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La catastrophe euro, par Paul Krugman

Friday 26 September 2014 at 02:18

« L’euro, une catastrophe »

Blog New York Times, 21 août 2014
Paul Krugman

Matt O’Brien fait remarquer que l’Europe va plus mal aujourd’hui que pendant la Grande Dépression. Pendant ce temps François Hollande – dont la pusillanimité et l’empressement à adopter une politique d’austérité voue à l’échec son quinquennat et même peut-être le projet européen dans son ensemble – déclare avec hésitation qu’en fin de compte davantage d’austérité n’est pas une bonne solution.

Simon Wren-Lewis pense que le choix européen de l’austérité était un événement contingent ; grosso modo la crise grecque a renforcé le camp des partisans de l’austérité à un moment critique. Je ne pense pas que l’explication soit si simple ; d’après moi, il y avait une atmosphère profondément anti-keynésienne en Europe bien avant la crise grecque, et la macro-économie, telle qu’est elle pratiquée par les économistes anglo-saxons, n’a jamais réellement eu de partisans au sein des allées du pouvoir en Europe.

Quelle qu’en soit l’explication nous sommes maintenant, comme le dit O’Brien, face à une des plus grandes catastrophes de l’histoire économique.


« Pire que les années 30 : la récession européenne est bel et bien une vraie dépression économique »

Blog Washington Post, Wonkblog, 20 août 2014
Matt O’Brien

La Plus Grande Dépression Européenne
Ordonnée : évolution du PIB, niveau 100 au début de la crise
Abscisse : nombres d’années depuis le début de la crise
Légende : en gris, Bloc Sterling (1929-38), en rouge, Japon (1992-2001), en jaune, Bloc Or (1929-38), en noir, zone Euro (2007-14)
Sources : Maddison Project, Eurostat

Comme je l’expliquais la semaine dernière il est temps d’appeler les choses par leur nom et de définir la zone euro en termes clairs : une des pires catastrophes de l’histoire économique.
Il y a eu quantités de catastrophes ces dernières années. Je ne parle pas simplement de la Grande Récession, mais aussi de la manière dont nous nous sommes efforcés de remonter la pente depuis cet événement. Les Etats-Unis ont connu leur plus faible reprise économique depuis la Seconde Guerre Mondiale. La Grande-Bretagne a connu sa plus faible reprise de tous les temps. Mais après six ans et demi l’Europe se distingue en n’ayant quasiment pas connu de reprise du tout. Et comme vous pouvez le voir dans le graphique ci-dessus, le résultat est en passe de devenir plus grave que lors de la pire période des années 30.

J’ai extrait le graphique ci-dessus d’un texte de Nicholas Crafts, et j’ai un peu prolongé la période pour placer la dépression économique européenne dans une perspective encore plus déprimante. Le PIB européen n’est pas encore revenu à son niveau de 2007 et manifestement il n’y reviendra pas dans un avenir proche. En effet alors que l’on n’était même pas certain que la dernière récession était terminée, on s’est aperçu que le PIB de la zone euro avait de nouveau cessé de croître lors du deuxième trimestre. Et même l’Allemagne s’en sort mal : son PIB a chuté de 0,2 % par rapport au dernier trimestre.

Ce désastre est la conséquence d’une politique économique. Trop d’austérité fiscale et trop peu de stimulation monétaire ont handicapé la croissance comme quasiment jamais auparavant. L’Europe fait pire que le Japon pendant sa « décennie perdue », pire que le Bloc Sterling pendant la Grande Dépression, et à peine mieux que le Bloc Or de l’époque – mais cet aspect positif est bien fragile, car, au train où vont les choses, d’ici un an la zone euro fera pire que le Bloc Or.

Comment se fait-il que l’Europe donne l’illusion que la Grande Dépression représentait le bon vieux temps de la croissance ? Tout simplement en ignorant tout ce que nous avons appris de cette Grande Dépression.

A l’époque, il y eu deux catégories de pays : ceux qui quittèrent l’étalon-or, et ceux qui furent sur le point de le quitter. Mais ils restèrent longtemps « sur le point » de quitter l’étalon-or. Car les gouvernements étaient sentimentalement attachés à l’or même si, comme Barry Eichengreen l’a montré, renoncer à l’étalon-or permettait de retrouver le chemin de la croissance. Les gouvernements assimilaient tout simplement l’étalon-or à la civilisation, ils étaient donc prêts à sacrifier leurs économies sur l’autel de la civilisation. Ce qu’ils firent effectivement. Même si, in extremis, il y eut des limites.

Par exemple la Grande-Bretagne refusa de remonter ses taux d’intérêt pour défendre l’étalon-or en 1931 car le chômage atteignait déjà 20%. Elle préféra dévaluer sa monnaie, et les autres pays du Bloc Sterling – la Suède, la Finlande, le Danemark, le Portugal et le Canada – suivirent son exemple (politique très positive). L’ironie de l’affaire, bien entendu, est que cette faiblesse les rendit plus forts. L’abandon de l’étalon-or leur permit de pratiquer une politique de stimulation budgétaire et monétaire qui fit rapidement redémarrer l’économie.

Il y eut aussi les jusqu’au-boutistes. Les pays qui possédaient de grandes réserves d’or, comme la France, avaient la possibilité de conserver l’étalon-or s’ils le souhaitaient, ce qu’ils firent. Ils alignèrent les budgets d’austérité les uns après les autres comme des offrandes au Dieu tout puissant de l’or et ils en payèrent le prix économique. Ils ne connurent jamais de crash économique comme les Etats-Unis, mais ne connurent jamais non plus de reprise. Le cercle vicieux des baisses de prix, de la hausse du chômage et de l’austérité budgétaire croissante les confina dans un déclin sans fin. Jusqu’à ce que la France et les autres pays du Bloc Or, qui à son apogée comprenait la Belgique, la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas et la Suisse, abandonnèrent en octobre 1936 leurs illusions dignes de celles du roi Midas. Une reprise économique s’ensuivit.

Comme je l’ai déjà dit, l’euro n’est rien d’autre qu’un étalon-or paré d’une autorité morale. Et c’est cette question morale qui est au cœur du problème. Les Européens ne pensent pas que l’euro représente la civilisation, mais plutôt la défense de celle-ci. C’est un monument de papier dédié à la paix et à la prospérité qui a rendu cette dernière impossible. Les eurocrates qui ont voué leurs vies à le construire ne le détruiront jamais alors même que ses défauts de construction rendent une reprise économique impossible.

Tout comme durant les années 30, l’Europe est coincée dans un système de taux de changes fixes qi ne lui permet pas d’imprimer et de dépenser sa monnaie, ou bien de la dévaluer. Mais contrairement à ce qui s’était passé à l’époque, l’Europe pourrait ne jamais sortir de ce système. C’est une fidélité à une politique désastreuse que même les partisans du Bloc Or n’auraient pu imaginer. Le dernier espoir de l’Europe étant la BCE, cela signifie que l’Europe est probablement condamnée.

Pour être honnête, la BCE sous la direction de Draghi a fait tout ce qu’elle a pu dans le cadre des contraintes légales et politiques qui lui sont imposées. Mais on ne juge pas le chômage sur un graphique. Et ces contraintes ne sont pas sur le point de disparaître, pas suffisamment en tout cas, pour éviter une ou deux décennies perdues. La BCE va probablement continuer à faire le strict minimum : un peu d’assouplissement quantitatif à contrecœur qui cessera dès que l’Allemagne sera engagée sur la voie de la reprise économique.

Ils ont fait un désert et l’ont baptisé « zone euro ».

Matt O’Brien est l’auteur du Wonkblog (ndt : littéralement, le « blog de l’intello») qui traite de politique économique. Il était auparavant rédacteur en chef associé au magazine The Atlantic.


« La France prend acte de sa faiblesse économique et accuse les politiques d’austérité »

The New York Times, 20 août 2014
Liz Alderman

Un marché à Toulouse. Le président François Hollande a annoncé de nouvelles mesures de stimulation de la croissance économique.
Crédit Balint Porneczi/Bloomberg News, via Getty Images

Alors que l’Europe est confrontée à la possibilité d’une troisième récession en cinq ans, la France apparaît aujourd’hui de plus en plus comme le maillon faible des 18 pays de la zone euro.

Après avoir souligné pendant des mois qu’une sortie de la longue crise de la dette était à portée de main, François Hollande a fait mercredi dernier une déclaration bien plus pessimiste. Il a déclaré que les politiques d’austérité que la France a été contrainte d’adopter pour satisfaire les objectifs de réduction des déficits de la zone euro rendaient le retour à la croissance impossible.

Les responsables français expliquent que la France – deuxième économie de la zone euro derrière l’Allemagne – ne va plus essayer d’atteindre cette année les objectifs de réduction des déficits pour éviter d’aggraver la situation économique. Ils ont annoncé que même en abandonnant ces objectifs il était peu probable que la France sorte prochainement de la longue période de stagnation qu’elle connaît ou qu’elle réduise rapidement son taux de chômage, supérieur à 10 %.

“Le diagnostic est clair” a déclaré François Hollande dans une interview publiée mercredi dans le journal « Le Monde”. « Les politiques d’austérité de ces dernières années ont créé un problème de demande dans toute l’Europe et produit un taux de croissance qui ne permet pas de réduire le chômage ».

C’est le désaveu français publique le plus franc de la politique d’austérité que l’Allemagne a longtemps infligée aux pays de la zone euro – politique qui peut faire échouer la reprise dans la zone euro selon des déclarations récentes de la chancelière allemande elle-même, Angela Merkel.

François Hollande a réuni ses ministres à l’Elysée mercredi et annoncé de nouvelles mesures de stimulation de la croissance économique – mesures qui suivent toute une série de mesures similaires mises en place depuis le mois de janvier. Elles comprennent des baisses d’impôts pour les contribuables les plus modestes et des dispositions pour relancer le secteur moribond de la construction immobilière, secteur qui est à son plus bas niveau depuis 15 ans.

« Nous devons faire davantage et agir plus rapidement » a déclaré François Hollande dans son interview au « Monde ». « Je veux accélérer les réformes pour donner un coup de fouet à la croissance le plus rapidement possible ».

Il s’exprimait après avoir pris connaissance d’indicateurs qui montrent que la zone euro dans son ensemble trébuche à nouveau, contrastant avec la forte reprise aux Etats-Unis. Les responsables de la politique monétaire mondiale, réunis cette semaine à la conférence annuelle de la Federal Reserve à Jackson Hole, dans le Wyoming, vont analyser les voies divergentes suivies par les Etats-Unis et l’Europe, et les conséquences qu’elles vont avoir pour l’économie mondiale.

Moins d’une année après sa deuxième récession depuis la crise financière de 2008, les pays de la zone euro n’ont pas enregistré de croissance d’avril à juin d’après les statistiques officielles de l’Union Européenne. Même en Allemagne, qui il y a quelques mois seulement semblait donner le signal de départ d’une reprise économique dans la zone euro, le PIB s’est contracté de 0,2 % lors du deuxième trimestre après une longue année de croissance.

Les économistes se demandent si la croissance forte des années antérieures à 2008 reviendra un jour – ou bien si un nouveau paradigme, connu sous le nom de « stagnation séculaire », ne s’est pas mis en place, empêchant toute reprise économique forte de la croissance et de l’emploi. « Il est trop tôt pour affirmer qu’une stagnation séculaire va se mettre en place” écrit Nicholas Craft, professeur d’économie et d’histoire économique à l’Université de Warwick, dans un article publié récemment par le « Centre for Economic Policy Research » à Londres. « Mais il est évident que les Européens devraient craindre cette stagnation bien davantage que les Américains. Les effets dépressifs d’une croissance plus faible du potentiel de productivité vont se faire sentir plus profondément en Europe ».

Comme beaucoup de pays de la zone euro, la France a été contrainte après la crise financière de mettre en place des mesures d’austérité pour réduire sa dette et son niveau de déficit, dans une période où les marchés financiers imposaient des taux d’intérêt élevés aux pays qui semblaient vivre au-dessus de leurs moyens.

L’année dernière, François Hollande a annoncé des hausses d’impôts et 50 milliards d’euros (66 milliards de dollars) de baisse de la dépense publique, étalées jusqu’en 2017, ce qui a ralenti l’économie. Et en se fixant comme objectif de déficit budgétaire annuel 3 % du PIB, niveau requis pour les pays de la zone euro, il s’est aussi engagé à réduire le déficit de la France à 3,8 % en 2014, contre 4,3 % en 2013.

Les taux d’intérêt français ont dégringolé à des niveaux historiquement bas depuis le début de la crise. Mais les entreprises et l’industrie françaises ont eu du mal à retrouver leur niveau d’activité d’avant la crise, rendant plus ardue la tâche du gouvernement de trouver des recettes fiscales pour réduire le déficit. Espérant compenser le ralentissement économique, François Hollande a annoncé en janvier de nouvelles baisses d’impôts pour les entreprises afin de les inciter à embaucher.

Mais la semaine dernière le ministre de l’Economie, Michel Sapin, a prévenu que la croissance serait si faible que le gouvernement n’allait même plus essayer de tenir son objectif de déficit. Il a déclaré que la croissance française serait de 0,5 % seulement cette année, c’est-à-dire moitié moins que prévu, et aurait du mal à atteindre à atteindre 1 % l’année prochaine. D’autres économies dévastées, dont la Grèce et l’Espagne, ont souffert alors qu’elles ont taillé dans les dépenses et augmenté les impôts en période de récession pour respecter les critères de déficit prévus par l’Union Européenne.

L’annonce de François Hollande mercredi dernier contrastait fortement avec les discours qu’il tenait il y a encore quelques mois, dans lesquels il insistait sur le fait que la reprise économique était à portée de main. Malmené par des sondages négatifs record, le Parti Socialiste a aussi essuyé une défaite cuisante lors des élections européennes de juin dernier.
Les électeurs déçus par sa politique économique se sont tourné vers le Front National et l’UMP, le parti de droite de l’ancien président Nicolas Sarkozy, parti qui a été secoué par de nombreux scandales. Mercredi dernier Alain Juppé, un ancien Premier Ministre au plus haut dans les sondages, a annoncé qu’il se présenterait aux élections pour la présidence de l’UMP.
Cela va constituer pour François Hollande une nouvelle épreuve difficile alors qu’il s’expose déjà à un retour de manivelle de la part membres de l’aile gauche du Parti Socialiste qui répugnent à mettre en place toute nouvelle mesure d’austérité qui pourrait contrarier les électeurs.

Mercredi dernier, François Hollande a demandé aux dirigeants de l’Union Européenne de faire de la croissance leur priorité, expliquant qu’augmenter les impôts tout en réduisant les dépenses en période de récession s’est avéré désastreux pour relancer l’économie européenne.

Mais certains ont analysé sa déclaration comme un simple stratagème de relations publiques.

« Même s’ils appliquent quantités de mesures douloureuses, ils vont devoir expliquer aux Français pourquoi l’économie ne va pas bien et même se dégrade davantage », souligne Famke Krumbüller, un analyste spécialiste de l’économie européenne au Groupe Eurasia à Londres.

Le résultat, dit M. Krumbmüller, c’est que François Hollande essaye faire porter le chapeau à l’Europe, plutôt que d’essayer de s’attaquer à des réformes autrement plus difficiles comme la rigidité du marché du travail en France, dont les employeurs disent qu’elle freine les embauches et l’investissement.

« Le message est que nous avons fait notre job, maintenant c’est au tour de l’Europe de faire le sien, à savoir favoriser la croissance », explique M. Krumbmüller. «En substance, ce discours signifie que nous avons fait tout ce que nous pouvions vu les circonstances actuelles, et que nous n’en ferons pas davantage »


L’intégrisme de l’équilibre budgétaire

Social-Europe, lundi 18 août 2014
Simon Wren-Lewis

Les européens, et plus particulièrement les élites européennes, regardent avec amusement et inquiétude les attitudes populaires sur la science aux Etats-Unis. En Europe il n’y a pas réulièrement des tentatives pour remplacer dans les manuels scolaires la théorie de l’évolution par celle du « dessein intelligent ». Le déni du changement climatique ne rencontre pas d’écho dans les mouvements politiques majoritaires en Europe comme aux Etats-Unis (à l’exception peut-être de la Grande-Bretagne). Pourtant l’Europe, et plus spécialement ses élites politiques, semble paralysée par un credo tout aussi peu rationnel et beaucoup plus dangereux dans l’immédiat. Ce credo est que la politique budgétaire devrait être durcie en période de trappe monétaire.

La reprise économique est aujourd’hui forte en Grande-Bretagne, mais cela ne doit pas masquer le fait que c’est la reprise d’après-récession la plus faible depuis des siècles. La politique d’austérité n’en est peut-être pas le principal facteur, mais elle a certainement joué son rôle. Pourtant le gouvernement qui a initié cette politique d’austérité, au lieu d’essayer de masquer cette erreur, est sur le point de la commettre de nouveau. Que le gouvernement ait réellement l’intention d’agir ainsi, ou bien que cela ne soit qu’un stratagème pour l’aider à gagner les prochaines élections, signifie dans les deux cas de figure que la réalité n’a pas émoussé sa foi dans cette doctrine.

L’Europe a souffert d’une deuxième récession à cause de la combinaison de politiques d’austérité budgétaire et de politiques monétaires inadaptées. Pourtant les responsables de la politique monétaire, plutôt que de prendre des mesures sérieuses pour résoudre le problème d’un PIB en berne et d’une inflation à peine supérieure à zéro dans la zone euro, ont décidé de rester les bras croisés et de continuer à vanter les mérites des politiques d’austérité. (Chère BCE, vous adorez les réformes structurelles. Au vu de vos résultats, il serait peut-être temps de d’appliquer ces réformes à vous-mêmes). Dans les grandes économies comme la France ou les Pays-Bas, l’absence de croissance rend inatteignables les objectifs de réduction des déficits, et la réglementation budgétaire médiévale de la zone euro requiert alors d’accentuer les politiques d’austérité. Comme le faisait remarquer Wolfgang Munchau, éditorialiste au Financial Times (le 15 août dernier), les journaux allemands se préoccupent davantage des déficits français que d’une possible déflation.

Il y a maintenant un consensus quasiment universel parmi les économistes pour dire qu’un resserrement de la politique budgétaire tend à réduire significativement la production économique et à augmenter le chômage lorsque les taux d’intérêt sont à leur plus bas niveau : le débat se réduit à savoir dans quelles proportions cela se produit. Quelques personnes affirment que la politique monétaire à elle seule pourrait encore retourner la situation bien que les taux d’intérêt soient au plus bas, mais la possibilité que la BCE suive leurs conseils est égale à zéro.

Paul de Grauwe l’explique de manière fort éloquente :
« Les responsables politiques européens font tout ce qui en leur pouvoir pour tuer dans l’œuf la reprise économique, ils ne devraient donc pas être surpris par l’absence de reprise. C’est l’intégrisme de l’équilibre budgétaire, et cet intégrisme est devenu parole d’évangile ».

On enseigne encore les théories keynésiennes en Europe, ce n’est donc pas comme si cette science n’était pas diffusée. Je trouve qu’il n’y a pas tellement de différence entre les raisonnements des économistes novices ou un peu plus expérimentés de la BCE et de la Commission Européenne par rapport à ceux du FMI, exception faite d’une connaissance plus aigüe des réalités politiques. Je pense que le problème est le même que celui qui existe aux Etats-Unis, mais à un degré différent.

