les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

L’artisan de la guerre d’Irak exprime son soulagement de voir que le Brexit a détourné l’attention de l’enquête sur le rôle de la Grande Bretagne en Irak

Saturday 29 October 2016 at 00:01

Source : The Intercept, le 13/09/2016

gettyimages-1882205

Zaid Jilani

Le 13 septembre 2016

Des emails récemment divulgués révèlent comment un des grands artisans anglais de la guerre contre l’Irak a déclaré être soulagé que le vote du Brexit pour quitter l’UE réduise la couverture des médias sur les résultats dévastateurs de l’enquête concernant le rôle de la Grande Bretagne dans cette guerre.

Le 4 juillet, l’ex-ministre des Affaires étrangères Jack Straw a écrit à l’ex-Secrétaire d’État américain Colin Powell pour évoquer la prochaine publication du rapport Chilcot, un document qui détaille l’enquête du gouvernement britannique. Le rapport explore, entre autres, l’ampleur de l’implication et du soutien britannique à la guerre menée par les États-Unis en Irak.

Anticipant la couverture médiatique à venir, Straw a demandé à Powell de relire un premier brouillon de déclaration sous la forme d’un document Word. Il écrivait que le seul effet positif du Brexit serait, à court terme, de réduire l’intérêt porté au rapport Chilcot, même si cela n’empêcherait pas de le placer en situation inconfortable lors de sa publication.

screen-shot-2016-09-13-at-6-35-46-pm-1000x1087

——-Forwarded message——-

De: Jack Straw

Date: Lundi 4 juillet 2016, 7:36 AM

Sujet: Confidentiel, Chilcot 6 juillet

À: CP

Cher Colin,

J’espère qu’Alma et toi vous portez bien.

Comme vous le savez certainement, Chilcot publie ce mercredi à 11:00 BST [British Summer Time, NdT] (04:00 ET) [Eastern Time – Est américain, NdT]. J’ai une bonne idée de ce qu’il contient – et je serais heureux d’en discuter avec toi, si cela peut être utile. S’il te plaît, tiens-moi informé et dis-moi quand ce serait possible de te téléphoner. Toutefois, je ne verrai pas le rapport avant 08:00 BST, soit juste trois heures avant sa publication. Il comprend 2 600 000 mots, 15 gros volumes. Le résumé fait plus de 100 pages.

Je joins un document avec ce que j’ai déjà pu glaner, et ceci est bien évidemment sujet à modifications quand je lirai le vrai rapport. Mais, comme tu es mentionné dans mon ébauche, j’ai pensé que tu devrais le lire. Si tu as des commentaires sur le sujet, je serais très heureux d’en prendre connaissance. Je pense aussi l’envoyer à Condi [Condoleeza Rice, NdT] – OK ?

Entretemps, comme tu as vu, la politique en Angleterre est dans une phase des plus extraordinaires, je n’ai jamais vu cela. La seule bonne chose à propos du Brexit c’est que cela détourne l’attention des médias de Chilcot. Mais cela ne changera rien au malaise le jour de la publication.

Amicalement

Jack.

================================================================================

Powelll a dit à Straw qu’il devrait également partager cette déclaration avec Condoleeza Rice et qu’il contacterait Richard Armitage, deux autres responsables du gouvernement Bush qui étaient impliqués dans la planification et l’exécution de la guerre.

Il s’est montré sceptique vis-à-vis d’une partie de la déclaration de Straw qui affirmait qu’une résolution supplémentaire des Nations Unies préalable au conflit aurait évité l’invasion. Il a écrit à Straw « Je ne peux être ni pour ni contre ton jugement comme quoi une seconde résolution aurait empêché le conflit. J’en doute, mais je ne sais pas. » (Dans la déclaration finale de Straw à la presse, cette affirmation est demeurée.)

powellstraw1-1024x764

================================================================================

De: CP<>

Envoyé le: Lundi 4 juillet 2016 08:10:16-0400

À: Jack Straw <>

Sujet: Re: Confidentiel, Chilcot 6 juillet

Merci, Jack. Je le passerai aussi à Armitage. Ça ne me gêne pas que tu fasses référence à moi au sujet de la décision de Bremer. Bremer soutiendrait que la décision était la bonne et qu’elle était approuvée par Rumsfeld. Bremer pense que nous tous étions au courant. Ce n’est pas le cas. Rumsfeld, Feith et compagnie ont des versions différentes. Les pontes militaires et de l’agence étaient également surpris. Je pense que tu devrais aussi le montrer à Condi. Je regarderai dans son livre pour voir ce qu’elle a écrit.

Je ne peux être ni pour ni contre quand tu juges qu’une seconde résolution aurait prévenu le conflit. J’en doute, mais je n’en sais rien.

Je suis à la maison aujourd’hui jusqu’à environ 17 heures (heure de la côte Est). Je reste ici toute la journée de mardi. Je ne suis pas sûr qu’il y ait quelque chose à discuter entre nous. Je n’ai pas d’information sur Chilcot et on n’en parle pas dans nos médias. Si tu veux appeler, envoie un courriel d’abord pour être sûr que je ne sois pas sorti.

================================================================================

Près d’un mois plus tard, le 3 août, Powell envoya un mail à Straw lui disant que le rapport Chilcot « n’a pas donné grand-chose ici » et qu’il supposait que l’enquête s’était simplement « évanouie ».

« Oui, l’affaire Chilcot a complètement disparu ici aussi. C’était désagréable sur le moment mais presque toute l’attention s’est portée sur Tony [Blair], » a répondu Straw. Il a noté que « il y a quelques trucs à propos de familles de soldats tués en Irak qui essaient de monter un procès contre Tony sur cette base, mais il est difficile d’envisager comment ça pourrait marcher. »

Il a vite changé de sujet, en demandant à Powell s’il allait venir à Londres bientôt. « J’ai rencontré quelqu’un dernièrement qui t’a entendu en conférence et qui pensait que tu étais sensationnel, » a fanfaronné Straw.

powellstraw2-1024x404

================================================================================

Cher Colin. Merci beaucoup ! Mais qu’est-ce que c’est que cette affaire de “vieille branche”, de la part de quelqu’un qui aura 80 ans en avril prochain ? (La seule réponse d’Alice à ça est que tu “les portes vraiment bien” !).

Oui, l’affaire Chilcot a complètement disparu ici aussi. C’était désagréable sur le moment mais presque toute l’attention était sur Tony.

Mais même pour lui c’est déjà passé. Il y a quelques trucs à propos de familles de soldats tués en Irak qui essaient de monter un procès contre Tony sur cette base mais il est difficile d’envisager comment ça pourrait marcher.

Est-ce que tu prévois de venir à Londres ? J’ai rencontré quelqu’un dernièrement qui t’a entendu en conférence et qui pensait que tu étais sensationnel.

Amitiés d’Alice de HG et moi, à Alma et toi.

Jack

Envoyé depuis mon smartphone Samsung Galaxy

——–message original——–

De: CP <>

Date: 03/08/2016 11:22 (GMT+00)

À: Jack Straw <>

Sujet: Hey

Bon anniversaire vieille branche. Tu as été bien silencieux depuis le Brexit. Je suppose que le rapport a disparu sous l’avalanche des autres nouvelles. Ça n’a pas donné grand-chose ici. Parlé beaucoup de Tony pendant un court moment. Amitiés à Alice de HG. Colin

================================================================================

Les courriels privés de Powell ont été dévoilés par DCLeaks.com, un site web qui, par le passé, a diffusé des courriels dérobés de personnalités américaines politiques et militaires. DCLeaks est en relation avec Guccifer 2.0, un hacker dont beaucoup affirment qu’il est lié aux services de renseignement russes. DCLeaks a donné accès aux courriels de Powell à certains journalistes mardi, dont The Intercept.

Photo du haut : Jack Straw et Colin Powell à Camp David en mars 2003.

Source : The Intercept, le 13/09/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lartisan-de-la-guerre-dirak-exprime-son-soulagement-de-voir-que-le-brexit-a-detourne-lattention/


Pourquoi l’“émodiplomatie” française n’est ni crédible, ni constructive, par Maxime Chaix

Friday 28 October 2016 at 00:40

Source : Blog Mediapart, Maxime Chaix, 26-10-2016

Depuis les Printemps arabes, le moralisme diplomatique à géométrie variable de Nicolas Sarkozy et de son successeur s’est imposé dans la politique étrangère française, en particulier à l’égard de l’« axe chiite » (sous Sarkozy) et de la Russie (sous Hollande).

capture-d-ecran-2016-10-15-a-11-22-01

Depuis les Printemps arabes, le moralisme diplomatique à géométrie variable de Nicolas Sarkozy et de son successeur s’est imposé dans la politique étrangère française, en particulier à l’égard de l’« axe chiite » (sous Sarkozy) et de la Russie (sous Hollande). Justifiées par le pilonnage et le siège d’Alep-Est par les forces de Bachar el-Assad et leurs alliés russes, les récentes hésitations et menaces de l’Exécutif français contre Vladimir Poutine en sont un exemple paroxystique, tandis que la France et ses alliés soutiennent clandestinement des rebelles islamistes en Syrie, et qu’ils appuient la « coalition arabe » qui bombarde avec des armes occidentales des milliers de civils yéménites depuis plus d’un an et demi – avec des conséquences humanitaires désastreuses. Cette diplomatie de l’indignation sélective est irrationnelle et contre-productive, pour ne pas dire irresponsable et contraire à nos intérêts nationaux, en ce qu’elle cherche à satisfaire en priorité les objectifs maximalistes de nos alliés pétromonarchiquesisraéliens et américains, en particulier ceux des néoconservateurs. Nous pourrions la qualifier d’« émodiplomatie », une contre-politique étrangère de l’émotionnel qui nie le réel, et dont l’une des principales figures est la députée PS Élisabeth Guigou.

