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La guerre saoudienne pour l’oléoduc du Yémen renforce al-Qaïda, par Nafeez Ahmed

Tuesday 1 March 2016 at 00:01

Source : Middle East Eye, le 10/02/2016

A Yemeni man poses with a national flag at a sports hall that was partially destroyed by Saudi-led air strikes in the Yemeni capital Sanaa on January 19, 2016. / AFP / MOHAMMED HUWAIS

Nafeez Ahmed

Mercredi 10 février 2016

Un câble secret et un représentant du gouvernement néerlandais confirment que la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen est en partie motivée par l’illusion ambitieuse américaine d’un pipeline

Presque 3 000 civils ont été massacrés et un million déplacés lors d’un noble bombardement aérien saoudien au Yémen, couvert par les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Plus de 14 millions de Yéménites font face à une insécurité alimentaire, un bond de 12% depuis juin 2015. Ce nombre inclut trois millions d’enfants souffrant de malnutrition. Dans tout le pays il y a environ 20 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable.

Les forces aériennes saoudiennes ont systématiquement bombardé des infrastructures civiles en violation flagrante des règles humanitaires internationales. La fuite d’un rapport officiel de l’ONU, destiné au Conseil de Sécurité, nous apprend que les Saoudiens “ont mené des frappes aériennes visant civils et bâtiments publics… y compris des camps de réfugiés et de déplacés, des rassemblements tels que des mariages ; des véhicules, bus, zones résidentielles, services médicaux, écoles, mosquées, marchés, usines, entrepôts alimentaires et autres infrastructures civiles, dont l’aéroport de Sanaa, le port de Al Hudaydah et les axes routiers.”

Des bombes à fragmentation de fabrication américaine ont été lâchées sur des zones résidentielles – un acte dont le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a timidement admis qu’il “pourrait être assimilé à un crime de guerre.”

En d’autres mots, l’Arabie saoudite est un État voyou. Mais comprenez bien, l’Arabie saoudite est notre État voyou.

Les gouvernements américain et britannique qui fournissent à l’Arabie saoudite des armes destinées à être déversées sur des civils yéménites font semblant de ne pas être impliqués dans la guerre, de ne pas être responsables des crimes de guerre de notre allié-voyou.

Un porte-parole du ministère de la Défense britannique a insisté sur le fait que les forces engagées “ne dispensaient que des conseils techniques. Le personnel militaire britannique n’est pas directement impliqué dans les opérations menées par la coalition sous commandement saoudien.”

Mais ce sont des paroles en l’air, étant donné la récente révélation du ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, selon laquelle des militaires britanniques et américains travaillent “dans le centre de contrôle et de commandement pour les frappes aériennes saoudiennes au Yémen.”

Vraisemblablement les contribuables ne les paient pas à boire du thé toute la journée.

Non – nous les payons pour superviser la guerre aérienne. Selon le ministre des Affaires étrangères saoudien : “Nous avons des officiers britanniques et des officiers américains et des officiers d’autres pays dans notre centre de contrôle et de commandement. Ils connaissent la liste des cibles et ont une idée de ce que nous faisons ou ne faisons pas.”

Les officiers américains et britanniques ont “été en mesure d’examiner cette campagne aérienne et ont été satisfaits par ses garanties.”

De retour en avril 2015, les responsables américains étaient beaucoup plus francs à propos de cet arrangement. Le Secrétaire d’État adjoint américain Antony J. Blinken a dit lors d’une conférence de presse à Riyad que les États-Unis avaient augmenté le partage d’informations avec les Saoudiens via “une cellule conjointe de coordination” impliquant une sélection de cibles.

En tout état de cause, les dirigeants civilisés du monde libre ont une vue d’ensemble privilégiée des crimes de guerre systémiques de l’armée saoudienne au Yémen – et il semble qu’ils approuvent.

Guerre sectaire ?

Les objectifs de la coalition menée par les Saoudiens sont obscurs.

Il est largement reconnu que la guerre a principalement des dynamiques géopolitiques et sectaires. Les Saoudiens craignent que la montée des Houthis indique l’influence grandissante de l’Iran au Yémen.

Avec l’Iran actif en Syrie, en Irak et au Liban, l’Arabie saoudite voit la rébellion houthi comme une autre composante de cette stratégie d’encerclement de forces mandatées par l’Iran. Cette situation est aggravée par l’accord sur le nucléaire iranien soutenu par les É-U, accord qui ouvre la voie à l’intégration de l’Iran aux marchés mondiaux, l’ouverture de ses secteurs pétroliers et gaziers sous-développés, et sa consolidation en tant que puissance régionale.

Mais ce récit ne reflète que partiellement la situation. Quoique les contacts de l’Iran avec les Houthis sont incontestables, avant la campagne aérienne saoudienne, les Houthis ont acquis la plupart de leurs armes de deux sources : le marché noir et l’ex-président Ali Abdullah Saleh.

Les officiers de renseignement américains confirment que l’Iran a explicitement averti les Houthis de ne pas attaquer la capitale du Yémen l’année dernière. “Notre évaluation demeure que l’Iran n’exerce pas de commandement ou de contrôle sur les Houthis au Yémen,” a dit Bernadette Meehan, la porte-parole du Conseil National de Sécurité de la Maison-Blanche.

Selon l’ancien envoyé spécial des Nations-Unis au Yémen, Jamal Benomar, les frappes aériennes saoudiennes sabotent l’accord de paix imminent qui aurait conduit à une entente pour le partage de pouvoir entre les 12 groupes tribaux et politiques rivaux.

“Lorsque cette campagne a commencé, un élément important, mais passé inaperçu, est que les Yéménites étaient près de conclure un accord qui aurait institué un partage de pouvoir entre toutes les parties, y compris les Houthis,” a dit Benomar au Wall Street Journal.

Il n’était pas question alors de l’Iran. Les Saoudiens, et semble-t-il les Américains et les Britanniques, ne voulaient pas voir une véritable transition vers un Yémen démocratique.

En effet, les États-Unis sont ouvertement opposés à la démocratisation de la région du Golfe en son entier, déterminés à stabiliser le flux de pétrole du Golfe sur les marchés mondiaux.

En mars 2015, le consultant Anthony Cordesman, spécialiste de l’armée américaine et de l’OTAN du Centre d’études stratégiques et internationales basé à Washington, expliquait que : “le Yémen a une importance stratégique pour les États-Unis, comme l’est la stabilité de l’Arabie saoudite pour tous les pays du Golfe. En dépit de tous les discours sur “l’indépendance” énergétique américaine, la réalité reste bien différente. L’augmentation des carburants dérivés du pétrole et alternatifs en dehors du Golfe n’a pas modifié son importance stratégique pour l’économie américaine et mondiale… Le Yémen n’a pas la même importance stratégique que le Golfe, mais il est toujours d’une grande importance pour la stabilité de l’Arabie saoudite et de la péninsule arabique.”

En d’autres termes, la guerre au Yémen a pour objectif de protéger pour l’Occident son principal État voyou du Golfe, pour que le pétrole continue de couler à flots. Cordesman continue en notant : “Le territoire du Yémen et ses îles joue un rôle crucial dans la sécurité d’un autre point de passage obligé à l’extrémité du sud-est de la mer rouge appelé le Bab el-Mandab ou porte des lamentations.”

Le détroit de Bab el-Mandeb est “un passage obligé entre la corne de l’Afrique et le Moyen-Orient, et c’est une connexion stratégique entre la mer méditerranée et l’océan Indien,” transportant plus d’exportations du golfe Persique que le canal de Suez et l’oléoduc Suez-Méditerranée (SUMED).

“Toute présence maritime ou aérienne hostile au Yémen pourrait menacer l’ensemble du trafic par le canal de Suez,” ajoute Cordesman, “de même qu’un débit journalier de pétrole et produits pétroliers que l’EIA [Département de l’Énergie des États-Unis] estime avoir augmenté de 2,9 millions de barils par jour à 3,8 en 2013”.

Le rêve de l’oléoduc yéménite

Mais il existe ici un objectif subsidiaire, reconnu en privé par les officiels occidentaux, mais non discuté en public : le Yémen a encore un potentiel inexploité pour fournir un ensemble alternatif de routes de transbordement pétrolier et gazier pour les exportations du pétrole saoudien, contournant l’Iran et le détroit d’Ormuz.

La réalité des ambitions du Royaume sur ce sujet a été mise à nu dans un câble secret du Département d’État de 2008 obtenu par Wikileaks, de l’ambassade américaine au Yémen à destination du Secrétaire d’État :

“Un diplomate britannique basé au Yémen a dit à PolOff (agent politique de l’ambassade américaine) que l’Arabie saoudite avait un intérêt à construire un oléoduc, qu’elle détiendrait exclusivement, exploité et protégé par l’Arabie saoudite, depuis Hadramaout jusqu’à un port du Golfe d’Aden, en contournant ainsi le golfe Arabique/golfe persique et le détroit d’Ormuz.

“Saleh s’y est toujours opposé. Le diplomate soutenait que l’Arabie saoudite, par le soutien des dirigeants militaires yéménites, en payant la loyauté des cheikhs et par d’autres moyens, était en train de se positionner pour s’assurer qu’elle obtiendrait, à bon prix, les droits pour cet oléoduc du successeur de Saleh.”

En effet, le gouvernorat d’Hadramaout à l’Est du Yémen a curieusement été épargné par les bombardements saoudiens. La province, la plus large du Yémen, contient le plus gros des ressources pétrolières et gazières restantes du Yémen.

“L’intérêt primordial porté par le Royaume à ce gouvernorat résulte de la possible construction d’un oléoduc. Un tel oléoduc a longtemps été un rêve pour le gouvernement d’Arabie saoudite,” observe Michael Horton, un analyste principal du Yémen à la fondation Jamestown. “Un oléoduc passant par Hadramaout donnerait à l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe un accès direct au golfe d’Aden et de l’océan Indien ; cela leur permettrait de contourner le détroit d’Ormuz, un point de passage obligatoire qui pourrait être, au moins temporairement, bloqué par l’Iran dans un futur conflit. La perspective de sécuriser une route pour un futur oléoduc passant par Hadramaout figure probablement une stratégie globale à long terme de l’Arabie saoudite au Yémen.”

Cacher la connexion de l’oléoduc

Les officiels occidentaux sont soucieux d’éviter une prise de conscience publique de la géopolitique énergétique derrière l’escalade du conflit.

L’année dernière, une analyse sans concession sur ces questions était postée sur le blog personnel de Joke Buringa le 2 juin 2015, une conseillère supérieure sur la sécurité et l’État de droit au Yémen au ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

“La peur d’un blocage par l’Iran du détroit d’Ormuz, et les possibles désastreux résultats sur l’économie mondiale, ont existé depuis des années,” écrivait-elle dans l’article, titré “Diviser pour mieux régner : l’Arabie Saoudite, le pétrole et le Yémen.” “Les États-Unis mettent par conséquent la pression sur les pays du Golfe pour mettre en place des alternatives. En 2007 l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, Oman et le Yémen ont conjointement créé le projet de l’oléoduc pétrolier Trans-arabique. Les nouveaux oléoducs devaient être construits depuis la ville saoudienne de Ras Tanura dans le Golfe persique et les Émirats Arabes Unis vers le Golfe d’Oman (une canalisation vers l’Émirat Fujaïrah et deux canalisations vers Oman) et vers le Golfe d’Aden (deux canalisations vers le Yémen).”

En 2012, la connexion entre Abou Dhabi et Fujaïrah, à l’intérieur des Émirats Arabes Unis, est devenue opérationnelle. Entre-temps, l’Iran et Oman avancent dans la signature d’un accord pour leur propre oléoduc. “La défiance vis-à-vis des intentions d’Oman ont augmenté l’attractivité de l’option Hadramaout au Yémen, un vieux désir de l’Arabie saoudite,” écrivait Buringa.

Le président Saleh, toutefois, était un obstacle majeur aux ambitions saoudiennes. Selon Buringa, il “s’opposait à la construction d’un oléoduc sous contrôle saoudien sur le territoire yéménite. Durant de nombreuses années les Saoudiens ont investi sur les leaders tribaux dans l’espoir de réaliser ce projet avec le successeur de Saleh. En 2011 les soulèvements populaires des manifestants appelant à la démocratie ont contrarié ces plans.”

Buringa est la seule haute responsable d’un gouvernement occidental à avoir abordé cette question publiquement. Mais lorsque je l’ai contactée pour un entretien le 1er février, quatre jours plus tard j’ai reçu une réponse de Roel van der Meij, un porte-parole des affaires générales au ministère des Affaires étrangères du gouvernement hollandais : “Mme Joke Buringa m’a demandé de vous informer qu’elle n’est pas disponible pour un entretien.”

Le blog de Buringa – préalablement accessible à www.jokeburinga.com – avait entretemps été complètement supprimé.

Une version archivée de son article sur la géopolitique énergétique de la guerre saoudienne au Yémen est disponible sur la Wayback Machine.

J’ai demandé à Buringa et van der Meij pourquoi le blog de Buringa avait été complètement supprimé si rapidement après que j’ai envoyé ma demande d’entretien, et si elle avait été forcée à le faire sous la pression du gouvernement pour protéger les relations hollandaises avec l’Arabie saoudite.

Dans un email, Buringa a nié avoir été forcé par le ministère des Affaires étrangères hollandais à effacer son blog : “Désolée de vous décevoir, mais je n’ai pas subi de pressions du ministère. La mise en page du blog me dérangeait depuis le début et je désirais le changer depuis des mois… Votre question m’a rappelé que je voulais changer mon site et repenser ce que je veux en faire. Ni voyez rien de plus ici.”

