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[Mémoire] Propagande ordinaire en 1941…

Thursday 27 November 2014 at 00:27

On m’a envoyé cet intéressant ouvrage de propagande collaborationniste de Vichy de juin 1941.

Toute ressemblance etc.

I. — ASPECT GÉNÉRAL DE LA VIE FRANÇAISE

a) ALLOCUTION DE L’AMIRAL DARLAN.

L’Amiral Darlan, vice-Président du Conseil, a adressé le 11 juin, au peuple français, le message radiodiffusé suivant :

Français,

Dans mon précédent message, je vous ai dit que le Maréchal a pris en mains les destinées du pays à l’époque la plus critique de notre histoire.

Prendre le pouvoir dans des circonstances pareilles n’est pas le fait d’un ambitieux, mais bien celui d’un grand patriote.

Nous n’aurons jamais assez de reconnaissance pour notre Chef qui a fait don de sa personne à la France pour la sauver.

Or, sauvée, elle ne l’est pas encore. L’heure n’est pas venue des disputes stériles et des critiques acerbes contre le gouvernement.

L’heure est à la discipline et à l’union.

La défaite engendre toujours le malheur. Et c’est une tradition française de rendre le gouvernement responsable des malheurs du peuple. Nos misères présentes, nous les devons au régime qui nous a conduits à la défaite; c’est lui le responsable, et non le gouvernement du Maréchal qui, héritier d’une situation désastreuse, s’efforce de remédier aux maux dont vous souffrez et d’en réduire la durée.

Il lui faut, pour réussit, du courage, de la ténacité, de l’abnégation et l’appui de la nation. Si la nation ne veut pas comprendre, elle périra.

Nombreux sont ceux qui cherchent à obscurcir l’entendement de la nation.

Comme vous êtes nerveux, inquiets parce que vous êtes malheureux, beaucoup d’entre vous croient tout ce qui se raconte, tout ce qui se chuchote, sans même prendre parfois la peine de réfléchir —
ils tiennent pour des vérités indiscutables ce que leur rabâche tous les jours une radio clandestine ou dissidente payée par une puissance étrangère.

Ils ne se donnent pas la peine de faire le rapprochement pourtant si troublant, entre la propagande gaulliste et la propagande communiste qui, par les mêmes moyens, veulent atteindre le même but: faire naître le désordre dans notre pays, accroître la misère de la population pour empêcher la France de revivre.

Et cela porte à penser que les mots d’ordre auxquels obéissent les chefs communistes, que les subsides qu’ils reçoivent peuvent venir de l’occident de nos frontières.

Français, méfiez-vous et secondez le gouvernement dans sa lourde, dans sa très lourde tâche.

Cette tâche du gouvernement est triple :

Il est bon de vous rappeler que l’armistice n’est pas la paix.

L’armistice est une suspension des hostilités dans des conditions fixées par le vainqueur et Acceptées par le vaincu. Il peut être dénoncé unilatéralement par le vainqueur.

Pour la France, ne pas appliquer loyalement l’armistice et donner, de ce fait, motif au vainqueur de le dénoncer équivaudrait au suicide pour elle, pour son Empire.

Appliquer l’armistice, sans essayer d’en atténuer les conditions, c’est maintenir l’état de choses dont vous souffrez grandement.

L’armistice étant un acte signé par l’Allemagne et par nous, si nous voulons le modifier, il nous faut négocier avec l’Allemagne.

Le Maréchal m’a chargé de cette négociation.

Il en approuve les développements.

Pourquoi, vous dites-vous, les Allemands, qui sont vainqueurs, acceptent-ils de négocier ?

Parce que l’Allemagne qui a le dessein de reconstruire l’Europe, sait qu’elle ne pourra le faire utilement qui si les diverses nations européennes appelées à participer à cette reconstruction le font de leur plein gré. Aussi domine-t-elle sa victoire pour nous permettre de dominer notre défaite.

Sachons donc la dominer et penser à la France de demain.

Croyez-vous par exemple, que l’armée d’occupation accepterait de diminuer ses réquisitions et ses prélèvements, si elle avait le sentiment d’une hostilité persistante de notre part ?

Croyez-vous que nos prisonniers nous seraient rendus par l’Allemagne, si elle avait la sensation qu’en agissant ainsi, elle devrait grossir le nombre de ses ennemis ?

Croyez-vous que nos agriculteurs, chassés de leurs fermes, pourront y retourner, si les Allemands ont l’impression que la France reste l’ennemie héréditaire ?

Ces quelques exemples vous suffiront, je pense, pour vous faire comprendre la nécessité des négociations que, sur l’ordre du Maréchal, je poursuis depuis plusieurs semaines pour améliorer notre situation présente.

C’est la première tâche du gouvernement.

La deuxième est la préparation de la paix.

La situation actuelle est sans précédent dans l’histoire. L’une des puissances avec lesquelles nous devons traiter est en guerre avec une autre puissance et ses troupes en opérations occupent une partie de notre sol. La signature d’une paix définitive demeure chose difficile, tant que les grands problèmes posés par le conflit actuel n’ont pas reçu de solution.

Mais, dès maintenant, et sans attendre la fin des hostilités, le devoir du gouvernement est d’agir de telle sorte que soit créé un climat favorable à l’établissement d’une paix honorable. Ce climat ne peut être créé que si nous dominons notre défaite. Cela veut dire qu’il faut nous appliquer à régler notre conduite sur la raison.

Mettez-vous courageusement en face du réel, ne vous abandonnez pas à des réactions sentimentales, qui n’auraient d’autre résultat que d’élargir encore, à notre seul détriment, le fossé que tant de luttes ont creusé entre deux peuples voisins et que nous devons, de part et d’autre, pour la paix de l’Europe, commencer à combler.

Si ce climat ne pouvait être créé, je craindrais une paix désastreuse pour la France. Cette crainte n’est pas fondée sur une impression, elle l’est sur une certitude.
La troisième tâche du gouvernement est de préparer l’avenir de la France dans la Nouvelle Europe. Cette tâche ne peut être utilement entreprise que si la deuxième est menée à bonne fin.

Si nous n’obtenons pas une paix honorable, si la France amputée de nombreux départements, privée d’importants territoires d’outre-mer, entre dans l’Europe nouvelle diminuée et meurtrie,elle ne se relèvera pas. Nous et nos enfants vivrons dans la misère et dans la haine qui engendre la guerre.

La nouvelle Europe ne vivra pas sans la France placée au rang que son passé,sa civilisation et sa culture lui donnent le droit d’occuper dans la hiérarchie européenne.

Français, ayez le courage de dominer votre défaite. Soyez assurés que l’avenir du pays est intimement lié à celuide l’Europe.

Si, pour vous engager dans la voie que le Maréchal et son gouvernement vous invitent à suivre, il vous faut vaincre des illusions ou consentir des sacrifices, puisez votre force dans la certitude que cette voie est pour notre Patrie la voie unique du salut.

c) LE CHEF DE L’ÉTAT.

Hommage des journalistes professionnels.

Le jeudi 5 juin, s’est tenue à Lyon, une assemblée des journalistes résidant actuellement en zone libre. Ils ont constitué un Comité de défense des journalistes professionnels, dont le siège se trouve 200, rue Paul-Bert, à Lyon (3e).
Au début de leur réunion, ils ont voté l’ordre du jour suivant:

« 136 journalistes professionnels représentant 369 mandats, réunis pour la discussion de leurs intérêts professionnels, conscients de la haute mission qui leur incombe dans la réalisation de la Révolution nationale, décidés à faire tout leur devoir en secondant le gouvernement dans la lourde tâche de redressement national par l’union de tous, autour du chef de l’Etat, qui, trois fois, sauva la Patrie, donnant l’exemple de l’abnégation, assurent le Maréchal Pétain et ses collaborateurs de leur entier dévouement et leur font confiance pour la défense de leurs intérêts moraux et matériels. »

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-ordinaire-en-1941/


En Occident, le respect de la vérité n’existe plus, par Paul Craig Roberts

Thursday 27 November 2014 at 00:01

Je rappelle que cet économiste et journaliste paléoconservateur américain a été sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan (1981-1982), et est un des pères fondateurs des Reaganomics. Il a également été rédacteur en chef adjoint au Wall Street Journal. Sa vision décape, en général… Sans adhérer à tout, elle permet à chacun d’aiguiser son esprit critique…

Paul Craig Roberts

Paul Craig Roberts

Les médias occidentaux ont prouvé aux yeux de tous qu’ils constituent soit une bande d’idiots ignorants et incompétents, soit une maison de passe qui vend des guerres pour de l’argent.

Les médias occidentaux ont aveuglément suivi Washington et ont accusé la Russie d’avoir abattu l’avion malaisien. Aucune preuve n’a été fournie. A la place, les médias ont répété en boucle la même histoire. Washington a dissimulé la preuve que Kiev était responsable. L’objectif des médias n’était pas la vérité, mais la diabolisation de la Russie.

A présent, nous avons l’histoire médiatique de la colonne de blindés russes qui aurait prétendument franchi la frontière ukrainienne et été détruite par les troupes désorganisées ukrainiennes, des forces que l’EIIL éliminerait en quelques minutes. Les reporters britanniques ont fabriqué cette histoire, à moins qu’elle ne leur ait été servie par un agent de la CIA travaillant à la scénarisation de la guerre. Tout le battage de la peu recommandable BBC autour de cette histoire s’est fait sans la moindre enquête. Les médias allemands, y compris Die Welt, ont beuglé l’histoire à travers l’Allemagne, sans s’inquiéter de l’absence de preuve. L’agence de presse Reuters, également sans enquêter, a relayé l’histoire. Des lecteurs me précisent que la chaîne CNN a diffusé cette fausse histoire 24h/24, 7jours/7. Bien que je ne puisse pas supporter de la regarder, je soupçonne que Fox “news” s’est également jetée sur ce canard boiteux. Des lecteurs me signalent que mon ancien journal, le Wall Street Journal, qui est tombé si bas qu’il en est devenu impossible à lire, a aussi répandu cette fausse information. J’espère qu’ils se trompent. Personne n’aime voir son ancienne maison tomber en ruine.

La version médiatique est grotesque pour plusieurs raisons qui devraient être évidentes aux yeux de toute personne normale.

La première raison est que le gouvernement russe a indiqué clairement que son but est la désescalade. Quand d’autres anciens territoires russes qui font aujourd’hui partie de l’Ukraine ont suivi la Crimée, ont voté leur indépendance et ont demandé la réunification avec la Russie, le président Poutine a refusé. Pour souligner sa volonté d’apaisement, le président Poutine a demandé à la Douma russe d’abroger son autorisation d’intervenir militairement en Ukraine pour le compte des anciennes provinces russes. Comme le gouvernement russe qui, contrairement à Washington ou aux gouvernements de l’UE, met en avant la légalité et l’Etat de droit, les forces militaires russes ne pourraient pas être envoyées en Ukraine avant que la Douma n’accorde à nouveau à Poutine le droit de le faire.

La deuxième raison pour laquelle cette histoire est évidemment fausse est que si le gouvernement russe décidait d’envahir l’Ukraine, la Russie n’enverrait pas un petit groupe de blindés, sans couverture aérienne ou d’autres troupes. Si la Russie envahit l’Ukraine, ce sera avec une puissance capable de terrasser les forces désorganisées ukrainiennes, pour la plupart des milices semi-privées menées par des néonazis. La « guerre » durerait quelques heures, après quoi l’Ukraine tomberait aux mains de la Russie, là où elle se trouvait durant des siècles jusqu’à l’éclatement de l’Union Soviétique et jusqu’aux efforts fructueux de Washington en 1991, qui a profité de la faiblesse russe pour en démembrer les provinces constitutives.

La troisième raison pour laquelle l’histoire est évidemment fausse est qu’aucune des agences de presse occidentales qui se sont enflammées sur cette histoire n’a présenté le moindre début de preuve.

Ce dont témoigne cette histoire montée de toutes pièces, c’est du manque total d’intégrité de l’ensemble des médias occidentaux.

Une histoire totalement dépourvue de preuve a été diffusée dans le monde entier. La Maison-Blanche a diffusé un communiqué mentionnant qu’elle ne pouvait pas confirmer cette information, mais la Maison-Blanche continue néanmoins à lancer des accusations contre la Russie, accusations que la Maison-Blanche ne peut étayer d’aucune preuve. Par conséquent, la répétition par l’Occident de mensonges éhontés s’est transformée en vérité pour un grand nombre de personnes. Comme je l’ai mis en avant dans mes articles, ces mensonges occidentaux sont dangereux, car ils poussent à la guerre.

Le même groupe à Washington et les mêmes « médias » occidentaux racontent des mensonges du même type que ceux qui ont justifié les guerres de Washington en Irak (armes de destruction massive), en Afghanistan (talibans = Al Qaïda), en Syrie (utilisation d’armes chimiques), en Libye (tout un assortiment d’accusations ridicules) et au Pakistan, au Yémen et en Somalie, où l’armée américaine continue ses meurtres à ce jour. La ville sur la colline, la lumière du monde, la maison du peuple exceptionnel et indispensable est la demeure des mensonges de Satan, où la vérité est interdite et où la guerre est la dernière manche.

Mise à jour : Après avoir prétendu que le convoi humanitaire russe contenait des troupes d’invasion dissimulées, le gouvernement-larbin de Kiev a été forcé par les faits d’admettre officiellement que les camions ne contenaient que de l’aide humanitaire pour les populations qu’il bombarde à l’artillerie lourde. http://rt.com/news/180844-ukraine-recognizes-russia-humanitarian-aid/

Source : Paul Craig Roberts, le 17/08/2014

Traduit par les lecteurs du site http://www.les-crises.fr/. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/en-occident-le-respect-de-la-verite-nexiste-plus/


[Reprises] Journalisme made in CIA – Le JSF-Rafale, par Philippe Grasset (2/2)

Wednesday 26 November 2014 at 02:32

Suite du billet précédent sur le journalisme made in CIA

Deux articles du site Dedefensa.org en date du 24 octobre 2014.


Journalisme made in CIA : DIA-PhG, Belgique et JSF-Rafale

Il nous a semblé, à l’une ou l’autre réaction de l’un ou l’autre lecteur, que le récit détaillé de la manipulation de la DIA à l’encontre de PhG mentionnée le 22 octobre 2014 pouvait être de quelque intérêt pour nos lecteurs. Pour cette raison, nous publions par ailleurs, ce même 24 octobre 2014 [lire plus bas] , un extrait conséquent de ce qui est actuellement, – classification accessoire ou par défaut, ou peut-être sans avenir, – la Troisième Partie du Tome III des Mémoires du dehors, dans laquelle est décrite la participation de l’auteur, en tant que journaliste éditeur d’une Lettre d’Analyse indépendante (de defensa & eurostratégie), à la bataille entre la France et les USA, entre 1986 et 1989, pour la participation de la Belgique au développement d’un avion de combat nouveau, dit éventuellement de « quatrième génération et demie ». Il s’agissait de l’avion français Dassault Rafale, que la France offrait en co-développement à la Belgique, et de l’Agile Falcon que General Dynamics offrait en concurrence à la Belgique. (L’Agile Falcon était une version-papier du F-16 qui n’exista jamais et dont il ne fut jamais question dans l’esprit de la direction de General Dynamics qui produisait le F-16 qu’elle existât jamais, qui fut un simple instrument de relations publiques pour contrer l’offre française.)

Ce récit détaillé, qui comprend notamment les situations et certaines évolutions des psychologies des personnages, permet de mieux détailler ce que peut être la bataille de la communication dans cette sorte de marché. D’autre part, la bataille franco-US elle-même pour un Rafale franco-belge est aujourd’hui largement oubliée, si pas complètement ; à cette époque, la France avait des arguments, et l’on pouvait se considérer comme « européen » sans déchoir complètement, et même avec une certaine alacrité. (PhG lui-même affirmait l’être sans penser déchoir dans la servitude bureaucratique et idéologique, c’est dire…) On trouve une autre longue mention de cette affaire du « Rafale en Belgique » de 1986-1989 dans un autre de nos textes qui pourrait être lu par les grands-pères qui participèrent à cet affrontement, aux « jeunes » d’aujourd’hui peuplant les cabinets ministériels, qui ont tout vu et tout compris (texte, le 10 octobre 2009)… Nous en donnons quelques extraits.

Parallèlement, une autre affaire avait démarré, impliquant une coopération sur le Rafale. A propos de la même réunion du GEIP du 28 avril 1986 à Madrid mentionnée plus haut, nous notions, dans de defensa du 10 mai 1986: « À Madrid, les Belges ont annoncé officiellement leurs contacts avec les Français à propos du programme Rafale (éventuel ACE-II). Des délégations industrielles des deux pays vont commencer le travail de négociation dans les prochaines semaines. » Une affaire était lancée, qui allait durer trois années agitées… L’idée était celle d’une participation financière belge dans le programme de développement du Rafale, les Belges attendant des retombées technologiques et des charges de travail. Implicitement, les Belges envisageaient le remplacement rapide de leurs F-16 par le Rafale… […]

Il y eut même un « concurrent » américain, annoncé en avril 1987 et sorti de sa pochette-surprise sous forme d’illustrations et de plans trois-vues en novembre 1987 – une bonne année après l’entrée en lice du Rafale. Le « maître d’œuvre » de ce coup publicitaire était évidemment General Dynamics (constructeur du F-16, racheté par Lockheed en 1992 et donc aujourd’hui partie intégrante de Lockheed Martin avec sa grande usine de Fort-Worth). Il s’agissait de l’Agile Falcon, version du F-16 classique dotée de quelques boulons et fioritures de plus et présentée comme une sorte de « super-F-16 » (le nom de baptême du F-16 est Falcon)… […]

Les Français sont arrivés en ne comprenant pas grand’chose à la Belgique, et ils en repartirent sans en savoir plus. Ils écoutèrent des conseillers intéressés qui leur recommandèrent de traiter cette affaire de la façon la plus discrète possible. Le principal conseiller belge des Français, qui trônait dans un grand établissement financier et bancaire belge et francophone, et en logique cartésienne intéressé d’investir dans le projet de coopération Rafale, était lui-même un ancien chef de cabinet d’un Premier ministre belge flamand, et lui-même, ce conseiller, avec un pied dans des intérêts flamands opposés par intérêt et idéologie à un projet français de cette importance. On aurait pu imaginer qu’il (ce conseiller) avait été placé là, autant pour soutenir que pour bloquer le projet français soutenu à fond par un establishment militaire belge alors très pro-français, voire de culture « gaulliste » (sauf les opérationnels de la Force Aérienne, plutôt de culture western-Hollywood).

Les Français se laissèrent prendre dans les rets de leur(s) conseiller(s) autochtone(s) : « Il faut agir discrètement, en sollicitant les influences souterraines dans les milieux politiques et financiers ». Ils ne comprirent pas l’un des fondements du système belge: il n’y a pas d’argent disponible mais si des mouvements publics y poussent, on en trouvera. Le choix de passer par des canaux souterrains, où il y avait de forts intérêts anti-français soutenus par la puissance financière US (plus efficace que l’Agile Falcon), conduisait effectivement à se heurter à la fin de non-recevoir vertueuse des apparences d’austérité du système belge.

