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L’Europe se déchire à propos du cas grec – et personne ne semble en mesure de l’en empêcher, par Ambrose Evans-Pritchard

Saturday 11 July 2015 at 11:15

Voici l’avis d’Ambrose Evans-Pritchard. Il n’engage que lui, mais il est assez bien informé en général. A prendre néanmoins avec recul…

Le premier ministre Alexis Tsipras ne s’attendait pas à remporter le référendum de dimanche dernier. Il est maintenant pris au piège et précipité vers le “Grexit”.

5 juillet – Des manifestants célèbrent la victoire du non | Photo: IBL / Rex Shutterstock

Par Ambrose Evans-Pritchard, Athènes 20:35 BST 07 juillet 2015

Comme une tragédie d’Euripide, le long conflit entre la Grèce et les puissances européennes qui détiennent sa dette s’achemine vers une fin catastrophique que personne n’avait vue venir, à laquelle nul ne semble pouvoir échapper, et qui menace de détruire au passage l’ordre européen dans son ensemble.

Le premier ministre Grec Alexis Tsipras ne s’attendait absolument pas à remporter le référendum de dimanche sur les conditions de sauvetage de l’UME, et encore moins à se retrouver à la tête d’une révolte nationale contre le contrôle exercé par les pays étrangers.

Il a organisé ce scrutin inattendu dans l’intention – et le souhait – de le perdre. Son but était d’en sortir la tête haute, en se résignant à une défaite honorable, et de rendre les clefs de la villa Maximos en laissant à d’autres le soin d’appliquer l’ultimatum du 25 juin, et d’en supporter l’opprobre.

Cet ultimatum fut un choc pour le gouvernement grec. Ils pensaient être sur le point de trouver un accord, aussi mauvais fût-il. Tsipras avait déjà décidé de céder au plan d’austérité, Syriza ayant échoué à créer une union des états débiteurs du sud de l’UME et ayant mal apprécié la tendance politique générale au sein de l’Euro-zone.

En lieu et place, ils se sont retrouvés confrontés à des créanciers qui ont levé la barre plus haut, exigeant que la TVA sur l’hôtellerie de tourisme passe de 7 à 23%.

Les créanciers ont réclamé une nouvelle baisse des retraites équivalant à 1% du PIB pour l’année suivante, ainsi qu’une sortie progressive de l’Allocation de Sécurité Sociale (EKAS) pour les retraités les plus pauvres, alors même que les montants des retraites avaient déjà été réduits de 44%.

Ils ont aussi réclamé une augmentation de la pression fiscale de 2% du PIB, alors que l’économie subit toujours les effets de six années de crise et d’hystérèse dévastatrice [NdT : hystéresis/hystérèse : « Retard de l'effet sur la cause dans le comportement des corps soumis à une action physique. Persistance d'un phénomène quand cesse la cause qui l'a produit. »]. Ils n’ont pas proposé de restructuration de la dette. Les Européens sont intervenus en coulisse pour supprimer un rapport du FMI qui validait la position grecque selon laquelle la dette était “insoutenable”. Le FMI a conclu que non seulement le pays avait besoin d’un abattement de 30 % du montant de la dette pour préserver la viabilité de ses créances, mais également d’un nouveau prêt de 52 milliards d’euros pour surmonter la crise.

Ils ont rejeté le plan grec de coopération avec l’OCDE pour réformer le marché, et avec l’Organisation Internationale du Travail sur les lois régissant les conventions collectives. Ils ont joué leur partition sans souplesse aucune, refusant d’admettre que leurs exigences dignes d’un roman de Dickens avaient été dénoncées par des économistes partout sur la planète.

“Ils ne voulaient tout simplement pas que nous signions. Ils avaient déjà décidé de nous mettre à la porte”, a dit le ministre des finances démissionnaire Yanis Varoufakis.

Syriza a donc opté pour le référendum. Mais, à leur grand désarroi, ils l’ont remporté, provoquant ainsi la grande révolte grecque de 2015, ce moment où le peuple a finalement poussé son cri primitif, s’est couvert de peintures de guerre et a formé la phalange des hoplites.

M. Tsipras est désormais pris au piège de son propre succès. “Le référendum a sa dynamique propre. Les gens se révolteront s’il revient de Bruxelles avec un compromis bâclé”, a déclaré Costas Lapavitsas, un des députés de Syriza.

“Tsipras ne veut pas du Grexit, mais je pense qu’il se rend compte que c’est la voie qui maintenant s’ouvre devant lui”, a-t-il ajouté.

Alexis Tsipras arrive à Bruxelles pour un sommet d’urgence après son référendum.Ce qui aurait dû être une fête joyeuse dimanche soir s’est transformé en veillée funèbre. Alexis Tsipras, déprimé, a analysé toutes les erreurs faites par Syriza depuis son arrivée au pouvoir en janvier, discutant ainsi jusqu’au petit matin.Le premier ministre aurait alors été mis face au choix suivant : ou bien s’emparer de l’opportunité politique d’un vote remporté triomphalement avec 61% des scrutins pour s’attaquer directement à l’Euro-groupe, ou bien céder aux exigences des créanciers – en abandonnant l’imprévisible M. Varoufakis au passage, comme gage de bonne volonté.

Tout le monde savait ce qu’une confrontation signifierait. Le cabinet du ministre en avait examiné les conséquences en détails une semaine auparavant lors d’une rencontre tendue à la suite du refus de la BCE d’augmenter les liquidités (ELA) du système bancaire grec, forçant ainsi Syriza à imposer un contrôle des capitaux.

C’était un plan en trois phases. Ils “réquisitionneraient” la Banque de Grèce tout en licenciant son gouverneur selon des lois d’urgence nationale. Les réserves estimées à 17 milliards d’euros cachées dans différentes succursales de la banque centrale seraient saisies.

Ils émettraient en parallèle de la liquidité et des titres de dette (“IOU”) de type californien libellées en euros pour garder un système bancaire fonctionnel, soutenus par un appel à la Cour Européenne de Justice afin de déséquilibrer leurs adversaires, tout en faisant respecter les droits de la Grèce en tant que membre de la zone Euro. Si les créditeurs les forçaient à un Grexit, ce seraient ceux-ci – et pas la Grèce – qui agiraient de manière illégale avec toutes les implications du droit des contrats à Londres, New York et même Francfort.

Ils imposeraient un abattement de 27 milliards d’euros sur les obligations grecques détenues par la BCE, que certains qualifient “d’odieuses” puisque leur achat initial visait à sauver les banques françaises et allemandes, empêchant ainsi une restructuration de la dette qui sinon aurait eu lieu.

“Ils essayaient de nous étrangler jusqu’à ce que l’on se soumette, et voici comment nous aurions répondu”, a dit un ministre du cabinet. M. Tsipras a rejeté le plan. Il était trop dangereux. Mais une semaine plus tard, c’est peut-être précisément ce qu’il devra faire, à moins qu’il n’accepte un retour forcé à la drachme.

Syriza est en proie à un profond désarroi depuis 36 heures. Mardi, la délégation grecque est arrivée à un sommet de la dernière chance à Bruxelles sans le moindre plan de négociation, alors même que l’Allemagne et ses alliés l’avaient averti dès le début qu’il s’agissait de son ultime chance d’éviter d’être bouté hors de la zone Euro.

Le nouveau ministre des finances, Euclide Tsakalotos, a vaguement proposé de fournir d’ici mercredi un projet, qui sera sans doute une version bricolée des projets déjà refusés par les créanciers.

Les événements se précipitent désormais et échappent à tout contrôle. Les banques restent fermées. La BCE a maintenu sa politique de gel des liquidités et, par son inaction, est en train d’asphyxier le système bancaire.

Des usines ferment partout dans le pays alors que les stocks de matières premières s’épuisent et que les conteneurs pleins de biens de première nécessité s’accumulent dans les ports grecs. Les sociétés ne sont plus en mesure de payer leurs fournisseurs, puisque les transferts extérieurs sont bloqués. Des titres provisoires privés commencent à apparaître tandis que les entreprises en sont réduites à une espèce de troc, hors du circuit bancaire.

Pourtant, si la Grèce est en pleine tourmente, l’Europe n’est pas en reste. La direction de la zone euro au grand complet a averti avant même le référendum que le “non” conduirait à l’expulsion de l’euro, sans cependant imaginer que ce scénario se produirait vraiment.

Jean-Claude Juncker, qui est à la tête de la Commission Européenne, a su plaisanter de sa volte-face. Il a déclaré : “Nous devons mettre nos petits égos, dans mon cas un très gros égo, de côté, et gérer la situation à laquelle nous sommes confrontés.”

Le premier ministre français, Manuel Valls, a déclaré qu’empêcher le Grexit et l’explosion de l’union monétaire était un impératif stratégique absolu. “Nous ne pouvons pas laisser la Grèce quitter la zone euro. Personne ne peut dire aujourd’hui quelles en seraient les conséquences politiques, comment réagirait le peuple grec”, a-t-il dit.

Les dirigeants français travaillent de concert avec la Maison-Blanche. Washington fait jouer son immense pouvoir diplomatique et demande ouvertement à l’UE de “mettre la Grèce sur le chemin de la soutenabilité de sa dette” et de résoudre ce problème récurrent une fois pour toutes.

La pression franco-américaine est renforcée par l’italien Matteo Renzi, pour qui l’Euro-zone doit remettre l’ouvrage sur le métier, et repenser toute sa doctrine d’austérité après la révolte démocratique en Grèce. Lui aussi soutient maintenant qu’une réduction de la dette est nécessaire.

Le premier ministre grec Alexis Tsipras et l’Italien Matteo Renzi prennent part à une rencontre d’urgence de chefs européens de la zone euro.Toutefois, 15 des 18 gouvernements appelés à juger le cas de la Grèce soit soutiennent la position inébranlable de l’Allemagne, soit penchent vers un Grexit sous une forme ou une autre. Les Allemands sont déjà en train de penser à l’après-Grexit et discutent de projets d’aide humanitaire et de la manière de soutenir la balance des paiements de la drachme.Mark Rutte, le premier ministre hollandais, s’est fait l’interprète de nombreux pays en insistant sur le fait que la zone euro devait faire respecter la discipline, quelles qu’en soient les conséquences financières. “Je suis à la table des négociations aujourd’hui afin de veiller à ce que l’intégrité, la cohésion et les principes sous-jacents de la monnaie unique soient protégés. Il appartient au gouvernement grec d’apporter des propositions de grande portée. S’ils n’en font rien, dit-il, je pense que ça sera rapidement terminé.”

Les deux parties sont enfermées dans un dialogue de sourds, s’attachant à leur version de l’histoire, et aucune ne veut se remettre en cause. Le résultat pourrait coûter cher. RBS estime les pertes financières directes d’un défaut de paiement de la Grèce pour la zone euro à 227 milliards d’euros, à comparer aux 140 milliards d’euros s’ils avalaient la couleuvre d’une restructuration de la dette style FMI.

En images : le coût humain de la crise de la dette grecque.

Mais cela n’est qu’un détail en comparaison des dégâts pour le projet politique européen et pour l’OTAN si, malgré les objections vigoureuses de la France, de l’Italie et des États-Unis, la Grèce était jetée aux loups.

Il est difficile d’imaginer ce qui resterait de la direction commune franco-allemande. De dégoût, Washington pourrait alors tourner le dos à l’OTAN, laissant l’Allemagne et les pays Baltes monter leur propre défense contre Vladimir Poutine.

M. Lapavitsas disait que l’enjeu réel est la survie même de l’Europe en tant que force civilisatrice dans le monde. “L’Europe n’a pas montré beaucoup de sagesse durant le siècle passé. Elle a commencé deux guerres mondiales et a dû être sauvée par les Américains”, disait-il.

“Maintenant, avec la création de l’union monétaire, elle a agi avec tant de stupidité et créé un tel désastre qu’elle met l’union même en doute, et cette fois-ci, il n’y aura pas de sauveur. C’est le dernier coup de dés pour l’Europe”, disait-il.

Source : The Telegraph, le 07/07/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-se-dechire-a-propos-du-cas-grec-et-personne-ne-semble-en-mesure-de-len-empecher-par-ambrose-evans-pritchard/


Revue de presse du 11/06/2015

Saturday 11 July 2015 at 10:59

Cette semaine, la France a du mal avec ses ventes d’armes, une géopolitique agressive, du n’importe quoi côté environnement, l’étrange Madame Merkel et Total en double-jeu ? Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-11062015/


Les propositions de la Grèce pour mettre un terme à la crise : mon intervention à l’Euro-groupe, par Yanis Varoufakis

Saturday 11 July 2015 at 04:06

Pour l’Histoire… La vision de Varoufakis

Le seul antidote à la propagande et aux ” fuites” malveillantes est la transparence. Après tant de désinformation sur ma présentation de la position du gouvernement grec à l’Euro-groupe, la seule réponse est de publier les mots précis prononcés. Lisez-les et voyez par vous-mêmes si les propositions du gouvernement grec peuvent constituer une base pour un accord.

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(18 juin)
Chers collègues,

Il y a cinq mois, lors de ma toute première intervention à l’Euro-groupe, je vous ai dit que le nouveau gouvernement grec devait faire face à un double enjeu :

Nous devions créer une monnaie précieuse sans dépouiller notre patrimoine.

Cette monnaie précieuse que nous devions créer était un sentiment de confiance, ici, parmi nos partenaires européens et au sein des institutions. Battre cette précieuse monnaie nécessitait un ensemble de réformes significatives, ainsi qu’un plan de stabilité financière crédible.

Le patrimoine important que nous ne pouvions pas nous permettre de dépouiller était la confiance du peuple grec qui aurait à se ranger derrière n’importe quel programme de réformes accepté qui mettrait un terme à la crise grecque. Afin de ne pas dépouiller ce patrimoine, le pré requis était – et demeure – unique : l’espoir tangible que l’accord que nous rapporterions à Athènes :

Cinq mois se sont écoulés depuis, et le bout de la route est proche, mais cet accord finement équilibré ne s’est pas matérialisé. Certes, au Groupe de Bruxelles nous en avons été proche. A quel point ? Sur le plan fiscal, nos positions sont vraiment proches, particulièrement pour 2015. Pour 2016, il reste un écart s’élevant à 0,5% du PIB. Nous avons proposé des mesures paramétriques à hauteur de 2% du PIB au lieu des 2,5% sur lesquels insistent les institutions. Nous proposons de combler cet écart de 0,5% par des mesures administratives. Cela serait, et je vous prends à témoin, une erreur majeure de permettre à un écart si minuscule de briser radicalement l’unité de la zone euro. Un grand nombre de sujets ont aussi atteint un point de convergence.

Néanmoins, je ne nierai pas que nos propositions ne vous ont pas inspiré la confiance dont vous avez besoin. Et, dans le même temps, les propositions des institutions que M. Juncker a communiquées à M. Tsipras, premier ministre, ne peuvent pas susciter l’espoir dont nos citoyens ont besoin. Ainsi, nous sommes proches de l’impasse.

Dans cet ultime tour des négociations, et avant que des événements incontrôlables ne nous submergent, nous avons un devoir moral, sans parler des devoirs politique et économique, de sortir de cette impasse. Le temps n’est pas aux récriminations et aux accusations. Les citoyens européens nous tiendront collectivement pour responsables si nous ne trouvons pas une solution viable.

Même si certains, influencés par des rumeurs selon lesquelles un Grexit ne serait pas si dramatique ou que cela pourrait même être bénéfique au reste de la zone euro, se sont résignés à un tel évènement, c’est un évènement qui libérerait des forces destructrices que plus personne ne pourrait contrôler. Les citoyens de toute l’Europe ne s’en prendraient pas aux institutions, mais aux ministres des finances, à leurs premiers ministres et aux présidents. Après tout, ils nous ont élus afin de promouvoir une prospérité européenne partagée et d’éviter les écueils qui peuvent nuire à l’Europe.

