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[Reprises] “Cyniques,écartez-vous, c’est l’excitation générale autour de la candidature d’Hillary Clinton” par Glenn Greenwald

Sunday 30 November 2014 at 04:00

Il est facile de se montrer cynique lorsque l’on considère l’inévitable (et malheureusement imminente) campagne présidentielle d’Hillary Clinton. Au-delà du fait que c’est une habituée des jeux de pouvoir à Washington, et qu’elle est totalement dénuée de principes et assoiffée de pouvoir, c’est une personnalité politique américaine tout à fait banale. Un des aspects qui la rend unique, peut-être le seul, est la manière dont la première présidence féminine [des États-Unis] sera exploitée (suivant le modèle Obama) pour mieux cacher son véritable rôle de gardienne du statuquo.

Le fait qu’Hillary bénéficie de la succession d’une dynastie en fait une cible toute désignée des critiques qui mêlent le mépris à l’ennui. Les dizaines de millions de dollars que les Clinton ont « gagnés » enpar des conférences devant des parterres de globalistes, de grands groupes industriels, de  »Hedge funds », ou d’autres appendices de Wall Street qui auraient tout intérêt à la voir élue présidente, rendent le spectacle encore plus déprimant. (La photo ci-dessous montre la probable candidate en compagnie du PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, lors d’un événement en septembre).

Mais nous ne devrions pas être aussi cyniques. Il existe une intense et véritable excitation à l’idée d’une (nouvelle) présidence Clinton. De nombreux groupes aux USA considèrent son accession au Bureau ovale comme une opportunité pour un rajeunissement, l’occasion d’un enthousiasme symbole d’espérance et de changement, et d’avancées politiques vitales. Ces groupes toujours plus excités sont les suivants:

Wall Street
Extrait de Politico Magazine du 11 novembre 2014 (“Pourquoi Wall Street aime Hillary”)

« Là-bas à Wall Street, ils ne croient pas une seconde à la rhétorique populiste d’Hillary Clinton. Tandis que l’industrie financière déteste effectivement Warren, les grands banquiers craquent pour Hillary et la veulent absolument à la Maison-Blanche. La plupart des plus riches banquiers et industriels (parmi lesquels le PDG de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, celui de Morgan Stanley, James Morgan, le tout puissant vice-président de Morgan Stanley, Tom Nides, et les dirigeants de JP Morgan Chase et de Bank of America) considèrent Hillary Clinton comme une personne pragmatique trouvant des solutions aux problèmes, et peu encline à la rhétorique populaire. Pour eux, Hilary est de celles qui pensent que tout le monde y gagne si Wall Street et le business américain en général se portent bien. Que pensent-ils de ses incursions dans les sujets rhétoriques les plus chauds ? En réalité aucun d’eux ne croit qu’elle est sincère lorsqu’elle affiche ce populisme.

Même si Hillary n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature, l’opinion de Wall Street est qu’elle est déjà en lice, et que son organisation nationale est en train de se mettre en place en coulisses. Tout cela la rend attirante. Wall Street aime par-dessus tout les vainqueurs, d’autant plus ceux qui ne toucheront pas à son énorme tirelire.[…] »

Le lobby israélien
Traduit de Foreign Policy du 7 novembre 2014 (“Hillary Clinton serait-elle bonne pour la Terre sainte ?” d’Aaron David Miller) :

« Si elle devait être élue présidente, cela aurait un impact bénéfique quasiment garanti sur les rapports avec Israël. N’oublions pas que les Clinton ont aussi traité avec Bibi [surnom familier de Benjamin Netanyahu  – NdT] comme premier ministre. Tout n’a pas été facile, mais c’était clairement beaucoup plus productif que ce que l’on voit aujourd’hui. Pour le dire simplement, en tant que politicienne conventionnelle, Hillary est bonne pour Israël, elle a des relations avec ce pays que l’actuel président n’a pas. Hillary n’est pas de la même génération, et elle a travaillé dans un milieu politique dans lequel être bon pour Israël était à la fois obligatoire et intelligent.

Soyons clairs : lorsqu’il s’agit d’Israël, il n’y a pas de Clinton 2.0. L’ex-président restera probablement unique pour la profondeur de ses sentiments pour Israël et sa disponibilité à mettre de côté ses propres frustrations au vu de certains comportements d’Israël, comme les colonies. Mais cette compréhension vaut aussi pour Hillary. Que ce soit Bill ou Hillary, tous deux sont autant amoureux de l’idée même d’Israël et de son histoire unique qu’il sont prêts à faire des concessions sur le comportement de l’État hébreu, comme par exemple la continuation des constructions dans les territoires occupés. »

Les interventionnistes (i.e. les fous de guerre)
Extrait du New York Times du 15 août 2014 (“Un historien affirme que les événements en Irak ouvrent la voie à un retour des interventionnistes”) :

[…] Mais le meilleur exemple de ce que Robert Kagan(ci-contre) décrit comme sa vision « conventionnelle » de la force américaine tient dans ses relations avec l’ex-secrétaire d’État Hillary Rodham Clinton, qui reste le vaisseau amiral dans lequel de nombreux interventionnistes placent leurs espoirs.[…]

« Je suis très à l’aise à l’idée qu’elle prenne en main la politique étrangère, » a déclaré M. Kagan, ajoutant que la prochaine étape après l’approche très réaliste d’Obama « pourrait théoriquement être n’importe quelle initiative qu’Hillary pourrait prendre, »  si elle était élue présidente. « Si elle poursuit la politique que l’on pense qu’elle suivra, a-t-il ajouté, c’est quelque chose que l’on a autrefois appelé ‘néoconservatisme’, mais il est clair que ses supporters ne vont pas l’appeler comme ça ; ils trouveront un autre nom. »

Les néocons de la vieille école
Extrait du New York Times, le 5 juillet 2014 (“La prochaine action des néocons : … être prêts à s’allier avec Hillary Clinton ?”)

« Après quasiment 10 ans d’exil politique, le mouvement néoconservateur est en train de revenir. Tandis qu’ils fustigent Obama, les néocons se préparent à une entreprise bien plus audacieuse : s’aligner sur Hillary Clinton et sa future campagne présidentielle, dans l’espoir de revenir aux postes de commande de la politique étrangère américaine.

D’autres néocons ont suivi le centrisme prudent et le respect de Robert Kagan pour Mme Clinton. Max Boot, membre historique du Council on Foreign Relations, a fait remarquer cette année dans The New Republic, que “dans les conseils d’administration, Hillary était l’une des voix de principe pour une position ferme sur des questions controversées, que ce soit pour soutenir l’insurrection afghane ou l’intervention en Libye. »

Le fait est que ces néocons ont raison : Mme Clinton a effectivement voté pour la guerre en Irak, soutenu l’envoi d’armes aux rebelles syriens, et comparé le président russe Vladimir Poutine à Adolf Hitler, tout en insistant sur l’importance de promouvoir la démocratie.

Il est facile d’imaginer que Mme Clinton fera de la place aux néocons dans son administration. Personne ne pourrait l’accuser de faiblesse en matière de sécurité nationale avec quelqu’un comme Robert Kagan dans son équipe. Loin d’être terminée, l’odyssée néocon est donc sur le point de repartir. En 1972, Robert L. Bartley, éditorialiste du Wall Street Journal et fervent soutien des néocons, donnait cette définition du mouvement néoconservateur : « un groupe à cheval sur les deux grands partis. » Malgré les âpres batailles de partis au début des années 2000, il est remarquable de noter à quel point les choses ont peu changé.

Alors, que tous les cyniques se rendent à l’évidence !  Il existe une vraie et vibrante excitation politique dans le pays autour d’une présidence d’Hillary Clinton. On voit apparaitre des posters, des pins, on prépare des chèques, et des rencontres sont organisées. Les groupes d’électeurs unis en synergie avec la ploutocratie et les guerres sans fin ont désormais leur candidate favorite. Et il est bien difficile de leur donner tort et d’affirmer que leur excitation et leur affection ne sont pas justifiées.

Glenn Greenwald
The Intercept – 11 novembre 2014
Traduction : IlfattoQuotidiano.fr

Hillary Clinton et Lloyd Blankfein, PDG de Goldman Sachs

Source: http://www.les-crises.fr/reprises-cyniquesecartez-vous-cest-lexcitation-generale-autour-de-la-candidature-dhillary-clinton-par-glenn-greenwald/


Drôle de guerre contre l’Etat islamique, par Francis Briquemont

Sunday 30 November 2014 at 02:00

Drôle de guerre contre l’Etat islamique


 

Une opinion de Francis Briquemont, Lieutenant Général (e.r.)

“Fasse Dieu qu’ils n’y mettent plus jamais les pieds.” Aboul Fida (historien et poète arabe du XIIIe siècle).

Ainsi se termine “Les Croisades vues par les Arabes” de Amin Maalouf (1). Ne plus voir un “Franj” violer la terre d’Islam : tel était le vœu de Aboul Fida. Les historiens arabes ont en effet considéré que les Croisades étaient bien davantage une agression des Francs qu’un “pèlerinage” chrétien pour récupérer le tombeau du Christ. Les récentes décapitations d’Occidentaux par les jihadistes de l’Etat islamique (EI) comparées aux atrocités commises alors par les Francs au nom du Christ et celles commises par les musulmans au nom d’Allah apparaissent comme des incidents mineurs mais, au XXIe siècle, ceux-ci provoquent des réactions émotionnelles des médias et des opinions publiques telles, que les dirigeants politiques se sentent obligés de réagir immédiatement sous peine d’être accusés de faiblesse ou de mollesse. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis et c’est ainsi que Barack Obama a pris la tête d’une vaste (?) coalition internationale qui a pour objectif de détruire l’EI.

Il est paradoxal de voir Barack Obama en leader de cette coalition. Lui, qui est sans doute le premier président des USA à penser que son pays n’a pas vocation à régir seul le monde; qui était, comme sénateur, contre les aventures en Irak et en Afghanistan et avait réussi à s’en extirper, le voilà replongé dans le bourbier ou plutôt le nœud de vipères du Moyen-Orient.