Une erreur fréquemment commise par les universitaires consiste à croire que des théories allant de soi dans leurs milieux vont se diffuser dans le débat politique, alors même que ces théories comportent un fort élément idéologique ou bien quand des intérêts financiers significatifs d’un groupe donné sont en jeu. En fait il y a une communauté de conseillers politiques qui s’interpose entre les experts et les hommes politiques, et bien que certains dans cette communauté de conseillers soient réellement soucieux de la réalité, d’autres sont plus en phase avec une certaine vision idéologique, ou avec des intérêts financiers, ou bien encore avec ce qui est bien accueilli par une partie de l’opinion publique. Certains membres de cette communauté sont même parfois des économistes, mais des économistes qui, s’ils ont jamais maîtrisé la macroéconomie, semblent très heureux d’avoir oublié tout ce qu’ils savaient.

Alors pourquoi « l’intégrisme de l’équilibre budgétaire » semble-t-il plus prévalent en Europe qu’aux Etats-Unis ? Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre les deux continents au niveau de ce qui est enseigné dans les cours de macroéconomie. Certains pointeront du doigt la prégnance de l’ordo-libéralisme en Allemagne mais ce n’est pas très différent de la prégnance du néo-libéralisme au sein de la communauté des conseillers politiques aux Etats-Unis. Peut-être faut-il voir la plus grande capacité des universitaires américains (et de l’un d’eux en particulier) de passer outre le barrage de la communauté des conseillers politiques en utilisant les médias, les traditionnels comme les plus modernes. Cependant je pense qu’un facteur très important est simplement l’expérience récente.

Les Etats-Unis n’ont jamais connu de crise de financement de leur dette. Les « garde-fous » que constituent les marchés obligataires ne se sont jamais manifestés. En revanche ils l’ont fait dans la zone euro et cela a laissé des cicatrices durables sur les responsables politiques européens, cicatrices dont joue la communauté des conseillers politiques et qui rend impuissants tous ceux qui s’opposent à des politiques d’austérité. Je n’écris pas cela pour absoudre les motivations des intégristes de l’équilibre budgétaire mais plus simplement pour expliquer que cela rend plus difficile de faire accepter en Europe la science économique et ses évidences. La différence entre l’intégrisme qui nie la théorie de l’évolution des espèces et l’intégrisme qui nie les principes de macroéconomie est que ce dernier fait des dégâts ici et maintenant.

Simon Wren-Lewis est un professeur d’économie à l’Université d’Oxford et chargé de recherches au Collège Merton d’Oxford.
Ce blog est écrit tant pour les économistes que pour le grand public.

Source: http://www.les-crises.fr/la-catastrophe-euro-par-paul-krugman/


Déconnexion Swift de la Russie : les députés européens sont bien devenus fous…

Thursday 25 September 2014 at 01:20

Nous avions déjà souligné l’incroyable résolution belliqueuse du Parlement européen du 17 juillet dans ce billet.

Ils ont remis ça le 18 septembre – en pire ! En voici le texte.

Le Parlement Européen : une publicité vivante contre le régime parlementaire multinational…

Résolution du Parlement européen du 18 septembre 2014 sur la situation en Ukraine et l’état des relations UE-Russie (2014/2841(RSP))

Le Parlement européen,

A.  considérant la recrudescence du conflit dans l’est de l’Ukraine durant l’été 2014; considérant que, d’après des estimations des Nations unies, au moins 3 000 personnes ont perdu la vie, que plusieurs milliers de personnes ont été blessées et que des centaines de milliers de civils ont fui les zones de conflit; que le coût économique de ce conflit, qui comprendra notamment le coût de la reconstruction des régions orientales du pays, hypothèque sérieusement le développement social et économique de l’Ukraine;

B.  considérant que le groupe de contact trilatéral a convenu à Minsk, le 5 septembre 2014, d’un cessez-le-feu qui est entré en vigueur le jour même; que l’accord convenu contenait également un protocole en 12 points couvrant la libération des otages, des mesures visant à améliorer la situation humanitaire, le retrait de tous les groupes armés illégaux, équipements militaires et mercenaires de l’Ukraine ainsi que des mesures sur la décentralisation dans les régions de Donetsk et de Lougansk;

C.  considérant que depuis le vendredi 5 septembre 2014, le cessez-le-feu a été violé de manière répétée, principalement par les troupes russes régulières et les séparatistes, dans les zones proches de Mariupol et de l’aéroport de Donetsk, et que des tentatives de tester les défenses de l’Ukraine ont eu lieu dans plusieurs autres localités;

Des troupes russes RÉGULIÈRES ??? Hmm, des preuves solides ?

D.  considérant que la Russie a, ces dernières semaines, renforcé sa présence militaire sur le territoire ukrainien et son soutien logistique aux milices séparatistes par un flux constant d’armes, de munitions, de véhicules et appareils blindés ainsi que de mercenaires et de soldats déguisés, malgré les demandes de l’Union européenne de déployer tous les efforts possibles pour apaiser la situation; que, depuis le début de la crise, la Fédération de Russie a concentré des troupes et du matériel militaire le long de la frontière avec l’Ukraine;

E.  considérant que l’intervention militaire directe et indirecte de la Russie en Ukraine, y compris l’annexion de la Crimée, constituent une violation du droit international, notamment de la charte des Nations unies, de l’acte final d’Helsinki et du mémorandum de Budapest de 1994; que la Russie continue de refuser la mise en œuvre du traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE);

Ils ont de l’humour à propos du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes…

F.  considérant que le Conseil européen du 30 août 2014 a demandé que soient formulées des propositions de renforcement des mesures restrictives de l’Union face aux actions de la Russie déstabilisant l’est de l’Ukraine; que ces propositions sont entrées en vigueur le 12 septembre 2014;

G.  considérant qu’après avoir souscrit aux dispositions politiques de l’accord d’association le 21 mars 2014, l’Union européenne et l’Ukraine ont signé officiellement le volet restant de cet accord le 27 juin 2014, qui prévoit notamment la mise en place d’un accord de libre-échange approfondi et complet (ALEAC); que le Parlement européen et le Parlement ukrainien ont ratifié simultanément cet accord d’association; que, le 12 septembre 2014, la Commission a annoncé que l’application provisoire de l’ALEAC serait reportée au 31 décembre 2015; que cela entraînera une prolongation des préférences commerciales unilatérales accordées par l’Union européenne à l’Ukraine, qui devaient prendre fin le 1er  novembre 2014;

H.  considérant que, le 7 août 2014, le gouvernement russe a adopté une liste de produits provenant de l’Union européenne, des États-Unis, de Norvège, du Canada et d’Australie à exclure du marché russe pendant un an; que l’Union sera d’autant plus touchée que la Russie représente le deuxième marché d’exportation pour les produits agricoles de l’Union et le sixième pour les produits issus de la pêche, et que 73 % des importations frappées par l’interdiction viennent de l’Union; que les restrictions globales appliquées actuellement par la Russie pourraient mettre en péril 5 milliards d’EUR d’échanges commerciaux et affecter les revenus de 9,5 millions de personnes dans l’Union qui travaillent dans les exploitations agricoles les plus touchées;

I.  considérant que l’interdiction pesant sur les denrées alimentaires de l’Union sur le marché russe qui a en particulier touché le secteur des fruits et légumes, ainsi que le secteur laitier et celui de la viande, pourrait avoir des répercussions entraînant une surabondance de l’offre sur le marché intérieur, tandis que l’interdiction des produits de l’Union issus de la pêche sur le marché russe pourrait poser de graves problèmes potentiels dans certains États membres; considérant que la valeur des produits de la pêche frappés d’interdiction s’élève à près de 144 millions d’EUR;

J.  considérant que la Russie s’attaque à la sécurité de l’Union en violant régulièrement l’espace aérien de la Finlande, des États baltes et de l’Ukraine, ainsi qu’en raison des récentes réductions de l’approvisionnement de la Pologne en gaz, qui représente 45 % des exportations russes vers ce pays;

K.  considérant que le sommet de l’OTAN à Newport a réaffirmé que l’OTAN était aux côtés de l’Ukraine face à l’influence déstabilisatrice de la Russie, que l’organisation avait offert son soutien pour renforcer les forces armées ukrainiennes et qu’elle avait prié la Russie de retirer ses troupes d’Ukraine et de mettre fin à l’annexion illégale de la Crimée; considérant, selon ses propres déclarations, que l’OTAN continue d’aspirer à une relation de coopération constructive avec la Russie, notamment à l’établissement d’une confiance mutuelle, et que les voies de communication avec la Russie demeurent ouvertes;

Mais que fait l’OTAN, alliance militaire défensive, dans un pays non membre ? C’est pas l’ONU encore…

L.  considérant le crash du vol MH17 de Malaysia Airlines dans la région de Donetsk et la vive indignation que ce drame tragique a provoquée dans l’opinion publique internationale et européenne; que les Nations unies et l’Union européenne ont exigé la conduite d’une enquête internationale approfondie sur les circonstances de cette catastrophe; considérant l’obligation morale et juridique de traduire ses responsables en justice;

M considérant que Mykola Zelenec, consul honoraire de Lituanie à Lougansk, a été enlevé et brutalement tué par les rebelles;

1.  se félicite de la signature de l’accord de cessez-le-feu de Minsk et demande à toutes les parties de déployer tous les efforts possibles pour le mettre en œuvre intégralement et de bonne foi afin d’amorcer un véritable processus de paix, y compris le contrôle permanent et réel de la frontière ukrainienne sous la surveillance de l’OSCE, le retrait complet et inconditionnel des troupes, groupes armés illégaux, équipements militaires et mercenaires russes du territoire de l’Ukraine internationalement reconnu, ainsi que la libération des otages; déplore que l’accord de cessez-le-feu soit constamment violé, principalement par les troupes russes et les forces séparatistes, et que leur renforcement actuel se poursuive; souligne avec force qu’il devrait y avoir une solution politique à ce conflit;

2.  demande à toutes les parties de respecter le cessez-le-feu et de s’abstenir de toute action ou décision de nature à le compromettre; s’inquiète vivement toutefois du fait que le cessez-le-feu serve de prétexte aux troupes russes pour se regrouper afin de poursuivre leur offensive en vue d’établir un «corridor terrestre» vers la Crimée et, au-delà, vers la Transnistrie;

3.  condamne vivement la Fédération de Russie pour la «guerre hybride» non déclarée qu’elle mène contre l’Ukraine à l’aide de forces russes régulières et du soutien qu’elle apporte à des groupes armés illégaux; souligne que, ce faisant, les actions des dirigeants russes font peser une menace, non seulement sur l’unité et l’indépendance de l’Ukraine, mais également sur le continent européen dans son ensemble; demande à la Russie de retirer immédiatement l’ensemble de ses moyens militaires et de ses troupes du territoire ukrainien, d’interdire l’entrée de combattants et d’armes dans l’est de l’Ukraine et de cesser tout soutien direct ou indirect aux actions des forces séparatistes sur le sol ukrainien;

4.  rappelle son engagement envers l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières de l’Ukraine ainsi que le droit de l’Ukraine à faire le choix de l’Europe; réaffirme que la communauté internationale ne reconnaîtra pas l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol ni les tentatives de création de quasi-républiques dans le Donbass; salue la décision de l’Union d’interdire les importations en provenance de Crimée qui ne sont pas munies d’un certificat d’origine délivré par les autorités ukrainiennes; condamne par ailleurs la délivrance de passeports russes aux citoyens ukrainiens en Crimée, les persécutions à l’encontre des Ukrainiens et des Tatars de Crimée, et les menaces des dirigeants autoproclamés à l’encontre des citoyens de Crimée qui ont indiqué leur souhait de voter lors des élections législatives prochaines;

Mais le problème c’est que le bout Est de l’Ukraine ne veut pas faire le choix “de l’Europe” = Organisation du Traité de Lisbonne… Et qu’ils en ont me semble t il le droit vu les conséquences dramatiques sur eux…

5.  souligne que l’OSCE joue un rôle essentiel dans la résolution de la crise ukrainienne du fait qu’elle possède l’expérience des conflits armés et des situations de crise et que la Fédération de Russie et l’Ukraine sont membres de cette organisation; invite les États membres, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la Commission à consentir tous les efforts possibles pour renforcer et étendre la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, tant au niveau du personnel expérimenté qu’au niveau de la logistique et du matériel; souligne la nécessité d’envoyer sans plus attendre les observateurs de l’OSCE le long de toutes les parties de la frontière entre l’Ukraine et la Russie actuellement sous le contrôle des séparatistes;

6.  souligne que le programme de réforme et d’association doit progresser parallèlement à la poursuite de la lutte pour l’intégrité territoriale et l’unité de l’Ukraine; réaffirme que ces deux objectifs sont intimement liés et en synergie l’un avec l’autre; souligne la nécessité d’un dialogue pacifique et d’une décentralisation garantissant que l’autorité sur l’ensemble du territoire reste entre les mains des autorités centrales, assurant ainsi l’unité de l’Ukraine; souligne la nécessité de rétablir la confiance entre les différentes communautés du pays et appelle à un processus de réconciliation durable; souligne, dans ce contexte, l’importance de la mise en place d’un dialogue national inclusif, évitant la propagande, les discours de haine et la rhétorique qui ne feraient qu’aggraver le conflit; affirme que ce dialogue doit associer les organisations de la société civile et les citoyens de toutes les régions et de toutes les minorités;

7.  salue la ratification simultanée de l’AA/ALEAC par le Parlement ukrainien et le Parlement européen; estime qu’il s’agit d’une étape importante qui montre l’engagement des deux parties en faveur de sa bonne mise en œuvre; prend acte du report possible de la mise en œuvre provisoire de l’ALEAC UE-Ukraine jusqu’au 31 décembre 2015, qui sera remplacée par la prolongation de mesures commerciales unilatérales représentant de facto une mise en œuvre asymétrique de l’accord; déplore les mesures extraordinaires et le niveau des pressions exercées par la Russie; déclare que l’accord ne peut pas et ne sera pas modifié et que l’Union européenne l’a indiqué très clairement par cette ratification; demande aux États membres de procéder rapidement à la ratification de l’AA/ALEAC avec l’Ukraine; prend acte des consultations en cours entre l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne sur la mise en œuvre de l’AA/ALEAC avec l’Ukraine et espère qu’elles permettront de dissiper les malentendus;

8.  souligne que, dans l’attente de la mise en œuvre de l’AA/ALEAC, les mois prochains devraient être mis à profit pour s’attaquer à la transformation et à la modernisation indispensable du régime politique, de l’économie et de la société de l’Ukraine conformément au programme d’association; salue le programme de réformes annoncé par le président Porochenko, qui comporte des lois anti-corruption ainsi que des lois sur la décentralisation et l’amnistie; demande à la Commission et au SEAE d’élaborer de toute urgence un programme d’aide et d’assistance financière à l’Ukraine complet et ambitieux, notamment à destination des populations de l’est de l’Ukraine, afin de soutenir l’élaboration d’une solution politique et la réconciliation nationale;

9.  prend acte des lois relatives au statut spécial de certaines parties des régions de Donetsk et de Lougansk et à l’amnistie adoptées par le Parlement ukrainien le 16 septembre 2014, car il s’agit d’une contribution essentielle à la désescalade dans le cadre de la mise en œuvre du plan de paix du président ukrainien;

10.  soutient les mesures restrictives que l’Union a adoptées à l’encontre de la Russie cet été suite à l’agression continue de la Russie et prend acte de leur application le 12 septembre 2014; est d’avis que les sanctions doivent être définies de façon à ce que les sociétés liées au Kremlin ne puissent pas les contourner; demande à l’Union européenne de surveiller de près la coopération économique prenant la forme d’échanges d’actions ou d’entreprises communes;

11.  souligne le caractère réversible et évolutif des mesures restrictives prises par l’Union européenne, en fonction de la situation en Ukraine;

12.  demande aux États membres et au SEAE de définir des critères clairs qui, lorsqu’ils auront été respectés, permettraient de ne pas devoir adopter de nouvelles mesures restrictives à l’égard de la Russie, voire de mener à la levée des sanctions précédentes; estime que ces critères devraient comprendre le retrait intégral des troupes russes et des mercenaires du territoire ukrainien, l’arrêt de la fourniture d’armement et de matériel aux terroristes, le respect intégral du cessez-le-feu par la Russie, la mise en place d’un mécanisme international efficace de contrôle et de vérification du respect du cessez-le-feu ainsi que le retour du contrôle de l’Ukraine sur la totalité de son territoire; demande au Conseil et aux États membres de n’envisager la levée d’aucune sanction avant que ces conditions ne soient remplies et de se tenir prêts à imposer de nouvelles sanctions en réponse à toute action russe destinée à menacer l’accord de cessez-le-feu ou à provoquer de nouvelles tensions dans le pays;

13.  rappelle que les mesures de restriction que l’Union a imposées à la Fédération de Russie sont la conséquence directe de la violation du droit international que ce pays a commise en annexant illégalement la Crimée et en déstabilisant l’Ukraine, alors que les mesures commerciales que la Russie a prises, notamment à l’encontre de l’Ukraine et des autres pays du partenariat oriental qui ont récemment conclu des accords d’association avec l’Union européenne, ne se justifient aucunement; demande à l’Union européenne d’envisager l’exclusion de la Russie de la coopération nucléaire civile et du système Swift;

Je parle de ce point central après la fin de ce texte d’anthologie

14.  demande à la Commission de suivre attentivement les répercussions des sanctions russes dites de représailles et de prendre rapidement des mesures de soutien aux producteurs touchés par les restrictions commerciales russes; se félicite des mesures que le Conseil européen de l’agriculture a adoptées le 5 septembre 2014 et prie la Commission de réfléchir à la manière dont l’Union pourrait faire face plus efficacement à de semblables crises à l’avenir et de mettre tout en œuvre pour aider utilement et opportunément les producteurs européens affectés; déplore la suspension des mesures urgentes en faveur du marché des fruits et légumes périssables, mais condamne toute fraude aux aides; demande à la Commission de présenter au plus vite un nouveau programme;

15.  demande à la Commission de surveiller de près les marchés de l’agriculture, des denrées alimentaires, de la pêche et de l’aquaculture, d’informer le Conseil et le Parlement de toute évolution et d’évaluer l’incidence des mesures prises afin d’étendre éventuellement la liste des produits concernés et d’augmenter l’enveloppe de 125 millions d’EUR; invite instamment la Commission à ne pas se limiter aux mesures de marché mais à prendre également des mesures à moyen terme pour renforcer la présence de l’Union sur les marchés des pays tiers (par exemple via des activités promotionnelles);

16.  envisage la possibilité de s’appuyer sur d’autres fonds de l’Union que les fonds pour l’agriculture, puisque la crise est avant tout de nature politique et non le résultat d’une défaillance des marchés ou de conditions climatiques défavorables;

17.  souligne que la stabilité et le développement politiques et économiques à moyen et long termes de la Russie passent par la mise en place d’une véritable démocratie et que l’avenir des relations UE-Russie dépendra des efforts entrepris pour renforcer la démocratie, l’état de droit et le respect des droits fondamentaux en Russie;

18.  exprime sa satisfaction à la suite de la libération des otages détenus par les groupes armés illégaux dans l’est de l’Ukraine et réclame également celle des prisonniers ukrainiens détenus en Russie; cite tout particulièrement le cas de Nadejda Savtchenko, une volontaire ukrainienne qui a été capturée par les séparatistes en juin 2014, puis transférée en Russie où elle est maintenue en détention; souligne également le cas des cinéastes et des journalistes Oleg Sentsov, Oleskiy Chierny, Gennadiy Afanasiev et Aleksandr Kolchenko, capturés en Crimée;

19.  salue la volonté réaffirmée de l’OTAN d’accorder la priorité à la sécurité collective et de respecter l’article 5 du traité de Washington; se félicite des décisions adoptées lors du sommet de l’OTAN à Newport, visant à relever le niveau de sécurité des alliés à l’est et à mettre en place une force commune d’intervention très rapidement mobilisable, une présence militaire tournante permanente de l’OTAN et des infrastructures logistiques, ainsi que des actions visant à renforcer la capacité de l’Ukraine à assurer sa propre sécurité; prend acte du fait que les alliés de l’OTAN peuvent fournir à l’Ukraine, à titre bilatéral, les armes, la technologie et le savoir-faire nécessaires en matière de sécurité et de défense; tient toutefois vivement à souligner qu’il n’existe pas de solution militaire à la crise ukrainienne;