Notre mandat politique est de trouver un compromis honorable qui fonctionne. Est-ce si difficile ? Nous ne le pensons pas. Il y a quelques jours, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a publié un article intitulé « Grèce : un arrangement réaliste nécessitera des décisions difficiles pour toutes les parties. » Il a raison, les mots clés sont : « pour toutes les parties ». Le Pr Blanchard a ajouté qu’« il y a une question simple au cœur des négociations. Dans quelle mesure la Grèce doit-elle s’adapter et dans quelle mesure ses créancier institutionnels doivent-ils s’adapter ? »

Il ne fait aucun doute que la Grèce doit procéder à des ajustements. Cependant, la question n’est pas de savoir combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce, mais plutôt quelle est la nature de ces ajustements. Si par “ajustements” nous pensons à une consolidation budgétaire, à une coupe dans les salaires et les retraites, et à une élévation du niveau de taxation, il est clair que nous en avons faits bien plus que n’importe quel autre pays en temps de paix.

Personne ne peut affirmer que la Grèce ne s’est pas adaptée au nouvel environnement économique de l’après 2008. Mais ce que nous pouvons dire, c’est que ces ajustements colossaux, qu’ils fussent nécessaires ou pas, ont créé plus de problèmes qu’ils n’en ont résolus :

Donc, à la première partie de la question du Pr Blanchard « combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce ? » doit être répondu : La Grèce a besoin de nombreux ajustements. Mais pas du même genre que ceux que nous avons effectués par le passé. Nous avons besoin de plus de réformes, pas de faire plus d’économies. Par exemple,

Dans nos propositions aux institutions nous avons offert :

En plus de ces réformes, les autorités grecques ont sollicité la participation de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) au projet d’Athènes pour mettre en place et contrôler une seconde série de réformes. J’ai rencontré hier le secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Guirria et son équipe, pour présenter ce programme de réformes conjoint, complété par un plan de route détaillé :

Oui, chers collègues, les Grecs doivent encore s’adapter. Nous avons désespérément besoin de réformes profondes. Mais je vous exhorte à prendre sérieusement en considération la différence entre :

Nous avons bien plus besoin de vraies réformes et bien moins de réformes paramétriques.

Il a beaucoup été dit et écrit au sujet de notre « retour en arrière » sur la réforme du marché du travail et notre détermination à réintroduire une protection pour les salariés à travers la négociation de conventions collectives. Est-ce notre orientation à gauche qui met en péril l’efficacité ? Non, chers collègues, ce n’est pas le cas. Prenez par exemple la situation critique de jeunes travailleurs qui, dans plusieurs chaînes de magasins, sont licenciés à la veille de leur 24e anniversaire pour que leurs employeurs puissent les remplacer par des travailleurs plus jeunes, afin de ne pas payer le salaire minimum normal qui est plus bas pour les salariés de moins de 24 ans. Ou prenez le cas des salariés qui sont engagés à temps partiel pour 300 euros par mois, qui travaillent à plein temps et sont menacés de licenciement s’ils se plaignent. Sans négociations collectives, ces abus abondent et ont des effets néfastes pour la compétitivité (les employeurs corrects sont en concurrence déloyale avec des employeurs sans scrupules), mais ont également des effets néfastes pour les caisses de retraite et les recettes de l’état. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement que l’introduction de conventions collectives équilibrées, en collaboration avec l’OMT et l’OCDE, puisse constituer une « contre-réforme », un exemple de « retour en arrière » ?

Pour revenir brièvement sur le sujet des retraites, on a beaucoup parlé du fait que les retraites coûtent plus cher que par le passé ; jusqu’à 16% du PIB. Mais considérez ceci : les retraites ont été réduites de 40% et le nombre de retraités est stable. Donc les dépenses de retraite ont diminué, elles n’ont pas augmenté. Ce taux de 16% du PIB n’est pas lié à une augmentation des dépenses, mais au contraire à la chute dramatique du PIB qui entraîne avec lui une réduction tout aussi dramatique des contributions, liée à la baisse de l’emploi et à l’augmentation du travail non déclaré.

Notre prétendu recul sur la « réforme des retraites » est que nous avons suspendu toute réduction supplémentaire des retraites qui ont déjà perdu 40% de leur valeur, quand les prix des biens et des services dont les retraités ont besoin, par exemple les produits pharmaceutiques, n’ont presque pas bougé. Prenez aussi en compte ce fait relativement méconnu : à peu près un million de familles survivent aujourd’hui grâce à la maigre retraite d’un grand-père ou d’une grand-mère, puisque les autres membres de la famille sont au chômage dans un pays où seulement 9% des chômeurs reçoivent des allocations de chômage. Réduire cette retraite, unique source de revenus, revient à jeter la famille entière à la rue.

C’est pourquoi nous répétons aux institutions que, oui, nous devons réformer les retraites mais, non, vous ne pouvez pas réduire de 1% la proportion des retraites dans le PIB sans causer une nouvelle misère et un nouveau cycle de récession, si ce 1,8 milliard multiplié par un grand multiplicateur fiscal (jusqu’à 1,5) est retiré du flux circulaire des revenus. Si de grosses retraites subsistaient, dont la réduction entrainerait une différence fiscale, nous le ferions. Mais la répartition des retraites est si compacte que pour faire des économies de cet ampleur, il faudrait rogner les retraites des plus pauvres. C’est pour cette raison, je suppose, que les institutions nous demandent d’éliminer les suppléments de solidarité des retraites versés aux plus pauvres parmi les pauvres. Et c’est pour cette raison que nous proposons à la place des réformes adaptées : une réduction drastique, presque une suppression, des retraites anticipées, la consolidation des caisses de retraite et des interventions sur le marché du travail qui réduiront le travail non déclaré.

Les réformes structurelles favorisent le potentiel de croissance. Mais de simples coupes budgétaires dans une économie comme celle de la Grèce favorisent la récession. La Grèce doit s’adapter en introduisant d’authentiques réformes. Mais dans le même temps, pour revenir à la réponse du Pr Blanchard, les institutions doivent revoir leur définition de réformes favorisant la croissance – pour reconnaître que les coupes paramétriques et l’augmentation des taxes ne sont pas des réformes, et que, au moins dans le cas de la Grèce, elles minent la croissance.

Certains collègues nous ont fait remarquer par le passé, et pourraient le faire à nouveau, que nos retraites sont trop élevées comparées à celles de leurs propres retraités, et qu’il est inacceptable que le gouvernement grec espère que leurs retraités paient nos retraites. Laissez-moi être clair sur ce point : nous ne vous demanderons jamais de financer notre état, nos salaires, nos retraites, nos dépenses publiques. La Grèce vit selon ses moyens. Durant les cinq derniers mois, nous avons même réussi, sans avoir accès aux marchés et sans déblocage de fonds, à payer nos créanciers. Nous avons l’intention de continuer à le faire.

J’entends les inquiétudes, la crainte que notre gouvernement renoue avec un déficit primaire, et pour cette raison les institutions nous pressent d’accepter une importante augmentation de TVA et d’importantes coupes dans les retraites. Alors que nous pensons que l’annonce d’un accord viable stimulera suffisamment l’activité économique pour produire un excédent primaire sain. Je comprends parfaitement bien que nos créanciers et partenaires aient des raisons d’être sceptiques et de vouloir des garde-fous ; une police d’assurance contre une éventuelle frénésie dépensière de notre gouvernement. C’est ce que veut dire le Pr Blanchard lorsqu’il appelle le gouvernement grec à proposer « des mesures vraiment crédibles ». C’est une idée. Une « mesure vraiment crédible ».

Plutôt que de se disputer sur des mesures pour un demi-point de pourcentage (ou sur le fait que ces mesures fiscales devraient ou non être de type paramétrique), pourquoi ne pas mettre en place une réforme permanente plus intelligente et plus complète ? Un frein automatique au déficit inscrit dans la loi et surveillé par le conseil fiscal indépendant que les institutions et nous-mêmes avons d’ores et déjà accepté. Toutes les semaines, le conseil fiscal surveillerait l’exécution du budget de l’état, et s’il s’avérait que l’objectif d’un excédent primaire minimum ne peut pas être atteint, il donnerait des avertissements et, à un certain stade, déclencherait automatiquement des réductions générales de dépenses de façon à prévenir le glissement sous un seuil convenu au préalable. De cette manière, un système de sécurité garantit la solvabilité de la Grèce, et le gouvernement grec conserve l’espace politique dont il a besoin pour rester souverain et être capable de gouverner démocratiquement. Considérez ceci comme une proposition ferme que notre gouvernement mettra en place immédiatement après qu’un accord sera obtenu.

Étant donné que notre gouvernement n’aura plus jamais besoin d’emprunter à vos contribuables ou aux contribuables que représente le FMI, un débat entre états membres pour savoir qui a les retraités les plus pauvres, engendrant par là un nivellement par le bas, n’a pas de sens. Le débat doit se recentrer sur le remboursement de la dette. Quel sera le volume de notre excédent primaire ? Quelqu’un croit-il sérieusement que le taux de croissance est indépendant de l’objectif d’excédent primaire fixé ? Le FMI sait parfaitement que les deux chiffres sont intrinsèquement liés, et c’est pour cette raison que la dette publique grecque est une priorité.

Notre importante dette doit être considérée comme un gros passif d’impôt non consolidé. Alors qu’il est vrai que les tranches de notre dette auprès des FESF et GLF est ancienne, et ont des taux d’intérêt pas trop élevés, le passif d’impôt non consolidé de l’état grec, notre dette, inclut une “tumeur” irrégulière qui entrave l’investissement et la reprise aujourd’hui. Je fais référence ici aux 27 milliards d’obligation du SMP (Security Market Program) qui sont toujours détenus par la BCE. Ceci est un passif non capitalisé à court terme que les investisseurs potentiels en Grèce regardent avant de tourner les talons, car ils peuvent voir le déficit de financement que cette partie de la dette crée instantanément, et parce qu’ils reconnaissent que ces 27 milliards dans les livres de comptes de la BCE empêchent la Grèce de profiter de l’assouplissement quantitatif de la BCE au moment même où ce programme se déroule et atteint sa capacité maximale à venir à l’aide des pays secoués par la déflation. Il est cruellement ironique que le pays le plus affligé par la déflation est celui qui est exclu du remède anti-déflation de la BCE. Et il est exclu en raison de ces 27 milliards forfaitaires.

Notre proposition sur ce front est simple, efficace et mutuellement bénéfique. Nous ne vous proposons pas de nouvelles sommes d’argent, pas un seul nouvel euro, pour notre état. Imaginez l’accord suivant, composé de trois parties, qui sera annoncé dans les prochains jours :

Quelqu’un doute-t-il vraiment que cette annonce en trois parties changerait radicalement l’ambiance, donnerait aux Grecs l’envie de travailler dur dans l’espoir d’un avenir meilleur, inviterait les investisseurs dans un pays dont les prix des actifs ont baissé de façon spectaculaire, et donnerait confiance aux Européens en montrant que l’Europe peut, même à la 11e heure, prendre la bonne décision ?

Chers collègues, à ce stade, il est dangereusement facile de penser que rien ne peut être fait. Ne tombons pas en proie à cet état d’esprit. Nous pouvons forger un bon accord. Notre gouvernement est debout, avec des idées et déterminé à cultiver les deux formes de la confiance nécessaires pour mettre fin à la tragédie grecque : votre confiance en nous et la confiance de notre peuple dans la capacité de l’Europe à produire des politiques qui travaillent pour, et non contre, eux.

Source : Yanis Varoufakis, le 18/06/2015

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Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-propositions-de-la-grece-pour-mettre-un-terme-a-la-crise-mon-intervention-a-leuro-groupe-par-yanis-varoufakis/


Le fardeau du Général

Saturday 11 July 2015 at 01:42

25/06/2015, par Philippe Grasset

Nous/je vous l’avoue, nous avons hésité. Fallait-il employer le “nous” majestatif, celui du dedefensa.org des grands jours courants, alors que la République est en danger et que “formez vos bataillons” ? Ou le “je”, plus élastique, plus primesautier, celui du chroniqueur à la tour d’ivoire à qui on ne la fait pas… Grand débat, conférence de rédaction, enfin décision prise : puisque “la patrie est en danger”, “aux armes citoyens”, à toutes les armes, et l’on utilisera ce qu’on veut, à la fois le “nous” et le “je”, et le “je” et le “nous”. On verra bien. La NSA, elle, c’est promis, n’y verra que du feu.

Tout cela pour dire que je commence par une introduction, – habileté discutable, – dont la légèreté dans ces jours de fougue et de fébrilité nécessite effectivement le “je” ; tout cela pour dire ma stupéfaction, pas d’autre mot, moi qui avais entendu d’une oreille distraite et lu d’un œil fatigué ce matin du 24 juin les grandes déclarations sur les écoutes téléphoniques qui sont le signe indubitable de la sollicitude de nos “grands alliés” ; puis classant le dossier “sans suite” ; puis confronté soudain à ce déluge de nouvelles qui inonde furieusement l’écran, littéralement, ces déclarations terribles, cette unanimité remarquable de l’union nationale pour une fois tout à fait rassemblée, ce “entendez-vous dans nos portables” (“ces féroces écouteurs”, etcetera, que voulez-vous la tentation des pseudo-jeux de mots de piètre lignée dans ces moments terribles et factices).

C’est vrai, je n’y croyais pas, je n’y croyais plus, et voilà que mon cœur se serre naïvement le temps d’un instant, à s’y croire, comme si l’on retrouvait la France, ma douce France, à mi-chemin entre Jeanne de Domrémy et la môme Piaf, en passant par la Lorraine… Mais revenons sur terre et restons-en à Hollande, Hollande le menton ferme levé et le regard sur la ligne bleue de l’Atlantique, Vals dans toutes ses fureurs ethniques et immigrée, et toute la bande qui s’ensuit et qui suit, la majorité, l’opposition, les marges diabolisées qui ne sont plus diables du tout, “tous en scène” vous dis-je, – en vérité, parce qu’il le fallait bien, parce qu’il s’avère, et c’est le comble, qu’il ne pouvait pas, qu’il ne savait pas faire autrement(belgicisme bien connu, mais qui a tout son sens cette fois). Le formidable Houellebecq ne leur a pas appris tous les us et coutumes de la Soumission.

… Et ici, je crois (on verra), j’arrêter de rire et de me moquer d’une façon déshonorable de mon pays. La vérité, je le confesse, est bien que je ne les croyais pas capable de ça … “Ca”, c’est-à-dire, cette extraordinaire comédie-jacquerie hors de l’ordre mondial façon-TTPI, cette insurrection verbale de quelques heures glorieuses, cette fureur qui n’est pas feinte, comme s’ils formaient une direction acceptable de quelque chose qui recèlerait ici et là une cendre rougeoyante encore de ce que l’on nomma “la Grande Nation”. J’entends, d’ici, comme si Colombey était la porte à côté, le rire sans fin, métaphysique, quasiment néoplatonicien, du Général soi-même. Sacré blague.

Le fait est que ces pauvres gens, qui bêchent depuis une, deux ou trois décennies, les champs du déshonneur de la France, ces pauvres gens n’ont pas tout à fait réussi à se débarrasser du fardeau épuisant du gaullisme. Je parle du gaullisme quand il est gaullien, c’est-à-dire inutile par les temps qui courent, sans dividendes ni intérêt, sans argument compréhensible ni rentabilité productive, et qui pèse, et qui pèse, qui vous écrase parfois à la tâche. Car le fait est qu’ils continuent à le porter, qu’ils ne parviennent pas à s’en débarrasser, – alors, pendant 24 heures, 48 heures, etc., ils nous l’ont joué grandiose, implicitement et presque-dit ici ou là, pour un peu, du-type “Nous sommes prêts à envahir Alger (nom de code : Washington D.C.) parce que le Dey a souffleté et insulté gravement la France en donnant ou coup d’éventail à notre ambassadeur”.

