arrivée à un délire tel que si la foule avait pu mettre la main sur les deux mille criminels eurasiens qu’on devait pendre en public le dernier jour de la semaine, elle les aurait certainement mis en pièces ; juste à ce moment, on annonça qu’après tout l’Océania n’était pas en guerre contre l’Eurasia. L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Eurasia était un allié.

Il n’y eut naturellement aucune déclaration d’un changement quelconque. On apprit simplement, partout à la fois, avec une extrême soudaineté, que l’ennemi c’était l’Estasia et non l’Eurasia. [...]

L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Océania avait donc toujours été en guerre contre l’Estasia. Une grande partie de la littérature politique de cinq années était maintenant complètement surannée. Exposés et récits de toutes sortes, journaux, livres, pamphlets, films, disques, photographies, tout devait être rectifié, à une vitesse éclair. Bien qu’aucune directive n’eût jamais été formulée, on savait que les chefs du Commissariat entendaient qu’avant une semaine ne demeure nulle part aucune mention de la guerre contre l’Eurasia et de l’alliance avec l’Estasia.

Le travail était écrasant, d’autant plus que les procédés qu’il impliquait ne pouvaient être appelés de leurs vrais noms. Au Commissariat aux Archives, tout le monde travaillait dix-huit heures sur vingt-quatre, avec deux intervalles de trois heures de sommeil hâtif. Des matelas furent montés des caves et étalés dans tous les couloirs. Les repas consistaient en sandwiches, et du café de la Victoire était apporté sur des chariots roulants par des gens de la cantine.

Chaque fois que Winston s’arrêtait pour un de ses tours de sommeil, il tâchait de ne pas laisser de travail à faire sur son bureau. Mais lorsqu’il se traînait, les yeux collants et malades, vers sa cabine, c’était pour trouver une autre pluie de cylindres de papier qui recouvraient le bureau comme un monceau de neige et commençaient à s’abattre sur le parquet. Si bien que le premier travail était toujours de les entasser en une pile assez régulière pour avoir la place de travailler. Le pire était que le travail n’était pas du tout purement mécanique. Souvent, il suffisait simplement de substituer un nom à un autre, mais tout rapport détaillé d’événements demandait de l’attention et de l’imagination. Les connaissances géographiques mêmes, nécessaires pour transférer la guerre d’une partie du monde dans une autre, étaient considérables.

Au troisième jour, il avait des maux d’yeux insupportables et il lui fallait essuyer ses verres à chaque instant. C’était comme de lutter contre une tâche physique écrasante, quelque chose qu’on aurait le droit de refuser, mais que l’on était néanmoins nerveusement anxieux d’accomplir. Autant qu’il pût s’en souvenir, Winston n’était pas troublé par le fait que tous les mots qu’il murmurait au phonoscript, tous les traits de son crayon à encre étaient des mensonges délibérés. Il était aussi désireux que n’importe qui dans le Département, que la falsification fût parfaite.

Le sixième jour au matin, l’écoulement des cylindres ralentit. Pendant près d’une demi-heure, rien ne sortit du tube, puis il y eut un autre cylindre, puis plus rien. Partout, au même moment, le travail ralentit. Un profond et secret soupir fut exhalé dans tout le Commissariat. Une œuvre importante, dont on ne pourrait jamais parler, venait d’être achevée. Il était maintenant impossible à aucun être humain de prouver par des documents qu’il y avait jamais eu une guerre contre l’Eurasia.”

Source: https://www.les-crises.fr/1984-quand-les-medias-modifient-leurs-archives-derangeantes/


[Entraide] TRADUCTEURS ANGLAIS, ANALYSTES, Butineurs, Modérateurs, Transcriptions

Tuesday 17 November 2015 at 06:00

Bonjour – d’importants appels à l’entraide aujourd’hui

Nous nous mobilisons sur le sujet des attentats.

Traducteurs anglais

Nous avons trouvé de nombreux articles anglophones très importants et souhaitons les diffuser en français.

N’hésitez pas à participer aux traductions collaboratives ici pour la première et ici pour la seconde. C’est très simple…

La participation peut-aussi concerner la relecture en français finale pour enlever les fautes, c’est important (même si vous ne parlez pas anglais)

P.S. : il me faudrait aussi une personne parlant arabe et une parlant hébreu, ça peut aider :)

Informez-nous !

Signalez-nous les analyses importantes sur les situation en cours, le terrorisme, Daesh, l’ Arabie…

Si vous lisez, si vous entendez une analyse que vous juger importante, merci de nous la signaler – si possible avec un lien vers le site internet où elle repasse (et 2 lignes de résumé).

“Analystes”

Nous avons quelques vidéos inintéressantes, mais, parfois longues, il faudrait les écouter pour nous signaler les passages les plus importants.

Bref, si vous avez du temps et êtes capables de repérer les analyses importantes :)

Butineurs

Cela fait un an et demi que les revues de presse existent – et sont assez largement reprises sur le web.

Cela n’est possible que grâce au travail de “butineurs”, qui surveillent ce qui se publie sur le web.

Nous avons donc besoin de volontaires, curieux de l’actualité, pour nous aider à réaliser ce travail.

Modérateurs

Nous avons toujours grandement besoin de modérateurs – sans quoi une partie des billets sera désormais fermée aux commentaires, faute de moyens…

J’en profite pour rappeler que, à notre déplaisir, nous ne pouvons justifier à chaque fois les raison de refus de certains commentaire, faute de moyens humains. Tentez de vous rapprocher le plus possible de la Charte des commentaires, ça limitera les soucis…

Transcriptions

Nous avons besoin de personnes pour retranscrire par extrait de l’audio en français (15 min environ)…

Contact

Contactez-moi ici en indiquant en objet le sujet sur lequel vous vous proposez…

Source: https://www.les-crises.fr/entraide-butineurs-moderateurs-transcriptions/


Arrêtons de jouer les “bons” contre les “méchants” islamistes !, par Michel Colomès

Tuesday 17 November 2015 at 04:21

Il y a moins d’un mois…

Michel Colomès est une journaliste français, ancien de Cinq colonnes à la une

Arrêtons de jouer les “bons” contre les “méchants” islamistes !

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 22 octobre 2015.

Américains et Français, depuis l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte.

Dans les ruines de la ville d'A'zaz, dans le nord de la Syrie, ici en janvier 2013.

Dans les ruines de la ville d’A'zaz, dans le nord de la Syrie, ici en janvier 2013.

On dit souvent que l’histoire bégaie. Obama et Hollande viennent d’en donner un exemple stupéfiant : pris de court le 30 septembre par la décision de Poutine de bombarder tous les ennemis de Bachar el-Assad, sans distinction d’appartenance, ils ont réagi en envoyant des armes à tous les groupes d’opposition au régime syrien, catalogués ou non comme islamistes. Du moment qu’ils combattent Daesh.

Il y a plus de 25 ans, en juin 1979, le président Carter, inquiet du forcing du dirigeant soviétique Leonid Brejnev en Afghanistan, avait décidé d’autoriser la CIA à faire parvenir aux groupes d’obédience islamiste qui s’opposaient aux ambitions de l’URSS des armes et des munitions. Des livraisons d’une valeur de 40 millions de dollars qui vont parvenir à ceux qu’à l’époque on appelle les moudjahidines. Cette livraison d’armes ne dissuadera pourtant pas Brejnev d’envahir l’Afghanistan six mois plus tard, en décembre 1979. Selon Zbignew Bzrezinski, qui était à l’époque l’un des plus proches conseillers de Carter, l’aide directe apportée aux islamistes a même convaincu le Kremlin qu’il fallait intervenir sans tarder.

Redoutables boomerangs

Certes, par la suite, on a pu brièvement se féliciter de voir des maquisards afghans abattre, grâce notamment aux missiles sol-air Stingers, de nombreux bombardiers russes, et contribuer de ce fait à la défaite soviétique et à son retrait d’Afghanistan. Mais les armes livrées par les Américains se sont avérées être de redoutables boomerangs : elles ont permis aux islamistes les plus extrémistes, les talibans, après avoir chassé les soviétiques, d’écarter les groupes d’opposition modérés du pouvoir. Et de créer, autour des anciens maquis afghans, ce foyer terroriste qui allait concevoir les attentats du 11 Septembre autour de Ben Laden. Pire même, quand l’Otan a décidé de châtier les coupables et d’envoyer un corps expéditionnaire en Afghanistan, ce sont ces mêmes Stingers donnés par les Américains qui ont causé des pertes aux avions de la coalition occidentale.

Il y a une analogie dérangeante entre la guerre d’Afghanistan et la politique décidée par Obama et Hollande en Syrie. D’abord parce qu’il s’agit de conflits où les grandes puissances se font la guerre par procuration. Les Russes en épaulant avant tout l’armée syrienne. Les Occidentaux en armant les opposants au régime de Bachar el-Assad. Ensuite parce que chacun ment sur ses véritables objectifs. Poutine a dit à l’Assemblée générale de l’ONU qu’il proposait une grande coalition pour battre le terrorisme islamique. Sur le terrain, il s’attaque moins à Daesh qu’à tous les groupes islamiques – ou non – qui cherchent à chasser le président syrien. Les Occidentaux viennent de décider d’armer ceux qui s’opposent aux djihadistes de l’État islamique. Mais ce faisant, ils renforcent des groupes dont ils ont commencé par dire qu’ils étaient des rebelles modérés avant de changer de terminologie et de parler aujourd’hui « des moins extrémistes ».

Payer la corde qui nous pendra

Enfin, parmi les armes parachutées à la rébellion soit directement, soit avec l’aide de l’Arabie saoudite et du Qatar, figure le missile américain TOW, qui est, comme tueur de chars, le pendant de ce qu’étaient les Stingers contre les avions pendant la guerre d’Afghanistan. Très simple à utiliser et d’une redoutable efficacité. Les Américains disent que l’utilisation des armes qu’ils fournissent est soigneusement contrôlée. Comme du temps de l’Afghanistan, on peut en douter. D’autant que sur le terrain, il est déjà arrivé que des groupes islamistes issus d’Al-Qaïda, et dont certains viennent de bénéficier de ces parachutages, s’allient ponctuellement aux combattants de Daesh pour la conquête d’une place forte tenue par l’armée syrienne.

Il n’y a pas de bons et de méchants islamistes, des moins et des plus extrémistes. Il n’y a que des fanatiques qui ont dévoyé l’islam, pratiquent une intolérance moyenâgeuse et veulent conquérir le monde et y faire régner la charia. Alors arrêtons, comme disait l’autre, de payer la corde qui nous pendra.

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 22 octobre 2015.

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Attentats : la nécessaire riposte

Face à l’attaque brutale, ciblée et affreusement sanglante qu’elle a subie vendredi, la France doit réagir et frapper Daesh là où ça fait mal.

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 16 novembre 2015

François Hollande avait donné le ton : “Notre réponse sera impitoyable.” Manuel Valls l’a relayé et a précisé : “Nous répliquerons coup pour coup. Notre volonté est de toucher et d’anéantir Daesh.” Mais, au-delà de la sémantique guerrière et de l’opération de communication, destinée à accompagner à la fois l’émotion et le désir de revanche de l’opinion française après les attaques qui ont laissé en trois heures une affreuse trace de sang dans les rues de Paris, de quelles possibilités concrètes le président français dispose-t-il pour riposter ?

Dès dimanche, la France a intensifié ses frappes aériennes contre Daesh. Deux objectifs semblent avoir été visés par les Rafales et les Mirage dans le fief de l’État islamique de Raqqa en Syrie. Un centre de commandement et un centre d’entraînement. Une vingtaine de bombes auraient été larguées sur ces objectifs, si l’on en croit le ministère de la Défense.