Avec la meilleure foi du monde, la plus grande ingénuité possible, les Français conduisirent une désastreuse campagne de relations publiques. Convaincus par leurs relais belges et discrets d’eux-mêmes rester discrets, ils furent plutôt les « victimes » de la méthode. Ils ne comprirent jamais qu’en rendant le dossier public, ils auraient pu obtenir un soutien médiatique basé sur l’intérêt technologique pour la Belgique d’une coopération, qui aurait poussé le monde politique belge dans ce sens. En trois ans de bataille rangée en Belgique, Dassault organisa [en 1987] une seule tournée de promotions de deux jours (usines de Bordeaux, centre d’essais de Istres, direction parisienne), pour une trentaine de journalistes belges. Dans les deux mois qui suivirent, on décompta plus de 80 articles dans la presse belge, tous à la gloire de la puissance technologique française qui avait stupéfié les journalistes belges. Malgré quelques timides tentatives, aucune visite des infrastructures Dassault ne fut organisée pour les parlementaires belges, à propos de laquelle certains, et non des moins influents, se montraient très intéressés jusqu’à la solliciter par des intermédiaires officieux.

La dialectique était également fautive. La proposition française avait comme fil logique de fournir la base franco-belge à un Rafale transformé en deuxième chasseur européen, selon la logique [du secrétaire d'État à la défense néerlandais] Van Houwellingen. Il fallait donc parler Europe. Un exemple éclairant de la chose : lors de la luxueuse conférence de presse Dassault (Serge Dassault et Bruno Revellin-Falcoz), au Rond-Point des Champs-Elysées, en clôture de la tournée de presse signalée plus haut, pas une seule fois les deux dirigeants français ne prononcèrent le mot « Europe ». […]

… L’année 1989 fut celle de la débâcle du projet franco-belge. Les Français tentèrent d’intéresser l’exécutif wallon (dirigeant la partie francophone du pays). L’affaire aurait pu se faire, comme elle aurait pu se faire plus tôt, avec l’exécutif national (fédéral), avec plus d’alacrité, de volonté, de dynamisme impératif du côté français, et la conscience de chercher à faire un avion étiqueté « européen » plutôt que de vendre un projet français.

En 1989, il était trop tard…

… Au fait, pourquoi nous attarder à une affaire qui paraît si dépassée, par le temps, par les mœurs, par les protagonistes, et surtout par les circonstances politiques et métahistoriques extraordinaires que nous connaissons ? Parce qu’un fantôme est réapparu récemment, ou une sorte de monstre du Loch Ness rescapé d’une autre époque. C’est le retour de la Belgique sur la scène de l’aéronautique de combat avec la projet fabuleux, – au sens qu’on donnait au conte d’antan, pleins de magie et d’enchanteurs, – de remplacer les F-16 belges d’un autre siècle par un nouvel avion, – qui pourrait être idéalement, certes, pour tant d’esprits acquis au Système, le JSF… Mais pas si vite, car l’affaire n’est pas encore conclue.

La Belgique a une longue histoire polémique et significative, dans le domaine des avions de combat, avec des rapports souvent spectaculaires et des marchés extrêmement agités, essentiellement avec les États-Unis et la France comme concurrents. On doit essentiellement songer au « marché du siècle » qui aboutit au choix du F-16 contre le F1-E Mirage français, en 1973-1975 (voir le texte du 2 décembre 2002, qui reprend dans une de ses parties l’historique détaillé de ce marché) ; la bataille entre le Rafale et l’Agile Falcon en 1986-1989, dont nous venons de parler abondamment ci-dessus ; et une prise de position significative contre le JSF, en 2002, lorsque les Hollandais choisirent effectivement le JSF (voir le texte du 15 février 2002).

Or, il se passe que ressurgit aujourd’hui la possibilité d’un nouvel affrontement entre la France et les États-Unis sur le territoire de la Belgique. Un nouveau gouvernement belge (depuis début octobre) se met en place, qui a à son programme, de façon explicite, le remplacement des très vieux F-16 (livrés en 1979-1983) de la Force Aérienne. On parle de ce remplacement depuis deux bonnes années, et le précédent ministre de la défense avait affiché sa préférence impérative pour le JSF américaniste. Il semble désormais acquis qu’il n’y a pas encore de choix réel et qu’il y aura compétition entre plusieurs avions, dont le JSF et le Rafale. (On compte normalement 5 concurrents pour ce marché : outre les deux nommés, l’Eurofighter Typhoon, le SAAB Gripen suédois, le F-18 des USA.) Il existe également la possibilité que les F-16 ne soient pas remplacés et que la Belgique abandonne la composante « de combat » de sa flotte aérienne, mais cela reste une option très marginale, d’autant que les pressions sur la Belgique pour le maintien d’une flotte de combat sont et seront considérables, venues essentiellement de l’OTAN sacro-sainte.

Comme on l’a dit, jusqu’à cet été et depuis deux ans, le choix du JSF semblait être presque acquis. Ce n’est plus le cas avec le nouveau gouvernement, où le ministre de la défense Pieter De Crem, le partisan acharné du JSF, n’est plus à ce poste. Une nouvelle position est apparue, qui émet de graves réserves à propos du JSF et affirme qu’il faut tenir compte des autres concurrents. On trouve cette position dans les déclarations d’un député belge, qui est du parti MR présent dans la nouvelle coalition (le Premier ministre est lui-même MR), déclarations faites le 26 août 2014 pour l’agence Belga…

Le remplacement des F16 qu’envisage la future majorité doit également être analysé du point de vue du retour industriel et en termes d’emploi, estime le député Denis Ducarme (MR). Or, à cet égard, l’offre du F-35 n’ouvre guère de perspective. « Quand j’écoute les déclarations du vice-président de la firme F-35, et que j’entends qu’il n’y a pas de retombées économiques pour un marché comme le marché belge, je dis qu’il faut regarder les offres des autres firmes », a déclaré M. Ducarme au micro de La Première. […]

La Belgique ne s’est pas jointe au programme de fabrication de ce chasseur-bombardier coûteux mené par la société d’armement américaine Lockheed Martin. Les chances du royaume d’attirer sur lui des retombées économiques sont donc minces. Selon M. Ducarme, les offres des concurrents européens du F-35 sont plus intéressantes. « Je pense qu’aujourd’hui, en termes de retour industriel, les offres européennes du point de vue du retour industriel sont plus intéressantes. Je parle ici en milliers d’emplois. Remplacer des F-16, c’est aussi créer de la richesse en Belgique », a-t-il ajouté.

La bataille pour le remplacement du F-16 devrait commencer d’ici la fin de l’année et battre son plein dès 2015, pour durer peut-être jusqu’en 2017. Malgré la petitesse du marché (autour de 40 appareils), ce n’est pas un cas inintéressant, – bien au contraire, dirions-nous, ce pourrait être une affaire fondamentale pour l’aéronautique, pour la situation politique transatlantique, les relations USA-Europe, l’UE, l’OTAN, etc. Cette sorte d’empoignade, ce fut toujours le cas pour la Belgique, et ce pourrait l’être plus que ce ne le fut jamais si les événements y contribuent. Nous développons quelques points qui justifient cette appréciation hypothétique et font que cette affaire de quincaillerie militaire qui semblerait assez mineure pourrait acquérir des dimensions considérables, sinon colossales, où les classifications entre Système et antiSystème, et la situation de « discorde chez l’ennemi » (à l’intérieur du bloc BAO) pourraient y trouver une place.


Mémoires du dehors: DIA-PhG à Bruxelles, 1987-1988

Très récemment, nous avons publié deux articles consacrés à ce que nous nommons « Le journalisme Made-in-CIA », qui concerne les méthodes de la CIA et autres services de renseignement US vis-à-vis des journalistes européens. Les deux textes sont du 20 octobre 2014 et du 22 octobre 2014. Dans le premier des deux textes, Philippe Grasset (PhG) prenait la parole directement au cours du texte, et il la conservait dans le second. Il évoquait ainsi des souvenirs personnels dont le sujet est évidemment celui des rapports entre les journalistes européens et les « services » US, essentiellement avec des rappels de la période de sa propre carrière allant jusqu’en 1985-1988. Dans le premier texte du 20 octobre, on lit notamment :

Ce qui m’intéresse ici est de comparer ces méthodes à celles d’aujourd’hui telles que les rapporte Ulfkotte. Je vais m’abstenir de donner des détails de lieux et de personnes et autres précisions opérationnelles qui nous entraîneraient trop loin. (L’affaire m’ayant alerté à cet égard, il serait logique et devrait être envisagé de mettre en ligne, prochainement, un passage des Mémoires du dehors concernant cette période et ces situations. [Concernant les Mémoires du dehors, deux textes ont déjà été mis en ligne les 5 novembre 2005 et 6 novembre 2006])

Les textes ci-dessous rencontrent la promesse faite ci-dessus. Il s’agit de passages des Mémoires du dehors, selon les termes d’un texte Bloc-Notes mis en page ce même 24 octobre 2014, concernant l’affaire de la tentative de désinformation et de diffamation de la DIA à l’encontre de PhG, où d’ailleurs les questions psychologiques et affectives soulevées par de telles circonstances sont également évoquées. Voici donc deux extraits de la « Troisième Partie du Tome III » des Mémoires du dehors, dans laquelle est décrite la participation de l’auteur, en tant que journaliste éditeur d’une Lettre d’Analyse indépendante (de defensa & eurostratégie), à la bataille entre la France et les USA, entre 1986 et 1989, pour la participation de la Belgique au développement d’un avion de combat nouveau, dit éventuellement de « quatrième génération et demie ». Il s’agissait de l’avion français Dassault « Rafale », que la France offrait en co-développement à la Belgique, et de l’« Agile Falcon » que General Dynamics offrait en concurrence à la Belgique.»

… À propos de ce travail des Mémoires du dehors de Philippe Grasset, qui se poursuit malheureusement de façon très, très épisodique, nous rappelons ce que nous avions indiqué à l’occasion de la publication d’un premier extrait, 5 novembre 2005 :

Précision concernant ces Mémoires du dehors : leur publication est envisagée par l’intermédiaire du site dedefensa.org, d’abord avec vente « en ligne », directement sur le site. Nous devrions commencer cette publication durant la période des douze prochains mois. Nous informerons précisément nos lecteurs de l’avancement du projet de vente en ligne de ces Mémoires. »

Il s’agissait de belles perspectives et de jolies promesses. Aujourd’hui, nous ne savons plus rien à cet égard, si Les Mémoires seront jamais publiées, mises en ligne, etc. Il s’agit d’un problème pendant, énorme dans l’entreprise qu’il implique, qui semble de plus en plus être rangé dans le grenier des beaux projets jamais menés à terme… Rien n’est jamais tout à fait perdu tant que tout n’est pas perdu, et l’on verra bien. Mais, pour l’instant, la perspective est bien incertaine par rapport aux ambitions de 2005-2006 ; en attendant, pourquoi pas des extraits… Voici donc l’extrait des Mémoires du dehors se rapportant à cette affaire PhG-DIA. Dans cet extrait, fait de deux parties détachées du récit suivi, les protagonistes sont désignés par leurs initiales (et l’un par un surnom imité de ses initiales) pour éviter toute gêne par identification formelle.

De la DIA et de PhG à Bruxelles, 1987-1988

… Je rencontrai WS à une réception que donnait, à l’hôtel Sheraton à Bruxelles, la société américaine à laquelle il appartenait, General Dynamics (GD). C’était un jour de 1983, le directeur de GD quittait ses fonctions et je crois que Wes lui succédait, ou bien devenait-il adjoint au nouveau directeur avant d’occuper lui-même ce poste. (Je fais une exception dans ce passage par rapport à ma politique d’utiliser des initiales pour les protagonistes, et je désigne WS du diminutif de prénom de « Wes » qui équivaut phonétiquement aux initiales, pour l’humaniser parce qu’il mérite de l’être, parce que ses initiales y invitent, parce que ce prénom pourrait tout aussi bien être le sien…) Je parlerai de Wes à partir de 1985-86, quand nous commençâmes à nous rencontrer régulièrement, et lui-même à cette époque sans aucun doute devenu directeur de GD Europe, et moi-même qui venais de lancer de defensa & eurostratégie (c’est cette initiative qui nous avait rapproché, puisque je l’avais sollicité pour un abonnement, qu’il prit d’ailleurs et renouvela avec régularité, jusqu’à son départ en 1990). Dès nos premiers contacts s’était établi entre nous ce courant de sympathie si fort, au-delà de toute raison et avant toute connaissance de l’autre, qu’on parle en général d’un sentiment né d’une chimie qui lie deux êtres avant que le sentiment et le jugement n’entérinent ce choix ; c’est une sympathie marquée d’empathie, de même qu’il existe, aussi forte, une antipathie également chimique qui vous oppose presque mécaniquement à un être, avec lequel s’installe avant même de le connaître une détestation qui vient du fond de soi, qu’on définit complètement à tort comme étant « à fleur de peau », où la peau ne joue un rôle que dans la mesure où elle transcrit vers l’extérieur cette hostilité du fond de soi. Bref, aussitôt rencontré Wes était un ami.

C’est un paradoxe, si l’on veut. Il représentait à Bruxelles la société qui fabriquait le F-16 Falcon, qui allait proposer un modèle nouveau de cet avion, l’Agile Falcon, qui serait opposé au français Rafale, l’Agile Falcon contre lequel j’allais suivre une ligne rédactionnelle complètement hostile, et même pas dissimulée derrière les artifices de la fausse objectivité dont se gavent mes confrères journalistes. Cela fut aussitôt conclu : cet antagonisme serait entre nous l’objet d’une plaisanterie constante.

Bien au contraire, d’ailleurs, — cet antagonisme formel que nous dépassions aisément, dont nous nous jouions, était devenu notre gloire dans cette mesure où, justement, nous le méprisions complètement. C’est comme une sorte de cessez-le-feu, d’armistice au cœur d’une guerre ; les soldats ennemis qui fraternisèrent durant la Grande guerre, notamment à la Noël 1914, durent ressentir ce sentiment. Soudain, au cœur d’un engrenage dont vous acceptez l’empire parce qu’il est impossible d’imaginer une autre situation, vous parvenez à vous libérer et faites triompher un instant ce qui est la transcription humaine et terrestre de ces slogans pompeux, particulièrement, si vous voulez, celui qui parle de la « grande fraternité humaine » ; soudain, vous voilà un être dégagé de tout, sans étiquette, sans vanité, sans forfanterie, comme si c’était la nature même. C’est un sentiment d’être « au-dessus de la mêlée », mais sans la sensation de trahir car vous restez attaché à votre camp, à votre engagement sans que ce lien ne vous entrave. C’est bien ce que j’éprouvais avec Wes ; il était « mon Américain », comme je devais être « son Français ». Comme les soldats de 1914, nous triomphions de la guerre qu’on nous imposait. En effet, s’il s’agit de vendre des avions, il s’agit également d’une guerre. Il s’agit aussi, pour notre compte, de rapports humains, cette chimie qui passe entre deux êtres, son visage qui s’éclaire en me voyant arriver, s’esclaffant déjà à la plaisanterie que je n’ai pas faite.

– Sale yankee, disais-je.

– Mangeoire de frogies, répond-il. Quand comprendras-tu que les Carolines ne sont pas aux yankees mais aux sudistes.

– Foutu rebelle, disais-je encore.

Nous allions manger en face du 190 du boulevard du Souverain, cet immense immeuble où General Dynamics avait ses bureaux, cadenassés, électroniquement surveillés et verrouillés, comme une forteresse au dernier étage de cet immeuble massif. Wes avait décidé qu’il payerait à chaque fois, — non pas lui, d’ailleurs, mais, comme il l’appelait à la manière de l’Oncle Sam : « Oncle GD », — c’était oncle GD qui régalait. Nos conventions étaient que nous parlions anglais une fois, français la fois suivante. Ces déjeuners étaient marqués par une gaieté si franche, une complicité à mesure, tout cela sans arrière-pensées, comme quelque chose d’une réelle pureté, qu’ils sont restés dans ma mémoire à l’égal d’une image faite de lumière. Je ne parviens pas à me souvenir d’un de ces déjeuners qui n’ait pas été fait un jour de soleil, ou bien encore, après la pluie, lorsque le soleil perce les nuages et commence à faire évaporer l’eau sur la chaussée. Nous ne faisions jamais ripaille, nous ne buvions pas outre-mesure. Nous ne célébrions rien, nous vivions un moment intense de notre estime réciproque…

[…]

Pour autant, Wes et moi, nous abordions et développions de façon régulière les sujets les plus graves, et même, je dirais, des sujets pesants, où nous n’étions pas du même côté. Cela nous faisait rire, cet antagonisme, je le répète avec insistance tant ce sourire commun paraît la meilleure caractéristique de nos relations, la plus profonde, la plus convaincante. De l’un à l’autre, nous nous suggérions des informations plutôt que nous les dire à haute voix, c’est-à-dire à demi-mot, avec une prudence résistible, et si voyante entre nous que cela était comme si nous transgressions une règle de secret. Nous nous en moquions.

Un jour de la fin de l’automne, ce devait être quelque part vers fin novembre 1987, Wes me dit que je devais mesurer l’influence importante de De defensa, que la Lettre est lue, écoutée, etc., dans une mesure que je n’apprécie pas toujours. Il insiste. Il me rapporte l’anecdote de cette rencontre, le 31 octobre, où il rencontre le directeur de la SONACA, une société belge de construction d’avions qui serait impliquée dans un marché d’avions de combat avec contrats de co-production et de sous-traitance, et qu’il importe de convaincre.

– Je commence à lui vendre ma salade, je lui dis que je lui apporte de nouveaux éléments dans la proposition d’« oncle GD » pour l’Agile Falcon. Il me laisse faire. Puis il m’arrête et il me dit : « C’est bien beau, ce que vous dites, mais je trouve que vous tournez la proposition pour qu’elle semble complètement à mon avantage. Il y a d’autres éléments : regardez ce qu’on écrit là-dessus… » Et il me tend une photocopie de De defensa. Mon vieux, tu as de l’influence, et il arrive que tu m’emmerdes.

– Je fais mon travail, et les déjeuners offerts par oncle GD n’y changeront rien.

– Attends, ce n’est pas fini.

« Quelques jours plus tard, même 2-3 jours plus tard, Dennis Kloske est de passage à Bruxelles. Kloske est un type du Pentagone, il est Under Secretary of Defense for European Affairs, tu vois ? Il s’occupe du marketing de l’Agile pour l’administration, et surtout en Europe bien sûr, et il voyage souvent. Note bien, hein, la vraie raison, c’est la baise. Il a une maîtresse en Allemagne et la moindre occasion est bonne pour y aller, il est fou d’elle. Enfin… Kloske m’interroge, je lui parle de l’affaire de la SONACA, puis j’en viens à parler de De defensa. Il me demande s’il peut lire. Je lui dis que c’est en français et il me réponds, du tac au tac, dans un superbe french, quelque chose de très chic, comme: ‘La langue de Molière ne m’est pas étrangère.’ Il a jeté un coup d’œil et dit ‘fascinating, really‘, puis il a fait faire une photocopie, demandé le prix de l’abonnement et tout le toutim. Mon vieux, je t’ai gagné un abonné ! »

Nous avons fêté cela. J’ai attendu pendant des mois, quand j’y pensais, l’abonnement de Kloske. Je n’ai jamais eu de nouvelle. Au contraire, j’ai eu des nouvelles de Kloske lui-même, me semble-t-il – c’est presque à coup sûr que j’avance cette hypothèse ; d’une manière inattendue, dans des conditions imprévues et qui étaient pour moi imprévisibles… Encore ne réalisai-je la chose, grâce à une déduction que je crois convaincante plus que toute autre preuve soi-disant irréfutable, que plusieurs mois après avoir disposé des éléments qui m’y conduisent. Je recueillis ces éléments lors d’une conversation que j’eus, autour du mois de mai 1988, avec RD, une relation devenue assez proche, dans le groupe de réflexion sur les questions de défense où j’avais été invité quelques années plus tôt, en 1984 ou 1985 je crois… (RD était, par ses fonctions et sa position de colonel de réserve, très proches des milieux de la direction militaire en Belgique.)

