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[Humour RECOMMANDÉ] Minute Papillon : Liberté d’expression VS Charlie Hebdo

Friday 30 January 2015 at 05:30

Je vous propose cette EXCELLENTE vidéo, très drôle et très fine, sur l’affaire Charlie Hebdo, par une star Youtube, Kriss de Langue de Pub :

“La liberté d’expression me donne le droit de vous proposer un point de vue différent sur cette tragédie survenue il y a 3 semaines : Attentats / Charlie Hebdo / Je suis Charlie .

Je ne voulais pas faire cette vidéo trop tôt, car donner un axe différent, quand “l’unité” semble faire beaucoup de bien à tout le monde, ça me semblait contre productif et sûrement assimilable à de l’opportunisme (sport en vogue en ce moment), mais d’un autre côté, la faire trop tard, c’était par contre risquer le “Hors-Sujet” ^^. ”

500 000 abonnés à sa chaîne Youtube

Source: http://www.les-crises.fr/humour-minute-papillon-charlie-hebdo/


[C'est dit] Juncker : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Friday 30 January 2015 at 05:00

Notez, on l’avait bien vu en 2005 : les traités européens sont au-dessus de la Démocratie

Point positif de Juncker : sa franchise – bah oui, les Grecs, votre invention plurimillénaire est dépassée, quoi, tellement pas “moderne”… !!

Point négatif de Juncker (et les eurocrates) : il va vite voir à quoi ça sert, en général, la Diplomatie…

Juncker dit « non » à la Grèce et menace la France

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. », affirme notamment le président de la Commission européenne.

Intraitable. Dans un entretien au Figaro, le président de la commission européenne adresse une fin de non recevoir au gouvernement grec conduit par Alexis Tsipras. Sur l’annulation de la dette, Jean-Claude Juncker, oppose à la Grèce un « non » catégorique :

« Athènes a accepté deux plans d’ajustement (de redressement, NDLR), elle doit s’y sentir tenue. Il n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays européens ne l’accepteront pas. »

[OB Ca, tu vas voir qui de l'État ou de ses créanciers va gagner... P.S. 2 000 ans d'Histoire pour t'aider, comico...]

On a connu le président de la Commission plus conciliant quand, Premier ministre du Luxembourg, il autorisait des dizaines de multinationales à s’affranchir des législations fiscales des pays membres de l’UE.

Les élections ne changent rien, affirme en substance le président de la Commission européenne. Sans prendre beaucoup de gants :

« Dire qu’un monde nouveau a vu le jour après le scrutin de dimanche n’est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l’Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n’altèreront pas fondamentalement ce qui est en place. »

Vous n’êtes pas certain d’avoir compris ? « Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités », ajoute encore Jean-Claude Juncker, qui lâche une phrase terrible, qui résume toutes les limites de la démocratie dans l’Union européenne :

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Interrogé sur la France, et notamment sur la question de savoir si la Commission va accepter d’accorder à notre pays un délai supplémentaire pour réduire le déficit à 3 % du PIB, Jean-Claude Juncker se montre également rigide et menaçant.

Rigide quand il radote le credo de toutes les Commissions : « Nous voudrions voir la France renforcer ses réformes, en nombre comme en intensité. » Selon lui, « la France soufre d’un manque de réformes dites structurelles, de réformes qui portent sur l’essentiel (…). Elle doit soigneusement examiner les faiblesses de son droit du travail ». Menaçant lorsqu’il réaffirme qu’« il n’y a pas d’autre remèdes que de la consolidation budgétaire » (sic) et n’exclut pas de sanctionner la France si son déficit n’est pas réduit : « Un pays ne peut pas échapper aux sanctions s’il ne respecte pas les règles. »

Il n’y a pas de « diktat » allemand, affirme le président de la Commission européenne. « Cette impression d’un diktat, d’une machine allemande qui laminerait toute contradiction est parfaitement erronée », soutient-il. Avant de lever un coin du voile de secret qui entoure les sommets européens : « D’autres gouvernement, parfois même socialistes, étaient beaucoup plus sévères à l’égard de la Grèce, par exemple. » Une confidence dont la véracité ne nous paraît pas contestable. Allez savoir pourquoi…

Source : Politis

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Le dernier Sapir pour éclairer :

L’Allemagne entre deux maux

29 janvier 2015

Par

On commence seulement aujourd’hui à bien mesurer ce que la victoire de SYRIZA peut signifier pour le zone Euro. En réalité, cette victoire met l’Allemagne au pied du mur et fait éclater son double langage quant à la zone Euro. Privée de marges de manoeuvres néanmoins, l’Allemagne peut réagir violemment et provoquer, indirectement, la dissolution de la zone, même si elle en est la principale bénéficiaire aujourd’hui. Pour comprendre cela, il faut rappeler ici quelques points.

La victoire de Syriza

La victoire, véritablement historique, de SYRIZA en Grèce a propulsée son chef, le charismatique Alexis Tsipras sous le feu des projecteurs. Il convient de rappeler que ce parti est en réalité une alliance regroupant des anciens gauchistes, des anciens communistes, des écologistes, et des anciens socialistes. Ce qui a fait le ciment de cette improbable alliance, et qui explique son succès, avec plus de 36% des suffrages exprimés, est en réalité bien plus profond, mais aussi plus complexe, que la “question sociale”. Non que cette dernière ne soit importante, voire tragique. On comprend le refus d’une austérité meurtrière qui ravage la population grecque depuis 2010. Mais il y a aussi la question de la souveraineté nationale. Le refus de la soumission aux injonctions de Bruxelles et de la commission européenne, qui s’est exprimé dès le lendemain de l’élection, est une dimension très importante de la victoire de SYRIZA. La question sociale, sur laquelle se focalisent les commentateurs français, pour importante qu’elle soit, n’explique pas tout. En réalité, SYRIZA s’est engagé dans un combat pour le souveraineté du peuple grec contre les bureaucrates de Bruxelles et de Francfort, siège de la Banque Centrale Européenne. La victoire de SYRIZA annonce peut-être celle de PODEMOS en Espagne au début de cet automne. Et, tout comme dans SYRIZA, la composante souverainiste est loin d’être négligeable dans PODEMOS, ou encore dans le parti Irlandais qui briguera lui-aussi la victoire au début de 2016, le SIN FEINN.

Au-delà du symbole, il y a des actes. Et les premiers actes de Tsypras ont été des signaux très forts envoyés aux autorités de Bruxelles. Tout d’abord, il a constitué son gouvernement en passant une alliance avec le parti des « Grecs Indépendants » ou AN.EL. Beaucoup considèrent que c’est une alliance hors nature de l’extrême-gauche avec la droite. Mais ce jugement reflète justement leur incompréhension du combat de SYRIZA et sa réduction à la seule question sociale. Ce qui justifie l’alliance entre SYRIZA et les « Grecs Indépendants », c’est justement le combat pour la souveraineté de la Grèce. Tsypras, dès son premier discours, a parlé de l’indépendance retrouvée de son pays face à une Union Européenne décrite ouvertement comme un oppresseur. Le deuxième acte fort du nouveau gouvernement, qui n’a eu aucun écho dans la presse française mais qui est fondamental, a été de se désolidariser justement de la déclaration de l’UE sur l’Ukraine. Une nouvelle fois, comme on pouvait s’y attendre, l’UE condamnait la Russie. Tsypras a dit, haut et fort, que la Grèce n’approuvait pas cette déclaration, ni sur le fond ni dans sa forme. Or, ce point va devenir de plus en plus important. La politique de l’Union Européenne concernant les affaires internationales est une politique intergouvernementale. Cela implique que les décisions soient prises à l’unanimité[1]. Le nouveau gouvernement grec reproche donc à l’UE cette décision car elle a été prise sans respecter les procédures internes à l’UE[2]. Il est désormais clair que l’UE ne pourra plus se comporter comme avant en ce qui concerne tant la Russie que l’Ukraine. Le troisième acte a été la décision du gouvernement, annoncée par le nouveau ministre des Finances M. Varoufakis, de suspendre immédiatement la privatisation du port du Pirée. Cette décision signifie la fin de la mise à l’encan de la Grèce au profit de l’étranger. Ici encore, on retrouve la nécessité d’affirmer la souveraineté de la Grèce. Mais, cette décision est aussi un coup très dur porté aux diverses compagnies qui s’étaient attablées devant ce marché.

Le dilemme allemand

Il faut alors chercher à comprendre la position de l’Allemagne. La déclaratio du Ministre de l’Economie, M Sygmar Gabriel est à cet égard éclairante. Il a ainsi déclaré qu’”il faut que soit respecté un principe de justice à l’égard de notre population[3]. Il a souligné que ce fameux « principe de justice » devait s’appliquer à l’égard “des gens en Allemagne et en Europe (…) qui se sont montrés solidaires” [des Grecs]. En réalité, ces aides sont allées majoritairement aux banques européennes qui avaient acheté une grande part de la dette grecque. Il n’y a pas eu de « solidarité » avec le peuple grec, mais un principe bien compris de socialisation des pertes. Néanmoins, il faut s’interroger sur le pourquoi de cette déclaration.

L’Allemagne ne veut pas que la zone Euro se transforme en une “union de transferts”. C’est une constante depuis le début des négociations sur la zone Euro. On peut le comprendre, d’ailleurs, car si les principes d’un réel “fédéralisme” étaient appliqués (comme ils le sont à l’intérieur d’un Etat comme la France) l’Allemagne, “région” riche de la zone Euro, devrait contribuer à hauteur de 8-9% de son PIB par an sur une période d’au moins dix ans. On peut considérer que ceci aboutirait à casser les reins à l’économie allemande. Mais, l’Allemagne veut – par contre – les avantages de la monnaie unique, et d’un taux de change inchangé avec ses pays “clients”. C’est ici que le bat blesse. En effet, soit l’Allemagne accepte une nouvelle – et très importante – restructuration de la dette grecque (ou un moratoire) et elle sera immédiatement saisie de demandes analogues par des pays comme la Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Soit l’Allemagne adopte une position “dure”, en l’enrobant de pleurnicheries obscènes comme celles de Sygmar Gabriel (et en oubliant toutes les restructurations de la dette allemande qui ont eu lieu au XXème siècle) et provoque un affrontement avec la Grèce. Mais alors, le risque est important de voir la Grèce quitter l’Euro, et un processus de contagion se mettre en place.

De fait, et quoi que fasse l’Allemagne, elle sera confrontée à ce processus de contagion, soit à l’intérieur de l’Euro (et avec une pression de plus en forte pour voir augmenter sa contribution) ou à l’extérieur, avec une dislocation probable de la zone Euro. L’Allemagne a encore le choix, maix c’est un choix entre deux maux. Et l’on peut penser que, dans ce cas, elle choisira ce qui pour elle, ou plus précisément pour ses dirigeants, apparaîtra comme le moindre: la rupture de la zone Euro. Mais, l’Allemagne ne peut pas, pour des raisons historiques, porter la responsabilité d’une destruction de cette zone. Elle devra, à tout prix, la faire porter aux grecs, quitte a déployer des trésors de mauvaise foi.

Quoi qu’il en soit, l’avenir s’annonce sombre pour l’Allemagne qui se rend compte aujourd’hui qu’elle est dans un piège, ce piège même ou elle avait cru enfermer les autres pays. Quel que soit l’issue qu’elle choisira, l’Europe, qui est aujourd’hui une forme de proriété allemande, sortira affaiblie. Mais, cet affaiblissement tire en réalité son origine du fait que l’Allemagne a sciemment pratiqué une politique de “cavalier solitaire” tout en prétendant adhérer à des mécanismes fédéraux. Le double langage se paye toujours, et dans ce cas il se payera à un prix particulièrement élevé.

Une anticipation par le BCE?

Il faut alors revenir sur la conférence de Mario Draghi du jeudi 22 janvier. On a déjà signalé l’importance de la limitation à 20% de la garantie de la BCE sur les nouveaux achats de titres[4]. Mais on peut se demander si, en réalité, Mario Draghi n’a pas anticipé la situation à venir, et une probable décomposition de la zone Euro. On peut lire sa politique, et ses déclarations comme le choix suivant: pas de mutualisation des dettes s’il n’y a pas de mutualisation économique (et en particulier budgétaire). Cette position est très sensée. La mutualisation des dettes n’auraient effectivement de sens que si l’on aboutissait rapidement à un système de mutualisation économique, et budgétaire. Or, Mario Draghi n’est pas sans savoir que l’Allemagne est fortement opposée à une telle mutualisation. Aussi est-il en train d’organiser le fractionnement monétaire du marché des dettes, et donc la renationalisation de ces dernières. Ceci pourrait bien être la dernière étape avant la dissolution de la zone Euro.

Mais, pour qu’il y ait une dissolution “organisée”, il faudrait que l’Allemagne reconnaisse le dilemme dans lequel sa propre politique l’a plongé. Il est très peu probable que les dirigeants allemands, qui ont tous – que ce soit la CDU-CSU ou la SPD – été connivents à cette politique l’acceptent. Disons le tout de suite, c’est très peu probable. Le cheminement auquel nous devons nous attendre est donc celui d’une montée de l’affrontement avec la Grèce conduisant cette dernière à faire défaut sur sa dette et à se faire “expulser” de la zone Euro, non pas dans les formes (car rien ne permet de le faire) mais dans les faits. La BCE coupera l’alimentation de la Banque Centrale grecque et décidera que les “euros” émis en Grèce ne peuvent plus circuler dans le reste de la zone Euro. Notons que des mécanismes de ce type ont été en leur temps employés, pour une durée certes très courte, sur Chypre.

Il est aussi clair que le gouvernement grec se prépare à ce type de scénario. Il va réaliser un budget en équilibre strict, moyennant bien entendu l’affectation des dépenses prévues sur les intérêt des la dette à d’autres dépenses. Mais, si cette politique fait sens pour la Grèce, elle ne le fait nullement pour la zone Euro, qui devra alors affronter une crise de défiance massive, et une contagion rapide sur d’autres pays. Ce sera le scénario de “dislocation” de la zone Euro.

Il serait important que notre personnel politique commence à s’y préparer. Mais l’on peut craindre que, vivant dans une bulle et pratiquant une forme particulière d’autisme politique, il ne voit rien venir et soit confronté à la réalité de manière très brutale.

Source: http://www.les-crises.fr/juncker-il-ne-peut-y-avoir-de-choix-democratique-contre-les-traites-europeens/


« Hier ist kein warum » (Ici, il n’y a pas de pourquoi), par Noëlle Cazenave-Liberman

Friday 30 January 2015 at 04:00

Belle réponse suite à l’article d’hier

Lettre à Najat Vallaud-Belkacem

« Je crois qu’il est fondamental que ces génocides ne soient pas occultés pour montrer jusqu’où peut amener la haine, les discriminations… alors ça commence très doucement en général, par de simples discriminations pour des postes, des fonctions, la carte d’identité des choses comme ça, et puis de montées en montées on convainc la population qu’il faut s’en débarrasser : s’en débarrasser c’est d’abord dans des camps simplement, et puis ensuite c’est de tuer. » Simone Veil (( Récente rediffusion (http://www.rfi.fr/emission/20150124-pologne-liberation-auschwitz-deportation-genocides-camp-concentration/) ))

« Attendez un peu et l’impensable devient inéluctable, l’impossible devient ordinaire. » Edward Bond1 .

Madame la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

Vous avez déclaré :

« L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, Les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. » (( Depuis http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2015/01/14/najat-vallaud-belkacem-je-mobilise-la-communaute-educative-pour-repondre-par-des-actes-forts/ ))

Depuis que j’ai eu connaissance de cette déclaration, je n’arrive plus à respirer correctement, je n’arrive pas à dormir, je suis comme alourdie par une envie de vomir qui ne se déclarerait pas. Et comme je n’ai pas tout de suite trouvé ce qui me malmenait autant, aussi violement l’esprit et les tripes, vos mots n’ont cessé de tourner en boucle, de taper dans mes tempes. Je n’arrêtais pas de me les répéter pour tenter de les exorciser. Et puis, hier soir, j’ai retrouvé.

Je ne vous ferai pas l’affront de vous indiquer d’où vient la citation, mais pour les lectrices et lecteurs j’ajouterai cependant en note la source de ces lignes :

« Et justement, poussé par la soif, j’avise un beau glaçon sur l’appui extérieur d’une fenêtre. J’ouvre, et je n’ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu’un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehor vient à moi et me l’arrache brutalement. “Warum ?” dis-je dans mon allemand hésitant. “Hier ist kein warum” (ici il n’y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l’intérieur. » (( Primo Levi, Si c’est un homme (1947), Paris, Julliard, 1987. ))

Ces mots, qui fondent – avec les témoignages sur Hiroshima – un des basculements majeurs du XXe siècle, suffisent à me rendre à ma lucidité et à ma liberté, les offrir en réponse me libère du poids atroce qui n’avait plus quitté mon crâne et mon estomac depuis que je vous avais lue. Je pourrais m’arrêter à ces mots, et vous dire seulement que de tout ce qui nous a été donné d’entendre depuis le 7 janvier, de tout le fatras infécond que les médias et la classe politique déversent sur notre dignité en un torrent d’immondices satisfait de lui-même, votre déclaration gouvernementale est la chose la plus grave, la plus dangereuse, la plus dégénérée, la pire des choses que j’ai eu à avaler. Et que si je ne la digère pas, au sens propre du terme, c’est que votre déclaration, vos mots, viennent de nous faire entrer dans le totalitarisme.

Mais pour qu’il soit clair que je ne verse pas ici dans une fascination abstraite et maniérée pour le « point Godwin », et pour que vous sachiez de quel ordre est la responsabilité que vous venez de prendre en direction de l’institution « éducation nationale », du corps enseignant français, et des enfants de France (je dis enfants pour mineurs, est-il besoin de le préciser ?), je vais dire quelle construction au contraire bien rationnelle m’a fait entendre Auschwitz dans vos propos. Et m’appuyer pour ce faire sur le travail d’un auteur dont l’éducation nationale a proposé l’étude, trois années durant, dans le cadre de l’enseignement de spécialité théâtre du bac littéraire.

Edward Bond est dramaturge et théoricien du théâtre. Il est né à Londres en 1934. Dans un poème autobiographique, il écrit :

« Comme tous ceux qui vivaient au mitan de ce siècle ou qui sont nés plus tard / Je suis un citoyen d’Auschwitz et un citoyen d’Hiroshima / De ce lieu où les méchants ont fait le mal et de ce lieu où les bons ont fait le mal ».

Ainsi Auschwitz et Hiroshima interrogent-ils à égale part la « barbarie » de l’idéologie du nazisme et de celle de nos démocraties, et placent l’humanité devant la question, inexorable, que porte toute l’œuvre de l’écrivain : comment devenir humain ?

Edward Bond est l’auteur de Sauvés (qui fit tomber la censure royale en Angleterre en 1966), des Pièces de guerre, de Café (des soldats se font du café pendant le travail d’extermination par balles devant la fosse de Babi Yar), du Crime du XXIe siècle… parmi plusieurs dizaines de pièces. La raison pour laquelle l’éducation nationale avait inscrit les Pièces de guerre au programme du « bac théâtre » réside sans aucun doute dans ce que l’écrivain dit lui-même du singulier rapport qui s’établit entre des élèves – des mineurs donc – et son écriture :

« Je constate, par exemple, que souvent beaucoup de jeunes gens réagissent mieux à mes pièces que le reste du public. C’est parce qu’ils sont dans une situation où ils comprennent mieux que les adultes ce dont je parle. Nous ne sommes pas nés pour faire du profit mais pour créer la justice. Les jeunes gens sont encore proches de leur gravité existentielle et ils en ont certainement besoin si leur vie future ne veut pas être plongée dans le chaos. Ils savent encore que tout ne peut pas s’acheter et se vendre. C’est une chance d’écouter les jeunes, de les voir faire, de découvrir comment ils sont en train de créer leur propre monde. Ils ont une grande proximité avec les questions les plus importantes. Et on a tendance à l’oublier. Le problème de leurs parents reste de payer les factures, les traites. Eux se demandent ce que sera leur vie, comment ils vont construire leur vie… Quand ces questions sont oubliées, les choses se meurent. Les jeunes vous rappellent toujours à la question de la valeur des choses. Et ils le font de manière très créative. À cette étape de la vie, on est en mesure de créer. C’est très important d’entrer en contact avec cette capacité de conscience que les jeunes possèdent, car si elle n’est ni reconnue ni encouragée, elle tourne à la destruction. Il n’y a pas d’alternative. » (( Extraits depuis « Le théâtre d’Edward Bond » in Numéro spécial du Journal de la Colline, http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/La-Flute/ensavoirplus/idcontent/22356, http://www.paris-normandie.fr/detail_article/articles/PN-472831/lart-de-la-democratie-472831#.VMXOFGOK6t5 et http://www.humanite.fr/node/274268 ))

Bond écrit pour la jeunesse, et c’est un acte pour l’humanité à venir. Or, le théâtre qu’il écrit à l’attention des jeunes sert à demander « pourquoi ». Parce qu’en demandant « pourquoi », les enfants construisent, pour leur psyché propre, une carte du monde et que dans ce monde, le monde, ils y recherchent la justice :

« Pourquoi est une question que seuls les êtres ayant une conscience de soi peuvent poser. Un lion qui attend la proie escomptée a conscience de sa faim quand la proie ne se présente pas à temps. Mais le lion ne saurait demander pourquoi elle ne se présente pas. Il préférera attendre ou rejoindre un autre point d’eau. Une renarde peut contraindre ses petits à ne pas chahuter quand il est temps d’aller chasser. Mais elle n’aura pas à se demander pourquoi les petits chahutent pour répondre ensuite : c’est parce qu’ils sont vilains. Le sens moral ne voit le jour que lorsque vous êtes en mesure de demander pourquoi. »

« Notre “site” est l’univers, et c’est pourquoi nous demandons pourquoi. Les réponses que nous apportons à ces questions décident de notre degré d’humanité ou d’inhumanité. »

« L’enfant doit pouvoir penser qu’il a le droit d’être chez lui dans le monde. Autrement dit, qu’il a le droit de vivre. S’il en est incapable il tombe forcément dans un fonctionnement autiste. Son esprit ne peut plus fonctionner, son pourquoi est pris au piège et il perd alors son moi. S’il ne peut pas demander pourquoi, il n’a pas d’autres questions à poser, et il n’y a plus de réponses – le moi et le monde n’ont plus de sens. Autrement dit, ils n’ont pas de valeur. Les valeurs ne viennent au monde que lorsqu’on peut demander pourquoi. » (( Extraits de « Notes éparses sur la justice » in La Trame cachée. ))

Madame la ministre garante des valeurs de la République, la République est inégalitaire. En plus d’être économiquement inégalitaire, elle est ethniquement inégalitaire. Et c’est à une partie de la jeunesse, socialement marquée, ethniquement marquée, que vous venez d’interdire de demander pourquoi.

Si un 27 janvier, les soviétiques ouvraient les portes d’Auschwitz, ce n’est pourtant pas cette date qui pourra nous aider à comprendre « comment devenir humain ». La seule date qui pourrait nous servir, c’est celle qui a vu ouvrir la porte à l’existence d’Auschwitz : c’est le jour où il a été possible d’imaginer un lieu qui abolirait les « pourquoi ». Et nous y sommes.

Source : Noëlle Cazenave-Liberman, pour LMSI (Les Mots Sont Importants), 27/01/2015

  1. En commentaire du Crime du XXIe siècle (« La raison d’être du théâtre » in La Trame Cachée, L’Arche Editeur, 2003).

Source: http://www.les-crises.fr/hier-ist-kein-warum-ici-il-ny-a-pas-de-pourquoi-par-noelle-cazenave-liberman/


[Ils ne sont pas Charlie...] Halim Mahmoudi, le pape, Abdallah…

Friday 30 January 2015 at 03:26

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Quelques rencontres intellectuelles improbables…

Je rappelle – que cette série proposée ne signifie nullement que j’approuve toutes ces visions.

Mais comme en démocratie il est important que toutes les vues s’expriment, surtout en ce moments dangereux, je vous propose ce condensé vraiment peu entendu par les médias.

Et comme pour l’Ukraine, je ne vous propose pas le point de vue opposé, car cela demande déjà énormément de temps et d’énergie pour réaliser ceci, et que je n vois pas pourquoi je me fatiguerais encore plus pour faire ce qu’on fait 5 000 journalistes professionnels et qui a été entendu partout…

Promis, dès qu’on aura 10 journalistes salariés, on fera de beaux papiers bien équilibrés :)

Je suis dessinateur de presse, arabe… mais seulement ami avec Charlie !

par Halim Mahmoudi, dessinateur de presse

Merci pour les messages et les demandes de participations dessinées, mais:

J’allais chez Charlie Hebdo depuis le lycée, ca date! Et puis la dernière fois, c’était en Septembre dernier, j’ai partagé une assiette d’huitres avec Tignous, 3 jours de poilade et d’amitié franche… Alors depuis hier, je n’ai rien pu dessiner.

Depuis hier, je reçois des messages d’amitiés, des pensées, et aussi des demandes de dessins, et de participation. Mais je reste comme un con devant ma feuille blanche.
J’ai compris que c’était l’horreur tout ca, moi qui enfant ai “naturellement” vu circuler des armes, appris à mentir pour que 4 types armés de fusils à pompe ne rentre pas à la maison pour se venger, ou pour ne pas balancer des amis ( dont je comprenais la situation) au RG qui essayaient de nous extorquer des renseignements… jusqu’à l’année dernière encore, où cette fatalité, cette “loi du milieu” à tué 2 de mes potes d’enfance. L’un après l’autre, ils sont mort atrocement et ont fait les faits divers. C’est aussi ca mon âme d’enfant d’immigré. Des choses du passé refont surface….

La laïcité de façade qui m’a fait subir des contrôles d’identité humiliants qui m’ont souillé le coeur et où j’ai dû ravalé ma rage, des soirées niquées parce qu’on ne rentrait pas en boite, une petite amie qui m’a dit sur le seuil de sa porte que c’était terminé parce que ces parents ne veulent pas “que je sorte avec un arabe” ou encore des emplois qu’on me refusait parce que les clients ne comprendraient pas. Des centaines de lettres et aucun entretien d’embauche à passer! Peu de ressources financières, et l’ennui chevillé aux pompes bon marché chez Tati. Les vacances au quartier, ou en colo. Des braqueurs au grand cœur, on achetait des trucs tombés du camions à des prix que la chine ne suivrait pas.. On allait pas chipoter sur la légalité.

Des blancs à la télé, des blancs dans les centre ville, dans les bureau. Même les assistantes sociales qui paradaient chez nous étaient blanche. La rédaction de Charlie, invariablement blanche. Hier encore, quand je suis allé au rassemblement pour Charlie Hebdo, la place du Capitole n’était pas “noire de monde”. Elle était blanche! Il y avait quelques personnes comme moi, un peu, dont une femme en Hijab qui portait un panneau ou il n’y avait pas écrit “Je suis Charlie”, rien de pro-liberté d’expression. Non! Il y avait juste écrit: “Touche pas à ma France! “. Ca m’a rappelé ma tante qui m’a dit l’autre jour que “les arabes d’Algérie, ils faut s’en méfier, ils veulent profiter, c’est tout!”. Et alors ca m’a rappelé que la religion me séparait des miens un peu plus chaque jour. Ca m’a rappelé qu’avant ce repli, il suffisait juste d’être arabe pour se sentir proches, peu importe si tu faisais la prière, si tu respectais ou pas scrupuleusement les piliers de l’islam. Même si je ne cautionne pas cet aveuglement, je le comprends à un point, vous n’imaginez même pas… Bref, on ne mangeait pas de porcs, mais on s’arrachait pas les cheveux sur des étiquettes “Hallal”. Et la petite mosquée dans mon quartier d’enfance était encore une salle des fêtes à l’époque. Ils auraient pu en construire une, mais ils ont décidé que la salle des fêtes deviendrait la mosquée. Depuis, on a plus de salle des fêtes hors des pièces sans fenêtre dans une cave où ils ont mis des animateurs de quartier. Et on ne se faisait pas insulter à longueur de journaux, de médias radios, télés, de couverture. Personne pour nous représenter à part des clowns triés sur le volet pour chanter les valeurs républicaines. Ces valeurs qui ont saccagé mon enfance!