20.  souligne l’importance d’une enquête indépendante, rapide et complète sur les causes de la destruction en vol de l’avion MH17 de la Malaysia Airlines, déléguée au Bureau néerlandais de la sécurité, et la nécessité de traduire en justice les responsables de ce crash; relève que le Bureau néerlandais de la sécurité a rendu son rapport préliminaire sur l’enquête relative au crash du MH17 le 9 septembre 2014; souligne que, sur la base des conclusions préliminaires, rien n’indique à ce stade qu’il y ait eu un quelconque problème technique ou opérationnel en rapport avec l’appareil ou l’équipage, et que les dégâts constatés dans la partie avant semblent indiquer que l’appareil a été touché par un grand nombre d’objets extérieurs dotés d’une grande énergie; déplore que les rebelles empêchent toujours les enquêteurs de se rendre sans encombre sur le lieu de l’accident et demande à toutes les parties de leur faciliter sans délai l’accès au site;

21.  est convaincu que la seule réponse viable de l’Union aux menaces de la Russie est de faire front ensemble et de parler d’une seule voix; est d’avis que l’Union doit reconsidérer ses relations avec la Russie, abandonner le concept de partenariat stratégique et adopter une nouvelle approche unifiée;

22.  fait part de ses vives inquiétudes face à la situation humanitaire catastrophique dans l’est de l’Ukraine, en particulier eu égard à l’hiver à venir; insiste sur l’urgence de fournir une aide humanitaire à la population vivant dans les zones de conflit, aux personnes déplacées et aux réfugiés; relaie le signal d’alarme que l’Organisation mondiale de la santé a lancé dernièrement à propos de la situation d’urgence sanitaire qui règne dans l’est de l’Ukraine, où les hôpitaux ne peuvent être pleinement opérationnels et font face à une pénurie de médicaments et de vaccins; salue la décision récente de la Commission de mobiliser 22 millions d’EUR en faveur de l’aide humanitaire et de l’aide au développement en Ukraine; appelle à une action urgente de plus grande envergure sous l’égide et la supervision de l’Union européenne afin de contribuer à aider les plus défavorisés, notamment au moyen d’un convoi d’aide humanitaire; rappelle que l’aide humanitaire à l’Ukraine doit être octroyée dans le plein respect du droit humanitaire international et des principes d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, en étroite coordination avec le gouvernement ukrainien, l’ONU et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR); fait part de son plus profond respect à l’égard du travail humanitaire accompli par les groupes de citoyens ukrainiens dans l’est de l’Ukraine, notamment pour évacuer les enfants, donner des soins et acheminer de la nourriture;

23.  prie instamment la Commission de s’atteler à la préparation du troisième grand programme d’aide macrofinancière à l’Ukraine, ainsi que de jouer un rôle de premier plan dans l’organisation de la conférence des donateurs pour l’Ukraine, qui devrait avoir lieu avant la fin de l’année 2014 et réunir des organisations internationales, des établissements financiers d’envergure mondiale et des représentants de la société civile; souligne combien il est important que la communauté internationale s’engage à soutenir la stabilisation et les réformes économiques et politiques en Ukraine;

24.  salue les efforts constants déployés par les autorités ukrainiennes pour garantir le droit à l’éducation et en particulier pour veiller à ce que tous les enfants soient en mesure de réintégrer dès que possible les écoles touchées par le conflit; rappelle l’importance d’un appui psychosocial à tous les enfants qui ont été directement exposés à des événements violents;

25.  condamne fermement l’enlèvement illégal d’un agent estonien des renseignements depuis le territoire estonien vers la Russie et prie les autorités russes de libérer immédiatement M. Kohver et de permettre son retour en Estonie en toute sécurité;

26.  estime qu’il est extrêmement important de réduire la dépendance de l’Union vis-à-vis de la Russie et d’autres régimes autoritaires; demande, en outre, au Conseil européen d’octobre 2014 d’adopter un plan d’urgence ambitieux et global pour l’hiver à venir, en y incluant également les pays voisins tels que l’Ukraine;

27.  attire l’attention sur les récents témoignages, dignes de foi, de violations des droits de l’homme dans les zones de conflit, qui sont essentiellement le fait des troupes régulières russes et des séparatistes ; se rallie à l’appel lancé au gouvernement ukrainien pour qu’il mette en place un registre unique des signalements d’enlèvements, pour qu’il le tienne à jour et pour qu’il mène des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les cas présumés d’usage excessif de la force, de mauvais traitements ou de torture;

28.  salue l’adoption par la Commission du quatrième rapport de suivi de la mise en œuvre par l’Ukraine du plan d’action pour la libéralisation du régime des visas ainsi que la décision du Conseil de passer à la deuxième phase de ce plan; insiste pour que le régime d’exemption de visas entre l’Union européenne et l’Ukraine soit finalisé rapidement, étant donné qu’il apportera une réponse concrète aux aspirations européennes des manifestants de la place Maïdan; réitère par ailleurs son appel à la mise en place immédiate de procédures de visas temporaires, très simples et peu onéreuses;

29.  demande la poursuite des pourparlers trilatéraux sur l’approvisionnement de l’Ukraine en gaz, suspendu depuis le mois de juin 2014, afin de trouver une solution pour qu’il soit rétabli; réaffirme la nécessité de garantir l’approvisionnement en gaz via un flux inversé de gaz depuis les États de l’Union qui sont voisins de l’Ukraine;

30.  invite l’Union européenne à considérer que les dispositifs de stockage du gaz, d’interconnexion et de flux inversé constituent des atouts stratégiques, et donc à réglementer la part des entreprises tierces actives dans ces secteurs vitaux; demande, en outre, aux États membres d’annuler les accords programmés avec la Russie dans le secteur énergétique, notamment le gazoduc South Stream;

Je rappelle que South Stream est un projet gazoduc reliant la Russie au Sud de l’Europe sans passer par l’Ukraine :

Donc n’importe quel enfant de 15 ans comprend que cela serait très utile à la sécurité énergétique de l’Europe pour ne plus dépendre d’un chantage ukrainien.

Or la Parlement demande d’annuler. Pourquoi ?

Réponse probable : car des entreprises comptent bien récupérer le réseau public de gaz ukrainien, que le FMI demande de privatiser. Et qui vaudrait bien moins si le projet aboutissait…

31.  souligne la nécessité de renforcer radicalement la sécurité et l’indépendance énergétiques de l’Union ainsi que sa résilience aux pressions extérieures via la consolidation des secteurs de l’énergie, le développement plus marqué de l’infrastructure énergétique dans les pays voisins de l’Union et le développement d’interconnexions énergétiques entre ces pays et l’Union, conformément aux objectifs de la Communauté de l’énergie, et de mettre en œuvre ces projets prioritaires d’intérêt commun de toute urgence afin de mettre en place un marché libre du gaz pleinement opérationnel en Europe;

32.  se félicite de la décision du gouvernement français de suspendre la livraison des porte-hélicoptères de type Mistral et demande à tous les États membres de suivre une ligne politique similaire en ce qui concerne les exportations non couvertes par les sanctions de l’Union, notamment pour les armes et le matériel à double usage; rappelle que ce marché, dans les circonstances actuelles, serait contraire au code de conduite de l’Union européenne sur les exportations d’armes et à la position commune de 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires; demande aux États membres de l’Union de se conformer pleinement à l’embargo sur le commerce d’armes et à l’interdiction d’exportation de biens à double usage à des destinataires militaires;

33.  salue la décision d’organiser des élections législatives anticipées en Ukraine le 26 octobre 2014 et attend du gouvernement qu’il garantisse des élections libres et équitables; invite l’Ukraine à instaurer la transparence dans le financement des partis et leurs campagnes politiques et à répondre intégralement à toutes les remarques citées dans les résultats et conclusions de la mission d’observation de l’OSCE/BIDDH pour les récentes élections présidentielles; invite tous les partis politiques actuellement représentés au Parlement ukrainien à participer aux élections et demande à l’ensemble des acteurs d’en respecter pleinement les résultats; espère qu’une forte majorité se dégagera pour les défis majeurs et les réformes indispensables à venir; exhorte les rebelles de l’est du pays à ne pas faire obstruction au processus électoral et à garantir le droit fondamental des habitants du Donbass à élire librement leurs représentants; est décidé à envoyer des observateurs électoraux afin de surveiller lesdites élections et demande une mission internationale substantielle d’observation des élections afin de surveiller le scrutin décisif qui aura lieu dans des conditions encore difficiles;

Des élections libres en période de guerre à l’Est ? Sérieusement ?

34.  souligne que la Russie a moins de raisons que jamais de critiquer l’accord UE-Ukraine ou de réagir en imposant des restrictions commerciales injustifiées et en procédant à une agression militaire; s’inquiète de ce que cette nouvelle évolution incite la Russie à durcir sa politique d’intimidation vis-à-vis de l’Ukraine et à tenter d’attirer ce pays dans sa sphère d’influence; craint un risque de contagion vers la Géorgie et la Moldavie;

35.  regrette que les dirigeants russes considèrent le partenariat oriental de l’Union comme une menace pesant sur leurs intérêts politiques et économiques; souligne que la Russie tirerait au contraire profit d’un accroissement des activités commerciales et économiques et qu’un voisinage stable et prévisible viendrait renforcer sa sécurité; déplore le fait que la Russie utilise les échanges commerciaux comme moyen de déstabilisation de la région en imposant plusieurs interdictions d’importation sur les produits en provenance d’Ukraine et de Moldavie, et, plus récemment, en renonçant aux zones de libre-échange de la Communauté des États indépendants avec l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie et en réinstaurant par la suite les droits accordés à la nation la plus favorisée (droits NPF) pour les produits en provenance de ces pays;

36.  réaffirme cependant que cet accord ne peut constituer un aboutissement dans les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine; souligne en outre que conformément à l’article 49 du traité sur l’Union européenne, l’Ukraine – au même titre que n’importe quel autre État européen – a une perspective européenne et peut introduire une demande d’adhésion à l’Union européenne, à condition de faire siens les principes démocratiques et de respecter les libertés fondamentales, les droits de l’homme et les droits des minorités ainsi que l’état de droit;

Et les citoyens, ils ont le droit de voter par référendum pour refuser ce délire ?

37.  souligne que les relations de partenariat et de coopération avec la Russie devraient être rétablies lorsque la Russie démontrera qu’elle se conforme au droit international, concourra activement et sans ambiguïté à trouver une solution pacifique à la crise ukrainienne et respectera pleinement l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté de ce pays, ainsi que celles des autres pays du partenariat oriental et de ses voisins; invite la nouvelle haute représentante / vice-présidente à s’engager activement pour faciliter le dialogue entre l’Ukraine et la Russie, de même que celui entre l’Union et la Russie, et pour promouvoir des solutions pacifiques aux conflits; estime par ailleurs que la Commission devrait étudier les modalités de la coopération de l’Union avec l’Union économique eurasiatique;

Bah oui. Par exemple, quand la France bombarde la Syrie ou l’Irak sans mandat de l’ONU, c’est parfaitement conforme au Droit International… Euh, ah non ?

Sinon, pour la coopération, ils se rendent compte de ce qu’ils écrivent dans un tel document ? À moins que chaque paragraphe soit-il rédigé par une personne différente ?

38.  charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements des États membres, au président, au gouvernement et au Parlement ukrainiens, au Conseil de l’Europe, à l’OSCE ainsi qu’au président, au gouvernement et au Parlement de la Fédération de Russie.

Source : Parlement européen 

P.S. a propos du vote de cette résolution, on a dit tout et n’importe quoi, à partir du site VoteWatch. Mais encore faut-il savoir l’utiliser, pour se rendre compte qu’il donne le résultat des votes des amendements, mais pas de la résolution elle-même… Le vote final a eu lieu semble t-il à main levée, donc on ne sait pas qui a voté quoi (l’Europe, la Démocratie, tousatousa…).


Alors comme promis, un mot sur Swift.

C’est tout simplement le système reliant entre elles toutes les grandes organisations bancaires et financières mondiales.

Couper Swift en Russie, cela revient à couper tous les liens entre les banques russes et le reste du monde, interdisant donc aux banques de se refinancer à l’étranger et de traiter des devises étrangères. cela revient donc à transformer la Russie en Albanie.

Fait brutalement (et même si c’était fait pas brutalement, à mon avis), cela mettrait le système bancaire russe au tapis, et donc vaporisera une bonne partie de l’épargne des Russes et de ses entreprises.

Bien entendu, plus aucun commerce international n’est possible, et donc la Russie ferme immédiatement les vannes du gaz – vu qu’on ne peut plus le payer (et qu’elle n’aura d’ailleurs envie de nous le vendre)…

Bref, ce serait un acte d’agression sauvage, et c’est une menace délirante, de nature à justifier une attaque préventive russe si cette idée faisait son chemin…

Chapeau bas !

Plus d’informations :

Quel risque pour la Russie en cas de déconnexion du système SWIFT ?

Dans le cadre de l’expansion des sanctions liées à la crise ukrainienne, l’Angleterre a proposé de bloquer l’accès de la Russie au système bancaire international SWIFT. Cette proposition a peu de chances d’aboutir, mais si tel était le cas, la Russie s’empresserait de créer un système équivalent conjointement avec la Chine.

Le gouvernement britannique a officiellement annoncé que la Grande-Bretagne exhorterait l’Union européenne à bloquer l’accès de la Russie au réseau bancaire SWIFT dans le cadre de l’expansion des sanctions, informe l’agence Bloomberg.

Actuellement, le réseau SWIFT réunit plus de 10 000 organisations bancaires et financières dans 210 pays du monde, la Russie compte plus de 600 participants, dont la Banque de Russie.

En cas de déconnexion du système SWIFT, les banques russes ne pourront plus gérer leurs comptes de correspondance à l’étranger, les paiements en devises seront également affectés, car toutes les informations sont transmises par SWIFT.

« SWIFT est, essentiellement, un protocole d’interaction entre les banques. Si les codages communs sont interdits en Russie, le système bancaire russe pourrait rapidement plonger dans le chaos et connaître un effondrement partiel », explique Vassili Yakimkine, professeur adjoint de la faculté des finances et de la banque à l’Académie russe de l’économie nationale et analyste de FIBO Group.

Par ailleurs, les dirigeants occidentaux ne cherchent pas à bloquer tous les paiements en provenance et à destination de la Russie car, dans ce cas, ils ne pourront plus payer les ressources énergétiques et ne seront donc, pas livrés. « En outre, cela pourrait stimuler la création par la Russie et par la Chine (ce qui est encore plus dangereux pour l’Occident) de leur propre système de paiement pour les transactions financières entre les banques de différents pays », ajoute Vassili Yakimkine.

Principal risque

Anton Soroko, analyste de la holding d’investissement FINAM, explique que si cette restriction est finalement introduite, la Russie disposera probablement d’un certain délai pour s’adapter à la nouvelle situation.

« Au moins, quand l’Iran a été déconnecté de SWIFT, il en avait été informé à l’avance, pas comme pour l’arrêt récent de fourniture de services aux banques russes par Visa et Mastercard », explique Soroko. En mars 2014, les systèmes de paiement internationaux ont bloqué en un jour les opérations sur les cartes bancaires des banques frappées par les sanctions américaines, et les banques et les clients n’en avaient pas été avertis à l’avance.

L’analyste en chef d’UFS IC Ilya Balakirev explique que la décision de déconnecter la Russie du système SWIFT serait étrange, car l’Union européenne a souligné à plusieurs reprises qu’elle ne souhaitait pas restreindre les transactions privées. « Aujourd’hui, les opérations en devises sont quasiment impossibles sans l’utilisation de SWIFT. Ce protocole, de facto, est une norme », explique l’analyste.

Aussi, la « déconnexion » de la Russie de SWIFT signifie, en réalité, l’arrêt de toutes les opérations bancaires avec les banques étrangères, ainsi que des opérations en devises sur le marché intérieur. « Les entreprises exportatrices pourraient rencontrer des difficultés, de même que les entreprises importatrices. La Russie pourrait, de la même manière, interdire aux entreprises européennes d’utiliser ses pipelines sans interdire l’exportation du gaz », précise Balakirev.

Solutions alternatives

Les sanctions sous forme de déconnexion des banques d’un pays de SWIFT ont déjà été utilisées pour faire pression sur l’Iran. En février 2002, le comité bancaire du Sénat américain a approuvé à l’unanimité la loi visant à interdire à SWIFT de servir les banques iraniennes déjà frappées par les sanctions.

Par ailleurs, SWIFT, société enregistrée en Belgique, n’était pas d’accord avec cette décision. Pourtant, un mois plus tard, en mars 2012, la société a accepté les arguments des autorités américaines et a déconnecté les banques iraniennes. « Les États-Unis peuvent obliger les institutions financières internationales de choisir entre la poursuite de l’activité en Russie et le travail aux États-Unis en excluant la Russie du système en dollars », explique Vassili Yakimkine.

Toutefois, seule la Grande-Bretagne qui a annoncé l’éventuelle déconnexion de SWIFT, pas les États-Unis.

La Banque de Russie étudie déjà la création d’un équivalent de SWIFT en Russie. En août 2014, le vice-ministre des Finances, Alexeï Moïseïev, a déclaré que le ministère des Finances et la Banque centrale préparaient un projet de loi sur la création d’un équivalent de SWIFT en Russie.

Le vice-ministre a expliqué qu’il existait déjà des propositions : par exemple, la société russe CyberPlat a déjà développé des solutions similaires. La Banque centrale, elle, dispose de son propre système protégé d’échange de messages.

« Il est sans doute impossible de créer un équivalent complet de SWIFT, car cela nécessiterait la coopération des banques à travers le monde entier, ce qui paraît peu  probable », explique Ilya Balakirev.

Il estime que la solution pourrait consister à créer un centre de traitement SWIFT sur le territoire Russe, ce qui ne serait pas sans conséquences sur ses échanges internationaux.

Source : Rbth.com, 5/9/2014

SWIFT: la déconnexion de la Russie serait perçue comme une agression (VTB)

La déconnexion de la Russie du réseau mondial de communications interbancaires SWIFT serait évaluée comme une agression, et la riposte pourrait être très dure, a déclaré vendredi devant les journalistes à Moscou le président de la Vneshtorgbank (VTB, 2e banque russe) Andreï Kostine.

« Le secteur bancaire russe est stable », a-t-il déclaré.

Auparavant, le Parlement européen a invité les pays membres de l’UE à étudier la possibilité de bloquer l’accès de la Russie au système bancaire international SWIFT. Dans ce cas, les banques russes ne pourraient plus gérer leurs comptes de correspondance à l’étranger ni même effectuer des opérations en devises sur le marché intérieur.

Le réseau mondial SWIFT réunit plus de 10.000 institutions financières de 210 pays. Des mandats pour plus de 6.000 milliards de dollars transitent chaque jour par ce réseau qui assure le transfert de données financières relatives aux paiements.

Source : RIA, 19/9/2014

Expulser la Russie du réseau Swift

Les délégués présents à la conférence Sibos 2014 organisée par Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) à Boston à la fin de ce mois-ci souhaiteront savoir si la question des sanctions économiques contre la Russie est à l’ordre du jour.

Le fournisseur de services de messagerie financière a réagi avec colère à une récente résolution du Parlement européen (PE) appelant l’Union européenne (UE) à expulser la Russie du réseau Swift. Le projet de loi va maintenant être soumis à la Commission européenne (CE), où il aura besoin de la collaboration étroite des Etats membres agissant à l’unisson pour prendre effet.