(Pour Wes, le mystère demeure, et je n’ai jamais su si ses confidences étaient de pure anecdote amicale et pour annoncer un abonnement hypothétique qui ne changerait pas la face du monde, ou si elle contenait une sorte d’avertissement indirect, dissimulé, fait avec le maximum de précision et de dissimulation à la fois, pour un ami qui se trouvait dans l’autre camp. Wes avait beaucoup roulé sa bosse dans ces milieux où les ventes d’armements ont nécessairement à voir avec l’action du renseignement… Je ne l’ai plus revu, ni plus entendu jamais parler de lui, après son départ de Bruxelles en 1990. Il reste l’ami que j’appréciai tant pendant cinq années, et j’ai gardé dans ma mémoire son visage souriant comme si c’était hier. Ainsi demeurent les armistices établis et respectés par la rencontre de deux êtres singuliers que devraient séparer et opposer ces grands conflits impitoyables et feutrés qui ne cessent jamais.)

[…]

… Le lecteur aura compris, pour autant, que RD est un homme qui mesure ses paroles, roule des yeux méfiants et approche son visage de votre oreille pour parler bas, et il a un ricanement en forme de gloussement lorsque l’on passe aux choses sérieuses (« On pense que…, au Palais… »). C’est le cas, ce jour du printemps 1988 où nous parlons à deux, pour un déjeuner au Club Prince Albert. Il n’est pas question du Palais. RD me parle des menaces qui rôdent et il s’avère bientôt que c’est autour de moi. Il parle à mots couverts comme on n’imagine pas.

RD me dit que des bruits précis courent à mon endroit, et plutôt à mon encontre qu’à mon avantage. « Certains disent que tu es un agent de l’Est », laisse-t-il tomber, sans plus de précision pour l’instant. RD manie la dramatisation comme un théâtreux de province subventionné, comme si elle pesait des tonnes, comme si le poids en fait la chanson. Je ne relève aucune de ces appréciations critiques ; j’avoue que, une fois de plus, je me sens envahi par une paralysie qui est celle de l’angoisse et presque de la culpabilité ; je retrouve cette solitude du chroniqueur indépendant dans ces matières si sensibles qui ne m’a jamais quitté, qui m’accompagne, dans cette partie de ma carrière, comme l’ombre de ma vie.

– Et alors ? dis-je, avec un air de défi qui doit sonner horriblement faux. Ce n’est pas la première fois… (Étrange phrase, défi également, aussi comme si, à elle seule, elle devait m’exonérer de tout soupçon, me blanchir : plus l’on médit à mon encontre, pensai-je, plus éclate le signe de la médisance. Ce n’est pas de cette façon qu’avancent les affaires du monde ; la formule serait plutôt du type « il n’y a pas de fumée sans feu », ou bien encore « Médisez, médisez … » J’ai une candeur assez grande pour ignorer cette implacable logique de la dénonciation.)

– Mais ne t’en fais pas, poursuit RD, nous ne sommes pas d’accord.

La phrase est énigmatique, comme RD en a l’habitude ; cette fois, c’est un peu plus préoccupant. RD s’est arrêté, satisfait de l’effet. Il sait qu’il en a trop dit, ou bien pas assez, c’est au choix, donc que je reste suspendu à ses lèvres. Il fait l’important, il faut lui pardonner. Je ne songe toujours pas à ces subtilités psychologiques. Là-dessus et parce qu’il n’y tient plus, il s’explique et l’affaire s’éclaire.

Les services de renseignement belges, SGR (Services Généraux de Renseignement), dépendant des forces armées, ont reçu un avis dont la provenance est la DIA (Defense Intelligence Agency) américaine, qui a été relayé vers eux par la DST (Défense de la Sécurité du Territoire) française. L’intervention des Français indique qu’ils prennent à leur compte, au moins tacitement, les informations. SGR s’est tourné vers ses contacts. RD a été consulté, RD a consulté le chef d’état-major général, le général Maurice Gysemberg. Ils se sont fait leur religion : l’accusation est infondée. Les Belges ont répondu aux Français, c’est-à-dire aux Américains dans ce cas : « Nous ne sommes pas d’accord. »

Je demande des explications : comment peut-on me soupçonner d’être un agent de l’Est, moi qui n’ai jamais écrit une ligne qui soit procommuniste, qui me suis signalé plutôt, in illo tempore, par des discours très anticommuniste ? Finaud comme il sait être, la finesse souvent sanglée en pataugas de montagne mais cette fois presque transformé par un sourire ironique qui lui donne une légèreté de bon aloi et une qualité d’esprit bienvenu, RD répond :

– Justement…

En un sens, cette finasserie, ce paradoxe grossier, tout cela n’est pas faux. C’est de cette façon que fonctionnent les mondes du renseignement, j’aurai l’occasion d’en avoir plus d’une confirmation. RD reprend, rassurant :

– Ne t’inquiètes pas, nous allons organiser une riposte. Ce qu’il faut, c’est faire savoir indirectement mais d’une façon indiscutable que, pour nous, Grasset est un homme honorable. De ton côté, j’ai pensé à la riposte que tu peux mettre en place. Je te propose de passer dans eurostratégie une interview de JS (initiale bureaucratique du chef d’état-major général dans l’armée belge). J’en ai parlé avec lui, il est d’accord. Ce sera une réponse, tu comprends, un message si tu veux, façon de dire : « J’ai toute la confiance de JS ».

J’acquiesce, bien sûr. (Je parlerai plus loin de eurostratégie qui est venu se greffer sur de defensa.) Une interview du général Maurice Gysemberg paraîtra dans le numéro 13, de mai 1988, de eurostratégie, preuve éclatante dans ces milieux très attentifs aux formes et aux signes convenus de ma complète innocence. Mon innocence ? Allons, y a-t-il eu procès, et de quel droit, sur quels faits ? Je suis choqué et furieux de ces insinuations diverses mais aussi, je l’ai dit, cette solitude terrible, cette angoisse de celui qui est rejeté par la rumeur, tout cela pèse sur moi d’un poids qu’on n’imagine pas. D’une façon générale et une fois passée l’excitation de la pensée d’une telle façon de riposter, qui s’est élaborée comme si je pénétrais dans ce milieu du renseignement qui ne cesse de dispenser sa fascination, la tristesse m’envahit. Je cède aux traits les plus sombres de mon caractère en me disant que je pourrais aussi bien abandonner tout cela, l’article, les commentaires, mes positions politiques, tout le reste. Il y a, de cette façon, dans la vie d’un homme lorsqu’il subit sa solitude plutôt qu’en faire bel et bon usage, des instants d’une intense et affligeante lâcheté, où plus rien, plus aucune dignité n’est là pour vous retenir.

RD n’a cure de ces états d’âme, lui, il insiste. Pratique, il veut savoir si je n’ai pas l’idée d’une piste, d’où viendraient les rumeurs qui seraient parvenues jusqu’à la DIA, puis l’escale en France où l’on se fait « petit commissionnaire », jusqu’au port d’attache de la Belgique. Je cherche avec lui. Nous passons en revue des événements. Je crois que c’est à ce moment que j’ai mon illumination : mais oui, voilà l’abonnement de Dennis Kloske. Tout correspond, le délai est convenable, la DIA est dans le coup et pas la CIA, c’est-à-dire le Pentagone où travaille Kloske. RD abonde dans mon sens :

– Inutile de chercher ailleurs. Nous y sommes. C’est dans leur méthode. Tu les gênes, parce que tu soutiens le Rafale, eh eh…

– Je soutiens un choix européen, dis-je pour rectifier, heureux de rassembler un peu de dignité à bon compte , d’ailleurs n’exprimant rien de moins que la plus stricte vérité. J’essayai de m’expliquer plus avant, parlant quincaillerie, politique, le marché des avions de combat en Belgique. Je me pose en professionnel, vrai enquêteur et journaliste, espérant me débarrasser à ce compte de cet aura d’infamie qui m’a saisi à l’idée de cette rumeur que je ne peux considérer que comme une trahison, – moi, agent de l’Est !

L’argument ne fut guère écouté, encore moins entendu ; moi-même, croyais-je seulement à son efficacité, pouvais-je m’imaginer qu’il serait considéré ? Je ne parle pas de la véracité, qui leur importe fort peu en vérité. Dans cette sorte de situation où l’on vous accuse par rumeurs, cette situation que je commençais à connaître pour l’avoir expérimentée à plus d’une reprise comme l’on sait, ce qui compte est le volume et le ton des grosses voix qui le colportent sourdement, le rythme de la répétition, la conviction impérative de ceux qui transmettent sans savoir, la légitimité usurpée dont ils se parent d’autorité. C’est le domaine de la vox populi réduite aux conversations de salon, le territoire de l’imposture érigée en objet de toutes les attentions et qui vous est présentée comme l’image de la dignité. L’État est un « monstre froid » dit Nietzsche, on comprend dans ces instants comme celui que je décris ce que signifie l’expression. Ce gouvernement américaniste, qui n’a aucune légitimité puisqu’il s’appuie sur la loi qui est une matière manipulable, qui fonde son action sur sa force propre, qui a une morale qu’ils instituent à l’instant où ils frappent, et ses obligés innombrables et payés sonnant et trébuchant sont priés de confirmer la justesse du domaine. Vous êtes sans voix, comme livrés à un monde qui n’a plus de justice transcendante, qui est prêt à vous briser comme un fétu de paille, une fois couvert par une législation qu’il suffit, – rien de plus simple – de faire voter par une assemblée constituée pour la cause.

On ne s’habitue pas. J’ai subi plusieurs épreuves de cette trempe, avec la sensation indicible, pourtant inexpugnable, d’être marqué et désigné à une sorte de vindicte publique, quoique silencieuse, non exprimée mais vigilante. Il y a un sentiment vertigineux de solitude dans cette mise à l’index implicite, que vous êtes, finalement, le seul à connaître et à ressentir. Surtout, dans mon cas, il y avait cette découverte qui fut aussitôt une blessure horrible : la médisance américaine avait transité par la France, par conséquent comme si elle était authentifiée au passage ; et c’étaient les Belges qui avaient mis un terme à cette démarche inexcusable, la Belgique dérisoire et pathétique, à qui l’on ne trouve en général que des vertus médiocres et qui, pourtant, dans cette occasion, avait su faire preuve d’une réelle fermeté de caractère face à des « partenaires » qui l’écrasaient par leur poids… Sur ce point particulier de l’attitude de la France, je fus blessé profondément. Cette déclaration peut sembler exagérément dramatique jusqu’à être déplacée, mais elle est aussi le reflet d’une réalité qui persista et qui, malgré des évolutions et des transformations, persiste pour contribuer à certains sentiments mélangés, au moins à l’encontre des Français plus qu’à l’égard de la France. Je ne reconnaissais pas ce que je croyais être mon pays, selon l’image que je m’en étais faite depuis l’acceptation inconsciente et bientôt pleine de fierté de ma condition de « Français du dehors ». J’éprouvai dans ces circonstances du printemps 1988, contre la France, contre elle, une sourde rancoeur.

Mais la France, enfin, n’avait rien à voir dans ces complications et ces contradictions, m’écriai-je bientôt, – il s’agit des Français. Ainsi tout patriote avisé, en France, se sort-il de situations contradictoires, par la conceptualisation, l’identification, la personnalisation de l’objet abstrait qu’il a choisi comme référence, – alors, bien plus encore pour un « patriote du dehors ». Je repoussai le fameux « Mon pays m’a fait mal » de Robert Brasillach, poème écrit de la prison de Fresnes, avant le poteau d’exécution, cet instant où le politicien fourvoyé est redevenu poète et n’a plus rien à attendre de son séjour terrestre. Emporté par sa colère et sa peine, redevenu pur et par conséquent intransigeant, échappé des contingences terrestres, Brasillach fait bon marché de son pays. Il rompt avec le monde en maudissant ce qui l’a porté jusqu’ici mais dont il oublie que cela porte aussi d’autres hommes, choisissant la rupture ente les mondes de l’ici-bas et de l’au-delà, oubliant que la continuité entre ces mondes est la seule richesse des âmes terrestres promises à l’au-delà, exécutant un dernier acte de pure colère qui n’est pas bon conseiller.

Quant à moi, je m’abstins de cette condamnation radicale. La mesure la plus extrême que je pris fut d’acheter une voiture allemande, une Golf, confirmant ma rupture avec l’enseignement de mon père jusqu’alors respecté, de n’acheter que des voitures françaises pour soutenir l’économie de mon pays comme en un acte patriotique extraordinaire. Depuis, je suis revenu aux voitures françaises, montrant par là que j’ai complètement accepté cette dichotomie entre France et Français. La crise était passée grâce à cet acte ultime qui me gardait désormais de nouveaux déchirements de cette sorte. Ainsi fait-on des différences subtiles, je veux dire qui vous permettent de tenir à distance respectueuse les avatars de l’existence, entre l’ici-bas et l’au-delà, pour permettre à l’au-delà de mieux vous aider ici-bas.

Pour le reste, je reviens ici-bas où le travail ne manque pas. J’étais alors confirmé dans le jugement qu’une offensive puissante continuait à être conduite contre l’Europe, de la part d’organismes américains qu’on pouvait identifier sans hésitation. La DIA représentait le Pentagone. On sait que ce service, et le Pentagone en général, étaient soupçonnés précisément d’avoir déclenché et égrené une chaîne d’événements pendables, des mystères existant autour des Brigadi Rossi d’Italie aux « tueurs du Brabant », en Belgique ; j’en ai déjà parlé, en abondance, sur la place que cela mérite d’ailleurs, dans le premier Tome de ces mémoires. Je crois fermement que cette affaire de 1988, avec Kloske et la DIA, si elle n’a pas de lien direct avec le reste, lui est liée évidemment, dans tous les cas par la logique des enchaînements. Je jugeai complètement extraordinaire que les services français, sachant évidemment que j’étais Français, n’aient pas cherché à s’informer auprès de moi, qu’ils aient accepté l’information de la DIA comme on accepte la parole de l’Évangile. De façon plus générale dans ce constat, et d’une façon qui vaut autant pour aujourd’hui, 16 ans plus tard (le 11 avril 2004), pour le domaine psychologique sans aucun doute, cette révérence pour tout ce qui vient d’Amérique subsiste. N’y échappent que des exceptions, notamment une partie des services de renseignement français (certains à la la DGSE, certes pas à la DST) qui entretient un sarcasme vigilant pour l’utilisation intensive des technologies que font les Américains, leurs manières de cow boys, leur inculture, leur désintérêt étonnant à force d’ignorance et d’indifférence pour tout ce qui leur est extérieur…


Sources : articles du site Dedefensa.org en date du 24 octobre 2014 :

Source: http://www.les-crises.fr/reprises-journalisme-made-in-cia/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade)

Wednesday 26 November 2014 at 00:57

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : Le coup de sang de Delamarche: 1% de la population n’est pas l’ensemble de la population – 24/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): Comment la politique monétaire des banques centrales agit-elle sur le marché ? – 24/11

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): Faut-il s’inquiéter de la deuxième estimation du PIB américain ? – 24/11

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Guerre des monnaies, la BCE n’a qu’un “opinel” – 19/11

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 21/11

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Cac 40: le rallye de fin d’année aura-t-il lieu en Europe ? – 19/11

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Peut-on profiter du retour en récession du Japon ? – 19/11


 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi, ou les sites Soyons sérieux et Urtikan.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-26-11-2014/


[Reprise] Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier, par Philippe Grasset (1/2)

Tuesday 25 November 2014 at 12:40

Une belle série de Dédefensa

Par manque de temps, chez eux comme ici, les extraits en anglais n’ont pas été traduits. Pour les non anglophones (outre la facilité à utiliser Google Traduction pour avoir une bonne idée du propos), sachez cependant qu’on comprend très bien le billet sans les lire… Bref, on fait comme on peut…

Le journalisme made in CIA, aujourd’hui et hier

Au tout début octobre, le livre Journalistes achetés de Udo Ulfkotte, ancien journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (la prestigieuse FAZ de Francfort), s’est aussitôt présenté comme un best-seller. A côté de cela, la presse allemande pour l’essentiel a conservé une discrétion, voire un mutisme significatif à l’égard de ce livre. Le succès de Ulfkotte-auteur en est d’autant plus remarquable, sinon très significatif du divorce chaque jour confirmé entre les populations et opinions publique d’une part, les élites-Systèmes et la presse-Système d’autre part.

Le 3 octobre 2014, le site Russia Insider (RI) consacrait un premier article à Ulfkotte et à son livre. On y lisait notamment ceci, qui marquait non pas la thèse de l’auteur, mais son constat née d’une expérience à la fois professionnelle et personnelle. «Members of the German media are paid by the CIA in return for spinning the news in a way that supports US interests, and some German outlets are nothing more than PR appendages of NATO, according to a new book by Udo Ulfkotte, a former editor of Frankfurter Allgemeine Zeitung, one of Germany’s largest newspapers. Ulfkotte is a serious mainstream journalist. Here he is on Germany’s leading political talk show a couple of years ago. The book is a sensation in Germany, [seventh] on the bestseller list. Its political dynamite, coming on the heels of German outrage of NSA tapping of their phones. [ ...]

»Here at Russia Insider, it has long been apparent to us that there is something distinctly odd about the German media regarding Russia. We follow it, and it is much more strident than even the anglo-saxon media regarding Russia, while German public opinion is much more positive towards Russia than in other countries. Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic. This is what one would expect if there was some financial influence ginning the system.»

Le 17 octobre 2014, IR poursuivait et approfondissait l’affaire en publiant une interview très approfondie de Ulfkotte. On y lisait notamment ceci, avec des précisions sélectionnées de l’interview (qui est plus loin, dans l’article de IR, présenté dans son intégralité)… «In his latest interview, Ulfkotte alleges that some media are nothing more than propaganda outlets of political parties, secret services, international think tanks and high finance entities. Repenting for collaborating with various agencies and organisations to manipulate the news, Ulkotte laments, “I’m ashamed I was part of it. Unfortunately I cannot reverse this.” Some highlights from the interview:

»“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service.” [...] “Most journalists from respected and big media organisations are closely connected to the German Marshall Fund, the Atlantik-Brücke or other so-called transatlantic organisations…once you’re connected, you make friends with selected Americans. You think they are your friends and you start cooperating. They work on your ego, make you feel like you’re important. And one day one of them will ask you ‘Will you do me this favor’…” [...] “When I told the Frankfurter Allgemeine that I would publish the book, their lawyers sent me a letter threatening with all legal consequences if I would publish any names or secrets – but I don’t mind.” [...] [The FAZ] hasn’t sued me. They know that I have evidence on everything.” [...] “No German mainstream journalist is allowed to report about [my] book. Otherwise he or she will be sacked. So we have a bestseller now that no German journalist is allowed to write or talk about.”»