On ne représentait pas encore un danger. Mais on était en danger. On l’a toujours été. La pauvreté et la misère, les ghettos sociaux, l’économie parallèle ou la prison, les voies de garages à l’école, l’échec scolaire, le chômage sans perspective d’avenir, et surtout, surtout l’ethnicité: tout ca c’est dangereux. Réellement dangereux.

Et puis, un peu partout, je lis que les bien pensants demandent de ne pas faire d’amalgame…. j’y ai cru, j’ai essayé de les éviter ces amalgames. Toute ma vie, je n’ai fait que ca! Eviter ces putains d’amalgames! Sauf que voilà, ce pays, la France, est bâtie sur l’amalgame: La séparation économique et sociale est ethnicisée. Les visages floutés sur TF1 restent basanés, les dirigeants de ce pays sont tous un peu vieux, pas mal blancs, très masculins. Et ce pays aussi. Quand je suis allé à Clichy-sous-bois l’an dernier, là-bas la population était massivement arabe et noire. A des kilomètres de Paris. Et il y a une sorte de frontière invisible à un moment où tous les passagers du bus deviennent blancs. Et ceux là, ils vont travailler. On passe des sacs de courses aux mallettes de travail.L’amalgame a bâtie la France. Je me suis fait insulté par la police, giflé quelque fois à cause de cet amalgame national. J’ai parfois répondu et j’avais la trouille d’aller trop loin.. de rajouter mon nom sur la liste des centaines de mes frères abattus pas des policiers. Tous ces crimes se sont soldés par des non-lieux, ou de la prison avec sursis. Et en général des promotions pour les assassins.

Alors nous, on est un peu las de ce manège, ca nous fatigue ces valeurs à la gomme, ces vertus inexistantes, cette liberté d’expression à sens unique. On ne dit rien parce qu’être musulman ce n’est pas être Charlie. Enfin plus depuis l’arrivée de Philippe Val en tout cas. Même ce cher Cavanna, ex-pauvre et fils d’immigré italien, le fondateur de Charlie, pleurait d’impuissance parce que Val a pris et changé l’âme de ce qu’était Charlie Hebdo à la base.
Et les médias qui font mine de pleurer, ou de s’insurger devant la barbarie ont armé les criminels qui ont abattu mes amis. Alors si eux sont Charlie, si Val est Charlie, je ne peux pas être Charlie. J’ai trop de respect et d’amour pour hurler avec les loups. Trop de douleur et encore toutes mes facultés mentales en état de marche.

Sinon expliquez moi en quoi mettre une bombe sur la tête d’un prophète est marrant? Ou écrire “traitre” sur le front d’un juif sur une caricature d’avant guerre par exemple? En quoi c’est marrant, expliquez-moi? En quoi Dieudonné ne représente t’il pas le courage du vaillant soldat qui se bat pour exprimer ses idées et convictions? Lui aussi s’est moqué en parlant de Mahomet ou d’Allah, mais il riait de tout, et AVEC tout le monde! Alors elle est où la différence? Je ne comprends pas! En quoi l’acharnement médiatique à vouloir sans cesse dénicher ce qui cloche avec l’islam est-il une liberté d’expression? Bordel, c’est quoi au juste la liberté d’expression?
Ne serait-ce pas la France qui a des gros problèmes d’intégration dans ce siècle? Avec son système vicié, lent, et tout poussiéreux? Ne serait-ce pas pour une fois, l’oppresseur qui aurait tort? Au lieu de nous chanter à longueur de temps qu’on a de la chance dans ce pays parce que dans nos pays d’origine c’est pire. Ou qu’on se plaint, qu’on joue les victimes, comme si tous nous étions paranos!!!?
Que les études du CNRS sur la discrimination à l’embauche au logement sont erronées? Qu’ à Amnesty International ils se plantent, quand ils disent qu’il y a une véritable violence répressive à l’œuvre en France à l’égard des populations issues de l’immigration? Que la Halde ne fait jamais suivre les plaintes pour discrimination?

Mais quel Charlie voudriez vous que moi dessinateur de presse et de culture musulmane, je sois? Le Charlie de la bande à Choron, Coluche et Reiser qui rigolait AVEC nous? Ou celui de Philippe Val et d’un Charb qu’humainement j’aimais beaucoup mais qui grillé un fusible et qui rigolait DE nous? Je le lui ait dit à Charb, on était en désaccord mais ca n’empêchait pas que j’ai proposé une autre grille de lecture après l’affaire des caricatures en 2005. D’autres dessins, avec une autre vision. Et rien n’est passé. Ce n’est pas grave, il ne se voyait pas publier ca dans Charlie, c’est son droit. Mais aucun journal n’a suivit. Si Le Monde. Sauf qu’ils m’avaient demandé d’édulcorer et d’enlever certains passages afin que ca puisse être publiable. Alors j’ai refusé. Parce que je n’ai pas une tête à m’appeler Charlie!

Je me sens mal quand il y a un acte terroriste au nom de l’islam. Je me sens mal quand des dessinateurs prennent une caricature pour un dessin d’humour. Comme s’ils n’avaient jamais eu de cours sur l’image. Et je me sens coupable de faire partie de chacun de ces groupes, de les comprendre, de voir qu’ils se trompent sur l’autre, et sur eux-mêmes, parce qu’incapable de parler. L’empire ottoman, celui des Abbassides, et tout le monde arabe en général était malgré la dictature et les violences inhérentes à l’exercice de pouvoirs impérialistes ( c’est vrai tu as raison kris krumova, merci ) était humain. Je parle des peuples. Les juifs, alors persécutés dans toute l’Europe trouvaient principalement refuge chez nous. Et nombre de nos illustres ancêtres, des savants ou des poètes; pensaient que le domaine de tous les domaines, la quintessence divine n’était pas la science, ni l’art, ni la géométrie, mais bel et bien l’amour et la sexualité. Le moyen par lequel on donne généralement la vie donc! Nous n’incarnions pas la terreur et la mort. Nous célébrions ce que dieu a mit de plus cher à notre disposition: La vie ! Je parle du savoir et des valeurs que ces peuples se transmettaient. Et aujourd’hui, un nombre important des miens, acculés au mur, se sont repliés pour s’opposer, résister pour ne pas être rien pour personne. Ne surtout pas être rien à nos propres yeux. Immigré ici ou là-bas, c’est la même impression d’être partout apatride, mais on ne se l’avoue pas. Et de toute façon à qui, puisque personne n’écoutera …

Les gens qui savent ce que c’est que de vivre nos vies savent que j’ai édulcoré mes BD pour m’adapter, me mettre au niveau intellectuel et psychologique de ce pays. C’est à dire en dessous de toute volonté de dialogue, d’ouverture, d’objectivité et de réciprocité. Je ne peux pas ouvrir mon cœur à un pays qui me sort des mots à la con comme “diversité” ou “vivre ensemble” et qui diffuse à gogo vidéos et bandes sons du drame sans égard ni pour les familles de mes potes qui sont morts, ni pour la majorité des musulmans que le système médiatique fait souffrir à longueur de temps!

Sinon dites moi où sont passées les vidéos de caméras de surveillance du commissariat de Joué-Les-Tours?

Au fait, à propos des intégristes, je me rappelle qu’ils étaient venu au quartier, j’étais enfant. Des mecs sortis d’une camionnette qui ressemblait à celle de “Retour vers le Futur” quand Doc se fait abattre. Bref, je n’ai pas pensé à ca, mais je me souviens que ma mère ( qui nous élevait toute seule ) les avait vu ( et flairé) et qu’elle m’avait foutu la trouille en me disant que j’aurai affaire à elle si jamais je leur adressais la moindre parole. Voilà je viens d’y penser parce qu’aujourd’hui, c’est ton anniversaire youma…

J’ai reçu quelques messages qui disent que rien ne justifie l’acte terroriste… alors je donc REPETER: Je NE cautionne PAS cet acte effroyable, ce meurtre. Cessez de me relier à cela, je vous remercie! D’autant que j’ai perdu personnellement de bons potes dans l’histoire.

Et je vais donc PRECISER: Dans l’état actuelle des choses où les populations immigrés, noirs, arabes, musulmanes etc. subissaient la ghettoïsation économique, sociale que l’on sait depuis un bail, il ne leur reste que 5% de dignité, une religion, cet espace intime qu’est la foi et qui fait tenir debout dans les situations les plus critiques. Et malgré cette maigre “bandelette de Gaza” intime et psychologue que les musulmans tentent de préserver pour ne pas craquer sous le poids de la mise à l’écart et des insultes répétées, il se trouve malgré tout en France, des gens qui se permettent de s’offusquer qu’on tienne à ce petit bout de territoire privé qu’est leur religion. Au risque de choquer, ca ne m’étonne plus qu’il ce soit trouvé des gens avant la seconde guerre mondiale pour faire circuler de sales blagues antimites en France, à une époque où les juifs étaient à peu près dans la même situation que celle des musulmans aujourd’hui. Finalement, il y a une vraie cohérence dans ce pays les gars, ca c’est une constante bien nationale!

Personnellement, je n’ai jamais compris pourquoi à Charlie ils ne s’acharnaient pas avec autant d’assiduité à la criminalité politico-financière de religion monétaire, et qui finira par tous nous enterrer vivant dans nos petites batailles identitaires. Si nous en sommes là, c’est parce que le système tourne à vide. Sauf qu’en 2014 y’en a qui veulent encore vérifier si les musulmans ont vraiment de l’humour. Sans même se douter qu’il y a des cons vraiment vraiment vraiment partout: Même s’il n’y a pas que cela ( heureusement), il y en a chez les musulmans comme il y en a chez Charlie! Sinon ce bon vieux Siné ne se serait jamais fait viré !

Les miens, les issus de l’immigration, les jeunes, les vieux, les clandos, les blédards, ceux qui virent muslim, modérés ou radicaux, les rappeurs, les intégrés, les rageux, les “viva l’algérie”, ceux qui disent “Cheh !” depuis mercredi, ceux pleurent, tous ceux qui se taisent, ceux qui ont peur, ceux qui applaudissent, ceux qui ont la rage, ceux qui ont mal, ceux qui comprennent sans cautionner, ceux qui cautionnent sans comprendre, tous: On critique parce qu’on aime ce putain de territoire Français et ses habitants! Malgré tout le mal qui a été fait, malgré les incompréhensions, la surdité, la peur, l’ignorance que ce pays à envers nous, on l’aime quand-même surtout si ca l’emmerde! Si on l’aimais pas, on serait simplement indifférents. On ne critiquerait rien, on ne provoquerait pas, on ne sifflerait pas la marseillaise, il n’y aurait pas de drapeaux algériens dans les stades, il n’y aurait pas eu le rap, pas de tensions, pas d’émeutes, pas de liens, pas de relation, aucun crime ni passion, pas de blessures, aucune souffrance, pas de tentation Djihadiste, pas d’attentats, pas de drames, ni de moments de joies ( heureusement plus nombreux!). Je sais que Charlie Hebdo s’acharnait sur l’islam avec le même amour. Et la même incompréhension.

Mais tant que les médias n’ouvriront pas leurs ondes et leurs journaux aux uns et autres avec la même attention. Tant que les inégalités sociales et économiques persisteront à s’acharner encore et toujours sur le seul critère racial, alors la vie continuera. On va rire, mais on va pleurer ensemble.

Quoiqu’il arrive ce pays on l’aimera de tout notre cœur, jusqu’à ce que mort s’en suive!

Dernière chose: Ma compagne est française et nous avons ensemble 3 jolies petites princesses aux cheveux frisés et aux yeux bleus pétillants de bonheur! Alors je n’ai aucun intérêt à salir une communauté quelconque. Je n’appartiens à personne! A la maison, ma femme et moi nous représentons l’autorité, le pouvoir. Et nos 3 filles sont le peuple. Si l’une des 3 filles se sent maltraitée, et s’insurge contre nous. Nous ne nous disons pas que c’est de sa faute, que c’est à elle de mieux s’intégrer dans sa famille… vous comprenez? Ma compagne et moi aimons nos enfants, et s’il y a conflit, incompréhension, entre elles et nous, c’est nous que nous allons d’abord remettre en question, dans notre éducation ou autre. Nous lui parlerons, elle s’exprimera, et nous tâcherons de lui montrer qu’on est à ses côtés. C’est donc à l’autorité de se soumettre, car l’autorité est le pouvoir, et à les clés de la résolution des conflits. Le pouvoir d’agir. Ca s’appelle Responsabilité! Et La France doit prendre les siennes, et écouter ses minorités… parce qu’elles font partie de la solution!

Je n’oublie pas qu’il y avait quelques arabes à Charlie, je le savais déjà ca, merci! Mais je tiens à rappeler qu’il y a aussi quelques blancs dans les prisons françaises. Quelques uns, … alors que pourtant nous vivons en France n’est-ce pas? Mais le cœur de mon texte ne dit pas cela. J’ai écris ce texte parce que je ne veux plus perdre des gens que j’aime de cette façon violente et impardonnable. Et que peu importe le conflit, je choisirai toujours d’aider le peuple. Jamais le pouvoir: Lui il peut se débrouiller tout seul. Et s’il a besoin d’aide, il sait où me trouver… Si ce pays ne veut plus jamais subir une telle tragédie, alors il a tout intérêt à se demander pourquoi elle est arrivée. Et de comprendre pourquoi les principaux clients de ses groupes intégristes se recrutent dans les pays les plus pauvres de la planète, et dans les couches sociales les plus abandonnés de son territoire aux allures de pays éclairé! Pas en Arabie Saoudite, ou au Qatar ( eux ils financent) mais au Nigéria, au Maghreb, en Syrie etc…

Un intégriste n’est pas un islamiste, c’est tout au plus un Misériste!

Ce n’est pas l’islam qui l’a façonné. C’est la misère!

Même un enfant comprendrait ça !!!!!

Bon aller, merci pour ces messages de soutien, ces demandes de dessins, des chaines de solidarité sont nécessaire je pense, mais là j’atteins l’overdose. Cette journée de deuil national est un cache misère… Le terme “national” ne me parle absolument pas. Et par certains côtés oui, je suis comme Charlie, mais je ne suis pas Charlie!

J’ai un pied dans le monde arabe, un pied en occident
Un pied dans les quartiers et l’autre en France
Un pied dans le dessin de presse et l’autre dans la vie de tous les jours
Un pied chez Charlie Hebdo, un pied au cul de Charlie Hebdo
Un pied dans les médias alternatifs et l’autre dans les journaux
Un pied dans l’anonymat et l’autre dans la l’auto-censure
Un pied dans la douleur, et l’autre dans la colère.
RIP Charlie…

Source

Le pape

Entre le Sri Lanka et les Philippines, le pape François a répondu dans l’avion aux questions des journalistes dont une portait sur Charlie Hebdo. Voici la réponse intégrale du Pape, dans sa forme orale, telle que l’agence romaine I.Media l’a recueillie.

«Je crois que ces deux droits humains sont fondamentaux : la liberté religieuse et la liberté d’expression. Vous êtes français non? Alors, allons, Paris: parlons clairement!… On ne peut pas cacher une vérité aujourd’hui: chacun a le droit de pratiquer sa religion, sans offenser, librement, et nous voulons tous faire ainsi.

Deuxièmement, on ne peut pas offenser, faire la guerre, tuer au nom de sa religion, c’est-à-dire au nom de Dieu.

Ce qui se passe maintenant nous surprend, mais pensons toujours à notre histoire: combien de guerres de religion avons-nous connues! Pensez seulement à la nuit de la saint Barthélemy! Comment comprendre cela? Nous aussi nous avons été pécheurs sur cela, mais on ne peut pas tuer au nom de Dieu, c’est une aberration. Tuer au nom de Dieu est une aberration. Je crois que c’est le principal, sur la liberté religieuse: on doit le faire avec la liberté, sans offenser, mais sans imposer ni tuer.

La liberté d’expression à présent. Non seulement chacun a la liberté, le droit et aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider le bien commun: l’obligation! Si nous pensons que ce que dit un député ou un sénateur – et pas seulement eux mais tant d’autres – n’est pas la bonne voie, qu’il ne collabore pas au bien commun, nous avons l’obligation de le dire ouvertement.

Il faut avoir cette liberté, mais sans offenser. Car il est vrai qu’il ne faut pas réagir violemment, mais si M. Gasbarri [responsable des voyages du Pape, à côté du Pape pendant l'interview, ndlr.], qui est un grand ami, dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing! C’est normal… On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi!

Le pape Benoît, dans un discours, avait parlé de cette mentalité post-positiviste, de cette métaphysique post-positiviste qui menait à croire que les religions, ou les expressions religieuses, sont une espèce de sous-culture: elles sont tolérées mais elles sont peu de choses, elles ne sont pas dans la culture des Lumières.

C’est un héritage des Lumières: il y a tant de gens qui parlent mal des religions, qui s’en moquent, qui jouent avec la religion des autres. Ceux-là provoquent… et il peut se passer ce qui arriverait à M. Gasbarri s’il disait quelque chose contre ma mère. Il y a une limite! Chaque religion a de la dignité, chaque religion qui respecte la vie humaine et l’homme, et je ne peux pas me moquer d’elle… c’est une limite.

J’ai pris exemple de la limite pour dire qu’en matière de liberté d’expression, il y a des limites, d’où l’exemple choisi de ma mère»

Source

Abdallah

Abdallah essuie de vives critiques ! Abdallah est un rappeur qui a fait « le buzz » pour noël en rappant déguisé en père noël dans un supermarché. Mais il a également fait un « bad buzz » après les attentats perpétrés à Charlie Hebdo en diffusant une caricature de Charlie Hebdo sur laquelle on peut voir un imam avec un Coran dans les mains qui dit « Le Coran c’est de la merde ça n’arrête pas les balles ». Abdallah a accompagné son post sur Facebook avec la photographie en question d’une légende pour le moins hasardeuse : « Charlie Hebdo c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles« .

Abdallah a tenu à s’expliquer pour son post ! – Abdallah s’est justifié dans un très long post Facebook :

APRÈS LA PUBLICATION, L’EXPLICATION :

Alors là … je n’comprends vraiment plus rien. Pourquoi vous vous mettez dans tous vos états ? Pourquoi tant de haine ? Quoi ? C’est ma publication d’hier qui vous fait cet effet-là ? D’accord. Reprenons les choses dans l’ordre.

Hier j’ai publié une des fameuses couvertures de Charlie Hebdo qui ont tant fait polémique, reprenant leur slogan pour y modifier 2 misérables mots. Même formulation. Même humour. C’est ce qu’on appelle de la satire mesdames et messieurs, et c’est exactement ce que Charlie Hebdo pratiquait. Je suis même sûr que les malheureuses victimes se sont bien marrées en lisant ma publication de là où elles sont. Alors pourquoi n’ai-je pas le droit de formuler EXACTEMENT la même blague qu’eux ? Quoi ? Quelqu’un aurait-il le monopole de l’humour ? Ah oui j’avais oublié ! Je vous entends déjà me répondre : « Parce que c’est un drame et qu’on ne rit pas avec la mort ! ». Ah bon … On ne rit pas avec la mort ? Mais sur la caricature en question, Charlie Hebdo parlait du massacre de 1 150 (mille cent cinquante) personnes en Egypte ! Quoi ? Toutes les vies humaines n’ont-elles pas la même valeur ? Alors expliquez-moi pourquoi je ne peux pas faire la même foutue blague putain ? Pourquoi êtes-vous choqués ?
Attendez … Je crois savoir … Peut-être que ça n’a rien de logique, rien de cohérent. C’est purement émotionnel. En fait si je comprends bien, ça ne se passe pas au niveau du cerveau … mais au niveau du cœur. Ma blague vous a blessé. Je vois où vous voulez en venir … C’est d’ailleurs exactement là où je voulais vous emmener …

A vrai dire, je partage votre avis. Ma blague était horrible. Indécente et de mauvais goût. D’ailleurs peut-on réellement dire que c’était une blague ? C’était plutôt un ramassis de vomi et de haine. Et j’en profite pour m’en excuser parce que ça m’a moi-même profondément blessé ce que j’ai publié hier. Mais c’était pour la bonne cause … Parce que vous voyez, selon moi, il y a 3 formes d’humour :
Il y a ceux qui rient de tout. Il y a ceux qui ne rient de rien. Et puis il y a ceux qui rient de tout mais avec RESPECT. Je fais partie de la troisième catégorie de personnes. Vous voyez mes amis, il y a une fine ligne entre la liberté d’expression et la liberté d’injurier ou d’humilier quelqu’un. Une ligne que j’ai clairement dépassé hier soir. Maintenant je dois vous avouer quelque chose …
Vous voyez ce sentiment de coups de poignard dans le cœur que vous avez ressentis hier en lisant ma publication ? Vos confrères musulmans ont ressentis EXACTEMENT la même chose en prenant chaque jour le métro et en voyant placardé partout : « Le Coran c’est de la merde ! ». Ils se sont sentis humiliés. Ils ne vous l’ont peut-être pas dit par pudeur, mais il faut que vous le sachiez : Pour un musulman, SES prophèteS sont plus chers à son cœur que son propre père ou sa propre mère ! On peut ne pas être d’accord avec ça ! On peut en débattre ! On peut en rire ! Mais dans le respect mutuel. Donc laissez-moi vous poser une question : Où est le respect quand on dessine un prophète en levrette sur un lit ? L’auriez-vous accepté pour votre mère ? Enfin je ne sais pas, c’est peut-être drôle … L’humour est relatif. La dignité ne l’est pas.

Croyez-moi, la liberté d’expression ABSOLUE est un leurre. C’est un mensonge qu’on vous a vendu. Regardez, même votre meilleur pote, vous pouvez le traiter d’ « enculé », de « suceur », mais vous ne vous permettrez jamais de lui dire « ta mère est une chienne ». Pourquoi ? Parce qu’il y a des limites. Lesquelles ? Celles de la décence. Et même si vous n’avez aucun lien avec sa mère, ça vous dérangerait de le blesser. C’est instinctif. C’est un réflexe primitif chez l’Homme. C’est ce qu’on appelle la « Honte ». En être dénué équivaudrait à retourner au stade animal. Tout comme ceux qui tuent des innocents. Sachez-le, on peut aller très loin dans l’humour, mais la retenue est quelque chose de naturel. C’est la liberté d’expression absolue qui ne l’est pas.

Pour finir, je vais vous raconter une petite anecdote. Comme vous le savez tous, je ne m’en cache pas, je suis un grand fan de Dieudonné. Quand je suis allé voir son fameux spectacle « Le Mur », à un moment on le voit uriner contre le mur des Lamentations. Vous savez, à ce moment-là, inconsciemment j’ai baissé le regard. Je n’ai pas trouvé ça drôle. J’ai trouvé ça indécent. Je crois que sur ce coup, il avait dépassé la fine ligne dont je vous parlais …
Disons non au terrorisme. Rions ensemble. Rions même les uns sur les autres. Mais respectons-nous les uns les autres. Car c’est dans le respect de nos différences que se trouve la clé du vivre ensemble.

N’hésitez pas à taguer toutes les personnes qui ont mal pris ma publication d’hier et à leur expliquer ma démarche. Merci de partager ce message le plus massivement possible, car je crois qu’une grande partie des voix des musulmans n’a pas été entendue le 7 janvier 2015. Des musulmans qui sont ainsi doublement victimes. De Charlie Hebdo. Et de leurs assassins …

Abdallah

Le duc d’Anjou

Je vais aller à contre-courant de la bienséance émotionnelle en me dissociant du mouvement « Je suis Charlie ». Non, je ne suis pas Charlie parce que je n’ai jamais aimé ce journal manichéen.

Charlie Hebdo est un papier vulgaire, méprisant les opinions qui ne sont pas les siennes qui, sous couvert de la liberté d’expression, se permet toutes les provocations. Charlie Hebdo est un journal agressif qui exploite le filon de la haine des religions en passant soi-disant par l’humour. Charlie Hebdo est à l’image de la société athée européenne de gauche, un pourvoyeur de rancune et un ennemi du respect et de la fraternité entre les peuples et les hommes, quelles que soient leurs différences, leur race, leur couleur, leur religion.

Je refuse donc de prendre part à une « alliance sacrée républicaine » pro-Charlie parce que, tout simplement, je ne comprends pas ce que je dois défendre.

Je ne suis ni irrespectueux ni indécent et ne souhaite pas offenser la mémoire des crayonneurs abattus. Les mots manquent pour dire l’horreur de l’attaque qui a frappé la rédaction du journal. Je condamne cet acte de barbarie et présente aux familles et proches des défunts mes plus sincères condoléances.

Je dénonce juste la stérilité de la tentative d’union nationale et l’hypocrisie des citoyens qui n’ont jamais lu l’hebdomadaire humoristique et qui l’ont toujours critiqué.

Rendre hommage aux victimes, oui.
Rendre hommage à Charlie Hebdo, non.

Source

Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-1/


[Ils ne sont pas Charlie] Alain Gresh, David Brooks, Rony Brauman, Thibaud Collin, BC…

Friday 30 January 2015 at 00:59

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Nous diffusons ici des visions différentes de personnes à contre-courant, sans forcément les approuver toutes – et ce au nom de la liberté d’expression.

“Si l’on ne croit pas à la liberté d’expression pour les gens qu’on méprise, on n’y croit pas du tout.” [Noam Chomsky]

Charlie, je ne veux voir dépasser aucune tête

mardi 20 janvier 2015, par Alain Gresh

En 1914, l’ensemble des parlementaires, toutes tendances confondues, chantaient « La Marseillaise » debout et à l’unisson. L’union nationale avait alors vu les dirigeants socialistes trahir tous leurs engagements en faveur de la paix, voter les crédits de guerre et avaliser une boucherie qui devait durer jusqu’en 1918. La scène s’est reproduite le 13 janvier à l’Assemblée nationale et l’union sacrée est à nouveau à l’ordre du jour. Mais elle signifie cette fois-ci l’exclusion de la communauté nationale de tous les mauvais Français, et d’abord des jeunes issus des quartiers populaires, désignés par les médias et les politiques comme « ces pelés, ces galeux, dont (viendrait) tout le mal » (La Fontaine). Ils sont responsables, et surtout ne nous interrogeons pas sur les politiques économiques et sociales qui ont abouti à toujours plus d’inégalités, à toujours plus d’exclusion des classes populaires ; et ne remettons pas en question nos engagements à l’étranger. « Nous sommes en guerre », a déclaré le premier ministre Manuel Valls [1]. Et, comme en 1914, ceux qui doutent du bien-fondé de ces stratégies sont des traîtres.

Répondant à une question du député Claude Goasguen, la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a déclaré le 14 janvier :

« Je leur ai en effet adressé [aux chefs d’établissement] une lettre leur demandant non seulement de faire respecter la minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échanges et de dialogue. Ils l’ont fait, je les en remercie. Ca ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu, ils sont même nombreux et ils sont graves et aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère. Et aucun d’entre eux ne sera traité à la légère. Vous me demandez combien nous sont remontés ? Je vais vous répondre. S’agissant de la minute de silence elle-même c’est une centaine d’incidents qui nous ont été remontés. Les jours qui ont suivi nous avons demandé la même vigilance, et c’est une nouvelle centaine d’évènements et d’incidents qui nous ont été remontés. Parmi eux une quarantaine ont d’ailleurs été transmis aux services de police, de gendarmerie, de justice, parce que pour certains il s’agissait même d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela. »

Interrogeons-nous sur plusieurs éléments de ce discours :

- la minute de silence était « facultative » dans les maternelles (certaines l’ont quand même observée, avec des enfants de trois à six ans !) mais obligatoire dans tous les autres établissements scolaires. Est-il normal de demander, souvent sans discussion, à des enfants de 12 ans de respecter impérativement une minute de silence ? La ministre n’a comptabilisé que deux cents d’incidents, mais elle oublie de dire que nombre d’établissements n’ont rien demandé à leurs élèves tellement ils avaient peur des réactions ;
- est-il normal de transmettre aux services de police les coordonnées de ceux qui s’y sont refusés ? La délation relève-t-elle des enseignants ? Ces jeunes de 15 ou 16 ans qui posent des questions, parfois provocatrices, sont-ils des criminels ?
- un certain nombre de personnalités et d’intellectuels ont clairement affirmé que, tout en condamnant les attentats, ils ne défileraient pas le 11 janvier, qu’ils n’observeraient pas une minute de silence. D’autres, qui ont défilé, posent de vraies questions. Va-t-on les inculper à leur tour ? Il est pour le moins paradoxal, au moment où l’on se gargarise de la liberté d’expression, de refuser toute voix dissidente — bien que nous sachions depuis longtemps que Patrick Cohen, sur France Inter, et la « matinale » de France Culture refusent d’inviter « les cerveaux malades ». Un sondage du Journal du dimanche du 18 décembre indiquait pourtant que 42 % des Français n’étaient pas favorables à la publication de caricatures du Prophète. Faut-il les rayer de la communauté nationale ?