Voici en réponse un extrait du communiqué publié par Swift : “En vertu des principes fondamentaux du droit européen, consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, le fait de restreindre Swift de cette manière si disproportionnée interfère avec le droit fondamental de Swift à des affaires et avec son droit de propriété. Il constitue également un traitement discriminatoire et inégal”.

Mentionner explicitement Swift dans une résolution de ce type du Parlement européen sur une question internationale aussi sensible créé également d’immenses dégâts à la réputation de notre entreprise. Notre mission est d’être un fournisseur mondial et neutre au service de l’industrie financière. La fourniture de services de messagerie financière à des entités russes n’est pas affectée par les mesures actuellement en vigueur”.

Bloquer l’accès à la Russie au système SWIFT reviendrait quasiment de facto à couper la Russie du reste du monde puisque l’ensemble des transactions financières et commerciales de la planète passent par ce système ou presque.

La résolution du Parlement européen fait écho à une demande similaire par le Conseil européen (CE) à Swift en 2012, lorsque le CE a ordonné au réseau de déconnecter l’Iran dans le cadre d’une campagne visant à bloquer le programme nucléaire du pays. Bien que la position de Swift soit politiquement neutre, il a, à l’époque, respecté les souhaits du CE.

Une personne de premier plan dans le système bancaire russe a cependant indiqué qu’elle croit que le Parlement est en train de bluffer. S’exprimant cette année lors d’un forum international d’investissement, qui s’est tenue dans la ville russe de Sotchi, Andrei Kostin, PDG du Groupe VTB, deuxième banque de Russie, a déclaré le 19 septembre : “Je pense que cela ne va pas se produire. Je nomme ceci un acte d’agression direct contre le système financier de la Russie avec toutes les conséquences ultérieures possibles. Il s’agit d’une mesure très difficile.”

L’alarme de Swift a sans doute été renforcée par des rapports qui précisent que les autorités russes sont en discussion avec la Chine pour l’établissement d’un système alternatif de transaction interbancaire. La Russie a annoncé publiquement son intention de réduire la dépendance du marché financier russe envers SWIFT depuis l’instant où les Etats-Unis ont commencé le renforcement des sanctions économiques à l’encontre de la Russie.

Source : finyear.com

Moscou et Pékin songent au système de transactions financières commun

Par La Voix de la Russie | La Russie et la Chine sont en train de discuter de la possibilité de créer un analogue du système SWIFT pour les transactions entre les deux pays, a indiqué le vice-premier ministre Igor Chouvalov à l’issue des entretiens à Pékin avec des représentants des entreprises dans le cadre d’une réunion de la commission russo-chinoise sur les investissements.

M. Chouvalov a souligné que le côté chinois avait soutenu l’initiative et les services compétents sont actuellement en train d’étudier la possibilité de sa mise en œuvre.

L’idée de créer un analogue du système SWIFT est survenue après les menaces formulées par les pays de l’UE d’évincer la Russie du système mondial des paiements interbancaires en guise de sanctions suite aux événements en Ukraine. Ce n’est pas sûr que cette menace puisse véritablement être mise en œuvre, car l’interdépendance économique entre la Russie et l’UE est trop grande. Ainsi, la part du gaz russe sur le marché européen a augmenté de 25% à 33% depuis 2010. Et l’Europe sera toujours obligée de régler la facture à la Russie pour le gaz. Donc bloquer l’accès à ce système de paiements internationaux poserait beaucoup de problèmes.

Ces appels de déconnecter le Russie du système SWIFT resteront plutôt des déclarations politiques. Mais un verrouillage d’essai pourrait bien être mis en œuvre. Par exemple, le Royaume-Uni propose de déconnecter la Russie du système SWIFT pendant deux semaines. Il est peu probable que l’exclusion intégrale de la Russie de ce système, comme ce fut le cas pour l’Iran, soit possible.

Toutefois ces « menaces de sanctions » créent un sentiment d’incertitude chez les hommes d’affaires et les investisseurs. Ils sont inquiets d’investir des fonds, alors que de nouvelles limitations pourraient suivre, provoquant le gel de toutes les transactions pendant un certain temps. Pour éviter d’éventuelles restrictions, la Russie a proposé de créer son propre système de sauvegarde des paiements interbancaires, explique l’économiste en chef de Sberbank CIB Evgueni Gavrilenkov.

« Cette idée est logique et réaliste. Il est possible de créer un système indépendant, car la technologie SWIFT n’est pas unique. Tout le processus pourrait prendre environ deux ans. Une autre question c’est à quel point un tel système sera demandé par le marché. Car SWIFT est un système mondial que tout le monde utilise. Ce n’est pas sûr que les banques étrangères qui utilisent activement le système SWIFT, rejoignent ce nouveau système ».

Selon Evgeny Gavrilenkov, la viabilité de ce nouveau système dépend principalement du nombre de banques qui seront intéressées à s’en servir. Mais les banques chinoises ont déjà évoqué leur intérêt dans la création de ce nouveau système. Une alternative au SWIFT est une perspective alléchante pour la Chine, car elle permettra de réduire la dépendance de la volonté politique des pays occidentaux dans le domaine commercial. Et en perspective, l’idée serait d’abandonner progressivement l’utilisation du dollar et renforcer le rôle du yuan chinois dans les transactions internationales.

Une alternative aux systèmes de paiement pour les particuliers

Si l’alternative au système SWIFT est destinée à garantir les paiements interbancaires, il y aura aussi une alternative aux paiements des particuliers russes, sans passer par les systèmes de paiement occidentaux. Il s’agit d’élargir la présence du système de paiement chinois Union Pay sur le marché russe. Pour l’instant ce système de paiement joue un rôle plutôt marginal en Russie avec seulement plusieurs dizaines de cartes du système de paiement chinois émises en Russie. Cependant, au cours des trois ans à venir, le nombre de cartes de Union Pay émises en Russie devrait atteindre deux millions, selon le porte-parole du système chinois Fan Riguang.

Le vice-premier ministre russe Igor Chouvalov a déclaré que le système Union Pay est prêt à coopérer pleinement avec la Russie pour créer un système national des cartes de paiement. La partie chinoise va proposer de se servir de son infrastructure pour les paiements et en yuans et en roubles.

Le système de paiement chinois ne va certes pas évincer du marché russe les systèmes Visa et Master Card. Tout comme nous ne risquons pas abandonner les transactions par le biais de SWIFT du jour au lendemain. Mais les perspectives de ces systèmes alternatifs sur les marchés nationaux et internationaux sont assez prometteuses. Surtout que près de la moitié des échanges bilatéraux entre la Russie et la Chine, pourraient être effectuées en yuans et en rouble, comme l’a déclaré le vice-ministre des Finances, Alexeï Moïsseïev.

Les chefs des deux Etats ont déclaré en mai de cette année à Shanghai leur volonté d’augmenter la part des transactions en yuans et en roubles entre les deux pays. Selon le vice-ministre des Finances de Russie Alexeï Moïsseïev, dans un avenir proche, les parties vont préparer un accord intergouvernemental sur la transition vers les transactions en monnaies nationales.

Source : ruvr.ru, 11/9/2014

Source: http://www.les-crises.fr/deconnexion-swift-russie/


Analyse du référendum écossais

Wednesday 24 September 2014 at 03:22

Les résultats

Vous connaissez le résultat : 45 % Oui / 55 % Non :

ce qui reste un score très élevé, le Oui n’était donné qu’à 35 % en janvier 2014 et 28 % en janvier 2013…

 

Voici la carte des votes :

Il est intéressant de comparer avec le résultat des européennes 2014, sachant que Conservative = droite de droite (17 %), Labour = gauche de droite (26 %), Lib dem = centristes de droite (7 %), et SNP = indépendantistes écossais, plutôt de gauche pas trop de droite (29 %) :

L’analyse des votes

L’institut de sondage Lord Ashcroft a réalisé un gros sondage pour analyser les résultats. En voici la synthèse :

Le fait le plus marquant concerne le vote par âge :

(soit 51 % sur les 16-24 ans)

On observe donc clairement un vote positif en dessous de 55 ans, et (j’ai fait l’analyse à partir des pyramides des âges…), que le oui a gagné par 51 % sur la tranche 16-65 ans, la rupture se situant à 67 ans environ.

Bref, les plus âges ont emporté la décision contre tous les jeunes et les actifs – les privant de l’indépendance et de la rente (finissante) du pétrole !

On note aussi ce résultat sur les Catégories socio-professionnelles (SEG) :

Soit :

Il est aussi intéressant de noter que 880 000 non-Écossais (17 % de la population du pays, dont 500 000 Anglais) ont pu voter, et ont voté non à 63 % – il n’a manqué que 200 000 voix aux Écossais pour être indépendants… En revanche, les Écossais de la grande diaspora n’ont pu voter.

a

N.B. le graphe (sondage réalisé 2 semaines avant le vote donnant le oui en tête) ne montre pas les indécis.

Voici les points qui ont influencé les électeurs :

Le système public de soin (NHS), le rejet de Londres et la livre ont joué un rôle majeur. Voici les questions de principe des 2 bords :

Pouvoir décider de son avenir pour les tenants du OUI et la peur des risques pour ceux du NON ont été les points majeurs.

Voici l’étude complète :

Résultats détaillés sur le référendum écossais publié par les-crises

La réaction après le référendum du Premier Ministre écossais

Alex Salmond: les électeurs ont été «escroqués» par Londres

Le débat sur l’avenir de l’Écosse s’est transformé en amère guerre de mots, dimanche, le premier ministre écossais affirmant que ses compatriotes ont été «dupés» en rejetant l’indépendance, tandis que les trois principaux partis politiques britanniques se disputaient sur la façon de mettre en place les réformes politiques promises.

Le leader du mouvement indépendantiste écossais, le premier ministre démissionnaire Alex Salmond, a accusé les politiciens britanniques de revenir sur leurs promesses de donner plus de pouvoir aux Écossais dans le cadre d’un rare pacte multipartite qui, selon lui, a joué un rôle crucial dans le rejet de l’indépendance lors du référendum de jeudi.

M. Salmond a fait ces commentaires après que le premier ministre britannique, David Cameron, eut insisté pour que le projet de transfert de pouvoirs aux Écossais soit lié à des réformes constitutionnelles au Royaume-Uni, une position qui a mis en péril le fragile consensus politique et suscité des attaques de tous les côtés.

Quelques jours plus tôt, M. Cameron et ses rivaux politiques s’étaient unis pour adopter rapidement des lois visant à transférer certains pouvoirs à Édimbourg, la capitale écossaise. Les trois partis ont signé l’engagement, qui promettait aux Écossais de nouveaux pouvoirs en matière de taxation, de budget et de politiques sociales.

Depuis, M. Cameron a déclaré que ces changements devaient se faire «en tandem» avec des réformes à la Chambre des communes pour empêcher les Écossais d’avoir leur mot à dire sur les projets de loi qui ne concernent que l’Angleterre et le pays de Galles, un grief de longue date qui est récemment revenu sur le devant de la scène.

Il a aussi déclaré qu’il ne serait pas juste d’accorder des pouvoirs supplémentaires aux Écossais sans envisager des changements similaires dans le reste du Royaume-Uni – l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord.

«Des millions de personnes dans le reste du Royaume-Uni ont entendu ces débats, observé la campagne et se demandent à juste titre: Qu’est-ce qui changera pour nous? Pourquoi ne pourrions-nous pas avoir les mêmes pouvoirs et les mêmes droits que ceux des Écossais?», a écrit M. Cameron dans le «Mail on Sunday».

Les détracteurs soulignent que le fait de mettre toutes ces questions dans le même panier dilue la promesse commune des trois chefs de parti, et retardera inévitablement l’échéancier du transfert de pouvoirs à l’Écosse.

«Les gens qui ont voté Non parce qu’ils croyaient à ces engagements des leaders de Westminster – ce sont ces gens qui sont les plus en colère, les plus blessés et les plus déçus en Écosse aujourd’hui», a déclaré M. Salmond à la BBC. Le premier ministre a annoncé, au lendemain de l’échec de sa campagne référendaire, qu’il quitterait son poste en novembre.

Les trois partis britanniques assurent qu’ils respecteront leur promesse, même s’ils divergent clairement concernant la question des réformes constitutionnelles.

Le vice-premier ministre Nick Clegg, qui dirige le deuxième parti de la coalition au pouvoir, les Démocrates libéraux, a déclaré que la promesse faite aux Écossais ne pouvait être conditionnelle à d’autres réformes constitutionnelles. Dans le même sens, le chef de l’opposition travailliste, Ed Miliband, a affirmé qu’il ne pouvait y avoir «de peut-être et de mais» dans le transfert promis de pouvoirs aux Écossais.

Source : www.lapresse.ca

Les nationalistes écossais ne désarment pas

Malgré leur échec au référendum, les partisans de l’indépendance se mobilisent pour parvenir à leurs fins par d’autres moyens.

Ni Alex Salmond, le chef de file des nationalistes écossais démissionnaire, après son échec au référendum, ni Nicola Sturgeon, son adjointe et successeur potentiel, ne se sont rendus, dimanche, à la messe de réconciliation à la cathédrale Saint-Gilles d’Édimbourg, à laquelle participaient plusieurs figures du non et quelques représentants du oui. Loin de tourner la page, les nationalistes, eux, sont déjà repartis au combat.

S’ils ont perdu la bataille, les partisans de l’indépendance espèrent bien transformer l’échec d’hier en succès de demain. Ils entendent capitaliser sur le 1,6 million de voix en faveur de l’indépendance. En référence aux 45 % de oui exprimés jeudi, un hashtag «#the45», censé perpétrer l’optimisme de la campagne de Yes Scotland, a vu le jour sur Twitter. Le Scottish National Party (SNP) se targue d’avoir enregistré 10.000 adhésions depuis le lendemain du référendum, ce qui représente un bond d’un tiers de ses supporteurs. De bon augure pour consolider son ancrage de principale force politique en Écosse.

Une fois le choc de sa démission passé, Alex Salmond a retrouvé sa combativité légendaire. S’il avait reconnu le verdict des urnes dès l’aube du résultat, vendredi, il n’enterre pas sa lutte pour l’indépendance. Avait-il assuré avant le scrutin qu’il n’y aurait pas de nouveau référendum «avant une génération»? Il s’empresse de préciser que cela n’engageait que lui, au moment même où il s’apprête à passer la main. Il reproche à ses concitoyens les plus âgés d’avoir privé les jeunes de leur rêve d’indépendance: les moins de 55 ans ont voté oui en majorité. Selon lui, l’évolution démographique finira donc logiquement par inverser le rapport de forces. Et d’expliquer que si un référendum est «la meilleure voie» pour obtenir l’indépendance, ce n’est pas la seule.

Quête d’une «indépendance de fait»

Le SNP a plusieurs cartes en main. Dans un premier temps, le parti au pouvoir à Édimbourg va maintenir la pression pour que Londres remplisse ses engagements de décentralisation promis juste avant le scrutin. Après leur union sacrée de circonstance, les partis conservateur et travailliste sont déjà entrés dans une guéguerre sur la question qui pourrait faire dérailler le processus. Ce qui renforcerait de fait la légitimité des nationalistes pour représenter la déception des Écossais qui se sentiraient floués. Le SNP espère ensuite gagner une majorité des circonscriptions écossaises à la Chambre des communes lors des élections législatives de mai 2015, en taillant des croupières aux travaillistes. Il croit enfin être en mesure de consolider sa domination au Parlement d’Édimbourg lors des élections régionales en Écosse l’année suivante. Majoritaire à Édimbourg, en position de force à Westminster, une fois obtenus les pouvoirs supplémentaires revendiqués, «vous arrivez à une situation d’indépendance de fait», résume Salmond. «Alors, potentiellement, vous déclarez votre indépendance», conclut-il. À croire que la consultation démocratique de la semaine dernière n’aurait servi que de répétition générale.

Source : Le Figaro

Épilogue

Pour le moment, le couperet est passé très près, comme le résume cet amusant dessin :

Mais pour beaucoup d’Écossais, les choses n’en resteront effectivement pas là – et il est fort possible que nous voyions dans quelques années une Écosse indépendante…

En attendant, cap sur la Catalogne avec un rendez-vous majeur le 9 novembre : vote (probablement positif) ou armée pour l’interdire !

P.S. lire aussi cette analyse de Philippe Grasset : L’Écosse tentée par le “modèle écossais”

Source: http://www.les-crises.fr/analyse-du-referendum-ecossais/


[Reprise] L’Écosse tentée par le “modèle écossais”, par Philippe Grasset

Wednesday 24 September 2014 at 02:45

Si vous ne l’avez pas encore fait, lisez d’abord ce billet analysant les résultats du référendum écossais

23 septembre 2014 – Effectivement, il est assez surprenant de voir un parti qui a lancé une initiative d’une importance telle pour lui qu’elle forme l’essentiel de son programme et de son existence, recevoir, au lendemain de l’échec de cette initiative, de nouvelles adhésions aussi massives que celles qu’enregistre le Scottish National Party (SNP). Dans les 72 heures qui ont suivi le vote négatif sur l’indépendance, le SNP a reçu 11 000 nouvelles adhésions (voir Strategic-Culture.org, le 22 septembre 2014). Lundi soir, le SNP pouvait annoncer qu’il était sur le point de devenir le troisième parti du Royaume-Uni, – puisque Royaume-Uni toujours il y a pour l’Écosse, – avec ses 18 000 nouvelles adhésions depuis le jour du référendum. Présentant la nouvelle le 23 septembre 2014, le Guardian écrivait :

«As evidence emerged of the extent of the Labour no campaign’s referendum defeat in Glasgow, the SNP announced on Monday that its membership had jumped by 70% in four days. More than 18,000 people joined the party since Thursday, lifting its overall membership to a record level of 43,644. Peter Murrell, the party’s chief executive, tweeted that this put the SNP on course to overtake the Lib Dems’ total membership to make the SNP the UK’s third largest party, outstripping the UK Independence party’s 35,000 figure on the way.»

… Curieuse façon de saluer une défaite, ou bien alors ce n’est pas tant la défaite qu’on croit, et peut-être que le SNP et ses nouveaux adhérents, ceux qui ont afflué et ceux qui continuent à affluer sont-ils tourné vers autre chose, vers quelque chose qui est à venir … Un nouveau référendum, par exemple, ou bien l’indépendance unilatéralement déclarée, purement et simplement ? C’est ce qu’Alex Salmond, président démissionnaire du SNP, déclare sans ambages. Lui qui disait la semaine dernière qu’il n’y a un tel référendum qu’une fois par génération (“une fois tous les vingt ans”) déclare maintenant qu’un nouveau référendum pourrait très vite survenir, voire une déclaration unilatérale d’indépendance de l’Écosse. “Il y a toujours des facteurs qui modifient les circonstances”, dit-il pour justifier son changement d’avis.

The Independent du 22 septembre 2014 rapporte le changement d’avis et les nouvelles prévisions du président démissionnaire du SNP. L’un des arguments conjoncturels principaux de Salmond est l’énorme majorité de moins de 55 ans qui ont voté pour l’indépendance, le gros des votes contre étant le fait des plus de 55 ans. La dynamique est claire à cet égard.

«The Scottish First Minister, who has said he is standing down after voters failed to back independence last week, said a referendum was the “best route” to statehood, but added that there were others. He said if the Scottish Parliament was given more powers until “you have a situation where you’re independent in all but name … “then presumably, you declare yourself to be independent”. “Many countries have proceeded through that route,” he said in an interview with Sky News’ Murnaghan programme.

»Mr Salmond has previously said that he would accept the referendum result and that it was a “once in a generation” event. However, he said on Sunday that “there are always things can change circumstances”, saying if the UK voted to leave the European Union then Scotland or if the main UK parties failed to honour a pledge to devolve more power to Edinburgh then having another vote would be justified.