Cependant, le porte-parole aux affaires générales du gouvernement hollandais, van der Meij, n’a pas répondu à de multiples emails et demandes téléphoniques pour un commentaire concernant la suppression du blog.

Beaucoup de firmes hollandaises sont actives dans la conduite d’investissements conjoints au royaume, comprenant la principale compagnie anglo-hollandaise Shell. En raison de la position des Pays-Bas comme un passage vers l’Europe, deux multinationales saoudiennes – la firme pétrolière nationale Aramco et le géant des pétrochimiques SABIC – ont leur siège européen à La Haye et Sittard, tous deux aux Pays-Bas. Les exportations hollandaises vers l’Arabie saoudite ont également nettement augmenté ces dernières années, avec une hausse de 25% entre 2006 et 2010.

En 2013, l’Arabie saoudite a exporté un peu moins de 34 milliards d’euros (38,5 milliards de dollars) de combustibles fossiles vers les Pays-Bas, et importé des Pays-Bas un peu plus de 8 milliards d’euros (9 milliards de dollars) de machines et matériel de transport, 4,8 milliards d’euros (5,4 milliards de dollars) de produits chimiques, et 3,7 milliards d’euros (4,2 milliards de dollars) de denrées alimentaires et d’animaux.

L’alliance saoudienne avec al-Qaïda

Parmi les premiers bénéficiaires de la stratégie saoudienne au Yémen il y a al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), le même groupe qui a revendiqué le massacre de Charlie Hebdo à Paris.

“Le gouvernorat de l’Hadramaout est une des rares zones où la coalition conduite par les Saoudiens n’a effectué aucune frappe aérienne,” notait Buringa. “Le port et l’aéroport international d’al Mukalla sont en bon état et sous le contrôle d’al-Qaïda. De plus, l’Arabie saoudite a livré des armes à al-Qaïda, qui étend sa sphère d’influence.”

L’alliance saoudienne avec les terroristes affiliés à al-Qaïda au Yémen a été mise en lumière en juin dernier lorsque le gouvernement “de transition” d’Abd Rubbuh Mansour Hadi, soutenu par les Saoudiens a détaché un représentant à Genève comme officiel délégué aux négociations avec l’ONU.

Il s’est avéré que le représentant n’était autre qu’Abdulwahab Humayqani, identifié comme un “terroriste mondial spécifiquement désigné” en 2013 par le Trésor américain pour le recrutement et le financement d’AQPA. Humayqani aurait été derrière l’attaque à la voiture piégée d’al-Qaïda qui a tué sept personnes sur une base de la garde républicaine yéménite en 2012.

D’autres analystes sont d’accord. Comme Michael Horton commente dans le Terrorism Monitor de la fondation Jamestown : “L’AQPA peut également bénéficier du fait qu’il pourrait bien être vu comme un intermédiaire utile par l’Arabie saoudite dans sa guerre contre les Houthis. L’Arabie saoudite et ses alliés arment de nombreuses milices disparates dans le sud du Yémen. Il est presque certain qu’une partie, si ce n’est plus, du financement et matériel arrivera jusqu’à l’AQPA et assez probablement à l’État Islamique.”

Alors qu’ils claironnent la guerre contre l’État Islamique en Irak et en Syrie, l’Occident ouvre la voie à une résurgence d’al-Qaïda et de l’État Islamique au Yémen.

“L’Arabie saoudite ne veut pas d’un pays fort et démocratique de l’autre côté de la frontière de plus de 1500 kilomètres de long qui sépare les deux pays (Arabie saoudite et Yémen),” remarquait la représentante du ministère des Affaires étrangères hollandais dans son article maintenant censuré. Ni, il semble, les États-Unis et le Royaume-Uni. Elle ajoutait: “Ces oléoducs vers Mukalla y arriveront probablement finalement.”

Ils n’y arriveront probablement pas – mais il y aura encore un retour de flamme.

Le Dr Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation, expert en sécurité internationale et auteur à succès qui suit ce qu’il appelle la « crise de la civilisation. » Il est lauréat du prix Project Censored pour son travail exceptionnel d’investigation journalistique au Guardian sur l’interaction de crises écologiques, énergétiques et économiques mondiales avec la géopolitique et les conflits régionaux. Il a aussi écrit pour The Independent, le Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique, New Internationalist. Son travail sur les causes fondamentales et les opérations clandestines liées au terrorisme international a été une contribution officielle à la Commission du 11 septembre et à l’enquête médico-légale des attentats du 7 juillet.

Photo : Un Yéménite pose avec un drapeau national dans une salle de sports partiellement détruite par des frappes aériennes dirigées par les Saoudiens dans la capitale yéménite Sanaa le 19 janvier 2016 (AFP).

Source : Middle East Eye, le 10/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-saoudienne-pour-loleoduc-du-yemen-renforce-al-qaida-par-nafeez-ahmed/


La débâcle libyenne d’Obama, par Alan J. Kuperman

Monday 29 February 2016 at 02:00

Source : Foreign Affairs
Comment une intervention bien intentionnée s’est soldée par un échec

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Par Alan J. Kuperman

Le 17 mars 2011, le conseil de sécurité de l’ONU a adopté la Résolution 1973, proposée par l’administration du Président américain Barack Obama, autorisant une intervention militaire en Libye. Le but, avait expliqué Obama, était de sauver la vie de militants pacifiques qui manifestaient pour la démocratie et qui se sont trouvés la cible de mesures de répression du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Non seulement Kadhafi mettait en danger l’élan du Printemps arabe naissant, qui avait récemment balayé des régimes autoritaires en Tunisie et en Égypte, mais il était aussi sur le point de commettre un bain de sang dans la ville libyenne où le soulèvement avait commencé, a déclaré le président. « Nous savions que si nous avions attendu encore un jour, Benghazi – une ville d’environ la taille de Charlotte – aurait pu subir un massacre qui aurait retenti à travers la région et entaché la conscience du monde, » a déclaré Obama. Deux jours après l’autorisation de l’ONU, les États-Unis et d’autres pays de l’OTAN ont établi une zone d’exclusion aérienne partout en Libye et ont commencé à bombarder les forces de Kadhafi. Sept mois plus tard, en octobre 2011, après une campagne militaire élargie avec l’assistance permanente des pays occidentaux, les forces rebelles ont conquis le pays et ont tué Kadhafi.

Dans le sillage immédiat de la victoire militaire, les responsables américains étaient triomphants. Écrivant dans ces pages en 2012, Ivo Daalder et James Stavridis, à l’époque respectivement représentant permanent américain à l’OTAN et commandant suprême des forces alliées en Europe, ont déclaré : « L’opération de l’OTAN en Libye a été justement saluée comme une intervention modèle. » Dans la Roseraie, après la mort de Kadhafi, Obama lui-même pavoisait, « Sans mettre un seul fonctionnaire américain sur le terrain, nous avons réalisé nos objectifs. » En effet, les États-Unis ont semblé avoir réalisé un triplé : nourrir le Printemps arabe, prévenir un génocide semblable à celui du Rwanda et éliminer la Libye comme source potentielle de terrorisme. Cependant, ce verdict s’avère avoir été prématuré. Rétrospectivement, l’intervention d’Obama en Libye était un échec lamentable, même jugé selon ses propres normes. La Libye n’a pas seulement échoué à évoluer vers une démocratie ; elle s’est transformée en un État en faillite. Les morts violentes et autres violations des droits de l’homme se sont multipliées. Au lieu d’aider les États-Unis à combattre le terrorisme, comme l’a fait Kadhafi pendant sa dernière décennie au pouvoir, la Libye sert maintenant de refuge à des milices affiliées tant à al-Qaïda qu’à l’État Islamique en Irak et au Levant (ÉIIL). L’intervention en Libye a nui également à d’autres intérêts américains : elle a compromis la non-prolifération nucléaire, refroidi la coopération russe à l’ONU et alimenté la guerre civile en Syrie.
Malgré ce que prétendent les défenseurs de la mission, il existait une meilleure option politique – ne pas intervenir du tout, parce que les civils libyens pacifiques n’étaient pas réellement menacés. Si les États-Unis et leurs alliés avaient suivi cette voie, ils auraient pu éviter à la Libye le chaos qui en a résulté et avoir la possibilité de progresser avec le successeur désigné de Kadhafi : son fils relativement libéral, éduqué à l’occidentale, Saïf al-Islam. Au lieu de cela, la Libye est aujourd’hui parcourue par des milices féroces et des terroristes anti-américains – et sert ainsi de parfait exemple pour montrer comment les interventions humanitaires peuvent se retourner à la fois contre ceux qui interviennent et contre ceux qu’elles prétendaient secourir.

UN ÉTAT EN FAILLITE
L’optimisme à propos de la Libye a atteint son apogée en juillet 2012, quand des élections démocratiques amenèrent au pouvoir un gouvernement de coalition laïque et modéré – un changement profond après les quatre décennies de dictature de Kadhafi. Mais le pays s’engagea rapidement sur la mauvaise pente. Le Premier ministre élu, Moustafa Abou Chagour, ne resta pas un mois en poste. Son éviction rapide annonçait les troubles à venir : au moment où nous écrivons cet article, la Libye a eu sept Premiers ministres en moins de quatre ans. Les islamistes sont parvenus à dominer le premier parlement d’après-guerre, le Congrès Général National. Pendant ce temps, le nouveau gouvernement a échoué à désarmer les dizaines de milices qui sont apparues durant les sept mois de l’intervention de l’OTAN, en particulier les milices islamistes, ce qui a donné lieu à des batailles sanglantes sur le terrain entre des tribus ou des commandants rivaux, qui continuent encore aujourd’hui. En octobre 2013, les sécessionnistes de la Libye orientale, où se trouve la plus grande part du pétrole du pays, ont décrété leur propre gouvernement. Ce même mois, Ali Zeidan, Premier ministre en exercice, fut kidnappé et pris en otage. À la lumière de l’influence islamiste grandissante dans le gouvernement libyen, au printemps 2014 les États-Unis repoussèrent leur projet de former une armée libyenne de 6 000 à 8 000 hommes.

Dès mai 2014 la Libye était au bord d’une nouvelle guerre civile, entre les libéraux et les islamistes. Ce mois-là, un général laïque rebelle nommé Khalifa Hifter prit le contrôle de l’armée de l’air pour attaquer les milices islamistes à Benghazi, pour étendre ensuite ses cibles jusqu’à inclure la zone gérée par les islamistes à Tripoli. Les élections de juin dernier n’ont en rien aidé à résoudre le chaos. La plupart des Libyens ont déjà abandonné toute idée de démocratie, et la participation électorale est tombée de 1,7 million au scrutin précédent à seulement 630 000. Les partis laïques ont déclaré la victoire et formé une nouvelle majorité, la Chambre des Représentants, mais les islamistes ont refusé d’en accepter le résultat. Ce qui a abouti à deux parlements concurrents, chacun prétendant être le seul légitime.

En juillet, une milice islamiste de la ville de Misrata a répliqué aux actions de Hifter en attaquant Tripoli, forçant l’évacuation des ambassades occidentales. Après une bataille de six semaines, les islamistes ont conquis la capitale en août pour le compte de la coalition appelée « Aube de la Libye », qui formait, avec la majorité précédente, ce qu’ils appelaient un « gouvernement de salut national ». En octobre, le parlement nouvellement élu, mené par la coalition laïque Opération Dignité, s’est enfui vers l’Est et la ville de Tobrouk, où ils ont établi un gouvernement intérimaire concurrent, que la Cour Suprême de Libye a ensuite déclaré inconstitutionnel. La Libye se trouve donc avec deux gouvernements en guerre, chacun ne contrôlant qu’une fraction des territoires et des milices du pays.
Si mauvaise qu’ait été la situation des droits de l’homme en Libye sous Kadhafi, elle n’a fait qu’empirer depuis que l’OTAN l’a évincé. Immédiatement après avoir pris le pouvoir, les rebelles ont massivement perpétré des meurtres en représailles, sans parler des tortures, des coups et des détentions arbitraires infligés à des milliers de détenus suspectés d’être des partisans de Kadhafi. Les rebelles ont aussi expulsé 30 000 résidents essentiellement noirs de la ville de Tawarga et brûlé ou pillé leurs maisons et leurs magasins, sous le prétexte que certains étaient supposés avoir été des mercenaires. Six mois après la guerre, Human Rights Watch a déclaré que les abus « s’avèrent si répandus et systématiques que l’on peut parler de crimes contre l’humanité. »

Des violations similaires persistent. En octobre 2013, le Bureau du haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies a rapporté que « la vaste majorité des 8000 prisonniers de guerre estimés sont aussi détenus sans droit à un procès équitable ». Plus dérangeant, Amnesty International a publié un rapport l’année dernière qui révèle leurs mauvais traitements : “Les détenus sont sujets à des coups répétés avec des tubes en plastique, des bâtons, des barres de fer ou des câbles. Dans certains cas, ils ont reçu des chocs électriques, été suspendus dans des positions pénibles pendant des heures, maintenus les yeux bandés continuellement et menottés les mains derrière le dos ou privés de nourriture et d’eau ». Le rapport note également quelques 93 attaques contre des journalistes libyens pour les neuf premiers mois de 2014, « y compris des enlèvements, des arrestations arbitraires, des assassinats, des tentatives d’assassinats et des agressions ». Les attaques en cours dans l’ouest de la Libye, conclut le rapport, « constituent des crimes de guerre ». En conséquence d’une violence aussi généralisée, les Nations Unies estiment qu’environ 400 000 Libyens ont fui leur domicile, un quart d’entre eux ayant même fui le pays.

