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Algérie, août 1955 : la mort filmée en direct, par Marie Chominot

Friday 27 May 2016 at 04:27

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Le 20 août 1955, une insurrection a secoué l’ensemble du Constantinois, au cours de laquelle deux massacres d’Européens ont été perpétrés par des émeutiers : l’un à El Alia, petite agglomération minière où 35 personnes ont été tuées, l’autre au sein d’une famille d’Aïn Abid où 7 personnes ont été tuées. L’estimation globale du gouvernement général est de 123 tués : 31 militaires, 71 civils européens et 21 Algériens. Les représailles qui se sont abattues sur la population algérienne de la région, à partir du 20 août, ont été terribles. La violence, extrême et générale, a duré des semaines ; le nombre de victimes algériennes, hommes, femmes et enfants, n’est pas connu avec précision mais dépasserait 7 500. Un film d’actualités rend compte de la violence de cette répression. Ces images sont connues et documentées par les historiens depuis des années[i]. Malgré tout, elles suscitent encore aujourd’hui des interprétations erronées et restent instrumentalisées pour générer des polémiques. Cet article se propose de revenir en détail sur l’histoire de ces images, afin qu’elles puissent être lues et utilisées correctement et, surtout, sereinement. 

En cette année de cinquantième anniversaire de la fin d’une guerre qui vit l’Algérie accéder à l’indépendance, la diffusion d’un film documentaire (Guerre d’Algérie, la déchirure, de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, diffusé sur France 2 le dimanche 11 mars 2012 à 20h30) fait ressurgir l’une des plus grandes polémiques médiatiques qu’ait connue la France pendant la guerre d’Algérie, dans les derniers jours de l’année 1955.

La séquence incriminée montre un gendarme en train d’abattre, de sang froid et sans sommation, un civil algérien qui s’éloigne sur une route, avant de recharger son arme. Un message, posté sur un blog le 9 mars 2012, puis largement relayé auprès d’un certain nombre d’associations, qualifie ces images de « mise en scène, réalisée par la Fox Movietone et tournée le 22 août 1955 à Aïn Abid, devant une dizaine de journalistes. On voit le suspect s’éloigner. Soudain, il jette sa casquette en l’air (ce qui permet au gendarme de la prendre pour cible). Le suspect s’écroule ensuite, simulant la mort… Le gendarme G…. , qui avait accepté de tourner cette scène contre rétribution, a ensuite bénéficié d’un non-lieu devant le tribunal où il avait comparu pour faute. Tournée en 1955, ces images ont ensuite été utilisées par des cinéastes du FLN pour illustrer la répression qui a suivi les événements de Sétif, en 1945[ii] ».

Mise en scène, trucage des images : plus de cinquante ans après, on retrouve ici la rhétorique et les arguments utilisés par le gouvernement français lors de la publication de ces images, fin 1955, images qui le plaçaient face à la révélation de la brutalité et du caractère indiscriminé de la répression militaire consécutive à l’insurrection nationaliste du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. Avant d’expliciter les conditions de production et de diffusion de ces images, puis le déroulement du scandale médiatique qu’elles ont provoqué en 1955, arrêtons-nous un instant pour les regarder vraiment.

Que s’est-il passé le 22 août 1955 à Aïn Abid ?

Le 22 août 1955, à Aïn Abid, petit village à une quarantaine de kilomètres au sud de Constantine qui venait d’être le théâtre de l’assassinat de sept de ses habitants européens par l’ALN[iii], ce n’est pas une mais trois exécutions sommaires qui se déroulèrent devant la caméra. Ces trois séquences différentes (deux sur une route et une autour d’une tente de nomades) ont été, parmi d’autres, tournées par le caméraman Georges Chassagne, natif d’Algérie et correspondant permanent dans ce pays pour deux firmes d’actualités : la française Gaumont[iv] et l’américaine Fox-Movietone.

Georges Chassagne a travaillé dans la plus grande légalité, respectant le système des autorisations alors en vigueur pour les journalistes : un laissez-passer délivré par les autorités civiles (Gouvernement général et préfets), permettant de se rendre dans des zones où l’armée opérait. Le 21 août, il a été « convié officiellement, par le gouvernement général, ainsi que cinq de ses confrères de la presse américaine et algéroise, à un voyage organisé, et sous escorte, dans le Constantinois[v] ». Le début de son reportage, tel que conservé dans les archives Pathé-Gaumont, montre qu’il a accompagné le Gouverneur général Jacques Soustelle lors de sa visite auprès des victimes européennes à l’hôpital de Constantine : c’était l’objectif de ce voyage de presse organisé. Le lendemain matin, il a profité, avec cinq autres journalistes (dont Robert Soulé, correspondant de France Soir et Jacques Alexandre, correspondant de la firme américaine d’actualités CBS News, concurrente de la Fox Movietone), d’une escorte de CRS, qui convoyait des autorités locales jusqu’à Oued Zenati, pour rejoindre la zone troublée.

Ils s’arrêtèrent à Aïn Abid, où l’armée était en train d’opérer un ratissage afin de retrouver les auteurs de la tuerie du 20 août. « Les militaires avaient demandé à tous les musulmans de se rassembler pour un contrôle d’identité. […] Tous ceux qui ne s’étaient pas présentés aux autorités devaient être considérés comme rebelles », rapporte Robert Soulé[vi]. Les journalistes suivirent alors une patrouille formée de six à huit soldats et d’un gendarme « qui semblait conduire les opérations de nettoyage[vii] ». Originaire d’Aïn Abid, il était proche de la famille Mello, dont plusieurs membres avaient été tués.

Première séquence filmée : la patrouille fouille des tentes de nomades (qui campaient, l’été, à l’extérieur du village). A peine sorti de sa tente, sans arme et les bras en l’air, un Algérien est abattu d’un coup de fusil. Un militaire l’achève d’une balle de revolver dans la tête, à bout portant. La tente est ensuite démontée. Selon Georges Chassagne, on y a « d’ailleurs retrouvé des objets provenant du pillage de la maison d’un fonctionnaire des PTT[viii] ». Un peu plus tard, « la patrouille entra dans la cour d’une ferme et demanda à un Algérien d’une soixantaine d’années si un musulman, nommément désigné, était resté à la ferme ou s’il s’était enfui ». Chassagne était resté à l’extérieur : « Il vit ressortir le gendarme, poussant un individu. Sur l’ordre du gendarme l’homme s’éloigna. Il fut abattu à quelques mètres par un coup de mousqueton[ix] ». Chassagne déclencha alors sa caméra, pour filmer une scène dont le déroulement lui était connu, puisqu’il en avait déjà filmé une semblable, quelques minutes plus tôt : un Algérien, vêtu d’une djellaba blanche, abattu par le même gendarme, devant une maison. Témoin de cette nouvelle exécution sommaire, Chassagne déclencha sa caméra plus rapidement et la séquence filmée est un peu plus longue (8 secondes, contre 3 pour la séquence précédente) et un peu mieux cadrée.

Des images qui font le tour du monde

Après avoir tourné quelques plans de la mosquée, qui a servi de PC aux émeutiers[x], Chassagne quitta Aïn Abid en fin de matinée, pour rejoindre Constantine puis Alger. Le soir même, il transmettait ses bobines à ses employeurs. Comme la firme Gaumont, qui n’inclut pas ces images dans son journal filmé de la semaine (diffusé dans les cinémas avant le film), le bureau parisien de la Fox Movietone décida « d’exclure les séquences en cause des montages destinés à la France et à l’Europe[xi] ». A New-York, ces images furent montées, avec d’autres – en provenance, notamment, du Maroc – pour une bande d’actualités évoquant les troubles qui avaient secoué l’ensemble de l’Afrique du Nord le 20 août 1955. Ce film d’actualités fut diffusé sur les télévisions du continent américain, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Amérique latine, à quelques jours de l’ouverture de la 10e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, à l’ordre du jour de laquelle 15 Etats du groupe afro-asiatique avaient demandé l’inscription de la question algérienne[xii]. Les images d’exécution étaient accompagnées du commentaire suivant : « Les victimes sont des fanatiques voués à l’assassinat. C’est une poursuite où les Français, qui ont vu des hommes, des femmes et des enfants européens dépecés sauvagement, ne peuvent prendre le temps de discuter (effet sonore sur l’image – silence au moment de l’exécution – effet sonore sur l’image). La pitié est à nouveau oubliée dans une guerre meurtrière[xiii]. »

Découvrant ces images à la télévision américaine, puis dans le magazine Life où cinq photogrammes issus de la bande filmée furent publiés le 5 septembre 1955[xiv], l’ambassadeur de France à Washington prévint immédiatement Paris, tout en l’informant que certaines avaient été utilisées par le MNA (Mouvement national algérien de Messali Hadj) dans un document adressé au gouvernement des Etats-Unis : A black paper on french repression in Algeria[xv]. Le 14 novembre, le ministère de l’Intérieur demanda au Gouvernement général de lui « adresser d’extrême urgence un projet de réfutation du livre noir » et que « ses services s’emploient à déterminer dans quelle mesure il n’y a pas trucage à l’origine des documents Fox Movietone et Life[xvi] ». Georges Chassagne fut alors convoqué au Gouvernement général pour authentifier ses images et confirmer le lieu et la date de la prise de vues. Dans sa note de synthèse du 23 novembre, le Gouvernement général dénonçait le film de la Fox comme un « montage truqué, dans lequel des images prises hors d’Algérie [notamment au Maroc] sont intercalées avec celles prises sur place[xvii] ».

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

« Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24 25.

Le scandale médiatique en France

C’est la publication de ces cinq mêmes photogrammes dans L’Express du 29 décembre 1955 (sous le titre : « Des faits terribles qu’il faut connaître ») qui déclencha le scandale en France où ces images n’avaient pas été vues, sinon, marginalement, via l’édition internationale de Life du 3 octobre 1955.

“Des faits terribles qu’il faut connaître”, L’Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

L’Express dénonçait certes la censure dont cette bande filmée aurait été victime en France (alors qu’il s’agissait d’une décision assumée d’autocensure de la part de la Fox) mais aussi, plus largement, les méthodes de la répression française en Algérie en révélant – témoignages oraux, documents écrits et images à l’appui – un certain nombre de « faits accablants » pour l’armée et le gouvernement, à qui le quotidien demandait d’apporter des démentis. Bien que connue des services gouvernementaux, l’exécution sommaire dont ces images apportaient la preuve n’avait donné lieu à aucune enquête sérieuse et le quotidien déplorait que « rien n’ait été fait depuis ni pour sanctionner ni pour prévenir le retour de tels abus ». Alors que la France se trouvait en pleine campagne électorale pour les législatives, L’Express considérait que « seule la connaissance des faits permettra à l’opinion de manifester sa volonté politique et d’arrêter la chute, par impuissance, dans une guerre sans honneur et sans issue[xviii] ».

La contre-attaque du gouvernement ne se fit pas attendre. Étonnamment, elle ne visa pas L’Express, qui ne fut pas saisi, mais les producteurs des images : la stratégie fut de discréditer ces images en criant au trucage et à la mise en scène pour ne pas avoir à s’expliquer sur les faits eux-mêmes. Le jour même de la publication dans L’Express, à l’issue d’une conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil, Edgar Faure reconnaissait l’exécution sommaire mais en faisait porter la responsabilité au caméraman qui avait tourné cette bande d’actualités, accusé d’avoir « soudoyé le gendarme auxiliaire afin qu’il se prête au scénario[xix]» : la mise à mort n’aurait eu lieu que pour permettre à l’opérateur de réaliser des images-choc.

Par le biais d’un communiqué officieux, diffusé par l’AFP sous la forme d’une « note émanant des milieux autorisés », le gouvernement annonçait que ce dernier serait poursuivi pour « corruption de fonctionnaire, provocation au meurtre et complicité » et qu’une action en justice serait intentée contre la firme américaine Fox Movietone, accusée d’avoir « alimenté la propagande antifrançaise[xx] ». Le communiqué n’hésitait pas à qualifier la réalisation de cette bande filmée d’ « opération montée », de « machination organisée par l’étranger » et de « véritable complot politique, car elle est intervenue quelques jours avant le vote de l’ONU sur l’affaire algérienne[xxi] ». Dans les milieux diplomatiques, la diffusion de ces images à travers le monde était en effet perçue comme l’une des causes du vote majoritairement hostile à la France. Quant au gendarme auxiliaire, le gouvernement annonçait qu’il avait été déféré devant un tribunal militaire.