Régis Le Sommier face à Élisabeth Guigou : des vérités dérangeantes pour l’État français

Récemment, dans l’émission Ça vous regarde d’LCP, le grand reporter Régis Le Sommiers’est risqué à évoquer ouvertement la politique clandestine de la France en Syrie, suscitant l’indignation puis le déni de cette influente parlementaire. En effet, le directeur adjoint de Paris Match – qui revient d’Alep-Ouest en rapportant que sa population subit quotidiennement les attaques de l’opposition –, a déclaré durant cette émission avoir « du mal à comprendre avec le gouvernement français [ce que l’on] va chercher comme rebelles [à soutenir]. La plupart des rebelles modérés sont partis avec les Turcs [pour les] aider dans leur offensive contre les Kurdes », soulignant que les combattants retranchés à Alep-Est sont donc « essentiellement des islamistes ». Lorsqu’Élisabeth Guigou confirma ce fait, elle avança que la radicalisation des rebelles était due aux actions militaires du gouvernement syrien et de ses alliés. Régis Le Sommier lui répondit que ces opposants extrémistes étaient financés par « l’argent de l’Arabie saoudite et puis aussi aidés par les Français, quelque part. Voilà. Cette radicalisation, en leur donnant des armes en plus, en leur permettant de mener une lutte jusqu’au bout, on a quand même largement favorisé cette guerre civile syrienne, dont on est [co-]responsable, et dont on paye les conséquences avec le flux de réfugiés aujourd’hui ». Cette prise de position de Régis Le Sommier tranche avec les opinions de la majorité des journalistes français, qui désignent fréquemment Bachar el-Assad et ses alliés comme les principaux responsables du désastre syrien, et qui refoulent l’implication clandestine de l’État français et de ses alliés occidentaux dans ce conflit.

Manifestement indignée par ces propos, Élisabeth Guigou déplora inexplicablement que « l’on saute au Yémen ! » Régis Le Sommier lui répondit qu’il ne parlait pas du conflit yéménite, mais bel et bien de la guerre en Syrie, rappelant que « nos alliés » d’Arabie saoudite avaient « largement mis [leurs] mains dans la guerre civile syrienne en armant les rebelles, c’est une réalité ». Après s’être agacée du fait qu’on lui coupait la parole, Élisabeth Guigou démentit les arguments de Régis Le Sommier, en prétendant que l’État français n’« est pas là à chercher des [rebelles à aider], à soutenir un camp contre l’autre ; on est là à chercher la paix, et chercher la paix, on ne demande qu’une chose, c’est qu’il puisse y avoir à la fois un dialogue, mais un dialogue responsable, et qu’on arrête les bombardements, et qu’on ait un cessez-le-feu, et qu’on aille sortir ces malheureux [civils d’Alep-Est], et qu’on organise des couloirs humanitaires, et évidemment que les discussions (…) doivent aussi avoir lieu avec Monsieur Poutine, mais encore faut-il qu’il soit ouvert à la discussion, et malheureusement, malheureusement, ça ne se passe pas comme ça ».

Derrière le déni de Madame Guigou, le jeu trouble de la France vis-à-vis des rebelles en Syrie

Dans cet argumentaire, Élisabeth Guigou a omis quelques réalités dérangeantes qu’il semble nécessaire de rappeler. Tout d’abord, elle nia le fait que le gouvernement français appuie « un camp contre l’autre » dans le conflit syrien. Pourtant, François Hollande a lui-même reconnu en août 2014 qu’il avait ordonné à ses services d’armer ce qu’il nomma la « rébellion syrienne démocratique », malgré le risque avéré que ces armements tombent dans de mauvaises mains. En décembre 2015, l’auteur de ces lignes avait interrogé le député LR et ancien juge antiterroriste Alain Marsaud sur la politique clandestine de la France en Syrie. Ce dernier avait alors déclaré sans ambages qu’« il n’est pas sérieusement contesté qu’à un moment ou un autre l’État français a facilité les actions d’al-Nosra qui, je vous le rappelle, est une filiale d’al-Qaïda [en Syrie]. J’ai eu l’occasion de montrer à l’Assemblée Nationale des photos de combattants d’al-Nosra en possession de fusils d’assaut français. Il n’y avait bien évidemment aucune volonté du gouvernement français de voir mis en évidence une telle collaboration avec un groupe terroriste. Ainsi fut rejetée toute idée d’enquête parlementaire. » Récemment interrogé sur cette question, le député PS Gérard Bapt me confirma un « soutien clandestin de l’État français en faveur des différentes mouvances islamistes en Syrie, au regard de la porosité et de la proximité entre ces groupes alliés sur le terrain. Or, l’aide française aux rebelles en Syrie, et plus généralement le soutien occidental en leur faveur, se sont poursuivis y compris après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, pourtant revendiqués par al-Qaïda. »

En décembre 2012, le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius relaya les arguments des alliés pétromonarchiques de la France, déclarant que le Front al-Nosra faisait du « bon boulot sur le terrain », alors que le Département d’État plaçait cette milice sur la liste onusienne des organisations terroristes. Cette démarche de la diplomatie américaine était en totale contradiction avec la politique clandestine de la CIA et de ses partenaires occidentaux et proche-orientaux, qui soutenaient depuis janvier 2012 le Front al-Nosra en Syrie, c’est-à-dire bien avant le déclenchement de l’opération Timber Sycamore au printemps 2013. Relayée par le journal Le Monde, cette déclaration stupéfiante du locataire du Quai d’Orsay sur le « bon boulot » de la branche syrienne d’al-Qaïda ne fut pas reprise dans la presse francophone. Elle avait été prononcée par Laurent Fabius alors que l’État Islamique d’Irak (EII), qui allait s’autoproclamer « califat » en juin 2014 après la prise de Mossoul, faisait partie intégrante d’al-Nosra. En avril 2013, cette organisation et l’EII décidèrent de se séparer à l’issue d’une importante rencontre entre commandants jihadistes. L’EII se rebaptisa alors « EIIL » (État Islamique en Irak et au Levant), et absorba la grande majorité des combattants, des armes, des munitions, de la logistique et des centres de commandement du Front al-Nosra dans le Nord de la Syrie. De ce fait, le soutien clandestin d’al-Nosra par les services spéciaux occidentaux et leurs alliés proche-orientaux a favorisé la montée en puissance du futur « État Islamique » dans le conflit syrien – un risque anticipé en 2012 par le Renseignement militaire du Pentagone (DIA).

En mars 2016, le magazine Marianne révéla que la direction de la prospective du Quai d’Orsay avait, dès octobre 2012, alerté le ministre des Affaires étrangères et l’Élysée sur le fait que l’Arabie saoudite et le Qatar finançaient les groupes extrémistes en Syrie – ce qui vient d’être confirmé par des propos d’Hillary Clinton rendus publics par Wikileaks. Dans une note qui fut ignorée par leur hiérarchie, ces experts du Quai d’Orsay soulignèrent que le « piège [venait] du Golfe », et que « nous [risquions] d’y tomber ». Finalement, à partir de 2014, plusieurs députés de l’opposition accusèrent le gouvernement français d’avoir soutenu le Front al-Nosra, rappelant qu’il s’agissait de la branche d’al-Qaïda dans le conflit syrien. Au vu de la gravité de ces allégations, on aurait pu s’attendre à un scandale national. Il n’en fut rien, les médias français n’ayant pas repris ces arguments. Présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale depuis juin 2012, Élisabeth Guigou pouvait-elle ignorer ces politiques clandestines ? Contactée durant l’écriture de cet article, la députée n’a pas répondu à ma sollicitation.

Embargo en Syrie, guerre au Yémen, bataille de Mossoul : le moralisme français n’est pas crédible

Durant ce débat télévisé sur LCP, d’autres vérités dérangeantes ont été passées sous silence par Élisabeth Guigou. Cette dernière, à l’instar du gouvernement français, persiste à nier le réel et à mener une diplomatie moraliste et manichéenne qui met en péril nos relations avec la Russie, un acteur incontournable dans le conflit syrien, un important fournisseur de gaz pour l’Europe et une puissance nucléaire stratégique. Or, ce positionnement irrationnel nécessite d’entretenir l’illusion d’un État français irréprochable, donc de dissimuler le fait que le gouvernement soutient non seulement des islamistes en Syrie – comme nous venons de le rappeler –, mais également une guerre illégale frappant les civils yéménites depuis le printemps 2015, ainsi qu’une véritable guerre économique contre le peuple syrien. En effet, le site TheIntercept.com a récemment dévoilé un rapport interne de l’ONU démontrant que les sanctions unilatérales des pays de l’Union Européenne et des États-Unis contre la Syrie punissent collectivement la population. En effet, ces mesures bloquent ou complexifient l’accès à de nombreux médicaments, au carburant ou à des équipements susceptibles de réparer les infrastructures détruites par la guerre – dont les hôpitaux, les stations d’épuration ou les centrales électriques. Considérant la sévérité de ces sanctions approuvées par l’État français – qui d’après ce rapport perturbent grandement les opérations humanitaires de l’ONU et des ONG dans ce conflit –, les préoccupations du gouvernement vis-à-vis du sort de la population syrienne semblent toutes relatives.