Mais, même si, par rapport aux précédentes et rares missions françaises contre Daesh, cette opération montre une escalade des moyens mis en œuvre, on risque de s’apercevoir que les dégâts causés sont peut-être significatifs, mais pas vraiment déterminants sur le plan militaire.

De la même manière, cela fait plus d’un an que les Américains multiplient les sorties et les attaques. Ils ont infligé des pertes sérieuses aux combattants d’ISIS puisque 7 000 d’entre eux auraient été tués. Mais cela n’a guère ralenti les actions des djihadistes. Trop petits bras. Au moins les Russes, depuis qu’ils ont décidé d’intervenir militairement le 30 septembre, ont-ils agi beaucoup plus massivement : en moyenne, on compte 15 sorties aériennes américaines par jour, réparties entre l’Irak et la Syrie, contre 60 de l’aviation russe sur le seul territoire syrien. Même avec cela, Moscou commence pourtant à réaliser que la solution au problème de la Syrie n’est pas seulement militaire.

Si les derniers bombardements français sur Raqqa montrent donc les limites d’une riposte militaire aux attaques qui ont tué plus de cent civils dans les rues de Paris, c’est peut-être aussi parce que les cibles choisies sont plus symboliques que vitales pour l’État islamique.

Selon un spécialiste des affaires militaires, la meilleure façon de faire vraiment mal à Daesh, c’est de l’attaquer au portefeuille. L’essentiel de ses ressources, l’État islamique le tire de la vente au marché parallèle du pétrole des puits qu’il a saisis dans les territoires conquis. Des reconnaissances aériennes ont permis d’évaluer le nombre de camions qui font la navette entre les forages et la frontière turque : plus d’un millier. C’est un défilé pratiquement incessant sur les routes irakiennes et syriennes. Or frapper ces cibles multiples, et faire peser une menace permanente pour les camionneurs complices de ce trafic, est parfaitement à la portée de l’aviation française. Et affaiblirait directement les ressources de l’État islamique. Même si cela pourrait paraître moins spectaculaire que de mettre hors de combat quelques dizaines de combattants djihadistes.

Avantage supplémentaire, les Américains, répugnent à attaquer la noria de camions dont ils connaissent évidemment l’existence. Pour ménager leur allié turc qui tire un profit substantiel de ce trafic tout en protestant de sa volonté de nous aider à éradiquer la menace de Daesh dans toutes les conférences internationales – et ce week-end encore au G20 à Ankara. Au fond, une opération contre le trafic de pétrole ferait d’une pierre deux coups : elle porterait un vrai coup à l’État islamique et, en asséchant les ressources que les Turcs tirent d’un honteux marché noir, mettrait en lumière, une fois de plus, la duplicité de ce faux frère qu’est Erdogan.

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 16 novembre 2015

OB : Sérieusement, les Américains ont donc refusé de faire cesser le trafic de pétrole de Daesh pour permettre à la Turquie de profiter du marché noir ???

On peut avoir une commission d’enquête sur ce scandale, et cesser immédiatement les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE svp ?????

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Pour mémoire, un bel article prémonitoire en 2011

[2011] Printemps arabe, le risque est pour demain

La menace islamiste n’est pas qu’un fantasme des Occidentaux.

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 5 février 2011

Ce printemps en hiver qui, de proche en proche, semble gagner tous les pays arabes du nord de la Méditerranée est évidemment un évènement aussi inattendu que fabuleux pour les idéaux démocratiques qui sont les nôtres. Voir après plusieurs dizaines d’années s’effondrer des régimes autocratiques, parfois brutaux et toujours corrompus, est une grande satisfaction pour tous ceux qui ne tiennent pas la déclaration des droits de l’homme pour une simple proclamation d’intention.

Constater, de plus, que ces manifestations sont, pour l’essentiel le fait de jeunes gens de la génération internet dont les mots d’ordre se transmettent grâce aux sites Facebook ou Twitter est le signe indéniable de la modernité d’un mouvement dont beaucoup croyaient qu’il ne pouvait jamais surgir dans ces pays arabes toujours prêts à s’enflammer pour d’autres causes plus ou moins défendables, mais pas pour des aspirations de liberté. De même qu’en 1989 on ne pouvait pas imaginer que les peuples d’Europe de l’Est viendraient à bout du mur de Berlin grâce à leur seule détermination, et entraîneraient dans la foulée la fin d’un empire communiste dont, depuis plus de quarante ans, les accès de mauvaise humeur ou de folie nous faisaient trembler.

Premier acte

Pourtant, quitte à prendre le risque de jouer les rabat-joie, il faut bien rappeler qu’en Égypte, comme en Tunisie, et encore plus au Yémen ou en Jordanie, ce qui vient de se passer n’est que le premier acte d’un grand chambardement dont la fin est loin d’être écrite et les bénéficiaires pas forcément ceux que l’on espère. Les mouvements qui sont en embuscade derrière les sympathiques manifestants du Caire ou de Tunis ne sont pas forcément ceux que l’on peut souhaiter voir demain remplacer les dictateurs mis en fuite par la rue.

Les islamistes, puisqu’il faut bien les appeler par leur nom, ne sont pas, loin s’en faut, des parangons de démocratie, des défenseurs des droits des femmes et des libertés publiques, ni des amis naturels de l’Occident. Il n’y a qu’à voir ce qu’est devenue depuis 1979 et le retour de Khomeini la République islamique d’Iran.

Le cas Israël

En Égypte, par exemple, la menace des Frères musulmans ne doit pas être uniquement tenue pour un fantasme qui permettait à l’Occident de se donner bonne conscience en soutenant une dictature maladroite et à bout de souffle. Les Frères musulmans sont le seul groupe d’opposition constitué du pays. Bien qu’ils n’aient pas participé aux dernières élections, on estime leur capacité de mobilisation à 30 % au moins de la population. Mohamed El Baradei, qui semble avoir accepté de jouer leur parrain, dit qu’ils ont bien changé, que leur action auprès des pauvres et des sans-abri témoigne de la modestie et de l’altruisme de leurs ambitions. Mais leur réseau d’aide sociale leur a aussi permis de noyauter toutes les couches populaires. Le loup ne sait-il pas toujours faire patte de velours pour endormir la méfiance du chaperon rouge ?

Car ce mouvement des Frères musulmans, aujourd’hui, dit-on, bien raisonnable, a tout de même enfanté le Hamas, dont l’intransigeance a toujours empêché les Palestiniens d’avoir les coudées franches pour mener jusqu’à leur terme les négociations avec Israël. Et s’il dit avoir renoncé à l’action armée à l’intérieur des États arabes, il reste totalement mobilisé contre Jérusalem. Il a pour programme un État islamiste dont la charia serait la loi et dont le premier acte, s’il arrivait au pouvoir, serait probablement de dénoncer le traité de paix signé par Sadate avec les Israéliens en 1979. Un acte qui déstabiliserait le Proche-Orient, qui n’en a pas besoin. Car après avoir vu le Hezbollah, manipulé par l’Iran, s’installer à sa frontière nord, Israël assisterait à la naissance d’un État islamiste à sa frontière sud. Pour donner des complexes d’encerclement, on ne peut guère faire mieux. Les Israéliens vont finir par espérer, ce qui serait un comble, que leur ennemi de toujours, le Syrien Assad, ne soit pas lui aussi emporté par la rue.

Source : Michel Colomès, pour Le Point, le 5 février 2011

 

Source: http://www.les-crises.fr/arretons-de-jouer-les-bons-contre-les-mechants-islamistes-par-michel-colomes/


« Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !» – Yves Bonnet, ancien patron de la DST

Tuesday 17 November 2015 at 04:00

Intervention de Yves Bonnet, ancien préfet et ancien chef de la DST dans les années 80 sur le plateau de C dans l’air le 8 octobre 2012.

Il explique d’une part les modes opératoires pour quadriller les foyers terroristes, puis d’autre part l’alliance trilatérale entre les USA, l’Arabie et le Qatar dans le financement massif des groupes djihadistes en Afrique, au Proche-Orient et en Occident.

Emission « C dans l’air », diffusée le 8 octobre 2012 sur France 5

Transcription des interventions de Yves Bonnet, ancien Préfet et ancien Directeur de la DST (Direction de la Sécurité du Territoire) :

Autre intervenant (non identifié) : … Je ne crois pas qu’on soit encore menacés par une prise de pouvoir de force ; c’est plus occulte que ça. Encore une fois, tout ce qui est très très visible, et relativement facile à cadrer

YB : Sauf qu’il y à tout de même une propagande salafiste ; il faut quand même appeler un chat un chat : Il y en à deux qu’il faut citer, parmi les pays étrangers : le Qatar et l’Arabie Saoudite ! Ils ne se contentent pas seulement de payer les footballeurs du Paris St Germain, mais quand je vois le Qatar se préoccuper de la situation dans nos banlieues, de quoi se mêlent-ils ? C’est une grande démocratie, le Qatar ?

Présentateur : Yves Bonnet, excusez-moi, vous avez des éléments qui tendent à prouver, par exemple, que les cinquante millions d’euros que la Qatar vamettre, effectivement, dans le développement d’un certain nombre de projets dans les banlieues françaises va aller au financement du terrorisme ?

YB : Comme vous le savez, j’ai été Préfet ; je trouve absolument intolérable qu’un certain nombre de pays étrangers viennent s’occuper de la situation de nos banlieues. C’est à nous de le faire !

Présentateur : C’est une position de principe, mais sur le financement de ces groupes, est-ce qu’on est capables de dire qu’il y à des pays étrangers qui financent des petites cellules ?

YB : Mais attendez ; et l’Arabie Saoudite ? Quelle est la tolérance religieuse de ces pays ? Ce sont des pays qui sont la négation même de l’expression démocratique. Et ce sont ces pays qui viennent s’occuper de nos affaires ! Il y à une propagande salafiste, et tout le monde sait aujourd’hui que la propagande salafiste, mais pas seulement en France, dans les pays de l’Afrique sub-saharienne, est payée par l’Arabie Saoudite et le Qatar. Je pense tout de même qu’il faut que nous posions le problème de façon assez claire avec ces pays qui se prétendent nos alliés, nos amis.

Animateur : Donc le Qatar est un « faux-nez », d’une certaine manière, pour des gens qui ont envie de financer le terrorisme en France ?

YB : Ah ça, je suis incapable de vous le dire…

Animateur : Il est plus compliqué, en France, de surveiller et d’infiltrer des groupes comme celui qu’on vient de démanteler, ou de surveiller et infiltrer les groupes qui étaient responsables, par exemple, dans les années 80 des attentats à Paris ? Est-ce que ça a rendu le métier de surveillance et de renseignement plus difficile ?

YB : C’est-à-dire que le champ n’est pas exactement le même ; aujourd’hui on a un champ qui est pratiquement illimité dans la mesure où c’est l’ensemble de la population qui serait susceptible d’être concerné, alors qu’autrefois le champ était relativement plus restreint.

Animateur : Vous voulez dire que c’est aujourd’hui une aiguille dans une botte de foin ?

YB : Exactement ! Mais ce que je voudrais dire aussi, si vous me permettez de donner un petit coup de projecteur de plus haut, c’est que nous sommes, nous qui sommes une démocratie en train « d’assimiler », en quelque sorte, par ce vieux processus français, des populations nouvelles – qui sont des populations musulmanes et qui, globalement, ne posent pas de problèmes - nous sommes au confluent de deux grandes stratégies : Il y à eu la stratégie américaine de démolition de tous les régimes arabes laïcs. Ca a été fait systématiquement, on voit les merveilleux résultats, avec, je me permets de vous le dire quand même, le problème des chrétiens d’Orient, dont personne ne parle, qui ont disparu ou sont en train de disparaître d’Irak, qui vont disparaître de Syrie… Moi je suis désolé, je ne vois pas on ne prêterait pas aussi attention [à eux ?]. Je pense qu’il y à là aussi un gros problème qu’il nous faut [prendre en compte ?]. Donc il y à cette stratégie américaine, la démolition des régimes arabes laïcs, suspectés d’entretenir des relations plus ou moins sympathiques avec l’union soviétique. Ce sont quand même les américains qui ont fabriqué Al Qaeda, je suis désolé, c’est là un fait qui n’est plus contesté par personne…

Animateur : Ils ont financé les talibans face à l’union soviétique en Afghanistan.