La qualité de vie en Libye s’est fortement dégradée du fait de l’effondrement économique. Ceci est principalement dû au fait que la production pétrolière, le poumon du pays, demeure sévèrement réduite par le conflit qui perdure. Avant la révolution, la Libye produisait 1,65 million de barils de pétrole par jour, un chiffre qui est tombé à zéro pendant l’intervention de l’OTAN. Bien que la production soit temporairement revenue à 85 pour cent de son niveau antérieur, depuis la prise des ports orientaux par les sécessionnistes en août 2013, la production moyenne s’établit à seulement 30 pour cent du niveau d’avant-guerre. Les combats en cours interdisent le fonctionnement des aéroports et des ports maritimes dans les deux plus grandes villes du pays, Tripoli et Benghazi. Dans de nombreuses villes, les habitants subissent d’importantes coupures électriques – jusqu’à 18 heures par jour à Tripoli. Les privations récentes représentent une baisse sévère pour un pays dont le niveau de vie était traditionnellement le plus élevé de toute l’Afrique selon l’indice de développement humain des Nations Unies.

LE COÛT HUMAIN
Quoique la Maison-Blanche justifie sa mission en Libye par des raisons humanitaires, l’intervention y a en fait largement aggravé la mortalité. Pour commencer, la répression de Kadhafi a été nettement moins meurtrière que ce que les reportages des médias indiquaient à l’époque. En Libye orientale, où la révolte a commencé par un mélange de manifestations pacifiques et violentes, Human Rights Watch n’a documenté que 233 morts dans les premiers jours de combat, et non 10 000 comme indiqué par la chaîne d’information saoudienne Al Arabiya. En vérité, comme je l’ai documenté dans un article de 2013 dans International Security, de la mi-février 2011, lorsque la rébellion a commencé jusqu’à mi-mars 2011, lorsque l’OTAN est intervenue, environ 1 000 Libyens seulement sont morts, en incluant les soldats et les rebelles. Bien qu’un article d’Al Jazeera diffusé par les médias occidentaux au début 2011 ait avancé que l’aviation de Kadhafi avait mitraillé et bombardé des civils à Benghazi et à Tripoli, « l’histoire n’était pas vraie » a révélé un examen exhaustif dans la London Review of Books par Hugh Roberts, de l’Université Tufts. En fait, en cherchant à minimiser les pertes civiles, les forces de Kadhafi avaient évité une violence indiscriminée.

La meilleure preuve statistique provient de Misrata, la troisième ville de Libye, où les combats initiaux ont été les plus intenses. Human Rights Watch a établi que parmi les 949 personnes blessées là-bas durant les sept premières semaines de la rébellion, seules 30 (juste un peu plus de 3 pour cent) étaient des femmes ou des enfants, ce qui indique que les forces de Kadhafi avaient précisément ciblé les combattants, qui étaient pratiquement tous des hommes. Durant la même période à Misrata, seulement 257 personnes ont été tuées, une toute petite partie des 400 000 habitants de la ville.
Une même modération était manifeste à Tripoli. Le gouvernement n’y a fait usage d’une force importante que pendant les deux jours qui ont précédé l’intervention de l’OTAN. Il s’agissait de repousser les manifestants violents qui brûlaient des bâtiments gouvernementaux. Des médecins libyens ont ensuite confié à une commission d’enquête de l’ONU avoir vu dans les morgues de la ville le 20 et le 21 février plus de 200 cadavres, dont seulement deux femmes. Ces statistiques réfutent l’idée que les forces de Kadhafi ont tiré au hasard sur des civils pacifiques.

De plus, au moment où l’OTAN est intervenue, la violence en Libye était sur le point de cesser. Les troupes bien équipées de Kadhafi avaient contenu la rébellion hétéroclite, qui se retirait. A la mi-mars 2011, les forces gouvernementales étaient prêtes à reconquérir les derniers bastions rebelles de Benghazi, mettant de ce fait fin à un mois de conflit au prix d’un peu plus de 1 000 vies. Pourtant, juste à ce moment, des Libyens expatriés en Suisse et affiliés à la rébellion sonnèrent l’alerte sur un proche « bain de sang » à Benghazi, ce que les médias occidentaux se sont empressés de reprendre mais qui se révèle rétrospectivement une opération de propagande. En réalité, le 17 mars, Kadhafi s’était engagé à protéger les civils à Benghazi, comme il l’avait fait pour les autres villes regagnées, ajoutant que ses troupes avaient « laissé la voie libre » pour que les rebelles puissent se retirer en Égypte. Dit simplement, les groupes armés étaient en train de perdre la guerre et donc leurs agents à l’extérieur brandirent le spectre d’un génocide pour pousser à une intervention de l’OTAN – ce qui a marché comme sur des roulettes. Il n’y a aucune raison ou preuve pour penser que Kadhafi avait planifié ou voulait perpétrer une tuerie.

Il est vrai que le gouvernement a réellement essayé d’intimider les rebelles, jurant de les poursuivre sans relâche. Mais Kadhafi n’a jamais converti cette rhétorique en attaque contre les civils. Du 5 au 15 mars 2015, les troupes gouvernementales ont reconquis toutes les principales villes aux mains des rebelles sauf une, et dans aucune d’elles n’ont exécuté de civils par mesure de rétorsion, et encore moins commis de bain de sang. En fait, alors que ses troupes se rapprochaient de Benghazi, Kadhafi a redit en public qu’elles ne s’en prendraient ni aux civils, ni aux rebelles ayant déposé les armes. Le 17 mars, il s’est adressé directement aux rebelles : « Jetez vos armes, tout comme vos frères l’ont fait à Ajdabiya et ailleurs. Ils ont déposé les armes et sont en sécurité. Nous ne les avons jamais poursuivis. »

Pourtant, deux jours plus tard, la campagne aérienne de l’OTAN a stoppé l’offensive de Kadhafi. Par conséquent, Benghazi n’est pas retournée sous le contrôle gouvernemental, les rebelles n’ont pas fui, et la guerre n’a pas pris fin. Au lieu de cela, les militants sont revenus de leur retraite et ont repris l’offensive. Finalement, le 20 octobre 2011, les rebelles ont découvert Kadhafi, l’ont torturé puis sommairement exécuté. Les derniers vestiges du régime sont tombés trois jours plus tard. En tout, l’intervention a fait passer la guerre civile en Libye de moins de six semaines à plus de huit mois.
Les estimations du nombre de personnes tuées pendant la guerre ont varié considérablement. Lors d’une conférence privée organisée par l’Institut Brookings en novembre 2011, un fonctionnaire américain a estimé à « environ 8 000 » le nombre final de morts. En revanche, le ministre de la Santé du côté rebelle affirmait en septembre 2011, avant même que le conflit ne soit terminé, que 30 000 Libyens étaient déjà morts. Toutefois, le ministère des Martyrs et Personnes disparues du gouvernement d’après-guerre a drastiquement réduit ce chiffre à 4 700 civils et rebelles, à quoi s’ajoute un nombre équivalent ou plus faible dans les forces du régime, et 2 100 personnes portées disparues des deux côtés – pour une estimation haute de 11 500 morts.

Les statistiques consolidées des pertes n’ont pas été compilées durant les deux années de conflit à basse intensité qui ont suivi, mais il y eut bel et bien des rapports sur plusieurs accrochages significatifs, tel celui de mars 2012 qui opposa des tribus rivales dans la cité méridionale de Sebha et fit 147 morts. A la lumière de tels cas, on peut raisonnablement estimer que le conflit tua au moins 500 personnes par an en 2012 et 2013. Des données plus fiables sont disponibles pour la guerre civile qui a redémarré en 2014. Le site web Libya Body Count, qui décompte les pertes sur une base quotidienne, indique que le nombre total de Libyens tués l’année dernière dépassait 2 750. De surcroît, contrairement aux troupes de Kadhafi en 2011, les milices qui combattent aujourd’hui en Libye font un usage indiscriminé de la force. En août 2014, par exemple, le centre médical de Tripoli signala que sur 100 personnes tuées dans les violences récentes, 40 étaient des femmes et au moins 9 des enfants. Le mois suivant, dans un crime de guerre flagrant, des miliciens ont tiré sur un poste médical avec un lance-roquettes multi-têtes.

Cette sinistre comptabilité conduit à une conclusion déprimante mais inévitable. Avant l’intervention de l’OTAN, la guerre civile en Libye était sur le point de s’achever, au prix d’à peu près 1 000 vies. Depuis, cependant, la Libye a déploré au moins 10 000 morts supplémentaires dues au conflit. En d’autres termes, l’intervention de l’OTAN semble avoir décuplé le nombre de morts violentes.

UN TERRITOIRE POUR LES TERRORISTES
Une autre conséquence inattendue de l’intervention en Libye a été d’accroître la menace terroriste depuis ce pays. Bien que Kadhafi ait soutenu le terrorisme il y a plusieurs dizaines d’années – comme en témoigne le paiement ultérieur par le régime de réparations pour l’attentat à la bombe dans un avion à Lockerbie en 1988 – le dirigeant libyen était devenu un allié des USA contre le terrorisme mondial avant même le 11 septembre 2001. C’était en partie à cause de la menace intérieure que représentait le Groupe Combattant Islamique de Libye, affilié à al-Qaïda. Le chef de la sécurité extérieure de Kadhafi, Moussa Koussa, avait rencontré à plusieurs reprises des hauts fonctionnaires de la CIA pour fournir des renseignements sur des combattants libyens en Afghanistan et sur le trafiquant pakistanais de substances nucléaires A. Q. Khan. En 2009, le général William Ward, alors à la tête du Commandement américain pour l’Afrique, avait encensé la Libye comme « un partenaire de premier plan dans la lutte contre le terrorisme transnational. » Cependant, depuis l’intervention de l’OTAN en 2011, la Libye et le Mali voisin sont devenus des refuges pour les terroristes. Des groupes islamistes radicaux, que Kadhafi avait éradiqués, ont refait surface sous la protection aérienne de l’OTAN comme les combattants les plus aguerris de la rébellion. Fournis en armes par des pays sympathisant tels que le Qatar, les milices ont refusé de se désarmer après la chute de Kadhafi. Leur menace persistante a été mise en lumière en septembre 2012, quand des djihadistes, dont certains membres du groupe Ansar al-Sharia, ont attaqué l’enceinte diplomatique américaine à Benghazi, tuant Christopher Stevens, l’ambassadeur des USA en Libye, et trois de ses collègues. L’année dernière, les Nations Unies ont officiellement qualifié Ansar al-Sharia d’organisation terroriste, en raison de son affiliation à al-Qaïda au Maghreb Islamique.

Les militants islamistes en Libye luttent à présent pour un contrôle total du pays, et ils marquent des points. En avril 2014, ils ont pris une base militaire secrète près de Tripoli, que les forces d’opérations spéciales des USA avaient, ironie de l’histoire, établie durant l’été 2012 pour entraîner les troupes contre-terroristes libyennes. Encore en septembre 2014, le Qatar et le Soudan ont fait parvenir des armes aux islamistes. En réponse, les gouvernements plus laïques des Émirats Arabes Unis et de l’Égypte ont procédé à des frappes aériennes contre les militants islamistes à Tripoli et à Benghazi en août et en octobre de l’an dernier. Les djihadistes en Libye aujourd’hui ne se composent plus seulement des affiliés d’al-Qaïda ; en janvier 2015, des groupes se revendiquant de Daesh, appelé aussi État Islamique, ont perpétré des massacres ou des enlèvements dans chacune des trois régions administratives traditionnelles de la Libye.

L’intervention de l’OTAN a également bénéficié au terrorisme islamique ailleurs dans la région. À la chute de Kadhafi, les Touaregs maliens qui étaient membres de ses forces de sécurité sont rentrés au pays avec leurs armes pour lancer leur propre rébellion. Ce soulèvement a été rapidement détourné par les forces islamiques locales et al-Qaïda au Maghreb Islamique, qui déclarèrent un État islamique indépendant dans la moitié nord du pays. En décembre 2012, cette zone était devenue « le plus grand territoire du monde contrôlé par des extrémistes islamiques, » d’après le sénateur Christopher Coons, président du sous-comité pour l’Afrique du sénat américain. La menace a été décrite plus en détail par le New York Times, qui indiqua que « la branche d’al-Qaïda en Afrique du Nord dirige des camps d’entraînement terroristes dans le nord Mali et fournit des armes, des explosifs et des fonds à une organisation islamiste militante dans le nord du Nigéria. » Mais les retombées libyennes ne se sont pas arrêtées là, qui ont également motivé des conflits ethniques mortels au Burkina Faso et la montée de l’islamisme radical au Niger. Pour faire face à cette menace, début 2013, la France a été obligée de déployer des milliers de militaires au Mali, certains d’entre eux sont toujours en train de combattre les djihadistes dans le nord du pays. Le problème terroriste a été amplifié par la dispersion d’un armement critique depuis les arsenaux de Kadhafi vers des islamistes radicaux en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Peter Bouckaert de Human Rights Watch estime que dix fois plus d’armes ont disparu en Libye qu’en Somalie, Afghanistan ou Irak. La plus grande inquiétude porte peut-être sur un système de défense aérienne individuel, connu sous le nom de MANPAD, qui, correctement utilisé, peut servir à abattre aussi bien des avions civils que militaires. Jusqu’à 15 000 de ces missiles étaient portés manquants en février 2012, selon un fonctionnaire du Département d’État des États-Unis cité dans les colonnes du Washington Post ; une campagne de rachat abondée à hauteur de 40 millions de dollars n’a permis d’en retrouver que 5 000. L’article ajoutait que des centaines de ces armes étaient toujours dans la nature, y compris au Niger, où Boko Haram, le groupe islamiste radical, en a récupéré quelques-unes à travers la frontière nord du Nigéria. Quelques dizaines d’autres ont été retrouvées en Algérie et en Égypte.

