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Miscellanées du mercredi (Sapir, Béchade, Beyrouth)

Wednesday 2 December 2015 at 00:20

I. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: Quels types de valeurs privilégier en 2016? – 25/11

Philippe Béchade VS Serge Négrier (1/2): La volatilité liée à la situation géopolitique impacte-t-elle le choix d’allocation d’actifs ? – 25/11

Philippe Béchade VS Serge Négrier (2/2): Quels sont les enjeux des marchés financiers pour 2016 ? – 25/11

Les indés de la finance : ” Il n’y a plus de marché. Le marché ne peut donc plus se tromper. Car le marché est directement relié aux banques centrales”, Philippe Béchade – 27/11

II. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: FED: “Il y aura une remontée des taux très limitée” – 01/12

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (1/2): BCE/FED: La divergence des politiques monétaires impactera-t-elle les marchés financiers ? – 01/12

Jacques Sapir VS Jean-François Robin (2/2): Quelles sont les perspectives et les stratégies d’investissement en Bourse pour 2016 ? – 01/12

III. Beyrouth (Les inconnus)

Quelques secondes des inconnus sur Beyrouth il y a quelques années !


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-sapir-bechade-beyrouth/


La secte des Assassins

Tuesday 1 December 2015 at 03:55

Aujourd’hui, la légende “du vieux de la montagne” – qui montre que certains procédés ne datent pas d’hier…

Soulignons qu’il est en l’espèce difficile de faire la part entre la légende et l’Histoire…

La secte des Assassins et le Vieux de la Montagne

Un peu d’histoire, dans notre grande série « Intégrisme et manipulation mentale »…

assassins La secte des Assassins et le Vieux de la Montagne

Le Vieux de la Montagne (Chayr al-Jabal [peut se traduire « Vieux de la montagne » mais aussi le « Sage de la Montagne » ou encore le « Chef de la Montagne » selon le sens qu’on donne au mot « chayr »]) est l’appellation commune que les Templiers donnaient à leur ennemi juré, le grand-maître de la secte des Assassins, Hassan Sabbah(Sayyidna Hasan Bin Sabbah) (1034-1124). C’était un homme de grand savoir, grand savant, qui connaissait parfaitement les plantes et leurs vertus curatives, sédatives ou stimulantes. Il cultivait toutes sortes d’herbes et soignait ses fidèles quand ils étaient malades, sachant leur prescrire des potions pour leur rafraîchir le tempérament. Être sensé de raison et de savoir ou fou, aimable ou exécrable, préférant les mots vrais aux mots plaisants, aimant et méprisant les honneurs,  » le paradis et l’enfer sont en toi » ainsi dit le grand savant Omar Khayyam (1047-1122) à son propos.

Ses hommes étaient connus sous l’appellation péjorative de Haschischins ou Haschischioun, parce qu’ils auraient consommé beaucoup de haschisch avant de se lancer dans des commandos-suicide. Leur célébrité est telle qu’ils sont à l’origine du mot « assassins ». en réalité, aucune recherche sérieuse n’a permis d’attester le recours à des drogues afin de fanatiser les hommes. Selon les textes provenant d’Alamout, Hassan lui-même aimait appeler ses adeptes « Assassiyoun », ceux qui sont fidèles au Assas, au  » fondement » de la foi. Le terme pourrait aussi simplement provenir du nom d’Hassan, (Hassanjins, les djins de Hassan).

alamut La secte des Assassins et le Vieux de la Montagne

La secte est issue d’une branche de l’Islam chiite. Ses membres se déclarèrent partisans du neveu de Mahomet, lequel, étant descendant du Prophète par les femmes n’était pas reconnu par l’ensemble des musulmans. Selon les témoignages du voyageur vénitien Marco Polo (1323) et de nombreux historiens persans, les Haschischins vivaient dans la forteresse d’Alamut, à 1800 mètres d’altitude, dans le Mazenderan, au sud de la mer Caspienne, dans l’Iran actuel. Confinés dans leurs montagnes et ne disposant pas des moyens d’entreprendre des guerres conventionnelles, ils imaginèrent d’envoyer des commandos de six hommes (les fidawis) chargés de poignarder des chefs ennemis, le plus souvent tandis qu’ils se livraient à leurs dévotions dans des mosquées.

Ceux désignés pour commettre les meurtres étaient anesthésiés avec du haschisch, introduit dans leur nourriture sous forme de pâte mélée à de la confiture de rose. Le Vieux de la Montagne leur parlait longuement et les hommes s’endormaient car le haschisch est une drogue soporifique et non pas excitante. Assoupis, ils étaient transportés dans un jardin secret, au fond de la forteresse d’Alamut. A leur réveil, ils s’y retrouvaient environnés de jeunes esclaves, filles et garçons, empressés à réaliser tous leurs désirs sexuels. Ils étaient arrivés en guenilles. Ils se découvraient en robe de soie verte rehaussée de fils d’or et, tout autour, c’était le Paradis: vaisselle de vermeil, vins suaves à profusion, roses aux délicats parfums, haschisch à volonté. Drogue, sexe, alcool, luxe et volupté. Ils étaient convaincus d’être dans les jardins d’Allah, d’autant plus que ce lieu était une oasis particulièrement rare en une région aride et montagneuse.

alamut-luidite

Ils étaient ensuite de nouveau anesthésiés à la pâte de haschisch, puis ramenés au point de départ dans leurs anciennes défroques. Le Vieux de la Montagne leur déclarait alors que, grâce à ses pouvoirs, ils avaient eu la chance de goûter furtivement au Paradis d’Allah. A eux d’y retourner définitivement en mourant en guerriers ! Le sourire aux lèvres, les fidawis partaient alors docilement assassiner vizirs et sultans. Arrêtés, ils marchaient au supplice, le visage extasié. II n’y avait que les prêtres haschischins de haut échelon (sixième degré) à connaître le secret des faux jardins d’Allah.

Aucune ville, aucune province, aucune route, ne sont épargnées. Devenu maître de la rue, Hassan impose sa loi, mais ayant une grande connaissance des inimitiés règnant dans les palais, les diwans et les cours, il devient aussi maître dans l’art d’amplifier les haines entre puissants, entre héritiers… Jouant leurs jeux pervers, il leur offre alors ses services selon ses propres desseins, pour faire exécuter, poignarder, assassiner dans l’ombre. Qu’il soit un brave homme croisé au coin d’une rue, un pauvre individu vêtu de guenilles, l’exécuteur va très vite, l’éclair d’une lame, en un seul mouvement, un poignard perce le corps. Puis il se laisse prendre, torturer, égorger ou jeter dans un feu… là est la grande puissance de l’Ordre. D’innombrables messagers de la mort, Assassins d’Alamout connaîtront un tel sort, ne cherchant jamais à fuir. Assassinats politiques de dirigeants chrétiens ou perses, musulmans shiites ou sunnites…

Prêt et formé à répondre à la torture, l’Assassin récitait alors une suite de noms appris par coeur, dénoncés comme faisant partie de la confrérie, mais ciblés en fait par Hassan parmi des ennemis de la Secte. Aussitôt on recherchait les soi-disant complices. De cette façon, les juges du pouvoir local exécutaient les volontés de Hassan sans même le savoir.

La secte s’occupa d’abord de ses propres intérêts en promouvant le message d’Hasan i-Sabbah. Puis les Vieux de la Montagne constatèrent que leurs sbires fanatisés pouvaient rapporter gros. Ils louèrent leurs services au plus offrant. Les assassins se précipitaient pour se porter volontaires quand leur chef demandait: « Lequel d’entre vous me débarrassera de tel ou tel ? » Ainsi périt, entre autres, la poêtesse Açma, fille de Marwan. qui avait osé médire de ses alliés médinois, lesquels firent aussitôt appel aux bras mercenaires des haschischins.

La forteresse d’Alamut fut conquise en 1253 par le grand khan mongol Hulagu, général du grand khan chinois Mongkha. Les assassins eurent beau réclamer l’appui des sultans qu’ils avaient aidés. ceux-ci se gardèrent bien d’intervenir, trop contents de se débarrasser de ces dangereux trublions. Les haschischins massacrés purent vérifier qu’ils n’avaient connu qu’un ersatz de Paradis. Un monde sacré artificiel, fabriqué par les hommes pour les illusionner.

Un témoignage… impressionné :

Quand Djélaleddin envoya un ambassadeur à Hassan pour qu’il eût à lui rendre hommage, celui-ci dit à un de ses fidèles : « Tue-toi » ; à un autre « Jette-toi par la fenêtre », et ils obéirent sans réplique. Ils sont soixante-dix mille, ajouta-t-il, également prêts à obéir à mon premier signe.

Henri de Champagne, passant sur le territoire des Ismaélites alla visiter leur souverain, qui l’accueillit avec honneur. Sur chacune des tours dont le château était couronné se tenaient deux blancs en sentinelle ; le Sire fit signe à deux d’entre eux, et ils tombèrent brisés au pied du comte épouvanté, à qui le Vieux de la Montagne disait froidement : « Pour peu que vous le désiriez, à un autre signe de moi vous allez les voir tous à terre ». Lorsque son hôte prit congé de lui, il lui entendit prononcer ces mots : « Si vous avez quelque ennemi, faites le moi savoir, et il ne vous tourmentera plus ».

Histoire universelle de Cesare Cantù

Finissons par les mots d’Hassan :

hassan La secte des Assassins et le Vieux de la Montagne

Il ne suffit pas de tuer nos ennemis, nous ne sommes pas des meurtriers mais des exécuteurs, nous devons agir en public, pour l’exemple. Nous tuons un homme, nous en terrorisons cent mille. Cependant, il ne suffit pas d’exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir,car si en tuant nous décourageons nos ennemis d’entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l’admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous. Mourir, est plus important que tuer.Nous tuons pour nous défendre, nous mourrons pour convertir ; pour conquérir. Conquérir est un but, se défendre n’est qu’un moyen. Vous n’êtes pas faits pour ce monde, mais pour l’autre.


La secte des Assassins (1090-1257) ou l’expérience politico-religieuse de Hassân es-Sabbah

Source : Angles de vue, le 19 août 2007.

Alep, été 1125

Alep, été 1125. C’est la fin de la prière du vendredi, les croyants sortaient par groupes de la grande mosquée de la ville. A leur tête, un homme enturbanné, avec une grande barbe, plutôt bien habillé, cheminait d’un pas décidé. Ibn Al Khachab est son nom. Cadi de son état, orateur incandescent, politicien madré et patriote éclairé, cet homme avait auparavant mené de véritables campagnes de sensibilisation pour alerter les princes somnolents de l’Orient contre le danger « franc » (les troupes des croisés) qui les guettait. Il avait héroïquement organisé la défense de sa ville. C’est lui l’initiateur de la résistance qui allait se poursuivre et atteindre son apogée avec le général kurde Saladin, fondateur de la dynastie ayyoubide.

Ibn El Khachab était ce jour-là pressé de rentrer chez lui. Il finissait de converser sur le « problème franc » avec quelques notables parmi ses amis quand un homme, déguisé en ascète, bondit sur lui, le poignard à la main. Il lui asséna plusieurs coups à la poitrine en criant de toutes ses forces « Allah est grand ! ». Son crime commis, il s’éloigna en toute hâte, laissant derrière lui une assistance terrifiée. Personne n’avait osé le poursuivre, de peur de subir des représailles…

Hassân As-Sabbah

Cet homme appartenait en effet à la redoutable secte fondée en 1090 par Hassân as-Sabbah, la secte des Assassins. On les appela Hachâchîne, probablement parce qu’ils prenaient du hachich, en en faisant semble-t-il plusieurs usages : comme moyen d’atteindre l’extase et un brin de paradis, comme moyen pour ne pas faiblir au moment de l’exécution de leur victime, comme moyen pour le maître de tenir son élève à sa merci, etc. (versions contestées). Toujours est-il que le mot « hachâchîne » a donné, dans la prononciation déformée des croisés, « assassins ».[1]

Hassân était un esprit curieux, un homme assoiffé de science.

Le premier geste du doctrinaire et organisateur du crime politico-religieux que fut Hassân as-Sabbah est de se doter d’un repaire. Il trouva son « nid d’aigle » en la forteresse d’Alamout, dans une zone montagneuse quasi-inaccessible située près de la mer caspienne. Il en fut son centre d’opérations.

Une société organisée

Les Assassins forment une société rigoureusement hiérarchisée. A leur tête, le Grand Maître vénéré et au bas de la pyramide, le novice. Les adeptes sont classés selon leur niveau d’endoctrinement, selon leur capacité à tuer de sang-froid et selon leur aptitude à garder le secret.

Hassan es-Sabbah, après avoir été le Grand Maître, ou le « Vieux de la Montagne » (Cheikh al-Djabal) est devenu après sa mort le chef spirituel absent de tous les Assassins. Ses successeurs ont pris le même titre de Grand Maître. Les da’is (propagandistes) viennent juste en dessous ; ils sont chargés de l’enseignement de la doctrine ismaélienne et du recrutement de nouveaux adeptes. Les rafiq sont ceux qui commandent les forteresses et dirigent l’organisation de l’ordre. Les mujib ou mourîd sont des novices qui suivent l’éducation ismaélienne, des enfants convertis ou pris aux paysans alentour, appelés à gravir les échelons de l’organisation. Mais le bras armé et l’instrument de terreur par excellence est formé par les exécutants d’élite dits fidaïs (« ceux qui se sacrifient »), des novices fanatisés et préparés à mourir pour la mission que leur confie le Grand Maître.

Leurs activités quotidiennes principales se résument à deux :

Un intense endoctrinement : on y apprenait notamment la doctrine du ta’lîm selon laquelle le sens véritable du Coran va au-delà du sens littéral manifeste et dépassait l’entendement commun. Il ferait partie du bâtin [sens latent, caché] (c’est pourquoi les assassins furent aussi surnommés les bâtinis) que seul l’Imam, aguerri aux exercices ésotériques, connaîtrait. Les novices sont par nature incapables d’atteindre les vérités transcendantales, sans suivre les instructions (awamir) du Cheikh (ou Grand Maître), personnage situé au plus haut degré spirituel, car proche de la divinité qui l’inspire. Aussi, est –il le Silencieux, que le novice ne peut voir et approcher, sauf durant le cycle d’épiphanie (dawr al kachf), court moment où le bâtine (caché) et le dhahir (manifeste) ne feraient qu’un.

On apprenait aussi à côté de cela les langues et divers enseignements utiles. La mort est pour eux un cadeau du Maître qui les délivrerait du monde d’ici bas afin de rejoindre le paradis.

Un entraînement physique : véritable organisation militaire, les Assassinss’adonnaient à toutes sortes d’exercices physiques, en préparation des missions qu’ils reçoivent de leur Maître. Ils apprenaient aussi à manier les armes et à défendre leur forteresse en cas de siège.

Un rêve envolé

Les sectateurs sont les fanatiques d’un empire chiite. Leurs ennemis jurés sont d’abord les Turcs seldjoukides, partisans d’un sunnisme intégral qui a mis fin au chiisme iranien pour contrôler désormais l’empire abbasside. Hassân as-Sabbah avait de grands rêves politiques : il pensait porter au trône d’Egypte un Fatimide (chiite), le prince Nîzar, et préparer à partir de là une reconquête de la Perse. Mais le dernier bastion du chiisme s’effondra et le mouvement nizarite créé autour du fils d’Al Moustansir, échoua devant Al Afdhal, fils d’un vizir arménien tout puissant, qui entendait assurer lui-même la succession. Nizar fut emmuré vivant. Tirant la leçon de cet échec, Hassân changea de tactique et s’orienta vers l’activité clandestine. Il prêchera désormais la haine contre les représentants de l’islam officiel et verra, ainsi que ses successeurs, d’un bon œil l’arrivée des hordes de Croisés en Orient. Sa prochaine cible fut la Syrie, où il put recruter beaucoup de chiites intégristes et fonder toute une série de villages fortifiés. Massyaf devint l’Alamut de la Syrie et abrita Rachîdaddîn Sinân, un des plus célèbres Vieux de la secte.

Stratégies de terreur

1) L’assassinat spectaculaire : Quelques fois, un novice est admis à voir le Maître. Celui-ci lui demande alors s’il est prêt à recevoir le paradis. Le novice répond que oui. Il reçoit alors un poignard et le nom d’une cible à éliminer. La méthode exige que l’acte soit le plus spectaculairement possible. De préférence un jour de marché mais surtout le vendredi, juste après la prière collective, heure de grand rassemblement. « Frapper les esprits », semer la terreur, traumatiser les assistants, tels semblent être les objectifs du Cheikh al-Djabal[2]. Une telle opération exige minutie et préparation. Parfois cette dernière dure jusqu’à deux ans. Les fidaïs se déguisent en marchands, approchent l’entourage de leur future victime et gagnent sa confiance. Jusqu’à ce qu’il leur soit possible de passer à l’action.

2) L’infiltration : Pour créer une illusion d’ubiquité, les assassins tiennent à se montrer partout, surtout là où on ne les attend pas. Ils poussaient leurs missions jusqu’à l’entourage immédiat des princes et des rois, pour mieux les terrifier et les vassaliser par la suite. Qu’on en juge par cette histoire :

« Le sultan Sindjar, qui régnait dans le nord-ouest de la Perse, s’était déclaré l’ennemi des nouveaux sectaires : un matin à son réveil, il trouve un stylet près de sa tête, et au bout de quelques jours il reçoit une lettre ainsi conçue : « Si nous n’avions pas de bonnes intentions pour le sultan, nous aurions enfoncé dans son cœur le poignard qui a été placé près de sa tête. ». Sindjar fit la paix, par crainte, et accorda à Hassan, à titre de pension, une partie de ses revenus. »

3) La superstition : Faire croire, faire circuler une quantité incroyable de légendes à la fois terrifiantes et hagiographiques sur eux, telle fut l’autre stratégie des Assassins. Cette activité fut si bien menée qu’on ne pouvait, de leur vivant même, distinguer la vérité du tissu de récits fictifs, de croyances et de superstitions les entourant. On dit par exemple que Saladin avait décidé de les laisser tranquille envoyant un soir Sinân en personne à l’intérieur de sa tente bien gardée. Cette autre arme fut autrement plus efficace dans les cours d’Orient…

Un vizir qui a trahi : Nizâm al-Mulk

Il avait le tort d’être vizir au service des Suldjukides, d’avoir été un compagnon d’as-Sabbah et de Omar Khayyam (version contestée) et surtout, d’avoir réalisé le premier la dangerosité de cette secte et ses ambitions. Khayyam aurait fait jurer aux trois que le premier qui arriverait au pouvoir aiderait les deux autres. Mais Nizâm al-Mulk, devenu gouverneur du Khorassân, puis vizir du sultan Alep Arslan, a changé en chemin. Hassân l’accusa alors d’avoir trahi le pacte. Quand le vizir intellectuel, auteur du Traité du Gouvernement, décida de faire attaquer Alamut en 1092, il signa son arrêt de mort. Quelques mois plus tard, il tomba sous les coups de poignard d’un sectateur dépêché par Hassân. Il inaugure ainsi la longue liste des victimes des Assassins.

Comment assassiner Salah-Eddine (Saladin) ?

Début 1175.

Saladin était en campagne. Un soir, un compagnon de l’émir ayyoubide surprit des ombres suspectes autour de la tente royale, pourtant plantée au centre du campement. Il se saisit de son arme et décide de sortir vérifier ce qui se passe. A peine fit-il quelques pas, que deux bâtinis tombent sur lui en même temps, essayant chacun de le percer du mieux qu’il pouvait. Le brave lieutenant de l’émir se défendit avec courage mais fut grièvement blessé. D’autres assaillants surgirent mais les gardes étaient déjà là et les Assassins furent tous massacrés. Grâce à ce lieutenant, Saladin eut la vie sauve et l’alerte fut donnée.<

Quel était le crime de Saladin aux yeux des Assassins ? Eh bien, il a mis fin à la moribonde dynastie fatimide et c’est largement suffisant pour s’attirer leurs foudres.

