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[Reprise] Mes élèves, un drame et des mots

Thursday 29 January 2015 at 01:00

Reprise d’un joli billet d’une enseignante qui adore l’Inde

[Ce billet n’a pas été simple à écrire. Il rassemble à la fois mes interrogations, celles de mes élèves, ce que j’en comprends et ce que j’en ai tiré comme réflexions. Pas de conseils ici, mon expérience seulement.]

Marche Charlie Hebdo
Place de la République, Marche du 11 Janvier 2015.

Que leur dire…

Le prof, c’est un être humain qui gère de l’humain, et l’histoire de chacun donne une coloration à la manière dont nous dialoguons à chaud avec nos élèves sur des événements tragiques comme ceux survenus en cette semaine de rentrée. J’ai un bagage, et je savais jeudi dernier qu’il allait me falloir compter avec, quand bien même je devais « être prof ».

Mon histoire, c’est la sidération pendant les trois jours qu’ont duré les attentats de Bombay en 2008 [OB : Vous pensez que vous n'avez même jamais entendu parler de cet attentat à 173 morts ? C'est ici pour le rappel - qui en dit long sur notre vision nombriliste du monde #ParisCapitaleDuMonde], qui ont laissé la ville groggy pendant des mois ; ceux aussi de 2011 qui ont tué à quelques centaines de mètres de chez moi. Le fait en tant qu’Occidentale d’être cible potentielle s’est ajouté à mon histoire parisienne et de voyageuse, d’avoir conscience que cela peut sauter n’importe où, n’importe quand. De savoir par mon histoire familiale que cela peut VRAIMENT dériver n’importe quand. J’ai retenu de cela le besoin de se réunir, de se serrer, de parler encore et encore, et d’accepter les regards qui se croisent et s’embuent : l’élan viscéral de se sentir humain, solidaires, de partager la peine et l’angoisse. C’est avec cette idée que je suis entrée dans une salle des profs bouleversée.

Mon histoire, ce sont aussi les cris « Vive Al-Qaeda, vive Ben Laden ! » proférés par des 4è devant les attentats de Madrid au début de ma carrière : colère, indignation, incompréhension, et l’absence de réponse institutionnelle à cela. Mes élèves n’avaient-ils donc pas d’empathie ? de retenue ? étaient-ils tous des militants potentiels de l’intégrisme armé ?

Un peu plus d’expérience m’a appris qu’ils étaient surtout des adolescents ; qui plus est, des ados élevés au pied d’un HLM du Val-d’Oise, enfermés dans un microcosme dont ils savaient déjà pertinemment qu’ils ne sortiraient jamais. Les vacances, c’était avec un sourire éclatant aller voir leur tante à Villiers-le-Bel. Des ados dont l’univers était pour nombre d’entre eux marqué par un non-dit absolu sur l’histoire familiale, le pourquoi de l’émigration (et je le vérifie encore aujourd’hui), si ce n’est « la guerre ». L’enfermement, géographique, corporel, intellectuel, culturel et historique.

Voici les élèves auxquels j’allais m’adresser.

Mes élèves.

Alors eux d’abord

J’ai commencé chacun de mes cours en leur disant : « il s’est passé quelque chose de grave, qui touche de nombreuses personnes et qui touche à plein de choses. Quelqu’un peut raconter ce qui s’est passé ? ». J’ai refusé d’encadrer leur pensée, de recourir au bouclier des programmes : faire rentrer le réel dans des définitions et des cases érudites créées par des adultes pour des adultes. J’ai refusé de partir du principe que j’allais contrer frontalement, du haut de ma position d’adulte et de prof, les éventuels dérapages : quand il faut lutter pied à pied contre des thèses fallacieuses, des idées dangereuses, il faut laisser les ados s’exprimer librement plutôt que de se protéger en réduisant immédiatement leur lecture à « liberté d’expression », « liberté de la presse », « laïcité ». Les grands concepts viendront après, peut-être, selon ce qu’ils diront.

Il s’est avéré que presque tous avaient suivi avec attention le déroulement des événements. Ils avaient retenu les noms, les lieux, les hypothèses déjà avancées par les médias. Ils avaient pour certains une lecture bien arrêtée, oscillant entre le « ouaisCharlie Hebdo est allé trop loin mais en même temps ça ne se fait pas de tuer » et le « c’est n’importe quoi, c’est pas des musulmans ça » et « en même temps, hein, la classe d’avoir une kalach !  » . Le travestissement de l’émotion, les mots et les provocations de purs ados. Mais ils étaient en demande de clarification, tout autant que nous.

Et ça, chercher le pourquoi, c’était déjà une victoire.

La disproportion

Dans l’attentat contre Charlie Hebdo, l’inadéquation entre l’insulte et la riposte n’est pas du tout venue à l’esprit de la plupart de mes élèves. Il faut dire que ces derniers se battent jusqu’à casser des nez, avoir la bouche en sang, se faire fracturer un tibia, pour une insulte : pour des mots proférés dans une classe, un couloir ou une cour de récréation. Juste des mots. Réellement du sang, réellement des plâtres. Dans une large proportion, ce sont aussi des élèves qui connaissent les coups comme réponse à des notes scolaires, des paroles, des soucis familiaux. Et quand ils s’intéressent d’eux-mêmes à la géopolitique, c’est uniquement au conflit israélo-palestinien, vu au prisme encore de la disproportion : de pauvres hères dépenaillés et affamés dans les ruines de Gaza face à la mécanique huilée et ultra-puissante d’Israël. La disproportion est constitutive de leur vision du monde, elle est naturelle et fait loi. Je soupçonne même qu’il y ait un peu de Schadenfreude dans l’attitude de certains, si les coups tombent sur quelqu’un d’autre, c’est qu’ils ne tombent pas sur moi.

Alors là, j’ai repris la parole. J’ai comparé, donné des exemples simples. J’ai fait appel à leur sens de l’équité, très éveillé à cet âge-là le plus souvent. Où se trouve la gloire à frapper plus fragile que soi ? Où se trouve l’héroïsme dans la kalachnikov qui anéantit le crayon ?

La compassion variable

Dans leur description des faits connus, leur compassion était quasi nulle il faut bien l’admettre. Tout d’abord parce que Charlie Hebdo ne signifie absolument rien pour eux : par leur âge, leurs centres d’intérêt, leur milieu social, ils ne le lisaient pas, n’en connaissaient pas les dessinateurs et il n’y a aucune raison pour que des gamins nés entre 2000 et 2004 aient eu ce journal entre les mains. Et l’empathie quand on est ado, elle est d’abord pour son nombril, j’en veux pour preuve les hurlements de rire quand un élève tombe de sa chaise. Charlie Hebdo leur évoquait aussi une polémique sur la représentation de Mahomet parce que, uniquement, les médias l’avaient rappelée dès mercredi.

La compassion variable est un trait humain pointé du doigt à chaque catastrophe aérienne ou géologique : l’empathie est créée par la proximité réelle ou supposée avec les victimes, et nous pensons le monde en terme de proximité géographique (ce qui arrivait en Inde m’émouvait encore plus quand j’y vivais), religieuse (les églises brûlées et les chrétiens massacrés dans l’Est de l’Inde ou en Birmanie, avec les musulmans au passage, par les hindous et les bouddhistes touchent profondément des catholiques de mon entourage), ethnique pour certains (cela ne fait pas partie de mes cadres mais je le conçois).

Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom de Clarissa Jean-Philippe. La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires.

« Ah ouais, là, c’est abuser quand même…»

Il n’y a pas de fumée sans feu

Mais dans un univers fait de sanctions et de coups, lorsqu’il arrive quelque chose c’est qu’on l’a un peu cherché, non ? C’est sans doute l’argument qui revient le plus de la part des élèves, avec en ligne la polémique originelle, les caricatures de Mahomet, et la Une un peu trop fine pour qui veut ne trouver que de l’insulte partout dessinée par Cabu. Je n’ai pas eu besoin de leur projeter quoi que ce soit : apparemment, tous les avaient vues ou faisaient semblant de les connaître. Et de surenchérir sur le fait qu’ils avaient aussi regardé la vidéo où Ahmed Merabet se fait exécuter, ainsi que celles des journalistes régulièrement assassinés par Daesh.

Horreur… ou bien peut-être les rodomontades et roulements de mécanique d’adolescents…

Toujours est-il que le journal l’avait bien cherché, et donc avait mérité la punition. On rejoint là les réflexions qui surgissent souvent pendant l’année témoignant selon moi du besoin de justifier la terreur : si les nazis ont voulu exterminer les Juifs, si « tout le monde » déteste les Juifs, c’est que quelque part… ils ont fait quelque chose pour le mériter. L’enfant comme l’adolescent a besoin d’une explication à l’horreur, et quand bien même la peine est disproportionnée, ils établissent une réciproque immonde mais « logique » : si tu fais quelque chose, tu es puni ; si tu es puni, c’est que tu as fait quelque chose. Alors les dessinateurs de Charlie Hebdo l’avaient nécessairement cherché. Sinon, c’est que le monde ne tourne pas rond…

Que mes élèves n’aient aucune idée de ce que contenait et contient le reste du journal, les caricatures vitriolesques de Le Pen, du pape, de Dieudonné, de Sarkozy, d’imams et de rabbins, de tout le monde en fait n’a aucune importance. Charlie dans leur imaginaire est le journal d’une seule chose, qui aurait touché leur âme et leur conscience, la représentation du Prophète. « Sérieux, ça ne se fait pas, ça, c’est de l’irrespect Madame !  » .

Alors parlons un peu de respect.

L’oukaze du respect

Cette notion, on en a badigeonné mes élèves depuis leur plus tendre enfance. Elle est devenue depuis une vingtaine d’année le quatrième mot à ajouter à la devise de la République, en banlieue pauvre en tout cas : le Respect, ce sera le cadre de pensée qui empêchera un peu la marmite d’exploser. Comme le mot « tolérer » (quel mépris : tolérer, c’est accepter de subir !), le respect a tellement été vidé de sens qu’il s’applique à tout indifféremment : on doit « respecter » les autres, accepter leur couleur de peau tout en cédant la place aux personnes âgées, ne pas cracher par terre et écouter l’opinion des autres, ne pas couper la parole aux professeurs et ne pas insulter les élèves. Ce respect-là, tel qu’il a été enseigné, cela s’appelle la politesse.

La loi elle ne s’occupe pas de politesse, mais ça mes élèves ne le savent pas. Pour eux, Charlie et tout le monde est contraint par la loi d’être poli et précautionneux : ne pas insulter la religion des autres, ne pas moquer les convictions des autres puisqu’il est écrit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses  » . Inquiéter, embêter, moquer, respecter : c’est du pareil au même. De plus, la loi de 1905 reconnaissant toutes les religions et leur pratique, comme la pratique de l’Islam implique de ne pas représenter Mahomet il est imposé à tous de ne pas insulter les croyants musulmans en représentant Mahomet… Raccourcis, contre-vérités, mésinterprétations, raisonnements erronés : là, on le sait, il y a du boulot et ce n’est pas avec la portion congrue d’heures de cours que l’histoire-géographie-éducation civique reçoit avec des programmes pantagruéliques qu’on en arrivera à bout.

La relativité des lois

Et puis, il faut revenir à Antigone.

Expliquer encore et encore à des esprits pétris de religieux, et pas seulement d’Islam mais aussi de christianisme évangélique, que la religion est une conviction personnelle, qu’elle n’est pas au-dessus de la loi quand bien même elle importe à notre esprit, notre coeur, nos traditions. Qu’il ne peut pas y avoir blasphème dans un journal français, puisque les dessinateurs n’étaient pas musulmans, qu’ils n’ont pas obligé les musulmans à dessiner des images du Prophète, qu’ils ne les ont pas obligés à les regarder ou à acheter le journal. Et parce que tout simplement, le délit de blasphème n’existe pas en France.

Ils comprennent très bien que chaque pays a ses lois, mais leur inexpérience leur empêche de savoir qu’une personne qui se déplace est soumise aux lois du pays où elle se trouve. Je leur ai raconté la déférence absolue due au roi de Thaïlande et à ses photos quelle que soit notre nationalité, je leur ai dit l’interdiction pour moi, femme, de conduire en Arabie Saoudite alors que j’ai le permis, de me rendre et me déplacer sur le territoire si je ne suis pas accompagnée d’un tuteur, père, frère, mari ou fils, alors que je suis indépendante. Parce que c’est la loi, quand bien même elle offense mes convictions personnelles et éventuellement religieuses. La loi humaine est au-dessus des lois divines. Sauf dans les pays où il est clairement dit que c’est la loi religieuse qui fait loi. Mais ce n’est pas le cas en France. Il y a là une nécessité de hiérarchiser, de séculariser la pensée, avec des élèves qui ont du mal à faire la part des choses.

Expliquer enfin qu’une tradition religieuse ne concerne que les croyants de cette religion, pas les pratiquants d’autres religions ou les non-croyants. Ce qui est évidence pour moi, adulte et athée, ne l’est pas du tout pour eux. Je n’ai pas, habitant avec toi, à exclure le porc de mon assiette si ta religion implique de ne pas en manger : il en va de la politesse que lorsque je cuisine, je te propose un plat sans porc, mais qu’il en va aussi de la politesse que tu ne m’imposes pas de manger sans porc (tiens, ça me rappelle mon billet sur le végétarisme ça…). Tu ne m’imposes pas tes contraintes, je ne t’impose pas les miennes : c’est ça, la politesse, le « respect ».

Compliqué. Il faudra y revenir, encore et encore.

L’art du professeur.

Le « deux poids deux mesures »

Progressivement apparaît en dialoguant avec les élèves un sentiment sous-jacent qui parcourt bien des cours d’histoire. Le sentiment de ne pas être écoutés, de ne pas être entendus surtout.

Evidemment c’est en grande partie lié à cet âge où l’on rit et crie fort dans les rues pour se faire remarquer, l’âge où l’on surjoue l’agressivité en pensant que c’est de la personnalité, l’âge où pour s’affirmer soi on s’affirme avant tout contre tous. Mais il y a aussi, notamment pour mes élèves d’origine algérienne, une mémoire occultée faite de confusions, de non-dits et de sang : bien souvent à l’origine de la migration de leurs parents, et non de leurs grands-parents, la Guerre d’Algérie est un point de cristallisation. Mes élèves confondent en toute candeur la guerre d’indépendance et la guerre civile, en font un récit manichéen…

Mais si vous saviez. La demande pressante, presqu’une supplique, chaque début d’année dès la 6è : « Madame, on parlera de la Guerre d’Algérie cette année ?  » . Si vous saviez le poids mémoriel, le travail énormissime qu’il y a à faire pour rendre droit de cité à une mémoire qui empoisonne ces gamins et nous avec, un désir de vengeance fondé sur rien, un besoin que soit reconnue une souffrance endossée par chaque génération. Pas un mea culpa mais un véritable travail d’historien et de pédagogie pour donner des pistes, un cadre de réflexion, une place réelle dans les mémoires et pas un cours-croupion, qui permettrait à ces élèves et à ces jeunes d’accéder à une reconnaissance après laquelle ils désespèrent.

L’étape suivante ? Comme ces ados ont souvent l’âge émotionnel d’un enfant de 3 ans, pire que de ne pas être écouté, c’est avoir le sentiment que d’autres sont plus écoutés que nous.

Le sentiment d’injustice est alors décuplé.

Se rendre intéressant

La dieudonnisation fonctionnant bien, la question des Juifs et de la Shoah est de temps à autre soulevée par un élève plus provocateur ou plus volubile que les autres. Cela prend la forme du « on parle trop des Juifs et pas assez de « nous »  » , « on peut blaguer sur les Arabes mais pas sur les Juifs » . Si l’on enlève les mots qui heurtent et que l’on écoute le ton, on entend effectivement « moi, moi, moi » .

J’ai au début de ma carrière été désemparée de devoir expliciter ce qui relève de l’empathie, de l’humain, de la finesse, ou peut-être d’une éducation. Mais j’explique. Rire de la mort de 6 millions de personnes, femmes et enfants compris, dans des circonstances d’une cruauté infinie est aussi peu adéquat, drôle et pertinent que de faire de l’humour sur les tortures en Algérie ou les conditions et les conséquences de la traite négrière. Que faire de l’humour, c’est pointer une contradiction (du type : « t’es une fille, t’as pas de shampooing ?« … nan, désolée, c’est pour me détendre un peu…) et la mettre à distance pour faire passer un message, ou détendre l’atmosphère sur un sujet sensible ou douloureux. Voyez le Charlie Hebdo d’aujourd’hui en la matière…

S’ajoute parfois l’argument que si les synagogues et les écoles juives sont protégées, c’est parce qu’ « il n’y en a que pour les Juifs et qu’ils veulent se rendre intéressants » . Il y a l’idée qu’être protégé c’est être faible, ou bien auréolé de prestige : comme une star ou un footballeur, on est quelqu’un d’important. Donc si les Juifs sont protégés… c’est qu’ils sont plus importants que les autres ?

Lutter pied à pied, doucement, ne pas tomber dans le panneau de la confrontation, opposer des faits, des faits, des faits. Rappeler que des Juifs ont été tués à Toulouse, dans une école, récemment et uniquement parce qu’ils étaient juifs. Et que l’HyperCasher n’était pas une épicerie choisie au hasard mais parce que juive et fréquentée par des Juifs. La menace est réelle et concrète. Il y a des morts au bout.

Et puis raisonner un peu par l’absurde. Leur demander s’ils désirent donc que des musulmans soient tués dans un attentat contre une mosquée pour enfin « avoir la chance et le privilège » de vivre une vie surveillée ? D’aller à l’école coranique accompagnés par des policiers ? Leur demander aussi s’ils pensent que les gamins de Peshawar trouvent ça drôle d’avoir gagné le privilège d’aller à l’école protégés…

La spécificité de l’antisémitisme

Mais le plus intéressant dans tout cela, c’est de revenir aux mots.

Une des questions qui hérisse mes élèves, c’est de savoir… pourquoi on a besoin d’un mot différent dans la loi et dans le vocabulaire quotidien pour qualifier la haine des Juifs ? Leur interrogation est sincère et récurrente, parce qu’elle introduit encore cette idée que « pour les Juifs, c’est toujours différent » .

Le racisme est un des autres sujets transversaux de la scolarité de mes élèves, on l’aborde par les programmes, on l’aborde par les projets dès le primaire. Le racisme opère sur des critères d’ethnie, de religion, d’origine géographique etc. Dans leur idée, l’antisémitisme devrait être intégré sous le concept de racisme. Et c’est peut-être ce qui m’a demandé le plus de temps à clarifier pour moi-même… pourquoi le racisme est-il distinct de l’antisémitisme… que recouvre donc cette notion d’antisémitisme…

… rien. Rien de concret. Ce n’est pas une question de pratique religieuse ou de concurrence. Ce n’est pas une question de couleur de peau. Ce n’est pas une question d’origine géographique. Ce n’est rien de physique, de culturel, de politique, ce n’est rien de tout cela. Peut-être la réflexion la plus édifiante à cet égard a été celle d’une élève me disant « Madame, quand on va dans le quartier des Juifs, ils nous regardent bizarrement » .

Voilà. Le rien absolu. Et tout ce qui s’engouffre dedans : les fantasmes et les rumeurs, tout peut avoir un sens puisque de toute manière, l’antisémitisme ne repose sur aucun critère concret. Tout peut donc venir l’alimenter : un peuple différent (rare), l’argent (toujours), la puissance occulte (moins à leur âge), la manipulation (plus). Le fantasme qui perdure depuis les débuts du christianisme, avec ses couches qui s’ajoutent à chaque crise de l’histoire : les rites sanguinaires du Moyen Âge, le critère du sang introduit par les rois espagnols, l’âpreté au gain des grands argentiers du roi et de l’industrie etc.

« Alors Madame, pourquoi leur tape-t-on dessus s’ils n’ont rien fait ? » . Pharmakos, le bouc émissaire, El Fennec me rappelant très justement ce proverbe shadok :

Proverbe Shadok

Alors ?

Un prof est sous le feu nourri de mille questions à la fois. Le dialogue est possible mais le débat serein ne l’est pas tant nous sommes tous face à nos limites quand ce qui nous semble évident, moralement et socialement, est mis en cause. Nous sommes en première ligne d’une lutte pour laquelle nous n’avons que trop peu de moyens, humains et horaires. Pas besoin de textes pétris de bonnes intentions, pas besoin de liens vers des séquences sur la liberté d’expression, pas besoin d’émission sur « comment parler des attentats avec les élèves » : donnez-nous des médecins scolaires, des assistantes sociales, des COP, des assistants d’éducation, des éducateurs, des profs payés et traités correctement. Donnez-nous des heures pour aider à réfléchir, interroger et comprendre le monde dans lequel nos élèves vivent et sont amenés à prendre part. Tout simplement.

Les propos de certains de mes élèves, rares pour les provocateurs, plus nombreux pour les « testeurs », paraissent outranciers ? Ecoutons-les. Que nous disent-ils d’eux, de notre société, de nous ? Ces élèves tâtonnent. Questionnent. Répètent. Provoquent. Essaient d’interpréter à partir des seuls cadres de pensée dont ils disposent. Ce sont des adolescents qui sont en train de se former. A les contrer en ridiculisant leurs vues que nous jugeons étriquées, passéistes et dangereuses, nous perdrons à chaque fois. Ce sont des ados et nous sommes des adultes. Ecoutons-les avant de les qualifier de « graine d’islamistes »…

Note : la véritable marche républicaine commence maintenant. La question de l’Ecole certes, mais de tout le reste aussi. Les services sociaux, le milieu carcéral, la prise en charge psychiatrique : tout cela relève de notre engagement de citoyen. Jusqu’où et comment sommes-nous prêts à nous engager ?

Source : Chouyo, pour Chouyo’s World

Source: http://www.les-crises.fr/mes-eleves-un-drame-et-des-mots/


[Éducation Média] Propagande Caricaturale : Le Kremlin conseille de “manger moins” pour faire face à la crise (AFP)

Wednesday 28 January 2015 at 03:54

NAON, c’est un titre de l’AFP, donc c’est à foutre à la poubelle, comme d’hab…

Mais c’est super efficace pour les jeunes (et les autres) qui veulent comprendre ce qu’est de la propagande de guerre.