Le 18 octobre 2014, Russia Today (RT) reprenait l’affaire et en donnait son compte-rendu, à partir de l’interview de IR et après une première interview (de RT) de Ulfkotte. On retient ici un passage très spécifique, qui est symbolique de l’intérêt analytique que nous portons à cette affaire … «“I ended up publishing articles under my own name written by agents of the CIA and other intelligence services, especially the German secret service,” Ulfkotte told Russia Insider. He made similar comments to RT in an exclusive interview at the beginning of October. “One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name,” Ulfkotte told RT. “That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Deux passages précisément sont à citer à nouveau, pour orienter et développer le commentaire… Celui où il est dit que la pénétration du milieu journalistique allemand est tel que le résultat obtenu est souvent bizarre, presque comique à force d’excès (cela, qu’on ressent sans aucun doute dans la façon complètement désordonnée, chaotique même si antirusse, rocambolesque et presque comique dont la crise ukrainienne est couverte..) : «Another interesting thing about it is that it is very disparate. Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic.» Le second passage concerne les circonstances précises, extrêmement détaillées pour un article précis (celui où il est dit que Kadhafi fait développer une usine de production de gaz mortel), aboutissant à une nouvelle inventée de toutes pièces qui fut largement reprise dans le monde entier :

«One day the BND [German foreign intelligence agency] came to my office at the Frankfurter Allgemeine in Frankfurt. They wanted me to write an article about Libya and Colonel Muammar Gaddafi…They gave me all this secret information and they just wanted me to sign the article with my name… That article was how Gaddafi tried to secretly build a poison gas factory. It was a story that was printed worldwide two days later.”»

Ces divers détails donné par Ulfkotte ont inspiré à notre vénérable ancien Philippe Grasset quelques réflexions sur la façon dont la pénétration des milieux journalistiques européens se fait aujourd’hui par la CIA, ou plutôt par le système de l’américanisme, par rapport à la façon du temps de la Guerre froide. Cette comparaison est extrêmement éclairante, en nous donnant des indications précises sur l’évolution des méthodes américanistes, sur leur efficacité, sur ce que cette évolution nous dit de l’évolution de la politique US elle-même, par conséquent de sa transmutation en politique-Système. C’est donc à la première personne, PhG figurant comme témoin principal, que le reste de ce commentaire sera rédigé.

PhG et les “années-CIA” 1970-1990…

Je prends la plume à ce point en tant que journaliste déjà largement impliqué dans le travail de la politique extérieure et de sécurité nationale, à partir de 1973-1974 à Bruxelles, qui était déjà et qui reste, avec Washington, pour ce qui deviendrait le bloc BAO, l’un des deux centres de l’information pour ces matières avec la présence de l’OTAN et de l’UE. Auparavant (étant journaliste en Belgique, à Liège depuis 1967), j’étais peu “sorti” vers Bruxelles, pour établir un réseau de contacts et suivre l’information sur place, cantonné à un travail de rédaction sur dépêches de nouvelles venues de l’extérieur, – mais déjà, dès l’origine, sur ces mêmes matières de politique extérieure et de sécurité nationale. A partir de 1976-1977 (“seconde Guerre froide”) et jusqu’en 1989-1991 (chute de l’URSS/du communisme) l’activité de politique extérieure et de sécurité nationale essentiellement sur la question des relations avec l’URSS, et donc l’activité de communication à cet égard, furent particulièrement intenses, souvent polémiques, extrêmement “chaudes” en un mot.

Je vais surtout parler de la Belgique, mais en un lieu (Bruxelles) où des journalistes internationaux, surtout européens, se trouvaient déjà souvent présents en grand nombre, et donc avec à l’esprit que les méthodes de pénétration et de manipulation de l’américanisme en Belgique sur ces matières devaient se trouver assez proches de celles qui étaient utilisées dans les pays de l’OTAN avoisinants notamment (Hollande, Luxembourg, Italie, Allemagne, France, etc., en mettant UK à part pour des raisons évidentes, – pour ne pas mélanger une succursale à ciel ouvert avec des entreprises apparemment indépendantes…) (D’après ce que j’ai pu en savoir de source très sûre, le contingent des agents de renseignement, des agents traitants et des correspondants dépendant de la CIA à Bruxelles, atteignit jusqu’à 800 personnes à l’extrême de leurs effectifs dans cette période de tension, soit le double du personnel du SGR et de la Sûreté de l’État réunis, les deux services belges de renseignement et de contre-espionnage.) Je vais exposer les méthodes US en précisant que j’en fus non seulement le témoin direct, mais à plusieurs reprises la cible directe, – inconsciente et régulièrement ratée, – notamment en tant que principal journaliste spécialisé dans les questions de politique extérieure/de sécurité nationale du deuxième quotidien francophone de Belgique (de 1967 à 1985 à La Meuse-La Lanterne, 197 000 exemplaires en 1970-1972), collaborateur de l’hebdomadaire L’Evénement de 1980 à 1984, éditeur des Lettres d’Analyse Definter (1978-1980) et dedefensa & eurostratégie (1985-2012).

Ce qui m’intéresse ici est de comparer ces méthodes à celles d’aujourd’hui telles que les rapporte Ulfkotte. Je vais m’abstenir de donner des détails de lieux et de personnes et autres précisions opérationnelles qui nous entraîneraient trop loin. (L’affaire m’ayant alerté à cet égard, il serait logique et devrait être envisagé de mettre en ligne, prochainement, un passage des Mémoires du dehors concernant cette période et ces situations. [Concernant les Mémoires du dehors, deux textes ont déjà été mis en ligne les 5 novembre 2005 et 6 novembre 2006.])

Dans la période considérée, l’“approche” des journalistes par les “services US” se faisait de manière très classique et très soft, par des moyens initiaux tels que les décrit Ulfkotte (voyages, séminaires, réunions, etc.), mais d’une manière beaucoup plus policée et habile. En fait, au départ, il s’agissait d’un pur travail, normal et courant, de relations publiques et de relations avec la presse professionnelle, où intervenaient essentiellement sinon exclusivement les services adéquats US, dépendant du département d’État, essentiellement USIS (US Information Service), ou dépendant du département de la défense (services d’information des forces). La présence de la CIA ou d’autres services de renseignement, malgré l’énormité de leurs effectifs, était proscrite, même dissimulée, et restait absolument clandestine. Il existait à cet égard une rigoureuse surveillance et une jalousie bureaucratique extrêmement ferme des services impliqués, et USIS n’aimait guère coopérer avec la CIA. La seule fois où j’ai rencontré un officier de la CIA sous sa couverture d’“attaché culturel” (je n’ai su qu’après la rencontre que l’“attaché culturel” était la couverture du chef d’antenne de la CIA) l’a été par l’intermédiaire du chef de USIS à Bruxelles, Jim Hogan, lors d’un déjeuner suscité par Hogan à la demande de l’“attaché culturel”, en présence et sous le contrôle de Hogan, et aucune suite ne fut donnée ni aucune tentative effectuée par la CIA à mon égard. En fait, la CIA travaillait de manière très isolée dans les ambassades, et les antennes locales étaient elles-mêmes le plus souvent ignorées du centre de Langley. J’ai eu souvent des échos précis de la part de sources officielles non-US de la frustration des officiers de la CIA en poste à Bruxelles, devant le désintérêt que la centrale de Langley portait à leurs activités. (De façon très symptomatique de l’esprit de l’américanisme, la même tension existait entre le Pentagone et le commandant en chef suprême [un officier général US] de l’OTAN, le SACEUR, “exilé” en Europe, sur des terres lointaines, hostiles et inconnues…) Enfin et pour résumer, la CIA travaillait sur ses informations propres, sans guère de coopération de USIS et largement ostracisée au sein de l’ambassade.

Les opérations de tentative de recrutement étaient donc extrêmement discrètes et d’une forme très passive, et j’ai pu évoluer pendant des années, en tant que journaliste, dans les diverses manifestations classiques de relations publiques US avec la presse sans avoir le moindre signe qui ressemblât à une pression ou une offre quelconque. Il semble plutôt que la méthode US à cet égard, à cette époque en Europe, était fondée sur une méthodologie d’une suffisance extraordinaire : les journalistes non-US seraient nécessairement impressionnés, fascinés et conquis par ces manifestations de communication US, et demanderaient eux-mêmes à “travailler” avec et pour les USA, sous une forme ou l’autre de coopération, – moment à partir duquel des aspects de rémunération ou autres, sous forme de “privilèges” divers, pouvaient être envisagés mais pas nécessairement… Néanmoins, cette attitude était limitée dans le temps : si le journaliste restait ce qu’il était à l’origine, s’il ne demandait pas à coopérer d’une façon ou l’autre, s’il n’effectuait pas une évolution éditoriale satisfaisante et s’il évoluait au contraire d’une façon indépendante, éventuellement en se montrant critique (plus critique) des USA, il devenait suspect et la rupture devenait inévitable. Ainsi, en mars 1985, à une époque cruciale pour moi (je quittais mon poste dans le quotidien La Meuse-La Lanterne et m’apprêtait à lancer dd&e) mon avocat, Me Aronstein, me déclara : «J’ai demandé à mes contacts à la Sûreté [de l’État] s’ils avaient un dossier sur vous. Ils m’ont dit ce que les Américains pensaient de vous. Pour la CIA, vous êtes un agent du KGB. Pour le State Department, vous êtes un naïf.» (“Agent du KGB” puisque je n’étais pas devenu agent de la CIA, “naïf” puisque je n’avais pas demandé tel ou tel avantage, telle ou telle voie de coopération, – bref, “agent du KGB” et “naïf“ parce que je semblais décidément n’avoir pas compris l’avantage incomparable de coopérer de façon volontaire avec les USA.)

Dans cette logique de “recrutement d’influence” qui était en fait une approche très soft et assez habile, mais aussi avec cette suffisance qui conduit parfois sinon souvent à des déconvenues de taille, une approche fondée au fond sur les principes de la libre-entreprise et de l’exceptionnalisme américaniste, – la “loi du marché” vous amènera un jour ou l’autre à vous tourner vers le meilleur, c’est-à-dire les USA, – l’idée qu’on put suggérer sinon presser un journaliste même coopérant de publier un article rédigé par tel ou tel service US (la CIA ou USIS) sous sa propre signature était insensée. Il y avait même certaines réticences du côté US (USIS, certes) à ce qu’on reprenne sous leur forme originale, – en tout bien tout honneur, simplement pour l’information contenue, – des articles contenus dans des publications officielles, d’un auteur académique, d’un expert, etc. Ce qui était attendu, c’était vraiment que le journaliste passé “sous influence” se transmutât lui-même en porte-voix de l’américanisme, et produisît, avec son talent, avec son style, avec ses informations, des textes allant dans ce sens, – bref qu’il agît en toute liberté, comme La Boétie décrivait La servitude volontaire.

C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” La seule vertu qui survécut intacte alors dans mon jugement sur les activités US une fois que se fut affirmé complètement mon anti-américanisme, c’était leur brio dans les relations publiques, pour ne par faire sentir une trop grande contrainte sur les personnes visées ; et un brio qui était même décoré par une certaine référence au professionnalisme et à l’indépendance de la presse US (on pouvait alors y croire encore), ce qui revenait à vous dire effectivement que c’est en toute indépendance que vous en viendriez à coopérer avec les USA (La Boétie, toujours) … Quand je rapproche cela de l’esprit du “marché libre”, de l’absence d’“interventionnisme”, du “statisme”, je crois ne pas être trop loin de la vérité. La limite est que cela doit aboutir à un moment ou à un autre, sinon, si vous ne vous décidez pas, si le point de non-retour est dépassé sans que rien ne se soit passé, si enfin vous ne comprenez pas le diktat du “marché libre” (ou du Système), le masque tombe brutalement et vous voilà devenu “un mauvais”, un “bad guy”, un agent du KGB, un demeuré… (Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.)

La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte («Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic»), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.

Ce phénomène de l’information sous influence grossière, sous manipulation brutale, transmet sa vulnérabilité et sa fragilité à ceux qui s’appuient sur lui pour renforcer leur action, ce qui conduit au contraire à fragiliser cette action. Le paysage d’aujourd’hui, au contraire de celui d’hier qui était rationnellement et assez habilement contrôlé, est la transcription dans le monde de l’influence de l’hyper-désordre qui caractérise la vérité de notre monde. Les effets vont des nouvelles “comiquement apocalyptiques” sur la Russie au passage à l’antiSystème de “lanceurs d’alerte” journalistique type-Ulfkotte. La surpuissance est continuellement grosse de son autodestruction.

PhG

Source : DeDefensa.org


Suite : le journalisme made in CIA… (II)

Comme un brave pèlerin ployant sous le poids des ans au vu de cette carrière caractérisée au moins par sa longueur, je reprends la plume … Quelques précisions de plus parce que le sujet m’apparaît absolument vital, dans notre milieu et selon nos activités, parce qu’il s’agit du système de la communication qui est aujourd’hui la première force déterminante de la politique, parce que nous sommes dans cette époque extraordinaire où nous ne pouvons pas ne pas nous engager. Cette suite fait elle-même suite à la réaction d’un de nos lecteurs et amis, par ailleurs présents parmi les rares intervenants d’Ouverture libre, Jean-Paul Baquiast, sous le titre «Quid de la presse US que nous pensons non-alignée?», ce 21 octobre 2014, en commentaire du texte sur “le journalisme Made in CIA” du 20 octobre 2014, qui trouve ici son complément.

«Je pense à divers journaux que vous citez souvent vous-même, comme WSWS auquel je me réfère fréquemment. Sont-ils des faux nez de la CIA et autres?

»Je pense aussi aux sites “alternatifs” auxquels là aussi nous nous référons souvent, ZeroHedge ou The Saker. Je ne vois pas comment, en suivant l’analyse que vous faites, ils pourraient survivre sans être manipulés, ne fut-ce que dans la fonction de contestation-système officielle.

»Je pense qu’avec votre expérience, vous devriez donner votre avis sur ces points…»

Je vais me permettre de répondre indirectement parce que je ne distingue pas vraiment ce qui, dans mes propos, pourrait faire croire que cette presse alternative US soit plus manipulé que d’autres par la CIA, tout comme toutes les autres presses alternatives d’ailleurs… Donc, je réponds indirectement, en précisant mon propos, et vous verrez que ma conclusion tend à l’inverse de ce que craint notre intervenant JPB.

D’abord, les dates sont claires … J’ai bien écrit qu’à partir de 1985, année où j’ai lancé dd&e, ancêtre de dedefensa.org, les US avaient coupé les ponts avec moi, de leur propre initiative d’ailleurs. («Effectivement, à partir de 1985, cela correspondant à mon départ du quotidien où je travaillais, je ne reçus plus jamais d’invitation de l’ambassade US, comme il en était régulièrement adressé à la presse.») Cela fait que la période dont j’ai parlé est bien une période où n’existait pas la presse alternative que l’on connaît aujourd’hui, où n’importe qui peut monter un blog pour une somme abordable, et jeter ses commentaires à la face du monde. Avant, à part l’exception de la “Lettre d’information” (d’“Analyse”), très peu coûteuse à produire mais extrêmement difficile à imposer par la notoriété, ce qui se passe aujourd’hui était impossible … Trop cher, trop dépendant d’un financier, de la publicité, ou bien d’un carnet d’abonné qu’il fallait des années, voire des décennies pour constituer. Ce que je décris des procédés US d’influence et de recrutement porte donc sur la période où la presse “alternative” dont parle JPB n’existait pas et ne pouvait économiquement pas exister.

D’autre part, le climat politique était extrêmement nuancé, beaucoup plus divers qu’il n’est aujourd’hui. Du côté de l’Ouest, il y avait les “libéraux” (politiques), partisans d’un rapprochement avec l’URSS et du “convergisme” (les deux régimes, Est et Ouest, devant finir par se confondre), il y avait les “réalistes” ou “détentistes”, partisans de la détente passant par l’intensification des échanges commerciaux et culturels entre Est et Ouest, et puis toutes les factions des durs, des “faucons”, etc., impitoyablement antisoviétiques. Cela faisait des nuances considérables qui permettaient à un journaliste passé sous l’influence US d’évoluer sans à-coups, habilement, sans qu’on puisse identifier cette influence. Les faux-nez de la CIA, ou d’USIS pour les cas envisagés, pouvaient apparaître avec un superbe profil grec semblant tout à fait naturel. Même chose d’ailleurs, selon les “faucons”, des agents d’influence du KGB, qu’il était très difficile d’identifier, – comme voulut le montrer le roman à clef L’Iceberg (traduction très libre de The Spike), écrit par Arnaud de Borchgrave et Robert Moss. Ce livre, publié en 1980, constitua l’archétype anglo-saxon de la dénonciation des manœuvres de retournement du KGB. (Vladimir Volkoff publiait en France, avec infiniment plus de nuances, des ouvrages sur le même thème, comme Le retournement.) Ce que je veux dire par ces divers rappels, c’est que la situation de la communication était alors infiniment complexe et nuancée, et elle ne le fut jamais plus que dans les années 1980, entre les tensions de la crise des euromissiles jusqu’en 1983 et le gorbatchévisme à partir de 1985, où s’activaient, à côté des faucons antisoviétiques un formidable parti pacifiste et détentiste, tandis qu’on retrouvait les mêmes nuances considérables à l’Est et en URSS.

Je me souviens fort bien de cette atmosphère des années 1980, incertaine, insaisissable, pleine de tensions dramatiques mais aussi d’espoirs enthousiastes, avec des failles béantes entre alliés de l’Ouest (bloc BAO) dans les rapports avec l’URSS. A cette époque, tout le monde soupçonnait tout le monde dans tous les sens, justement à cause de cette confusion dont les services de renseignement et d’influence usaient avec habileté, alors qu’eux-mêmes (ces SR) étaient soumis à des différences de tendance qui se marquaient dans des actes concrets. Dans ce climat, les manœuvres étaient faciles, même sans construction élaborée. Je me rappelle avoir été l’objet, en 1988 cette fois [1], d’un soupçon non plus passif mais activement diffusé dans les milieux de sécurité nationale et de communication à Bruxelles, d’être un agent du KGB. Un ami, colonel belge de réserve m’en avait averti, lui-même alerté par le SGR (renseignement belge). Il m’avait précisé que l’“information” venait de la DIA et non de la CIA et avait transité par la DST française avant d’arriver au SGR. Je lui avais demandé sur quelle base reposait cette accusation puisque je n’avais jamais rien écrit de procommuniste ou approchant ; mon ami répondit, avec un sourire ironique : «Justement…», ce qui donnait une mesure de la paranoïa dont bénéficiaient les instigateurs du canard, ma non-activité prosoviétique étant la preuve a contrario de mon rôle d’“agent dormant” … Finalement le SGR rejeta l’accusation selon la conclusion et la décision de l’état-major général (belge), et cet état-major général qui me considérait comme un complet indépendant voulut faire connaître sa position publiquement, dans les milieux concernés, en me proposant une interview du chef d’état-major général, le général Gysemberg, pour ma publication. Cela devait constituer, selon les codes en vigueur, le signe indubitable de cette position de confiance. J’acceptai, certes, pour me débarrasser de ce canard qui pouvait me faire un tort considérable du point de vue de mon statut d’indépendant. Pour le reste, le coup fut aisé à démonter, notamment par des recoupements extrêmement précis et selon des identifications de personnes, de lieux et de dates, qui étaient impliquées dans l’affaire qu’on signale ci-après : à cette époque, la France proposait une coopération Rafale à la Belgique, que je soutenais à fond, et le Pentagone tentait de contrer l’offre avec un projet F-16 Agile Falcon ; comme le coup venait de la DIA, le SR du Pentagone, concluez… Quant à la DST, d’une stupidité sans bornes (et d’ailleurs en désaccord avec la DGSE), elle avait relayé le canard sans en chercher plus loin les causes possibles… Voilà comment était le climat, et vous comprendrez que, dans ces conditions, tout pouvait être imaginé de tout le monde dans la sphère de la communication, sans que rien ne soit tranché. C’était bien une époque où, non seulement il était difficile d’identifier les faux-nez de la CIA, mais où, et c’est la remarque essentielle pour mon propos, cette difficulté pouvait causer des problèmes sérieux si l’on suivait les commentaires et informations d’une source-faux-nez mais non identifiée comme telle ; parce que les nuances infinies des informations pouvaient conduire à de telles erreurs de parcours…

Aujourd’hui, la situation est complètement différente, radicalement modifiée, et elle est à mon avis bien meilleure du point de vue des journalistes, commentateurs, chroniqueurs, notamment et essentiellement pour nous les indépendants et les antiSystème. Je vais énoncer quelques points en faveur de cette appréciation.