Les missiles ont même cheminé à travers l’Égypte jusqu’à la Bande de Gaza. En octobre 2012, des militants en ont utilisé un pour la première fois, ratant de peu un hélicoptère de l’armée israélienne, et des fonctionnaires israéliens ont déclaré que ces armes provenaient de Libye. Plus récemment, début 2014, des islamistes en Égypte ont utilisé un autre de ces missiles pour abattre un hélicoptère militaire. Des MANPAD libyens ainsi que des mines sont même apparus sur les marchés d’armes en Afrique de l’Ouest, où des acheteurs somaliens les ont raflés pour le compte de rebelles islamistes et de pirates, dans la lointaine Afrique de l’Est.

LES RÉPERCUSSIONS PLUS LARGES
Les dégâts causés par l’intervention en Libye s’étendent bien plus loin qu’au voisinage immédiat. En premier lieu, en aidant au renversement de Kadhafi, les États-Unis ont sabordé leur propre programme de non-prolifération nucléaire. En 2003, Kadhafi avait volontairement stoppé ses programmes d’armement nucléaire et chimique et livré ses arsenaux aux États-Unis. Sa récompense, huit années plus tard, a consisté en un changement de régime piloté par les Américains, dont sa mort violente a constitué le sommet. Cette expérience a rendu beaucoup plus compliquée la tâche de convaincre d’autres États d’abandonner leur programme nucléaire. Peu après le début de la campagne aérienne, la Corée du Nord a publié une déclaration émanant d’un fonctionnaire anonyme du ministère des Affaires étrangères, indiquant que « la crise libyenne donne une sérieuse leçon à la communauté internationale » et que la Corée du Nord ne se laisserait pas prendre à la même « tactique [américaine] de désarmement du pays ». Le dirigeant suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, nota de la même manière que Kadhafi avait « emballé tout son matériel nucléaire, l’avait embarqué sur un bateau et livré à l’Occident ». Un autre Iranien bien informé, Abbas Abdi, fit remarquer : « Quand Kadhafi a dû faire face à une insurrection, tous les dirigeants occidentaux l’ont laissé tomber comme un paquet de linge sale. En vertu de quoi, nos dirigeants pensent que les compromis ne sont pas d’un grand secours. »

L’intervention en Libye pourrait aussi avoir favorisé la violence en Syrie. En mars 2011, le soulèvement en Syrie était encore largement non-violent, et la réponse du gouvernement d’Assad, bien que criminellement disproportionnée, était relativement circonscrite, causant la mort de moins de 100 Syriens chaque semaine. Cependant, après le coup de main de l’OTAN aux rebelles en Libye, les révolutionnaires en Syrie se tournèrent vers la violence durant l’été 2011, espérant peut-être provoquer une intervention similaire. « C’est la même chose qu’à Benghazi, » déclara un rebelle syrien au Washington Post à cette époque, ajoutant, « nous avons besoin d’une zone d’exclusion aérienne. » Le résultat fut une escalade massive du conflit syrien, qui conduisit à au moins 1 500 morts hebdomadaires au début de 2013, un bilan 15 fois plus lourd.

La mission de l’OTAN en Libye a également entravé les efforts de paix en Syrie en irritant profondément la Russie. Avec l’accord de Moscou, le Conseil de sécurité de l’ONU avait approuvé l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne en Libye et d’autres mesures visant à protéger les civils. Mais l’OTAN a outrepassé ce mandat pour chercher à faire tomber le régime. La coalition a ciblé les troupes de Kadhafi durant sept mois – même quand elles se retiraient, sans menacer les civils – et a armé et entraîné les rebelles opposés aux pourparlers de paix. Comme l’a déploré le président russe Vladimir Poutine, les troupes de l’OTAN « ont clairement violé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Libye, quand elles ont procédé elles-mêmes à des bombardements au lieu d’imposer la prétendue zone d’exclusion aérienne. » Son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a expliqué qu’en conséquence, en Syrie, la Russie « ne permettrait jamais au Conseil de sécurité d’autoriser quoi que ce soit de semblable à ce qui s’était passé en Libye. »

Au début du Printemps arabe, les tenants de l’intervention en Libye avaient prétendu que cette solution favoriserait la dynamique des soulèvements relativement pacifiques en Tunisie et en Égypte. En fait, l’action de l’OTAN n’a pas seulement échoué à disséminer une révolution pacifique mais elle a également contribué à la militarisation du soulèvement en Syrie et entravé les perspectives d’une intervention des Nations Unies dans ce pays. Pour la Syrie et ses voisins, la conséquence en a été l’exacerbation tragique de trois maux : les souffrances humanitaires, le sectarisme et l’Islam radical.

LA VOIE QUI N’A PAS ÉTÉ EMPRUNTÉE
En dépit du bouleversement majeur causé par l’intervention, certains de ses tenants impénitents prétendent que l’alternative – laisser Kadhafi au pouvoir – aurait été encore pire. Mais Kadhafi ne représentait en aucune manière l’avenir de le Libye. Agé de soixante-neuf ans et en mauvaise santé, il était en train de poser les bases d’une succession pour son fils Saïf, qui préparait de longue date un agenda réformateur. « Je n’accepterai aucun poste à moins qu’il n’y ait une nouvelle constitution, de nouvelles lois et des élections régulières, » a déclaré Saïf en 2010. « Tout le monde devrait avoir accès à un poste gouvernemental. Nous ne devrions pas avoir le monopole du pouvoir. » Saïf convainquit aussi son père que le régime devait reconnaître sa responsabilité pour un massacre célèbre dans les prisons en 1996, et verser une compensation aux familles des centaines de victimes. En outre, en 2008, Saïf avait rendu publics des témoignages d’anciens prisonniers faisant état de tortures infligées par les comités révolutionnaires – les chiens de garde zélés mais officieux du régime – dont il demanda le désarmement.

De 2009 à 2010, Saïf persuada son père de relâcher pratiquement tous les prisonniers politiques en Libye, créant un programme de déradicalisation des islamistes que des experts occidentaux ont cité en exemple. Il se fit également l’avocat d’une suppression du ministère libyen de l’Information, en faveur de médias privés. Il fit même venir des universitaires américains renommés – parmi lesquels Francis Fukuyama, Robert Putnam et Cass Sunstein – pour donner des conférences sur la société civile et la démocratie. L’indication la plus claire des tendances réformistes de Saïf est peut-être à trouver dans le fait qu’en 2011, les principaux dirigeants politiques de la révolution s’avérèrent être des fonctionnaires qu’il avait fait entrer auparavant au gouvernement. Mahmoud Jibril, Premier ministre du Conseil national de transition de la rébellion durant la guerre, avait dirigé le Conseil national du développement économique mis en place par Saïf. Mustafa Abdel Jalil, président du Conseil national de transition, avait été choisi par Saïf en 2007 pour développer une réforme judiciaire en tant que ministre libyen de la Justice, ce qu’il a fait avant de rejoindre les rebelles.

Bien sûr, il est impossible de savoir si Saïf se serait montré désireux ou capable de transformer la Libye. Il affrontait une opposition faite d’intérêts entremêlés, tout comme son père lui-même lorsque celui-ci tenta des réformes. En 2010, les conservateurs fermèrent temporairement les organes de presse appartenant à Saïf parce que l’un de ses journaux avait publié une tribune libre critique à l’encontre du gouvernement. A la fin 2010, quoi qu’il en soit, Kadhafi l’ancien avait renvoyé son fils plus radical, Mutassim, un geste qui avait semblé préparer le terrain pour Saïf et son agenda réformiste. Même si Saïf n’allait pas transformer en une nuit la Libye en une démocratie jeffersonienne, il semblait réellement désireux d’éliminer les dysfonctionnements et les injustices les plus flagrants du régime de son père.

Même après le début de la guerre, des observateurs respectables exprimèrent leur confiance en Saïf. Dans une tribune libre du New York Times, Curt Weldon, un ancien membre républicain du Congrès américain originaire de Pennsylvanie qui avait effectué dix mandats, écrivit que Saïf « pourrait jouer un rôle constructif en tant que membre du Comité pour définir une nouvelle structure de gouvernement ou une nouvelle constitution. » Au lieu de quoi, des miliciens encouragés par l’OTAN capturèrent et jetèrent en prison le fils de Kadhafi. Dans une interview donnée en détention au journaliste Franklin Lamb en octobre 2014, Saïf exprima ses regrets : « Nous étions sur le chemin de réformes importantes, et mon père m’avait donné la responsabilité de les conduire. Malheureusement, la révolte est arrivée, et les deux camps ont commis des erreurs qui permettent aujourd’hui à des groupes islamistes extrémistes tels que Daesh [l’EI] de ramasser les morceaux et de transformer la Libye en une entité fondamentaliste extrême. »

LES LEÇONS DE LA LIBYE
Obama admet aussi des regrets concernant la Libye, mais il en a malheureusement retiré un mauvais enseignement. « Je pense que nous avons sous-estimé […] la nécessité d’intervenir à pleine puissance, » déclara le président à l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman en août 2014. « Si vous faites ça, » a-t-il développé, « il doit y avoir un effort beaucoup plus agressif de reconstruction des sociétés. »

Mais c’est exactement la mauvaise recette. L’erreur en Libye n’a pas consisté en un effort inadéquat après l’intervention, mais bien en premier lieu, dans la décision même d’intervenir. Dans des cas comme la Libye, où un gouvernement essaye d’étouffer une rébellion, une intervention militaire a de fortes chances de provoquer un retour de bâton en favorisant la violence, la chute de l’État et le terrorisme. La perspective d’une intervention crée également des incitations perverses pour des milices, à provoquer des représailles gouvernementales puis à hurler au génocide afin d’attirer l’aide étrangère – le risque moral qu’encourt toute intervention humanitaire.

La véritable leçon à tirer de la Libye est que lorsqu’un État cible précisément des rebelles, la communauté internationale doit se retenir de lancer une campagne militaire sur des bases humanitaires pour aider les militants. Le public occidental devrait également se méfier de rebelles cyniques qui exagèrent non seulement la violence de l’État mais aussi leur propre soutien populaire. Même quand un régime est très imparfait, comme l’était celui de Kadhafi, une intervention risque seulement d’alimenter la guerre civile – déstabilisant le pays, mettant en danger la vie des civils et ouvrant la voie aux extrémistes. Une conduite prudente consiste à promouvoir des réformes pacifiques du genre de celles que le fils de Kadhafi, Saïf, cherchait à réaliser.

L’intervention humanitaire devrait être réservée aux rares circonstances où des civils sont visés et où l’action militaire peut faire plus de bien que de mal, comme au Rwanda en 1994, pour lequel j’ai estimé qu’une opération menée à temps aurait pu sauver près de 100 000 vies. Évidemment, les grandes puissances peuvent vouloir faire usage de la force à l’étranger pour d’autres raisons – pour combattre le terrorisme, éviter la prolifération nucléaire ou renverser un dictateur dangereux. Mais elles ne doivent pas prétendre que la guerre qui en découle est humanitaire, ou se montrer surprises quand elle provoque la mort de nombreux civils innocents.

Source : Foreign Affairs29
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-debacle-libyenne-dobama-par-alan-j-kuperman/


Bernard-Henri Lévy, selon le CFR, l’Occident a aggravé la guerre en Libye puis en Syrie, par Maxime Chaix

Monday 29 February 2016 at 01:10

Source : Maxime Chaix, 07-02-201629

Pour des raisons promotionnelles, Bernard-Henri Lévy est à nouveau omniprésent sur la scène médiatique. Cet homme de réseaux et d’influence, qu’un académicien avait décrit comme le « vrai maître de la diplomatie » française, continue de justifier l’intervention de l’OTAN contre le régime libyen avec des arguments irréalistes. En effet, il estime que cette campagne a « évité à la Libye un destin syrien », en ce qu’elle aurait empêché Kadhafi d’« aller au bout de (…) projets meurtriers » pourtant loin d’être avérés. Nous allons montrer que ce raisonnement est invalide en résumant l’intervention clandestine et massive de l’Occident dans la guerre en Syrie, et en analysant une étude sur le conflit libyen parue dans Foreign Affairs, la revue du Council on Foreign Relations(CFR). En 2006, « devant les invités [de ce] prestigieux think tank new-yorkais, Lévy (…) confirm[a] qu’il partage “la vision morale et l’hostilité des néoconservateurs pour les Saddam, mollah Omar et Milosevic”. » Rapportant cet aveu, L’Express n’établit pas de lien entre cette posture « antitotalitaire » et les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés en Irak, en Afghanistan et en ex-Yougoslavie.