YB : Absolument. Deuxième chose, il y à cette stratégie des pays du golfe qui est de faire monter le salafisme, de le répandre un  peu partout. Je pense que nous sommes bien d’accord ; je dis au passage que le terme « d’antisémite » ne me convient pas du tout, parce que les arabes sont des sémites, et que vous avez les deux tiers des juifs qui ne sont pas sémites ; enfin passons, parlez plutôt de « judéophobie ».

Ces deux politiques ont convergé, parce que ces deux pays du golfe, en particulier le plus puissant , est l’allié indéfectible des Etats-Unis ; et nous sommes pris dans cet espèce de maelström, où nous essayons de préserver notre identité, notre démocratie, avec beaucoup de difficultés, mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain, et je pense tout de même que nous sommes dans une société qui est en voie d’apaisement sur le plan de la vie entre communautés. Et je pense que vous êtes d’accord avec moi…

Animateur : Si vous le voulez bien , on passe aux questions SMS : un auditeur demande : »La France ne peut-elle pas refuser cet argent étranger ? » On pensait à l’argent du Qatar ; est-ce que parmi les missions de la DST, DCRI aujourd’hui, il est question de tracer l’argent étranger et de voir où il va ? Y compris quand il arrive avec le visa du gouvernement français ?

Louis Caprioli (conseiller du groupe GEOS – ancien de la DST) : Si cet argent arrive du Qatar, il est totalement blanc ; il va être déposé dans des banques françaises, gérées par, je sais pas, une banque spécialisée dans l’aide aux PME, on peut penser que tout ça est clair. Mais cet argent arrive effectivement suite à la vente de gaz, de pétrole…

Animateur : En poussant volontairement plus loin, peut-on imaginer dans une banlieue une levée d’impôt révolutionnaire islamiste, auprès de ces chefs d’entreprise ? Est-ce que vous l’avez vu ?

LC : Non. Je l’ai vu dans la mouvance kurde, le PKK oui, je peux vous dire qu’ils rackettaient les gens.

YB : je pense qu’il faut être très prudent sur certains versements de fonds. Tout le monde sait aussi que certaines mosquées sont financées par l’Arabie Saoudite ; vous me demanderez combien d’églises chrétiennes, sans même parler des synagogues, sont construites [dans ces pays du golfe ?]

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Toujours en 2012, il indique dans la dépêche du midi :

YB : On n’ose pas parler de l’Arabie Saoudite et du Qatar, mais il faudrait peut-être aussi que ces braves gens cessent d’alimenter de leurs fonds un certain nombre d’actions préoccupantes.

La Dépêche : Comment jugez-vous ce tapis rouge qu’on déroule devant le Qatar en France ?

YB : Personnellement, je suis très choqué. Il va falloir un jour ouvrir le dossier du Qatar car là, il y a un vrai problème. Et je me fiche des résultats du Paris Saint-Germain.

 

 

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Sa réaction après le 13/11 :

« Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !»

Source : Algérie patriotique, M. Aït Amara, 14-11-2015

Yves Bonnet : «La France n’a pas à s’immiscer dans les affaires des autres pays». D. R.

Algerie patriotique: Une série d’attentats sans précédent vient d’avoir lieu à Paris. Comment expliquez-vous qu’une action terroriste d’une telle envergure ait pu se dérouler au cœur de la France ?

Yves Bonnet : Ce genre d’attaque est relativement facile à concevoir et organiser. L’assaillant a un coup d’avance sur le défenseur. Quels que soient les dispositifs défensifs, ils pèchent nécessairement par leur caractère statique. En fait, on ne combat et on ne peut prétendre gagner qu’en passant à l’offensive, en identifiant les réseaux et en les démantelant. Le plan Vigipirate ne sert à rien.

Les autorités françaises ont décidé de fermer les frontières terrestres quelques jours avant la survenue des attentats. Est-ce à dire qu’elles redoutaient une telle action et qu’elles étaient informées que quelque chose se préparait ?

La fermeture des frontières était prévue dans le cadre d’une sécurisation avant le Sommet de Paris. Mais ce genre de mesures est lacunaire et ne peut que générer un sentiment de sécurité aléatoire.

Comment la France va-t-elle réagir concrètement après cette vague d’attentats meurtriers ? 

Je ne sais pas ce que le gouvernement décidera, à part une augmentation des moyens humains, techniques et réglementaires. Cela ne suffira pas. Les mesures à court terme ne peuvent résoudre des problèmes devenus structurels. En revanche, des mesures à long terme comme un renforcement de la coopération avec les services amis – et je place l’Algérie au premier rang de ceux-ci – et le rétablissement du service militaire sont des armes de bon rapport. Il va falloir être patient et tirer, sur le plan de notre diplomatie, des enseignements définitifs : la France n’a pas à s’immiscer dans les affaires des autres pays, comme nous l’avons fait en Libye. Elle doit, par contre, bien choisir ses partenaires et ses amis.

L’armée française a, depuis longtemps, prévu un plan pour faire face à ce genre de situation. Jusqu’où ira Hollande dans la mobilisation des forces armées, selon vous ?

Notre armée est devenue une armée de professionnels. On ne peut donc en augmenter rapidement les effectifs. La seule solution consiste à établir un service de conscription.

Y a-t-il une menace sur les libertés et la démocratie dans le sillage des mesures draconiennes que le pouvoir va prendre pour faire face à cette guerre ?

Oui. Il ne faut pas tomber dans le piège de l’illégalité ni des mesures d’exception. Les Français eux-mêmes ne le comprendraient pas.

Ces actes terroristes vont-ils aggraver la dichotomie dans la société française ou, au contraire, souder les Français pour prévenir un déchirement intercommunautaire dont seraient victimes les Français de confession musulmane ? 

Il n’y a pas de «Français musulmans» ; il n’y a que des Français ou des résidents en France qui acceptent nos lois. Je connais le courage avec lequel les Algériens ont abordé et subi la guerre qui leur fut imposée. Je souhaite que mes compatriotes soient également responsables sans tomber dans le faux prétexte de la xénophobie.

Comment protéger à la fois les Français de la menace terroriste et la communauté musulmane d’éventuelles représailles ?

Les droits sont les mêmes pour tous. Je milite pour un rétablissement du service militaire qui ressouderait la communauté au-delà des origines ou des religions.

La France doit-elle poursuivre sa politique interventionniste en Syrie, en Libye, au Sahel, en Ukraine, etc. ou devrait-elle plutôt revenir à la politique de non-ingérence prônée par Chirac ? 

Il ne faut pas tout mélanger. La France a raison d’intervenir en Afrique subsaharienne et elle ne peut d’ailleurs faire autrement puisqu’elle est liée à ces Etats par des accords d’assistance et de coopération. En revanche, elle doit s’abstenir d’intervenir comme elle le fait en Libye ou failli le faire en Syrie. Nous n’avons aucune vocation à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas !

Propos recueillis par M. Aït Amara

Source : Algérie patriotique, M. Aït Amara, 14-11-2015

Source: https://www.les-crises.fr/yves-bonnet-nous-navons-aucune-vocation-a-nous-meler-de-ce-qui-ne-nous-regarde-pas/


Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme…

Tuesday 17 November 2015 at 02:25

Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme…

Source : Proche & Moyen-Orient, le 28 septembre 2015.

Quelques semaines avant l’élection de François Hollande, un groupe de hauts fonctionnaires français signait une tribune dans un quotidien parisien, appelant à rompre avec les postures médiatiques de Nicolas Sarkozy. Commentant les propositions du candidat socialiste, ce collectif écrivait : « on ne voit pas encore les axes structurants d’une politique réfléchie. Sans tabous ni autocensure, la première des préoccupations reste la non-prolifération nucléaire et le dossier iranien, mais aussi et peut-être davantage le Pakistan, ainsi que le réarmement d’autres puissances. Quelle est la meilleure politique au regard de nos intérêts? Est-ce pertinent de soutenir Israël quelles que soient les extrémités où l’on risque de nous entraîner? Quelles leçons tire-t-on de l’expédition libyenne – guerre déclenchée au nom des droits humains – dont on ne connaît toujours pas le bilan des victimes, ni l’ampleur des effets déstabilisateurs dans la sous-région sahélienne, sans parler de l’évolution inquiétante des libertés civiles et politiques? Et que penser de la politique de gribouille sur la Syrie, pouvant déboucher sur une militarisation accrue de la crise? L’appel au changement de régime est-il légitime, surtout lorsqu’il est porté par des pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite? Ne reproduit-on pas ici les erreurs commises par les Américains et les Britanniques en Irak ? Cela ne ressemble-t-il pas à un vieux remugle de néo-colonialisme? Quant à l’Afghanistan, il restera à dresser un bilan de notre engagement militaire. Ces questions rompent avec le politiquement correct dominant. Il faut cesser de se gargariser des grands discours ridicules sur notre « diplomatie universelle » et de nier béatement le déclin de la France dans le monde. Il est temps d’élaborer une doctrine de redressement, fondée sur des analyses géostratégiques tenant compte de la réalité, de nos moyens d’agir, de nos intérêts ainsi que de ceux de nos voisins européens, méditerranéens et africains ».

Une fois élu, François Hollande – qui ne s’était guère intéressé aux relations internationales – nommait à la tête de la diplomatie française l’ « ancien plus jeune Premier ministre de la Vème République ». En confiant le Quai d’Orsay à Laurent Fabius, le nouveau président de la République cédait ainsi à son tropisme d’ancien premier secrétaire du PS : ménager les tribus de la rue de Solferino en considérant que Fabius serait moins nuisible à l’intérieur du gouvernement qu’abandonné à la direction d’un courant qui avait mené la bataille contre le projet de constitution européenne, notamment. Du grand art… et un signal fort adressé à nos partenaires européens. Condition de son acceptation du maroquin des Affaires étrangères, Laurent Fabius favorisait le choix d’un conseiller diplomatique faible pour l’Elysée, en l’occurrence le regretté Paul Jean-Ortiz – homme droit et affable, surtout spécialiste de l’Asie, – ne voulant pas s’encombrer d’un sherpa trop pointu, genre Jean-David Levitte qui géra les dossiers internationaux pour Sarkozy tandis que Bernard Kouchner amusait la galerie du Quai d’Orsay, multipliant les voyages et des affaires pas toujours très claires…

Cette inversion hollandaise du dispositif Sarkozy (sherpa fort/ministre faible) pour un ministre fort et un conseiller diplomatique docile ne changea pas grand-chose à une diplomatie qui accentua les évolutions impulsées par une « école française néoconservatrice » qui avait déjà commencé à sévir sous le deuxième Chirac finissant : retour dans le commandement intégré de l’OTAN, alignement sur Washington et Tel-Aviv ! Et l’un de nos grands ambassadeurs de commenter : « avec Laurent Fabius, c’est Guy Mollet, les néo-cons américains et la morgue en prime… » Sans appel, ce jugement s’illustre particulièrement sur les trois grands dossiers proche et moyen-orientaux.

La Syrie d’abord ! En mars 2012, Alain Juppé avait curieusement décidé de fermer l’ambassade de France à Damas, contredisant les fondamentaux de la diplomatie qui consistent, justement, à ne jamais perdre le contact avec les pays qui s’éloignent le plus de nos positions, sinon de nos intérêts… Cherchant à corriger les effets désastreux du soutien passé de Michèle Alliot-Marie au dictateur tunisien, Paris se devait de revenir dans le sens de l’Histoire : Ben Ali dégage, Moubarak dégage, Kadhafi idem… Avec Washington et Londres, Paris s’enferma dans le « Bachar dégage ! », personnalisant une situation syrienne, pourtant très différente des autres mal nommées « révolutions arabes ».