»Mr Salmond also said that demographics would see support for independence rising in the coming years. “I mean when you have a situation where the majority of a country up to the age of 55 is already voting for independence then I think the writing’s on the wall for Westminster,” he said. “I think the destination is pretty certain, we are only now debating the timescale and the method.” “I think Scots of my generation and above should really be looking at themselves in the mirror and wonder if we by majority, as a result of our decision, have actually impeded progress for the next generation which is something no generation should do.”»

D’une certaine façon, on émettrait le paradoxe que le refus de l’indépendance qu’on attendait comme un couperet qui enterrerait les velléités écossaises pour longtemps, s’est transformé, à cause de circonstances diverses dont on parlera plus loin, en une sorte de sursis vers une issue (l’indépendance), qu’il s’est même transmuté brutalement en une perspective inévitable. On complèterait ce paradoxe par un autre, plus opérationnel : avec le référendum, tout ce qui a précédé, son exécution, etc., l’Écosse a établi une sorte de “modèle” (“modèle écossais”) pour les nombreuses régions, entités, etc., qui cherchent à acquérir leur indépendance (voir le 22 septembre 2014) ; le paradoxe auquel nous faisons allusion est que l’Écosse elle-même, l’Écosse post-référendum, en vient à s’appuyer sur son propre modèle, sur le “modèle écossais” dont elle découvre qu’il l’a dépassée dans ses actes et ses perspectives politiques, pour tracer de nouveaux plans vers ce qui lui paraît désormais être inéluctable. Étrange inversion vertueuse : alors qu’une victoire rendait les perspectives de l’indépendance écossaise acquise bien difficiles sinon émolientes pour le rythme politique, la défaite suscite au contraire la perspective d’une indépendance qui se fera coûte que coûte, même au prix d’événements dangereux, déstabilisateurs, radicaux, – et, dans ce cas, une telle indépendance à peine hypothétique aurait nombre d’aspects bien plus radicaux que celle qui serait sortie d’un 18 septembre victorieux.

Venons-en donc à l’élargissement du dossier puisque celui-ci s’avère bien plus lourd que prévu. En effet, comme nous l’avions déjà signalé, le “cas écossais”, en fait méritant bien son label de “crise écossaise”, s’est considérablement élargi pour devenir un cas fondamental intéressant directement le Système. Du coup, la marche vers l’indépendance, déjà perçue comme telle, s’installe définitivement dans la logique antiSystème. Pour accompagner cet élargissement, on citera deux commentaires qui placent la crise écossaise sous deux lumières complètement opposées, pour en faire pourtant un foyer antiSystème actif, et justifier autant d’un côté que de l’autre l’hostilité du Système qui s’est révélée extraordinaire, sinon hystérique dans les derniers jours avant le référendum … C’était comme si, – et l’on reviendra là-dessus, également, – comme si, brusquement, sans que personne ne l’ait voulu ainsi ni n’ait rien prévu à cet égard, la crise écossaise acquerrait sa véritable valeur et sa réelle signification de foyer antiSystème au cœur du bloc BAO. [NdR : Bloc Americano-Occidental]

• Le 18 septembre 2014, sur Russia Today, le journaliste britannique Neil Clark trace un historique des trente-cinq dernières années (depuis l’arrivée au pouvoir de Thatcher) de l’histoire de l’Écosse par rapport au pouvoir central de Londres. Dans cette perspective, la lutte pour l’indépendance, après l’épisode intermédiaire de la dévolution, devient une lutte contre le néolibéralisme thatchérien, le fameux TINA (There Is No Alternativep), qui est une des première manifestations du Système dans sa phase ultime d’affirmation à visage découvert. Selon cette logique, l’Écosse est décrite comme une entité fondamentalement liée à une vision socialiste fondée sur la solidarité de la collectivité sociale, opposée à l’individualisme déstructurant du Système…

«There was a big swing towards Thatcher’s Conservatives in London and the South East of England in the 1979 general election, but in Scotland, Labour actually increased their number of seats and their share of the Scottish vote. While voters in other parts of Britain were tempted by aspects of Thatcher’s program, the Scots never were. That shouldn’t surprise us.

»Socialism has a long and proud history in Scotland. James Keir Hardie, the first Independent Labour member of Parliament in the 1890s, was a Scot. Many of Britain’s leading and most high-profile socialists have been Scots, think not only of Keir Hardie, but trade union leaders Mick McGahey and Jimmy Knapp, and politicians/activists James Maxton, John Maclean, Tommy Sheridan, and George Galloway. Think too of the legendary and truly inspirational football manager Bill Shankly, the man who made Liverpool Football Club into such a major force. “The socialism I believe in is everyone working for each other, everyone having a share of the rewards. It’s the way I see football, it’s the way I see life,” Shankly declared.

»cottish socialism was forged in Scotland’s industrial towns, cities, and mining communities – a collectivist ideology that put people before profits and whose adherents preached solidarity and working-class resistance. Throughout the period of Conservative hegemony from 1979-97, the Scots made it clear what they thought of the Tories and their neoliberal economic policies which had led to the destruction of Scotland’s industrial base and mass unemployment. The Conservatives’ unpopularity plummeted even further when they introduced their hated Poll Tax in Scotland, before other parts of the country. In the 1987 general election, the number of Conservative seats in Scotland fell from 21 to 10. By 1997, this had been reduced to 0.

»Scottish left-wing voters hoped and expected that when Labour eventually returned to power in Westminster, they would make a clean break with neoliberalism and go back to the more collectivist policies of the 1945-79 period. They expected that Labour would support industry and put manufacturing before the interests of the bankers and speculators in the City of London. They were to be cruelly disappointed. The New Labour government of Tony Blair, which was elected in 1997, merely offered more of the same neoliberal policies. If that wasn’t bad enough, the Blairites’ foreign policy was more aggressive and hawkish than even the Conservatives. The Labour betrayal of everything it had ever stood for was complete when Tony Blair took Britain into a neocon war in 2003 against Iraq alongside a hard-right Republican US President – a war sold to the public with fraudulent claims about Iraq possessing weapons of mass destruction. This came after Blair had already taken Britain into two other wars – the 1999 ’humanitarian’ bombing of Yugoslavia, and the 2001 invasion of Afghanistan.

»As Scotland‘s disenchantment with the pro-war, neoliberal Westminster elite grew, so did support for independence. In March 1979, two months before the advent of Thatcherism, the Scots voted in a referendum on devolution. Only 32.9 percent of the electorate voted ‘Yes.’ In 1997, however, the Scots voted overwhelmingly for devolution, with 63.5 percent voting for the new Scottish Parliament to have tax-raising powers…»

• D’un autre côté, d’un tout autre côté puisqu’il s ‘agit de l’antithèse extrême du socialisme, Ryan McMaken, de l’institut Ludwig von Mises (par l’intermédiaire de ZetoHedge.com du 22 septembre 2014), attaque la mobilisation du Système contre l’indépendance écossaise. Cette fois, il s’agit d’une critique violente du centralisme, de l’interventionnisme au nom d’une vision complètement libérale de l’économie, – le libéralisme orthodoxe et sans la moindre interférence mettant en accusation son faux-double qu’est le néolibéralisme où la puissance publique vient en aide aux puissances privées, souvent en position monopolistique, au profit desquelles se développe le marché. (Dans ce cas, le thatchérisme, qui était plus haut mis en accusation au nom de son néolibéralisme, l’est ici au nom de son interventionnisme, – c’est-à-dire de son “socialisme néolibéral”.) Le résultat est pourtant, à partir d’une vision si opposée, complètement similaire : l’Écosse est défendue contre l’attaque des puissances d’argent monopolistiques du Système, du centralisme londonien et des diverses organisations du bloc BAO, notamment de l’entité européenne qui est bien entendu de tous les mauvais coups avec ses tendances régulatrices (du socialisme autoritaire, pratiquement du communisme en faveur du néolibéralisme !) que dénonce le libéralisme orthodoxe, tout cela au profit des banques et du corporate poower qui reçoivent l’appui inconditionnel et fort soumis des pouvoirs publics.

«Global elite institutions and individuals including Goldman Sachs, Alan Greenspan, David Cameron and several major banks pulled out all the stops to sow fear about independence as much as possible. Global bankers vowed to punish Scotland, declaring they would move out of Scotland if independence were declared. According to one report : “A Deutsche Bank report compared it to the decision to return to the gold standard in the 1920s, and said it might spark a rerun of the Great Depression, at least north of the border.” When it comes to predictions of economic doom, it doesn’t get much more hysterical than that. Except that it does. David Cameron nearly burst into tears begging the Scots not to vote for independence.

»The elite onslaught against secession employed at least two strategies. The first involved threats and “for your own good” lectures. Things will “not work out well” for Scotland in case of secession, intoned Robert Zoellick of the World Bank. John McCain implied that Scottish independence would be good for terrorists. The second strategy involved pleading and begging, which, of course, betrayed how truly fearful the West’s ruling class is of secession. In addition to Cameron’s histrionics based on nostalgia and maudlin appeals to not break “this family apart,” Cameron attempted (apparently successfully) to bribe the Scottish voters with numerous promises of more money, more autonomy, and more power within the UK.

»The threats that focused on the future of the Scottish monetary system are particularly telling. The very last thing that governments in London, Brussels, or Washington, DC want to see is an established Western country secede from a monetary system and join another in an orderly fashion. Political secession is bad enough, and is a thorn in the side of the EU which clearly hopes to establish itself someday as a perpetual union with no escape option. A successful withdrawal from a major global currency, even if to join the EMU later, would imply that countries have monetary options other than being absorbed wholesale (and permanently) by the EMU… [...]

»…As predicted by Martin Van Creveld and a host of other observers of trends in state legitimacy, the state’s status as the central fact in the political order of the world continues to decline with smaller national groups and economic regions breaking up the old order in favor of both local autonomy and international alliances. The Scottish secession effort is simply one of many recent examples. The short-term defeat of the referendum will do little to alter this trend.

»In addition, the economic realities of the modern world with constantly-moving capital and labor will continue to undermine the modern nation-state which has been largely built on the idea of economic nationalism and the myth that national economic self-sufficiency can be obtained…»

Inventer la “révolution postmoderniste”

Le 16 septembre 2014, nous avions publié un Faits & Commentaires sur le thème de “comment devenir une crise” à propos de l’Écosse, ou “comment l’Écosse est devenue une crise”. D’une part, nous écrivions ceci, à propos de la responsabilité de la transmutation de la question écossaise en crise écossaise :

«Comme d’habitude, dans cette affaire c’est le Système qui a créé lui-même le problème qui l’embarrasse. Comme d’habitude, ce sont l’incurie et l’irresponsabilité des relais du Système, en l’occurrence des partis-Système (les tories dans ce cas), qui ont conduit à l’opérationnalisation de la question de l’indépendance écossaise. Comme d’habitude, la certitude de la surpuissance mise en œuvre par le Système, tout comme cette certitude de pouvoir tenir les indépendantistes à distance grâce aux moyens du système de la communication et à la pseudo autorité/légitimité du centre londonien, ont motivé le risque pris qui est apparu comme mineur et aisément “gérable”. Comme d’habitude, ce ne fut pas le cas (pas “gérable”). Comme d’habitude, c’est le Système lui-même qui a déterré la hache de guerre, – une de plus, – qui allait créer un front antiSystème de plus.»

D’autre part, nous avancions clairement l’idée que la crise était promise à durer, notamment et peut-être encore plus sûrement, en cas de victoire du “non”. C’était impliquer que l’affaire écossaise était devenue une crise écossaise qui dépassait évidemment la seule question du référendum du 18 septembre et de son résultat, et même dépassant la seule question de l’indépendance de l’Ecosse. Sur la question du développement de la crise en cas de victoire du “non”, nous écrivions ceci :

«La première question de commentaire qui vient sous la plume est celle du retentissement du vote écossais. En d’autres termes, et en écartant le cas du “oui” dont les effets sont évidents, la question devient de savoir si, en cas de victoire du “non”, le dossier ainsi ouvert sera simplement clos, et la crise terminée ? Notre réponse tendrait à être négative, d’abord parce que des remous sont à prévoir en Ecosse et en Angleterre même, ensuite parce que cette affaire écossaise est devenue “crise” non pas à cause du seul sort de l’Écosse, mais à cause de tout ce que le sort de l’Écosse a révélé à cette occasion. La question de l’indépendance écossaise est devenue une “crise”, et la crise s’est constituée en dépassant la question de l’indépendance écossaise pour ranimer ou électriser toutes les tensions sous-jacentes des forces centrifuges, de dévolution, etc. Nous ne sommes même pas assurés du tout, et même au contraire, de ce qu’un vote négatif réglerait, même temporairement, le problème de l’indépendance écossaise en Écosse même, et dans la situation interne du Royaume-Uni. (Sans parler de l’évidence qu’un vote positif ferait automatiquement monter la crise vers son contexte international, avec des effets immédiats de grande tension dans nombre de pays.)

»Finalement, ce qu’a révélé la question écossaise et qui a fait qu’elle est devenue une crise, c’est l’existence d’une ligne de tension de plus affectant les activités du Système. Cette ligne de tension était connue en théorie, comme le sont toutes les lignes de tension créées par le Système, – et le Système ne peut créer rien d’autre que des lignes de tension, – mais l’“opérationnalisation” écossaise l’a faite sortir du plan théorique, justement, pour l’activer opérationnellement. C’est donc une nouvelle chaîne crisique qui est mise à jour, et l’on comprend alors que le phénomène dépasse évidemment l’Écosse, et même le résultat du vote de jeudi, – même si l’Écosse, quoi qu’il en soit du résultat de jeudi, doit rester à la place d’honneur…»

Ces supputations sont aujourd’hui largement substantivées par diverses situations évidentes. Les promesses faites à l’Écosse pour que le “non” l’emporte sont l’objet de tensions très fortes au sein des partis nationaux, particulièrement chez les tories, et aussi entre les partis nationaux avec en plus le joker menaçant de la montée du parti nationaliste UKIP. Ces promesses, qui donnent des avantages considérables à l’Écosse, sont difficilement supportées par les représentants de l’Angleterre, sans même considérer que d’autres entités du Royaume-Uni, comme le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, pourraient demander des avantages équivalents. On voit alors très mal comment les promesses faites pourraient être tenues sans provoquer des crises graves au sein de la direction politique britannique en général, et à l’inverse comment une révolte écossaise n’aurait pas lieu, jusqu’à une proclamation unilatérale d’indépendance, si ces promesses ne sont pas tenues. Or, le débat de réalisation de ces promesses est attendu pour immédiatement après les élections de 2015 et l’on peut dire, à cet égard, que la campagne a déjà commencé, y compris la campagne pour un nouveau référendum ou pour une déclaration unilatérale d’indépendance dans la période commençant après la fin du printemps 2015 (élections générales au Royaume-Uni, au plus tard en mai 2015).

La situation sera alors considérablement plus tendue, si l’on considère les premiers signes dans ce sens. Le formidable afflux d’adhérents au NRP, qui fait d’un parti “régional” indépendantiste (ou “national écossais”) le troisième parti “national”/UK en nombre d’adhérents, implique une mobilisation considérable. Cette mobilisation reflète la situation du vote indépendantiste telle que l’a définie Salmond. Les plus jeunes, les plus combatifs, ont voté pour l’indépendance, et ce sont eux qui rejoignent le NRP, fournissant au parti indépendantiste une masse de manœuvre qui pourrait exiger elle-même des initiatives extrêmes selon les circonstances et les événements. En ce sens, il se pourrait bien que le NRP soit en train de commencer sa transformation en un parti de plus en plus activiste, – on n’irait pas jusqu’à dire “révolutionnaire” mais presque, – ou bien l’on dirait “révolutionnaire postmoderniste”, la formule restant à définir ou bien à se constituer d’elle-même au gré des événements. Et, dans ce cas, l’orientation du NRP est moins purement indépendantiste, qu’indépendantiste dans un esprit d’antagonisme vis-à-vis des élites-Système londoniennes (politique, sociétales, financières, de communication) qui se sont mobilisées jusqu’à l’hystérie contre l’indépendance dans les derniers jours de la campagne du 18 septembre. L’on voit alors le schéma opérationnel qui se dessine : la dynamique pour l’indépendance dans cette deuxième phase devient majoritairement une lutte antiSystème, le Système étant fort justement représenté par le centre londonien ayant réussi à embrigader la partie la plus conservatrice par l’âge et les situations acquises en Écosse. Il y a là tous les éléments pour pousser à la constitution d’un foyer de révolte au cœur même du Royaume-Uni, pays central du bloc BAO. Dans ce cas, l’on comprend combien deux tendances si viscéralement opposées, – les tendances socialistes traditionnelles de l’Écosse et les tendances orthodoxes libérales antiétatistes se retrouvent, sans s’entendre sur rien par ailleurs, pour constituer un front de soutien de l’Écosse indépendantiste, contre le Système dans sa composante londonienne, identifiée comme une sorte de “socialisme néolibéral”, – c’est-à-dire la puissance publique mise au service des forces monopolistiques privées constituées à l’intérieur du Système, – formule-Système par excellence.

Ainsi la question écossaise, qu’on osait à peine qualifier de crise écossaise avant le scrutin, devient-elle une véritable crise au cœur du Royaume-Uni. Le “modèle écossais”, lui, est en train de se structurer formidablement, d’acquérir une psychologie collective de “modèle” à forte potentialité de contestation antiSystème, avec des potentialités de véritable révolte dont l’opérationnalité reste à définir pour notre époque postmoderniste, mais qui pourrait créer ces nouvelles conditions. En ce sens, l’on pourrait dire que le “modèle” pourrait bien avoir dépassé son créateur pour devenir une référence vers laquelle ce même créateur devrait se tourner à son tour pour développer une capacité de puissance de révolte. Là-dessus, on ne manquera pas d’ajouter les événements à prévoir entretemps, comme l’évolution de la situation en Catalogne au mois de novembre, qui ne peuvent que renforcer dans le sens de la contestation le “modèle écossais” tel qu’on le représente ici.

C’est par conséquent bien un nouveau modèle de crise qui se développe, au cœur même du bloc BAO. Il devient possible, à ce point, d’envisager l’hypothèse que le “modèle écossais“ est en train de devenir la référence fondamentale d’un germe de révolte de type postmoderniste, c’est-à-dire de déstructuration et de dissolution, à l’intérieur du bloc BAO. Il va de soi que, dans les conditions qu’on décrit, les principes qui sont si précieux en temps normal, dans les temps où le monstrueux Système ne fait pas trop peser sur la marche des choses ses pressions elles-mêmes déstructurantes et dissolvantes, ces principes n’ont plus guère de valeurs imposées et se trouvent dans une situation de redéfinition complète et bouleversante. On pense évidemment à la souveraineté nationale, qui se trouve mise à mal par des poussées telles que celle du “modèle écossais” ; la réponse à apporter à cette remarque est assez simple et tient dans le seul constat que ce principe de la souveraineté qu’on craint de mettre à mal, se trouve lui-même dans un état de dissolution accélérée dans le cadre d’un Système où la puissance publique (garante en principe de la souveraineté) n’est plus qu’un appendice des puissances privées liées au Système, avec comme seule tâche de rassembler les richesses venues des populations, pour les redistribuer vers ces puissances privées du système (système financier notamment). De ce point de vue, le “modèle écossais”, dans son développement en cours et à venir, aura très certainement la vertu de nous exposer la situation telle qu’elle est devenue, — comme le roi, la “vérité de situation” mise à nue.