Et comme la ministre veut de l’éducation aux médias pour “défendre les valeurs républicaines”, en voilà…

Le Kremlin conseille de “manger moins” pour faire face à la crise

“Nous sommes russes, nous avons survécu à la faim et au froid“, lance un député. L’inflation en Russie a dépassé les 11% en 2014 tous produits confondus.

Une femme dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, le 24 novembre 2014 (OLGA MALTSEVA/AFP).

Une femme dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, le 24 novembre 2014 (OLGA MALTSEVA/AFP).

Mangez moins, utilisez de la betterave en guise de rouge à lèvres, préférez les culottes russes en coton à la délicate lingerie française et rappelez-vous que Dieu met votre foi à l’épreuve : voilà les solutions offertes aux Russes pour affronter la crise économique.

Bon, déjà, ça ça semble délirant. On va creuser…

“Si vous n’avez pas assez d’argent, vous devez vous souvenir que nous sommes russes, nous avons survécu à la faim et au froid, nous devons penser à notre santé et manger moins“, a ainsi conseillé Ilya Gaffner, un député de la région de Sverdlovsk, en Sibérie. Il s’adressait à une vieille dame qui lui expliquait ne plus pouvoir acheter du sucre pour son fils handicapé.

Bon, donc c’est UN député en Sibérie… Avec un exemple qu’on dirait sorti des manuels de propagande (le fils handicapé ET homosexuel serait le top)

L’inflation a déjà dépassé 11% en 2014 tous produits confondus – 15% pour les produits alimentaires – et la hausse des prix devrait encore s’accélérer dans les mois à venir. Certaines catégories (viande, poisson, sucre, chou, fromage, oeufs, riz) subissent déjà une hausse de 10 à 50%, dans la foulée des sanctions occidentales contre la Russie et de la baisse des prix du pétrole.

Tatattata !! On vous avait dit que les sanctions ça marchait du feu de Dieu !!!! Comme dirait Clavier “niquéééééééééééés les Russeskovs !!!”

Bon en vrai, c’est évidemment la chute du rouble liés aux mouvement spéculatifs.

Bon, après, que ça puisse donner faim aux Russes, on s’en tape – on s’occupe déjà pas des SDF à Paris, alors…

“Nous allons manger moins”

Confrontés à cette inflation galopante, de nombreux Russes ont réagi vivement aux propos du député, qui a dû présenter ses excuses publiquement.

“De nombreux Russes”, c’est une info béton AFP, et bien sourcée (au moins 124 sur Twitter ?).

Donc à ce stade, on nous pourrit la tête avec ce qui est plus une maladresse qu’autre chose d’un obscur député en Sibérie, tout va bien…

Mais à peine l’avait-il fait que l’un des plus hauts responsables politiques du Kremlin a de nouveau évoqué l’idée de mettre les Russes au régime.

“Nous allons surmonter tous les obstacles dans notre pays, nous allons manger moins, utiliser moins d’électricité”, a lancé le vice-Premier ministre Igor Chouvalov devant le gratin de l’économie mondiale lors du forum de Davos.

“Si un Russe est soumis à une pression extérieure, il n’abandonnera jamais son chef”, a continué le vice-ministre. Igor Chouvalov explique que : ” Le plan anticrise, c’est de faire en sorte que les citoyens ordinaires et les entrepreneurs s’adaptent aux nouvelles réalités “.

“Nous avons un plan ?”, s’est étonné lundi matin la presse russe, comme le quotidien “Izvestia”.

Bah oui, c’est normal, c’est que des poivrots trisomiques au Kremlin…

Tiens, au fait, je croyais que la presse était aux ordres… Ben alors ?

Les culottes synthétiques interdites

“J’ai vécu sous Gorbatchev et Eltsine, mais Poutine est le premier président pour qui on me demande de manger moins“, ironise un Russe, Andreï Kossenko, sur Twitter.

Donc le vice-Premier-Ministre lance une phrase pas tiptop dans une rodomontade à Davos (qui peut vouloir dire en l’espèce “on mangera moins de produits étrangers” pout être logique), ça devient “Poutine demande aux Russes de moins manger” – la preuve on a vu 1 type sur Twietter le dire (le journalisme du XXIe siècle – prenez des photos, l’espèce aura disparu au XXIIe).

Vladimir Poutine, qui est salué par la population comme l’homme ayant permis à la Russie de renouer avec une stabilité bienvenue après la chute de l’URSS et le chaos économique qui a suivi dans les années 1990, continue de jouir d’une forte popularité : les deux-tiers des personnes interrogées en janvier affirment qu’ils voteraient à nouveau pour lui. Le mois précédent, ils étaient cependant bien plus nombreux : près de 88%.

Je n’ai pas vérifié là, mais le 88 % c’est en général une cote de popularité, notion différente de “voteriez vous pour lui” hein…

Pour que les Russes puissent “s’adapter aux nouvelles réalités”, les députés rivalisent d’idées. Igor Tchernichiev, à la tête du Comité des politique sociales, propose ainsi que les élégantes femmes russes prennent pour rouge à lèvres de la… betterave. “C’est naturel et les produits chimiques ne pénétreront pas dans leur corps”, argue-t-il.

“Et nos femmes seront plus jolies dans de la lingerie fabriquée à Moscou qu’en France”, continue-t-il, alors qu’une loi interdit déjà depuis février les petites culottes en dentelle synthétique au nom de l’hygiène féminine.

Encore des trucs qu’il faudrait vérifier, mais bon… J’imagine que c’est un prétexte pour une mesure de rétorsion commerciale aux sanctions, à cause de l’OMC. Mais tant qu’on peut se moquer…

Payer pour l’annexion de la Crimée

Le patriarche Kirill, à la tête de l’influente Eglise orthodoxe, a estimé que “pendant la crise, nous vaincrons le Mal”, ajoutant que ceux qui repoussaient à cause de la crise leurs envies de construire une famille, devaient au contraire s’y tenir car les Russes ne sont jamais riches.

Hein ? Ils se droguent à l’AFP ?

Pour le site d’informations en ligne Gazeta.ru, il est clair qu’aux yeux du Kremlin, la crise est une responsabilité partagée par tous les citoyens.

Hein ? Mais il ne faut pas avoir son BEPC pour écrie dans nos médias en fait ?

“La question, c’est : est-ce que ceux qui soutenaient avec tant d’enthousiasme le rattachement de la Crimée sont disposés à le payer avec une brusque baisse de leur niveau de vie ?”, demande le site.

Tient un russophone peut il vérifier tout ceci svp ? on dirait un discours du Département d’État américain.

De nombreux Russes semblent se résigner à la crise, comme Tatiana Khrolenko, 75 ans, qui se dit “prête à utiliser de la betterave comme rouge à lèvres“.

Ca c’est quand même de l’info de qualité je trouve…

Nous devons aider Donetsk et Lougansk“, deux républiques séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, explique-t-elle.

Tiens, ça se termine comme ça, sur un élan de solidarité – mais sans commentaire moqueur de l’AFP ?

Notez, que le lecteur doit arriver naturellement à la conclusion “mais kissons cons ces Russes”, non ?

Source : L’Obs avec l’AFP

Et comme l’AFP a bien bossé,

(2 450 sites d’un coup quand même…)

Holland est allé à ses 70 ans :


Et là arrive la deuxième couche – et attention, on est allé chercher “le grand reporter du Nouvel Obs”

Avec Tsipras, Poutine a un nouvel ami en Europe

Le nouveau Premier ministre grec est contre l’Otan et pour l’annexion de la Crimée. Qu’en sera-t-il des sanctions européennes ?

Alexis Tsipras après sa victoire, le 25 janvier 2015. (ARIS MESSINIS/AFP)

Alexis Tsipras après sa victoire, le 25 janvier 2015. (ARIS MESSINIS/AFP)

C’est dérangeant, contre-intuitif. Mais c’est la vérité. Alexis Tsipras est un allié – de fait si ce n’est de cœur – de Poutine. 

Purée, on dirait du Fourest…

Bah oui, c’est dingue qu’avec tout ce bonheur européen, des Grecs puissent avoir envie d’élargir leurs alliances…

Il défend la politique agressive du Kremlin en Ukraine.

Ben voyons…

Il dénonce aussi la présence de néonazis au gouvernement – mais ça, l’Obs préfère ne pas ne parler, c’est gênant…

Après l’annexion de la Crimée, Tsipras est l’un des rares leaders politiques européens, avec Marine Le Pen,

Ma théorie : un journaliste touche une ^prime de 50 € à chaque fois qu’il place Marine Le Pen, dans un billet – c’est pas possible autrement.

C’est qaund même bizarre de vouloir soi-disant la combattre et d’en parler à tout bout de champs, non ?

à s’être rendu, en mai 2014, à Moscou où il a été reçu à haut niveau – notamment par une proche de Poutine, Valentina Matvienko, présidente de la Chambre haute.

Hmmm ? Et alors ?

Selon les médias grecs, il s’est prononcé en faveur de l’annexion de la péninsule et a soutenu les référendums organisés par les séparatistes à l’est de l’Ukraine, scrutins dénoncés par les pays occidentaux.

Ah, c’est sûr qu’un type qui soutient le droit des gens à voter pour décider de leur avenir, c’est insupportable dans l’UE…

L’avancée des pro-russes saluée

Selon le décompte effectué par Radio Liberty, son parti, Syriza, a voté à l’automne dernier contre l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE.

Flute, comme la majorité des Européens non consultés, alors ?

Il s’est abstenu lors du vote d’une résolution condamnant la fermeture de l’ONG de défense des droits de l’homme fondée par Sakharov, Memorial.

Mais d’où sort il ça le gars ?

Pas besoin d’enquêter ou de lui demander pourquoi alors ? (pas le temps d’enquêter, si quelqu’un a envie en commentaire, je suis sur que c’est drôle si on creuse…)

Le parole-parole de son parti en charge des relations internationales, Costas Isychos, a même vanté les “impressionnantes contre-attaques” des séparatistes pro-russes à l’automne dernier.

Ben faut dire qu’ils sont chez eux les pro-russes aussi… Et donc attaqués, par des milices, dont une proportion contient des néonazies qu’ELLE affectionne…

Enfin, orthodoxie oblige, son allié souverainiste est lui aussi un soutien indéfectible de Moscou.

Et logique oblige, non ?

Ce n’est pas tout. Comme Marine Le Pen,

Bingo, 100 € ! Quel artiste cet éditocrate…

il souhaite que son pays quitte l’Otan. C’est inscrit noir sur blanc dans la plateforme de son parti rédigée en 2013.

Et alors, c’est la MAAAAAL ? Otan qui aurait du être dissout avec le Pacte de Varsovie en toute logique, mais bon…

Le Kremlin ne peut rêver mieux.

Oui, je pense qu’il téléguide Syzira… Tous les Russes sont communistes, non ?

Quid des sanctions de l’UE ?

Tsipras va-t-il pour autant tenter d’infléchir la politique russe de l’Union européenne qui doit être acceptée par chacun des 28 Etats membres ? Va-t-il détruire l’arsenal de sanctions adopté l’an dernier après l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’Ukraine de l’est ?

On le saura très vite. Le 12 février, les ministres des Affaires étrangères de l’UE doivent se réunir pour discuter de nouvelles mesures contre la Russie après l’avancée meurtrière des séparatistes vers Marioupol. Et puis en mars, l’interdiction de visas et le gel des avoirs concernant des dizaines d’Ukrainiens et Russes adoptés il y a un an arrivent à échéance et doivent être renouvelés, à l’unanimité.

Il n’est pas du tout sûr que Tsipras souhaite risquer un affrontement avec les grands pays de l’UE et la Commission sur ce sujet alors qu’il va tenter de renégocier la dette de son pays.

Il aura d’autant moins à cœur de défendre l’allié russe que celui-ci n’est plus en mesure de l’aider financièrement

Le lien renvoie sur l’article précédent, sur les Russes qui auraient faim, bientôt réduits au cannibalisme à cause de Poutine…

C’est là qu’on voit toute l’ignominie du chien de garde : Tsipras n’agirait que pour l’argent russe, bien sur. Car la politique, c’est forcément ça pour un chien de garde, cela ne peut pas être une conviction, des valeurs, une stratégie etc. C’est du pognon, du flouze, de l’oseille…

Comme pour un journaliste ?

Source : Vincent Jauvert, pour l’Obs

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130 000 000…

 

Source: http://www.les-crises.fr/le-kremlin-conseille-de-manger-moins/


La Grèce peut forcer l’Europe à changer, par Yannis Varoufakis

Wednesday 28 January 2015 at 02:15

Yannis Varoufakis (qui est un espèce de Lordon grec, en un peu plus mou :) ) a été nommé nouveau ministre des finances – en charge de la dette.

Cela va devenir très intéressant…

Propos recueillis par Romaric Godin, à Athènes – 20/01/2015

Dans cette interview accordée à “La Tribune” le 20 janvier dernier (à une semaine des élections), Yanis Varoufakis, qui vient d’être nommé, ce mardi, ministre des Finances du gouvernement Tsipras, explique son engagement et le sens qu’aurait pour l’Europe une victoire du parti dirigé par Alexis Tsipras.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager en politique avec Syriza ?

Pendant très longtemps, je n’étais pas proche de Syriza. J’ai conseillé, avant qu’il ne devienne Premier ministre en 2009, George Papandréou. Mais, lorsqu’en juin 2010, j’ai commencé à écrire que, contrairement à ce qu’affirmaient les politiques grecs, la Grèce était en faillite et qu’il fallait accepter ce fait, plusieurs hommes politiques de tous horizons m’ont contacté, y compris Alexis Tsipras. Progressivement, nos positions se sont rapprochées au fil des années. Je n’avais jamais eu l’intention d’entrer en politique, mais lorsque vous avez établi, en tant qu’économiste, un ensemble de recommandations pour votre pays, et qu’un dirigeant politique vous propose de les mettre en œuvre, il est difficile de refuser.

Si Syriza gagne, pensez-vous mettre réellement en œuvre ces recommandations ?

Non, la seule certitude que l’on a en Grèce, c’est l’incertitude. Mais, si vous avez une chance de pouvoir le faire, vous devez la saisir.

Comment comprenez-vous les pressions de la Troïka sur votre pays en cette période de campagne électorale ?

La Troïka tente de nous asphyxier et de faire pression sur le choix démocratique en nous disant : ou vous suivez nos exigences, ou vous serez jetés en enfer. Ils présentent en réalité leurs propres menaces comme des circonstances exogènes à la situation, alors qu’elles en sont une simple partie. Ils tentent de terroriser les électeurs grecs.

Comment y répondre ?

Pour ma part, j’aime à croire que la meilleure arme que l’on peut opposer à la Troïka est de disposer d’un gouvernement élu avec une bonne majorité. Une fois ce gouvernement élu, il me semble que l’on doit pouvoir s’asseoir à une table pour discuter enfin du règlement définitif de la crise grecque et de mettre en place une nouvelle approche de la part du reste de l’Europe. Car cette crise n’est pas qu’une crise « grecque », c’est aussi une crise européenne. Si la Grèce n’avait pas été dans la zone euro, elle n’en serait pas là. Sans doute serait-elle aussi en difficulté, mais pas à ce point. Si la France se trouve elle-même dans une impasse, en raison de sa dette et de sa situation politique et sociale, elle le doit aussi à l’organisation actuelle de la zone euro.

La crise de 2008 est une crise comparable à celle de 1929 et l’on se souvient que cette dernière crise a libéré des forces qui ont détruit l’Europe. Or, nous n’avons jamais été autorisés à traiter de cette crise comme d’une crise systémique. L’Europe a toujours insisté sur le fait que la crise en Grèce était une crise grecque. Ce n’en est pas une. Nous devons enfin comprendre que si nous voulons une union monétaire, nous devons créer un réseau de solidarités internes. Une victoire de Syriza serait l’occasion de traiter enfin la crise dans sa vraie dimension.

Mais, lors de son élection en 2012, François Hollande voulait aussi changer la zone euro et il disposait aussi de la légitimité démocratique. Cela n’a pas suffi.

En réalité, il n’a jamais essayé. Il s’est contenté de mettre l’accent sur l’aspect « croissance » du pacte de stabilité et de croissance, mais en dehors de ce changement sémantique, il ne s’est rien passé. Mais la situation de la France en 2012 n’est pas celle de la Grèce d’aujourd’hui. La France n’est pas en faillite, nous y sommes et nous n’avons rien à perdre. Si l’Europe et Berlin pensent qu’ils ont le droit moral de nous asphyxier, de nous assassiner, je pense qu’il faut être prêt à les laisser faire.

Comment expliquez-vous la politique européenne de François Hollande ?

Le Parti socialiste français a une lourde responsabilité dans la façon dont la zone euro s’est structurée. Il y a, depuis le début des années 1990, la volonté du PS de capturer la Bundesbank pour permettre à la France d’être riche au-delà de ses propres limites. Cette volonté – qui prend ses racines dans la première proposition d’union monétaire qui date de 1964 – a mené à une « danse de la mort » entre Paris et Francfort et qui a fait du PS le complice de tous les développements de la zone euro. En réalité, la France est en guerre avec l’Allemagne, et cela conduit à une véritable vassalisation de la France, à la création de ce que j’appelle un « Vichy post-moderne. » Et le seul à profiter de cette situation, c’est le Front National… Je crois qu’une victoire de Syriza en Grèce représentera la dernière chance pour François Hollande de changer cette donne.

Quelles seront vos propositions à la troïka ?

Nous demanderons d’abord un délai de 10 à 15 jours pour finaliser notre plan que nous voulons à la fois très détaillé et très complet. Ce plan sera organisé autour de quatre piliers.

Le premier pilier concernera la dette grecque. Nous voulons faire des propositions que même Wolfgang Schäuble [le ministre fédéral allemand des Finances, Ndlr] ne pourra pas refuser. Il n’y aura donc pas de défaut, de coupes franches dans la dette. Nous allons proposer une formule où le remboursement de la dette dépend de l’évolution du PIB nominal. L’idée, ce sera que l’Europe devra être notre partenaire dans la croissance, et ne devra pas plus compter sur notre misère. Le second pilier, ce sera les réformes.

Mais l’Europe et la Troïka prétendent que le gouvernement d’Antonis Samaras est le meilleur garant des « réformes »…

C’est évidemment faux. Antonis Samaras a fait de la chirurgie avec un couteau de boucher. Nous, nous voulons utiliser le laser, pour ne pas tuer le patient. Mais nous voulons évidemment des réformes, nous voulons en finir avec la kleptocratie qui ruine ce pays. Et cela ne signifie pas détruire les emplois et les conditions de travail, ou vendre à vil prix les entreprises nationales.

Et le troisième pilier ?

Il concerne l’investissement. Le problème de l’investissement en Grèce ne peut pas concerner seulement la Grèce. Syriza s’est engagée à maintenir un budget équilibré, nous ne pouvons donc pas attendre de l’Etat grec qu’il résolve ce problème. Il faut donc un plan ambitieux au niveau européen.

Mais Jean-Claude Juncker n’a-t-il pas déjà lancé un tel plan ?

Je ne cesse pas de m’étonner de la stupidité de ce plan. C’est comme donner de l’aspirine à un homme mort. Du reste, l’assouplissement quantitatif (QE) de Mario Draghi n’est pas davantage une bonne idée. Il ne servira sans doute qu’à alimenter des bulles sur les marchés financiers. L’Europe dispose pourtant d’un instrument pour investir, la Banque européenne d’Investissement (BEI) qui est aujourd’hui trop pusillanime dans ses actions, non seulement parce qu’elle craint pour sa notation, mais parce que ses investissements doivent être cofinancés.

Il faut donc libérer la capacité d’action de la BEI pour entamer une vraie « nouvelle donne » pour l’Europe et injecter 6 à 7 % du PIB de la zone euro dans l’économie. Et si Mario Draghi veut racheter de la dette publique, il serait plus utile qu’il rachète sur le marché secondaire des obligations de la BEI. Ce sera bien plus utile que d’acheter de la dette allemande. Les taux de cette dernière seraient ainsi maintenus bas et nous pourrons financer une nouvelle vague d’investissement dont l’Europe – et pas seulement la Grèce – a besoin.

Et le dernier pilier du programme de Syriza ?

Ce sera de gérer enfin la crise humanitaire en Grèce. Mais là encore, je pense qu’il faut réfléchir au niveau européen. Aux Etats-Unis, les bons d’alimentation ont permis de sortir de la pauvreté des centaines de milliers de ménages. Pourquoi ne pas utiliser les bénéfices de l’Eurosystème, le réseau des banques centrales de la zone euro, pour financer de tels bons en Europe ? Cela créerait de la solidité politique en Europe, les gens pourraient constater concrètement les effets positifs de l’appartenance à la zone euro.

On a cependant l’impression que ce type de propositions risquent immanquablement de se heurter à un refus, notamment allemand, puisque, à Berlin, on ne veut pas d’une union des transferts…

Je ne suis pas d’accord. Quoi que fasse ou dise l’Allemagne, elle paie, de toute façon. Et dès 2010, j’ai considéré que nous n’avions pas, nous autres Grecs, le droit moral d’accepter de l’argent des contribuables allemands, pour payer nos créanciers. En réalité, cet argent va dans un trou noir et, ce que nous leur demandons, c’est qu’ils dépensent leur argent plus intelligemment. Pourquoi demander à la Grèce d’emprunter l’argent des contribuables allemands pour rembourser la BCE ? Parce que Jean-Claude Trichet, le plus mauvais banquier central de l’histoire, l’a décidé jadis ? Faisons plutôt en sorte que la BEI fasse le travail pour lequel elle a été créée.

Précisément, la Grèce devra rembourser 6 milliards d’euros à la BCE en juin. Le fera-t-elle ?

Si nous avons l’argent, évidemment. Sinon, il faudra discuter. Je voudrais néanmoins souligner combien cette idée de devoir rembourser la banque centrale est stupide. C’est une première dans l’histoire et cela n’est jamais arrivé. La question que doit se poser l’Europe est : pourquoi, avec de telles décisions continuer à alimenter des mouvements comme Aube Dorée ou le FN ?

Mais la BCE fait pression sur la Grèce en exigeant un accord avec la Troïka. Pensez-vous qu’elle puisse, en cas de victoire de Syriza, bloquer l’accès des banques grecques à la liquidité ou, du moins, menacer de le faire comme dans le cas irlandais ?