La durée des opérations étant estimée par certains de trois à… trente ans, nous avons le temps de nous poser quelques questions à propos de celles-ci. Fallait-il décider aussi rapidement de partir en guerre contre l’EI ? A la veille d’élections importantes pour lui – la perte de sa majorité au Sénat paralyserait son action pendant les deux dernières années de son mandat présidentiel (2) – il devait “faire quelque chose” pour éviter les critiques acerbes des Républicains et ce d’autant plus que les deux premiers décapités par les jihadistes étaient des citoyens américains.

Détruire l’EI est facile à dire mais comment et surtout pour quel objectif politique final ? La situation géopolitique du Moyen-Orient est plus complexe que jamais. D’une part, trois Etats se disputent le leadership régional : l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie. D’autre part, la Syrie est ravagée par la guerre, le Liban est très instable et que reste-t-il de l’Irak partagé maintenant entre un Kurdistan irakien autonome, l’EI qui s’étend sur le nord-ouest du pays et l’est de la Syrie et enfin l’Irak du sud. Ajoutons à cela, une guerre de religion impitoyable entre sunnites, menés par l’Arabie, et chiites, appuyés par l’Iran et le “tout” morcelé en d’innombrables tribus, clans, plus ou moins fiables. C’était déjà le cas au temps des Croisades ! J’allais oublier le Kurdistan syrien et le Kurdistan turc qui forment un “ensemble terrain” homogène avec le Kurdistan irakien. C’est ce dernier que l’Occident s’empresse d’organiser pour fournir les troupes au sol contre les jihadistes de l’EI.

Ici, il faut bien s’interroger sur la stratégie opérationnelle de la coalition anti-EI et l’homogénéité de celle-ci. Il y a unanimité pour conclure que les frappes aériennes seules ne résoudront pas le problème et qu’il faut des unités opérationnelles au sol capables de reconquérir le terrain perdu non seulement en Irak mais aussi en Syrie. Les jihadistes ont vite compris comment se fondre, sur le terrain et au sein des populations, pour éviter au mieux les frappes aériennes. Détruire des objectifs fixes (raffineries, dépôts, etc.) est chose aisée – la supériorité aérienne de la coalition est totale – mais attaquer des petites unités qui pratiquent la guerre asymétrique, c’est tout autre chose.

L’envoi de troupes occidentales étant exclu et même impensable, les Occidentaux essaient de former des unités de combat avec les Peshmergas (Kurdes) et de reconstituer une armée irakienne digne de ce nom. De l’avis général, cela prendra du temps.

Mais question fondamentale : cette coalition est-elle fiable ? Barack Obama déclare qu’il faut priver l’EI de toute ressource matérielle : est-ce crédible ? L’EI n’est-il pas soutenu financièrement et matériellement par certains membres de la coalition qui ont encouragé des jihadistes de tous poils depuis de longues années ? J’ai déjà connu ce problème en Bosnie en 1993 !

Quid de la Syrie, de l’Irak, du Kurdistan ?

Finalement, en supposant même que l’EI soit un jour éliminé, quel est l’objectif politique des Occidentaux au Moyen-Orient ? Quid de la Syrie, de l’Irak, du Kurdistan ? Ne doit-on pas s’attendre, à plus ou moins long terme, à une modification de certaines frontières, définies il y a un siècle par la France et la Grande-Bretagne (accords secrets Sykes-Picot) dont le principal souci était de délimiter leurs zones d’influence et certainement pas l’intérêt des populations locales ?

Est-ce vraiment celui des Occidentaux de s’immiscer dans les querelles entre sunnites et chiites – ce que craignait déjà Colin Powell à l’issue de la guerre du Golfe en 1991 – ou encore entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, alors qu’ils ont été et sont toujours incapables d’“imposer” une solution au conflit israélo-palestinien, dont le général américain Zinni, envoyé spécial du Président sur place, disait, il y a dix ans, qu’il était le problème le plus urgent à régler au Moyen-Orient ?

Nul ne sait pendant combien de temps les forces aériennes de la coalition vont exécuter des tirs “ciblés” c.-à-d. sans dommages collatéraux, en attendant que Kurdes et Irakiens soient à même de reconquérir la zone irako-syrienne occupée par l’EI et, ce qui ne simplifie pas le problème, d’éliminer Bachar el-Assad. Que va donc faire exactement la coalition dans cette galère ?

Je ne suis pas certain que cet EI constitue une menace sérieuse pour l’Europe mais cette effervescence permanente au Moyen-Orient incite à réfléchir sur l’avenir de cet îlot de paix qu’est l’UE où l’ambiance politique n’est pas bonne. Jean-Claude Juncker a même déclaré au Parlement européen qu’il présidait la Commission de la dernière chance. En effet, des forces centrifuges disloquent peu à peu la cohésion de cette Europe où l’égoïsme sacré des Etats nations reprend de plus en plus le dessus. Et pourtant, comment ne pas être d’accord avec Pierre Defraigne qui, récemment, terminait un article sur le monde futur et le conflit potentiel entre la Chine et les USA en écrivant : “Qui mieux qu’une Europe unie et forte, c.-à-d. dotée aussi d’une défense commune pour asseoir sa crédibilité, pourrait penser un multilatéralisme adapté au monde multipolaire en émergence ? Y a-t-il une meilleure raison de faire l’Europe politique que de contribuer à la paix du monde ?”
(3)

Pour cela cependant, il faut :

1. que les dirigeants européens cessent de jouer aux “princes-souverains” du Finistère de l’Eurasie;

2. que l’Otan subisse une profonde transformation car une défense européenne véritable ne peut être mise sur pied dans le cadre de la structure actuelle de l’organisation.

Ceci n’est certes pas pour demain, mais, dans l’immédiat, le nouveau président de la Commission pourrait proposer la suppression immédiate des sanctions contre la Russie dont l’efficacité reste à démontrer et qui sont d’abord la conséquence d’un lamentable échec de la diplomatie européenne. N’en déplaise à certains, la paix et la stabilité en Europe dépendent de relations correctes avec la Russie.

Pour terminer, revenons à cette drôle de guerre contre l’EI et évoquons un instant ce “terrorisme” des radicaux – islamistes dont nous sommes menacés constamment et d’une manière peut-être trop émotionnelle. Faisons quand même confiance aux services de sécurité européens et aux mesures déjà prises pour protéger au mieux nos populations.

Et fasse Dieu, dirait Aboul Fida, qu’Il ne serve plus jamais d’alibi à des hommes pour tuer leurs semblables. Ne nous faisons pas d’illusions cependant. En 1919, le géographe anglais H. J. Mackinder écrivait : “La tentation du moment est de croire qu’une paix perpétuelle découlera logiquement de la lassitude des hommes face à la guerre. Pourtant, les tensions internationales renaîtront…”
(4)

Vingt ans plus tard, c’était la Seconde Guerre mondiale et en 2014, certains partent toujours à la guerre en criant : Dieu ou Allah donne-nous la victoire !

(1) Aux Ed. Jean-Claude Lattès. 1983. (2) Il l’a perdue ou conservée ce 4 novembre. (3) “La Libre” du 28 août. (4) Cité par R. D. Kaplan dans “La revanche de la géographie” aux Ed. du Toucan. 2014.

Source : lalibre.be

Source: http://www.les-crises.fr/drole-de-guerre-contre-letat-islamique-par-francis-briquemont/


[Reprise] La leçon du G20 et le jeu de la Russie, par Philippe Grasset

Sunday 30 November 2014 at 01:00

Reprise d’un article de Dedefensa

Commençons par ce qui n’est pas d’actualité. Il s’agit d’un article du professeur James Petras, Bartle Professor (Emeritus) de sociologie à l’université de Birmingham dans l’État de New York, USA, le 12 novembre 2014 sur le site 4thMedia.org. Il s’agit d’une analyse de l’évolution de la Russie depuis la chute du Mur et la fin de l’URSS, pour aboutir aux possibilités de l’actuelle Russie de Poutine de s’adapter de façon constructive, voire offensive (ou contre-offensive) aux conditions créées par les sanctions économiques. Petras est de l’avis de Yevgeny Primakov (qui n’est pourtant pas un conservateur poutinien), dite sur Itar-Tass le 27 octobre 2014, qui confirme la version de l’agression du bloc BAO au travers de sa politique des sanctions perçue comme un acte de guerre («The aim of anti-Russian economic sanctions is to weaken Russia, corner us, put into practice the idea of a “color revolution” in our country»)

Petras développe une analyse extrêmement stricte, qui prend en compte tous les événements de l’ère eltsinienne, l’intervention du capitalisme sauvage international sous coordination américaniste, l’effondrement des conditions économiques et sociales, etc. Il reconnaît à Poutine une très grande réussite dans son entreprise de relèvement du pays mais juge que la méthode employée a comporté plusieurs points de faiblesse qui rendent aujourd’hui la Russie vulnérable aux sanctions. L’illustration de la faiblesse principale de la méthode poutinienne a été son comportement vis-à-vis des oligarques qui avaient amassé leur fortune durant les années 1990. Poutine a attaqué les “politiques” (ceux qui ont fait de l’activisme globalisant et considéré comme antirusse, et antipoutinien, à partir de leurs fortunes), les éliminant souvent en les forçant à émigrer, mais il n’a guère pris de mesures contre les oligarques “économiques”, ceux qui n’avaient pas de projet politique et se sont rangés du côté du pouvoir poutinien. Aujourd’hui, ces oligarques “économiques” sont en difficultés ou deviennent suspects du point de vue politique, parce que l’essentiel de leurs fortunes est investie dans le bloc BAO. Finalement, la méthode poutinienne n’a pas été très différente pour l’économie russe elle-même, et elle montre aujourd’hui sa faiblesse à cause des liens de dépendance économique établis avec le bloc BAO. Voici comment Petras conclut cette longue analyse de la situation russe face aux sanctions, – ou comment s’en sortir…

»First and foremost Russia must diversify its economy; it must industrialize its raw materials and invest heavily in substituting local production for Western imports. While shifting its trade to China is a positive step, it mustnot replicate the previous commodities (oil and gas) for manufactured goods trading pattern of the past.