Bien entendu, dans cette sorte de prospective dynamique qu’on envisage, la question européenne, – eurosceptique ou pas, Londres plus ou moins européen, que ferait une Écosse indépendante vis-à-vis de l’UE, – devient complètement académique. Quand on parle d’un brandon incandescent comme le “modèle écossais” dans sa fonction antiSystème, on comprend que ce “modèle”, qui est un danger mortel pour Londres en tant que l’un des centres du Système, est aussi bien un danger mortel pour l’UE, pour sa centralisation de type “socialiste néolibéral”, pour sa pression totalitaire exercée sur le domaine qui lui est confiée. On comprend que l’on parle de la possibilité d’événements complètement inédits, éventuellement brutaux, – d’une “brutalité postmoderne” à inventer, – qui pourraient constituer l’une des clefs que l’on cherche depuis des décennies, depuis la fin du communisme, depuis que la révolution classique ne peut plus être faite… Dans ce cas, la courageuse Écosse aurait bien mérité de l’antiSystème.

Source : DeDefensa, 23/09/2014

 

Source: http://www.les-crises.fr/l-ecosse-tentee-par-le-modele-ecossais-par-philippe-grasset/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 24 September 2014 at 00:35

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : Olivier Delamarche sur BFM Business :

Olivier Delamarche VS Marc Riez: La croissance chinoise ralentit en août, dans Intégrale Placements – 22/09 1/2

Olivier Delamarche VS Marc Riez: Dans quel type d’entreprise investir en Bourse ?, dans Intégrale Placements – 22/09 2/2

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Chine, une injection de liquidité sans intérêt – 17/09

Philippe Béchade VS Philippe de Cholet: La Chine injecterait des liquidités dans son système bancaire, dans Intégrale Placements – 17/09 1/2

Première partie

Philippe Béchade VS Philippe de Cholet: Excès de liquidités: quel effet pour les entreprises ?, dans Intégrale Placements – 17/09 2/2

Deuxième partie

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Cyrille Collet: Relance de l’Europe: les mesures de la BCE sont-elles efficaces ?, dans Intégrale Placements – 23/09 1/2

Jacques Sapir VS Cyrille Collet: Bourse: Dans quel pays faut-il investir ? – 23/09 2/2


 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi, ou les sites Soyons sérieux et Urtikan.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade/


[Reprise] Ah, au fait, Poutine a tiré du nucléaire ce week-end, par Philippe Grasset

Tuesday 23 September 2014 at 00:45

Reprise d’un billet de DeDefensa

Le ministre de la défense ukrainien, le Colonel-Général Valery Geletey, vient d’effectuer un voyage en Pologne, chez les amis. Des journalistes l’accompagnèrent, pour recueillir précieusement ses confidences. L’une d’elles concernait l’aéroport de Lougansk, où des forces ukrainiennes avaient tenu bon contre l’encerclement des forces de Novorussia, avant, semble-t-il, d’en être délogées. C’est alors que Geletey expliqua la perte de l’aéroport par le fait que les Russes vinrent à l’aide de Novorussia en amenant un mortier 2S4 Tyulpan, avec au moins deux obus à charge nucléaire de 3 kilotonnes, puisqu’effectivement, toujours selon les précisions du Colonel Général, ils utilisèrent deux obus nucléaires de 3 kilotonnes, forçant la défaite ukrainienne dans cette bataille. «S’il n’y avait eu les Tyulpan [et les deux obus nucléaires, cela va de soi], nous aurions pu tenir l’aéroport pendant des mois et personne n’aurait pu nous en déloger». Voilà… Cela aurait dû être le Fort Alamo de la vaillante armée de Kiev-la-vertueuse mais l’immonde Poutine, bousculant toutes les règles de la civilisation et envahissant l’Ukraine une fois de plus, façon-Stealth, a tiré du nucléaire. Il y avait Hiroshima et Nagasaki (dont la destruction pourrait bien avoir été manipulée in vitro par une action de désinformation prémonitoire du futur bébé Vladimir Vladimirovitch), il y a désormais sur le banc de l’infamie Lougansk et ses deux obus de 3 kilotonnes.

L’affaire a fait tout petit bruit tant on a admis ici et là, en-dessus et en-dessous, etc., que son ridicule était tel qu’il risquait d’emporter à peu près tout des miettes de cohérence et de bon ordre qu’on retrouve encore dans l’Ukraine de Kiev, éparses, dispersées, orphelines… Russia Today n’a tout de même pas résisté, le 21 septembre 2014, à nous en faire un compte-rendu où le sarcasme côtoie les yeux grand ouverts d’ébahissement…

«The allegations, by Col. Gen. Valery Geletey, were first reported by Roman Bochkala, one of the Ukrainian journalists accompanying the minister in his recent trip to Poland. “So Russia did use tactical nuclear weapons against Ukrainian troops,” the journalist wrote on his Facebook page, citing Geletey’s words.

»The nuclear weapons in question are rounds for 2S4 Tyulpan self-propelled mortars. The journalist reported the minister as saying that Russia supplied some of those to rebel forces and used at least two 3-kiloton nuclear rounds in the battle for Lugansk airport. “If it were not for the Tyulpans, we could have been holding the airport for months and nobody would have ousted us from it,” the general was cited as saying…»

• Réactions diverses chez les Russes, de l’incrédulité à l’ironie, et jusqu’à la défense du ministre ukrainien (“non, il nous paraît impossible qu’un général ait dit une chose pareille…”).

«The allegations understandably provoked a small media storm in Ukraine and even comments from the Russian Defense Ministry, which expressed doubt that a general could actually have said it. If the minister did say all that, the Russians joked, then “the Ukrainian security service should investigate what the Polish friends slipped into Geletey’s glass.” “Speaking seriously, Geletey’s habit of justifying the failures of the punitive operation in southeastern Ukraine with the alleged actions of the Russian armed forces start to resemble paranoia,” the Russian ministry added…»

• Devant les premières réactions suivant ses affirmations, le Colonel Général ukrainien a songé à rétropédaler. Ses explications sont embrouillées, difficilement compréhensibles sinon inaudibles. Elles ont au moins l’avantage de donner du crédit à cette succulente et étrange histoire postmoderniste, dans la mesure où lorsqu’un ministre dément, essentiellement à Kiev, c’est que l’histoire impliquée nous a rendu compte d’une vérité par inadvertance. Impitoyable avec ses explications, Russia Today prend tout de même la peine de réduire à bien peu de chose l’argumentation “nucléaire” du ministre («The minister apparently is not completely honest, since direct access is not required to collect evidence of a nuclear detonation, even a small one»).

«The Ukrainian general himself later denied the nuclear allegations, saying that the journalist had misinterpreted his words. “Everyone knows that Russia is de facto using Ukrainian territory as a testing range for its new weapons,” Geletey wrote on his Facebook page. “What else than for testing did the Russians send 2S4s into our territory?” “I stress that only competent specialists armed with special equipment may test whether or not a nuclear or any other weapon that we don’t know of was used. In particular they need to take radiation samples on the ground. Unfortunately, we cannot do that because Lugansk airport is currently under control of the terrorists and the Russian military,” he added…»

• Les déclarations du ministre ont attiré des réactions à Kiev même, du côté du ministère de l’intérieur, sous la rubrique “à force d’être ridicule, le ministre de la défense va finir par ridiculiser l’Ukraine aux yeux de la Russie et du reste du monde”. Il semble en effet que le Colonel-Général, nommé à la va-vite en mai dernier pour tenter de redresser la situation militaire, n’en soit pas à son coup d’essai, du moins aux yeux du ministère de l’intérieur. Il s’agit d’une confirmation parmi d’autres, derrière le ridicule de l’affaire, de dissensions sérieuses au sein de la direction à Kiev.

«If anything, the defense minister and the journalist, who misreported his words, have given ammo to critics of Ukraine, said Anton Gerashchenko, an aide to Interior Minister Arsen Avakov. “Why would anyone make such statements that can be easily checked and proven false?” he wrote on his Facebook page. “In the end Russia and the entire world will now ridicule us. Too bad, it’s nothing new for us.”

»The two Ukrainian ministries involved in the military campaign against rebel forces in the east have been trading accusations lately. The latest round of bickering this week came after Geletey said in an interview that “there were no real heroes” among the commanders of the Interior Ministry’s National Guard, who are now seeking seats in parliament. Avakov responded with a demand for an apology from his fellow minister.»

Cet épisode représente, dans son outrance même, un excellent symbole de la situation en Ukraine-Kiev, d’une part par rapport au sérieux qu’on peut attribuer aux représentants de la direction, d’autre part par rapport à la stabilisation-confusion de la situation dans la partie du pays “sponsorisée” par le bloc BAO. Mais il s’agit d’abord de distinguer dans quelle mesure le procédé de la narrative, passant ici de la “fantasy-narrative” (l’“invasion-Stealth” et le reste) déjà largement utilisée à la “narrative-ridicule”, finit par coûter de plus en plus cher à ceux qui l’utilisent, dans un gracieux mouvement d’inversion selon le grand art de la surpuissance du mensonge engendrant l’autodestruction par le mensonge. Il y a là une limite de capacité et de validité à déterminer, c’est-à-dire une limite de mesure du mensonge qui doit être appréciée en fonction des possibilités que la situation puisse ou non l’absorber, et si cette possibilité est dépassée les dégâts engendrés pour celui qui les émet. La sortie du Colonel-Général a notamment provoqué cette réaction cynique d’une source européenne indépendante, dont on pourrait observer qu’elle allie dans ses jugements fatalisme et ironie méprisante : «Il faut savoir bâtir des scénarios-bidons dans les limites des possibilités et de la crédibilité, si l’on veut parvenir à susciter un engagement des alliés extérieurs, même les plus crédules, ou même simplement maintenir leur niveau d’engagement… Il faut être vague, lancer des accusations difficilement vérifiables, donc difficilement niables, et vraiment la sortie du ministre de la défense, qu’il ait été ou non mal compris, est à cet égard complètement contre-productive.»

La question du mensonge dans la partie qui se joue en Ukraine devient un cas de plus en plus délicat pour la direction de Kiev, de plus en plus Kiev-guignol, et de plus en plus divisée à mesure qu’on approche des élections, avec une opposition farouche entre le président Porochenko, qui aurait parfois des velléités d’arrangement de la situation, et son premier ministre Yatsenouk, qui est plutôt de la partie extrême alimentée par les neocons et tous leurs relais de type “société civile” ou centre d’agitation type-Soros. Dans ce cadre général, le Colonel-Général Geletey, recruté en hâte en mai dernier comme on l’a dit et ainsi insuffisamment rôdé au jeu de billard à multiple bandes qu’est la politique à Kiev-guignol avec les multiples influences du bloc BAO, fait plutôt figure d’“électron libre” un peu irresponsable, prenant la licence du mensonge, que ce soit indirectement et presque toujours sans conscience réelle de ce qu’il déclenche, pour un jeu sans limites ni bornes d’équilibre et recherche d’une certaine apparence de cohérence. La sortie “nucléaire” de Geletey, qu’elle ait été exprimée comme telle ou bien interprétée par un journaliste parce que Geletey laissait la place à l’interprétation, montre que le poids du mensonge en politique, notamment par le biais de la “narrative-ridicule”, risque de mettre dans l’embarras même les forces les plus disposées à soutenir cette politique dans le cadre d’une communication russophobe à outrance. Même l’outrance, et nous dirions même “surtout l’outrance” a ses règles, ce que Geletey semble ignorer ; plus l’on ment outrageusement, plus l’on est tenu à une grande rigueur morale dans l’observation des règles opérationnelles de la chose.

Depuis le mois de mars où le courant de la narrative antirusse avait de la tenue, jusqu’au paroxysme de la destruction du vol MH17 en juillet, la narrative antirusse, passant à la phase-fantasy puis à la phase-ridicule, est en train de perdre son efficacité et sa puissance d’impact. C’est une orientation dangereuse. Lorsqu’on monte des narrative à ce point mensongères, effectivement, une tension psychologique extrêmement forte est nécessaire, pour étouffer dans l’intellect des protagonistes divers toute velléités l’esprit critique, pour ne pas prendre le risque de passer pour un constructeur de fausses-vérités de situation, notamment auprès de certains segments du système de la communication puis auprès des électeurs quand il s’agit d’hommes politiques qui tiennent à leur onction démocratique vertueuse et régulière. Des “coups” comme celui du Colonel-Général avec ses obus poutiniens de 3 kilotonnes, avec cette allure de tragédie si énorme qu’on croirait une tragédie-bouffe (de l’italien buffo, pour “ridicule”), font brusquement tomber la tension, faisant passer la gravité tragique qui compose habituellement le masque de carnaval des réunions de l’OTAN, en un éclat de rire nerveux qu’on n’arrive plus à retenir. Il y a un risque sérieux de “dérapage”, comme on dit dans les salons de la politique politicienne et parisienne ; il y a le risque très préoccupant que, soudain, la vérité de la situation apparaisse plus crédible, plus “vendable”, voire plus sexy (cela pour la presse-Système), que les déclarations des ministres amateurs du type Kiev-guignol. Il s’agit là d’un sérieux problème stratégique qui devrait déclencher une réflexion approfondie à l’OTAN et une revue critique de la doctrine de défense du Monde Libre Postmoderniste.

… Effectivement l’OTAN, exactement l’OTAN, – où existent quelques spécialistes de la narrative qui pourraient servir de coaches aux ministres-guignols de Kiev. C’est le cas du général Breedlove, de l’USAF, détaché comme proconsul de la Pax Americana auprès de l’OTAN, comme SACEUR et commandant en chef des forces alliées en Europe. Sur Strategic-Culture.org, le 22 septembre 2014, Finian Cunningham nous rapportait la dernière sortie de Breedlove, – un excellent exemple de l’art consommé de la “fantasy-narrative”, exercée par un vrai professionnel. Au Colonel-Général Geletey, ci-devant ministre de la défense de l’Ukraine démocratique, d’en prendre de la graine.

«Given the appalling humanitarian situation in eastern Ukraine, an observer would think that all reasonable parties should be striving to bolster the chances of success for any ceasefire initiative. Moscow has evidently demonstrated its political commitment. But not, it seems, Washington or its General Breedhate. The American military commander was speaking at a NATO military conference in the Lithuanian capital, Vilnius, on Saturday just hours after the latest peace plan was unveiled in Minsk. The General dismissed the ceasefire as being “there only in name” and he repeated unsubstantiated claims that Russian forces were operating in Ukraine. That’s hardly a constructive attitude.

»As German newspaper Deutsche Welle reported, the Four-Star General “could not pinpoint how many” or where exactly these alleged Russian soldiers are operating in eastern Ukraine. “The fluidity of movement of Russian forces and Russian-backed forces back and forth across [the Ukrainian] border makes it almost impossible to understand the numbers,”said the General with telling, and conveniently, vague assertion. “The ceasefire is still there in name, but what is happening on the ground is quite a different story,”Breedlove added.»

Source : Philippe Grasset, DeDefensa, 22/09/2014

Source: http://www.les-crises.fr/ah-au-fait-poutine-a-tire-du-nucleaire-ce-week-end/


[Reprise] La construction européenne a transformé l’histoire, par Serge Sur

Monday 22 September 2014 at 10:13

Intervention de M. Serge Sur, professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas, directeur de l’Annuaire Français de Relations Internationales (AFRI), rédacteur en chef de Questions internationales, à la table-ronde l’Europe sortie de l’histoire ? Réponses du lundi 20 janvier 2014.

Vous m’avez donné la redoutable charge d’être le premier à vous répondre et je dois me situer par rapport à vous, par rapport à votre ouvrage, par rapport à votre question : « L’Europe sortie de l’histoire ? ». C’est une question mais ce sont aussi deux dates « 1914 – 2014 ». Je me suis donc demandé quelles places respectives il fallait accorder au conflit et à la situation actuelle de l’Europe. Il m’a semblé que c’était cette deuxième perspective qui devait nous retenir davantage. Mais comme vous avez parlé vous-même de la guerre, peut-être me limiterai-je à deux brèves remarques à ce sujet. Le souci de ne pas être trop long veut que je simplifie un peu mon propos, que je lui donne un caractère un peu abrupt qu’il n’aurait pas s’il était plus nuancé, plus développé. Mais c’est aussi la logique d’un premier tour d’horizon où l’on se prépare à débattre.

– I –

Sur la Guerre de 1914, j’ai des idées assez claires et assez simples.

– Première remarque : il y a une responsabilité politique claire, c’est celle de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne. Je n’en veux pour preuve que les Mémoires du chancelier Von Bülow [1] qui, établissant très clairement ce processus d’entrée en guerre, ne cache pas les fautes de l’Allemagne qu’il décrit, qu’il critique. Je voudrais aussi me référer très brièvement à une lettre écrite en 1905 à l’empereur, qui figure dans sa correspondance, publiée en 1931 chez Grasset [2]. À cette époque, vous avez tout à fait raison, on envisageait une guerre anglo-allemande. Et cette guerre fut effectivement plus anglo-allemande que franco-allemande, ce qu’avait très bien vu Thibaudet en 1922 dans son ouvrage La Campagne avec Thucydide [3]. Nous sommes dans l’équivalent d’une guerre du Péloponnèse, écrivait-il, qui oppose une puissance continentale et une puissance maritime. La puissance maritime, c’est l’Angleterre. Précisément, dans la lettre que je viens d’évoquer, Von Bülow envisage l’hypothèse que l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne ou attaque l’Allemagne et il écrit à l’empereur :

« Il faut que Votre Altesse envoie aussitôt un télégramme à Bruxelles et un à Paris, avec sommation de se déclarer dans les six heures pour ou contre nous. Nous entrerons immédiatement en Belgique quelle que soit sa réponse. Pour la France, il s’agit de savoir si elle restera neutre, ce qui est peu vraisemblable mais non impossible. Si la France mobilise, c’est une menace de guerre dirigée contre nous au profit de l’Angleterre. Il faudra alors que les régiments russes marchent avec nous. Et je crois que la perspective de se battre et de se livrer au pillage dans la belle France sera un appât suffisant à les attirer. À l’occasion, on pourrait voir s’il ne serait pas possible d’offrir une compensation à la France afin qu’elle se comporte bien à notre égard, comme par exemple un arrondissement de territoire au détriment de la Belgique. Cela la dédommagerait de l’Alsace-Lorraine. »

On observe là une vision allemande de conquête, de partage qui n’était pas du tout celle de la France entrant en guerre.

– Deuxième remarque, sur la mémoire de cette guerre. Nous allons commémorer en cette année 2014 l’entrée dans la Grande Guerre. Je redoute beaucoup d’être exposé à une logique victimaire nous expliquant que les soldats ont été massacrés et, en partie, massacrés par nos propres généraux. Je dois dire que je trouve ce discours insupportable. Je crois qu’il faut au contraire considérer que ces soldats furent des héros. Ils se sont battus pour défendre le sol français. Pour moi qui suis de famille alsacienne, cette Guerre de 1914 signifie quelque chose. Ils doivent être célébrés comme de vaillants combattants qui sont morts les armes à la main. S’ils sont dignes de compassion, ils méritent surtout qu’on les admire parce que cette génération est tout à fait admirable.

– II –

Ayant dit ceci, qui peut évidemment prêter à controverse, je voudrais en venir à la question principale : « L’Europe sortie de l’histoire ? »

L’Europe, c’est l’Union européenne, aussi bien dans son processus – les communautés (CECA, CEE, CEEA) puis la Communauté puis l’Union – que dans son état actuel. Cette question, a priori, m’est apparue un peu paradoxale parce qu’on pourrait dire, à l’inverse, que c’est la construction européenne qui a réintroduit l’Europe dans l’histoire. En 1945, l’Europe était sortie de l’histoire. Elle était occupée, détruite, divisée. Elle était déconsidérée, par le nazisme pour les uns, par le colonialisme pour les autres.

Où en est l’Europe aujourd’hui ?