• D’abord, l’aspect économique, déjà vu plus haut. Il n’est besoin d’aucun soutien suspect (sponsor, publicité) pour exister dans le système de la communication. Les soutiens par abonnements, et surtout par donation des lecteurs, existent et ils peuvent permettre à un site de lui-même exister, vivre et faire son travail. Nous, à dedefensa.org, nous en savons quelque chose : nous pratiquons la chose depuis l’origine et pratiquement depuis 2008-2009 et l’intégration dans dedefensa.org de la Lettre d’Analyse dd&e devenue dde.crisis (cessation de parution en avril 2012 en tant que telle), nous vivons uniquement grâce aux donations de nos lecteurs, – parfaite et superbe garantie de notre indépendance. La vie n’est pas toujours facile, elle est même souvent angoissante, mais elle se poursuit, – et pourvu que ça dure, hein… Dans la période précédente (jusqu’aux années 1990), une telle situation était impensable parce que vous ne pouviez raisonnablement pas espérer publier (publication-papier, avec tirage imprimerie, distribution, etc.) avec les seules donations de lecteurs, – à moins, encore une fois, du cas d’exception des “Lettres d’information” et d’analyse (abonnements) qui constituaient un coup de dès incroyablement incertain, – et qui demandaient, de toutes les façons, une infrastructure technique et commerciale conséquente.

• Ensuite la situation institutionnelle. Ma religion est faite depuis 9/11, selon le principe imité en l’inversant de la formule juridique bien connue que toute information officielle venant du bloc BAO dans les domaines qui m’importent “est présumée mensongère” à moins que sa véracité puisse être établie (par mes soins). (Voir le texte «Je doute donc je suis», du 13 mars 2003.) Ce mensonge permanent développé en mode-pavlovien, passant du virtualisme à la narrative (voir le 27 octobre 2014), nous donne une paradoxale liberté. (Dieu sait que ce n’était pas le cas dans la période d’avant, jusqu’en 1985-1990, où l’information officielle gardait un certain crédit référentiel, ce qui constituait une difficulté même inconsciente dans le travail d’une éventuelle contestation de cette information.) Cette liberté se trouve dans le fait que nous ne sommes plus contraints sinon prisonniers du prestige impératif de l’institutionnalisation de la source parce que l’institutionnalisation n’est plus en quoi que ce soit une garantie de la validité de la source.

• Cette évolution visible et non dissimulée (voir à nouveau le 13 mars 2003) vers la culture du mensonge de toutes les sources institutionnalisées ne signifie pas une plus grande habileté de ces sources, mais un extrême appauvrissement. Le mensonge type-virtualisme puis type-narrative n’est en rien un sommet de machiavélisme, qui témoigne de la souplesse et de l’habileté de l’esprit, mais tout au contraire le produit de l’effondrement dans le conformisme pavlovien. La culture et l’expérience suivent, dans cette chute vers les abysses. Le niveau des services de renseignement, du point de vue de l’analyse et de l’observation, s’est absolument effondré en vingt ans, et avec eux, la validité et la qualité des opérations qu’ils produisent, y compris la désinformation et la mésinformation. Là-dessus, à cause de l’emploi excessif et exclusif de la méthode virtualisme-puis-narrative, les opinions et les perceptions n’ont cessé de s’exacerber vers les extrêmes, rendant bien plus facile pour ceux qui se trouvent en-dehors du circuit-Système que ces gens représentent, l’identification des montages de narrative par rapport aux vérités de situation qui importent. Y a-t-il un exemple plus flagrant de cette extraordinaire disparité que la crise ukrainienne où, au même instant, dans un même lieu, un côté vous dit “il fait grand soleil” et l’autre “il pleut à verse” ? Si vous avez une position politique, si vous avez de l’expérience, notamment depuis 9/11, si vous suivez l’évolution du Système, quelle difficulté y a-t-il à distinguer ce qui vient du Système ? Aucune… Vous pouvez ainsi déterminer une position de principe vis-à-vis de l’information et, là, commencer un travail de raffinement, d’enquête, qui est l’aspect le plus passionnant de la chose.

• C’est là où je veux en venir, pour répondre directement à la préoccupation (qui est un faux-nez de la CIA, qui ne l’est pas ?). Ma réponse est : aucun intérêt, bottez en touche cette question du faux-nez vers l’inconnaissance. Ce qui importe, c’est la valeur de l’information elle-même, pas la vertu de l’informateur : que m’importe au départ qui se cache derrière le Saker ou ZeroHedge.com dès lors que les informations qu’ils publient me satisfont d’une façon ou l’autre, – après enquête sur la valeur et la validité des informations, certes… L’enquête dont je parle (“commencer un travail de raffinement, d’enquête”) consiste à déterminer le crédit de l’information, et ce travail quelle que soit la source (Système ou antiSystème, – car toutes les sources sont susceptibles de céder plus ou moins à la tentation d’en rajouter ou bien s’en tiennent à la rigueur du propos, – à déterminer). Cette enquête demande de l’expérience, de la connaissance, du bon sens, l’art de la confrontation entre des domaines différents et enfin de l’intuition en fonction de positions fermement arrêtées selon des références principielles que vous vous êtes données. C’est alors, justement, à partir de ces enquêtes, qu’on “remonte à la source” et qu’on peut qualifier la source de “crédible” ou non en général, et la juger estimable, courageuse, etc. Il est beaucoup plus nécessaire de donner un label de qualité intellectuelle à une source que de déterminer si elle est faux-nez de la CIA ou pas (Système ou antiSystème). Par exemple, si vous prenez le cas de DEBKAFiles (à propos, – à condition que le site redémarre), vous savez que c’est plus ou moins un relais du Mossad mais vous devez savoir aussi que dans les informations diffusées, à côté des déchets de désinformation/mésinformation, se nichent quelques éléments qui peuvent être très intéressants pour la vérité de la situation. (Et même … Leurs nouvelles de désinformation/mésinformation ont de l’intérêt pour savoir ce qu’ils voudraient que vous croyiez.)

• La conclusion de tout cela, pour moi, pour mon compte et pour la philosophie du site dedefensa.org, se trouve dans le plus grand avantage qu’il y a à naviguer à ciel ouvert, à se présenter tel qu’on est, à clarifier sans la moindre ambiguïté l’engagement qu’on suit, à refuser le vrai faux-nez de la “vertu” de l’objectivité, qui s’apparente vite à une vertu-Système. Je considère comme absolument trompeur de se prétendre “objectif” et affirmer donner l’information juste et objective dans une époque qui répudie évidemment l’objectivité par absence de références. Au contraire, il faut affirmer son engagement qui est dans un champ autre que celui de l’objectivité, – dès lors qu’on sait bien que l’objectivité sera l’objectivité-Système institutionnalisée, c’est dire… Par les temps qui courent, dans une époque aussi extraordinaire, une telle attitude est évidente, les enjeux étant à la fois clairement identifiables et d’une puissance considérable. Il faut savoir ce que l’on est et ce que l’on veut, et il faut le dire. Je suis sûr qu’on vous en sera reconnaissant.

PhG

Note :

[1] … Et non 1987 comme indiqué pimitivement dans ce même texte. (Note incluse le 23 octobre 2014 à 15H30.)

Source : DeDefensa.org

Et si la CIA achetait directement les lecteurs de la presse allemande ?

Daniele Pozzati, spécialiste des médias, notamment allemands, du site Russia Insider, développe quelques observations festives concernant l’évolution du succès d’influence (et donc commercial), ou plutôt de l’insuccés grandissant de la presse-Système, en Allemagne, depuis la sortie du livre de Udo Ulfkotte, Gekaufte Journalisten (pour une fois, donnons le titre en allemand, après l’avoir évoqué en français, notamment le 20 novembre 2014). On rappelle que Ulfkotte détaillait la façon dont la CIA avait purement et simplement acheté une part importante du corps des journalistes allemands, exactement comme le maquignon, à la foire aux bestiaux, enrichit son patrimoine d’une espèce particulièrement succulente et efficace, – type charolais, si l’on veut…

La nouvelle que nous apporte Pozzati est que la publication du livre de Ulfkotte, dont le succès ne se dément pas malgré le blackout de la presse-Système, a eu un effet dévastateur sur l’audience et la fréquentation des sites de la grande presse-Système allemande. Un tel effet commençait déjà au mois de septembre, suite aux excès antirusse de la presse allemande (l’affaire de la destruction du vol MH17) mais la courbe devient un effondrement en octobre. Pozzati fournit un ensemble de graphiques de l’analyse d’audience par le système Alexa, une société de comptage de fréquentation travaillant pour Google, montrant cet effondrement d’octobre 2014, de six publications maîtresse de la presse-Système : Stern, FAZ, Focus, Spiegel, Die Welt, Zeit.

«They call it the Ulfkotte-effect. And it’s beginning to resemble an avalanche. Since the publication of Udo Ulfkotte’s “Gekaufte Journalisten“in September – now a n°1 Amazon bestseller, in which he charges that the CIA regularly bribes top German journalists, himself included, – German readers’ disaffection towards their mainstream media appears to have crossed a point of no return.

»Granted, sales of newspapers and magazines have fallen everywhere, not just in Germany. But this is different. This is a boycott that is affecting web traffic. Germans are steering clear of mainstream media websites. Many Germans have not been too shy to announce their intention on social networks. Some have uploaded videos calling for a boycott on YouTube. Others have created groups calling for the same on Facebook. The other visible result of reader disaffection has been that throughout September the number of unique visitors to six major German newspapers and magazines was falling steadily. In October, it simply sank.

»Yet up until early summer these same websites had been generating a large and stable amount of traffic. This is an unprecedented trend, and one that is wholly distinct from the fall in newspaper sales generally. [...] The Spiegel’s infamous “Stoppt Putin Jetzt” July 29 cover apparently played a key role in incensing public opinion. An official readers’ complaint against Der Spiegel’s cover was upheld in August by the German Press Council. The latter ruled that the pictures of MH17 victims on the cover had been “instrumentalized in the context of a political statement.”

»Germany’s print media was warned even before that, on April 28, when Cicero, a leading German monthly, published a column titled: “Pride after the Fall”. The captions read: “Newspapers die. The reason: they go against their readers. The current Russia reporting is an example. That’s not the way to engage with readers.” The author, Alexander Kissler wrote: “Every quarter the newspapers sector grieves. This is when plummeting circulation figures are released. The curve travels from top left to bottom right, in fact it is not a curve anymore, but a straight line, unstoppable on its way to Zero.”»

Il s’agit d’une analyse particulièrement impressionnante, qui constitue une première dans le monde de la communication, par sa brutalité, par sa rapidité, par sa connectivité entre une tendance si marquée et des événements clairement identifiés. L’avantage de l’internet à cet égard, par rapport aux sites de la presse-Système, c’est qu’il permet des actes instantanés, immédiatement comptabilisables, qui constituent des manifestations concrètes d’opinion. Il y a dans ce cas bien plus qu’une mesure quantitative d’audience, mais bien une mesure quantitative d’audience par rapport à la qualité du travail fournie.

Cela nous conforte dans l’appréciation que nous donnions dans le texte du 20 novembre 2014, dans le chef de Philippe Grasset, sur la qualité (justement) de l’action de la CIA avec ses annexes du BND allemand vis-à-vis de la presse, – telles que rapportées par Ulfkotte dans son livre. Il nous paraît de plus en plus évident que ces méthodes, et leurs effets qui sont à mesure dans les domaines de la grossièreté et de la crédibilité, sont bien entendu la cause essentielle de la désaffection du public à cause de ces caractères d’une telle médiocrité brutale ; tout cela forme un véritable événement qui devrait se traduire par un impact important au niveau commercial des ventes de la presse allemande sous contrôle de la CIA… PhG écrivait ceci concernant les méthodes que décrit Ulfkotte, notamment par rapport aux “anciennes“ méthodes des années1970-1980 qu’il avait connues :

«C’est pourquoi les méthodes actuelles, telles que les présente Ulfkotte, me paraissent stupéfiantes de grossièreté, d’impudence maladroite, finalement extrêmement contre-productives. Il me semble insensé d’imaginer, en 1978 ou en 1982, un homme d’USIS, ou même de la CIA si et quand le contact était établi, glissant à un journaliste soi-disant “recruté” un texte rédigé par ses services et lui disant : “mettez votre signature ici et publiez !” [...]

»La description que donne Ulfkotte des méthodes de recrutement et de manipulation des journalistes professionnels de la grande presse par les USA en Europe aujourd’hui est complètement surréaliste par rapport à ce que j’en ai connu ; elle est aussi complètement stupide et absurde, attendu que cette “grande presse” a évolué de son côté en presse-Système et se trouve elle-même continuellement sur la voie de la conformité… Mais il n’y a aucune raison de douter de sa description, et cela permet alors de mesurer le chemin de décadence, sinon de la chute, parcouru par l’appareil d’influence et de sécurité nationale de l’américanisme. L’orientation prise est en effet caractéristique du développement de la politique-Système, de la surpuissance de tous les aspects de cette politique, de sa “brutalisation” à outrance, de la plongée de la perception du monde dans des narrative invraisemblables. La CIA (ou le BND, ou n’importe quoi) opère à visage découvert, sans souci ni d’apparence convenable, ni de formalisme professionnel, ni de vraisemblance des informations, exerçant des pressions même sur ceux qui leur sont acquis, qui sont déjà dans le cours de la presse-Système. L’information “sous influence” (sous influence de la CIA ou sous influence du BND, – ou sous influence du Système, pour mettre tout le monde d’accord) devient chaotique comme la décrit Ulfkotte (“Some major voices are very reasonable about Russia, but most are negative, and some are comically apocalyptic”), et le résultat est une communication de plus en plus extrême, de plus en plus désordonnée, de plus en plus invraisemblable, c’est-à-dire au bout du compte de plus en plus fragile, de moins en moins substantivée, flottant dans une sorte d’éther où chaque chose semble isolée de ses causes et de ses conséquences, et où son crédit, sa vraisemblance, ne résisteraient pas une seconde à une simple mise en perspective.»

… Effectivement, dans de telles conditions et pour faire cesser ce mouvement inacceptable de non-consultation des nouvelles dispensées par la presse-Système, la seule solution raisonnable semble être, pour la CIA, d’acheter les lecteurs de la presse-Système allemande pour qu’ils poursuivent héroïquement leurs lectures selon les consignes données. A part cette solution radicale, qui serait pourtant bien dans les manières du Système, les perspectives sont extrêmement sombres pour la presse-Système, en Allemagne bien entendu, mais en Europe en général. (On place les USA à part, où l’identification de l’Ukraine et sa position géographiques reste une pré-condition assez peu souvent rencontrée à une lecture des nouvelles à cet égard.) L’affaire ukrainienne et l’hostilité vis-à-vis de la Russie devant se poursuivre à très grande vitesse, et même selon un rythme accéléré à notre estime, bien entendu sans aucun espoir de changement de la part du bloc BAO, et cela dans l’atmosphère d’affirmation et de réaffirmation surréaliste de la narrative qu’on connaît, il apparaît désormais très possible que la presse-Système en tant qu’institution rencontre des conditions d’effondrement, et de son crédit, et éventuellement de son existence … Pozzati termine son article de cette façon : «And it still looks like just the beginning. Has the time come to print a book titled: “2019: The Last Copy of Der Spiegel?” – if the German print media will survive even until then, that is.»

Source : DeDefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-le-journalisme-made-in-cia-aujourdhui-et-hier-par-philippe-grasset/


[Soutien à Jacques Sapir] La propagande de guerre de Libération

Tuesday 25 November 2014 at 03:01

Je reprends le billet de Jacques Sapir du 27/10 – partageant son indignation.

L’aberration de Libération

Libération vient ce commettre un mauvais coup, quelque chose dont ce journal moribond nous avait donné l’habitude depuis 2005 et la campagne du référendum sur le projet de constitution européenne. Mais, cette fois, ce mauvais coup porte sur la Russie et prend la forme d’une pseudo-enquête sur les « réseaux de Poutine » en France. Il est frappant que, dans l’esprit de ces « journalistes », on ne puisse défendre des positions qu’au travers de réseaux. Sans doute est-ce le reflet du monde grégaire dans lequel ils vivent. Mais il y a plus grave. Il y avait une tradition dans la presse française, qui remontait à Émile Zola ; c’était celle de « J’accuse ». Aujourd’hui, les journalistes dénoncent. Le passage d’un mot à un autre en dit long sur le processus de dégénérescence. Cette « dénonciation » se trouve dans le numéro de vendredi 24 octobre. Je n’aurais pas relevé ce qu’elle avait d’ignominieux si certains de mes collègues et amis n’étaient aussi mis en cause.

Du journalisme d’investigation au journalisme d’inquisition

Le soi-disant dossier fait sept pages. C’est rendre beaucoup d’honneur à ceux qui sont mis en cause. Je suis persuadé que d’autres, hommes politiques ou industriels, sauront y répondre. Je me contenterai de ce que je connais, et je prêcherai pour ma paroisse.

Courriel de présentation de la journaliste de Libération

De: “Lorraine Millot” <lorrmillot@gmail.com>

À: sapir@msh-paris.fr

Envoyé: Lundi 8 Septembre 2014 17:05:08

Objet: Interview avec Libération

Cher Monsieur Sapir,

serait-il possible de vous rencontrer pour un entretien avec Libération? Je voudrais vous interroger sur la relation franco-russe et l’image du régime russe en France, dans le contexte actuel du conflit en Ukraine.

En tant qu’ancienne correspondante à Moscou, et Washington, je serais aussi très heureuse de cette occasion de faire votre connaissance.

Lorraine Millot

Libération

—–

La journaliste, qui s’était présentée ainsi le lundi 8 septembre, commence son papier par cette affirmation : « il nous cueille par une question, la même exactement que celle posée par John Laughland de l’étrange Institut de la démocratie et de la coopération ‘pouvez-vous prouver que la Russie est intervenue cet été en Ukraine ?’ » C’est tout simplement faux. La conversation n’a pas commencé sur ce point, et je ne suis pas si mal élevé que j’apostropherais de la sorte une personne ayant demandé à me voir. Quand la discussion est venue sur ce sujet, j’ai demandé à la journaliste si elle avait les preuves d’une présence massive de l’armée russe dans l’Est de l’Ukraine. Je lui ai fait part de mes doutes sur ce point, mais aussi du fait qu’il était certain que la société russe s’était assez largement, et avec l’accord du gouvernement, portée au secours des forces insurgées. La présentation de cette partie de notre entretien est tout simplement mensongère.