On peut voir l’attitude de la BCE sous deux aspects. Le premier : la BCE fait pression sur la Grèce. Le second : elle fait pression sur la troïka. Ce qu’elle veut, c’est un accord. Nous aussi. Alors, faisons en sorte qu’il y en ait un. Quant au cas irlandais, je voudrais souligner que la situation est très différente. Si l’Irlande a accepté la Troïka, c’est parce que le gouvernement irlandais d’alors n’a pas tenté de résister. Il sera jugé négativement pour cela par l’histoire. Mais dans ce cas, Jean-Claude Trichet a complètement outrepassé son mandat en forçant l’Irlande à transformer de la dette privée en dette publique. Il brûlera en enfer pour cela ou, au moins, il devrait être jugé devant un tribunal européen… Un gouvernement Syriza ne se comportera pas comme le gouvernement irlandais d’alors.

Mais si aucun accord n’est possible, ni trouvé ?

Alors, je le dis clairement : « la mort est préférable. » Le vrai déficit de la Grèce, c’est un déficit de dignité. C’est à cause de ce manque de dignité que nous avons accepté des mesures stupides et cela a alimenté un cercle vicieux de l’indignité qui, elle-même, entretient le mécontentement, la peur et le ressentiment. Tout ceci n’est pas bien. Nous devons retrouver notre dignité, l’esprit qui, le 28 octobre 1940 nous a fait dire « non » à l’ultimatum de l’Italie mussolinienne. A ce moment, nous n’avions pas non plus les moyens de dire « non » et pourtant, nous l’avons fait. (ndlr : le 28 octobre 1940, le dictateur grec Metaxas avait refusé par un « non » devenu légendaire de se soumettre à l’ultimatum italien. Dans la guerre qui a suivi, les Grecs ont repoussé l’armée italienne). Il faut retrouver l’esprit du 28 octobre.

Qu’entendez-vous par « la mort » ? La sortie de la zone euro ?

Le terme de « mort » était allégorique. Et comme toute allégorie, moins on l’explique et mieux on le comprend. Quant à la sortie de la zone euro, je veux insister sur le fait que nous avons le droit de rester dans la zone euro. Nul ne peut nous le contester.

Dans votre ouvrage Le Minotaure Planétaire*, vous indiquez que la crise de 2008 signale la fin d’une époque pour l’économie mondiale, celle où le double déficit américain alimentait les excédents germano-chinois et la croissance financière. Quelle nouvelle époque est-elle en train de naître et quel rôle la victoire de Syriza peut jouer dans cette nouvelle ère ?

Je ne sais pas à quoi va ressembler l’économie mondiale dans l’avenir. Mais il est certain que ce que j’ai appelé le « Minotaure » est en train de mourir. La croissance américaine actuelle ne peut cacher deux réalités : les emplois créés sont souvent des emplois précaires et le recyclage des excédents créés par les déficits américains à Wall Street n’est plus possible. Pour moi, l’élément décisif sera la naissance de nouvelles Lumières. La Grèce peut être une petite lueur d’opportunité. Nous ne sommes pas assez grand pour changer le monde, mais nous pouvons forcer l’Europe à changer.

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(*) Le Minotaure planétaire – L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, par Yanis Varoufakis, Editions Enquêtes et Perspectives (2014), 384 pages.

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POUR ALLER PLUS LOIN

Repères

Agé de 54 ans, Yanis Varoufakis a été formé au Royaume-Uni. Professeur à l’université de Sidney (il a la double nationalité grecque et australienne) jusqu’en 2000, il est ensuite revenu en Grèce où, de 2006 à 2008, il a conseillé George Papandréou, alors leader de l’opposition.

Dès 2010, il s’est opposé au discours dominant en Grèce et a défendu l’idée qu’il fallait assumer la faillite du pays. Auteur d’une “modeste proposition pour régler la crise de l’euro”, notamment saluée par Michel Rocard, il s’est rapproché de Syriza. En cas de victoire du parti d’Alexis Tsipras, on évoque son nom pour diriger les négociations avec la troïka.

Le “Minotaure planétaire”, publiée en 2013 en anglais a été traduit en plusieurs langues. Il commente sur un blog l’actualité économique.

Fiche de lecture

L’ouvrage de Yanis Varoufakis reprend une de ses intuitions, formulés dès le début des 2000 : l’économie mondiale a tourné jusqu’en 2008 autour du “recyclage” des déficits jumeaux américains.

Après l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971, les Etats-Unis ont en effet préféré organiser l’économie mondiale autour de leurs déficits comme ils l’avaient fait auparavant autour de leurs excédents. Ainsi, les économies excédentaires profitaient de ces déficits pour faire des bénéfices qu’elles recyclaient ensuite à Wall Street, assurant ainsi à la croissance américaine. Pour Yanis Varoufakis, la zone euro est devenue une sous-zone de cette logique, centrée sur la capacité de l’Allemagne à faire des excédents.

Cette situation rappelle à l’auteur le mythe du Minotaure, monstre mi-homme, mi-taureau enfermé dans le labyrinthe par son père Minos et qui se nourrissait des otages envoyés chaque année par Athènes, comme le Minotaure américain se repaissait des excédents du reste du monde. Jusqu’à ce que Thésée le mette à mort, métaphore du vieux monde minoéen tombé sous les coups du “nouveau monde” mycénien…

La crise de 2008 est précisément, cette mise à mort du vieux monde. Pour Yanis Varoufakis, c’est l’absence de conscience de ce changement d’ère, la volonté du “vieux monde” de résister qui rend la crise si pénible et si longue, car l’économie mondiale ne peut pas encore mettre à jour le “nouveau monde.”

Yanis Varoufakis, Le Minotaure planétaire – L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, Editions Enquêtes & Perspectives (2014), 384 pages, 23 €.

Source: La tribune

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Sa vision en mars 2014 :

Le “Dr. Doom” grec. C’est par ce surnom -”M. Catastrophe”- que nombre de ses concitoyens connaissent Yanis Varoufakis, ancien conseiller de Georges Papandréou. Mais c’est en critiquant les plans de sauvetage d’Athènes, en 2010 et 2011, qu’il s’est rendu célèbre, s’attirant au passage l’hostilité des cercles dirigeants du pays, au point de devoir s’exiler aux Etats-Unis, en 2011. A quelques jours d’un Conseil européen important (le 20 mars) et à quelques semaines d’élections européennes à haut risque, Varoufakis juge – sévèrement – les politiques menées face à la crise par les institutions du Vieux Continent. Alors que la Grèce préside depuis le 1er janvier l’Union européenne, celui qui enseigne désormais à l’Université du Texas à Austin fait aussi part de son inquiétude pour son pays.

La Commission européenne estime que la Grèce commence à sortir la tête de l’eau. Qu’en pensez-vous?

C’est une absurdité. La Commission met en avant les indicateurs qui l’arrangent. Elle soutient que le taux auquel le pays emprunte a baissé, mais la Grèce n’est pas retournée sur les marchés depuis 2010! Par ailleurs, une grande partie de la dette est désormais détenue par les autres Etats européens. Donc, cela n’a pas vraiment de signification.

De la même manière, on nous explique que la Bourse d’Athènes reprend des couleurs. Mais la plupart des grandes entreprises sont parties s’installer au Luxembourg ou au Royaume-Uni. Il n’y a plus guère que les banques qui soient cotées. Or les hedge funds parient que leur cours va un peu se redres -ser : c’est la seule raison pour laquelle la Bourse remonte !

A quels indicateurs peut-on se fier?

Il faut regarder, en premier lieu, l’investissement. C’est la force qui entraîne l’économie. Il a diminué sans discontinuer depuis quatre ans, y compris au dernier trimestre de 2013. Deuxième indicateur : l’emploi. Le chômage continue à augmenter. Enfin, dernier élément : le crédit, notamment les prêts destinés aux start-up et, plus généralement, aux petites et moyennes entreprises.

Là aussi, on observe une chute. Voilà les vrais indicateurs, et l’histoire qu’ils racontent est très triste. Le plan adopté pour le pays en 2010 a été une énorme erreur de politique économique : on a échangé un sauvetage financier contre une austérité très violente, qui a fait exploser la dette au lieu de la réduire. Il aurait mieux valu laisser le pays faire faillite. La Grèce paie aujourd’hui encore les conséquences de cette décision.

Comment jugez-vous la situation actuelle du pays, sur le plan économique et social?

La Grèce est un Etat exsangue, avec une minorité qui prospère grâce à la corruption, et une majorité qui dépérit. Les véritables décisions sont prises par les commissaires européens. Les seuls biens que nous exportons, ce sont nos jeunes, partis s’installer sous d’autres cieux.

Comment évaluez-vous les risques politiques et sociaux dans le pays?

C’est bien connu : l’Histoire se répète parfois sous forme de tragédie, parfois sous forme de farce. Les premières années de la crise ont été marquées par de nombreux troubles sociaux ; il y en a beaucoup moins maintenant. Les gens rentrent chez eux et lèchent leurs plaies. Ils essaient de joindre les deux bouts, et de mettre de quoi manger sur la table. Pour résumer, les rues sont calmes, mais le mécontentement est fort, et la pauvreté, un cancer qui tue les gens psychologiquement.

De très nombreux ménages sont surendettés. Ce que j’ai pu observer au sein des familles, c’est une forme de dépression au sens clinique du terme, qui s’apparente beaucoup aux états bipolaires. Un jour, les gens sont catatoniques et, le lendemain, ils sont dans une forme d’optimisme bizarre, où ils éprouvent le sentiment totalement irréaliste que tout est possible. Puis la dépression revient. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir de quoi tout cela est le terreau, on l’a déjà expérimenté dans les années 1930, et pas seulement en Allemagne…

Aube dorée, le parti d’extrême droite, ne recueille pourtant qu’une minorité des suffrages…

Aube dorée n’est pas au gouvernement, mais cela ne veut pas dire que ses idées ne sont pas au pouvoir. En 2012, juste avant les élections législatives, le gouvernement socialiste a ordonné que les femmes SDF à Athènes soient soumises sans leur consentement à des tests VIH et que, si elles étaient séropositives, elles soient emprisonnées et que leurs photos soient affichées à l’extérieur des commissariats.

A l’été 2012 encore, des députés du parti au pouvoir [sous le gouvernement conservateur d'Antonis Samaras] ont déposé au Parlement un amendement qui stipule que, pour entrer dans la police ou l’armée grecque, il ne faut pas seulement être citoyen du pays, mais pouvoir prouver que l’on est de sang grec. Si les partis traditionnels font cela, que feront les fascistes ?

Après avoir longtemps été professeur à l’université de Sydney, vous êtes revenu en Grèce en 2000, où vous avez été conseiller économique de Georges Papandréou entre 2004 et 2006. Puis vous avez à nouveau quitté le pays à la fin de 2011. Pourquoi?

Je suis revenu effectivement en Grèce en 2000. Le pays était alors traversé par une vague de xénophobie, et j’avais trouvé que Papandréou, en tant que ministre des Affaires étrangères, y avait bien répondu. C’est pour cela que j’ai accepté de le conseiller. Puis j’ai commencé à avoir des divergences avec lui à propos de son management, mais aussi de la politique économique menée. J’ai démissionné en 2006, et j’ai commencé à alerter sur les risques de crise financière mondiale. J’ai été traité comme l’idiot du village.

Ensuite, la crise a éclaté et a touché la Grèce, en 2009. En tant qu’ancien conseiller de Papandréou, j’étais un des seuls à dire : il ne faut pas accepter le plan de sauvetage, il aura des conséquences catastrophiques; mieux vaut laisser l’Etat faire défaut. Dès lors, j’ai commencé à être considéré en Grèce comme un “agent du mal”, celui qui voulait que le pays fasse faillite. Cela ne s’est pas arrangé l’année suivante, quand j’ai critiqué le second plan de sauvetage, qui alimentait la corruption financière, avec la bénédiction de la troïka [NDLR: Union européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international]. Ma famille a alors commencé à recevoir des menaces, et j’ai décidé de quitter le pays. Voilà pourquoi je vous parle aujourd’hui depuis l’Université du Texas, à Austin.

Au-delà de la Grèce, que pensez-vous de la situation de la zone euro? Bruxelles estime là encore que la situation s’améliore, tandis que certains experts s’alarment du risque de déflation…

Notre premier devoir, c’est de conceptualiser les problèmes que nous rencontrons. Prenez, par exemple, le changement climatique. Vous observez des inondations en Australie, un dégel en Sibérie, des ouragans à New York ou à La Nouvelle-Orléans. Si vous considérez ces phénomènes séparément, vous n’avez aucune chance de résoudre le problème. C’est pourtant ce que l’on a fait avec la zone euro, alors que la pauvreté en Grèce, le chômage en Espagne, les minijobs en Allemagne, le déficit de compétitivité de la France sont tous liés aux dysfonctionnements de l’architecture de la zone euro. On a voulu résoudre ces difficultés par des politiques d’austérité généralisées, avec le succès que l’on sait.

Le risque de déflation est-il réel?

La spirale déflationniste est d’ores et déjà enclenchée. Les prix manufacturiers ont commencé à chuter dans certains secteurs. L’Allemagne vient d’annoncer que les salaires réels avaient baissé en 2013. Si les salaires diminuent en Allemagne, que va-t-il se passer en France ou en

Espagne? Il faut rappeler que cette stratégie de déflation salariale a été mise en oeuvre sciemment par la Commission pour remédier à la crise. Dans sa grande sagesse, elle a récem -ment demandé au Portugal de baisser encore les rému -nérations ! Mais je ne blâme pas les autorités politiques : si l’on considère que l’architecture de la zone euro est sacrosainte, alors la BCE ne peut pas monétiser la dette, elle ne peut pas non plus jouer les inter médiaires entre les établissements financiers et les Etats… Elle ne peut rien faire!

Vous proposez justement dans un ouvrage récent (1) plusieurs mesures pour résoudre ces problèmes sans modifier les traités…

Nous proposons en premier lieu que la BCE puisse émettre elle-même des obligations pour le compte des Etats, ce qui permettrait de faire baisser les taux d’intérêt auxquels ils empruntent. Deuxièmement, il faudrait autoriser la BCE à recapitaliser directement les banques en difficulté via le Mécanisme européen de stabilité. Cette faculté romprait le lien entre les banques et les Etats dont elles sont originaires.

Troisièmement, la BCE pourrait s’associer à la Banque européenne d’investissement (BEI) pour lancer un grand programme d’investissement dans les infrastructures. Enfin, il faudrait prendre des mesures sociales en faveur des citoyens européens les plus fragiles. Toutes ces dispositions permettraient de résoudre la crise, et peuvent être entreprises dans le cadre institutionnel actuel, sans modifier les traités.

On parle beaucoup du retour de la croissance aux Etats-Unis. Réalité ou story-telling?

Les Américains ont réussi une chose que les Européens ne sont pas parvenus à faire : stabiliser leur économie. La crise leur a beaucoup coûté en termes d’activité, mais ils ont réussi à atterrir en douceur. Comment? Grâce à leur système fédéral, ils n’ont pas, contrairement à nous, à gérer un hiatus entre des politiques économiques, qui demeurent nationales, et un système monétaire qui fonctionne au niveau fédéral. En outre, la politique active de la Fed a permis de sauver les établissements financiers et de remettre l’économie à flot en injectant massivement des liquidités.

L’exploitation des gaz de schiste leur a aussi permis de regagner en compétitivité. Les Etats-Unis, enfin, conservent une formidable capacité d’attirer les talents étrangers. Malgré tout cela, ce pays demeure dans une “stagnation séculaire”, ainsi que l’a décrit Larry Summers, l’ancien secré taire au Trésor. Il a en partie perdu le rôle, qui était le sien avant la crise, de capter les excédents des pays exportateurs : Chine, Japon et une partie de l’Europe – l’Allemagne principalement.

En échange, ces pays trouvaient des débouchés auprès du consommateur américain. Ce cercle donnait le sentiment d’une certaine solidité de l’économie mondiale, ce que l’on a appelé la “Grande Modération”. Mais la crise a cassé cette mécanique, sans que rien de stable ne s’y substitue vraiment.

Certains économistes craignent l’explosion de bulles financières en Chine. Est-ce aussi votre cas?

Oui, j’ai très peur de cette éventualité. J’ai beaucoup de respect pour les autorités chinoises, qui, au moins, reconnaissent les problèmes auxquels elles sont confrontées. Afin d’éviter un atterrissage brutal de l’économie, Pékin a essayé de maintenir la cohésion du pays par des investissements publics, dans les infrastructures en particulier, mais en gonflant des bulles d’actifs. Et, à présent, il existe un grand risque que ces bulles explosent. Voilà pourquoi le gouvernement tente de limiter les dégâts en sortant progressivement des liquidités du marché. En définitive, on voit bien que l’économie mondiale hésite entre deux voies : soit un ralentissement graduel, soit une nouvelle secousse brutale. Tout cela confirme ma grande peur : la crise de 2008 n’a pas disparu, elle a simplement changé de nature.

Yanis Varoufakis en 6 dates :

1961 Naissance à Athènes. 1987 Doctorat d’économie de l’université d’Essex (Royaume-Uni). 1988 Maître de conférences en économie à l’université de Sydney. 2000 Professeur d’économie à l’université d’Athènes. 2004-2006 Conseiller économique de Georges Papandréou. Depuis 2013 Professeur d’économie à l’Université du Texas à Austin.

(1) Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro, par James Galbraith, Yanis Varoufakis et Stuart Holland. Ed. Les Petits Matins, 80p., 5€.

Source

Source: http://www.les-crises.fr/la-grece-peut-forcer-leurope-a-changer-par-yannis-varoufakis/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 28 January 2015 at 01:21

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Si seulement la Grèce sortait de la zone euro! – 26/01

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): La BCE peut-elle alléger la dette grecque ?- 26/01

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): Les retombées du QE de la BCE seront-elles positives ? – 26/01

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Un QE pourquoi faire ? – 22/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (1/2): Le QE de la BCE sera-t-il efficace ? – 21/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (2/2): Que doit-on retenir du discours d’Obama sur l’état de l’Union ? – 21/01

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 23/01

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : Syriza, un risque de contagion de l’Italie et l’Espagne! – 27/01

Jacques Sapir VS Laurent Berrebi (1/2): Quelles modalités pour la renégociation de la dette publique grecque ? – 27/01

Jacques Sapir VS Laurent Berrebi (2/2): La BCE perd-elle le contrôle de sa devise ? – 27/01


 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-28-01-2015/


“Surveiller tout comportement suspect”, par Jacques Attali

Wednesday 28 January 2015 at 00:01

La BCE et le terrrorisme

Le 19 janvier 2015  | par Jacques Attali

A priori, rien ne relie les tragiques événements que nous vivons en Europe, (depuis l’arrivée massive et incontrôlée en Italie de migrants fuyant la folie terroriste au Moyen-Orient, pour la retrouver dans les rues de Paris et Bruxelles, après Toulouse), avec la décision que la Banque Centrale Européenne annoncera jeudi 22 janvier après-midi, rachetant pour la première fois, sur les marchés, des bons du trésor des pays membres de la zone euro.

Cette décision apparemment purement technique, qui vise à relancer la croissance et l’inflation européenne est très bienvenue ; elle donne à l’Europe un formidable ballon d’oxygène. Mais elle n’aura pas d’effet durable si les États européens ne prennent pas le relais en réformant leurs économies, pour s’adapter à la modernité d’une façon socialement juste, et en finançant des projets communs par des bons du trésor communs, des euros bonds.

Seulement il n’existe pour cela aucune structure : à la différence des États-Unis, par exemple, qui ont un Trésorerie et des bons du trésor, il n’y a ni budget de la zone euro, ni administration d’un trésor européen et donc pas d’euro bonds.

C’est le moment de se souvenir de la façon dont sont nés les bons du Trésor américains : De fait, les États-Unis sont vraiment nés en tant que nation, non pas 4 juillet 1776 avec la déclaration d’indépendance, ni même le 17 septembre 1787 avec l’adoption de la constitution, mais quand, à la suite d’un dîner mémorable, à New York, le 20 juin 1790 entre Hamilton, Madison et Jefferson, le président Washington lança la première émission de bons du trésor, pour financer en urgence l’achat d’armes et l’équipement des troupes face au retour des troupes britanniques, encouragés par le départ des troupes françaises, rappelées par la révolution française.

C’est la menace qui créa les États-Unis d’Amérique. C’est elle qui peut aussi créer l’Europe politique.

Aujourd’hui, en Europe, les gouvernements n’arrivent pas à se mettre d’accord sur des projets à financer en commun ni à en trouver le financement, comme le montre le plan Juncker. Et pourtant ils existent : les plus urgents, ceux qui s’imposeraient le plus aujourd’hui, portent sur les moyens de sécurité, de surveillance, et de défense. Comme aux États-Unis, leur financement est urgent et sera populaire : comme toujours, c’est la défense qui crée l’urgence.

Aussi, au moment où l’internet des objets va permettre de tout savoir des comportements de chacun, pour nous aider à nous repérer, nous soigner, nous distraire, choisir un restaurant ou un magasin, il serait parfaitement possible de disposer de moyens technologiques pour surveiller tout comportement suspect, sans pour autant avoir à déployer des moyens démesurés de surveillance physique, et dans le respect des libertés publiques et de la vie privée des honnêtes gens. Pour y parvenir, il faudrait déployer des réseaux, des logiciels et des outils dont nos services de police et nos armées ne disposent pas pour l’instant, alors qu’ils existent dans d’autres pays menacés par le terrorisme.

C’est ensemble que les Européens doivent concerter leurs défenses et organiser leur sécurité, avec les moyens les plus modernes. Et en particulier les pays en première ligne : France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays bas. Qui se trouvent être, justement les premiers pays signataires du traité de Rome.

Il suffirait pour cela que, sans attendre que d’autres drames les y contraignent, les dirigeants de ces pays aient le même courage, la même lucidité, la même capacité d’anticipation, face à une menace, que Jefferson, Madison, Hamilton, et Washington.

Et si ces dirigeants, en particulier en France et en Allemagne n’ont ni ce courage, ni cette imagination, ni cette audace, il faudra en changer.