Cinq ans plus tard, cette même « vision morale » justifiera la campagne de l’OTAN contre la Libye, occultant les véritables buts de guerre de l’Élysée et de ses partenaires, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Qatar. Rendu public à la suite de l’Emailgate, un mémo confidentiel adressé à Hillary Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’État explicita « cinq facteurs motivant l’engagement de Nicolas Sarkozy à mener cette guerre en Libye : un désir d’obtenir une plus grande partie du pétrole libyen ; accroître l’influence française en Afrique du Nord ; améliorer sa situation politique intérieure en France ; offrir à l’armée française une chance de rétablir sa position dans le monde ; répondre à l’inquiétude de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique de l’Ouest ». Et comme l’a rapporté Régis Soubrouillard, BHL aurait « clairement fait savoir aux responsables du CNT qu’ils “avaient une dette envers la France au vu de son soutien précoce et que Sarkozy avait besoin de quelque chose de tangible à présenter aux leaders politiques et économiques français”. » Ces révélations confirment que l’humanisme fut le principal facteur de l’intervention occidentale en Libye…

Dans une tribune publiée le 16 mars 2011, Bernard-Henri Lévy et d’autres figures du Meilleur des Mondes avancèrent que Kadhafi « mitraille les populations civiles, “purge” les villes des opposants et fait régner la terreur. » Or, ces accusations ne résistent pas à l’épreuve des faits. Comme l’avait déclaré Rony Brauman, qui était initialement favorable à une intervention de l’OTAN,

« [l]’aventure libyenne est elle-même partie d’une manipulation médiatique caractérisée. Ce qui a décidé Sarkozy et Obama a été le mitraillage aérien des manifestants de Tripoli le 21 février, une fausse information diffusée par Al-Jazira sur la base d’un simple témoignage téléphonique. Or il n’y a pas eu de manifestations à Tripoli et encore moins d’avion mitraillant la foule. Aucun des médias dominants n’a daigné faire la moindre vérification. La première page du récit de Bernard-Henri Lévy La Guerre sans l’aimer débute là-dessus : alors au Caire pour soutenir le Printemps arabe, il est sur le point de rentrer en France quand il voit sur les écrans de l’aéroport les avions attaquer en piqué la foule. Il prend soin de préciser que l’importance d’un événement c’est son commencement. À raison : ce commencement-là n’a pas eu lieu, c’était un énorme montage propagandiste, et qui donnait le ton de la suite. »

À cette époque, la nécessité d’une action militaire était presque unanimement défendue par des médias qui, malgré les dérives du journalisme de meute et de la propagande de guerredéplorentqu’un nombre grandissant de citoyens ne leur fait plus confiance.

En Libye, la campagne de l’OTAN a prolongé la guerre et alourdi le bilan humain

Depuis le renversement de Mouammar Kadhafi, la situation sécuritaire en Libye est de plus en plus préoccupante. De ce fait, un nouvel engagement occidental dans ce pays semble inévitable, bien qu’il comporte de sérieux risques. Selon l’ancien diplomate Patrick Haimzadeh, en « [r]eléguant aux oubliettes la question cruciale de la reconstruction d’un État légitime et inclusif, une telle opération aurait toutes les chances de poser davantage de problèmes qu’elle n’est censée en résoudre ». Cet expert de la Libye considère notamment qu’une nouvelle action militaire occidentale pourrait renforcer Daech. Malgré cette impasse stratégique, Bernard-Henri-Lévy ne regrette rien et continue de qualifier cette intervention de « juste ». En son temps, Socrate avait déclaré que « [l]e mal vient de ce que l’homme se trompe au sujet du bien. » Comme d’autres « orateurs », BHL estime que cette intervention a empêché Kadhafi de tuer massivement son peuple. Or, une analyse du contexte réel précédant cette campagne de l’OTAN nous amène à la conclusion inverse : cette opération a prolongé ce conflit et elle en a dramatiquement alourdi le bilan humain, alors que les troupes libyennes reprenaient le contrôle du pays en essayant d’épargner les civils.

Dans Foreign Affairs, la revue du prestigieux CFR, l’universitaire Alan Kuperman a démontré que l’ampleur de la répression de Mouammar Kadhafi avait été grandement exagérée par les médias et les défenseurs d’une action militaire de l’OTAN. D’après cet expert,

« [b]ien que la Maison Blanche ait justifié sa mission en Libye par des motifs humanitaires, cette intervention a en fait nettement aggravé le bilan humain dans ce pays.Tout d’abord, il s’est avéré que la répression de Kadhafi a été bien moins meurtrière que ne l’indiquaient alors les médias. Dans l’Est libyen, où l’insurrection a démarré sous la forme de manifestations pacifiques ou violentes, Human Rights Watch a recensé seulement 233 morts durant les premiers jours des combats, et non 10 000 comme l’avait avancé la chaîne saoudienne Al Arabiya. En vérité, comme je l’avais documenté en 2013 dans dans [la revue universitaire] International Security, entre le début de la rébellion à la mi-février 2011 et l’intervention de l’OTAN à la mi-mars, seulement un millier de Libyens avaient été tués, dont des soldats et des rebelles. Dans cette période, un article d’Al Jazeera largement cité par les médias occidentaux avança que l’armée de l’air de Kadhafi avait mitraillé et bombardé des civils à Benghazi et à Tripoli. Or, selon le professeur Hugh Roberts, de la Tufts University, “cette histoire était fausse”, comme il l’a démontré dans une longue enquête publiée par la London Review of BooksAu contraire, en s’efforçant de minimiser les pertes civiles, les troupes de Kadhafi s’étaient abstenues d’avoir recours à la violence indiscriminée. »

En citant des sources crédibles, ce spécialiste expose d’autres manipulations médiatiques ayant motivé l’intervention de l’OTAN. À l’initiative de la tribune du 16 mars 2011, que Bernard-Henri Lévy a cosignée, l’écrivain Dominique Simonnet déclara en août 2014 que « Kadhafi était en train de massacrer son peuple dans une abomination sans nom. Je pense qu’il était impossible de ne pas dire : “Faisons quelque chose, nous qui avons les moyens d’intervenir”. » Que Monsieur Simonnet en ait conscience ou pas, cet argument censé réaffirmer le bienfondé de la campagne de l’OTAN en Libye est indiscutablement faux, comme l’a démontré M. Kuperman dans Foreign Affairs :

« [A]u moment de l’intervention, la violence en Libye était sur le point de cesser. Les troupes bien équipées de Kadhafi avaient mis en déroute les rebelles désorganisés, qui rentraient chez eux. À la mi-mars 2011, les forces gouvernementales s’apprêtaient à reprendre le dernier bastion rebelle de Benghazi, afin de mettre un terme à ce conflit qui n’avait engendré que 1 000 décès en un mois. Or, à ce moment précis, des expatriés libyens basés en Suisse, qui étaient liés aux rebelles, ont lancé des mises en garde sur l’imminence d’un “bain de sang” à Benghazi – [des propos alarmistes] dûment repris par les médias occidentaux, mais qui se sont avérés être de la pure propagande. En vérité, le 17 mars [2011], Kadhafi s’engagea à protéger les civils à Benghazi, comme il l’avait fait avant de reprendre les autres villes libyennes, ajoutant que ses forces “laissaient la possibilité” aux rebelles de se réfugier en Égypte. En résumé, les insurgés allaient perdre la guerre, donc leurs agents d’influence à l’étranger agitèrent le spectre du génocide pour susciter une intervention de l’OTAN – ce qui fonctionna à merveille. Il n’existe aucune preuve que Kadhafi avait planifié ou envisagé une campagne de tueries contre la population. Certes, le gouvernement avait tenté d’intimider les rebelles en promettant de les traquer sans relâche. Mais Kadhafi n’a jamais mis ces menaces à exécution en visant les civils. »

Dans son étude, Alan Kuperman analysa de nombreux chiffres relatifs aux décès survenus depuis le lancement de l’opération occidentale en Libye. Il en a déduit qu’avant cette campagne de l’OTAN, la guerre civile était sur le point de se conclure, après avoir engendré « seulement » 1 000 décès. Selon lui, « depuis cette intervention, la Libye a souffert d’au moins 10 000 morts supplémentaires. En d’autres termes, il semblerait que l’opération de l’OTAN ait multiplié par dix le nombre de morts violentes » dans ce pays. Bien entendu, en l’absence d’étude épidémiologique crédible, le bilan humain de cette guerre reste impossible à déterminer. Dans tous les cas, il est clair que des manipulations médiatiques de grande ampleur ont altéré notre perception du « Printemps arabe » libyen, justifiant une campagne militaire aux conséquences désastreuses. À cette époque, toujours selon M. Kuperman,

« [l]’intervention en Libye pourrait aussi avoir encouragé la violence en Syrie. En mars 2011, le soulèvement [dans ce pays] était encore largement non-violent et la réponse du gouvernement d’Assad, bien que criminellement disproportionnée, était relativement circonscrite, générant environ 100 morts par semaine. Après que l’OTAN eut donné l’avantage aux rebelles en Libye, les révolutionnaires syriens se sont tournés vers la violence à l’été 2011, s’attendant probablement à susciter une telle intervention. “C’est pareil que Benghazi”, déclarait alors un rebelle syrien au Washington Post, ajoutant : “Nous avons besoin d’une zone de non survol”. Il en résulta une escalade majeure du conflit en Syrie, ce qui générait au moins 1 500 morts par mois à partir de l’année 2013, un nombre 15 fois supérieur. »

Ainsi, il ressort de cette étude que, loin d’avoir « évité à la Libye un destin syrien », cette intervention de l’OTAN contre le régime de Mouammar Kadhafi a prolongé jusqu’à présent un conflit qui allait s’éteindre, tout en incitant les Syriens à militariser leur rébellion – parallèlement à l’infiltrationd’« al-Qaïda en Irak » (AQI) durant l’été 2011 pour combattre le régime el-Assad. Mais le lien entre ces deux conflits est encore plus évident lorsque l’on s’intéresse aux politiques profondes occidentales durant la guerre en Libye. En août 2014, le Washington Post a publié un important article intitulé « Les terroristes qui nous combattent aujourd’hui ? Nous venons tout juste de les entraîner ». D’après cette analyse,

« [a]u cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de milices afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part des forces [spéciales] et des services secrets français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi. »

Le grand reporter Seymour Hersh a mis en lumière d’autres liens entre ces deux conflits, décrivant un réseau d’approvisionnement en armes des rebelles anti-Assad organisé depuis Benghazi. Selon M. Hersh, durant l’été 2013, « le flux secret d’armes en provenance de Libye pour équiper l’opposition syrienne via la Turquie était en place depuis plus d’un an, ayant été lancé peu de temps après la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011. L’opération était en grande partie organisée depuis une annexe secrète de la CIA à Benghazi, avec l’aval du Département d’État [et la participation présumée de] l’ambassadeur US en Libye Christopher Stevens [, qui] fut tué lors d’une manifestation anti-américaine à Benghazi ». Peut-on alors parler de « non intervention » occidentale contre le régime el-Assad, une « inaction » que BHL fustige pour minorer l’ampleur du désastre libyen ? Afin de répondre à cette question, étudions de plus près les opérations clandestines de la CIA et de ses partenaires.

En Syrie, la guerre secrète de l’Occident et de ses alliés proche-orientaux a aggravé le conflit

Malgré le chaos que subit le peuple libyen, Bernard-Henri Lévy estime que la campagne de l’OTAN était préférable à la « non intervention » en Syrie – un argument qu’il avait déjà formulé lors d’un exposé controversé à l’IHEDN. Or, ce raisonnement de BHL n’est pas conforme au réel, car cette « non intervention » militaire des pays occidentaux relève du mythe.

En effet, bien que les puissances de l’OTAN et leurs alliés n’ont pas lancé de guerre ouverte contre le régime el-Assad, j’ai documenté l’année dernière une véritable guerre secrète multinationale de la CIA. Comme l’a récemment dévoilé le New York Times, cette opération fut baptisée Timber Sycamore, et elle a été principalement financée par l’Arabie saoudite. En juin 2015, elle avait été décrite par le Washington Post comme « “l’une des plus grandes opérations clandestines” [de la CIA], dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. D’après ce journal, cette intervention secrète (…) s’inscrit dans un “plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie”, c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie. »

Cette guerre secrète de grande ampleur a alimenté dès janvier 2012 l’essor du Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, dont l’« État Islamique » faisait partie intégrante jusqu’à la scission d’avril 2013. À différents degrés, cette campagne a mobilisé de nombreuses agences moyen-orientales et occidentales, y compris les services spéciaux français, comme me l’avait confirméle député et ancien juge antiterroriste Alain Marsaud. Si l’on observe les dernières estimations de l’OSDH, sur un nombre total d’environ 260 000 victimes, la guerre en Syrie a tué environ 76 000 civils, donc approximativement 184 000 combattants. Reprenant les chiffres de cette organisation, Le Figaro soulignait en août dernier que « le bilan le plus lourd se trouve du côté des forces du régime avec 88 616 morts, soit un tiers des personnes décédées durant cette guerre ». Sans le soutien extérieur massif de l’Occident, de la Turquie et des pétromonarchies du Golfe, la rébellion n’aurait pu être aussi meurtrièrement efficace. En octobre 2015, l’universitaire Joshua Landis assura qu’« entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites en Syrie sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés ». Cette politique profonde a donc fortement aggravé ce conflit, en renforçant des réseaux extrémistes officiellement désignés comme nos ennemis.

Depuis le début de la guerre en 2011, l’OSDH a recensé plus de 40 000 jihadistes étrangers morts en Syrie. Récemment, un haut gradé de l’état-major français estimait que, sur environ 100 000 rebelles anti-Assad, « 80 000 (…) appartiennent soit à des groupes terroristes désignés comme tels par les Nations Unies, soit à des groupes salafistes extrémistes. » Or, il est de notoriété publiquequ’en Syrie, les différentes factions jihadistes ont été appuyées par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Moins exposée dans les médias, la complicité des services occidentaux dans cette politique clandestine est dorénavant indiscutable. En octobre dernier, une parlementaire états-unienne avait publiquement dénoncé le soutien d’al-Qaïda par la CIA afin de renverser Bachar el-Assad. Plus récemment, en se basant sur des témoignages de hauts responsables de la sécurité nationale, Seymour Hersh confirma que le Pentagone était hostile à cette politique de l’Agence, puisqu’elle renforçait des factions jihadistes susceptibles de s’emparer du pouvoir. Le Président Obama ayant intensifié cette guerre secrète à partir de septembre 2013, le raisonnement de Bernard-Henri Lévy sur la « non intervention » occidentale en Syrie est donc totalement biaisé.