Sur la Syrie, inaugurant une « ligne Juppé consolidée », selon les propres termes d’un ancien ambassadeur de France à Damas, Laurent Fabius a été principalement inspiré par deux personnes : Eric Chevallier – un copain de Kouchner promu par ce dernier « diplomate professionnel », thuriféraire de Bachar jusqu’en juillet 2011, moment où il fut rappelé à Paris pour se faire expliquer que la suite de sa carrière dépendait d’un complet revirement anti-Bachar – et Jean-Pierre Filiu, un ancien diplomate – ayant quelque compte personnel à régler avec le régime baathiste – devenu professeur des universités et militant de la « révolution syrienne ». Fin août, lors de son discours devant la 70ème conférence des ambassadeurs, François Hollande a encore confirmé cette ligne « renforcée » du « ni-ni » – ni Bachar, ni Dae’ch – estimant que bombarder Dae’ch en Syrie pourrait renforcer le « boucher de Damas ».

Début Septembre survient la « crise des migrants », soulevant un mélange d’émotions et de craintes dans les opinions européennes, confirmant l’absence de véritable politique de l’Union européenne en la matière. La décision d’accueil massif d’Angela Merkel, qui pense ainsi combler ses déficits démographique et de main d’œuvre, embarrasse François Hollande qui doit pourtant afficher sa convergence avec la dirigeante de l’Europe. Opposée en Mai 2015 à des quotas migratoires contraignants au sein de l’UE, la France se met à en soutenir le principe en Septembre. Après avoir qualifié de « stupide » l’idée de rétablir un contrôle aux frontières, le gouvernement français affirme qu’il « n’hésitera pas » à le faire si nécessaire, après la décision allemande de fermer certaines de ses frontières. Improvisation totale, le regard rivé sur la ligne d’horizon des présidentielles de 2017, ce revirement pathétique s’opèrera naturellement sous la pression des sondages d’opinion.

Avec la crise des migrants, le Front national retrouve son « cœur de métier », mais récolte aussi les bénéfices d’une équation relativement simple : les migrants affluent pour fuir la guerre civile syrienne dont Dae’ch est l’un des principaux protagonistes. Deux corollaires s’imposent tout aussitôt : 1) il faut lutter plus efficacement contre l’organisation terroriste d’autant que le bilan d’une année de lutte de la Coalition anti-Dae’ch, regroupant les plus puissantes armées du monde, est particulièrement nul. En effet, comment expliquer aux électeurs que la Coalition n’arrive pas à venir à bout d’une organisation qui compte tout au plus 40 à 45 000 hommes, alors qu’elle signe aussi des attentats en Europe ? 2) il faut parler avec Bachar al-Assad. Les affirmations régulièrement répétées du Quai d’Orsay selon lesquelles le « dictateur de Damas » a enfanté Dae’ch tout seul font sourire depuis longtemps les connaisseurs du pays et de la région. Depuis plusieurs mois, l’Espagne, la Pologne, la Tchéquie et d’autres pays de l’UE, plus récemment l’Allemagne, disent de même. Moscou défend cette position depuis l’hiver 2011/2012 et Washington a commencé à nuancer la sienne à partir de mars 2015.

Le coup de grâce du « ni-ni » hollando-fabiusien intervient mi-septembre avec l’officialisation d’un engagement militaire russe accru afin d’épauler Bachar al-Assad pour éviter que les catastrophes d’implosion territoriale et politique, commises en Irak et en Libye, ne se répètent. Durant un déplacement de Laurent Fabius à l’étranger, Jean-Yves Le Drian, dont la compétence en matière de défense n’est plus à prouver, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA), et le général Benoît Puga, chef d’état-major particulier du Président, finissent par convaincre celui-ci que la position française n’est plus tenable au risque de se trouver marginalisée dans la nouvelle donne inaugurée par l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet dernier.

C’est le deuxième échec personnel de Laurent Fabius qui rejaillit sur l’ensemble de la diplomatie française : ne pas avoir accompagné la finalisation de l’accord sur le nucléaire iranien et n’avoir pas anticipé non plus ses conséquences régionales et internationales. Pire, Laurent Fabius s’est opposé pendant plus d’un an et demi aux progrès de la négociation en relayant systématiquement les critiques et les exigences… israéliennes ! Au nom de quels intérêts français ? On se le demande encore… La signature à peine sèche, le ministre français se précipite pourtant à Téhéran afin de devancer son homologue allemand : ce voyage est une telle catastrophe que lors de la dernière visite des patrons du MEDEF à Téhéran, il préfère se faire porter pâle et céder sa place au porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll. Au Quai d’Orsay comme au MEDEF, personne n’ose dire que son entêtement contre l’accord a plombé les grandes, moyennes et petites entreprises françaises pour pas mal de temps ! Heureusement que les Iraniens sont pragmatiques et qu’ils ne mettent jamais tous leurs œufs dans le même panier, mais tout de même ! Pourquoi avoir refusé si longtemps cet inéluctable début de normalisation avec l’une des grandes puissances régionales du Moyen-Orient ? La question reste entière…

Les yeux toujours rivés sur le baromètre intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer l’opposition syrienne « laïque et modérée » pour en finir avec Bachar, c’est-à-dire « les bons p’tits gars de Nosra », comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. Mais un autre dossier inquiète fortement le président de la République : le conflit israélo-palestinien et les gosses des banlieues françaises qui critiquent, d’une manière de plus en plus organisée, les choix inconditionnellement pro-israéliens du gouvernement français.

Laurent Fabius effectue donc plusieurs déplacements en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés. Des projets de résolution pour le Conseil de sécurité des Nations unies sont mis en chantier. Mais là encore, l’improvisation va coûter cher. Le chef de la diplomatie française s’étonne de ne pas trouver un Benjamin Netanyahou enthousiaste et surtout redevable à la France éternelle d’avoir tout mis en œuvre pour faire échec à l’accord sur le nucléaire iranien ! Le 8 juillet 2015, Paris renonce à présenter devant l’ONU son projet de résolution concernant le conflit israélo-palestinien. En coulisses, Tel-Aviv et Washington ont torpillé le texte. « Je peux dire que le projet français de résolution du conflit devant le Conseil de sécurité n’est plus une priorité pour les dirigeants français », déplore le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad al-Maliki.

Au Liban, Paris tente de débloquer la situation politique pour l’élection d’un président de la République (chrétien selon la constitution). Le palais de Baabda est inoccupé depuis août 2014. A la demande de Laurent Fabius, le patron d’ANMO (Direction Afrique du Nord/Moyen-Orient) Jean-François Girault multiplie vainement les consultations au Pays du cèdre, en Iran, en Jordanie et en Egypte. En fait, Paris ne fait plus rien sans en référer au nouvel allié saoudien. A la « politique arabe » du général de Gaulle et de François Mitterrand s’est substituée une « politique sunnite » de la France ! Il faut dire que cette « évolution » pèse quelque 35 milliards d’euros pour les grandes sociétés du CAC-40. Quant aux droits de l’homme tellement sollicités afin de pouvoir « punir », sinon « neutraliser » Bachar al-Assad, ils n’empêchent guère les ronds de jambe et les courbures d’échine répétés devant les dictateurs du Golfe.

Aux dernières nouvelles, un jeune saoudien chi’ite, Ali Mohamed al-Nimr risque d’être décapité puis crucifié, pour avoir « manifesté » contre le régime saoudien – cet ami de la France qui nous achète nos matériels d’armement et finance les Rafale pour l’Egypte… Une diplomatie époustouflante, en effet !

Richard Labévière
28 septembre 2015

1. « Pour un changement de politique étrangère » – Libération du 13 mars 2012.

2. Eric Chevallier coule aujourd’hui des jours heureux à Doha comme ambassadeur de France. Ayant tellement mis de cœur à l’ouvrage dans son revirement anti-Bachar en faveur de « l’opposition » syrienne, financée par le Qatar, les autorités du petit émirat pétrolier sont intervenues directement auprès de François Hollande pour qu’il y soit nommé représentant de la France.


[2012]Pour un changement de politique étrangère

Source : Les amis d’Etienne Pellot, pour Libération, le 13 mars 2012.

Alors que l’éventualité d’une attaque israélienne des sites nucléaires iraniens préoccupe les chancelleries occidentales, les différents cercles qui conseillent François Hollande s’affrontent à fleuret moucheté. Les gaullo-mitterrandiens préconisent une ligne d’indépendance nationale et de refus d’alignement sur le camp occidental alors que les néoconservateurs se satisferaient d’une politique extérieure proche de celle de Nicolas Sarkozy. Dans son discours devant les ambassadeurs en 2008, celui-ci avait annoncé cinq ruptures : le rapprochement avec les Etats-Unis et l’Otan au sein de la «famille occidentale» ; une nouvelle politique au Proche-Orient reposant sur une amitié affichée avec Israël ; le retour de la France en Europe, appuyé sur la Grande-Bretagne pour équilibrer la relation privilégiée avec l’Allemagne ; un recentrage sur le «business» de notre relation avec l’Afrique ; enfin, les droits de l’homme comme alpha et oméga de notre politique étrangère. Ne parlons pas de Bernard Kouchner qui, à peine nommé, menaçait de déclarer la guerre à l’Iran.

Au-delà de ces ruptures proclamées, c’est en réalité une politique purement opportuniste et souvent incohérente qui a été menée, à coups de postures médiatiques, de volontarisme déclamatoire et d’arrogance, avec de bien piètres résultats. Pire, l’affichage du mépris pour les diplomates non seulement français mais étrangers, les conduites inconsidérées vis-à-vis de nos partenaires, les apparitions minutées dans des pays d’importance majeure tels l’Algérie, l’Inde et la Turquie, les gaffes magistrales au Sénégal, au Mexique ou en Chine, ont considérablement affaibli l’image et la réputation de la France.

Le défi pour François Hollande, s’il est élu, sera de reconstruire une politique cohérente, s’appuyant sur des priorités clairement affichées, des engagements crédibles de coopération à long terme ou encore une capacité à peser sur les crises. Pour redonner à notre pays sa juste place dans le monde, il lui faudra veiller à ce que l’intendance suive en restaurant les moyens de la diplomatie française, sabotés par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et par des réformes ayant tourné court. Les six propositions du candidat socialiste, trois sur l’Europe et trois sur les questions internationales, donnent des orientations mais sont loin d’épuiser le débat que nous réclamons.

L’Europe: au-delà de propositions de sortie de crise privilégiant la croissance et l’emploi, des programmes de réindustrialisation et des règles de réciprocité sociales et environnementales en matière commerciale, il manque une vision politique d’ensemble, d’autant que ce qui se passe en Grèce pose crûment la question de la démocratie et de la souveraineté. La poursuite d’une simple coopération intergouvernementale suffira à résoudre une crise structurelle liée à l’impuissance des Etats face aux marchés ?

Pour le reste – renouveau du multilatéralisme, politique méditerranéenne, abandon de la Françafrique, relance de la francophonie, Afghanistan, reconnaissance de l’Etat palestinien, vocation de l’Otan -, on ne voit pas encore les axes structurants d’une politique réfléchie. Sans tabous ni autocensure, la première des préoccupations reste la non-prolifération nucléaire et le dossier iranien, mais aussi et peut-être davantage le Pakistan, ainsi que le réarmement d’autres puissances. Quelle est la meilleure politique au regard de nos intérêts ? Est-ce pertinent de soutenir Israël quelles que soient les extrémités où l’on risque de nous entraîner ? Quelles leçons tire-t-on de l’expédition libyenne – guerre déclenchée au nom des droits humains – dont on ne connaît toujours pas le bilan des victimes, ni l’ampleur des effets déstabilisateurs dans la sous-région sahélienne, sans parler de l’évolution inquiétante des libertés civiles et politiques ? Et que penser de la politique de gribouille sur la Syrie, pouvant déboucher sur une militarisation accrue de la crise ? L’appel au changement de régime est-il légitime, surtout lorsqu’il est porté par des pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite ? Ne reproduit-on pas ici les erreurs commises par les Américains et les Britanniques en Irak ? Cela ne ressemble-t-il pas à un vieux remugle de néocolonialisme ? Quant à l’Afghanistan, il restera à dresser un bilan sans concessions de notre engagement militaire.