Rappelons que ce ne sont pas ces intellectuels « blancs » qui risquent le plus, mais tous ces jeunes des quartiers populaires déjà stigmatisés, renvoyés à leur ghetto, et que l’on met en prison. On parle beaucoup, et on a raison de le faire, des juifs qui ont peur. Mais qui a interrogé ces femmes portant foulard qui ne veulent plus sortir de chez elles ?

Mme Vallaud-Belkacem poursuit :

« Oui, l’école est en première ligne. L’école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif, y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la coéducation. L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”. “Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?” Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. Et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire, c’est ce que le premier ministre a fait devant les recteurs hier, c’est la raison pour laquelle je mobilise l’ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas que par des discours mais par des actes forts. »

Une ministre de l’éducation nationale qui parle du rôle de l’école et qui évoque « de trop nombreux questionnements » ? On pensait, naïvement, que l’école devait ouvrir à l’esprit critique, instiller le doute. Voltaire est sans cesse convoqué pour cela. Mais Mme Vallaud-Belkacem a une tout autre vision… Les « mais » sont interdits, elle ne veut voir dépasser aucune tête.

S’il fallait mettre en exergue une réaction qui montre la confusion qui règne parfois dans les esprits, on ne saurait trop conseiller de lire le communique du 12 janvier de la fédération de Paris du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES).

Il minimise d’abord la présence des chefs d’Etat étrangers :

« Peu importe la présence de chefs d’Etat plus ou moins respectueux des libertés dans leurs propres pays. Hier nous avons marché pour le respect de la vie humaine, de la sécurité publique et des libertés fondamentales. Nous étions très nombreux, divers, calmes et déterminés. Nous avons porté une exigence de paix — aucun message de haine, aucune déclaration de guerre — et de Liberté : liberté d’expression et liberté d’être tout simplement ce que l’on a décidé d’être ! »

Côtoyer des représentants de régimes tortionnaires ne pose donc aucun problème ? Là aussi, il n’y a pas de doute possible.

« Nous savons que la minute de silence dans nos établissements a fait l’objet de diverses réceptions de la part de nos élèves qui n’adhèrent pas tous à ce projet égalitaire et républicain. Nous disons que l’Institution ne peut accepter certains propos et un rappel à l’ordre sévère doit être signifié aux quelques élèves, peu nombreux, qui ont tenu des propos inacceptables ou ont eu des postures déplacées. L’Ecole ne peut pas donner de signes de faiblesse et doit rester ferme sur la ligne de la laïcité en signifiant clairement à ces élèves qu’elle ne transigera pas sur la liberté d’expression, y compris celle de blasphémer. »

« Le Rectorat n’a transmis aucune consigne de modération vis-à-vis de ces élèves, nous en avons eu confirmation. Nous devons faire comprendre à nos élèves que la loi de la République est au-dessus des règles communautaires. En refusant ce principe laïque élémentaire, ils s’excluent de la République garante des libertés y compris la liberté de culte. »

Ils s’excluent de la République ? Qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas plutôt la République qui les a exclus depuis longtemps ? Et si cette exclusion n’excuse ni le complotisme ni l’antisémitisme, elle permet de comprendre les raisons de certaines réactions et de définir une ligne d’action pour les combattre.

Interrogé, un responsable du SNES-Paris soulignait que ce texte avait été adopté le 12 janvier, avant que l’on assiste à des condamnations pour « apologie du terrorisme », condamnations qu’il juge très négativement et dont il tient à se démarquer.

Celles-ci se sont multipliées, de l’inculpation de jeunes pour des dessins (oui !) à la condamnation à Grenoble à six mois de prison ferme d’un déficient mental. La ministre de la justice Christine Taubira se discrédite en prônant la fermeté dans ces affaires, elle qui ne poursuit pas Eric Zemmour, par exemple, pour ses propos racistes (lire Pascale Robert-Diard, « Des peines très sévères pour apologie du terrorisme », lemonde.fr, 19 janvier 2015). Deux poids, deux mesures ? Oui, il faut le dire, la République française est tout sauf égalitaire. Faut-il s’étonner que les jeunes des quartiers populaires en aient conscience ? Et, sans les excuser en aucune manière, ne peut-on pas comprendre certaines de leurs réactions ?

Note : Je reviendrai sur le concept d’« apologie du terrorisme », mais il est à noter dès maintenant qu’il peut être utilisé contre ceux qui défendent les Palestiniens et le droit à résister à l’occupation israélienne.

[1] Lire « La voix de la France enfouie sous les bombes », Le Monde diplomatique,octobre 2014

Source : http://blog.mondediplo.net

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Je ne suis pas Charlie Hebdo

Les journalistes de Charlie Hebdo sont maintenant célébrés comme des martyrs de la liberté d’expression, mais regardons les choses en face : depuis 20 ans, s’ils avaient essayé de publier leur journal satirique sur n’importe quel campus américain, cela n’aurait pas duré 30 secondes. Etudiants et groupes universitaires les auraient accusés d’être porteurs d’un discours de haine. L’administration aurait coupé son financement et arrêté la parution.

Les réactions du public aux attentats de Paris ont montré que de nombreuses personnes sont prêtes à porter aux nues ceux qui s’opposent, en France, au terrorisme islamique, mais sont beaucoup moins tolérantes à l’égard de ceux qui offensent leurs propres opinions chez eux.

Regardons simplement ceux qui ont sur-réagi aux agressions sur les campus. L’université de l’Illinois a licencié un professeur qui enseignait la position de l’église catholique sur l’homosexualité. L’université du Kansas a suspendu un professeur qui a écrit un tweet cinglant sur la NRA (National Rifle Association). L’université de Vanderbilt a répudié un groupe de chrétiens qui insistait sur ses obédiences chrétiennes.

Les américains peuvent bien louer le courage de Charlie Hebdo qui publie des caricatures se moquant du Prophète Mahomet, il n’en demeure pas moins que quand Ayaan Hirsi Ali est invitée sur les campus, les appels à lui refuser le podium sont nombreux.

Ce peut être un évènement très instructif. Alors que nous sommes choqués par l’assassinat des écrivains et éditeurs à Paris, c’est le bon moment pour intervenir avec une approche moins hypocrite sur nos propres personnalités controversées, provocatrices et satiriques.

La première chose à dire, je suppose, quoique vous ayez publié hier sur votre page Facebook, est qu’il est hors de propos pour la plupart d’entre nous de dire “Je suis Charlie” ou “Je ne suis pas Charlie”. La plupart d’entre nous ne sommes pas engagés dans cette sorte d’offensive de l’humour délibérée dont les journaux se sont fait les spécialistes. L’humour délibérément offensant dont le journal s’est fait le spécialiste.

Nous aurions pu commencer de cette façon. Quand vous avez 13 ans, il semble audacieux et provocateur d’”épater la bourgeoisie” [NdT : en français dans le texte], de mettre un doigt dans l’œil de l’autorité, de ridiculiser les croyances religieuses des autres.

Mais ensuite cela parait bien puéril. Bon nombre d’entre nous ont évolué vers des conceptions de la réalité plus élaborées et une perception plus tolérante des autres. (Le ridicule devient moins comique lorsque vous vous trouvez à la place du ridiculisé). La plupart d’entre nous essaient de respecter un minimum les gens de croyances et religions différentes. Nous essayons d’initier les conversations en écoutant plutôt qu’en insultant.

Cependant, en même temps, nous savons que ces provocateurs et personnages exotiques ont un rôle public important. Les satiriques et les comiques exposent notre faiblesse et notre vanité lorsque nous sommes fiers. Ils vident un succès de son auto suffisance. Ils nivèlent les inégalités sociales en mettant en avant les bas-fonds. Lorsqu’ils sont efficaces, ils nous aident ordinairement à maitriser nos manies, puisque le rire est l’ultime expression du contact humain.

Par ailleurs, les provocateurs et les comiques exposent la stupidité des fondamentalistes. Ces derniers sont des gens qui prennent tout à la lettre. Ils sont incapables d’avoir des points de vues multiples. Ils sont aussi incapables de voir que même si leur religion méritait une profonde vénération, il est aussi vrai que la plupart des religions sont vraiment bizarres. Les satiristes font la lumière sur ceux qui ne sont pas capables de rire d’eux-mêmes et enseignent au reste d’entre nous que nous devrions probablement nous en moquer.

En résumé, en pensant aux provocateurs et aux personnes injurieuses, nous voulons maintenir des standards de civilité et de respect tandis qu’en même temps  nous offrons de l’espace à ces gens créatifs et audacieux qui ne sont pas inhibés par le bon goût et les bonnes manières.

Si vous essayez de jouer sur cet équilibre fragile avec la loi, les codes du discours et les orateurs exclus, vous finirez avec une censure grossière et une conversation étranglée. Il est presque toujours mauvais de tenter de supprimer la parole, d’ériger des codes du discours et de bannir des orateurs.

Heureusement les comportements sociaux sont plus malléables et plus souples que les codes et les lois. De nombreuses sociétés ont conservé leurs codes de respect et de civilité tout en ouvrant de larges boulevards à ceux qui sont drôles, inciviques et offensifs.

Dans la plupart des sociétés, il y a les règles pour adultes et les règles pour enfants. Ceux qui lisent Le Monde et les porte-paroles officiels sont régis par les règles pour adulte. Les bouffons, les gentils saints et les personnes telles qu’Ann Coulter et Bill Maher suivent les règles pour enfant. Ils ne bénéficient pas d’une totale respectabilité, mais ils sont écoutés car, dans leur manière de tirer sur tout ce qui bouge, ils disent parfois des choses nécessaires que personne d’autre ne dirait.

En d’autres termes, les sociétés saines ne suppriment pas la liberté d’expression, mais elles octroient des statuts différents à différentes catégories de gens. Les spécialistes sages et bienveillants sont entendus avec un grand respect. Les satiristes le sont avec un demi-respect déconcerté. Les racistes et les antisémites le sont à travers un filtre d’opprobre et de mépris. Les gens qui veulent être entendus avec attention doivent l’obtenir par leur conduite.

Le massacre de Charlie Hebdo devrait être une occasion pour en finir avec les codes du discours. Enfin, il devrait nous rappeler d’être légalement tolérants envers les voix offensantes, même si nous sommes socialement discriminants.

Source : David Brooks (journaliste), The New York Times, le 08/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Non à l’Union sacrée

La sidération, la tristesse, la colère face à l’attentat odieux contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier, puis la tuerie ouvertement antisémite, vendredi 9 janvier, nous les ressentons encore. Voir des artistes abattus en raison de leur liberté d’expression, au nom d’une idéologie réactionnaire, nous a révulsés. Mais la nausée nous vient devant l’injonction à l’unanimisme et la récupération de ces horribles assassinats.

Nous partageons les sentiments de celles et ceux qui sont descendus dans la rue. Mais ces manifestations ont été confisquées par des pompiers pyromanes qui n’ont aucune vergogne à s’y refaire une santé sur le cadavre des victimes. Manuel Valls, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Jean-François Copé, Angela Merkel, David Cameron, Jean-Claude Juncker, Viktor Orban, Benyamin Nétanyahou, Avigdor Lieberman, Naftali Bennett, Petro Porochenko, les représentants de Recep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine, Omar Bongo… : quel défilé d’abjecte hypocrisie.

Cette mascarade indécente masque mal les 5 000 bombes que l’OTAN a larguées sur l’Irak depuis cinq jours sur décision de ce carré de tête ; les milliers de morts à Gaza, où Avigdor Lieberman, le ministre israélien des affaires étrangères, imaginait employer la bombe atomique quand Naftali Bennett (économie et diaspora) se rengorgeait d’avoir tué beaucoup d’Arabes ; le million de victimes que le blocus en Irak a provoquées. Ceux qu’on a vus manifester en tête de cortège à Paris ordonnent ailleurs de tels carnages.

« Tout le monde doit venir à la manifestation », a déclaré M. Valls en poussant des hauts cris sur la « liberté » et la « tolérance ». Le même qui a interdit les manifestations contre les massacres en Palestine, fait gazer des cheminots en grève et matraquer des lycéens solidaires de leurs camarades sans-papiers expulsés nous donne des leçons de liberté d’expression. Celui qui déplorait à Evry, lorsqu’il était maire PS, de ne voir pas assez de « Blancos » nous jure son amour de la tolérance. Le même qui fanfaronne de battre des records dans l’expulsion des Roms se gargarise de « civilisation ».

En France, la liberté d’expression serait sacrée, on y aurait le droit de blasphémer : blasphème à géométrie variable, puisque l’« offense au drapeau et à l’hymne national » est punie de lourdes amendes et de peines de prison. Que le PS et l’UMP nous expliquent la compatibilité entre leur condamnation officielle du fondamentalisme et la vente d’armes à l’Arabie saoudite, où les femmes n’ont aucun droit, où l’apostasie est punie de mort et où les immigrés subissent un sort proche de l’esclavage.

Nous ne participerons pas à l’union sacrée. On a déjà vu à quelle boucherie elle peut mener. En attendant, le chantage à l’unité nationale sert à désamorcer les colères sociales et la révolte contre les politiques conduites depuis des années.

Manuel Valls nous a asséné que « Nous sommes tous Charlie » et « Nous sommes tous des policiers ». D’abord, non, nous ne sommes pas Charlie. Car si nous sommes bouleversés par la mort de ses dessinateurs et journalistes, nous ne pouvons reprendre à notre compte l’obsession qui s’était enracinée dans le journal contre les musulmans, toujours assimilés à des terroristes, des « cons » ou des assistés. On n’y voyait plus l’anticonformisme, sinon celui, conforme à la norme, qui stigmatise les plus stigmatisés.

Nous ne sommes pas des policiers. La mort de trois d’entre eux est un événement tragique. Mais elle ne nous fera pas entonner l’hymne à l’institution policière. Les contrôles au faciès, les rafles de sans-papiers, les humiliations quotidiennes, les tabassages parfois mortels dans les commissariats, les Flash-Ball qui mutilent, les grenades offensives qui assassinent, nous l’interdisent à jamais.

Et, s’il faut mettre une bougie à sa fenêtre pour pleurer les victimes, nous en ferons briller aussi pour Eric, Loïc, Abou Bakari, Zied, Bouna, Wissam, Rémi, victimes d’une violence perpétrée en toute impunité. Dans un système où les inégalités se creusent de manière vertigineuse, où des richesses éhontées côtoient la plus écrasante misère, sans que nous soyons encore capables massivement de nous en indigner, nous en allumerons aussi pour les six SDF morts en France la semaine de Noël 2014.

Nous sommes solidaires de celles et ceux qui se sentent en danger, depuis que se multiplient les appels à la haine, les « Mort aux Arabes », les incendies de mosquées. Nous nous indignons des incantations faites aux musulmans de se démarquer ; demande-t-on aux chrétiens de se désolidariser des crimes, en 2011, d’Anders Behring Breivik perpétrés au nom de l’Occident chrétien et blanc ? Nous sommes aussi aux côtés de celles et ceux qui subissent le regain d’antisémitisme, dramatiquement exprimé par l’attaque de vendredi 9.

Notre émotion face à l’horreur ne nous fera pas oublier combien les indignations sont sélectives. Non, aucune union sacrée. Faisons en sorte, ensemble, que l’immense mobilisation se poursuive en toute indépendance de ces gouvernements entretenant des choix géopolitiques criminels en Afrique et au Moyen-Orient et ici chômage, précarité, désespoir. Que cet élan collectif débouche sur une volonté subversive, contestataire, révoltée, inentamée, d’imaginer une autre société, comme Charlie l’a longtemps souhaité.

Cette tribune est l’oeuvre d’un collectif: Ludivine Bantigny, historienne; Emmanuel Burdeau, critique de cinéma; François Cusset, historien des idées; Cédric Durand, économiste; Eric Hazan, éditeur; Razmig Keucheyan, sociologue; Thierry Labica, historien; Marwan Mohammed, sociologue; Olivier Neveux, historien de l’art; Willy Pelletier, sociologue; Eugenio Renzi, critique de cinéma; Guillaume Sibertin-Blanc, philosophe; Julien Théry, historien; Rémy Toulouse, éditeur; Enzo Traverso, historien.

Source : Le Monde

Satirique ou Sadique ?

Norman Finkelstein, Professeur de science politique de renommée mondiale déclare qu’il n’éprouve « aucune sympathie » pour le personnel de Charlie Hebdo

Dans l’Allemagne nazie, il y avait un journal hebdomadaire antisémite appelé Der Stürmer.
Dirigé par Julius Streicher, il était réputé comme l’un des défenseurs les plus virulents de la persécution des Juifs pendant les années 1930. Tout le monde se souvient des caricatures morbides de Der Stürmer sur les Juifs, le peuple qui était alors confronté à une discrimination et à une persécution généralisées. Ses représentations validaient tous les stéréotypes communs sur les Juifs – nez crochu, avarice, avidité.
« Imaginons qu’au milieu de toute cette mort et de toute cette destruction, deux jeunes juifs aient fait irruption dans le siège de la rédaction de Der Stürmer, et qu’ils aient tué tout le personnel qui les avait humiliés, dégradés, avilis, insultés », se demande Norman Finkelstein, un professeur de sciences politiques et auteur de nombreux ouvrages dont « L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs » et « Méthode et démence » [consacré aux agressions israéliennes contre Gaza].
« Comment réagirais-je à cela ? » se demanda Finkelstein, qui est le fils de survivants de l’Holocauste.
Finkelstein dressait ainsi une analogie entre une attaque hypothétique contre le journal allemand et l’attaque mortelle du 7 janvier au siège parisien du magazine satirique Charlie Hebdo qui a causé la mort de 12 personnes, dont son éditeur et ses principaux dessinateurs. L’hebdomadaire est réputé pour sa publication de contenus controversés, y compris des caricatures dégradantes sur le Prophète Muhammad [Mahomet] en 2006 et en 2012.
L’attaque a déclenché un énorme tollé mondial, avec des millions de personnes en France et dans le monde qui ont défilé dans les rues pour soutenir la liberté de la presse derrière le cri de ralliement « Je suis Charlie » ou « I am Charlie ».
Ce que les caricatures du Prophète Muhammad [Mahomet] par Charlie Hebdo ont réalisé « n’est pas de la satire », et ce qu’ils ont soulevé n’était pas des « idées », a soutenu Finkelstein.
La satire authentique est exercée soit contre nous-mêmes, afin d’amener notre communauté à réfléchir à deux fois à ses actes et à ses paroles, soit contre des personnes qui ont du pouvoir et des privilèges, a-t-il affirmé.
« Mais lorsque des gens sont misérables et abattus, désespérés, sans ressources, et que vous vous moquez d’eux, lorsque vous vous moquez d’une personne sans-abri, ce n’est pas de la satire », a affirmé Finkelstein.
« Ce n’est rien d’autre que du sadisme. Il y a une très grande différence entre la satire et le sadisme. Charlie Hebdo, c’est du sadisme. Ce n’est pas de la satire. »
La « communauté désespérée et méprisée » d’aujourd’hui, ce sont les musulmans, a-t-il déclaré, évoquant le grand nombre de pays musulmans en proie à la mort et à la destruction, comme c’est le cas en Syrie, en Irak, à Gaza, au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen.
« Donc deux jeunes hommes désespérés expriment leur désespoir contre cette pornographie politique qui n’est guère différente de celle de Der Stürmer, qui, au milieu de toute cette mort et de toute cette destruction, a décrété qu’il était en quelque sorte noble de dégrader, d’avilir, d’humilier et d’insulter les membres de cette communauté. Je suis désolé, c’est peut-être très politiquement incorrect de dire cela, mais je n’ai aucune sympathie pour [le personnel de Charlie Hebdo]. Est-ce qu’il fallait les tuer ? Bien sûr que non. Mais bien sûr, Streicher n’aurait pas dû être pendu. Je ne l’ai pas entendu dire par beaucoup de personnes », a déclaré Finkelstein.
Streicher fut l’un de ceux qui furent accusés et jugés au procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale. Il a été pendu pour ses caricatures.
Finkelstein a également fait référence au fait que certaines personnes soutiendront qu’elles ont le droit de se moquer de tout le monde, même des gens désespérés et démunis, et elles ont probablement ce droit, a-t-il concédé. « Mais vous avez aussi le droit de dire : ‘Je ne veux pas publier ça dans mon journal…’ Lorsque vous le publiez, vous en prenez la responsabilité. »
Finkelstein a comparé les caricatures controversées de Charlie Hebdo à la doctrine des « propos incendiaires », une catégorie de propos passibles de poursuites dans la jurisprudence américaine.
Cette doctrine se réfère à certains propos qui entraîneraient probablement la personne contre qui ils sont dirigés à commettre un acte de violence. C’est une catégorie de propos qui n’est pas protégée par le Premier Amendement.
« Vous n’avez pas le droit de prononcer des propos incendiaires, parce qu’ils sont l’équivalent d’une gifle sur le visage, et ça revient à chercher des ennuis », a déclaré Finkelstein.
« Eh bien, est-ce que les caricatures de Charlie Hebdo sont l’équivalent des propos incendiaires ? Ils appellent cela de la satire. Ce n’est pas de la satire. Ce ne sont que des épithètes, il n’y a rien de drôle là-dedans. Si vous trouvez ça drôle, alors représenter des Juifs avec des grosses lèvres et un nez crochu est également drôle. »
Finkelstein a souligné les contradictions dans la perception occidentale de la liberté de la presse en donnant l’exemple du magazine pornographique Hustler, dont l’éditeur, Larry Flynt, a été abattu et laissé paralysé en 1978 par un tueur en série suprématiste blanc, car il avait publié des illustrations de sexe interracial.
« Je n’ai pas le souvenir que tout le monde l’ait glorifié par le slogan « Nous sommes Larry Flynt » ou « Nous sommes Hustler », a-t-il souligné. Est-ce qu’il méritait d’être attaqué ? Bien sûr que non. Mais personne n’a soudainement transformé cet événement en un quelconque principe politique. »
L’adhésion occidentale aux caricatures de Charlie Hebdo est due au fait que les dessins visaient et ridiculisaient les musulmans, a-t-il affirmé.

Le fait que les Français décrivent les musulmans comme des barbares est hypocrite au regard des meurtres de milliers de personnes durant l’occupation coloniale française de l’Algérie, et de la réaction de l’opinion publique française à la guerre d’Algérie de 1954 à 1962, selon Finkelstein.La première manifestation de masse à Paris contre la guerre « n’a eu lieu qu’en 1960, deux ans avant la fin de la guerre », a-t-il rappelé. « Tout le monde soutenait la guerre française annihilatrice en Algérie. »

Il rappela que l’appartement du philosophe français Jean Paul Sartre a été bombardé à deux reprises, en 1961 et en 1962, ainsi que les bureaux de son magazine, Les Temps Modernes, après qu’il se soit déclaré absolument opposé à la guerre.
Finkelstein, qui a été décrit comme un « Radical Américain », a déclaré que les prétentions occidentales sur le code vestimentaire musulman révèlent une contradiction remarquable lorsqu’on les compare à l’attitude de l’Occident envers les indigènes sur les terres qu’ils occupaient durant la période coloniale.
« Lorsque les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, ce qu’ils ont déclaré à propos des Amérindiens, c’est qu’ils étaient vraiment barbares, parce qu’ils marchaient tout nus. Les femmes européennes portaient alors trois couches de vêtements. Puis ils sont venus en Amérique du Nord, et ont décrété que les Amérindiens étaient arriérés parce qu’ils marchaient tous nus. Et maintenant, nous marchons tout nus, et nous proclamons que les musulmans sont arriérés parce qu’ils portent tant de vêtements », a-t-il affirmé.
« Pouvez-vous imaginer quelque chose de plus barbare que cela ? Exclure les femmes qui portent le voile ? », a-t-il demandé, faisant référence à l’interdiction du voile dans les emplois de service public français promulguée en 2004.
Les travaux de Finkelstein, accusant les Juifs d’exploiter la mémoire de l’Holocauste à des fins politiques et dénonçant Israël pour son oppression des Palestiniens, ont fait de lui une figure controversée même au sein de la communauté juive.
Sa nomination en tant que Professeur à l’Université De Paul en 2007 a été annulée après une querelle très médiatisée avec son collègue académique Alan Dershowitz, un ardent défenseur d’Israël. Dershowitz aurait fait pression sur l’administration de De Paul, une université catholique de Chicago, afin d’empêcher sa nomination. Finkelstein, qui enseigne actuellement à l’Université de Sakarya en Turquie, affirme que cette décision fut fondée sur des « motifs politiques transparents. »
Article original : http://normanfinkelstein.com/2015/01/19/norman-finkelstein-charlie-hebdo-is-sadism-not-satire/

Traduction : http://www.sayed7asan.blogspot.fr

L’hebdo satirique n’est pas la France

“Je suis Charlie”, une phrase reprise par beaucoup comme un hommage aux victimes de l’attaque au siège du journal satirique, mercredi.

« Je suis Charlie ». Le succès du slogan signifie donc que de nombreux citoyens français se reconnaissent dans l’esprit de dérision de l’hebdomadaire : double faute éthique et politique. L’argument pour justifier une telle identification est que les assassins, en « tuant Charlie », ont attaqué la liberté d’expression, valeur fondamentale de notre République.

Ce journal n’a eu de cesse de manier le crayon pour insulter les croyances religieuses et se moquer de toute autorité et institution. Mais la liberté ne s’inscrit-elle pas dans un ensemble plus large : la responsabilité, le respect d’autrui et d’abord le fonctionnement de la raison ?

La liberté en question est celle d’exprimer ce que la raison énonce. Or celle-ci est un outil de connaissance, de jugement, d’argumentation, et c’est à ce titre qu’elle peut déployer sa puissance critique de réfutation.

Identifier la liberté d’expression au seul droit absolu de choquer autrui dans ce qui lui apparaît comme le plus sacré est un contresens sur ce qu’est la raison. On a bien sûr le droit de trouver dangereuses ou obsolètes des croyances et des pratiques religieuses mais n’est-il pas plus pertinent, et même plus efficace, de discuter plutôt que d’insulter ? Bref, il y a une éthique de la raison.

La faute est aussi de nature politique. Il est évident qu’une grande majorité de musulmans a été scandalisée par la publication de dessins lui apparaissant comme blasphématoires.

Certains règlent la question en se limitant à une approche strictement juridique : « le délit de blasphème n’existe plus depuis très longtemps en droit français » pour en conclure à un soi-disant « droit au blasphème » ; comme si offenser autrui était un droit de l’homme. Faire croire aux musulmans français que « Charlie, c’est la France », c’est confirmer dans l’esprit de beaucoup que, décidément, ils sont étrangers à ce corps politique.

Comment peut-on se sentir membre de la communauté nationale si celle-ci se choisit pour symbole ce qui heurte ses croyances les plus sacrées ? Une telle opération est le meilleur moyen de créer un fossé infranchissable dans les esprits et dans les cœurs.

Exiger qu’un musulman devienne un bon citoyen en adhérant aux valeurs de la République dont l’incarnation serait « Charlie », c’est pratiquement l’exclure de la nation et donc le jeter dans les bras des islamistes qui n’attendent que cela.