L’implication clandestine de l’armée et des services de renseignement français dans la guerre au Yémen suscite la même impression déplaisante. En effet, comme l’a souligné Régis Soubrouillard en avril 2015, le Pentagone, la Direction du Renseignement Militaire (DRM) et la DGSE aident l’Arabie saoudite à planifier ses bombardements et à sélectionner ses cibles, notamment au moyen de renseignements satellitaires. Citant un article du Canard Enchaîné, mais ne mentionnant pas le rôle des Britanniques dans ce conflit, Régis Soubrouillard a rapporté que « les “militaires américains supervisent cette guerre en tant qu’associés”, (…) les opérations [étant] supervisées par le CENTCOM, qui pilote toutes les opérations américaines dans le Moyen-Orient et en Asie centrale. » Il ajouta que, « selon la lettre Intelligence online, “les services de renseignement français ont ouvert en grand les vannes des transferts de renseignement pour soutenir l’opération ‘Tempête décisive’ au Yémen. La Direction du Renseignement Militaire (DRM) et la DGSE ont ainsi reçu l’ordre express de l’Élysée de soutenir par tous les moyens l’offensive de Riyad contre les rebelles houthis ». La « coalition arabe » est donc une expression qui masque, intentionnellement ou non, le rôle central des gouvernements américain, français et britanniquedans cette guerre aux conséquences humanitaires désastreuses – notamment en termes d’accès à l’eau potable.

En effet, comme l’a rapporté Amnesty International en février dernier, « j’ai été témoin de ce que les Yéménites endurent – voir des corps tirés des décombres à Sanaa ou des restes humains parmi les gravats jonchant le site d’une station d’épuration visée par une frappe aérienne à Hajja [,] ou assister à une réception de mariage qui se transforme en funérailles ». En janvier 2016, l’UNICEF expliquait que « les enfants représentent au moins la moitié des 2,3 millions de personnes déplacées de leur foyer, et au moins la moitié des 19 millions de personnes qui s’efforcent chaque jour de trouver de l’eau potable ; (…) Les services publics de santé, d’eau et d’assainissement ont été décimés et ne peuvent pas répondre aux besoins toujours croissants d’une population désespérée. » Ainsi, des millions de civils yéménites subissent les conséquences des bombardements massifs d’infrastructures civiles par la coalition « arabe ». Ces opérations militaires aggravent le manque chronique d’eau potableau Yémen, ce qui engendre des épidémies de maladies diarrhéiques et de choléra.

Le blocus de la coalition « arabe » et le pilonnage délibéré des fermes et de l’industrie agricole yéménites constituent également un problème majeur dans ce pays, « plus de la moitié des 28 millions de Yéménites [étant] à court de nourriture [, avec] les enfants (…) en première ligne ». Selon l’UNICEF, 3 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire immédiate, et 1,5 million d’enfants souffrent de malnutrition. Avec la reprisedes opérations de la coalition « arabe » en août dernier, il est difficile d’être optimiste sur l’issue d’une guerre totale qui, contrairement au conflit syrien, attire nettement moins l’attention des citoyens et des médias français. Or, selon le spécialiste du Moyen-Orient Mathieu Guidère, « le Yémen est en train de devenir une nouvelle Syrie ». Dans un tel contexte, le quasi-silence du Quai d’Orsay et de l’Élysée sur la guerre au Yémen est compréhensible, la France étant discrètement impliquée dans le soutien de la coalition « arabe » aux côtés de nos alliés américains et britanniques, tout en aidant clandestinement des rebelles islamistes dans le conflit syrien en coordination avec les principaux services secrets occidentaux et proche-orientaux. Parallèlement, la reconquête de Mossoul par les forces locales et les puissances de l’OTAN a été lancée le 16 octobre, l’ONU craignant « une crise humanitaire sans précédent » et de lourdes pertes humaines au sein de la population. Ces risques ne dissuadent aucunement l’État français d’engager notre armée dans ces opérations en Irak, tout en dénonçant des bombardements à Alep-Est qui ont pourtant le même objectif qu’à Mossoul : libérer une grande métropole d’une force d’occupation islamiste.

Face au risque d’escalade militaire globale, la lucidité diplomatique doit s’imposer

La France étant donc loin d’être irréprochable sur la scène internationale, il faudrait abandonner cette « émodiplomatie » qui n’est pas crédible, qui est souvent contraire à nos intérêts nationaux, qui accentue dangereusement les tensions Est-Ouest, et qui ne suffit plus à dissimuler l’engagement inavouable de l’État français dans des guerres par procuration au Yémen et en Syrie. Et si des « bavures » sont perpétrées par la coalition durant la bataille de Mossoul, nos partenaires russes – dont le Président a exhorté les forces occidentales à épargner les civils irakiens –, accuseront à leur tour la France et ses alliés de commettre des crimes de guerre, amplifiant les tensions et les risques d’escalade militaire entre grandes puissances au Proche-Orient, voire au-delà.

Par conséquent, les dirigeants français et européens ne doivent plus céder à la russophobie excessive qui s’est imposée à Washington, et ainsi faire preuve de lucidité diplomatique. Ils devraient donc s’opposer à toutes nouvelles sanctions contre la Russie, et tenter de trouver des solutions constructives avec nos partenaires du Kremlin – comme lors des négociations ayant abouti aux accords de Minsk II. Ne décourageant point les ambitions géopolitiques de Vladimir Poutine, les sanctions frappant l’économie russe depuis 2014 devraient être abandonnées, du moins par l’Union Européenne. Ce revirement diplomatique pourrait enclencher un processus de désescalade, qui semble impératif dans le contexte actuel. En effet, nous observons chaque jour des tensions exacerbées entre la Russie et l’Occident, à tel point que le Financial Times, le Spiegel ou le ministre allemand des Affaires étrangèresnous mettent en garde contre un risque réel de guerre mondiale. Pour ne citer qu’une seule de ces sources, les propos du chef de la diplomatie germanique sont alarmants : « C’est une illusion de croire qu’il s’agit de l’ancienne guerre froide. Les temps actuels sont différents, plus dangereux. (…) Le danger d’une confrontation militaire est considérable. Ce danger n’a jamais été aussi important depuis des décennies, et la confiance entre l’Ouest et l’Est jamais aussi faible ». Lorsque l’on observe la situation géopolitique mondiale, ce constat se traduit dans les faits, et la Russie est en train de préparer activement sa population à cette sinistre éventualité. Est-ce donc le temps du moralisme, des hésitations et des menaces diplomatiques irréalistes ? On peut légitimement en douter.

Maxime Chaix

Source : Blog Mediapart, Maxime Chaix, 26-10-2016

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-lemodiplomatie-francaise-nest-ni-credible-ni-constructive-par-maxime-chaix/


L’Amérique de Trump, par Emmanuel Todd

Friday 28 October 2016 at 00:20

Source : France Culture, Emmanuel Todd, 25-10-2016

La Grande Table reçoit l’historien et démographe Emmanuel Todd pour discuter des présidentielles américaines à travers la figure de Donald Trump.

23 octobre en Floride• Crédits : JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA - AFP

23 octobre en Floride• Crédits : JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA – AFP

“Il y a deux enjeux : une Amérique qui aspire à une sorte de recentrage démocratique et une Amérique de la globalisation qui domine jusque-là.” Emmanuel Todd, La Grande Table

“La source de la montée des inégalités dans le monde occidental vient de cette nouvelle stratification éducative.” Emmanuel Todd, La Grande Table

Source : France Culture, Emmanuel Todd, 25-10-2016

Source: http://www.les-crises.fr/lamerique-de-trump-par-emmanuel-todd/


[Vidéo] Les Funambules de 2016…

Thursday 27 October 2016 at 02:33

Sans commentaire…

pay-price

Source: http://www.les-crises.fr/video-les-funambules-de-2016/


Revue de presse du 27/10/2016

Thursday 27 October 2016 at 02:30

Petite revue de milieu de semaine… Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-27102016/


Visualiser les divergences des valeurs dans l’Union européenne, par Peter Turchin

Thursday 27 October 2016 at 00:30

Source : Cliodynamica, Peter Turchin, le 20/07/2016

Le 20 juillet 2016, par Peter Turchin

Dans mon post du 1er juillet, le Brexit comme destruction créative, j’ai argumenté qu’une des causes principales du dysfonctionnement de l’Europe avait été le choix fait par les élites européennes d’étendre l’Union trop vite, trop loin. Pourquoi je pense que c’était une erreur ?