22 mai 1176 

Saladin, toujours en campagne dans la région d’Alep, dormait paisiblement dans sa tente. Un assassin y fit irruption et lui asséna de vigoureux coups de poignard sur la tête. Se rendant compte que c’était insuffisant, il visa de nouveau le cou à de nombreuses reprises. Un émir arrive et se saisit de l’arme de l’assassin d’une main et lui plante de l’autre son poignard dans le cœur. Le bâtini s’écroule mais deux autres surgirent, qui s’acharnaient de nouveau sur Saladin qui se relevait. Les gardes accoururent et les massacrèrent.

Fort heureusement, Saladin, sur ses gardes depuis le premier attentat, portait une coiffe de mailles sous son fez ainsi qu’une longue tunique renforcée de mailles au niveau du col (cou). La lame n’a pu le transpercer. Mais le kurde fut traumatisé et surpris d’être toujours en vie.

Août 1176, le siège de Massiaf 

Le Kurde décide alors d’attaquer directement le repaire du danger, la forteresse de Massiafoù se réfugient les Assassins syriens et leur Maître, le commandant en chef de ces opérations, Rachîdaddîn Sinân, qui contrôlait une dizaine de forteresse à travers le pays. Alors, se produisit l’inexplicable. Après un siège qui s’annonçait réussi, Saladin décide brusquement de le lever et de quitter les lieux, changeant ainsi définitivement de politique envers les Assassins qu’il chercha désormais à se concilier. Jamais il ne les inquiéta de nouveau. Ils continuèrent leurs meurtres et Saladin ses conquêtes…

L’ouragan d’Houlagou

Les Bâtinis menèrent plusieurs tentatives d’assassinat infructueuses contre le petit-fils de Gengis Khan, Houlagou. Celui-ci était décidé de les rayer de la surface de la terre. En 1255, le dévastateur mongol assiège Alamout et finit par avoir raison de ses occupants. Il capture en 1257 le Grand Maître de l’époque, auquel il réserva le supplice d’être écorché vif, massacra ses adeptes et détruisit toute l’infrastructure ismaélite, y compris leur précieuse bibliothèque. Les autres places fortes tombèrent dans les mêmes conditions. Quelques Assassins ont continué à survivre, sans grande influence. Malheureusement, l’ouragan mongol continua vers Bagdad, qu’il mit à feu et à sang pour liquider aussi la dynastie des Abbassides.

Naravas

*** Notes ***
[1] Amin Maalouf croit cependant que le mot « assassin » viendrait d’une autre étymologie : deHassandjin, qui veut dire « djinn de Hassan Es-Sabbah », génie envoyé par le Maître de la secte, qui entourait son activité de superstitions. L’usage de la drogue par les Assasssins reste un sujet controversé. certains pensent qu’il est réservé aux fidaïs, pour se donner le courage de ne pas fléchir de moment venu…

[2] Titre contesté par quelques uns.

(*) Nous nous contentons de noter que cette secte mobilise le fanatisme de ses adeptes à des fins politiques, sans suggérer aucune comparaison hâtive avec des mouvements contemporains. Son expérience est intéressante en elle-même et cet intérêt n’a d’ailleurs pas besoin d’être soutenu par une comparaison.


La secte des Assassins décrite par Marco Polo

D’un certain fameux tyran et de ses affaires.

Il y a par là un certain canton nommé Mulète [31], où commande un très méchant prince, appelé le Vieux des Montagnards, ou Vieux de la Montagne, dont j’appris beaucoup de choses, que je vais rapporter, comme les tenant des habitants du lieu. Voici ce qu’ils me racontèrent : Ce prince et tous ses sujets étaient mahométans ; il s’avisa d’une étrange malice. Car il assembla certains bandits appelés communément meurtriers, et par ces misérables enragés il faisait tuer tous ceux qu’il voulait, en sorte qu’il jeta bientôt la terreur dans tout le voisinage. De quoi il acheva de venir à bout par une autre imposture. Il y avait en ces quartiers-là une vallée très agréable, entourée de très hautes montagnes ; il fit faire un plantage dans ce lieu agréable, où les fleurs et les fruits de toutes sortes n’étaient pas épargnés ; il y fit aussi bâtir de superbes palais, qu’il orna des plus beaux meubles et des plus rares peintures. Il n’est pas besoin que je dise qu’il n’oublia rien de tout ce qui peut contribuer aux plaisirs de la vie. Il y avait plusieurs ruisseaux d’eau vive, en sorte que l’eau, le miel, le vin et le lait y coulaient de tous côtés ; les instruments de musique, les concerts, les danses, les exercices, les habits somptueux, en un mot tout ce qu’il y a au monde de plus délicieux.

Dans ce lieu enchanté il y avait des jeunes gens qui ne sortaient point et qui s’adonnaient sans souci à tous les plaisirs des sens ; il y avait à l’entrée de ce palais un fort château bien gardé et par où il fallait absolument passer pour y entrer. Ce vieillard, qui se nommait Alaodin, entretenait hors de ce lieu certains jeunes hommes courageux jusqu’à la témérité, et qui étaient les exécuteurs de ses détestables résolutions. Il les faisait élever dans la loi meurtrière de Mahomet, laquelle promet à ses sectateurs des voluptés sensuelles après la mort. Et afin de les rendre plus attachés et plus propres à affronter la mort, il faisait donner à quelques-uns un certain breuvage, qui les rendait comme enragés et les assoupissait [32]. Pendant leur assoupissement, on les portait dans le jardin enchanté, en sorte que lorsqu’ils venaient de se réveiller de leur assoupissement ; se trouvant dans un si bel endroit, ils s’imaginaient déjà être dans le paradis de Mahomet, et se réjouissaient d’être délivrés des misères de ce monde et de jouir d’une vie si heureuse. Mais quand ils avaient goûté pendant quelques jours de tous ces plaisirs, le vieux renard leur faisait donner une nouvelle dose du susdit breuvage, et les faisait sortir hors du paradis pendant son opération. Lorsqu’ils revenaient à eux et qu’ils faisaient réflexion combien peu de temps ils avaient joui de leur félicité, ils étaient inconsolables et au désespoir de s’en voir privés, eux qui croyaient que cela devait durer éternellement.

C’est pourquoi ils étaient si dégoûtés de la vie qu’ils cherchaient tous les moyens d’en sortir. Alors le tyran, qui leur faisait croire qu’il était prophète de Dieu, les voyant en l’état qu’il souhaitait, leur disait : « Écoutez-moi, ne vous affligez point ; si vous êtes prêts à vous exposer à la mort, au courage, dans toutes les occasions que je vous ordonnerai, je vous promets que vous jouirez des plaisirs dont vous avez goûté. » En sorte que ces misérables, envisageant la mort comme un bien, étaient prêts à tout entreprendre, dans l’espérance de jouir de cette vie bienheureuse. C’est de ces gens-là que le tyran se servait pour exécuter ses assassinats et ses homicides sans nombre.

Car, méprisant la vie, ils méprisaient aussi la mort ; en sorte qu’au moindre signe du tyran ils ravageaient tout dans le pays, et personne n’osait résister à leur fureur. D’où il arriva que plusieurs pays et plusieurs puissants seigneurs se rendirent tributaires du tyran pour éviter la rage de ces forcenés [33].

[31] Ou Alamont, dans la province actuelle de Ghilan, sur le versant méridional des montagnes qui bordent la mer Caspienne.

[32] Ce breuvage enivrant n’était autre que le célèbre haschi ou hachisch, substance tirée des tiges du chanvre mis en fermentation : d’où le nom de hachischin donné à ceux qui en faisaient usage, et dont nous avons formé notre mot assassin.

[33] L’histoire du Vieux de la Montagne, que Marco Polo fit connaître un des premiers en Europe, est restée fameuse. Elle a donné lieu à un grand nombre de recherches et d’écrits historiques, ainsi qu’à beaucoup de compositions romanesques. En réalité, ce prince redoutable était le chef d’une secte dite des ismaéliens, qu’il avait fondée. « Il se faisait passer, dit M. Pauthier, pour avoir une puissance surnaturelle et être le vicaire de Dieu sur la terre. » Il mourut trente-quatre ans après son entrée dans le château fort d’Alamont, sans en être sorti une seule fois, passant sa vie à lire et à écrire sur les dogmes de sa secte et à gouverner l’État qu’il avait créé.
Source : Le Livre des Merveilles de Marco Polo, livre 28 (vers 1300)


Deux vidéos pour aller plus loin

Alamut et la Secte des Assassins

Iran – Forteresse de Alamut (Vidéo en espagnol, pas de sous-titres disponibles)

Six liens pour aller encore plus loin

Source: http://www.les-crises.fr/la-secte-des-assassins/


Le Général Desportes au Sénat : “Daech a été créé par les États-Unis” [2014]

Tuesday 1 December 2015 at 01:10

Le général Desportes est un des très grands stratèges militaires français. Attaché militaire près de l’ambassade de France aux États-Unis d’Amérique, puis conseiller défense du Secrétaire général de la défense nationale (SGDN), il fut ensuite directeur du Centre de doctrine et d’emploi des forces (CDEF) jusqu’en juillet 2008. Le général Vincent Desportes prend la tête du Collège interarmées de défense (CID), de 2008 jusqu’à l’été 2010.

Sanctionné en 2010 pour son franc-parler, il quitte l’armée. Il est aujourd’hui professeur associé à Sciences Po et enseigne la stratégie à HEC. Vincent Desportes est aussi codirecteur avec Jean-Francois Phelizon de la collection « Stratégies & doctrines » aux éditions Economica.

Introduction par Hubert Védrine.

Source : senat.fr, 17/12/2014

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES

Débat en séance publique sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak – Audition de M. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères

La commission auditionne M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, en vue du débat en séance publique sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak, en application de la l’article 35 de la Constitution.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. – Je souhaite à présent en notre nom à tous la bienvenue à M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères. Monsieur le ministre, nous préparons la décision que nous prendrons le 13 janvier prochain sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak. Votre expérience et votre analyse peuvent éclairer notre choix. Vous avez récemment déclaré que les pays occidentaux étaient incapables de changer le cours des choses, qu’ils n’avaient plus « les moyens de leurs émotions ». Nous menons en effet des opérations lourdes et complexes, qui ont de forts impacts sur la société et la mondialisation. Quel est votre sentiment sur ces questions ?

M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères. – Je vous remercie de m’avoir invité. Je suis en ce moment dépourvu de toute responsabilité politique ; j’essaie de raisonner dans la durée, pour comprendre le décalage entre les politiques étrangères menées et les réactions des opinions publiques, surtout dans les pays qui estiment avoir un rôle spécial à jouer – les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne – et qui réagissent souvent à chaud ; sans doute seraient-elles favorables, après le carnage au Pakistan, à une intervention destinée à écraser les talibans…. Mais raisonnons depuis la chute de l’Union soviétique - et non depuis la chute du mur de Berlin - : depuis la fin 1991, l’Occident est intervenu plusieurs fois. Les résultats de ces opérations sont mitigés, parfois contre-productifs, comme en Irak en 2003 ou dans le cas libyen, où l’intervention, faite pourtant à la demande du secrétaire général de la Ligue arabe, a abouti au chaos actuel. Cela étant, nous ne nous serions jamais pardonné d’avoir laissé commettre le massacre annoncé de Benghazi…

Récemment la France a eu raison d’accepter d’intervenir en Afrique. Elle a gardé une capacité militaire remarquable, et dispose d’un système décisionnel efficace ; peu de pays sont dans ce cas. Beaucoup d’Etats se désengagent progressivement, comme le Royaume-Uni, même si le vote négatif de la Chambre des communes sur la Syrie était d’abord un moyen de faire payer les mensonges de Tony Blair sur l’Irak. L’idée selon laquelle l’Occident a une responsabilité spéciale dans le monde demeure mais s’effrite. C’est une très longue tradition d’ingérence et d’intervention que l’on peut faire remonter jusqu’à Jules Ferry et qui est en train de l’affaiblir. Elle est fortement présente aux Etats-Unis, chez les liberal hawks démocrates comme chez les néoconservateurs. Mais les opinions publiques se demandent de plus en plus souvent « et après ? » ou « en avons-nous les moyens ? » D’où ma déclaration, que vous avez citée.

Je n’en tire cependant pas la conclusion que nous ne pouvons rien faire. Déjà il existe une ingérence légale, un emploi légitime de la force, prévu à l’article VII de la charte des Nations unies si tous les membres permanents du Conseil de sécurité en sont d’accord, qui a servi pour justifier la libération du Koweït de l’invasion irakienne – intervention réussie et très peu contestée. Pour stopper le conflit au Kosovo, après dix-huit mois de négociations infructueuses, la tentative de Rambouillet, deux textes du Conseil de sécurité condamnant Milosevic, au titre du chapitre VII (mais qui ne comprenaient pas la formule : « emploi de tous les moyens »), il a bien fallu se résoudre à recourir à la force. J’y étais défavorable en premier lieu ; j’ai dû m’y résigner. Tous les pays voisins étaient d’accord, et les dirigeants serbes eux-mêmes se désolaient de l’obstination de Milosevic. L’OTAN en tant que telle n’a rien décidé : elle n’a fait que fournir les prestations militaires. Les Russes, trop faibles, ne pouvaient rien empêcher, mais ont pris ultérieurement cet épisode pour une marque de mépris. Nous avons finalement trouvé une cote mal taillée : s’abstenir de détruire les ponts – à la demande en particulier du président Chirac -, et soutenir une « autonomie substantielle » du Kosovo plutôt que l’accession à l’indépendance, qui n’a été acceptée qu’après, vers 2008. Bref, on a pu agir selon le cas avec ou sans le Conseil de sécurité des Nations unies.

En l’absence d’accord au Conseil de sécurité, intervenir est politiquement plus périlleux. En Syrie par exemple, l’intervention aurait été unilatérale. Aurait-on été capables ensuite d’affaiblir l’armée d’Assad pour obliger celui-ci à négocier, ou aurait-on été pris, au-delà, dans l’engrenage de l’engagement ? En Libye, l’idéal aurait été d’empêcher le massacre de Benghazi et d’obliger ensuite les parties à négocier, mais on ne peut pas refaire l’histoire.

Je suis plus réservé à propos de notre engagement en Irak. L’intervention américaine de 2003 était une erreur, d’autant plus que les arguments utilisés pour la justifier étaient mensongers. Mais, surtout, la politique qui a été mise en place après le renversement du régime a été une erreur plus grande encore. Elle a consisté à appliquer les mêmes méthodes qu’en Allemagne ou au Japon en 1945, en partant du principe qu’une fois la dictature renversée, on retrouvait la démocratie de façon automatique ! Or il faut du temps pour construire la démocratie. Si les États-Unis avaient été capables d’élaborer un plan constructif, évitant de renvoyer les membres du Baas dans l’extrémisme, nous aurions été obligés de reconnaître après coup le bien-fondé de leur intervention. Une troisième erreur a été commise, quand les troupes américaines sont parties. Certes, le président Obama avait été élu avec pour mission de désengager les forces américaines. Néanmoins, abandonner le gouvernement de l’Irak aux mains de M. Maliki, partisan d’une politique chiite sectaire, était une faute. Cet enchaînement de mauvaises décisions a conduit à la dégénérescence actuelle. Quel enseignement en tirer, sinon que toute intervention nécessite qu’on réfléchisse soigneusement à ses objectifs, aux conditions dans lesquelles elle se fera, sans parler des moyens ?

Quant à Daech, il était compréhensible que le président Obama décide d’intervenir après les décapitations spectaculaires et de mettre sur pied une coalition. Grâce aux drones, aux forces spéciales et au renforcement des troupes kurdes, le mouvement a pu être à peu près endigué. Il n’y a pas eu de bataille de Bagdad. Il était rationnel que nous apportions notre aide, en engageant des moyens. Cependant, pour éradiquer le mouvement, il faudrait une action militaire au sol et une solution politique en Irak et en Syrie. Or aucun pays occidental ne souhaite envoyer des troupes au sol : le Congrès américain voterait contre, la Grande-Bretagne s’y refuse, tout comme la France. Créer une force à partir des contingents irakiens chiites, kurdes et saoudiens reste difficile. Quant aux solutions politiques, elles supposent la création d’un Irak fort où le gouvernement chiite respecterait les sunnites - or rien de tel ne se fera sans l’Iran - mais également en Syrie. La tête du système Daech est en Syrie. Mais si on casse Daech en Syrie, on consolide de facto le régime Assad, car il n’y a pas de force démocratique assez forte sur le terrain syrien. Nous sommes placés dans une contradiction insurmontable. Sur le plan réaliste, il faudrait pouvoir accepter de coopérer davantage avec l’Iran et nous résigner à ce que Bachar el-Assad ne tombe pas. Bien sûr, des alliances difficiles se sont nouées pendant la Seconde guerre mondiale : face à Hitler les Etats-Unis se sont alliés à Staline. Mais certains choix dramatiques sont difficiles à assumer par les diplomaties d’opinion. L’affaire syrienne nous place devant une contradiction que nous ne savons pas gérer. Comme s’en inquiétait déjà Tocqueville, dans les démocraties, « les politiques étrangères sont souvent menées à partir de la politique intérieure ».

La Russie pourrait retrouver un rôle utile à jouer en Syrie, si elle dissociait ses intérêts de ceux du clan Assad. Encore faudrait-il avoir trouvé auparavant un compromis sur l’Ukraine, et avoir repensé les relations Russie/OTAN, UE, etc. Pour l’instant, aucun dirigeant occidental ne souhaite s’engager dans cette voie, sauf peut-être François Hollande.

M. Gaëtan Gorce. - Les démocraties occidentales sont confrontées à un certain nombre de contradictions. La France a-t-elle intérêt à poursuivre son intervention en Irak ? Certes, nous avons commencé, mais faut-il aller au-delà ? Les militaires avancent également l’argument d’un devoir de réciprocité vis-à-vis des États-Unis qui nous ont soutenus en Afrique. Enfin, nous participerions à la lutte contre le terrorisme. Ce dernier argument reste contestable car, par manque de définition politique, la lutte contre le terrorisme nous entraînerait dans une intervention dont nous ne pouvons pas mesurer les conséquences. La priorité est sans doute de réfléchir avec un temps d’avance. En maintenant nos forces en Irak, nous contribuons à renforcer le pouvoir de l’Iran dans la région, ce qui aura des conséquences, notamment, sur la question du nucléaire. Il faut également prévoir un affaiblissement de la Turquie et l’émergence d’une puissance kurde. Quant à la France, elle se retrouverait en position subalterne par rapport aux États-Unis, tant sur le plan militaire que diplomatique. Sommes-nous prêts à cela ?

Mme Hélène Conway-MouretUne zone d’ombre entoure l’engagement des 170 sociétés de sécurité américaines, qui ont presque toutes disparu, au moment où le gouvernement irakien s’est constitué. Quelle est votre opinion sur la face cachée de l’intervention américaine en Irak ?

L’opinion publique est volatile. Comment expliquez-vous que les dirigeants lui accordent autant d’attention, alors qu’il n’y a eu aucun mouvement de foule comparable aux manifestations contre la guerre du Viêtnam, par exemple ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur le ministre, vous cultivez le paradoxe : vous nous dites que nous avons besoin de l’Iran et qu’Assad vaut mieux que Daech, mais qu’il est préférable de ne pas choisir… Je partage un certain nombre de vos interrogations. Néanmoins, ne vaudrait-il pas mieux défendre devant l’opinion publique l’idée qu’un non-choix serait la pire des solutions ? L’Iran, ce n’est pas l’idéal, Assad non plus, mais l’ennemi principal, c’est Daech. Et la toile de fond, n’est-ce pas le conflit entre Téhéran et Ryad ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Vous proposez de faire d’Assad un objectif de conclusion et pas de départ, suivant là la ligne du maréchal Sissi.