Et nous eûmes donc droit à tous les épisodes, le communiqué de l’Élysée, l’union nationale, Hollande parlant à Obama d’urgence, Fabius qui convoque la dame d’en face (le 2, avenue Gabriel n’est pas loin d’être pile en face, Seine franchie et vite effacée, du bureau de Vergennes, quai d’Orsay, non ?), l’ambassadrice Jane D. Hartley, qui n’est pas loin d’être aussi belle que la fabulous Pamela Harriman, première femme ambassadrice de la Grande République auprès de la Grande Nation, d’origine britannique mais sans rien de la froideur de la chose et américanisée avec un clin d’œil, et même au contraire pour la froideur puisqu’avec un brio de séduction qui affola nombre d’entre eux et parfois le président de la république d’alors (je parle du jeune Chirac devenu vieillissant et président, mais toujours chevau-léger) ; mais qu’importe, poursuivons, puisque “nous eûmes droit” encore à des avertissements qui se croyaient d’une certaine hauteur, à des exigences fermement expliquées, à des demandes d’explication, à des explications de Raffarin (“un coup de canif dans l’amitié franco-américain…”), et jusqu’à l’interview sans rire et sans mépris soupçonneux de la part de l’intervieweur de l’unique député mâle du FN/Rassemblement Marine. Paris, ce jour-là, frémit et tremble comme à l’un des grands jours de la capitale, de Thermidor à la Libération, jusqu’à l’inévitable Mai-68, et jusqu’à entendre Mireille Mathieu chanter Paris en colère. On doit le reconnaître, nous n’avions nulle raison de songer à cette possibilité de tout ce tintamarre de la part des enfants de Mai-68, eux qui ont eu la peau du Général et qui ont eu l’audace, – le Général ayant remarqué un jour que le slogan “Mort aux cons” constituait un “vaste programme”, – non, qui ont eu l’habileté de se faire neocons.

Tout cela, je le reconnais, pour en venir à quelques réflexions qu’on trouverait à première vue déplacées dans un commentaire qui prétend apprécier le second «a date which will live in infamy» de notre-histoire commune. A première vue, seulement, mais écoutez plus attentivement … Il y a deux, trois jours, une de ces innombrables chaînes TV donnait un “téléfilm historique” datant de 2008 et programmé pour la première fois en avril 2009, repris donc cette semaine sur Ciné-Cinéma, – Adieu, de Gaulle, adieu. Pierre Vernier y est excellent en de Gaulle méprisant, insupportable, à la dérive, quoiqu’il lui manque une bonne dizaine de centimètres à vue de nez ; Didier Bezace est fabuleux en Pompidou, de même Guillaume Gallienne en Bernard Tricot ; Gérald Laroche n’est pas le meilleur en Jobert, quelques centimètres de trop et l’ironie sarcastique en moins. Ce téléfilm, qui fut distingué et eut des récompenses, raconte le terrible “mois de Mai du Général” ; il n’avait rien vu venir, il n’a rien compris, il a emmerdé tout le monde avec son humeur épouvantable, il a manœuvré comme un novice, il semblait sur une autre planète, il s’enfonçait dans un monde disparu, il était entouré de ricanements et d’yeux levés au ciel alors qu’on décomptait ses erreurs, ses faux-pas, ses fautes même, – et enfin il l’a emporté comme un colosse soulève le monde, comme un Hercule resurgi des Temps Disparus.

Une chose arrête aussitôt, dès que débute le téléfilm sur les scènes d’émeutes qu’on imagine : la musique, et bien sûr c’est voulu sans nul doute ou alors je n’y comprends rien, – moi non plus. On entend des morceaux des Kinks, des Jethro Tull, des The Mamas & the Papas (le téléfilm se termine sur le California’s Dreaming des derniers nommés). Bref, une musique qui est comme une insulte permanente à de Gaulle, qui mériterait au moins comme illustration symbolique la Titan de Mahler et le Requiem de Berlioz (l’Opus 5 ou La Grande Messe des Morts), – alors cette musique-là qu’ils ont choisie, qui semble effectivement programmée comme telle, comme un pied-de-nez permanent. Le reste décrit de Gaulle, effectivement insupportable, marmonnant, pestant, grognant, se trompant sans cesse, n’y comprenant rien, morigénant fort injustement les uns et les autres qui courent en tous sens pour tenter d’aveugler les voies d’eau, annonçant avec une amertume furieuse ou une émotion pleurnicharde qu’il est “foutu” et qu’il s’en va, qu’il “leur laisse” le pouvoir, qu’il est fini, balayé ; cela, jusqu’à son départ-surprise, le mercredi 29 mai, disant qu’il part à Colombey en hélicoptère, puis son hélicoptère disparaissant des écrans-radar (partant en rase-mottes), et le bruit envahissant Paris : de Gaulle a disparu ! Pompidou dans une fureur noire, les restes du gouvernement attendant l’explosion décisive de la grande “manif’ finale” des syndicats, des ouvriers et des étudiants, de la Bastille à la Gare Saint-Lazare, dont tout le monde prévoit qu’elle se terminera par des débordements funestes, l’attaque de l’Élysée, la proclamation d’un “gouvernement d’union populaire & révolutionnaire”… Eh bien, non ! De Gaulle a disparu et tout semble se figer ; la manif a lieu certes, mais en rangs ordonnés et l’on se disperse dans le calme, on ne manifeste plus, on ne dit plus rien, on attend, on attend … Le soir du 29 mai 1968, à Paris, on entendait voler une mouche.

A Baden, au QG de la Première Armée Française qui est déployée sur le territoire de l’ex-zone d’occupation française, de Gaulle retrouve Massu, dit son-fidèle-Massu, qui ne brillait guère par l’esprit disait-on alors sur un ton un peu vache. (Du temps de l’Algérie française finissante, Massu avait été mis sur la touche par de Gaulle et Massu s’était exécuté. Rentrant d’Alger à Paris, il était passé par le bureau du Général. La blague avait couru : “De Gaulle : Alors, Massu, toujours aussi con ? Massu, au garde-à-vous : Toujours gaulliste, mon Général”.) Il n’empêche : de Gaulle avait besoin d’un coup de pied au cul et il alla à Baden ; Massu, bon soldat, s’exécuta, accabla le Président d’exhortations à contre-attaquer, à ne pas céder, à revenir en force, à lancer un nouvel Appel-du-18-juin, lui parlant sur un ton que nul ne peut imaginer d’oser employer avec lui. Il revient le 30 mai, Paris se tait toujours, emporté d’angoisse dans l’attente, paralysé par son absence, des plus ringards aux plus révolutionnaires. Il met son uniforme, il parle, il rassemble un million de Parisiens en deux heures sur les Champs-Élysées, il a gagné. Mai-68 c’est fini, Mai-68 n’a pas dépassé le “joli mois de mai”.

Il regarde passer la foule. “C’est vous qu’ils saluent, mon Général”, lui dit Tricot. Il répond, amer et méprisant : “Ils ont eu la trouille”. On aurait pu lui rétorquer, et à juste titre, et bien mérité : “Et vous, pendant trente jours, qu’avez-vous eu à geindre, à pédaler dans l’impuissance, à disparaître quand on avait besoin de vous ?” Personne ne lui a dit cela. Le Général est ailleurs. Il est dans ces regards qu’on lui voit lancer, à certains moments du film, au plus profond de son désarroi alors que rien ne laisse encore prévoir l’issue du 30 mai, lors de l’une ou l’autre de ses promenades, notamment à ces “jeunes” vautrés sur la pelouse des Champs, devant la grille du jardin de l’Elysée, qui gratouillent leur guitare. Il les regarde et eux le regardent, et les “jeunes” qui lui disent, d’un simple regard justement, qui n’a même pas besoin d’être éclairé par quelque feu divin puisque leur musique, justement, suffit à le dire : “Tu es fini, de Gaulle, tu ne vaux plus rien, c’est nous qui prenons le pouvoir aujourd’hui, qui te prenons la France des mains, pour en faire notre chose. Tu peux rentrer à Colombey faire tes réussites et regarder ce qu’il te reste de ton ‘cher et vieux pays’”.

Curieux, non ? Voilà à quoi j’ai songé, à mesure que se déroulait cette journée du 24 juin, plutôt que suivre les nouvelles que tout le monde connaît depuis longtemps, car qui peut prétendre ignorer que la NSA, qui fait son boulot comme un robot, éclairée par l’éclat des 64 dents superbes du président Obama, aurait laissé passer les ministres français et l’un ou l’autre président ? Et je me disais que se tiennent au pouvoir, aujourd’hui en France, depuis 15-20 ans, les rescapés et les inspirés de mai 68, ceux qui étaient venus dire à de Gaulle, d’un regard et d’une rengaine rock à la sauce hippy, “tire-toi, mec”, ceux qui faisaient la révolution et dont Jouhandeau disait “Dans vingt ans, ils seront notaires”, – ou président-poire, bien entendu, et arrangeurs de “mariages pour tous”… Eh bien voilà, le cœur de ma réflexion, lorsque j’ai vu et entendu toute cette agitation, cette fureur, ces cris de France trahie et qui entend se dresser dans sa pseudo-dignité recousue pour l’occasion, se réaffirmer, taper du poing sur la table, faire sonner pendant quelques heures les mille ans d’histoire et les quarante rois qui vont avec et qu’on n’enseigne plus dans les collèges ; certes, du vent tout cela, du carton-pâte, du simulacre grotesque, effroyablement surjoué, mais aussi l’obligation de figurer, de tenir ce rôle bon gré mal gré, d’en appeler à ces vestiges qu’ils ont eux-mêmes contribués à amasser à grand coups de caillasses dans les rues du Quartier-Latin. Il n’y a pas à dire, hier, ils ont été obligés de nous la jouer “grand Charles”, – mauvais comme des cochons, certes, mais obligés vous entendez ! Obligés de tenir ce rôle. Ca, c’est la victoire du vieil homme qui rit avec les dieux dans son tombeau : il est mort mais faites-lui confiance, il les enterrera tous.

Philippe Grasset

Source : www.dedefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/le-fardeau-du-general/


Tsipras : capitule, capitule pas ?

Friday 10 July 2015 at 11:54

Tiens, les choses évoluent…

Rappel du problème, vu qu’on lit n’importe quoi.

Il y a un désaccord sur la dette entre la Grèce et l’Eurogroupe :

Evidemment, comme l’Eurogroupe ne veut  pas entendre parler de défaut partiel depuis 6 mois.

Là, Tsipras semble avoir accepté à peu près toutes les demandes MAIS il demande toujours sa restructuration.

Donc certes il capitule, mais partiellement, et demande que l’Eurogroupe capitule aussi :

Donc attendons, et voyons s’il y a un accord demain, et ce qu’il sera.

Si la Grèce n’obtient presque rien, Tspiras aura trahi la cause (mais je tiens à rappeler qu’on ignore de quoi nos fous l’ont menacé lui et son pays (Maidan, sort à la Allende, expulsion de la Grèce et blocus économique, etc), sachant aussi que la majorité des Grecs ne veulent pas quitter l’euro

Si la Grèce n’obtient rien, Tsipras aura joué fin politiquement, et aura démontré que la Grèce n’est pour rien dans la rupture, ayant tout accepté – ce qui serait malin.

Bref, on n’en sait rien, à suivre…

Olivier Berruyer

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Grèce : Alexis Tsipras propose une capitulation aux créanciers, par Romaric godin

Le plan proposé au MES par la Grèce ce jeudi 9 juillet ressemble de près au projet du 26 juin. Une victoire posthume du “oui” au référendum qui devra être compensé par une restructuration de la dette.

Alexis Tsipras rend les armes. Ce jeudi 9 juillet à 21 heures, le gouvernement grec a remis au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) un plan de « réformes » détaillé afin d’obtenir un financement de 50 milliards d’euros sur trois ans.

Excédents à réviser ?

Globalement, ce plan (que l’on peut retrouver ici en intégralité) est assez proche du projet du 26 juin, version légèrement modifiée de celle du 25 juin présentée par les créanciers et rejetée par les électeurs grecs le 5 juillet. C’est donc un plan sévère, prévoyant un excédent primaire (avant service de la dette) de 1% en 2015, 2 % en 2016, 3 % en 2017 et 3,5 % en 2018. Mais Athènes précise qu’elle demande à réviser le « chemin » de ces excédents au regard des « récentes développements économiques. »

Les économies proposées

Pour parvenir à ces objectifs, il sera imposé un taux normal de TVA de 23 %, notamment sur les restaurants et un taux réduit de 13 % sur les hôtels, l’alimentation de base et l’énergie. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Concernant les retraites, la proposition grecque prévoit une réduction des dépenses de 0,25 % à 0,5 % du PIB en 2015 et de 1 % du PIB en 2016. L’âge de départ à la retraite sera de 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Le programme prévoit par ailleurs des réformes ambitieuses (mais acceptée par le gouvernement depuis longtemps) de l’administration fiscale, notamment. Les réformes du marché du travail seront mise en place en accord avec les standards de l’OCDE qui sont acceptés par Athènes. Enfin, des hausses de taxes et d’impôts sont prévues : sur les sociétés (de 26 % à 28 %), sur les compagnies maritimes ou le luxe. Davantage de privatisations sont aussi proposés. Les dépenses militaires sont réduites de 100 millions d’euros en 2015 et de 200 millions d’euros en 2016. Moins que ce que demandaient les créanciers. En tout, les mesures s’élèvent à 13 milliards d’euros sur trois ans, soit en moyenne plus que les 8 milliards d’euros de la proposition de Syriza du 22 juin.

Victoire posthume du « oui » ?

Politiquement, la pilule sera difficile à faire accepter par Syriza, le parti au pouvoir. La Vouli se réunira pour voter le texte en procédure d’urgence (jadis honnie par Syriza) vendredi. Le texte proposé ressemble, il est vrai, à une victoire posthume du « oui » puisque le plan légèrement modifié du 25 juin est désormais proposé par Alexis Tsipras. Selon le Guardian, le premier ministre interpréterait ce « non » de dimanche avant tout comme le renouvellement de son mandat, qui le renforcerait dans sa capacité à prendre le « meilleur parti » pour le pays. Or, faute de liquidités, l’économie grecque se meurt rapidement. La situation s’aggrave de jour en jour. Et le premier ministre ne veut pas prendre le risque, ni l’initiative, d’un Grexit. Il doit donc faire des concessions importantes.

Ceci convaincra-t-il la gauche du parti, qui peut représenter 70 des 149 députés de Syriza ? C’est loin d’être sûr. Et déjà, selon Proto Thema, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi. Certes, pour le faire accepter, Alexis Tsipras disposera de quelques atouts : il n’y aurait pas de coupes dans les salaires et (presque pas) dans les retraites, ce qui préserve une importante « ligne rouge » du gouvernement hellénique. Par ailleurs, Alexis Tsipras pourrait tenter de négocier deux concessions importantes dimanche lors du sommet européen.

Un plan d’investissement

La première est un plan d’investissement.  Selon nos informations, Athènes demanderait que le « plan » de 35 milliards d’euros promis par Jean-Claude Juncker, qui n’est en réalité que le déblocage des fonds structurels et agricoles actuellement bloqués par la commission européenne, serait rapidement mis à disposition du pays afin de créer un « choc positif » pour compenser les effets des mesures d’austérité. Ce point est important, car même si ces fonds ne sont pas réellement nouveaux, leur injection rapide et massive offre une possibilité qui n’était pas incluse dans les précédents mémorandums. Mais l’effet macroéconomique de ces fonds et leur capacité à « compenser » les mesures prises sont loin d ‘être acquis.

Question de la dette

La seconde concession serait évidemment une restructuration de la dette à long-terme. Sans cette concession majeure, il semble impossible que Syriza ne se divise pas. Et il n’est pas sûr que le plan grec soit acceptable même pour Alexis Tsipras. Le texte déposé à la Vouli prévoit de rendre la dette “soutenable” après 2022, donc sur la partie due aux Etats européens. Reste à savoir si les créanciers accepteront d’évoquer le sujet. Ce jeudi 9 juillet, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a concédé qu’une restructuration était nécessaire, mais il a prévenu que, selon lui, les traités laissaient peu de marge de manœuvre.

Quelle majorité ?