»Secondly, Russia must re-nationalize its banking, foreign trade and strategic industries, ending the dubious political and economic loyalties and rentier behavior of the current dysfunctional private ‘capitalist’ class. The Putin Administration must shift from oligarchs to technocrats, from rentiers to entrepreneurs, from speculators who earn in Russia and invest in the West to workers co-participation– in a word it must deepen the national,public, and productive character of the economy. It is not enough to claim that oligarchs who remain in Russia and declare loyalty to the Putin Administration are legitimate economic agents. They have generally disinvested from Russia, transferred their wealth abroad and have questioned legitimate state authority under pressure from Western sanctions.

»Russia needs a new economic and political revolution – in which the government recognizes the West as an imperial threat and in which it counts on the organized Russian working class and not on dubious oligarchs. The Putin Administration has pulled Russia from the abyss and has instilled dignity and self-respect among Russians at home and abroad by standing up to Western aggression in the Ukraine. From this point on, President Putin needs to move forward and dismantle the entire Yeltsin klepto-state and economy and re-industrialize, diversify and develop its own high technology for a diversified economy. And above all Russia needs to create new democratic, popular forms of democracy to sustain the transition to a secure, anti-imperialist and sovereign state.

»President Putin has the backing of the vast majority of Russian people; he has the scientific and professional cadre; he has allies in China and among the BRICs; and he has the will and the power to “do the right thing”. The question remains whether Putin will succeed in this historical mission or whether, out of fear and indecision, he will capitulate before the threats of a dangerous and decaying West.»

Cette voie que recommande Petras, la réunion du G20 de Brisbane a montré à Poutine qu’elle était de plus en plus inévitable. Rien, absolument rien ne peut être attendu des dirigeants du bloc BAO, qui se tiennent les uns les autres dans un même réseau serré d’obligations fondamentales de radicalisme dont la crise ukrainienne a fait une prison hermétique. Il n’y a aucun argument, aucune raison, aucun espoir de négociation à attendre, et même, à notre sens, l’idée de diviser l’Europe et les USA, – qui sont également fautifs, avec l’UE en tête, dans cette affaire, – est complètement vaine. Le départ avancé de Poutine de Brisbane (voir le Guardian du 16 novembre 2014), d’ailleurs présenté comme étant une mesure de simple efficacité, sans aucune appréciation officielle de critique, ne fait finalement qu’acter une évidence. Tous les sommets et rencontres des processus internationaux et transnationaux dans lesquels le bloc BAO est partie prenante, et où le bloc BAO parvient, soit par le nombre, soit par la préséance de l’organisation (si un membre du bloc est organisateur de la rencontre), à maîtriser et à orienter la communication, devient automatiquement un théâtre de communication dont le seul but est d’accréditer la narrative du bloc BAO. Les arguments sont d’une nullité consternante, les attitudes dignes de l’agitation de jeunes élèves dans une cour de récréation d’école primaire, lorsque se font les rassemblements conformistes où chacun veut briller plus que l’autre en rajoutant sur la sottise originelle.

Ce phénomène quasi-stupéfiant d’infantilisme de comportement est devenu aujourd’hui écrasant, étouffant, bloquant tout dialogue possible, parce que la narrative dominante est celle de l’Ukraine, et qu’elle est absolument construite sur des fondations sans aucun rapport avec la réalité, illustrant des événements également sans rapport avec la réalité. Lorsque deux interlocuteurs se rencontrent et que l’un dit à l’autre “Je vous serre la main mais n’entame une conversation constructive que si vous retirez vos troupes d’Ukraine”, et que l’autre lui répond “Mais je n’ai aucune troupe en Ukraine, comment voulez-vous que je rencontre votre demande” (on notera qu’en exposant cela, nous ne prenons pas position, même si notre position est connue), – on se trouve dans une situation schizophrénique qui n’a aucune issue, où les deux mondes ainsi définis n’ont aucune chance de se rencontrer. Et ce phénomène n’est pas accessoire, il n’est pas “pour la galerie”, “pour les médias”, etc., il est fondamental notamment dans l’attitude du bloc BAO, – parce que le bloc BAO ne peut tenir sa cohésion, sa position, son standing, son “rang” si l’on veut qu’en ne cédant pas un pouce de sa narrative. Il en est aujourd’hui le prisonnier plus que jamais, alors qu’il en a été au départ la dupe plus encore que le constructeur conscient.

Cette situation générale implique que toutes les démarches de Poutine pour parvenir à un arrangement sont absolument vouées à l’échec. Ce n’est pas un constat bien nouveau, certes, mais ce qui est remarquablement nouveau c’est la constance avec laquelle ce constat ne cesse de se renforcer. Comme on observe la situation, nous dirions que la seule issue se trouve dans une “sortie vers le haut”, c’est-à-dire une tension, un affrontement, une crise-dans-la-crise, une crise-au-dessus-de-la-crise, etc., dans des domaines autres que la seule situation ukrainienne (du cas du Mistral à celui de la dédollarisation, à celui de l’évolution des BRICS, il ne manque pas de champs de manœuvre dans ce sens), où des intérêts essentiels de membres du bloc BAO peuvent se trouver en opposition à cette occasion, conduisant à des divergences significatives de position vis-à-vis de la Russie. En attendant, Poutine n’a qu’une seule issue, qui s’imposera de plus en plus à lui, qui est celle de chercher systématiquement un renforcement de la position russe dans des postures étrangères au bloc BAO, ou antagonistes du bloc BAO. Du point de vue russe, c’est dans ce contexte que les observations du professeur Petras deviennent intéressantes, notamment ce paragraphe où il recommande une “nouvelle révolution économique et politique”, – qui pourrait être vue comme une seconde démarche gorbatchévienne, – la première ayant servi à sortir la Russie de l’emprise du Système par l’attaque et la destruction de la bureaucratie soviétique, la seconde, celle de Poutine, allant dans le sens de sortir la Russie de l’emprise du Système par l’attaque et la destruction de de la restructuration capitaliste et corruptrice forcée des années 1990…

«La Russie a besoin d’une nouvelle révolution économique et politique, – à l’occasion de laquelle le gouvernement doit identifier l’Ouest comme une menace impérialiste et pour laquelle il s’appuiera sur une organisation des forces russes du travail et non plus sur des oligarques douteux et suspects. L’administration Poutine a sorti la Russie des abysses et a à réappris aux Russes la dignité et le respect d’eux-même, chez eux autant qu’à l’extérieur en tenant tête à l’agression occidentale en Ukraine. Appuyé sur cette fondation, le président Poutine doit aller de l’avant et démanteler entièrement les structures corrompues de l’État eltsinien et de son économie, pour ré-industrialiser, diversifier et développer ses hautes technologies dans une économie rénovée. Par-dessus tout, la Russie doit créer une nouvelle démocratie, une forme populaire de démocratie pour soutenir cette transition vers un État souverain et anti-impérialiste…»

A cette lumière, nous dirions que le conseil est effectivement bon, mais avec deux ajouts qui pourraient paraître contradictoires et qui seraient éventuellement plutôt complémentaires : le premier, que cette voie est en train de se dessiner peut-être plus vite que ne le croit Petras, sous la pression des événements, parce qu’elle devient la seule échappée possible pour Poutine qui devra s’appuyer de plus en plus et de plus en plus rapidement sur une sorte de souverainisme populiste en s’ouvrant sur ses alliés type-BRICS pour résister aux pressions du bloc BAO ; le second, qu’une amorce d’évolution dans ce sens, ou une évolution déjà en route, susciterait, si elle n’apprête déjà à le susciter, des remous suffisants pour précipiter certains de ces événements que nous évoquions pour une “sortie vers le haut” de la crise ukrainienne, c’est-à-dire vers une crise internationale plus grave encore qui secouerait gravement la cohésion du bloc BAO et certaines situations intérieures de pays du bloc BAO.

Quoi qu’il en soit des calculs des uns et des autres, le jeu de la Russie (dans le sens où l’archi-gaulliste Philippe de Saint-Robert parlait du Jeu de la France) est aujourd’hui d’une importance vitale, non seulement pour la Russie certes, mais bien au-delà, pour l’équilibre et le sort du Système. D’un point de vue absolument objectif et nécessairement métahistorique, le jeu de la Russie n’a de réelle importance que dans la mesure de ses effets sur l’équilibre et le sort du Système. Il n’est pas sûr que cela convienne aux plans et à la prudence de Poutine, mais cela nous paraît une nécessité métahistorique qui écarte tout le reste.

Source : dedefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-la-lecon-du-g20-et-le-jeu-de-la-russie-par-philippe-grasset/


Revue de presse internationale du 30/11/2014

Sunday 30 November 2014 at 00:01

La revue de presse internationale du dimanche, avec un grand merci à tous nos contributeurs. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-30112014/


Encore un xénophobe subventionné : Grégoire Leménager

Saturday 29 November 2014 at 20:47

Comme c’est juste sidérant de xénophobie, le texte du critique littéraire de l’Obs se passe du moindre commentaire…

Dans la rubrique Culture !

Bientôt “Comment peut-on aimer l’Allemagne ?” et “”Comment peut-on aimer Israël ?”

Oh, les Russes, quand est-ce que vous aller créer une association de lutte contre le racisme et la xénophobie afin qu’elle puisse attaquer devant les tribunaux ce genre de Céline d’un nouveau temps ?

Comment peut-on aimer la Russie ?

Publié le 29/11/2014

Rolin, Carrère, Volodine, Enard… Malgré les crimes de Staline et la menace Poutine, on ne compte plus les écrivains français qui restent fascinés par l’ex-URSS. Explications.

Je rappelle au passage que l’Ukraine était dans l’URSS…

La Russie fait froid dans le dos. C’est dans tous nos journaux. Elle envahit ses voisins, cultive l’homophobie, verrouille la liberté de la presse, soutient les partis d’extrême droite et de féroces dictateurs qui bombardent leur peuple. Son passé sanguinaire, plein de tsars cruels et de crimes staliniens, complète ces détails charmants. Voilà un moment que l’espoir ne se levait plus à l’Est; Poutine lui a rendu son visage d’épouvantail menaçant.

Je suis de très près, heure par heure, la guerre en Ukraine,raconte le nouveau prix Médicis Antoine Volodine, qui a beaucoup séjourné en URSS des années 1960 aux années 1980. Et les Russes que je connais, effrayés par l’ultranationalisme, pensent à s’exiler.