M. Hubert Védrine. – Le système militaire américain, qui dispose pourtant d’un budget considérable, trouve parfois moins coûteux et moins contraignant de faire appel à des sociétés privées de sécurité. Cela les regarde.

Sur le poids de l’opinion publique, j’ai cité Tocqueville. La question demanderait plus de temps. À l’heure de la démocratie instantanée, de l’internet et des blogs, les pouvoirs publics sont menacés de perdre leur capacité d’action dans la durée, ce qui est pourtant stratégique. Ce processus pernicieux et handicapant touche maintenant aussi la politique étrangère en Occident. Pour l’opinion, le scénario à long terme ne compte pas ; elle réagit sur le moment. Donc la France ne devrait rester engagée en Irak que dans le cadre d’un projet politique clair et constructif.

Je trouve un peu dangereux l’argument de la réciprocité Etats-Unis/France, Mali/Irak ; nous ne sommes pas intervenus en Afrique pour défendre nos intérêts, mais pour lutter contre la menace pour tous que représentait une base arrière terroriste. La lutte contre le terrorisme n’est pas non plus un argument suffisant. Pour l’emporter, il faudrait qu’au sein de l’Islam les modernistes s’imposent face aux extrémistes. Cela arrivera, un jour, mais quand ? Il faudrait aussi régler le problème israélo-palestinien. En revanche, le maintien de notre engagement se justifie dans la perspective d’une pacification générale à long terme du Moyen-Orient et en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

Notre marge de manoeuvre devrait nous permettre de rester engagés tout en précisant notre vision sur l’avenir de l’Irak, incluant un scénario où l’Iran serait réintégré dans le jeu international, un pays dont le potentiel est immense. Mais nous devrons être vigilants pour obtenir un bon accord sur le nucléaire. La Turquie devra conserver un rôle. Quant aux Kurdes d’Irak, avec qui nous entretenons de bonnes relations, nous devrions les encourager à ne pas se montrer trop provocants ou impatients dans leurs exigences, pour ne pas provoquer la reconstitution d’une coalition des voisins contre un État kurde. L’existence du Kurdistan irakien autonome est déjà une belle victoire ! En Syrie, l’élimination complète de Daech est une priorité qui devrait passer avant une éventuelle élimination du régime.

Sur toutes ces questions, je plaide pour une approche plus réaliste.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Vous plaidez en somme pour la mise en place d’une politique étrangère ! C’est un jugement sévère. Une mission d’information sur l’Iran doit bientôt commencer ses travaux au sein de notre commission. Nous vous recevions pour parler de notre politique de défense ; vous nous avez répondu en parlant de politique étrangère. Merci, en tout cas, pour vos analyses !

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Débat en séance publique sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak – Audition du Général de division (r) Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris

La commission auditionne le général de division (r) Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris, en vue du débat en séance publique sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak, en application de l’article 35 de la Constitution.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous poursuivons nos travaux relatifs au débat, qui se tiendra en séance publique le 13 janvier prochain, sur la prolongation de l’opération Chammal.

Mon général, je suis très heureux de vous accueillir. Vous êtes à la fois général et professeur, votre parole nous intéresse donc particulièrement. Nous sommes préoccupés par la situation. Nous aurions du mal à refuser d’autoriser la poursuite de l’intervention, néanmoins la simple continuité nous pose problème, notamment au regard des critères énoncés par le Livre blanc de 2008. Nous voudrions avoir votre point de vue, juste avant d’entendre le ministre de la défense.

Général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris. – Avant de revenir vers les critères d’évaluation des opérations extérieures, je crois qu’il faut dire, affirmer et répéter sans faiblesse : « Daech delenda est ». Ayons la force de Caton l’Ancien.

Daech est aujourd’hui le danger majeur. Nous n’avons certes pas les moyens de tout, en même temps. Les menaces doivent être priorisées, quitte à consentir quelques compromis avec les moins brûlantes : dans le monde réel, dans un contexte de ressources et de moyens limités, notre politique ne peut être que réaliste.

« Daech delenda est » … mais nous ne pourrons répandre le sel sur le sol de l’Irak et de la Syrie. Il faudra au contraire le rendre fertile pour de nouvelles semences.

« Daech delenda est » … et pourtant votre interrogation demeure fondamentale : personne ne doute ici qu’il faille détruire Daech, mais devons-nous participer nous-mêmes à cette destruction ?

Un mot sur Daech, d’abord.

Ne doutons pas de la réalité de la menace directe pour nos intérêts vitaux, dont notre territoire et notre population. Daech est le premier mouvement terroriste à contrôler un aussi vaste territoire (35% du territoire irakien, 20% du territoire syrien). Ce qui représente 200 000 km² (soit l’équivalent de l’Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, PACA et Rhône-Alpes réunis) et une population de l’ordre de 10 millions de personnes. Ce territoire est imparfaitement mais réellement « administré » par un « ordre islamique », fait de barbarie et de rackets. Daech dispose d’un véritable « trésor de guerre » (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daech dispose d’équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d’une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels.

Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident – d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis. Ce mouvement, à la très forte capacité d’attraction et de diffusion de violence, est en expansion. Il est puissant, même s’il est marqué de profondes vulnérabilités. Il est puissant mais il sera détruit. C’est sûr. Il n’a pas d’autre vocation que de disparaître.

Le point est de le faire disparaître avant que le mal soit irréversible, avant que ses braises dispersées n’aient fait de ce départ de feu un incendie universel. Il faut agir, de manière puissante et déterminée, avec tous les pays de la région.

Il faut agir, mais qui doit agir ?

Avant d’aller plus loin dans mon raisonnement, je voudrais, comme vous l’avez souhaité, étudier quelques-uns des critères retenus comme fil guide de ces auditions. J’aborderai d’abord celui de la capacité « d’analyse exacte du contour spatio-temporel et financier d’un engagement ». Ce critère est en opposition profonde avec la nature même de la guerre.

Car, depuis que le monde est monde, personne n’a jamais pu « commander » à la guerre. Le rêve du politique, c’est l’intervention puissante, rapide, ponctuelle, qui sidère. C’est le mythe cent fois invalidé du « hit and transfer », du choc militaire qui conduirait directement au résultat stratégique et, dans un monde parfait, au passage de relais à quelques armées vassales immédiatement aptes et désireuses d’assumer elles-mêmes les responsabilités. Las ! Les calendriers idéaux (du genre « Cette opération va durer six mois ») sont toujours infirmés par ce que Clausewitz appelle la « vie propre » de la guerre. La guerre appartient à l’ordre du vivant, elle n’est pas un objet, elle est un sujet. Dès lors, n’espérons jamais « commander à la guerre » : c’est elle qui imposera son calendrier et ses évolutions. Cela a toujours été vrai : je relie mon propos à trois stratégistes qui inscrivent dans le temps éternel cette caractéristique incontournable de la guerre. 400 av. JC, évoquant la guerre du Péloponnèse, Thucydite indique que « La guerre ne se développe jamais selon un plan arrêté ». Au XVe siècle, Machiavel considère pour sa part que, si « on rentre dans la guerre quand on veut, on en sort quand on peut ». Il y a quelques années, un officier de cavalerie qui connaît la guerre mieux que personne pour en avoir souffert dans sa chair et l’avoir pratiquée à tous les niveaux, je veux parler de Winston Churchill, affirme dans ses mémoires, « Ne pensez jamais, jamais, jamais qu’une guerre peut être facile et sans surprise ; (…) l’homme d’Etat qui cède au démon de la guerre doit savoir que, dès que le signal est donné, il n’est plus le maître de la politique mais l’esclave d’événements imprévisibles et incontrôlables ».

Il a tellement raison ! Prenons deux exemples récents. Quand les Etats-Unis se lancent dans la deuxième guerre du Golfe en 2003, ils ne savent pas qu’elle va les entraîner, 11 ans plus tard, dans une troisième guerre du Golfe. Quand la France décide de stopper les chars libyens devant Benghazi en 2011, elle ne sait pas que cela va l’entraîner en 2013 au Mali et pour de très longues années dans la bande sahélo-saharienne.

De la première bataille à « la paix meilleure » qu’elle vise, il y a toujours un long chemin chaotique qui ne produit le succès que dans la durée, l’effort et la persévérance. Donc, quand on rentre dans une guerre, il faut avoir de la ressource, ce que j’appelle de la « profondeur stratégique » – notion fondamentale – pour pouvoir « suivre » (dans le sens du jeu de poker) et pouvoir s’adapter… ce que nous avons été tout à fait incapables de faire en Centrafrique par exemple.

Je veux insister encore un peu sur ce problème du nombre, car il est crucial. Il est directement lié au concept de résilience. Résilience dans chaque crise et résilience globale. Aucune de nos interventions ne peut produire ses effets dans le temps court, mais notre capacité de « résilience ponctuelle » est très faible : à peine arrivés, il faut partir. C’est pire dans le temps long, et pourtant il faut bien intervenir face aux menaces extérieures.

Au bilan, quelle que soit l’armée considérée, nous sommes engagés au-dessus des situations opérationnelles de référence, c’est-à-dire que chaque armée est en train d’user son capital sans avoir le temps de le régénérer. Nous avons des forces insuffisantes en volume. Pour compenser, tant au niveau tactique qu’au niveau stratégique, nous les faisons tourner sur un tempo très élevé qui les use. C’est-à-dire que si ce suremploi continue, l’armée française sera dans la situation de l’armée britannique sur-employée en Irak et en Afghanistan et obligée pendant quelques années d’arrêter les interventions et de régénérer son capital « at home ». L’effort considérable produit aujourd’hui au profit des interventions a des répercussions fortes et mesurables sur les forces en métropole, en termes de préparation opérationnelle en particulier.

Le sens des responsabilités exige de tordre définitivement le cou au mythe de la guerre courte. Ecartons définitivement les faux rêves toujours invalidés du « first in, first out » et du « hit and transfert ». Cela n’a marché ni pour les Américains en Irak, ni pour nous au Mali. D’ailleurs le « hit and run » n’est pas un facteur de stabilité : nous en sommes à la cinquième opération « coup de poing » en Centrafrique, 34 ans après la première, Barracuda en 1979. Une opération qui dure n’est pas forcément une opération qui s’enlise !

D’ailleurs le Livre blanc de 2008 a, au moins de manière théorique, bien pris en compte cette nécessité. Il postule que : « les phases de stabilisation peuvent s’étendre sur des années » ou que « ces opérations s’inscrivent dans le temps long » et avance que « l’aptitude à durer » est un facteur fondamental de l’efficacité des armées.

Dans ces conditions, il est bien évident que la délimitation de l’espace et du temps, l’évaluation et la maîtrise des coûts relèvent de la gageure. Ce rêve peut être utile en termes de communication politique, mais son propre discours ne doit pas leurrer le politique.

Comment compléter utilement la grille d’évaluation 2008 ?

Je voudrais d’abord prendre un instant pour rappeler ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine Powell, admirée en son temps puis oubliée avec ce dernier après son mensonge public, à la face du monde, le 5 février 2003.

Cette « doctrine » a été définie à l’aube de la guerre du Golfe en 1990. Elle se résume à une série de questions :

- Des intérêts vitaux sont-ils en jeu ?

- Des objectifs atteignables ont-ils été définis ?

- Les risques et coûts ont-ils été objectivement analysés ?

- Toutes les autres options non-violentes ont-elles été épuisées ?

- Existe-t-il une stratégie de sortie permettant d’éviter un embourbement ?

- Les conséquences de l’intervention ont-elles été évaluées ?

- Le peuple américain soutient-il cette action ?

- Avons-nous un réel soutien de la communauté internationale ?

Cette grille est bien imparfaite, mais elle est claire et pourrait encore utilement servir d’exemple à nos responsables exécutifs.

Pour ma part, je dirais que toute intervention doit respecter les grands principes stratégiques. J’en citerai cinq :

Premier principe : il ne faut s’engager que si l’on peut influencer au niveau stratégique. Sinon, on use ses forces sans capacité d’influence, on est plutôt discrédité et on ne gagne rien en image. C’est le cas de la Grande Bretagne en Irak et en Afghanistan ; elle a fini par y être relevée sans gloire après y avoir littéralement usé ses armées jusqu’à la corde. C’est le cas de la France en Afghanistan : elle y a conduit une « guerre américaine » sans influence stratégique globale, sans influence sur le cours des opérations, sans influence sur la direction de la coalition. A contrario, la Libye et le Mali – et l’opération Barkhane désormais – ont eu un effet profond sur la perception de la France dans le monde et par ses partenaires.

Deuxième principe : il ne faut intervenir que là où cela a du « sens stratégique ». C’est-à-dire quand notre action vise à préserver nos intérêts, à être à la hauteur de nos responsabilités… et c’est aussi notre intérêt car la France est grande dans le monde, en particulier par sa place au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais cette place lui est contestée tous les jours, et il faut qu’elle la défende, qu’elle la légitime tous les jours. Et elle ne peut le faire que par sa capacité de gestion utile des troubles du monde. Ce qui, au passage, impose absolument la nécessité de conforter notre capacité à agir comme « nation-cadre » et à « entrer en premier ». N’en doutons pas : notre place parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et notre influence dans les affaires du monde sont d’abord fondées sur notre capacité à agir de manière concrète dans les crises (capacité et crédibilité).

Troisième principe : il faut définir des objectifs atteignables. Serval, au Mali, est un cas d’école : les objectifs fixés par le Président de la République, dont l’état final recherché, ont été clairs et, au moins initialement, compatibles avec les moyens disponibles. En Afghanistan, les objectifs ont très vite dérivé et dépassé les moyens dont la coalition disposait (en termes de temps et de capacité de contrôle de l’espace terrestre en particulier).

Quatrième principe : il ne faut intervenir que quand l’action envisagée est compatible avec les moyens disponibles, immédiatement et à terme. Ici le contraste entre le Mali et l’Afghanistan, mais aussi entre le Mali et la RCA, est frappant. Pourtant le Livre blanc de 2008 était clair sur ce point. Il rappelait que « le critère du nombre – effectifs et équipements – demeure pertinent et ne peut entièrement être compensé par la qualité (…) il reste un facteur déterminant » quel que soit le milieu. Le Livre blanc 2013 parle de « volume de forces suffisants ». Dans les faits, l’opération Serval était un pari extrêmement risqué, chacun le sait, en raison du très faible volume de forces déployées, conjugué à la grande vétusté de la majorité des équipements utilisés. L’opération Sangaris est un pari qui a échoué : le pari fait de la « sidération initiale » a échoué. Ensuite, le déni de réalité conjugué à notre manque de moyens a empêché l’adaptation de la force à la réalité du terrain et au déploiement immédiat des 5 000 hommes qui étaient indispensables.

Cinquième principe : il ne faut « pas faire le premier pas sans envisager le dernier ». La formule est de Clausewitz : deux siècles plus tard, elle est toujours d’actualité. Cela veut dire, avoir une stratégie de sortie : et on opposera facilement ici encore le Mali et RCA. Cela veut dire qu’il faut évaluer sans idéologie, sans aveuglement, les conséquences d’une intervention, surtout si l’on n’a pas l’intention d’aller jusqu’au bout.

Il est bon ici de se rappeler ce que le Ministre Powell nommait le syndrome de « Pottery Barn », grande chaîne de magasins de vaisselle aux Etats-Unis. Nous étions en 2002, et Colin Powell voulait dissuader George W. Bush de lancer son agression de l’Irak. Il disait ainsi : « Quand vous entrez chez “Pottery Barn”, ce que vous cassez vous appartient ». Il avait raison. L’Irak et le Moyen-Orient « appartiennent » aux Etats-Unis, comme les conflits régionaux, en cascade, que cette agression a engendrés, tout comme l’Etat Islamique, « appartiennent » aux Etats-Unis. De la même manière, la Libye appartient à la France, tout comme le chaos régional que nous avons provoqué sur toute la bande Sahélo-saharienne. Du moins si l’on considère qu’il y a un lien entre le sens de la civilisation et le sens de la responsabilité …

Je tiens à évoquer votre quatrième point, celui du poids budgétaire des OPEX. Il ne s’agit pas « d’avoir les moyens de ses émotions ». Il s’agit de « consentir les investissements nécessaires à la sécurité des Français », selon le mot du ministre Le Drian. Cela n’a rien à voir !

Il est d’abord bien évident que s’offrir une Porsche et être ensuite incapable de payer le carburant pour la faire rouler relève du non-sens. Madeleine Albright avait bien raison quand elle posait la question : « A quoi servent nos belles forces armées si nous ne pouvons nous en servir ».

Le sous-dimensionnement patent du budget OPEX a des effets pervers considérables dont doivent être conscients ceux qui en décident. D’abord, laisser dire par les media, sans démenti formel, que les armées dépensent indûment le maigre budget français relève de la faute morale, au moment où nos soldats se battent sur tous les fronts, pour la France et à ses ordres, avec des ressources beaucoup trop comptées. Ensuite, parce que nous sommes toujours en dessous de la « taille critique », ce sous-dimensionnement du budget a des conséquences directes tant sur le succès des opérations que sur la sécurité de nos soldats : ils s’en retrouvent mis en danger.

Aujourd’hui dès qu’une opération est décidée, les planificateurs ont pour ordre strict de limiter au maximum les moyens, non en fonction des exigences opérationnelles mais selon une stricte logique budgétaire. Puis, dès que l’opération est lancée, la seule préoccupation des planificateurs est de rapatrier au plus tôt le maximum des moyens déployés. Avec trois conséquences funestes :

Premièrement, nos soldats se retrouvent toujours en sur-danger par rapport à une opération planifiée normalement, c’est-à-dire en fonction de sa finalité et des exigences opérationnelles. Les options tactiques sont rarement des options « opérationnelles » : ce sont des choix tactiques par défaut, sous forte contrainte. L’opération Sangaris est un exemple dramatique de cette dérive : moyens très insuffisants dès le départ et aucune adaptation des volumes, même lorsque le besoin est criant ;

Deuxièmement, nos forces ont le plus grand mal à remplir leurs missions et agissent en opposition flagrante avec un principe premier de la guerre, le principe de masse et de submersion. L’action, exécutée à moyens comptés, tarde à produire ses effets et coûte finalement beaucoup plus cher. Ainsi, nos forces sont conduites à mener des opérations séquentielles et non parallèles. C’est l’exemple type de Sangaris : d’abord la Séléka, puis les anti-Balaka : la force française y perd son efficacité et son caractère d’impartialité ;

Troisièmement, nos armées ont été déjà transformées en « kit expéditionnaire », donc capables de gagner des batailles mais pas de gagner les guerres – c’est-à-dire produire un « état de paix meilleur que le précédent » selon le mot de Liddell Hart. Aujourd’hui, on accélère leur retrait, gâchant leurs succès initiaux qu’elles ne peuvent plus transformer en succès stratégique et politique. Après avoir repoussé, détruit ou conquis, nous n’avons jamais assez de forces pour « mailler » et « tenir ».

Ainsi, de l’Afghanistan à la RCA en passant par le Mali, le problème majeur est celui de la « permanence » et le syndrome qui lui correspond, celui de « Sisyphe guerrier », reconquérant tous les matins ce qu’il a dû abandonner la nuit.

J’en arrive à Chammal. Après quelques détours, j’en conviens, mais l’on ne perd jamais son temps à prendre un temps de recul stratégique, à une époque où, justement, la tendance est de raisonner dans le temps court, en termes de dépenses de comptoir, des problèmes qui relèvent du temps long et d’investissements lourds.

Je ne m’attarde pas sur l’ahurissante contradiction actuelle entre, d’une part, l’embrasement du monde à nos portes, à notre est, à notre sud-est, à notre sud, la multiplication de nos interventions et, d’autre part, la détérioration profonde et rapide de nos capacités budgétaires avec, en aval, celle de nos capacités militaires. Tout le monde le sait, à droite et à gauche. Certains, trop peu nombreux, le disent.