Source : blog L’Express

Source: http://www.les-crises.fr/surveiller-tout-comportement-suspect/


[Reprise] Une histoire de Charlie Hebdo, par Acrimed [2008]

Tuesday 27 January 2015 at 04:00

Intéressant article d’Acrimed de 2008…

La récente « affaire Philippe Val et consorts », dont Siné a été la cible (( « Quand Philippe Val, Charlie Hebdo et BHL maltraitent la liberté d’expression… Acrimed soutient Siné ». )) , est la conséquence, voire la conclusion, de seize années d’involution, d’un hebdomadaire, Charlie Hebdo (( Sur cette histoire, lire aussi la tribune de Stéphane Mazurier publiée sur le publiée sur le site de Télérama, le 24 juillet 2008, sous le titre “L’honneur perdu de Charlie Hebdo )) . Du hold-up sur un titre par Philippe Val au détournement de son orientation éditoriale avec le concours des plus jeunes : retour sur la normalisation de Charlie Hebdo.

Eté 1992. Charlie Hebdo, journal « mythique » des années 70, mort en décembre 1981 et enterré le 2 janvier 1982, chez Michel Polac sur TF1, renaît de ses cendres. A l’essentiel de l’équipe des anciens (Cavanna, Cabu, Gébé, Willem, Wolinski, Delfeil de Ton et Siné), s’ajoutent des nouveaux (Charb, Luz, Riss, Honoré, Bernar, Tignous, Plantu, Olivier Cyran, Oncle Bernard, etc.), des artistes du music-hall (Renaud et Patrick Font), et le chansonnier et ex-rédacteur en chef de La Grosse Bertha : Philippe Val. Le programme s’annonce alléchant. Un absent de marque toutefois : Georges Bernier, alias le Professeur Choron. Un signe.

Eté 2008. Le journal « mythique » des années 70 n’est plus que la pâle copie de ce qu’il était seize années plus tôt. Figure emblématique de l’hebdo, le dessinateur Gébé est mort, ainsi que Bernar et Pasquini. Des journalistes de talent ont pris la porte : au revoir Olivier Cyran, au revoir François Camé et Anne Kerloc’h, au revoir Michel Boujut, au revoir Mona Chollet… Un dessin de Lefred Thouron sur Patrick Font (en procès pour pédophilie) ne passe pas : Lefred quitte le navire (le dessin sera publié après son départ, avec un mot de Philippe Val). Renaud, un des principaux actionnaires, abandonne aussi l’hebdo. Patrick Font, condamné à une peine de prison, disparaît rapidement des photos de son ex-comparse, Philippe Val. Wolinski dessine pour Paris MatchLe Journal du Dimanche et les publicités St Yorre, Cabu donne ses meilleures caricatures au concurrent d’en face, le Canard Enchaîné et les jeunes (Jul, Charb, Tignous, etc.) font la queue pour griffonner pour la télévision, dans des émissions de bas de gamme.

Engraissée par les euros et les repas mondains, notabilisée par les soirées chez Ardisson et les cocktails avec BHL, glorifiée avec le procès des caricatures et la montée des marches à Cannes, l’équipe de Charlie Hebdo décide, à la quasi-unanimité, de renvoyer Siné pour propos prétendument antisémites (( Seuls Tignous et Willem ont signé la pétition de soutien à Siné. Michel Polac et Cavanna semblent également avoir été réticents à l’exclusion de Siné, mais se sont soumis, sans mettre leur démission dans la balance. )) .

On ne rigole plus à Charlie Hebdo. Avec son impertinence, l’équipe restante a aussi gommé de sa mémoire ses éclats de rire d’autrefois et les nôtres par la même occasion… Ainsi de cette brève parue dans son numéro 1, le 1er juillet 1992 : « Les premières mesures de la gauche au pouvoir en Israël : pour pallier la pénurie de calamars, le gouvernement lance une grande campagne de récupération des prépuces. » Une brève qui, selon le rédacteur en chef adjoint, Charb, avec lequel nous nous sommes entretenus par téléphone, « ne passerait plus aujourd’hui » (( L’entretien avec Charb a eu lieu le 22 août 2008. )) .

Pourquoi, et comment, un hebdomadaire satirique, mariant humour acide et critique sociétale, a-t-il subi une telle dérive ?

I. Le ver était déjà dans le fruit

Le processus de normalisation avait déjà commencé au sein de la Grosse Bertha, avant même la renaissance du titre Charlie Hebdo.

Les dessous de La Grosse

Hebdomadaire satirique et « bordélique »La Grosse Bertha est née au début de la guerre du Golfe, en janvier 1991. Quelques mois après le lancement, Philippe Val, tout droit venu de la scène, emprunte l’habit de rédacteur en chef. Et les querelles ne se font pas attendre :« On était partis avec “Un éclat de rire par page” et on se retrouvait sermonnés au nom du précepte : “Il faut des indignations.” » (( « Les dessous coquins de La Grosse », La Grosse Bertha, 29 août 1992, trouvé sur presselibre.net (mais le lien n’est plus accessible – août 2010) et reproduit sur le site Le Blog de Philippe V., éditorialiste martyr» )) Certains rédacteurs sont mis sur la touche. Et l’autoritarisme de Val en irrite (déjà) plus d’un. « Un jour, Godefroy [Jean-Cyrille Godefroy était le directeur de la publication] eut la surprise d’entendre de la bouche du rédacteur en chef : “Je te préviens, au prochain conflit entre nous, je te vire.” Un rédac’ chef virant le propriétaire du journal (( D’après Philippe Val, le titre a été trouvé par Gébé, mais a été déposé par Godefroy. )) , c’eût été une grande date de l’histoire de la presse. Du coup, Godefroy demanda à Philippe Val de rentrer dans le rang, pour que le journal retrouve son ambiance déconnante, sa joyeuse anarchie, l’excitation des bouclages où tout te monde dit son mot sur la couverture. » Val reste inflexible :« Refus outré. À notre grand désarroi, nous vîmes alors le doux Cabu faire bloc avec Val, ce génie méconnu, accusant Godefroy et quelques autres d’entraîner le journal “à droite”. Une accusation dont les lecteurs peuvent vérifier après coup la stupidité… Sidérés, ne comprenant pas grand-chose au conflit dont ils étaient pour la plupart éloignés, beaucoup de copains de la rédaction virent Cabu claquer la porte et appeler les masses à le suivre, avec un mauvais rictus qu’on ne lui connaissait pas. Quelques jours plus tard, l’opinion étonnée vit sortir du caveau le défunt Charlie Hebdo, un titre d’ailleurs piqué sans vergogne à son propriétaire, le professeur Choron. »1

La suite, on la connaît. Philippe Val, Cabu et les anciens, et avec le renfort de quelques jeunes talents, lancent Charlie Hebdo, deuxième époque. « Pour faire quel journal ? », s’interroge Val. « Eh bien nous avons fait un sondage représentatif de mille cons, pour solliciter leur avis, et on a fait le contraire. (( Charlie Hebdo, 1er juillet 1992.))  » Le contraire, vraiment ?

Quinze ans plus tard, Charb ne semble pas en être convaincu. Devant ses potes, lors du festival de Groland en septembre 2007, il affiche son désaccord : « Le truc qui est dur pour les gens de Charliec’est que Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo… c’est lui le directeur et c’est lui qui ressemble le moins au journal quasiment (…) (( Merci au correspondant qui nous a signalé l’omission de cet adverbe qui, lisible sur la vidéo) nuance le sens de la phrase (Acrimed, 17 août 2009). )) Si j’étais directeur d’un journal et si j’avais les moyens de faire un journal, il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas . » (( « Charlie Hebdo se fait Hara-Kiri », montage de Pierre Carles, disponible en ligne sur le site du Plan B, 2008. ))

 


Quand Charb parle de Philippe Val by acrimed

Extrait de « Charlie Hebdo se fait Hara-Kiri », montage de Pierre Carles, à voir sur le site Plan B.

Il affiche son désaccord… Mais il reste rue Turbigo. Contacté par Acrimed, il s’explique : « Dire que Charlie Hebdo est le journal parfait dans lequel je rêve de travailler est évidemment faux (…). Mais j’ai moins de liberté dans des journaux qui me sont plus proches politiquement que dans un journal dirigé par Val. » Nous voilà rassurés.

Les coulisses de Charlie

A peine paru en 1992, le journal écope d’un procès. Delfeil de Ton, aujourd’hui chroniqueur au Nouvel Observateur, membre de l’équipe du premier Charlie Hebdo, présent lors de la création du deuxième, fait état de souvenirs que nous ne pouvons pas vérifier, mais qui témoignent de l’opacité du contexte : « Bernier (alias Professeur Choron) proteste mais, en fait, il n’avait pas la propriété, le titre n’ayant jamais été déposé. Procès. Nous témoignons tous, sur le conseil de l’avocat Richard Malka, que Cavanna a inventé le titre. En réalité, bien malin celui qui pourrait dire qui l’a inventé. Tout le monde a tout de suite pensé à faire un « Charlie- Hebdo », en 70, quand « l’Hebdo hara-kiri » a été interdit  (( En réalité le journal a été interdit d’affichage. )) , puisque outre le mensuel « Hara-Kiri » on avait un autre mensuel qui s’appelait « Charlie », que j’avais d’ailleurs fondé. » (Le Nouvel Observateur, 14 août 2008) « L’astuce de Malka, poursuit Delfeil de Ton, c’était que, comme il n’y avait pas de propriété commerciale établie, il fallait jouer le droit d’auteur. Donc, tous ensemble, lettres au tribunal, comme un seul homme et tous fabulateurs : « C’est Cavanna qui a inventé le titre. » Voilà Cavanna proclamé auteur du titre par le tribunal. Conséquemment, il se retrouve également propriétaire de la valeur patrimoniale de « Charlie-Hebdo », de la marque « Charlie-Hebdo » comme disent les économistes. »

Et la conception de Charlie Hebdo nécessite un capital. Au début de 2 000 francs, « il est aujourd’hui de 240 euros, précise Le Monde (( “30 juillet 2008.” )) , chacune des 1 500 parts valant symboliquement 16 centimes. » Les actionnaires de départ sont Gébé, Val, Cabu, Bernard Maris et Renaud. Le départ de Renaud et la mort de Gébé ont réorganisé la répartition : 600 parts pour Val, 600 pour Cabu, 200 pour Maris et 100 pour Eric Portheault, le comptable. La situation est telle, qu’en 2006, « les Editions Rotative, éditrices de Charlie Hebdo, ont enregistré un résultat bénéficiaire de 968 501 euros. (…) [Et] 85% de cette somme ont été redistribués en dividendes. » (( “Ibid.” )) Ainsi, Val et Cabu ont chacun perçu 330 000 euros en 2006. Une broutille.

Comment en est-on arrivé là ? Delfeil de Ton replonge dans ses souvenirs (( “Le Nouvel Observateur, article cité.” )) : « Un jour, Cavanna, Val et moi, on se retrouve chez Malka. Pour Cavanna et moi, il était notre avocat à tous. En fait, il était l’avocat de Cabu et Val. Nous lui demandons de préparer des statuts à la manière de ce que nous pensions être ceux du Canard enchaîné  : les sept (dont Cabu) fondateurs encore vivants de Hara-Kiri hebdo (notre premier titre), puis de Charlie Hebdo, plus Val, seraient propriétaires temporaires à parts égales. Chaque part reviendrait à un collaborateur du journal choisi par les survivants après chaque décès. (…) Les semaines succèdent aux semaines et rien ne vient. Je fais irruption chez Malka. Je lui demande où il en est de ces statuts pour une société. Il me sort un brouillon de charte. J’ai compris qu’on se foutait de nous. »2 Le ver était déjà dans le fruit. Et l’hégémonie du chef ne s’affaiblissait pas… « Comme, déjà, l’autoritarisme de Val m’était insupportable, sa morgue, sa prétention, à quoi s’ajoutait l’ennui qui régnait dans la salle de rédaction, j’ai foutu le camp sans phrase, après cinq mois de collaboration, me contentant un dimanche de bouclage de ne pas envoyer mon article. Le mardi je recevais par la poste, sans un mot d’accompagnement, un « pour solde de tous comptes ». C’était en mars 1993. »

Charlie Hebdo, hebdomadaire décalé, bête et méchant ? Non.Charlie Hebdo, parodie de satire, et réelle entreprise capitaliste.

II. Et le fruit a pourri le panier

Adaptations à l’air du temps et normalisation interne produisent leurs effets : Charlie se transforme en hebdomadaire recentré, consensuel, convenable, déontologique, respectable.

  • Recentré. Dans le Charlie Hebdo du 21 mai 1997, avant les élections législatives, un sondage interne au journal dévoilait : « A “Charlie“, 9 votent Vert, 7 PC, 4 s’abstiennent, 1 LO, 1 LCR et … 2 PS », et un personnage dessiné par Charb s’inquiétait déjà : « 2 PS ? Merde… Je pensais pas que la droite avait infiltré “Charlie“. » (( Cité par Le Plan B, juin 2007. )) Une inquiétude ironique largement confirmée depuis, puisqu’une brève du 18 avril 2007 signale que « sur 38 collaborateurs de Charlie Hebdo : 18 votent Royal, 9 votent Voynet, 3 votent Buffet, 3 votent Besancenot, 3 votent Bayrou, 1 vote Bové, 1 vote blanc. » Soient 21 collaborateurs qui votent à « droite » et 16 à gauche. Charlie Hebdo, de droite ? Oui, si l’on en croit Philippe Val lui-même, puisque ce dernier, en juin 1998 écrivait que « la vraie droite aujourd’hui, c’est le PS. » Neuf ans plus tard, le 9 février 2007, il lâche chez Pascale Clark sur Canal+ (« en aparté ») : « Je voterai pour le candidat de gauche le mieux placé. » Le mieux placé ? Comprendre Ségolène Royal.
  • Consensuel. Sur les principales questions internationales,Charlie hebdo reproduit peu à peu les positions dominantes. Ainsi sur le Kosovo. Alors que dans les années 70, Cabu s’insurgeait« contre toutes les guerres » et collectionnait les procès intentés par l’armée, en 1999, il soutient, avec toute l’équipe de Charlie Hebdo, exception faite de Siné et Charb, l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo. Dans le n°361 de Charlie Hebdo (19 mai 1999), en lieu et place de la chronique de Charb, un texte de Riss (qui n’écrit pas d’ordinaire) reproche même aux pacifistes d’être des collabos ! De même sur le traité constitutionnel européen : si d’autres voix que celle de Philippe Val se font entendre, c’est lui qui conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du « non » au référendum.
  • Convenable. La normalisation du journal s’accompagne donc d’une réorientation de la ligne éditoriale. Celle-ci prend pour cibles prioritaires l’islamisme et le mouvement de contestation de la mondialisation libérale, généreusement amalgamés. Cette dérive a été renforcée avec l’arrivée en force de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, toutes deux en lutte contre « l’islamo-gauchisme ». Des positions qui plaisent. Ajoutez à cela, le procès des caricatures de Mahomet, et pour tout soutien celui, sans risques, à des causes très populaires – Ingrid Betancourt, Florence Aubenas, Ayaan Hirsi Ali… Et vous ne tarderez pas à voir rappliquer les mondains, Bernard-Henri Lévy en tête. BHL adore les livres de Caroline et de Philippe, et c’est réciproque. Il est loin le temps où le philosophe des beaux quartiers, « l’Aimé Jacquet de la pensée », selon Val, était hebdomadairement croqué par Luz et raillé par Val.« Prononcer le nom de nos têtes pensantes – BHL, PPDA, Finkielkraut, Luc Ferry, Johnny Hallyday, Comte Sponville, Alain Minc… – dans un amphi d’université, écrivait alors le patron deCharlie Hebdo, aujourd’hui, provoque à tous les coups une hilarité libératrice. (…) Le film de BHL avec Alain Delon, promu par tous les médias, a fait un bide. Le livre de Bourdieu sur la domination masculine, promu par personne, fait un triomphe. Si ça ne vous rend pas joyeux au point d’éclater de rire, c’est que vous avez vraiment mauvais caractère. » (« Les BHL se rebiffent », Charlie Hebdo, 23 septembre 1998) Charlie Hebdo est devenu convenable.Libres aux journalistes de Charlie Hebdo et aux lecteurs d’approuver sans haut-le-cœur cette nouvelle « offre politique » et cette entrée par la petite porte dans la cour des « grands ». Mais force est de constater qu’il s’agit d’un détournement d’héritage qui n’a pas été sans conséquences.Ce glissement politique de gauche à droite, de la paix vers la guerre, de la subversion vers l’orthodoxie, s’est fait progressivement, mais sûrement. On voit ainsi disparaître, dans le silence quasi-général, des signatures talentueuses (Cyran, Camé, Boujut,…) au profit de plumes conventionnelles et/ou médiatiquement plus « reluisantes » : le dessinateur Joan Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, le sociologue médiatique Philippe Corcuff (lui même acculé à démissionner (( Mais qui prend soin de préciser : « Mon départ ne change rien à ma solidarité avec la rédaction en général et avec Philippe Val en particulier face aux insultes répétées et aux informations erronées [lesquelles ?] diffusées par PLPL » et qui, conformément à ce type d’engagement, s’est courageusement abstenu de défendre Siné, préférant travailler « du côté des tonnelles ombragées de notre mélancolie politique ». Lire sur son blog : « Périls sur l’antiracisme en France : du Proche Orient à “l’affaire Sinéé” » (pour les plus pressés, et les moins courageux, se rendre directement au post scriptum). )) , Renaud Dély venant deLibération, Philippe Lançon du même, Anne Jouan du Figaro, etc.
  • Respectable. Cette normalisation contribue à une notabilisation du journal que Philippe Val justifie comme un choix majeur en 2005 : « J’ai de la chance, explique le patron de Charlie Hebdo, car j’ai en quelque sorte “hérité” d’un titre légendaire que j’exploite. [...]Son image est assez complexe et pas toujours porteuse. Son existence est légitime, mais son contenu pas toujours. C’est le paradoxe. [...] » (Entretien accordé au magazine TOC en février 2005). Parmi les options destinées à dénouer ce paradoxe, celle-ci : « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui j’entretiens des rapports cordiaux. » [C’est nous qui soulignons] Pour entretenir les « rapports cordiaux » avec les « gens » qui permettent de légitimer le titre, non seulement il faut émousser voire taire toute critique, mais surenchérir dans la dénonciation de la critique des médias. A quoi Philippe Val s’emploie dans ce même entretien, comme on peut le lire ici même sous le titre « Philippe Val, critique, stratège et … psychiatre », et dans l’ensemble de son œuvre (( Lire sur Acrimed : Philippe Val : « la critique radicale des médias alliée du grand capital »Philippe Val recycle son éditorial purificateur sur France InterPhilippe Val, épurateur chroniqueDroit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de pressePhilippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias)) .Telle est la dure loi du « milieu de l’information »  : les arrivistes doivent payer au prix fort leur arrivée.
  • Déontologique. Au prix fort… En effet l’évolution conjointe des positions politiques et du positionnement médiatique n’a pas été sans effet sur les pratiques journalistiques de l’hebdomadaire, et, au premier chef, de Philippe Val lui même : calomnies et mensonges (notamment sur Noam Chomsky), fausses rumeurs (par exemple sur le Forum social européen), diffamations de membres de l’Observatoire français des médias, refus des droits de réponse, que nous avons plusieurs fois relevés ici-même (( Echantillon : « Philippe Val, propagateur de calomnies et docteur ès déontologies » suivi de « Philippe Val sur France Inter : un récital de mensonges et de calomnies contre Chomsky »« Elle court, elle court la rumeur », suivi de « Charlie Hebdo court après les rumeurs qu’il répand » ))…
  • Pacifié. De telles pratiques journalistiques, la normalisation du journal et les prises de position de Val, auraient pu, auraient dû, susciter réaction et rébellion à Charlie Hebdo, et l’exclusion de Siné aurait peut-être permis à ceux qui pensaient tout bas, de sortir tout haut du rang. Il n’en a rien été. Même le rédacteur en chef adjoint du journal et (ex-)ami de Siné, Charb, est resté silencieux. Parce qu’il est celui qui semblait être le plus indomptable de tous, ses choix personnels, entre compromis et compromission, ont donc valeur d’exemple…

Charb a estimé, le 16 juillet 2008, que Siné avait porté – c’est un comble – « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo. Et c’est pourtant le même Charb qui dans sa chronique « Charb n’aime pas les gens » datée du 30 juillet 2008 écrit : « Personne n’a dit que Siné était antisémite (…) parce que ça n’a jamais été le sujet du débat. Aurait-on travaillé durant seize ans avec un antisémite ? Moi, non. » Si cela n’a jamais été le sujet du débat, alors pourquoi Philippe Val, dans son éditorial du même jour se pose la question et ressort une affaire vieille de 26 ans ? « Antisémite, Siné ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais au lendemain de l’attentat de la rue des Rosiers, en 1982, c’est lui-même qui déclarait sur la radio Carbone 14 : “Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien. Qu’ils meurent.” (( Sur cette affaire, Siné, qui s’était excusé le plus sobrement possible, s’explique sur le site de Rue89,. ))  » Le prétendu antisémitisme de Siné, a bien été le sujet du débat à Charlie Hebdo et le prétexte de son exclusion.

Dans la même chronique, Charb écrit : « Val aurait cessé de publier les chroniques de Siné parce qu’il critiquait la politique d’Israël dans les territoires occupés, (…) je serais parti du journal. »Cependant, dix ans auparavant, Siné a écrit une chronique sur le conflit israélo-palestinien, qui était passée à la trappe (n°319, 29 juillet 1998). Le libelliste a ensuite publié une version modifiée – plus courte et plus édulcorée – dans sa zone du 5 août 1998 (n°320). Charb n’avait pas démissionné pour autant. Compromis indispensable ? (( Son positionnement (stratégique ?) dans le renvoi de Siné, n’est-il pas dû alors au projet d’éditions qui anime l’équipe de Charlie ? La société d’éditions « Les Echappés », qui compte comme actionnaires principaux Riss, Luz, Catherine et Charb, et dans une moindre mesure Val et Cabu, aurait-elle pu voir le jour si Charb était allé au charbon et avait soutenu son « pote » Siné ? « Cela n’a rien à voir, répond-il, la maison d’éditions c’est un truc marginal par rapport à mon rôle dans Charlie Hebdo. » ))

De même, lorsqu’on rappelle à Charb ses positions sur les médias, celui-ci explique : « Je ne suis pas un spécialiste des médias (…). Quant au travail de Pierre Carles, l’affiche que j’ai faite pour son film [« Enfin Pris ? »], etc. Je ne renie rien et puis suivant ce que les uns et les autres sortent ou produisent … ça m’arrive de bien aimer leur boulot encore. Je n’ai pas changé de position là-dessus. Je n’ai pas l’impression que ce soit moi qui ai changé de position. C’est sûr qu’on ne me demande plus d’affiche pour Pierre Carles, mais enfin pourquoi pas ? » (( Peut-être fera-t-il celle du film « Charlie Hebdo se fait Hara Kiri », cité plus haut, dont il est le héros (involontaire) ? )) Pourtant, quand Val prend violemment à parti Serge Halimi en 2004, alors qu’il l’avait soutenu 7 ans plus tôt (( Voir quand Philippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias et le droit de réponse de Serge Halimi : Droit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de presse. )) , Charb regarde ailleurs.