Mais ici, il y a une russophobie très forte. L’antisoviétisme était déjà une russophobie avant la chute du Mur. Puis la pagaille qui a suivi a été regardée avec sympathie en Occident. Aujourd’hui, dans les analyses du rôle de Poutine en Crimée, en Ukraine, réapparaît le même vieux fond de peur et de détestation des Russes.

Comment peut-on être russophile dans un contexte pareil? Il y a pourtant encore des gens qui regardent ce pays comme une destination fascinante. Ce sont nos écrivains. La Russie leur fait froid dans le dos, mais chaud au coeur. Ils lui consacrent des romans, des récits de voyage, des enquêtes, des «dictionnaires amoureux». Ils rêvent, comme Olivier Rolin, Emmanuel Carrère ou Mathias Enard, de maîtriser la langue de Tolstoï comme d’autres rêvent de finir leurs jours aux Caraïbes.

Ils sont invités, comme Patrick Besson ou Yann Moix, au premier salon Russkaya Literatura, qui s’est tenu ce mois-ci dans le Marais à Paris avec la bénédiction de l’ambassade de Russie : on ne les y a pas vus, mais, à quelques pas d’une buvette qui servait des pirojki à 2 euros, Michel Crépu rappelait que «la Russie a toujours été un objet d’attention privilégié» de sa «Revue des deux mondes»; et le jeune Cédric Gras, domicilié à Donetsk après des années de Sibérie et de Yakoutie, a fait l’éloge d’une Russie plurielle tout en lâchant qu’elle lui «pose des problèmes quand elle veut s’étaler en Ukraine».

Le panel russophile est varié. Sans même parler d’Andreï Makine, qui est russe, il va de Dominique Fernandez au Frédéric Beigbeder d’«Au secours pardon» (2007), et de Sylvain Tesson à Christian Garcin. L’Etat russe a même su en encourager certains lorsqu’il a organisé, avec le Quai-d’Orsay, un grand pèlerinage littéraire à bord du Transsibérien en 2010. Ça a payé. « Un paquet de la littérature contemporaine sur le sujet en est sorti», ironise aujourd’hui un des participants. Le train «Blaise Cendrars» a notamment inspiré Maylis de Kerangal, Sylvie Germain, Mathias Enard, Danièle Sallenave.

La Russie coloniserait-elle notre littérature ? Rien que cet automne, elle a projeté son ombre sur «Avis à mon exécuteur», roman d’espionnage historique signé Romain Slocombe (Robert Laffont), mais aussi sur «le Royaume» de Carrère (P.O.L), où l’auteur d’«Un roman russe» et de «Limonov» ne manque pas une occasion de comparer les débuts du christianisme à ceux du bolchevisme.

Elle a offert son décor post-apocalyptique au puissant «Terminus radieux» d’Antoine Volodine (Seuil). Elle s’est même faufilée dans le «Viva» mexicain de Patrick Deville (Seuil), qui semble y avoir pris beaucoup de plaisir à retracer l’itinéraire de Trotski et ses souvenirs personnels du Transsibérien.

Elle est enfin au coeur du «Météorologue» (Seuil, encore), un des plus beaux livres de la saison, où Olivier Rolin retrace avec une sobriété poignante la destinée d’Alexeï Féodossévitch Vangengheim: un martyr ordinaire du Goulag qui croupit dans les îles Solovki de 1934 à 1937, sans pour autant renier l’idéal révolutionnaire, avant d’être exécuté avec 1115 autres malheureux dans le plus grand secret.

Le cas de Rolin est un des plus intéressants, sinon des plus symptomatiques. Pour son enquête, cet ancien mao de la Gauche prolétarienne s’est rendu à Moscou, aux Solovki, sur les lieux d’un charnier découvert en 1997, et dans les locaux pétersbourgeois de l’ONG Memorial, où «il y a une porte blindée épaisse comme ça parce qu’on craint des gens payés par le FSB».

Avec un ami traducteur, il a épluché les lettres de Vangengheim à sa femme et sa fille, des exemplaires de la «Pravda», les PV d’interrogatoire du NKVD. A la fin de son livre, il s’interroge:

Qu’est-ce qui m’intéresse dans ce pays, qui fait si peu d’efforts pour être aimable et qui d’ailleurs ne séduit personne – c’est une litote – dans la partie du monde où j’habite? Personne, ni moi non plus, d’ailleurs.

On le retrouve dans un restaurant parisien. Il est le premier surpris par sa propre passion: voilà «bientôt trente ans» qu’il «[s]‘entête» à aller là-bas. Son frère, l’écrivain Jean Rolin, qui a lui-même un peu fréquenté les faubourgs moscovites et leurs chiens errants, lui donne du «ton ami Poutine» quand il veut se moquer de lui.

C’est pour rigoler, dit Olivier. Je ne suis pas du tout un ami de Poutine, même si je suis un peu surpris qu’il soit devenu à ce point le grand Satan. Mais il y a une chose à saisir avant de présenter les Russes comme une bande d’ivrognes et de fascistes dirigés par des ploutocrates.
Ils avaient un très grand empire. Ils l’ont dissous à peu près sans un coup de feu – ce qui n’est pas notre cas à nous, Français. Qu’ils aient la nostalgie d’un pays plus puissant ne me semble pas un crime.
Quand on lit “la Fin de l’homme rouge”, de Svetlana Alexievitch, c’est bouleversant. Elle parle de gens formidables qui disent: “On avait un grand pays, on l’a vendu pour des jeans et des Mercedes.” Ce n’est pas réactionnaire. C’est même plutôt progressiste, de regretter un pays où on pensait construire le communisme.

Son premier voyage à lui, c’était en 1986. Rolin avait pris quelques mois de leçons de russe pour partir, seul, dans ce qui s’appelait encore l’URSS. Il ne se faisait «aucune illusion sur le système soviétique», il voulait juste «dire à quoi ressemble un bistro, ce genre de choses». Tout simplement. Ce n’était pas simple.

C’était le tout début de la possibilité de voyager seul. Même à Leningrad, quand je voulais aller au restau le soir, une espèce de portier me disait: “Adin?” (Seul?).
Je répondais : ”Adin.” Il n’en revenait pas. Il n’avait jamais vu ça. Il n’y avait que des tables avec des comités d’entreprise, des syndicats… 

Rolin en avait alors rapporté un récit, «En Russie», en songeant qu’il n’y remettrait jamais les pieds. Il n’a cessé d’y retourner. Son admiration pour Tolstoï, Tchekhov et Vassili Grossman avait préparé le terrain (il«déteste» Dostoïevski, «grand écrivain slavophile, antisémite et anti-Lumières qui incarne ce que je n’aime pas dans la Russie»). Le pays de la vodka a su le prendre par les sentiments:

Ça a quelque chose d’enfantin, mais l’immensité de la Russie reste fascinante, avec ses 9000 kilomètres de Transsibérien et sa dizaine de fuseaux horaires.

Et puis c’est «un sac d’histoires incroyables», avec des aventuriers comme ce «Baron sanglant» qui apparaît dans «Corto Maltese en Sibérie» et qui, en 1920, mit la main sur la Mongolie avec le projet dingo de rétablir une théocratie en Russie, puis en Europe.

Et l’âme russe, alors ? Tchekhov a déjà répondu:

Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien. Cette fameuse âme russe n’existe pas. Les seules choses tangibles en sont l’alcool, la nostalgie et le goût pour les courses de chevaux. Rien de plus, je vous assure. 

Mathias Enard le cite en épigraphe de son saisissant roman éthylico-ferroviaire, «l’Alcool et la Nostalgie» (Inculte, 2011). Lui aussi est d’abord sensible à une géographie:

C’est un pays où on peut aller jusqu’au Pacifique à pied, comme une frontière interminable entre l’Europe et autre chose. Le Goulag n’en est que plus terrifiant : la déportation, qui commence au XIXe siècle, consistait à exiler les gens dans son propre territoire. Comme si on vous envoyait en Lorraine… Ça en dit long sur l’image qu’un pays a de soi.

Cette question du Goulag, souligne enfin Rolin, est capitale. Elle fait de la Russie à la fois le berceau et le cimetière de l’idée de révolution au XXe siècle, avec des millions de victimes trop souvent recouvertes de silence, là-bas comme ici.

Je n’ai jamais été fasciné par l’URSS, précise-t-il. Et ma génération, qui a pensé, dit et fait bien des sottises, ne peut être accusée d’avoir fermé les yeux sur le Goulag. Pourtant je me sens atteint par la cécité des intellectuels français. Elle me semble avoir été plus grande que dans tout autre pays. On n’a pas eu d’Orwell. L’hostilité de Sartre à Pasternak, quand il a reçu le Nobel en 1958, m’est restée en travers de la gorge.

Et s’il y avait aussi, dans la russophilie des écrivains contemporains, l’expression diffuse d’une repentance? Un sanglot de l’homme occidental se découvrant indirectement complice des massacres staliniens?

Rolin boucle son récit sur ces mots glaçants :

Nous nous alarmons aujourd’hui à bon droit des risques de voir l’inhumain reparaître en Russie, mais nos alarmes seraient plus crédibles si nous avions prêté attention à ce qui dans l’histoire de ce pays fut humain, et cette humanité fut d’abord celle des victimes.

Volodine nuance :

Moi qui ai vécu le quotidien soviétique, je reste, comme mes personnages, attaché à une morale fraternitaire et libertaire, mais je n’ai jamais fait allégeance au stalinisme. Donc ce poids de culpabilité, je ne l’ai absolument pas.

Et Enard, lui, n’est pourtant pas si loin de penser comme l’auteur du «Météorologue» et de «Tigre en papier»:

Rolin a rêvé du Grand Soir, cet imaginaire-là est moins puissant dans ma génération. Mais la terre russe est bien un immense cimetière: partout on marche sur des soldats, des gens qui ont construit les routes et les voies ferrées. On a du mal à l’assumer, mais ça pourrait bien faire partie de l’histoire de l’Europe.

Qu’on le veuille ou non, on n’en a pas fini avec la Russie.