Elle a surmonté tout cela. Elle est en bien meilleur état aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1945. Alors que l’après Première Guerre mondiale avait été pour elle un désastre, l’après Deuxième Guerre mondiale a été plutôt une réussite. Réussite due à une innovation conceptuelle, qu’on peut très longuement discuter, de Jean Monnet. Ce dernier avait certes une ambition à laquelle on peut ne pas souscrire mais l’instrument qu’il a dégagé, le concept de communauté, était une innovation intellectuelle extrêmement féconde. À vrai dire, dans le domaine des relations internationales – où les institutions, les concepts sont relativement rares et où nous vivons depuis la fin du Moyen-Âge sur le concept d’État – le concept de communauté a été une innovation majeure, et nous vivons toujours sur son héritage. De sorte que je crois que la construction européenne et le concept de communauté qui en a été l’instrument ont permis à l’Europe d’entrer à nouveau dans l’histoire et d’y entrer avec un nouveau visage.

Où serait aujourd’hui l’Europe sans l’Union européenne ? Il me semble qu’on ne peut pas répondre à cette question. On ne peut pas répondre aux questions qui n’ont pas d’objet. Mais mon sentiment est qu’elle serait dans une situation moins favorable qu’elle ne l’est, même aujourd’hui. Je ne veux pas être l’Européen de service. Je ne suis pas un militant de l’Europe. Je suis idéologiquement neutre sur ce plan et je suis très attaché à l’idée nationale. Mais il me semble que, précisément, l’idée nationale a tiré profit de la construction européenne, notamment en Europe. Construction européenne et idée nationale, loin d’être antagonistes, sont selon moi indissociables.

La question : « L’Europe est-elle sortie de l’histoire ? » tourne autour de l’histoire et de l’idée qu’on se fait de l’histoire. Que va-t-on appeler « histoire » ? De quelle histoire l’Europe sortirait-elle ? Sans prétendre répondre à la question, j’essaierai d’en dégager quelques éléments, quelques sens possibles. Il s’agit de savoir ce qu’est l’histoire. Nietzsche écrivait, dans Généalogie de la morale : « […] n’est définissable que ce qui n’a pas d’histoire » [4]. C’est une observation que je livre au Président Soutou. Il ne sera peut-être pas d’accord sur ce point, mais cela me semble vouloir dire que l’histoire non plus n’est pas définissable. Simplement il peut y avoir plusieurs perceptions de l’histoire. Alors je vais me fonder sur différentes perceptions pour tenter d’analyser la question : L’Europe est-elle sortie de l’histoire… mais de quelle histoire ?

– La première idée qui vient à l’esprit, c’est que l’histoire, c’est la guerre. Carl Schmitt, qui était juriste, n’écrivait-il pas en substance que l’histoire du droit international depuis son origine n’est rien d’autre que l’histoire de la guerre [5] ? C’est juste, mais je me demande si l’on ne peut pas généraliser son propos à l’histoire tout court. Il est vrai que l’histoire de l’Europe et du monde – et l’histoire du monde façonnée par l’Europe – a été longtemps celle de la guerre, jusqu’aux guerres paroxystiques du XXe siècle. Indiscutablement, de ce point de vue l’Europe est sortie de l’histoire, elle est sortie de l’histoire de la guerre. Personne ne contestera que c’est une bonne chose. Elle a réussi à créer une paix structurelle entre ses membres, à partir de l’entente franco-allemande et à condition que cette entente franco-allemande se maintienne, ce qui veut dire que c’est une entente à laquelle chacun de nous doit veiller comme à la prunelle de ses yeux. Une condition clé du maintien de la paix en Europe, et une condition permanente est le maintien de l’entente franco-allemande.

Si l’Europe, du point de vue de la conception guerrière de l’histoire, est sortie de l’histoire et pour son bien, je crois qu’en revanche on peut dire que l’histoire n’est pas sortie de l’Europe. L’histoire n’est pas sortie de l’Europe dans la mesure où elle n’a pas eu les moyens d’universaliser son modèle. Elle n’a d’abord pas servi de modèle à l’extérieur. Le modèle de la réconciliation franco-allemande aurait pu servir de base pour la question palestinienne. Il pourrait aussi servir de base pour les relations entre l’Inde et le Pakistan, par exemple. Certains de ces couples infernaux que connaissent les relations internationales pourraient, tout d’un coup, transcender leurs conflits par leur entente même, et transformer des conflits stériles en un jeu à somme positive. Cela ne s’est malheureusement pas produit, et l’Union européenne est demeurée une entreprise tout à fait singulière.

L’histoire extérieure, ensuite, a frappé et frappe encore l’Europe. Elle l’a frappée avec la guerre froide, puis avec le phénomène des États défaillants, y compris à ses portes. Le terrorisme international ne l’a pas épargnée, soit que certains réseaux y aient trouvé refuge, soit qu’ils l’aient prise pour cible. En d’autres termes, l’Europe a su pacifier son espace entre ses membres, mais elle n’a su ni exporter cette pacification ni se protéger entièrement des tribulations d’origine extérieure. On l’a bien vu à ses frontières même, pratiquement en son cœur, avec l’affaire yougoslave. Face à l’effondrement du pays, à sa partition en plusieurs étapes, elle a été largement défaillante tant politiquement, diplomatiquement que militairement. Je me borne là pour cette première approche de l’histoire, présentée de façon très sommaire comme le veut la logique du propos.

– Deuxième approche possible : on peut dire que l’histoire, c’est la compétition pour la puissance. C’est la conception de Paul Kennedy : l’histoire des relations internationales n’a jamais été que celle de l’ascension et de la chute des grandes puissances [6]. Il est vrai que l’Union européenne a rompu avec un modèle de puissance qui était le modèle historique de la domination, de la force, de la prépondérance sur autrui, celui de l’empire – domination sur l’Europe elle-même – comme celui de l’hégémonie – domination du monde extérieur. On peut dire que l’Europe a échangé avec les États-Unis ce modèle de puissance auquel elle avait renoncé, ou qui lui a échappé avec la destruction des empires – Première Guerre mondiale – et la destruction des empires coloniaux – Deuxième Guerre mondiale.

Au moment où les États-Unis ont triomphé après les deux guerres mondiales, ils ont en quelque sorte repris à leur compte ce modèle de puissance abandonné par l’Europe. Très éclairant est à cet égard l’ouvrage de Robert Kagan sur Mars et Vénus [7] symbolisant les vertus viriles des États-Unis et les faiblesses féminines de l’Europe. Très significatif également dans l’imaginaire américain cet archétype du western, High Noon ou Le train sifflera trois fois [8]. On voit dans ce film le shérif Kane (Gary Cooper) affronter seul des truands, confronté à la lâcheté de la ville qu’il défend et qui l’abandonne. Il est très intéressant de noter qu’au moment de la guerre d’Irak, en 2003, les journaux américains présentaient les Européens comme des sissies (tapettes), des lâches… les comparant aux habitants de Hadleyville, le village de Kane, tandis que Kane se dresse seul face à ses ennemis. High Noon [9] est, selon leur dire, le film préféré des présidents Bill Clinton et George W. Bush. Il y a là une sorte d’ethos consensuel américain très révélateur.

Ceci étant, si l’Union européenne a rompu avec un modèle de puissance, elle n’a pas rompu avec la puissance. Elle incarne une autre forme de puissance, les normes, les valeurs, la conditionnalité, les partenariats, l’attractivité et, en dépit des difficultés internes qu’elle peut connaître, l’Union européenne reste très attractive. Tous ses voisins souhaitent appartenir à l’Union européenne. Elle reste aussi la première puissance économique et commerciale du monde, même dans le cadre de la mondialisation, et sa capacité de négociation au sein de l’OMC est forte. On ne peut donc pas dire que l’Union européenne est inexistante sur ce plan.

Si elle a une faiblesse – et là je rejoins tout à fait les observations du président Chevènement – c’est sur le plan monétaire. Mais il ne s’agit pas seulement de l’euro. Le problème est beaucoup plus large, c’est celui du dollar. Il n’existe pas de système monétaire international. C’est une carence – pas pour tout le monde – à laquelle l’euro sert un peu de palliatif. L’euro a cherché à compenser l’absence de système monétaire international, absence qui entraîne fragilité sur le plan bancaire et dépossession de la capacité de décision en matière monétaire. Au fond, aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui maîtrisent la monnaie. Le dollar est à la fois monnaie nationale et monnaie internationale dominante, ce qui est sans exemple dans l’histoire. De là un phénomène de domination qui n’a pas de précédent : une monnaie nationale est en même temps la monnaie internationale exclusive ou quasi exclusive. L’euro ne l’est que de façon très secondaire.

En définitive, l’économie mondiale dépend des décisions de la FED et non des décisions de la Banque centrale européenne. L’euro est donc une monnaie dominée. Le véritable problème est ainsi moins celui de l’euro que celui du système monétaire international. Pour y remédier, il conviendrait que non seulement les États européens mais tous les États du monde, et notamment les puissances émergentes, dont cela serait également l’intérêt, s’assemblent pour mettre en place un véritable système monétaire international. Quel qu’il soit, un système monétaire international serait préférable à la domination du dollar.

Cette domination du dollar va de pair avec celle des normes. Les normes américaines (normes bancaires, normes comptables, normes industrielles…) sont en train de se répandre voire de se mondialiser. Toutes les normes ne sont pas juridiques mais les plus importantes le sont, et la loi américaine aspire à s’universaliser. Derrière les États-Unis comme derrière l’Union européenne il y a des normes. Or aujourd’hui une sorte de lutte pour le droit est menée pour déterminer les systèmes juridiques qui seront dominants, voire pourront faire l’économie de régulations internationales. Sur beaucoup de plans, de façon assez discrète, ce sont aussi bien les normes américaines que la compétence des tribunaux américains qui se développent. Internet notamment repose très largement sur la loi américaine, sur des contrats qui, soumis à une loi californienne, échappent totalement à une régulation internationale – avec, d’ailleurs, la complicité tacite des gouvernements.

Au-delà du plan commercial, économique, on assiste sur le plan des droits de l’homme à une lutte sourde entre le Premier amendement (qui consacre une totale liberté d’expression) et la conception européenne des droits de l’homme (la Convention européenne des droits de l’homme pose des limites à la liberté d’expression). La liberté d’expression n’est qu’un exemple particulier de conceptions différentes des droits de l’homme entre l’Europe et les États-Unis. On voit bien, notamment à propos d’internet que les systèmes juridiques peuvent être en conflit ouvert et que le Premier amendement l’emporte de plus en plus grâce à l’ubiquité d’internet. Si l’Union européenne n’est pas dépourvue de moyens de lutte contre cette pression diffuse et multiple, il n’est pas certain qu’elle ait la volonté de les mettre en œuvre.

– III –

On peut alors retenir une approche plus prospective de la question. Le Plan Marshall a certes joué un rôle au départ de la construction européenne, mais la dynamique communautaire s’était depuis lors largement autonomisée. Pour l’Europe, la sortie de l’histoire ne risque-t-elle pas finalement d’être la dissolution de l’Union européenne dans l’Otanie ? C’est le cœur du problème. Je ne crois pas du tout que l’Union européenne soit sortie de l’histoire mais elle peut en sortir, voire elle serait en passe d’en sortir – et avec elle les nations qui la composent – dans la mesure où elle se dissoudrait dans une Otanie qui est en gestation – Otanie que l’on baptise du doux nom d’Occident.

– Cette perspective est évidemment liée à la zone de libre-échange transatlantique. Si cette zone de libre-échange est mise en place, la conception britannique qui dès les années cinquante s’opposait au marché commun, l’emporterait. Il en résulterait une domination totale de l’anglosphère. L’Europe telle que nous la connaissons serait vassalisée si cette zone de libre-échange voyait le jour. Ce risque, qui pour certains Européens mêmes est une chance, est très présent parce que la pression américaine est très forte. Les lobbies américains en particulier sont extrêmement puissants et très présents à Bruxelles. Sur ce point, je rejoins tout à fait le président Chevènement : le Parlement européen est aujourd’hui totalement dominé par les lobbies, notamment américains. Il y a quelques semaines, James Baker s’est ainsi rendu à Bruxelles pour féliciter les lobbies américains de leur activité et de leurs succès.

Une telle domination viendrait compléter la domination monétaire et bancaire des États-Unis. Cette tutelle économique et financière serait la deuxième mâchoire, la première étant celle de l’OTAN qui exerce déjà une tutelle militaire, une tutelle sécuritaire sur l’Europe. Je me souviens d’avoir entendu l’ambassadeur Gabriel Robin, après la chute de l’URSS, devant la Société d’histoire générale et d’histoire diplomatique, utiliser une image antique. J’ai évoqué la guerre du Péloponnèse, et lui parlait de triomphe (triumphus) à la romaine. Et il décrivait le « triomphe » de l’OTAN… et derrière le char de l’OTAN s’avancent les vaincus qui sont présentés à la foule… d’abord les anciennes démocraties populaires, le Pacte de Varsovie, l’URSS, et un peu plus loin l’Europe. Avec ce projet, nous y sommes.

Un élément clef est l’industrie de défense. Une bataille, ouverte ou souterraine, se livre entre les industries américaines et les industries européennes. La question du Rafale est très caractéristique. Les États-Unis ont lancé une fatwa contre le Rafale. Personne ne doit l’acheter. C’est une manière de domestiquer l’industrie européenne. C’est aussi l’une des dimensions du problème ukrainien. Derrière les accords d’association avec l’Union européenne il y a les normes OTAN. L’Ukraine, en cas de ratification, devrait commercer selon les normes OTAN. Dès lors firmes et produits américains s’implanteraient. Ce sont au demeurant des dirigeants américains, pas les Européens, qui sont venus haranguer la foule [10] en Ukraine. C’est pourquoi la question de la présence de l’Europe dans l’histoire est selon moi interne à l’Europe.

– Mais l’Union peut-elle dégager et défendre un intérêt européen commun ? Cela suppose des conditions qui ne sont pas remplies aujourd’hui. Nous rejoignons la problématique du livre : quelle que soit la conception qu’on s’en fait, il n’y a pas de puissance sans identité politique. L’Europe cherche son identité politique autour de la démocratie, de la liberté, de la solidarité sociale, des droits de l’homme. Mais la démocratie suppose un peuple. Or il n’y a pas de peuple européen, il n’y a pas de démos européen. Il y a différents peuples dont certains tendent d’ailleurs à se définir comme ethnos plutôt que comme démos. La conception ethnique de la nationalité tend malheureusement à se développer en Europe, autre menace pour l’Union.

De même que la démocratie, les droits de l’homme ne peuvent être garantis que dans un cadre national. On peut avoir une conception déclaratoire des droits de l’homme, comme avec la Convention européenne des droits de l’homme, mais la véritable garantie se trouve dans les systèmes juridiques nationaux. Ils peuvent présenter entre eux certaines différences, liées à leur culture et à leur tradition politique. L’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme est liée à la bonne volonté des États et à l’efficacité de leur système judiciaire. Un certain nombre de décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas appliquées, purement et simplement. Je pense à l’Irlande, je pense à la Pologne et encore, me limitant aux pays membres de l’Union européenne, je ne parle pas de la Turquie ni de la Russie.

Je crois que les nations restent au cœur de l’Union européenne. Elles l’ont été au départ. Je ne sais pas si Jean Monnet voulait vraiment détruire les identités nationales. Il était certainement hostile au nationalisme mais, pour avoir lu ses très intéressants Mémoires [11], je n’ai pas le sentiment qu’il était un ennemi de l’idée nationale. Le rôle qu’il a joué pendant les deux guerres mondiales montre qu’il avait un sens national indiscutable. De Gaulle et lui ont défendu deux conceptions différentes de l’intérêt national. Ceci étant, je ne défends pas l’Europe de Jean Monnet. Elle a eu sa part d’efficacité, elle doit aujourd’hui être dépassée. L’Europe est toujours l’Europe des nations. L’intergouvernementalisme de l’Union tend au demeurant à l’emporter aujourd’hui sur les institutions communautaires intégrées.

Au cœur de cette Europe des nations, l’entente franco-allemande. Nous en partons et nous y revenons. Le problème actuel me semble être d’en persuader l’Allemagne, parce que je crois qu’en France tout le monde en est convaincu. Mais on a un peu le sentiment qu’aujourd’hui l’Allemagne est de plus en plus attirée par le grand large et qu’elle souhaite jouer son destin seule, que l’Europe est un héritage dont elle aimerait bien accepter l’actif et rejeter le passif. C’est peut-être une perception inexacte, peut-être M. Maldacker me contredira-t-il… j’en serais tout à fait heureux.

– IV –

Je conclurai sur une observation qui rejoint également le propos du président Chevènement. Il me semble qu’un des grands échecs de l’Europe est d’avoir manqué la Russie. Après la guerre froide et la chute de l’URSS, la Russie était en quelque sorte en jachère. Elle était dans une situation flottante, ne savait pas très bien où elle allait. Or l’on a recréé des antagonismes artificiels, un nouveau « rideau de fer », une fausse guerre froide. On a eu grand tort. L’élargissement nous a amenés à épouser un peu trop vite les antagonismes et les frustrations des pays d’Europe centrale et orientale. Nous aurions peut-être mieux fait de nous intéresser au grand partenaire qu’est la Russie.

De ce point de vue, la responsabilité est partagée parce que la Russie a connu quant à elle une sorte de « bovarysme politique ». Ne se consolant pas de la fin du duopole américano-soviétique, elle voulait à tout prix maintenir ce dialogue, elle considérait que l’Europe était trop petite pour elle, que ses seuls interlocuteurs dignes d’elle étaient les « grands ». On voit bien aujourd’hui la résurgence de cette aspiration au duopole. Mais nous avons laissé passer la chance d’avoir un partenariat réel. Or il serait plus utile à mon sens d’avoir une zone de libre-échange ou un partenariat paneuropéen avec la Russie qu’un partenariat transatlantique avec les États-Unis. Puisque nous avons ici de grands ambassadeurs, je terminerai par une conclusion à la Norpois : « La route de Berlin, pour la France, passe par Moscou ». [12]

Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le professeur. Votre exposé était tout à fait passionnant. Il y a un point avec lequel je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, c’est Jean Monnet. Il faudrait que nous en reparlions à l’occasion…

Serge Sur
Je ne suis pas monnetiste mais je suis indulgent pour Monnet.

Jean-Pierre Chevènement
Vous savez que le 18 juin il a refusé de suivre le Général de Gaulle et qu’il est devenu chef adjoint de la mission britannique d’approvisionnement aux États-Unis. Pour le reste, je vous renvoie à un excellent petit livre : La faute de M. Monnet [13].

Serge Sur
À Alger, en 1943, il a soutenu de Gaulle.

Jean-Pierre Chevènement
Non, il était là pour soutenir Giraud…

Serge Sur
Oui mais il a lâché Giraud et a soutenu de Gaulle.

Jean-Pierre Chevènement
Giraud s’est planté tout seul. Et de Gaulle, qui n’avait que lui « en magasin », a fait de Monnet son commissaire à l’approvisionnement, ce qui était sa fonction depuis toujours.

Serge Sur
… puis au Plan où il a quand même été extrêmement efficace.

Jean-Pierre Chevènement
En effet.


    1. Mémoires du Chancelier Prince de Bülow :
      • 1849-1896 Sa jeunesse et sa carrière de diplomate, t. 4
      • 1897-1902 Le Secrétariat d’État des Affaires étrangères et les premières années de Chancellerie, t. 1
      • 1902-1909 Du renouvellement de la Triplice jusqu’à la démission du Chancelier, t. 2
      • 1909-1919 La Grande Guerre et la Débâcle, t. 3
      • Denkwürdigkeiten, Bernhard von Bülow (trad. Henri Bloch et Paul Roques), Paris, éd. Plon, 1931

    1. Correspondance secrète de Bülow et de Guillaume II, Guillaume II, Bernhard von Bülow. Préface de Maurice Muret, éd. Grasset, 01/01/1931.