Nous avons ensuite longuement évoqué mes recherches sur la Russie, qui datent de 1976 et je me suis attardé sur les problèmes de financement que connaissent les chercheurs. Ceci donne, retraduit en langage de journaliste de Libération : « Pour ce qui est des financements de son centre d’études, Jacques Sapir explique bénéficier de contrats avec des entreprises occidentales ». Le fait que le CEMI et le séminaire Franco-Russe aient bénéficié d’un soutien constant et intangible tant de l’EHESS, dont nous dépendons, que la Fondation Maison des sciences de l’homme, est ainsi passé sous silence. Que plusieurs de mes thésards aient eu des allocations de recherches (on dit aujourd’hui « bourses doctorales ») est tout autant ignoré, et je suis bien obligé de constater que cela est volontaire, et fait avec une évidente intention de nuire. Par ailleurs, oui, nous avons eu des contrats, des administrations (par exemple le Ministère de la Défense) comme de sociétés occidentales, et pour tout dire françaises. En quoi cela est-il différent de la situation des centres de recherches en économie de Toulouse (où officie Jean Tirole) et de Paris de l’EHESS ? Ici encore, on ne peut que relever l’intention de nuire, de discréditer. Je le dis sans fard : je suis fier d’avoir trouvé pour certains de mes étudiants des contrats. Je sais que nous, économistes, avons plus de facilité pour ce faire que les historiens ou les anthropologues. C’est pourquoi j’ai toujours considéré de ma responsabilité vis-à-vis de collègues opérant dans des disciplines importantes mais moins reconnues, de trouver par moi-même des financements afin de leur laisser une plus grande part des maigres ressources qui nous sont allouées par l’administration. Cela, je l’ai aussi dit à cette journaliste, mais à la lire, j’aurais pu tout aussi bien pisser dans un violon !

Cerise sur le gâteau, cette journaliste m’a posé une question sur mes revenus personnels. Comme s’il était impossible que l’on ait des positions convergentes avec celle du gouvernement russe sans être payé par ce dernier. Voilà qui en dit long sur la mentalité mercenaire qui sévit, semble-t-il, à Libération. On entendrait les cris d’orfraie de ces journalistes si l’on se mettait à noter la liste de leurs commanditaires. Nous aurions instantanément les oreilles cassées par des cris de défense de la « liberté d’expression ». Qu’une journaliste soit incapable de penser qu’une personne a des postions, justes ou fausses, simplement parce qu’il a fait une certaine analyse de la situation sur le terrain signe le triste constat d’une presse non pas aux ordres mais à gages.

Les individus et la profession

Ceci cependant soulève un problème qui dépasse de loin le cas d’une journaliste. Tout d’abord, et je connais un peu les us et coutumes de la profession, cet article a été discuté en conférence de rédaction. Il a été relu. Nul ne s’est offusqué des imprécisions, mensonges et calomnies fielleuses qu’il contenait. Nul n’a demandé des comptes à la journaliste, ne lui a suggéré que des références aux travaux des uns et des autres, qu’il s’agisse d’Hélène Carrère d’Encausse ou de Philippe Migaut s’imposaient, simplement pour que le lecteur puisse se forger une opinion par lui-même. Il y a donc ici responsabilité collective de la rédaction de Libération dans la volonté non pas d’informer mais de désinformer. C’est en cela qu’il est révélateur d’un problème général qui touche une partie de la presse écrite française. On peut d’ailleurs signaler que les lecteurs de Libération, à la différence de ceux du Guardian en Grande Bretagne, du Spiegel en Allemagne, ne sauront rien des fosses communes découvertes par les insurgés après le repli des troupes du gouvernement de Kiev, ni de l’emploi d’armes à sous-munitions ou de missiles lourds, signalés par l’ONG Human Right Watch. C’est bien à une désinformation, qui s’inscrit dans une propagande de guerre, que se livre Libération.

Non qu’il soit interdit à un journaliste d’avoir des opinions ; bien au contraire. Mais, un journaliste devrait faire la distinction entre ses opinions et les informations qu’il rapporte. Dans la presse anglaise et américaine, ceci est même institutionnalisé par la séparation nette entre articles d’informations et éditoriaux. Mais, il est clair que ce genre de distinction, et donc d’éthique, est étrangère à une partie de nos journalistes, qui vit d’ailleurs bien souvent dans des relations incestueuses avec le monde politique ou celui des affaires. La presse écrite d’information est mourante en France. Il suffit de lire The Guardian ou leWashington Post et de les comparer à Libération ou au Monde pour comprendre pourquoi. Non qu’il n’y ait de bons journalistes en France. On en trouve encore quelques uns. Mais la profession elle-même, faute d’accepter un regard critique sur sa pratique, est en train de faillir. Car ce dossier de Libération n’est hélas ! pas isolé. On se souvient du dossier du Point sur les « néo-conservateurs », qui par un mélange d’insinuations, de mensonges francs, et de détournements d’étiquettes cherchait à construire un bloc qui n’existait que dans le cerveau malade de ses rédacteurs. On se souvient aussi des mensonges proférés à mon égard par des journalistes de l’AFP 1. Mais, dans ce cas, la direction du bureau Russie avait rapidement corrigé le tir et s’était excusée du préjudice commis, ce qui est tout à son honneur, et prouve, s’il en était besoin, qu’il y a encore des femmes et des hommes de conscience et d’honneur parmi les journalistes.

Une mesquinerie

Il reste à signaler une ultime mesquinerie dans cet article crapuleux de Libération. Il est en réalité réservé aux seuls abonnés. Si on ne me l’avait pas signalé, et si un ami ne me l’avait pas fait parvenir, je l’eusse ainsi ignoré. Il semble bien loin le temps où un journaliste, mettant en cause une personne, lui faisait parvenir en avance l’article litigieux pour qu’il puisse, si l’envie l’en prenait, y répondre. Le savoir-vivre se perd, tout comme le savoir-faire. Un petit travail de vérification aurait évité de dire les énormités que l’on peut lire dans cet article. Mais aujourd’hui, visiblement, il ne reste que le faire-savoir. On ne cherche plus à informer, mais à communiquer.

Il n’en reste pas moins, exiger d’une personne mise en cause qu’elle paye pour lire les énormités sur son compte, c’est ajouter à l’escroquerie intellectuelle la rapine en bande organisée.


  1. Voir « Basile est bien vivant et il vit en France », note publiée sur RussEurope le 10 juin 2013,http://russeurope.hypotheses.org/1347 []

Source: http://www.les-crises.fr/la-propagande-de-guerre-de-liberation/


Un journaliste Allemand dévoile le contrôle de la presse par la CIA

Monday 24 November 2014 at 02:09

Udo Ulfkotte, un ancien rédacteur en chef du Frankfurter Allgemeine Zeitung (qui est l’un des plus grands journaux Allemand), a décidé de rendre publique sa participation dans la corruption des «nouvelles» des médias occidentaux, estimant que celles-ci entraînent l’Europe vers une guerre nucléaire contre la Russie, provoquée par l’aristocratie américaine via la CIA.

Il a été un des conseillers du gouvernement Helmut Kohl. Entre 1986 et 1998, Ulfkotte a vécu en : Iraq, Iran,  Afghanistan, Arabie saoudite, Oman, Émirats arabes unis, Égypte et en Jordanie. Il  est membre du German Marshall Fund et a fait partie de la Fondation Konrad Adenauer de 1999 to 2003. Il a gagné le prix civique de la Fondation Annette Barthelt en 2003.

Il a été cofondateur d’un mouvement de paix contre l’extrémisme islamique naissant en Allemagne.

Et maintenant, il sort un livre qui prétend que les États-Unis sont en réalité la plus grande de toutes les menaces à la paix. Le livre est disponible uniquement en allemand, Gekaufte Journalisten, qui signifie «journalistes achetés.” (en tête des ventes dans sa catégorie sur Amazon.de – si un germanophone se sent de faire une fiche de lecture ce serait génial, contactez moi)

 

Voici des extraits de son témoignage à la télévision Russe :

 

Je suis journaliste depuis 25 ans, et j’ai été éduqué à mentir, à trahir, et à ne pas dire la vérité au public. Mais voyant actuellement et durant ces derniers mois, jusqu’à quel point… comment les médias allemands et américains essaient d’apporter la guerre aux Européens, d’apporter la guerre à la Russie. C’est un point de non-retour, et je vais me lever et dire … que ce que j’ai fait dans le passé n’est pas correct, de manipuler les gens, de faire de la propagande contre la Russie et ce que font mes collègues et ont fait dans le passé, parce qu’ils sont soudoyés pour trahir le peuple pas seulement en Allemagne, mais dans toute l’Europe.

La raison de ce livre est que je suis très inquiet d’une nouvelle guerre en Europe, et je ne souhaite pas que la  situation se reproduise, parce que la guerre ne vient jamais d’elle-même, il y a toujours des gens derrière qui poussent à la guerre, et ce ne sont pas seulement les politiciens, ce sont les journalistes aussi.

J’ai juste écrit dans le livre comment nous avons trahi dans le passé nos lecteurs juste pour pousser à la guerre, et parce que je ne veux plus de cela, j’en ai marre de cette propagande. Nous vivons dans une république bananière, et pas dans un pays démocratique où nous aurions la liberté de la presse, les droits de l’Homme. [...]

Si vous regardez les médias allemands, et plus spécialement mes collègues qui, jour après jour, écrivent contre les Russes, qui sont dans des organisations transatlantiques, et qui sont soutenus par les États-Unis pour faire cela, des gens comme moi. Je suis devenu citoyen d’honneur de l’État de l’Oklahoma. Pourquoi au juste ? Juste parce que j’écris pro-américain. J’ai écrit pro-américain. J’étais soutenu par la Central Intelligence Agency, la CIA. Pourquoi? Parce que je devais être pro-américain.

J’en ai marre de ça. Je ne veux plus le faire ! Et alors j’ai juste écrit le livre non pour gagner de l’argent, non, ça va me coûter de nombreux problèmes, juste pour donner aux gens dans ce pays, l’Allemagne, en Europe et partout dans le monde, juste pour leur donner un aperçu de ce qui se passe derrière les portes closes.

[…]

Oui il y a de nombreux exemples de cela : si vous revenez sur l’histoire, dans l’année 1988, si vous allez dans vos archives, vous trouverez en mars 1988 qu’il y a eu en Irak des Kurdes qui ont été gazés avec des gaz toxiques, ce qui est connu du monde entier. Mais en juillet 1988, ils m’ont envoyé dans une ville appelée Zubadat qui est à la frontière de l’Irak avec l’Iran. C’était la guerre entre les Iraniens et les Irakiens, et j’ai été envoyé là-bas pour photographier comment les Iraniens ont été gazés par du gaz toxique, par du gaz toxique allemand. Vous l’appelez LOST, sarin, gaz moutarde, fabriqué par l’Allemagne. Ils ont été gazés et j’étais là pour prendre des photographies de comment ces gens ont été gazés par du gaz toxique venant d’Allemagne. Lorsque je suis revenu en Allemagne, il n’y avait qu’une seule petite photo dans le journal, le Frankfurter Allgemeine [Zeitung], et il y avait un seul petit article, ne décrivant pas comment c’était impressionnant, brutal, inhumain et terrible, de tuer la moitié… de tuer, des décennies après la seconde guerre mondiale, des gens avec du gaz toxique allemand. Ainsi, ce fut une situation où je me suis senti abusé d’avoir été là-bas et juste pour donner un documentaire sur ce qui s’était passé, mais ne pas avoir été autorisé à dévoiler au monde ce que nous avions fait derrière les portes fermées. Jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas bien connu du public allemand qu’il y a eu des gaz allemands, qu’il y a eu des centaines de milliers de gens gazés dans cette ville de Zubadat.

Maintenant vous m’avez demandé ce que j’ai fait pour les agences de renseignement, alors s’il vous plaît, comprenez que la plupart des journalistes que vous voyez dans les pays étrangers prétendent être journalistes, et ils pourraient être journalistes, des journalistes européens ou américains… Mais nombre d’entre eux, comme moi dans le passé, sont soi-disant appelés : « couverture non officielle ». C’est comme ça que les Américains les appellent. J’ai été une  « couverture non officielle ». La couverture non officielle, ça signifie quoi ? Cela signifie que vous travaillez pour une agence de renseignement, vous les aidez s’ils veulent que vous les aidiez, mais jamais, au grand jamais, [...] lorsque vous êtes attrapés, lorsqu’ils découvriront que vous n’êtes pas seulement un journaliste mais également un espion, ils ne diront jamais : « celui-ci était l’un des nôtres ». ils ne vous connaîtront pas. Voilà ce que veut dire une couverture non officielle. Ainsi, je les ai aidés à plusieurs reprises, et je me sens honteux pour cela aussi désormais. De la même manière que je me sens honteux d’avoir travaillé pour des journaux très recommandés comme le Frankfurter Allgemeine, parce que j’ai été soudoyés par des milliardaires, j’ai été soudoyé par les Américains pour ne pas rendre compte exactement la vérité. […] J’imaginais juste lorsque j’étais dans ma voiture pour venir à cet entretien, j’essayais de me demander ce qu’il se serait passé si j’avais écrit un article pro-russe, dans le Frankfurter Algemeine. Et bien je ne sais pas ce qui se serait passé. Mais nous avons tous été éduqués à écrire pro-européen, pro-américain, mais de grâce pas pro-russe. Alors je suis très désolé pour cela…. Mais ce n’est pas la façon dont je comprends la démocratie, la liberté de la presse, et je suis vraiment désolé pour cela.

[…]

Et bien oui je comprends très bien la question. L’Allemagne est toujours une sorte de colonie des États-Unis, vous le verrez dans de nombreux points; comme [le fait que] la majorité des Allemands ne veut pas avoir des armes nucléaires dans notre pays, mais nous avons toujours des armes nucléaires américaines. Donc, oui, nous sommes encore une sorte de colonie américaine, et, étant une colonie, il est très facile d’approcher les jeunes journalistes au travers (et ce qui est très important ici est) des organisations transatlantiques. Tous les journalistes appartenant à des journaux allemands très respectés et recommandés, des magazines, des stations de radio, des chaînes de télévision, sont tous membres ou invités de ces grandes organisations transatlantiques. Et dans ces organisations transatlantiques, vous êtes approchés pour être pro-américain. Et il n’y a personne venant à vous et disant : « nous sommes la CIA. Voudriez-vous travailler pour nous ? ». Non ! Ce n’est pas la façon dont ça se passe.Ce que font ces organisations transatlantiques, c’est de vous inviter pour voir les États-Unis, ils paient pour cela, ils paient toutes vos dépenses, tout. Ainsi, vous êtes soudoyés, vous devenez de plus en plus corrompus, parce qu’ils font de vous de bons contacts. Alors, vous ne saurez pas que ces bons contacts sont, disons, non officiels. Des couvertures non officielles ou des personnes officielles travaillant pour la CIA ou pour d’autres agences américaines. Alors vous vous faites des amis, vous pensez que vous êtes ami et vous coopérez avec eux. Et ils vous demandent : « pourriez-vous me faire cette faveur- ci ? Pourriez-vous me faire cette faveur-là ? ». Alors votre cerveau subit de plus en plus un lavage de cerveau par ces types. Et votre question était : est-ce seulement le cas avec les journalistes allemands? Non ! Je pense que c’est plus particulièrement le cas avec les journalistes britanniques, parce qu’ils ont une relation beaucoup plus étroite. C’est aussi particulièrement le cas avec les journalistes israéliens. Bien sûr avec les journalistes français, mais pas autant que pour les journalistes allemands ou britanniques. … C’est le cas pour les Australiens,les journalistes de Nouvelle-Zélande, de Taïwan, et de nombreux pays. Des pays du monde arabe, comme la Jordanie, par exemple, comme Oman, le sultanat d’Oman. Il y a de nombreux pays où ça se passe, où vous trouvez des gens qui déclarent être des journalistes respectables, mais si vous regardez plus derrière eux, vous découvrirez que ce sont des marionnettes  manipulées par la CIA.

[...]

Excusez-moi de vous interrompre, je vous donne un exemple. Parfois, les agences de renseignement viennent à votre bureau, et veulent que vous écriviez un article. Je vous donne un exemple [ne venant] pas d’un journaliste bizarre, mais de moi même. J’ai juste oublié l’année. Je me rappelle seulement que le service de renseignement allemande pour l’étranger, le Bundesnachrichtendienst (c’est juste une organisation sœur de la Central Intelligence Agency, elle fut fondée par cette agence de renseignement) [...] est venu à mon bureau au Frankfurter Algemeine, à Francfort. Et ils voulaient que j’écrive un article sur la Libye et le colonel Mouammar Kadhafi. Je n’avais absolument aucune information secrète concernant le colonel Kadhafi et la Libye. Mais ils m’ont donné toutes ces informations secrètes, et ils voulaient juste que je signe l’article de mon nom.

Je l’ai fait. Mais c’était un article qui fut publié dans le Frankfurter Algemeine, qui originellement venait du Bundesnachrichtendienst, de l’agence de renseignement pour l’étranger. Donc pensez-vous réellement que ceci est du journalisme ? Des agences de renseignement écrivant des articles ?

[...]

Oh oui. Cet article que j’ai reproduit partiellement dans mon livre, cet article était : « Comment la Libye et le colonel Mouhamar Kadhafi a secrètement essayé de construire une usine de gaz toxiques  à Rabta ». Je crois que c’était Rabta, oui. Et j’ai obtenu toutes ces informations… c’était une histoire qui fut imprimée à travers le monde entier quelques jours plus tard. Mais je n’avais aucune information à ce sujet, c’était l’agence de renseignement qui voulait que j’écrive un article. Donc ce n’est pas la manière dont le journalisme devrait fonctionner, que les agences de renseignement décident de ce qui est imprimé ou pas.

[…]

Si je dis non, je vous donne un exemple, un très bon exemple de ce qui se passe si vous dites non. Nous avons secouru des unités en Allemagne avec des hélicoptères dévolus aux accidents de la route. Ils se nomment eux-mêmes les « anges jaunes ». Il y avait un type qui ne voulait pas coopérer, c’était un pilote du service d’hélicoptères des anges jaunes en Allemagne. Ce type a dit non au service de renseignement pour l’étranger, le Bundesnachrichtendienst, lorsqu’ils l’approchèrent et voulurent qu’ils travaillent en tant que couverture non officielle pour l’agence allemande de renseignement pour l’étranger, tout en prétendant être un membre des anges jaunes. Alors ce qui arriva, c’est que cet homme perdit son travail. Et [au] tribunal en Allemagne, le juge décida qu’ils avaient raison parce qu’on ne peut pas faire confiance à un tel type. Il a été viré de son travail parce qu’il n’a pas coopéré avec le service de renseignement pour l’étranger. Ainsi, je savais ce qui arriverait si je ne coopérais pas avec les services de renseignement .

[...]

J’ai dû avoir une, deux, trois… six fois ma maison a été perquisitionnée, parce que j’ai été accusé par le procureur général allemand de divulgations de secrets d’État. Six fois ma maison perquisitionnée ! Et bien, ils espéraient que je ne refasse jamais encore cela. Mais je pense que c’est pire, car la vérité sortira un jour. La vérité ne mourra pas. Et je me fiche de ce qui va arriver. J’ai eu trois crises cardiaques, je n’ai pas d’enfants. Donc s’ils veulent me poursuivre ou me jeter en prison… La vérité en vaut la peine…

Source: http://www.les-crises.fr/journaliste-allemand-presse-cia/


Ukraine : informations faussées et commentaires à sens unique, par Acrimed

Monday 24 November 2014 at 00:01

Depuis la fin du mois d’août 2014, les événements en Ukraine sont chaque jour de plus en plus imprévisibles : alors que les « séparatistes pro-russes » – ainsi qu’ils sont nommés dans les médias français – perdaient du terrain, des renforts, peut-être en provenance de Russie, ont permis de mettre en défaut l’armée ukrainienne. Pour les médias français, cet interventionnisme supposé de Vladimir Poutine est inacceptable. Le président russe serait même en train de déclarer la guerre à l’Europe et de violer le droit international. Retour sur un traitement médiatique unilatéral et biaisé.