Tous les points de cette version officielle se trouvèrent démentis en quarante-huit heures, mettant le gouvernement dans une posture délicate. Pour sa défense, la Fox organisa en effet à Paris, le 31 décembre, une conférence de presse au cours de laquelle Georges Chassagne détailla les conditions dans lesquelles il avait réalisé ce film[xxii]. Sa version des faits était dans le même temps corroborée par le témoignage que son collègue de France Soir Robert Soulé livrait à son journal[xxiii].

Empêtré dans ses mensonges, le gouvernement multiplia pendant plusieurs jours les réunions de crise et les communiqués contradictoires. Contraint de reconnaître l’innocence de Chassagne, contre qui aucune poursuite n’avait été effectivement engagée, il dut lui présenter des excuses officielles[xxiv], mais aussi révéler que le gendarme incriminé, loin d’avoir été inculpé par un tribunal militaire, n’avait fait l’objet que d’une mesure disciplinaire hâtive, peu de temps avant que le scandale n’éclate[xxv]. Jean Daniel dénonçait alors « l’égarement d’hommes responsables qui, devant la dénonciation de leur impuissance, s’en prennent aussitôt et avec une tragique frivolité à n’importe quel bouc émissaire. Pour se disculper ils n’ont pas un seul moment hésité à mettre en cause une nation alliée, à calomnier un journaliste honnête, à falsifier des informations pour construire de prétendus démentis[xxvi] ».

Finalement, l’affaire s’éteignit à la faveur du changement de majorité : les élections du 2 janvier 1956 firent du gouvernement responsable un gouvernement sortant. Le 4 janvier, Maurice Bourgès‑Maunoury, ministre de l’Intérieur au moment des faits, déclara prendre « l’entière responsabilité de ce qui s’est passé » mais invoqua le souvenir de « l’atmosphère au lendemain du massacre du 20 août[xxvii] » pour relativiser la violence de ces images d’exécution.

En participant à l’internationalisation du conflit, ces images ont donc servi la cause algérienne, bien que les nationalistes algériens ne soient en rien responsables de leur réalisation ni de leur diffusion. L’écho qu’elles obtinrent à travers le monde et à la tribune de l’ONU n’est peut-être pas pour rien dans la décision prise par les responsables de l’Armée de libération nationale (ALN), réunis en congrès dans la vallée de la Soummam, le 20 août 1956, tout juste un an après les événements d’Aïn Abid, de lancer une vaste campagne de publicité à l’étranger fondée sur l’image. A partir de 1956, la guerre qu’ils menaient contre les Français fut aussi une guerre diplomatique et une guerre médiatique, qui s’appuya notamment sur des reporters étrangers invités à venir filmer dans les maquis[xxviii].

Des images reprises dans les films documentaires sur la guerre d’Algérie

Le documentaire Guerre d’Algérie, la déchirure ne révèle pas ces images au public français puisqu’elles ont été incluses dans la plupart des documentaires consacrés à ce conflit depuis quarante ans (et notamment, dans La guerre d’Algérie, d’Yves Courrière et Philippe Monier en 1972 ; dans La guerre d’Algérie, de Peter Batty en 1984 ; dans L’ennemi intime, de Patrick Rotman en 2002 et dans Pacification en Algérie, d’André Gazut la même année). On peut donc s’étonner que leur diffusion en 2012 déclenche à nouveau une polémique sur leur origine et leurs conditions de production, polémique destinée à discréditer le documentaire (« fausses preuves, faux témoignages ») et le discours historique objectif et dépassionné que celui-ci porte sur le conflit algérien.

Il faut dire que l’insuffisante documentation des images, lorsqu’elles sont utilisées dans des documentaires filmés qui, au fil du montage, choisissent de séparer les séquences, de les intercaler avec d’autres sources ou leur faire illustrer des événements différents (la répression française de l’insurrection du 20 août 1955, mais aussi le thème plus général de l a torture ou des violences pendant la guerre) peut entretenir la confusion et concourt à la dilution de l’information. Quand André Gazut reprit les images de Chassagne en 1974 pour un documentaire sur Jacques de Bollardière et la torture, puis en 2002 pour Pacification en Algérie, il ne fit aucune référence aux événements précis dont ces images rendaient compte. Dans ce dernier film, elles sont montées en continu avec d’autres images tournées par l’armée française, à l’appui d’un commentaire général qui évoque le « début de la troisième année de guerre » (c’est-à-dire 1956) : « L’armée n’a pu venir à bout des Algériens du FLN qui luttent pour leur indépendance. Le gouvernement socialiste de Guy Mollet, élu sur une promesse de paix, a cédé aux ultras de l’Algérie française et envoyé 400 000 hommes faire la pacification [images de Chassagne]. Les soins à la population, les efforts de scolarisation, vont de pair avec une répression atroce : arrestations massives, tortures, exécutions sommaires ». Pour Gazut, il importait moins de les rattacher à un fait particulier que d’illustrer la violence de la pacification en Algérie.

Dans l’émission Arrêt sur images, diffusée sur France 5 le 7 janvier 2001, André Gazut indiquait d’ailleurs qu’il avait emprunté ces images au film de Courrière de 1972 et qu’il n’en connaissait pas l’auteur, la date et le lieu de prise de vue. Présent sur le plateau, l’historien Benjamin Stora émettait alors l’hypothèse qu’il s’agirait d’images prises lors de la répression du soulèvement du 20 août 1955 dans le Constantinois. La boucle était bouclée et nous voilà revenus à la case départ, puisque ces images illustraient bien, dès 1972, dans le film de Courrière, la séquence sur le 20 août 1955 et ses conséquences. Si les journalistes ont tôt fait de manier la rhétorique de l’occultation, de la dissimulation et de la censure, à laquelle ils opposent leur logique de dévoilement, de transparence, de scoop, il n’est aucunement question ici de manipulation des images, mais bien d’une absence de travail historique pour les documenter et, par conséquent, les utiliser à bon escient.

Comme en Algérie, où ces images sont régulièrement utilisées (à la télévision et dans les musées) pour illustrer la séquence de mai 1945, les réalisateurs Medhi Lallaoui et Bernard Langlois utilisèrent à tort les images de Chassagne, en 1995, dans leur film Les massacres de Sétif : un certain 8 mai 1945. Evoquant ce film ainsi qu’une photographie généralement mal légendée[xxix]Le Monde dénonçait en octobre 2004 « le double mensonge des images » à propos des massacres du Constantinois en 1945 et prétendait retrouver l’origine de ces images et contribuer à rétablir, une nouvelle fois, leur véritable datation[xxx], alors qu’elles avaient été correctement utilisées dans L’Ennemi intime de Patrick Rotman, en 2002.

Un regard calme sur les images

Quelques précautions méthodologiques sont à appliquer à la lecture des images, comme pour toutes les autres sources historiques[xxxi]. Dans le cas des séquences incriminées ici, elles permettent de réfuter l’argument de la mise en scène et du trucage. D’abord, les images seules ne suffisent pas pour écrire l’histoire. Il faut les croiser avec d’autres sources (sources écrites, mais aussi témoignages oraux) afin de les éclairer et, notamment, pour comprendre leurs conditions de production, leur contexte de diffusion et les réactions que cette diffusion a  suscitées, à toutes les époques.

Il est également nécessaire de revenir, chaque fois que cela est possible, à l’image originelle, l’image-source. L’analyse des images de Chassagne ne peut se satisfaire de la lecture des seuls photogrammes publiés dans Life puis dans L’Express qui, par définition, figent le mouvement dans une série d’instantanés. Regarder la séquence dans sa durée permet de se rendre compte que le coup de feu part avant que le couvre-chef du civil ne vole et que celui-ci ne fait aucun geste pour jeter celui-ci en l’air, offrant une cible de substitution au tir du gendarme.

Enfin, plutôt que de considérer une image isolément, il faut analyser des séries d’images, et les confronter à d’autres. Dans le cas d’une photographie, l’étude de la planche-contact  (la totalité des images prises sur une même pellicule, à l’ère de l’argentique) permet de visualiser l’amont et l’aval de la prise de vue, comment le photographe a abordé son sujet, tourné autour, et le hors-champ qui peut avoir disparu de l’image finalement choisie pour publication. On a vu combien les images tournées par Georges Chassagne à Aïn Abid le 22 août 1955 gagnaient à être regardées comme une série : dans cette perspective, l’exécution sommaire n’apparaît pas comme un acte isolé et exceptionnel, mais comme le corollaire d’opérations indiscriminées de ratissage, de véritables « chasses à l’Arabe » selon Claire Mauss-Copeaux[xxxii].

Le visionnage des trois séquences différentes ne laisse aucun doute quant à la mise à mort effective des « suspects » : le nomade, touché à la sortie de sa tente par un tir de fusil, est achevé d’une balle de revolver dans la tête, à bout portant, alors qu’il gît au sol. Le corps des deux hommes abattus sur la route sont agités des soubresauts de l’agonie. La comparaison des trois séquences permet également d’écarter la thèse de la mise en scène. Contrairement à cette première séquence devant une tente de nomades, longuement filmée, en plan large, les deux autres (civils abattus sur une route) sont extrêmement brèves et relativement mal cadrées. Chassagne a déclenché sa caméra bien avant l’assassinat du nomade : il suit alors les  militaires qui fouillent le campement et enregistre d’abord le démontage brutal d’une tente. La caméra tourne toujours quand l’homme, sorti de sa tente, est abattu devant l’objectif. Par leur cadrage et leur brieveté, les deux autres séquences sont marquées du sceau de  l’urgence : Chassagne, qui attend à l’extérieur du bâtiment où la patrouille est entrée, caméra éteinte, ne s’attend pas à la scène qui va suivre. Mais, ayant déjà assisté à une exécution sommaire, il en reconnaît les prémices. Quand l’homme s’éloigne sur la route et est mis en joue par le gendarme, Chassagne déclenche sa caméra presque en catastrophe : nous n’avons donc aucune trace des instants qui ont précédé. Mais un homme qui s’enfuit prend-t-il le temps de se retourner vers son poursuivant, et de le regarder ? On peut donc faire l’hypothèse que nous sommes là face à deux exemples de la pratique des « fuyards abattus ». Dans leur instruction du 1er juillet 1955, les ministres de l’Intérieur et de la Défense avaient clairement autorisé cette pratique : « Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir ». Mais, comme le montre l’historienne Raphaëlle Branche, « l’usage de l’expression “fuyard abattu” est devenu un moyen pratique de camoufler des exécutions sommaires en actes légaux[xxxiii] ». Ce qu’en d’autres termes on connaît sous le nom de « corvée de bois ».

Les documentaristes sont, la plupart du temps, dans une logique d’illustration des faits rapportés et non dans une logique d’analyse des images, de leur origine et de leur histoire. Il s’agit de deux approches différentes qui, malgré tout, peuvent se compléter : le travail scientifique du chercheur peut venir au secours du documentariste et l’on voudrait plaider ici pour des documentaires plus respectueux des images et de leurs sources et d’une collaboration plus grande entre réalisateurs et historiens spécialistes des images. L’enjeu est malgré tout de taille pour les spectateurs que nous sommes tous : ne pas rester passifs devant les milliers d’images dont nous sommes bombardés chaque jour.

Ce texte a été précédemment publié, le 17 mars 2012, sur le site de la section de Toulon de la Ligue des Droits de l’Homme (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4909).


[i] Fabrice d’Almeida, « Photographie et censure », dans Laurent Gervereau, Jean Pierre Rioux, Benjamin Stora (dir.) La France en guerre d’Algérie, Paris, BDIC, 1992, pp. 224-225 et Fabrice d’Almeida, « L’internationalisation des images », dans Laurent Gervereau et Benjamin Stora (dir.) Photographier la guerre d’Algérie, Paris, Marval, 2004, pp. 120 121.

[ii] http://francaisdefrance.wordpress.com/page/2/

[iii] Voir Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011, pp. 162-170.

[iv] La totalité des images filmées les 21 et 22 août 1955 par Georges Chassagne est conservée dans les archives Pathé-Gaumont sous la référence 5500GNU14730 (www.gaumontpathearchives.com).