Conclusion : avant toute intervention, seuls les experts doivent influencer l’État

Se référant à « l’art de la guerre » et au krach de 2008, l’économiste Jacques Sapir a récemment souligné qu’en matière de conflits armés comme de crises financières, les décideurs « doivent réagir dans un temps très court et (…), bien souvent, [ils] n’ont pas les moyens (ou les capacités) de peser complètement le pour et le contre de leurs actions. Ils prennent alors des décisions importantes sur la base de paris, de règles heuristiques, qui peuvent être validées ou invalidées par la suite des événements. C’est ce qui rapproche la décision financière de la décision militaire. » Néanmoins, lorsque la sécurité nationale n’est pas en péril, et que les risques d’un génocide ne sont pas clairement établis, une telle urgence décisionnelle n’est pas justifiée – n’en déplaise à ces « orateurs » dont les velléités interventionnistes sont traditionnellement conformes aux intérêts de Washington.

Néanmoins, dans le cadre d’une campagne de Libye qui semblait préméditée, l’urgence décisionnelle n’est pas la clé du problème. Afin d’éviter la répétition d’un tel désastre, qui a eu comme conséquence de déstabiliser l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Sahel, il faudrait ôter au chef de l’État le pouvoir discrétionnaire de déclencher une intervention lorsque notre sécurité nationale n’est pas directement et immédiatement menacée. En effet, une véritable frénésie guerrière a investi les locataires de l’Élysée depuis l’ère Sarkozy, ce qui dégrade nos capacités militaires et nous engage dans des conflits inextricables. Et comme l’a pertinemment souligné Jean-Claude Guillebaud,

« [Gaston Bouthoul] écrivait en 1951 que, contrairement à l’idée répandue selon laquelle les démocraties ne font pas la guerre, les dirigeants des démocraties sont toujours tentés de faire la guerre, car celle-ci les “sanctifie” en faisant d’eux des personnages incritiquables. La guerre offre l’opportunité de croire que l’on est du côté du bien et cela de manière indiscutable. Le corollaire de cela est que les démocraties diabolisent leur ennemi au-delà de ce qui est nécessaire. Souvenons-nous de Saddam Hussein : il était notre allié contre l’Iran puis les choses ont changé et il est devenu un nouvel Hitler. Pour le chef de l’État, il est plus “facile” de faire la guerre que de combattre le chômage. La guerre offre des résultats immédiats et quantifiables. Elle est propice aux grandes envolées lyriques et patriotiques. C’est pourquoi elle les fascine, assez naïvement d’ailleurs. On l’a vu avec Nicolas Sarkozy en Libye, puis François Hollande au Mali. »

Alors que l’État ne parvient pas à redresser l’économie, cette frénésie guerrière devient presque irrationnelle, au vu de la multiplication des déclarations martiales de Manuel Valls et de François Hollande depuis le 13-Novembre. Accordant un pouvoir militaire exorbitant au chef de l’État, la Constitution doit être réformée utilement. En effet, la multiplication des opérations extérieures nous a précipités vers un état de guerre perpétuelle, induisant une forme d’état d’urgence permanent qui menace notre démocratie. Ainsi, en cas d’agression militaire étrangère ou d’insurrection armée, le Président doit garder la capacité de réagir immédiatement. Mais lorsque la France n’est pas directement menacée, comme en Libye (2011) ou en Syrie (2013), il est indispensable de modifier l’article 35 de la Constitution afin que le Parlement autorise a priori le chef de l’État à déclencher toute action militaire de grande ampleur.

Pour qu’une telle décision soit la plus rationnelle possible, nos parlementaires devraient en étudier l’opportunité grâce à un collège de spécialistes de l’IHDENqui est l’« établissement public administratif français d’expertise et de sensibilisation en matière de Défense, placé sous la tutelle directe du Premier ministre ». La polémique précédant la conférence de Bernard-Henri Lévy au sein de cette institution est symptomatique de l’influence démesurée de cet homme dans les arcanes décisionnels français, ce qu’avait souligné Jean-Christophe Rufin en le qualifiant de « ministre des Affaires étrangères officieux ». Cet état de fait n’est plus tolérable, et l’exemple libyen nous démontre qu’il est même dangereux. Afin de réintroduire de la rationalité dans la politique étrangère de l’Exécutif, l’IHEDN doit être considéré comme le seul organisme légitime pour conseiller les autorités sur les questions stratégiques et militaires. Les « orateurs » trop influents, qui prônent un interventionnisme à géométrie variable, doivent être mis à l’écart du débat public. En effet, ils ont défendu des actions militaires désastreuses en se trompant lourdement dans leurs diagnostics et leurs prévisions, comme certains d’entre eux l’ont admis concernant l’Irak, mais comme ils refusent de le concéder au sujet de la Libye. Et puisqu’il ne dispose d’aucune légitimité légale, Bernard-Henri Lévy doit être écarté des processus décisionnels aboutissant à la guerre, un acte trop grave pour être justifié par l’émotion populaire – à plus forte raison lorsqu’elle est exacerbée par de faux prétextes humanitaires.

Maxime Chaix

Source : Maxime Chaix, 07-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/bernard-henri-levy-selon-le-cfr-loccident-a-aggrave-la-guerre-en-libye-puis-en-syrie-par-maxime-chaix/


“Merci patron !” : “C’est ‘Bienvenue chez les Ch’tis’, mais de gauche” par Denis Demonpion

Sunday 28 February 2016 at 03:19

Source : Le Nouvel Obs, Denis Demonpion, 25-02-2016

mercipatron

Avec “Merci patron !”, charge féroce et engagée contre le milliardaire Bernard Arnault, le journaliste François Ruffin réalise son premier film. Interview.

Auteur du pamphlet “Les Petits soldats du journalisme”, collaborateur du “Monde diplomatique” et longtemps reporter pour l’émission “Là-bas si j’y suis” de Daniel Mermet sur France Inter, François Ruffin, 41 ans, est le fondateur et rédacteur en chef de la revue “Fakir”.

“Merci patron !”, sorti en salles ce mercredi, est la première réalisation d’un journaliste engagé qui se défend d’être réalisateur. Ce documentaire en forme de satire sociale s’en prend à l’impact humain des méthodes de Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH et première fortune de France, en peignant le combat “de pieds nickelés picards contre le Goliath du luxe”. Interview.

Comment vous est venue l’idée de ce film ?

– J’ai grandi à Amiens, dans une région où, quand on voit les boîtes qui ferment les unes après les autres, les gens qui sont laissés sur le carreau, on n’a pas le même rapport à la société qu’à Paris. “L’Obs” même apparaît un peu décalé. J’avais été frappé par la délocalisation d’une usine Yoplait de 89 employés pas loin de chez moi. L’hebdomadaire municipal, “Le Journal des Amiénois”, n’y avait pas consacré une ligne, préférant titrer sur le carnaval fou et gratuit. Ce mensonge par omission m’a convaincu de lancer en 1999 mon propre journal “Fakir” que l’on continue à vendre à la criée. Nous en vendons chaque fois 15.000 exemplaires dont 6.000 par abonnement.

Puis en 2001 le fabricant Whirlpool a, lui aussi, délocalisé son usine de lave-linge en Slovaquie. A la faveur d’une étude économique, j’ai appris qu’il y avait deux marchés de lave-linge, un pour celui qui s’ouvre sur le dessus, l’autre sur le devant. Avant cela, il y avait eu le démantèlement de l’empire textile Boussac, racheté par Bernard Arnault, qui avait promis de maintenir des emplois. Or les usines sont aujourd’hui des friches industrielles et les ouvriers ont perdu leur emploi.

Comme le couple Klur, ces anciens salariés de Kenzo [groupe LVMH de Bernard Arnault, NDLR], chez qui vous faites irruption dans le film et que vous aidez à sortir de la mouise, alors qu’ils sont sous la menace d’être expulsés de chez eux ?

– J’ai toujours été animé par un sentiment d’injustice. Quand vous la dénoncez, de même que la précarité, ça reste de l’ordre du concept. Mais quand vous êtes confronté à une situation comme celle des Klur, vous la ressentez dans vos tripes. Vous êtes alors habité par une sorte de rage qui vous ferait soulever des montagnes.

Qu’est-ce qui a provoqué chez vous ce sentiment d’injustice ?

– Cela m’est venu très tôt. Dès la fin de l’école primaire. [Silence. Il porte les yeux sur son hot-dog] Je n’ai pas envie d’en dire plus car je ne souhaite pas entrer dans les arcanes de la famille.

En regardant “Merci Patron !”, on pense au réalisateur Michael Moore et à sa critique sociale de la société américaine, notamment dans ses documentaires “Roger et moi” sur la désindustrialisation de Détroit après la fermeture des usines Ford, et “Bowling for Columbine” sur la libre-circulation des armes à feu aux Etats-Unis.

– On a raison de penser ça. Les films de Michael Moore sont des séquences de trois ou cinq minutes, mais pas une histoire racontée de A à Z. Sauf dans “Roger et moi”, qui a été pour moi un vrai choc quand je l’ai vu. Pour ma part, je ne suis pas un réalisateur. Je me situe sur le terrain de l’information. J’ai fait ce film par inadvertance. Contrairement aux cinéastes qui lorsqu’ils sortent un film parlent toujours du suivant, moi je n’en ai pas un deuxième en cours.

Cela dit, j’ai eu beaucoup de chances au moment de le réaliser. Je le dis sans modestie : c’est un film exceptionnel, un film comme il n’en existe pas d’autres. La chance a été que Bernard Arnault nous envoie un émissaire quand on l’a contacté pour qu’il vienne en aide à ses anciens salariés. Au fond, c’est lui qui fait le film.

Sans l’envoi de cet émissaire qui est en réalité un commissaire chargé de la sécurité au sein du groupe de luxe, le film n’existait pas ?

– J’ai toujours quinze scénarios dans la tête. Mais c’est le plus beau qui s’est produit. Sans cela, nous serions allés les emmerder aux journées particulières que le groupe organise chaque année pour le public.

Quand vous exigez (et obtenez) sous la menace de tout divulguer à la presse, que Bernard Arnault verse 40.000 euros au couple et trouve un emploi au mari, n’avez-vous pas craint qu’il vous attaque pour chantage ou extorsion de fonds ?

– Cette idée ne m’a pas effleuré un instant. Quand je fais quelque chose, je ne me pose pas de questions juridiques. Le droit est fait pour être tordu. Il est sujet à interprétation et dépend du rapport de force au moment de l’application du texte de loi. Quand j’ai tourné cette scène, je rigolais. Dans le passé, avec “Fakir”, j’ai eu pas mal de procès pour diffamation. Je les ai tous gagnés, sauf un, à titre personnel, pour un livre dans lequel je faisais une blague sur un restaurateur.

Un procès est toujours une épreuve et de ce point de vue. Je suis admiratif de Denis Robert et du travail qu’il a réalisé sur Clearstream [la chambre de compensation luxembourgeoise, NDLR] ainsi que de sa capacité à ne pas s’écrouler. Je ne sais pas comment il a fait… Putain ! Chapeau.

En dehors de Michael Moore, quels sont vos modèles ?

– J’ai plein d’admiration pour des genres et des gens très divers. Cela va des westerns – d’où le clin d’œil aux “Sept Mercenaires” dans “Merci Patron !” quand on va chercher ceux qui vont nous prêter main forte pour partir en croisade contre Bernard Arnault – à Frank Capra. J’aime aussi beaucoup Jean-Yves Lafesse et ses calembours politiques.

Quand j’étais gosse, je me moquais des gens qui venaient à la maison. Pour m’excuser ma mère disait toujours : “Il est taquin. Vous le connaissez… Il est taquin”. Oui, je suis blagueur. Quand je travaillais pour l’émission de Daniel Mermet sur France Inter “Là-bas si j’y suis”, j’y apportais de la blague en politique. Et j’ai pour Cavanna une admiration sans borne. Je connais tout de lui. Comme pour Renaud dont j’apprécie beaucoup le travail sur la langue.

Et politiquement ?

– Je suis entré en politique en “isolé” sans appartenance aucune. Comme pour “Fakir”, créé en totale indépendance. J’ai la plus grande méfiance pour les partis. J’ai cependant beaucoup apprécié la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2012. Il y avait un élan. Mais revenir en arrière comme ça comme il l’a fait c’est du suicide. Quand je vois le désarroi actuel de la “gauche” – j’y mets des guillemets – je me dis que “Merci Patron !” est peut-être le début de quelque chose. Il parle aux intellos et au populo. Il fonctionne. C’est “Bienvenue chez les Ch’tis”, mais de gauche.