Il y a toujours plus d’opérations et toujours moins de moyens. Et nous courons sans espoir derrière au moins un succès concret. Nous déshabillons Pierre pour habiller Paul, puis Paul pour rhabiller Pierre et habiller Jacques.

Trop tôt, nous réduisons nos forces au Mali parce qu’il faut aller en RCA ; là, notre faible contingent produit des résultats bien imparfaits mais déjà nous le déshabillons parce qu’il faut bien faire Barkhane … mais qu’il faut aussi aller reconquérir au Mali l’ Adrar des Ifoghasque nous avons lâché trop vite. L’adjudant Thomas Dupuy y trouvera la mort …

Alors ? Tenons-nous au principe bien connu de la guerre : le principe de concentration … ou à sa version populaire : « qui trop embrasse mal étreint ». Arrêtons de nous éparpiller ! Regardons les choses en face.

Etat islamique. « Daech delenda est » : certes ! Nous sommes profondément solidaires, mais nous ne sommes aucunement responsables. Nos intérêts existent, mais ils sont indirects. Nos capacités sont limitées et dérisoires, là-bas, par rapport à celles des Etats-Unis et notre influence stratégique est extrêmement limitée. Bien que nous soyons le 3e en termes de participation aérienne, nous sommes considérés par les Américains comme le 9e contributeur, derrière l’Arabie Saoudite. Au sein de l’état-major interalliés et interarmées opératif au Koweït, notre poids et notre accès est très limité, avec seulement une cinquantaine de postes non ABCA sur un millier. Le problème est d’une très grande complexité et ne sera réglé que dans le temps très long, en exigeant toujours plus de moyens.

Barkhane. Nous sommes profondément responsables. A la fois du chaos que nous avons créé et, qu’on le veuille ou non, de la stabilité de la bande sahélo-saharienne et de la frange nord-ouest de l’Afrique noire. De plus, nous y avons des intérêts directs de toute nature. Le problème est militairement beaucoup plus simple, avec des solutions politiques plus claires. La sortie sera plus aisée. Personne ou presque ne viendra nous aider, parce que la solidarité internationale, parce que la solidarité européenne n’existent pas. A défaut d’aide internationale, nous disposons d’une grande autonomie stratégique. Nous, nous y sommes pour longtemps et il faudra bien aller, un jour, en outre, s’occuper du chaos libyen et de la menace Boko Haram qui va continuer à se poser de manière croissante. Nous n’aurons pas le choix.

Alors ? Alors, de grâce, concentrons-nous. Laissons quelques officiers planifier dans les centres d’opérations ; laissons nos trois couleurs flotter sur l’état-major de la coalition anti-Daech. Il faut continuer à payer le prix minimal pour le ticket d’accès à l’information, mais il fait veiller au contrôle de son inflation, déjà en oeuvre. Mais concentrons tous nos efforts et nos maigres moyens sur cette opération Barkhane, gigantesque défi stratégique et logistique, conduit aujourd’hui avec un effectif dérisoire pour une mission de sécurité ultra-complexe couvrant une zone immense de cinq pays aux frontières poreuses, avec un dispositif français déjà au bout de ses capacités.

Et nous n’avons pas le choix : nous devons y vaincre, forcément sur le temps long. Pour le monde. Mais surtout pour la France et la sécurité de nos concitoyens.

M. Jacques Gautier. - Concernant le sous-dimensionnement du budget des OPEX, je me satisfais de la formule actuelle, consistant à inscrire une dotation déterminée dans le budget du ministère de la défense et à prévoir un financement interministériel du dépassement, dans la mesure où l’engagement des OPEX est une décision d’ordre politique. Compte tenu de la contrainte de réduction des coûts, je m’interroge, par ailleurs, sur ce que peut apporter la participation du porte-avions Charles de Gaulle à l’opération Chammal, dès lors que la France dispose déjà de Mirage en Jordanie et de Rafale aux Emirats Arabes Unis.

M. Joël Guerriau. - J’ai apprécié votre remarquable exposé et retenu les cinq principes que vous avez cités. Vous avez dit que la France avait eu raison d’intervenir au Mali et en Libye tout en précisant, ce qui m’a rassuré, qu’il convenait d’aller jusqu’au bout et d’y restaurer une paix durable. Je retiens de votre propos la règle d’or suivante : il ne faut s’engager dans une guerre que si on a la capacité à durer.

M. Jean-Marie Bockel. - J’apprécie l’originalité et la finesse de vos analyses depuis que je vous connais. Mais je note qu’au sein de l’institution militaire, vos prises de positions font débat.

M. Aymeri de Montesquiou. - Vous avez remisé aux oubliettes la doctrine Guderian de la guerre éclair (Blitzkrieg). Vous avez souligné l’importance du territoire de Daech (200 000 km) au regard des effectifs limités dont il dispose (30 000 hommes). Il s’agit là d’un point faible pour Daech, d’autant qu’il n’a pas d’aviation. En outre, je me demande comment il est possible d’influencer une coalition : soit on la dirige, soit on est dirigé. Et quand on est dirigé, défend-on vraiment ses intérêts ?

M. Daniel Reiner. - Aurait-il été imaginable que la France ne fasse pas l’opération Chammal ?

M. Gilbert Roger. - Dans votre propos, vous n’avez pas évoqué l’Europe. J’ai le sentiment que la France est bien seule, politiquement et militairement. D’un point de vue stratégique, Daech dispose d’immenses ressources, notamment grâce à un trafic de pétrole à ciel ouvert. N’est-on pas en mesure de détruire cette source d’enrichissement ? Pourquoi ne le fait-on pas ?

M. Robert del Picchia. - Vous défendez l’idée que pour intervenir, il faut d’abord tout prévoir. Quid de l’urgence ? Quand il y a urgence, il n’y a donc pas d’intervention possible ?

Général Vincent Desportes. – Je répondrai de façon synthétique à l’ensemble de ces questions.

D’abord, je comprends le raisonnement de M. Gautier. La logique poursuivie par le Gouvernement est compréhensible. Cependant, elle se traduit par de nombreux effets pervers. Les options tactiques sont prises par défaut, sous fortes contraintes budgétaires. Mesurées dès le départ au plus juste, les forces sont redimensionnées au plus tôt, ce qui affecte tant la sécurité de nos soldats que l’efficacité de la mission.

S’agissant de l’emploi du porte-avions en OPEX, avant qu’il ne rentre en indisponibilité technique, si ce renfort paraît utile, je n’y vois pas d’objection, pour autant que cela ne coûte pas trop cher et n’impacte pas les autres budgets ; je ne suis pas un spécialiste de cette question. Mais la priorité, à mes yeux, est de renforcer les moyens alloués à l’opération Barkhane.

Pour revenir sur la nécessité de ne s’engager que lorsqu’on dispose de la capacité de le faire dans la durée, je précise que l’opération libyenne, au moment de son lancement, était selon moi raisonnable – arrêter les chars à Benghazi, c’était une décision légitime et morale. La dérive est venue ensuite : nous n’avons ni pu, ni su gérer « l’après » de notre intervention.

M. Daniel Reiner. - On ne sait pas le faire !

Général Vincent Desportes. – Dans ce cas, arrêtons-nous ! Nos armées, aujourd’hui, sont des sortes de « kits » expéditionnaires, sans profondeur stratégique ; on n’a pratiquement jamais les moyens de « durer » dans les opérations. Or il n’y a jamais de succès stratégique dans le temps court ! Ce que la France a fait au Mali a d’abord été très bien fait, mais nous avons réduit beaucoup trop vite nos effectifs. Dans un contexte de moyens contraints, il importe de concentrer nos interventions, et d’inscrire celles-ci dans le temps long. Les opérations « aller et retour » permettent d’atteindre des résultats d’ordre technique, mais pas d’aboutir aux solutions politiques nécessaires. C’est l’histoire du monde !

A l’attention de M. Bockel : je crois qu’au sein des armées où j’ai de nombreux contacts, la majorité approuve mes propos. J’ajoute qu’un problème fondamental des militaires réside dans le fait de ne pas pouvoir s’exprimer lorsqu’ils portent l’uniforme, parce qu’ils le portent, puis de ne plus pouvoir parler lorsqu’ils l’ont quitté, car ils sont alors censés ne plus connaître les sujets sur lesquels ils auraient pu s’exprimer ! Les armées constituent aujourd’hui le seul corps social de la Nation à ne pas disposer de système d’auto-défense, d’une forme d’ordre professionnel. Ainsi, pour des raisons ancrées dans l’histoire, le corps des officiers, à mon sens, ne remplit plus aujourd’hui le rôle qui est le sien dans la Nation, souvent par excès de déférence, me semble-t-il. C’est un sujet dont il faudrait débattre.

M. Jean-Marie Bockel. - Très bien !

Général Vincent Desportes. – Sur Daech, je suis d’accord avec M. de Montesquiou : plus cette organisation terroriste cherchera à étendre son emprise territoriale, plus elle se fragilisera et sera susceptible de subir nos frappes. Ce choix de la territorialisation signe la mort programmée de Daech – Napoléon fut défait devant Moscou ! Et c’est ainsi que Daech mourra avant Al-Qaïda. Quant à la question de rompre les flux qui en assurent le soutien, je pense, sans connaître le détail opérationnel en cause, qu’une part de la difficulté tient au fait que l’on frapperait là en territoire ami.

En Afghanistan, nous avons servi à peu de chose. A l’inverse, l’opération Barkhane est utile et bien menée, nous y disposons d’une capacité de direction et d’influence ; ce n’est pas le cas dans l’opération Chammal.

Enfin, pour revenir sur la question de l’urgence, je crois que l’on est tout à fait capable d’agir et de se projeter en urgence quand cela est nécessaire – on a su le faire au Mali ; mais que l’urgence n’empêche pas la réflexion stratégique.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci, mon général, pour l’ensemble de ces éléments, et pour votre liberté de parole et votre ouverture au débat, ainsi que la clarté avec laquelle vous exposez vos convictions.

 

 Source : senat.fr, 17/12/2014

Source: http://www.les-crises.fr/le-general-desportes-au-senat-daech-a-ete-cree-par-les-etats-unis-2014/


La bannière étoilée derrière le drapeau noir, par Maxime Chaix

Tuesday 1 December 2015 at 00:08

Source : De Defensa, le 20 août 2015.

Les politiques profondes occidentales et l’émergence de Daech

La « Politique profonde » a été définie par Peter Dale Scott comme l’étude de « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques, intentionnelles ou non, qui sont habituellement refoulées dans le discours public plus qu’elles ne sont admises ». (1) Aujourd’hui, l’un des principaux spécialistes de cette discipline est le chercheur britannique Nafeez Mosaddeq Ahmed, qui se présente sur son site officiel comme un « journaliste d’investigation analysant les politiques profondes de la “guerre contre le terrorisme”, dans le contexte de la crise de la civilisation [industrielle]. » (2) Le Dr. Ahmed est un lecteur assidu de Peter Dale Scott, dont il a vivement recommandé le dernier ouvrage, intitulé L’État profond américain. À cette occasion, il a décrit le Dr. Scott comme « un pionnier dans l’étude méthodique de l’État de sécurité nationale [,] et de son influence occulte dans tous les domaines de la politique étrangère et intérieure des États-Unis ». (3)

En mai dernier, en se basant sur des documents rendus publics grâce à Judicial Watch, Nafeez Ahmed révéla que le Renseignement militaire du Pentagone (DIA) avait prédit en 2012 l’émergence d’un « État Islamique » (4) à cheval entre l’Irak et la Syrie, accusant l’administration Obama – et plus généralement « l’Occident, les États du golfe Persique et la Turquie » –, d’avoir encouragé la montée en puissance de Daech. (5) Il s’avère que ses analyses, qui lui avaient valu de nombreuses critiques, viennent d’être corroborées par l’ancien directeur de la DIA lui-même, comme nous le verrons dans cet article.

Ainsi, l’étude et la mise au jour des politiques profondes des États-Unis et de leurs alliés, dont la France, sont d’une importance vitale. En effet, depuis le 11-Septembre, nous observons en Occident une succession de dérives autoritaires légitimées par la lutte antiterroriste, (6) alors qu’à l’étranger, des milices jihadistes ont été clandestinement soutenues par les principales puissances de l’OTAN et leurs alliés moyen-orientaux depuis les années 1980, (7) notamment en Libye et en Syrie. Il en résulte un débat public orwellien, dans lequel la plupart des groupes terroristes sont présentés comme des ennemis de la démocratie – ce qu’ils sont indiscutablement –, alors que des stratégies de déstabilisation systémique (8) conduisent des États de l’OTAN et du CCG à les appuyer sur différents théâtres d’opération. (9) Bien souvent, ces politiques profondes engendrent un chaos durable et meurtrier, pour reprendre les exemples de la Libye et de la Syrie (10) ; et puisqu’elles renforcent des réseaux jihadistes qui nous sont hostiles, elles amplifient le risque d’attentats, y compris contre les populations occidentales. Il en résulte que nos libertés publiques sont progressivement supprimées au nom de la lutte antiterroriste. (11)

Depuis l’effondrement des trois tours (12) du World Trade Center, une écrasante majorité de journalistes et d’experts occidentaux nous décrit un monde outrancièrement simplifié, dans lequel l’Occident serait en « guerre contre le terrorisme » – cette campagne globale ayant tué au moins 1,3 million de civils en Irak, en Afghanistan et au Pakistan… (13) Certes, il est indéniable que les opérations spéciales ciblant des leaders jihadistes sont en pleine expansion, en particulier sous les présidences Obama (14) et Hollande. (15) Il est également évident que les divers services de renseignement et de police occidentaux sont perpétuellement engagés dans des opérations de contre-terrorisme, ce qui est légitime. Néanmoins, ce contexte de lutte antiterroriste et de guerres secrètes dissimule une réalité profonde que je dénonce sans relâche : lorsque des intérêts supérieurs sont en jeu, (16) ou que les politiques étrangères sont conditionnées par l’« affectivisme », (17) des milices jihadistes affiliées à al-Qaïda sont clandestinement soutenues par des puissances occidentales, avec la complicité active d’alliés moyen-orientaux tels que le Qatar ou l’Arabie saoudite. (18)

Cette réalité profonde est difficile à accepter, puisque nous avons été conditionnés à croire (19) que nos gouvernements se contentent de lutter de bonne foi contre des réseaux jihadistes opposés à l’Occident. Or, les révélations récentes d’un ancien haut responsable des renseignements états-uniens remettent en cause cette vision du monde simpliste et manichéenne. En effet, le 31 juillet 2015, Al-Jazeera a diffusé une interview de Michael Flynn, l’ancien directeur du Renseignement militaire du Pentagone (DIA). (20) Poussé dans ses retranchements par le journaliste Mehdi Hasan, (21) le général Flynn a avoué un fait aussi alarmant que scandaleux : en 2012, alors que son agence alertait l’administration Obama de la possible émergence d’un « État Islamique » entre l’Irak et la Syrie, la Maison Blanche a délibérément choisi de soutenir clandestinement des réseaux jihadistes combattant le régime de Bachar el-Assad ; selon Michael Flynn, cette politique a favorisé l’émergence de l’organisation Daech… contre laquelle les États-Unis dirigent actuellement une coalition multinationale à l’efficacité pour le moins discutable. (22) En décembre 2014, le général Vincent Desportes avait déclaré au Sénat que Daech était un « monstre » ayant été « créé » par les États-Unis, qu’il a qualifiés de « docteur Frankenstein ». (23) Le général Michael Flynn vient de le reconnaître ouvertement sur Al-Jazeera.

Bien qu’étant informée des risques de cette politique secrète, la Maison Blanche a donc consciemment décidé de soutenir des milices extrémistes en Syrie, avec les funestes résultats que nous connaissons. Selon Nafeez Mosaddeq Ahmed et Peter Dale Scott, des intérêts géostratégiques et énergétiques inavoués ont motivé cette intervention clandestine coordonnée par la CIA, (24) mais opérationnalisée par les services spéciaux turcs, saoudiens et qataris. (25) À l’origine, il semble néanmoins qu’un autre facteur ait sous-tendu les politiques profondes des États-Unis en Syrie : en août 2011, comme l’a expliqué DeDefensa.org, (26) l’administration Obama s’est enfermée dans une non-politique consistant à exiger le départ de Bachar el-Assad, mais sans qu’elle n’intervienne militairement par la suite.

D’après des sources internes au gouvernement états-unien, le processus décisionnel ayant motivé cette posture ne s’est pas basé sur des motifs stratégiques, mais sur la volonté d’être « du bon côté de l’Histoire ». En effet, l’administration Obama avait été critiquée pour sa lenteur et sa prudence excessive face aux événements qui avaient secoué l’Égypte au début de l’année 2011. (27) Sur la question syrienne, certains hauts responsables de l’administration Obama ont d’ailleurs fait état de fortes pressions interventionnistes de la part des médias et des alliés européens des États-Unis, en particulier de la France. (28) Il est vrai qu’à l’époque, et jusqu’à présent, les forces loyalistes de Bachar el-Assad commettent des exactions contre la population civile, (29) ce qui est certes inhumain, mais qui l’est tout autant que les millions de morts et de blessés engendrés par les politiques étrangères occidentales en Irak et en Afghanistan depuis un quart de siècle. (30) Emprisonnée dans cette posture ne permettant aucune négociation avec Bachar el-Assad, et à défaut de souhaiter une intervention militaire directe, la Maison Blanche s’est lancée dans une politique clandestine pour le moins dangereuse et court-termiste.

En 2012, un réseau de bases situées en Jordanie et en Turquie organisait cette guerre secrète sous l’étroite supervision de la CIA, qui coordonna notamment des livraisons d’armes à différentes factions hostiles à Bachar el-Assad. (31) Jusqu’à présent, la politique syrienne de l’administration Obama a officiellement consisté à appuyer des rebelles soi-disant « modérés » (32) ; en réalité, sa politique profonde dans le Levant a visé jusqu’à aujourd’hui (33) à soutenir la nébuleuse al-Qaïda, pourtant accusée par Washington d’avoir perpétré les attentats du 11-Septembre. Ayman al-Zawahiri, le leader de cette organisation, aurait d’ailleurs demandé à ses troupes de ne « pas utiliser la Syrie comme une base pour des attentats contre l’Occident ou l’Europe, afin de ne pas salir la guerre actuelle ». (34) Ces propos ont été recueillis en juin dernier par Al-Jazeera durant une interview du chef d’al-Qaïda en Syrie, Mohammed al-Joulani. Actuellement, ce dernier dirige un réseau extrémiste appelé l’« Armée de la conquête » ; et les médias français ne font pas mystère d’une alliance entre le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie pour soutenir cette milice d’al-Qaïda et faire tomber le régime de Bachar el-Assad, (35) avec l’assentiment de la Maison Blanche. En effet, selon le grand reporter Gareth Porter, l’administration Obama aurait accepté cette politique à condition que les pays concernés ne fassent pas obstruction à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. (36)

Une « décision délibérée » de la Maison Blanche, puis le chaos

Cet aveu crucial du général Flynn a été initialement relevé par le journaliste freelance Brad Hoff, dans un article traduit par un site d’information alternative, LeSakerFrancophone.net. En effet, comme nous le verrons, aucune source médiatique grand public n’a relayé cette révélation, du moins en France. Je reproduis donc cette traduction du Saker, qui se base elle-même sur un média « alternatif » (ForeignPolicyJournal.com) :

« [Mehdi] Hasan [Al-Jazeera] : – En 2012 les États-Unis aidaient à coordonner les transferts d’armes vers ces mêmes groupes (salafistes, les frères musulmans, al-Qaïda en Irak), pourquoi n’avez-vous pas cessé de le faire si vous vous inquiétiez de la montée en puissance des extrémistes islamistes ?

[Michael] Flynn : – Je déteste dire que ce n’était pas mon boulot… Mais bon… Mon boulot était juste de m’assurer que les informations que nous présentions étaient aussi valides que possible. (…)

Hasan : – Vous êtes donc en train de nous dire qu’à cette époque le gouvernement [des États-Unis] savait que ces groupes existaient, vous en avez vu l’analyse, et vous argumentiez contre [auprès de la Maison Blanche], mais alors, qui n’écoutait pas ?