Comme je l’ai dit à de nombreuses occasions (sur ce blog et dans mes autres écrits), il est difficile de faire coopérer les gens, notamment au sein d’importants groupes sociaux. Une coopération réussie impose que les gens partagent des valeurs et des institutions. Les valeurs nous disent pourquoi nous voulons coopérer : quel bien public voulons-nous créer collectivement ? Les normes et les institutions nous disent comment nous allons organiser cette coopération. Une inadéquation entre les valeurs et les institutions peut condamner tout effort de coopération avant même qu’il ne se mette en place.

De mon point de vue, l’agrandissement de l’Europe à partir des six pays à l’origine (Benelux, France, Allemagne et Italie, que je regrouperai sous la dénomination de “cœur” des nations européennes), pour atteindre actuellement 28 États fut une grosse, une très grosse erreur. Nous pouvons utiliser les données rassemblées par le World Values Survey (WVS) (Étude des Valeurs dans le Monde) pour comprendre l’énormité de l’erreur.

Depuis 1981, le WVS a enregistré des données sur les croyances des populations de nombreux pays. Un résultat intéressant tiré de ces données est que l’essentiel des variantes entre les populations de différents pays peuvent être cartographiées en deux dimensions : 1) les valeurs traditionnelles face aux valeurs laïques et rationnelles, et 2) les valeurs de survie face aux valeurs d’expression individuelle. Quand les valeurs moyennes de chaque pays dans l’échantillon sont placées sur une représentation en deux dimensions autour de ces deux axes, nous obtenons ce qui est connu sous le nom de carte culturelle Inglehart-Welzel. La voici dans sa dernière édition (la sixième) :

cultural_map_wvs6_2015

Inglehart-Wetzel groupe les pays de culture similaire selon : “Europe catholique”, “Europe protestante”, “Anglophones”, etc.

Mais j’ai choisi d’analyser cette cartographie à partir d’un autre point de vue. J’ai donc  mis en légende les pays selon les catégories suivantes :

Le cœur (rouge) : les six pays à l’origine de la Communauté Economique Européenne

UE (marron) : les 22 autres membres de l’Union Européenne

Europe (vert) : deux pays de l’Europe de l’ouest qui ne font pas partie de l’UE

Postulant (jaune) : postulants actuels à l’entrée dans l’UE

Monde (gris) : le reste de la planète (j’ai omis le nom des pays par souci de clarté)

Note : la raison pour laquelle l’Italie a un astérisque est que, pour différentes raisons, les données ne viennent pas de la 6e mais de la 5e édition.

Et voici à quoi cela ressemble…

wvs_seshat

Le tracé est si frappant qu’il n’a pratiquement pas besoin de commentaires, mais analysons-le cependant. Les six pays d’origine (le “cœur” de l’Europe) sont très rapprochés. Il n’y a que deux autres pays qui font partie du même groupe: l’Autriche et la Suisse. De façon remarquable, les espaces géographiques modernes de ces deux ensembles englobent les limites de l’empire carolingien (est-ce le début de la fin de l’Union européenne ?). Il semble que le “fantôme” de l’empire de Charlemagne ait plus d’influence sur les valeurs culturelles d’aujourd’hui que des différences plus récentes comme catholicisme vs protestantisme.

D’autre part, les 28 pays actuels de l’Union européenne ne forment pas du tout un groupe. Au contraire, ils couvrent les trois-quarts des variantes des valeurs mondiales. Seuls les pays africo-islamiques et l’Amérique centrale se retrouvent en dehors de l’ellipse englobant les 28 membres de l’Union européenne.

Avec une telle disparité normative, est-il si surprenant que l’Union européenne, dans sa composition actuelle, soit une organisation en dysfonctionnement ?

Source : Cliodynamica, Peter Turchin, le 20/07/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/visualiser-les-divergences-des-valeurs-dans-lunion-europeenne-par-peter-turchin/


Quand Poutine a tiré Obama de l’embarras, par Ray McGovern

Thursday 27 October 2016 at 00:01

Source : Consortiumnews.com, le 31/08/2016

De 1981 à 1985, Ray McGovern est l’un des officiers de renseignement chargé du briefing quotidien du président américain Ronald Reagan, du vice-président George Bush père, du chef d’état-major interarmes, de membres du gouvernement américain et du Conseil de sécurité nationale américain. Par la suite, il est l’un des analystes principaux chargés de la rédaction du President’s Daily Brief, le rapport quotidien de la CIA au président George H. W. Bush”

Exclusif : Au moment où l’on fait de nouveau pression sur le président Obama pour qu’il attaque la Syrie et qu’on le pousse à engager une nouvelle guerre froide, il est bon de revisiter les événements extraordinaires qui se sont produits il y a trois ans, après une attaque au gaz sarin, nous dit Ray McGovern, ancien analyste de la CIA.

Par Ray McGovern

Il y a trois ans, le président Barack Obama se montrait réticent à lancer une attaque sur la Syrie, attaque censée punir Bachar el-Assad pour avoir franchi « la ligne rouge » en utilisant des armes chimiques. Cependant, il avait des soupçons, ou plutôt il avait l’impression qu’on lui tendait un piège.

Il avait été averti par certains de ses conseillers que les preuves qui imputaient au gouvernement syrien l’attaque au gaz sarin étaient fragiles et il déçut alors, en suspendant l’action, beaucoup des faucons néoconservateurs et libéraux, y compris ceux qui se trouvaient dans son administration. Il passa le problème au Congrès, se garantissant ainsi un délai.

Pendant la crise syrienne, le président Vladimir Poutine de Russie accueille le président Barack Obama lors du Sommet du G20 au Palais Constantinovski à Saint Pétersbourg, le 5 septembre 2013. (Photo officielle de la Maison-Blanche, par Pete Souza)

Pendant la crise syrienne, le président Vladimir Poutine de Russie accueille le président Barack Obama lors du Sommet du G20 au Palais Constantinovski à Saint Pétersbourg, le 5 septembre 2013. (Photo officielle de la Maison-Blanche, par Pete Souza)

C’est précisément à ce moment crucial que le président Poutine relâcha les pressions qui s’exerçaient sur Obama en persuadant le gouvernement syrien de détruire ses armes chimiques, ce que fit Assad, qui continua cependant à nier avoir joué un rôle dans l’attaque de Ghouta, dans la banlieue de Damas, le 21 août 2013.

Les ultras de Washington se sentaient frustrés d’avoir perdu cette occasion d’attaquer la Syrie en se servant de l’attaque de Ghouta comme d’un casus belli. Toutefois, en se penchant sur les éléments de preuve, on était tenté de conclure qu’il s’agissait d’une opération, bien orchestrée, de rebelles syriens sous fausse bannière, visant à trouver un faux prétexte pour une intervention directe des États-Unis dans la guerre de Syrie.

Grâce à l’aide de Poutine, qui réussit à ce qu’Assad remette ses armes chimiques, le président Obama put s’extirper d’une situation difficile où il s’était mis lui-même, sans grande prescience, en parlant d’une façon bravache d’une « ligne rouge ».

Cependant, à Washington, les néoconservateurs courroucés et beaucoup de leurs copains libéraux interventionnistes avaient l’impression qu’on les avait escroqués en les privant de cette quasi-guerre. Après tout, la Syrie était, depuis aussi longtemps que l’Irak, sur la liste des pays dont, selon les néoconservateurs, il fallait « changer le régime ». Et la Syrie aurait dû être le prochain après l’invasion de l’Irak en 2003, si cette aventure menée par les néoconservateurs ne s’était pas révélée aussi désastreuse.

Les néoconservateurs allaient faire payer Poutine pour son ingérence, six mois plus tard, en organisant un putsch antirusse en Ukraine, suivi par des sanctions des États-Unis et de l’Union européenne pour punir la Russie de son « agression ». (Voir, sur Consortiumnews.com, « What Neocons Want From Ukraine Crisis », ou « Ce que les néoconservateurs veulent tirer de la crise ukrainienne ».)

Selon Jeffrey Goldberg, qui a mené une série d’entretiens avec Obama pour un long article dans The Atlantic, le président s’est targué, en évoquant sa décision du 30 août 2013, d’avoir résisté à la pression d’agir militairement, comme le lui recommandaient beaucoup de ses conseillers, et d’avoir, au lieu de cela, refusé de faire « ce qu’on attendait de lui à Washington. »

Goldberg a appelé ce jour « le jour de la libération » d’Obama. Pour le secrétaire d’État John Kerry, cependant, la journée du 30 août s’est terminée par une déception après qu’il eut fait trembler, par ses hurlements, les murs du Département d’État, exigeant que les États-Unis attaquent la Syrie.

Selon Goldberg, Obama avait déjà, en 2009, cédé à des pressions extrémistes en envoyant davantage de troupes en Afghanistan pour une opération inepte de « contre-insurrection » et il n’avait pas envie de « chercher de nouveaux dragons à abattre », dans le seul but de sauvegarder sa « crédibilité ».

Toujours d’après ce journaliste, en privé, le président soutenait que « lancer des bombes sur quelqu’un pour prouver qu’on est prêt à lancer des bombes sur quelqu’un est, je crois bien, la pire raison d’utiliser la force. »

Néanmoins, les néoconservateurs et les faucons libéraux de Washington, tout comme les Saoudiens, les Israéliens et les Français, soutenaient farouchement qu’Obama devait « exercer des représailles », en vertu de la présumée violation de « la ligne rouge » qu’il avait établie, une année auparavant, au sujet de l’emploi, ou simplement du déplacement, par la Syrie de ses armes chimiques.