Ces questions rompent avec le politiquement correct dominant. Il faut cesser de se gargariser des grands discours ridicules sur notre«diplomatie universelle» et de nier béatement le déclin de la France dans le monde. Il est temps d’élaborer une doctrine de redressement, fondée sur des analyses géostratégiques tenant compte de la réalité, de nos moyens d’agir, de nos intérêts ainsi que de ceux de nos voisins européens, méditerranéens et africains.

Source: https://www.les-crises.fr/diplomatie-francaise-improvisations-revirements-et-amateurisme/


Préface à Comment le Djihad est arrivé en Europe, par JP Chevènement

Tuesday 17 November 2015 at 00:12

Suite des billets anciens éclairant le présent…

Source : Le Blog de Jean-Pierre Chevènement, le 22 juin 2006.

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006, collection Le chaînon manquant, 304 p., traduit de l’allemand par Fred Hissim

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006

Comment le Djihad est arrivé en Europe, Jürgen Elsässer, Xenia, 2006

Préface de Jean-Pierre Chevènement :

La traduction française du livre de Jürgen Elsässer Comment le Djihad est arrivé en Europe constitue une mine de révélations pour quiconque cherche à comprendre les enjeux géostratégiques mondiaux.

Que les services spéciaux américains aient prêté la main subrepticement dès 1992 – en violation de l’embargo sur les armes -, puis officiellement à partir de 1994, à l’armement des milices islamistes de Bosnie est un fait bien connu. De même les liens tissés avec Oussama Ben Laden et son organisation en Afghanistan dès les années quatre-vingt mais maintenus longtemps après.

Ce que montre, en revanche, avec un grand luxe de détails Jürgen Elsässer, c’est le véritable chaudron du terrorisme islamiste qu’ont constitué les guerres yougoslaves tout au long des années quatre-vingt-dix. Les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, de Madrid le 11 mars 2003, et du 7 juillet 2005 à Londres font tous émerger des personnages qui, à des titres divers, ont été des vétérans des guerres de Bosnie. Il semble qu’il s’agisse là de connexions si gênantes qu’il faille absolument les taire ou les dissimuler. Certes il faut éviter la vision “bosno-centrée” bien que quelques éclairages a posteriori sur la division SS Hanjar, les “exploits” des djihadistes et les fréquentations douteuses d’Izetbegovic mériteraient à coup sûr d’ébranler la bonne conscience de l’opinion occidentale, tellement manipulée par les Bernard Henri Lévy et consorts : c’est ainsi qu’on voit apparaître El Zawahiri, considéré comme l’actuel numéro deux d’Al Quaïda, dans l’approvisionnement en armes des milices islamistes bosniaques au milieu des années quatre-vingt-dix.

Pourquoi ce soutien apparemment aveugle de la politique américaine, à travers services spéciaux et entreprises mercenaires, à la création d’un Etat musulman au cœur de l’ancienne Yougoslavie ?

Les Etats-Unis étaient-ils poussés par le noble idéal de l’autodétermination des peuples ? Ou bien poursuivaient-ils un but plus obscur dont le monde musulman, en définitive, aurait été le jouet ? Car ce qui intéresse l’Administration américaine c’est quand même avant tout le contrôle des gisements de pétrole et des voies d’acheminement de celui-ci par la voie maritime ou par oléoducs (en Afghanistan et dans le Caucase notamment).

Zbignew Brezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter pour les affaires extérieures, a éclairé d’une lumière crue dans un maître livre paru en 1998, Le grand échiquier, les enjeux centraux de la diplomatie américaine : contrôler l’Eurasie et les régions pétrolifères du Golfe et de la Caspienne, réduire l’influence de la Russie et asseoir la domination des Etats-Unis sur le monde musulman. La mise en œuvre ultérieure de ce grand dessein par les néoconservateurs laisse sans doute quelque peu à désirer … La ” grande guerre déclarée au terrorisme ” rompt-elle vraiment avec la volonté d’instrumenter le monde musulman à travers le soutien des milices fondamentalistes en Afghanistan dans l’ex-Yougoslavie, voire dans le Caucase ? Elle exacerbe les contradictions qui s’y manifestent et l’entraîne tout entier dans une régression sans précédent.

Le livre de Jürgen Elsässer est fort instructif sur le rôle des services spéciaux dans la manipulation des conflits (et des opinions publiques droguées aux idéologies identitaires). Il est vrai que les services se prennent souvent les pieds dans leurs propres intrigues. Dans la société hypermédiatique où nous vivons, leurs manigances finissent toujours par être éventées. C’est l’un des grands mérites du livre de Jürgen Elsässer de nous faire voir par leur petit côté (mais les trous de serrure ne font-ils pas découvrir bien des choses ?) les projets mégalomaniaques ourdis par les ” maîtres de l’heure ” (qui cesseront souvent de l’être dans l’heure qui suit).

Même si Jürgen Elsässer nous étourdit parfois sous la multiplicité de ses sources et l’abondance de ses références, rendons hommage à son érudition : son livre contribuera utilement à un sain pluralisme et à l’éclosion de vérités pas toujours bonnes à dire. Saluons son immense travail et la contribution salubre que son livre apporte à un débat démocratique débarrassé des a priori trompeurs qui obscurcissent la compréhension des enjeux et retardent l’heure d’une paix juste dans les Balkans et ailleurs. Je souhaite que ce livre fasse réfléchir au-delà des passions souvent instrumentées à des fins pas toujours avouables. Je ne doute pas qu’il sera utile au retour de relations pacifiées entre les Etats-Unis, l’Europe et le monde musulman.

——————————
4ème de couverture (écrite par l’éditeur) :
Voici un ouvrage d’investigation exemplaire. Prenant à contre-pied la clameur générale, Jürgen Elsässer a patiemment remonté la piste des kamikazes du 11 septembre. Ce qui l’a mené tout droit en Bosnie, véritable tête de pont de l’activisme islamiste en Europe et en Occident.

Avant de s’attaquer aux populations de l’Occident, les moudjahiddin ont été recrutés, formés, entraînés par les services secrets occidentaux. Sur cette collusion, la « guerre contre le terrorisme » proclamée à grand fracas par Washington au début des années 2000, a jeté un voile de ténèbres et de mutisme.

Passionnant comme un roman d’espionnage, ce livre éclaire les souterrains de la politique mondiale et fait parler le silence. De New York à Istanbul, de Berlin à Tora-Bora, il nous entraîne à la découverte du plus équivoque des réseaux. Composant, au fil de son récit, le tableau d’une guerre occulte où les distinctions communes — Occident/Islam, amis/ennemis, terrorisme/pacification — perdent leur sens.

Source: http://www.les-crises.fr/preface-a-comment-le-djihad-est-arrive-en-europe-par-jp-chevenement/


À qui la faute ? Par Jacques-François Bonaldi

Monday 16 November 2015 at 09:55

Source : Le Grand Soir, Jacques-François BONALDI, 15-11-2015

L’effroi, l’horreur, la barbarie… Ces qualificatifs font florès dans les médias français (et étrangers) après les six attaques terroristes perpétrées à Paris dans la nuit du vendredi 13 (ont-ils choisi à dessein cette journée marquée, comme on le sait, de mauvais augure ?) novembre ? Oui, ces qualificatifs sont justes, indéniablement, et l’on ne saurait passer sous silence le drame vécu par les victimes et les familles directement touchées, compatir à leur douleur. Ceci dit, et qu’il faut dire, il serait trop facile d’en rester à ce que je considère une analyse sommaire et biaisée.

Qui, en France, au sein de la classe politique, de ce qu’on appelle maintenant d’un terme qui ne veut rien dire : la société civile, au sein des mouvements organisés (syndicats, partis, etc.) a, depuis maintenant cinq ans, cinq terribles et longues années, « compati » à la douleur des Syriens, qui vivent au quotidien l’effroi, l’horreur, la barbarie… Leur président, que les politiciens français vouent d’un bel unisson aux gémonies, vient, devant des députés français, de prononcer une phrase que tout le monde, si les œillères n’empêchaient pas de voir, devrait accepter comme une vérité douloureusement exacte : « Paris a connu ce que nous, les Syriens, nous vivons depuis cinq ans » !

Car le point de départ est bel et bien là. L’État islamique a « fleuri » sur le fumier entassé en Syrie par l’OTAN, en tout premier lieu, par la France et son soi-disant « tranquille » président, François Hollande, le principal boutefeu occidental, le plus fanatique va-t-en-guerre, celui qui a fait (et qui fait toujours) du renversement de Bachir el-Assad une question quasiment personnelle, tout autant son prédécesseur Sarkozy avec Kadhafi en Libye. Lui au moins avait des prétextes, guère avouables certes. Mais quels sont les motifs censément plus avouables de Hollande ? Les a-t-il jamais énoncés ? Pour quelles raisons lui et l’OTAN sont-ils allés fomenter de l’extérieur ce que la presse bien-pensante appelle maintenant une « guerre civile » ou, tout simplement, une « crise », et qu’un peu de bon sens permet de qualifier plus justement de « guerre importée » ? Je lis les grandes explications sociologiques du Monde sur la raison pour laquelle la France serait le pays que les djihadistes « aiment haïr ». Un article sans doute satisfaisant sur le plan intellectuel, mais qui, sur le plan politique, laisse dans l’ombre le fond même de la question : pourquoi et comment une organisation (il faudrait trouver un autre mot, bien entendu) terroriste a-t-elle pu surgir et surtout se développer avec une telle vitesse et, surtout encore, se doter en si peu de temps de moyens financiers, logistiques et militaires absolument inouïs qui feraient pâlir d’envie n’importe quelle autre ? Quand un « mouvement » terroriste arrive à s’emparer de territoires aussi grands que ceux qui sont tombés sous la coupe de l’État islamique (nous sommes là très loin du fameux « foco » des guérilleros latino-américains des années 60 et 70), à faire régner sa sinistre loi sur des régions entières, à s’emparer de puits de pétrole, à les faire fonctionner, à vendre leur pétrole sur on ne sait trop quels marchés, c’est, d’une part – comment en douter ? – qu’il bénéficie de très puissants appuis, et, de l’autre, qu’il répond aux attentes de certains États, de vrais États, eux, qui ont besoin de lui pour arriver à leurs propres fins.

Nul n’ignore les visées que s’étaient fixé les États-Unis au Moyen-Orient à l’époque des Bush père et fils – des visées que les administrations démocrates n’ont jamais cherché à infléchir, pas plus Clinton qu’Obama : elles apparaissent dans leur stratégie qui consistait en gros à « foutre le merdier » dans cette région du monde, à la balkaniser en entités inviables et invivables, d’une part, pour pouvoir continuer de dominer plus facilement un coin de la planète richissime en pétrole, d’autre part pour pouvoir mieux « protéger » leur grand allié de la région, Israël. Sur ce plan-là, comme stratégie, c’est réussi, il faut bien le reconnaître. Que ce fût à la longue une stratégie foncièrement stupide crève autant les yeux. À plus forte raison quand, à cette stratégie imbécile sur le long terme, s’en est ajoutée une autre tout aussi stupide, issue du 11 septembre 2001 (un événement aussi « mystérieux » que l’assassinat de Kennedy en novembre 1963, et qui le restera encore très longtemps) : « faire la guerre » au terrorisme, menacer de bombarder une soixantaine de « trous perdus » du monde ! Comme si on pouvait liquider le terrorisme par des bombardements ou alors, en assassinant un par un les chefs les plus connus !