Flynn : – Je crois que c’est l’administration [Obama].

Hasan : – L’administration a donc fermé les yeux face à votre rapport ?

Flynn : – Je ne crois pas qu’elle ait fermé les yeux, je pense que ce fut une décision. Je pense même que ce fut une décision délibérée. » (37)

En sa qualité d’ancien responsable de la DIA, le général Flynn corrobore ainsi les arguments du journaliste d’investigation britannique Nafeez Mosaddeq Ahmed, que j’ai présenté au début de cet article. En juin dernier, il avait écrit l’analyse suivante :

« [L]e document de la Defense Intelligence Agency (DIA) obtenu par Judicial Watch (…) confirme que la communauté du Renseignement états-unienne avait anticipé la montée en puissance de Daech il y a 3 ans, comme conséquence directe du soutien des rebelles extrémistes en Syrie. [Diffusé à l’administration Obama et aux principaux services secrets US en] août 2012, [cet] “Information Intelligence Report” (IIR) révèle que le noyau dur de la rébellion syrienne était alors dominé par un certain nombre de groupes islamistes, incluant al-Qaïda en Irak (AQI). Il alertait sur le fait que les “puissances soutenant” la rébellion – identifiées dans ce document comme étant l’Occident, les États du golfe Persique et la Turquie –, souhaitaient l’émergence d’une “Principauté Salafiste” dans l’Est de la Syrie afin d’“isoler” le régime d’el-Assad. De plus, ce document contenait la prédiction extraordinairement juste qu’un tel embryon de mini-État islamiste, soutenu par les puissances sunnites de la région, accentuerait le risque de proclamation d’un “État Islamique” à cheval entre l’Irak et la Syrie. Ce rapport de la DIA anticipait même la chute de Mossoul et de Ramadi. » (38)

Après avoir publié cet article, Nafeez Mosaddeq Ahmed fut indirectement taxé de « complotisme » par le spécialiste du Moyen-Orient Juan Cole, (39) s’attirant d’autres critiques d’individus proches des milieux états-uniens de la Défense et du Renseignement ; par la suite, ses analyses furent néanmoins corroborées par des experts et des lanceurs d’alerte de premier plan. (40) À cette époque, la presse française avait peu réagi à ces révélations. Toutefois, dans un article du Point, deux experts minimisèrent l’importance de ce rapport de la DIA. (41) Leurs analyses – rassurant celles et ceux quicroient (42) que la bannière étoilée ne peut se cacher derrière le drapeau noir –, sont aujourd’hui invalidées par l’ancien responsable de cette agence.

La Politique profonde comme alternative au silence médiatique

À la suite des révélations frappantes de Michael Flynn, nous aurions pu nous attendre à un scandale d’ampleur nationale aux États-Unis, voire même à l’échelle mondiale puisque plusieurs pays occidentaux ont activement soutenu les rebelles soi-disant « modérés » en Syrie. Concernant la France, j’avais souligné en juillet dernier que deux importants députés français avaient publiquement accusé le gouvernement actuel d’avoir soutenu al-Qaïda en Syrie. (43) Ces graves accusations ont été très peu relayées dans la presse hexagonale. Or, les révélations de Michael Flynn ont elles aussi été refoulées dans les médias français. (44) En effet, seule la branche francophone de la chaîne Russia Today (RT) en a parlé. Récemment, le grand reporter Anne Nivat s’alarmait de la montée en puissance globale de cette chaîne, puisqu’elle constitue un vecteur d’influence majeur pour le Kremlin. (45) Néanmoins RT, bien qu’ayant une ligne éditoriale loin d’être neutre et irréprochable, est devenue une source d’information qui compense trop souvent le silence médiatique occidental sur des sujets d’une importance vitale, tels que les politiques profondes dénoncées dans le présent article. J’ignore si Madame Nivat est au courant des révélations de Michael Flynn et, le cas échéant, si ses confrères et elle-même vont enquêter sur ce sujet crucial. En effet, au vu de la montée de l’expansion globale du fanatisme islamiste, de telles investigations me paraîtraient salutaires.

Alors que l’organisation Daech devient à juste titre l’ennemi public mondial numéro un, comprendre les véritables raisons de son essor permettrait d’éviter la répétition d’un tel processus dans d’autres régions du monde. Ainsi, dénoncer les politiques profondes des principaux pays de l’OTAN et de leurs alliés pétromonarchiques mettrait ces États face à leur responsabilité historique dans la montée en puissance des réseaux jihadistes et takfiristes au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie centrale. En effet, comme l’a récemment déclaré l’ancien responsable du contre-terrorisme à la DGSE Alain Chouet, « ce que nous appelons “salafisme”, en arabe, cela s’appelle “wahhabisme”. Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste. » (46) Ces alliances, qui laissent le champ libre aux régimes soutenant le wahhabisme à travers le monde, peuvent favoriser des réseaux jihadistes que les États occidentaux finissent par combattre militairement, lorsque la situation devient incontrôlable (talibans et al-Qaïda en Afghanistan depuis 2001 ; différents groupuscules extrémistes au Mali depuis 2013 ; Daech, al-Nosra et Khorasan en Syrie depuis 2014 ; et peut-être, dans un avenir proche, Daech et d’autres milices extrémistes en Libye [47] ).

Néanmoins, il est peu probable que les médias occidentaux exposent un jour ces politiques clandestines irresponsables, qui se caractérisent par un court-termisme et une absence de vision stratégique tout simplement alarmants. De ce fait, l’étude de la Politique et de l’Histoire profondes telles que développées par Peter Dale Scott depuis une quarantaine d’années est plus que jamais cruciale ; et l’action des médias « alternatifs » partageant ce besoin de vérité et de justice doit être soutenue massivement via Internet et les réseaux sociaux, car les politiques profondes de l’Occident et de ses alliés menacent plus que jamais notre sécurité collective, nos libertés publiques et notre avenir commun.

Maxime Chaix

(Mon site de Politique profonde : Maxime Chaix.info. Compte Twitter : www.twitter.com/maximechaix)

Notes

1. Comme l’a expliqué Peter Dale Scott dans son dernier livre, L’État profond américain (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2015), « [j]e distingue deux niveaux dans l’Histoire des États-Unis : les faits historiques officiellement reconnus, et ceux qui sont dissimulés [ou déformés] par les autorités [, comme le 11-Septembre, l’assassinat de JFK, le Watergate ou l’Irangate, que Peter Dale Scott appelle les “événements profonds”]. En parallèle, il existe des événements pouvant être traités par les médias dominants, et ceux que ces mêmes médias censurent [, comme la libération d’Ali Mohamed, un instructeur clé d’al-Qaïda et informateur du FBI, que le Bureau avait obtenue des autorités policières canadiennes en 1993]. Par conséquent, ce phénomène engendre deux niveaux d’analyse historique : l’Histoire officielle (ou archivistique) qui ignore, déforme ou marginalise les événements profonds ; et un second niveau qui les incorpore – appelé l’Histoire profonde par ceux qui développent cette discipline, ou qualifié de “complotisme” par ses détracteurs. L’objectif des recherches dans le domaine de la Politique profonde est de mettre au jour et de comprendre ces événements obscurs depuis ce second niveau historique. Ainsi, grâce aux recherches qu’elle induit, la Politique profonde va finalement à l’encontre des médias dominants mais pas, selon moi, de l’intérêt général. Je suis même convaincu du contraire » (accentuation ajoutée).

2. Voir son site officiel (en anglais) : www.nafeezahmed.com ; pour consulter ses principaux articles en anglais et en français, voir sa page sur le site MiddleEastEye.net ; récemment, j’ai moi-même traduit un important article de cet auteur : « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015 ; alors qu’il était un blogueur spécialisé dans les questions énergétiques et climatiques au sein du prestigieux Guardian, Nafeez Ahmed a été renvoyé à la suite d’un article dévoilant les enjeux gaziers derrière l’opération israélienne de l’été 2014 contre Gaza. Depuis, il a demandé à ses propres lecteurs de financer ses enquêtes, à travers une initiative baptisée « INSURGE INTELLIGENCE ». Je vous encourage vivement à soutenir ce projet, car Nafeez Ahmed est l’un des journalistes les plus compétents, intègres et courageux de sa génération.

3. « Depuis longtemps, Peter Dale Scott a été un pionnier dans l’étude méthodique de l’État de sécurité nationale et de son influence occulte dans tous les domaines de la politique étrangère et intérieure des États-Unis. Avec ce nouvel ouvrage, [L’État profond américain], il se surpasse en offrant une analyse véritablement complète de l’empiètement croissant d’un “État profond” incontrôlé dans le système politique démocratique de ce pays, depuis l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, ce livre nous laisse présager de sombres perspectives si rien ne change. Il s’agit d’un travail brillant et incisif, une lecture obligatoire pour tous ceux qui souhaitent comprendre les interactions entre le capitalisme mondialisé, la sécurité nationale et les objectifs douteux des services de renseignement les plus puissants, mais aussi les plus secrets. Dans ce livre, Scott expose le réseau complexe des intérêts criminels et entrepreneuriaux qui conditionnent l’action de ces agences. » – Nafeez Mosaddeq Ahmed (source).

4. « État Islamique » (« Islamic State ») est l’expression employée dans ce rapport secret de la DIA. Bien que l’administration Obama fût informée du risque de l’émergence de cet « État Islamique », cela ne veut pas dire que Daech soit une création totalement délibérée de la Maison Blanche – dont les politiques irakienne et syrienne semblent aussi chaotiques que la situation sur le terrain.

5. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « D’après un rapport du Pentagone, l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie prévoyaient l’émergence de l’EI », MiddleEastEye.net, 29 mai 2015.

6. Maxime Chaix, « L’État profond “français” », DeDefensa.org, 27 juin 2015.

7. Pour un résumé fiable et sourcé de l’utilisation de réseaux jihadistes par les États profonds occidentaux et leurs alliés pour déstabiliser l’Afghanistan, la Bosnie, le Kosovo, la Libye et la Syrie, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « L’État islamique, cancer du capitalisme moderne », MiddleEastEye.net, 27 mars 2015.

8. Ibidem.

9. Ibidem.

10. Le conflit en Syrie est infiniment complexe, et les politiques profondes des États occidentaux et de leurs alliés moyen-orientaux ne peuvent être considérées comme la cause unique de ce chaos. Néanmoins, il est clair que le soutien clandestin, par les États précités, des forces islamistes dans ce pays a considérablement amplifié le désordre et la destruction – notamment à travers l’émergence de Daech et la montée en puissance du Front al-Nosra.

11. Maxime Chaix, « L’État profond “français” », DeDefensa.org, 27 juin 2015.

12. Si vous n’êtes pas au courant qu’une troisième tour du World Trade Center s’est effondrée le 11 septembre 2001 (la WTC7), je vous recommande vivement cet article et l’interview télévisée qu’il introduit. N’en déplaise aux esprits conformistes, ces attentats restent entachés de mystère, comme l’a démontré Peter Dale Scott dans ses derniers ouvrages, ou comme l’avait expliqué Jean-Pierre Chevènement dans son livre Défis républicains. En effet, ce dernier a souligné que « la propagation du terrorisme islamiste, certes regrettable, fournit aussi un alibi idéal à l’entreprise de recolonisation du Moyen-Orient et de domination mondiale, à l’échelle d’un “nouveau siècle américain”, dans laquelle s’est lancée l’administration de George W. Bush. L’histoire du retournement des milices wahhabites d’Oussama ben Laden contre les États-Unis, qui les avaient soutenus contre l’URSS en Afghanistan, comporte tant de zones d’ombres qu’on peut se demander si la coopération très étroite entre la CIA et les services secrets séoudiens du prince Turki, congédié seulement quinze jours avant le 11 septembre, n’éclairerait pas utilement les circonstances d’un événement qui a ouvert une page nouvelle dans l’histoire des relations internationales : comme Athéna sortant tout armée de la cuisse de Jupiter, la “Quatrième Guerre mondiale” a été décrétée ce jour-là. »

13. Marc de Miramon, « La “guerre mondiale contre le terrorisme” a tué au moins 1,3 million de civils », LHumanite.fr, 24 avril 2015 ; article cité par Romain Jeanticou, « 1,3 million de civils seraient morts dans la “guerre contre le terrorisme” », ITele.fr, 27 avril 2015.

14. Stephen Holmes (traduit par Sandrine Tolotti), « Pourquoi Obama est devenu le président des drones », NouvelObs.com/Books, 2 mars 2014 : « Dans son livre The Drone Zone, Mark Mazzetti, du New York Times, explique la “fièvre tueuse” d’un président humaniste [sic]. Et ça fait froid dans le dos. »

15. Interview de Vincent Nouzille par Sud Ouest, « “Permis de tuer” : quand les services secrets français règlent les comptes », SudOuest.fr, 29 mars 2015 : « On mène des guerres secrètes de plus en plus violentes sans que l’opinion en ait conscience. Nous sommes pris dans cette spirale de violence, et ceci bien avant les attentats de Paris du mois de janvier dernier. Un certain nombre d’actions qui nous visent sont des réponses à des choses que nous avons pu faire. Nous sommes engagés dans des engrenages où la violence répond à la violence. La lutte contre le terrorisme ne peut pas être qu’une lutte militaire ou clandestine. Le combat politique, diplomatique, doit permettre d’endiguer le phénomène. La seule réponse militaire ne suffit pas. Car après, quand vos ennemis sont déterminés à vous détruire, la négociation s’en trouve plus que limitée. On voit bien que c’est le cas aujourd’hui avec Daesh ou AQPA (al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) » (accentuation ajoutée).

16. Pour un résumé fiable et sourcé de l’utilisation de réseaux jihadistes par les États profonds occidentaux et leurs alliés pour déstabiliser l’Afghanistan, la Bosnie, le Kosovo, la Libye et la Syrie – et pour en comprendre les motivations –, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « L’État islamique, cancer du capitalisme moderne », MiddleEastEye.net, 27 mars 2015 ; à l’Élysée, la guerre en Libye – qui a été menée avec l’appui de groupes jihadistes sur le terrain – semble avoir été motivée avant tout par des intérêts privés, si l’on en croit les révélations puisées dans les courriels d’Hillary Clinton (voir « Libye : la version de Sarkozy remise en cause par des mails de Clinton », LExpress.fr, 2 juillet 2015).

17. Voir la définition de l’« affectivisme » ayant conditionné cette non-politique syrienne de Washington dans « La raison devenue idiote utile de l’affectivité », DeDefensa.org, 16 juin 2012. Pour une analyse du processus décisionnel ayant conduit l’administration Obama à exiger le départ de Bachar el-Assad, voir cet excellent article : « La Syrie, les “mots magiques” et le déterminisme-narrativiste », DeDefensa.org, 15 août 2015.

18. Maxime Chaix, « L’État profond “français” », DeDefensa.org, 27 juin 2015.

19. Le verbe « croire », au sens religieux du terme, est utilisé dans cette phrase afin de souligner que, dans l’Occident de l’après-11-Septembre, la plupart des citoyens ne peuvent encore accepter le fait irréfutable que leurs gouvernements ont soutenu des réseaux jihadistes affiliés à al-Qaïda en Libye puis en Syrie.

20. Je vous recommande cet intéressant article sur ces révélations de Michael Flynn : Brad Hoff, « Rise of Islamic State was “a willful decision”: Former DIA Chief Michael Flynn », ForeignPolicyJournal.com, 7 août 2015. Voir aussi la traduction de cet article par LeSakerFrancophone.net.

21. La pugnacité de Mehdi Hasan lors de cet entretien avec Michael Flynn est un exemple pour les journalistes. À titre de comparaison, David Pujadas et Claire Chazal avaient laissé le Président Hollande affirmer qu’Israël ne possédait pas d’arsenal nucléaire lors de son interview du 14 juillet 2015. Voir Jean-Dominique Merchet, « Quand François Hollande oublie la bombe israélienne… », LOpinion.fr, 20 juillet 2015.

22. Michel Goya, « Un an de détermination absolue », LaVoieDelEpee.Blogspot.fr, 9 août 2015.

23. Comptes-rendus de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, intervention de Vincent Desportes, Senat.fr, 12 décembre 2014 : « Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident – d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis. » À ma connaissance, la première source ayant rapporté cette analyse du général Desportes fut l’Agence Info Libre, qui est un média alternatif. Cette information cruciale a été refoulée dans les médias français. Voir « Général V. Desportes : “les États-Unis ont créé Daech” ! », AgenceInfoLibre.fr, 18 janvier 2015.

24. Peter Dale Scott, « La politique syrienne de Washington : faucons contre colombes », DeDefensa.org, 18 juin 2013 ; Nafeez Mosaddeq Ahmed, « L’État islamique, cancer du capitalisme moderne », MiddleEastEye.net, 27 mars 2015 : « Au cours des cinq dernières années au moins, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, la Jordanie et la Turquie ont tous apporté un soutien financier et militaire considérable à des réseaux militants islamistes liés à al-Qaïda qui ont engendré l’“État Islamique” que nous connaissons aujourd’hui. Ce soutien a été apporté dans le cadre d’une campagne anti-Assad de plus en plus intense dirigée par les États-Unis. La concurrence pour dominer les tracés potentiels des pipelines régionaux passant par la Syrie et contrôler les ressources inexploitées en combustibles fossiles en Syrie et en Méditerranée orientale (au détriment de la Russie et de la Chine) a fortement contribué à motiver cette stratégie » (accentuation ajoutée).

25. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant », MiddleEastEye.net, 17 juillet 2015 : « Joe Biden a même admis que ce financement était allé à al-Qaïda en Irak, qui a élargi ses opérations en Syrie en vertu de la stratégie secrète anti-Assad – avant de se métamorphoser en Daech (…) Mais la revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser de les approvisionner” dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. (…) [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…). »

26. Pour une analyse du processus décisionnel ayant conduit l’administration Obama à exiger le départ de Bachar el-Assad, voir cet excellent article : « La Syrie, les “mots magiques” et le déterminisme-narrativiste », DeDefensa.org, 15 août 2015.

27. Hannah Allam, « The “magic words”: How a simple phrase enmeshed the U.S. in Syria’s crisis », McClatchyDC.com, 13 août 2015 : « [L]es principaux décideurs politiques en charge du Moyen-Orient étaient encore sensibles aux critiques suscitées par leur réponse à la révolte populaire contre Hosni Moubarak en Égypte. C’est pourquoi ils étaient déterminés à changer l’image des États-Unis en réagissant plus rapidement sur le dossier syrien. “Les gens autour du Président [Obama] étaient très perturbés du fait de leur réaction lente et excessivement prudente durant la révolution égyptienne. Ce sentiment prévalait à l’époque”, selon [un haut responsable états-unien en charge du dossier syrien]. » Article cité dans « La Syrie, les “mots magiques” et le déterminisme-narrativiste », DeDefensa.org, 15 août 2015.

28. « La Syrie, les “mots magiques” et le déterminisme-narrativiste », DeDefensa.org, 15 août 2015 : « D’autre part, la pression des allié[s] du bloc [américaniste-occidentaliste], particulièrement les Européens, particulièrement les Français… C’est l’habituelle inversion aujourd’hui, « à-la-Wallerstein : qui est le caniche de qui ? (Charmante question pour la France, n’est-ce pas…) Les asservis pro-US, dont la France est un brillant exemple, finissent très vite par émettre sans arrêt des exigences de durcissement supplémentaire de leur maître, si bien que les gens de l’équipe Obama ne craignaient rien tant que les visites des ministres français. Lors d’une visite de Juppé en juin 2011 (donc avant la déclaration d’août 2011 d’Obama), [l’ambassadeur] Ford rapporte qu’il craignait par-dessus tout qu’Hillary Clinton, emportée par sa fougue interventionniste ranimée par son interlocuteur, n’oubliât la ligne générale qu’il tentait de soutenir au sein du département et qu’elle se laissât entraîner par Juppé, devenu extraordinaire et improbable neocon, et demander le départ d’Assad… »

29. « “J’ai vu des policiers violer des enfants devant leurs parents” : des transfuges syriens témoignent », LOrientLeJour.com, 18 août 2015.

30. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015.

31. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant », 17 juillet 2015 : « Joe Biden a même admis que ce financement était allé à al-Qaïda en Irak, qui a élargi ses opérations en Syrie en vertu de la stratégie secrète anti-Assad – avant de se métamorphoser en Daech (…) Mais la revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser de les approvisionner” dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. (…) [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…). »

32. Dennis Kucinich, « Le Congrès US autorise le soutien des “rebelles” », DeDefensa.org, 19 septembre 2014 : « Écrivant sur la connexion entre l’Arabie saoudite et l’État Islamique (EI), l’historien Alastair Crooke a récemment décrit les insurgés “modérés” en Syrie comme étant “plus rares que la licorne des légendes”. Les “modérés” ont conclu un pacte de non-agression avec l’EI. Les “modérés” ont capturé un journaliste états-unien et l’ont vendu à l’EI, qui l’a décapité. L’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a financé les jihadistes en Syrie, propose désormais de “former” les rebelles. Le Congrès est prié d’avaler cette recette douteuse : les sponsors des jihadistes radicaux vont former des jihadistes “modérés”. (…) Les soi-disant “rebelles” sont des mercenaires qui viennent de plus de 20 pays. Ils s’organisent et se réorganisent constamment en nouveaux groupes, qui offrent leur allégeance à quiconque les paye ou leur fournit des armes – et ce à tout moment » (accentuation ajoutée).

33. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant », MiddleEastEye.net, 17 juillet 2015 : « [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…). »

34. Georges Malbrunot, « Syrie : al-Qaïda cherche à apparaître comme une organisation présentable », LeFigaro.fr, 29 mai 2015 : « Apparaissant dans un lieu qui n’a pas été révélé par la chaîne, le visage dissimulé par une écharpe noire, [al-Joulani] a expliqué que les consignes d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda, étaient claires. “Les instructions que nous avons sont de ne pas utiliser la Syrie comme une base pour des attentats contre l’Occident ou l’Europe, pour ne pas salir la guerre actuelle” » (accentuation ajoutée).

35. Luc Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas », Liberation.fr, 14 mai 2015 : « Comment expliquer ces succès ? Avant tout par le rapprochement de l’Arabie Saoudite avec la Turquie et le Qatar, deux des principaux soutiens de la rébellion syrienne. Ce changement de politique a été décidé par le nouveau roi saoudien Salmane, au pouvoir depuis janvier, qui a fait de la lutte contre l’Iran, allié de Bachar al-Assad, son premier objectif (…). Jusque-là, l’Arabie Saoudite refusait d’aider les rebelles syriens proches des Frères musulmans. Cette nouvelle coopération s’est traduite par un soutien logistique à la coalition rebelle. “Ahrar al-Sham a reçu d’importantes livraisons d’armes via la Turquie en prévision de la bataille d’Idlib. Ils les ont ensuite redistribuées aux autres groupes”, explique un expert occidental. »

36. Gareth Porter, « Obama’s failure on Saudi-Qatari aid to al-Qaeda affiliate », MiddleEastEye.net, 23 mai 2015 : « Les États du CCG sont arrivés au sommet [de Camp David] en espérant obtenir le soutien de l’administration Obama pour une “zone de non-survol” à la frontière syro-turque, selon des sources diplomatiques basées à Washington. Mais Obama souhaitait un autre accord. Immédiatement après le sommet, [David] Ignatius rapporta que les deux parties avaient obtenu ce qu’elles voulaient : les Saoudiens et leurs alliés du CCG avaient reçu des “garanties de la volonté états-unienne de s’opposer aux ingérences de l’Iran dans la région”, tandis qu’Obama s’était assuré le soutien officiel du CCG pour l’accord nucléaire. Dans le cadre de cette entente, l’administration Obama a en fait accepté que l’Arabie saoudite et le Qatar continueraient à financer la montée en puissance militaire du Front al-Nosra [, c’est-à-dire d’al-Qaïda en Syrie] » (accentuation ajoutée).

37. « Un aveu de la DIA : le monstre État Islamique est une créature US », LeSakerFrancophone.net, 7 août 2015. Le titre de l’article original rédigé par Brad Hoff est : « Selon l’ancien directeur de la DIA Michael Flynn, l’émergence de Daech fut une “décision délibérée” [de l’administration Obama] ».

38. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Ex-intel officials: Pentagon report proves US complicity in ISIS », Medium.com, 2 juin 2015.

39. Juan Cole, « Did the US DIA see ISIL as a strategic Ally against al-Assad in 2012? », JuanCole.com, 25 mai 2015 ; Nafeez Mosaddeq Ahmed, « D’après un rapport du Pentagone, l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie prévoyaient l’émergence de l’EI », MiddleEastEye.net, 29 mai 2015 : « Juan Cole se moque de l’idée selon laquelle les États-Unis “soutiennent des groupes liés à al-Qaïda” – et que le document de la DIA pourrait l’admettre. Pourtant, c’est exactement ce que faisaient les alliés de l’Occident (les États du Golfe et la Turquie), sous la surveillance étroite de la CIA et du MI6. »

40. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Ex-intel officials: Pentagon report proves US complicity in ISIS », 2 juin 2015, Medium.com : « Selon des experts états-uniens et britanniques des renseignements, un rapport déclassifié du Pentagone confirme que l’Occident a amplifié son soutien aux rebelles extrémistes en Syrie, sachant pertinemment que cette stratégie jetterait les bases de l’“État Islamique” (EI). Les experts qui l’ont dénoncé incluent notamment des célèbres lanceurs d’alertes issus du gouvernement [US], dont l’ancien [analyste] du Pentagone Daniel Ellsberg, l’ancien [officier supérieur] de la NSA Thomas Drake, et l’ancienne agente du FBI Coleen Rowley. Leurs remarques démontrent le caractère fallacieux des affirmations de deux anciens hauts responsables, Michael Morell (CIA) et John Schindler (NSA). Ces derniers ont tenté de nier la responsabilité de l’administration Obama dans les échecs politiques révélés par les documents de la DIA. »

41. Armin Arefi, « Les services secrets américains avaient prédit l’“État islamique” », LePoint.fr, 10 juin 2015. Voici l’une des deux analyses citées dans cet article qui minimisent l’importance de ce document de la DIA : « [L]e rapport [de la DIA] fournit un dernier élément troublant, en totale contradiction avec le discours officiel occidental. Outre le soutien aux rebelles islamistes déjà évoqué, il affirme que l’Occident, les États du Golfe et la Turquie seraient favorables à l’établissement de la “principauté salafiste” dans l’est de la Syrie. (…) “Il s’agit d’un scénario prospectif pour le moins fantaisiste, qui ne signifie en aucun cas qu’il allait se réaliser”, réagit l’expert François Géré. “On sait que l’Arabie saoudite a financé et armé les factions les plus radicales de la rébellion et que la Turquie a laissé massivement passer des armes vers ces groupes pour précipiter la chute de Bachar el-Assad. Si les États-Unis ne s’y sont pas opposés activement, on ne peut pas dire pour autant qu’ils aient encouragé les djihadistes.” » Les articles de Nafeez Mosaddeq Ahmed, confirmés par les révélations du général Flynn, invalident cette analyse.

42. Encore une fois, le verbe « croire », au sens religieux du terme, est utilisé dans cette phrase afin de souligner que, dans l’Occident de l’après-11-Septembre, la plupart des citoyens ne peuvent encore accepter le fait irréfutable que leurs gouvernements ont soutenu des réseaux jihadistes affiliés à al-Qaïda en Libye puis en Syrie.

43. Maxime Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” », MaximeChaix.info, 1er juillet 2015.

44. Si l’on restreint la recherche aux articles francophones publiés depuis un mois, Google Actualité ne recense aucune analyse de la presse grand public lorsque l’on associe le mot-clé « Michael Flynn » avec « Daech » (ou « État Islamique », « EIIL », « ISIS », etc.) Ce refoulement médiatique généralisé confirme le caractère sensible de ces révélations. Toujours selon Google Actualité, DeDefensa.org, qui en a parlé dans deux articles, est donc la principale source d’information francophone ayant abordé cette question. Or, ce site de qualité est considéré comme un média « alternatif », et il se présente d’ailleurs comme un site « antiSystème ».

45. Alexandra Del Peral, « Avec Russia Today, la Russie a-t-elle gagné la guerre de l’information ? », LExpress.fr, 28 juillet 2015 : « “Il serait grand temps que les représentants occidentaux se réveillent et se rendent compte de ce que les Russes ont concocté depuis une décennie !” s’exclame Anne Nivat, grand reporter et écrivain, spécialiste de la Russie. Selon elle, RT serait “une nouvelle forme de diplomatie”, une façon pour la fédération russe de transmettre au monde sa vision de la politique étrangère : “Personne n’est dupe. RT est un média aux ordres. D’ailleurs, les Russes se moquent totalement de l’argent investi car ils ont bien conscience que RT est une arme”. » Le conformisme ambiant, qui se caractérise en France par un quasi-consensus atlantiste au sein des médias, me semble tout aussi critiquable. En effet, il neutralise toute opposition sérieuse aux politiques étrangères occidentalistes, notamment à travers des accusations simplistes de « complotisme » ou d’« antiaméricanisme primaire ». Nul doute que cette quasi-unanimité atlantiste, qui prévaut aussi dans les partis de gouvernement, encouragera de nouvelles guerres pas aussi « humanitaires » qu’elles nous sont habituellement présentées dans les médias grand public. À ce sujet, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015.

46. Interview d’Alain Chouet par Marc de Miramon, « Alain Chouet : “Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste” », LHumanite.fr, 3 juillet 2015.

47. « Les pays occidentaux prépareraient une nouvelle intervention militaire en Libye », MiddleEastEye.net, 2 août 2015 : « Une nouvelle intervention militaire sera lancée en Libye lorsqu’un gouvernement d’union sera mis en place, selon de multiples sources .

Source: http://www.les-crises.fr/la-banniere-etoilee-derriere-le-drapeau-noir-par-maxime-chaix/


Qui manipule l’organisation de l’État islamique ?

Monday 30 November 2015 at 02:31

Source : Alexis Varende, pour Orient XXI, le 29 janvier 2015.

L’Organisation de l’État islamique (OEI) n’est pas le produit d’une génération spontanée. Dans son arbre généalogique on trouve Al-Qaida en Irak et, un peu plus haut, Ansar Al-Islam. Dans cette filiation, on décèle l’ADN du royaume saoudien dont l’obsession est de contrecarrer l’influence iranienne, notamment en Irak. La Turquie a également participé à l’émergence de l’OEI, une mouvance qui risque de se retourner contre ses inspirateurs.

Islamic State Media sur Twitter, 2014.

Dans une vidéo posthume, Amedy Coulibaly[1] donne les raisons pour lesquelles il s’est engagé dans deux opérations terroristes, l’une en assassinant une policière municipale à Montrouge, l’autre contre un commerce cacher de la porte de Vincennes : «  Vous attaquez le califat, vous attaquez l’État islamique, on vous attaque. Vous ne pouvez pas attaquer et ne rien avoir en retour.  » Dans cette logique, il annonçait avoir fait allégeance au«  calife des musulmans Abou Bakr Al-Baghdadi, calife Ibrahim  » dès l’annonce de la création du «  califat  ». Quant à sa compagne, elle serait désormais en Syrie, pays sur une partie duquel l’Organisation de l’État islamique (OEI) a établi son emprise.

Il est peu vraisemblable que l’auteur du double attentat de la porte de Vincennes et de Montrouge[2] — comme ceux qui l’ont aidé dans son entreprise meurtrière — ait perçu combien l’OEI est un instrument aux mains d’États arabes et occidentaux. L’aurait-il su qu’il aurait peut-être admis que les manœuvres diplomatiques internationales sont sans commune mesure avec la vision qu’il avait de son rôle dans le djihadisme anti-occidental.

MANIPULATION SAOUDIENNE DES PASSIONS COLLECTIVES

Lorsque la Syrie connaît ses premiers soulèvements en 2011, les Qataris d’abord, suivis quelques mois plus tard par les Saoudiens, montent, chacun de leur côté, des initiatives pour accélérer la chute du régime de Bachar Al-Assad.

À l’été 2013, alors que la Syrie s’enfonce dans la guerre civile, le prince Bandar ben Sultan, chef des services saoudiens, rencontre le président Vladimir Poutine[3]. Il met une offre sur la table qui peut se résumer ainsi : collaborons à la chute d’Assad. En échange, le royaume saoudien vous offre une entente sur le prix du pétrole et l’assurance que les groupes djihadistes tchétchènes ne s’en prendront pas aux jeux de Sotchi. Au-delà d’un projet d’entente cynique mais somme toute classique dans les relations entre États, c’est la reconnaissance par le royaume saoudien de sa manipulation des djihadistes tchétchènes qu’il faut retenir. Bien avant les attentats du 11-Septembre, le même prince Bandar, alors ambassadeur à Washington, annonçait que le moment n’était pas si loin où les chiites n’auraient plus qu’à prier pour espérer survivre.

Le royaume est coutumier de ces manœuvres. Dès le XVIIIe siècle, Mohammed ibn Saoud percevait combien il était utile d’enflammer les passions collectives pour asseoir son pouvoir. Pour y parvenir il s’était appuyé sur une doctrine religieuse et un pacte d’alliance passé alors avec un théologien, Mohammed Ibn Abdel Wahhab. Parce qu’il avait su mettre en avant, avec succès, les notions de djihad et d’apostasie, il avait conquis l’Arabie en éliminant l’islam syncrétique que Constantinople avait laissé prospérer sur les vastes provinces arabes de son empire.

Les recettes d’aujourd’hui sont les mêmes que celles d’hier. Ceux qui, comme l’Arabie saoudite (mais on pourrait en dire autant des États-Unis et de ceux qui ont lié leur diplomatie à celle de Washington) ont manipulé l’islamisme radical et favorisé l’émergence d’Al-Qaida[4] puis de l’OEI en Irak et en Syrie, savent qu’ils touchent une corde sensible au sein de la communauté sunnite[5]. Leur objectif est de capitaliser sur l’animosité ressentie par cette communauté qui s’estime marginalisée, mal traitée et qui considère que le pouvoir alaouite, en place à Damas[6] et chiite à Bagdad[7] a usurpé un droit à gouverner. Ce que recherchent les concepteurs de cette politique destructrice c’est à instituer aux frontières iraniennes et du chiisme un contrefort de ressentiment sunnite. Et c’est en toute connaissance de cause que Riyad combine l’aide au djihadisme extérieur qui s’est donné pour objectif de faire pression sur les chiites, et la lutte contre le djihadisme intérieur qui menace la maison des Saoud. C’est d’ailleurs une position schizophrène lorsqu’on considère que l’espace doctrinal qui va du wahhabisme officiel saoudien au salafisme revendiqué par le djihadisme se réduit à presque rien. Presque sans surprise, on constate que le royaume saoudien et l’OEI ont la même conception des fautes commises par les membres de leur communauté et le même arsenal répressif (mort par lapidation en cas d’adultère, amputation en cas de vol…)[8].

L’OEI n’est pas le produit d’une génération spontanée. Dans son arbre généalogique on trouve Al-Qaida en Irak et, un peu plus haut, Ansar al-Islam. Dans cette filiation, on décèle sans difficulté l’ADN du royaume saoudien dont l’obsession est de contrecarrerl’influence des chiites sur le pouvoir irakien, de restreindre les relations entre Bagdad et Téhéran et d’éteindre les velléités démocratiques qui s’expriment — toutes évolutions que le royaume estime dangereuses pour la survie et la pérennité de sa dynastie. En revanche, il finance ceux des djihadistes qui développent leurs activités à l’extérieur du royaume. Sauf que ce djihadisme «  extérieur  » constitue désormais une menace contre le régime des Saoud.

LES AMBITIONS RÉGIONALES D’ERDOGAN

Depuis la nomination de Recep Tayyip Erdogan comme premier ministre en 2003 (puis comme président en 2014) le pouvoir turc est entré dans une phase «  d’ottomanisme  » aigu que chaque campagne électorale exacerbe encore plus[9]. Le président n’a de cesse de démontrer que la Turquie peut récupérer l’emprise sur le Proche-Orient et sur le monde musulman que l’empire ottoman a perdu à la chute du califat. Convoquer les symboles nationalistes d’un passé glorieux[10], conforter l’économie de marché, faire le lit d’un islam conforme à ses vues, proches de celui des Frères musulmans et acceptable par les pays occidentaux, lui est apparu comme le moyen d’imposer le modèle turc au Proche-Orient tout en préservant ses liens avec les Américains et les Européens. Il espère du même coup supplanter l’Arabie saoudite dans sa relation privilégiée avec les pays occidentaux et servir d’inspiration, voire de modèle, à un Proche-Orient qui serait ainsi rénové. Les révoltes arabes de 2010-2011 lui ont donné un temps le sentiment qu’il pouvait réussir dans son entreprise. L’idée selon laquelle certains États seraient susceptibles de s’en remettre aux Frères musulmans n’était pas alors sans fondement. Erdogan imaginait probablement convaincre le président syrien d’accepter cette évolution. La victoire des islamistes égyptiens aux législatives de novembre 2011 (la moitié des sièges est gagnée par les seuls Frères musulmans) puis la réussite de Mohamed Morsi à l’élection présidentielle de juin 2012 ont conforté ses vues (il avait obtenu plus de la moitié des votes). Erdogan a pu envisager d’exercer son influence sur le Proche-Orient arabe et de tenir la baguette face à l’État islamique qui s’affirme.

Mais ce cercle vertueux se défait lorsqu’il devient évident qu’Assad ne quittera pas le pouvoir, quel que soit le prix à payer pour la population syrienne. Dès juin 2011, Erdogan prend fait et cause pour la rébellion syrienne. Il contribue à la formation de l’Armée syrienne libre (ASL) en mettant son territoire à sa disposition. Il parraine l’opposition politique influencée alors par les Frères musulmans. Pire pour ses ambitions, Morsi et les Frères musulmans sont chassés du pouvoir par l’armée égyptienne au terme d’un coup d’État (3 juillet 2013) largement «  approuvé  » par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et encensé par le Koweït.

Erdogan perd la carte des Frères musulmans, désormais désignés comme terroristes par Riyad. Il doit réviser sa stratégie. À l’égard de la Syrie, il n’a désormais pas de mots assez durs pour décrire Assad et exiger son départ. Vis-à-vis de l’Arabie saoudite, il fait le choix de défier le royaume avec la même arme : l’islamisme radical. Il fait désormais partie de ceux qui croient que les djihadistes de l’OEI peuvent provoquer la chute du régime d’Assad. De là à les aider il n’y a qu’un pas qu’Ankara avait de toutes façons déjà franchi. L’étendue de la frontière turco-syrienne facilite cette assistance. Pour peu que la sécurité turque ferme les yeux, il n’est pas difficile de franchir cette frontière, d’acheter et de vendre du pétrole, de faire passer des armes, de laisser passer en Syrie les aspirants djihadistes, d’autoriser les combattants à revenir sur le territoire turc pour recruter, mettre au point leur logistique ou s’y faire soigner.

LES APPRENTIS SORCIERS

Mais les passions collectives ont ceci de particulier qu’une fois libérées elles échappent au contrôle de leurs instigateurs, s’émancipent et produisent des effets qui n’étaient pas imaginables. Pire…

Suite à lire sur Orient XXI

Source: http://www.les-crises.fr/qui-manipule-lorganisation-de-letat-islamique/


L’Arabie Saoudite, sponsor de l’Etat Islamique ? Oui, jusqu’en 2014 – par Justine Brabant

Monday 30 November 2015 at 01:33

Excellente analyse de Justine Brabant – à retrouver sur le site d’Arrêts sur  Images (abonnez-vous pour les soutenir… 1 € pour tester pendant 1 mois…)

Source : Justine Brabant, pour @rrêt sur images, le 17 novembre 2015.