Selon Goldberg, Kerry a dit à Obama qu’il s’attendait à ce que le président donne l’ordre d’une frappe militaire sur la Syrie le 31 août, le jour qui suivait l’après-midi où le secrétaire d’État avait poussé son cri de guerre [en français dans le texte, NdT] et le soir où le président avait fait volte-face.

Obama flaire un piège

Il a fallu à Obama un courage extraordinaire pour tenir tête à ses conseillers et à pratiquement tout l’establishment de la politique extérieure de Washington en annulant, à la dernière minute, une attaque contre la Syrie.

Le secrétaire d'État John Kerry, le 30 août 2013, prétend avoir la preuve de la responsabilité du gouvernement syrien dans l'attaque aux armes chimiques du 21 août, mais ces preuves n'ont pas été produites ou elles ont été, plus tard, discréditées. (Photo du Département d'État)

Le secrétaire d’État John Kerry, le 30 août 2013, prétend avoir la preuve de la responsabilité du gouvernement syrien dans l’attaque aux armes chimiques du 21 août, mais ces preuves n’ont pas été produites ou elles ont été, plus tard, discréditées. (Photo du Département d’État)

Selon Goldberg, Obama en était « venu à croire qu’il allait tomber dans un piège, piège préparé à la fois par ses alliés et ses adversaires et aussi par ce que l’on s’attendait communément à ce que fasse un président américain. »

Le 30 août, peu après que Kerry eut prononcé, au Département d’État, sa philippique, dans laquelle il fustigeait, pas moins de 35 fois, le gouvernement syrien pour l’attaque chimique de Ghouta, Obama choisit de passer une heure avec son Secrétaire général, Denis McDonough, sur la grande pelouse sud de la Maison-Blanche.

Goldberg nous fait remarquer : « Obama n’a pas choisi McDonough au hasard. C’est son conseiller le plus hostile à une intervention militaire des États-Unis et quelqu’un qui, selon les mots de l’un de ses collègues, “pense en termes de pièges”. »

Ce fut une conversation cruciale. À mon avis, le président avait envie d’écouter et puis de s’affirmer et ce fut là une sorte de répétition générale pour une nouvelle façon de concevoir son rôle, qui permettrait la mise au point d’un traité sur le problème nucléaire avec l’Iran. Il finit par parvenir à mieux contenir Kerry et il lui ordonna de recourir à l’aide de Moscou pour négocier le traité historique de l’an dernier qui restreint la capacité de l’Iran à acquérir l’arme nucléaire.

En cette occasion aussi, Poutine et le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, se montrèrent précieux, et Obama comme Kerry remercièrent la Russie pour son aide dans la conclusion de ce traité de grande importance.

À la fin de septembre 2013, après que les esprits se furent calmés à propos de la souricière syrienne, grâce à l’accord négocié par Poutine pour la destruction des armes chimiques syriennes sur un navire états-unien spécialement configuré à cet effet, il était devenu clair comme de l’eau de roche pour Obama qu’il était passé à un fil d’accepter de débuter, parce que mystifié, une guerre inutile de plus.

Le premier pas vers ce piège, il l’avait fait une année plus tôt, quand il s’était laissé persuader d’établir une ligne rouge à propos de l’usage ou même du déplacement des armes chimiques.

À la fin d’une conférence de presse improvisée le 20 août 2012, Chuck Todd, de NBC, prépara la souricière avec du fromage en posant au président ce qui semblait une question attendue à laquelle ce dernier paraissait prêt à répondre. Todd posa une question en deux parties, la première à propos des impôts de Mitt Romney et la seconde sur les armes chimiques de la Syrie. Obama tourna autour du pot pour la partie syrienne de la question de Todd :

« Je n’ai pas, à ce moment, ordonné d’engagement militaire… Mais ce que vous avez dit à propos des armes chimiques et biologiques est crucial. C’est un problème qui ne concerne pas seulement la Syrie mais aussi nos alliés les plus proches de cette région du monde, y compris Israël. Nous avons été très clairs envers le régime d’Assad, mais aussi envers d’autres acteurs sur le terrain : la ligne rouge sera franchie, pour nous, si nous voyons qu’on déplace beaucoup d’armes chimiques ou qu’on les utilise. Cela changerait mon jugement. Cela changerait mon équation. »

La main d’Hillary Clinton

On peut parier, sans beaucoup de risques de se tromper, que cette réponse avait été soufflée par celle qui était alors secrétaire d’État, Hillary Clinton, et les conseillers néoconservateurs de celle-ci, qui n’avaient pas caché leur détermination à renverser el-Assad d’une façon ou d’une autre. Le compte rendu de la conférence de presse par le Washington Post laisse entendre que les membres de l’administration avaient été pris au dépourvu et essayaient de donner le change.

La secrétaire d'État des États-Unis, Hillary Clinton, rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, à Jérusalem, le 21 novembre 2012. (Photo du Département d'État)

La secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton, rencontre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, à Jérusalem, le 21 novembre 2012. (Photo du Département d’État)

Leon Panetta, qui était alors ministre de la Défense, dit à Jeffrey Goldberg : « Je ne savais pas qu’on allait évoquer [la ligne rouge]. » Goldberg ajoute que le vice-président, Joe Biden, avait conseillé à Obama de ne pas parler de ligne rouge à propos des armes chimiques, craignant qu’on doive, un jour, la traduire dans les faits.

Dix jours avant la conférence de presse improvisée d’Obama, Hillary Clinton rencontra son homologue turc à Istamboul et mit l’accent sur la nécessité de réfléchir conjointement aux façons d’aider les rebelles qui se battaient pour renverser Assad, y compris éventuellement en établissant une zone interdite de survol. Elle annonça la création d’un groupe de travail en Turquie pour répondre à la crise syrienne, selon l’Associated Press. Ce groupe augmenterait l’implication en Syrie des services de renseignement et des armées à la fois des États-Unis et de la Turquie.

« Nous travaillons en étroite coopération dans ce conflit, mais maintenant nous avons besoin de rentrer vraiment dans les détails d’une planification d’opérations. Il faut que nos deux gouvernements comprennent bien cela, » a déclaré Hillary Clinton.

Ce ton d’urgence reflétait la réalité : au début de 2012, en effet, les forces gouvernementales syriennes commençaient à avoir le dessus dans une bonne partie du pays. Le professeur de politique et d’histoire du Moyen-Orient, Jeremy Salt de l’université Bilkent d’Ankara, en Turquie, fit remarquer que l’opposition syrienne avait peu d’espoir d’être efficace sans l’aide de l’Occident.

Il indiqua qu’il n’y avait quasiment plus de rebelles à Damas, qu’il en serait bientôt de même pour Alep, et que les rebelles « battaient en retraite. C’est la raison pour laquelle Hillary Clinton est à Istamboul. Pour poser la question essentielle : “Et ensuite ?” »

L’analyste des affaires étrangères Richard Heydarian présenta la situation de cette manière : « Ce que l’administration Clinton [sic] essaie de faire maintenant, c’est d’essayer de coordonner une sorte de stratégie militaire avec la Turquie et peut-être aussi avec l’aide d’Israël et des pays arabes parce que, selon eux, l’opposition a une chance de tenir bon à Alep. »

Signe des temps. Les faucons de Washington avaient l’impression qu’il fallait faire quelque chose pour ralentir les pertes des rebelles et la Turquie avait très envie d’aider, et ce à un point tel qu’il semble bien qu’elle ait joué un rôle crucial en favorisant et en coordonnant l’attaque de sarin sous fausse bannière à Ghouta, une année plus tard [voir aussi « A call for Proof on Syria Sarin Attack », ou « Où sont les preuves dans l’attaque syrienne au gaz sarin »]

Les preuves rapportées par Seymour Hersh en avril 2014 dans la London Review of Books impliquent le renseignement turc et les rebelles extrémistes syriens, ET NON « le régime syrien ». Comme à son habitude, ce journaliste décortique consciencieusement le récit agréé par l’establishment.

Une attaque au sarin bien utile

Alors, bien sûr, une attaque au gaz sarin a eu lieu à Ghouta, le 21 août 2013, un an et un jour après qu’Obama eut établi sa ligne rouge. L’establishment de Washington et ses agents, les sténographes des médias, ont aussitôt fait porter la responsabilité de cette attaque à Bachar el-Assad, un méchant de pantomime que les médias occidentaux rangent dans la même catégorie que leur bête noire [en français dans le texte, NdT] préférée, Vladimir Poutine.

Le président Bachar el-Assad.

Le président Bachar el-Assad.

Bien sûr, ce n’est pas ce que vous en ont raconté les « médias dominants » qui manient le même genre de « pensée unique » que celle qui dominait avant la désastreuse invasion de l’Irak, mais on pouvait se procurer les preuves à l’époque et les preuves qui se sont accumulées depuis lors ont pointé du doigt les rebelles djihadistes comme les coupables les plus probables de l’attaque au gaz sarin. Les dossiers du renseignement ont montré que les rebelles recevaient des précurseurs de sarin d’Europe via la Turquie et ils « fabriquaient le sarin sur place ».