Ne tombons donc pas dans le piège qu’ils nous tendent : couper les musulmans de France de la communauté nationale.
Lire les autres tribunes : Ceux qui ne sont pas Charlie

Thibaud Collin (professeur de philosophie au Collège Stanislas, un établissement privé catholique à Paris)

Source : Le Monde

Ce qu’il y a de non Charlie en moi

Par Rony Brauman (Ancien président de Médecins sans frontières et professeur de relations internationales à Sciences Po Paris)

Je suis Charlie, je ne suis pas Charlie. Le Charlie en moi est accablé par l’assassinat de figures familières, chantres de la grivoiserie et de la dérision, il est bouleversé par la mort de ces bouffeurs de religion dont l’outrance et le mauvais goût rigolards étaient la marque de fabrique.

J’ai grandi avec eux depuis l’époque d’Hara Kiri et l’horreur de leur disparition me laisse un goût de cendres. Une horreur qu’amplifient encore la froide exécution des otages de l’épicerie casher et celle des policiers. Mais nous sommes ainsi faits que des sentiments distincts et même contradictoires coexistent en nous, se partageant notre esprit, et c’est de ceux-là que je veux parler ici.

Si l’exaspération que je ressens au vu de certaines des réactions n’éteint pas mon émotion, elle m’a retenu de rejoindre les défilés républicains de ces derniers jours, bien que je me reconnaisse sans la moindre hésitation dans nombre de marcheurs qui manifestent leur solidarité avec les victimes.

Le non-Charlie en moi se souvient que le dessinateur Siné en fut expulsé sans ménagement, sur une accusation infamante car injuste d’antisémitisme. C’est à ce moment, d’ailleurs, que j’ai cessé d’en être lecteur. Rappeler cet épisode en un moment si tragique n’est en rien fournir une excuse oblique aux tueurs mais inviter à quelques réflexions sur les « valeurs » que les terroristes veulent détruire.

Je rejoins volontiers tous ceux qui considèrent le droit à l’outrance et au mauvais goût comme des marqueurs de liberté ; mais sous la condition expresse qu’ils soient appliqués à tous, faute de quoi se profilent des hiérarchies dans la satire qui en pervertissent le sens. En attaquant Charlie pour « venger le Prophète », ces impitoyables « justiciers » ne s’en prenaient pas à la liberté, que bien d’autres cibles pouvaient incarner, mais au droit au blasphème, ce qui n’est pas la même chose. Pas la même chose, vraiment ? Si, certainement, dans l’imaginaire républicain moderne à la française, comme l’attestent de nombreuses réactions qualifiant de « lâches » ou « hypocrites » les journaux anglo-saxons qui ont flouté les couvertures de Charlie brandies par des manifestants français.

Ceux qui tiennent ces propos font de l’insistance à republier les caricatures de Mahomet un acte de résistance, un geste de liberté. L’abolition du délit de blasphème, disent-ils en substance et avec raison, implique le droit à être de mauvaise foi, blessant. C’est également mon avis et c’est notamment pourquoi je suis opposé à toutes les lois mémorielles, lesquelles ne peuvent instituer qu’une hiérarchie de la souffrance, irrecevable par ceux qui s’en trouvent abaissés.

Comme d’autres, je me sens blessé par les faussaires de l’Histoire, mais je ne peux tenir ce sentiment pour le fondement d’un délit, qu’il s’agisse du génocide des juifs ou d’autres tragédies du passé. Or la loi Gayssot, en pénalisant la mise en doute et même l’irrévérence à l’égard de la Shoah, réintroduisait de fait un délit de blessure symbolique et de blasphème. Sûrs de leur bon droit à punir une catégorie de profanateurs et une seule, les voltairiens évoqués plus haut n’en semblent guère indisposés.

Ce qui apparaît comme un impératif moral ici est, bien entendu, perçu ailleurs comme une restriction de liberté, tant il est vrai que les contours de l’intolérable, loin d’être un absolu, varient selon les lieux et les moments et qu’il ne suffit pas de les proclamer universels pour qu’ils le deviennent. C’est aussi sous cette lumière-là que l’on peut examiner, avant de le condamner pour collaboration avec l’ennemi, le refus de publier à nouveau les fameuses caricatures initialement parues dans un journal d’extrême droite danois ou d’autres du même tonneau.
Rhétorique d’intimidation morale

Constatons en tout cas, pour ce qui concerne notre pays, que la rhétorique d’intimidation morale dont l’ « affaire Siné » fut une illustration parmi bien d’autres contraste singulièrement avec le droit largement utilisé de mettre à mal d’autres sacrés, comme en témoigne notamment l’omniprésence médiatique d’Eric Zemmour et de Michel Houellebecq. Si d’authentiques défenseurs de la liberté se regroupent sous le drapeau « Je suis Charlie », sous ce même drapeau « Je suis Charlie » (mais non du fait des journalistes de Charlie, je le précise) surgit la figure basanée d’un ennemi intérieur, résonnent des discours martiaux sur la « guerre au terrorisme » et la nécessité d’un Patriot Act.
Lire aussi : L’hebdo satirique n’est pas la France

Ce n’est pas manquer de respect aux victimes et à leurs proches, ni contester l’existence d’une menace terroriste que de s’en inquiéter. Et pas uniquement pour des raisons morales mais aussi et surtout parce qu’ils obscurcissent la réalité plutôt qu’ils ne l’éclairent, comme on l’a vu aux Etats-Unis et au Moyen-Orient sous la calamiteuse présidence George W. Bush.
Olivier Roy a indiqué dans ces colonnes (Le Monde daté du 10 janvier) pourquoi les appels lancés à la « communauté musulmane » à condamner le terrorisme islamiste étaient déplacés, contradictoires dans les termes et contre-productifs dans leurs effets.

Demandons-nous avec lui s’il faut inclure dans ces appels Lassana Bathily, l’homme qui a mis à l’abri les otages de l’épicerie casher de Vincennes et remis les clés du rideau de fer à la police, ou encore Ahmed Merabet, le policier abattu devant le siège de Charlie. Leur patronyme signale leur origine religieuse. Ils ne sont ni moins ni plus musulmans que les frères Kouachi, ils se sont comportés héroïquement. Saluer leur courage est aussi une façon de rendre hommage aux victimes de la terreur islamiste.

Source : Le Monde

“JE NE SUIS PAS CHARLIE. ET CROYEZ-MOI, JE SUIS AUSSI TRISTE QUE VOUS.”

Par BC, @sinaute

“Je ne suis pas descendu parmi la foule.” Un @sinaute exprime, dans le forum de discussion de la dernière chronique de Daniel Schneidermann, son malaise vis-à-vis de “l’union nationale” suite aux attaques meurtrières qui ont visé Charlie Hebdo. En cause, la “dérive islamophobe” du journal et de cette gauche “Onfray/Charlie/Fourest laïcarde”.

Gros malaise. Je ne suis pas descendu parmi la foule. Je ne suis pas Charlie. Et croyez-moi, je suis aussi triste que vous.

Mais cet unanimisme émotionnel, quasiment institutionnel pour ceux qui écoutent les radio de service public et lisent les grands media, j’ai l’impression qu’on a déjà essayé de me foutre dedans à deux reprises. La société française est complètement anomique, mais on continue à se raconter des histoires.

Première histoire: victoire des Bleus en 1998. Unanimisme: Thuram Président, Black Blanc Beur etc. J’étais alors dans la foule. Quelques années plus tard: Knysna, Finkelkraut et son Black Black Black, déferlement de haine contre ces racailles millionnaires, mépris de classe systématique envers des sportifs analphabètes tout droit issus du sous-prolétariat post-colonial. Super l’”unité nationale”.

Deuxième histoire: entre deux-tour en 2002. Unanimisme: le FHaine ne passera pas, “pinces à linges”, “sursaut républicain”, foule “bigarrée” et drapeaux marocains le soir du second tour devant Chirac “supermenteur”, “sauveur” inopiné de la République, et Bernadette qui tire la tronche, grand soulagement national. J’étais dans la foule des manifs d’entre deux tours.
Quelques années plus trard: le FN en pleine forme, invention du “racisme anti-blanc”, création d’une coalition Gauche/Onfray/Charlie/Fourest laïcarde et une Droite forte/UMP/Cassoulet en pleine crise d’”identité nationale” contre l’Islam radical en France, “racaille” et “Kärcher”, syndrome du foulard, des prières de rue, des mosquées, émeutes dans les banlieues, tirs sur les policiers, couvre-feu, récupération de la laïcité par l’extrême droite, Zemmour, Dieudo, Soral… Super l’”unité nationale”.

Troisième histoire: sursaut national après le massacre inqualifiable à Charlie en janvier 2015. Unanimisme: deuil national, “nous sommes tous Charlie”, mobilisations massives pour la défense de la liberté d’expression dans tout le pays. Charlie ? Plus personne ne le lisait. Pour les gens de gauche qui réfléchissent un peu, la dérive islamophobe sous couvert de laïcité et de “droit de rire de tout” était trop évidente. Pour les gens de droite: on déteste cette culture post-68, mais c’est toujours sympa de se foutre de la gueule des moyen-âgeux du Levant. Pour l’extrême droite: pas lu, auteurs et dessinateurs détestés culturellement et politiquement, mais très utile, les dessins sont repris dans “Riposte laïque” [site islamophobe d'extrême droite]. Pour beaucoup de musulmans: un affront hebdomadaire, mais on ferme sa gueule, c’est la “culture française”.

“DIEUDO/SORAL ET LES COMPLOTISTES SONT PASSÉS PAR LÀ”

Résultat: des centaines de milliers de musulmans sommés de montrer patte blanche, quelques années à peine après la purge officielle sur l’identité nationale. Des années durant avec toujours le même message insistant: mais putain, quand est-ce que vous allez vous intégrer? Et vous, les musulmans “modérés”, pourquoi on vous entend pas plus? A partir d’aujourd’hui, “vous êtes pour nous ou contre nous”. Cabu ne disait pas autre chose: “la caricature, ils doivent bien l’accepter, c’est la culture Française”. Super l’”unité nationale”.

Réactions à chaud de jeunes de quartiers entendues dans le micro: “c’est pas possible, c’est trop gros, c’est un coup monté”. Dieudo/Soral et les complotistes sont passés par là: manifestement certains ne croient pas plus au 07/01/15 qu’au 11/09/01. La réalité est qu’on les a déjà perdus depuis longtemps, et c’est pas avec des veillées publiques à la bougie qu’on va les récupérer ni avec des incantations à la “résistance” – mais à quoi vous “résistez” au fond ? Vous allez vous abonner à Charlie? Et ça va changer quoi?

“LA MAJORITÉ VA SE SENTIR MIEUX, ET C’EST PRÉCIEUX. MAIS LA FRACTURE EST TOTALE.”

La réassurance collective est un mouvement sain et compréhensible face à un massacre aussi traumatisant, mais elle a pour versant complémentaire le déni collectif, et pour résultat l’oubli des causes réelles et profondes de l’anomie. La majorité va se sentir mieux, se faire du bien, comme elle s’était fait du bien en 1998 et 2002, et c’est précieux. Mais la fracture est totale. Et la confusion idéologique à son comble.

Personne ne se demande comment on en est arrivé là, comment des jeunes parigots en sont venus à massacrer des journalistes et des artistes à la Kalash après un séjour en Syrie, sans avoir aucune idée de la vie et des idées des gens qu’ils ont tué: ils étaient juste sur la liste des cibles d’AlQaeda dans la Péninsule Arabique. Personne ne veut voir que cette société française, derrière l’unanimisme de façade devant l’horreur, est en réalité plus que jamais complètement anomique, qu’elle jette désespérément les plus démunis les uns contre les autres, et qu’elle a généré en un peu plus d’une décennie ses propres ennemis intérieurs.

“LA PLUS GROSSE FABRIQUE À SOLDATS D’AL QAEDA SUR NOTRE TERRITOIRE, C’EST LA PRISON”

Personne ne veut voir que la plus grosse fabrique à soldats d’Al Qaeda sur notre territoire, c’est la PRISON. Personne n’a compris que la France n’a pas basculé en 2015, mais il y a dix ans déjà, lors des émeutes. Personne ne veut voir que nous vivons encore les conséquences lointaines de l’immense humiliation coloniale et post-coloniale, et que vos leçons de “civilisation” et de “liberté d’expression” sont de ce fait inaudibles pour certains de ceux qui l’ont subie et la subissent ENCORE.

Et on continue à se raconter des histoires, après la fiction des Bleus de 1998, après le mythe du “Front républicain” de 2002, en agitant cette fois-ci comme un hochet la liberté d’expression, dernier rempart d’une collectivité qui n’est plus capable de se donner comme raison d’être que le droit fondamental de se foutre de la gueule des “autres”, comme un deus ex machina qui allait miraculeusement réifier cette “unité nationale” réduite en lambeaux.

Vous n’arriverez pas à reconstruire la “communauté nationale” sur ce seul principe, fût-il essentiel. Je vous le dis, vous n’y arriverez pas. Car ce n’est pas CA notre problème. Notre problème, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait plus personne en France qui n’ait tellement plus rien à espérer et à attendre de son propre pays natal au point d’en être réduit à n’avoir pour seule raison de vivre que de tuer des gens en masse, chez nous ou ailleurs.

Car on ne peut rien contre ceux qui leur fournissent la liste des cibles une fois qu’ils sont conditionnés. Il faut donc TOUT mettre en oeuvre pour agir avant qu’ils en soient là: ce n’est pas facile mais c’est la seule chose qui compte si on ne veut pas progressivement tomber dans le gouffre de la guerre civile, qui est la conséquence ultime de l’anomie.

Après, c’est trop tard. Et c’est déjà trop tard….

Source

Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-2/


[Ils ne sont pas Charlie...] Schlomo Sand, Jean Ortiz, UJFP…

Friday 30 January 2015 at 00:25

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Je ne suis pas Charlie par Shlomo Sand

mardi 13 janvier 2015

Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?

Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !

On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie, Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.

Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.

En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.

De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.

Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.

C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.

Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

Source : http://www.ujfp.org

Je ne veux pas partager mon deuil et ma douleur avec eux, par Jean Ortiz

Les monstres qui ont commis ce crime inqualifiable au siège de Charlie Hebdo, l’hebdo insoumis, provocateur, antiraciste, humaniste (mais qui fut injuste envers ce site où j’écris), sont des hommes formatés par des courants religieux fascisants, par des Etats théocratiques « fondamentalistes », « amis de la France », pour faire taire l’esprit critique, l’humour, l’anticonformisme, la pensée libre, la laïcité, la création sans rivages… Ils n’ont aucune excuse.

J’ai du mal à concevoir que des hommes aient pu à ce point s’aliéner, s’avilir, se fanatiser, se laisser manipuler, s’animaliser, pour produire une telle barbarie.

Je suis en deuil. Le crime de ces assassins vise notre République, celle des Lumières, du contrat social, des droits de l’homme, de l’égalité entre eux, de la liberté pleine et entière… Cette « gueuse » que sociaux et néolibéraux n’ont de cesse, depuis plus de trente ans, de dépecer, de démonter, d’affaiblir par l’explosion des inégalités, le communautarisme, l’instrumentalisation du racisme, la concurrence à tout crin, par le rabougrissement de l’Etat, la multiplication des brisures sociales, la ruée contre les services publics et les biens communs, la casse de l’ascenseur social scolaire, jadis intégrateur, la pratique de l’amalgame délétère « Islam = terrorisme » , le « no future » pour des millions de jeunes Français, quelle que soit leur origine.

Et on voudrait aujourd’hui que je défende, au nom de la douleur, ma République sociale et démocratique bras-dessus bras-dessous avec ses fossoyeurs, avec ceux qui, à force de déifier le marché, de le débrider toujours plus, de tout marchandiser, de dépolitiser, ont laissé le champ libre aux intégrismes de toutes sortes ?

Oui, je crois à la nécessaire, à l’urgente unité populaire et républicaine, mais avec tous les Républicains sincères, tous ceux qui partagent ces valeur de base, la tolérance, l’ouverture à l’autre, la justice sociale, le débat sans corsets, la liberté sans demi-mesure, et notamment celle des médias ; oui, je crois à l’unité avec tous ceux qui défendent le pluralisme de l’information… pas avec les hypocrites qui pleurent aujourd’hui sur la République menacée et qui n’ont cessé d’attiser les haines raciales, les vieilles peurs, de stigmatiser l’autre, de détruire toute espérance progressiste…

Qu’ont-ils fait pour éradiquer la Bête ?

Que viennent-ils pleurnicher aujourd’hui sur la liberté de la presse alors que Charlie Hebdo était sur le point de déposer le bilan, que le pouvoir rend chaque jour la vie plus difficile, par des dispositions mortifères à « l’Humanité », au « Monde Diplomatique » ? De quelle liberté d’information parle-t-on ? De celle sous la coupe des marchands d’armes, des bétonneurs, des chiens de garde de l’oligarchie, du latifundium médiatique désinformateur, de la pensée unique et cynique.

Oui, je crois à l’unité populaire et républicaine face à la barbarie, mais avec tous ceux qui consacrent beaucoup d’énergie à solidariser, à « faire pays » quand les autres l’atomisent, le livrent à la guerre de tous contre tous, le blessent, le défigurent, en font une jungle. Je me souviens que lorsque Charlie Hebdo nous gratifiait de quelques « unes » décapantes, les moralisateurs venaient faire la leçon à ces « dangereux agitateurs ».

Alors, oui, je suis en deuil, je l’assume, je le revendique. Il y a danger, il faut se rassembler. Oui, j’ai mal, mais je ne veux pas partager ce deuil et cette douleur avec ceux qui ont contribué à créer le climat nauséabond et létal qui ronge notre pays depuis des années. Oui, l’islamisme, comme tous les intégrismes, est un danger. Mais qui arme et entraîne ces monstres ? Le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Emirats, ces Etats voyous, extrémistes, obscurantistes, valets de l’impérialisme français, qui blanchissent les milliards sales dans des paradis fiscaux, garantissent aux multinationales occidentales une chasse gardée pétrolière, piétinent les droits de l’homme et des femmes, combattent les laïques et la gauche… Comment peut-on à la fois s’ériger en gendarme international contre les groupes terroristes, et livrer, par exemple, le Paris-Saint-Germain au Qatar ?

Alors, oui, je manifesterai, le cœur et la colère gros, mais en prenant soin d’éviter les infréquentables. Je ne veux pas, je le redis, partager ce deuil et cette douleur avec eux.

Jean Ortiz

EN COMPLEMENT, 10 janvier

Dimanche : la manifestation « historique », « consensuelle » et les tireurs de ficelle

Une provocation absolue ?

Tout ce que j’écrivais hier soir, à contre courant, sous le titre : « Je ne veux pas partager mon deuil et ma colère avec eux » s’avère de plus en plus fondé, justifié. La récupération politicienne de la douleur n’a guère attendu que le sang sèche…

Quel est le statut de la manifestation « historique » de dimanche ? Qui sont les organisateurs ? Si l’on s’en tient aux médias, c’est F. Hollande et M. Valls qui l’organisent, qui invitent, dans un souci désintéressé d’ « unité nationale »… et nullement de remontée dans les sondages. La lutte contre le terrorisme, nécessaire, sert de prétexte à l’ « union sacrée », à la relégation des questions sociales, des causes et des ravages de la crise, des fruits pourris de la violence, du terrorisme, sert à l’abdication devant les inégalités, source d’affrontements, devant la pauvreté, l’exclusion, l’affaiblissement de la laïcité, l’obscurantisme, qui gagnent du terrain…

Manifestement, le chef de l’Etat et le premier ministre font une OPA sur la manifestation, en instrumentalisant la douleur et l’émotion. On annonce ce soir la présence du massacreur de Gaza, le criminel de guerre Netanyahou. Si cela est vrai, c’est une provocation absolue, irresponsable, anti-laïque, anti-républicaine, anti droits de l’homme, anti-démocratique, nauséabonde, avec du sang sur les mains. Une provocation absolue.

Comment peut-on manifester pour défendre la République, aux côtés du néo-franquiste Mariano Rajoy, qui combat en Espagne le rétablissement de la République, qui fait une loi pour criminaliser les mouvements sociaux, qui s’accommode de 130 000 Républicains « disparus » dans des fosses communes, qui subventionne le parc thématique fasciste du « Valle de los Caidos » (Patrimonio real), qui s’en prend aux droits des femmes, qui contraint près de 50% des jeunes diplômés au chômage et à l’exil ? Lui offrir un vernis de défenseur de la démocratie, à quelques mois d’élections générales, où la gauche de gauche (Podemos, Izquierda Unida…) peut gagner, ce n’est pas aider l’alternative possible. Quant à la présence de Merkel, Cameron, Renzi, des sabreurs de l’Union Européenne, il faudra se boucher le nez et les oreilles. Oui, il y a « hold-up » sur l’indignation populaire contre la haine, la violence, l’intolérance…

Jamais « l’union sacrée » n’a servi l’intérêt des peuples.

Jean Ortiz

Être ou ne pas être Charlie – là n’est pas la question

Union Juive pour la Paix
Dans le chaos provoqué par l’attentat monstrueux qui a coûté la vie à douze êtres humains, il n’est pas facile de se situer : Entre ceux qui expriment uniquement douleur et colère justifiées, ceux qui « craignent les amalgames » et ceux qui appellent à l’union nationale (et internationale) contre l’Islamisme radical sous la bannière du slogan « je suis Charlie ».

Bien sûr, le crime appelle douleur et colère, mais contre quoi exactement ?

Ce massacre ignoble est revendiqué par des individus qui se disent membres de Al Qaida. La nécessité absolue de combattre les mouvances obscurantistes de l’islamisme radical ne doit pas nous rendre amnésique. Ces courants qui s’imposent par la terreur affirment commettre leurs crimes au nom de l’Islam. Leur développement a été rendu possible par les interventions impérialistes, le démembrement des États et l’utilisation par l’Occident de ce courant contre les forces progressistes. En France, la situation sociale insupportable que vit la population issue de l’immigration post-coloniale, le racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations, la stigmatisation ou les contrôles au faciès portent une responsabilité évidente dans l’essor de ce courant qui touche en réalité une frange marginale d’une jeunesse de toutes origines mais sans horizon.

Bien sûr le crime risque de provoquer des amalgames. Mais ces amalgames sont-ils nouveaux ? Charlie Hebdo, qui a longtemps représenté pour nous l’impertinence, l’insolence de mai soixante-huit, Wolinski, Cabu, l’écologie, RESF, ne s’est-t-il pas justement distingué dans l’art graphique et politique de l’amalgame depuis des années ? Et que les choses soient claires, personne ici ne dit qu’il n’avait pas la liberté de le faire et il a eu toute liberté de le faire des années durant.

Avoir la moindre complaisance ou compréhension pour des assassins de dessinateurs ou pour la mise à mort de gens en raison de leurs idées est insensé.

Mais Charlie Hebdo a mené une bataille politique. Et occulter et faire oublier dans quel contexte il publiait ses caricatures faisait partie de sa bataille politique.

Peut-on imaginer des caricatures émanant de journaux progressistes critiquant la religion juive pendant les années trente au moment de la montée de l’antisémitisme et de la persécution des juifs ? Et nous ne parlons pas ici de caricatures antisémites de l’époque mais de caricatures critiquant la religion juive.

Comment la critique des religions pourrait-elle faire abstraction du rapport dominant/dominé ? Critiquer les religions cela se fait aussi dans un contexte, dans un moment politique qui n’est aucunement neutre à l’égard des musulmans. Les actes de Charlie Hebdo, et les caricatures et les articles sont des actes et ont participé au développement de l’islamophobie en France. Développement du mépris et du racisme à l’encontre de tous les musulmans, des lois chargées de protéger « la laïcité à la française » contre eux, des mosquées attaquées, des agressions physiques contre des gens “d’apparence musulmane”. Leur désignation comme boucs émissaires de la crise économique et sociale, qu’ils subissent aussi et souvent en première ligne, à l’aide des « amalgames » est en marche depuis des années.

Des ghettos et des discriminations, il n’en est pas question aujourd’hui, l’« union nationale » peut se faire avec le sang de tous ces morts, contre les musulmans, des mosquées brûlent déjà (encore), le terrain a été préparé de longue date.

Le “suicide français” est en marche annonçait le mois dernier un autre Charlot.

“L’Union Nationale” et “l’Union Sacrée” que l’émotion autour du massacre qui vient d’être commis essaie de nous imposer, manipulent les sentiments d’horreur et de révolte légitimes au service d’autres significations bien plus complexes et douteuses. La liberté d’expression n’est pas menacée en France, même la plus raciste. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui soutiennent le racisme d’État ou les interventions impérialistes. Nous n’acceptons pas le “choc des civilisations” et la logique “terrorisme/antiterrorisme”. Nous refusons d’avance toutes les nouvelles lois “sécuritaires” et toutes les nouvelles formes de discrimination ou d’injonction à l’égard des musulmans que cette union nationale ne peut manquer de produire. .

Alors aujourd’hui craindre l’amalgame nous semble plus qu’insuffisant. La France se dit un État de droit, les criminels doivent être arrêtés et jugés pour leurs crimes [Là, ils ont été abattus. Note du GS]. Mais leur crime va bien au-delà, il vient en réalité de libérer la politique de l’amalgame, et du bouc émissaire. En ce sens les bourreaux comme les victimes de l’attentat étaient partie prenante de la guerre des civilisations. En ce sens, si les assassins nous font horreur, Charlie n’était pas et n’est pas pour autant notre ami et « nous ne sommes pas Charlie ». Si notre solidarité et notre profonde compassion vont à tous les journalistes, salariés, policiers, victimes innocentes de cette tragédie et à leurs familles, l’union qu’il faut construire aujourd’hui est celle d’une France qui accepte d’être enfin celle de tous ses citoyens, musulmans inclus. La bataille contre le terrorisme passera par la bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité source d’immense richesse. Pour qu’au bout de cette nuit, le jour se lève, nous devons être aujourd’hui des musulmans.

Bureau national de l’UJFP le 9 janvier 2015

A la hauteur de nos idéaux

Auteur : A. Serend / Citoyen français, comédien et metteur en scène de 30 ans

Il y a 3 semaines, deux individus armés ont assassiné les membres de la rédaction d’un journal satirique, provoquant un soulèvement populaire.

Ce n’est pas un acte de guerre, même si la violence et les armes choisies tendent à nous faire croire le contraire. Il ne s’agit pas de deux armées qui s’affrontent à visage découvert. Il ne s’agit pas de deux peuples, deux religions ou deux civilisations qui s’opposent. Non, c’est l’immense majorité des citoyens qui s’oppose aux crimes d’une poignée d’individus utilisant des moyens condamnés par une croyance qu’ils revendiquent mais qu’ils ne font qu’insulter.

J’entends ici et là qu’on demande aux musulmans de se dissocier de ces atrocités. J’entends ici et là que les musulmans devraient se désolidariser des terroristes. C’est une demande, une attente qui en plus d’être insultante est contre-productive. Contre-productive, parce qu’en les considérant par défaut comme part d’un ensemble dont ils seraient membres, elle confère de facto aux terroristes la légitimité qu’ils revendiquent : celle de parler au nom d’un tout. Insultante parce qu’elle part du postulat que les musulmans sont associés dans leur majorité aux actes de croyants qui n’en ont que l’appellation. Il ne suffit pas de se proclamer pieux pour l’être, ou de se dire porte-parole d’une cause pour être considéré ainsi. Non, il faut que la réalité, les actes soient en accord avec ces affirmations, et lorsque celles-ci s’opposent, il est du bon sens de considérer les faits et non ce qui est annoncé. Suffit-il de se prétendre oiseau pour être capable de voler ?

Et tout comme il n’y a pas deux France, il n’y a pas deux Islam. Non, ce que certains nomment Islam pour justifier leurs exactions n’en a pas une once d’âme : c’est une coquille vide qui se prétend un navire. En le qualifiant de radical, de fondamentaliste, ou d’intégriste, nous passons à côté de ce qu’il n’est pas.

Certains pensent – à raison ou à tort – que Charlie Hebdo n’était pas d’une grande bienveillance ni d’une grande prudence au nom de sa liberté d’expression : c’était à la fois son plus grand droit et ne justifie en rien le sort qu’ils ont connu. Les règles qui concernent une communauté ne s’appliquent pas à ceux qui n’en sont pas. A-t-on vu les lois françaises s’appliquer à la Suisse ? L’interdiction de représentation du prophète de l’islam ne s’applique qu’aux musulmans. Et la liberté d’expression est un droit garant de notre système démocratique, parce que sans elle, pas de débat. Il est donc important qu’on soit à la fois d’une absolue certitude quant à nos droits et dans le même temps d’une grande responsabilité face au pouvoir que ceux-ci nous confèrent.