On a vu les conséquences de cette stratégie à la cow-boy en Irak, qui est précisément le fumier sur lequel ont commencé à bourgeonner, à fleurir puis à pousser dru et fort d’abord Al-Qaeda, et maintenant l’État islamique. Le bouillon de culture du terrorisme djihadiste tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec ses terribles conséquences –parce qu’aucun mouvement précédent n’a jamais été dotée de tels moyens de faire du mal – c’est, ne l’oublions pas, l’Iraq et la stratégie politique et militaire fondamentalement erronée de la Maison-Blanche et de son Pentagone.

Mais si l’on peut comprendre que la Maison-Blanche, dont la tradition n’a jamais été, au fond, que celle consistant à « rouler des mécaniques » et à régler les problèmes à coups de feu, comme si notre planète était un saloon du Far West, comme elle l’a fait depuis deux cents ans (sinon, demandez leur opinion aux Latino-Américains), bref, si la diplomatie étatsunienne se caractérise, encore et toujours, par son primitivisme, on a du mal à s’expliquer comment la France (j’entends : son gouvernement), dont la diplomatie a été, des siècles durant, symbole de subtilité, de capacité à analyser et à nuancer les problèmes, emboîte d’une manière si cavalière et si guillerette le pas des nouveaux maîtres du monde (qui le seront, certes, de moins en moins, mais qui le resteront aussi longtemps que l’Europe ne se dotera pas d’une politique internationale à elle) et les accompagne dans toutes leurs équipées. Sur ce point, le « suivisme » est de mise, qu’on se revendique de la droite décomplexée à la Sarkozy ou de la gauche « nominale » : chacun y est allé de sa petite « proxy war ». Sarkozy a eu sa Libye, et Hollande a toujours (hélas) sa Syrie. Au moins, Chirac s’était fait un point d’honneur de ne pas accompagner Bush dans son aventure irakienne… Un beau moment d’indépendance française en politique internationale que ses successeurs auraient dû avoir le bon goût d’imiter, car il n’a été qu’un feu de paille.

Comme si l’Irak n’avait pas été suffisant ! Comme si les conséquences de cette terrible erreur (pour le reste du monde, pas pour les États-Unis, bien entendu, puisque cette décision faisait partie de leur stratégie) n’avaient pas assez sauté aux yeux de tous les gouvernements du monde et qu’il faille en rajouter ! Comme si la décision la plus intelligente quand on veut éteindre un feu, c’est jeter de l’huile dessus ou y rajouter des bûches ? Comme si la politique la plus subtile était de monter sur le char étasunien et d’accompagner toutes les équipées de la Maison-Blanche et du Pentagone (pour lequel, rappelons-le, la guerre est une affaire absolument juteuse) !

Qu’on me dise un peu ce que la France (son gouvernement et ensuite son peuple qui en paie les conséquences) avait à gagner en attaquant la Libye, en détruisant ce qui était jusque-là un État fort et en la transformant en ce qu’elle est maintenant : un patchwork de tribus et d’ethnies ? Qu’on me dise un peu ce que la France avait à gagner en imposant de l’extérieur une guerre à l’un des rares États laïques et solides du Proche-Orient et du monde musulman ?

Et tout ça, quelle pitié ! uniquement pour renverser un président syrien qui n’a pas l’heur de plaire à Washington parce qu’il est l’allié de l’Iran, contre lequel la Maison-Blanche a une dent depuis 1979 ? Faut-il donc adopter sans broncher, quand on se dit représenter la France et mener une politique sensée, la politique saloonesque de Washington selon laquelle les problèmes se règlent à coups de bombes et par la force militaire ? Et maintenant que les États-Unis ont été contraints de mettre de l’eau dans leur vin et de négocier avec l’Iran, faute d’avoir pu renverser son gouvernement, quelle mine fera notre Hollande et son gouvernement et son parti « socialiste », puisque l’un des motifs jamais dits de la guerre contre la Syrie était d’enlever à Téhéran l’un de ses alliés les plus solides et donc de l’affaiblir ?

Alors, oui, il faut le répéter : l’État islamique (ou Daesh, comme on voudra) s’est développé à toute allure sur cette guerre-ci, tout comme les champignons après la pluie. Parce que ce genre d’armée (Valls vient de dire que c’en était une) ne pullule que dans le chaos. Et du chaos, l’OTAN et ses premiers va-t-en guerre, Sarkozy et Hollande, en ont semé à tour de bras : l’Irak, la Libye, la Syrie (autrement dit, ce qui n’est pas un hasard, les gouvernements, les États laïques les plus solides du Moyen-Orient, puisque, contradictoirement, des monarchies archiréactionnaires et théocratiques comme l’Arabie saoudite, n’auront jamais rien à craindre, elles, de l’OTAN dont elles sont les meilleurs alliées).

Les parents aussi bien putatifs que biologique de l’État islamique, ce sont les gouvernements occidentaux qui, nul ne l’ignore, non seulement ne l’ont pas combattu quand il aurait été encore temps, mais l’ont accouché, puis l’ont soutenu, financé, approvisionné en armes (et même de celles dont ne disposent que des gouvernements constitués) tant que celui-ci leur convenait pour renverser Bachir el-Assad (ainsi que les autres groupements terroristes qualifiés ni plus ni moins que d’opposition modérée). Et comme tous les Frankenstein de l’histoire, le monstre inventé de toutes pièces a brisé ses liens, est sorti des laboratoires et, pour se venger (d’on ne sait quoi), fait la guerre à tout le monde, tue à gauche et à droite, pourfend les « infidèles », autrement dit tous ceux qui ne sont pas lui-même. Tandis que ses inventeurs, absolument dépassés par les événements, ne savent plus quoi faire pour le ramener à la raison…

Hollande va lui déclarer la « guerre à mort », qui est, j’ose le rappelle, justement la seule solution que ce sous-doué de Bush avait trouvée pour se venger du 11 septembre… On en a vu le résultat. Espérons du moins qu’il lui fera une « guerre » un peu plus sérieuse que dans le cadre de la « coalition » conduite – une fois de plus – par les États-Unis depuis plus d’un an et qui n’a servi strictement à rien ! (Soit dit en passant, la Russie, avec le soutien du gouvernement légitime – je le rappelle – de Syrie et de son armée à terre a plus fait en un mois pour briser l’avancée de l’État islamique et à en desserrer l’étau et détruire ses infrastructures et sa logistique, ainsi que celles des autres groupes terroristes, que la « coalition » internationale dont tout le monde constate, par comparaison, qu’il ne s’agissait que de la poudre aux yeux. On ne saurait être à la fois l’allié et l’adversaire des terroristes, en choisissant entre bons terroristes, les miens, et mauvais terroristes, ceux d’en face…)

Alors, oui, coupable, Hollande, pour avoir contribué plus que quiconque à faire de l’État islamique – cet amalgame de « fous de Dieu » assoiffés de sang qui ne vivent que de tueries et de massacres d’innocents – ce qu’il est devenu : un Frankenstein incontrôlable !

Mais coupables aussi, les Français, pour avoir permis à leur classe politique de mener cette guerre immonde contre la Syrie ! Car, autant qu’il m’en souvienne, jamais personne, aucun parti, aucun mouvement syndical, aucun groupement d’intellectuels, aucune entité de la prétendue « société civile » n’a protesté contre cette guerre que Hollande et son gouvernement ont pu engager et mener comme s’ils avaient derrière eux l’approbation de la nation entière, toutes tendances confondues. Et ce, depuis maintenant cinq ans !

Combien de morts en France, mais surtout combien de dizaines de milliers d’autres morts en Syrie faudra-t-il donc pour que le peuple français oblige son gouvernement à cesser d’appuyer ses « bons » terroristes et à renoncer à sa si coûteuse idée fixe, qui vire à l’obsession : liquider Bachir el-Assad ?

Parce qu’apparemment les deux cent mille victimes à ce jour des cinq ans de guerre de l’OTAN et de la France contre la Syrie ne suffisent pas à faire prendre conscience aux Français que leur gouvernement fait absolument fausse route. Même pas quand les survivants déferlent en masse sur les côtes européens pour fuir l’horreur, l’effroi, la barbarie dont ils sont victimes ! Celles-ci sont des victimes « interlopes », comme dirait Brassens, des « métèques », qui, apparemment, ne pèsent pas, sur la balance de la vie, autant que les victimes parisiennes. Comme toujours, il faut que les victimes soient européennes ou vivent dans le Premier monde pour que l’horreur éclate aux yeux de tous ! Voilà à peine quelques jours, il y a eu des dizaines de victimes dans un attentat terroriste au Liban, qui n’ont eu droit qu’à de petits entrefilets ! Sans parler des attentats dans le reste du Moyen-Orient, qui y sont devenus le pain quotidien.

Le monde s’émeut devant les attentats absolument condamnables de Paris. Tous les grands de ce monde y vont de leur petit couplet, à commencer par ceux qui sont les premiers responsables de l’existence de Daesh, les créateurs du Frankenstein, les seuls responsables, par leur politique erronée, du chaos régnant au Proche-Orient (je ne parlerai pas des bombardements sur le Yémen de l’Arabie saoudite, ce grand allié occidental qui a plusieurs fers au feu et mange à différents râteliers, sous l’œil complaisant et approbatif de l’OTAN). Mais aucun ne bat sa coulpe…

Mais qui s’émeut en France depuis cinq ans (mais depuis bien avant ailleurs) devant les enfants syriens tués par les bombes et les armes de l’Occident, devant les civils innocents, les femmes, les personnes âgées dont le seul crime est de vivre sous un gouvernement qui ne plaît pas à Hollande et à son grand patron, la Maison-Blanche ?

Oui, je me demande que diantre Hollande avait à faire dans la galère syrienne ? Et les Français qui n’ont jamais dit mot ?

Alors, oui, émouvons-nous avec raison des morts parisiens, mais, vous les Français, agissez pour que votre gouvernement cesse de commettre les crimes qu’il commet aujourd’hui même en Syrie, par action et par omission…

Jacques-François Bonaldi

La Havane

Samedi 14 novembre 2015

Source : Le Grand Soir, Jacques-François BONALDI, 15-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/a-qui-la-faute-par-jacques-francois-bonaldi/


[Recommandé] “La France est en guerre” – ben oui, depuis longtemps, crétins…

Monday 16 November 2015 at 06:30

Je suis évidemment envahi de tristesse ce soir, évidemment, avec une pensée pour les dizaines de victimes.

On a encore droit aux désormais classiques scènes hallucinantes sur les chaines “d’information”, vecteur principal de la diffusion de la terreur en France – scènes qui devraient entrainer la saisie immédiate de la carte de presse des journalistes concernés.

Mention spéciale pour le journaliste ayant hurlé ce soir “La France est en guerre” – ce qu’on confirme facilement, vu qu’on bombarde depuis des années bon nombre de pays (Afghanistan, Libye, Mali, Syrie…), et qu’on y mène nombre d’opérations clandestines.

On est en guerre ? Eh oui, vu que c’est nous qui l’avons déclarée

Mais bon, c’est vrai que “la guerre” ne commence que lorsqu’il y a des morts en France, jamais quand on tue des personnes (qui sont en fait des “non-personnes”) à l’étranger – mêmes victimes innocentes collatérales.