Avant, Charb n’aimait pas les gens, mais maintenant, il a accepté, avec la pacification très relative de Charlie Hebdo, de monter les marches du festival de Cannes en compagnie de BHL et de Joffrin, de pérorer chez Ardisson ou de dessiner pour Marc-Olivier Fogiel… et, finalement, de renvoyer Siné.

Epilogue

L’exclusion de Siné pourrait bien sonner le glas de Charlie Hebdo.

Siné s’est toujours rangé du côté des « damnés de la terre », des « insoumis » et des « dominés », et toujours contre « tous les curés » et « les connards » du monde entier. Prendre prétexte d’une phrase pour le virer de Charlie Hebdo est donc lourd de signification. Relisons-là (une dernière fois) : «  [Jean Sarkozy]vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » Aurait-elle suscité tant de haine et tant de passion si Siné avait écrit : «  [Jean Sarkozy] vient de déclarer vouloir se convertir à l’Islam avant d’épouser sa fiancée, musulmane, et héritière des puits de pétrole d’Arabie Saoudite. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »  ? Aurait-on vu les BHL, Adler, Bruckner, Badinter, Wiesel, Delanoë, Voynet et consorts prendre leur plume et signer dans Le Monde un texte contre Siné [1er août 2008..]] ? Non et non. Il n’était pas question de religion, mais simplement d’opportunisme. Les bien-pensants n’ont rien compris.

En 1981, Siné écrivait dans Charlie Hebdo, une phrase qui résume assez bien ses parti-pris : « J’aime le pognon mais pas les riches, j’aime la paix mais je suis prêt à tuer, (…) j’aime les juifs pas Israël, les arabes pas les émirs, les prolos pas le PC. » A près de 80 ans, celui qui avait fondé Siné Massacre pendant la guerre d’Algérie (dont la maquette inspira l’Hebdo Hara-Kiri, 7 années plus tard) et qui a créé L’Enragé en mai 68, s’apprête à sortir un nouveau journal. Son nom ? Siné Hebdo, naturellement.

Et Charlie Hebdo ? De Charlie Hebdo, il ne reste que le titre…

Post-scriptum (12 janvier 2015).

Charlie hebdo a continué, mais ce n’était plus le Charlie Hebdo des origines. Cet article, rédigé en 2008 suite au renvoi de Siné de Charlie Hebdo, reconstituait une histoire de l’hebdomadaire satirique depuis sa reparution en 1992. Depuis 2001, et surtout 2005, Charlie Hebdo, sous la direction de Philippe Val, avait connu une involution conformiste (et parfois pire) qu’il convenait de souligner. C’est ce que nous avons fait, en mettant en évidence, dans plusieurs articles, des pratiques journalistiques indignes. Après le départ de Philippe Val pour la direction de France Inter, nous avions cessé de le lire… et de le critiquer, comme l’aurait exigé la liberté d’expression dont nous avions fait preuve à son endroit. Après la tuerie, malgré la tuerie, Charlie Hebdo continue : tant mieux ! Nous ferons preuve à son égard de la même indépendance que celle qu’il revendique.

Source : Mathias Reymond, pour Acrimed,08/09/2008

  1. Ibid.
  2. Cette version des faits est contestée par Cabu et Val dans un long droit de réponse (publié, lui, à la différence de certains qui sont adressés à Charlie Hebdo) paru dans Le Nouvel Observateur du 4 septembre. Le texte de Val (et Cabu) est contestable sur plusieurs points sur lesquels nous ne reviendrons pas non plus. D’ailleurs, Delfeil de Ton maintient l’essentiel de sa version.

Source: http://www.les-crises.fr/une-histoire-de-charlie-hebdo-2008/


[Reprise] L’opinion du patron, la liberté d’expression selon Charlie Hebdo [2006, 2011]

Tuesday 27 January 2015 at 01:47

L’obscurantisme beauf, le tête-à-queue idéologique de Charlie Hebdo [04/03/2006]

Mercredi 19 novembre 1997, sous le titre « Les perroquets du pouvoir », Philippe Val consacrait la quasi-intégralité de son éditorial de Charlie Hebdo à l’enthousiasme délirant que lui inspirait la parution desNouveaux chiens de garde de Serge Halimi. Il y évoquait les « BHL, Giesbert, Ockrent, Sinclair », etc., tous « voguant dans la même croisière de milliardaires qui s’amusent », et qui « n’ont aucune envie de voir tarir le fleuve de privilèges qui prend sa source dans leurs connivences ou leurs compromissions ». Il jugeait certains passages « à hurler de rire », en particulier le chapitre « Les amis de Bernard-Henri », qu’il conseillait de « lire à haute voix entre copains ».

Six mois plus tard, mercredi 27 mai 1998, sous le titre « BHL, l’Aimé Jacquet de la pensée » (c’était juste avant la Coupe du monde de football), il volait encore au secours du livre de Halimi, contre lequel toute la presse n’en finissait plus de se déchaîner. Il épinglait le chroniqueur du Point pour avoir, dans son « Bloc-notes », assimilé Bourdieu à Le Pen. Et le futur défenseur du « oui » à la Constitution européenne se désolait : « Penser que le désir d’Europe sociale des uns est de même nature que le refus nationaliste de l’Europe des lepénistes ne grandit pas le penseur… » (En 2005, Philippe Val comparerait l’attitude des partisans du « non » à celle de Fabien Barthez crachant sur l’arbitre.)

Mercredi 1er mars 2006. Continuant d’exploiter le filon providentiel des caricatures danoises, Charlie Hebdo publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (sur la prolifération actuelle du mot « ensemble » et sa signification, lire l’analyse d’Eric Hazan dans LQR, La propagande du quotidien, qui vient de paraître chez Raisons d’agir), signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (auteure de best-sellers sur la menace islamique et membre de la rédaction de Charlie Hebdo), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et… Bernard-Henri Lévy. « L’Aimé Jacquet de la pensée » a droit, comme les autres signataires, à sa notice biographique (moins longue que celle de Caroline Fourest, quand même, hein ! Faut pas déconner !), qui commence ainsi : « Philosophe français, né en Algérie, engagé contre tous les “ismes” du XXe siècle (fascisme, antisémitisme, totalitarisme et terrorisme). » Ce coup des « ismes », le journal nous le refait dans son « manifeste » foireux, qui semble avoir été torché en cinq minutes sur un coin de table en mettant bout à bout tous les mots creux et pompeux dont se gargarisent en boucle, sur les ondes et dans la presse, les « perroquets du pouvoir » : « Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme. »

Il faut le savoir : contredire Philippe Val est aussi grave qu’envoyer un résistant en camp de concentration

Il en manque pas mal, des « ismes », dans cette liste : colonialisme, impérialisme, racisme, libéralisme… Autant de notions qui, à une époque, avaient pourtant droit de cité dans les colonnes de Charlie. Balayer d’un revers de main, ou ne même pas voir, depuis son pavillon cossu de la banlieue parisienne, les conditions de vie et les spoliations subies par les perdants du nouvel ordre mondial ; s’incommoder de ce que les opprimés, décidément, aient une manière tout à fait malséante d’exprimer leur désespoir, et ne plus s’incommoder QUE de cela ; inverser les causes et les conséquences de leur radicalisation (il n’y a pas d’attentats en Israël parce qu’il y a une occupation, mais il y a une occupation parce qu’il y a des attentats), et, au passage, accorder sa bénédiction à la persistance de toutes les injustices qui empoisonnent le monde ; parer l’Occident de toutes les vertus et l’absoudre de tous ses torts ou ses crimes : non, il fut un temps où on n’aurait jamais trouvé dans ce journal une pensée aussi odieuse.

Mais c’était à une époque où Charlie vivait et prospérait en marge du microcosme médiatique, qu’il ne fréquentait pas, et qu’il narguait de sa liberté de ton et de ses finances florissantes – quand il ne lui adressait pas de splendides bras d’honneur. L’équipe, dans sa grande majorité, se satisfaisait parfaitement de cette situation…. Mais pas Philippe Val, à qui la reconnaissance du méprisable ramassis de gauchistes que constituait à ses yeux le lectorat du journal suffisait de moins en moins – avant de finir par carrément l’insupporter. Son besoin de voir sa notoriété se traduire en surface médiatique devait le pousser d’abord à nouer un partenariat avecLibération, en convenant d’un échange d’encarts publicitaires entre les deux journaux. Pour justifier la chose aux yeux d’un lectorat très hostile à la publicité, il se livra à des contorsions rhétoriques dont la mauvaise foi fut impitoyablement disséquée par Arno sur Uzine (« Charlie se fait cobrander », 10 janvier 2001).

Philippe Val, qui, par un hasard facétieux, venait justement d’être connecté à Internet, tomba sur l’article, et piqua une crise de rage dont ses collaborateurs se souviennent encore. Le mercredi suivant (17 janvier 2001), les lecteurs de Charlie purent découvrir un édito incendiaire intitulé : « Internet, la Kommandantur libérale », qui fut suivi d’un autre, tout aussi virulent, quinze jours plus tard. On y lisait notamment que, si Internet avait existé en 1942, « les résistants auraient tous été exterminés en six mois, et on pourrait multiplier par trois les victimes des camps de concentration et d’extermination ». Il faut le savoir : contredire Philippe Val est aussi grave qu’envoyer un résistant en camp de concentration. Bien sûr, le « Kim Il-Sung de la rue de Turbigo », comme le surnomme aimablement PLPL, ne faisait nulle part mention de l’article d’Arno (il expliquait avoir choisi de traiter ce sujet cette semaine-là parce qu’on lui demandait souvent pourquoi Charlie n’avait pas de site !), et ne précisait pas que la seule forme de négationnisme à laquelle il avait été personnellement confronté dans ce repaire de nazis virtuel ne remettait en cause que son propre génie.

Flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin

S’étant peu à peu aliéné son lectorat d’origine, et ayant vu ses ventes baisser dangereusement, Charlie Hebdo en est désormais réduit, pour exister, à multiplier les coups de pub aussi lucratifs qu’insignifiants et à développer le « cobranding » tous azimuts. Après d’innombrables tentatives infructueuses pour créer un « buzz » médiatique autour du journal, comme en témoignaient semaine après semaine les titres d’un sensationnalisme maladroit étalés dans l’encart publicitaire de Libération, avec les caricatures danoises, enfin ! ça a pris. Le créneau ultra-vendeur de l’islamophobie, sur lequel surfe déjà sans vergogne l’écrasante majorité des médias, permet de copiner avec les puissants et de flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin : bref, c’est idéal. Sauf que, en s’y précipitant comme sur une aubaine, le journal achève sa lente dérive vers un marécage idéologique dont la fétidité chatouille de plus en plus les narines.

Dans son éditorial de ce fameux numéro publiant les caricatures danoises, Philippe Val écrit doctement que « le racisme s’exprime quand on rejette sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres » (ce qui lui permet de conclure que « quand un dessinateur danois caricature Mahomet et que dans tout le Moyen-Orient, la chasse aux Danois est ouverte, on se retrouve face à un phénomène raciste comparable aux pogroms et aux ratonnades »). Or, « rejeter sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres », c’est exactement ce que fait le dessin danois représentant Mahomet avec un turban en forme de bombe. Par une amère ironie du sort, Charlie Hebdo, ancien journal du combat antiraciste, a donc érigé en symbole de la liberté d’expression une caricature raciste. Dans le Monde diplomatique de ce mois, Alain Gresh cite le journaliste Martin Burcharth : « Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ». Et c’est dans ce journal-là queCharlie Hebdo vient de publier la version anglaise de son « manifeste » !

Mais peu importe, car le créneau islamophobe a un autre avantage, qui, dans le cas de nos amis, s’avère particulièrement précieux : il est tellement en phase avec la bien-pensance majoritaire qu’il permet de raconter plein de conneries, ou de recourir au terrorisme intellectuel le plus éhonté, sans jamais être discrédité ou sérieusement contesté. S’il en allait autrement, Val pourrait-il affirmer par exemple à la télévision que, si on fait l’amalgame entre islam et terrorisme, c’est de la faute des terroristes islamistes – un peu comme si on rendait responsables du vieux cliché sur les juifs et l’argent, non pas les antisémites, mais les juifs riches ?! Ou pourrait-il se féliciter, dans son édito, de ce que le dessin avec le turban en forme de bombe ne soit « pas très bon », car cela permet « d’exclure du débat sa valeur esthétique pour le recentrer sur la question de la liberté d’expression » – un sophisme qui, comme toutes ces pirouettes dont il est coutumier et dont il semble retirer une fierté sans bornes, est remarquablement débile ?

Sur ce dernier point, d’ailleurs, Caroline Fourest donne une version un peu différente de celle de son patron. Dans la page de publicité gratuite offerte par Libération (9 février 2006) à ce numéro spécial de Charlie, elle commentait : « On ne s’est pas lâché cette semaine. Le dessin qui nous a fait le plus rire n’est pas passé. C’était trop facile, gratuit et sans message derrière. » Parce que, derrière le turban en forme de bombe, il y a un « message » ? Tiens donc ! Et lequel ? (Au passage, cet article deLibération était cosigné par Renaud Dély, qui est, ou en tout cas a été, chroniqueur politique à Charlie Hebdo sous un pseudonyme : le cobranding, ça marche !) Il semblerait qu’on rie beaucoup aux dépens des Arabes – pardon, des « intégristes » – à Charlie Hebdo en ce moment. Ça ne date d’ailleurs pas d’hier : il y a quelques années, quand Nagui était arrivé sur Canal Plus pour présenter Nulle part ailleurs, Cabu l’avait caricaturé en Une de Charlie Hebdo en chameau des publicités Camel. Canal Plus avait alors fait livrer par coursier à la rédaction un montage dans lequel, au-dessus de ce dessin, le titre « Charlie Hebdo » avait été remplacé par « National Hebdo ».

« Esprit des Lumières » ou bombe éclairante ?

Le plus comique, c’est peut-être les tentatives désespérées de l’équipe pour nous faire croire que, malgré tout, elle reste de gauche. Dans son dernier opus, La tentation obscurantiste, consacré à l’épuration de la gauche telle qu’elle la rêve (168 pages avec que des listes de noms, un livre garanti sans l’ombre du début d’une idée dedans !), Caroline Fourest se désole parce que, dans un article, j’ai osé douter de sa légitimité à prétendre incarner la « vraie » gauche (par opposition à celle qui refuse de partager ses fantasmes d’invasion islamique). Outre le fait que la pensée qu’on a décrite plus haut, et que propage désormais Charlie, est une pensée d’acquiescement passionné à l’ordre du monde, ce qui n’est pas très « de gauche », nos vaillants éradicateurs devraient examiner d’un peu plus près le pedigree de leurs nouveaux amis. Caroline Fourest et Fiammetta Venner – elle aussi « journaliste » à Charlie - sont adulées parle Point et l’Express (lequel publie lui aussi le « manifeste »), deux titres, comme chacun sait, furieusement progressistes. Elles sont copines avec Ayaan Hirsi Ali, députée néerlandaises, amie de Théo Van Gogh intronisée en politique par le très libéral Frits Bolkestein, qui « fut le premier [aux Pays-Bas] à déclarer incompatibles, au début des années 1990, les valeurs des immigrés musulmans et celles de son pays » (lire l’article d’Alain Gresh, « Bernard Lewis et le gène de l’islam ») ; Ayaan Hirsi Ali a elle aussi signé le « manifeste ». Fiammetta Venner ne voit aucun problème à donner une interview à un site répondant au doux nom de « Primo-Europe », créé par des « citoyens qui considèrent que l’information sur le Moyen Orient est, en Europe en général et en France en particulier, diffusée en fonction de préjugés manichéens où le commentaire l’emporte sur le fait », et sur lequel elle figure aux côtés d’un Alexandre Del Valle, par exemple.

Mieux : comme l’a relevé PLPL, Venner et Fourest écrivent désormais aussi dans le Wall Street Journal, « organe de Bush, des néoconservateurs américains, de la droite religieuse et de Wall Street » ; elles s’y alarment de l’« incapacité des immigrants arabes à s’intégrer » et de la « menace pour les démocraties occidentales » de les voir rejoindre des « cellules terroristes islamistes » (Fourest, Wall Street Journal, 2 février 2005). La tribune dont sont extraites ces lignes s’intitule « War on Eurabia », « Eurabia » étant l’un des termes de prédilection d’Oriana Fallaci (dont le livre avait d’ailleurs été encensé dans les colonnes de Charlie par Robert Misrahi).

Quant à Philippe Val, la même page de PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : « Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (…) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. » Commentaire perfide du mensuel : « Il y a dix ans, Philippe n’avait qu’une idée : interdire le Front national, dont Mégret était alors le numéro 2. Désormais, Val inspire certains des chefs du MNR. »

Enfin, cette semaine, dans Libération (2 mars 2006), Daniel Leconte vient d’offrir à ses amis une tribune d’une page intitulée « Merci Charlie Hebdo ! ». Le présentateur-producteur d’Arte (lire « Quand Arte dérape »,le Courrier, 10 mai 2004) y rend hommage à ses confrères qui ont « refusé de céder à la peur », et se répand au passage en lamentations sur l’injustice dont la France a fait preuve à l’égard des Etats-Unis après le 11-Septembre, et sur les errements dont elle s’est rendue coupable lors de la guerre d’Irak, en les isolant devant le Conseil de sécurité de l’ONU et en « laissant entendre que, de victime, ils étaient devenus les fauteurs de troubles ». On se demande effectivement où on a bien pu aller chercher une idée pareille. Il conclut en réclamant sans rire le prix Albert-Londres pour Charlie Hebdo, estimant que le journal a défendu un « esprit des Lumières » qu’il confond visiblement avec la lueur des bombes éclairantes de l’armée américaine. Cadeau un brin empoisonné que cette tribune. On commence par prétendre ne faire que critiquer la religion musulmane, opium de ces pouilleux d’Arabes, en se prévalant de son passé de bouffeurs de curés, et on finit intronisé journal néoconservateur par des faucons à oreillette ! Mince, alors ! Quelque chose a dû merder en chemin, mais quoi ? Les voies de l’anticléricalisme sont parfois impénétrables.

Va-t-en guerre des civilisations

Leconte se félicite de ce que Charlie ait témoigné de ce que « la France n’est pas seulement cet assemblage de volontés molles ». Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement : « Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. » La volonté agressive d’en découdre, de « ne pas se dégonfler », suinte de partout dans cette affaire. Val affirme que ne pas publier les dessins serait aller à « Munich » – comme le faisait déjà Alain Finkielkraut, dont il partage la paranoïa identitaire, lors des premières affaires de voile à l’école. On n’est pas dans la défense des grands principes, mais dans cette logique d’escalade haineuse et guerrière, « œil pour œil dent pour dent », qui constitue le préalable indispensable de tous les passages à l’acte, et les légitime par avance. Tout le monde, d’ailleurs, fait spontanément le rapprochement entre les dessins danois et certains feuilletons antisémites diffusés par des chaînes arabes, admettant ainsi implicitement qu’ils sont de même nature. Le journal allemand Die Welt a par exemple publié les caricatures en les assortissant de ce commentaire : « Nous attacherions plus d’importance aux critiques musulmanes si elles n’étaient pas aussi hypocrites. Les imams n’ont rien dit quand la télévision syrienne, à une heure de grande écoute, a présenté des rabbins comme étant des cannibales buveurs de sang. »

Une telle attitude dénote en tout cas une mentalité à des années-lumière de la sagesse philosophique dont voudrait par ailleurs se parer le Bourgeois gentilhomme du marigot médiatique parisien. Répéter toutes les deux phrases, d’un air sinistre et pénétré, le mot magique de « démocratie », suffit peut-être à Philippe Val pour se faire adouber par ses compères éditorialistes, mais, pour prétendre au statut de penseur, il faudrait peut-être commencer par envisager le monde d’une manière un peu moins…caricaturale. En témoigne le tableau grotesque qu’il nous brosse du Danemark, merveilleuse démocratie peuplée de grands blonds aux yeux bleus qui achètent un tas de livres, ont une super protection sociale et ont refusé de livrer leurs ressortissants juifs aux nazis, tandis que le monde musulman se réduirait à un grouillement de masses incultes et fanatiques qui n’ont même pas la carte Vitale. Peu importe si par ailleurs la presse regorge d’articles sur la prospérité du racisme et l’actuelle montée de l’extrême droite au Danemark (bah, si on a sauvé des juifs pendant la guerre, on a bien le droit de ratonner un peu et de profaner quelques tombes musulmanes soixante ans plus tard, tout ça n’est pas bien méchant !). Et si on nous rappelle ici et là que le Danemark est un pays où l’Eglise n’est pas séparée de l’Etat : « Il existe une religion d’Etat, le protestantisme luthérien, les prêtres sont des fonctionnaires, les cours de christianisme sont obligatoires à l’école, etc. » (Alain Gresh dans le Diplode ce mois.)