Car avoir le droit ne signifie pas être pertinent, ni être juste. La loi ne rend pas mes propos intelligents ou bienveillants. Ce que la justice autorise sur la forme ne valide aucunement le fond. Et croire qu’un dessin n’est qu’un dessin, ou qu’une œuvre artistique ou humoristique n’a pas de portée politique, c’est nier le pouvoir de cette expression dont nous cherchons à garantir l’usage, c’est nier ce pouvoir et les responsabilités qui lui sont liées. En nous interrogeant sur l’aspect légal de nos expressions, nous externalisons la responsabilité de nos propos. Et oui, pour une partie des démocrates, ce n’est pas le droit d’expression de Charlie Hebdo mais c’est l’usage qui en est fait qui est en question.

Pour différentes raisons, nous ne sommes pas tous à l’aise à l’idée de proclamer “Je suis Charlie”. Cette formule a le mérite de dire que nous sommes dans une empathie avec les victimes et leurs proches, et qu’en tant que citoyens nous refusons la violence tout comme de voir être menacées nos valeurs démocratiques. Mais ce “Je suis Charlie” personnifie ce combat pour la liberté d’expression en faisant de cet hebdomadaire le porte-étendard d’un principe républicain bien plus grand. Ceux qui considèrent cette seconde partie et qui partagent pas l’approche politique des publications ne peuvent être accusés d’une quelconque tolérance envers les meurtres et les atteintes à la liberté d’expression : ils condamnent cela tout aussi fermement. De même ceux qui, par respect, souhaitent laisser aux victimes et à leurs proches le caractère “personnel” de leurs peines ne peuvent être taxés d’un quelconque manque de solidarité, au contraire, ils ne le sont que trop. Ils ne sont pas Charlie, car ils n’ont perdu ni enfant, ni parent, ni ami(e), ni collègue, ni idole et qu’ils ne sentent pas la légitimité de cette douleur. D’autres encore sont interrogatifs quant à cette défense parfois trop intéressée de la liberté d’expression : sélectivité qui vient annuler la notion même de principe. Enfin, et non des moindres, tous ceux qui n’ont pas appris à être immunisés face aux infos répétées de villages exterminés, de région d’innocents bombardés et de dizaines, de centaines, de milliers d’enfants tués pour des conflits qui les dépassent, ceux-là qui pleurent et se battent pour ces morts pour rien ont le droit d’être mal à l’aise à l’idée de glorifier uniquement ceux morts pour la liberté d’expression. Ne nous séparons pas sur la manière que nous avons d’exprimer notre désarroi et nos principes face à cette situation: les larmes de chacun coulent différemment sur nos joues. Ne nous séparons pas sur la façon de vivre cette tragédie en demandant à ceux qui partagent nos valeurs de se dissocier des terroristes, en pointant du doigt ceux qui ne déclarent pas être Charlie pour des raisons – aussi multiples ou discutables soient-elles – qui ne s’opposent nullement à notre projet démocratique commun.

Car l’objectif des terroristes n’est pas d’éliminer leurs cibles, c’est d’instaurer un climat de terreur et de désordre. Leur objectif est d’inciter quiconque à tout mettre en œuvre pour ne pas devenir une éventuelle cible, c’est d’éliminer le courage, l’empathie, la raison et la nuance. C’est de nous diviser, de nous séparer, c’est de créer des clans et faire voler en éclats l’unité et l’indivisibilité de notre république. Ils veulent nous pousser à voir l’ennemi chez notre voisin. Ils ne cherchent pas à gagner en nombre de morts, en vitrines cassées ou en menaces délivrées. L’objectif des terroristes est de nous pousser à sacrifier nos principes en fonction de la situation, réduisant nos valeurs à de simples règles communes en périodes paisibles. C’est au contraire justement dans les moments douloureux, dans les temps difficiles que nos principes doivent être respectés, sans quoi nous les rendons vides de sens. Le vrai combat va donc être à jouer contre nous-même. Individuellement et collectivement, il nous faudra lutter contre nos préjugés, nos idées reçues, nos tentations à la simplification et contre la volonté animale de vengeance. Car c’est bien cela que ces assassins souhaitent : que nous soyons leur reflet dans le miroir, que nous ne soyons pas l’inverse d’eux, mais simplement ce qui les oppose et qui – quelque part – leur donne vie alors même qu’on tente de les faire disparaître.

Et c’est ici qu’est le réel enjeu : ne pas être une majorité qui, à la proposition infâme d’une minorité, répondra au détriment de ses valeurs. En 1759, Benjamin Franklin déclara dans son Historical Review of Pennsylvania : “Ceux qui abandonneraient leur liberté essentielle pour un peu de sécurité momentanée ne méritent ni liberté ni sécurité”. L’essence de cette déclaration nous pousse à garder à l’esprit que nos valeurs, nos principes fondamentaux ne sont pas monnayables quels que soient les situations. Toute loi ou projet législatif qui viserait à diminuer, même momentanément, nos libertés au motif qu’il est des temps où il faut savoir prioriser, se défendre, être raisonnable, tout ceci ne serait qu’une preuve de notre incapacité à nous élever au niveau de nos idéaux. Si la liberté, l’égalité et la fraternité pour laquelle se sont battus tant de français, si ces valeurs constitutives de notre nation sont maltraitées, écornées, abimées en réaction à ce tragique événement et aux menaces qui pèsent sur notre société, alors ces mots deviennent creux. Et tout comme des assassins qui se disent pieux, nous deviendrions des citoyens liberticides qui se diraient démocrates.

Il est bon de voir la majorité dite “silencieuse” faire cause commune. Il est bon de constater qu’est admise l’idée qu’on peut être à la fois croyant et laïque, que la position religieuse ne s’oppose pas forcément à l’aspiration politique. Il est bon d’entendre le peuple de France se lever pour dire qu’il ne fera pas l’erreur de tout confondre. C’est le cas aujourd’hui dans l’émotion, il faudra que ce le soit demain dans la raison. Si chacun avait plus d’une motivation pour défiler ou ne pas défiler, la cause partagée est qu’en tant que citoyens français, qu’en tant qu’êtres humains nous avons été frappés de plein fouet par les menaces qui pèsent, dans ce cas précis, sur la liberté d’expression. C’est là notre immense plus petit déterminant commun.

Mais soyons certains que l’union républicaine sera uniquement dans la rue. N’attendons rien de ceux qui pourraient tenter de s’accaparer ce combat, de ceux qui pourraient être dans un clanisme politique ou sociétal. Au contraire, imposons-leur le chemin à suivre. Il ne tient qu’à nous, alors que se joue dans cet événement la définition même de nos conceptions démocratiques, que nous soyons prêts, non pas à pointer du doigt ou à fermer le poing, mais à encore et toujours tendre la main.

Ils n’acceptent pas notre liberté, notre réaction ne doit pas être d’en retirer : ce doit être plus de liberté. Ils n’acceptent pas notre tolérance : soyons dans une permanente communion, dans une indéfectible bienveillance. Est venu le temps de raison garder. Est venu le temps d’enfin correctement nommer les choses. Est venu le temps d’exprimer pacifiquement nos accords et nos désaccords, de parfois être dans le silence, d’accepter plus encore d’avis divergents pour s’en nourrir, de ne plus laisser le porte-voix à ceux qui sont les plus enragés. Est venu le temps de proposer des chemins plutôt que suivre la direction qu’on nous impose. Est venu le temps de chercher à comprendre, quand bien même nous ne pouvons accepter. Est venu le temps de douter de nous-même tout en étant certains de nos valeurs, de nous interroger, de ne plus être dans une opposition systématique, mais dans une introspection qui permet l’ouverture. Est venu le temps de ne plus essentialiser mais d’accepter la complexité des sociétés et des individus. Est venu le temps de nuancer pour être dans la subtilité, tout en étant ferme et exigeant. Dans le cas contraire, le terreau qui a mené à ce 7 janvier 2015 sera toujours présent et laissera pousser à nouveau les germes de la terreur. Dans le cas contraire, il ne restera de nos sentiments de colère et de de communion qu’un arrière-goût plein de nostalgie et de « on aurait pu, on aurait dû ». Dans le cas contraire, combien d’autres 7 janvier 2015 ?

Nous sommes à un point de rupture. A partir d’ici, le statu quo n’est plus envisageable. La période qui s’est ouverte définira notre société en profondeur et pour une génération entière. Soit nous ferons voler en éclat l’indivisibilité de notre république, et nous sombrerons ensemble – et c’est là l’ironie – dans une atomisation de notre société, dans un morcellement de notre pays où tous ennemis, tous opposés nous aurons peur de nous-même après avoir perdu les valeurs qui nous reliaient. Soit nous garderons en mémoire ce sentiment d’union, cette volonté de cohésion et – là est notre chance, là est notre salut – nous nous élèverons à la hauteur de nos idéaux.

Une lettre du Père Zanotti-Sorkine à Cabu, Wolinski, Charb et Tignous

Cher Jean, cher Georges, cher Stéphane, cher Bernard,

Bien que je sois prêtre et que cet état par le passé vous débectait, permettez-moi de vous appeler par vos prénoms et non par vos noms de guerre. Une façon comme une autre de me sentir votre frère. Certes, vous demeurez Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, dessinateurs de profession, crayonneurs d’idées, trublions de vie politique, insulteurs de justes et de coupables, souvent drôles et méchants sous le crayon vulgaire et obsessionnellement blasphémateur du sacré, mais à mon esprit éduqué par le Christ à dépasser les apparences, vous apparaissez plus grands que votre œuvre, plus grands que vos dessins offerts aux combats rétrécis de la terre. Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois, et pour cela, je mourrais. Tout le reste n’appartient qu’à la petite histoire qui finit sous le dégueuloir conventionnel des hommages et des récompenses accordés entre hommes, au gré des intérêts particuliers et des partis. Bah ! que tout cela est bas !

Aujourd’hui, préoccupé par plus haut, maintenant que la vie n’est plus un mystère pour vous puisque vous connaissez la vérité tout entière (et Dieu sait si cette connaissance doit désormais susciter en vous non plus votre humour mais votre joie), je viens vous demander un petit coup de main pour la France. Ne me le refusez pas.

Amis, auriez-vous la gentillesse de dire un mot au créateur du monde afin qu’il continue de juger avec indulgence ses enfants d’en bas qui le rejettent ou qui prétendent le défendre en tuant leurs semblables ? Faites cela pour nous, je vous en supplie ! Que le Ciel n’abandonne pas la terre, et que les hommes comprennent enfin que travailler à la mort de Dieu dans les consciences ou tuer au nom de Dieu revient à massacrer l’homme lui-même ! Pourriez-vous aussi de vos lumières actuelles éclairer nos intelligences de manière à ce que nous empruntions les chemins par lesquels on peut enrayer les fusils les plus huilés ?

Je vous avoue qu’une chose me surprend depuis votre entrée dans la vie éternelle : c’est la glorification unanime de la liberté d’expression que vous auriez honorée magnifiquement jusqu’à mourir pour elle ! Je dirais plus sobrement que vous avez exprimé librement ce que vous pensiez sans jamais vous préoccuper des effets collatéraux que l’expression de VOTRE vérité pouvait créer dans les esprits. C’est ainsi. Pourtant, dans les relations humaines, et en particulier dans la vie conjugale, familiale, et même amicale, nous ne lâchons pas ce que nous pensons sans exercer un certain discernement à la seule fin de ne pas blesser inutilement nos proches. Et cela devrait valoir aussi pour les lointains.

La raison de cette retenue n’est pas à chercher bien loin, elle appartient à l’univers de l’amour qui tout simplement ne désire pas blesser. Cette retenue dans le langage, cette réserve bienveillante n’est pas une faiblesse, elle est une intelligence qui protège les liens et qui, en évitant de faire monter le sang à la tête de l’adversaire potentiel, empêche par rebond de le faire jaillir de la tête d’un autre. Cette réserve, tout homme peut la vivre, elle est vraiment à la portée de tous, sauf de l’extrémiste qui donne aux idées plein pouvoir y compris à l’irrespect qui, paraît-il, gagne la partie.

Le président de la République n’a pas cessé ces derniers jours d’appeler le peuple français à la vigilance. Encore une idée bien abstraite !

Que faut-il donc faire ? Rester chez soi ? Faire des provisions ? Lire le Coran ? Souscrire à un abonnement à Charlie Hebdo ? J’aurais préféré qu’il demandât humblement à tous les Français de calmer le jeu de la haine en les suppliant de ne plus blesser la conscience d’autrui au nom d’une liberté d’expression pas assez réfléchie, autrement dit, en nous invitant tous à prendre la résolution de respecter profondément les croyances qui sont chères à des millions de personnes. C’est à ce prix que la paix fera son lit.

Chers Jean, Georges, Stéphane et Bernard, votre mort ignominieuse me fait une peine immense et je voudrais qu’elle ne soit pas inutile. Vos caricatures ne méritaient pas de vous tuer, mais elles l’ont fait. D’une certaine façon, vous avez touché de votre humour grinçant les régions les plus viscéralement haineuses de la nature humaine assoiffée de justice et de vengeance, et par là, vous avez provoqué l’avénement de la barbarie. Parce que votre nature était saine, je veux le croire, parce que vous cherchiez sans doute à votre manière le bien commun, parce que vous considériez la liberté d’expression comme un droit devant s’exprimer sans état d’âme, parce que vous étiez au fond restés des enfants qui dessinaient comme tous les enfants tout en jouant à mettre le feu, vous avez oublié la permanence de la cruauté humaine quand elle se met au service d’une cause jugée absolue. Vous avez touché à de l’intouchable, et en réponse, vous qui étiez intouchables de par votre dignité d’homme, vous avez été plus que touchés, abattus en plein cœur.

Au-delà de toutes les décisions politiques qui seront prises, je l’espère, pour contrecarrer les actes terroristes, intercédez pour nous, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, rendez-nous intelligents et respectueux des croyances d’autrui pour que la France se distingue encore par sa hauteur civilisatrice.

Un dernier point qui me tient à coeur : si vous croisiez au Ciel les trois petits enfants qui, lors de l’affaire Merah, ont été assassinés sauvagement, embrassez-les pour moi, et partagez avec eux la gloire qui est la vôtre aujourd’hui. Eux n’ont pas eu droit à une journée de deuil national ni à une manifestation d’envergure. Mais que pouvons-nous y faire ? Ces enfants ne disposaient que de leurs prénoms, ils n’avaient pas de noms de guerre, et ils ne défendaient pas la liberté d’expression ni la cause de certains politiques ! Qu’importe ! Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois. Pour cela, je mourrais.

Allez, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, soyez dans la joie de Dieu, continuez votre vie, et éclairez-nous maintenant de vos clartés.

Père Zanotti-Sorkine

P.S. La lettre a été complétée ensuite d’une lettre aux musulmans :

À mes frères musulmans, capables comme moi du pire et du meilleur, par le Père Zanotti-Sorkine

Cette lettre sera brève. Le temps presse. Le sang gicle. Ce n’est plus le moment de disserter.

La semaine dernière, dans une lettre fictive adressée aux quatre principaux Charlie passés dans l’au-delà, je regrettais que le président de la République n’ait pas invité leurs suivants survivants à calmer le jeu des insultes prétendument humoristiques à l’égard de celui que vous considérez comme votre prophète. Il eût été simple de dire qu’après des abattages aussi atroces qu’inattendus, le bras de fer n’était pas de mise. Mais non ! La sacro-sainte liberté d’expression, libre de toute entrave, se devait de poursuivre comme une brute sa route.

Et le discours s’en est allé par là : « Hommes, femmes, grands, jeunes musulmans qui tenez à protéger Mahomet de la moindre attaque, qu’importe vos pensées, vos manières d’agir ou de réagir, nous allons vous mâter, chevaux sauvages, jusqu’à ce que vous tourniez bien tranquillement en manège rangé dans le sens laïciste que nous allons vous indiquer. Aussi, nous commençons le dressage par la publication d’un bon Charlie Hebdo à 3 euros où les fidèles de l’islam et, en passant, ceux du Christ, en prendront plein la poire ! » Raté ! En un instant, le cheval s’est cabré ! Un enfant de sixième aurait pu le prévoir, mais… quand les idées l’emportent sur le réel, c’est bien connu, les fruits sont souvent mauvais.

En vérité, en vérité, qui ne le sait ? À vouloir dresser et même redresser à coups de trique les rebelles (trique : dans le sens de fouet ou de sexe toujours omniprésent sur nos jolis dessins), on obtient le contraire. La preuve est aujourd’hui livrée sur un plateau de violence en Somalie, au Niger, au Pakistan, au Yémen, à Gaza, où la hargne humaine s’en donne à cœur joie.

Et je crains fort, tout en pleurant, qu’à l’heure présente elle ne prenne que son élan. Devant ce gaspillage de sang par trop innocent, je pleure aussi sur notre irresponsabilité, je pleure sur notre fixité idéologique, je pleure sur la France qui refuse au respect des croyances d’être artisan de paix. Ce respect n’est pourtant pas une faiblesse, qu’on se le dise ; il n’exclut ni la résistance ni le combat face au fanatisme, mais il vomit résolument toute forme de mépris à l’égard de l’ennemi.

Chers musulmans qui souffrez de nos dessins bêtes et méchants, ne croyez pas – c’est un prêtre catholique qui vous parle – que le cœur chrétien les admet. Aussi, je vous en supplie, ne brûlez plus d’églises, ne lacérez plus le livre des Évangiles, ne tuez plus vos frères chrétiens, vous vous trompez de cible ! Nous ne sommes pas plus aimés que vous par notre pays qui condamne à mort, tous les jours davantage, l’avenir de la transcendance.

Et puisque je suis chrétien jusqu’au bout du cœur, et votre ami comme le Christ me demande de l’être, permettez-moi d’ajouter à votre endroit un simple mot salutaire : ne cherchez plus à vous venger des insulteurs et des irrespectueux. Qui sort son épée périra par l’épée. Ne portez plus atteinte à une seule vie humaine, répondez à la haine par la pitié, et vous plairez à Dieu, et il vous bénira, lui qui n’aime que l’amour…

Philippe Bilger : pourquoi je ne participe pas à « la marche républicaine »

Par Philippe Bilger Mis à jour le 11/01/2015

FIGAROVOX/HUMEUR – Notre chroniqueur a décidé de s’abstenir de participer à la grande marche citoyenne de ce dimanche. Il s’en explique dans FigaroVox.

Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Son dernier livre, «Contre la justice laxiste», a été publié aux Éditions de l’Archipel (2014). Il publie également sur sa chaîne Youtube des entretiens avec plusieurs personnalités. Sa prochaine oeuvre, un roman judiciaire intitulé «72 heures» (Lajouanie) est disponible depuis le 4 décembre.

Suis-je un citoyen indigne, pour tout dire un salaud, parce que je ne vais pas «marcher contre la terreur», pour écrire comme Le Monde, ou «me lever contre le terrorisme», selon l’exhortation du président de la République?

Je pourrais déjà tenter de m’absoudre en soulignant que cette immense émotion, depuis le 7 janvier, et qui culminera le 11 va représenter, sur un mode pervers, la victoire odieuse de criminels qui ont atteint leur but puisque l’ampleur de l’indignation était probablement espérée par ces sanguinaires de l’intégrisme. Notre pays certes solidaire a ainsi, aussi, manifesté la gravité des blessures qui lui ont été causées.

En ce sens, il est clair que cette «marche républicaine» va être purement symbolique, quoique multiforme, puisqu’elle ne va rigoureusement pas avoir le moindre effet sur les menaces, les attentats, les représailles et les tragédies à venir et qu’elle n’est destinée, dans une sorte de béatitude collective satisfaite d’elle-même, qu’à persuader la nation que durant quelques jours elle aura été à peu près unie.

Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait « l’honnête homme » à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions ?

J’entends bien que cette argumentation peut apparaître mesquine en refusant à la communauté nationale le droit de se faire du bien parce qu’elle se rassemble autour de Charlie Hebdo, de la policière abattue à Montrouge, des quatre otages supprimés dans l’épicerie casher.

Avec des assassins que nos forces de police exemplaires ne pouvaient que blesser mortellement puisque leur rêve était de mourir en «martyrs» et que probablement ils le sont devenus pour des admirateurs, des émules, leurs inspirateurs et si on se fonde sur les innombrables messages téléphoniques de haine et de violence adressés à divers commissariats dans la soirée du 9.

Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.

J’ose soutenir, si cette compétition n’était pas indécente et absurde, avoir éprouvé autant de révolte, d’indignation et de besoin de justice que quiconque devant ces actes répétés innommables. Ces sentiments ne conduisent pas forcément à la fusion de dimanche.Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait «l’honnête homme» à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions?

Cette union nationale qui ne pointe son visage emblématique qu’après les désastres et pour si peu de temps.

Malgré le comportement apparemment irréprochable de nos gouvernants, le soupçon de l’instrumentalisation politique d’une terrifiante douleur qui aurait pu demeurer sincère avec plus de discrétion et un Etat moins omniprésent.

Dans cette «marche contre la terreur», combien sont profondément épris de la liberté d’expression sous toutes ses latitudes, et pas seulement de celle de Charlie Hebdo? Combien, au contraire, ne se sont souvenus de cette dernière qu’après les massacres, défenseurs opportunistes sur lesquels le dessinateur Willem et Charlie Hebdo «vomissent»?

Pour se lever contre le terrorisme au sein d’une multitude, encore faut-il être assuré que l’humanisme n’est pas hémiplégique et que pour d’autres causes jugées moins nobles, moins «porteuses», on ne moquerait pas notre exigence de sécurité au nom d’une idéologie discutable et compassionnelle?

Combien, dans cette masse, pourront dire, en conscience, comme Patrick Modiano a su magnifiquement l’exprimer dans son seul commentaire sur ces crimes, qu’ils rejettent toute violence?

Que signifie ce consensus factice, cette concorde superficielle qui prétendent, au prétexte que nous aurions le cœur sec en nous abstenant, faire oublier, sans y parvenir, les déchirements, les fractures, les divisions profondes de la France?

Le verbe, la résistance de proclamation et défiler seraient-ils essentiels alors que, se recueillant sur le passé si proche encore, ils n’auront pas la moindre incidence sur le futur?

Est-il honteux de proférer que plutôt que de concevoir cette phénoménale marche internationale, avec un incroyable risque d’insécurité, il n’aurait pas mieux valu, modestement, efficacement, appréhender l’avenir pour convaincre le citoyen que non seulement il ne doit pas avoir peur mais que notre état de droit rendra, autant que faire se peut, inconcevable cette angoisse parce que notre démocratie sera mieux armée, saura mieux suivre et contrôler, sera moins laxiste et libérera moins vite?

Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.

Et lundi, on fera quoi?

Non, décidément, je ne crois pas être un salaud parce que je vais m’abstenir aujourd’hui.

Source : www.lefigaro.fr

Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-3/


[Folie collective] Ahmed, 8 ans, convoqué au commissariat pour “apologie d’acte de terrorisme”…

Thursday 29 January 2015 at 05:33

Vous savez, c’est un peu pour éviter ce genre de trucs que je me mobilise depuis 3 semaines tout rond…

Vous imaginez les dégâts que fera une telle histoire sur la cohésion nationale ? (je t’en foutrais des “marches républicaines” moi…)

Nice : à 8 ans, un écolier convoqué pour “apologie du terrorisme”

Révélée par son avocat Me Sefen Guez Guez sur Twitter (pseudo @IbnSalah), l’histoire fait aussitôt polémique.

Ahmed, un écolier niçois âgé de 8 ans, a été entendu ce mercredi 28 janvier après-midi dans un commissariat de la ville pour “apologie de terrorisme”.

“Est-ce que tu es Charlie ?”

Tout a commencé le 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Ahmed, 8 ans, était en classe avec ses camarades de CE2 de l’école Nice Flore (située à Nice Ouest), quand il a été interpellé par son instituteur qui lui a demandé s’il était “Charlie”.

Étant de confession musulmane, et âgé de seulement 8 ans, il répond naïvement “Je suis du côté des terroristes, car je suis contre les caricaturistes du prophète’”, explique son avocat.

Ulcéré, son professeur l’envoie vers le directeur de l’établissement, qui se trouve dans la classe d’à côté, et qui lui pose alors la question trois fois devant toute la classe: “est-ce que tu es Charlie?”

Ses parents, immédiatement avertis, “ont joué un rôle pédagogique en lui expliquant ce qu’était réellement le terrorisme, et pourquoi il fallait évidemment être du côté des victimes à Charlie Hebdo”, poursuit Me Guez Guez.

L’école porte plainte

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais le 21 janvier, le directeur de l’école décide de déposer plainte, pour deux infractions: “apologie du terrorisme” contre Ahmed, et “intrusion” contre son père.

Le cabinet de la ministre de l’Education, qui a d’abord assuré ne pas être informé de cette affaire, précise finalement : « La plainte n’a pas été déposée contre Ahmed, mais contre son père pour “intrusion”. S’agissant de l’enfant, il y également eu un signalement à la protection de l’enfance. Nous ne pouvons rien dire de plus car le dossier est maintenant dans les mains du procureur. »

La police ment ?

Selon l’école, convoqué par le chef d’établissement, le père de l’écolier aurait eu une “attitude menaçante”. L’école a alors déposé plainte contre le parent d’élève pour “intrusions” dans l’établissement et “menaces”.

Effectivement, l’enfant étant très perturbé et isolé depuis les faits, son père l’a accompagné jusque dans la cour de récréation à trois reprises après le 8 janvier, pour le rassurer, avant de se voir interdit d’accès. Trois reprises qui lui ont valu cette plainte pour intrusion, selon Me Guez Guez.

Selon l’académie de Nice, contactée par metronews, l’enfant a tenu en classe des “propos inadmissibles”. “Il y a eu un signalement auprès de la cellule de protection de l’enfance” précise le rectorat.

Contactée, la mairie de Nice avoue ne pas être au courant de ce cas particulier, mais indique que “malheureusement, des enfants de 8 ans tiennent ou ont tenu à l’école des propos faisant l’apologie du terrorisme. S’ils tiennent ces propos, c’est qu’ils les ont entendu dans leur famille, donc nous faisons remonter l’information au préfet”.

Convoqué au commissariat en audition libre

L’affaire est prise très au sérieux puisque le garçonnet a été convoqué par la police ce 28 janvier, et entendu par un officier de police judiciaire.

L’enfant avait déjà refusé d’observer une minute de silence et de participer à une ronde de solidarité dans son école primaire, au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, a indiqué le directeur départemental de la sécurité publique Marcel Authier.

« On a convoqué l’enfant et son père pour essayer de comprendre comment un garçon de 8 ans peut être amené à tenir des propos aussi radicaux », explique M. Authier. L’enfant a été entendu pendant 30 minutes, puis a joué avec des jouets pendant l’audition de son père, civilement responsable.

« Visiblement, l’enfant ne comprend pas ce qu’il a dit. On ne sait pas où il est allé chercher ses propos », selon le directeur départemental de la sécurité publique.

Le jeune garçon a quitté le commissariat après environ deux heures d’audition. « C’est insensé, c’est un enfant de 8 ans, cette procédure est complètement disproportionnée, tonne Me Sefen Guez Guez, l’avocat du mineur et de ses parents, que nous avons contacté par téléphone. Les policiers lui ont demandé ce que voulait dire le mot terrorisme, il était bien incapable de répondre. Il a 8 ans, il dessine des Pokemon sur ses cahiers ! Il ne sait pas ce que c’est que le terrorisme ! On a pris au sérieux des paroles d’un enfant de 8 ans qui ne comprend pas ce qu’il dit. C’est absurde. »

Les parents ont souligné durant l’audition qu’ils condamnaient fermement les propos de leur fils, toujours selon Me Guez Guez.

Rencontrée par BFMTV, la police confirme le déroulé des faits :

“Le 21 janvier, nous avons reçu le signalement d’un chef d’établissement de Nice, qui avait été alerté et perturbé par les propos de ce jeune enfant de 8 ans. L’enfant avait dit en classe “Il faut tuer les Français”, “Je suis du côté des terroristes”, “Les journalistes ont mérité leur sort”, puis avait refusé la minute de silence”, indique Fabienne Lewandowski, directrice-adjointe de la sécurité publique des Alpes-Maritimes.