À situation complexe, commentaires simplistes : telle semble être la dure loi à laquelle se soumettent quelques diseurs de bonne aventure. Si Acrimed n’entend pas prescrire ce qu’il faut penser de la situation en Ukraine, du moins pouvons-nous débusquer les parti-pris falsificateurs qui ont tendance à inonder une grande partie de la presse française, bien que quelques médias ne sombrent pas dans la caricature (notamment Le Figaro) [1]. Absence de recul sur les événements (en particulier à Libération et au Monde) et pis, oublis, voire réécriture de l’histoire : tels sont les principaux biais de la couverture médiatique du début du mois de septembre 2014. Rien ne semble avoir évolué depuis novembre 2013… Passage en revue de quelques libertés, parmi d’autres, prises avec les faits.

Gouvernement légitime et référendums illégitimes

Bernard Guetta sur France Inter (25 août 2014) en est certain : « l’Ukraine quant à elle, l’écrasante majorité de sa population en tout cas, refuse de revenir à son asservissement passé, défend son indépendance et voudrait pouvoir vite intégrer non pas l’Otan mais l’Union européenne. » C’est pourtant oublier une partie des faits politiques récents de ce pays. Président en place et démocratiquement élu en 2010, Viktor Ianoukovitch – certes corrompu comme ses prédécesseurs – demeurait en tête des sondages d’opinion jusqu’à son départ forcé en février 2014 [2]. Étonnant d’ailleurs que les médias français – pourtant toujours très friands de ce type d’enquête – n’en aient pas révélé l’existence.

En 2012, le parti de M. Ianoukovitch (le Parti des Régions) avait également remporté les élections législatives. Et une élection présidentielle était prévue en 2015… Impatients, les militants de Kiev, tournés vers l’Europe, et soutenus par les États-Unis et l’Union Européenne, n’ont pas souhaité attendre, mettant ainsi en place un gouvernement provisoire essentiellement composé d’indépendants et de membres de partis de centre-droit, de droite et d’extrême-droite [3], pas forcément représentatif de la diversité des manifestants de la place Maïdan.

Ce gouvernement est-il pour autant légitime ? Oui, expliquèrent en substance les commentateurs avisés, car Maïdan était légitime. Il ne s’agit pas ici pour nous de contester le droit de populations à se soulever contre leurs dirigeants, mais bel et bien de relever le « deux poids deux mesures » particulièrement marqué dans la couverture médiatique des différents événements en Ukraine, qui traduit un point de vue partisan rarement assumé par celles et ceux qui l’ont adopté. Libération souligne ainsi que « l’Ukraine est un pays souverain avec des institutions légitimes et démocratiques » (1er septembre) tout en s’enthousiasmant devant le « renversement du régime prorusse et corrompu de Viktor Ianoukovitch par la révolte de Maïdan. » Le fait que l’est du pays ait massivement voté pour lui trois années plus tôt ne semble pas préoccuper les médias français. En effet, M. Ianoukovitch l’avait emporté en 2010, haut la main, à l’est et au sud de l’Ukraine, avec des pics de popularité dans les régions de Donetsk (90,4%), Lougansk (88,8%), ou encore au sein de la République autonome de Crimée (78,3%). Son adversaire, Ioulia Timochenko avait fait le plein à l’ouest, au centre et à Kiev qui avait voté à 69,7% pour l’égérie des Occidentaux [4].

Il n’empêche : sur Arte, le 1er septembre 2014 [5], on présente, sans le moindre recul, les événements de la place Maïdan comme un grand mouvement exclusivement démocratique. Avant de diffuser un véritable clip de propagande (avec musique rythmée et images saccadée) à la gloire des manifestants de la place Maïdan, Élisabeth Quin annonce : « Retour sur Maïdan à l’époque où c’était l’euphorie, destitution d’un autocrate qui a mis le feu aux poudres et précipitation de milliers d’ukrainiens sur le fameux Maïdan en février dernier. » Dans ce même sujet, on affirme que Ioulia Timoshenko aurait reçu « un accueil triomphal » en février 2014 sur cette place… alors qu’elle ne fera que 9% des votes à Kiev lors de l’élection présidentielle, trois mois plus tard.

Pour Bernard-Henri Lévy, dans Le Point (4 septembre 2014), le renversement de M. Ianoukovitch était évidemment le résultat d’une « grande insurrection démocratique et européenne ». Puis, pour la plupart des commentateurs, l’élection présidentielle qui, organisée en mai 2014 par le gouvernement provisoire, a installé aisément Petro Porochenko au pouvoir a été (c’est certain) tout à la fois légale et légitime. Marc Sémo dans Libération (1er septembre 2014) le souligne : « les autorités de Kiev [ont été] légitimement élues ». Il insiste même : « le nouveau président Petro Porochenko a été élu en mai à l’issue d’un scrutin reconnu comme incontestable par la communauté internationale. Le vote a pu se dérouler dans 90% du pays, y compris dans la plus grande partie de l’Est. » François Sergent, dans le même journal parle d’un « gouvernement souverain et régulièrement élu » (3 septembre). Pourtant, une partie du pays n’a pas pu se déplacer pour aller voter à cause des conflits armés dans l’est. Bien qu’élu dès le premier tour, Petro Porochenko ne l’a donc été qu’avec une participation modérée (60%). Légale et légitime ?

Aux yeux des journalistes français, le mouvement de Maïdan était justifié car tourné vers l’Europe. En revanche, les manifestations et les référendums en Crimée et dans l’est du pays (qui rejetaient les mobilisations de Kiev, le gouvernement provisoire, puis le nouveau président) trouvaient peu de soutiens chez nos commentateurs omniscients. Dans Le Monde (31 août 2014), on tord encore la réalité en accusant « le régime du président Poutine » « d’avoir illégalement occupé puis [de] s’être approprié la Crimée au printemps ». Pour François Sergent, dans Libération (3 septembre), « Vladimir Poutine ne s’est pas contenté de la Crimée annexée après un référendum bidon. »

Heureusement, tous les commentateurs ne partagent pas ce parti-pris. Au moment du référendum, des voix médiatiques connues – et très présentes – s’étaient exprimées pour faire part de leur stupéfaction face à la russophobie ambiante, que l’on ne manquera pas de relever ici tant elles ne sont pas, d’habitude, citées en exemple par Acrimed. Ainsi Jacques Attali s’était interrogé : « Pourquoi refuserait-on aux habitants de la Crimée de choisir leur destin ? » (L’Express, 26 mars 2014). Puis, pour l’ancien ministre de l’éducation nationale, Luc Ferry, « dire que l’armée russe envahit la Crimée est tout simplement grotesque. Il faut n’être jamais allé à Sébastopol pour ignorer la présence massive, mais parfaitement légale, puisque ayant fait l’objet d’un accord préalable depuis des années, de l’armée russe. » (Le Figaro, 20 mars 2014)… La Russie de Poutine avait-elle des vues sur la Crimée ? Peut-être. Il est toutefois navrant de constater que la majorité des journalistes français, aveuglés par leur hostilité à Poutine, aient adopté un point de vue aussi unilatéral et partisan, quitte à tricher avec la réalité, parfois par ignorance, souvent par mauvaise foi.

« Sanctionner Poutine » (encore et toujours)

Cela sonne comme un leitmotiv : « Il faut sanctionner la Russie ». À Libération, on en est certain, « la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. » La preuve : « des milliers de soldats russes se battent à Donetsk et Lougansk, venus au secours des milices prorusses en difficulté. » D’ailleurs, François Sergent a ses propres sources puisqu’il sait déjà que ce sont « les hommes de Moscou [qui ont] abattu l’avion de Malaysian Airlines. » Rude accusation que même Le Monde ne s’est pas permis de porter…

 

 

 

 

 

 

 

 

Loin de nous, à Acrimed, de prendre parti dans un tel conflit, mais étonnons-nous quand même d’un fait : la supposée intervention de la Russie serait illégale, mais tous les événements qui ont mené à celle-ci – avec le soutien réel de l’Union Européenne et des États-Unis – ne le seraient pas ? Le « deux poids, deux mesures » est vraiment une doctrine très présente dans les médias atlantistes. Le Monde, par exemple, a fait sien le propos de Laurent Fabius : « le ministre des affaires étrangères, a eu le mérite de la clarté, vendredi soir : “Lorsqu’un pays envoie des forces militaires dans un autre pays sans l’accord et contre l’accord de cet autre pays, ça s’appelle une intervention, et évidemment c’est inacceptable”, a-t-il déclaré. » Un peu comme la France en Libye ou les États-Unis en Irak ? Le moins que l’on puisse dire est que Le Monden’a pas eu le mérite d’une telle clarté lorsqu’il s’est agi de traiter de l’intervention militaire israélienne contre Gaza.

Pour Bernard Guetta, sur France Inter (25 août 2014), l’intervention de la Russie serait « en train d’enterrer, en Europe qui plus est, deux des plus grands principes sur lesquels les relations internationales étaient fondée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale – l’absolue prohibition des annexions territoriales et l’intangibilité des frontières. » Comme si aucune frontière n’avait été modifiée (la Yougoslavie, la Serbie…) ou comme si aucune annexion territoriale (le Timor Oriental, les territoires palestiniens…) n’avait eu lieu depuis 1945. Bernard-Henri Lévy dans Le Point (4 septembre 2014) ne dit pas autre chose : c’est « la première vraie guerre, depuis des décennies, en Europe ; la première agression d’un État souverain contre un autre État souverain qu’il entend démembrer et vassaliser. » On est gêné par tant de morgue et d’ignorance. Comme s’il suffisait de mentionner l’Europe (sans préciser ses frontières) pour honorer les « grands principes »…

En quelques jours, dans Le Monde, les tribunes de soutien aux gouvernement ukrainien pullulent : « De Dantzig à Donetsk, 1939-2014 » (1er septembre) ; « L’occident inepte face à la crise ukrainienne » (2 septembre) ; « Accueillons l’Ukraine dans l’OTAN » (3 septembre) ; « ”Dossier Mistral” : de la cohérence, de grâce ! » (3 septembre)… Sans oublier l’article cocasse de Sylvie Kauffmann intitulé « Mistral perdant » (1er septembre), en référence aux navires que la France doit livrer à la Russie.

Plusieurs émissions radiophoniques ou télévisées ont fait une véritable propagande au service d’une opposition simpliste : légitimité du mouvement de Maïdan, illégitimité de l’insurrection à l’est. C’est le cas, par exemple, de l’émission « 28 minutes » présentée par Elisabeth Quin sur Arte, déjà citée. Parmi les intervenants, Raphaël Glucksmann, fondateur de l’ONG Centre Européen pour la Démocratie à Kiev, se présente d’emblée comme un « activiste anti-Poutine ». Alexandre Goujon, politologue, explique que « les Ukrainiens savent que sans soutien des Russes, il n’y a pas de séparatistes. […] Il n’y a pas de guerre civile. » Le commentateur semble ici oublier que la guerre civile avait bien lieu déjà à Kiev avant que les Russes ne s’invitent dans le conflit, et surtout il n’évoque pas le fait que la plupart des morts civils sont le fait de bombardements… de l’armée ukrainienne. À l’instar de nombreux médias, Glucksmann se plaint que l’Europe ne veuille pas donner des armes à l’Ukraine [6], ce qui permet à l’animatrice d’enchérir : « C’est mettre l’Ukraine dans les mains de la Russie ! »

Libération avance même des propos tronqués et non vérifiés qu’aurait lâché Vladimir Poutine à José Manuel Barroso. Le 1er septembre d’abord : « Poutine le sait et il en joue, répondant par la menace aux timides admonestations téléphoniques du président sortant de la commission José Manuel Barroso : “Si je le veux, nous sommes à Kiev en quinze jours.”  » Puis le 3 septembre : « Poutine a menacé Manuel Barroso de “pouvoir prendre Kiev en deux semaines”.  » Premièrement, ces propos sont rapportés par un tiers. Deuxièmement, ils proviennent d’une traduction. Enfin, ils sont sortis de leur contexte. De plus, ils ont été tempérés par le Kremlin (comme le rappelle lefigaro.fr). Il n’y a bien qu’un journal au bout du rouleau, dénué de toute déontologie, qui peut vouloir faire ses choux gras d’une telle phrase…

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Bien que la situation en Ukraine soit complexe, certains médias n’hésitent pas à simplifier à outrance les faits, opposant systématiquement « gentils » ukrainiens pro-européens et « méchants » ukrainiens pro-russes. D’autres médias tombent moins dans la caricature préférant offrir à leurs lecteurs et auditeurs un point de vue plus distancié (c’est le cas du Figaro, de Paris Matchou de certains reportages dans l’est ukrainien glanés sur des chaînes d’information continue). Mais les plus obtus restent obnubilés par les hoquets de Vladimir Poutine, leur nouveau Père Fouettard, s’indignent encore et toujours et glosent sur son autoritarisme et son désir expansionniste. Autoritarisme ? Sans nul doute. Volonté de préserver sa sphère d’influence ? Certainement. Mais, contrairement aux prédictions de la majorité des commentateurs, la Russie n’a toujours pas envahi l’est de l’Ukraine. Le moins que l’on puisse dire est que les expéditions militaires israéliennes ou américaines, bien réelles celles-ci, ne bénéficient pas du même traitement de (dé-)faveur…

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Source : Mathias Reymond pour Acrimed, 15/09/2014

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Notes

[1] À ce sujet, lire « Médias français en campagne ukrainienne », Le Monde Diplomatique, août 2014.

[2] Voir par exemple ce sondage en ukrainien dont les résultats sont traduits dans un tableau de la page Wikipedia des élections ukrainiennes de 2014.

[3] Voir sur le portail du gouvernement ukrainien, la liste des ministres qui ont gouverné le pays du 27 février au 25 mai 2014. Aucun membre du Parti des régions n’en faisait partie.

[4] « Viktor Ianoukovitch, vainqueur de l’élection présidentielle en Ukraine », Fondation Robert Schuman, 7 février 2010.

[5] Emission « 28 minutes » animée par Elisabeth Quin.

[6] Libération par exemple titre ainsi l’un de ses articles : « Il faut donner des armes à l’Ukraine », 1er septembre 2014.

 

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-informations-faussees-et-commentaires-a-sens-unique-par-acrimed/


AG ONU : Lutte contre la glorification du nazisme. BRICS POUR, USA Canada Ukraine CONTRE, UE s’abstient

Sunday 23 November 2014 at 07:00

Dois-je vraiment employer encore le mot “énorme” ?…

Les masques tombent…

La 3e Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une intéressante résolution le 21/11/2014 (l’AG elle-même n’a pas encore voté, on en est encore au travail préparatoire, mais il ne manque qu’une vingtaine de petits pays…).

Présentée entre autre par le Brésil et la Russie, elle est ici :

Résolution L56 publié par les-crises

Il prévoit entre autres :

Lutte contre la glorification du nazisme et d’autres pratiques qui contribuent à alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée

4. Se déclare profondément préoccupée par la glorification du mouvement nazi, du néonazisme et des anciens membres de la Waffen -SS, sous quelque forme que ce soit, notamment l ’édification de monuments et d ’ouvrages commémoratifs et l’organisation de manifestations publiques à la gloire du passé nazi, du mouvement nazi et du néonazisme, ainsi que les déclarations, expresses ou implicites , selon lesquelles ces membres et ceux qui ont lutté contre la coalition antihitlérienne et collaboré avec le mouvement nazi ont participé à des mouvements de libération nationale;

6. Met l’accent sur la recommandation du Rapporteur spécial selon laquelle « les États devraient interdire toute célébration commémorative, officielle ou non, du régime nazi, de ses alliés et des organisations apparentées »12 et souligne à cet égard qu’il importe que les États prennent des mesures pour lutter contre toute manifestation organisée à la gloire de l’organisation SS et de ses composantes, dont la Waffen-SS, dans le respect du droit international des droits de l ’homme;

7. Se déclare préoccupée par les tentatives répétées de profanation ou de démolition de monuments érigés à la mémoire de celles et ceux qui ont combattu le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que d’exhumation ou de levée illégales des dépouilles de ces personnes et, à cet égard, exhorte les États à s’acquitter pleinement des obligations qui leur incombent, au titre notamment de l’article 34 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949;

8. Prend note avec inquiétude de la multiplication des incidents à caractère raciste partout dans le monde, en particulier de la montée en puissance des groupes de skinheads, qui sont responsables de nombre de ces incidents, ainsi que de la résurgence des violences racistes et xénophobes visant, entre autres, les personnes appartenant à des minorités nationales, ethniques, religieuses ou linguistiques;

10. Condamne sans réserve tout déni ou tentative de déni de l’Holocauste;

11. Se félicite que le Rapporteur spécial a it demandé que soient préservés activement les sites où, pendant l’Holocauste, les nazis avaient installé des camps de la mort, des camps de concentration, des camps de travail forcé ou des prisons, et engagé les États à prendre des mesures, notamment législati ves, répressives et éducatives, pour mettre fin à toutes les formes de déni de l ’Holocauste;

12. Engage les États à continuer de prendre des mesures adéquates, notamment par le biais de leur législation nationale, afin de prévenir les incitations à la haine et à la violence à l ’encontre des membres de groupes vulnérables, dans le respect du droit international des droits de l’homme;

14. Souligne que les pratiques susmentionnées font injure à la mémoire des innombrables victimes des crimes contre l ’humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier ceux commis par l’organisation SS et par ceux qui ont lutté contre la coalition antihitlérienne et collaboré avec le mouvement nazi, et ont une influence néfaste sur les enfants et les jeunes, et que les États qui ne s’attaquent pas effectivement à ces pratiques contreviennent aux obligations que la Charte des Nations Unies impose aux États Membres de l’Organisation des Nations Unies, notamment celles qui sont liées aux buts et principes de celle-ci;

15. Souligne également que de telles pratiques alimentent les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et contribuent à la propagation et à la multiplication des partis politiques, mouvements et groupes extrémistes, y compris les néonazis et les skinheads, et appelle à cet égard à une vigilance a ccrue;

16. Constate avec inquiétude que les dangers que représentent les partis politiques, mouvements et groupes extrémistes pour les droits de l ’homme et la démocratie sont universels et qu’aucun pays n’y échappe;

17. Insiste sur la nécessité de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin aux pratiques susvisées et engage les États à adopter des mesures plus efficaces, dans le respect du droit international des droits de l ’homme, pour combattre ces phénomènes et les mouvements extrémistes, qui font peser une réelle menace sur les valeurs démocratiques;

19. Prend note de la recommandation du Rapporteur spécial concernant la responsabilité des dirigeants et partis politiques eu égard aux messages qui incitent à la discrimination raciale ou à la xénophobie;

20. Constate avec préoccupation que le profilage ethnique et les actes de violence policière dirigés contre les groupes vulnérables font naître chez les victimes un sentiment de méfiance à l’égard du système juridique qui les décourage de demander réparation et, à cet égard , engage les États à accroître la diversité au sein des services de maintien de l ’ordre et à imposer des sanctions appropriées contre les membres de la fonction publique reconnus coupables de violence à caractère raciste ou de propagande haineuse;

21. Rappelle la recommandation du Rapporteur spécial qui invite les États à incorporer dans leur droit pénal une disposition prévoyant que les motivations ou les objectifs racistes ou xénophobes d’une infraction sont des circonstances aggravantes qui emportent des peines plus lourdes, et encourage les États dont la législation ne comporte pas une telle disposition à tenir compte de cette recommandation;

22. Souligne que les racines de l’extrémisme ont de multiples aspects et qu ’il faut s’y attaquer en adoptant des mesures adéquates comme l ’éducation, la sensibilisation et la promotion du dialogue et, à cet égard, recommande le renforcement des mesures visant à sensibiliser les jeunes aux dangers des idéologies et des activités des partis politiques, mouvements et groupes extrémistes;

24. Appelle l’attention sur la recommandation formulée par le Rapporteur spécial à sa soixante-quatrième session dans laquelle il a fait valoir l ’importance des cours d’histoire pour la sensibilisation aux événements tragiques et aux souffrances humaines nés d’idéologies telles que le nazisme et le fascisme ;

26. Invite les États à continuer d ’investir dans l’éducation, tant scolaire que non scolaire, entre autres, afin de faire évoluer les mentalités et de corriger les idées de hiérarchie et de supériorité raciales défendues par les partis politiques, mouvements et groupes extrémistes et d ’en contrer l’influence néfaste;

29. Réaffirme également que, comme cela est souligné au paragraphe 13 du document final de la Conférence d ’examen de Durban, toute apologie de la haine nationale, raciale ou religieuse incitant à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence doit être interdite par la loi, que toute propagation d ’idées reposant sur la notion de supériorité raciale ou sur la haine raciale, ou l ’incitation à la discrimination raciale ainsi que les ac tes de violence ou l’incitation à commettre de tels actes doivent être érigés en infractions tombant sous le coup de la loi, conformément aux obligations internationales des États, et que ces interdictions sont incompatibles avec la liberté d’opinion et d’expression;

47. Encourage les gouvernements, les organisations non gouvernementales et les acteurs concernés à diffuser le plus largement possible, notamment, mais non exclusivement, par l’intermédiaire des médias, des informations concernant la teneur de la présente résolution et les principes qui y sont énoncés;

[PS : Mission accomplie pour DiaCrisis :) ]

Les votes :

Vote résolution L56 publié par les-crises (source sur l’ONU ici)
J’ai pris le G20 (-UE + Ukraine) :

POUR : les BRICS en particulier (dont la Russie – on voit à quel point Poutine est d’extrême-droite…)

Abstention : l’Europe

CONTRE : 3 pays seulement : les États-Unis (ça peut se comprendre vu la déification là-bas de la liberté d’expression), le Canada (forte communauté ukrainienne nationaliste) et… l’Ukraine !