Bref, il n’est pas certain que le parti suive Alexis Tsipras. La question est désormais de savoir ce qui se passera si ce texte n’est adopté qu’avec les voix des partis du centre et de droite, donc les partis du « oui. » Alexis Tsipras dissoudra-t-il la Vouli ou entrera-t-il en coalition avec ces partis pour former une « union nationale » ? Le premier cas risque de bloquer les négociations et de déclencher le Grexit. Le second serait une victoire politique complète pour Bruxelles et Berlin qui ont ce schéma en tête depuis plusieurs mois (sa première mention date d’avril dernier dans un article du Financial Times). Grâce à l’asphyxie financière du pays, les créanciers auront donc réussi à effacer le résultat politique du référendum du 5 juillet.

Menace du Grexit

Mais il n’est pas certain que ce texte soit accepté par les créanciers. Angela Merkel avait demandé des “efforts supplémentaires” lundi 6 juillet en précisant que le plan devait désormais être plus “dur” qu’avant le référendum. Mais avec une telle proposition qui s’apparente à une capitulation, Alexis Tsipras fait des concessions considérables qui ne sont acceptables que dans le cas d’une révision du stock de dettes. Si les créanciers veulent aussi éviter le Grexit, ils doivent donc désormais faire un geste sur le dossier de la dette. Que fera le premier ministre grec si ce plan ne s’accompagne pas d’un engagement sur la dette ? Nul ne le sait, mais la menace du Grexit n’a pas disparu.

Source : Romaric Godin, La Tribune, 10/07/2015

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TVA, retraites, fiscalité… La quasi-reddition de Tsipras devant les créanciers

Après un ultimatum et les ouvertures de ses créanciers sur la dette, Athènes accepte presque toutes leurs demandes. Décryptage.

Alexis Tsipras, le 8 juillet à Athènes. (Petros Karadjias/AP/SIPA)
Alexis Tsipras, le 8 juillet à Athènes. (Petros Karadjias/AP/SIPA)
Tout ça pour ça ? Après la glorieuse et dangereuse bataille du référendum, Athènes, triomphante, semble déposer les armes. Après avoir rejeté fin juin les propositions de ses créanciers européens, après avoir organisé un vote où le “non” à ces offres l’a emporté à 60%, frôlant la rupture avec ses partenaires de l’Union européenne de la zone euro, le gouvernement grec a fait, jeudi 9 juillet dans la soirée, des contre-propositions de “la dernière chance”. Et elles ressemblent fort à celles qu’il avait rejetées, plongeant alors l’Europe dans le drame.

Dans ce texte de 13 pages intitulé “Actions prioritaires et engagements” [ici en anglais], laGrèce s’engage, afin d’obtenir un financement de sa dette et 50 autres milliards d’euros sur trois ans, à adopter presque toutes les mesures proposées par les créanciers le 26 juin… et qu’Athènes avait alors refusées. Il est à craindre que ce document soit jugé comme “une capitulation” par le puissant courant de la gauche de Syriza, qui, menaçant déjà de ne pas adopter les dernières propositions des créanciers au Parlement, avait précipité le référendum.

Si le Premier ministre Alexis Tsipras a, en grande partie, cédé aux demandes de ses bailleurs de fonds, c’est qu’il était confronté à la perspective, d’ici dimanche, de la faillite et de la sortie de l’euro après un ultimatum des Européens. C’est aussi parce que les créanciers ont fait une ouverture majeure en promettant, – FMI en tête – la restructuration de la colossale dette grecque (plus de 320 milliards d’euros et plus de 170% du PIB) à l’origine de la crise.

Les nouvelles propositions grecques sont d’ailleurs liées au règlement de cette lancinante et fondamentale question de la dette, que les Européens tergiversent à régler. Si Tsipras a reculé, c’est parce qu’il conditionne aussi sa quasi-reddition à l’octroi par les Européens d’un plan de développement et de croissance de 35 milliards d’euros supplémentaires.

Alexis Tsipras n’a donc pas fait tout ça pour rien. Comme il le prévoyait, en demandant de voter “non” pour lui donner “une arme”, le référendum a renforcé sa main face aux créanciers.

TVA, retraites, fiscalité : tout y est

Les propositions grecques envoyées jeudi soir aux créanciers (UE, BCE et FMI) comprennent une hausse de la TVA ainsi que des réformes des retraites et de la fonction publique afin d’augmenter les recettes publiques, en échange d’une aide financière sur trois ans. Plus particulièrement, les nouvelles propositions acceptent “un système unifié des taux de la TVA à 23%, incluant aussi la restauration”, qui jusqu’ici était à 13%.

Mais pour les produits de base, l’électricité et les hôtels, Athènes souhaite que la TVA reste à 13% et à 6% pour les médicaments, livres et places de théâtre. La hausse de la TVA était la principale pomme de discorde entre Athènes et ses créanciers pendant ces derniers mois de longues négociations.

Le gouvernement accepte également la suppression des avantages fiscaux pour les îles (soit la réduction de 30% de la TVA appliquée depuis plusieurs années), à commencer par les îles les plus riches et touristiques, comme le souhaitaient les créanciers. Ce qui pourrait lui poser de sérieux problèmes avec ses alliés, les “Grecs indépendants” (droite souverainiste), qui lui assurent la majorité au Parlement où Syriza n’a que 149 députés sur 300.

Les alliés de Tsipras vont-ils le lâcher ?

Le chef de ce parti, Panos Kammenos, avait juré qu’il n’y aurait pas de hausse de la TVA sur les îles “de son vivant”, menaçant Syriza de rupture. Mais cette suppression a des allures de compromis peut-être acceptable. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Autre avancée du gouvernement de Syriza vers les Européens qui pourrait mettre en danger son étrange alliance anti-austérité avec le conservateur Panos Kammenos, ministre de la défense : la réduction des dépenses en matière militaire, de 300 millions d’euros d’ici à la fin 2016 (moins 100 millions d’euros en 2015 et 200 millions d’euros en 2016). C’est moins que ce que demandaient les créanciers (400 millions), mais plus que ce qu’exigeait Panos Kammenos qui avait fait du maintien du budget de son ministère “une ligne rouge”.

Autre concession qui devrait faire bondir l’aile gauche de Syriza, le gouvernement d’Alexis Tsipras accepte la relance des privatisations, de réduire la hausse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés de 26 à 28%, comme le voulait les Européens. Sur le dossier aussi ultra-sensible des retraites, Syriza propose un compromis, tout en acceptant l’essentiel des demandes des créanciers. L’âge de départ à la retraite sera relevé progressivement à 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Abattre le “triangle de la corruption”

Enfin, alors que le parti de la gauche radicale grecque avait juré de s’attaquer à son ennemi juré, “le triangle de la corruption”, les oligarques aux tendances monopolistiques, il n’avait pas fait de propositions. Cette fois, le gouvernement de Syriza promet d’introduire “en collaboration avec l’OCDE, de nouvelles réformes pour anéantir les cartels dans le commerce de gros, le secteur du bâtiment, l’e-commerce, les médias”.

Les Européens, alliés objectifs de la gauche radicale grecque dans ce combat pour une économie de marché fonctionnelle et concurrentielle, avaient été déçus par ce manque. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, avait estimé dans une interview aux “Echos” fin juin qu’il fallait “lever les rigidités de l’économie grecque, les barrières tarifaires, les rentes qui entravent l’activité et pèsent sur le pouvoir d’achat de salariés à qui on a demandé un gros effort.”

L’exécutif grec n’a jamais mis ces questions au cœur des discussions”, avait-il regretté, “et cela a été une vraie déception de la part d’un gouvernement dont tout laissait à penser qu’il serait très engagé dans la lutte contre les rentes.”

Rien ne garantit que le plan grec, qui doit encore faire l’objet de négociations finales avant la fin du week-end, puisse réunir une majorité au Parlement. Déjà, selon Proto Thema, cité par “la Tribune”, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche de Syriza, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi.

La fronde peut l’emporter, surtout si les créanciers ne prennent pas dans l’accord final d’engagements fermes et substantiels sur la réduction de la dette, qui pourraient séduire même les plus durs des députés de la majorité au pouvoir. Une fois de plus, balancé entre ses créanciers vexés et sa majorité rétive, Alexis Tsipras apparaît comme un funambule sur une corde raide, qui devra faire preuve de tous ses talents d’équilibriste pour ne pas tomber.

Source : Jean-Baptiste Naudet, L’Obs, 10/7/2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/tsipras-capitule-capitule-pas/


[J-2] Dramatisation, capitulation, rupture, par Jacques Sapir

Friday 10 July 2015 at 05:06

Nous serons fixés dimanche 12 juillet sur le sort réservé à la Grèce. Mais, il est possible de faire quelques remarques sur la situation actuelle, et en particulier sur sa « dramatisation », dont aujourd’hui les médias, en France comme Grèce, jouent largement. Cette dramatisation obéit à un rôle politique évident, alors que Jean-Claude Juncker a, une nouvelle fois, reçu à Bruxelles les responsables de deux partis d’opposition (Nouvelle Démocratie et To Potami), montrant ainsi le peu de cas qu’il faisait de la démocratie, alors que ces deux partis ont été vaincus lors du référendum du 5 juillet. Les autorités européennes jouent de cette dramatisation pour tenter de regagner le terrain qu’elles ont perdu à la suite de la massive victoire du « non » au référendum. Mais, cette dramatisation pourrait aussi servir à justifier une « capitulation » du gouvernement Tsipras, capitulation qui cependant le mettrait en difficulté devant l’ampleur du succès obtenu par le « non » au référendum. Il est clair que si le gouvernement grec acceptait en fin de compte l’inacceptable, soit les conditions léonines mises par l’Eurogroupe, et l’on comprend les raisons qui pourraient le pousser à le faire sans pour autant les accepter, il aurait quelques difficultés à faire ratifier cet accord devant le Parlement grec, sans le soutien de l’opposition. Disons le, cette capitulation, même présentée comme un « moindre mal » devant la paralysie qui gagne chaque jour un peu plus l’économie grecque, serait une capitulation devant les oligarchies européennes et grecques.

Pourtant, il y a bien une alternative à la capitulation, mais cette alternative aujourd’hui doit prendre des formes radicales.

La crise bancaire grecque

La crise bancaire grecque est largement le produit de l’action de la Banque Centrale Européenne qui a dans un premier temps limité son soutien puis dans un deuxième temps commencé à déprécier les collatéraux offert par les banques commerciales grecques. Cette crise est moins liée au contrôle des capitaux qu’à la raréfaction des liquidités dans l’économie grecque. Or, une économie moderne ne peut fonctionner sans liquidités. De fait, la Grèce se trouve dans la situation d’une entreprise solvable (elle réalise un excédent primaire) mais illiquide.

La solution face à cette déstabilisation programmée de l’économie et de la société grecque par l’institution monétaire chargée d’assurer la stabilité monétaire peut prendre deux formes. La première, qui est la plus radicale, consisterait en une réquisition de laBank of Greece (la Banque Centrale). Cette solution permettrait de libérer les réserves de billets détenues tant à la Banque Centrale que sous le contrôle de la Banque Centrale dans les banques commerciales. La seconde solution passe par l’émission par le Ministère des finances de reconnaissance de dette qui seraient acceptées comme des titres de paiement par l’ensemble des administrations publiques. Que ce doit dans la première ou dans la seconde solution, la Grèce resterait formellement dans la zone Euro. Les reconnaissances de dette mises en circulation seraient bien entendu libellées en Euro.

Mais, il faut aussi comprendre que ces solutions rapprocheraient un peu plus la Grèce de la sortie de l’Euro. Si elle opère une réquisition, la BCE pourra prétendre que les traités ont été violés. Ils l’ont été, en réalité, du fait de l’action même de la BCE, ce qui est aujourd’hui clairement établi. Il ne faut cependant avoir aucun doute que, tant à la BCE qu’à l’Eurogroupe, on estimerait que ceci correspondrait à une rupture totale. Si la Grèce met en circulation des reconnaissances de dette, ces dernières subiront une décote, qui pourrait être d’autant plus importante qu’il n’y aurait nulle Banque Centrale pour en garantir la valeur. Dès lors, on ne manquerait pas de considérer ces « euros » émis par le Ministère des finances comme une deuxième monnaie, et la décote aurait valeur de préfiguration de celle d’une drachme que l’on ne manquerait pas, assez rapidement, de rétablir. En réalité, on peut douter que ces reconnaissances de dette soient réellementreprésentatives d’une nouvelle monnaie, adossée sur une véritable Banque Centrale. Quand on regarde la balance commerciale et la balance courante de la Grèce, on voit que si le pays devait retrouver sa monnaie, la dépréciation serait limitée par rapport à l’Euro, entre -20% et -25%. Mais, la dépréciation des reconnaissances de dette pourrait, quant à elle, atteindre -50% en raison de la limitation et des spécificités de la circulation à partir du Ministère des finances.

En fait, vouloir régler une crise de liquidité sans un contrôle sur la Banque Centrale est non seulement une ineptie mais encore une ineptie dangereuse. Quitte à devoir sortir de l’Euro, il vaut beaucoup mieux le faire de manière directe. C’est pourquoi, en réalité, la seule solution viable face à la déstabilisation actuelle et à la crise de liquidité n’est pas l’émission de reconnaissances de dette mais bien la réquisition de la Banque Centrale, mais aussi, très probablement, des principales banques commerciales. Ici, on voit que la solution en apparence la plus radicale constitue la solution la plus raisonnable. C’est l’une des caractéristiques des situations de crise.

Le gouvernement d’Alexis Tsipras devra se décider vite, et certainement d’ici le lundi 13 juillet.

Une sortie de l’Euro

On l’a dit, cette réquisition serait probablement le prétexte pour les autorités européennes pour acter l’expulsion hors de la zone Euro de la Grèce. Pour autant, ces autorités auraient un gros problème à régler. En effet, le gouvernement grec devrait affirmer sa volonté de faire un défaut total sur sa dette, au cas où il serait expulsé de la zone Euro. De toutes les manières, un défaut est nécessaire. La dette grecque, depuis 2010, a été essentiellement émise en droit « non grec ». C’est une différence fondamentale avec la situation de pays comme la France et l’Italie. La lex monetae ne pourrait alors pas s’appliquer. Il faudrait donc nécessairement procéder à un défaut sur au-moins 50% de la dette. Mais, si le défaut devait s’avérer total (ou atteindre à la fin des fins 80% de la valeur nominale de la dette), les conséquences pour les créditeurs ne seraient pas négligeables, surtout si on ajoute à ce défaut le poids des dettes dans le système de la BCE et les comptes Target2.

Encours de dette par pays, en milliards d’euros

Total bilatéral + FESF + MES Eurosystème (incluant Target2) Total
Allemagne 63,5 31,1 94,6
France 47,9 24,4 72,3
Italie 42,0 21,3 63,3
Espagne 28,3 15,3 43,6
Pays-Bas 13,5 6,9 20,4
Belgique 8,1 4,3 12,4
Autriche 6,7 3,4 10,1
Finlande 4,4 2,2 6,6
Slovaquie 1,9 1,3 3,2
Portugal 1,8 3,2 5,0
Slovénie 0,9 0,6 1,5
Irlande 0,8 2,0 2,8
Estonie 0,5 0,3 0,8
Malte 0,3 0,1 0,4
Chypre 0,2 0,3 0,5
Total 220,8 116,7 337,5

Sources : BCE et Eurostat

La Grèce serait alors en bonne position pour négocier des conditions qui feraient de cette expulsion une sortie négociée (certes « ex post » et non « ex ante »). Ceci mettrait la Grèce dans de bonnes conditions pour retrouver une forte croissance. Elle pourrait utiliser une partie de l’excédent primaire pour faire les investissements dont elle a besoin d’urgence. De plus, avec une dépréciation de -20% à -25%, la Grèce redeviendrait extrêmement attractive pour les capitaux étrangers, que ce soit dans l’industrie (avec la réparation navale), l’agriculture ou le tourisme.