Grégoire Leménager

A noter : Olivier Rolin, Antoine Volodine et plusieurs autres écrivains français participeront, fin janvier 2015, au prochain festival RussenKo au Kremlin-Bicêtre.  

Article paru dans “l’Obs” du 20 novembre 2014.

Source : L’Obs

Source: http://www.les-crises.fr/encore-un-xenophobe-subventionne-gregoire-lemenager/


Revue de presse du 29/11/2014

Saturday 29 November 2014 at 12:20

La revue de presse où il sera question de l’Islande et de la Suisse, de l’Evasion Fiscale à l’export mais aussi à l’import, de la France où l’on possède des emprunts toxiques mais peut-être bientôt plus d’engins militaires, de Réflexion sur l’avenir du capitalisme et les mécanismes de la corruption, et de bien d’autres sujets encore. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-29112014/


[Grand Débat] Comment permettre aux médias et aux journalistes de jouer leur rôle de contre-pouvoir ?

Friday 28 November 2014 at 00:02

Aujourd’hui, je vous (re)propose un espace de débat, afin de réfléchir aux idées que nous pourrions promouvoir pour lutter contre la désinformation. Ce sera une contribution du 5e pouvoir (Internet) pour que celui-ci fasse pression pour que le 4e pouvoir (la presse) exerce ses prérogatives…

Avec un axe “médias” et un axe spécifiques “journalistes”. Je vous soumets quelques idées, pour que vous puissiez commencer à débattre. Je complèterai au fur et à mesure.

A vous de jouer en commentaires – surtout si vous êtes journaliste ! :)

Les médias

M1 : Voter une loi sur la Liberté d’information, imposant l’indépendance et le pluralisme des médias, et protégeant l’indépendance des journalistes et le secret de leurs sources

M2 : Mise en place d’un système transparent de large financement public des journaux d’information (comme pour les partis et les syndicats) via un choix individuel annuel des citoyens lors de la déclaration d’impôts. (on pourra cocher “Le Figaro”, et cela donnera une subvention annuelle de 5 euros au journal)

M3 : Interdiction à des groupes vivant de la dépense publique (Armes, BTP…) d’entrer au capital de journaux d’information.

M4 : Interdiction de la publicité dans les journaux d’information (les pertes sont compensées par M2)

M5 : refondre le fonctionnement et le contrôle de l’Agence France-Presse et augmenter ses moyens. Assurer un contrôle externe indépendant de son travail.

M6 : Toute sensibilité politique réalisant plus de 2 % des voix aura droit à un financement public destiné à la création d’un journal d’information sur Internet

M7 : Toute sensibilité politique réalisant plus de 5 % des voix aura droit à un financement public destiné à la création d’un journal d’information papier

M8 : Seront créés 1 ou 2 journaux papiers publics

Les journalistes

Là, je lance quelques propositions en l’air, pour avoir le regard de professionnels

J1 : bien séparer les journaux et magazines d’information des autres titres. Les premiers ont obligation de ne travailler qu’avec des Journalistes professionnels pour leurs pages d’information, qui seront clairement séparées des pages des éditorialistes (qui pourront s’y exprimer sans aucune contrainte).

J2 : Le titre de “Journaliste” sera conféré par un nouvel Ordre Professionnel des Journalistes auxquels ceux-ci devront obligatoirement adhérer. Celui-ci délivrera la Carte de presse.

J3 : Il sera créé un code de déontologie des journalistes, s’appuyant largement sur La Charte de Munich. Son non-respect par un journaliste – agissant dans le cadre de son journal ou de tout autre média destiné au public, entrainera passage dans un Conseil de Déontologie, pouvant transmettre le cas à un Conseil de Discipline – où les journalistes seront minoritaires -, pouvant sanctionner le journaliste jusqu’au retrait temporaire ou définitif de la Carte de Presse. Tout particulier s’estimant lésé peut saisir le Conseil de Déontologie.

J4 : L’Ordre des journalistes est financé par une cotisation des employeurs ainsi que par une dotation publique venant diminuer la montant des aides à la presse par plafonnement absolu des aides à un seul journal.

J5 : Il sera créé un Haut-Conseil à la pluralité de l’information (ou un Conseil Supérieur de la presse papier, comme le CSA), qui veillera à éviter le “bourrage de crane”, à ce que les experts invités à s’exprimer soient compétents, et que les propos soient toujours balancés tant que la réalité des faits n’aura pas été établie.

 

Source: http://www.les-crises.fr/grand-debat-journalistes/


[On va y arriver, patience...] Violée ? “Tu y es pour quelque chose” selon la police hongroise [+ entraide Hongrie]

Friday 28 November 2014 at 00:01

On va y arriver aux problèmes avec la Hongrie, dont on a déjà parlé, ça prend un peu de temps pour retourner l’opinion…

Poursuite du début de la propagande de guerre

Dans un clip de prévention, la police hongroise estime que le meilleur moyen de prévenir le viol, c’est de culpabiliser les victimes.

Une capture d'écran de la vidéo de prévention du viol par la police hongroise. (Capture d'écran)
Une capture d’écran de la vidéo de prévention du viol par la police hongroise. (Capture d’écran)

Pour la police hongroise, le meilleur  moyen de prévenir le viol c’est de culpabiliser les victimes (et donc les femmes). C’est en tout cas le message qui ressort du dernier clip de prévention, mis en ligne sur YouTube le week-end dernier, de la police du district de Baranya, dans le sud-ouest du pays.

Le pitch du clip ne laisse pas de place au doute. Dans la vidéo, trois jeunes femmes se préparent pour aller faire la fête. Forcément, elles sont en jupe courte. Puis elles se rendent en boîte de nuit. Forcément, elles consomment beaucoup d’alcool et rencontrent des hommes. La soirée se termine mal pour l’une d’entre elles qui se fait agresser sexuellement.

A la fin de la vidéo, le message de la police hongroise, très explicite :

Tu y es pour quelque chose, tu peux faire quelque chose pour éviter cela.

Face aux critiques des femmes et des organisations de défense des droits civils, la police hongroise a tenté de se justifier, et plutôt mal : “Nos expériences montrent que la métacommunication féminine [comprendre : le langage corporel, NDLR] joue un rôle important dans la prévention. C’est souvent la coquetterie des jeunes femmes qui déclenche la violence.”

Un rapport d’Amnesty International, publié en 2007, montrait pourtant clairement les préjugés auxquels sont confrontées les femmes victimes de viol en Hongrie. La police a dû oublier de le lire.

Source : L’Obs, non signé, 27/11/2014

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bien bien bien

1/ quelqu’un parlant hongrois pourrait-il nous traduire exactement tous les mots de la fin svp ? et nous dire comment il comprend la pub ?

2/ on voit quand même surtout, me semble t il vu de loin, que c’est une pub mettant en danger contre les dangers des conséquences de l’alcool

3/ quand bien même tout serait exact, on notera qu’on parle de la police de Baranya, département aussi peuplé que l’Ardèche (330 000 hbts). Une connerie de la police de l’Ardèche reprise en Hongrie sous le titre “la police française…” (assassine les manifestants pro-environnement à coups de grenade, par exemple… ?) ça semble normal au “journaliste” ?

4/je suis bien triste et plein de compassion poru les femmes violées en Hongrie, mais pourquoi cette sous-info se trouve-elle en Une sur l’Obs ? Pas de viols en Slovaquie, Roumanie, Pologne – Ukraine ??

Bref, l’agenda de la prochaine révolution colorée est en marche…

Pour se faire, j’aimerais avoir des volontaires, au cas où, pour des traductions depuis le hongrois, et des témoignages de personnes connaissant ce pays… On va essayer de s’intéresser à ceci avant que ça pète…  :)

P.S. Amnesty s’intéresse aussi à la France si ça intéresse l’Obs…

Source: http://www.les-crises.fr/on-va-y-arriver-patience-violee-tu-y-es-pour-quelque-chose-selon-la-police-hongroise-entraide-hongrie/


[Invité] Les illusions perdues d’un jeune journaliste, par Léonard

Thursday 27 November 2014 at 01:57

Excellent papier d’un jeune journaliste, qui ira apparemment loin :) Son prénom a été changé…

Je m’appelle Léonard. Je suis né quelques semaines avant la chute du Mur de Berlin. Je peux légitimement et insolemment dire que je suis jeune. Je suis journaliste. J’ai intégré une école de journalisme juste après le bac, presque par hasard.

Voici mon histoire.

Hasard et chance

Contrairement à bon nombre de mes camarades, je n’avais jamais ressenti la fibre journalistique auparavant. Je me cherchais. Seule certitude : j’aimais apprendre et restituer. Vulgariser. Expliquer. J’aime la pédagogie. Je me suis d’ailleurs longtemps (et encore?) prédestiné au métier de professeur. Passionné par l’astronomie, les sciences, fidèle lecteur de Sciences et vie et téléspectateur attentif et enjoué de C’est pas sorcier quand j’étais enfant, je pensais me diriger vers un cursus universitaire en biologie. J’étais également passionné par l’Histoire ainsi que par ses consœurs : la géopolitique, la géostratégie. En fait, je crois que j’aimais à peu près tout, hormis les langues étrangères, ce que je regrette amèrement aujourd’hui et tente de corriger petit à petit.

Or, en déambulant sur le Web, je suis tombé à l’époque par hasard sur le programme d’un établissement formant les journalistes de demain. Géopolitique, droit, histoire de la presse, sciences politiques, exercices de style…

Programme alléchant !

Accès restreint

Cette école faisant partie du cercle restreint des structures reconnues par la profession (elles sont 12 ou 13 selon les années), l’entrée y est difficile. Je ne connais pas les chiffres exactes mais il me semble que nous étions peu ou prou un millier à déposer une candidature pour 25 places. Mes bonnes notes au bac en Français et en Histoire m’ont permis de passer la phase de sélection initiale sur dossier. Première petite victoire. Les épreuves écrites arrivèrent quelques semaines plus tard. Un exercice de synthèse de document, un QCM et une photo à légender, si ma mémoire est bonne. Et un adolescent très stressé par ce nouveau monde qui s’ouvrait à lui. Sans grand espoir, je passe les tests. Je me rappelle avoir souri de contentement pendant le QCM : oui, je connaissais Raphaël Poirée pour l’avoir vu gagner de nombreuses courses de Biathlon sur Eurosport étant plus jeune ! Surprise, on me sélectionne pour les épreuves finales d’admission. Fierté des parents. Si je m’arrête là, ce sera avec les honneurs. D’autant qu’une épreuve d’anglais, mon point faible, est prévue. L’autre exercice du jour consiste en un oral de motivation. Étonnamment calme, certain d’être recalé en raison de mon jeune âge (une remarque que l’on me fera tout au long de ma jeune carrière et encore aujourd’hui), je passe les tests sans grande pression. La surprise intervient quelques jours plus tard.