[v] L’Express, 31 décembre1955-1er janvier 1956, p. 5.

[vi] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.

[vii] Ibidem.

[viii] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[ix] Ibidem.

[x] Sur les représailles françaises à Aïn Abid, voir Claire Mauss-Copeaux, op. cit., pp. 211-219.

[xi] « M. Chassagne et la Fox Movietone réitèrent leurs protestations », Le Monde, 1er-2 janvier 1956, p. 5.

[xii] Le film a même été diffusé à l’ONU. Voir M. Thomas, The French North-Africa Crisis, New-York, Saint Martin’s Press, 2000, p. 100-101.

[xiii] Le Monde du 3 janvier 1956 publie la traduction du texte du commentaire américain, p. 3.

[xiv] « Trail of terror. Riots cut blood-wet swath across North Africa », Life, 5 septembre 1955 (édition américaine) et 3 octobre 1955 (édition internationale), pp. 24‑25.

[xv] A black paper on french repression in Algeria. Submitted to the Government of the USA by the Algerian National Movement, 20 septembre 1955, Archives nationales d’outre-mer (ANOM), 12CAB 93*. Au début du mois de septembre, le MNA avait soumis un autre texte au secrétariat des Nations Unies : Memorandum on recent bloody events in Algeria.

[xvi] Télégramme du ministère de l’Intérieur au Gouvernement général, 14 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xvii] Note du gouverneur général au ministre de l’Intérieur à propos de la documentation relative au dossier noir de Messali, 23 novembre 1955, ANOM, 12CAB 93*.

[xviii] « Des faits terribles qu’il faut connaître », L’Express, 29 décembre 1955, pp. 8-9.

[xix] « A la suite de la publication des dossiers de la répression, conférence extraordinaire à la Présidence du Conseil », L’Express, 30 décembre 1955, p. 3.

[xx] Ibidem.

[xxi] Le Monde, 30 décembre 1955, p. 1.

[xxii] La presse rend compte de cette conférence de presse, voir notamment Le Monde 1er et 2 janvier 1956. On trouve également une interview de Chassagne, réalisée avant la conférence de presse, dans les archives Pathé-Gaumont, sous la référence 5600ENU48806. Chassagne déclare notamment : « J’affirme qu’aucune mise en scène n’a été montée, que je n’avais jamais vu le gendarme, que je ne l’ai jamais revu et qu’à plus forte raison, je ne l’ai jamais soudoyé ».

[xxiii] « Un témoin de la scène raconte », France Soir, 31 décembre 1955, p. 5.  Il écrit notamment : « Je peux affirmer qu’à aucun moment les cinéastes n’ont proposé de l’argent au gendarme, ou tenté d’organiser avec lui une mise en scène ».

[xxiv] Un communiqué du Quai d’Orsay qualifie les accusations portées contre Chassagne et la Fox « d’hypothèses non confirmées » et présente des excuses. L’Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 1.

[xxv] D’après Claire Mauss-Copeaux (op. cit., pp. 213-215), le gendarme auxiliaire filmé par Georges Chassagne, proche d’une des familles victimes des massacres du 20 août, aurait été recruté en toute connaissance de cause pour guider les ratissages d’une des unités venues en renfort. Identifié et dénoncé dans les notes remises par la délégation des députés algériens au ministre de l’Intérieur le 30 août, il n’a été sanctionné par une mutation dans le Sud de la France qu’à la suite de l’affaire Chassagne.

[xxvi] Jean Daniel, « La vérité en 24 heures », L’Express, 31 décembre 1955-1er janvier 1956, p. 5.

[xxvii] « M. Edgar Faure a conféré avec MM. Bourgès-Maunoury et Jacques Soustelle », Le Monde, 5 janvier 1956, p. 6.

[xxviii] Voir Marie Chominot, « Des maquis algériens à la scène internationale. L’ALN sous l’objectif de deux reporters américains », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault, Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962, Paris, La Découverte, à paraître (septembre 2012).  Sur la dimension diplomatique du conflit, voir Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Payot, 2011. Sur la dimension médiatique du conflit et les usages de l’image par les deux camps, ma thèse sera publiée chez Payot au début de l’année 2013.

[xxix] Sur cette photographie, voir l’article « Algérie, août 1955 : une photo et sa légende », mis en ligne le 17 mai 2011 sur le site de la section de Toulon de la LDH (http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4417).

[xxx] Sophie Malexis et Simon Roger, « Erreurs d’images à propos des massacres de Sétif, Le Monde, 29 octobre 2004 et des mêmes auteurs, « « Massacres du Constantinois de 1945 : le double mensonge des images », Le Monde 2, n° 37, du 30 octobre 2004, pp. 84-85.

[xxxi] Pour une synthèse éclairante, voir Ilsen About et Clément Chéroux, « L’histoire par la photographie », Etudes photographiques, n° 10, novembre 2001 (http://etudesphotographiques.revues.org/index261.html ).

[xxxii] Claire Mauss-Copeaux, op. cit., p. 213.

[xxxiii] Voir Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Paris, Gallimard, 2001, p. 72.

Source : Culture Visuelle, Marie Chominot, 29-03-2012

Source: http://www.les-crises.fr/algerie-aout-1955-la-mort-filmee-en-direct-par-marie-chominot/


Le Brexit en perspective, par Jacques Sapir

Friday 27 May 2016 at 02:24

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Ce texte constituera la préface de l’ouvrage La Grande Dissimulation (et non Mystification, comme cela avait été indiqué par erreur, qui sortira fin juin 2016 aux éditions du Toucan)

Ce livre[1], traduction d’un ouvrage publié en langue anglaise en 2003 par Christopher Booker et Richard North, donne une lecture britannique de la construction européenne. Dans le même temps, il en établi, de manière rigoureuse, la généalogie. Il est toujours important de procéder à un décentrement, d’écouter ce que d‘autres ont à dire. Et ceci d’autant plus que ces autres, les britanniques en l’occurrence, vont avoir à choisir sur leur maintien au sein ou leur départ de l’Union européenne. Cet ouvrage éclaire alors la question du fameux « Brexit ». Il nous permet de comprendre l’évolution du débat en Grande-Bretagne, mais il permet aussi de mettre en lumière la dynamique de la construction européenne.

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Aux origines de l’Union européenne

Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin 2016, son résultat constituera un choc politique qu’il conviendra d’analyser. Ce livre ne commencerait donc qu’avec le Traité de Rome de 1957 qu’il aurait déjà un prodigieux intérêt. Mais, et c’est là toute l’intelligence des auteurs, ils reconstituent comme on l’a dit toute la généalogie de la construction européenne. Or, l’un des arguments les plus fréquemment avancés dans les cercles européistes est que cette construction est un objet « sui generis », et dont l’origine est relativement récente. Ce mensonge a en partie pour but de masquer des origines plus que discutables à la construction européenne, qu’il s’agisse d’une idéologie profondément anti-démocratique que l’on retrouve chez certains des promoteurs de l’Europe, ou qu’il s’agisse du projet des Etats-Unis de contrôle indirect du continent, et dont l’Union européenne pourrait, alors, bien s’avérer l’instrument. Le rôle des agences de renseignement américaine dans le processus de création des futures institutions européennes y est clairement retracé, tout comme les liens que certains des acteurs européens, dont Jean Monnet, avaient avec ces agences.

On comprend l’importance symbolique de ce mensonge car l’Union européenne se prétend porteuse de « valeurs » (mot qu’il conviendrait de remplacer par celui de « principe ») démocratiques et prétend, surtout en France, se construire pour « défendre » l’indépendance des européens. Il est clair que rappeler les origines nazies du projet (et on sait bien que le thème de la « construction européenne fut important dans la propagande de l’Allemagne hitlérienne) fait désordre. Non qu’il n’y ait eu aussi un courant réellement démocratique, qui fut incarné par de grands résistants, qui porta aussi l’idée de la construction européenne. Mais, même au sein de ce courant émergent dès les années 1940, le thème d‘une grande méfiance envers les peuples et la démocratie. Aussi, la confrontation entre le discours tenu aux différents peuples et la réalité non seulement pose problème à l’historien mais aussi, et surtout, au citoyen. Ce mensonge sur les origines interpelle l’européen « de constat » que je suis. Il doit devenir un objet de réflexion pour tout personne qui cherche à comprendre les dynamiques actuelles de l’Union européenne.

 

Les sources du fédéralisme européen

Cet ouvrage prend aussi pour axe de réflexion le débat entre le fédéralisme, sous quelques formes qu’il soit, et ce que l’on appelle « l’intergouvernemental », soit une Europe fonctionnant comme une alliance d‘Etats souverains. C’est un débat fondamental, et qui a commencé dés les années 1920. Il a pris un tournure décisive dans l’immédiat après-guerre, de 1946 à 1951, car se sont alors entrechoquées au grand jour l’idéologie fédéraliste et les revendications à une souveraineté nationale retrouvée après la barbarie nazie.

En fait, on voit bien en lisant ce livre que ce qui porte l’idée fédéraliste, c’est une horreur, assurément justifiée, de la guerre, horreur qui conduit alors à l’absolutisation de la guerre et des deux conflits mondiaux. Or, ceci a un parallèle. L’historien Simon Epstein montre comment la répulsion non maîtrisée face à la guerre a conduit de nombreux militants socialistes pacifistes à se tourner vers la collaboration et le plus hideux antisémitisme[2]. Ceci amène à s’interroger sur la décomposition d’un courant politique important en Europe, la social-démocratie. Le cas de la France est typique mais point singulier. Cette décomposition est le double produit de la réussite de la Révolution russe, qui semble invalider la trajectoire réformiste de la SFIO, et de la guerre de 1914-1918 qui a montré les ambiguïtés de la stratégie socialiste. Le développement d’un courant que l’on peut qualifier de « social-pacifiste » se fait en réaction à ces deux événements, et c’est ce courant qui va largement alimenter tant les milieux les plus extrêmes de la collaboration que l’idéologie fédéraliste. Cette décomposition se poursuivra après-guerre. Il n’est donc pas étonnant que l’idéologie fédéraliste ait recruté une bonne partie de ses penseurs et de ses cadres dans la mouvance social-démocrate. Cette décomposition s’accompagne de celle, parallèle mais plus tardive, qui touche l’autre grand courant européen, celui des chrétiens-démocrates. Mais, ce courant a moins besoin d’une idéologie explicite d’une part parce que sa décomposition est plus tardive et d‘autre part parce que l’idéologie ne joue pas en son sein un rôle aussi central que pour la social-démocratie.

Dès lors, on peut mieux analyser les zones d’ombres que le livre met au contraire en lumière sur les différentes inspirations fédéralistes. Celles qui sont issues de l’ancien courant social-pacifiste, parce qu’elles font de la guerre le mal absolu et se refuse à analyser les raisons concrètes des conflits, les rejetant sur le « nationalisme » qui n’est lui non plus pas analysé ni compris, présentent l’Europe fédérale comme la panacée. C’est oublier, un peu vite, que la guerre civile est bien la pire des guerres. Le discours, « l’Europe c’est la paix » revient donc de manière récurrente comme justification du projet fédéraliste.

La décomposition du courant chrétien-démocrate se caractérise plutôt par une naturalisation de l’économie et une posture qui s’apparente à un darwinisme économique, et qui va faire du gouvernement par les règles l’alpha et l’oméga du projet politique. Ainsi, tel un Janus bifronts, se révèle la véritable figure du fédéralisme européen, anti-démocratique au nom de l’économie mais néanmoins justifié et accepté au nom de la préservation de la paix.

 

De l’intérêt du décentrement

C’est donc ici que le phénomène du décentrement se révèle le plus instructif. Car, la social-démocratie britannique est fort différente de son homologue continental. Si elle a, elle aussi, connu un phénomène de décomposition, ce dernier a été nettement moins idéologique que ce qui est survenu sur le continent. De même, la Grande-Bretagne n’a pas connu de démocratie chrétienne. Il en découle le fait qu’elle a été relativement épargnée par les processus idéologiques qui se sont développés tant en France, qu’en Italie, en Allemagne ou en Espagne.