Il y a, à l’évidence, une vie hors de l’Euro, et une vie après un défaut. L’important est de savoir l’organiser au plus vite. Ce que la Grèce ne peut supporter par contre c’est la poursuite d’une situation sans issue, aggravée aujourd’hui par une crise complète des liquidités organisée par la BCE.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 9 juillet 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/j-2-dramatisation-capitulation-rupture-par-jacques-sapir/


Mario Draghi et le Saint Graal, par Frances Coppola

Friday 10 July 2015 at 01:56

En réponse à un commentaire sur mon post récent relatif à Target2 et à l’ELA (Emergency Liquidity Assistance), j’avais dit ceci :

Il n’y a pas “d’euros grecs” ou “d’euros allemands”. Il y a seulement des euros européens. Donc, la BCE n’échange pas des euros grecs et des euros allemands à parité. Les deux pays utilisent la même monnaie, laquelle est produite par l’Euro-système. Les banques centrales nationales ne sont  pas des entités autonomes, ce sont des parties de l’Euro-système. Elles ne créent pas leur propre monnaie : collectivement, elles créent la monnaie unique.

C’est ainsi que fonctionne une monnaie unique. S’il y a plusieurs “banques centrales” dans une zone dotée d’une monnaie unique – comme c’est le cas aux États-Unis par exemple – elles ne produisent pas leur propre monnaie. La Réserve Fédérale de Saint-Louis ne produit pas des dollars Saint-Louis. Elle produit des dollars américains. De même pour la Réserve Fédérale de Minneapolis, pour celle de New York, pour celle d’Atlanta et ainsi de suite. Les douze banques qui constituent la Réserve Fédérale produisent ensemble une monnaie unique, le dollar américain.

Donc, la personne qui soutenait que les euros grecs et allemands sont échangés à parité par la BCE, et que ce n’est pas le bon prix, avait tort, n’est-ce pas ?

Si l’euro était réellement une monnaie unique, elle aurait eu tort. Et c’était l’hypothèse retenue dans ma réponse.

Mais à la réflexion, il y a quelque chose qui cloche. La structure de l’Euro-système n’est pas celle d’une monnaie unique. Aucune autre zone monétaire n’a de “banques centrales” individuelles pour chacun de ses états membres. Les États-Unis ont douze banques pour leur Réserve Fédérale, pas cinquante. Le Royaume-Uni, sans doute la plus vieille et la plus stable union monétaire, compte quatre “états membres” mais n’a qu’une seule banque centrale, en dépit du fait que deux de ses états membres produisent leurs propres billets de banque. Une monnaie unique n’a pas besoin d’une “banque centrale” pour chacun des états membres, mais un système à taux de change fixe, oui. L’Euro-système est construit comme si l’Euro-zone utilisait un système à taux de change fixe, pas une monnaie unique.

Dans une monnaie unique, la provenance des billets de banque est sans importance. Les États-Unis ne marquent pas leurs billets de banque avec l’identifiant de l’état émetteur. Au Royaume-Uni, les billets écossais sont différents des billets en livres sterling, mais ils constituent vraiment une monnaie parallèle liée à parité à la livre et associée à des réserves équivalentes de livres sterling physiques, dans une sorte d’arrangement de caisse d’émission [NdT : cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Caisse_d%27%C3%A9mission]. Mais les billets en euros sont marqués de leur monnaie d’origine. Une fois de plus, ce n’est pas ce que l’on attendrait d’une véritable monnaie unique.

La construction de Target2 reflète la structure de l’Euro-système. Target2 enregistre les balances des débits et des crédits entre les différentes “banques centrales nationales” de l’Euro-système. Il fait payer des intérêts sur les débits et paie des intérêts sur les crédits (quoique en ce moment les taux d’intérêts sur les crédits soient en fait négatifs). Cet arrangement est franchement bizarre. L’intérêt est créé par l’une des entités de l’Euro-système puis transféré à une autre. Il n’entre ni ne sort de l’Euro-système : il s’agit simplement d’une création et d’un mouvement de réserves à l’intérieur du système. C’est, en bref, un seigneuriage. Les entités de l’Euro-système débitrices créent des intérêts et les paient à la BCE : les entités créditrices de l’Euro-système reçoivent des intérêts de la BCE. Parce que dans un système fermé les débits et les crédits doivent s’équilibrer, l’effet net est que les entités débitrices de l’Euro-système créent et transfèrent des réserves aux entités créditrices de l’Euro-système. Mais tout ceci n’est que monnaie irréelle. Les “banques centrales nationales” de l’Euro-système ne sont pas indépendantes, et ne sont pas non plus représentatives des états membres : ce sont simplement des ramifications de l’Euro-système. Et à l’intérieur de Target2, elles n’ont même aucune réalité. Ce sont juste des représentations de la structure de l’Euro-système. Les paiements d’intérêts sont symboliques. De même que les balances.

Mais pour Hans Werner Sinn, les balances de Target2 ne sont pas symboliques. Elles sont des dettes réelles entre les états membres de l’Euro-zone. Et les intérêts payés sont réels. Donc un pays quittant l’Euro-zone doit équilibrer sa balance Target2 par un véritable transfert d’euros obtenus par l’impôt ou par l’emprunt souverain.

Le point de vue de Sinn reçoit un large soutien, bien qu’il affaiblisse sérieusement le concept de l’euro en tant que monnaie unique. Mais il y a un problème encore plus important – et qui a été identifié non pas par Sinn mais par la personne qui probablement a le plus à perdre d’un effondrement de l’euro – Mario Draghi.

Il m’a fallu un moment pour cerner ce qui n’allait pas dans cette affirmation tirée d’un discours de Draghi à Helsinki en novembre 2014 (c’est moi qui souligne) :

… si certains membres de la zone euro sont pénalisés par leur appartenance à l’union monétaire, des doutes peuvent naître sur leur éventuelle sortie. Et si un pays peut quitter l’union monétaire, cela constitue un précédent pour tous les pays. Cela affecterait la fongibilité de la monnaie, car les dépôts bancaires et autres contrats financiers comporteraient un risque de redénomination dans chaque pays.

Il ne s’agit pas de considérations théoriques, nous avons tous vu de très près comment les craintes d’une sortie de l’euro ou d’une redénomination ont fragmenté nos économies, et à quels coûts considérables en termes de bien-être et d’emploi.

Il s’impose donc clairement que la réussite de l’union monétaire dans un pays dépend de sa réussite dans tous les pays. L’euro est – et doit être – irrévocable dans tous les pays participants, pas uniquement parce que les traités le veulent ainsi, mais parce que c’est la condition sine qua non de l’existence d’une monnaie véritablement unique.

A première vue, cela ressemble à un appel à un engagement en faveur de la monnaie unique. Mais attendez, Draghi dit, en fait, qu’une monnaie unique authentique ne peut pas s’adapter à des changements dans la constitution du groupe de ses adhérents. Ce n’est pas vrai.

En 1922, l’Irlande du Sud a quitté le Royaume-Uni, devenant d’abord l’état irlandais libre et plus tard la République d’Irlande. Elle a adopté sa propre monnaie, la livre irlandaise, en 1928. A aucun moment il n’est apparu à quiconque que l’adoption par l’Irlande de sa propre monnaie menacerait l’existence de la livre sterling. D’ailleurs, la livre sterling a continué d’être utilisée dans l’Irlande indépendante aux côtés de sa propre monnaie.

L’année dernière, l’Écosse a organisé un référendum sur le maintien ou non dans le Royaume-Uni. Elle a choisi le maintien avec une majorité faible. La livre sterling était en fait un sujet à controverse du référendum, mais pas parce que le retrait de l’Écosse de l’union aurait menacé son existence. Même ceux qui prétendaient que le départ de l’Écosse signifierait la fin du Royaume-Uni, et même ceux qui disaient que le départ de l’Écosse serait inévitablement suivi par celui du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord, n’ont pas dit pas que la livre sterling cesserait d’exister. Au contraire. Les défenseurs passionnés de l’indépendance écossaise revendiquaient la livre sterling comme leur et ont demandé à la partager avec le reste du Royaume-Uni une fois l’indépendance acquise. Étant donné que le reste du Royaume-Uni n’avait pas son mot à dire lors de ce référendum (et était, à juste titre, fortement sceptique sur des accords d’union monétaire dans le style de l’Euro-zone), la demande a été rejetée sans surprise par le gouvernement britannique.

Au cours du “divorce de velours” entre la République Tchèque et la Slovaquie, les deux parties ont finalement choisi une nouvelle monnaie. Mais ceci est inhabituel. Le plus souvent, lorsque des zones monétaires se défont, l’état dominant conserve la monnaie unique : par exemple le rouble – qui était la monnaie de l’Union Soviétique – demeure la monnaie de la Russie. Les véritables monnaies uniques peuvent changer leur allégeance mais ne disparaissent pas. Elles traversent l’histoire, les habitudes et surtout elles sont préservées par l’identité. Le rouble est la monnaie de la Russie depuis très longtemps : les pays satellites vont et viennent, mais la monnaie demeure un symbole de l’identité russe.

Dans un entretien intéressant avec la revue Jacobin, l’économiste et député grec Costas Lapavitsas – parlant de la crise grecque – dit que la monnaie d’un pays est intimement liée à l’identité de son peuple.

Cette crise démontre indiscutablement que la monnaie est bien plus qu’un phénomène économique. Fondamentalement, bien sûr, c’est un phénomène économique. Mais elle est bien plus que cela. Elle a de nombreuses dimensions sociales et l’une d’elles, cruciale, est celle de l’identité.

La monnaie est, pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’évoquer maintenant mais que je développe dans mes travaux, associée aux croyances, aux coutumes, aux manières de penser, à l’idéologie et à l’identité. La monnaie devient l’identité plus que le capitalisme.

Il ajoute que pour les états périphériques, être membre de l’Euro est bien plus qu’une simple question de monnaie. C’est une signe d’appartenance – d’acceptation comme membre à part entière d’un club important et prospère nommé “Europe”.

Les gens doivent se rendre compte que, pour les Grecs, rejoindre l’union monétaire et utiliser la même monnaie que le reste de l’Europe occidentale était aussi un bond en avant dans l’identité. Dans la conscience populaire, et étant donnée l’histoire de la Grèce, ce mouvement avait permis aux Grecs de se croire devenus “de vrais européens”. Pour un petit pays des confins sud des Balkans, qui avait eu une histoire très agitée, pendant la période ottomane et ce qui avait suivi, c’était une chose très, très importante.

Cette attitude ne se limite pas à la Grèce. Lorsque j’ai écrit récemment sur la Lettonie, j’ai été frappé de voir combien l’adhésion à l’euro était perçue comme une sorte de Saint Graal – une merveilleuse récompense à gagner par des épreuves et des privations. Pour les Lettons, comme pour les Grecs, l’adhésion à l’euro était un symbole d’intégration à cette grande fraternité appelée Europe, en laissant derrière eux l’héritage terrible du passé soviétique. Qu’en acceptant l’euro ils aient une fois de plus abandonné leur souveraineté semble leur avoir échappé.

Le drame, c’est que “l’identité européenne” qui attire tant les Grecs aussi bien que les Lettons n’existe pas. C’est vrai, elle peut se développer – après tout, l’Amérique a réussi à se forger une identité commune à partir d’un ensemble d’états en guerre et hétérogènes. Mais l’Europe a 3000 ans de conflits et d’effusions de sang à surmonter, y compris les deux plus terribles guerres de l’histoire de la planète et quelques unes des pires atrocités. La crainte d’une autre guerre ne peux pas gommer les différences profondes de culture, de coutumes et d’identité entre les pays d’Europe, et en fait en leur sein. Et s’enfermer dans une monnaie artificielle qui n’a aucun fondement historique ne va pas créer une identité européenne. Comme on l’a vu trop fréquemment ces dernières années, lorsqu’une crise frappe, la solidarité européenne s’évapore comme la rosée matinale. L’identité européenne n’est qu’un ami des beaux jours.

L’euro est fondé sur des mensonges. Il prétend promouvoir l’unité européenne alors qu’il crée et entretient les divisions et la méfiance. Il prétend préserver la souveraineté, mais pour assurer sa survie il demande à ses états membres de renoncer à contrôler leur économie et, de plus en plus, leur politique. Il prétend apporter la prospérité, mais il ne lègue que la dépression.

Et parce qu’il est fondé sur des mensonges, il est fragile. Draghi a raison quand il dit que si un pays sort de l’euro, d’autres peuvent suivre, et que cela peut mener au démantèlement de l’ensemble. Mais cela ne vient pas du fait que l’adhésion irrévocable serait une caractéristique nécessaire d’une monnaie unique. Il est clair qu’elle ne l’est pas : dans d’autres unions monétaires, les états membres vont et viennent, mais la monnaie survit. Non, l’adhésion irrévocable est nécessaire parce que l’Euro n’est PAS une monnaie unique. Il lui manque les fondations de l’histoire, des coutumes, de l’identité et de la confiance qui caractérisent les monnaies uniques authentiques. Et sa construction institutionnelle est celle d’un système à taux de change fixes, pas une monnaie unique. Nous avons vu en 1992 comment les systèmes à taux de change fixes peuvent se défaire lorsqu’un membre part

Au moment où j’écris, il y a beaucoup de discussions pour savoir si la Grèce va quitter l’Euro. Et alors que le défaut de paiement approche et qu’aucun accord n’est trouvé, la crainte se répand de la Grèce à d’autres pays. Si la Grèce fait défaut et part, qu’adviendra-t-il du Portugal ? de l’Espagne ? de l’Italie ?

Nous avons joué ce scénario auparavant. Il s’appelle “la contagion”. On nous avait dit que cela n’arriverait plus : la BCE dispose d’une batterie outils financiers pour protéger les autres pays de l’Euro-zone des effets d’un désastre grec, et les banques ont été remises en ordre. Il semble que les marchés pensent différemment. Les marchés financiers baissent, les rendements obligataires s’envolent dans les pays environnants, les investissements commerciaux s’effondrent… La contagion est de retour, à un degré extrême.

La fin à la panique boursière qui menaçait de détruire l’euro en 2012 est largement attribuée à Draghi. “Nous ferons tout ce qui est nécessaire”, disait-il. Les acteurs du marché en ont déduit que la BCE agirait comme un véritable prêteur en dernier recours, et cela a été confirmé par le programme OMT. Alors pourquoi aujourd’hui les marchés paniquent-ils encore ?

Je ne pense pas que Draghi soit autant qu’on l’a dit l’auteur de l’apaisement après la panique de 2012. Ce qui a vraiment apaisé les marchés, c’est que personne n’a quitté l’Euro. La Grèce a été sauvée. Encore. Et c’était suffisant pour donner l’assurance aux marchés que l’Euro ne se disloquerait pas. Mais aujourd’hui nous sommes revenus à la situation d’avant la restructuration de 2012. La dette grecque s’élève à 180% du PIB, son excédent primaire part en fumée et elle a un gouvernement de gauche peu coopératif et belliqueux qui refuse de faire ce que les créanciers veulent. Le défaut de paiement et la sortie grecs sont une fois encore à l’ordre du jour, et cette fois-ci les marchés doutent de plus en plus d’un sauvetage. Si elle part, d’autres pourraient bien suivre…

D’après moi, la Grèce aurait dû partir il y a longtemps – en fait elle n’aurait jamais dû intégrer l’Euro. Nous savons que la Grèce a menti pour être admise dans l’Euro. Mais de la même manière, on lui a menti. On lui a promis un avenir doré. À la place, elle a obtenu une compétitivité détruite, une dette insoutenable et une récession sévère et durable. Le problème est que pour une économie aussi endommagée, quitter l’Euro maintenant serait très douloureux. Et plus important, pour le moment le peuple grec ne semble pas vouloir le quitter. Je peux parfaitement le comprendre, étant donné la charge émotionnelle que l’adhésion à l’Euro semble contenir aux yeux des pays environnants. Un départ volontaire serait un aveu d’échec : être expulsé serait pire encore.