Je suis admis. Diantre.

Des codes et des formats

Une nouvelle vie s’ouvre à moi ! Certains oncles me surnomment déjà en riant le « futur Pujadas » de la famille. Les cours commencent. Intensifs sans être insurmontables. Intéressants sans être déterminants. Je me rends vite compte que mes camarades, disons une bonne moitié, savent qu’ils veulent être journalistes depuis plusieurs années. Ils ont fait des stages, ils ont lu le manuel du pigiste, certains sont déjà correspondants locaux dans leur village, d’autres ont déjà la grosse tête. Une promotion somme toute agréable avec le recul. J’y ai rencontré des personnes passionnantes, étonnantes, stimulantes et des abrutis condescendants. A l’image de la vie quoi. Normal. Rassurant. Personne dans ma famille ou dans nos amis proches n’avait mis un pied dans cet univers journalistique. J’ai dû tout apprendre : les codes, les formats, les genres, l’importance du réseau que je n’ai jamais cultivé avec assez de soin et d’envie. Après des débuts difficiles, je me suis fondu dans la masse. Dans les derniers en langues étrangères, dans les meilleurs en sciences humaines.

Rien ne change.

Naïveté salvatrice

Lors du premier stage de fin d’année, dans un journal de la presse quotidienne régionale, j’avais amusé malgré moi mes collègues en commençant mon article par « Bonjour ». Naïveté originelle salvatrice pour la suite. Salvatrice car l’exercice journalistique requiert, selon moi, une remise en question permanente. Un journaliste « rouille » à partir du moment où il a la certitude d’être arrivé au bout de ses capacités. Où il ne doute plus et pense tout savoir, tout connaître, tout maîtriser. Or, comme me l’a dit un jour un scientifique de l’INRA, « la différence entre un chercheur et un journaliste est simple mais fondamentale : vous ne connaissez rien sur tout, alors que nous connaissons tout sur rien ». Façon de décrire leur spécialisation extrême et notre formation généraliste qui pose des problèmes de compréhension mutuelle. Nous participions à une session sur le journalisme scientifique.

A la fin de ce premier été de stage en presse régionale, j’avais pris confiance en moi. En mes capacités de recherches, de compréhension, d’abnégation parfois. Je me rappelle avoir bataillé des jours pour tenter de découvrir l’origine du nom d’un stade de football local. Des heures passées aux archives départementales à éplucher les comptes-rendus jaunis et rébarbatifs de conseils municipaux d’antan. Tout cela pour découvrir, un peu déçu, que le nom provenait tout bonnement d’un mot patois local signifiant « souche » ou « fossé ». Toujours est-il que j’avais acquis les codes et les us du métier. J’ai compris comment aborder les gens. J’ai compris comment flatter les égos des élus et des chefs d’entreprise. J’ai appris à composer avec la police et la gendarmerie pour obtenir les informations de la page « faits divers ». J’ai aimé aller au tribunal pour écrire des comptes-rendus d’audience que je croyais magnifiques. J’ai adoré arpenté les fêtes de village avec mon calepin et mon appareil photo pour rencontrer les « petites gens » et raconter leurs histoires.

J’ai commencé à aimer mon métier.

Et au milieu, des fils et des ondes

A la fin de la deuxième année, je m’étais spécialisé en radio. C’est aujourd’hui encore mon média de prédilection. Quel pied que ce rapport à la fois distant et intime avec l’auditeur. Juste la voix et le tympan. Et au milieu, des fils et des ondes. J’aime le micro, j’aime le pouvoir de la voix. La radio est un média injuste : un bon timbre, un bon ton, un peu de travail et des rencontres essentielles. Voilà ce qu’il faut pour percer. Des intervenants passionnés à l’école. Des rédacteurs en chefs patients, des collègues aux conseils précieux et gratuits lors des premiers stages, des premières piges. Il y a de tout dans ce métier. Le journalisme m’a ouvert des portes inespérées. Voler en hélicoptère, travailler en Corse, interroger des stars, passer en direct, avoir pour collègues de bureau des figures de la profession, être quelqu’un. Notre métier est grisant. Attendre fébrilement un direct avec ses quelques notes griffonnées, respecter le délai, ne pas bafouiller, recevoir les félicitations du rédacteur en chef, fumer une cigarette pour se calmer, ralentir un rythme cardiaque monté à un niveau anormal. Il y a quelque chose qui ressemble à une dépendance, à une drogue.

Et puis vient la troisième année. Nous passons de la découverte à la spécialisation. De la spécialisation à l’émancipation. On se prend en main. On monte des projets. On cherche du travail. On commence à avoir des contrats de travail. Des piges. On gravit fébrilement mais fièrement les escaliers d’une célèbre radio, on le dit à ses amis, à sa mère, à sa grand-mère admirative. Étonnante période où l’on passe par toutes les émotions. Contentement et honte de soi. On se félicite de savoir faire tout Paris en un minimum de temps, Nagra à l’épaule, aisselles en sueur. On regrette d’être obligé d’aller harceler des acheteurs dans un magasin de jouets pour savoir pourquoi, mais oui pourquoi, le catch est la nouvelle mode dans les cours de récré. C’est Le Parisien qui le dit donc c’est vrai « et même si ça fait deux heures que tu demandes à tout le monde et que personne ne confirme, ni les vendeurs, ni les clients, continue de chercher car on veut un reportage là-dessus pour 18h, alors pas de commentaires, tu es en stage je te rappelle ». C’est une qualité primordiale et indispensable de tout jeune journaliste. Apprendre vite.

A acquérir les bons réflexes et à supporter les frustrations.

La bourse, c’est la vie

J’ai eu une chance énorme. Celle de gagner une bourse. La plupart des grandes radios organisent une sorte de concours pour les étudiants en école de journalisme. Celui qui arrive premier se voit offrir un contrat de travail. Un vrai. Un CDD. Trois lettres dont tous les étudiants rêvent. On devient alors une petite star dans son école. Les élèves des promotions suivantes parlent de vous avec respect : « Il a gagné la bourse… » Vous prenez automatiquement du charme et gagnez de l’intérêt. L’école de la vie.

J’ai ainsi pu travailler comme présentateur dans une grande radio. Formidable expérience pour un jeune homme. Je me rappelle que l’un des responsables de la radio de l’époque, juste avant l’oral final de la bourse, m’avait dit : « Vous êtes beaucoup trop jeune, je ne vous aurais jamais sélectionné ». Première carte de presse. Une sorte de Graal que tous les nouveaux journalistes, moi compris, exhibent comme une carte d’agent spécial les premières semaines. Premiers journaux en direct. Premières bourdes amusantes. J’ai continué à apprendre, énormément. Notre métier a cela de formidable qu’il consiste à apprendre, à lire. Le travail d’un présentateur est composé à 70% de lectures de dépêches et d’articles divers et variés (les 30% restants étant partagés entre le travail d’écriture, de hiérarchisation, de discussion avec le coordinateur, de prises de caféine et de nicotine). A la fin d’une journée de travail, on en a appris autant qu’en une journée de cours intensifs.

Salle de classe permanente, petit paradis pour celui qui aime apprendre.

Étonnante gestion des conflits

Je précise que la critique du journalisme qui suit concerne uniquement l’information nationale et, dans une plus grande mesure encore, l’actualité internationale. Selon moi, la presse locale et régionale, si elle a bien d’autres problèmes (de financements notamment) n’est pas soumise aux effets pervers que je vais tenter de décrire modestement. C’est d’ailleurs vers cette presse que je me tourne actuellement pour régler mon conflit intérieur.

Notre profession est en perpétuelle évolution et en remise en question permanente. Il suffit de se rendre une fois aux Assises du journalisme pour le constater. Les sujets de débat sont nombreux : déontologie, objectivité, moyens techniques, droit à l’image, protection des sources, précarité des pigistes, etc…

Je crois que mes premiers problèmes de conscience sont apparus avec les révolutions arabes et en particulier la guerre en Libye. La fuite de Kadhafi est intervenue au mois d’août, tout à la fin de mon premier vrai contrat de travail. La rédaction étant réduite à cette période, vacances obliges, j’ai suivi le dossier avec attention. J’ai vite constaté que l’AFP (Agence France Presse), qui réalise un travail inestimable pour les rédactions, est géopolitiquement orientée. Je suis convaincu que les journalistes qui écrivaient les dépêches sur la Libye sont de braves types qui font leur boulot le plus honnêtement du monde. Mais les faits sont là. Nous, journalistes, lors d’une guerre, nous prenons partie, malgré nous, pour un camp. Kadhafi était le méchant. Les rebelles, les gentils. Or, s’il est vrai que le guide libyen était un personnage repoussant à bien des égards (lire le livre d’Annick Cojean sur les « Amazones » , esclaves sexuelles de Kadhafi), comme l’est Bachar Al Assad aujourd’hui, le faire passer, à peu de choses près, pour le diable en personne me troublait. En face, les rebelles libyens étaient, eux, présentés systématiquement comme des héros de la liberté, des « justes » menacés par un massacre imminent. Je ne nie pas que bon nombre de manifestants aient été de cette trempe là, mais le manichéisme m’ayant toujours repoussé, j’ai douté.