Mais notre va-t-en guerre des civilisations ne s’encombre pas de tels détails. Lors de l’éclatement de la seconde Intifada, déjà, il avait décrété que Charlie devait défendre la politique israélienne, parce qu’Israël était une démocratie et parce que tous les philosophes importants de l’Histoire étaient juifs, alors que quand même, tous ces pays arabes grouillant de dictateurs (moue dégoûtée et geste de répulsion), c’était très loin de nous, tandis que son équipe effarée – il faut dire que sa composition était alors assez différente – tentait d’évaluer en un rapide calcul le nombre d’erreurs grossières, de raccourcis vertigineux et de simplifications imbéciles qu’il était ainsi capable d’opérer dans la même phrase. Pour ma part, abasourdie de devoir en arriver là, je m’étais évertuée à le persuader qu’il existait aussi des « lettrés » dans le monde arabe ; je m’étais heurtée à un mur de scepticisme réprobateur. Prôner la supériorité de sa propre civilisation, et faire preuve, par là même, d’une vulgarité et d’une inculture assez peu dignes de l’image qu’on veut en donner : c’est le paradoxe qu’on avait déjà relevé chez Oriana Fallaci, qui écrivait dans La rage et l’orgueil : « Derrière notre civilisation il y a Homère, il y a Socrate, il y a Platon, il y a Aristote, il y a Phidias. (…) Alors que derrière l’autre culture, la culture des barbus avec la tunique et le turban, qu’est-ce qu’on trouve ?… » Eh bien, je ne sais pas, moi… Ça, par exemple…?

Comme on le disait à l’époque, en voilà, un argument hautement « civilisé » : « Dans ma culture il y a plein de génies alors que chez toi il n’y a que des idiots, nana-nè-reu ! » Les civilisations n’ont rien à s’envier les unes aux autres, ni du point de vue des connaissances, ni de celui des valeurs. « Tenter de vendre les droits de l’homme comme une contribution de l’Occident au reste du monde, écrivait le prix Nobel d’économie Amartya Sen, n’est pas seulement historiquement superficiel et culturellement chauvin, c’est également contre-productif. Cela produit une aliénation artificielle, qui n’est pas justifiée et n’incite pas à une meilleure compréhension entre les uns et les autres. Les idées fondamentales qui sous-tendent les droits de l’homme sont apparues sous une forme ou une autre dans différentes cultures. Elles constituent des matériaux solides et positifs pour étayer l’histoire et la tradition de toute grande civilisation. » Non seulement le discours des Val et des Fallaci témoigne d’une méconnaissance crasse des autres cultures, mais il néglige aussi le fait que, comme n’a eu de cesse de le rappeler un Edward Saïd, aucune civilisation n’a connu un développement étanche, et toutes se sont constituées par des apports mutuels incessants, rendant absolument vain ce genre de concours aux points.

Défendre la démocratie, ne serait-ce pas plutôt refuser la logique du bouc émissaire, si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ?

Par les temps qui courent, raisonner à partir de telles approximations, en se contentant de manier des clichés sans jamais interroger leur adéquation au réel, peut s’avérer rien moins que meurtrier. Il est stupéfiant que, dans un « débat » comme celui suscité par les caricatures danoises, tout le monde pérore en faisant complètement abstraction du contexte dans lequel il se déroule : un contexte dans lequel un certain nombre d’instances de par le monde tentent de dresser les populations les unes contre les autres en les persuadant que « ceux d’en face » veulent les anéantir. En Occident, ces instances sont celles qui tentent de faire du musulman le bouc émissaire de tous les maux de la société, la nouvelle menace permettant d’opérer une utile diversion. Dès lors, de deux choses l’une : soit on adhère à cette vision, et alors on assume sa participation active à cette construction, avec les responsabilités que cela implique ; soit on la récuse, et on estime que la nécessité de l’enrayer – ou d’essayer de l’enrayer – commande d’observer la plus grande prudence. Laquelle prudence ne signifie pas qu’on est « mou de la bite », mais plutôt qu’on a peu de goût pour les stigmatisations déshumanisantes, sachant à quoi elles peuvent mener. Le courage ne commanderait-il pas plutôt de résister aux préjugés majoritaires, et la véritable défense de la démocratie, de refuser cette logique du bouc émissaire si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ? Ce qui est sûr, c’est qu’en aucun cas on ne peut se dédouaner en écrivant, comme le fait Philippe Val, que « si la Troisième Guerre mondiale devait éclater, elle éclaterait de toute façon », et que « l’amalgame entre racisme et critique de la religion est à peu près aussi cohérent que l’était, à l’époque de Franco, l’amalgame entre critique du fascisme et racisme anti-ibérique » : voilà vraiment ce qui s’appelle jouer au con.

En décembre dernier, toujours pour essayer de faire parler du journal, les caricaturistes de Charlie Hebdo avaient postulé par dérision à la succession de Jacques Faizant. Qu’ils se rassurent, ils ont toutes leurs chances : en matière d’ethnocentrisme rance, ils n’ont déjà plus rien à envier au défunt dessinateur du Figaro.

Source : Mona Chollet pour Périphéries


L’opinion du patron, la liberté d’expression selon Charlie Hebdo [04/03/2006]

Pour un coup de pub, c’est un coup de maître : en consacrant un numéro « spécial liberté d’expression » à l’affaire des crobards danois, Charlie Hebdo a battu tous ses records de vente. Quatre cent mille exemplaires se seraient arrachés durant la seule journée du 8 février, mieux que pour les attentats du 11 septembre ou la mort du pape. Une semaine plus tôt, le moribond France-Soir s’était déjà refait une santé en balançant les fameux dessins sous gros titre à la Une, façon « J’accuse ». Du jour au lendemain, une poignée de vignettes assimilant les musulmans à des terroristes devenaient l’étendard des plus hautes vertus démocratiques…

Tu en as dans le froc, question amour de la liberté d’expression ? Prouve-le si t’es un homme, et reproduis-les illico, sinon t’es une mauviette. Quand Charlie s’y est mis à son tour, tout le monde les avait déjà vu dix fois, ces foutus dessins. Pas grave, on en presserait le jus jusqu’à la dernière goutte. Ça ne coûtait rien : leurs auteurs, roulés en boule quelque part au Danemark, ne penseraient certainement pas à réclamer leur copyright.

Le droit à la caricature est une liberté fondamentale et Charlie a bien raison de la défendre bec et ongles. Plus discutable est la posture qui consiste à se faire mousser en rempart contre le péril sarrasin. Depuis le 11 Septembre, l’hebdomadaire ne cesse de rhabiller le vieux tropisme anti-arabe aux couleurs plus tendance de l’islamophobie. Ses deux spécialistes en capillo-détection, Fiammetta Vener et Caroline Fourest, martèlent semaine après semaine que les barbus sont partout, chez les banlieusards, les altermondialistes, les pacifistes… Un jour, elles ont même cru dénicher un poil à barbe islamique dans la tonsure de la Ligue des droits de l’Homme.

Mais le plus prompt à se poser en héros de la résistance anti-terroriste, c’est le patron, Philippe Val. Ses fulminations incessantes contre quiconque s’écarte de l’axe du bien ont découragé jusqu’à ses lecteurs les plus fidèles. Même Pascal Boniface, directeur du très « expert » Institut de relations internationales et stratégiques, et à ce titre peu suspect de ben-ladisme, en est tombé de sa chaise. Philippe Val est un « vendeur de l’idéologie néo-conservatrice américaine », constate-t-il :

« Sharon et Bush sont ses héros positifs, ceux qui osent les critiquer sont selon lui complaisants avec les terroristes. Dans la grande bataille des idées à laquelle nous assistons, Val constitue un élément important. La tonalité ironique du journal, les dessins humoristiques lui permettent de vendre l’idéologie néo-conservatrice contenue dans ses éditoriaux à un électorat qui n’aurait pas naturellement penché de ce côté. » [1]

Il est vrai qu’on ne saurait faire grief à « l’ami Val », comme l’appelle Serge July [2], de bomber le torse contre les forces du mal. La liberté d’expression réside précisément dans le droit reconnu à chacun de l’accommoder à sa propre sauce, fût-elle pleine de grumeaux. L’ennui, c’est que ce droit si abondamment étalé par le directeur de Charlie Hebdo ne vaut que pour lui-même et ceux qui pensent comme lui. Ses ex-collaborateurs à Charlie en savent quelque chose : en cas de divergence, l’esprit des Lumières vire subitement au despotisme pas du tout éclairé.

Exemple : le chroniqueur Philippe Corcuff, « poussé vers la porte de sortie » après trois ans de loyaux services. Bien que partageant l’essentiel des lubies valiennes, et en dépit d’une élasticité idéologique qui lui permet d’aller de Bayrou à Krivine sans se déchirer un tendon, Corcuff a en effet fini – un comble ! – par passer pour extrémiste aux yeux de son employeur. Dans un communiqué publié le 3 décembre 2004, le sociologue revient sur l’un des désaccords qui ont motivé son départ :

« Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo – hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication – s’est inscrit dans une croisade de la Civilisation (“européenne”) contre la Barbarie (“musulmane”). Dans cette perspective, on a été jusqu’à publiciser une fausse rumeur à propos du Forum Social Européen de Londres, où on a fait de ceux qui ne participaient pas à la nouvelle croisade (comme la LDH) des “alliés objectifs” des intégristes islamistes, en remettant ainsi à l’honneur une formule d’origine stalinienne. »

Pas d’accord ? Dehors !

Un an plus tôt, c’était le critique ciné Michel Boujut qui mangeait le bouillon pour cause d’hérésie. Dans un texte diffusé en mars 2003, il s’interroge :

« Opération épuration. Pfuitt… à la trappe ! [...] Je me pose une seule question, naïve comme toutes les vraies questions : peut-on être à la fois homme de morale (exigeante) dans ses éditos et homme de pouvoir (discrétionnaire) dans son “traitement des ressources humaines” ? Faire la leçon aux autres et se comporter comme ceux à qui on fait la leçon à longueur de colonnes ? Toujours cette foutue histoire de la paille et de la poutre. »

Fin 2000, Mona Chollet avait été virée elle aussi pour délit d’opinion : lors d’une réunion interne, elle avait osé contester un édito de Val qui qualifiait les Palestiniens de « non-civilisés ». « Il est tellement ignorant des autres cultures qu’il n’imagine pas qu’on puisse être “civilisé” autrement qu’en lisant Spinoza avec ses chats sur les genoux », dit-elle :

« Quelques jours après, il m’a convoquée, et il m’a annoncé qu’il arrêtait mon CDI après le mois d’essai, alors que j’étais pigiste depuis un an. Ça m’a sidérée. Il ne m’a pas dit pourquoi, mais ça crevait les yeux. Finalement il m’a dit : “je ne suis pas sûr que tu sois en accord avec la ligne que je veux donner au journal”. Je suis encore restée à Charlie quelque temps, mais en tant que pigiste, c’est-à-dire moins en position d’ouvrir ma gueule. »

Dans la ligne, le maquettiste Pierre-Yves Marteau-Saladin l’était lors de son embauche à Charlie. Croyant détecter en lui un serviteur de confiance, Val lui confie la mission secrète de moucharder les salariés suspects de dissidence et de lui rapporter leurs propos. C’est du moins ce que racontera le maquettiste une fois viré, écœuré par « l’état d’autocratie que Val a instauré ». Apparemment, l’indic n’a pas donné satisfaction.

« La liberté d’expression n’est pas négociable », bonimente Val à la télé. C’est vrai, à quoi bon négocier avec ses contradicteurs quand il suffit de s’en débarrasser ?

Source : Olivier Cyran (ancien de Charlie Hebdo) pour LMSI (Les Mots Sont Importants)

 

Charlie Hebdo et le spectre de l’islamisation [04/11/2011]

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-lopinion-du-patron-la-liberte-dexpression-selon-charlie-hebdo-2006-2011/


[Reprise] Polémique Charlie Hebdo / Le Grand Soir [2012]

Tuesday 27 January 2015 at 00:59

Réflexions sur les limites de la liberté d’expression sur Internet

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme – ou de Charlie Hebdo, ça dépend, par Viktor DEDAJ

Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi tranquillement proférée.

Cet article est erroné sur le fond (on s’en doute) et dans plusieurs détails.

Depuis, par le truchement d’amis communs et via des contacts directs (mails, coups de téléphone) avec le directeur de publication de Charlie Hebdo (Charb) et l’auteur de l’article (Eric Simon), nous avons tenté d’obtenir, non pas un « droit de réponse », mais un simple correctif, afin qu’une meute sans morale qui s’acharne sur LGS depuis le mois de mars 2011 ne puisse se prévaloir de Charlie Hebdo pour poursuivre sa cabale diffamatoire accompagnée d’actions pour nous empêcher de participer à des salons du livre ou de donner des conférences, sous peine de « coups de manche de pioche ».

Après 15 jours de réflexion, un discret entrefilet (22 août, p. 3) de Charlie Hebdo qualifie l’accusation infamante de simple mise « en cause » qui « n’était pas une attaque » contre les deux administrateurs du GS, mais une simple « mise en garde contre la porosité qui existe trop souvent entre les sites fachos et les sites de gauche ».

Bref, l’accusation de rouge-brunisme n’est pas retirée, les informations erronées de l’article d’Eric Simon sont validées et l’adjudant auto-chargé de la revue de détail invite LGS à faire « le ménage ».Cette corvée étant « parfois difficile » nous bénéficierons du renfort (non sollicité) d’une escouade. En effet, nous avons appris par ailleurs que M. Propre (Eric Simon) a monté à Charlie Hebdo une équipe (diplômée es-plumeaux et balayettes) renforcée d’éléments extérieurs « en France et à l’étranger » (sic) pour continuer à débusquer la poussière sous les tapis du GS.

C’est d’autant plus inutile que, dans un mail à un des administrateurs diffamés, Eric Simon ne voit plus en LGS un site rouge-brun : « Pour le moment, j’en reste au confusionnisme. », dit-il, contredisant (en privé) ses écrits ( publics).

Dans ce contexte de « confusionnisme » avéré de Charlie Hebdo, il nous est malheureusement impossible de différer plus longtemps notre propre mise au point.

L’article que vous allez lire est le premier d’une série qui vise, non pas à entretenir une querelle de cour de récréation, mais (au-delà même de Charlie Hebdo) :

- à poser des questions de fond, relatives au droit à publier sur Internet des analyses sur l’impérialisme,

- à défendre notre liberté d’expression qui ne peut, n’en déplaise aux modernes Torquemada, être plus limitée pour nous que pour l’ensemble des autres médias et en premier lieu que celle des incultes politiques qui nous dénigrent.

Au passage, nos assaillants apprendront que nous ne comptons pas nous cantonner dans une posture de défense, mais que nous sommes fondés à jeter un oeil dans leurs poubelles.

LGS


Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme – ou de Charlie Hebdo, ça dépend.

Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe.

Rappel historique

Mais je me souviens qu’en juin 2002, le rédacteur en chef du journal satirique français Charlie Hebdo nous expliquait comment la gauche pouvait s’en sortir. Dans un article fleuve publié en plusieurs parties et intitulé « Pour aller à gauche, c’est par où ? », Philippe Val avait décidé dans la deuxième partie de s’en prendre à Noam Chomsky. Ici, les contre-vérités se sont enchainées au rythme d’un scandale boursier à New York. Chomsky y fut qualifié « d’amoureux des sectes », «  il est gaga, (…) il empoisonne la réflexion de gauche en nourrissant une théorie du complot ne flattant que les instincts fascistes et visant à faire porter à un ’Autre’ les responsabilités des malheurs du monde ». Ou encore «  il est évident que jamais, contrairement à ce que pense Chomsky, les citoyens n’ont disposé d’autant d’informations ». Pas mal. Sauf que Chomsky est, et dit, à peu près tout le contraire. Sans oublier ce bijou : « le style (de Chomsky) est à l’usage des enfants du CM2 ». Pas mal pour le rédacteur en chef d’un journal qui fait dans le pipi-caca-prout.

En septembre 2007, dans sa chronique radiophonique sur France-Inter, Philippe Val – sous l’emprise de la jalousie ? – revient encore à l’attaque et lance « Chomsky-Ben Laden, même combat ! ». Non, ce n’était pas de l’humour.

Participant à un colloque du patronat en 2007, il se défendra en proférant ce Voltairisme à l’usage des enfants de CM2 : « dialoguer ou débattre, ce n’est en aucun cas être complice », et que l’essence même du dialogue était de réunir deux interlocuteurs de points de vue différents. (cf Wikipedia). On en pleurerait, tellement c’est beau.

Voilà tout le style de Philippe Val : pondre des articles supposés étaler une connaissance encyclopédique mais qui ne font en réalité que clapoter dans un jacuzzi.

Défenseur ardent de toutes les guerres de l’OTAN, toutes, il a quand même fini par être récompensé pour sa fidélité légendaire. Et c’est ainsi qu’il fut promu en mai 2009 (« bombardé » aurais-je envie de dire…) à la direction de France-Inter. Car ce n’est pas le tout que d’être un vendu, encore faut-il savoir se vendre.

Deux heures après sa nomination à France Inter, il renvoyait Frédéric Pommier qui faisait la revue de presse. En juin 2010, les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte sont licenciés de France Inter. Quatre mois plus tard, l’humoriste Gérald Dahan est licencié à son tour, au lendemain d’une chronique critique envers Michèle Alliot-Marie.

France-Inter est donc actuellement dirigée par un type capable de balancer à la fois « Chomsky-Ben Laden, même combat » et les derniers intervenants qui présentaient un quelconque intérêt sur cette radio (à l’exception de l’émission Là -bas si j’y suis, évidemment). Comment la situation pourraient-elle être pire que ça ?

Philippe Val a dirigé Charlie Hebdo de 1992 à 2009, soit 17 ans. 17 ans de propagande gaucho-impérialiste. 17 ans de complicités avec toutes les opérations d’assassinat à ciel ouvert de l’OTAN. 17 ans qui n’ont apparemment pas gêné plus que ça le reste de cette joyeuse équipe de soudards (à quelques rares exceptions près).

Mais Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe. Puis un jour on grandit et on est plutôt content de s’en passer.

Retour au présent

Pourquoi parler de Charlie Hebdo ? Dans le numéro daté du 8 août 2012, un article intitulé « Les soutiens bruns de Damas », annoncé en couverture («  Syrie. Cette extrême droite qui soutient Damas ») et signé Eric Simon, nous refait le coup de désigner Le Grand Soir, et nommément ses deux administrateurs, comme des relais de l’extrême-droite.

Sont également citées « des personnalités » telles que Michel Collon (salut Michel, ça va ? Qu’est qu’on rigole, non ?) qui, « avec l’intellectuel Jean Bricmont se sont fourvoyées à tel point que la CGT les a interdit de conférence à Paris en novembre 2011. »

Voilà une technique que l’on reconnaît immédiatement : le “petit” mensonge qui vient se glisser, ni vu ni connu. Bricmont n’a jamais été “interdit”, et Michel Collon, qui devait donner une conférence à la Bourse de Travail de Paris, en fut empêché suite à une campagne d’affiches émanant de milieux “anarchistes”. On commence déjà à deviner les sources d’inspiration de Charlie Hebdo. Avec Ornella Guyet, les anticonspis-truc et Rudy Machin-chose, et maintenant Charlie Hebdo, ce n’est même plus une technique, c’est devenu un style.

« Si l’analyse anti-impérialiste permet de débusquer les raisons cachées des guerres « justes » ou « humanitaires » du camp occidental, elle peut facilement dérailler si elle défend l’innommable commis par le camp d’en face. Si, en outre, elle laisse reprendre ses thèses par les sites d’extrême-droite, jusqu’à finir par s’inviter les uns chez les autres, la messe est dite. C’est ce qui est arrivé à des sites comme legrandsoir.info de Maxime Vivas et Victor (sic) Dedaj, qui publient aussi bien des articles d’Infosyrie que des (sic) contributions de Ginette Skandrani (…) voire des discours de Kadhafi ou Bachar el-Assad… »

Le journaliste de Charlie Hebdo n’a même pas su orthographier correctement mon prénom, c’est vous dire si son enquête fut méticuleuse. Même pour calomnier ? Surtout pour calomnier, tu rigoles ou quoi ? Mais faire du copier/coller, Eric, c’est pas bien, même pour un journaliste de Charlie Hebdo. Si vous pouviez faire corriger la coquille à ceux (et celle) qui vous ont inspiré, merci d’avance.

Figure imposée : la vérité, rien que la vérité.

LGS n’a jamais défendu «  l’innommable commis par le camp d’en face ». A l’heure où le camp occidental n’avait pas sifflé le signal de l’hallali, à l’heure où Bashir Al Assad jouissait de la considération de notre gouvernement (et donc de notre presse), LGS dénonçait un deal «  innommable » passé entre les USA et les tortionnaires au pouvoir en Syrie.

Par ailleurs, LGS «  laisse reprendre ses thèses par les sites d’extrême-droite » ? Oui, et par des sites inconnus de divers pays et par pas mal de sites de la vraie gauche. Charlie Hebdo sait comment interdire la reproduction d’articles en copyleft ? Est-ce qu’Eric Simon ne serait pas en train de nous dire : «  Taisez-vous et faites taire » ?

Alors voyons-voir : le nombre phénoménal d’articles d’Infosyrie repris par le Grand Soir s’élève à 2 (si j’ai bien compté) et dont le contenu est irréprochable – à mes yeux. Les (ah, un pluriel ?) contributions de Mme Skandrani s’élèvent à … 1 (au contenu irréprochable – oui, oui, nous sommes au courant maintenant, merci). Quant aux « discours de Kadhafi ou Bachar el-Assad », réunis il doit y en avoir 3 ou 4 (en comptant les interviews). Ces « discours » n’ont pas été publiés « comme ça », pour le fun, mais en pleine période d’agression militaire ouverte contre la Libye et la Syrie. Charlie Hebdo voudrait que l’on s’abstienne de donner la parole aux dirigeants en exercice de pays en proie à une agression militaire, ou de reprendre des informations qui contre-balanceraient un tant soit peu le rouleau-compresseur médiatique. Où est la surprise pour un hebdomadaire qui a soutenu toutes les guerres de l’OTAN ?

Charlie Hebdo ne dit rien sur les articles repris par Le Grand Soir (et qui se sont révélés plus exacts que pas, soit-dit en passant), mais nous sert un laïus sur l’administrateur du site Infosyrie. Ancien du GUD («  ancien », c’est bien, non ?) et autres affirmations qui demanderaient toutes à être vérifiées, vu la qualité et la précision habituelle de ce genre d’article. Mais tout ça au final pour dire quoi ? Rien. Aucun commentaire sur le contenu, sinon que le patron, ben il est pas de «  notre bord » (en ce qui concerne l’anti-impérialisme, il me semble que Charlie Hebdo non plus n’est pas de «  notre bord », en tous cas pas du mien). Mais Charlie annonce quand même une bonne nouvelle : Le Grand Soir et l’extrême-droite «  s’invitent les uns chez les autres ». C’est une bonne nouvelle parce que ça voudrait dire que l’ «  extrême-droite » se gauchise au contact du Grand Soir. Sacré service que nous rendons à l’humanité, qui en sera certainement reconnaissante, et Charlie avec sans doute.