    1. La Campagne avec Thucydide, Albert Thibaudet, Collection Blanche, Gallimard, Parution : 01 06-1922

    1. In La Généalogie de la morale (Zur Genealogie der Moral), Friedrich Nietzsche publié à Leipzig, éd. C.G. Naumann en 1887. 2e dissertation La « faute », la « mauvaise conscience », ce qui leur ressemble (16).

    1. Carl Schmitt, Le Nomos de la Terre, 1950 ; avec présentation de Peter Haggenmacher, PUF, Quadrige, 2008.

    1. Paul Kennedy, The Rise and Fall of Great Powers, 1987 ; Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 1989.

    1. Of Paradise and Power: America and Europe in the New World Order, Robert Kagan, New York, Knopf, 2003. Tiré d’un essai paru dans la revue Policy, cet ouvrage est paru en français aux éd. Plon en mars 2003 sous le titre La puissance et la faiblesse, l’Europe et les États-Unis ont-ils encore un avenir commun ?

    1. Le train sifflera trois fois (titre original : High Noon), western réalisé en 1952 par Fred Zinnemann. Avec Gary Cooper, Grace Kelly, Thomas Mitchell…

    1. High Noon, au sens propre, signifie « plein midi » et, au sens figuré, désigne l’« heure de vérité »

    1. Les sénateurs américains Christopher Murphy et John McCain sont intervenus le dimanche 15 décembre 2013 devant les militants pro-UE rassemblés sur la place de l’Indépendance (Maïdan Nezalejnosti) à Kiev pour leur exprimer leur soutien. « L’avenir de l’Ukraine est dans l’Europe et les États-Unis soutiennent ce choix », a déclaré le démocrate Murphy. Mais Mme Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État des États-Unis en charge de l’Europe et de l’Asie, est à la manœuvre. On connaît son propos sommaire, fin janvier 2014 dans un entretien téléphonique avec l’ambassadeur américain en Ukraine : « Fuck Europe! ». Mme Nuland est l’épouse de Robert Kagan, néoconservateur précité.

    1. Mémoires, Jean Monnet, éd. Fayard, Paris, 1976

    1. « Si tous les chemins mènent à Rome, en revanche, la route qui va de Paris à Londres passe nécessairement par Pétersbourg », citation du Marquis de Norpois dans À la recherche du temps perdu, (volume 3) Marcel Proust.

  1. La faute de M. Monnet, Jean-Pierre Chevènement, coll. « L’idée Républicaine », publié en octobre 2006 aux éditions Fayard avec le soutien de la Fondation Res Publica.

Source : colloque de la Fondation Res Publica

La construction européenne, Gilbert Le Clainche (republikart.free.fr)

Source: http://www.les-crises.fr/la-construction-europeenne-a-transforme-lhistoire/


[Reprise] Afghanistan : Amnesty dénonce les crimes des Américains

Monday 22 September 2014 at 03:30

Vous n’en avez pas trop entendu parler dans nos médias ? C’est normal…

Selon l’ONG, les soldats américains auraient tués des milliers de civils. Sans être poursuivis et sans accorder de compensations aux familles.

Les forces américaines ont tué des milliers de civils afghans sans être poursuivies ni avoir donné des compensations à leurs familles, dénonce lundi 11 août Amnesty international dans un rapport cinglant, à quelques mois du départ de l’Otan du pays.

L’organisation de défense des droits de l’Homme dit y avoir rassemblé des preuves « de l’échec profond du système de justice américain » qui « cimente une culture de l’impunité » pour ses troupes qui ont tué des civils en Afghanistan, où elles sont déployées depuis la chute du régime des talibans à la fin 2001.

Le président afghan Hamid Karzaï a souvent dénoncé les victimes civiles des bombardements de la force de l’Otan (Isaf), à majorité américaine. Cette dernière répond invariablement qu’elle prend ces accusations au sérieux et enquête sur chacune.

Plusieurs milliers de civils ont ainsi péri depuis 2001, note Amnesty à partir de plusieurs sources, dont les rapports de l’ONU. L’organisation souligne toutefois, comme l’ONU, que « la vaste majorité » des victimes civiles du conflit afghan sont victimes des groupes armés locaux, rebelles talibans et autres.

« Laissés dans l’ignorance »

Pour ce rapport, Amnesty dit avoir interrogé 125 Afghans détenteurs d’informations de première main sur 16 bombardements qui ont fait des victimes civiles, et rassemblé des informations sur une centaine d’autres depuis 2007.

« Après chaque événement où des civils ont été tués par des forces américaines » et où il y a « des preuves crédibles » en ce sens, les Américains devraient « s’assurer que les suspects sont poursuivis en justice », souligne Amnesty dans de rapport intitulé Laissés dans l’ignorance (Left in the dark).

Le rapport donne notamment en exemple un bombardement américain de 2012 qui a selon lui visé des femmes qui ramassaient du bois dans la province de Laghman (est), tuant sept femmes et filles et blessant sept autres.

Il cite Ghulam Noor, un habitant qui a perdu dans cette attaque sa fille de 16 ans, Bibi Halimi, et a amené les dépouilles des victimes au siège de l’administration locale après que l’Isaf eut affirmé n’y avoir tué que des combattants rebelles.

« Nous devions leur montrer que c’étaient des femmes qui avaient été tuées », a-t-il déclaré à Amnesty, en ajoutant, amer : « Je n’ai aucun pouvoir pour demander aux forces étrangères pourquoi elles ont fait cela. Je ne peux pas les poursuivre en justice. »

« La principale pomme de discorde »

Selon Amnesty, les villageois ont porté plainte auprès du gouverneur local, mais l’affaire n’a aucun aucune suite car les forces étrangères en Afghanistan ne peuvent être poursuivies par la justice locale.

Ces cinq dernières années, Amnesty ne dénombre que six affaires où des soldats américains ont été traduits en justice pour avoir tué des civils afghans, dont la plus grave, celle du sergent américain Robert Bales, condamné à la prison à vie pour en avoir tué 16 en 2012.

Le président Karzaï, sur le départ, a salué ce rapport.

« Je suis très heureux que vous vous soyez concentrés sur ce qui constitue la principale pomme de discorde entre l’Afghanistan et les États-unis », a-t-il déclaré dimanche aux représentants d’Amnesty, invités au palais présidentiel, ajoutant : « Ensemble, nous pouvons y mettre fin. »

Interrogée par l’AFP, l’Isaf a renvoyé sur le gouvernement américain, qui n’était pas immédiatement joignable.

Près de 45.000 soldats étrangers, dont 30.000 Américains, sont actuellement déployés en Afghanistan, après un pic de 150.000 en 2012, pour soutenir Kaboul face à la rébellion menée par les talibans.

Les États-Unis ne prévoient de laisser dans le pays que 10 000 hommes, si un accord en ce sens est signé avec le gouvernement afghan, après le retrait du reste de l’Isaf prévu à la fin de cette année.


Source : Le Nouvel Observateur, 11/08/2014

Des soldats américains et un policier afghan, le 3 juin 2014, à proximité de Kandahar. Photo d'illustration. (AFP PHOTO/Brendan SMIALOWSKI)

Source: http://www.les-crises.fr/afghanistan-amnesty-denonce-les-crimes-des-americains/


Loi anti-terrorisme, Interdiction de sortie du territoire : “Nous sommes en guerre”

Sunday 21 September 2014 at 02:52

Au delà même de la censure par l”État d’Internet, moi, ce qui me FASCINE, c’est qu’en 2014, la gôôôôôche ait pu joyeusement voter un nouveau truc : “L’interdiction de sortie du territoire” pour ses propres citoyens, sans que personne ne bronche !

“L’interdiction de sortie du territoire” : non mais, sérieusement, ça ne vous rappelle rien ?

Loi anti-terrorisme: les députés votent l’interdiction de sortie du territoire des personnes soupçonnées de jihadisme

POLITIQUE – Les députés ont approuvé mardi 16 septembre dans la soirée l’interdiction administrative de sortie du territoire visant à empêcher le départ de candidats au jihad en Syrie et en Irak, l’une des mesures clé du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme.

Cette interdiction de sortie d’un ressortissant français pourra être prise “dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ou sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français”.

D’une durée de six mois, renouvelable jusqu’à deux ans, cette interdiction conduira au retrait immédiat du passeport et de la carte d’identité de la personne concernée qui recevra un récépissé valant justification de son identité.

Le manque de contrôle judiciaire inquiète

“Six mois c’est un délai raisonnable car c’est une mesure grave”, a jugé le rapporteur du texte Sébastien Pietrasanta (PS) en réponse à des amendements de Pierre Lellouche (UMP) voulant porter cette durée à un an. La personne ciblée pourra être entendue, assistée par un avocat, par le ministre ou son représentant dans les 15 jours.

Elle pourra aussi saisir en référé le juge administratif devant lequel l’administration “ne pourra se prévaloir d’éléments classifiés”, a assuré le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve aux écologistes inquiets d’un manque de contrôle judiciaire. En effet, l’absence de recours à un juge avant la procédure d’interdiction est pointée du doigt par quelques médias et institutions qui dénoncent un texte liberticide.

Les personnes faisant l’objet de cette interdiction seront signalées dans le Système d’information Schengen utilisé par les pays de l’espace européen sans frontière. Les compagnies de transport auront interdiction de prendre ces personnes dès lors qu’elles auront été alertées par les autorités de leur présence dans leur système de réservation.

La violation de cette interdiction, punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende, constituera un motif pour arrêter à leur retour ceux qui auront réussi à se rendre en Syrie.

Un volet sur internet également prévu

Selon Bernard Cazeneuve, environ 930 Français sont impliqués dans des filières vers la Syrie et l’Irak (350 sur place, 180 repartis de Syrie, 170 en transit vers la zone et 230 ayant des velléités de départ), nombre en “augmentation de 74% en huit mois”. 36 sont morts sur place. Pour Sébastien Pietrasanta (PS), cette mesure peut aussi servir à “protéger contre eux-mêmes” des jeunes, notamment des filles, encore peu radicalisés et qui risquent de le devenir en se rendant dans les zones de lutte armée.

Depuis le printemps, il existe une plate-forme de signalements grâce à laquelle “au moins 70 départs” ont pu être évités selon le ministre. Le projet de loi, qui cible également l’apologie du terrorisme sur internet, devrait être voté en procédure d’urgence (une seule lecture) à l’issue des débats mercredi.

Source : www.huffingtonpost.fr

Loi antiterroriste: menace sur la liberté d’expression!

Par Alexis Kraland, Candidat aux élections européennes et Porte-Parole du Parti Pirate en Ile-de-France

Face à la menace terroriste liée à la guerre en Syrie, le gouvernement socialiste réagit par une offensive sécuritaire et médiatique. Examiné mercredi en conseil des ministre, le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorismepassera bientôt en procédure accélérée devant les députés.

L’objectif annoncé: réactualiser l’arsenal législatif afin d’endiguer le départ au Djihad de ressortissants français, et stopper la spirale radicale des loups solitaires, ces candidats au terrorisme qui agissent seuls. Pour Bernard Cazeneuve, faisant référence au cas Merah et Nemmouche “les événements récents ont mis en lumière quelques manques de notre législation qu’il importe de combler afin de mieux prévenir et mieux réprimer de tels actes.”

Pourtant, selon le dernier rapport d’Europol, 58 actes terroristes sur 63 commis en France durant l’année 2013 furent le fait de séparatistes. Se tromperait-on de cible ?

Mesure phare, l’institution d’une interdiction administrative de sortie du territoire

Dans un entretien paru dans Libération, le président de la Licra a cependant pointé des éléments anticonstitutionnels pour cette interdiction dont l’objectif est d’endiguer le départ en Syrie ou en Irak de certains ressortissants, majeurs ou mineurs, et pouvant représenter une menace à leur retour. Il serait injuste de restreindre la liberté de circulation à moins d’avoir des “documents incontestables” concernant la dangerosité des individus soupçonnés.

La procédure choisie fait également débat

“aucune garantie judiciaire n’est prévue avant que l’interdiction administrative ne soit prononcée. Il n’y a aucune intervention du magistrat du siège alors qu’il est le garant des libertés fondamentales” s’indigne la présidente de la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans un entretien paru Le Monde.

Pour éviter l’escalade radicale qui mènerait au terrorisme, le gouvernement mise aussi sur un dispositif de blocage administratif des sites de propagande terroriste. Pour Cazeneuve, “Le recrutement se fait essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, par Internet”. D’après les faits récents, le recrutement s’effectue pourtant ailleurs, comme en prison.

Le blocage risque donc d’être à côté de la plaque, en plus d’être antidémocratique. Cette forme de censure ne relève en effet pas du judiciaire mais de l’administratif, tout comme l’interdiction de sortie. Autrement dit, aucun procès n’aura lieu pour décider si un site sera bloqué ou non: le ministère de l’intérieur décidera. Seul un magistrat pourra observer à postériori ce qui aura été bloqué. Vu le risque évident de surblocage, le projet de loi menace directement la liberté d’expression d’individus ou d’organisations qui n’incitent pas au terrorisme.

Les mesures visant le “cyberdjihad”, quelle que soit la définition de ce mot, sont en partie vouées à l’échec, et ce par leur nature même. ll est difficile d’imaginer des terroristes capables d’observer le champ de vision d’un drone mal protégé et qui seraient incapables de contourner un blocage. Ainsi, le petit torrent du djihadisme transnational le plus avancé coulera certainement dans un autre lit, à l’abri des mesures de blocage. De même, on peut également douter du découragement d’un candidat au Djihad devant la censure des sites webs le concernant directement.

Ce blocage pourrait même s’avérer néfaste en entrainant une complication du travail d’investigation des services de renseignement. Ce serait une balle tirée dans le pied de l’antiterrorisme tandis que des sites web légitimes risquent d’être bloqués. Au Royaume-Uni, le filtrage des contenus pornographiques bloque ainsi des contenus qui n’ont rien à voir avec la pornographie.

La lutte contre les actes terroristes et leurs auteurs doit cependant avoir lieu, mais dans le strict respect de l’Etat de droit. Réagissons donc face à la menace du blocage administratif qui sera toujours intempestif dans un régime qui se veut démocratique.

Source : www.huffingtonpost.fr

“Nous sommes en guerre”, ou comment légitimer la censure de l’ennemi

Par Guillaume Champeau, Numerama

Lundi soir lors de l’ouverture des débats sur le projet de loi de lutte contre le terrorisme, qui prévoit notamment la censure sur ordre de l’Etat des sites faisant l’apologie du terrorisme, les députés ont justifié la mesure par l’état de “guerre” dans laquelle la France serait plongée. Ou comment le blocage doit servir à la contre-propagande de guerre.

Nous sommes en guerre“. Lors de la discussion générale à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par Bernard Cazeneuve, l’expression est revenue lundi soir à de nombreuses reprises, pour justifier les mesures d’atteintes aux libertés prévues par le texte. Si la formule a surtout été prononcée par la droite de l’hémicycle, le gouvernement et la majorité ne l’ont pas contestée, loin s’en faut. Les débats doivent donc reprendre ce mardi soir, dans une inquiétante ambiance belliqueuse de renoncement à nos propres valeurs, signe ultime de la victoire du terrorisme qui, par la peur, parvient à faire reculer les libertés.

Monsieur le ministre, notre pays est en guerre“, entama ainsi le député UMP Eric Ciotti. “Notre pays est en guerre contre le terrorisme et contre l’expression qu’il revêt aujourd’hui : celle du fanatisme religieux et de l’extrémisme, celle qui arbore le visage de l’État islamique. (…) Face à cette situation de guerre, nous devons manifester notre unité“.

Pierre Lellouche (UMP) jugeait en effet la situation similaire à la première guerre mondiale. “Seule s’impose, comme ici même il y a un siècle, l’union sacrée de toute la représentation nationale, de tous les républicains, face à ce qu’il faut bien appeler une guerre. Cette guerre nous est imposée par une frange fanatique du monde musulman“. “Il nous faut prendre conscience que nous n’en sommes qu’au début de cette guerre“, a-t-il même ajouté.

On vient de nous déclarer la guerre. La France, unie autour de son président et de son gouvernement, unie autour de son assemblée, saura y répondre“, promettait à son tour Alain Tourret, député radical du Calvados.

Des formules similaires ont été prononcées par les députés UMP Guillaume Larrivé (“Un ennemi nous a déclaré la guerre. Cet ennemi, il faut le nommer, il faut le regarder pour ce qu’il est, il faut le combattre : c’est l’islamisme radical armé, le djihadisme, qui veut détruire, par la terreur la plus barbare, nos sociétés démocratiques“), Jacques Myard (“La réalité est simple et tragique, comme l’Histoire : nous sommes en guerre“), Thierry Mariani (“La France peut considérer qu’elle est en guerre contre le terrorisme“), ou encore Xavier Bertrand (“Nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, nous sommes en guerre contre le terrorisme djihadiste“).

“SAVOIR SUSPENDRE LES LIBERTES DEMOCRATIQUES”

Ainsi les choses sont claires. Il n’est pas de guerre sans propagande de guerre, où chaque camp défend sa conviction d’être dans celui du bien et de combattre le camp du mal. Il faut mobiliser ses troupes et faire accepter à son peuple les efforts de guerre. Les pertes de libertés en font partie.

Il n’est pas non plus de propagande de guerre sans contre-propagande. Il faut répondre avec force à la propagande de l’adversaire. Or au 21ème siècle, cela consiste notamment à contrôler les réseaux sociaux que peut utiliser l’ennemi, et à bloquer l’accès aux sites web qui leur permettent de faire connaître non seulement leurs actes de guerre les plus atroces, mais aussi leurs motivations qui peuvent apporter des nuances que le manichéisme d’une guerre ne saurait tolérer.

Alain Tourret l’expliquait très bien lundi soir, en convenant qu’il fallait “suspendre des libertés démocratiques” au nom de cette guerre contre les terroristes. “Je n’ai pas dit « supprimer », j’ai dit « suspendre » ! Nous avons su, dans notre histoire, suspendre à un moment donné les libertés démocratiques. Celles-ci, en effet, ne peuvent pas avoir le même contenu en temps de paix et en temps de guerre. Or la guerre nous a été déclarée.”

C’est aussi l’avis de Philippe Goujon (UMP). “Puisque la guerre a lieu aussi sur internet, la responsabilisation des hébergeurs de sites quant aux contenus publiés ainsi que la procédure de blocage prévue par ce projet de loi démontrent qu’internet ne saurait constituer une zone de non-droit (…) Ne laissons subsister aucune faille dans notre arsenal juridique pour gagner la guerre contre le terrorisme et la barbarie“.

C’est le député Alain Marsaud (UMP) qui laissa le plus éclater la franchise, dans un discours qui a gêné jusqu’à son propre camp. Il reprocha au ministre Bernard Cazeneuve d’avoir cherché à expliquer “que vous n’étiez pas en train de vous asseoir sur les libertés individuelles et les libertés publiques“, alors que “ce n’est pas là le procès que nous vous ferons, bien au contraire !“.

Vous m’invitez à m’asseoir sur les libertés pour faire en sorte que la sécurité soit assurée dans notre pays. Tant que ce gouvernement sera en situation de responsabilité et que je serai ministre de l’intérieur, ce ne sera jamais le cas“, lui répondit Bernard Cazeneuve. En ne convaincant que les quelques députés présents dans l’hémicycle.

Source : Guillaume Champeau, Numerama, 16/9/2014

Source: http://www.les-crises.fr/loi-anti-terrorisme-2/


Revue de presse internationale du 21/09/2014

Sunday 21 September 2014 at 00:01

Merci aux participants de cette revue internationale qui recevront aussi des renforts à partir de la semaine prochaine !

P.S. j’aurais toujours besoin d’un petit service rapide d’un lecteur résidant aux USA… Me contacter merci…

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-21-09-2014/