Même si la plupart des médias états-uniens ont ignoré délibérément cette histoire de l’envers du décor, Hersh signale que des responsables du renseignement anglais se sont empressés de se procurer un échantillon de sarin qui venait de l’attaque du 21 août, l’ont analysé dans leur laboratoire avant de conclure que, NON, ce n’était pas le type de gaz sarin qui se trouvait dans les dépôts de l’armée syrienne.

(Seymour Hersh a une rare et double qualité : c’est un journaliste d’investigation typique, récompensé par le Pulitzer à une époque où les journalistes étaient plus indépendants en Amérique et il est aussi maintenant sur la liste noire des « médias dominants », ces médias qui ont renoncé à l’indépendance en faveur de « l’obtention d’informations » gouvernementales et de carrières lucratives. C’est la raison pour laquelle il doit passer par une revue britannique, la London Review of Books, pour être publié.)

À la fin de 2013, Hersh rapporte que le Front al-Nosra, un groupe djihadiste affilié à al-Qaïda, a appris à fabriquer du gaz sarin et aurait dû être le suspect numéro un. Cependant, l’ambassadrice aux Nations Unies et l’une des plus farouches partisanes des guerres « humanitaires », Samantha Power, a dit le contraire aux médias. Après tout, faire porter la responsabilité de l’attaque au gaz sarin à Assad, c’était exactement ce dont elle et les autres faucons avaient besoin pour pousser le président à une grande attaque punitive contre la Syrie.

Selon Hersh, les analystes du renseignement étaient si bouleversés de voir « l’administration choisir ce qui lui convient dans ce que lui donne le renseignement » pour « justifier » une attaque contre Assad qu’ils « levaient les mains au ciel en s’exclamant : “Comment pouvons-nous aider ce type [Obama] quand lui et ses copains de la Maison-Blanche fabriquent du renseignement comme ils veulent ?” »

En décembre 2013, Hersh se demande si « nous avons le récit entier de la façon dont Obama a souhaité renoncer à sa menace “ligne rouge” de bombarder la Syrie… Peut-être qu’à un certain moment, il s’est trouvé en face d’informations contradictoires : des preuves assez fortes pour le persuader d’annuler son plan d’attaque même s’il devait essuyer les critiques que les Républicains n’allaient pas manquer de lui faire. »

Nous, les professionnels vétérans du renseignement pour la santé mentale (VIPS), nous avons essayé d’avertir Obama peu après l’attaque au gaz sarin. Nous avons cependant peu de raisons de croire que les notes que nous faisons parvenir au président figurent en première place sur sa liste de choses à lire.

Il est plus vraisemblable qu’Obama ait changé d’avis quand, quelques jours avant le 30 août 2013, il a reçu la visite de James Clapper, le directeur du renseignement national. Selon Goldberg, Clapper a interrompu le briefing du matin pour « indiquer clairement que les preuves sur l’emploi par la Syrie du gaz sarin étaient solides, certes, mais que ce n’était pas “gagné d’avance”. »

« Il avait choisi le terme soigneusement. Clapper, le chef d’une communauté du renseignement traumatisée par ses échecs dans la période précédant la guerre d’Irak, ne voulait pas trop promettre comme l’avait fait l’ancien directeur de la CIA George Tenet, qui avait garanti à George W. Bush que c’était “gagné d’avance” » au sujet des armes irakiennes de destruction massive qui n’existaient pas.

Ou qui sait ? Nous devons peut-être accepter que quelqu’un d’autre dans l’entourage du président lui ait dit la vérité.

Punir Poutine

Quant au président russe Vladimir Poutine, il a eu le culot de penser que l’aide fournie par Moscou à la Syrie rendrait peut-être les États-Unis plus coopératifs, et qu’on pouvait espérer sans doute cultiver de saines relations bilatérales fondées sur un intérêt et un respect réciproques. Il est même allé jusqu’à laisser entendre que Washington peut-être songerait à abandonner l’idée que les États-Unis sont plus égaux, si l’on peut dire, que les autres pays.

Le secrétaire d'État états-unien John Kerry, avec, à ses côtés, la secrétaire d'État adjointe pour les affaires européennes et eurasiennes, Victoria « Toria » Nuland, s'adresse au président Poutine dans une salle de réunion du Kremlin à Moscou, au début d'une rencontre bilatérale le 14 juillet 2016. (Photo du Département d'État)

Le secrétaire d’État états-unien John Kerry, avec, à ses côtés, la secrétaire d’État adjointe pour les affaires européennes et eurasiennes, Victoria « Toria » Nuland, s’adresse au président Poutine dans une salle de réunion du Kremlin à Moscou, au début d’une rencontre bilatérale le 14 juillet 2016. (Photo du Département d’État)

Poutine, qui s’était peut-être un peu bercé d’illusions après avoir aidé Obama à éviter une guerre inutile en Syrie, a publié un article très inhabituel dans le New York Times, le 11 septembre 2013, article dont il aurait écrit lui-même le dernier paragraphe que nous allons donc citer ici en entier.

« Ma relation tant professionnelle que personnelle avec le président Obama est empreinte d’une confiance grandissante, ce dont je me félicite. J’ai étudié soigneusement son discours à la nation, jeudi dernier. Et je voudrais exprimer un certain désaccord avec ce qu’il a dit du caractère exceptionnel de l’Amérique, en déclarant que c’est sa politique “qui rend l’Amérique différente. C’est ce qui nous rend exceptionnels.” Il est très dangereux d’encourager les gens à se considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation. Il y a de grands pays et de petits pays, des pays riches et des pays pauvres, des pays qui ont de longues traditions démocratiques et ceux qui cherchent encore leur voie vers la démocratie. Les politiques sont différentes aussi. Nous sommes tous différents, mais quand nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux. »

Alors, si vous vous demandez toujours pourquoi les néoconservateurs et leurs complices, les médias dominants, ont fait de Poutine le diable incarné, pensez au péché qu’il a commis en retirant les marrons du feu d’Obama en septembre 2013 quand la guerre avec la Syrie était si proche. Les néoconservateurs ont voulu faire payer Poutine, en accélérant les plans d’un coup d’État en Ukraine six mois plus tard, le 22 février 2014, alors que le président russe concentrait son attention sur les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, craignant un attentat terroriste.

En plus d’un demi-siècle comme observateur de la politique étrangère des administrations présidentielles états-uniennes, je n’ai jamais vu une suite d’événements aussi bizarre.

[Je donne plus de détails dans le commentaire fait lors de l’imbroglio de l’automne 2013 sur la Syrie dans une vidéo de 30 minutes.]

Source : Consortiumnews.com, le 31/08/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/quand-poutine-a-tire-obama-de-lembarras-par-ray-mcgovern/


[Fantastique] France, terrorisme et diplomatie en carton, par Pierre Conesa

Wednesday 26 October 2016 at 01:54

Une fantastique interview de Pierre Conesa, par notre partenaire Thinkerview…

Pour mémoire Pierre Conesa est agrégé d’histoire et ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA – comme quoi, le tout est de repérer ceux qui ne choisissent ni politique, ni finance…), Pierre Conesa est ensuite haut fonctionnaire du ministère de la Défense, où il a notamment été directeur adjoint de la délégation des Affaires stratégiques jusqu’à sa retraite en 2012. Il vient de publier Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite.

Édifiant (même si je ne partage pas quelques petits points…).

Source : Youtube, Thinkerview, 25-10-2016

ft

Interview de Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense.
Vidéo enregistrée le 7 octobre 2016.

SUJETS :
Arabie Saoudite, Qatar, Quai d’Orsay, Diplomatie, Droit de l’homme, Salafisme, Terrorisme, Attentats, Schizophrénie diplomatique, OTAN, Irak, Yémen, flux de migrants, Syrie, Alep, Russie, Djihad, Afghanistan, Iran, UK, USA, Etat d’urgence, renseignement de terrain.

Source : Youtube, Thinkerview, 25-10-2016

Source: http://www.les-crises.fr/fantastique-france-terrorisme-et-diplomatie-en-carton-par-pierre-conessa/


[Thug Life] Thinkerview chez les Ambassadeurs

Wednesday 26 October 2016 at 01:30

En bonus, Thinkerview était à la journée des ambassadeurs le 30/08/2016 :

Ce sont bien des ambassadeurs autour de la table… 300 000 vues sur Facebook.

Ah, ça change quand ce n’est pas un journaliste chien de garde qui pose les questions…

Et un Thug Life… ben c’est ça justement… 🙂

arabie

Source: http://www.les-crises.fr/thug-life-thinkerview-chez-les-ambassadeurs/


Seymour Hersh balance tout sur la corruption liée aux pétrodollars saoudiens

Wednesday 26 October 2016 at 00:59

Source : AlterNet, le 20/04/2016

Une interview à grand angle lié à son nouveau livre, “L’assassinat d’Oussama ben Laden”.