Voilà sans doute ce qui fait que, pour un britannique, la seule conception légitime de l’Europe est intergouvernementale. On le constate dans les chapitres du livre qui traitent des années 1970 jusqu’au début des années 2000. On comprend aussi le titre de cet ouvrage. Si les auteurs parlent de « mystification » (ou deception en anglais) c’est qu’ils ont été préservés, de par une tradition et une culture politique spécifique, des débats que l’on a connus sur le continent. Mais, cela à une autre conséquence. L’expression de la souveraineté y est différente. Non qu’elle soit moins forte d’ailleurs. Cependant, elle prend la forme d’une souveraineté parlementaire, là où un français, un italien, voire un néerlandais ou un allemand seront plus attachés à une souveraineté populaire, ce qui explique l’importance d’un référendum.

Si l’on peut parler de fraude au sujet de l’UE, un continental mettra spontanément plus l’accent sur le déni de démocratie qui provient de la séparation de plus en plus évidente entre les institutions de l’UE et la volonté des peuples. Ce livre, rappelons-le, fut écrit en 2003. Il est un constat de l’évolution de l’UE qui est en réalité antérieur aux débats provoqués par le projet de traité constitutionnel. Il ne traite donc pas du rejet du TCE par les peuples français et néerlandais ni du traité de Lisbonne qui annula les votes souverains de ces deux peuples. Mais, il contient bien assez d‘indications qui ne laissent guère planer le doute sur le jugement que les auteurs auraient portés sur ces faits, s’ils en avaient eu connaissance.

 

Les conséquences de l’UEM sur la perception britannique de l’UE

Il reste un point important, c’est la constitution de l’Union Economique et Monétaire, qui s’est concrétisé dans l’Euro. Le livre possède déjà le recul suffisant pour juger des conséquences du projet. Il analyse bien le mouvement vers une union monétaire comme le levier dont usèrent les fédéralistes pour s’avancer masqués. De fait, Hubert Védrine qui exerça les fonctions de conseiller diplomatique puis de Secrétaire générale à la Présidence auprès de François Mitterrand parle d’une « avant-garde léniniste » quand il veut décrire les personnes qui impulsèrent le projet européen[3].

L’un des titres de paragraphe « encore du poisson pourri » résume bien la pensée du livre. Mais il n’est pas sûr qu’ils aient perçus toutes les conséquences de cette union monétaire. Depuis le traité de Maastricht (1993) était défini une « union monétaire » à laquelle les pays signataires devaient se « qualifier » par des contraintes portante sur l’importance du déficit budgétaire (règle des « 3% ») ou sur la dette publique. Ceci fut confirmé par le Pacte de stabilité et de croissance, ou PSC, pacte qui fut adopté lors du sommet d’Amsterdam le 17 juin 1999[4], et qui désigne un ensemble de critères que les États de l’UEM se sont engagés à respecter vis-à-vis de leurs partenaires. C’est l’instrument qui fonde en droit les diverses mesures qui seront prises par la suite pour ériger des règles supranationales dans le domaine budgétaire. La Grande-Bretagne protesta et exigea des garanties afin de défendre la souveraineté de son Parlement.

Néanmoins, ce traité constitua la première pierre dans la perte de la souveraineté budgétaire des Etats. En effet, le Conseil ECOFIN peut adresser alors des recommandations pour que l’État ne respectant pas les clauses du traité mette fin à cette situation. Si tel n’est pas le cas, ce Conseil peut prendre des sanctions : dépôt auprès de la BCEqui peut devenir une amende (de 0,2 à 0,5 % PIB de l’État en question) si le déficit excessif n’est pas comblé.

Il convient ici de rappeler qu’au conseil ECOFIN est associé l’Eurogroupe, sauf que ce dernier n’a nulle existence légale dans les traités[5]. Ceci pose alors le problème du statut d’agences dont tant le mandat que les prérogatives dépendent d’un consensus qui n’est pas soumis à un contrôle politique, ne serait-ce qu’ex-post. On assiste alors à un double dessaisissement de la démocratie, d’une part à travers la création de ces fameuses « agences indépendantes » et d’autre part du fait que certaines d’entre-elles sont maintenues dans un flou institutionnel qui rend d’autant plus difficile le contrôle démocratique. De là remonte l’hostilité fondamentale de nombreux britanniques envers l’UE. Même si la Grande-Bretagne ne fait pas partie de la zone Euro, elle ne peut que s’inquiéter de la trajectoire prise par l’UE à la suite de la constitution de cette zone.

Car la crise financière de 2007-2008 entraîna une crise de l’UEM. Elle entraîna un pivotement important dans les formes de gouvernance qui, à son tour, a entraîné une sortie des principes de la démocratie dans les pays considérés. Cette crise constituait en réalité le type même de « choc exogène » que l’UEM, du fait de son déséquilibre, était dans l’incapacité de gérer[6]. La montée de la crise des dettes publiques (en Grèce, mais aussi en Espagne, au Portugal et en Italie) provoqua, alors, la mise en œuvre d’un ensemble de cinq règlements et d’une directive proposés par la Commission européenne et approuvés par les 27 États membres et le Parlement européen en octobre 2011. On appelle cet ensemble le « Six-Pack »[7]. Les États doivent désormais avoir un objectif à moyen terme (OMT) qui permet de garantir la viabilité des finances publiques. Celui-ci, qui consiste à prévoir un retour à l’équilibre structurel des comptes publics (déficit structurel limité à 1 % du PIB) est défini par la Commission européenne pour chaque État. Les pays qui ont une dette qui dépasse 60 % du PIB feront l’objet d’une PDE (ou « procédure de déficit excessif ») s’ils ne réduisent pas d’un vingtième par an (sur une moyenne de trois ans) l’écart entre leur taux d’endettement et la valeur de référence de 60 %. Si les pays qui sont en procédure de déficit excessif (PDE) (23 sur 27 pays en décembre 2011) ne se conforment pas aux recommandations que le Conseil leur a adressées, le Conseil, sur recommandation de la Commission Européenne leur adressera des sanctions, sauf si une majorité qualifiée d’États s’y oppose, procédure nouvelle au sein de l’UE et que l’on appelle la règle de « majorité inversée »[8].

 

Ces différentes dispositions sont pleinement incompatibles avec la vision que les britanniques ont défendue depuis de très nombreuses années. Voici qui éclaire le débat qui traverse la société britannique depuis plusieurs années, et qui a aboutit au référendum sur le « Brexit ». Ce livre éclaire alors la perception britannique du processus de construction européenne et nous permet, à notre tour de mieux voir une certaine réalité, au travers d’un nécessaire décentrement.

 

[1] La Grande Mystification, éditions le Toucan, Paris, 2016, traduit par Julien Funnaro à partir de The Great Deception, Continuum International Publishing Group Ltd. Londres, 2003.

[2] Epstein S., Un paradoxe français, Paris, Albin Michel, 2008.

[3] Voir l’entretien qu’il accorda en 1997 à Bertrand Renouvin in Renouvin B., La Nation et l’Universel – 40 ans de débats dans Royaliste, Paris, IFCCE, Col. Cité, 2015, 236 pages, pp. 159-162.

[4] « Qu’est-ce que le Pacte de Stabilité et de Croissance », 1er juillet 2013, http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/action/euro/qu-est-ce-que-pacte-stabilite-croissance.html

[5] http://www.assemblee-nationale.fr/europe/fiches-actualite/eurogroupe.asp

[6] Sapir J. « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.

[7] Contre la Cour, « Gouvernance européenne, souverainetés et faillite démocratique », 5 septembre 2014, http://www.contrelacour.fr/gouvernance-europeenne-souverainetes-faillite-democratique/

[8] Voir Commission Européenne, 12 décembre 2011, « EU Economic governance « Six-Pack » enters into force », http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-898_en.htm

Source : Russeurope, Jacques Sapir18/05/2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-brexit-en-perspective-par-jacques-sapir/


Le Transatlantic Trade and Investment Partnership est en ligne…

Friday 27 May 2016 at 00:23

Wikileaks a mis en ligne le projet de TTIP d’une façon très pratique – pour ceux que cela intéresse…

C’est ici :

ttip

Source : Wikileaks

TTIP/Tafta : vin, finance, auto… les négociations sont loin d’être terminées

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l'état d'avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

Les documents révélés hier par Greenpeace révèlent l’état d’avancement des négociations entre UE et Etats-Unis. (Crédits : Reuters)

La Tribune a analysé l’un des 16 documents sur le TTIP/Tafta publiés lundi par Greenpeace. Baptisé “Tactical State of Play”, il apporte un éclairage sur des points précis encore en discussion entre l’UE et les Etats-Unis.

La publication des documents de négociation du TTIP/Tafta par Greenpeace permet de plonger de manière très concrète dans les débats entre Européens et Américains. Presque trois ans après le début des négociations, un constat s’impose : les divergences entre les deux économies sont loin d’être effacées.

A cet égard, le document intitulé “Tactical State of Play of the TTIP Negotiations” (“état d’avancement tactique de la négociation du TTIP”, disponible en pdf) révèle les divergences entre les deux parties. Comptant 25 pages, rédigé en anglais, il fait le point sur “les trois piliers de l’accord, c’est-à-dire l’accès au marché, la coopération réglementaire, et les règles“. Dans cette étude, La Tribune a sélectionné trois points de débats qui touchent à notre quotidien.

1- Le vin

A la fois enjeu économique et symbolique très fort, la dénomination des vins est l’un des points d’achoppement des discussions. Plus précisément, les appellations dites “semi-génériques” qui sont copiées à l’étranger. L’exemple le plus marquant est celui du Champagne, rebaptisé “California Champagne” lorsqu’il est produit en Californie.

Dans le document mis en ligne par Greenpeace, on lit que l’UE veut que les Etats-Unis “suppriment la possibilité pour les producteurs américains d’utiliser les 17 appellations semi-génériques.” Une demande apparemment mal reçue de l’autre côté de l’Atlantique, puisque “les Etats-Unis réitèrent leur opposition à l’insertion de règles concernant le vin dans le TTIP“.

2- Les services financiers

Moins festifs que le vin, les services financiers (épargne, assurance, titres financiers) sont un point de désaccord criant entre Européens et Américains. Et cela ne date pas d’hier : en juin 2014, un article d’Euractiv rappelait “l’opposition ferme des Etats-Unis à l’intégration d’une coopération réglementaire sur les services financiers dans le cadre du TTIP”.

Deux ans après, rien ne semble avoir bougé. Le document de négociation explique que “les Etats-Unis et l’UE n’ont pas changé leurs positions en matière de coopération réglementaire des services financiers“.

3 – L’automobile

Aujourd’hui, les normes américaines concernant les voitures diffèrent des règles européennes. Ainsi, en janvier 2014, le Point donnait l’exemple du crash-test de la Fiat 500. La citadine avait récolté la note maximale pour l’Europe, mais la pire note de l’autre côté de l’Atlantique. Un accord inclus dans le TTIP permettrait par exemple de définir des normes communes pour faciliter les exportations de véhicules.

Sur ce point, le document révélé par Greenpeace fait état de quelques avancées et parle de “points potentiels pour lesquels une harmonisation bilatérale rapide est possible“, parmi lesquels “les phares adaptatifs“, “le système automatique de freinage d’urgence” ou encore “le verrouillage des ceintures de sécurité“.

“La France dit non”

Ces trois points, pris dans la masse des questions soulevées par le TTIP/Tafta, montrent l’étendue des négociations mais aussi les résistances de part et d’autre. Les 248 pages publiées par Greenpeace vont-elles bouleverser les négociations ? Si les Etats-Unis et la Commission européenne ont allumé un contre-feu en parlant dès lundi de “malentendus” et d”‘interprétations erronnées“, la France a fait part de ses doutes et de ses réticences.

En effet, lors d’une allocution mardi matin, François Hollande s’est montré très clair sur le TTIP: “Nous n’accepterons jamais la mise en cause de nos principes essentiels, a expliqué le président de la République. C’est pourquoi à ce stade, la France dit non”. Plus tôt dans la matinée, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Mathias Fekl, interviewé par Europe 1, reconnaissait que l’abandon des négociations “[semblait] l’option la plus probable“. Le prochain round de discussions, qui sera le 14e depuis 2013, s’annonce animé.