“Lors de notre entretien, le jeune garçon a indiqué qu’il avait tenu une partie de ces propos, mais qu’il n’en connaissait pas vraiment la portée. Le but de cette audition était de comprendre ce qu’il s’était passé exactement, et ce qui avait pu le conduire à dire cela. On peut regretter que ça ait eu la forme d’une audition ordinaire, mais compte-tenu du contexte, il nous a semblé qu’on pouvait aller un peu plus loin”, poursuit la directrice-adjointe, qui précise que le père “a manifesté des regrets pour les propos de son fils”.

Le parquet de Nice doit désormais décider de donner suite ou de classer cette affaire.

Le 20 janvier, le tribunal correctionnel de Nice avait placé sous contrôle judiciaire quatre Niçois qui seront prochainement jugés pour “apologie de terrorisme” au cours d’une manifestation “anti-islamophobie”.

Victime de violences à l’école ?

Un autre pan de l’affaire a surgi par ailleurs, pour lequel les parents du petit Ahmed ont l’intention de porter plainte.

Le directeur de l’école aurait, selon l’enfant et donc, c’est à prendre au conditionnel), tenu des propos humiliants, et eu des gestes de violences envers lui suite à l’incident. “Ahmed raconte qu’un jour, il jouait dans le bac à sable, quand le directeur lui a dit: “Arrête de creuser dans le sable, tu ne trouveras pas de mitraillette pour tous nous tuer”.

Un autre jour, il l’a privé de son insuline (Ahmed est diabétique, ndlr), en lui disant, toujours selon la version de l’enfant : “Puisque tu veux qu’on meurt tous, tu ne vas pas prendre ton insuline, tu vas pouvoir goûter à la mort”". Des propos démentis par le directeur.

L’avocat est effaré par cette situation. “C’est d’une violence inouïe, c’est un comportement d’un autre âge. Nous exigeons une enquête indépendante pour établir les responsabilités de chacun dans l’administration de l’école”, tonne Me Guez Guez.

Les parents de Ahmed ont mené un vrai travail de pédagogie auprès de leur enfant pour qu’il comprenne mieux les événements. Mais ce qu’il s’est passé à l’école l’a profondément traumatisé. Il souffre de trouble du sommeil et du comportement.

Source : Metro News, Le Parisien, Rue89, L’Obs et autres titres

Edit : “Normal” pour l’élite de l’UMP-Bygmalion

Edit 2 : “L’équipe de l’établissement scolaire a bien réagi”, affirme aussi la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem.

OK…


Bon, comme on a des politiques qui adorent apparemment commémorer, et qui insistent beaucoup sur l’apprentissage de quelques pages de notre Histoire, une petite pensée.

Finalement, quand vous arrivez à faire en sorte que l’école dénonce un enfant de 8 ans à la police, et que celle-ci le convoque ensuite avec ses parents, l’administration a vraiment fait le plus gros.

Il ne vous reste plus ensuite qu’à les conduire simplement dans un train :

Circulaire du 13 juillet 1942, organisant la rafle du vel d’hiv

(Le pdf source ici, retranscrit ici)


Allez, pour finir sur une note moins sombre:

Source

Source: http://www.les-crises.fr/ahmed-8-ans-convoque-pour-apologie-du-terrorisme/


[Délation] Quand l’école trouve “insupportable” que les élèves posent des questions, et en dénonce 40 à la police pour leurs propos…

Thursday 29 January 2015 at 04:59

Honnêtement, je me dis toujours qu’à ce stade, plus rien ne m’&tonnera, mais ça m’étonne toujours…

“La gauche est une salle d’attente pour le fascisme” [Léo Ferré, 1971]


Najat Vallaud-Belkacem : “L’école est en… par LCP

Le 7 janvier dernier, sitôt la stupeur et l’horreur passées, les enseignants de toute la France ont très vite compris que l’école serait en première ligne pour réagir face à ces attentats, pour expliquer aux élèves l’inexplicable, et pour gérer leurs émotions et leurs réactions.

Et dans la foulée je leur ai en effet adressé une lettre leur demandant non seulement de faire respecter la minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échanges et de dialogue. Ils l’ont fait, je les en remercie.

Ca ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu, ils sont même nombreux et ils sont graves et aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère. Et aucun d’entre eux ne sera traité à la légère.

Vous me demandez combien nous sont remontés ? Je vais vous répondre. S’agissant de la minute de silence elle-même c’est une centaine d’incidents qui nous ont été remontés. Les jours qui ont suivi nous avons demandé la meme vigilance, et c’est une nouvelle centaine d’évènements et d’incidents qui nous ont été remontés.

Donc surement un bon milliers vu que la plupart des profs n’ont pas surement pas voulu les remonter – et encore, quand ils ont vraiment fait la minute de silence…

Parmi eux une quarantaine ont d’ailleurs été transmis aux services de police, de gendarmerie, de justice, parce que pour certains il s’agissait même d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela.

Par des enfants ??? Traités comme une vidéo de recrutement d’Al Quaeda ?

Oui, l’école est en première ligne. L’école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif, y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la coéducation.

Ah ben comme ça, elle va même être de plus en plus en première ligne !!!

L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les « oui je soutiens Charlie, mais… », Les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?

Ces questions nous sont insupportables,

!!!! arghhh !!! !

surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs.

Mais lesquelles ? Pas l’esprit critique au moins ????

Et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire, c’est ce que le Premier ministre a fait devant les recteurs hier, c’est la raison pour laquelle je mobilise l’ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas que par des discours mais par des actes forts. Merci.

Source : son site

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Comme on y est :

François Hollande, la CIA ou Israël, les véritables responsables de l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes ? C’est en tout cas le genre d’explications que des enseignants ont entendu, effarés, dans la bouche de leurs élèves suite aux attentats sanglants de la semaine dernière.

Un conspirationnisme qui explique en grande partie les quelques 200 incidents recensés depuis le 8 janvier dans des classes lors de la minute de silence organisée en hommage aux victimes, selon Najat Vallaud-Belkacem.

Interrogée sur RTL ce jeudi 15 janvier sur ce chiffre (qui n’est “pas exhaustif”), la ministre de l’Education nationale voit dans ce goût pour les théories du complot l’un des défis majeurs de l’enseignement.

Un problème d’autant plus difficile à combattre, selon elle, que les jeunes de 2015 forment d’abord leurs opinions sur la Toile, alors “qu’il y a 20 ou 30 ans, 90 % de ce qu’apprenait un élève venait soit de ses parents, soit de l’école. Aujourd’hui, la proportion s’est inversée“, assure la ministre.

Statistiques bétons du sondeur Nimportnawakos ?

Or que trouvent-ils sur Internet ? Ils trouvent notamment ces théories du complot qui sont en train, vraiment, de miner notre jeunesse.

Un jeune sur cinq aujourd’hui adhère aux théories du complot.

On est bien d’accord pour dire comme ça que “adhérer aux théories du complot”, cela ne veut rien dire du tout ? (beaucoup de théories étant contradictoires par ex). Et c’est la ministre de l’éducation qui parle…

C’est-à-dire la remise en cause des institutions de la République, de la crédibilité des hommes politiques, mais aussi des médias.

AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH

 

Face à ce phénomène inquiétant, l’Education nationale a perdu une première manche, admet la ministre :

Ce que nous avons peut-être un peu raté jusqu’à présent à l’école, c’est de réussir à faire le pont entre ce que ce jeune découvre sur Internet, et qu’il ne sait pas trier (…) et ce qu’on doit lui apprendre pour l’aider à y voir plus clair et à se construire en citoyen.

…. soumis, citoyen soumis !

Source : Europe 1

La ministre a dit vouloir “profiter de la présence des médias”, venus au collège Jean Moulin de Pontault-Combault. Entourée d’une vingtaine de collégiens, et en présence du Premier ministre Manuel Valls, la ministre s’est alors interrogée: “Est-ce qu’il ne faudrait pas un journal télévisé d’actualité pour les enfants?”

AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH.

On en reparlera justement…

Source : L’express

P.S. au passage, Giacometti a précisé que la ministre avait mal recopié le sondage :

Ce qui dit le sondage

Le sondage Ipsos (commandé par Fleuve Editions) portait sur la croyance dans les Illuminati et pas sur les théories du complot en général. Les résultats principaux ? Un Français sur cinq y croit. Et la croyance augmente chez les jeunes. Un tiers des 18-24 ans estiment que les Illuminati existent.Première remarque, la ministre a sous estimé le pourcentage des jeunes. Un jeune sur trois, c’est quand même inquiétant. Les données intégrales du sondage sont disponibles chez notre éditeur. Il suffit de contacter l’attachée de presse. Deuxième remarque : si la question avait porté sur une défiance envers les médias et les institutions, du genre « croyez-vous qu’on nous cache des choses », le chiffre aurait été beaucoup plus important. Un sondage Opinion way de 2012 révélait que 50 % des Francais se méfiaient de la parole officielle (et particulièrement les Français aux idées politiques… extrémistes).

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En conclusion, elle a présenté son plan (plus de détails ici, le pdf là – je n’ai pas lu, si vous trouvez des trucs croustillants, mettez les en commentaire merci):



 

Source: http://www.les-crises.fr/delation-quand-lecole-trouve-insupportable-que-les-eleves-posent-des-questions-et-en-denonce-40-a-la-police-pour-leurs-propos/


[Reprise] Je suis Charlie… ou pas, disent mes élèves de lycée. Ils ont raison de s’interroger

Thursday 29 January 2015 at 04:05

Enfin un peu d’intelligence… Venant ici d’un professeur de philosophie

La minute de silence des élèves du lycée Paul Bert à Bayonne, le 8 janvier 2015 (Bob Edme/AP/SIPA)

« Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendus les ’oui je soutiens Charlie, mais’, les ’deux poids, deux mesures’, les ’pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?’. Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs. » Ces propos proprement ahurissants, et effrayants, de la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud Belkacem, et plus largement l’atmosphère de vendetta que font planer les premières inculpations, de majeurs comme de mineurs, pour « apologie d’actes de terrorisme », nous ont amené à publier, dans son intégralité, la double intervention de deux enseignantes anonymes [1] que le site Leplus.nouvelobs a déjà publiée, en deux articles séparés, et dans une version plus brève. Une contribution qui apporte, dans le climat de chasse à l’élève déviant qui d’ores-et-déjà se met en place, un contrepoint salutaire d’intelligence et de responsabilité.

Commémorer sans discuter

Réflexions sur et contre la criminalisation des élèves, et notamment des élèves présumé-e-s musulman-e-s (Première partie)

Nous sommes deux enseignantes dans deux établissements très différents : un collège de REP (Réseau Education Prioritaire) et un lycée très mixte socialement, mêlant la classe bourgeoise blanche à des élèves des quartiers populaires. Nous apportons ici deux témoignages au sujet des discussions qui ont eu lieu en classe, dans nos établissements respectifs, suite aux attentats du 7 et du 9 janvier 2015, et qui malgré les écarts d’âge, de classe, d’origine sociale entre nos deux panels d’élèves, sont finalement assez similaires.

Les témoignages d’enseignant-e-s rapportant des réactions d’élèves jugées problématiques trouvent beaucoup d’échos dans les médias, et nous nous inquiétons de voir comment les élèves des quartiers populaires sont actuellement sous le feu des projecteurs : des enseignant-e-s, relayés par la presse, sont en train de construire l’image d’élèves supposés musulman-e-s (en réalité d’élèves descendant-e-s de l’immigration) qui seraient intrinsèquement rétifs à « nos » valeurs, à savoir complaisants à l’égard de la violence terroriste, mais aussi antisémites. Il s’agit pour nous d’interroger explicitement les conditions d’émergence de certaines paroles d’élèves : l’institution en général et certains enseignant-e-s en particulier ont mis les élèves dans une alternative absurde (à savoir : « soit on est tous Charlie, dont on ne saurait critiquer la ligne éditoriale, soit on fait l’apologie du terrorisme » ), dont il n’est pas étonnant qu’elle ait produit des résultats apparemment incompréhensibles.

Depuis mercredi dernier, mes élèves et d’autres scolarisé-es comme eux/elles dans les Réseaux d’Education Prioritaire (anciennes ZEP) sont sous haute surveillance médiatique et politique. Leurs réactions et leurs propos relatifs aux attentats et prises d’otages font l’objet d’une attention soutenue et leurs attitudes à l’égard de la minute de silence proposée par le chef de l’Etat dans tous les établissements d’enseignement public sont scrutées.

Des attentes et des craintes qui précèdent les « réactions »

Pas d’amalgames, s’écrie-t-on d’une part, mais de l’autre s’exprime une attente a priori, qui s’applique spécifiquement à ces élèves dont on fait visiblement, à tort ou à raison, l’hypothèse qu’ils et elles sont pour beaucoup musulmans et musulmanes. Le principe de laïcité, pourtant brandi à tout bout de champ et qui est censé laisser chacun dans l’ignorance de la confession de l’autre dans le cadre scolaire, semble cette fois s’effacer devant l’urgence médiatique : prendre la mesure des réactions d’élèves supposé-es musulman-es à des attentats auxquels on répète pourtant qu’ils et elles ne devraient pas être particulièrement assimilé-es.

Cette attente spécifique à l’égard des élèves des REP s’exprime d’abord dans la salle des profs du collège où j’enseigne, puisque dès 7h30 le jeudi matin, avant même d’avoir pris leurs classes, des collègues s’interrogent :

Comment les élèves vont-ils réagir ? Y aura-t-il des « problèmes » ?

Certain-es vont-ils et elles refuser de participer à la minute de silence ?

Et qu’est-ce qu’il y aura « derrière » cet hypothétique refus ?

Une crainte, largement partagée, précède donc la réaction d’élèves âgé-es de 11 à 15 ans à un événement dont il est difficile même pour des adultes de prendre la mesure pour produire une analyse.

Dans ce contexte, il semble que la première question qui aurait pu se poser était plutôt : comment aborder de tels événements avec des enfants et des adolescent-e-s et en tant qu’enseignant-e fonctionnaire de l’Etat, avec tout ce que cela implique en terme de devoir de réserve ainsi que de gestion de ses propres émotions et opinions politiques ? Elle a été remplacée d’emblée par cette autre question : comment parler de cet événement à des élèves supposé-es musulman-es et par là-même soupçonné-es d’avoir des liens idéologiques avec les personnes incriminées ?

Dans mon collège, comme dans d’autres, le dispositif était faussé dès le départ, et les élèves ont pour certain-es été confronté-es à des enseignant-es anticipant et attendant des réactions de solidarité et de défense à l’égard des actes terroristes. Mis dans la position de se justifier, implicitement ou explicitement, en acceptant unanimement un discours faisant le plus souvent des journalistes de Charlie Hebdo des héros de la liberté d’expression et des garants des valeurs républicaines (étant donné l’ancrage anarchiste du journal, cela peut faire sourire), certain-es élèves ont refusé cette position. Ou plutôt ont joué le jeu de l’assignation à cette figure du « jeune de banlieue provocateur, refusant la commémoration collective et donc fanatisé et donc potentiellement dangereux, etc. » que le dispositif leur imposait. La remarque d’un de mes élèves de troisième, sourire ironique aux lèvres, le montre bien :

« Est-ce que je suis obligé de faire la minute de silence Madame ? Je veux dire, si c’est moi qui ai commis l’attentat, je ne la fais pas, non ? Enfin, moi, c’est une manière de parler hein, je veux dire, un mec comme moi quoi mais bon c’est pareil hein… ».

Commémorer sans discuter, ou les paradoxes de la liberté d’expression

Les attentes des enseignant-es et leur propre positionnement face aux élèves produisent indéniablement des effets et programment en partie les réactions de ces derniers. Avec l’une de mes classes de troisième, la discussion sur les événements a été assez rapide : ils et elles en avaient déjà beaucoup parlé, entre eux/elles, avec les autres enseignant-e-s, avec leurs parents. Ils et elles voulaient simplement mon avis, en tant que professeure de français, sur un ou point : pouvait-on bien distinguer deux choses, d’un côté la condamnation des actes terroristes et de l’autre l’opinion personnelle sur la publication visée par ces actes ? À cette question, j’ai répondu qu’il était même essentiel de faire la distinction et que maintenir la possibilité d’un discours critique sur Charlie Hebdo indiquait précisément que ce n’était certainement pas au nom de ce discours critique que l’on pouvait justifier des meurtres. La discussion a été calme et intéressante, comme elle l’est souvent avec les classes de troisième.

Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai, quelques heures plus tard, croisé un collègue sortant outré d’une conversation avec les mêmes élèves, sur le même sujet, et déclarant que certain-es élèves avaient « défendu » les responsables des actes terroristes. Face à cette attitude apparemment contradictoire d’une même classe, je me permets, tout en comprenant l’émotion qui a saisi la plupart d’entre nous depuis mercredi, de demander à mes collègues : à quoi avons-nous confronté nos élèves depuis mercredi ? À la possibilité de discuter et de comprendre un événement bouleversant et complexe sur les plans politiques et sociaux ? Ou à l’obligation de prendre part à une commémoration exprimée en des termes non discutés collectivement et à l’obligation de nous prouver leur bonne volonté, toujours soumise à caution, en adhérant sans discussion à tout ce que nous leur proposions ?

« J’ai mis dans la salle d’à côté deux élèves qui sont habituellement perturbateurs » m’explique une collègue, de manière à être certaine que « la solennité de l’instant et du reste de la classe » ne soit pas « gâchée ». Deux élèves qui n’avaient pourtant pas pris la parole sur le sujet pendant la discussion précédant la minute de silence… Je ne pense pas que la contradiction propre à la situation ait échappé aux élèves : comment parler de la défense de la liberté d’expression en interdisant par anticipation et arbitrairement l’expression d’un désaccord ou d’un refus à l’intérieur d’une classe ?

Cette contradiction saute aux yeux des élèves plus âgé-es, comme mes anciennes élèves de troisième maintenant élèves de seconde : l’une d’entre elles m’a par exemple expliqué que pendant son cours d’histoire, elle a voulu dire que, en tant que musulmane, si elle condamnait totalement les meurtres commis, cela ne l’empêchait pas de s’être sentie blessée par des dessins et des propos tenus dans Charlie Hebdo et d’être en désaccord politique avec la ligne éditoriale de l’hebdomadaire. Elle me dit que ses propos n’ont pas été acceptés par son enseignant qui, toujours au nom de la défense de la liberté d’expression, lui a fait comprendre que ses sentiments et ses idées n’étaient pas légitimes. Elle ajoute que si l’on défend la liberté d’expression, elle voudrait bien voir quelque part défendu son droit à exprimer le fait qu’elle ne s’est pas sentie respectée et que c’est un élément à prendre en compte tout autant que les droits, idées et affects de ceux qui défendent Charlie Hebdo.

Les réactions des 5ème : des questions, des peurs et des solutions d’adolescent-e-s

Pour répondre plus précisément à tou-tes ceux/celles qui se régalent une fois de plus des « perles » d’élèves, sorties de leur contexte, sans que soient analysées la situation d’assignation et de demande de justification qui les a souvent produites, je voudrais décrire rapidement la manière dont s’est passé l’échange avec une des mes classes, la classe des cinquièmes avec qui j’ai pris trois quarts d’heure pour discuter. C’était jeudi matin, la première heure de cours pour eux comme pour moi. Je ne suis pas leur professeure principale, mais comme j’étais la première à les voir, je leur ai demandé s’ils et elles avaient besoin et envie d’en parler. Tou-tes ont répondu oui, même si certain-es étaient plus demandeurs/euses que d’autres.

Ils et elles ont commencé par faire le tour des questions, importantes, qu’ils et elles se posaient :

Les terroristes avaient-ils dit « Allahou akbar » et est-ce que cela voulait forcément dire qu’ils étaient musulmans ?

Est-ce qu’on pouvait encore se définir comme musulman et plus généralement comme croyant lorsqu’on avait tué des gens ?

On disait que Charlie Hebdo avait critiqué toutes les religions : est-ce que c’était vrai et est-ce que c’était pareil pour toutes les religions d’être critiquées ?

Critiquer et se moquer, est-ce que c’est la même chose ?

Est-ce que les journalistes de Charlie Hebdo n’avaient pas été prévenus qu’ils étaient menacés et est-ce que dans ce cas ils n’auraient pas dû arrêter ?

Et surtout, toujours cette question importante, est-ce qu’on pouvait être triste et en colère des attentats tout en étant pas d’accord avec Charlie Hebdo ?

Autrement dit, est-ce qu’on pouvait ne pas « être Charlie » sans être une mauvaise personne ?

Ces questions ont suscité des interventions, des petits débats :

A. trouvait que quand même Charlie Hebdo était souvent allé trop loin mais que assurément ceux qui avaient fait ça n’étaient pas des musulmans.

Y. trouvait que ce qui était grave c’était de répondre à des dessins et des écrits par des meurtres alors qu’ils auraient dû parler ou dessiner.

Ou même, a dit I., à la limite, se battre.

Comme un duel, a dit D. C’est ça, comme un duel mais sans armes. Un combat de boxe alors, a dit I.

Ce à propos de quoi ils sont tou-tes tombé-es d’accord, c’est sur le fait qu’on ne peut pas tuer des gens parce qu’on n’est pas d’accord avec eux/elles et que la liberté d’expression, c’est pouvoir dire son opinion en respectant les autres, donc aussi pouvoir dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas les dessins dans Charlie Hebdo.

Ce qu’ils et elles n’ont pas bien compris, c’est pourquoi on a fait une minute de silence dans ce cas et pas dans d’autres. Ce qui leur fait peur depuis ce mercredi 15 janvier, c’est qu’il y ait des attaques contre les musulman-e-s et les arabes à cause des gens qui confondent tout ou qui « font exprès de tout confondre parce qu’ils sont racistes ». Depuis vendredi, ils ont aussi peur d’autres attaques contre les juifs/juives, parce que « ça leur arrive souvent » et qu’on n’en parle pas assez.

La surveillance idéologique des « jeunes des banlieues » : un prétexte pour l’évitement des questions économiques et sociales ?

Mes élèves sont des adolescent-e-s qui essaient de mettre des mots sur des situations complexes et, pour certain-es, de se dépatouiller avec les attentes et injonctions contradictoires d’une société à leur égard. Ils et elles ont entre onze et douze ans dans cette classe de cinquième et, parce qu’ils et elles n’ont pas vraiment le choix, ont une conscience aiguë de nombre de problèmes économiques et sociaux. Ils se posent beaucoup de questions et ont beaucoup d’émotions à propos de ce qui s’est passé ces derniers jours.

Ils ont aussi envie de penser à autre chose parce qu’ils ont peur de ne plus pouvoir « bien s’entendre » si ça continue. Ils veulent tou-tes être respecté-es dans ce qu’ils et elles sont et d’ailleurs à ce propos aimeraient vraiment bien qu’on parle plus du racisme dans cette société. Et aussi du sexisme, rajoutent les filles, qui pensent pour beaucoup que c’est un peu lié à la jalousie des garçons de voir que, « nous, les femmes, on sait tout faire et, eux, ben, pas grand chose quand même ».

En tant que professeure de français dans un collège REP du 95 depuis trois ans, je dois dire que je n’avais pas été habituée à ce que la population scolaire à laquelle j’enseigne suscite un tel intérêt. Ces derniers mois, j’ai vu, par exemple, peu d’articles analysant le fond de la réforme de la carte de l’éducation prioritaire et ses conséquences sur la scolarité d’élèves déjà majoritairement fragilisés dans leur rapport à l’école par le fait que leur culture familiale et sociale est peu ou pas favorisée par le système scolaire et, plus généralement, par des situations économiques et sociales les soumettant souvent à la précarité et à des oppressions diverses.

J’aimerais que les journalistes viennent enquêter auprès de ceux et celles qui sont les plus directement concerné-es, en particulier les élèves et leurs parents, pour savoir si oui ou non il y a une politique sérieuse de l’éducation prioritaire en France, si oui ou non il est sérieux de faire sortir à la rentrée 2015 tous les lycées de ce dispositif, si oui ou non nous nous donnons les moyens de faire que l’école soit autre chose qu’un instrument violemment efficace de la reproduction sociale. Alors, c’est sûr, ce serait sûrement moins vendeur dit comme ça. Mais au moins ça parlerait de la réalité quotidienne des REP et non des fantasmes et des peurs d’une partie de la population française qui servent à justifier, encore et encore, des inégalités et une domination sans partage.

Des questionnements « insupportables »… et néanmoins pertinents

Réflexions sur et contre la criminalisation des élèves, et notamment des élèves présumé-e-s musulman-e-s (Deuxième partie)

L’institution en général et certain-e-s enseignant-e-s en particulier ont mis les élèves dans une alternative absurde : “soit on est tous Charlie, soit on fait l’apologie du terrorisme”. Il n’est pas étonnant qu’elle ait produit des résultats apparemment incompréhensibles.

Nous sommes deux professeures qui livrons nos témoignages. Notre but ? dénoncer la construction médiatique de la figure de l’élève descendant de l’immigration comme menace à la République.

« Pourquoi on ne dit pas tout cela à la télé, Madame ? »

Voilà ce que m’ont demandé mes élèves après que nous ayons ensemble discuté des événements de la semaine dernière. Et je dois moi-même retourner la question :

Pourquoi les journalistes ne sont pas aussi sensé-e-s que mes élèves ?

Je suis professeure en Terminale, dans un lycée de région parisienne, mixte socialement, mêlant des élèves de la bourgeoisie, à des élèves des classes populaires, des élèves blanc-he-s, à des noir-e-s, arabes, juifs et juives. En quelques minutes, collectivement, exerçant de façon exemplaire leur esprit critique, ils/elles ont souligné et compris chacune des grosses erreurs logiques sous-jacentes aux commentaires journalistiques les plus fréquents.

Mon lycée, qui n’est pas un lycée de quartier populaire, n’est pas sous le feu des projecteurs, pourtant, ici comme ailleurs, les adolescent-e-s ne cessent de questionner le cadre lorsqu’il est imposé, sont toujours soupçonneux à l’égard du discours majoritaire, sont rétifs à certains raisonnements fallacieux, ce qui est finalement plutôt rassurant ! Au lieu de s’indigner qu’ils ne soient pas tou-te-s « Charlie », on devrait en réalité saluer leur capacité à raisonner au-delà de l’émotion collective…

Être ou ne pas être Charlie ? Une parole critique à l’égard de Charlie Hebdo est-elle encore possible ?

Le mouvement #JeNeSuisPasCharlie serait un mouvement qui refuse de s’associer au deuil des victimes de l’attentat perpétré à Charlie Hebdo. Certains éditorialistes nous parlent d’ailleurs de commencer un« repérage », voire une chasse aux « #JeNeSuisPasCharlie »…

On nous rapportedes témoignages d’enseignant-e-s désappointés parce que les élèves seraient solidaires des assassins de Charlie Hebdo car ils refuseraient de s’identifier au slogan “Je suis Charlie”. Ou encore des témoignages d’enseignant-e-s, ayant montré des caricatures aux élèves, et désespéré-e-s, du fond de leur vertu républicaine, de voir que ces élèves, malgré leurs explications, continuent de penser que ces caricatures sont racistes/islamophobes, ou tout simplement blessantes, humiliantes, et pas vraiment drôles.

Ces mêmes enseignant-e-s, tel des apôtres du rire républicain, se demandent ensuite, sérieusement, quels projets pédagogiques construire afin que ces élèves finissent enfin par rire et par accepter avec le sourire ce qu’ils/elles jugeaient humiliant ! Comme si le fait de désapprouver ces caricatures, ou d’être blessé par elles, constituait le premier pas vers le terrorisme

Ici, mes élèves n’ont eu aucune peine à voir le sophisme grave qu’il y a à associer la dénonciation de l’attentat à une adhésion à la ligne éditoriale du journal. Vouloir à tout prix démontrer que Charlie Hebdo était un journal qui ne posait aucun problème politiquement, c’est entériner de façon sous-jacente l’idée que, si d’aventure c’était le cas, alors l’attentat pourrait être légitimé.