P.S. ce n’est pas la première fois que ce type de résolution est votée, avec les même votes.

(OUPS, vos médias habituels n’en ont pas parlé les autres années ?)

(Oubliez aussi pour cette année, RIA en parle, mais pas l’AFP)

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Voici ce que disait la Russie en 2013 appuyant le vote de la résolution :

“La situation actuelle est alarmante : les idéologies qui incitent à la haine raciale, ethnique et religieuse sont en expansion, tout comme l’incidence des crimes qu’elles inspirent. Dans nombre de pays, les organisations néonazies et néofascistes sont de plus en plus nombreuses et attirent un nombre accru de membres de plus en plus jeunes. Malheureusement, on n’en fait pas suffisamment pour remédier à cette situation. Trop souvent, les activités des néonazis sont traitées comme de simples troubles à l’ordre public et parfois comme la manifestation du droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit des instruments des droits de l’homme, notamment de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui, elle-même, illustre la réaction du monde civilisé face aux crimes monstrueux du nazisme. Les réserves formulées par de nombreux pays occidentaux contre des instruments internationaux des droits de l’homme dans le but de défendre ce qu’ils considèrent comme un droit absolu à la liberté d’expression, de rassemblement et d’association, constituent une violation de la Convention de Vienne sur le droit des traités et servent tout simplement d’alibi aux racistes.

L’interprétation relativiste des événements de la Deuxième Guerre mondiale et des décisions du tribunal de Nuremberg, ainsi que les tentatives de blanchir le nazisme et de minimiser les crimes des Nazis ont créé un climat favorable à la résurgence de cette idéologie criminelle. À cet égard, la Fédération de Russie présente une fois de plus un projet de résolution, qui figure dans le document A/C.3/68/L.55, tout en constatant avec une profonde déception que les démocraties occidentales, dont un grand nombre ont fait partie de la coalition contre les Nazis, se sont abstenues dans le passé de voter en faveur du projet de résolution. Elle demande à toutes les délégations qui se sont abstenues d’appuyer le projet de résolution pour des raisons politiques ou économiques de reconsidérer leur position. Il faut fermement résister à la propagation et la glorification des idéologies nazies et néonazies afin d’empêcher la répétition des monstrueux crimes commis par les Nazis. Les États, les organisations de la société civile, les organisations internationales, les milieux universitaires et tous les autres acteurs concernés doivent unir leurs efforts à cette fin. [...]

Bientôt, 70 ans se seront écoulés depuis la défaite du nazisme. Les personnes qui ont vécu les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale sont aujourd’hui peu nombreuses. La Fédération de Russie, dont la population a payé un lourd tribut à la tolérance des idéologies de suprématie raciale, ne permettra aucune forme de regain du Nazisme.”

(j’ai bien cherché, mais n’ai pas trouvé d’explication de vote des européens, si quelqu’un trouve…)

Maïdan a donc permis de disposer d’un pays de plus votant contre ces résolutions…

L’Assemblée Générale devrait donc adopter une 3e fois ce type de résolution le mois prochain…

Source: http://www.les-crises.fr/ag-onu-lutte-contre-la-glorification-du-nazisme-brics-pour-usa-canada-ukraine-contre-ue-sabstient/


Ce Soir ou Jamais – 26 septembre 2014 – échanges D. De Villepin – H. Védrine sur l’intervention militaire en Irak/Syrie

Sunday 23 November 2014 at 03:00

Ce Soir ou Jamais – 26 septembre 2014 – échanges D. De Villepin – H. Védrine sur l’intervention militaire en Irak/Syrie

Nous livrons ici la transcription intégrale des échanges entre Dominique de Villepin et Hubert Védrine à l’occasion de l’émission Ce soir ou Jamais du 26 septembre 2014, sur l’intervention militaire en Irak et en Syrie.

FT=Frédéric TADDEI ; DDV=Dominique De VILLEPIN ; HV= Hubert VEDRINE.

FT : Alors, cette guerre, DDV, vous pensez que c’est une erreur, j’allais dire une de plus. Vous pouvez nous expliquer pourquoi ?

DDV : Les interventions militaires, quand elles sont circonscrites, avec un objectif ciblé, limité, peuvent être efficaces, et elles font partie de l’arsenal que toute démocratie doit être capable d’utiliser dans certaines circonstances, avec raison, et de la façon la plus maîtrisée possible. Mais dans le cas présent, nous sommes engagés, et le chef de l’état l’a dit de la façon la plus claire – les américains le disent de la façon la plus claire – dans une « guerre contre le terrorisme ». La « guerre contre le terrorisme » ne peut pas être gagnée. On ne peut même pas donner de pourcentage ; l’échec est annoncé. Pourquoi ? Parce que le terrorisme est une main invisible, mutante, changeante, opportuniste. On ne se bat pas contre une main invisible avec les armes de la guerre. Il faut être capable d’employer la force de l’esprit, la ruse, les moyens de la paix pour désolidariser des forces qui s’agglutinent autour de ces forces terroristes. Donc il faut une stratégie politique, une vision politique, et une capacité à penser l’action très au-delà des bombes et de l’action militaire stricto sensu. Donc, c’est inefficace. Tout ce que nous savons – et il n’y a pas de contre-exemple – tout ce que nous savons de ce type de guerre menée depuis des décennies, et en particulier depuis l’Afghanistan, a conduit à l’échec. Il n’y a pas d’exemple aujourd’hui – Afghanistan, Irak, Libye – qui ne conduise pas à davantage de guerre et davantage de chaos. Nous sommes donc dans la situation où, par la guerre, nous voudrions faire mieux que lors de la précédente guerre que nous avons menée…

Ayons conscience que cet « état islamique », DAESH, nous l’avons nous-mêmes en grande partie enfanté : de guerre en guerre, de cette guerre en 2003, du départ [des américains stationnés en Irak] de 2011, du lâchage des rebelles syriens – il y a un cercle vicieux dans lequel nous nous sommes enfermés. Et, par ailleurs, non seulement c’est inefficace, mais c’est dangereux.

Parce que cette région du Moyen-Orient – et on pourrait prendre l’ensemble du monde arabo-musulman – est traversée de crises, traversée de blessures, meurtrie. Il est, en plus, en profonde crise de modernisation, avec en son coeur une crise sociale qui frappe violemment les classes les plus défavorisées, et les classes moyennes, du fait de la corruption, du fait de la rente pétrolière – et qui est marqué de profondes inégalités. Une grande partie de ces djihadistes viennent de cette classe moyenne. Et donc, nous alimentons le cycle de la surenchère.

On veut croire que les images d’horreur que nous voyons malheureusement de ce côté-ci sont des repoussoirs. Mais ce sont aussi des phénomènes d’aimantation pour certains. On ne voit pas les mêmes images de l’autre côté de la Méditerranée, on ne voit pas le même spectacle, on ne les interprète pas de la même façon, parce qu’il y a des identités blessées. Et ce qui est vrai là-bas, est malheureusement aussi vrai chez nous. C’est-à-dire que la surenchère a des conséquences sur le recrutement des djihadistes là-bas, et elle a des conséquences ici.

Par ailleurs, nous frappons en Syrie, et en Irak. Nous frappons un ennemi terroriste. Et quel est le résultat ? L’horreur que nous connaissons pour notre compatriote, Hervé Gourdel, qui est, lui, lâchement assassiné – où ? Dans les montagnes d’Algérie ! C’est dire que, demain, toutes ces minorités, qui brandissent l’étendard de l’Islam, agissent au nom de l’Islam – ce n’est évidemment pas l’Islam, le problème. C’est le drapeau de l’Islam qui est brandi. Hé bien ces minorités qui existent aussi bien en Birmanie, en Malaisie, en Thaïlande, en Indonésie, dans l’ensemble du monde arabe, de la même façon au Maghreb ou en Afrique – hé bien, partout, ces minorités peuvent se solidariser. C’est-à-dire que nous assistons, par cette « guerre contre le terrorisme », à une cristallisation de l’ensemble de ces groupes qui établissent des passerelles entre eux, à une surenchère pour savoir lequel sera le plus cruel, le plus meurtrier, le plus violent : parce que c’est une façon d’attirer les djihadistes, d’attirer de l’argent. Et, au-delà de cela, donc, il y a une course vers la mort, une course vers davantage de djihadistes, qui est effroyablement dangereuse pour nous.

Et je voudrais terminer en disant : je veux bien faire le fanfaron, ce soir. J’aimerais pouvoir dire que nous sommes prêts. J’aimerais pouvoir dire que nous n’avons pas peur. Mais c’est faux. C’est faux parce que nous sommes, nous les français, une société démocratique qui n’a pas engagé de processus sécuritaire au point d’autres sociétés démocratiques – je pense à la société américaine. Les communautés étrangères américaines dans le monde sont bunkérisées, barricadées, il n’y a pas un cheveu qui dépasse. Et donc, le risque est infiniment moindre que pour l’un des nôtres. C’est le chemin qu’a emprunté la société israélienne, c’est le chemin de la politique sécuritaire. Ce n’est pas le chemin de la France. Nous sommes exposés aux quatre vents, en particulier au Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie – donc dans une situation de vulnérabilité. Et ce qui est vrai là-bas l’est aussi chez nous.

J’aimerais que nous prenions conscience de la complexité. Je veux bien qu’on prenne la tête d’une croisade, mais je veux qu’on mesure les risques. Et surtout, savoir que cette croisade ne peut pas être gagnante. Nous alimentons un processus de destruction. Nous alimentons un processus de haine.
Et ce que je dis, ce n’est pas pour ne rien faire, car il y a évidemment beaucoup à faire, mais dans une toute autre direction : [celle] d’une stratégie politique, d’une stratégie d’accompagnement militaire, en mettant en avant ceux qui, d’abord, doivent réagir : c’est les pays de la région eux-mêmes – il y a près de 500, 600 avions de chasse dans la région, qui appartiennent aux pays du Golfe. Ils sont parfaitement capables de mener la riposte. Nous suivons les américains qui, comme toujours, cherchent un ennemi à travers la planète, sont engagés dans une sorte de messianisme universel. Nous, français, ce n’est pas notre rôle. Ce n’est pas notre vocation. Nous sommes des faiseurs de paix, des chercheurs de dialogue. Nous sommes des médiateurs. Nous sommes là à contre-emploi et à contresens, entraînés dans une logique qui est sans issue. Car cette « guerre contre le terrorisme », c’est une guerre sans fin. C’est une guerre perpétuelle. Nous savons qu’elle ne peut pas s’arrêter. La haine entraîne la haine. La guerre nourrit la guerre.

FT : HV, vous, vous la jugez inévitable, cette intervention ?

HV :
Oui. Je le dis à regret. Je suis conscient qu’il y a beaucoup d’arguments justifiés dans ce qu’a dit DDV. Je trouve mauvaise l’expression « guerre contre le terrorisme » qui a été utilisée par Georges W. Bush, parce qu’elle appelle facilement les critiques en question –

DDV : reprise par les dirigeants français.

HV : Oui. Mais, bon, c’est pas le fond du sujet, en fait. C’est peut-être une erreur de communication. Mais il ne s’agit pas du terrorisme en général. Il s’agit de ce qui se passe en Irak et en Syrie – dont on peut juger, et je juge ça, que ça atteint un degré de déstabilisation, de barbarie, de risque de contagion, de risque de sanctuaire pour l’ensemble des zones terroristes sous différentes formes, tel qu’une réaction, y compris militaire, mais pas uniquement, était devenue inévitable. Et je pense pas qu’on puisse plaquer sur le président Obama, disons, les critiques habituelles contre les États-Unis comme ils l’étaient à d’autres moments. C’est pas le cas. Obama, il a été élu pour retirer les États-Unis de l’impasse des guerres de Bush. Et s’il se résigne à ça – donc c’est pas du tout sa tentation, c’est pas du tout sa ligne, en fait il aurait voulu l’éviter – c’est que, vraiment, un moment donné, trop c’est trop, et qu’il y a un risque qui n’est pas qu’occidental. Donc je crois pas qu’on puisse parler de croisade. Faut éviter dans nos commentaires de faire de la publicité : « la France qu’une mouche a piqué, la France qui se précipite dans l’affaire… » C’est un phénomène beaucoup plus vaste. Je pense qu’il y a un début de coalition –

DDV : Jusqu’à présent, nous sommes le seul pays européen engagé. Les britanniques vont suivre, mais au départ nous avons pris le leadership dans cette affaire. Seul pays européen.

HV : C’est pas une preuve, car on l’est dans beaucoup de cas, où on dénonce justement la lâcheté, l’incapacité des autres européens. Donc, dans la plupart des cas, c’est plutôt un argument pour la France, ça. En tout cas, je pense qu’il y a une coalition en formation, dans laquelle il y a beaucoup de pays arabes, que ça rejoint une [espèce] d’affrontement immense au sein de l’Islam. C’est en train de produire quelque chose qui est extrêmement intéressant : qui est que, pour la première fois à ce stade, à ce niveau, en fait, on voit des musulmans de partout, notamment en Europe, qui disent – vous avez vu la campagne « Pas en mon nom ». « C’est pas l’Islam, cela ».

FT : « Not in my name », une campagne anglaise. On l’a là, d’ailleurs, on vous la passera tout à l’heure.

HV : Autant c’est choquant quand c’est les autres qui passent leur temps à faire l’amalgame et à dire aux musulmans : « Expliquez-vous là-dessus ! », autant quand ça vient du monde musulman, quand ça vient pas simplement des recteurs ou des imams, hein, mais des gens, des jeunes, des réseaux sociaux.

FT : En France, c’est : « Nous aussi, nous sommes des ‘sales français’ ».

HV : Donc, ça, c’est quand même extrêmement intéressant, et je pense que la réalité de la menace va entraîner donc l’obligation de la coalition, va faire bouger les uns et les autres, que ça va obliger les saoudiens à accepter le retour dans le jeu jusqu’à un certain point des iraniens, que ça va obliger à un moment ou à un autre les turcs à sortir de leur triple jeu, que ça oblige la France à bouger elle-même sur sa position iranienne – d’avant – que ça va l’obliger à bouger sur la question syrienne, que, que, que…enfin, etc. Bref, y a une série de –

FT : On va l’aborder d’ailleurs, cette question de la coalition.

HV : Je le mets dans le positif. Dans le positif dans le sens que j’ai dit que c’était malheureusement inévitable. Je pense que les autres solutions n’existent pas. Je pense que la conclusion de DDV débouche, pour le moment, sur rien.

DDV : Ah non, on en reparlera –

HV : Oui, on va en reparler, mais –

DDV : Il y a beaucoup à faire.

HV : Oui, mais une stratégie, une politique, je –

DDV : Non, non non non non. Il y a beaucoup à faire de choses concrètes.

HV : Je pense qu’il est impossible – et dieu sait que je suis d’accord là-dessus : la stratégie, je pense qu’il y a belle lurette que les occidentaux auraient dû imposer le règlement de l’affaire du Proche-Orient, que c’est une sorte d’absurdité totale, même sur le plan de la Real Politik, qu’il n’y ait pas un état palestinien à côté de l’état israélien, la politique de l’Occident à été nulle, incapable, lâche, tout ce qu’on veut. Bon. Je pense tout ça. Je pense tout ça. Donc, je suis pour la stratégie politique, et je pense que dans la reconstruction de l’Irak après, parce que si après les frappes, il se passe rien, ça va recommencer. Donc, il faut un régime en Irak qui arrive à faire cohabiter les communautés. Donc, il faut un certain degré d’accord avec les iraniens. Donc, il faut changer de politique occiden– Un moment donné, dans l’affaire syrienne, on aura besoin de Poutine. C’est peut-être d’ailleurs une occasion de sortir par le haut de l’impasse dans laquelle on est en Europe sur l’affaire ukrainienne. Donc, il y a toute une grande politique, qui à mon avis pourrait se développer – on retrouverait le terme de stratégie – mais je pense pas qu’on l’obtiendra par la passivité, là.

DDV : Il s’agit pas de passivité.

HV : Je crois pas que le fait de dire « ça nous regarde pas », « l’amalgame », « c’est très compliqué », « c’est dangereux » – je pense que ça nous affaiblirait politiquement plutôt que l’inverse. Donc, sur ce point, j’ai un désaccord assez net ; et pour moi , il n’y a aucune contradiction entre ce qui a été entamé maintenant, et la suite d’une coalition durable, qui fonctionnerait, et qui déboucherait sur une stratégie politique. Je sais que c’est dur. Je sais que s’il y a pas cette stratégie politique, ça – tout ça n’aura servi à rien. Mais, après avoir tout dit, je dis que je pense que c’est inévitable.

Source (oubliez le titre de la page youtube, assez… « peu représentatif » du contenu)

Source: http://www.les-crises.fr/ce-soir-ou-jamais-26-septembre-2014-echanges-d-de-villepin-h-vedrine-sur-lintervention-militaire-en-iraksyrie/