Septembre 2014, on bombarde l’État Islamique en Irak :

(tu m’étonnes…) Septembre 2015, on bombarde l’État Islamique en Syrie :

Ils sont quand même incroyables ces islamistes syriens : on les bombarde depuis 1 ans, et ils osent réagir…

Vendredi à la télé, un autre crétin sur i-télé (Bruce Toussaint ?) a même hurlé  qu’Obama était “le chef du monde libre”, on croit rêver devant tant de bêtise. Je vous laisse lire le billet précédent sur le rôle de la CIA en Syrie. C’est vraiment le tiers-monde intellectuel ces moments-là à la télé, alors qu’on a tellement besoin de lumières…

On notera aussi que, au XXIe siècle, la France est “en guerre” quand elle est attaquée par une multitude de 8 personnes avec des fusils ? Ce qui montre la fragilité de nos sociétés. 250 000 morts en Syrie, à cause de nos politiques occidentales délirantes pour mémoire… Combien dorment encore, chez nous, ou caché dans les masses de réfugiés ?

Pour tout vous dire, je suis particulièrement ému car j’étais dans un bistrot des Halles à Paris ce soir, pas si loin de République, que j’en suis parti à 22h15, que la dernière personne à qui j’ai parlé était un lecteur du blog croisé par hasard, qu’on a parlé géopolitique, Syrie, des dangers de notre politique extérieure, et que, véridique, mes derniers mots avec lui ont été à propos du terrorisme, lui disant “il y a un truc qui m’étonne et me réjouit toujours, c’est qu’il n’est pas encore venu à l’esprit des terroristes d’envoyer 20 ou 50 combattants avec juste une kalachnikov tirer régulièrement dans la foule, un terroriste tous les jours, on se retrouverait sous un régime totalitaire en France en quelques semaines.” Vous imaginez donc ma frayeur et mon émotion quelques minutes après…

Vous imaginez aussi enfin mon immense colère contre, certes les assassins (Hollande les a assurés de notre détermination à les combattre – le fait qu’ils soient dispersés façon puzzle devant cependant limiter leur frayeur…), mais également contre nos dirigeants, qui reviennent comme d’habitude la mine triste sur l’air du “Quelle horreur, mais pourquoi nous attaque-t-on, bien sûr on n’a rien fait de mal…”. Surtout que cela fait désormais des mois qu’on parle ici de la Syrie et des dangers générés.

Rassurez vous : Cazeneuve ne démissionnera probablement pas (il a finalement réussi à protéger les Franciliens aussi bien qu’il a protégé les journalistes de Charlie Hebdo, il pourra continuer – et oui, un autre n’aurait pas fait mieux, mais on serait ici au moins dans le symbole), Fabius non plus (“Al-Nostra, bon boulot sur le terrain”, “il faut armer l’opposition syrienne”, ), et on nous demandera de nous rassembler derrière François Hollande, qu’une commission d’enquête parlementaire n’ennuiera probablement pas quant à ses livraisons d’armes en Syrie pour combattre Assad – qui ne nous a jamais rien fait, lui… – et qui se retrouvent chez les islamistes. Combien de centaines, de milliers de Syriens tués par des armes françaises ? Qui sème le vent… Voilà ce qui se passe quand on passe d’une diplomatie classique basée sur nos intérêts à une diplomatie “des valeurs”, comme le rappelait Kissinger dans cet article (“Le traité de Westphalie a été fondé sur la nécessité de parvenir à un arrangement avec l’autre, pas sur une sorte de moralité supérieure. Les nations indépendantes ont décidé de ne pas intervenir dans les affaires des autres États. Ils ont créé un équilibre des forces qui nous manque aujourd’hui.”) ou Todd dans celui-ci (“Il est inquiétant pour l’anthropologue que je suis de voir les relations internationales sortir d’une logique rationnelle et réaliste pour rentrer dans des confrontations de moeurs dignes de sociétés primitives.”).

“Au cours des cinq dernières années au moins, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont tous apporté un soutien financier et militaire considérable à des réseaux militants islamistes liés à al-Qaïda qui ont engendré l’« État islamique » que nous connaissons aujourd’hui. Ce soutien a été apporté dans le cadre d’une campagne anti-Assad de plus en plus intense dirigée par les États-Unis.” [Nafeez Ahmed, journaliste britannique à The Guardian et à la BBC] – (Source : Middleeasteye.net)

“Question : Personne n’évoque le lien entre l’idéologie de ces organisations terroristes et celles diffusées par l’Arabie saoudite et le Qatar… Réponse : A. C. Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter: ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste.” [Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE] (Source : L’Humanité)

“Le Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra) jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des Etats-Unis depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé par le syrien Al-Joulani et l’Etat islamique (EI) conduit par l’irakien al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra.” [Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient  à la Maison de l’Orient] (Source : Challenges)

“Le calcul de l’Occident a été celui d’une chute rapide de Bachar al Assad et pour cet unique objectif, nous n’avons pas hésité à confier la sous-traitance du conflit à certains pays du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite en tête. [...] La France soutenait les « opposants » et les laissait financer par les pays du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête, pays qui ont soigneusement acheté une partie des élites françaises, empêchant ainsi tout débat sur la question. Cette alliance contre nature, court-termiste, est à l’origine d’une des plus grandes erreurs stratégiques de ces dernières années.” [Frédéric Pichon, chercheur associé à l’Equipe Monde Arabe Méditerranée de l’Université François Rabelais (Tours)] (Source : Les-Crises.fr)

Oh, j’imagine aussi qu’on nous demandera de manifester ce dimanche ou un autre contre le terrorisme – bon courage, ça a été super efficace la dernière fois.

Les médias continueront à en faire comme d’habitude des tonnes dans l’émotion, dans le “Revivez minute par minute cette soirée d’horreur“, dans le “oh, il ‘y a aucun équivalent dans l’histoire, dans le monde, etc”, dans le “oh, le monde est solidaire avec nous c’est beau”, alors que le double de morts dans l’avion russe il y a deux semaines a été présenté a minima, qu’Obama n’y a pas vu une atteinte contre toute l’humanité, et où je n’ai vu naitre aucune mobilisation #JeSuisRusse, pas plus que #JeSuisLibanais avant-hier… #Non-Personnes…

On nous enjoindra la sacro-sainte “soupe à l’union nationale” – qui visera à blanchir tout le personnel politique – chuut, ne posez surtout pas de questions, ne demandez pas des comptes, union on a dit.

On se drapera du lin blanc de notre innocence, de notre éternelle “inculpabilité” – meuh non, aucun Syrien n’est mort en raison des actions de notre gouvernement bien sûr, il ne pense qu’à notre sécurité…

On hurlera aux moyens policiers en plus – après tout, il faut juste empêcher des assaillants armés en voiture de tirer sur des gens – trop facile.

On espionnera évidemment encore plus les citoyens – ça marche bien, la preuve.

On ne rappellera pas qu’il n’y a évidemment presque rien à faire pour empêcher des terroristes déterminés à agir dans ces conditions assez “simples”. Et que la bonne solution est plutôt d’empêcher ces hommes de devenir terroristes, et pour cela il faut avoir des politiques étrangères honorables et humaines. On notera que, “étrangement”, les terroristes ne visent jamais la Suisse ou la Hongrie…

Bref SURTOUT on ne demandera aucun compte à nos dirigeants qui ont pour tâche d’assurer notre sécurité directement et surtout indirectement (politique étrangère) – ni responsables, ni coupables, on verra même leur cote de popularité monter, comme d’habitude…

Enfin, mention spéciale aux gouvernements de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Turquie, et à la CIA, qui financent et soutiennent les islamistes en Syrie : on vous méprise, allez au diable !

Tout comme nos dirigeants que vous achetez, qui préfèrent faire des communiqués hallucinants avec vous (pour demander à la Russie d’arrêter de bombarder Al-Qaïda !), plutôt que de vous combattre…

EDIT  P.S. la revendication de Daesh (à “l’imbécile de France”…)

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-est-en-guerre-ben-oui-depuis-longtemps-cretin/


Mille et un 11 septembre

Monday 16 November 2015 at 03:20

Billet de septembre dernier du journaliste anglais Nafeez Ahmed

Source : Nafeez Ahmed, pour Middle East Eye, le 17 septembre 2015.

Les attentats du 11 septembre n’ont été que le début de l’effusion de sang et des violations éhontées de la loi visant à étendre une autorité étatique injustifiable.

Il y a 14 ans, 2 996 personnes ont été tuées lorsque quatre avions civils américains ont été détournés par des extrémistes d’al-Qaïda, un premier s’écrasant contre le Pentagone et deux autres contre les tours du World Trade Center.

Mais ce n’était que le début de l’effusion de sang.

Les attentats du 11 septembre ont annoncé une nouvelle ère de guerres à l’échelle mondiale dans le but d’éradiquer l’extrémisme. Loin de vaincre al-Qaïda, la « guerre contre le terrorisme » a vu l’ennemi métastaser et former un mouvement autoproclamé « État islamique ».

Au cours de ce périple, nous avons assisté à l’effondrement de la primauté du droit : invasion illégale de l’Irak, fabrication de toutes pièces de renseignements sur des armes de destruction massive (ADM), assassinats extrajudiciaires, torture systématique (toujours employée), kidnappings organisés, détention illimitée et surveillance de masse à l’échelle mondiale.

Nous avons également assisté à des violations éhontées de la loi visant à étendre une autorité étatique injustifiable en Occident : érosion du principe d’habeas corpus, surveillance des citoyens ordinaires, normalisation du profilage racial et criminalisation de la dissidence.

Combattre le feu par le feu

Les chiffres les plus prudents indiquent que depuis le 11 septembre, la « guerre contre le terrorisme » a tué environ 14 000 Afghans, 35 000 Pakistanais et 120 000 Irakiens, sans compter les morts indirectes causées par la destruction d’installations de distribution d’électricité et d’eau, d’assainissement et de soins de santé, ce qui fait au total 150 000 personnes. Cela équivaut à cinquante 11 septembre.

À l’autre extrême, une enquête portant sur des études épidémiologiques majeures menées par Physicians for Social Responsibility, groupe de médecins nobélisé, hisse le nombre de morts directes et indirectes à environ 1,3 million de personnes. Ce qui représente quatre cents 11 septembre. Une autre étude basée sur les données de mortalité de la Division de la population des Nations unies suggère que le nombre de victimes peut s’élever à quatre millions, soit plus de mille 11 septembre.

Le nombre de victimes continue de croître. Une étude réalisée en août par Airwars, projet de journalisme à but non lucratif, est arrivée à la conclusion prudente que les frappes de la coalition contre l’État islamique avaient tué plusieurs centaines de civils (peut-être plus d’un millier) au cours de la première année des opérations.

Les drones, usine à terrorisme

Cette semaine, le gouvernement a annoncé que deux militants britanniques de l’État islamique, Reyaad Khan et Ruhul Amin, ont été tués le 21 août par une frappe de drone britannique en Syrie. Toutefois, le mois précédent, les journaux britanniques avaient annoncé à tort la mort de Khan suite à une attaque de drone américain, reprenant des témoignages locaux.

Reprieve, groupe juridique de défense des droits de l’homme, rapporte que trois attaques de drones sont en moyenne nécessaires pour assassiner une cible répertoriée dans la « kill list ». Combien d’autres ont été tués par erreur par des drones britanniques dans le but de tuer Khan ?

L’an dernier, une étude de Reprieve a conclu que les efforts déployés par les Américains dans le but d’assassiner 41 cibles à l’aide d’attaques de drones avaient entraîné la mort de 1 147 personnes, soit 28 inconnus assassinés pour chaque personne suspectée de terrorisme, dont des femmes et des enfants.

Même le général Michael T. Flynn, ancien haut responsable des services de renseignement militaire d’Obama, reconnaît les griefs légitimes selon lesquels les massacres dont les drones sont à l’origine produisent plus d’extrémistes qu’ils n’en tuent.