Ainsi, bien que je pense qu’à long terme la Grèce serait mieux hors de l’Euro, je respecte la volonté de sa population de s’accrocher à son rêve. Un départ unilatéral n’est pas la solution – pas plus que de pousser la Grèce dehors, car cela ne ferait que disloquer l’Euro encore plus rapidement (Allemagne, es-tu à l’écoute ?). Mettre fin à l’Euro proprement est la chose à faire.

Mais cela n’arrivera pas tant que la population continuera à croire qu’il va leur apporter la prospérité. D’une certaine façon, il faut gratter le vernis de l’Euro. C’est du toc.

Image de Monty Pithon et le Saint Graal, manifestement.

Source : Coppola Comment, le 18/06/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

 

Source: http://www.les-crises.fr/mario-draghi-et-le-saint-graal-par-frances-coppola/


Responsabilité pour soutien abusif : elle ne concerne pas uniquement le banquier !

Friday 10 July 2015 at 01:00

Un petit rappel juridique toujours utile…

L’action en responsabilité pour soutien abusif vise à sanctionner les établissements bancaires qui continuent à soutenir ou financer une entreprise tout en sachant que sa situation et sa viabilité est irrémédiablement compromise.

En continuant à la soutenir, lui accorder des crédits, la banque crée une sorte de « survie artificielle » de l’entreprise. Elle induit les tiers en erreur sur la réalité de la situation de l’entreprise puisque ces derniers sont amenés à croire que sa situation est saine et donc à lui faire confiance.

Le législateur a estimé que la responsabilité du banquier devait, dans ce cas précis, être recherchée pour indemniser les préjudices subis du fait de cette apparence trompeuse.

L’action en soutien abusif suppose une faute de la banque, l’existence d’un préjudice subi par exemple par un fournisseur de l’entreprise défaillante, ainsi qu’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

Le plus souvent, la faute du banquier consistera à fournir du crédit à l’entreprise alors qu’il savait que sa situation était irrémédiablement compromise.

Dans certains cas cependant, la responsabilité pour soutien abusif peut viser d’autres personnes que la banque qui finance l’activité de l’entreprise.

C’est ainsi que la jurisprudence considère que certains fournisseurs ou clients de l’entreprise peuvent également voir leur responsabilité engagée lorsque, par leur attitude, ils soutiennent abusivement l’activité d’une entreprise dont ils savent qu’elle est irrémédiablement compromise.

Tel est le cas dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 octobre 2012.



Cour de cassation, chambre commerciale,
16 octobre 2012, n° 11-22993
(pdf | 4 p. | 172 Ko)

Il s’agissait en l’espèce d’une maison d’édition qui avait passé un contrat de diffusion et de distribution avec une entreprise, placée par la suite, en liquidation judiciaire.

Le liquidateur de l’entreprise assigne en responsabilité pour soutien abusif cette maison d’édition au motif qu’elle a consenti à sa cliente des délais de paiement et autorisé un paiement par compensation.

La Cour de cassation rappelle à cette occasion :

A condition, bien entendu, de prouver que ce dernier connaissait la situation irrémédiablement compromise du débiteur et que le fait de lui accorder des délais de paiement est à l’origine du préjudice subi par les autres créanciers de l’entreprise.

Autrement dit, qu’en accordant des délais de paiement supplémentaires, le fournisseur a créé une apparence de solvabilité de l’entreprise en difficulté, qui a eu pour effet de laisser croire aux tiers que celle-ci était saine.

Cette décision indique clairement que l’action en responsabilité pour soutien abusif ne vise pas seulement les banques mais tous ceux dont l’attitude est susceptible d’amener les tiers à maintenir leur confiance envers l’entreprise qui est irrémédiablement condamnée.

Source : Sophie Valazza, juriste, pour Editions Tissot, le 27 novembre 2012.

Source: http://www.les-crises.fr/responsabilite-pour-soutien-abusif-elle-ne-concerne-pas-uniquement-le-banquier/


[Point Grèce] Grexit et Parlement européen

Thursday 9 July 2015 at 10:54

Pourquoi la Grèce n’a pas intérêt à négocier le Grexit

si la Grèce refuse la sortie de la zone euro, mais y est contrainte de facto, elle espère pouvoir imposer une redénomination de sa dette en nouvelle monnaie. En effet, Athènes pourra prétendre qu'on l'a « contrainte » à changer de monnaie. Dans ce cas, comment exiger de la Grèce qu'elle remboursât en devises sa dette ?

Si la Grèce refuse la sortie de la zone euro, mais y est contrainte de facto, elle espère pouvoir imposer une redénomination de sa dette en nouvelle monnaie. En effet, Athènes pourra prétendre qu’on l’a « contrainte » à changer de monnaie. Dans ce cas, comment exiger de la Grèce qu’elle remboursât en devises sa dette ?

La sortie de la Grèce de la zone euro devient un scénario de plus en plus probable. Mais qui appuiera sur la gâchette ? La réponse à cette question n’est pas seulement rhétorique, mais aura aussi des conséquences légales.

Le Grexit est-il inéluctable ? Ce mercredi 8 juillet, rien n’est joué. La Grèce joue son rôle de bon élève. Elle a transmis une demande officielle de soutien de 50 milliards d’euros au Mécanisme européen de Stabilité (MES) pour une durée de trois ans. Mardi soir, le Conseil européen a demandé à Athènes de lui proposer un plan de « réformes ». La Commission a précisé que ce plan devra arriver à Bruxelles avant jeudi, minuit. S’il est validé, ce plan permettra de débloquer un financement relais, puis de débloquer les fonds du MES. Dans ce cas, la BCE pourrait alors rétablir pleinement le pays dans la zone euro en redonnant de l’air aux banques. Et la Grèce resterait dans l’euro, pour l’instant du moins.

Sans accord dimanche, le Grexit inévitable

Mais si ce n’est pas le cas ? Si le énième plan grec ne convient pas, alors les créanciers européens semblent décider à lâcher la Grèce. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a parlé de « dernière chance. » Ce mercredi matin, le gouverneur de la Banque de France a prévenu que sans espoir d’un accord politique, le robinet de l’ELA (fourniture de liquidité d’urgence) sera coupé. Dès lors, la Grèce n’aura plus accès au moindre euro. Une telle option, si elle n’est pas encore sûre, est loin d’être exclue. Mardi soir, Angela Merkel a prévenu qu’elle souhaitait des conditions plus dures que celles prévues dans les propositions rejetées par le peuple grec le 5 juillet. Ceci ressemble à une punition du peuple grec pour son « mauvais » vote de dimanche. Punition, on le comprend, a priori difficilement acceptable par le gouvernement hellénique.

Une austérité acceptée à Athènes

Il est malaisé de dire à la lecture de la lettre du ministre des Finances grec Euclide Tsakalotos si cette exigence allemande sera respectée. Le texte fait par de la volonté de prendre des « mesures fiscales et des mesures sur les retraites » dès la semaine prochaine, mais sans fournir de détails. Et Alexis Tsipras pourrait faire avaler la pilule d’un plan sévère à son peuple. Après tout, depuis le « non » de dimanche, il est devenu incontournable en Grèce. N’ayant plus guère d’adversaire à sa hauteur, il peut prétendre que ce nouveau mémorandum permettra de réaliser les réformes véritables que les Grecs attendent : la destruction du clientélisme et l’amélioration de l’efficacité de l’Etat. Il peut aussi expliquer que c’est le prix à payer pour rester dans l’euro, ce que souhaite encore l’immense majorité des Grecs.

La volonté grecque de discuter de la dette

Ceci serait peut-être acceptable – non sans mal cependant – si le gouvernement obtenait un engagement ferme à ouvrir des discussions sur la restructuration de la dette. Ce sera là sans doute l’argument suffisant pour faire voter un plan drastique à la Vouli, le parlement grec. Et c’est sans doute sur ce point que se jouera le Grexit. Dans sa demande au MES, Euclide Tsakalotos a indiqué que la « Grèce salue une opportunité (« welcomes an opportunity ») d’explorer d’éventuelles mesures à prendre pour que la dette publique devienne soutenable et viable sur le long terme. » Un texte certes assez vague, mais qui prouve la détermination grecque à aborder cette question dans le cadre du plan du MES.

Le refus de la restructuration des créanciers

Or, aucun créancier ne veut aborder ce point. Jean-Claude Juncker a évoqué une vague promesse d’ouvrir les discussions sur la dette en octobre, une fois les réformes engagées. Mais cette promesse ne saurait satisfaire Athènes. Elle serait encore moins engageante que celle de novembre 2012 qui n’a pas été respectée. Surtout, la probabilité du respect de cette promesse est très faible. Ce mercredi, un porte-parole du ministère allemand des Finances a expliqué que Berlin « n‘était prêt ni à une décote classique sur la dette, ni à un reprofilage », donc à une révision du taux d’intérêt et de la maturité de la dette. Bref, le gouvernement allemand préfère prendre le risque de perdre tout que de négocier la dette. Et cela rend désormais très difficile un accord.

Sortie négociée ?

Dès lors, la question du Grexit doit s’accompagner d’une autre interrogation : celle de la forme que prendra ce Grexit qui, rappelons-le, n’est pas prévu par les traités. Depuis mardi soir, un scénario circule dans les cercles européens : en cas d’échec des négociations, les créanciers européens pourraient proposer à la Grèce une « sortie négociée » de la zone euro, moyennant une aide financière. Ce scénario permettrait de traiter de tous les sujets qui fâchent et de solder la question grecque en Europe. Mais comment négocier un Grexit ? La réponse la plus simple serait le recours à l’article 50 du traité de fonctionnement de l’UE (TFUE) qui permet de négocier la sortie de l’UE d’un pays… à sa demande. Or, il est pratiquement impossible que la Grèce accepte une telle procédure.

Un Grexit « par nécessité », le choix d’Athènes ?

Pourquoi ? D’abord parce que, en Grèce, personne ne veut quitter la zone euro, encore moins l’Union européenne. Alexis Tsipras ne cesse de le marteler et il n’acceptera pas de négocier cette sortie. Dans ce cas, une expulsion sous la pression de la BCE peut lui sembler un meilleur choix, politiquement, mais pas seulement. Si, en effet, la Grèce ne prend aucune initiative pour sortir de la zone euro, mais est contrainte de modifier sa monnaie par la force de la nécessité, parce qu’elle n’a plus accès à l’euro, elle n’aura aucune raison de quitter l’UE. Elle pourra même toujours prétendre alors être membre de la zone euro, temporairement incapable d’utiliser cette monnaie. Une sorte de « mise entre parenthèse » qui peut durer longtemps, mais qui aura l’avantage de préserver l’adhésion à l’UE et les promesses d’Alexis Tsipras.

Vide juridique

La Grèce profiterait alors d’un vide juridique : les traités ne prévoient pas ce cas : que faire, lorsque toutes les banques d’un pays sont inéligibles au financement de la BCE ? Or, c’est précisément ce qui est sur le point d’arriver en Grèce. Faute d’euros, les entreprises commencent à échanger des bons ayant une valeur monétaire de facto (ce que l’on appelle des « scrips »). Pour éviter que l’économie ne sombre, le gouvernement pourrait nationaliser les banques, émettre des créances ayant valeur monétaire et réquisitionner la banque centrale. C’est un plan évoqué, selon The Telegraph, par le cabinet grec. Tout ceci est interdit par les traités, mais nécessité faisant loi, Athènes peut prétendre y être contraint par la décision de la BCE de couper l’ELA.

Des sanctions contre la Grèce ?

Comment réagira alors l’UE ? Sanctionner la Grèce ne sera pas simple. Il faudra avoir recours en effet à l’article 7 du traité de l’Union européenne qui permet de suspendre d’un certain nombre de droits les Etats membres lorsqu’est avérée « l’existence d’une violation grave et persistante » des « valeurs européennes » énoncées à l’article 2. Or, ces valeurs ne sont pas économiques, mais politiques. Donc, l’article 7 est inutilisable. Quand bien même il le serait, il faut l’unanimité du Conseil pour imposer une sanction. Or, la Grèce a un atout : Chypre. Si le gouvernement chypriote n’a guère de sympathie pour celui d’Athènes, on voit mal Nicosie sanctionner le « grand frère » grec au nom de l’hellénisme. Bref, la Grèce a toutes les raisons de ne pas quitter l’UE. Et donc de ne pas négocier sa sortie.

Redénominer la dette grecque

De plus, si la Grèce refuse la sortie de la zone euro, mais y est contrainte de facto, elle espère pouvoir imposer une redénomination de sa dette en nouvelle monnaie. En effet, Athènes pourra prétendre qu’on l’a « contrainte » à changer de monnaie. Dans ce cas, comment exiger de la Grèce qu’elle remboursât en devises sa dette ? Ceci risque évidemment de conduire également à un combat juridique sévère, les créanciers voyant dans cette redénomination un défaut. Mais, là encore, ce serait un moyen pour la Grèce de prétendre être dans son droit et de ne pas cesser les paiements. De plus, le maintien dans l’UE rendront les sanctions économiques des créanciers à l’égard de la Grèce très difficiles. Imposer un embargo et des saisies envers un Etat membre de l’UE sera-t-il possible ? Il y aura là sans doute de quoi plaider. Et donc gagner du temps.

Tenter l’accord jusqu’au bout

En conséquence, la Grèce a tout intérêt à ne pas négocier sa sortie et à se laisser expulser. Aussi le gouvernement grec est-il très soucieux de montrer jusqu’au bout sa détermination à trouver un accord. Il va donc sans doute jeudi faire de nouvelles concessions et respecter autant qu’il le peut les procédures. Son but va être de ne pas pouvoir être accusé de déclencher le Grexit. Il va donc laisser les créanciers le pousser vers une sortie qu’il pourrait ne pas accepter, tout en en tirant profit le plus possible.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 8 juillet 2015.


TSIPRAS au Parlement européen

Alexis Tsipras est venu présenter la position du gouvernement grec devant la Parlement européen, réuni en séance plénière, ce 8 juillet. Le débat a été, à tout le moins, instructif. On commencera par noter l’air plus que gêné du Président du PE, l’Allemand (SPD) Martin Schulz, qui avait appelé ces derniers jours à ce que le gouvernement Tsipras soit renversé et remplacé par un « gouvernement de technocrates pour en finir avec l’ère Syriza »[1]. Il avait comme un petit air barbouillé, le Schulz… Il est clair que la démocratie passe plus mal que le café servi au PE (qui est pourtant TRES, TRES mauvais)…

On présente ici un florilège, non exhaustif (et que ceux que je ne cite pas, car ils furent trop nombreux, m’en excusent), des déclarations qui ont suivies ce discours.

Des discours à charge

Pour Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne c’était donc « une erreur de quitter la table des négociations». Rappelons que le Ministre grec des finances, M. Varoufakis, n’a nullement quitté de son plein grès la table des négociations mais en a été expulsé par M. Dijssenlbloem, le Président de l’Eurogroupe. M. Juncker ajoute : « Si nous ne les avions pas suspendues, nous serions parvenus à un accord». Ah, certes, si Monsieur de Lapalisse n’était point mort, il serait encore en vie…Et si Dijsselbloem n’avait pas expulsé Varoufakis peut-être que la négociation aurait continué…Juncker ajoute ensuite : «…je me suis toujours dressé contre les coupes budgétaires dans les niveaux de pension qui affecteraient les plus pauvres». La lecture des comptes rendus des réunions, quand ils ont été rédigés, n’indique pas exactement cela. Il faudrait peut-être moins boire pour conserver une mémoire claire et précise…

Le représentant du PPE (Parti Populaire Européen), M. Manfred Weber, n’a pas, lui non plus, mégoté sur les mensonges. Que l’on en juge : «Vous engagez la provocation, nous engageons le compromis. Vous cherchez l’échec, nous sommes à la recherche de la réussite. Vous n’aimez pas l’Europe, nous aimons l’Europe». Trois mensonges en trois phrases, c’est un exploit. Le gouvernement grec, représenté tant par Alexis Tsipras que par Yanis Varoufakis, a constamment (et on pourrait même le lui reprocher) cherché des compromis. La recherche d’une solution a été constante, mais pas à n’importe quel prix. Et ce prix, M. Weber, le connaît fort bien : c’est un plan de restructuration de la dette, dont même le FMI a récemment déclaré qu’il était absolument nécessaire. Quant à l’Europe, si M. Weber l’aime, c’est à la manière d’un dominant dans un couple Sadomasochiste. Il ne conçoit l’amour qu’au fouet, à la schlague.