Par Ken Klippenstein / AlterNet | 20 avril 2016

64633778_2392ef36c0_z

Seymour Hersh est un journaliste d’investigation qui a reçu de nombreuses récompenses pour son travail, notamment le prix Pulitzer pour son article révélant le massacre de My Lai par l’armée américaine au Vietnam. Plus récemment il a révélé les abus du gouvernement américain sur les détenus de la prison d’Abu Ghraib.

Le nouveau livre de Seymour Hersh, “L’assassinat d’Oussama ben Laden“, corrige la version officielle de la guerre contre le terrorisme. Utilisant des témoignages de plusieurs militaires haut-placés, Hersh conteste un certain nombre de récits communément admis : que le président de Syrie Bashar al-Assad était responsable des attaques au gaz sarin dans la Ghouta ; que le gouvernement pakistanais ne savait pas que ben Laden était dans leur pays ; que feu l’ambassadeur J. Christopher Stevens était au consulat américain de Benghazi uniquement dans une fonction diplomatique ; et qu’Assad ne voulait pas abandonner ses armes chimiques jusqu’à ce que les États-Unis le lui demandent.

Ken Klippenstein : Dans votre livre, vous décrivez le soutien financier saoudien pour la résidence dans laquelle Oussama ben Laden était détenu. S’agissait-il de membres du gouvernement saoudien, de particuliers ou les deux ?

Seymour Hersh : Les Saoudiens ont soudoyé les Pakistanais pour qu’ils ne nous révèlent pas qu’ils avaient Ben Laden, parce qu’ils ne voulaient pas que nous l’interrogions (c’est mon avis), parce qu’il nous aurait très probablement parlé. Mon avis est que nous ne savons pas grand-chose à propos du 11-Septembre. Nous ne savons rien. Nous ne savons pas qui a fait quoi.

KK : Donc vous ne savez pas si le prix du silence a été payé par le gouvernement saoudien ou bien par des particuliers ?

SH : L’argent provient du gouvernement… ce que les Saoudiens faisaient, m’a-t-on dit, de la part de gens raisonnables (je ne l’ai pas écrit), est qu’ils donnaient des tankers de pétrole aux Pakistanais pour qu’ils les revendent. Ça fait beaucoup d’argent.

KK : Pour la résidence de ben Laden ?

SH : Oui, en l’échange de leur discrétion. Les Pakistanais ont traditionnellement travaillé dans le domaine de la sécurité pour l’Arabie saoudite et pour les Emirats Arabes Unis.

KK : Avez-vous une estimation du montant que l’Arabie saoudite a donné au Pakistan pour qu’ils se taisent ?

SH : On m’a communiqué certains chiffres, mais je n’ai pas enquêté moi-même, donc je ne fais que transmettre. Je sais que c’est beaucoup – on parle sur quatre à cinq ans – de centaines de millions de dollars. Mais je n’ai pas grand-chose à vous dire sur le sujet.

KK : Vous citez un responsable américain à la retraite disant que tuer ben Laden était “clairement et sans aucun doute un meurtre prémédité” et un ancien commandant des SEAL disant “Nous savons que, suivant la loi, ce que nous faisons au Pakistan est de l’assassinat.”

Pensez-vous que Ben Laden a été privé d’un procès en bonne et due forme ?

SH : [Rires] C’était un prisonnier de guerre ! Les SEAL n’étaient pas fiers de cette mission, ils étaient furieux que cela soit révélé au grand jour… Je sais ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont pensé et comment ils ont été débriefés, je vais vous dire. Ils étaient mécontents qu’on y prête attention, parce qu’ils y sont allés et que c’était juste un assassinat.

Regardez, ils l’ont fait auparavant. Nous faisons des assassinats ciblés. C’est ce que nous faisons. Ils ont compris, les SEAL, que s’ils étaient capturés par la police pakistanaise, ils auraient pu être jugés pour meurtre. Ils comprenaient cela.

KK : Pourquoi n’ont-ils pas arrêté ben Laden ? Pouvez-vous imaginer la masse de renseignement que nous aurions pu obtenir de lui ?

SH : Le haut commandement pakistanais a dit d’aller le tuer, mais bon dieu, de ne pas laisser de corps, de ne pas l’arrêter, juste de leur raconter une semaine plus tard qu’ils l’avaient tué dans l’Hindu Kush. C’était ça le plan.

Plusieurs régions, en particulier dans celles où l’on parle Urdu, étaient vraiment très favorables à Ben Laden. Un pourcentage significatif de ces régions le soutenait. Le gouvernement pakistanais aurait été dans le pétrin si les gens savaient qu’ils nous avaient aidés à le liquider.

KK : Comment les relations États-Unis-Pakistan ont-elles été affectées quand, comme vous en faites part dans votre livre, Obama a rompu sa promesse de ne pas mentionner la coopération pakistanaise dans l’assassinat de Ben Laden ?

SH : Nous avons passé beaucoup de temps avec les généraux pakistanais Pasha et Kayani, le chef des armées et des services de renseignement. Pourquoi ? Pourquoi sommes-nous si inquiets au sujet du Pakistan ? Parce qu’ils ont l’arme nucléaire… à peu près une centaine, peut-être plus. Et nous voulons croire qu’ils vont partager avec nous ce qu’ils savent et ne vont pas le cacher.

Nous ne savons pas tout ce que nous pensons savoir, et ils ne nous disent pas tout… donc quand Obama fait ça, il joue réellement un jeu dangereux avec le diable.

… Ben Laden avait plusieurs épouses et des enfants là-bas. Avons-nous été leur parler ? Non. On ne l’a pas fait. Pensez juste un moment à ce que nous n’avons pas fait. Nous n’avons parlé à aucune de ses épouses, nous n’avons pas fait beaucoup d’interrogations, nous avons juste laissé tomber.

Il y a des gens qui en savent beaucoup sur le sujet, et je souhaite qu’ils puissent parler, mais ils ne le feront pas.

KK : Vous écrivez qu’Obama a autorisé une opération dans laquelle la CIA faisait passer des armes de Lybie en Syrie et elles sont tombées dans les mains de djihadistes. [D’après Hersh, cette opération était coordonnée par le consulat américain de Benghazi où l’ambassadeur Stevens a été tué.] Quel était le rôle de la secrétaire d’État Hillary Clinton là-dedans, étant donné son rôle important en Lybie ?

SH : La seule chose que l’on sait est qu’elle était très proche de Petraeus, le directeur de la CIA à l’époque… Elle était au courant, elle savait quand il y avait des missions secrètes… Cet ambassadeur, qui a été tué, était connu comme un type, d’après ce que j’ai compris, comme quelqu’un qui ne se serait pas mis en travers de la CIA. Comme je l’ai écrit, le jour où il était à l’ambassade, il a rencontré le chef de poste de la CIA et une compagnie maritime. Il était très certainement impliqué, et comprenait tout ce qui se passait. Et il est impossible que quelqu’un, à un tel poste, ne parle pas avec son patron, par quelque canal que ce soit.

KK : Dans le livre, vous citez un ancien responsable des services de renseignement affirmant que la Maison-Blanche a refusé une liste de 35 objectifs fournie par le commandement interarmées car jugés trop indolores pour le régime d’Assad. (Vous remarquez que les objectifs initiaux étaient uniquement militaires, sans aucun objectif civil.) Plus tard, la Maison-Blanche a proposé une liste d’objectifs comprenant des cibles civiles.

Quel aurait été le bilan humain si les frappes proposées par la Maison-Blanche avaient été réalisées ?

SH : Pensez-vous que cela fasse même l’objet d’une discussion ? Vous savez qui est le plus sain d’esprit à ce sujet : Dan Ellsberg. Quand j’ai rencontré Dan la première fois, c’était au tout début de la guerre du Vietnam en 1970-71. Je pense que je l’ai rencontré avant que les révélations des Pentagon Papers soient faites. Je me souviens qu’il me racontait avoir posé cette question au cours d’une réunion de préparation de la guerre (au sujet des cibles des B-52) et personne ne l’a même regardé.

Vous n’obtenez pas un vrai regard objectif. Vous pouvez voir un film dans lequel ils semblent le faire, mais ce n’est pas comme cela en réalité.

Je ne sais pas (à propos de la Syrie) s’ils ont considéré des dommages collatéraux et les pertes civiles, mais je sais que dans les guerres passées, cela n’a jamais été réellement un gros problème… On parle du pays qui a lancé la seconde bombe nucléaire sur Nagasaki.

KK : Dans un entretien récent avec l’Atlantic, Obama caractérise sa politique étrangère comme : “Ne pas faire de choses idiotes.”

SH : J’ai lu l’article de Jeff Goldberg… et cela m’a rendu fou, mais c’est un autre sujet.

KK : Comme vous le faites remarquer dans votre livre, Obama au départ voulait destituer Assad, n’est-ce pas la définition de l’idiotie ? L’absence d’autorité qui en découlerait mettrait la Syrie à la merci de tout un tas de groupes de djihadistes.

SH : Dieu sait que je ne peux pas vous dire pourquoi untel fait quelque chose. Je ne suis pas dans leur tête. Je peux vous dire que la même question a été posée par le porte-parole du commandement interarmées – Dempsey – c’est la raison pour laquelle j’ai pu écrire sur leurs agissement, de façon indirecte, dans le dos d’Obama parce que personne n’arrive à comprendre pourquoi.