L’approvisionnement en armes de groupes à l’origine du 11 septembre

Flynn a dirigé la Defense Intelligence Agency (DIA) du Pentagone de 2012 à 2014. Aujourd’hui, il confirme qu’en août 2012, la DIA avait signalé à la Maison Blanche que la montée de l’État islamique était une conséquence directe du soutien de l’Occident, des pays du Golfe et de la Turquie à al-Qaïda et aux rebelles syriens affiliés.

Étant donné le rôle joué par le gouvernement britannique dans cette politique d’incubation de Britanniques de la trempe de Khan, la réticence officielle face à la « kill list » n’a rien de surprenant.

En juin, les tribunaux britanniques ont cherché à poursuivre Bherlin Gildo, ressortissant suédois qui a été accusé d’avoir participé à un camp d’entraînement extrémiste en Syrie, où il aurait reçu une formation sur le maniement des armes, et de détenir des informations sur des extrémistes.

Lors des audiences préliminaires, le procureur de la Couronne, Riel Karmy-Jones, a déclaré à la cour que de 2012 à 2013, Gildo avait travaillé avec le Front al-Nosra, le « groupe interdit considéré comme étant al-Qaïda en Syrie », dont de nombreux adeptes ont ensuite rejoint l’État islamique.

Le procès s’est effondré lorsque l’équipe de défense de Gildo a souligné qu’il avait rejoint un groupe anti-Assad (le Front al-Nosra) qui avait reçu un soutien du gouvernement britannique, fourni en partie par le biais d’une « rat line », un réseau officieux d’approvisionnement en armes de la CIA et du MI6 facilité par al-Qaïda et allant de la Libye à la Syrie.

Un racket en l’échange d’une protection

Le recours plus ou moins abusif de l’Occident aux militants islamistes n’a rien d’un fait nouveau.

En juillet, dans un entretien avec L’Humanité, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE), a décrit la « guerre contre le terrorisme » comme une « imposture » dissimulant une « alliance militaire » qui se noue entre « les pays occidentaux et les parrains financiers du djihad ».

Interrogé au sujet de l’idéologie islamiste et de ses États mécènes tels que l’Arabie saoudite et le Qatar, Chouet a répondu :

« Au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., [nous sommes engagés dans des confrontations militaires avec les mêmes types de groupes terroristes islamistes. Or,] nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis 30 ans le phénomène terroriste. »

Ainsi, contrairement au récit officiel de l’assaut contre Oussama ben Laden, plusieurs sources des services de renseignement américains confirment que l’occupation par ben Laden d’une résidence à Abbottabad (Pakistan) entre 2006 et 2011 a eu lieu sous la protection de l’Inter Services Intelligence (ISI) pakistanaise, avec un financement de la famille royale saoudienne.

Simultanément, les États-Unis ont négocié une opération secrète conjointe avec l’Arabie saoudite à travers le prince Bandar ben Sultan, qui dirigeait alors le Conseil de sécurité nationale, pour financer des islamistes affiliés à ben Laden, afin de tenter de repousser l’influence régionale de l’Iran chiite.

Cette stratégie secrète a été corroborée par les conclusions présidentielles et par d’anciens responsables, dont Alastair Crooke, officier retraité du MI6 en fonction pendant 30 ans, et John Hannah, ancien conseiller à la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney.

La brigade de Bandar

Pourtant, les États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002.

Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du 11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y avait « des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces terroristes au sein du gouvernement saoudien ».

Al-Mihdhar et al-Hazmi ont été « manipulés » aux États-Unis par plusieurs ressortissants saoudiens entretenant des liens étroits avec des responsables du gouvernement saoudien, qui ont reçu au total plusieurs dizaines de milliers de dollars en chèques de banque (environ 3 500 dollars par mois) de la part du prince Bandar et de son épouse, la princesse Haïfa bint Fayçal. La princesse Haïfa a prétendu plus tard que l’argent versé représentait des dons de bienfaisance, bien que le sénateur Graham et la CIA aient clairement estimé le contraire.

L’administration Obama, au mépris des revendications des familles de victimes du 11 septembre désireuses de déclassifier les 28 pages, a encore une fois tiré profit du prince Bandar à l’occasion de l’assaut de 2011 contre ben Laden. Les États-Unis avaient fait appel à lui les mois précédant l’assaut pour les aider à négocier l’accord stratégique avec le Pakistan qui a conduit à l’opération d’Abbottabad.

La CIA et ben Laden

L’actuelle relation entre l’Arabie saoudite et al-Qaïda est magistralement documentée dans The Eleventh Day (2012), un livre d’Anthony Summers et Robbyn Swan, journalistes de Vanity Fair.

Dès 1995, ont-ils rapporté, la famille royale saoudienne a versé des « paiements de protection » à ben Laden, à la condition qu’il ne prenne pas le royaume pour cible. L’accord a été négocié par le chef des services de renseignement de l’époque, le prince Turki al-Fayçal.

Selon le quotidien Le Figaro, des sources des services de renseignement français ont révélé que deux mois avant le 11 septembre, sous le patronage du prince Turki, ben Laden avait été transféré par avion à l’hôpital américain de Dubaï pour un problème de reins, où le chef d’al-Qaïda a rencontré des responsables de la CIA.

Malgré les réfutations de Washington, Summers et Swan ont obtenu des confirmations intrigantes de cette histoire, de la part de sources crédibles qui ont « décrit la visite de façon indépendante, en détail et en même temps ».

Ils ont aussi interviewé Alain Chouet, qui dirigeait le service de renseignement de sécurité à la DGSE au moment de la réunion présumée :

« Chouet a-t-il donné du crédit au discours sur la prise de contact à Dubaï ? “Oui”, a-t-il répondu. La DGSE avait-elle connaissance à l’époque de la rencontre entre des officiers de la CIA et ben Laden ? “Oui”, a affirmé Chouet. “Avant le 11 septembre, a-t-il observé. Ce n’était pas un scoop pour nous, cela ne nous a pas surpris.” »

La guerre du pipeline

Chouet a indiqué à Summers et Swan que la rencontre entre la CIA et ben Laden avait pour but de persuader le chef d’al-Qaïda « de ne pas s’opposer aux négociations de Berlin » avec les talibans. S’il acceptait, il pouvait « rentrer en Arabie saoudite avec une grâce royale, sous la garantie et le contrôle de Turki », et les États-Unis étaient prêts à « abandonner leurs efforts visant à le traduire en justice » pour les attentats précédents.

À Berlin, l’administration Bush avait menacé les talibans d’une guerre s’ils ne respectaient pas les exigences américaines, qui comprenaient des plans pour l’installation d’un pipeline pétrolier et gazier transafghan qui transporterait les ressources de la mer Caspienne vers les marchés asiatiques, un projet qu’Obama a récemment essayé de relancer. Les négociateurs américains ont également voulu que les talibans élargissent leur régime répressif pour inclure des factions d’opposition dans le but de créer de la « stabilité » pour le pipeline.

D’après Chouet, ben Laden a rejeté la proposition des États-Unis, tout comme les talibans. Une note d’al-Qaïda de 1998 obtenue par le FBI a montré que ben Laden avait une parfaite connaissance des négociations sur les pipelines en cours entre les États-Unis et les talibans.

En effet, dans les années 1990, l’administration Clinton avait fourni une aide militaire et financière aux talibans par l’intermédiaire des services de renseignement saoudiens et pakistanais pour soutenir la conquête de l’Afghanistan par le mouvement, tout cela dans le but de faciliter le projet de pipeline.

L’ami de mon ennemi est toujours mon ami

L’étendue de la complicité du Pakistan avec l’extrémisme de ben Laden a été documentée dans un addendum secret au rapport de la Commission du 11 septembre, demandé par son directeur exécutif Philip Zelikow trois mois avant la publication, mais qui est arrivé trop tard pour y être inclus.

S’appuyant sur des sources pakistanaises sensibles, les auteurs de l’addendum sont arrivés à la conclusion que les officiers supérieurs de l’ISI avaient eu connaissance à l’avance des attentats du 11 septembre et protégeaient ben Laden au Pakistan, et que Pervez Musharraf avait personnellement approuvé son traitement rénal dans un hôpital militaire près de Peshawar.

Comme les 28 pages classifiées, ces conclusions restent étouffées par le gouvernement américain.

Pourquoi les États-Unis, tout en déclenchant de nouveaux 11 septembre à travers le monde, supportent-ils donc ces mêmes régimes qui sont derrière les attentats du 11 septembre 2001 ?

Parce que cette « guerre contre le terrorisme » est une énorme fiction. En réalité, le terrorisme est le prix de cette attitude consistant à continuer comme si de rien n’était, et les États-Unis sont prêts à le payer.

***
- Nafeez Ahmed est un journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The IndependentSydney Morning HeraldThe AgeThe ScotsmanForeign PolicyThe AtlanticQuartz,ProspectNew StatesmanLe Monde diplomatique et New InternationalistSon travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Source: http://www.les-crises.fr/mille-et-un-11-septembre/


Le communiqué de l’Elysée que vous ne lirez pas, par Viktor Dedaj

Monday 16 November 2015 at 00:35

Source : Viktor Dedaj, Le Grand Soir, 14-11-2015

Suite aux événements tragiques d’hier, il a été décidé que la France réexaminera sa stratégie et politique étrangère.

1) Considérant les soutiens de certains pays avec les mouvements terroristes, soit par leur création à des fins géostratégiques douteuses, soit par leur financement, soit par une complaisance à leur égard, la France révisera ses relations avec les Etats-Unis, le Qatar, l’Arabie-Saoudite, Israël et la Turquie.

2) Considérant le rôle actif joué par la France elle-même dans le point 1), les membres des gouvernements successifs annoncent leur démission en bloc et leur mise à disposition de la Justice française et internationale, non sans avoir au préalable engagé des actions contre les figures politiques, culturelles et médiatiques qui ont défendu et encouragé ces politiques criminelles.

3) Considérant que les 5 années d’interventions occidentales en Syrie et les 15 années de campagnes « d’éradication du terrorisme » ont produit moins de résultats qu’un mois d’intervention russe, la France révisera ses alliances stratégiques en matière de lutte contre le terrorisme et reconsidérera les propositions russes et autres pour une paix au Moyen-orient.

4) Constatant le rôle extrêmement belliqueux et destructeur de l’OTAN ces 30 dernières années, la France se retire de toutes les instances de cette organisation et soumet à l’examen de la Justice la responsabilité des dirigeants de cette organisation pour des actes de guerre illégaux et actes de crimes contre l’humanité.

5) Reconnaissant le rôle indispensable joué par les marchands d’armes dans les guerres, l’Etat français procédera à la nationalisation sans indemnisation et la liquidation de toutes les entreprises privées engagées dans cette filière. Un référendum sera soumis au peuple français sur le devenir d’un éventuel secteur public dédié exclusivement à la Défense.

6) Constatant (pendant qu’on y est) qu’il circule librement et à ciel ouvert des « armes interdites » par les Conventions internationales, la France lancera des mandats d’arrêt internationaux contre les responsables d’entreprises et leurs subordonnés employés dans les services de Recherche et Développement (l’argument « je ne faisais qu’obéir aux instructions » ou « si ce n’est pas nous, c’est quelqu’un d’autre qui le fabriquera » ne saurait être opposé).

7) Considérant que « lorsque nos réactions sont prévisibles, nous devenons manipulables », le Gouvernement de la France se refuse à tomber dans le piège tendu et retire toutes les mesures de surveillance massive et d’atteintes aux libertés publiques et engagera une véritable lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, d’où qu’il vienne, et contre tous ses promoteurs, alliés ou non (qu’on se le dise).

Vive la France (pour ce qu’il en reste), vive la République (pour ce qu’elle en vaut).

Fait à l’Elysée, le 14 novembre 2015

Le Président

Source : Viktor Dedaj, Le Grand Soir, 14-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/le-communique-de-lelysee-que-vous-ne-lirez-pas/