Source : La Tribune, Nicolas Raffin, 03/05/2016

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TTIP : Bruxelles regrette des “malentendus” après la fuite de documents

Source : La Tribune, 02/05/2016

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement”, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. (Crédits : Reuters)

La Commission européenne tente de renverser la vapeur après les révélations de Greenpeace sur le partenariat actuellement en négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

“Des malentendus”. Voici ce qu’a regretté lundi la Commission européenne après la fuite de documents confidentiels sur le traité de libre-échange TTIP (ou Tafta) actuellement en discussion avec les Etats-Unis. Bruxelles a assuré que l’UE n’accepterait “jamais” d’abaisser son niveau de protection des consommateurs ou de l’environnement. Ce qu’affirmait d’ailleurs déjà Nicole Bricq, la ministre française du Commerce extérieur au début des négociations.

Aucun abaissement de protection ?

“Aucun accord commercial de l’UE n’abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l’environnement“, a affirmé sur son blog la commissaire Cecilia Malmström. Et d’insister:

“Les accords commerciaux ne changeront pas nos lois sur les OGM ou sur la façon de produire de la viande de bœuf en toute sécurité, ou sur la façon de protéger l’environnement”

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“Je ne suis pas de celles qui vont abaisser les normes”, a ajouté Mme Malmström, soulignant avant tout que les documents publiés lundi par l’ONG Greenpeace “ne traduisent pas ce qui résultera de la négociation” en cours et regrettant donc “un certain nombre de malentendus”.

L’ONG écologiste affirme que les 248 pages de documents confidentiels du projet d’accord représentent deux-tiers du texte du futur traité de libre-échange, assurant que ces pages “confirment les menaces sur la santé, l’environnement et le climat”.

Les positions de chaque partie

“Ils reflètent les positions de négociation de chaque partie, rien d’autre“, estime au contraire Mme Malmström. “Et ce n’est une surprise pour personne qu’il y a des domaines où l’UE et les Etats-Unis ont des points de vue différents.”

“Dans certains domaines, où nous sommes encore trop éloignés les uns des autres dans la négociation, il n’y aura tout simplement pas d’accord“, a-t-elle encore déclaré.

Renforcer la législation

Et de marteler :

“Un accord de l’UE ne peut changer la législation que pour la renforcer. Nous pouvons tomber d’accord avec un partenaire pour renforcer par rapport à auparavant les règles entourant la sécurité des médicaments, par exemple, mais pas pour les affaiblir”.

Depuis mi-2013, les Etats-Unis et l’Union européenne tentent de parvenir à un accord qui supprimerait les barrières commerciales et réglementaires mais qui rencontre par ailleurs des résistances croissantes dans la société civile et auprès des dirigeants politiques.

Le président américain Barack Obama souhaiterait boucler les négociations d’ici la fin de l’année avant l’arrivée à la Maison Blanche de son successeur, qui sera élu en novembre.

Cela n’empêche pas les détracteurs du projet de poursuivre leur mission. A l’instar du député européen Yannick Jadot, qui en profite pour demander une nouvelle fois l’arrêt des négociations:

“Une nouvelle fois les Verts réitèreront leur demande d’arrêt des négociations Tafta. Le gouvernement français, qui semble ouvrir les yeux sur ce dossier doit, à l’instar de Lionel Jospin en 1997, y mettre fin. Il doit tout autant dénoncer l’accord de libre-échange UE-Canada (Ceta), dont la négociation est achevé, véritable cheval de Troie du Tafta”.

(Avec AFP)

Source : La Tribune, 02/05/2016

Source: http://www.les-crises.fr/transatlantic-trade-and-investment-partnership/


Deux heures de lucidité avec Emmanuel Todd

Thursday 26 May 2016 at 02:50

Vidéo du 18 mai :

P.S. Tout commentaire qui ne traitera pas des propos tenus ici sera supprimé…

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Source: http://www.les-crises.fr/deux-heures-de-lucidite-avec-emmanuel-todd/


Miscellanées du jeudi (Delamarche, Béchade, Onfray, ScienceEtonnante, DataGueule)

Thursday 26 May 2016 at 01:51

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: “On sait que le yen s’effondrera !” – 23/05

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (1/2): Politique monétaire: Que peut-on retenir de la dernière réunion du G7 ? – 23/05

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (2/2): Les risques politiques justifient-ils le ralentissement de la croissance européenne ? – 23/05

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : “Le match boursier … est réduit à des tirs au but” – 18/05

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Outre le Brexit, quels sont les autres risques qui pèsent sur les marchés ? – 17/05

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Pourquoi le rebond des marchés émergents s’essouffle-t-il ? – 17/05

III. Michel Onfray

IV. ScienceEtonnante

Bulles de savon géantes ! — Science étonnante #13

V. DataGueule

Tarte à l’Ukraine #DATAGUEULE 1


extreme-droite

valls

legion-honneur

valls-2

cynisme

dati

figaro

arfrique

Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

cfdt

chappatte

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-jeudi-delamarche-bechade-onfray-scienceetonnante-datagueule/


[Vidéo] La disparition de Maurice Audin

Thursday 26 May 2016 at 00:40

Source : INA, 27-06-2001

Source : INA, 27-06-2001

(désolé, je n’arrive pas à empêcher la lecture automatique..)

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Henri Alleg

Source : INA, 27-05-2001

Source : INA, 27-05-2001

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Aussaresses : “J’ai donné l’ordre de supprimer Audin”

Source : Youtube, 20-05-2016

Source : Youtube, 20-05-2016

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Guerre d’Algérie : les ultimes révélations sur l’affaire Audin ?

Source : France TV, Anne Brigaudeau, 09-01-2014

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Le voile est-il enfin levé sur la disparition de Maurice Audin, ce mathématicien et militant du Parti communiste algérien arrêté en 1957, en pleine bataille d’Alger, par les parachutistes du général Massu ? Jean-Charles Deniau l’affirme, et publie cette semaine La vérité sur la mort de Maurice Audin.

Le journaliste a recueilli et enregistré les aveux du général Paul Aussaresses. Il avait déjà longuement interrogé l’ex-responsable des services de renseignements à Alger pour un livre sur la torture en Algérie (Je n’ai pas tout dit : ultimes confessions au service de la France, éditions du Rocher, 2008).

Il y manquait les ultimes révélations sur l’affaire Audin. Deux mois après la mort de l’ancien tortionnaire, celles-ci sont désormais publiées. Compte-rendu :

Les aveux de Paul Aussaresses

Que raconte Jean-Charles Deniau dans son ouvrage ? Sa recherche des derniers protagonistes de l’affaire Audin, vétérans de la guerre d’Algérie. Et ses entretiens avec Paul Aussaresses, décédé en décembre dernier à 95 ans.

Questionné à maintes reprises par le journaliste, le général finit par lâcher : “-Bien, ce qui s’est passé …(silence). Eh bien, on a tué Audin. Voilà ! -Comment ? -Eh bien ! On l’a tué au couteau. -Et pourquoi ? -Pour qu’on pense, si on le trouvait, qu’il avait été tué par les Arabes. Voilà et qui a décidé de ça, c’est moi. Ca vous va ?-Je cherche seulement la vérité. (Il s’énerve)- La vérité c’est qu’on a tué Audin. -Qui l’a tué ? -Un capitaine dont j’ai oublié le nom et qu’on nous avait prêté pour ça. -Et après, vous avez monté le coup de l’évasion ? – Voilà. Mais l’ordre a été donné par qui ? – Par moi”.

Un peu plus loin : “Vous préférez prendre sur vous, plutôt que d’accuser Massu ? -Voilà, c’est ça.” Le général s’empêtre dans ses contradictions. Il ne veut mettre en cause personne et préfère prendre tout sur lui”. Page suivante : “-Il a été poignardé dans sa cellule ? -Non, dehors. -C’est à dire ? Il a été poignardé à l’endroit où il a été enterré (silence). Moi je n’y étais pas. -Ca s’est passé où ? – Près d’Alger, à vingt kilomètres”.

Selon l’auteur, c’est le général Massu (1908-2002), avec l’aval du pouvoir politique, qui donne l’ordre d’éliminer l’universitaire de vingt-cinq ans, jeune père de trois enfants.  Malgré les incessantes demandes de Josette Audin, la veuve de Maurice, l’armée française nie les tortures. Et soutient en toute invraisemblance la thèse de“l’évasion” construite de toutes pièces.

Comme Gilberte Alleg (la femme d’un autre militant communiste torturé, Henri Alleg, auteur de La question), Josette Audin alerte les plus hautes autorités de l’Etat. Elle se tourne en vain vers la Commission des sauvegarde des droits et libertés, dont les rapports s’enlisent dans les sables. “Yves Jouffa, de la Ligue des droits de l’homme, écrira plus tard : “Aucun magistrat n’a eu le courage de s’élever publiquement contre les procédés de l’armée française”, note Jean-Charles Deniau.

“Maurice Audin était bel et bien la cible désignée par Massu”, conclut le reporter.“Pourquoi lui ? Il n’était ni un poseur de bombes ni un personnage central du PCA (parti communiste algérien) clandestin. Il aurait été désigné pour l’exemple dans le but d’impressionner ou de dissuader les autres “cocos” comme disaient les paras. Pourtant Massu savait le parti communiste moribond.”

Les objections de la famille Audin

“La thèse de Jean-Charles Deniau est vraisemblable“, a déclaré vendredi à l’AFP la veuve du mathématicien. Josette Audin, qui réclame depuis plus d’un demi-siècle la lumière sur cette disparition et une reconnaissance sans ambiguïté de la torture pratiquée par l’armée française en Algérie, regrette toutefois ne pas avoir rencontré Jean-Charles Deniau. Et elle “s’indigne qu’il ait publié son livre en utilisant le nom de son mari”.

Michèle Audin, la fille du mathématicien, nous avait envoyé jeudi par mail ses objections. Voici les principales :

“Si je récapitule ce que j’ai lu dans le livre de Deniau:
  1. Jean-Charles Deniau a fait parler Paul Aussaresses, jusqu’à ce que la version qu’il lui donne lui plaise (mais peut-être en aurait-il donné une autre s’il avait continué).
  2. Il n’a pas parlé avec celui qui a exécuté Maurice Audin
  3. Sur la thèse en question, à savoir que c’était un meurtre “pour l’exemple”, je ne vois pas bien qu’on organise une exécution pour l’exemple et qu’on se donne tant de mal pour dissimuler celle-ci. Outre le simulacre d’évasion, destiné à masquer le meurtre, il faut se souvenir que, s’il y a eu de la publicité autour de l’ “Affaire Audin”, c’est parce que Josette Audin a écrit à un nombre certain de personnes et que Pierre Vidal-Naquet et Laurent Schwartz lui ont fait écho (NB: dans L’Affaire Audin, paru en 1958 aux éditions de Minuit). La publicité sur ce soi-disant “exemple” a été faite envers et contre l’armée. Cette thèse est donc peu vraisemblable.”
Les réponses de Jean-Charles Deniau
A quoi Jean-Charles Deniau nous a ainsi répondu, point par point :
1. Non ce n’est pas la version qui “me plaisait”. C’était la version ultime de Paul Aussaresses, avant de mourir, pour se libérer avant de tirer sa révérence. Et c’est la pire pour l’armée. Il aurait été plus facile de dire que Maurice Audin était mort d”une crise cardiaque.
2. C’est vrai, celui qui a vraisemblablement tué Maurice Audin n’a pas voulu me parler.
3. C’est vrai, les raisons de cette exécution restent partiellement un mystère.  La thèse de Madame Josette Audin (la veuve de Maurice Audin) c’est que l’armée s’est trompée, qu’elle visait Henri Alleg (un autre militant communiste), et que son mari n’était pas désigné à priori pour être exécuté. Le point qui diverge entre la famille et moi, c’est celui-ci. Mais je maintiens que Maurice Audin a été sciemment exécuté. La cible, c’était bien Audin. Massu croyait qu’Audin savait tout et c’est Audin qui a payé pour tout le monde.”
-> La vérité sur la mort de Maurice Audin, Jean-Charles Deniau (édition des Equateurs, 20 euros)
Source : France TV, Anne Brigaudeau, 09-01-2014
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L’affaire Audin

Source : Canal U-TV, Pierre Vidal-Naquet

Source : Canal U-TV, Pierre Vidal-Naquet

 

Source: http://www.les-crises.fr/video-la-disparition-de-maurice-audin/


La popularité des grands dirigeants mondiaux

Wednesday 25 May 2016 at 01:01

En décembre 2015, Gallup a réalisé son étude annuelle mondiale phare, posant les mêmes questions à 1 000 personnes dans 68 pays.