L’idée que « Charlie l’aurait bien cherché » n’est que l’autre face de ce sophisme. Il a semblé absolument évident à mes élèves que si on ne pouvait pas légitimer l’attentat par le contenu politique du journal, alorscorrélativement, on pouvait tout à fait dénoncer la tuerie, tout en critiquant le contenu du journal, puisqu’il ne saurait y avoir aucun lien logique entre la ligne éditoriale du journal d’une part, et l’attentat d’autre part.

Dès lors, on peut très bien refuser de dire « Je suis Charlie », parce qu’on s’oppose politiquement à l’orientation de ce journal [2], tout en dénonçant sans nuance l’attentat. J’ai commencé le cours par la mise en évidence de ce sophisme.

Il a donc été limpide, pour ceux qui étaient arrivés en cours en disant que les dessinateurs n’étaient pas « tout à fait victimes », que finalement, si certaines prises de position des dessinateurs étaient critiquables, rien ne pouvait cependant légitimer leur assassinat. À partir du moment où dans l’espace du cours, en tant que représentante de l’institution scolaire, j’ai explicitement autorisé l’expression d’une parole critique à l’égard de la ligne éditoriale du journal, les élèves, tels X. ou S., qui étaient coincé-e-s dans un sophisme créé de toute pièce par l’injonction à tou-te-s « être Charlie », se sont sentis libéré-e-s, et ont pu alors sortir de la posture apparemment « barbare » dans laquelle ils/elles sont arrivé-e-s en cours et que d’autres enseignant-e-s auraient été prompts à rapporter, horrifié-e-s, à la presse, sans comprendre que cette posture n’était que le résultat logique d’une injonction absurde. Lorsqu’on enjoint tout le monde à « être Charlie », sans discussion possible de ce que ce slogan peut signifier et de ce que veut dire s’identifier à ce journal, ou à accepter le dogme selon lequel Charlie Hebdo était anti-raciste, qui, des élèves ou de l’institution scolaire, ne comprend pas ce qu’est la liberté d’expression et l’exercice de l’esprit critique ?

Dès lors, je ne suis guère étonnée des incidents rapportés ici et là pendant la minute de silence imposée sans discussion possible, ni des récits d’enseignant-e-s qui commencent par vouloir démontrer que “Charlie Hebdo” n’avait rien de raciste et qui ensuite ne comprennent pas pourquoi les élèves continuent à dire “Ils l’ont finalement bien cherché”.

C’est l’institution qui a produit ces réactions, par le cadre et les injonctions qu’elle a imposés et c’est encore l’institution, relayée par la presse, qui construit ces réactions comme problème public, figurant l’élève descendant-e de l’immigration comme une menace à la République.

« Pas d’amalgame » ?

Ensuite, mes élèves m’ont posé la question des causes profondes de ces événements. A émergé, dans les échanges collectifs, l’idée que si l’on partait du principe que les terroristes avaient commis un acte qui n’avait rien à voir avec l’Islam mais qui ressortait d’une idéologie politique ultra-violente, alors chercher à prévenir le terrorisme en voulant réformer l’Islam était absurde. Les capacités d’analyse logique de mes élèves devraient être mises au service de la République… et des éditorialistes qui depuis la semaine dernière se demandent comment « guérir » l’Islam de l’intérieur.

Une élève, B., a alors posé la question de savoir quelles étaient les vraies causes de cette violence, se demandant ce qui poussait certains individus à adhérer à des idéologies terroristes, ayant donc bien compris que le vrai problème n’était pas l’idéologie qui servait de support au passage à la violence, mais les causes sociales et profondes de cette adhésion à une idéologie prônant la violence.

Les élèves ont très bien identifié que l’absence d’interrogations politiques sur ces causes effectives sociales et la focalisation sur la cause occasionnelle « religion » revenaient à tomber dans le fameux « amalgame » que l’ensemble du spectre politique disait pourtant rejeter.

S. a d’ailleurs souligné avec pertinence que si le Front National disait lui-même refuser cet amalgame, cette profession de foi du « pas d’amalgame » n’avait plus grande valeur. O. a également demandé si la terminologie « islamiste », pour désigner une idéologie qui n’avait rien à voir avec l’Islam même si elle s’en réclamait, ne sous-entendait pas un lien de continuité entre l’Islam et l’islamisme, le premier n’étant que la version « modérée », édulcorée du second. D. a ajouté que dans la même veine, l’idée que les musulman-e-s devraient se désolidariser des actes terroristes sous-entendait que par défaut les musulman-e-s seraient potentiellement solidaires, ce qui participait du même fameux amalgame que tout le monde dit rejeter, tout en le reconduisant sans cesse.

Comprendre, ce n’est pas justifier 

Puis mes élèves m’ont également fait part de leur perplexité face à certaines expressions employées par la presse ou par des hommes politiques :

« Madame, dire que les terroristes, sont des “monstres”, des “barbares”, c’est dire qu’on ne peut pas comprendre ce qui les a conduit à agir ainsi ? » est intervenu F.

« En disant cela, on fait comme si ce n’étaient pas vraiment des humains, comme s’ils ne faisait pas pas partie de notre société, et on ne se donne pas les moyens de comprendre, on ne prend pas nos responsabilités », a enchaîné B.

Plusieurs se sont souvenus d’un cours sur Hannah Arendt à propos d’Eichmann à Jérusalem et ont rappelé que comprendre les causes d’actes moralement injustifiables ne conduisait pas à excuser ces actes, mais qu’au contraire, c’était une manière de prendre ses responsabilités en réfléchissant à vraiment prévenir, à l’avenir, ce genre d’actes.

Dès lors, il a semblé urgent aux élèves que l’Etat se pose les bonnes questions et agisse sur les vraies causes de cette violence, sans la rejeter dans l’altérité radicale du barbare, ni celle de l’Islam ou encore celle de l’immigration. N. me demande en effet :

« Vous pensez qu’ils vont vraiment prendre leur responsabilités et vraiment chercher les vraies causes, Madame ? ».

M. a souligné que le fait que les terroristes soient morts étaient « une perte pour nous tous », puisque les interroger auraient permis de mieux comprendre leur parcours, de mieux saisir ce qui les avait conduit là. S. s’est aussi indignée que le Figaro puisse titrer : « Justice a été rendue », puisqu’il lui semblait clair que la justice c’était un procès, un jugement, une peine, le tout conformément aux lois.

L’émotion à géométrie variable

Enfin M. et N. ont questionné l’ampleur de la mobilisation, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Comment expliquer la disproportion entre cette mobilisation en France et celle ayant suivi la mort des enfants de Toulouse en 2012 ?

Comment expliquer que le monde entier vienne à Paris, quand ailleurs d’autres massacres ont eu lieu dans l’indifférence ?

Comment, si ce n’est parce que toutes les vies n’ont pas la même valeur pour tout le monde, et parce que« quand ce sont des gens connus, ça mobilise plus que quand c’est des enfants juifs ou des gens en Afrique » ?

Que des adolescent-e-s questionnent le discours majoritaire, qu’ils interrogent ce qu’ils perçoivent comme des injustices, tout ceci est en réalité une excellente nouvelle, puisqu’ils mettent en œuvre l’esprit critique que l’école leur demande justement de développer ; et ce questionnement est partagé par des élèves de milieux très différents. Il est du devoir des enseignant-e-s d’y répondre, sous peine de voir ces questions restées sans réponse, ou criminalisées, trouver un refuge facile dans les théories du complot.

La focalisation sur les élèves racisé-e-s de banlieue vise à construire la figure d’élèves descendant-e-s de l’immigration qui seraient intrinsèquement rétifs à « nos » valeurs, à savoir complaisant-e-s à l’égard de la violence terroriste.

C’est cette même perception déshumanisante de ces élèves-là qui explique que personne ne fait écho, depuis la semaine dernière, aux angoisses profondes, au mal-être des élèves s’identifiant comme musulman-e-s, faisant l’objet d’un véritable harcèlement médiatique, mais aussi d’une recrudescence de la violence raciste quotidienne, et se demandant désormais si un avenir est encore possible pour elles/eux en France…

p.-s.

Nous avons fait le choix de ne pas signer cet article : la criminalisation de certaines prises de paroles d’élèves (40 dénonciations d’élèves à la police par les établissements scolaires pour des faits d’ « apologie de terrorisme » à ce jour), l’apparent consensus dans l’Education Nationale autour de l’effroi inspiré par certaines questions, jugées « insupportables » par Najat Vallaud-Belkacem elle-même, l’accusation de complaisance à l’égard du terrorisme contre les personnes qui tiennent un discours critique à l’encontre de la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, et ce d’autant s’ils/elles sont supposé-e-s musulman-e-s… etc : tout ceci fait que nous ne pouvons nous permettre d’assumer cet article en notre nom. Questionner, avec les élèves, certaines évidences médiatiques et certaines injonctions étatiques semble en effet être considéré comme un comportement anti-républicain, d’autant plus grave que nous sommes fonctionnaires !

Source : LMSI

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-je-suis-charlie-ou-pas-disent-mes-eleves-de-lycee-ils-ont-raison-de-sinterroger/


À l’école : être Charlie… ou pas

Thursday 29 January 2015 at 02:43

Je me demande aussi passage si l’école est bien le lieu de ce genre de “débats” complexes, au risque de susciter exactement ce qui se passe – vaste débat…

«A “Charlie”, ils savaient qu’ils prenaient des risques»

«Libération» a assisté à un débat dans une classe de première de Roubaix. Entre distance et fracture. 

«Au début, j’ai rien ressenti. Puis, je me suis mis à la place des victimes. J’ai eu mal pour les 17. Mais aussi pour les terroristes. Leur vie n’a pas été facile. Il y a des gens qui ont dû leur parler pour qu’ils soient influencés comme ça», dit Adel. C’était jeudi, en première S, au lycée Jean-Moulin de Roubaix (Nord). Ils sont 9 élèves dans cette classe, on ne se bouscule pas pour cette filière. Ce lycée, proche du centre-ville, devant le «rang des drapiers», un rang de maisons cossues de l’ancienne bourgeoisie textile, compte 80% de boursiers et 45 nationalités. Il est aussi classé parmi les lycées à plus forte valeur ajoutée de France, avec un bachelier reçu l’an dernier à Sciences-Po Paris. Les attentats ? Charlie Hebdo ? On a regardé les marches à la télé. «Quand on n’a même pas de table pour faire ses devoirs, ce n’est pas la priorité», dit un prof de maths. Il y a eu des minutes de silence. Une classe a refusé de la faire. Il y a eu débat. Le lendemain, les mêmes ont demandé à la faire.

Lundi, François Da Rocha, prof d’histoire-géo, a passé une journée à débattre en cours «dans les limites de la loi», et pendant deux heures avec cette première S. Une partie des élèves s’est contentée d’écouter. Jeudi, quand Libération a sollicité le lycée, le proviseur, Alain Godon, a interrompu un cours de maths pour reprendre le débat. On s’assoit devant eux, on sort le carnet de notes. Le prof de maths, le prof d’histoire-géo et le proviseur sont au fond de la salle. Un élève : «Vous allez écrire ce qu’on dit dans le journal ?» On dit oui. Ils sont d’accord. Adel commence : «Charlie Hebdo, j’aime pas trop ce journal. On n’a pas à critiquer les religions. On peut rigoler sur d’autres sujets. Ils ont caricaturé le Prophète. Ils savaient qu’il y avait des risques, mais je pense qu’ils ne méritaient pas la mort.» Amar : «Ils ne méritaient pas la mort, mais ils n’auraient pas dû.» Alors quoi faire ? Interdire ? Adel : «Pas interdire le journal. Pas le journal en entier. Mais on peut rigoler d’autres choses. Il y a plein de sujets dans la vie quotidienne.» Quelqu’un : «Ils font ce qu’ils veulent. Mais ils prennent des risques.» Adel : «Ou alors l’interdire. Comme ça, il n’y a pas de problème.» On peut aussi ne pas l’acheter, non ? «Même si on ne l’achète pas, on voit les images.» Oui, mais Charlie Hebdo va continuer… Un élève secoue la tête : «S’ils continuent, les terroristes vont continuer, on n’en aura pas fini.» On leur demande si quelque chose les attriste. Adel : «Ce qui m’attriste, c’est cette histoire, comment elle s’est finie, les morts. Et puis, les terroristes, ça fait pitié comment ils ont vécu. Dans leur enfance, c’était des orphelins, placés à la Ddass.»

«Insulte». François Da Rocha rappelle que, lundi, il a été question de Dieudonné. Les élèves ne s’étendent pas sur ce sujet. Amar se souvient que Dieudonné avait dit qu’il fallait «rouvrir les chambres à gaz pour le journaliste Patrick Cohen». Pas de commentaire. On fait remarquer l’impression d’une société morcelée : des juifs qui veulent quitter la France, des musulmans qui sont montrés du doigt. Amar s’anime : «A cause de l’attentat, les gens croient qu’être musulman, c’est être terroriste, alors que pas du tout. Et, nous aussi, on est français.» Adel : «Musulmans, chrétiens, juifs, on va jamais réussir à s’entendre. Il y a des gens qui insultent les juifs. Tout le monde s’insulte. Ça va pas marcher.» Alexis : «OK, il y a eu des attentats, mais on a trop poussé la chose. Quand il y a eu l’attentat au Maroc, on en a moins parlé.»

Musulman ou pas, aucun n’est allé marcher. Un élève noir du premier rang sourit : «Pas le temps. Trop de devoirs.» Les autres rient. Son prénom ? Il pétille de l’œil : «Jean-Pierre.» Eclat de rire collectif. Et les marches, ils se sont sentis concernés ? Silence. Adel : «C’était bien. Ils sont solidaires entre eux.» Il le dit sans ironie, sans animosité. «On devrait vivre tous comme ça, chacun sa religion, dans la même société. On est des humains, on peut cohabiter. Je vois pas ce qui pose problème.» Le professeur d’histoire : «La fracture est certes ethnique, religieuse, mais surtout socio-économique. On les exclut, on ne les regarde pas depuis des années, et, à présent, on les enjoint à défiler, et on ne comprend pas qu’ils n’obéissent pas.»

«Athées». Plusieurs élèves pensent que si les journalistes de Charlie ne comprennent pas qu’ils blessent des musulmans, c’est parce qu’ils sont «athées».«Ils croient à rien. S’ils étaient à notre place, ça les toucherait. Ils se mettent pas à notre place.» Adel : «Ils savent qu’en tant que musulman, on ne peut pas critiquer d’autres religions. Jésus, c’est un de nos prophètes, on doit le respecter. Mohammed, on ne doit pas le montrer, dans le film le Message [de Moustapha Akkad, 1976, ndlr], il n’est pas montré.»

Le proviseur, au fond de la classe, les titille : «Si les musulmans se mettaient à caricaturer le christianisme, comment ils le prendraient les chrétiens ?» Amar : «Impossible.» Le proviseur insiste : «Ils se marreraient ?» Amar : «Nous, on se marrerait pas.» Le proviseur rappelle que des chrétiens ont souvent intenté des procès à Charlie Hebdo. Amar : «Je les soutiens.» Le prof d’histoire : «Qu’est-ce qui est sacré ? Pour moi, le foot c’est sacré, vous me connaissez… [Il prépare une thèse d’histoire sur l’équipe de France]» . Adel : «Vous n’allez pas pleurer pour un match nul.» Le prof hilare : «Mais si !» Il continue : «A partir de quel moment un dessin est une insulte ?» Une voix : «Quand on parle de religion.» Le proviseur : «La société française, elle est forte. Regardez, ici, on est tous d’origines très différentes.» Il continue : «Est-ce qu’on peut dire qu’ils l’ont cherché ?» Adel : «Ils savaient qu’ils encouraient des risques.» Des risques ? Le proviseur pousse le raisonnement plus loin : «Vous savez qu’à Roubaix, il y a des professeurs, femmes, qui se prennent des remarques, le soir, si elles sont en jupe.» Un élève : «Elles ne sont pas obligées d’écouter.» Le proviseur : «Si elles se font violer, est-ce qu’on va dire qu’elles l’ont bien cherché ?» D’une seule voix : «Non.» Et les journalistes de Charlie, ils l’ont bien cherché ? Un élève : «Ils étaient conscients des risques. Après, ils font ce qu’ils veulent.»

Haydée SABÉRAN Envoyée spéciale à Roubaix
Source : Libération

Témoignages – « Beaucoup d’élèves sont choqués par les dessins de Charlie Hebdo »

Émilie Brouze – 08/01/2015

Dans les classes, une interrogation : comment parler aux élèves de l’attentat de Charlie Hebdo ? Des profs racontent.

« Je les attends. Mais je ne suis pas prête », tweetait ce jeudi matin @lonnyJ, prof en primaire.

Je suis Charlie

Je les attends. Mais je ne suis pas prête. pic.twitter.com/cOCoDlDAsk

— Lonny (@lonnyJ) 8 Janvier 2015

Au lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, qui a fait douze morts, la ministre de l’Education nationale avait appelé à respecter une minute de silence dans les établissements.

Beaucoup de profs se questionnaient : comment réagir ? Comment trouver les mots face aux élèves ? Rue89 leur a demandé de témoigner.

« La tolérance, c’est un combat éthique, politique, culturel »

Jean-Pierre Haddad, prof de philo au lycée Elisa-Lemmonnier (Paris XIIe)

Je suis arrivé à 11 heures au lycée. Beaucoup d’élèves voulaient en parler. Les profs les ont invités à faire des dessins, qui sont affichés dans le hall.

Mot d'élève

Un mot d’élève affiché au lycée Elisa-Lemmonnier (Jean-Pierre Haddad)

Montage de mots d'élèves

Montages : mots et dessins d’élève affichés au lycée Elisa-Lemmonnier (Jean-Pierre Haddad)

Il y a des écrans partout dans le lycée : à la bibliothèque, en salle des profs, dans le hall, avec le même message « Nous sommes Charlie ».

J’ai écrit un texte, que je vais leur soumettre cette après-midi en cours de philo [lire ci-dessous]. On va débattre. Beaucoup sont choqués et ils ont envie d’être apaisés.

Je vais essayer de leur faire faire des distinctions entre religion et utilisation politique ou idéologique de la religion. Je veux leur expliquer les différents courants de l’islam et de l’islam politique. Je vais aussi leur parler de fascisme.

Dans le lycée, 75 % des jeunes sont de familles musulmanes. On a entendu beaucoup de slogans « Ils ne sont pas musulmans mais terroristes ».

Ils sont presque dans la dénégation et c’est vrai, les terroristes ne sont pas de vrais musulmans.

Et je vais leur parler de tolérance. Je vais dénoncer le sophisme qui dit qu’il faut tout tolérer. Les adversaires de la tolérance ne doivent pas être tolérés, sinon il n’y a plus de tolérance. La tolérance, c’est un combat éthique, politique, culturel. »

« La tolérance doit tout tolérer, y compris l’intolérance, sinon elle devient intolérante et se contredit elle-même… »

Non ! Pur sophisme !

La tolérance n’est pas un jeu d’esprit ou une technique verbale. Elle est un effort d’intelligence, une vertu éthique et, en démocratie, un principe politique. Ainsi la tolérance ne peut et ne doit, pour sa survie même, tout tolérer ; elle a une limite.

Laquelle ? Celle où elle rencontre son ennemi : l’intolérance. Oui, l’intolérance est intolérable car elle nie et veut empêcher la tolérance qui, elle, accepte tout ce qui est tolérant, selon son altérité et ses différences.

Aujourd’hui nous voyons bien où est l’intolérance : des facho-fanatiques voudraient nous interdire de rire et de penser librement… au nom d’un « Dieu » qu’ils sont les seuls à insulter par leurs actes.

Soyons tolérants, oui! Mais aussi vigilants et n’ayons pas peur de mener le combat des idées et de la liberté d’expression.

« Je les sens très inquiets »

Soizic Guérin-Cauet, prof d’anglais au lycée Jean-Perrin à Nantes

Dès 8 h 30 ce jeudi, le tabac-presse en face du lycée n’avait plus rien, ni Charlie Hebdo, ni Libé, ni Le Monde…

Il y a eu beaucoup de pleurs ce matin, des élèves comme des profs.

Au début du cours, je ne savais pas quoi leur dire. J’ai juste demandé si ça allait bien. À la fin de cette première heure, la minute de silence se profilait… Je leur ai laissé mes marqueurs et le tableau, je leur ai dit que c’était leur heure.

Il fallait que ce soit spontané, ne pas leur imposer d’en discuter… Ceux qui étaient trop marqués pouvaient continuer à travailler.

Deux élèves ont commencé à parler. Petit à petit, avec leurs chaises, les autres ont commencé à se rapprocher.

On est tous très choqués. Je les sens très inquiets : « Tout le monde va voter FN » ; « Tout le monde va accuser les musulmans. »

C’étaient leurs mots.

Je voulais les entendre. Ils m’ont dit qu’il fallait qu’on parle, qu’on explique, qu’on soit « moins cons ». Ils sont intelligents, mes élèves.

Une fille a dit quelque chose qui m’a heurtée : « Quand même, ils sont allés loin Charlie Hebdo ». Quelqu’un lui a répondu : « Alors tu crois que c’est bien fait ? » Elle a dit que non.

Là, on a commencé à parler de la liberté d’expression et ça, c’est le plus dur. Ils disaient qu’il existait une limite mais la limite, ils ne savent pas la fixer. Est-ce qu’il faut se taire si on risque de vexer quelqu’un ?

Ils sont tiraillés entre ce qu’ils ont envie de dire et ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Ils avaient leur exemple à eux : Justin Bieber, je ne supporte pas de l’écouter mais j’ai le droit de dire que je n’aime pas sa musique.

On a finalement trouvé une forme de limite dans le respect.

On nous avait demandé de faire la minute de silence dans nos classes mais avec les autres profs, on a voulu la faire ensemble, dans la cour. On voulait être ensemble. Tout le monde a bien respecté la minute.

Aux élèves, on ne peut pas leur mentir, leur dire que les gens violents, la mort, l’absurdité, ça n’existe pas. Mais je leur ai dit que Charlie Hebdo allait continuer, que les terroristes n’ont pas gagné.

« J’ai choisi de ne pas laisser la parole libre »

Karine Sahler, prof d’histoire-géo dans un collège privé du Cher

J’avais préparé une séance pour mes trois heures de cours de l’après-midi. Je leur ai d’abord montré ce qu’était une caricature – en me basant sur une autre période historique –, j’ai rappelé les faits, expliqué pourquoi Charlie Hebdo avait été visé. Ensuite, on a lu la déclaration des droits de l’homme, on a analysé plusieurs caricatures publiées en réaction à l’attentat et je leur ai laissé vingt minutes pour dessiner. Beaucoup ont représenté un tireur face à un journaliste. Un élève a dessiné une bibliothèque.

Le dessin d'un  élève

Le dessin d’un élève (Karine Sahler)

Il y a même un moment où on a rigolé, quand je leur ai montré la caricature de Luz sur le pape : « Tes Dieu ? T’as pas de shampoing ? Non mais allô, quoi. » C’était bien car ils ont vu que les caricatures pouvaient à la fois les faire rire, les choquer et les faire réfléchir.

J’ai choisi de ne pas laisser la parole libre et de garder un moment d’expression libre avec le dessin. Je pense que ce n’est pas trop mon rôle, qu’en tant que prof je dois plutôt apporter du contexte, expliquer… C’est difficilement avouable mais j’avais peur aussi d’entendre des choses que je n’avais pas envie d’entendre. Je suis dans un collège où il peut y avoir pas mal de remarques racistes… Je ne voulais pas que ce soit trop émotionnel.

Une de Charlie Hebdo sur le pape

Une de Charlie Hebdo avec un dessin de Luz sur le pape

En quatrième et en troisième, ils sont conscients de la différence entre islam et terrorisme. En cinquième, c’est plus compliqué, plus flou. Ils ont peur pour la suite, ils demandent s’il va y avoir une guerre civile. Un élève a failli dévier sur la peine de mort, je n’ai pas laissé faire.

« Et le cours devra reprendre, difficilement »

Monsieur le prof, blogueur à Rue89 (qui témoigne anonymement)

Ce matin, en arrivant au collège, le secrétariat m’a dit que l’établissement ne souhaitait pas faire de minute de silence aujourd’hui, car c’est « trop précipité » et « certains profs ont peur de ne pas avoir les mots ». Ils avaient également peur qu’il y ait « des troubles ».

Évidemment, chacun est libre de faire la minute de silence avec sa classe s’il le souhaite, mais à mes yeux, l’unité nécessaire est clairement absente dans une telle situation. Pour ma part, je n’ai pas eu de classes ce matin et n’en ai pas eu à midi, au moment de la minute. La sonnerie des pompiers a retenti. Seul dans ma classe, j’ai regardé par la fenêtre et ai vu d’autres profs continuer à faire cours comme si de rien n’était, j’ai vu les élèves jouer dans la cour et se battre comme si de rien n’était. Je trouve triste cette indifférence, cette volonté de détourner les yeux.

Cette après-midi, je demanderai à mes classes si un professeur leur a parlé de ce qu’il s’est passé mercredi. Si ce n’est pas le cas, je leur expliquerai, avec mes mots, en improvisant, parce que forcément, on n’a pas de manuel pour savoir comment réagir dans ces moments-là.

Je leur présenterai également des dessins de presse en anglais, étant donné que c’est ma matière, pour les faire réfléchir à ce sujet. Et le cours devra reprendre, difficilement.

Fin du cours, des élèves restent : « M’sieur, on peut voir des dessins de #CharlieHebdo ? Personne veut nous en montrer. »

— Monsieur Le Prof (@MsieurLeProf) 8 Janvier 2015

Je leur ai donc montré quelques dessins dont le « Dur d’être aimé par des cons. » Ils étaient effarés qu’on puisse tuer pour ça.

— Monsieur Le Prof (@MsieurLeProf) 8 Janvier 2015

« Beaucoup d’élèves sont choqués par les dessins »

Marie, prof de sciences dans un collège-lycée privé catholique de Paris

Je travaille dans un établissement un peu spécial : un collège-privé catholique parisien, où il y a très peu de diversité. Ce jeudi matin, j’ai banalisé mon heure de cours avec les premières S pour parler de Charlie Hebdo. J’avais essayé de préparer quelque chose mais je n’ai pas réussi.

Il y a un consensus sur le côté inacceptable de cet attentat mais une grande majorité des élèves ne sait pas trop quoi penser. Une dizaine ont participé au débat, environ vingt ont écouté.

Un des élèves m’a dit en petit groupe ce qu’il n’avait pas osé dire devant tout le monde : « Ils ont joué avec le feu et ils se sont brûlés. » Il sous-entendait qu’ils l’avaient bien cherché. Il savait qu’on ne pouvait pas dire ça mais il n’arrivait pas à dire pourquoi, il avait besoin de l’expliciter.

Beaucoup d’élèves ont découvert Charlie Hebdo mercredi et ont été choqués par les caricatures – beaucoup sont catholiques pratiquants. Certains voulaient en afficher dans la classe, d’autres n’en avaient pas envie. Ils se sont demandé si le fait de continuer à dire des choses choquantes pouvait être vu comme un hommage… Un élève a commencé à dessiner Cabu avec un doigt d’honneur et m’a demandé l’autorisation de l’afficher.

Certains élèves veulent s’abonner à Charlie Hebdo, d’autres ont dit qu’ils n’aimaient pas le journal, mais ont demandé ce qu’ils pouvaient faire d’autres.

Ils ont peur mais répètent qu’il est important de montrer qu’ils n’ont pas peur. Ils se demandent ce que ça va donner dans la société. Ils sont pendus à leur téléphone, abreuvés d’informations anxiogènes… Ils se demandent : si on change nos photos de profil sur les réseaux sociaux, est-ce qu’on montre qu’on a peur ?

Ils n’ont pas envie de faire d’amalgames et ne connaissent finalement peu la religion musulmane. Ils ont envie de la connaître davantage.

Notre discussion m’a fait prendre conscience qu’ils n’ont pas d’espace pour parler de la société, pour qu’il puisse apprendre à se faire leur propre opinion… Je me rends compte que ça leur manque.