Mensonges par omission

Quand j’observe la Libye d’aujourd’hui, il semble que l’enthousiasme qui a accompagné la chute du natif de Syrte a été un peu rapide. J’ai douté à l’époque comme j’ai douté ensuite sur la Syrie ou sur l’Ukraine. Je me suis étonné que sur bon nombre de sujets, l’Iran, le Vénézuela, nos agences de presse préférées et si peu nombreuses (il y en a trois principales) relatent certains faits et pas d’autres. Cette orientation est subtile, presque imperceptible. L’AFP ne ment pas, techniquement. Mais elle oriente la pensée par la sémantique et en omettant certaines informations. Je me rappelle très bien d’une dépêche évoquant un discours d’Hugo Chavez. Elle mettait en avant « le soutien » de l’ancien président au guide libyen et son énième critique de « l’impérialisme » américain. L’article résumait la pensée du président vénézuélien de manière très caricaturale, presque grossière. J’ai ensuite visionné l’intégralité de son intervention, traduite par un site indépendant. L’information principale était qu’Hugo Chavez proposait un plan de paix, au nom de l’Amérique latine, avec l’accord des autorités libyennes et le soutien du duo Ligue Arabe – Union Africaine. Est-ce notre égocentrisme qui nous a fait considérer cette information comme d’une importance mineure ? La résolution des conflits est-elle de la seule compétence de l’Occident ? Ou y a-t-il une raison d’ordre géopolitique ? Une information chassant l’autre, le plan de paix du président vénézuélien ne fut jamais évoqué sur notre radio.

L’AFP omet et oriente donc. Et les présentateurs radios suivent. L’AFP et ses deux consœurs (Reuters et AP) sont les bibles des présentateurs. Nous donnons à voir à nos auditeurs (car les présentateurs radios sont esclaves des dépêches qui représentent 90% de leurs sources) un monde orienté. Cela ne veut pas dire que cette orientation est mauvaise mais elle ne devrait tout simplement pas exister dans un travail journalistique sérieux.

Autre carence de ce système relayant l’information. La surexposition de certains acteurs. Combien de fois ai-je ri avec mes collègues de l’inquiétude de Ban-Ki Moon ? Le secrétaire général des Nations-Unies s’inquiète de manière perpétuelle. De tel conflit larvé. De telle catastrophe humanitaire à venir. Son émotion est légitime, bien sûr, mais doit-on attendre qu’une agence de presse cite ce haut responsable pour parler d’une situation alarmante ? Et l’information à mettre en avant n’est-elle pas l’inefficacité et le manque de moyens de l’ONU ? Le fait que Ban Ki-Moon s’inquiète perpétuellement sans avoir les moyens d’agir n’est-il pas le plus inquiétant ? A quoi bon relayer systématiquement ses déclarations si sa marge de manœuvre est si faible ?

Combien de fois nous sommes-nous fait la réflexion, avec mes jeunes collègues, qu’il est bizarre voir révoltant que nous traitions un sujet uniquement quand l’AFP le signale ? Avec un dialogue qui ressemble à celui-ci :

- Bruno (le coordinateur), tu as vu les derniers chiffres de l’INSEE sur la démographie européenne ? C’est intéressant car…

- L’AFP en parle ?

- Euh, non mais…

- Laisse tomber.

Le traitement permanent des « sujets AFP » est une facilité professionnelle qui me paraît néfaste. Aujourd’hui, certains grands journaux nationaux ne traitent plus les sujets internationaux que par le biais de dépêches reprises telles quelles. Pour la valeur ajoutée et la vérification des sources, on repassera. Les responsables de cette situation sont multiples : manque de moyens humains et dictature de l’urgence (les fameuses « breaking news ») en premier lieu.

Inconscience inconsciente ?

Le journaliste est un observateur. Au pire, un commentateur. Il ne doit pas être un militant. Ou alors il doit l’assumer et le dire avec clarté à ceux qui le lisent ou l’écoutent. Or, dans les grands médias généralistes, nous nous flattons d’être indépendants et libres. Mais la base même de notre métier est biaisée par le fait que nous ne disposons pas des outils et des sources nécessaires pour assurer un suivi juste et objectif des situations. Partant de ce constat, nous n’avons tout simplement pas les ressources, le recul et la légitimité pour parler de ces sujets. Et pourtant nous en parlons, avec verve et certitude. C’est une des bases du métier apprise à l’école : « même quand vous ne savez pas de quoi vous parlez, donnez l’impression d’être un expert ». Je ne crois pas que cette orientation soit lié à un quelconque complot ou à un choix assumé. Cela à trait, selon moi, à quelque chose d’un ordre inconscient. Personne ne part du principe qu’il est dans le camp du méchant. Nous faisons partie de l’Occident, avec ses codes, ses références, ses intérêts, sa culture, son histoire. Les journalistes occidentaux, dans leur grande majorité, assument et intègrent donc, ce parti pris originel, cette identité initiale. Le travail d’un journaliste devrait donc être avant toute chose, quand il parle d’un sujet international aussi grave qu’une guerre ou qu’un conflit larvé, de s’oublier.

De sortir de lui-même pour appréhender les situations sous un angle neuf, le plus objectif possible.

Le leurre du journalisme-citoyen comme solution

Je précise également que je pense profondément que les journalistes sont d’une importance capitale et irremplaçable. Avec l’émergence et la formidable montée en puissance des réseaux sociaux, on constate que le journalisme-citoyen a le vent en poupe. C’est une bonne chose. Le journalisme institutionnel, traditionnel est extrêmement critiqué (rappelons qu’il s’agît de l’une des professions les plus détestées) et certains se réjouissent de sa disparition à moyen terme. Je pense d’une part, que ce serait une catastrophe et d’autre part, que cela n’arrivera pas. Pour moi, l’information constitue une matière brute, indigeste. Notre travail consiste à la préparer, la cuisiner, pour que les citoyens puissent la consommer et la digérer. Toute la difficulté de notre travail réside en ce point : simplifier, reformuler l’information sans la travestir ou la déformer. C’est un travail délicat et indispensable, qui s’apprend, qui demande du temps et des efforts.

Le journalisme dit « citoyen » doit être un complément et non un substitut à son aîné.

Prostitués de l’intellect

Quand on regarde la presse occidentale et celle des pays arabes ou des pays en voie de développement sur des sujets aussi variés que le conflit israélo-palestinien, la guerre civile en Ukraine ou la guerre en Syrie, les différences sont frappantes et le constat est clair : nous défendons, malgré nous, des intérêts.

« Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

Cette phrase, attribuée à l’ancien rédacteur en chef du New York Times, John Swinton, date de 1880. Je ne suis pas le premier à relever qu’elle est d’une confondante actualité. Ayant travaillé dans un pays arabe, la différence d’approche sur certains sujets géopolitiques est très forte. Je constate cependant, et cela me semble important à relever, que la vision sur l’économie mondiale est en revanche la même chez les élites journalistiques arabes et occidentales. L’ultra-libéralisme me semble avoir de beaux jours devant lui car les vives critiques qu’il rencontre sont l’apanage d’hommes isolés ou de groupes qualifiés, au mieux d’utopistes, de penseurs minoritaires et/ou gauchistes, au pire de complotistes. Cela me déprime d’avoir l’impression (fausse certainement) d’être plus à même de conduire un débat ou une interview sur des sujets de relations internationales que mes éminents collègues des chaînes d’information en continu. Sont-ils ignorants à ce point ? Jouent-ils les candides ? Ont-ils peur ? Sont-ils soumis à des consignes, des pressions ? S’autocensurent-ils ? Cela me déprime également de voir les plus brillants de mes anciens camarades en école de journalisme s’être reconvertis, par dépit ou par choix, dans des domaines aussi variés que passionnants. J’ai l’impression que pour réussir dans le journalisme, il ne faut pas être le plus intelligent ou le plus honnête, mais être celui ou celle qui avalera le plus de couleuvres sans tressaillir.

A l’image du monde d’aujourd’hui, peut-être.

Complotiste !

Et cela m’amène à une conclusion pessimiste. Je l’ai dit plus haut. Je suis un homme curieux. Je m’intéresse à peu près à tout et à tous les avis. Je ne pense pas que la légitimé se gagne par la reconnaissance, par les titres ou par les postes. Cette curiosité m’a amené à lire et à écouter des avis extrêmement variés. Certains m’ont fait peur, d’autres m’ont passionné, d’autres encore m’ont questionné. Mais je constate que, loin de créer une émulation naturelle dans toute société démocratique qui se respecte, la contestation et le questionnement de l’ordre économique et géopolitique établi, rencontrent dans l’immense majorité des cas, une limite insurmontable et insupportable : la délégitimation par l’insulte.

Vous estimez que le néoconservatisme américain est une idéologie dangereuse, potentiellement guerrière ? Vous êtes un complotiste ! Vous êtes impressionné par le travail de Naomi Klein sur le capitalisme du désastre ? Complotiste ! Vous trouvez Michel Collon un peu excessif mais redoutable quand il parle des médias mensonges ? Complotiste ! La version officielle des attentats du 11 septembre vous semble un peu légère et vous estimez que nous sommes en droit de nous poser des questions (et d’inciter à lire l’enquête d’Éric Laurent, par exemple) ? Complotiste ! Vous considérez que le traité euro-atlantique devrait être le principal sujet de discussion actuel tant ses implications à long terme sont lourdes ? Calmez-vous, excentrique !

Et maintenant ?

Que dire ? Que répondre face à des insultes et des qualificatifs si lourds de sens et pourtant si vides de contenus ? Pour l’instant, j’ai la chance de ne pas être trop exposé. Ma jeune carrière m’a amené à conduire ces débats en cercles restreints, avec pour conséquences bénignes, de rares énervements passagers entre collègues. Mais je constate qu’il coûte cher de se poser certaines questions dans cette profession. Or, je ne veux pas choisir de camp. Comme Brassens avec l’oncle Martin et l’oncle Gaston. Je ne veux pas choisir entre un système et des rebelles. J’aimerais juste être dans un monde où le débat est une chose reconnue comme importante et capitale. Il me semble qu’au contraire, nous nous dirigeons vers une société vidée de toute émulation de ce type. Une société uniformisée, aseptisée, manichéenne, où, pour reprendre la métaphore de Naomi Klein sur le capitalisme du désastre, des « zones vertes » officielles et adoubées s’affronteront à des « zones rouges » considérées comme menaçantes et maladives.