Hypocrite, la diplomatie française ? Trois jours après les attaques qui ont fait 129 morts et 352 blessés à Paris et à Saint-Denis, plusieurs spécialistes – dont l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic et l’universitaire Jean-François Bayart – estiment que Paris s’est montrée trop complaisante avec l’Arabie saoudite. Mais que reproche-t-on au juste aux autorités saoudiennes ? Quel rôle a tenu le royaume islamique dans l’émergence de l’organisation Etat islamique (EI), qui a revendiqué les attentats du 13 novembre ?

La saillie n’est pas venue de n’importe qui. C’est l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, probablement l’un des experts les plus sollicités ces derniers jours pour analyser les attaques de Paris et Saint-Denis, qui l’affirme : “Il faut lutter contre l’idéologie salafiste. (…) Et c’est notre ambiguïté : on est copains avec des gens qui ont des idéologies très proches“. Les “gens” en question : l’Arabie Saoudite. “Le wahhabisme [la doctrine religieuse officielle saoudienne] a diffusé cette idéologie sur la planète depuis le conflit en Afghanistan, pour simplifier, depuis 1979. Est-ce qu’on est copains avec eux parce que c’est un partenaire économique? (…) On est dans un paradoxe total.

La France aurait commis une erreur en nouant une alliance avec l’Arabie saoudite : l’idée est également développée par le politiste Jean-François Bayart dans une tribune publiée par Libération, “Le retour du boomerang“. “L’alliance stratégique que la France a nouée avec les pétromonarchies conservatrices du Golfe, notamment pour des raisons mercantiles, a compromis la crédibilité de son attachement à la démocratie“, écrit notamment Bayart, qui a été consultant auprès du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères français.

C’est enfin sous la plume des historiens Sophie Bessis et Mohamed Harbi que l’idée a été développée ce 17 novembre :… ”

A lire sur @rrêt sur images,

Source: http://www.les-crises.fr/larabie-saoudite-sponsor-de-letat-islamique-oui-jusquen-2014/


L’Etat islamique, objet terroriste non identifié

Monday 30 November 2015 at 01:00

Le criminologue Xavier Raufer pose ici quelques questions pertinentes sur Daech.

Bien entendu, tout ceci est à prendre avec prudence et recul, tant il est difficile d’appréhender correctement la vérité dans cet épineux dossier syrien…

Je ne partage pas tout pour ma part, (Al Nosra est une émanation de Daech au début, et il me semble que le chapeau est un peu grand pour l’Iran) mais cela aide à la réflexion et à l’esprit critique… on ne peut se plaindre des discours univoque mainstream et vouloir un discours univoque non-mainstream  :)
iL’article étant très long, vous pouvez le télécharger ici en pdf pour impression.

Je profite pour livrer une anecdote sur un djihadiste qu’il a racontée récemment, et qui me semble très pertinente :

J’ai pu voir récemment un mail : c’était une lettre d’un garçon qui combat en Syrie, à sa fiancée. Il disait :

Ma chère X, tu sais, je, mon seul rêve est de rentrer en France, et t’épouser devant Dieu mais en attendant je suis obligé, fī sabīl allāh (dans la voie de Dieu ) de combattre, etc. En attendant j’ai pensé que ça te ferait plaisir de, que je t’envoie une photo souvenir.

Alors, le mail déroule et apparait la photo, qui montre le garçon en question avec une tête décapitée dans chaque main, le sang qui coule encore.

Et c’est ça la pensée d’amour qu’ils envoient à leur fiancée…

Ce sont des gens dont on peut se demander si la religion n’est pas un pur prétexte à assouvir une fureur sanguinaire en eux, qui aujourd’hui s’exprime comme ça et qui à un autre moment se serait exprimée autrement. Ce sont des cinglés.

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L’État islamique, objet terroriste non identifié

Source : Xavier Raufer, en octobre 2015.

SANS conflits majeurs mais proche du chaos et toujours entre deux violences, notre monde actuel est dès 1938 pré-vu par Carl Schmitt – avec quelle impressionnante prescience. Voici ce dont le juriste voyait à terme l’inévitable avènement : “une guerre globale largement asymétrique, soustraite à tout contrôle et toute limitation juridique, dans laquelle une grande puissance néo-impériale ne se déploie pas tant, ni seulement, contre des Etats particuliers, que contre des organisations de “partisans globaux” (Kosmospartisanen) qui opèrent à l’échelle mondiale en usant des moyens et en poursuivant les objectifs de la guerre civile”[1] .

D’emblée, l’auteur souligne que toutes les informations figurant dans cette étude sont vérifiées, vérifiables et disponibles. L’originalité de l’exercice tient aux étonnements et questionnements qu’on trouve ici – mais quasiment nulle part ailleurs, médias et politiciens étant hypnotisés par les égorgements et autres actes iconoclastes, au point d’oublier tout le reste.

A l’œuvre aujourd’hui – dans quel fracas médiatique – l’entité de “partisans globaux”, au choix nommée “Etat islamique” (ci-après E. I.), “Etat islamique en Irak et au Levant”, ISIS, ISIL “Daech” ou “les Takfiri”. Cette étude vise à montrer que, si nous subissons au quotidien les récits des horreurs perpétrées par cette entité ; si l’on nous menace de l’irruption en Europe de milliers de ses sanguinaires moujahidine et qu’on nous gave de chiffres effarants sur son arsenal et la taille de ses “armées” – nul n’aborde jamais l’essentiel : qu’est-ce que “l’Etat islamique” ? Quelle est sa nature ? Son essence ?

Début septembre 2015 encore, Le Figaro s’inquiète : “Un an de bombardement n’a pas ébranlé l’Etat islamique”… “En échec face à Daech, les Occidentaux s’interrogent sur leur stratégie”. Qu’est-ce donc alors que cet inébranlable EI, qui affronte le monde entier ? Et pourquoi les Occidentaux s’interrogent-ils sur leur propre stratégie, et non sur ce qu’est ce désormais formidable ennemi, dont nul ne savait même le nom voici trois ans, hormis de rares experts ?

Tentons d’y voir clair et comparons l’E.I. au Hezbollah. Ce qu’est le Hezbollah est enfantin à décrire : entité paramilitaire, ou milice chi’ite du Liban, à fort tropisme terroriste ; équipée, entraînée et manipulée par les forces spéciales de la République islamique d’Iran. Deux lignes : on sait l’essentiel. Or ainsi définir l’E.I. est impossible car, allons droit au but, l’E.I. ne va pas de soi : c’est ce que nous établirons ici.

Etonnons-nous d’abord de ce que nul, apparemment, ne remarque :

L’E. I. est-il un “groupe terroriste” ?

Non : nul groupe terroriste présent ou passé n’a jamais possédé plus de chars d’assaut que l’armée française ; en outre, depuis que l’E.I. sévit en Irak, on compte dans ce pays moins d’attentats terroristes qu’auparavant. Sur le terrain enfin, les succès de l’E. I sont clairement de nature militaire et non terroriste.

Note OB : Il est en effet bien possible que Daech ait récupéré beaucoup de chars des armées Irakienne et Syrienne. Rappelons que la France n’a que 250 chars Leclerc, contre environ 2 500 chars à l’armée irakienne et 4 700 à l’armée syrienne (avant la guerre).

Qui plus est, l’E.I. opère au Moyen-Orient et s’il y a bien une règle sans exception dans la région, c’est que toute entité terroriste un peu durable y devient fatalement l’acteur d’un terrorisme d’Etat. Cette règle prédomine depuis cinquante ans – Abou Nidal (Fatah-Conseil révolutionnaire), Syrie puis Libye ; Ahmed Jibril (FPLPCommandement général), Syrie ; l’Asala, Syrie ; le Hezbollah lui-même (Iran), en sont la convaincante démonstration.

Mais alors, quel marionnettiste pour l’E. I. ? Au cours de l’année 2014, les pétromonarchies de la péninsule arabe et la Turquie ont soudain changé de protégés sur le champ de bataille Irak-Syrie pour aujourd’hui soutenir divers rejetons régionaux d’al-Qaida : Jabhat al-Nosra (al-Qaida en Syrie) et “al-Qaida dans la péninsule arabe” ; les premiers combattent l’armée de Bachar al-Assad allié de Téhéran, et le Hezbollah ; les seconds, les Houthis du Yémen, issus eux aussi de la constellation chi’ite. Ainsi tout est clair – sauf de savoir qui entretient l’E.I depuis que les principaux acteurs sunnites régionaux ont changé leur fusil d’épaule.

L’E. I. est-il une guérilla ?

Encore moins ; contrairement aux règles les plus éprouvées de la “petite guerre”, l’E.I. ne se replie pas après l’attaque, mais s’enracine, contrôle durablement des territoires ; affronte des armées régulières. A notre connaissance, cette stratégie est sans précédent.

L’E. I. se veut un “califat”

Etrange, car toutes les références coraniques sunnites sérieuses affirment qu’un califat, c’est obligatoirement un territoire physique. Impossible d’imaginer un califat spirituel, clandestin, numérique ou métaphysique. Or l’allégeance se faisant indissociablement califat et au calife, si le territoire de l’Etat islamique est conquis par quelque ennemi, tous ces liens d’allégeance sont dissous : sur le champ, l’E. I. tombe en poussière – comme Dracula à la fin d’un film de la Hammer.

L’E. I. prône-t-il une forme extrême de l’islam sunnite ?

Là, énorme mystère – dans une affaire qui n’en manque pas. Dans l’islam sunnite, l’autorité suprême est al-Azhar, mosquée du Caire, centre d’enseignement spirituel et doctrinal tout ensemble. Modèle de prudence et de pondération, al-Azhar condamne par exemple “le terrorisme” en général, islamique ou autre, dans un flou étudié et de loin. En 2010, le secrétaire général du Conseil de la recherche islamique d’al-Azhar s’est ainsi borné à certifier la savante fatwa (600 pages) du Dr. Muhammad Tahir ulQadri (soufi pakistanais) qui rejette le terrorisme comme anti-islamique, voilà tout.

Mais jamais al-Azhar – la mosquée, voire l’un de ses dirigeants à titre individuel – ne prononce de nom, ne désigne une organisation. Sur Oussama ben Laden par exemple, ou al-Qaïda : silence, même après le 11 septembre 2001.

En décembre 2014 encore, al-Azhar refuse de qualifier l’E. I. de “groupe apostat” – sentence de mort qu’elle n’a jamais prononcée depuis sa fondation. Mais en février 2015, revirement brutal : le “cheikh al-Azhar”, chef suprême de l’institution, tonne contre l’E. I., ces “oppresseurs et corrompus qui combattent Dieu” et appelle à “crucifier et démembrer les terroristes d’ISIS”.

Pourquoi cette condamnation d’une terrible violence, comme – insistons – nul à al-Azhar n’en a jamais prononcée depuis que l’institution existe ? Malgré des questions précises et bien des lectures, l’auteur est sans réponse sur ce point pourtant crucial [2] .

Les Etats-Unis et l’E.I.

Comme “grande puissance néo-impériale” (dans la définition de Carl Schmitt) les Etats-Unis sont sans doute les plus concernés au monde par l’Etat islamique ; pas les plus menacés, mais à coup sûr ceux dont le reste du monde attend une stratégie, une riposte – une contre-offensive.

Or sur l’Etat islamique, les Etats-Unis pataugent conceptuellement [3] . En décembre 2014, le major-général Michael Nagata, commandant les forces US au Moyen Orient dit de l’E. I. : “On ne comprend même pas le concept”. En septembre 2014, le président Obama, premier récipiendaire de toute la production du renseignement US, avait qualifié l’E.I. d’”équipe de réserve d’al-Qaïda” [4] – ce qui est une bourde grossière.

De mars à août 2015, les deux revues les plus brillantes et sérieuses des Etats-Unis The New York Review of Books et The Atlantic, publient trois études sur l’E.I.[5]. On y trouve tout : longuement “le salafisme pour les nuls”, le jihadisme gore, le programme de l’E. I., tout ce que la propagande-épouvantail de cette entité dit d’elle-même ; les coutumes sociales ou sexuelles de l’E. I. – ah mon Dieu ! Ils veulent restaurer l’esclavage… ses combattants étrangers ! De la fascination ; du petit bout de la lorgnette.

Rien dans ces articles ne reflète le moindre étonnement. Nulle part, un mot sur l’autonomie de décision de l’E. I. Pas un soupçon. Rien ne fait tiquer ces (pourtant excellents) auteurs, pour qui l’E.I. va de soi, n’est qu’un groupe comme un autre. Ces articles prennent l’E. I. au sérieux : ce qu’il dit de lui est la réalité ; on ne critique pas, on ne questionne pas.

Ce qu’est l’Etat islamique, a quoi sert-il et qui sert-il ? D’où vient-il vraiment ? Quelles sont ses intentions réelles ? Rien. Nous reviendrons en détail sur tout cela mais d’emblée, une étrangeté, énorme, que nul ne relève, dans la littérature sur l’Etat islamique.

Abu Bakr al-Bagdadi n’est pas le premier chef de l’E.I. à porter ce nom de guerre. Le précédent se nomme Abu Omar al-Bagdadi, de son vrai nom Hamid Daoud Muhammad Khalil al-Zawi (1947-2010). Naguère, général de brigade dans la fort laïque police de Saddam Hussein. Tiens : curieux parcours pour un émir salafiste – gardons cela en mémoire.

Or quand abu Omar al-Bagdadi est éliminé près de Tikrit en avril 2010, la presse de Bagdad (qui sait de quoi elle parle…) qualifie unanimement ce qu’on appelle alors “l’Etat islamique en Irak” de “groupuscule”.

Trois ans plus tard (2013) le “groupuscule” de traine-savates armés de kalachnikovs devient “Dawla al-Islamiyya fi’il Iraq wa’l Sham” (Etat islamique en Irak et en Syrie). Début 2014 (et désormais désavoué par al-Qaïda) il conquiert, sur ses centaines de tanks renforcés d’une efficace artillerie lourde, le tiers nord de l’Irak – plus de 150 000 km2 . Le ci-devant “groupuscule” est alors – selon des experts militaires – “capable d’encercler ou d’isoler les unités ennemies, de désorganiser les états-majors et l’approvisionnement ennemi”. Il sait “monter des attaques coordonnées et simultanées” et ses capacités anti-aériennes sont “sérieuses” (hélicoptères abattus en vol). Le “groupuscule” dispose d’une stratégie élaborée des lacs et barrages (crucial pour un pays désertique) d’unités de canonnières sur les fleuves et de drones en quantité.

Les chaînes de commandement de l’ex-groupuscule sont “efficaces”, tout comme ses commandos et son renseignement (infiltration, recrutement, pénétrations, assassinats et attentats). Il dispose de stocks énormes d’armes et de munitions.

Or depuis dix ans en Irak, vingt ans en Afghanistan, la “grande puissance néoimpériale” échoue à constituer, même un semblant d’armée nationale crédible… Insistons : par quel miracle ? Comment expliquer la brutale mutation du “groupuscule” en ravageuse armée de conquête ?

Que sait-on vraiment sur L’E.I ?

Abu Musab al-Zarqawi, jihadi hors-normes

Commençons par le fondateur officiel et chef de l’Etat islamique (2003-juin 2006) “abu Musab al-Zarqawi”, encore présenté (et loué) comme tel par de récentes (printemps 2015) vidéos de propagande de l’E. I.

Il s’agit de Ahmad Fadhil Nazzal, al-Khalayleh (nom de son clan, dans la tribu des Bani Hassan). Il se dit “abu Musab” en référence à Musab bin Omar, compagnon du Prophète et “al-Zarqawi”, pour la ville jordanienne de Zarqa, ou Zarka, où il est né.

Al-Zarqawi est tout, sauf un chevalier blanc du salafisme. Plutôt un paumé, un errant à la Lee Harvey Oswald : vendeur dans une video-store du fin fond de la Jordanie, voyou tatoué et toxicomane. Dans la décennie 1990, sa famille le fait désintoxiquer (purification et prière) par des salafistes. Le succès dépasse les espérances familiales car vers 1999, le jeune Ahmad Fadhil fonde un groupuscule jihadi, nommé (comme bien d’autres) “Jama’at al-Tawhid wa’l jihad” (association pour le monothéisme et la guerre sainte) ; en fait, une micro-secte mortifère.

Traînant déjà une réputation d’agent provocateur ou d’assassin à gages, le désormais “Abu Musab al-Zarqawi” part pour l’Afghanistan avec sa troupe. De 2001 à 2003, époque cruciale, son itinéraire international est bien repéré : nous verrons plus bas, rayon étrangetés, qu’il est même franchement étonnant.

En 2003, Zarqawi et ses hommes s’installent finalement en Irak, où il crée l’année suivante (2004) “Tanzim Qaedat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn” (al-Qaïda en Irak). D’emblée Zarqawi s’appuie sur les réseaux baathistes et soufi [6] , qui l’aident et l’équipent ; notamment ceux du général Izzat al-Douri, un fidèle de Saddam Hussein. Là encore, de bizarres fréquentations pour un salafiste : des laïcs… des soufi…

Les atrocités prennent alors (décapitations face caméra, etc.) un tel éclat médiatique, qu’abu-Musab finit par être désavoué et maudit par son clan jordanien (al-Khalayleh) et sa tribu (Bani Hassan). Juin 2006 : al-Zarqawi est tué par une frappe aérienne américaine, près de Baquba (Irak). Lui succède alors un tandem : chef militaire (un Egyptien) abu Hamza al-Muhajer, aussi surnommé abu Ayoub alMasri ; chef politique, abu Omar al Baghdadi, déjà cité plus haut. Tous deux sont tués en avril 2010 près de Tikrit (Irak) lors d’une opération militaire. Un mois plus tard, leur successeur est connu : c’est abu Bakr al-Baghadi, toujours en poste.

Le curieux état-major de l’E.I.

Retour aux fondamentaux : dès la fin de la décennie 1990, le groupe salafiste-jihadi conçu et dirigé par al-Zarqawi se veut un parangon du rigorisme sunnite. Il est lancé dans une lutte à mort contre les pires ennemis du sunnisme intégriste : les laïcs et nationalistes (à la Saddam Hussein, ou à la al-Sisi) et les chi’ites, que les salafistes tiennent pour une hérésie proto-chrétienne corrompant l’islam vrai. L’objectif final autoproclamé de l’E. I. est d’établir par le jihad un califat couvrant à terme la planète, où vivraient tous les musulmans du monde, dans l’observance de la charia.

Voilà la théorie ; ce qu’affiche la propagande de l’E. I. Or à chaque pas, et déjà plusieurs fois dans ce texte, l’observateur butte sur de fort concrètes contradictions. Le président Mao dit jadis “la théorie se vérifie par la pratique” ; eh bien, avec l’Etat islamique, pas du tout. A tout bout de champ, la théorie et la pratique se contrarient – quand elles ne s’excluent tout simplement pas.

Considérons le commandement et l’encadrement de l’E. I. : souvent issus du camp de prisonniers américains de Bucca [7] , nombre des chefs de l’E.I sont, non des jihadis formés en Afghanistan ou ailleurs, mais des officiers de l’armée (laïque et multiconfessionnelle, chi’ites, sunnites, chrétiens…) de Saddam. Selon des sources recoupées, quatre membres du conseil militaire de l’E.I., sept des “gouverneurs” de ses douze “provinces” ; son “ministre des finances”, sont passés par Bucca.

Plus largement, on trouve comme cadres de l’E. I. de cent à cent-soixante officiers de l’armée de Saddam, en charge du renseignement, des arsenaux et des “programmes spéciaux” (armes chimiques, etc.).