Pardon, on me souffle dans l’oreillette que c’est forcément le contraire. Mince, la contagion à sens unique (je parle évidemment d’une poignée d’articles sur une dizaine de milliers, mais quitte à jouer à ce petit jeu, jouons le jusqu’au bout…).

Et par la grâce de ces mêmes lois mystérieuses, Charlie Hebdo, soutien indéfectible à toutes les guerres impérialistes et violations du droit international, ne saurait être, et en aucun cas, taxé de passerelle avec les fascistes néoconservateurs américains, parce que là, ça ferait «  confusionniste ».

Si tu cherches de l’eau dans un désert, il te faut marcher jusqu’au puits (dicton arabe, mais pas vraiment parce que je viens de l’inventer)

Les lecteurs (vous comme moi) n’auraient donc pas le droit de savoir ce que pourraient bien avoir à répondre les dirigeants des pays bombardés par nos forces militaires « humanitaires ». Donner à lire une intervention d’un responsable syrien ou libyen est «  rouge-brun ». Pour ne pas être rouge-brun, il faut donc s’abstenir de donner à lire. Et pour celui qui «  oserait » le faire (car on en est là …), il y a une punition à la clé.

La situation est donc celle-ci : lorsque l’Occident attaque ou menace d’attaquer un pays dirigé par un salaud, toute information émanant peu ou prou du pays en question sera interprété comme un signe de ralliement au salaud en question et, par association, fera de vous un salaud. Donc un rouge-brun. Donc un antisémite. Donc une cible. Bonjour l’ambiance «  USA post 11/9 ».

Encore un peu, et Charlie Hebdo dira qu’on est des mauvais Français et nous reprochera notre manque de patriotisme. Philippe Val n’est plus à la tête de Charlie Hebdo, mais son esprit rôde encore dans les locaux. Suis-je le seul à ressentir des frissons ?

Énoncée à voix haute, claire et intelligible, voilà ce que ça donne :

1) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, il est interdit de donner la parole aux agressés.

2) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, il faut imposer un black-out sur toutes les informations ou interventions en provenance du pays ciblé – sauf celles qui vont dans le sens ou servent le discours dominant.

3) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, le seules «  informations » issues du pays sont celles qui seront sélectionnées, filtrées, charcutées et commentées par les commentateurs officiels et attitrés du pays agresseur.

4) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, toute tentative de relayer in extenso, sans tripatouillages ou coupures, des informations provenant du pays agressé ou toute tentative de contre-balancer a minima la campagne de propagande sera qualifiée de rouge-brunisme (en attendant le jour où ils emploieront le mot «  trahison »).

5) Pour toutes les raisons qui précèdent, lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, toute la presse – y compris «  rebelle », «  anar », etc. – s’alignera.

Check-list : Irak, Afghanistan, Libye, Syrie… oui, ça marche et ça se vérifie à tous les coups. En une seule formule : 1) + 2) + 3) + 4) + 5) = propagande.

Voilà : nous ne sommes même plus dans une situation où un journal nie faire de la propagande (ce qui est de “bonne guerre”, ha, ha !), mais dans une situation où il la réclame, l’exige, tape du pied et se roule par terre devant ceux qui refusent de s’y plier.

Suis-je le seul à ressentir des frissons ?

Faites ce que je fais, pas ce que je dis que je fais

Le plus cocasse est que tous ces donneurs de leçons et moralistes n’ont et n’auraient – allez, soyons honnêtes - n’oseraient rien dire si le Monde ou Libération ou tout autre média appartenant à un grand groupe capitaliste hyper-soucieux du pluralisme publiaient des interventions de Kadhafi ou Bashir el-Assad ou Dieu sait qui. Non, non : eux seuls sont habilités à le faire, à décider lesquelles, à décider quels extraits, à commenter des phrases choisies sorties du contexte et à décider quand et où… Oui, on connaît la musique. Mais pas nous et pas vous. Pourquoi ? Parce que. Parce que quoi ? Parce que, quoi.

Alors, Charlie Hebdo : votre conception effarante et effrayante de “l’information”, gardez-la pour vous, roulez-la en forme de suppositoire et mettez-la où vous voulez.

Guerre humanitaire :
une éruption soudaine, inattendue et violente de bonté ?

Sans oublier une certaine loi de la nature : dans tout conflit, c’est plutôt l’agresseur qui recourt au mensonge. Pourquoi ? Parce que l’agresseur veut la guerre et cherchera donc des raisons pour la faire, quitte à les inventer. En réalité, l’agresseur est pratiquement obligé de les inventer. Pourquoi ? Eh bien parce que les justifications pour une guerre d’agression – selon le Tribunal de Nuremberg et selon le droit international – sont au nombre d’un chiffre très très proche de zéro. Et lorsque la loi ne convient pas, il y a pas trente-six solutions : il faut la respecter, la changer ou la violer. L’Occident, en particulier, est un adepte de la troisième.

Oui, je sais : il y a la «  guerre humanitaire ». On ferait des guerres «  humanitaires ». Comme d’autres feraient de la «  torture thérapeutique » ?. Risible, bien-sûr, mais pour la beauté du débat, admettons un instant ce concept de «  guerre humanitaire ».

Par conséquent : Il existerait un espace-temps (ici et maintenant apparemment) où des pouvoirs politiques seraient «  forcés » par des événements «  particulièrement tragiques » de faire une guerre pour des «  raisons humanitaires ». La cavalerie légère volant au secours de la veuve et de l’orphelin. Le petit garçon au fond de moi aime bien cette image. L’adulte, lui, lève un sourcil en entendant que les responsables politiques actuels seraient prêts à commettre le «  crime des crimes » (toujours selon Nuremberg et le droit international) pour venir au secours d’une population («  étrangère » qui plus est) dont jusqu’à présent ils se fichaient éperdument.

Etrange «  charge émotionnelle » et «  application de principes » de la part de dirigeants politiques qui sont par ailleurs incapables de prendre la moindre mesure «  humanitaire » lorsqu’il s’agit des sans papiers, des Palestiniens, des personnes âgées, de qui vous voulez. Ils sont pourtant là, sous leurs fenêtres, ou pas très loin. Ces mêmes responsables politiques qui pourraient sauver pour des raisons «  humanitaires » les 10.000 enfants qui meurent de faim par jour et pour un prix inférieur à un seul missile de croisière. Nan, trop compliqué. Allons plutôt bombarder un pays pour montrer toute l’étendue de notre «  bonté ».

En résumé : les salopards qui nous gouvernent auraient des crises d’humanisme tellement fortes qu’ils sont capables de tout, y compris de commettre l’irréparable, pour accomplir le bien.

Elle est étrange, cette détermination – si soudaine, si inattendue, une véritable révélation – qui n’apparaît que lorsqu’il s’agit de faire la guerre, loin de préférence, dans un rapport de forces totalement déséquilibré de préférence (parce qu’il y a des limites chez eux, même aux principes), là où personne ne peut vraiment contrôler ce qui se passe, une détermination qu’on ne retrouve jamaisen temps de paix…

Oui, soudain, les voilà qui sont «  bons », et «  attentionnés », et «  inflexibles », et «  soucieux » du bien-être d’une population. Tellement soucieux qui si un membre de la population se présente à la frontière pour un bout de pain, ils le renverront chez lui avec ces mots d’encouragement : «  rentrez chez vous, on va bientôt vous envoyer des secours » (sur la gueule).

Oui, soudain, dans toutes les tribunes, les mots «  intolérables » et «  inadmissibles » leur sortent de la bouche, comme des colombes de la manche d’un prestidigitateur.

Oui, une véritable métamorphose. Mais qui ne dure, hélas, que le temps d’une guerre. Et qui disparaît, comme par enchantement, une fois la bête repue. A croire que toute leur posture n’aura été créée et tenue que pour la circonstance.

Mon Dieu que je suis mauvaise langue !

Le tout par des gens qui vous expliqueront avec tout le sérieux du monde et la main sur le coeur – de préférence autour d’un dîner bien arrosé – combien ils sont contre la peine de mort, critiquant au passage les pays qui l’appliquent encore (jusqu’à là, tout va bien) et qui enchaînent aussitôt qu’il faut faire la guerre, c’est-à-dire appliquer la peine de mort à une échelle industrielle, mais cette fois-ci sans procès, sans jugements, sans discrimination, contre une population très majoritairement innocente de tout crime.

Mon Dieu que je suis pinailleur !

Soutenir le fascisme suprême au nom d’un antifascisme de salon

Le Grand Soir ferait trop dans l’anti-impérialisme ? Comme peut-on être trop contre le crime des crimes ? Comment peut-on être trop contre « le stade suprême du capitalisme » ?

Le gant de velours du marché ne marchera jamais sans une main de fer derrière – McDonald ne peut prospérer sans McDonnell Douglas, le fabricant (de l’avion de guerre) F15. – Thomas L. Friedman “A Manifesto for a fast World” – New York Times Magazine, 28 Mars, 1999

Je croyais que la guerre était plutôt de droite et la paix plutôt de gauche. Je croyais que le respect du droit (y compris international) était plutôt de gauche et sa violation plutôt de droite. Je croyais que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était plutôt de gauche et l’ingérence plutôt de droite. Je croyais que la censure était plutôt de droite et la liberté d’expression plutôt de gauche. Je croyais que l’aveuglement idéologique était plutôt de droite et l’ouverture d’esprit plutôt de gauche. Je croyais que c’étaient nos actes et nos prises de position qui définissaient notre positionnement politique. Je croyais que s’endormir dans son lit et se réveiller dans un monde où toutes les valeurs étaient étrangement inversées n’arrivait que dans les romans de science-fiction.

Je trouve même totalement indécent que l’on n’ait rien d’autre à nous opposer, sinon que le président syrien ne serait pas l’Abbé Pierre (comme si nous ne le savions pas. Comme si n’avions pas nous-même rappelé que la Syrie, il y a encore peu, servait de centre de torture décentralisé pour les Etats-Unis – pas très reconnaissants, comme à leur habitude) ou que le responsable de tel site ne serait pas du même bord politique. Remarquez, ça pourrait être une autre bonne nouvelle parce que si ce n’est que ça, on va arranger ça ici et maintenant : «  Le président de la Syrie est un salaud et le patron d’Infosyrie pue de la gueule. » Ca vous va ? Tout le monde est content ? On peut aller à la manifestation maintenant et tenter d’arrêter le massacre – où allez-vous encore nous trouver une autre excuse à la con ? Genre : l’ancien du GUD a l’haleine fraîche. Eric Simon pourra trancher puisqu’il se vante d’avoir discuté avec lui (il a le droit ! Pourquoi ? Parce que la Sainte Inquisition a tranché ainsi : à Charlie Hebdo, on peut, au Grand Soir, ce serait sacrilège).

L’extrême-droite ferait de l’entrisme ? De l’entrisme dans quoi ? Le désert laissé par la gauche ? Et ce serait la faute du Grand Soir ? On entre dans une salle d’autant plus facilement qu’elle est vide. C’est plus difficile lorsqu’elle est pleine à craquer.

En réalité, ce n’est pas le Grand Soir qui alimente des « passerelles vers l’extrême-droite », mais des journaux comme Charlie qui se la jouent « contestataires/libertaires » à longueur de semaine et qui, au moment le plus crucial, tombent – presque «  naturellement » – du côté le plus sombre, laissant le champ libre, et même ouvrant la voie, à d’autres. Charlie Hebdo fait partie de cette presse, à l’instar de Libération, qui est devenu au fil du temps une véritable fabrique de «  gauche réactionnaire » et qui fait dire à un de ses journalistes (conversation téléphonique avec un des administrateurs du Grand Soir) : « l’anti-impérialisme me fait gerber ».

Heureusement que le Grand Soir est là pour sauver (un peu) l’honneur de la gauche française. Mais nous ne sommes pas seuls. Nous avons avec nous la quasi-totalité de la gauche latino-américaine, nord-américaine, asiatique et africaine. Alors, être « isolés » au sein de la gauche française, appelons ça « une position pas très confortable », mais sans plus.

Ce qui me fait penser à ce qu’Ignacio Ramonet (que j’apprécie beaucoup) avait écrit lors de la guerre contre la Libye – intervention qu’il a soutenue (eh oui…). En référence à l’opposition de la gauche latino-américaine à cette intervention, il a écrit que cette dernière avait commis « une erreur historique ». Curieux qu’il ne se soit pas demandé si, a contrario, ce n’était pas la gauche française, et lui avec, qui avait commis l’erreur historique en question.

Lorsque Charlie Hebdo se promène la braguette ouverte

Mais revenons à nos moutons (sic) de Charlie Hebdo : Charlie Hebdo, n’a apparemment rien à dire sur le fond de ce que nous publions et serait bien incapable de trouver un seul texte, une seule ligne, qui aille à l’encontre de notre ligne rédactionnelle – qui est ce qu’elle est, que ça plaise ou non. Nous, nous parlons de guerre et de paix, eux nous parlent du slip d’untel ou untel qui dépasserait alors qu’eux-mêmes se promènent la braguette grande ouverte. Exemples ?

Acrimed rappelle que (extraits) :

Une brève du 18 avril 2007 signale que « sur 38 collaborateurs de Charlie Hebdo : 18 votent Royal , 9 votent Voynet, 3 votent Buffet, 3 votent Besancenot, 3 votent Bayrou , 1 vote Bové, 1 vote blanc. » Soient 21 collaborateurs qui votent à « droite » et 16 à gauche. Charlie Hebdo, de droite ? Oui, si l’on en croit Philippe Val lui-même, puisque ce dernier, en juin 1998 écrivait que « la vraie droite aujourd’hui, c’est le PS. » Neuf ans plus tard, le 9 février 2007, il lâche chez Pascale Clark sur Canal+ (« en aparté ») : « Je voterai pour le candidat de gauche le mieux placé.  » Le mieux placé ? Comprendre Ségolène Royal.

(…) Sur les principales questions internationales, Charlie hebdo reproduit peu à peu les positions dominantes. Ainsi sur le Kosovo. Alors que dans les années 70, Cabu s’insurgeait « contre toutes les guerres » et collectionnait les procès intentés par l’armée, en 1999, il soutient, avec toute l’équipe de Charlie Hebdo, exception faite de Siné et Charb, l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo. Dans le n°361 de Charlie Hebdo (19 mai 1999), en lieu et place de la chronique de Charb, un texte de Riss (qui n’écrit pas d’ordinaire) reproche même aux pacifistes d’être des collabos ! De même sur le traité constitutionnel européen : si d’autres voix que celle de Philippe Val se font entendre, c’est lui qui conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du « non » au référendum.

(…)

Ce glissement politique de gauche à droite, de la paix vers la guerre, de la subversion vers l’orthodoxie, s’est fait progressivement, mais sûrement. On voit ainsi disparaître, dans le silence quasi-général, des signatures talentueuses (Cyran, Camé, Boujut,…) au profit de plumes conventionnelles et/ou médiatiquement plus « reluisantes » : le dessinateur Joan Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, le sociologue médiatique Philippe Corcuff (lui même acculé à démissionner [16]), Renaud Dély venant de Libération, Philippe Lançon du même, Anne Jouan du Figaro, etc.

(…)

…l’évolution conjointe des positions politiques et du positionnement médiatique n’a pas été sans effet sur les pratiques journalistiques de l’hebdomadaire, et, au premier chef, de Philippe Val lui même : calomnies et mensonges (notamment sur Noam Chomsky), fausses rumeurs (par exemple sur le Forum social européen), diffamations de membres de l’Observatoire français des médias, refus des droits de réponse, que nous avons plusieurs fois relevés ici-même …

(…)

Charb a estimé, le 16 juillet 2008, que Siné avait porté – c’est un comble – « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo. Et c’est pourtant le même Charb qui dans sa chronique « Charb n’aime pas les gens » datée du 30 juillet 2008 écrit : « Personne n’a dit que Siné était antisémite (…) parce que ça n’a jamais été le sujet du débat. Aurait-on travaillé durant seize ans avec un antisémite ? Moi, non. » Si cela n’a jamais été le sujet du débat, alors pourquoi Philippe Val, dans son éditorial du même jour se pose la question et ressort une affaire vieille de 26 ans ? « Antisémite, Siné ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais au lendemain de l’attentat de la rue des Rosiers, en 1982, c’est lui-même qui déclarait sur la radio Carbone 14 : “Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien. Qu’ils meurent.” »

(…)

Une histoire de Charlie Hebdo http://www.acrimed.org/article2960.html

Etc.

Lorsque le dessinateur “de gauche” Plantu touche officiellement un chèque de 10.000 euros de la dictature brune-brune islamiste du Qatar, tout le showbiz, chasseurs de rouges-bruns et Charlie Hebdo réunis, regardent ailleurs. Vous appelez ça de la pudeur, de la honte ou de la complicité ?

(Tiens, et soudain je pense à cet autre ancien dessinateur vedette du journal le Monde, Konk, qui a fini par rejoindre l’extrême-droite.)

Lorsque Charlie “de gauche” Hebdo publie à trois reprises et interviewe à domicile une des sommités du “rouge-brunisme” en France, membre du FN qui plus est à l’époque, vous appelez ça du journalisme, de l’autisme ou de j’aurais-mieux-fait-de-fermer-ma-gueule-isme ?

Et on trouve tout ça sans même vraiment chercher.

Le problème, Charlie, c’est que vous ne savez même plus où vous en êtes pour venir faire les marioles autour de Grand Soir. On en rirait si ce n’était pas aussi pathétique. Alors le jour où Le Grand Soir examinera à la loupe certains médias comme ces derniers aiment tant le faire pour nous, il va y avoir de sacrées surprises. En attendant, Charlie Hebdo a bien fait de ne pas employer le mot « confusionnisme » parce que là , ils auraient eu l’air vraiment ballots…

Eh oui, Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe. Puis un jour on grandit et on est plutôt content de s’en passer. Et avec le recul, même si on n’en a pas honte, on n’en est pas forcément fiers pour autant.

Viktor Dedaj
« alors, on rajoute une couche ou on en reste là ? »

(Version 2).

Source : LeGrandSoir, 22/08/2012

 

Source: http://www.les-crises.fr/polemique-charlie-hebdo-le-grand-soir/


[Reprise] Rappel des polémiques autour des caricatures en 2012 [2012]

Tuesday 27 January 2015 at 00:55

Analyse critique (et clairement trop critique) de A. Reyes, datant de 2012, quand Charlie Hebdo a sorti ses pires caricatures sur Mahomet.

Ce billet ne vise NULLEMENT à vouloir faire porter la moindre responsabilité sur les pauvres victimes de la barbarie,

Il vise à rappeler du contexte polémique au moment de la publication des caricatures en 2012 – et donc bien avant le drame…

A lire donc avec esprit critique.

Ces caricatures, insultes politiques adressées aux musulmans

D’où vient que, soudain, une jeune fille voilée attira l’attention jusqu’à focaliser sur elle tous les discours ? Elle avait dû entrer en cachant son foulard dans son sac avant de le nouer sur sa tête dans l’Hémicycle. Elle était militante, allumée, ardente, jolie, électronicienne (je crois), membre d’Amnesty International (c’est ce qu’elle disait).

On n’écoutait pas vraiment ses propos confus, mais on ne voyait plus qu’elle. En trente secondes, elle était devenue l’élément érotique de l’Assemblée.

Allait-elle jeter une bombe ? S’immoler par le feu ? Se mettre à prier en public ? Non, elle avait l’air normale.

Mais comment pouvait-elle incarner volontairement une image aussi terrible de la sujétion de la femme ? N’était-elle pas la victime de son père et de ses frères ?

Ne défendait-elle pas, sans s’en rendre compte, la condition atroce de milliers de corps emprisonnés dans l’esclavage, le fanatisme, l’obscurantisme, le terrorisme, l’absence de sport, le refus de la science et du progrès, l’horreur de l’enfermement patriarcal et le respect absurde d’un Dieu meurtrier ? On la huait, mais elle était, à l’évidence, l’objet d’un trouble massif. On avait honte pour elle, mais avec curiosité.

Cachez ce voile que je ne saurais voir, lui disait l’un. « Et s’il me plaît, à moi, d’être voilée ? », semblait-elle répondre comme un personnage inconscient de Molière. Elle était odieuse, bien entendu, mais sympathique, comme tous les opprimés. Bon, ce n’était qu’un début, continuons le débat.

Philippe Sollers dans Le Monde, le 28-6-03

Cachez cette musulmane que je ne saurais voir… De débat, il n’y en eut pas, mais le combat occulte ne faisait que commencer. Il faudrait convoquer Freud pour commenter la névrose hystérique des anti-voile, mais cela ne suffirait pas à empêcher ses implications politiques désastreuses. « L’élément érotique de l’Assemblée » démangeant furieusement ces messieurs-dames les Français bon teint, dont le trouble désir, le « trouble massif », n’allait pas tarder à s’exacerber en furieuse envie de chasser et d’abattre.