Propos recueillis par Denis Demonpion

Source : Le Nouvel Obs, Denis Demonpion, 25-02-2016

« Merci patron ! », de François Ruffin

Un film d’action directe

par Frédéric Lordon

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Comme on ne risque pas d’avoir les studios Universal sur le dos et qu’en réalité il ne s’agit pas tout à fait d’un film à suspense, on peut révéler l’intrigue de Merci patron !, de François Ruffin (1). C’est l’histoire de Serge et Jocelyne Klur, employés d’Ecce, filiale du groupe LVMH, plus exactement employés de son usine de Poix-du-Nord, jadis chargée de la confection des costumes Kenzo. « Jadis », car, mondialisation oblige, le groupe a cru bon d’en délocaliser toute la production en Pologne. Moyennant quoi les Klur ont été invités à se rendre employables ailleurs. Cependant, ils explorent méthodiquement la différence entre employables et employés. Depuis quatre ans. Evidemment, la fin de droits a été passée depuis belle lurette, on tourne à 400 euros par mois, la maison est fraîche — forcément, il n’y a plus de chauffage, et il a fallu se replier dans la seule pièce habitable. Au rayon des vertus tonifiantes, on compte aussi l’élimination de tout excès alimentaire et l’adoption de saines résolutions diététiques ; on peut même aller jusqu’à parler de rationnement — Noël avec une tartine de fromage blanc, les amis de la frugalité apprécieront.

On en est là, c’est-à-dire déjà sur un grand pied, quand survient un avis de saisie de la maison, ni plus ni moins, à la suite d’une ardoise d’assurance de 25 000 euros. Pour les Klur, qui considèrent qu’on est « un gros », voire « un capitaliste », à partir de 3 000 euros par mois, c’est là tomber d’un coup dans des ordres de grandeur qui font sortir de la Voie lactée. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs de tirer des conséquences pratiques. En l’occurrence sous la forme du projet, si c’est ça, de foutre le feu à la maison — la seule chose que les Klur aient vraiment eue à eux et dont ils ont tiré à peu près tout ce que l’existence leur a réservé de joies.

On ne fait pas plus local que le cas Klur. Et on ne fait pas plus global non plus. Car les Klur offrent en concentré un résumé presque complet du système. Pourtant, contrairement à bon nombre de ceux qui ont traité avant lui de la condition salariale à l’époque néolibérale, le film de François Ruffin n’a aucune visée analytique ou pédagogique. C’est un film d’un autre genre, difficilement identifiable, d’ailleurs, au regard des catégories cinématographiques habituelles. Le plus juste serait sans doute d’en dire qu’il est un film d’action directe. Car Ruffin, qui a Bernard Arnault dans le collimateur depuis un moment, veut littéralement faire quelque chose de la situation des salariés d’Ecce. En 2008, déjà, il avait fait débouler impromptu les licenciées à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH (2). Cette fois, ce sera l’attaque frontale : Klur-Ruffin contre Arnault. L’époque néolibérale enseignant que si l’on ne demande pas avec ce qu’il faut de force, on n’obtient rien, Klur-Ruffin va demander. Avec ce qu’il faut de force. En l’occurrence : 45 000 euros de dédommagement pour réduction à la misère, plus un contrat à durée indéterminée (CDI) quelque part dans le groupe pour Serge ! Et sinon, campagne de presse. Pas Le Monde, pas France Inter, pas Mediapart : Fakir, journal fondé par Ruffin et basé à Amiens. Tremblez, puissants !

C’est à ce moment que le film passe d’un coup dans la quatrième dimension, et nous avec. Car dans le cortex frontal de l’éléphant, l’attaque du moustique a semé un sacré foiridon. Et le puissant se met à trembler pour de bon. On ne peut pas raconter ici la série des hilarantes péripéties qui y conduisent, mais le parti pris de spoiler commande au moins de donner tout de suite la fin de l’histoire : Bernard Arnault s’affale ! On se pince. C’est simple, on ne peut pas y croire. On se dit que le projecteur est couplé à un diffuseur de champignons, qu’on est victime. Or tout est vrai. Comme la physique contemporaine a établi l’existence de l’antimatière, la physique sociale de Merci patron ! nous découvre l’univers parallèle de l’antilutte des classes : tout s’y passe comme dans l’autre, mais à l’envers. C’est l’opprimé qui fait mordre la poussière à l’homme aux écus. On se doute que cette irruption de l’univers inversé dans l’univers standard est un événement rare. Mais on l’a vue, de nos yeux vue ! Alors il faut bien y croire. Avec cet effet particulier que la reddition de l’entendement donne aussitôt l’irrésistible envie de renouveler les résurgences du bon univers dans le mauvais, et pourquoi pas de l’y transfuser totalement.

Passé l’incrédulité, le premier effet de ce film à nul autre pareil, c’est donc de donner le goût des ambitions révisées à la hausse. En commençant par prendre l’exacte mesure de ce qu’il annonce. D’abord, le cauchemar de la droite socialiste : lutte des classes pas morte ! Ça n’était pourtant pas faute d’avoir rédigé toutes les variantes possibles et imaginables de son acte de décès. C’est que, de la lutte des classes, on peut dire ce qu’on veut : que son paysage s’est complexifié ; que le feuilletage de la couche intermédiaire des « cadres » a créé une vaste catégorie d’êtres bifaces, partie du côté du capital (par identification imaginaire), partie du côté du salariat (par statut) ; que cette nouvelle sociologie a fait perdre à la polarisation de classes sa netteté originelle, etc. De la lutte des classes, donc, on peut dire tout cela. Mais certainement pas qu’elle a disparu. Pour en réapercevoir le noyau, il faut cependant monter des opérations de court-circuit, qui font revenir à l’os : typiquement, les ouvrières d’Ecce faisant effraction parmi les actionnaires de LVMH en train de discuter des dividendes, soit le face-à-face pur du capital exploiteur et du travail exploité. Ou alors les Klur : la misère directement rapportable à la valorisation du capital.

Evidemment, ce sont là des spectacles que la droite socialiste voudrait beaucoup s’épargner, et qu’elle s’emploie d’ailleurs à conjurer autant qu’elle peut par toutes les armes de la dénégation. A l’image de la fondation Terra Nova qui, en 2011, s’était mise en devoir d’expliquer que les classes populaires (« populaires » pour ne même plus avoir à dire « ouvrières ») étaient, sinon sociologiquement inexistantes, en tout cas politiquement inintéressantes : ça n’était plus pour elles que la droite socialiste devait penser sa politique. Comme on sait, le problème avec les morts mal tués et mal enterrés, c’est qu’ils reviennent. Ici, les morts font tout de même 25 % de la population active, auxquels ajouter 25 autres pour cent d’employés — une sacrée armée de zombies. Et la promesse de nuits agitées pour tous ceux qui auront pris leurs entreprises de déréalisation pour le réel même. Il faut croire que les spectres gardent le pouvoir d’en terroriser encore quelques-uns, si l’on en juge par l’empressement de Bernard Arnault à dépêcher les sbires de sa sécurité pour négocier contre euros le silence des Klur. Le secrétaire général du groupe, un hiérarque du Parti socialiste, convaincu que le progressisme consiste essentiellement en la progression des dividendes, est à lui seul un résumé sur pattes de toute l’histoire de son parti, doublé d’un fameux cornichon, dont toutes les savantes manœuvres vont conduire Bernard Arnault à la double déconfiture : payer et la publicité !

Ainsi, il arrive aux classes « populaires » de revenir du néant où on a voulu les enfouir, et d’en revenir avec quelque fracas. C’est là sans doute la seconde bonne nouvelle de l’évangile selon saint Klur : il se pourrait que cet ordre social soit beaucoup plus fragile qu’on ne le croit. On commence en tout cas à se poser de sérieuses questions lors de cette scène sublunaire qui voit un ex-commissaire des renseignements généraux, devenu barbouze privé pour l’empire du sac à main, négocier avec les Klur devant une caméra cachée (lui cherche un magnétophone sous une chaise…) et devenir quasi hystérique à l’évocation de Fakir. Que la campagne de presse passe par Le Monde, Mediapart ou par François Hollande, il n’en a cure. Mais Fakir ! Et c’est Molière chez les Picards, avec, à la place de Diafoirus qui trépigne « Le poumon ! », l’ex-commissaire Machin devenu maboule : « Fakir ! Fakir ! » — on le menacerait de tout envoyer à CNN ou au pape, il continuerait de glapir comme un possédé : « Fakir ! »

Rendu à ce point du visionnage, et totalement éberlué, on tente soi-même de reprendre pied pour former à nouveau quelques idées générales. D’ailleurs, avec l’aide du commissaire lui-même ! Qui, du fond de son sens commun de flic, est détenteur d’une philosophie politique à l’état pratique : pourquoi Fakir, qui est tout petit ? Parce que, explique le commissaire, « c’est les minorités agissantes qui font tout ». Si des Klur coachés par le camarade Ruffin ont le pouvoir de mettre Bernard Arnault à quatre pattes, c’est bien qu’en face, on a peur. Confusément conscience que tant de vilenies accumulées ne pourront pas rester éternellement impunies, et peur. Mais alors quid de dix, de cent Klur-Ruffin, d’une armée de Klur-Ruffin ? Et puis décidés à obtenir autre chose que la simple indemnisation de la misère ? Et si l’espoir changeait de camp, si le combat changeait d’âme ?

Le propre des films d’action directe, c’est qu’ils propagent leurs effets bien après leur dernière image. De celui-ci, on sort chargé comme une centrale électrique et avec l’envie de tout renverser — puisque, pour la première fois, c’est une envie qui nous apparaît réaliste. Ecrasés que nous étions par la félonie de la droite socialiste, par l’état d’urgence et la nullité des boutiques de la gauche, Merci patron ! nous sort de l’impuissance et nous rebranche directement sur la force. Ça n’est pas un film, c’est un clairon, une possible levée en masse, un phénomène à l’état latent. De cet événement politique potentiel, il faut faire un événement réel.

Frédéric Lordon

Economiste
Source : Le Nouvel Obs, Denis Demonpion, 25-02-2016

 

Source: http://www.les-crises.fr/merci-patron-cest-bienvenue-chez-les-chtis-mais-de-gauche-par-denis-demonpion/


Maria Zakharova à RT : «Nous n’avons plus le temps de jouer, les terroristes sont déjà parmi nous»

Sunday 28 February 2016 at 02:19

Source : Youtube, 21-02-2016

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La Russie a été durement critiquée pour sa campagne contre Daesh et accusée par les médias occidentaux d’avoir provoqué des morts civils lors de ses frappes en Syrie. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères était l’invitée de l’émission «In the Now» pour répondre à ses diverses accusations et pour livrer son point de vue de la situation internationale actuelle.

Source : Youtube, 21-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/maria-zakharova-a-rt-nous-navons-plus-le-temps-de-jouer-les-terroristes-sont-deja-parmi-nous/


Revue de presse internationale du 28/02/2016

Sunday 28 February 2016 at 01:22

La sélection internationale de la semaine avec quelques articles en version française et en particulier en VOST l’interview de la porte-parole du ministère des affaires étrangères russes – qui (si les sous-titres sont exacts) tranche avec celle des amateurs bien de chez nous… Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-28022016/


Marcel Pagnol (1895-1974)

Sunday 28 February 2016 at 00:02

Comme j’ai loupé les 120 ans de Pagnol (né le 28/2/1895), je me rattrape sur les 121, avec la fin magnifique du Château de ma mère

Source :

Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins.
Cinq ans plus tard, je marchais derrière une voiture noire, dont les roues étaient si hautes que je voyais les sabots des chevaux. J’étais vêtu de noir, et la main du petit Paul serrait la mienne de toutes ses forces. On emportait notre mère pour toujours.
 