Cette année, il y avait une question sur la popularité mondiale des grands dirigeants mondiaux.

Voici le résultat pour la popularité des dirigeants dans LEUR propre pays :

popularite dirigeants

(on a ici la différence entre les opinions favorables et les défavorablesµ. On n’a pas le détail, mais on doit par exemple avoir Poutine à 85 % de favorables et et 13 % de défavorables)

Vainqueur : Vladimir Poutine, suivi des dirigeants indiens et iraniens…

On appréciera les résultats dans l’Occident “éclairé”, et dans la France éteinte…

Sans aucune Poutinophilie de ma part (que je n’ai pas – je n’ai confiance dans aucun dirigeant. Après, il y a un classement de dangerosité entre eux, c’est certain…), que nos médias traitent ainsi le Président peut-être le plus populaire du monde dans son pays, quand on a le moins populaire chez nous, est assez interpellant…

Plus amusant, on peut croiser dès lors avec la popularité moyenne mondiale, tous pays confondus. Le classement, change évidemment :

popularite dirigeants

La “nation indispensable” est donc en tête et les “méchants” de nos médias en queue de peloton.

Plus intéressant est le détail par pays, que je mets en conclusion – c’est une bonne mesure de l’orientation des opinions publiques.

Obama :

popularite dirigeants

Poutine :

popularite dirigeants

Chine (non testé chez lui, faut pas pousser…) :

popularite dirigeants

Merkel (amusants les pays de scores négatifs… Gros succès chez les trafiquants d’organes en revanche) :

popularite dirigeants

Hollande :

popularite dirigeants

Cameron :

popularite dirigeants

Iran :

popularite dirigeants

Le coupeur de têtes :

popularite dirigeants

Inde :

popularite dirigeants18

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Allez, pour finir en chanson : une jeune femme chante “Je veux quelqu’un comme Poutine” dans la rue en Russie (3 millions de vues sur Youtube…).

Notez que ça ne vient pas à la tête de beaucoup de personnes de chanter ça de Hollande.

Le seul intérêt de passer ça est cependant de voir la réaction du public qui passait juste dans la rue, à la toute fin :

On sent bien la dictatuuuuuuuuuure… 🙂

Source: http://www.les-crises.fr/la-popularite-des-grands-dirigeants-mondiaux/


Témoignages sur “la bataille d’Alger” et la torture

Wednesday 25 May 2016 at 00:49

Source : INA, 30-09-1991

(désolé, je ne suis pas arrivé à enlever le démarrage automatique, si quelqu’un sait faire…)

Paul TEITGEN, responsable de la police à Alger en 1957, Jacques DUQUESNE, journaliste, Hélie DENOIX DE SAINT MARC, officier parachutiste témoignent de ce qu’a été “La bataille d’Alger” avec les pleins pouvoirs aux militaires, de la torture et des méthodes de certains militaires comme BIGEARD (les crevettes BIGEARD).

Source : INA, 30-09-1991

Élever une statue à … Paul Teitgen

Source : LDH Toulon, 11-11-2011

Dans L’art français de la guerre qui lui a valu le prix Goncourt, Alexis Jenni écrit : « Je voudrais élever une statue. Une statue de bronze par exemple car elles sont solides et on reconnaît les traits du visage. »

Et il poursuit : « Cette statue serait celle d’un petit homme sans grâce physique qui porterait un costume démodé et d’énormes lunettes qui déforment son visage ; on le montrerait tenir une feuille et un stylo, tendre le stylo pour que l’on signe la feuille comme les sondeurs dans la rue, ou les militants qui veulent remplir leur pétition. Il ne paie pas de mine, son acte est modeste, mais je voudrais élever une statue à Paul Teitgen. » (Alexis Jenni, L’art français de la guerre) [1]

“Bigeard shrimp” (crevettes Bigeard) : Paul Teitgen rappelle le nom donné aux cadavres jetés à la mer par les autorités.

“Bigeard shrimp” (crevettes Bigeard) : Paul Teitgen rappelle le nom donné aux cadavres jetés à la mer par les autorités.

Paul Teitgen (1919-1991), résistant, torturé puis déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, membre de la Première promotion de l’ENA “France combattante” (réservée aux résistants), fut secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police, d’août 1956 à septembre 1957.

En 1957, les parachutistes avaient tous les pouvoirs à Alger. Refusant de cautionner et de couvrir des crimes commis par des militaires français, Paul Teitgen obtint que les parachutistes signent avec lui, pour chacun des hommes qu’ils arrêtaient, une assignation à résidence, dont il gardait copie.

Un colonel venait lui faire ses comptes. Quand il avait détaillé les relâchés, les internés, les évadés, Paul Teitgen pointait la différence entre ces chiffres-là et la liste nominative qu’il consultait en même temps. « Et ceux-là ? », demandait-il en donnant des noms ; et le colonel lui répondait « Eh bien ceux-là, ils ont disparu, voilà tout ».

Pierre Vidal-Naquet avec qui il s’était lié d’amitié écrivit à son propos en 2002 : « Quand il découvrit que les supplices infligés aux Algériens rappelaient de fort près ceux que pratiquaient la Gestapo et ses complices français, il s’indigna et démissionna, demeurant cependant à Alger pour occuper une direction au gouvernement général. [2] »

Le 29 mars 1957, Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie du 9 février 1956 au 14 mai 1958, reçut de Paul Teitgen la lettre suivante, datée du 24 mars 1957 [3].

Monsieur le ministre,

Le 20 août 1956, vous m’avez fait l’honneur d’agréer ma nomination au poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé plus spécialement de la police générale.

Depuis cette date, je me suis efforcé avec conviction, et à mon poste, de vous servir – et quelquefois de vous défendre – c’est-à-dire de servir, avec la République, l’avenir de l’Algérie française.

Depuis trois mois, avec la même conviction, et sans m’être jamais offert la liberté, vis-à-vis de qui que ce soit d’irresponsable, de faire connaître mes appréhensions ou mes indignations, je me suis efforcé dans la limite de mes fonctions, et par-delà l’action policière nouvelle menée par l’armée, de conserver – chaque fois que cela a été possible – ce que je crois être encore et malgré tout indispensable et seul efficace à long terme : le respect de la personne humaine.

J’ai aujourd’hui la ferme conviction d’avoir échoué et j’ai acquis l’intime certitude que depuis trois mois nous sommes engagés non pas dans l’illégalité – ce qui, dans le combat mené actuellement, est sans importance – mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre.

Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si, au cours de visites récentes effectuées aux centres d’hébergement de Paul-Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou, des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo de Nancy.

Or ces deux centres d’hébergement, installés, à sa demande, par l’autorité militaire d’Alger, sont essentiellement pourvus par elle. Les assignés qui y sont conduits ont d’abord été interrogés dans les quartiers militaires après une arrestation dont l’autorité civile, qui est celle de l’État, n’est jamais informée. C’est ensuite, et souvent après quelques semaines de détention et d’interrogatoires sans contrôle, que les individus sont dirigés par l’autorité militaire au centre de Beni-Messous et de là, sans assignation préalable et par convoi de cent cin­quante à deux cents, au centre de Paul-Cazelles.

J’ai, pour mon compte personnel et sans chercher à échapper à cette responsabilité, accepté de signer et de revêtir de mon nom jusqu’à ce jour près de deux mille arrêtés d’assignation à résidence dans ces centres, arrêtés qui ne faisaient que régulariser une situation de fait. Je ne pouvais croire, ce faisant, que je régulariserais indirectement des interrogatoires indignes dont, au préalable, certains assignés avaient été les victimes.

Si je n’ignorais pas qu’au cours de certains interrogatoires des individus étaient morts sous la torture, j’ignorais cependant qu’à la villa Sesini, par exemple, ces interrogatoires scandaleux étaient menés, au nom de mon pays et de son armée, par le soldat de 1ère classe F…, sujet allemand engagé dans le 1er R.E.P., et que celui-ci osait avouer aux détenus qu’il se vengeait ainsi de la victoire de la France en 1945.

Rien de tout cela, bien sûr, ne condamne l’armée française, non plus que la lutte impitoyable qui doit être menée par elle dans ce pays, et qui devait l’être à Alger plus spécialement contre la rébellion, l’assassinat, le terrorisme et leurs complices de tous ordres.

Mais tout cela condamne la confusion des pouvoirs et l’arbitraire qui en découle. Ce n’est plus tel ou tel responsable connu qui mène les interrogatoires, ce sont des unités militaires. Les suspects ne sont plus retenus dans les enceintes de la justice civile ou militaire, ni même dans les lieux connus de l’autorité administrative. Ils sont partout et nulle part. Dans ce système, la justice – même la plus expéditive – perd ne serait-ce que l’exemplarité de ses décisions. Par ces méthodes improvisées et incontrôlées, l’arbitraire trouve toutes les justifications. La France risque, au surplus, de perdre son âme dans l’équivoque.

Je n’ai jamais eu le cynisme et je n’ai plus la force d’admettre ce qu’il est convenu d’appeler des « bavures », surtout lorsque ces bavures ne sont que le résultat d’un système dans lequel l’anonymat est seul responsable.

C’est parce que je crois encore que dans sa lutte la France peut être violente sans être injuste ou arbitrairement homicide, c’est parce que je crois encore aux lois de la guerre et à l’honneur de l’armée française que je ne crois pas au bénéfice à attendre de la torture ou simplement de témoins humiliés dans l’ombre.

Sur quelque 257 000 déportés, nous ne sommes, plus que 11 000 vivants. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, me demander de ne pas me souvenir de ce pour quoi tant ne sont pas revenus et de ce pour quoi les survivants, dont mon père et moi-même doivent encore porter témoignage.

Vous ne pouvez pas me le demander parce que telle est votre conviction et celle du gouvernement de mon pays.

C’est bien, au demeurant, ce qui m’autorise à vous adresser personnellement cette lettre, dont il va sans dire qu’il n’est pas dans mes intentions de me servir d’une quelconque manière. Dans l’affirmation de ma conviction comme de ma tristesse, je conserve le souci de ne pas indirectement justifier les partisans de l’abandon et les lâches qui ne se complaisent que dans la découverte de nos erreurs pour se sauver eux-mêmes de la peur. J’aimerais, en revanche, être assuré que vous voudrez bien, à titre personnel, prendre en considération le témoignage d’un des fonctionnaires installés en Algérie par votre confiance et qui trahirait cette confiance, s’il ne vous disait pas ce qu’il a vu et ce que personne n’est en droit de contester, s’il n’est allé lui-même vérifier.

J’ai, en tout état de cause, monsieur le ministre, perdu la confiance dans les moyens qui me sont actuellement impartis pour occuper honnêtement le poste que vous m’aviez assigné. Je vous demande, en conséquence, de bien vouloir prier M. le ministre de l’Intérieur de m’appeler rapidement à d’autres fonctions.

Je vous demande enfin, monsieur le ministre, d’agréer cette lettre comme l’hommage le plus sincère de mon très profond et fidèle respect.

Robert Lacoste demanda à Paul Teitgen de rester à son poste et de tenir secrète sa lettre de démission. Celui-ci céda mais il devait démissionner de ses fonctions quelques mois plus tard.

Il en était alors à plus de 3 000 disparitions, estimation confirmée pour l’essentiel par le colonel (maintenant général) Paul Aussaresses dans un entretien avec Florence Beaugé, en novembre 2000.

Paul Teitgen par Marie Bellando-Mitjans

Paul Teitgen par Marie Bellando-Mitjans

Notes

[1] Source de la photo de Paul Teitgen : http://www.darrelplant.com/blog_ite….