Je ne sais pas pourquoi nous persistons à vivre la Guerre froide, mais nous persistons. La Russie a fait un très bon travail. Ils ont non seulement bombardé de façon plus efficace que la nôtre, je pense que c’est honnête de le dire. La Russie a aussi fait des choses de façon plus subtile et plus intéressante : ils ont modernisé l’armée syrienne. Ils ont retiré du front des unités importantes de l’armée syrienne, leur ont donné ” repos et récupération” (R&R, rest and relaxation) et les ont ré-équipées. Leurs ont donné de nouvelles armes, les ont fait se reposer quelques semaines, et quand elles sont revenues, ils les ont de nouveau entraînées, c’était devenu une bien meilleure armée.

Je pense qu’au début, nous voulions nous débarrasser de Bashar, c’est indéniable. Je pense qu’ils ont mal analysé la résistance dans son ensemble. Wikileaks est bon sur ce sujet… Il y a assez de documents du Département d’État, à partir de 2003 et après, nous avions une politique pas très subtile, pas violente mais des millions de dollars sont allés à des membres de l’opposition. Nous n’étions certainement pas un gouvernement étranger neutre à l’intérieur de la Syrie.

Notre politique a toujours été contre Bashar al-Assad. Point à la ligne.

Un aspect que l’on croise dans les histoires récentes au sujet de tous les problèmes que nous avons avec l’EI, qui supposément organise tous ces groupes terroristes à Bruxelles ou dans la banlieue de Paris… C’est limpide, de façon ironique, qu’une des choses que la France et la Belgique ont réalisée (et plein d’autres) juste après que la guerre civile ait éclaté en Syrie, si vous vouliez aller vous battre là-bas en 2011-2013, “Allez-y, allez-y, allez-y… renversez Bashar !”

Donc ils ont poussé beaucoup de gens à y aller. Je ne pense pas qu’ils les payaient, mais ils leur fournissaient des visas. Et donc, ils y allaient pour quatre ou cinq mois, ils revenaient, tombaient dans le crime organisé, allaient en prison, et ensuite, vous le savez, c’est qu’ils tuaient des gens. Il y a un vrai modèle, là.

Je me souviens quand la guerre a commencé en 2003, notre guerre contre Bagdad, j’étais à Damas travaillant pour le New Yorker alors, et j’ai vu Bashar, et une des choses qu’il m’a dites : “Regardez, j’ai tout un tas de gamins radicalisés et ils veulent se battre, s’ils veulent quitter la mosquée ici à Damas et aller se battre à Bagdad, nous avons dit d’accord ! Nous leur avons même fourni des bus !”

Donc il y a toujours eu un formidable, Pourquoi l’Amérique fait ce qu’elle fait ? Pourquoi ne dit-on pas aux Russes : Travaillons ensemble ?

KK : Alors pourquoi ne travaillons-nous pas plus étroitement avec la Russie ? Cela serait plus rationnel.

SH : Je ne sais pas. Pourquoi la première porte à laquelle nous avons frappé après le 11-Septembre ne fut pas celle de la Russie ? Ils venaient juste d’avoir un terrible conflit de 10 ans en Tchétchénie. Croyez-moi, l’influence tchétchène dans le monde sunnite au sujet du djihadisme est forte. Par exemple, des amis du milieu de l’espionnage m’ont dit qu’Al-Baghdadi (qui dirige l’EI) est entouré d’une multitude de gars ayant de l’expérience en Tchétchénie. Beaucoup de gens dans cette opération en ont.

Donc qui s’y connait le plus en djihadisme ? Vous regardez cela d’un point de vue russe. Nous ne regardons jamais les choses d’un point de vue extérieur.

KK : Dans votre livre, vous citez un conseiller du conseil interarmées précisant que Brennan a dit aux Saoudiens d’arrêter d’armer les rebelles extrémistes en Syrie et ils n’auront plus d’armes sous peu – ce qui semble une demande raisonnable – mais alors, comme vous l’indiquez, les Saoudiens ont augmenté leur soutien en armes.

SH : C’est vrai.

KK : Les États-Unis font-ils quelque chose pour punir les Saoudiens à ce sujet ?

SH : Non, rien, bien entendu. Je vais vous dire ce qui se passe actuellement… al-Nosra, un groupe djihadiste sans aucun doute… dispose de nouvelles armes. Ils ont des chars maintenant – je pense que les Saoudiens leur fournit le matériel. Ils ont des chars, beaucoup d’armes et ils organisent certaines opérations autour d’Alep. Il y a un cessez-le-feu, et bien qu’ils n’en soient pas partie prenante, ils utilisent à leur avantage le cessez-le-feu pour se réapprovisionner. Ca va être sanglant.

KK : Juste pour être clair, les États-Unis n’ont rien fait pour punir ou au moins décourager les Saoudiens d’armer nos ennemis en Syrie ?

SH : Tout le contraire. Les Saoudiens, le Qatar et les Turcs ont financé ces armes [envoyées aux djihadistes Syriens].

Vous posez les bonnes questions. Dit-on quoique ce soit ? Non. La Turquie d’Erdogan a joué un double jeu absolu : pendant des années, elle a soutenu et a accueilli l’EI. La frontière était grande ouverte. Dans la province d’Hatay, des gars faisaient des allers-retours, des méchants gars. Nous savons qu’Erdogan est très impliqué. Il change un peu sa chanson, mais il est très impliqué là-dedans.

Laissez-moi vous raconter à propos de l’histoire du gaz sarin [l’attaque au gaz sarin dans le Ghouta, une banlieue proche de Damas, que le gouvernement américain a attribué au gouvernement syrien] parce que c’est un poids sur mon estomac. Dans cet article qui était une longue série d’interviews d’Obama par Jeff Goldberg… il dit, sans citer de sources (vous êtes contraint de supposer que c’est le président parce qu’il lui parle en permanence) que le chef du comité national de renseignement, le général James Clapper, lui a dit très tôt après que cet incident ait eu lieu, “Hey, ce n’est pas un tir au but.”

Vous devez comprendre que dans le milieu du renseignement – Tenet [le directeur de la CIA à l’époque de Bush, qui a dit de façon infâme que les armes de destruction massive en Irak c’était un “tir au but”] est celui qui a dit cela à propos de la guerre à Bagdad – c’est un sérieux commentaire. Cela veut dire que vous avez un souci avec le renseignement. Comme vous le savez, j’ai écrit un article qui dit que le président du comité interarmées a relaté cette information au président le jour-même. J’en sais plus à ce sujet maintenant.

L’explication du président pour [ne pas bombarder la Syrie] était que les Syriens avaient accepté cette nuit-là, plutôt que d’être bombardés, de remettre leur arsenal d’armes chimiques, ce que les Syriens n’avaient jamais divulgué auparavant, d’après ce que dit Goldberg dans cet article de l’Atlantic. C’est ridicule. Lavrov [ministre des Affaires étrangères de la Russie] et Kerry ont parlé pendant un an de se débarrasser de l’arsenal parce qu’il était menacé par les rebelles.

Le problème n’est pas que les Syriens aient pris subitement peur. [Avant l’attaque de la Ghouta], il y avait un sommet du G20 et Poutine et Bashar s’étaient rencontrés pendant une heure. Il y a eu un briefing officiel de Ben Rhodes et il a dit qu’ils avaient discuté au sujet des armes chimiques et de ce qu’il fallait faire. Le problème est que Bashar ne pouvait pas payer pour cela, ça coûte des milliards de dollars. Les Russes ont dit “Hey, nous ne pouvons pas tout payer. Les prix du pétrole sont en baisse et nous sommes touchés au porte-monnaie.” Et donc, pour finir nous avons accepté de nous en occuper. Nous avons pris en charge une grande partie des coûts.

Devinez quoi ? Nous avions un navire, il était appelé “The Cape Maid”, il était amarré quelque part en Méditerranée. Les Syriens nous laissaient détruire toutes ces armes chimiques… Il y en a eu 1308 tonnes de convoyées vers le port, et devinez quoi, nous avions une unité de science médico-légale là-bas. N’aurions-nous pas aimé vraiment le prouver ? Nous avions là tout son gaz sarin et nous avions le gaz sarin à l’origine de ce qui s’était passé dans le Ghouta, l’ONU avait une équipe là-bas et avait des échantillons – et devinez quoi ?

Cela ne correspondait pas. Mais ce n’est pas ce que l’on a entendu, je vais beaucoup écrire à ce sujet.

Devinez quoi d’autre, nous avons appris grâce à notre équipe de science médico-légale (nous avions tous les missiles de son arsenal). Rien dans son arsenal n’était proche de près ou de loin avec ce qui était tombé dans le Ghouta. Un paquet de gens que je connais, personne ne fera de déclaration officielle, mais les gens savent que nous n’avons pas pu trouver de lien, il n’y avait pas de lien entre ce que Bashar nous avait fourni et ce qui avait été utilisé dans le Ghouta. A mon avis, c’est intéressant. Cela ne prouve rien, mais cela ouvre la porte à une enquête et un questionnement ultérieur.

Source : AlterNet, le 20/04/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/seymour-hersh-balance-tout-sur-la-corruption-liee-aux-petrodollars-saoudiens/