De cette terrible journée, je n’ai pas d’autre souvenir, comme si mes quinze ans avaient refusé d’admettre la force d’un chagrin qui pouvait me tuer. Pendant des années, jusqu’à l’âge d’homme, nous n’avons jamais eu le courage de parler d’elle. Puis, le petit Paul est devenu très grand. Il me dépassait de toute la tête, et il portait une barbe en collier, une barbe de soie dorée. Dans les collines de l’Étoile, qu’il n’a jamais voulu quitter, il menait son troupeau de chèvres ; le soir, il faisait des fromages dans des tamis de joncs tressés, puis sur le gravier des garrigues, il dormait, roulé dans son grand manteau : il fut le dernier chevrier de Virgile. Mais à trente ans, dans une clinique, il mourut. Sur la table de nuit, il y avait son harmonica.
Mon cher Lili ne l’accompagna pas avec moi au petit cimetière de La Treille, car il l’y attendait depuis des années, sous un carré d’immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms…
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins.  Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. 
——————-
ENCORE dix ans, et je fondai à Marseille une société de films. Le succès couronna l’entreprise, et j’eus alors l’ambition de construire, sous le ciel de Provence, la « Cité du Cinéma » ; un « marchand de biens » se mit en campagne, à la recherche d’un « domaine » assez grand pour accueillir ce beau projet. Il trouva mon affaire pendant que j’étais à Paris, et c’est par le téléphone qu’il m’informa de sa découverte. Mais il m’apprit en même temps qu’il fallait conclure la vente en quelques heures, car il y avait d’autres acheteurs. Son enthousiasme était grand, et je le savais honnête : j’achetai ce domaine sans l’avoir vu.
Huit jours plus tard, une petite caravane de voitures quitta les studios du Prado. Elle emportait les hommes du son, les opérateurs de la prise de vues, les techniciens des laboratoires. Nous allions prendre possession de la terre promise, et pendant le voyage, tout le monde parlait à la fois. Nous franchîmes une très haute grille, déjà ouverte à deux battants.
Au fond d’une allée de platanes centenaires, le cortège s’arrêta devant un château. Ce n’était pas un monument historique, mais l’immense demeure d’un grand bourgeois du Second Empire : il avait dû être assez fier des quatre tours octogonales et des trente balcons de pierre sculptée qui ornaient chaque façade…
Nous descendîmes aussitôt vers les prairies, où j’avais l’intention de construire les studios.
J’y trouvai des hommes qui dépliaient des chaînes d’arpenteurs, d’autres qui plantaient des jalons peints en blanc, et je regardais orgueilleusement la naissance d’une grande entreprise, lorsque je vis au loin, en haut d’un remblai, une haie d’arbustes… Mon souffle s’arrêta et, sans en savoir la raison, je m’élançai dans une course folle à travers la prairie et le temps. Oui, c’était là. C’était bien le canal de mon enfance, avec ses aubépines, ses clématites, ses églantiers chargés de fleurs blanches, ses ronciers qui cachaient leurs griffes sous les grosses mûres grenues…
Tout le long du sentier herbeux, l’eau coulait sans bruit, éternelle, et les sauterelles d’autrefois, comme des éclaboussures, jaillissaient en rond sous mes pas. Je refis lentement le chemin des vacances, et de chères ombres marchaient près de moi.
  C’est quand je le vis à travers la haie, au-dessus des platanes lointains, que je reconnus l’affreux château, celui de la peur, de la peur de ma mère.
J’espérai, pendant deux secondes, que j’allais rencontrer le garde et le chien. Mais trente années avaient dévoré ma vengeance, car les méchants meurent aussi. Je suivis la berge : c’était toujours « une passoire », mais le petit Paul n’était plus là pour en rire, avec ses belles dents de lait…
Une voix au loin m’appela : je me cachai derrière la haie, et j’avançai sans bruit, lentement, comme autrefois… Je vis enfin le mur d’enceinte : par-delà les tessons de la crête, le mois de juin dansait sur les collines bleues ; mais au pied du mur, tout près du canal, il y avait l’horrible porte noire, celle qui n’avait pas voulu s’ouvrir sur les vacances, la porte du Père Humilié…
Dans un élan de rage aveugle, je pris à deux mains une très grosse pierre, et la levant d’abord au ciel, je la lançai vers les planches pourries qui s’effondrèrent sur le passé. Il me sembla que je respirais mieux, que le mauvais charme était conjuré.
Mais dans les bras d’un églantier, sous des grappes de roses blanches et de l’autre côté du temps, il y avait depuis des années une très jeune femme brune qui serrait toujours sur son cœur fragile les roses rouges du colonel. Elle entendait les cris du garde, et le souffle rauque du chien. Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle ne savait pas qu’elle était chez son fils.

Source: http://www.les-crises.fr/marcel-pagnol/


[Pétition] Loi travail : non, merci ! Par Caroline De Haas

Saturday 27 February 2016 at 03:54

Pour ma part, j’ai signé la pétition. Et vous ? 😉

Source : Change.org, Caroline De Haas

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La ministre du travail propose une réforme qui transforme en profondeur le code du travail.

Parmi les éléments proposés dans le projet actuel 

☞  En cas de licenciement illégal, l’indemnité prud’homale est plafonnée à 15 mois de salaire.

☞  Les 11 heures de repos obligatoire par tranche de 24 heures peuvent être fractionnées.

☞  Une entreprise peut, par accord, baisser les salaires et changer le temps de travail

☞  Les temps d’astreinte peuvent être décomptés des temps de repos

☞  Le dispositif « forfaits-jours », qui permet de ne pas décompter les heures de travail, est étendu

☞ Les apprentis mineurs pourront travailler 10 heures par jour et 40 heures par semaine

☞  Le plancher de 24 heures hebdomadaires pour un contrat à temps partiel n’est plus la règle dans la loi (confirmation d’une loi antérieure).

☞  Il suffit d’un accord d’entreprise pour que les heures supplémentaires soient 5 fois moins majorées.

☞  Une mesure peut-être imposée par référendum contre l’avis de 70% des syndicats.

☞  Une entreprise peut faire un plan social sans avoir de difficultés économiques.

☞  Après un accord d’entreprise, un-e salarié-e qui refuse un changement dans son contrat de travail peut être licencié.

☞  Par simple accord on peut passer de 10h à 12h de travail maximum par jour.

Salarié-e-s ou non : cette réforme nous concerne toutes et tous !

Interpellez la ministre du travail et demandez lui de renoncer à ce projet.

1. Signez la pétition
2. Interpellez la ministre sur http://loitravail.lol
3. Likez la page Facebook de la mobilisation

Signez la pétition et RDV sur http://loitravail.lol

Source : Change.org, Caroline De Haas


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Re-situons la chose : aujourd’hui, en cas de décès d’un proche de ta famille, tu as légalement le droit à deux jours de congé.

Et avec ce texte… si ton enfant meurt… eh bah ce sera au bon vouloir de l’employeur.

Pouvons-nous laisser des personnes capables de telles idées toucher au code du travail ?

Heureusement, enfin un soutien de poids pour le gouvernement. Merci Pierre !

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(bizarre, moi je trouve au contraire que ça éclaircit le paysage politique…)

Source: http://www.les-crises.fr/loi-travail-non-merci-par-caroline-de-haas/


Garry Kasparov: « Poutine veut affaiblir l’UE »

Saturday 27 February 2016 at 02:00

Désolé pour la redondance, mais comme je l’ai dit, il faut bien percevoir ces signaux de faible intensité, mais récurrents. (mais c’est drôle ces mêmes arguments, issus de clairs éléments de langage, non ?)

Garry Kasparov : « Poutine veut affaiblir l’UE »

Source : Le Figaro, 25-02-2016

Invité d’Europe 1, Garry Kasparov, opposant russe à Vladimir Poutine, a déclaré que ce dernier voulait “affaiblir l’Union Européenne”. Dans son nouveau livre, Winter is coming, Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs dresse un inquiétant tableau du dirigeant russe. Il va même jusqu’à comparer Poutine à Hitler. “Si on veut savoir ce que faisait Hitler en 36-37, il suffit27 de lire les journaux. Ils ont tous considérés Hitler comme un homme parfaitement légitime avec lequel il fallait compter. Je n’ai pas envie de découvrir ce qu’il se passera si Vladimir Poutine devient subitement un parfait Hitler”, explique l’opposant, rappelant que Poutine a déjà “un programme très agressif”, notamment “en détruisant les droits de l’homme dans les pays voisins”.

Sur la crise en Syrie, Kasparov juge inutile de négocier avec le maître du Kremlin. “Si vous me demandez qu’elles sont les options en dehors de la négociation avec Poutine, vous avez déjà avoué votre totale impuissance”, affirme-t-il. Il explique que pour le dirigeant russe, la Syrie n’est qu'”une opportunité pour se présenter sur la scène internationale comme quelqu’un qui peut défier l’Otan et dicter ses propres termes”. Pour l’opposant russe, l’objectif majeur de Poutine c’est de créer une crise en Europe qui affaiblira l’Union européenne .

Source : Le Figaro, 25-02-2016


Source : Europe 1, 25-02-2016

Garry Kasparov : “Poutine veut affaiblir l’Union européenne”

 

Dans son nouveau livre, Winter is coming, l’ancien champion du monde d’échecs dresse un inquiétant tableau du dirigeant russe.

INTERVIEW -Il est l’homme que Vladimir Poutine n’arrive pas à faire taire. Dans son nouveau livre, Winter is coming, Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs, attaque violemment le dirigeant russe. Invité dans la matinale d’Europe 1, il met en garde le monde contre le président russe.

Poutine et Hitler, même combat. Le titre du livre de Garry Kasparov est une référence à la série Game of Thrones. Dans celle-ci, l’hiver est vue comme une menace, et c’est ainsi que Garry Kasparov voit Vladimir Poutine. Le joueur d’échecs va même jusqu’à comparer le maître du kremlin à Adolf Hitler. “Si on veut savoir ce que faisait Hitler en 36-37, il suffit de lire les journaux. Ils ont tous considérés Hitler comme un homme parfaitement légitime avec lequel il fallait compter. Je n’ai pas envie de découvrir ce qu’il se passera si Vladimir Poutine devient subitement un parfait Hitler”, explique l’opposant, rappelant que Poutine a déjà “un programme très agressif”, notamment “en détruisant les droits de l’homme dans les pays voisins”.

La crise en Syrie, “une opportunité” pour Poutine. C’est d’ailleurs pour cela que négocier avec Vladimir Poutine sur la Syrie est une erreur, selon Garry Kasparov. “Si vous me demandez qu’elles sont les options en dehors de la négociation avec Poutine, vous avez déjà avoué votre totale impuissance”, affirme-t-il. Il explique que pour le dirigeant russe, la Syrie n’est qu'”une opportunité pour se présenter sur la scène internationale comme quelqu’un qui peut défier l’Otan et dicter ses propres termes”. “L’objectif de Poutine c’est de créer une crise en Europe qui affaiblira l’Union européenne et ça lui permettra d’avancer ses pions les plus nationalistes en Russie mais aussi en France”, prévient Garry Kasparov.

“Il ne s’arrêtera jamais de lui-même, si on ne l’arrête pas”. Car pour l’homme qui doit vivre en exil aux Etat-Unis, Vladimir Poutine “ne s’arrêtera jamais de lui-même si on ne l’arrête pas”. Il souligne que aujourd’hui le dirigeant russe “est fort mais que tant qu’il est confronté à de la faiblesse”. “Il ne trouve aucune résistance devant lui”, insiste-t-il.

Source : Europe 1, 25-02-2016


Kasparov : «Les Occidentaux capitulent face à Poutine»

Source : Le Parisien, 25-02-2016

Dans son nouveau livre, Garry Kasparov, l’ancien champion du monde d’échecs, accuse les Etats-Unis et l’Europe de fermer les yeux sur l’expansionnisme russe. Entretien.

Paris (VIe), hier. Selon Garry Kasparov, « si les Etats-Unis étaient intervenus dès qu’Assad a utilisé des armes chimiques contre son peuple, on n’en serait pas là aujourd’hui ». (LP/Olivier Corsan.)

Paris (VIe), hier. Selon Garry Kasparov, « si les Etats-Unis étaient intervenus dès qu’Assad a utilisé des armes chimiques contre son peuple, on n’en serait pas là aujourd’hui ». (LP/Olivier Corsan.)

Garry Kasparov 52 ans, est l’un des opposants les plus farouches à Vladimir Poutine, un dictateur qui, selon lui, sème la tempête partout dans le monde. Craignant pour sa vie, il habite désormais…

Source : Le Parisien, 25-02-2016


Source : Le Parisien, 25-02-2016

Pour approfondir : Resistance 71


Best of des Titres

 

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(notez qu’on retrouve une opposante à Assad, soeur de la journaliste Syrie à Libé et un politologue de l’université américaine de Paris, j’imagine que c’est la vision du pluralisme chez Arte)

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Bref, Kasparov, un homme proche du peuple :

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(fichtre, j’aurais dû faire “entrepreneur russe” moi aussi, ça a l’air de bien gagner)

Source: http://www.les-crises.fr/garry-kasparov-poutine-veut-affaiblir-lue/


[Propagande] 10 ans de Garry…

Saturday 27 February 2016 at 01:00

Je me suis amusé à regarder l’emprise média de Kasparov…

Kasparov ou “Je suis partout”

Lire ici l’article sur la nouvelle promotion de Kasparov dans nos médias de février 2016 – dur de le louper :

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(le type est invité longuement sur Europe 1 !!!)

et avec tempérance en plus :

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Le plus intéressant est que c’est récurrent : voici 10 ans de Garry :

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C’est le titre de son dernier livre :

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Il ne me semble pas que ce soit Poutine le has-been en l’espèce, mais bon…

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(ce n’est pas Hitler, mais bon, on va quand me^me mettre une photo qui rappelle Hitler hein…)

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Oui, il devrait tomber la semaine prochaine je crois (quelle honte d’employer le mot régime sans cesse)

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Bien sûr…

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Bien sûr…

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Je ne sais pas ce qu’est le “parti national-bolchévique”, mais enfin, il semble donc avoir au moins 15 sympathisants…

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Ou l’Enfer, de Dante ?

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Quelle prescience, quel succès !

Rappelons qui est L’opposant-numéro-un-à-Poutine

Très drôles chez PurePeople ;

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Enfin, c’est surtout l’icône des médias français, hein…

Son beau parti, Solidarnost (LOL, ça ne marche pas à tous les coups la CIA, sorry) dont il vient de démissionner de la présidence, est un mouvement politique, mais il n’a pas voulu l’enregistrer comme parti pour se présenter aux élections…

En tous cas, on rappelle qu’en Russie, aux législatives de 2011 :

Il est donc peu probable que Kasparov représente plus de 1 % ou 2 % de la population – et encore, je suis gentil, car je vois tout simplement mal en quoi ce joueur d’échec, qui ne fait pas de politique en Russie, mais a demandé la nationalité croate et vit aux USA peut être qualifié de représentatif de quoi que ce soit…

Et donc, on peut se demander en quoi ce clown obtient table ouverte régulièrement dans tous nos médias pour diffuser ces discours de haine à la limite, là-encore, de la psychiatrie…

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Mais bon, les Russes ne semblent pas rancuniers en tous cas… :

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Bon courage, Gary !

Parce que Poutine est toujours président de la Russie, alors que toi, ben tu ne peux plus trop jouer aux échecs en raison de ta “petite” suspension de 2 ans, tout ça à cause de ta tentative de corruption pour acheter la place de président de la Fédération internationale d’échecs…

Par chance, ce n’est rien de très grave pouvant justifier de ne plus être invité dans nos médias – “l’éthique” de nos jours, hein…

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Le jugement :

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Source: http://www.les-crises.fr/10-ans-de-garry/