L’affaire des caricatures du Prophète de l’islam par Charlie Hebdo a causé un grand scandale parce qu’elle n’est en fait que l’épiphénomène d’une islamophobie et d’un racisme qui se développent profondément et largement dans les esprits, tant parmi le peuple que parmi ses élites intellectuelles, saisies de panique au point d’en perdre la tête. La première énorme manifestation de ce phénomène fut sans doute la publication par Oriana Fallaci, journaliste italienne jusque là fameuse pour ses engagements progressistes, d’un livre extraordinairement nauséabond, par son islamophobie et son racisme délirants. La rage et l’orgueil se vendit très vite à plus d’un million d’exemplaires en Italie. En novembre 2002, lors de sa parution en France, ce livre fut défendu dans Charlie Hebdo par l’un de ses chroniqueurs, Robert Misrahi, qui en fit l’éloge, disant notamment : « Oriana Fallaci fait preuve de courage intellectuel » et « Elle ne proteste pas seulement contre l’islamisme assassin ». L’islam est en croisade contre l’Occident, telle est la thèse de l’ouvrage. On y trouve des phrases aussi nauséabondes que :

Ils se multiplient comme des rats

Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. 

leurs braillements Allah akbar-Allah akbar

debout, braves gens, debout ! Réveillez-vous ! Paralysés comme vous l’êtes par la peur d’aller à contre-courant ou de sembler raciste

Cette Europe clownesque et stupide qui fornique avec les pays arabes

Jean-Pierre Thibaudat raconte dans Libération du 10 octobre 2002 que pendant le procès intenté par la Licra, le Mrap et la Ligue des Droits de l’Homme lors de la publication du livre en France (les poursuites furent finalement annulées pour vice de précédure), Me Patrick Baudoin, l’avocat de la LDH, déclara : « C’est un livre qui pratique de bout en bout une politique de l’amalgame», en associant musulmans et extrémistes sous le terme «fils d’Allah». Citant abondamment l’ouvrage, il souligna l’usage d’un certain vocabulaire ­ «horde», «miasmes nauséabonds», l’usage répété du verbe «grouiller» ­ rappelant «la pire des littératures antisémites». Il cita l’un des moments les plus terribles du livre, celui où Oriana Fallaci décrit des Somaliens campant sur l’une des places de Florence. Elle parle des «braillements d’un muezzin», de «la fumée puante», «de leur bouffe», et «pour accompagner tout ça, les dégoûtantes traces d’urine qui profanaient les marbres du baptistère (parbleu ! Ils ont la giclée longue les fils d’Allah)…». De sa voix douce et posée, Me Baudoin ajouta : «Si cela n’est pas une provocation à la discrimination raciale, qu’est-ce qu’il faut écrire ?»

Devant le tollé suscité par le soutien de Charlie Hebdo à ce livre infect, le chroniqueur dut quitter le journal. Mais Oriana Fallaci, porteuse de son discours abject, n’en fut pas moins bienvenue sous de beaux plafonds (Benoît XVI notamment la reçut en 2005), et inspira, jusqu’à sa mort et maintenant encore, bien des intellectuels laïques ou religieux, à Rome, à Paris ou ailleurs. Anciens ou nouveaux compagnons de route d’une mouvance de gauche ou d’extrême-gauche, certains agissent en sous-main et main dans la main avec l’extrême-droite. Ces jours derniers le site web Riposte Laïque, fondé par l’ancien trotskyste Pierre Cassen, et auquel collabore Anne Zelensky, cofondatrice de la Ligue du droit des femmes avec Simone de Beauvoir, clamait : « Oriana Fallaci avait raison ».

Le site utilise d’ailleurs sans cesse un semblable vocabulaire ordurier pour désigner les musulmans. On s’y déclare « résistant » au « fascisme islamique », et comme dans les obsessions de Sollers, on s’y croit à Radio Londres. « Dans la France des années 30 (…) il y avait une hystérie antisémite, comme aujourd’hui il y a une hystérie antiraciste »  écrit Anne Zelensky, volant au secours de Marine Le Pen. Ainsi le temps des idéologies, des faux-semblants et de la falsification, achève-t-il d’enterrer le vrai, pour entrer dans le temps de l’inversion de la vérité : leur hystérie raciste devient dans leur parole fausse une « hystérie anti-raciste » de la société !

Le voile est une opération terroriste. (…) En France, les lycéennes savent que leur voile est taché de sang. (…) Dans nos écoles, question d’honneur, on n’enseigne pas à des élèves en uniforme. Sauf au temps du nazisme, écrivait André Glucksmann dans L’Express le 17 novembre 1994.

Tout aussi lamentable et dans un autre registre, la fantasmatique de ces messieurs puisant dans l’épouvante et la réaction violente, Jacques Julliard écrivait dans Le Nouvel Observateur du 16 septembre 2003 :  Inversez les deux voyelles, et dans voile, vous trouverez viol. En dissimulant ostensiblement le sexe au regard, fût-ce sous la forme symbolique de la chevelure, vous le désignez à l’attention ; en enfermant le corps féminin, vous le condamnez à subir l’effraction. (…) Toutes les coquettes le savent bien aussi, qui font de la comédie de la dissimulation la forme la plus raffinée de l’exhibitionnisme.

D’autres phobiques du voile islamique ne savent avancer que masqués des pieds à la tête. De même que les caricatures ne sont pas toujours celles qui en ont le plus l’air, ni ne viennent toujours d’où elles ont l’air de venir, ni ne vont où elles prétendent aller, les plus « voilées » ne sont pas les porteuses de foulard ni même de burqa. Les plus « voilées » sont les pensées et les actions phobiques d’hommes et de femmes régis par leurs tripes en déroute. « Philippe Sollers use-t-il de ses réseaux pour manipuler l’opinion ? » se demandait L’Express le 1er octobre 2002. Ce qui est certain c’est que les réseaux constitués par de tels « parrains » ou maîtres de l’édition, des médias et de la politique, finissent par constituer un monde assez petit et total, voire totalitaire, où il n’est pas impossible de s’entendre pour monter des manipulations à grande échelle de l’opinion.

Dans un long texte très documenté, intitulé Vendre « le choc des civilisations » à la gauche, paru sur le site Réseau Voltaire le 30 août 2007, Cédric Housez montre quel’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo et l’association féministe Prochoix, après s’être donné une identité libertaire et avoir trouvé une audience chez les électeurs de gauche, se sont mués en relais des thèses néoconservatrices du « choc des civilisations ». Cette rapide dérive leur a permis de trouver des soutiens institutionnels et médiatiques tout en conservant une partie de leur lectorat. Ils s’emploient désormais à vendre à gauche les politiques de Washington et de Tel Aviv et à casser le mouvement anti-impérialiste.

Cédric Housez raconte notamment qu’en novembre 2003, Philippe Val n’avait pas supporté qu’un sondage commandé par la Commission européenne établisse que 59 % des citoyens de l’Union européenne estimaient qu’Israël était une menace pour la paix dans le monde . Et reprenant un des pires axes de la propagande sioniste, il accuse les critiques de la politique coloniale israélienne de crypto-négationisme : « Nous arrivons au temps absurde où l’émotion suscitée par une attaque – condamnable – de l’armée israélienne dans une zone palestinienne permet d’ignorer la mémoire des victimes des nazis ». Ne s’agit-il pas là, comme dans le cas du prétendu « délire anti-raciste », d’une autre manipulation de la parole et de la pensée, inversant la vérité en faisant de la victime un bourreau, du bourreau une victime ?

En 2006, Charlie Hebdo publie les caricatures du Prophète parues dans un journal danois. Puis, raconte Mona Cholletcontinuant d’exploiter le filon providentiel… [il] publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (), signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et Bernard-Henri Lévy. À propos de ces caricatures danoises, elle rappelle les paroles du journaliste Martin Burcharth : « Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi, ajoute Mona Chollet, que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ».

Quant à Philippe Val, dit-elle aussi, le site « PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : « Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (…) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. »

Et pour en revenir à l’origine névrotique de cette phobie de l’invasion, notons aussi ce passage du texte de Mona Chollet : « Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement : « Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. »

Ailleurs, Mona Chollet raconte qu’en juin 2008, Caroline Fourest est envoyée par Charlie Hebdo aux Pays-Bas, afin de rencontrer un autre martyr de la liberté d’expression, le caricaturiste Gregorius Nekschot… Nekschot est l’auteur de dessins où l’on voyait, par exemple, un Arabe assis sur un pouf, avec cette bulle :

« Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs. » (…) Ou encore un imam habillé en Père Noël et sodomisant une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions. » Ou encore un imam (à moins que ça ne soit le Prophète Mahomet) sodomisant une fillette voilée – désopilant – ou encore – mort de rire ! – imposant une fellation à la petite Anne Frank…

En novembre 2011, Charlie Hebdo renoue avec le filon de la caricature de Mohammed, qui a l’avantage de faire exploser les ventes et donc de rapporter tout à la fois beaucoup d’argent au journal et beaucoup d’audience à son idéologie sournoise. Et 19 septembre 2012 donc, il récidive. Avant d’en venir à ces dernières caricatures, je suis allée consulter à la bibliothèque de mon quartier les quinze précédents numéros du journal qui s’y trouvent.

C’est dans le numéro daté du 22 août que figure cette page de caricatures glaçantes sur les Roms, en plusieurs tableaux effroyables où ils sont présentés comme des animaux souvent immondes, sans que rien n’indique qu’elle n’est pas à lire au premier degré ni ne permette d’en voir un autre. Un peu plus loin dans le journal, « La fatwa de la semaine » de Charb s’intitule Mort aux Roms ! Tout son texte manie une ironie si sordide et triste qu’on a du mal, là aussi, à y voir autre chose que ce qui y est. C’est vrai, le Rom pue, dit-il. Ou bien : Pourquoi ne les tue-t-on pas, les Roms ? Concluant : Les socialistes et l’UMP respectent la tradition coprophage des Roms, les deux partis ont la même éthique. Je crois que vous serez d’accord, il faut faire du caporal Valls notre Guide suprême afin que de son bras puissant il balaie la crasse Rom jusqu’au Danube. Amen. 

Dans le même numéro, Gérard Biard écrit, et là c’est sans ironie : Il devient urgent de nommer les islamistes modérés pour ce qu’ils sont : des obscurantistes sournois.  En double page centrale, un article sur le projet d’une ville réservée aux femmes en Arabie Saoudite. Un zoo féminin, dit Zineb, qui fait aussi cette remarque purement raciste :Depuis l’invention du zéro, dont les Saoudiens se coiffent toujours fièrement, il s’agira sans doute de la contribution la plus importante des Arabes à l’avancement de l’humanité.S’il mentionne que les Chinois ont déjà eu un même projet, ces derniers trouvent davantage grâce à ces yeux car dans leur ville les femmes auront le droit d’accueillir des hommes « pour des besoins de compagnie ».

À la fin du journal, la série de reportages de l’été, « Mes grandes vacances à Kaboul », est cette fois consacrée à la burqa. L’obsession de l’islam et des Arabes, doublée d’une insistance sur Marine Le Pen, court dans tous ces numéros de l’été. La tonalité « de gauche » du journal est marquée par des articles à caractère social ou écologique, un petit encadré est même réservé chaque semaine à l’association Réfugiés Sans Frontières, qui présente « l’expulsé du mois ». Mais la cause palestinienne, un classique de la gauche, n’est jamais évoquée.

Dans le numéro daté du 14 août, un article sur le porno donne ce titre de film, inventé :Beurettes de ma cité (vas-y, sors ta teub). Dans une BD, on voit deux collègues à attaché-case au café, il fait chaud. Le Blanc commande un demi, l’Arabe ne commande rien car le serveur est arabe aussi et c’est ramadan. Le Blanc insiste, bois quelque chose, mais son collègue arabe transpire de peur devant son coreligionnaire, qui dit : « Nous les muslims faut faire ramadan, c’est comme ça Monsieur. » On se croirait dans Tintin au Congo. La double page centrale s’intitule In bed with Mahomet. Il s’agit d’un reportage, textes et dessins, dans cinq mosquées de Paris pendant le Ramadan. Ramadan n’est pas qu’un mois de soif et de mauvaise haleine, est-il écrit, avant une description ironique desprosternations nocturnes devant Allah.  Page suivante, un reportage de Wolinski à Tunis :Devant la cathédrale, nous sommes soudain entourés par de jeunes femmes voilées brandissant des banderoles et hurlant des slogans à la gloire du ramadan. Des barbus les surveillent. Ma parole, décidément on dirait qu’ils ont tous plus peur des femmes voilées que des barbus !

Dans le numéro du 8 août, Wolinski, déjà à Tunis, raconte : c’est Dieu qui achète cette piété obscurantiste. Puis : Quant au travail on ne s’en soucie pas, l’important c’est de gagner de l’argent sans rien foutre. Dans la série des vacances à Kaboul, le témoignage d’une prostituée locale : Il y a quelques jours un client a voulu me sodomiser, j’ai dit non, il était rouge de rage. J’ai fini par comprendre qu’il ne savait pas que j’avais un autre trou, alors qu’il était marié depuis deux ans. Tandis que chez nous, sans doute, les clients des prostituées sont tous des types parfaitement bien dans leur peau.

Le 18 juillet, la chronique de Cavanna commence ainsi (inutile de vous pincer, je vous garantit que c’est vrai) : Il y a, dans la vie, des choses agaçantes. Par exemple, la disparition des chrétiens. Démonstration faite, il aboutit à : Résultat : il n’y a presque plus de curés en France. Ça ne peut pas durer. Il faut faire quelque chose. Des immigrés ? Les Arabes ne demandent pas mieux, avec quelques petits changements dans les détails… C’est à mettre à l’étude. Il faudra, bien sûr, faire quelques concessions, genre envoyer nos sœurs et nos épouses jouer au foot avec un voile là où ça se met [Toi aussi, Cavanna, le voile ! le ça ! le mettre !] Il y a du symbolique, là-dessous. [le là-dessous !]Mais les Arabes sont-ils beaux joueurs dans la discussion ? [Ne l’ont-ils pas plus grosse que nous ?] Ils vous clouent le bec d’un « Dieu est grand » sans réplique. Ils ne s’emmerdent pas avec des histoires de grand horloger, pas plus que d’œuf et de poule.[Ben voyons, ils sont si bêtes]. Expliquant ensuite que l’athée n’existe que par opposition aux croyants, il conclut : Il nous faut [non, pas des musulmans mais] des curés si nous voulons sauver l’athéisme.

Ah, c’est donc ça, la tactique ? C’est là que j’ai envie de faire une petite pause dans la lecture de tous ces Charlie pour aller nous rafraîchir avec la vraie parole d’Armand Robin, qui dans un livre intitulé La fausse parole, inspiré par les propagandes soviétiques et autres qu’il captait à la radio, écrivait sur ces hommes lamentables qu’on appelle puissants :

Ils n’ont jamais songé à s’emparer du non-pouvoir. Plus ils tombent, plus, comme pour aider absurdement à leur chute, ils s’alourdissent de leur “ eux-mêmes ”; à force de vouloir l’emporter dans les batailles du relatif, ils s’ajoutent l’un à l’autre l’épuisement que représente chaque succès remporté dans l’ordre des apparences. Quand ils perçoivent que de la haine rôde, ils ne conçoivent pas de la détourner sur eux afin de la retirer de la circulation et d’avoir ainsi l’occasion de rompre un enchaînement d’actes mauvais; au contraire, ils se hâtent d’apporter leur mal au mal général. Ils ont oublié que la parole sert à dire le vrai, sont fiers de répondre par des mensonges à d’autres mensonges, créent ainsi partout au-dessus de la planète des univers fantomatiques où même l’authentique, lorsque d’aventure il s’y égare, perd sa qualité; ils sont “ stratégiques ” et “ tactiques ”, expliquent-ils dans leur jargon, ce qui signifie qu’ils ne parlent que par antiparoles; derrière chacun de leurs mots on sent la présence de leurs intérêts de caractère matérialiste, c’est-à-dire la présence du néant. Devant cette sottise, on reste là, comme ça : même les poètes ne happent plus que des souffles accourcis en râles. 

Reprenons. Ce 18 juillet, au-dessous de la susdite chronique de Cavanna, se trouve un article intitulé Ramadan, la fête rasoir des barbus, racontant avec consternation qu’au Maghreb, tout cela n’arrange évidemment pas la saison touristique [tout cela ne nous arrange pas, nous autres Européens, et n’arrange pas non plus nos vacances].

Le 25 juillet – je vous les livre dans l’ordre où ils me sont tombés sous la main – la Une annonce : Non au port du voile aux J.O. Une obsession maladive, je vous dis. Et maladivement raciste. Le dessin représente deux athlètes féminines en train de courir, au stade. L’une est sombre, voilée façon Batman, l’autre blonde. La blonde prévient la voilée :Farida, on voit tes couilles. En effet, elles dépassent de son short. En dernière page, trois autres dessins associent J.O. et islam, comme si c’était le problème de ces Jeux, et le seul. Il est traité aussi en double page centrale, avec l’interview d’Anne Sugier – tiens, une contributrice du site ultra-raciste Riposte Laïque. Le petit monde est petit. En deuxième page, un article ironique appelant à se débarrasser des filles fatigantes en les jetant par la fenêtre (c’est pour moi ?) ; il s’intitule Le nouvel Abraham (en guise de fils, il sacrifie sa fille). Également au sommaire un article intitulé Le retour du grand Turc, ainsi présenté :Entre « printemps arabes » et déchéance européenne. Une association anxieuse entre monde arabe et Europe qui rappelle celle que faisait Oriana Fallaci.

Le 27 juin, en Une : Égypte. Enfin une femme de président qui ne tweete pas. Le dessin la représente en ménagère voilée, en train de faire la vaisselle. En deuxième page la chronique de Bernard Maris : Tout ça pour ça… Tout ça pour voir des barbus arriver en Égypte avec leurs poils sortant du nez, des yeux et des oreilles. Laissez-vous pousser les poils, les hommes, au cas où l’on vous confondrait avec des femmes ! Et cachez bien ceux de vos femelles ! Registre animal, un classique du racisme. Et cette obsession sexuelle, cette hantise de la confusion des sexes. On aurait presque pitié d’eux.

Toujours dans le même numéro, un article ambigu de Paul Klein, citant longuement des portraits très flatteurs de Marine Le Pen parus dans certains journaux américains. Pour conclure, sans démonstration, qu’en fait, contrairement à tout ce qui vient de nous être dit, son parti est « un mouvement fasciste ». Est-ce assez pour contrer cette longue image qui vient de nous être donnée d’une femme de gauche, qui veut seulement défendre ses concitoyens contre la mondialisation ?

Dans le numéro du 4 juillet, le même auteur poursuit sa réflexion. Qu’est-ce que le fascisme ? demande-t-il. Son développement se conclue ainsi : C’est pourquoi les discours « sociaux » de Mme Le Pen n’ont rien d’étonnant : ils ne signifient pas qu’elle est « de gauche », mais que, comme tout dirigeant fasciste digne de ce nom, elle mêle le  mensonge nationaliste à un socialisme frelaté. Et le discours de Charlie Hebdo, ne mêle-t-il pas le mensonge et le frelaté ?

Le 30 mai, en Une, Une taupe au Vatican. C’est le moment des fuites de documents, le pape est représenté avec une taupe qui sort de son habit au niveau de son estomac [mangez, ceci est mon corps ?], voire de son cœur [ceci est mon sang], disant « ça me change des enfants de chœur ». L’irrévérence est prudente et mesurée. Et Charb menteur, qui prétendait l’autre jour que lorsqu’ils avaient représenté le pape enculant une taupe, les chrétiens n’avaient rien dit, eux.  Non ce n’est pas ce qui est représenté, et le dessin n’a aucune commune mesure avec les dessins orduriers réservés à l’islam quelques semaines plus tard.

Le 6 juin en Une un dessin de Cabu : Madonna défie Marine Le Pen. À l’intérieur du journal deux autres dessins de Madonna vs MLP, dont l’un avec Madonna en Jeanne d’Arc. Et un article sur le financement par le roi du Maroc d’une nouvelle mosquée à Blois : Rien n’est trop beau pour la gloire d’Allah, surtout en terre laïque. Le 13 juin en Une revoilà le Front National, avec ce titre : Assemblée. Le FN espère trois sièges. Tiens je n’ai pas fait exprès mais c’est le dernier numéro que j’ai feuilleté (à la fin, j’en avais plus qu’assez, je suis passée vite) et nous voilà justement revenus d’où nous étions partis au début de ce texte : à l’Assemblée. Si j’ai bien compris donc, on préfère y voir des blondes martiales plutôt que des belles voilées. Paul Klein est assez culotté ma foi de dénoncer dans le même numéro « la collusion objective des médias » avec Marine Le Pen.

Et maintenant, comment ne pas admettre que ces « caricatures de Mahomet » parues la semaine dernière sont en fait des insultes politiques adressées aux musulmans, représentés en état d’invalidité puis de soumission. Représentés comme ces messieurs aimeraient qu’ils soient. Et comme ils ne sont pas.

Source : A.Reyes sur Son journal , le 25/09/2012

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-ces-caricatures-insultes-politiques-adressees-aux-musulmans-2012/


[Reprise] Nicolas Dupont-Aignan propose de « rouvrir Cayenne » pour les djihadistes français

Tuesday 27 January 2015 at 00:01

Hmmm enfin notre Guantanamo ?


Le patron de Debout la France souhaite prendre des mesures d’éloignement géographique contre les Français partis faire le djihad en Irak ou en Syrie et qui seraient de retour sur le territoire.

Certains proposent la déchéance de la nationalité, d’autres la perpétuité à vie ou des centres de «déradicalisation». Mais Nicolas Dupont-Aignan dévoile ce jeudi sur Sud Radio une nouvelle suggestion pour traiter de la question des djihadistes qui seraient de retour en France: il veut les éloigner géographiquement. Et pas n’importe où. Le député propose de «rouvrir Cayenne». Cayenne et son bagne, fondé sous Louis-Napoléon Bonaparte et officiellement fermé en 1938.

«Moi ce qui m’inquiète, c’est ceux qui peuvent revenir», lâche le député-maire de Yerres. «Je propose une autre hypothèse, qui, je sais, va faire hurler, mais ça m’est égal: je considère que lorsqu’un Français se livre au djihad, et se livre à des actes monstrueux, il doit à son retour en France être assigné à résidence et éloigné. Je propose qu’on rétablisse à Cayenne un centre de détention qui permette d’isoler ces fous furieux», considère Nicolas Dupont-Aignan.

«Isoler, rééduquer»

Un Guantanamo à la française? Pas vraiment. Le retour du bagne? Non plus, tempère-t-il. «Je propose un centre de détention, où on insiste sur le fait qu’il n’y a pas de retour possible», explique le parlementaire. Pour lui, ce centre de détention doit éloigner, «avec des conditions humaines, sous le respect de la justice». Avec un objectif: «Isoler, rééduquer.» «Cayenne, c’est une image. Je ne veux pas que ceux qui reviennent du djihad soit en libre circulation dans notre pays».

Avant lui, d’autres responsables politiques y sont allés de leurs propositions au gouvernement. Valérie Pécresse et Eric Ciotti suggèrent des centres de «désendoctrinement». Au FN, on souhaite fermer l’espace Schengen et étendre les critère de déchéance de la nationalité. De son côté, Xavier Bertrand propose, comme Nicolas Dupont-Aignan, la mise en place d’une «justice d’exception».

Source : Le Figaro

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-nicolas-dupont-aignan-propose-de-rouvrir-cayenne-pour-les-djihadistes-francais/