Le représentant du groupe Social-démocrate européen (le PSE), M. Gianni Pittella a quant à lui déclaré : « C’est maintenant au gouvernement de décider des réformes, de soutenir l’emploi, de combattre la corruption, l’évasion fiscale… Toutes ces mesures qui sont nécessaire non pas parce que l’Europe les imposerait, mais parce qu’elles bénéficieraient aux citoyens grecs». C’est intéressant, parce que les mesures présentées par le gouvernement grec contre la corruption et l’évasion fiscale ont été rejetées par l’Eurogroupe. Décidément, la mémoire fait défaut à bien des membres du Parlement Européen. Il faudrait faire une alcoolémie et des tests de détection de drogues avant de commencer les séances. De même, peut-il vraiment croire que de nouvelles réductions de salaires, la baisse des pensions pour les plus pauvres, vont soutenir l’emploi ? M. Pitella a des visions d’éléphants roses. Je ne sais s’il se « saoule à l’hydromel/ Pour mieux parler de virilité/A des mémères décorées/Comme des arbres de Noël » comme le chantait l’immortel Jacques Brel[2], mais des éléphants roses, il en voit certainement.

Cependant, il y a eu mieux (ou pire). Guy Verhofstadt, député belge du groupe libéral, l’homme qui exerce en même temps 11 autres mandats (excusez du peu, il arrive au 4èmerang des cumulards), s’est ainsi permis de dire : «Depuis cinq ans, nous avons avancé en état de somnambulisme vers un Grexit avec l’aide et le soutien de l’extrême droite». Si la situation avance vers le « Grexit », ne vaudrait-il pas mieux en chercher les coupables parmi ceux qui ont organisé, ou plus exactement ont bâclé, les deux premiers plans d’aide à la Grèce ? Que vient donc faire « l’extrême-droite » dans cette affaire ? Que l’on sache, ce n’est pas l’extrême-droite qui a les commandes en Europe, ou à la BCE. Une sortie de la Grèce de la zone Euro pourrait s’imposer si on ne veut consentir à ce pays tant la restructuration de la dette dont il a besoin, qu’un plan d’investissements sur plusieurs années qui lui permettrait de retrouver une compétitivité suffisante pour rester dans la zone Euro. Ce sont des réalités que tous les économistes connaissent. Y mêler un fantasme sur l’extrême-droite (et d’ailleurs laquelle ; Aube Dorée ?) n’a aucun sens. On a l’impression que si une prise de sang avait été faite sur M. Verhofstadt on aurait trouvé l’hémoglobine à l’état de trace dans sa bière. Quant à Rebecca Harms, députée verte allemande du groupe  Les Verts/Alliance libre européenne, elle s’est adressée à Alexis Tsipras en disant qu’elle attendait des idées concrètes pour mettre en place des réformes. En d’autres termes elle a refusé de prendre en compte tout ce que le gouvernement grec a proposé depuis le mois de février dernier comme réformes. Cela donne une bonne idée de sa connaissance du dossier…Elle a ensuite ajouté que « la démocratie et Poutine ne vont pas ensemble ». Outre que c’est assez discutable, on ne voit pas trop ce que cela faisait dans ce débat. Ou plutôt si, on le comprend. En associant le nom de Tsipras à celui de Poutine, considéré comme le Diable en personne par certains, on comprend qu’elle entend discréditer le Premier-ministre grec, pourtant conforté par un référendum qu’il a gagné à plus de 61% des suffrages. C’est la même méthode utilisée par BéHachEl, ainsi que MM. Quatremer et Leparmentier, dont il paraît qu’ils sont journalistes, et qui n’ont eu de cesse de faire circuler de fausses informations, comme celle d’une alliance entre Syriza et le parti d’extrême-droite Aube Dorée. On voit que ces méthodes manipulatoires ont cours dans et hors l’hémicycle du Parlement Européen. Bref, Madame Harms a donné dans le registre de la môme vert et même vert-de-gris.

L’honneur du Parlement

Mias, le discours d’Alexis Tsipras a donné lieu à d’autres réactions, qui ont sauvé l’honneur du Parlement européen. On citera donc, sur un mode plus élogieux, Ryszard Legutko, député polonais du groupe conservateur et réformateur européen : «Qui et quoi tentons-nous de sauver ? L’union monétaire, la société grecque, la crédibilité du gouvernement, les créanciers, la réputation d’Angela Merkel ou l’infaillibilité d’une union toujours plus étroite ?». C’est bien l’une des questions posées. Car, ce qui est en cause va au-delà du simple cas grec. Ce député a eu au moins le courage de dire les choses et de nommer certains des obstacles et en particulier L’union monétaire, la réputation d’Angela Merkel et l’infaillibilité d’une union toujours plus étroite. Nigel Farage, le député britannique de UKIP et représentant du groupe ELD2, a quant à lui critiqué l’introduction de l’euro : «Si vous essayez de rassembler de force des personnes différentes ou des économies différentes sans d’abord demander à ces personnes leur consentement, il est peu probable que cela fonctionne. Le projet a échoué ». C’est bien là l’une des causes de la crise grecque. La chute des recettes dans la période 2004-2009 correspond aussi à la période de surévaluation de l’Euro qui a touché durement une économie qui ne fait que 35% de ses échanges avec la zone Euro.

De même, la députée allemande Gabriele Zimmer (Die Linke) du groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique a eu raison d’insister sur la nécessité de « Trouver des solutions qui sont durables et qui perdureront… »

On laissera le mot de la fin à Alexis Tsipras. Il a rappelé que la Grèce avait fait, bel et bien, des propositions de réformes et que, sur certains points, elle était même allée plus loin que ce que demandait l’Eurogroupe. Il a souligné que son gouvernement avait sévèrement réprimé l’évasion fiscale. Il a enfin dit que : «(nos) propositions incluent un engagement fort pour atteindre les objectifs budgétaires. Pourtant, nous avons un droit souverain de décider d’augmenter l’imposition sur les entreprises à but lucratif, et non sur les retraites». Alexis Tsipras a également rappelé à ceux qui l’auraient oublié que l’Allemagne avait vu en 1953, 60 % de sa dette effacée. Il aurait pu dire que l’Allemagne avait fait 6 fois défaut sur sa dette depuis 1848.

Le mot de la fin est revenu à Alexis Tsipras qui a conclu sur une citation de Sophocle : «Il y a des moments où la plus grande loi de toutes les lois humaines est la justice pour les êtres humains ».

[1] http://fr.sputniknews.com/international/20150702/1016824871.html

[2] http://www.chartsinfrance.net/Jacques-Brel/id-100203254.html

Source: http://www.les-crises.fr/point-grece-grexit-et-parlement-europeen/


Le crépuscule d’une époque, par Frédéric Lordon

Thursday 9 July 2015 at 10:10

C’est une photo comme il y en a des milliers, certaines sympathiques, d’autres grotesques : un selfie. Deux ahuris font un selfie, regards béats et satisfaits. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ils sont visiblement très contents de leur coup, « on va le mettre sur Twitter pour les faire chier ». Arnaud Leparmentier et Jean Quatremer. On est jeudi 2 juillet, jour de manifestation de solidarité avec le peuple grec. Il y a une légende à la photo : « Ça va Bastille ? Nous on est rive gauche ».

En fait, oui, ça va, pas mal même. Et vous ?

***
Une victoire électorale, fut-elle massive, n’a par soi aucun vrai pouvoir de dessillement du camp d’en face, ni d’endiguement des contre-vérités. On n’attendra donc pas des deux ahuris au selfie qu’ils renoncent à leurs scies préférées : « les contribuables européens ne veulent pas payer pour les fonctionnaires grecs » ; « et si la Grèce fait défaut, ce sont les retraités slovaques et allemands qui paieront pour eux » — soit le bon sens à front de bœuf.

Les contribuables européens ne payent pas pour les fonctionnaires grecs. Ils payent pour les épargnants européens. Car c’est une tuyauterie financière désormais entièrement circulaire qui prête aux Grecs pour qu’ils remboursent les créanciers — de ces euros-là qui circulent sous leur nez, les Grecs ne voient pas la couleur. Les contribuables européens ont d’abord payé pour la reprise publique des titres grecs détenus par les banques privées — un grand classique. Maintenant ils payent directement pour eux-mêmes — enfin certains pour d’autres. On progresse…

Ils payent surtout en conséquence une des plus colossales erreurs de politique économique de l’histoire, inscrite il est vrai dans les traités européens et engendrée de leur fonctionnement quasi-automatique : forcer le retour vers les 3 %-60 % en pleine récession, a conduit à la destruction d’une économie, ni plus ni moins : 25 % de PIB en moins, 25 % de taux de chômage, tout le monde connaît ces chiffres qui sont désormais entrés dans l’histoire. Le plus étonnant, mais en réalité c’est un signe d’époque, c’est l’incapacité de ces données pourtant massives, données d’une faillite intellectuelle écrasante, à désarmer l’acharnement et déclencher le moindre processus cognitif de révision. Leparmentier et Quatremer continueront donc soit de soutenir que les traités n’y sont pour rien, soit de maintenir qu’il s’agissait de la seule politique possible, soit d’assurer que pour notre bonheur ça n’était pas seulement la seule possible mais la meilleure. Soit de regarder ailleurs — les fonctionnaires grecs. Autisme et quasi-racisme (car il faut voir ce que depuis 2010 ces deux-là auront déversé sur « le Grec »). Bellicisme aussi d’une certaine manière, pour ceux qui n’ont que « l’Europe de la paix » à la bouche mais s’acharnent à jeter les uns contre les autres Grecs et « Européens » (les autres) — « contribuables européens » contre « fonctionnaires grecs », ou quand l’aveuglement idéologique n’hésite plus à répandre la discorde pour se donner libre cours : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame au fonctionnaire grec. Eh bien non : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame à ses gouvernants qui, « en son nom », ont pris la décision éclairée de le charger pour sauver les banques, et puis de charger la Grèce en s’adonnant à la passion macroéconomique des traités.

En matière de passions, Leparmentier et Quatremer n’ont pas que celle des contribuables : celle des retraités aussi (pourvu qu’ils ne soient pas grecs).« Qu’est-ce que vous dites aux retraités de Bavière si la Grèce ne rembourse pas ? » demande Leparmentier à Piketty qui répond à base de grande conférence sur la dette en Europe [1]. On pourrait répondre aussi que si les Bavarois avaient une retraite entièrement par répartition, cette question n’aurait même pas lieu d’être. On pourrait répondre que c’est bien ce qui arrive quand depuis des décennies on fait le choix de faire passer le financement de toutes les activités sociales — retraites, études universitaires, bientôt santé, etc. — par les marchés de capitaux, ce fléau voué à toutes les catastrophes. Et que, là encore, ça n’est pas « aux Grecs », mais à tous les gouvernants qui ont pris ce parti de la financiarisation qu’il faut s’adresser. Ou bien accepter que la retraite confiée aux marchés, ça fait… comme les marchés : ça va, ça vient, un mauvais investissement et c’est le bouillon. On pourrait d’ailleurs, et enfin, répondre qu’on n’a pas le souvenir d’avoir vu Leparmentier prendre fait et cause pour les retraités de la capitalisation lorsque les marchés d’actions se sont effondrés au début des années 2000, et toute la finance dans un bel ensemble en 2007-2008, au passage pour des pertes autrement considérables que celles qui suivraient d’un défaut grec — mais il est vrai qu’il n’y avait alors ni fonctionnaires grecs ni gouvernement de gauche à incriminer.

***
Et maintenant que peut-il se passer ? L’« alternative de la table » est-elle dépassée si peu que ce soit ?

De 2005 à 2015, si l’on fait bien les comptes, on jouit une fois tous les dix ans. C’est bon à proportion de ce que c’est rare — avouons les choses, imaginer la tête des ahuris au selfie (et de tous leurs semblables) est spécialement délectable. Mais tout ceci n’implique pas de céder complètement à l’ivresse. Il n’y a rien de significatif à gagner dans la négociation avec la troïka. Le scénario le plus avantageux est donc celui d’une reprise de négociation d’où sortiront quelques concessions de second ordre — diminution de la décimale du surplus primaire exigé, licence laissée au gouvernement grec d’organiser l’ajustement budgétaire comme il l’entend (et non sous la menue dictée de la troïka), promesse éventuelle d’une discussion sur la restructuration de la dette (en étant vraiment très optimiste).

C’est qu’il y a des raisons sérieuses à ce que rien de plus ne puisse être obtenu. On les connaît. L’Allemagne en fait partie. Qu’entre Sigmar Gabriel et Martin Schulz, la réaction du Parti social démocrate (SPD) ait été encore plus violente que celle d’Angela Merkel pourrait peut-être finir par faire apercevoir de quoi il y va vraiment dans la position allemande. Les principes d’orthodoxie dont l’Allemagne a exigé l’inscription dans les traités sont l’expression d’une croyance monétaire transpartisane et pour ainsi dire métapolitique – en amont des différenciations politiques. Elle n’est pas une affaire d’« idéologie politique » au sens ordinaire du terme, c’est-à-dire de quelque chose qui ouvrirait la perspective d’un retournement possible à échéance électorale, mais une construction symbolique de longue période qui donne leur cadre commun aux alternances.

C’est dire combien la thèse de l’« Allemagne de Merkel », cette argutie de raccroc pour tous les Bernard Guetta, faux appel à la patience d’une future « Europe social-démocrate » [2] quand le débris qu’est la social-démocratie européenne est entièrement passé à droite, c’est dire combien cette thèse était promise — par bêtise ou par cécité volontaire ? — à ne rien comprendre à ce qui se passe en Europe, et surtout à ce qui ne pourra jamais s’y passer, en tout cas dans sa configuration actuelle.

Ce qui ne pourra jamais s’y passer c’est qu’un pays, qui plus est du Sud, prétende s’être soustrait aux principes — le thème récurrent de tout le commentaire allemand sur la Grèce, c’est la règle enfreinte. Que cette règle ne convienne qu’à l’Allemagne, qu’elle soit la sienne même, que partout ailleurs ou presque son application forcenée ait tourné à l’un des plus grands désastres économiques de l’histoire européenne, rien de ceci ne produira le moindre bougé — et jusque dans les autres pays, notamment la France, en état de stupéfaction fusionnelle avec l’Allemagne, hommes politiques pour qui le « couple franco-allemand » est devenu un intouchable fétiche auquel tout sera aveuglément sacrifié, experts ressassant le catéchisme ordolibéral (dont même les économistes américains se tapent sur les cuisses qu’on puisse être bête à ce point de le prendre au sérieux), éditorialisme du gramophone.

C’est bien ici en tout cas que s’avèrera la malfaçon européenne. Le peuple allemand vit à sa manière la chose monétaire. C’est son droit le plus absolu. Mais il a choisi d’imposer sa manière à tous les autres. Et les problèmes ne pouvaient qu’apparaître. Après cinq ans d’épuisement, et même de persécution économique, le peuple grec vient de dire que cette manière, il n’en voulait plus. Ce sera donc manière contre manière, et voilà pourquoi l’« alternative de la table » se trouve reconduite à l’identique — aux concessions cosmétiques près dont on fait les communiqués de victoire des deux bords.

Il ne faut pas douter en effet de la réponse que donnerait l’électorat allemand s’il était consulté, sans doute d’autres avec lui, mais lui tout spécialement. Au lendemain du « non » grec, les incompatibilités européennes sont maintenant aiguisées à un point qui réduit à très peu l’espace des compromis, et ne permet plus du tout d’exclure par exemple que le Parlement allemand, écrasante majorité sociale réunie derrière lui, rejette tout nouvel accord de l’Eurogroupe. Le référendum de Tsipras avait évidemment (aussi) à voir avec la préservation de sa coalition. Le refus de Merkel procédera des mêmes mobiles – auxquels il n’y a pas grand-chose à redire : à un certain moment les hommes politiques sont rappelés aux nécessités de leur politique nationale, celle qui les a mis là où ils sont.