[2] Vidal-Naquet, préface de la réédition en 2002 de La raison d’Etat (Ed. de Minuit)

[3] Source : Yves Courrière, La guerre d’Algérie. Le temps des léopards, éd. Fayard, 1969, pages 515 – 517

Source : LDH Toulon, 11-11-2011

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Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’alger, a démissionné en 1957 – il a dénoncé la torture

Source : L’Est Républicain, Isabelle Gérard, 19/03/2012

Décédé en 1991, Paul Teitgen est enterré à Colombe-lès-Vesoul, en Haute-Saône (où il est né en 1919). Photo DR Décédé en 1991, Paul Teitgen est enterré à Colombe-lès-Vesoul, en Haute-Saône (où il est né en 1919). Photo DR

Décédé en 1991, Paul Teitgen est enterré à Colombe-lès-Vesoul, en Haute-Saône (où il est né en 1919). Photo DR Décédé en 1991, Paul Teitgen est enterré à Colombe-lès-Vesoul, en Haute-Saône (où il est né en 1919). Photo DR

« LA FRANCE risque de perdre son âme ». L’avertissement émane de Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la police, et figure dans sa lettre de démission (24/03/1957) adressée à Robert Lacoste, ministre résidant en Algérie. En pleine bataille d’Alger.

Dans ce courrier, Paul Teitgen, natif de Haute-Saône, dénonce l’emploi de la torture par l’Armée française. Le résistant de la Seconde Guerre mondiale, déporté à Dachau, étaie : « Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices qu’il y a 14 ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo à Nancy ». Et Paul Teitgen de pointer cette « confusion des pouvoirs [entre le civil et le militaire] et l’arbitraire qui en découle ». Depuis janvier 1957, le général Massu s’est vu gratifier de pouvoirs renforcés pour démanteler le FLN (Front national de Libération). Récupérant ceux de la police à Alger.

La démission de Paul Teitgen (lorrain par son père et franc-comtois par sa mère) est rejetée. Il reste secrétaire général quelques mois encore. Les exactions se poursuivent. En septembre 1957, il refuse de cautionner plus longtemps ces pratiques et quitte son poste.

Il demeure cependant en Algérie et devient adjoint au directeur de l’action sociale. Emmanuelle Jourdan (sa petite-fille), professeure d’Histoire à l’Université de Lille, interroge : « Il avait conscience que la torture était érigée en système en 1957. Mais se rendait-il compte du degré de déliquescence du pouvoir civil de la 4e République et de sa complicité avec le pouvoir militaire ? ». Une semaine avant le putsch du 13 mai 1958, il gagne Paris pour alerter le gouvernement de la prise du pouvoir par l’Armée.

De retour sur le sol algérien, « il est menacé, se cache » et finit par être expulsé par les parachutistes le 19 mai 1958. Emmanuelle Jourdan estime : « Il était devenu un témoin gênant ».

Pendant son passage à la préfecture d’Alger, il « a joué son rôle de garde-fou, de rempart civil, et a contribué à établir la vérité sur l’ampleur des disparitions », insiste l’historienne. Il impose aux militaires l’assignation à résidence. Quand l’armée voulait interroger un suspect, elle devait demander à Paul Teitgen de parapher une assignation. Sa petite-fille décrypte : « Cela lui permettait d’être informé des arrestations. Il s’est aperçu que parmi les gens qu’il assignait certains disparaissaient ». A partir de là, l’ancien avocat de Lunéville, diplômé de la première promotion de l’ENA, tient les comptes. « Il faisait même des assignations antidatées quand une famille signalait une disparition suite à une arrestation par les militaires, dont il n’avait pas trace ». En quelques mois, Paul Teitgen recense plus de 3000 disparus. « C’était le moyen à ses yeux d’investir l’Armée de ses responsabilités et de lui imputer la disparition de ces personnes », avance l’enseignante.

A son retour en France, Paul Teitgen est expédié au Brésil pour six mois, « pour l’éloigner ». Sa fille Elisabeth Teitgen témoigne : « Il restera deux ans sans traitement, avec cinq enfants à charge ». Avant finalement d’intégrer en 1960 le conseil d’Etat, « son rêve ». « Là, il était tenu au devoir de réserve », lâche Emmanuelle Jourdan. Cela ne l’empêchera pas d’apporter son témoignage à charge dans des procès comme l’affaire Audin et Jeanson.

Isabelle GÉRARD

Source : L’Est Républicain, Isabelle Gérard, 19/03/2012

 

Pour cela, il n’hésite pas à défendre l’usage de la torture par l’armée française et la police, en déclarant par exemple le 7 juillet 1957 à Alger devant des anciens combattants :
sont responsables de la résurgence du terrorisme, qui a fait à Alger, ces jours derniers, vingt morts et cinquante blessés, les exhibitionnistes du cœur et de l’intelligence qui montèrent la campagne contre les tortures. Je les voue à votre mépris.4
(lien source https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Lacoste)

Biographie de Paul TEITGEN

teitgen

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André Gazut – Histoire

Source : Youtube

Source : Youtube

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André Gazut : Apprendre à dire non !

Source : Youtube

Source : Youtube

Source: http://www.les-crises.fr/temoignages-sur-la-bataille-dalger-et-la-torture/


[GEAB] L’émergence du monde multipolaire impose un changement de méthode

Wednesday 25 May 2016 at 00:01

Je vous propose une vision un peu décalée, pour ne pas s’endormir les méninges

Source : Global Europe Anticipation Bulletin Mai 2016, par Laboratoire Européeen d’Anticipation Politique, Mai 2016.

Depuis le lancement du GEAB en 2006, notre équipe place au cœur de la crise systémique globale l’émergence du monde multipolaire. Les effets du processus de relativisation de la puissance américaine ont constitué les premiers signes visibles d’une vaste reconfiguration globale. Dès 2009, avec la constitution du club des BRIC(S)[1], les nouveaux acteurs ont commencé à s’imposer de manière organisée sur la scène internationale, commençant en effet à donner corps à cette notion de monde multipolaire[2].

Cela dit, la stratégie des puissances émergentes a d’abord consisté à faire cause commune pour créer un front de réforme des institutions internationales existantes, via en particulier le G20[3]. Dans un premier temps, les nouvelles puissances ont donc surtout souhaité être reconnues et intégrées par/dans l’édifice international construit par l’Occident au XXe siècle.

Certains changements ont bel et bien résulté de ce travail de « lobbying » mais la relative perte de contrôle par les Occidentaux de leurs outils de pouvoir les a conduits à agir de manière croissante à l’extérieur des instances qu’ils avaient créées. C’est ainsi par exemple que les États-Unis sont sortis de plus en plus souvent du cadre de l’ONU[4] et même de celui de l’OTAN[5] pour mener leurs campagnes militaires. C’est ainsi également que les Occidentaux se sont éloignés de l’OMC[6]…

Mais ce retrait partiel des Occidentaux du système international n’a pas pour autant permis aux instances de la gouvernance internationale du XXe siècle une véritable prise en compte de la nouvelle diversité d’intérêts représentés. L’ADN puissamment occidental de ces institutions reste à l’œuvre. Et les nouvelles puissances voient surtout dans leur participation à ces instances un moyen de limiter les risques de polarisation entre eux et l’Occident.

En réalité, tout comme les Occidentaux, ils agissent sur la scène internationale via un large spectre de nouveaux instruments de gouvernance : BRICS, NDB[7], AIIB[8], OBOR[9], etc., comme nous l’avons vu maintes fois.

Approfondir le concept de multipolarité

Ce constat oblige à réfléchir plus attentivement au concept de monde multipolaire. En effet les nouveaux pôles mondiaux ne sont pas simplement de nouveaux membres importants du club international. Et la méthode consistant à intégrer des pays comme la Russie, l’Inde ou la Chine à un système de règles préétablies par les Occidentaux n’a aucune chance de parvenir à circonscrire le rôle et l’action de ces pays. Un monde multipolaire se compose d’acteurs éminemment différenciés : langues, cultures, systèmes de valeurs, intérêts stratégiques, modèles économiques, etc. Ce qui met d’accord ces acteurs, c’est la recherche de paix et de prospérité. Mais cette quête ne peut se faire sous une tutelle réglementaire préexistante, à l’élaboration de laquelle ces acteurs n’ont pas pris part.

De plus en plus visiblement, la méthode dite internationale émane en fait d’un club occidental invitant le reste du monde à se ranger sous son drapeau de valeurs et de principes pour que la paix règne. On voit à cet énoncé combien la méthode est sur le fond inacceptable pour des acteurs dont la puissance est au moins équivalente à celle des « maîtres » de ce jeu-là.

Pour une gouvernance mondiale garante de paix, en lieu en place d’une méthode « internationale », il est temps de penser une méthode « multipolaire » fondée sur une pluralité d’acteurs dominants : États-Unis, Europe, Chine, Russie, Inde, Brésil, Afrique du Sud… Contrairement à la méthode internationale, la méthode multipolaire accepte les différences et les incompatibilités en se focalisant sur les objectifs communs de coexistence pacifique dans un monde globalisé. La méthode multipolaire n’enferme pas ses composantes dans un club aux règles strictes ; elle met autour de la même table des acteurs indépendants pour les faire échanger sur leurs contraintes respectives, les risques de chevauchement et leur nécessaire mise en compatibilité, projet par projet, thème par thème. Elle se fonde sur la reconnaissance de la légitimité de tous les agendas, tout en imposant la nécessité de trouver les moyens pour une articulation la plus harmonieuse possible.

Un précédent : le projet européen des années ’50

Cette méthode est en réalité très proche de celle inaugurée par l’Europe de la CECA[10] puis des Communautés européennes à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale dans la gestion de son continent. C’est la méthode dite « communautaire », à l’équilibre entre fédéralisme et inter-étatisme, abandonnée en 1992 avec le traité de Maastricht qui est passé à la méthode « unioniste », beaucoup plus nivelante. Par conséquent, si l’UE a dans son histoire des caractéristiques fortes lui permettant de contribuer utilement à la mise en place de la méthode multipolaire au niveau mondial, ses errements plus récents lui font prendre du retard dans cette contribution. Mais indéniablement, la construction européenne enclenchée dans les années 50 pour mettre fin aux guerres européennes consistait bel à bien à gérer le caractère multipolaire d’un continent européen qui n’accepterait plus jamais de se soumettre aux lois de l’une ou de l’autre de ses nations.

Le bateau amiral des années 2010 : les BRICS

Les BRICS sont l’avatar le plus évident de cette méthode. Si les Occidentaux n’ont cessé de voir dans leur disparité un signe de leur non-pérennité, c’est que c’était à l’aune de la méthode internationale que la pérennité des BRICS était jugée. En réalité, les BRICS jouent sur les complémentarités et non sur les similarités. Une fois de plus on constate la communauté d’objectifs bien sûr comme ciment d’une alliance de circonstance sans vocation de pérennité. Les BRICS se sont agrégés en 2009-10 sur un objectif de réforme de la gouvernance mondiale allant dans le sens de la multipolarité. Ils se dissoudront dans l’avènement de cette gouvernance. Cette méthode présente l’avantage de ne pas laisser traîner sur la scène internationale de lourdes et onéreuses institutions devenues parfaitement inutiles…

Le multipolaire à l’œuvre dans la réorganisation des pays producteurs de pétrole

Plus récemment encore, nous avons vu se mettre en place un nouveau rapprochement multipolaire : celui des pays qui se sont retrouvés autour de la table de la réunion des pays producteurs de pétrole à Doha le mois dernier. Nous en avons parlé dans le dernier numéro : Russes, Saoudiens et Iraniens en particulier, prennent l’initiative de se réunir en dehors d’une OPEP de fait non inclusive et moribonde (peut-être dans le but à terme de la ressusciter d’ailleurs) pour acter de leurs divergences et trouver les terrains d’entente, a minima. Du point de vue de la pensée internationaliste, la réunion a été un échec parce que les participants ne se sont pas mis d’accord pour les siècles des siècles sur les taux de production. En réalité, la tenue même d’une telle réunion est un succès magistral ; la preuve en est la remontée des cours du pétrole, alors même que l’Iran augmente à toute vitesse sa production[11].

Un Moyen-Orient multi-tout

La méthode multipolaire est également à l’œuvre, comme nous l’avions d’ailleurs anticipé il y a trois ans[12], dans la réorganisation désormais en cours du Moyen-Orient. Les grands pôles de la région que sont la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite et Israël, dont nous avions remarqué à l’époque que leur coexistence créait les conditions de résurrection d’un Moyen-Orient multi-confessionnel et multi-ethnique en phase avec la nature multi-millénaire de la région, suivent actuellement un double processus apparemment paradoxal de différentiation (ils affirment de plus en plus leurs spécificités) et de rapprochement (ils expriment de plus en plus clairement leur besoin de travailler ensemble) :

À l’œuvre dans l’accélération de ces tendances restructurantes de la région, on trouve l’État Islamique dont nous avions anticipé qu’il constituait le nouvel ennemi commun régional (en lieu et place d’Israël) qui allait mettre tout le monde d’accord. Mais indéniablement, le catalyseur de transition aura été l’intervention russe en Syrie.