« Beaucoup ont pleuré et moi aussi »

Noémie, prof de français dans un lycée dans une petite ville de moins de 10 000 habitants dans l’Yonne

On s’est retrouvé avec mes collègues mercredi soir, pour discuter. On savait, sans en faire un outil pédagogique – ce serait déplorable – qu’on allait en parler avec les élèves, quelles que soient nos disciplines.

C’est venu naturellement, très simplement avec ma classe de première L. Ils étaient assez demandeurs. On est d’abord revenu sur le déroulement des faits. Beaucoup ont vu les vidéos, notamment celle de la mise à mort du policier.

Les élèves sont très peinés, très choqués. Beaucoup ont pleuré dans la classe et moi aussi. Mais ils étaient assez censés et forts pour dire qu’il ne fallait pas se laisser déborder par la passion. L’important, c’est de parler, ne pas rester silencieux, même si c’est pour ne pas dire grand-chose.

Quelques élèves de confession musulmane ont dit qu’ils avaient peur de se rendre seuls au rassemblement dans notre ville, ce jeudi soir. Ils avaient peur des remarques, des regards. On a discuté du hashtag [mot-clé] #voyageavecmoi : des twittos proposent à ceux qui se sentent seuls ou en danger de voyager ensemble dans les transports en commun. Alors on a dit qu’on pouvait se rendre tous ensemble au rassemblement de ce soir.

J’avais peur des réactions maladroites… Mais les élèves étaient très mesurés dans leurs propos, ils ne voulaient blesser personne. Ils disaient aussi qu’ils ne pouvaient aller pas plus loin dans l’analyse parce que l’enquête est en cours. Je pense qu’on en reparlera dans les prochains jours.

Les élèves voulaient surtout comprendre pourquoi, mais ils se sont rendus compte qu’on ne pouvait pas y répondre. Ils se sont rendus compte par eux-mêmes qu’il ne fallait pas faire d’amalgames entre une religion et une dérive terroriste.

On s’est demandé : est-ce qu’on peut faire quelque chose ? Les élèves veulent se faire entendre, certains ont apporté des dessins. Il veulent montrer qu’ils se sentent concernés. Des élèves m’ont dit qu’à leur âge, ils n’avaient pas encore eu de cause mais que pour cet évènement-là, ils voulaient réagir. Ils sont heureux de pouvoir se rassembler ce soir, tout âge et toute origine confondus.

« Ils ont parlé de leur crainte de voir monter les extrêmes »

Lucile Peyre, prof de philosophie au lycée privé Saint-Gabriel de Saint-Affrique (Aveyron)

Ce jeudi matin, j’avais trois heures de cours, des terminales ST2S, des terminales L, et des terminales L-ES, des élèves âgés de 17 à 19 ans.

C’est le rôle de la philosophie que d’inviter à la libre expression des idées, à la réflexion, à la discussion et c’est justement ce que j’ai dit à mes élèves, en reliant la philosophie à la démocratie. Leur racine commune n’est pas qu’historique, elle se trouve dans cette ouverture, cette tolérance, dans la pratique du débat, et dans celle de la liberté, tout ce qui a été précisément attaqué mercredi via Charlie Hebdo qui en était un des représentants.

Les élèves étaient vraiment en demande, ils voulaient s’exprimer. Ils ont commencé par parler du choc, de leur très vive émotion, leur peur également. Et, c’est là où j’ai été très contente de leur réaction : ils ont très rapidement et par eux-mêmes distingué terroristes et musulmans, évitant les amalgames, les prévenant même. Ils ont également fait part de leur crainte de voir monter les extrêmes, de voir se développer des réactions intolérantes ou discriminantes suite à cet évènement.

Avec la troisième classe, nous avons procédé un peu différemment. Je leur avais donné un devoir maison lundi pour le jeudi : dans le cadre du cours sur l’art, je leur avais demandé de rechercher plusieurs exemples d’œuvres d’art, et notamment une œuvre engagée. Chaque élève a donc parlé de l’œuvre qu’il avait trouvée, beaucoup d’œuvres pacifistes, ou s’insurgeant contre la violence, l’intolérance, le fascisme. Ont été cités par exemple « J’accuse », des poèmes de Victor Hugo, des chansons de divers groupes de rock contre la guerre du Vietnam, et bien sûr les dessinateurs de Charlie Hebdo dont nous avons parlé.

Un élève évoquant la peine de mort pour les terroristes s’est vu répondre par d’autres qu’une telle peine était d’une part inutile pour prévenir de futurs attentats, et d’autre part revenait à se rabaisser aux façons de faire des terroristes. Un autre élève, qui ambitionne de devenir journaliste, à la question que je lui posais de savoir s’il voulait toujours faire ce métier, m’a répondu : « Plus que jamais. »


Source : Rue89, le 18 janvier 2015


« Ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète »

Benjamin Sportouch – 11/01/2015

Dans une école parisienne, une institutrice s’est retrouvée « choquée » et démunie devant les réactions de ses élèves de CM1 après l’attentat contre Charlie Hebdo.

Un écolier

Hélène ne s’y attendait pas. Professeure des écoles dans un établissement du nord de Paris situé en réseau d’éducation prioritaire (ex-ZEP), elle a entamé la journée de jeudi en expliquant à ses élèves de CM1 de 9-10 ans, le pourquoi du comment de la minute de silence avant la cantine.

Elle n’avait pas terminé son propos introductif que des élèves l’interrompent. « Oui mais ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète », lance l’un. « Ils n’avaient pas qu’à se moquer de notre religion », enchaîne une autre. Hélène est médusée. Elle tente de les éclairer sur la liberté d’expression, la liberté de parole. « Si j’étais la seule à pouvoir parler et que vous étiez réduits au silence, comment réagiriez-vous ? », les interroge l’enseignante qui exerce depuis quatorze ans et qui n’a pas souvenir d’une telle réaction.

« Dalil Boubakeur fréquente des juifs »

Petite moue dubitative de certains écoliers. « Tant pis pour eux, comme ça, ils n’écriront plus c’est dur d’être aimé par des cons ! », renchérit même un enfant en référence à une Une de Charlie de 2006 d’une caricature de Mahomet « débordé par les intégristes ». L’institutrice leur rappelle alors les déclarations sans équivoque du recteur de la Mosquée de Paris Dalil Boubakeur condamnant l’attentat. « Lui il ne faut pas l’écouter parce qu’il fréquente des juifs », la coupe Imad. « Choquée », « très seule », « désarmée », au bord des larmes, Hélène préfère mettre un terme à la discussion. L’après-midi, la directrice est venue dans la classe pour engager le dialogue, sans grand succès non plus.

Même si elle est consciente que les élèves ne font que répéter ce qu’ils entendent, cela ne suffit pas à rassurer Hélène sur l’avenir. « Ils n’ont pas de notions de respect des droits, de respect de l’autre », déplore-t-elle. Et de s’inquiéter : « Qu’est-ce qui va se passer quand on va aborder l’histoire des religions ? ». D’ici là, elle n’exclut pas de revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo en prenant appui sur des documents de l’Éducation nationale. Il a fallu attendre vendredi après-midi pour que le ministère mette en ligne un corpus spécifique à destination des enseignants.

* Les prénoms ont été modifiés


Source : L’Express, le 11 janvier 2015


Être Charlie ou pas : à Roubaix, « on marche sur des œufs »

Gurvan Le Guellec – 12/01/2015

Les grandes marches de ce week-end n’ont pas réussi à réunir la population française dans sa diversité. A Roubaix, l’Obs a rencontré des Français musulmans qui n’ont pas pu ou pas voulu s’associer à leurs concitoyens.

Ismael, Leila et Badredine

Ismael, Leila et Badredine (Eric Flogny, pour l’Obs - Picturetank - montage)

Samedi 10 janvier, à Lille, la mécanique des foules s’est quelque peu déréglée. D’un côté, les circumambulations de la population nordiste unie dans sa grande diversité pour profiter des soldes d’hiver. De l’autre, entre la porte de Paris et la place de la République, la procession rangée de 40 000 manifestants d’une saisissante homogénéité : blancs, venus en famille, lookés avec la même négligence soignée.

Samedi 10 janvier, à Lille, disons le sans fard : la population musulmane n’a pas su ou n’a pas voulu se mobiliser derrière la grande bannière noire « Je suis Charlie » du Club de la Presse Nord-Pas-de-Calais. Ou alors si peu. En l’espace d’un long quart d’heure, posté à mi-parcours du défilé, on aura vu passer une poignée de quinquagénaires brandissant des pancartes « pas en mon nom », et une petite famille – monsieur tiré à quatre épingles, madame en tchador, fillette trottinant à leurs côtés – magnifique par son aplomb mais si isolée dans sa singularité.

Banderole « Je suis Charlie »

Lors de la manifestation à Lille, le 10 janvier (DENIS CHARLET / AFP)

Les jeunes absents

Le matin-même, à trois pas de là, Guillaume Delbar, le jeune maire UMP de Roubaix, nous avait pourtant assuré que les 95.000 habitants de sa ville – et sa très vaste population musulmane, la plus grande de l’agglomération – vivait le deuil national à l’unisson. 1 000 personnes s’étaient réunies sur la Grand Place la veille au soir. Un événement syncrétique donnant à la fois la parole à l’édile, au rédacteur en chef de la Voix du Nord et au président du collectif des mosquées roubaisiennes.

Les jeunes avaient brillé par leur absence. Guillaume Delbar n’y voyait pas motif d’inquiétude.

« Je suis bien conscient que la mobilisation autour de Charlie peut poser question. Mais moi, ce que je retiens, c’est la spontanéité des sentiments exprimés, et comme disait le Général de Gaulle “je vais vers l’Orient compliqué avec des idées simples”. »

Cette spontanéité, ces idées simples, Leila Chebli aimerait bien les retrouver. À 42 ans, la mère au foyer – pardon « l’ingénieure domestique » – a suivi le parcours scolaire de ses enfants en s’investissant peu à peu dans la vie de la cité. Avec quelques autres, elle a contribué à mobiliser les Roubaisiens. Mais se prend aujourd’hui à le regretter.

« Nous voulions exprimer notre compassion aux familles des victimes. Et puis il y a eu cette Marseillaise, ces affichettes “Je suis Charlie” distribuées par la mairie. Moi, je ne suis pas “Charlie”, et je ne crois pas que la Marseillaise en ces circonstances aide à panser les plaies. »

Dans le petit local associatif du quartier populaire de l’Hommelet, où nous retrouvons Leila ce vendredi soir, il y a aussi Badreddine, 30 ans, un conseiller clientèle d’EDF, Ismaël, 21 ans, un étudiant de l’EDHEC, la grande école de commerce lilloise, et Chams, 26 ans, un apprenti journaliste. Trois jeunes Français de confession musulmane, pris dans un même maelström émotionnel. Sentiment de dégoût – « l’image du policier tué de sang froid, j’en ai encore la nausée » (Chams), impression de salissure – « dès que j’ai su, je me suis enfermé dans ma voiture et j’ai eu envie de pleurer » (Badreddine), et… perplexité face à la conduite à adopter.

Hantise de l’amalgame

Leila, Chams, Badreddine et Ismaël ont beau se sentir citoyens français « à part entière », les appels répétés à l’union nationale les plongent dans des abîmes de questionnements. Il y a le problème du mot d’ordre, ce « Je suis Charlie » scandé par les manifestants, mais « intenable pour un musulman ». Et quelque chose de plus profond, de plus handicapant, qui a trait à la hantise de l’amalgame. Ismaël : « Si j’allais manifester, les gens pourraient croire que je me sens forcé d’être là. On ne sait plus quoi faire, parce qu’on ne sait plus ce que les gens pensent ». Leila :

« Les tueurs auraient été autre chose que des djihadistes, ça aurait été plus simple. On n’aurait pas eu à se désolidariser des actions de solidarité pour ne pas avoir l’impression de se justifier. »

Pour la spontanéité, de fait, on repassera.

SMS alarmistes

Ces circonvolutions naissent aussi d’un drôle de climat, fait de peur, de méfiance, voire de paranoïa. C’est « la petite dame de la supérette » qui se met à chuchoter quand Leila arrive à la caisse. C’est un ami de Chams, analyste financier et pieux musulman, qui se sent subitement épié par ses collègues de travail. Ce sont les SMS alarmistes qui se propagent annonçant des attaques de skinheads aux entrées des mosquées. Ou les pages Facebook de militants lepénistes que l’on s’échange avec fébrilité. C’est aussi le principal du collège Pascal, catholique mais fréquenté par une majorité d’enfants de confession musulmane, qui, jeudi, après la minute de silence demandée par le gouvernement, a préféré ne pas épiloguer.

« Ici, on marche sur des œufs. Je ne connais pas la position des parents, et, si vous ouvrez le débat, les opinions les plus extrêmes, d’un côté comme de l’autre, risquent d’être les premières à s’exprimer. »

L’annonce de la mort des frères Kouachi tombe sur les téléphones portables, l’ambiance s’alourdit encore dans la petite salle associative au bord du canal de Roubaix. « Il n’y aura pas de procès. On ne saura pas au nom de quoi agissaient ces soi-disant djihadistes », déplore Sauria Redjimi, la deuxième adjointe au maire, venue rejoindre la discussion. « Le doute va s’immiscer un peu plus. Je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois ». « Et les jeunes vont pouvoir se raconter n’importe quoi », soupire déjà Leila. « Interrogez-les, vous aurez des réponses bien plus cash que ce que vous avez entendu ici. »

Hallal ou pas hallal

Cash, les réponses le sont avec Karim, Saïd et Abdel, trois jeunes oisifs croisés le lendemain matin à l’entrée du centre commercial Casino. Karim, 19 ans, la moustache naissante, fait le fier à bras – « tout ça, c’est un coup monté contre les musulmans, et même si c’est vrai, l’autre, là, Charlie, il le méritait bien ». Après plus ample discussion et intervention d’Abdel – « t’es un fou, mon frère, tu enlèves pas la vie » – Karim finira par concéder difficilement qu’il n’est « pas hallal » (sic) de « tirer dans le tas à la kalachnikov », bien que « dans la vie, on fasse beaucoup de choses interdites, et que quand on fait quelque chose, il faut le faire à fond ».

Hallal, pas hallal… Karim, manifestement, n’est guère au fait de son catéchisme musulman, comme nombre de ses « collègues » jurant sur le Coran plus souvent qu’à leur tour. Ce manque de culture religieuse nourrit une « vraie inquiétude » chez Jawad M., technicien agro-alimentaire et imam du vendredi à la mosquée Bilal, la plus grande – et la plus pimpante – de Roubaix.

Transmettre la vraie foi

La ville a connu une cinquantaine de départs pour le djihad ces derniers mois, c’est à la fois peu et beaucoup. En ce jour de grande prière, le prêche va droit au but, rappelant l’attitude du prophète, stoïque face aux insultes des impies, appelant aussi les musulmans à donner une meilleure image d’eux-mêmes, et à mieux transmettre la vraie foi. Une position de principe que la mosquée s’applique à elle-même puisque depuis trois mois elle propose un prêche en français : « Les jeunes ne maîtrisent pas l’arabe. On ne peut plus accepter qu’ils aillent chercher leurs fatwas sur internet ».

L’imam Jawad est-il descendu dans la rue ce week-end ? On ne le saura pas.

« Je me sens concerné comme tout Français. Mais pourquoi me demander spécialement de manifester ? Je préfère les actes. Et s’il y a une responsabilité, elle est partagée. Ces terroristes sont d’abord passés par les écoles de la République. C’est toute la société qui doit se sentir responsable et se mobiliser. »


Source : L’Obs, le 12 janvier 2015


Charlie Hebdo : je suis prof. L’école a totalement failli à sa mission. Et moi aussi

Jean-Pierre Gross, enseignant – 12/01/2015

L’hommage aux victimes des tueries de Charlie Hebdo passe difficilement dans certaines classes de France. Jean-Pierre Gross est enseignant dans un lycée de l’ouest de Paris, et comme lors de l’affaire Merah, il a eu à faire face à des manifestations intempestives et parfois agressives pendant la minute de silence célébrée le 8 janvier dernier.

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Des messages d’hommage à Charlie Hebdo sont déposés par des lycéens à Ajaccio, le 8 janvier 2015 (P. POCHARD/AFP).

Mercredi 7 janvier, au soir du bain de sang, et comme des milliers d’autres, j’ai ressenti la nécessité et l’urgence d’afficher la bannière Je suis Charlie sur le site de mon lycée de l’ouest parisien.

Le lendemain matin, mon chef d’établissement m’a donné ordre de le retirer immédiatement : « Le site du lycée reste un vecteur officiel de communication et il me semble impossible d’y afficher ce type de prise de position. »

Surprise et désarroi. Je ne mets pas une seconde en doute sa solidarité, ni sa détermination en tant que personne privée, mais en tant que proviseur, le message était clair : le message brandi universellement représentait un risque d’incidents.

En classe, des réactions hostiles et un malaise croissant

Les commentaires enthousiastes des médias sur l’émouvante et grandiose union nationale qui venait de se manifester spontanément ont laissé place quelques heures plus tard dans nos classes à des manifestations plus intempestives et plus agressives pendant la minute de silence célébrée avec une certaine appréhension par les enseignants du lycée.

Les paroles entendues ici et là ne laissaient pas de place à l’ambiguïté :

« Charlie Hebdo l’avait bien cherché. »

« On ne peut pas critiquer les homosexuels qu’on déteste parce que c’est illégal, mais eux ils pouvaient insulter l’Islam. »

Et même l’inévitable énième théorie du complot :

« C’est un coup de la police pour accuser encore les musulmans. »

Des discussions dans les classes ont approfondi le malaise. Pas vraiment une surprise, mis à part peut-être les jeunes profs fraîchement embarqué sur la galère Éducation nationale. Lors de l’affaire Merah, après l’assassinat d’enfants à Toulouse, nous avions déjà dû faire face à des réactions franchement hostiles du même style.

« On fait ça pour les Juifs. Quand des Arabes sont tués, on fait rien. »

Et ces conversations-là se multiplient.

Donner les outils critiques pour s’informer et comprendre le monde

Le plus terrifiant, c’est peut-être de constater que l’école a totalement failli à sa mission, et moi aussi par conséquent. Elle ne leur a pas permis de se sentir intégrés, ne leur a pas transmis ses valeurs, ne leur a pas donné les outils critiques pour s’informer ou comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Ces jeunes-là ne demandent depuis des années qu’une chose, c’est qu’un adulte responsable répondent à leurs interrogations d’adolescents et accomplissent leur devoir d’adulte, pas uniquement à coups de programmes et de grand discours mais aussi avec un bon argumentaire que les gosses puissent comprendre, sinon certains d’entre eux grandiront pour devenir d’autres Merah et d’autres Kouachi et tous les autres continueront à se sentir frustrés et exclus.

Et la source de cette incompréhension grandissante c’est l’information, tout le monde le sait : la génération internet ne sait pas s’en servir ou tout au moins pas pour s’informer.

Tentez une conversation sur le 11 septembre, et recensez le nombre d’élèves quand ce ne sont pas les enseignants eux-mêmes qui sont persuadés que le World Trade Center a été détruit par la CIA-les Illuminati-le Mossad-et puis les Schtroumpfs aussi, tiens.

« – Où vous informez-vous ?

– Ce sont des copains qui m’indiquent des vidéos à regarder sur YouTube.

– Vous ne consultez jamais les autres médias, journaux, télé, radio ?

– Non, ils nous mentent. »

Tandis que les vidéos des complotistes…

Qu’est-ce que ça coûte d’essayer ?

Nos élèves n’attendent que ce dialogue, que ce recadrage comme tous les enfants ont besoin d’une parole d’adulte pour se structurer. J’ai essayé, ça marche. Je ne prétends qu’ils ont tout à coup été touchés par la grâce, mais au moins un peu par le doute et c’est quasiment pareil.

Conclusion : les enseignants doivent être mieux formés sur les médias et l’info. C’est urgent.

Mais l’école a peur, peur depuis des années, pas de vagues, pas de débats, pas de risque de traumatiser nos petits. Résultat : pas moyen de comprendre Charlie Hebdo et la liberté d’expression.

Alors on flingue. Alors on part en Syrie. Alors on va chercher un sens à la vie chez des prédicateurs délirants et les héros qui tuent des enfants et des dessinateurs.

On peut les garder là, si on leur parle. On peut sans doute éviter d’autres dérives, d’autres bains de sang. Franchement, qu’est-ce que ça coûte d’essayer ?


Source : le Plus, le 12 janvier 2015


Attentats : 200 incidents recensés dans les écoles

La rédaction numérique de RTL – 14/01/2015

200 incidents liés aux attentats de la semaine dernière se sont produits dans les établissements scolaires.

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Quelque 200 incidents en rapport avec les attentats de la semaine dernière se sont produits dans les établissements scolaires dont une quarantaine ont été signalés à la police et la justice, selon le ministère de l’Éducation.

Selon ce texte publié dans la nuit de mardi à mercredi, les rectorats ont informé le ministère des incidents liés à la minute de silence observée le 8 janvier, en mémoire des 12 morts de Charlie hebdo. « Les services académiques ont porté à notre connaissance une centaine d’incidents directement liés à cette minute de silence », assure le ministère.

Une centaine d’autres incidents signalés

« À la demande du ministère, les jours suivant les événements ont également fait l’objet d’une vigilance particulière et d’une demande de remontée d’informations qui complète ce soir ce panorama d’une centaine d’autres incidents signalés. »

Le ministère précise que les données sont déclaratives et ne concernent que des incidents qui ont pu être réglés par les enseignants des écoles, collèges et lycées dans le cadre scolaire. Elles ne « constituent donc pas un recensement exhaustif de l’ensemble des difficultés qu’ont pu rencontrer les équipes éducatives », relève-t-il.

Des inspecteurs pédagogiques pour accompagner

« Conformément aux instructions de fermeté données par la ministre, toutes les difficultés rencontrées ont été traitées localement, de manière proportionnée à la gravité des faits, par les équipes éducatives et pédagogiques, entre dialogue éducatif et sanctions disciplinaires, allant du rappel à l’ordre en présence de l’élève et de ses parents à la convocation de conseil de discipline », assure le communiqué, ajoutant qu’une quarantaine de situations ont été transmises aux services de police, de gendarmerie ou aux parquets.

« L’Éducation nationale ne laissera prospérer aucun comportement contraire aux valeurs de la République », martèle le ministère. « Pour accompagner les personnels dans la gestion de ces événements et ne laisser aucun enseignant démuni ou isolé », ajoute le texte, « la ministre a donné instructions aux recteurs de dépêcher, dès cette semaine, dans chaque établissement qui en exprime le besoin, des inspecteurs pédagogiques habilités à les assister dans leur mission ».


Source : RTL, le 14 janvier 2015

EDIT : un commentaire du blog

Bonjour,
Voici le texte que j’avais rédigé il y une quinzaine de jours et que je n’ai pas eu le temps d’envoyer. Je le poste aujourd’hui, puisque l’actualité s’y prête :

Il est important que vous ayez connaissance des éléments suivants : je suis enseignant dans un établissement favorisé du centre de Marseille. J’ai fait le choix de consacrer du temps à mes élèves pour évoquer les actes de terrorisme. Un élève m’a dit sans ambiguïté que les caricaturistes avaient mérité leur sort et que si des personnes insultaient à nouveau le prophète, il n’hésiterait pas à passer à l’acte et à les tuer. J’ai ensuite entendu un professeur d’histoire sur France Culture (jeudi 08/01) qui est intervenu après que l’on avait fait remarquer combien il était difficile d’en parler aux enfants. Il a expliqué que, pour sa part, il était parti « au combat » devant ses classes. Son interlocutrice lui a alors demandé, ce qu’il entendait par là, s’il ne savait pas quoi leur dire, s’il avait peur de ne pas trouver les mots pour en parler. Il a alors répondu qu’au contraire, il en avait parlé sans détour, dans la mesure où la majorité des élèves constituant ses classes lui avait tenu les propos auxquels j’ai dû faire face.

Ainsi, j’interviens aujourd’hui pour souligner que le problème est très sérieux et qu’il est urgent de trouver des solutions. J’insiste bien sur le fait que ces solutions ne doivent en aucun cas être en lien avec une quelconque forme de violence. En tant qu’enseignant, je refuse de stigmatiser et de tenir un discours moralisateur à un élève qui récite un pseudo-discours par mimétisme. Je signale simplement qu’il est temps de réformer une société qui refuse la paix (cette remarque vaut pour les terroristes autant que pour les bellicistes qui sèment le chaos au nom de prétendues valeurs démocratiques). Il est donc temps de revoir :

-La politique éducative qui prépare les élèves au monde de l’entreprise à un moment où l’emploi disparait dans des proportions exponentielles en raison de la robotisation et de l’informatisation. L’école devrait non plus raisonner en termes de compétences (pour que les élèves deviennent des « acteurs sociaux capable de réaliser des tâches complexes » au sein de l’entreprise), mais de connaissances et de développement artistique, de façon à préparer non plus l’insertion professionnelle, mais les périodes de chômage qui vont immanquablement se multiplier (je suis prêt à développer ces arguments dans un autre billet où je mettrai en avant une foultitude d’exemples montrant que le travail disparait).

-La politique économique qui favorise l’accumulation du capital avec l’aval des gouvernements du monde entier. Je rappelle volontiers le fait que ce ne sont ni les gens riches, ni les entreprises qui créent l’emploi : le capital exigeant une rentabilité toujours plus accrue, il impose une réduction des effectifs ainsi qu’une compression salariale qui favorise une croissance basée sur l’endettement.

-Le discours raciste institutionnel qui dure depuis trente ans. Il serait trop long d’énumérer tous les discours et remarques ayant fait la une de l’actualité, mais citons pêle-mêle les remarques racistes des ténors de l’UMP au cours du quinquennat de Sakozy, le discours raciste de Dakar, les tribunes aberrantes de Zemmour ainsi que l’hystérie anti-Rom au moment de la dernière présidentielle, avec pour point d’orgue la stigmatisation de cette population par Valls dès sa nomination au ministère de l’intérieur. Pour rappel, les Roms en France, ce sont 15 000 à 20 000 individus (ce qui représente tout au plus 208 individus par département en France métropolitaine !).

-La politique étrangère qui aboutit à des impasses et à un désastre en coût humain chaque fois que l’on prétend lutter contre le terrorisme ou agir au nom de la démocratie.
-La politique télévisuelle qui impose violence, vulgarité et sexe dès le plus jeune âge, sans parler des conséquences pour la santé, puisque les enfants qui regardent trop la télévision sont souvent obèses, développent de fortes angoisses et perdent toute appétence pour le travail et toute curiosité intellectuelle. Ces remarquent valent également pour les smartphones et les jeux vidéo qui inoculent une dose inouïe de violence aux enfants (et même aux adultes).

Il n’y aura de changement profond que si l’on prend tous ces point ensemble (je tiens à signaler que je n’ai nullement été exhaustif dans les points que je viens d’aborder), pour réformer en profondeur. L’attachement aux principes républicains (laïcité, liberté d’expression et de culte) devant permettre la réalisation de ces objectifs. C’est ainsi et pas autrement que l’on pourra lutter contre le discours de mon élève : en éduquant, en rejetant la politique économique qui produit de l’exclusion, en proposant autre chose que de la violence télévisuelle aux jeunes gens…
Je terminerai mon propos en expliquant comment j’ai fait face à mon élève. Je lui ai d’abord expliqué que chaque grand livre religieux contenait de la violence, et que nous étions libres de l’accepter ou de la refuser. A ce titre, je lui ai expliqué qu’aux USA, on justifie la peine de mort en faisant référence à la loi du talion, inscrite dans la Bible. Je lui ai expliqué que bien des personnes confession catholique refusaient d’accepter cette loi. Je lui ai dit qu’il en était de même pour les musulmans, ce qu’il a eu l’air de comprendre. J’espère que je ne serai pas condamné pour complicité d’apologie au terrorisme !

Je tiens également à remercier les nombreuses personnes qui agissent au nom de la modération sur ce blog et qui nous rappellent que la paix et le vivre-ensemble sont envisageables. Mais entendrons-nous un jour un discours de paix de la bouche d’un politicien? « I have a dream », mais la classe politique ne le partage pas !

Source: http://www.les-crises.fr/a-lecole-etre-charlie-ou-pas/