Des solutions semblent émerger, les gens s’organisent, une portion de la jeunesse bouge, se mobilise. Mais je ne suis pas sûr que cela suffise. Une partie de cette frange se radicalise et se perd. Une autre s’essouffle et abandonne. Une dernière enfin, résiste et invente de nouveaux modes de pensées, d’échanges, de débats (éducation populaire, mouvements politiques, blogs, etc..). Le journalisme tel qu’il existe aujourd’hui doit écouter les critiques et ne pas s’enfermer dans une posture de victime. Les jeunes journalistes ont leur révolution à conduire. Exiger davantage de moyens humains, trouver de nouvelles sources de financement et d’information, refuser la marchandisation de l’information et assumer leurs positionnements idéologiques. Informer, simplifier, raconter, c’est notre métier, notre chance.

A nous de le faire évoluer sans crainte, ni tabou, pour pouvoir le pratiquer honnêtement et plus sereinement.

Léonard (le prénom a été changé)

Source: http://www.les-crises.fr/invite-les-illusions-perdues-dun-jeune-journaliste-par-leonard/


[2 poids, 2 mesures] Ils sont vraiment énormes chez Mediapart…

Thursday 27 November 2014 at 00:36

Petit point en rapport avec la vision internationale de Mediapart

Je reçois souvent des mails de votre part me disant en gros “Mediapart sur l’Ukraine, c’est plus possible, je résilie mon abonnement !”.

Je trouve ça très dur, car je trouve que Mediapart est clairement parmi ce qui se fait de mieux dans les grands médias sur la dénonciation du pouvoir de la finance (supers billets de Martien Orange, une référence !), du néolibéralisme, des dérives politiques et démocratiques, des problèmes des grands médias, etc.

J’ai entendu une conférence de Plénel cet été sur les dangers qui courent sur la Démocratie, et c’était vraiment très très bien…

MAIS il y a un vrai souci sur l’international, c’est clair…

Exemple de ce we, à la Une de Mediapart :

(fichtre que je n’aime pas toutes ces histoires de listes nominatives de semi-proscrits dans les journaux et ici de propos des années 30…)

J’ai regardé pour info, cette banque historiquement tchèque est quand même la 151e banque russe (fichtre…)

 

Propriété d’un certain Roman Popov :

Bon, ok. Donc si je comprends bien, cette banque a prêté de l’argent au FN.

Je rappelle que les dons étant interdits, le FN devra donc rembourser cet argent…

Et donc Mediapart s’inquiète donc très très fort à cause de “ces millions russes”, qui pourraient constituer une éventuelle “ingérence étrangère dans la vie politique française” – rejoignant ici le fameux “le parti, non seulement de l’anti-Europe, mais de l’anti-France.” de BHL en mai 2014.

L’article précise :

“Un proche conseiller de la présidente du FN confirme lui aussi à Mediapart la signature de ce prêt, d’un taux d’intérêt fixé a 6% “ Si l’on en croit Marine Le Pen, c’est à contrecœur que le Front national s’est tourné vers les banques étrangères. « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté, a-t-elle expliqué, le 23 octobre, à L’Obs. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. » [...] « On a pris des contacts avec beaucoup de banques françaises et européennes, a expliqué Me Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national à Mediapart, fin octobre. C’est niet en France. Ils ne prêteront pas un centime après le rejet des comptes de Nicolas Sarkozy. Nous, on a élargi le cercle. Ce genre de négociations, plus c’est discret mieux c’est. On a pris des contacts avec les plus grosses banques. On a envoyé des lettres, c’est tout. La plupart du temps, on n’a pas de réponse. » [...]  Jean-Luc Schaffhauser a confirmé : [...] « Les banques sont très frileuses pour prêter aux partis politiques, quels qu’ils soient, confie un membre du bureau politique du parti. Ce n’est pas un boycott du Front national, c’est une crainte généralisée. À partir du moment où ce n’est pas un don, ni une subvention, ce qui serait interdit venant d’un État étranger, cela ne me choque pas. »

Notez que rien que cette situation pourrait susciter un intéressant débat sur les moyens de financer les partis ou sur le rôle des banques…

L’info est intéressante, mais si on est cohérent, on doit donc exiger la création d’une obligation de prêt à un parti pour les banques françaises (dans certaines limites à définir).

(PS : non, je ne suis pas là pour défendre du tout le FN que je ne soutiens en rien, ce n’est pas ce point là qui m’intéresse)

Je note ne pas avoir vu d’alerte Mediapart sur le fait que, par exemple, l’UMP – dont nous avons analysé les comptes, qui montrent que cette structure est en fonds propres négatifs depuis sa création, ce qui signifie qu’elle ne survit que par la générosité de prêts bancaires (français, ouf !)

comptes ps ump

Moi, il me semble très gênant qu’un parti politique dépendent du bon vouloir de banques privées pour survivre – étonnez-vous que la droite ne réforme pas le secteur après… Petit problème “d’ingérence” ?

Mais plus largement, cette idée “d’ingérence russe”, “de propagande russe” est quand même grotesque : alors comme ça, Poutine voudrait dépenser de l’argent pour corrompre la politique d’un pays, “acheter des soutiens” et donc il choisit… tadam, le FN !!!! Le parti avec 0 ministres, 2 députés et 2 sénateurs  (sur 900), et un audience médias absolue – TREEEEEMBLE RÉPUBLIIIIIQUE ! C’est d’une logique imparable… (et qu’on ne vienne pas faire croire que le prix d’un Cahuzac ou d’un Thevenoux soit si élevé…)

 

Alors du coup, comme Mediapart s’inquiète fort justement du risque d’influence étrangère sur la politique du pays, je me dis, “mais c’est bizarre, ont-ils enquêté sur l’influence américaine en France – qui me semble un peu plus prégnante que l’influence russe ?”

Alors au hasard, ont-ils enquêté sur les Young Leaders de la French American Fundation (dont nous parlerons bientôt, nous…), “issus de la politique, de la finance, de la presse « à fort potentiel de leadership et appelés à jouer un rôle important dans leur pays et dans les relations franco-américaines » et qui permet donc de développer « des liens durables entre des jeunes professionnels français et américains talentueux et pressentis pour occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays » ?

Ah flute…

Bon, au moins 1 ?

Ah flute…

Bon, c’est dommage, car il avait par exemple :

Bon, n’ayez crainte, on reverra bientôt Alain Juppé, Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez, Jeannette Bougrab à l’UMP…
Bon alors la National Endowment for Democracy ?
 
En abrégé peut être ?

Caramba, encore raté..

Allez, un dernier : le German Marshall Fund ?

Bon, rien en enquête, et en citation on a droit à “un cercle de réflexion” ! Sérieusement ??? Un machin qui s’appelle Fonds ? Qui a un bilan de :

200 millions de dollars ! Et qui dépense tous les ans juste :

37 millions de dollars !!!

Ok, dormez braves gens… Et attention à la propagande russe !!!!!

EDIT : CORRECTION

La recherche google ne semble pas ramener toutes les sorties – mea culpa.

Je l’avais utilisée pour essayer de séparer ce qui relevait des journalistes de ce qui relevait des blogs – très utiles, très riches qui eux d’intéressent à tout ça ; pour eux aussi, il est utile de s’abonner à Médiapart à mon avis.

Via le site, on trouve :

0 articles du journal avec “young leaders” ou “young leader”

5 articles mentionnant la NED dans le journal – mais surtout sur le financement de RSF, sans présentation de ce que c’est, son rôle, etc

2 articles du journal sur German Marshall Fund, présenté comme “un cercle de réflexion” (sic)

Avec mes excuses pour l’erreur – même si cela ne change rien au fond de mon propos..

 

Mais est-ce étonnant ?

Je rappelle certains propos de Mitterrand (qui n’avait QUE les services secrets à son service) sur Edwy Plénel :

« Il faudra tout de même qu’on sache qui est vraiment ce monsieur Plenel. […] Il parlera moins haut quand on saura qu’il travaille pour une puissance étrangère. » [propos de François Mitterrand rapporté par Gérard Colé à Pierre Péan, cité dans La Face cachée du Monde, 2003]

Confirmé par une autre source :

« Plenel ? Il ne m’a pas lâché pendant dix ans et j’ai fini par penser qu’il travaillait lui aussi pour les Américains. » [propos de François Mitterrand rapporté par Pierre Favier, journaliste longtemps accrédité à l'Élysée, La décennie Mitterrand, 1999]

Et une troisième :

Cela rappelle un autre propos de Mitterrand, plus général, sur les journalistes à scoops :

« Il ne faut pas croire qu ‘il y ait des envoyés spéciaux, fins limiers, remarquables journalistes, Rouletabille inlassables, allant chercher l ‘information. Non, ils attendaient à leur bureau où on venait leur apporter des informations.» [Mitterrand, portrait total, Pierre Jouve, 1986]

Je ne veux pas ici diffamer M. Plénel, je n’ai évidemment aucune idée de la véracité ou non de la chose.

Mais on peut aussi faire un lien avec les agissements de la NSA. Si on réfléchit en se mettant à la place des services secrets américains : vous avez accès aux données de la NSA qui espionne, de plus ou moins près, à peu près toutes les personnes avec un peu de pouvoir dans le monde. Donc vous connaissez tous les fraudeurs, tricheurs, adultérins, etc. Qu’en faites-vous ? Vous pouvez tenter de faire pression sur eux si les choses sont graves, mais enfin, cela ne marche pas toujours. Moi, il me semblerait logique d’approcher des journalistes amis, et de leur donner des informations croustillantes qui vont les respectabiliser, les mettre à la une. Même pas besoin d’un deal explicite après : il semble clair qu’ils vont éviter de trop vous critiquer par la suite, surtout quand on est “le phare de la liberté” mondial… Non ?

Bref, en conclusion, et pour répondre aux mails que je reçois donc régulièrement, cela ne me choque pas de continuer à soutenir Mediapart pour tout ce qu’ils apportent. Disons qu’il est assez probable que vous apprendrez ainsi “Tout ce qu’on vous cache et qui ne dérange pas les Américains” – et cela est déjà énorme. Après, il faut juste ne pas avoir trop confiance dans le regard international porté, et de croiser de multiples sources d’informations externes pour la partie “Tout ce qu’on vous cache et qui dérange les Américains”…

Mais bon, ce n’est que mon avis…

Source: http://www.les-crises.fr/fn-ils-sont-vraiment-enormes-chez-mediapart/