Comme toujours la chasse aux lièvres sera ouverte et l’on verra le commentaire se précipiter avec passion sur toutes les fausses pistes : l’irresponsabilité des uns, l’égoïsme des autres, le défaut de solidarité de tous. Soit le fléau du moralisme. Car le moralisme est bien cette pensée indigente qui rapporte tout aux qualités morales des acteurs sans jamais voir ni les structures ni les rapports : rapports de force, de convenance ou de disconvenance, de compatibilité et de viabilité. On ne compose une totalité collective viable que si l’on met ensemble des parties qui entretiennent entre elles des rapports de compatibilité minimale. Et si cette compatibilité tombe sous un certain seuil critique, alors la totalité — tautologiquement — court à la décomposition. Le rapport entre la croyance monétaire allemande et les blocs d’affects de certains autres peuples européens est en train d’atteindre ce seuil. L’incompatibilité, restée masquée tant qu’un environnement macroéconomique pas trop défavorable permettait de tenir à peu près les objectifs, était vouée à devenir criante au premier point de crise sérieuse. Depuis 2009, nous y sommes.

Le droit des Allemands de ne pas vouloir voir enfreintes les règles auxquelles ils tiennent par-dessus tout est finalement aussi légitime que celui des Grecs à ne pas être précipités aux tréfonds de la misère quand on les leur applique. C’est donc d’avoir imaginé faire tenir ensemble durablement ces deux droits sans penser aux conditions où ils pourraient devenir violemment antagonistes qui était une mauvaise idée. Ou alors il faut disposer des institutions qui rendent un peu plus compatibles les incompatibles, par exemple une union de transfert, sous la forme d’une (très significative) assurance-chômage européenne — le rapiéçage minimal quand, par ailleurs, tant de lourds problèmes demeureraient. Ceci en tout cas n’a rien d’une question de morale, c’est une question de structures, capables ou non d’accommoder des forces politiques centrifuges au sein d’un ensemble mal construit, et menacé d’une perte complète de viabilité pour n’avoir pensé aucune régulation de la divergence. Si l’Allemagne ne veut pas entendre parler d’annulation d’une (part de) dette qui ne peut qu’être annulée, il s’en suivra logiquement l’éclatement de la zone euro.

Et par tous les bouts. Car il ne faut pas s’y tromper : si d’aventure il se formait une coalition d’Etats-membres pour soutenir cette annulation, et plus généralement une réforme d’ampleur des principes monétaires de la zone, c’est l’Allemagne, éventuellement accompagnée de quelques semblables, qui menacerait de prendre le large, au nom de la défense de ses irréfragables principes — Gerxit et non Grexit, l’hypothèse constamment oubliée.

***
Il ne faut donc pas se tromper dans l’appréciation de la portée de l’événementoχi. Il est des plus que douteux que le gouvernement Syriza obtienne davantage que des concessions marginales — dont il lui appartiendra de faire comme il peut une présentation triomphale… Mais ça n’est pas ainsi qu’il faut juger de l’événement, car c’est un ébranlement d’une tout autre sorte qui s’est produit dimanche 5 juillet. L’ébranlement d’un peuple entier entré en rébellion contre les institutions européennes. Et l’annonce d’un crépuscule — donc aussi d’une aube à venir.

Ce qui s’est trouvé enfin condamné et appelé à l’effacement historique sous cette poussée d’un peuple, c’est une époque et ses hommes. Nous allons enfin entrer dans l’agonie de l’économicisme, cette dégénérescence de la politique, une vocation à la non-politique qui, comme de juste, ne cesse pas de faire de la politique — de même que la « fin des idéologies » est le dernier degré de l’idéologie —, mais de la pire des façons, au tréfonds d’un mélange de mensonge et d’inconscience. Seuls de grands cyniques étaient capables de voir que le règne gestionnaire, la réduction économiciste de tout, qui se targuent de préférer l’administration des choses au gouvernement des hommes, comme l’auront répété en boucle tout ce que le néolibéralisme a compté d’idiots utiles, seuls de grands cyniques, donc, étaient capables de voir qu’il y avait dans cette profession de foi anti-politique la plus sournoise des politiques.

Quitte à être du mauvais côté de la domination, il faut regretter qu’il n’y ait pas plus de cyniques. Eux au moins réfléchissent et ne se racontent pas d’histoires — ni à nous. On leur doit l’estime d’une forme d’intelligence. Mais quand les cyniques manquent ce sont les imbéciles qui prolifèrent. Le néolibéralisme aura été leur triomphe : ils ont été partout. Et d’abord au sommet. Une génération d’hommes politiques non-politiques. Le pouvoir à une génération d’imbéciles, incapables de penser, et bien sûr de faire de la politique. Le gouvernement par les ratios est le seul horizon de leur politique. On comprend mieux le fétichisme numérologique qui s’est emparé de toute la construction européenne sous leur conduite éclairée : 3 % [3], 60 %, 2 %. Voilà le résumé de « l’Europe ». On comprend que ces gens soient réduits à la perplexité d’une poule devant un démonte-pneu quand survient quelque chose de vraiment politique — un référendum par exemple. La perplexité et la panique en fait : la résurgence des forces déniées est un insupportable retour du refoulé. Qu’il y ait des passions politiques, que la politique soit affaire de passions, cela n’était pas prévu dans le tableur à ratios. Aussi observent-ils, interdits, les événements vraiment politiques : la quasi-sécession écossaise, les menaces équivalentes de la Flandre ou de la Catalogne — le sursaut grec, évidemment. Le choc de l’étrangeté est d’ailleurs tellement violent qu’ils s’efforcent spontanément de le recouvrir. Comme la guerre de Troie, les référendums n’ont pas eu lieu.

En une tragique prédestination à l’échec, c’est à cette génération qu’a été remise la construction européenne. On lui aura dû cette performance, appelée à entrer dans l’histoire, d’une monnaie unique sans construction politique — catastrophe intellectuelle typique de l’économicisme qui croit à la souveraineté de l’économie, et pense que les choses économiques tiennent d’elles-mêmes. Même leur réveil tardif, et brutal, est aussi pathétique que le sommeil épais d’où il les tire : « il faut une Europe politique ! » Mais le pyjama est de travers, le cheveu en bataille et les idées encore un peu grumeleuses. C’est qu’il ne suffit pas d’en appeler à une Europe politique pour qu’ipso facto elle advienne. La formation des communautés politiques n’est pas un jeu de Meccano. Comment fait-on vivre ensemble des idiosyncrasies hétérogènes ? Par quelles formes institutionnelles peut-on espérer réduire leurs incompatibilités ex ante ? Quelles sont les contraintes d’une économie générale de la souveraineté ? Quelles sont les conditions de possibilité d’acceptation de la loi de la majorité ? Sont-elles nécessairement remplies ? Et dans le cas présent ? Tiens, on va aller poser toutes ces questions à Michel Sapin.

Comme un symptôme du degré ultime de soumission à l’ordre des choses qu’aura incarné la « social-démocratie », c’est en effet au Parti socialiste qu’on trouve les plus beaux spécimens de la catastrophe : Sapin donc, mais aussi Macron, Valls, Moscovici, et bien sûr, primus inter pares, Hollande. Les figures ahuries du gouvernement des ratios et, en temps de grande crise, les poules dans une forêt de démonte-pneu. Un cauchemar de poules. Il faut les regarder tourner ces pauvres bêtes, désorientées, hagardes et incomprenantes, au sens étymologique du terme stupides. Tout leur échappe. D’abord il y a belle lurette que les ratios ont explosé à dache, mais la vague angoisse qui les gagne leur fait bien sentir que c’est plus grave que ça : ça pourrait ne plus être une affaire de ratios… La pensée par ratios risque de ne plus suffire. Il faudrait refaire « cette chose… » : de la politique. « Mais comment faire ? Nous ne savons pas ».

On le sait qu’ils ne savent pas. Le pire, d’ailleurs, c’est quand ils font comme s’ils savaient. Qu’ils s’essayent à la « vision ». « Il faut que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires », voilà la pensée des ratios dans son effort de « prendre de la hauteur ». Les ratios en hauteur, ça donne ça : la vision civilisationnelle d’Emmanuel Macron. Voici les gens que nous mandatons pour nous conduire. Mais où peuvent-ils nous emmener si ce n’est au désastre — civilisationnel, précisément ? Comment imaginer que l’Europe à tête de bulot ait pu aller ailleurs qu’au naufrage ? Quelqu’un depuis vingt ans a-t-il éprouvé le moindre tremblement à un discours européiste ? Senti le moindre souffle ? Peut-on composer une épopée autre que grotesque lorsqu’on met bout à bout les odes à l’Europe sociale d’Elisabeth Guigou et de Martine Aubry, les bafouillements de Jacques Delors, les chuintements de Jean-Claude Juncker, les hystéries de Cohn-Bendit, les commercialismes de Lamy, les fulgurances charismatiques de Moscovici, et tant d’autres remarquables contributions à la chronique d’un désastre annoncé ? La vérité est qu’il suffisait de les écouter, ou plutôt de tendre l’oreille, en fait de percevoir l’absence de toute vibration, pour se pénétrer de la certitude de l’échec : une entreprise historique conduite par des gens de cette étoffe ne pouvait qu’échouer.

Il ne faut pas faire acception de cas singuliers : c’est bien une génération entière qui est en cause. La génération du néolibéralisme. Les autres pays ont les leurs, les mêmes : Barroso, Renzi, Monti, Zapatero, Verhofstadt, etc., tous ont été formés dans la même matrice, la matrice d’une époque. Comment l’économicisme néolibéral qui est une gigantesque dénégation du politique ne pouvait-il pas engendrer sa génération d’hommes politiques ignorants de la politique ? « Abandonnez ces sottises, regardez les ratios, ils ne sont ni de droite ni de gauche », on ne compte plus les décérébrés qui, répétant cet adage, auront cru s’affranchir de la politique, en faisant la pire des politiques : la politique qui s’ignore.

Et ceux-là auront été partout, pas seulement sous les lambris. Car c’est tout un bloc hégémonique qui aura communié dans la même éclipse. A commencer par ses intellectuels organiques, si vraiment on peut les appeler des intellectuels puisque, de même qu’il a fait dégénérer les hommes politiques, le néolibéralisme n’a produit que des formes dégénérées d’intellectuels : les experts. Et forcément : l’économicisme néolibéral ne pouvait se donner d’autres « intellectuels » que des économistes. Les dits think tanks auront été la fabrique de l’intellectuel devenu ingénieur-système. A la République des Idéesc’était même un projet : en finir avec les pitres à chemise échancrée, désormais le sérieux des chiffres — la branche universitaire de la pensée des ratios.

Et derrière eux toute la cohorte des perruches — les journalistes. Fascinés par le pseudo-savoir économique auquel ils n’ont aucun accès de première main, ils ont gravement répété la nécessité de commandements économiques auxquels ils ne comprennent rien — de la même manière, on peut le parier, que, têtes vides, ils se la laisseront remplir par le nouvel air du temps et soutiendront exactement l’inverse dès que les vents auront tourné.

Il faut déjà les imaginer perturbés et angoissés par le conflit renaissant des autorités, comme des enfants devant la dispute des parents. Car on entend des économistes dissonants — si ce ne sont que des hétérodoxes, ça n’est pas trop grave. Mais il y a aussi ces prix Nobel qui disent autre chose — c’est tout de même plus sérieux. Pire encore, de l’intérieur même de la curie, du dissensus se fait entendre : des économistes du FMI suggèrent mezza voce qu’il aurait pu y avoir quelques erreurs… du FMI, une sombre histoire de multiplicateur [4], mais on comprend bien que l’édifice doctrinal n’était pas, comme on le croyait, en marbre de Carrare. Que le monde ait été plongé en plein chaos en 2008, que des pays européens se tapent des descentes façon Grande Dépression années trente, non, cela ne pouvait avoir aucun effet sur les perruches, tant que la volière restait bien arrimée : ouvrir les yeux pour s’interroger ne sert à rien puisqu’il suffit d’écouter les réponses qui font autorité. Mais quand l’autorité commence à se craqueler, et que le clou menace de céder ?…

Pour l’heure il tient encore. On dépayse la volière et les perruches prennent le chemin d’Aix-en-Provence, où l’on va se réchauffer, et se rassurer, entre soi. On reviendra dûment regonflé en répétant les éléments de langage avec d’autant plus de conviction qu’ils ne sont pas reçus comme des éléments de langage mais comme des évidences qui parlent d’elles-mêmes : réforme, ne-pas-dépenser-plus-qu’on-ne-gagne (enfin-c’est-élémentaire), la-dette-qu’on-va-laisser-à-nos-enfants. Et puis pour les plus doués, ceux qui sont en classe supérieure : archéo-keynésianisme. C’est Emmanuel Macron qui le dit, et comme nous l’avons vu, c’est quelqu’un. Evidemment la perruche ignore cette phrase de Keynes, à qui ce serait faire insulte que de le mettre en simple comparaison avec Macron, cette phrase qui dit qu’il n’est pas de dirigeant politique qui ne soit l’esclave qui s’ignore d’un économiste du passé. C’est peu dire que Macron fait partie de ces esclaves inconscients et ravis. Et pour cause : il ne connaît même pas son maître. On va le lui indiquer. Son maître s’appelle Pigou. Une espèce d’Aghion de l’époque qui a si bien plaidé la cause de l’ajustement par les marchés que Hoover, Brünning et Laval ont dans un bel ensemble précipité leurs économies dans l’effondrement de la Grande Dépression. Emmanuel Macron, qui a appris à l’ENA l’économie dans la même version que son président l’histoire — pour les Nuls — ronronne de contentement en s’entendant dire« archéo-keynesien ». Et les perruches caquètent de joie tout autour. Le problème c’est qu’il est, lui, paléo-libéral. Et qu’il ajoute son nom à la série historique des années trente.

Et puis il y a l’élite : les twittos à selfie. Même au milieu des ruines fumantes de l’Europe effondrée, eux ne lâcheront rien : ce sera toujours la faute à autre chose, les Grecs feignants, les rouges-bruns, la bêtise des peuples, l’erreur, quand même il faut le dire, de trop de démocratie. Mais tous les systèmes ont leurs irréductibles acharnés et leurs obturés du jusqu’au bout.

Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. Il se pourrait que ce soit cette époque à laquelle le référendum grec aura porté un coup fatal. Comme on sait, il faut un moment entre le coup de hache décisif et le fracas de l’arbre qui s’abat. Mais toutes les fibres commencent déjà à craquer. Maintenant il faut pousser, pousser c’est-à-dire refaire de la politique intensément puisque c’est la chose dont ils ignorent tout et que c’est par elle qu’on les renversera.

L’histoire nous livre un enseignement précieux : c’est qu’elle a des poubelles. Il y a des poubelles de l’histoire. Et c’est bien. On y met les époques faillies, les générations calamiteuses, les élites insuffisantes, bref les encombrants à oublier. Alors tous ensemble, voilà ce qu’il faudrait que nous fassions : faire la tournée des rebuts, remplir la benne, et prendre le chemin de la décharge.

Notes

[1] Thomas Piketty, « Ceux qui cherchent le Grexit sont de dangereux apprentis-sorciers », Le Monde, 4 juillet 2015.

[2] Bernard Guetta, « De l’urgence de savoir défendre l’Europe », Libération, 26 février 2013.

[3] Cf. « La règle des 3 % de déficit est née sur un coin de table », Le Monde diplomatique,octobre 2014.

[4] Olivier Blanchard et Daniel Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers » (PDF),IMF Working Paper, janvier 2013.

Source : Frédéric Lordon, pour La Pompe à Phynance, le 7 juillet 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-crepuscule-dune-epoque-par-frederic-lordon/