Nous avons listé quelques exemples de gestion des relations internationales sur la base de la méthode multipolaire dont le Moyen-Orient est actuellement l’exemple le plus frappant. Ailleurs, la méthode peine à s’imposer.

Expansionnisme européen : fin de non-recevoir

L’intégration européenne, qui s’est transformée en processus expansionniste suite à la chute du Mur, incapable de gérer son voisinage autrement qu’en tentant de l’intégrer, fournit aujourd’hui un bel exemple du modèle internationaliste et des limites qu’il a atteint. Ukraine, Turquie, Russie… n’avaient d’avenir que dans l’UE, un avenir de communion extatique autour des valeurs européennes du point de vue des institutions européennes, vecteur de mise à niveau économique du point de vue des candidats. Idéologies, agendas cachés, mensonges et manipulations tous azimuts se sont engouffrés dans la folle conquête européenne des années 90 et 2000. Aujourd’hui, l’intégration/expansion européenne se retrouve à l’arrêt alors que rien n’est fini, en particulier l’intégration politique du continent. Et il ne reste à l’Europe que l’indignation de voir les anciens candidats à son paradis demander une reconnaissance de leur droit à ne pas vouloir faire partie de son club :

S’il est évidemment souhaitable que l’Europe finalise l’indépendance stratégique et politique de son continent, l’isolement est l’écueil qu’il va lui falloir désormais éviter. Et pour cela, il va lui falloir reconnaître la légitimité des choix politiques et stratégiques des grands acteurs de la planète et composer avec, en mettant un mouchoir sur sa vocation de juge, ce qui ne signifie pas se départir de sa vocation en matière de valeurs universelles. Mais des valeurs qui ne sont plus reconnues par tous ne sont de facto plus des valeurs universelles. Si l’Europe reconnaît cette réalité sans s’en offusquer, elle sera alors en mesure de mettre en route un grand chantier consistant à repenser un jeu, a minima, de principes universels indépassables dans lequel tout le monde se retrouve… pour quelque temps en tous cas…

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[1]     Lancement des BRIC en juin 2009 à Ekaterinbourg. Source : BRICS2015.ru
[2]     Le titre de ce livre résume bien le projet des BRICS : « 
The BRICS and coexistence, an alternative vision of global order », Cédric de Coning, Routledge 2014
[3]     Comme on le voit par exemple ici : « BRICS can give shape to G20 : Modi ». Source :
The Hindu, 15/11/2015
[4]     Avec le cas de la guerre en Irak de 2003 bien sûr, une terrible erreur d’après Hans Blix. Source :
CNN, 19/03/2013
[5]     Un chaos rendu visible par l’intervention en Libye. Source :
Deutsche Welle, 23/03/2011
[6]     Notamment lorsqu’ils ont laissé tomber le cycle de Doha. Source :
Delta Farm Press, 24/07/2006
[7]     Ou banque de développement des BRICS. Source :
Hindustan Times, 17/04/2016
[8]     Ou banque asiatique de développement, destinée à financer le projet de Route de la Soie. Source :
Financial Times, 29/06/2015
[9]     One Belt, One Road, soit le projet de Route de la Soie de la Chine. Source :
Xinhua Finance Agency

[10]    CECA inaugurée lors du Traité de Paris en 1951. Source :
Toute l’Europe, 26/08/2008
[11]    L’Iran juge d’ailleurs cette réunion une étape importante. Source :
CNBC, 23/04/2016
[12]    Article « Moyen-Orient : Une lumière apparaîtrait-elle enfin au bout du tunnel ? », GEAB N°92. Source :
GEAB, 15 février 2013
[13]    Le premier Ministre Ahmet Davutoglu, face pro-européenne du gouvernement turc, a donné sa démission. Source :
LSE, 10/05/2016
[14]    Lorsque la Turquie a abattu l’avion russe. Source :
CNN, 25/11/2015
[15]    La Turquie accueille le roi Salman le 11 avril. Source :
Hürriyet, 12/04/2016
[16]    Erdogan rencontre Rohani le 16 avril. Source :
Hürriyet, 16/04/2016
[17]    Le gaz et la Syrie rapprochent la Turquie d’Israël. Source :
Times of Israel, 17/02/2016
[18]    Saudi Vision 2030. Source :
Arab News

[19]   Très intéressant article sur les enjeux de la transformation de l’environnement géopolitique d’Israël. Source :
Value Walk, 12/05/2016
[20]   Les sanctions officielles sont en fait de plus en plus critiquées par les instances démocratiques telles que l’Assemblée Nationale française qui a voté pour la levée des sanctions contre la Russie le 28 avril dernier. Source :
Le Monde, 28/04/2016
[21]    Source :
The Guardian, 06/05/2016
[22]    Source :
Wikipedia
[23]    Où le Parlement européen demande la réintroduction temporaire de visas pour les Américains et les Canadiens venant en Europe, en représailles des demandes de visas imposées par les États-Unis et le Canada à certaines nationalités de l’UE. Source :
Politico, 20/04/2016

Source: http://www.les-crises.fr/geab-lemergence-du-monde-multipolaire-impose-un-changement-de-methode/


[2015] 11 Septembre : ces 28 pages qui menacent l’axe Washington-Riyad, par Laure Mandeville

Tuesday 24 May 2016 at 00:35

Un fantastique article de début 2015 du Figaro sur les 28 pages, honneur de la presse française.

Il illustre au passage le fait que presque rien n’est “caché”, c’est juste mal montré, et donc pas vraiment vu du grand public…

Hélas, n’ayant eu aucune reprise, aucun débat n’a eu lieu.

Et les avertissements de Bob Graham, non entendus, qu’il a pourtant tenu à faire à la France juste après Charlie Hebdo, prennent un tour bien dramatique depuis le 13 novembre…

Source : Le Figaro, Laure Mandeville

28-pages-figaro

De notre correspondante à Washington

Dans les sous-sols du bâtiment du Capitole, tout près de l’entrée où des flots de touristes se présentent pour la visite du Congrès, il existe une pièce sécurisée où le Comité pour le renseignement de la Chambre des représentants conserve des documents secrets hautement classifiés. L’un d’eux, long de 28 pages, et intitulé «Éléments, discussion et récit concernant certains sujets sensibles de sécurité nationale», a fait couler beaucoup d’encre depuis treize ans.

Ce texte, qui pose la question du rôle de l’Arabie saoudite dans l’organisation des attentats du World Trade Center, faisait partie du fameux rapport sur le 11 septembre 2001, supervisé par le Comité du renseignement du Sénat, et son ancien président Bob Graham. Mais au moment de sa publication en 2002, ce sénateur démocrate de Floride, qui a depuis quitté le Congrès, a découvert avec stupéfaction que les 28 pages avaient été supprimées et classifiées à la demande de l’Administration Bush. «Raisons de sécurité nationale», avait expliqué à l’époque l’équipe de George W. Depuis toutes ces années, c’est ce même argument qui a empêché la déclassification du texte, malgré les efforts de Graham, l’un des rares à avoir lu le document, même s’il peut être accessible aux élus qui en font la demande.

«Ce rapport montre la participation directe du gouvernement saoudien dans le financement du 11 Septembre», déclare l’ancien sénateur au Figaro. «Nous savons au moins que plusieurs des 19 kamikazes ont reçu le soutien financier de plusieurs entités saoudiennes, y compris du gouvernement. Le fait de savoir si les autres ont été soutenus aussi par l’Arabie saoudite n’est pas clair, car cette information a été cachée au peuple américain », ajoute Graham. «On nous dit que cela ne peut être fait pour des raisons de sécurité nationale, mais c’est exactement le contraire», poursuit-il.

«Publier est important précisément pour notre sécurité nationale. Les Saoudiens savent ce qu’ils ont fait, ils savent que nous savons. La vraie question est la manière dont ils interprètent notre réponse. Pour moi, nous avons montré que quoi qu’ils fassent, il y aurait impunité. Ils ont donc continué à soutenir al-Qaida, puis plus récemment dans l’appui économique et idéologique à l’État islamique. C’est notre refus de regarder en face la vérité qui a créé la nouvelle vague d’extrémisme qui a frappé Paris», martèle l’ancien sénateur. Un autre élu qui a lu le document a confié au New Yorker que «les preuves du soutien du gouvernement saoudien pour les événements du 11 Septembre étaient très dérangeantes» et que la «vraie question est de savoir si cela a été approuvé au niveau de la famille royale ou en dessous».

En 2002, Graham était bien seul dans son combat pour «la vérité». Mais à la mi-janvier, il a tenu une conférence de presse au Sénat sur ce thème en compagnie de deux représentants, le républicain Walter Jones et le démocrate Stephen Lynch, qui ont présenté une résolution HR 428 appelant à la déclassification. «Le soutien grandit mais atteindra-t-il le seuil qui permettra au Congrès de faire pression sur l’Administration Obama? Ce n’est pas clair», note l’ancien élu. Jones et Lynch ont écrit au président pour lui demander d’agir. Selon l’un des membres de l’organisation des familles victimes du 11 Septembre, Terence Schiavo, Obama aurait promis de déclassifier un jour.

Les familles de victimes sont en première ligne dans ce combat. Si leurs avocats pouvaient prouver la participation de l’État saoudien aux attentats, Riyad serait forcé de leur verser des compensations. «Nous affirmons que des organismes de bienfaisance établis par le gouvernement du Royaume pour propager l’idéologie radicale wahhabite ont servi de sources majeures de financement et de soutien logistique à al-Qaida, pendant toute la décennie qui a mené au 11 Septembre», a confié l’un des avocats des familles, Sean Carter, au New Yorker. Selon l’hebdomadaire, deux des kamikazes auraient notamment été financés et hébergés à San Diego par un personnage en contact permanent avec la section du ministère des Affaires islamiques basée à Los Angeles. L’Arabie saoudite nie toutefois toute responsabilité et a appelé à la déclassification des 28 pages afin de laver sa réputation.

Bob Graham pense que derrière ces appels, le Royaume fait pression sur Washington pour que le rapport reste confidentiel. Mais certaines des personnes qui ont travaillé sur le document apportent de l’eau au moulin des Saoudiens, en soulignant que le texte n’établit pas de manière irrévocable la participation des autorités saoudiennes. C’est notamment le cas de Philip Zelikow, directeur de la commission du 11 Septembre, qui qualifie les 28 pages «d’accumulation de rapports préliminaires non confirmés». «Je ne suis pas d’accord. Si ce rapport est superficiel et peu convaincant, pourquoi en avoir empêché la publication depuis treize ans?» réagit Graham.

Pour lui, «la réponse est évidente concernant les Bush, qui sont très proches des Saoudiens» qui craignaient pour leur réputation. La raison pour laquelle Obama suit la même voie semble surtout venir des énormes implications géopolitiques que pourraient avoir de telles révélations sur une relation américano-saoudienne, toujours considérée comme vitale. Le fait que le président ait écourté sa visite en Inde la semaine dernière, pour aller saluer le nouveau roi d’Arabie en compagnie de 30 hautes responsables politiques – alors qu’aucun n’avait pris la peine de se rendre à la marche de Paris après les attaques terroristes – en dit long sur les priorités de Washington.

Avec les mouvements de plaques tectoniques qui secouent le Moyen Orient – l’opposition chiites-sunnites, la question du nucléaire iranien, la guerre d’Irak et de Syrie et la déstabilisation du Yémen -, «Obama ne veut pas introduire un nouveau facteur d’instabilité», dit Graham. Même si son jeu avec l’Iran semble indiquer une volonté de se distancer de l’Arabie, le choix est clairement de maintenir plusieurs fers au feu. Faute de mieux.

Source : Le Figaro, Laure Mandeville

Source: http://www.les-crises.fr/2015-11-septembre-ces-28-pages-qui-menacent-laxe-washington-riyad-par-laure-mandeville/