Jusqu’en août 2015 [8] , le N° 2 de l’E.I., chef de son conseil militaire et architecte de sa stratégie est Fadel al-Ayali, dit “Abu Mutazz”, ex-major du SR militaire de Saddam, service peu enclin à se laisser infiltrer par des taupes salafistes…

Le n°3 de l’E. I est “abu Ali al-Anbari”, (nom inconnu), ex-baathiste et général-major de l’armée de Saddam, en charge des opérations militaires en Syrie.

Autre personnage important dans l’”armée” de l’E. I., l’ex-colonel de l’armée de Saddam Taha Taher al-Ani. Durant les débuts chaotiques de l’occupation américaine, il s’est emparé d’énormes quantités d’armes et de munitions, ensuite dévolues à l’E. I.

Dans ces états-majors et cet encadrement, mais où sont les islamistes “canal historique” ? Apparemment, nulle part. Curieux pour un “califat” ultra-sunnite.

Une accumulation d’inquiétantes étrangetés…

Théorie et pratique : voyons maintenant ce qu’a concrètement fait l’E. I. en Irak, puis en Syrie et quelles ont été les conséquences réelles de ses propres actions.

Irak : que fait concrètement l’E. I.

N’oublions pas ceci : certes en majorité chi’ites, les Irakiens sont d’abord des Arabes, en majorité resté fidèles à l’Irak de Saddam durant la longue et meurtrière guerre Irak-Iran. Sentimentalement, spirituellement, ces Arabes révèrent sans doute le chi’isme perse et ses lieux saints, Qom, Mashhad ; mais politiquement, Téhéran leur pèse ; ils sont plutôt réticents au côté “aide fraternelle” de l’Iran, qui sent parfois trop celle de l’Union soviétique à la Pologne, dans la décennie 1980… C’est dans cette ambiance que l’autorité politique suprême des chi’ites irakiens, l’ayatollah Muhammad Bakr al-Hakim, chef du Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak, rentre de son exil iranien et réintègre la ville sainte chi’ite de Najaf. On l’attendait vent debout contre l’occupation américaine, or le voilà au contraire conciliant, prêt même à une coopération limitée avec l’occupant.

Suivons maintenant al-Zarqawi, arrivé en Irak début 2003. Son premier acte de terreur vise justement Muhammad Bakr al-Hakim, pulvérisé avec une centaine de ses fidèles dans l’explosion d’une gigantesque bombe à Najaf, en août 2003. L’attentat est revendiqué par Zarqawi mais plusieurs experts signalent une action des unités spéciales des Pasdaran iraniens, sous couverture jihadie.

Pire encore en février 2006 : un énorme attentat détruit presque (dôme effondré, etc.) la mosquée de Samarra, où sont inhumés deux des 12 imams saints des chi’ites : Ali al-Naqi (10e imam) et Hassan al-Askari (11e).

Cette dernière provocation et tuerie de Zarqawi (il y en a eu bien d’autres en 2004 et 2005) déclenche une féroce guerre civile entre sunnites et chi’ites ; des milliers de fidèles des deux communautés sont assassinés dans les jours suivants. Ce qui a pour effet de jeter les Arabes chi’ites irakiens dans les bras de l’Iran ; ils doivent désormais mendier aide et protection au “grand frère” ; voilà in fine l’Irak devenu un vassal de Téhéran. Dès lors chez lui à Bagdad, le général iranien Qassim Suleimani y a voix au chapitre et rang de proconsul.[9]

Notons enfin que, de 2007 à 2009, le rouleau compresseur du surge américain déferle sur l’Irak : 170 000 GI’s au combat ; un budget de 100 milliards de dollars par an. Un sursaut militaire notamment destiné à anéantir l’Etat islamique, après la liquidation de son chef, en 2006. Or – autre miracle – l’E.I passe entre les gouttes du surge et traverse les années 2010 et 2011 sans dommage majeur. Fin 2011, l’armée US quitte l’Irak ; la dernière unité opérationnelle a quitté le pays le 18 décembre.

Syrie : que fait concrètement l’E. I.

La guerre civile syrienne commence à bas bruit au printemps 2011, par l’apparition au grand jour d’une “Armée syrienne libre” qui lance des opérations visant à la doter de “zones libérées”. Puis apparaît une branche syrienne d’al-Qaïda, du nom de Jabhat al-Nosra.

Venues de la province irakienne d’al-Anbar, de premières unités de l’Etat islamique en Irak traversent fin 2011 la “frontière” de la Syrie. Pour rejoindre à la coalition antiBachar al-Assad ? Rappel : “alaouite”, ce dernier est un allié durable de l’Iran chi’ite, bête noire des salafistes. Tout au contraire : à peine en Syrie, l’E.I attaque l’Armée syrienne libre et Jabhat al-Nosra avec son usuelle sauvagerie, égorgeant leurs chefs, massacrant leurs miliciens refusant l’allégeance au califat et occupant leurs positions ; ce, sous de fumeux prétextes religieux.

Comme naguère en Irak, le comportement de l’E.I est tel qu’en comparaison, Bachar devient présentable. Sur les talons de l’E.I, voilà le général iranien Suleimani en Syrie ; peu après, des miliciens chi’ites, Hezbollah en tête, volent par milliers au secours du régime syrien. Impavide, l’E.I. poursuit son jihad-gore jusqu’en 2014 au nord de la Syrie ; cette fois, les milices kurdes entrent en guerre contre la rébellion syrienne, soulageant d’autant le régime de Damas.

En Février 2014, à Alep, Abu Khaled al-Suri, chef de la coalition pro-al-Qaïda en Syrie (Ahrar al-Cham + Jabhat al-Nosra) est victime d’un attentat-suicide fomenté par l’E.I. La sanglante guerre opposant les deux entités islamistes a déjà fait des milliers de morts. Temps pendant lequel l’armée du régime syrien, repliée sur la “Syrie utile”, compte les points.

Ainsi de suite jusqu’à ce jour : en août 2015, al-Nosra fuit le nord de la Syrie, suite à une vague d’attentats-suicide de l’E. I. (40 morts). Début septembre encore, l’E.I. combat d’autres rebelles, pro-américains, en périphérie de Damas.

De 2003 à ce jour, d’abu Musab al-Zarqawi à Abu Bakr al-Bagdadi, tels sont les opérations de l’Etat islamique en Irak et en Syrie et leurs conséquences concrètes.

Deux points encore :

• Imaginons un individu ou un Etat haïssant férocement le sunnisme extrémiste salafi-jihadi. Imaginons encore que ce “salafophobe” dispose de moyens immenses et d’opérateurs fort habiles. Pour disqualifier ou tuer le salafisme, pour horrifier la planète – musulmans inclus dans leur quasi-totalité – que pourrait-il rêver de mieux que l’E. I., son tintamarre médiatique, ses égorgements, ses bûchers, ses viols d’esclaves, ses dynamitages ? L’E.I. retourné au néant, qui osera encore se dire salafiste dans le demi-siècle qui vient?

• Au Moyen-Orient, la “grande puissance néo-impériale” avait deux projets, lui permettant, s’ils se réalisaient, de sortir du funeste piège des années-Bush :

- Syrie, créer une armée d’opposition “modérée” à Bachar al-Assad, prélude à un changement de régime à Damas,

- Irak : créer une alliance politique sunnites + chi’ites dépassant la guerre confessionnelle et gouvernant ensemble le pays.

Et voici notre question directrice : qui a totalement anéanti ces deux projets – aujourd’hui franchement risibles – si ce n’est l’Etat islamique ? Et quelle est alors la seule option laissée à la Maison Blanche d’Obama, pour tenter de restaurer un semblant d’ordre régional ? Ne serait-ce pas d’emprunter le chemin de Téhéran ?

Les sournoises (et constantes) pratiques de la République islamique d’Iran

Bref retour en arrière pour – encore – une énorme étrangeté : lors de l’offensive américaine en Afghanistan (dès le 8 octobre 2001) les moujahidine étrangers fuient ce pays, la plupart vers le Pakistan. Pas al-Zarqawi, installé à Herat, ville-frontière de l’Iran, grouillante d’agents de tout type, où sa troupe de fanatiques se forme aux 9 techniques du terrorisme. Suite à l’assaut américain, le salafiste Zarqawi se réfugie… en Iran (qui est pour lui, rappelons-le, le pays des ” apostats chi’ites”), où il demeure au minimum plusieurs mois.

Zarqawi rentre alors en Jordanie, où les services antiterroristes le traquent ; il se réfugie alors (2002-2003)… dans la Syrie de Bachar al-Assad, aux mains d’hérétiques pire encore, les “Alaouites”. Là, dit un récit fort documenté, il est “hébergé et muni de faux papiers”. Par qui ? Pourquoi ? En échange de quoi ? A ce jour, cette question sur cet incroyable (soyons gentil…) mélange des genres, n’a pas étonné les analystes officiels, ni les journalistes.

Mais la République islamique d’Iran, là-dedans quel jeu joue-t-elle ? A ce niveau de réflexion, bornons-nous à exposer deux troublants précédents :

- Lors des attentats de Paris en 1985-86 (13 morts, 300 blessés), le terroriste en chef Fouad Ali Saleh, tunisien parfaitement sunnite, avait été recruté et formé par des opérateurs des services spéciaux iraniens.

- Dans la décennie 1990, les services spéciaux militaires turcs suscitent un “Hezbollah turc”, en fait un groupuscule kurde de Turquie, pour assassiner les cadres du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Or ensuite, les services spéciaux iraniens “kidnappent” ce Hezbollah de Turquie, en volent le contrôle aux services turcs, et des années durant, l’utilisent pour éliminer des opposants au régime de Téhéran, en Turquie ou alentours. L’affaire fit grand bruit en Turquie ; il y eut des procès, maints documents existent là-dessus ; eux aussi accessibles.

Conclusion (d’étape)

Que savons nous maintenant ? Sur quoi ont débouché les étonnements et questionnements ci-dessus énoncés ? Sur ceci :

- La nature, l’essence de l’Etat islamique est indéniablement celle d’une armée mercenaire. L’E. I. n’est ni une rébellion, ni une guérilla – encore moins une entité terroriste.

- Mais est-on mercenaire à son propre service ? Non bien sûr : les Gardes suisses servent le roi de France et ainsi de suite. D’où cette question, à vrai dire la seule : au service de qui est aujourd’hui l’E. I. ?

Répondre à cette question, remonter la suite des “influences” subies par les divers Abu successifs à la tête de l’E. I., c’est tout simplement comprendre le présent et l’avenir du terrorisme islamiste – au Moyen-Orient, mais d’abord et surtout en Europe. Question qui, selon nous, n’est pas totalement futile… ■

Annexe 1

La pénible “identification” d’al-Bagdadi, deuxième du nom

Durant l’été 2015, le ministère américain des finances (Department of the Treasury) a émis (ou mis à jour) une fiche sur Abu Bakr al-Bagdadi, dans le cadre des mesures d’identification des personnes susceptibles de faire circuler de l’argent criminel et/ou terroriste. Ce qui donne ceci :

AL-BADRI, Dr Ibrahim ‘Awwad Ibrahim Ali, AKA (Also Known As) AL-BAGHDADI, abu Bakr al-Husayni – AL-QURAISHI [10], Abu Bakr al-Baghdadi al-Husayni – AL SAMARRA’I, Dr Ibrahim ‘Awwad Ibrahim – AL SAMARRA’I, Dr Ibrahim ‘Awwad Ibrahim al-Badri – ABU BAKR AL-BAGHDADI – “ABU DU’A, etc.

Avec toutes les combinaisons possibles, la fiche comporte 48 lignes pour la seule “identification” de l’intéressé, dans un joyeux cafouillis entre nom de guerre (alBaghdadi, celui qui est originaire de Bagdad ; al Samarrai, de la ville de Samarra, etc.), nom de tribu (al-Quraishi, tribu du Prophète Mahomet), nom clanique (al-Badri, al-Husayni, etc.). *

Sources de l’étude

Sur de tels sujets, les médias français ont peu d’intérêt puisqu’hélas, ils copient trop souvent les médias anglo-américains, 48h à une semaine plus tard. Dans nos médias d’information, l’auteur a ainsi rarement trouvé des enquêtes ou analyses françaises, originales ou savantes.

————–

AFP – 5/09/15 “Syrie : 47 morts dans des combats entre le groupe EI et des rebelles dans le nord”

AFP – 31/08/15 “Des combats entre l’Etat islamique et des rebelles à Damas”

AFP – 30/08/15 “Un des principaux commandants de Boko Haram arrêté”

Reuters – 21/08/15 “La Maison-Blanche confirme la mort du N°2 de l’Etat islamique”

New York Review of Books – 13/08/2015 “The mystery of ISIS”

Reuters – 10/08/15 “Al-Nosra se retire du nord de la Syrie”

Press-TV (Iran) – 9/08/2015 “Saddam-era officers dominate high ranks of ISIL: report”

New York Times International – 1/08/15 “Saudi Arabia’s new sunni alliance”

New York Times International – 11/07/15 “No end in sight: a memoir of Iraq”

New York Review of Books – 9/07/2015 “The rule of Boko Haram”

US Government – Department of the Treasury – July 2015 – “Identification (??!) of Abu Bakr al-Baghdadi”

New York Review of Books – 9/06/2015 “Inside the Islamic state”

New York Times – 8/06/2015 – “A raid on ISIS yelds a trove of intelligence”

New York Review of Books – (Ahmed Rashid’s Blog) – June 2015 “Why we need alQaeda”

Laurent Touchard (non publié) – 20/05/2015 “Organisation tactique et méthode de combat de l’Etat islamique”

La vie des Idées – 17/03/2015 “Aux origines de l’Etat islamique”

APF Analysis – 9/03/2015 – Asia Pacific Foundation – Nigeria: Boko Haram pledge of allegiance to Daesh”

The Atlantic – March 2015 “What is the Islamic State?”

al-Arabiya News – 4/02/2015 “Al-Azhar calls for killing, crucifixion of ISIS terrorists”

US Army – Complex operational environment and threat integration directorate (CTID) – TRADOC G-2 Intelligence support activity (TRISA) – November 2014 – “Threat tactics report: Islamic state of Iraq and the Levant (ISIL)”

Plus une cinquantaine d’articles détaillés et d’études publiés sur ISIL de 2013 à 2015, notamment dans : al-Jazeera – BBC News – Bloomberg – CNN – CTC-Sentinel, West Point combating terrorism center – Deutsche Welle – the Guardian – Iraqi News – Jane’s Defence Weekly – NBC News – Reuters – Slate – the Telegraph – Time – the Washington Post, etc.

*** Notes ***
1 Carl Schmitt “Guerre discriminatoire et logique des grands espaces”, Krisis, 2011.

2 Le prétexte était alors la vidéo d’un pilote jordanien brûlé vif, mais l’E.I. avait fait bien pire dix fois auparavant, sans qu’al-Azhar ne s’émeuve.

3 Nominalement aussi. Voir l’annexe 1, “La pénible “identification” d’al-Bagdadi, deuxième du nom”.

4 Précisément de “Jayvee team of al-Qaïda”. En argot sportif Junior Varsity team = équipe B.

5 Voir in fine les sources de l’étude.

6 Ceux de l’ancienne et puissante confrérie des Naqshbandi, entrée en guerre contre l’occupation américaine.

7 Camp militaire, sis non loin de la ville irakienne d’Umm Qasr. Là, des années durant, l’armée d’occupation américaine a entretenu (involontairement, espérons-le) une superbe “couveuse à terroristes”.

8 Il semble avoir été tué près de Mossoul, au nord de l’Irak, par une attaque de drone, le 18 août 2015. Cf. sources de l’étude, 21/08/15, Reuters.

9 Le général Suleimani est le chef de la “Force Qods”, unité des Gardiens de la révolution iraniens en charge des opérations spéciales en Syrie, au Liban et en Irak.

10 “al-Bagdadi” se prétend aussi “al-Quraishi” car le sunnisme fondamentaliste édicte que le calife doit toujours provenir de la tribu du Prophète Mahomet.

Source: http://www.les-crises.fr/letat-islamique-objet-terroriste-non-identifie/


Revue de presse internationale du 30/11/2015

Monday 30 November 2015 at 00:40

La revue de presse internationale, avec quelques articles en VF. Merci à nos contributeurs.

Nous manquons de personnes pour nous aider à constituer nos revues de presse. Merci de nous contacter si vous pouvez nous aider…

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-30112015/


Merci à vous – on va pouvoir garder les commentaires… :)

Monday 30 November 2015 at 00:35

Merci pour votre mobilisation du week-end, nous avons assez de volontaires (que nous allons contacter sous peu) du coup pour garder les commentaires :)

Au passage, on manque aussi beaucoup de personnes pour réaliser la veille indispensable aux revues de presse. (Il suffit de lire régulièrement un ou plusieurs sites et de nous signaler les articles intéressants).

Si vous avez un peu de temps, merci de nous contacter.

Source: http://www.les-crises.fr/merci-a-vous-on-va-pouvoir-garder-les-commentaires/


Alain Badiou : Penser les meurtres de masse

Sunday 29 November 2015 at 05:00

Fantastique exposé de Badiou sur le nouveau site de Là-bas si j’y suis

Source : Là-bas si j’y suis, le 27 novembre 2015.

Le boomerang est revenu mais pas dans la tête de ceux qui l’avaient lancé. Devant les victimes, devant tout un pays en état de choc, le pouvoir politique répond par la guerre et l’état d’urgence. L’urgence est de mettre en cause ce virage sécuritaire. Lundi 23 novembre, au théâtre de la Commune d’Aubervilliers, sans publicité et devant une salle comble, le philosophe Alain BADIOU donnait une conférence « POUR PENSER LES MEURTRES DE MASSE ».

Le 19 mai à l’Assemblée nationale, Manuel Valls déclare : « Le terrorisme frappe la France non pas pour ce qu’elle fait en Irak, en Syrie ou au Sahel, mais pour ce qu’elle est ». Malgré le choc – ou à cause du choc – nombreux sont celles et ceux qui cherchent à comprendre en dehors de la peur diffusée par la plupart des médias. Cette conférence dure près de deux heures. Prenez votre temps. À côté des penseurs à la sauvette et des médias consensuels (et sans suite), nous vous en proposons une version intégrale.

Vous pouvez aussi visionner la vidéo ICI.

Voici les intentions de cette conférence :

POUR aider à ce que les meurtres de masse du vendredi 13 novembre, à Paris et à St Denis, soient pensés au-delà des indispensables affects : horreur, barbarie, stupéfaction.

Pour qu’aucune propagande ne puisse s’y opposer fictivement pour s’en servir réellement.

Pour évaluer l’imposture et le péril de ceux qui visiblement se réjouissent, en France ou ailleurs, qu’on puisse enfin crier : « La guerre ! C’est la guerre ! Tous en guerre ».

Pour que d’abjects meurtres de masse ne puissent se glorifier d’avoir à eux seuls plus d’importance et de valeur médiatique et étatique que toutes les recherches rationnelles d’une politique neuve, toutes les expériences de la pensée et de la pratique en direction des vérités à venir.

Pour que les peuples du monde, et singulièrement leur jeunesse, ne soient pas acculés au choix accablant entre un fascisme racialo-religieux et le vide agressif de la domination occidentale, du capitalisme mondialisé et des Etats qui en sont les serviteurs.

Pour en somme que soit surmontée la fausse et meurtrière contradiction apparente du monde qui est le nôtre : entre la modernité monétaire et marchande d’une part et les différentes variantes du gangstérisme traditionaliste de l’autre.

Pour que soit sortie de l’ombre et changée en force la vraie contradiction, qui oppose deux termes dont l’identification est l’entrée obligée pour toute pensée qui s’applique à changer le monde :

1 : le couple guerrier des Etats dominants et des Bandits fascisants, qui ont un intérêt commun à diffuser dans le monde entier une subjectivité de guerre.

2 : les porteurs, par leur alliance à construire, du communisme qui vient : prolétariat international et nomade, intellectuels libres, jeunesse à la recherche d’une vie qui soit grande et vraie.

Source: http://www.les-crises.fr/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse/