les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Crise de l’euro : regarder les réalités en face, par Jean-Michel Naulot

Friday 12 December 2014 at 04:12

Par Jean-Michel Naulot, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, auteur de « Crise financière – Pourquoi les gouvernements ne font rien », Le Seuil, 2013 [1]

« La difficulté n’est pas tant de comprendre les idées nouvelles. Elle est d’échapper aux idées anciennes » Keynes (1936)

La position des dirigeants européens qui consiste à dire qu’il n’y a qu’une seule politique possible, qu’il faut à tout prix sauver l’euro, qu’il n’y a pas de place pour un débat sur la monnaie unique, devient de moins en moins acceptable. Il faut arrêter de faire de l’euro une religion, un sanctuaire dont on n’aurait pas le droit d’approcher. La monnaie unique est un système monétaire comme un autre. On doit pouvoir en discuter comme de n’importe quel problème économique.

La situation actuelle rappelle étrangement les années trente. Après la crise de 1929, tous les pays occidentaux avaient tenté de restaurer le système monétaire de l’étalon-or alors que les déséquilibres provoqués par la crise financière étaient considérables. Mais les politiques d’austérité se révélèrent insupportables et les Etats-Unis, avec une dévaluation spectaculaire de 41 % décidée par Roosevelt en 1933, donnèrent l’exemple pour sortir d’un engrenage qui devenait mortifère. Quelques pays d’Europe décidèrent cependant de rester dans l’ancien système. C’est ce que l’on a appelé le bloc-or. Très vite, devant les ravages provoqués par les politiques déflationnistes, les pays européens quittèrent à leur tour le bloc-or. La France fut le dernier pays à le quitter. Léon Blum, qui avait juré de ne jamais casser le lien entre le franc et l’or pendant la campagne électorale du printemps 1936, décida courageusement de dévaluer le franc trois mois après avoir été désigné président du conseil, en septembre 1936. Dans les mois qui suivirent cette dévaluation la situation de l’économie française connut une embellie.

Le bloc-or est un exemple d’aveuglement, d’entêtement des élites. Ce n’est pas être populiste de le dire. Les exemples d’aveuglement des élites sont nombreux dans l’Histoire, dans le domaine économique comme dans le domaine militaire. Au cours des années 1970-1990, les élites anglo‑saxonnes crurent par exemple que la déréglementation de la finance permettrait de doper la croissance… Le résultat de cet aveuglement fut cataclysmique.

Face à la crise de l’euro, il faut se garder d’avoir des idées toutes faites, des préjugés. Il faut regarder les réalités en face. Il faut analyser les dysfonctionnements de la monnaie unique sous l’angle économique et social, ne pas trop mêler la politique à cette analyse. Naturellement, il faut ensuite tirer des conclusions politiques de l’analyse économique. Mais ne pas inverser l’ordre des choses. Pour le moment, les dirigeants européens font d’abord de la politique lorsqu’ils parlent de l’euro. En affirmant que l’euro, c’est l’Europe, ils biaisent leur analyse économique. C’est absurde. Les erreurs d’analyse coûtent très cher, entraînent des souffrances immenses pour nos concitoyens. Il faut analyser les dysfonctionnements de l’euro de manière froide, sous un angle strictement économique et social.

Les dysfonctionnements génétiques de l’euro

Le dysfonctionnement majeur de l’euro, celui qui résume tous les autres, c’est naturellement le fait d’avoir instauré la monnaie unique avant même d’avoir tenté de faire converger les politiques économiques et sociales et d’avoir fait reposer le fonctionnement de la monnaie unique sur les seuls critères de convergence budgétaires et monétaires. Toutes les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui étaient prévisibles.

Dès les années quatre-vingt-dix, deux indices de ces difficultés futures pouvaient être relevés. L’élargissement considérable des marges de fluctuation du système monétaire européen en 1993, de +/- 2,25 % à +/- 15 %, c’est-à-dire en fait à 30 %, était un très mauvais présage. Tous les pays d’Europe du sud profitèrent de cette opportunité pour dévaluer. La Grèce dévaluera jusqu’en 1998, jusqu’à la veille de son entrée dans l’euro. A l’inverse, la France maintiendra coûte que coûte sa parité à l’égard du deutschemark. C’est ce que l’on appelé la politique du franc fort. Il en est résulté une très forte hausse des taux d’intérêt, jusqu’à 8-9 % en 1993, puis 15 %, et par conséquent une croissance très ralentie. Celle-ci fut de 1 % en moyenne de 1990 à 1996. Lorsque la croissance disparaît, la gestion des finances publiques devient très compliquée. De 1990 à 1996, la dette publique a progressé de 35 % du PIB à 58 %, non pas parce que les Français ont dilapidé les fonds publics mais parce qu’il est impossible de rétablir les équilibres financiers sans croissance. Une leçon pour aujourd’hui.

Depuis 1999, au cours des quinze années d’existence de la monnaie unique, les dysfonctionnements de l’euro ont été de trois ordres. D’abord, l’impossibilité de conduire une politique monétaire reposant sur un taux d’intérêt unique pour des pays qui connaissent des évolutions structurelles et conjoncturelles divergentes. L’Espagne en est une très bonne illustration. Pendant les années 2000, l’Espagne a connu un taux d’inflation supérieur à ceux de ses partenaires, entre 3 et 4 %. Il aurait fallu que la BCE décide de taux d’intérêt plus élevés mais cela était impossible car dans le même temps l’Allemagne devait financer sa réunification. Il en est résulté un endettement massif dans le secteur privé espagnol. D’où la bulle immobilière et le désastre qui a suivi. Aujourd’hui même, l’Allemagne souhaiterait que les taux de la BCE soient relevés pour éviter une bulle immobilière mais les taux d’inflation proches de zéro des pays d’Europe du sud, voire négatifs, empêchent de procéder à un relèvement.

Deuxième dysfonctionnement, les parités fixes. Il faut d’abord rappeler une chose. Au cours de la période qui va de la Seconde guerre mondiale aux années quatre-vingt-dix, la France a connu une dévaluation de sa monnaie de 10 à 15 % tous les dix ans, même 28 % dans les années quatre-vingt. On imagine l’ampleur du choc que peut représenter le passage brutal à une parité fixe, en principe immuable ! Il n’est pas acquis qu’un pays puisse surmonter un tel choc dans la conduite de sa politique économique. Par ailleurs, la théorie économique avait très bien décrit un phénomène qui se produit lorsque l’on adopte une monnaie unique. On assiste à une accélération des avantages compétitifs puisqu’il n’y a plus la crainte d’une modification des parités monétaires. C’est ce que l’on appelle la polarisation. L’effet est immédiat sur la balance commerciale. A peu près équilibrées dans les années 2000, les balances commerciales allemande et française ont évolué de manière totalement inversée : 200 milliards d’euros d’excédent de la balance allemande en 2013, 60 milliards d’euros de déficit de la balance française.

Mais une réflexion plus générale peut être avancée. Le monde contemporain n’est plus celui d’il y a vingt ans. Partout dans le monde, les parités s’ajustent à chaque instant. On peut le regretter, un ordre monétaire international serait nettement préférable, mais c’est le monde d’aujourd’hui. La zone euro est la seule région du monde où les parités soient encore fixes. En 1997‑1998, une des dernières régions du monde où subsistait un système de parités fixes, le Sud-Est asiatique, a volé en éclats. La zone euro constitue aujourd’hui une sorte d’anomalie, avec la zone CFA qui lui est liée. Pas étonnant que la monnaie unique soit ressentie comme un corset qui fait souffrir tous les Etats qui l’ont adoptée.

Enfin, toujours à propos des inconvénients d’une fixité des parités, on peut observer l’histoire économique des grands pays industrialisés depuis la Seconde guerre mondiale. Tous les pays, sans exception, qui ont connu une crise économique, ont appliqué trois types de mesures : des mesures de rigueur, des réformes de structure et une dévaluation. On nous cite souvent les exemples de la Suède, de la Finlande, du Canada qui ont connu une grave crise de dette publique au début des années quatre‑vingt-dix et qui ont eu le courage de faire des réformes de structure, mais on oublie de rappeler que ces pays ont tous accompagné ces réformes d’une dévaluation, entre 23 % et 40 %. L’honnêteté intellectuelle devrait interdire à des experts qui connaissent parfaitement l’histoire économique de pratiquer à ce point le mensonge par omission. Dans la période toute récente, certains analystes s’interrogent parfois sur le redressement de l’Islande après une crise d’une extrême gravité alors que la Grèce connaît toujours une situation très difficile après six ans de récession. La réponse est simple : l’Islande a dévalué de 50 %, la Grèce n’a pas pu dévaluer.

Le troisième dysfonctionnement de l’euro tient naturellement à sa surévaluation. Celle-ci s’explique par le fait que la monnaie unique a été conçue sur des critères inspirés par l’Allemagne, les critères de stabilité monétaire. Ces critères conduisent à des excédents courants considérables. L’euro a succédé au deutschemark, pas à dix-huit monnaies. Depuis sa création, l’euro n’a connu une parité correcte, compétitive, qu’un peu plus de deux ans sur une quinzaine d’années. Il en est résulté une désindustrialisation continue de l’Europe du sud et de la France. Les chiffres très inquiétants cités par le rapport Gallois à l’automne 2012 sont déjà dépassés. Et, à moyen terme, la surévaluation de la monnaie signifie un risque de déflation. C’est le danger qui menace actuellement les pays de la zone euro. Même le Président de la BCE reconnaît être attentif à cette situation.

Une gestion calamiteuse de la crise

Lorsque la crise de l’euro a éclaté, au printemps 2010, il y a eu un tel déni que la monnaie unique puisse traverser une crise existentielle de la part de ceux qui l’avaient portée sur les fonts baptismaux, que l’on a décrété immédiatement qu’il s’agissait d’une crise de la dette publique. Une erreur de diagnostic manifeste puisqu’il s’agissait partout, sauf en Grèce, d’une crise de la dette privée. Aujourd’hui même, la dette publique est de 92 % en zone euro alors qu’elle atteint 128 % aux Etats‑Unis et non pas 108 % comme on le dit généralement. Pour faire des comparaisons homogènes, il faut en effet ajouter à la dette fédérale américaine la dette des collectivités locales et des Etats. La dette japonaise est de 250 %. Naturellement, la dette de la zone euro est trop importante. Les dépenses publiques doivent être maîtrisées sur le long terme. Mais la zone euro n’a aucune raison d’être montrée du doigt comme on le fait depuis quatre ans. A l’erreur de diagnostic a très logiquement correspondu une erreur de thérapie. Pour lutter contre les déficits publics, on a décidé d’une politique de rigueur puis d’austérité. Elle n’a pas été limitée aux pays en difficulté mais généralisée à toute la zone euro. C’est la politique que nous connaissons désormais en France.

Cette politique a un coût économique et social qui se retrouve dans la croissance anémiée et le chômage de masse, notamment pour les jeunes. Une situation politiquement explosive. Mais ce dont on parle moins, c’est de son coût financier. Les pouvoirs publics sont d’une extrême discrétion à ce sujet. Depuis le printemps 2010, les plans de sauvetage mis en place au profit de la Grèce représentent 25 fois les plans mis en place en 2000-2002 pour aider l’Argentine, un pays qui traversait pourtant une crise d’une extrême gravité puisque le risque était considéré comme systémique. Et avec quel résultat ! La Grèce a une dette qui atteint actuellement 177 % du PIB et un chômage des jeunes qui dépasse 60 %. En ce qui concerne la France, le coût des plans de sauvetage s’est traduit par un décaissement de 85 milliards d’euros, près d’une fois et demi le montant annuel de l’impôt sur le revenu. Encore cette dette n’est-elle pas comptabilisée dans la dette publique officielle. Transparence…

La manière même dont la crise a été gérée met en évidence un grave problème de gouvernance. L’absence de transparence des gouvernements dans la gestion de la crise est manifeste mais une critique beaucoup plus grave peut être avancée : le pouvoir politique ruse avec les citoyens, ne les associe en aucune manière aux décisions les plus importantes, aux modifications des traités réalisées presque en catimini. Quant à la BCE, elle s’est arrogé des pouvoirs considérables vis-à-vis des Etats. Elle se retrouve face aux Etats et non aux côtés des Etats comme c’est généralement le cas pour une banque centrale. Le fonctionnement de la Troïka en est une bonne illustration puisque la BCE négocie directement les réformes structurelles imposées aux Etats en difficulté ; elle rappelle à l’ordre ceux qui pourraient l’être. L’OMT (Outright Monetary Transactions), le rachat illimité de titres dans le marché, n’est envisagé par la BCE que sous la condition expresse de l’adoption de réformes structurelles par les Etats. Imagine-t-on la banque centrale américaine mettre des conditions à la mise en place de sa politique monétaire non conventionnelle (quantitative easing) ? Le gouvernement américain admet l’indépendance de la banque centrale mais il ne la conçoit que comme fonctionnant dans les deux sens.

Peut-on encore sauver l’euro ?

On nous dit : il faut continuer la même politique, nous n’avons pas le choix, quelques ajustements notamment dans le domaine social permettront d’améliorer la situation. Une orientation plus progressiste du Parlement européen pourrait y aider. Ce discours assez confortable pour ceux qui le tiennent devient insupportable pour ceux qui le subissent. Il arrivera un moment où le courage sera de dire non.

L’euro n’est pas une ardoise magique où l’on pourrait effacer tous les deux ou trois ans les erreurs commises, repartir avec de bonnes résolutions et faire à nouveau le point un peu plus tard. Toutes ces erreurs se traduisent par des souffrances sociales et des tensions politiques.

Pour sauver la monnaie unique, certains nous proposent un grand saut fédéral. Cette solution qui ressemble à une fuite en avant comporterait des risques immenses dans une Europe où les peuples rejettent de plus en plus le fédéralisme. La monnaie unique était déjà un pari plein de risques. Cette fois, le pari serait fou. Si les choses se passent mal, on imagine devant quelle situation dramatique se retrouverait la zone euro ! Le fédéralisme risquerait de conduire à un rejet brutal de l’Europe, deviendrait une source de conflits. Rien, en toute hypothèse, ne pourrait se faire dans ce domaine sans l’accord des citoyens.

D’autres experts, et quelquefois les mêmes, imaginent des eurobonds, un élargissement des pouvoirs de la BCE, etc. Ces techniques de financement seraient en réalité des expédients, peut-être de nature à calmer les marchés, mais en aucun cas des remèdes sur le fond. Et il ne faut pas être naïf : le taux moyen des eurobonds serait à mi-chemin entre les taux allemands et les taux italiens et espagnols.

Un remède aux difficultés actuelles pourrait naturellement être trouvé avec la mise en place d’une solidarité financière, bien au delà des plans de sauvetage. C’est ce que l’on appelle l’union de transferts, une politique de transferts financiers massifs de l’Europe du nord vers l’Europe du sud, équivalente à celle qui existe entre l’Etat de New York et la Californie. Normalement, cette politique devrait être en place depuis longtemps car elle était indissociable de la création d’une monnaie unique. Malheureusement, ce n’est pas du tout le cas. Les chances de la voir se concrétiser sont infimes quand on constate que le budget européen des six prochaines années a été réduit de 3 % en 2013. L’Union bancaire elle-même n’a prévu qu’une solidarité financière très limitée alors qu’il s’agissait officiellement de couper le lien entre les banques et les Etats. Enfin, les négociations de ces dernières années dans le domaine de la régulation financière ont montré que les Etats donnent toujours la priorité à leurs intérêts nationaux, même lorsqu’il y a un risque global, un risque systémique. On est très loin d’une gouvernance européenne, d’une vraie solidarité européenne. Le signataire de ce texte en a eu pendant plusieurs années la démonstration quotidienne.

La vraie solution pourrait résider dans une meilleure convergence des politiques économiques et sociales. Réaliser une meilleure convergence de ces politiques, cela consiste à donner des signes tangibles d’une volonté de vivre ensemble. Le plus urgent serait de coordonner les politiques économiques. Les pays qui connaissent des équilibres budgétaires, des excédents de balances courantes, devraient mettre en place une politique de relance au nom de la solidarité européenne et de l’efficacité économique. Sans une relance significative de l’économie allemande, la France n’a aucune chance de rétablir ses équilibres. La convergence, c’est aussi le rapprochement des politiques énergétiques, des politiques environnementales. Les politiques énergétiques française et allemande sont pour le moment diamétralement opposées. Le marché européen des droits de carbone est un vrai fiasco. Seule une taxe carbone européenne aurait été efficace. Dans le domaine fiscal, aucune harmonisation n’a été amorcée. Comment faire vivre un marché unique, une monnaie unique, avec des paradis fiscaux en plein cœur de la zone euro ? La convergence, c’est aussi le rapprochement des modèles sociaux français et allemand. Le modèle allemand est libéral et décentralisé. Le modèle français repose sur un socle très large, inspiré des valeurs de solidarité de la Libération, un modèle égalitaire et jacobin. L’Allemagne a pratiqué avec une très grande continuité une politique très libérale depuis la Seconde guerre mondiale. D’Erhard à Schmidt, à Kohl, à Schröder et à Angela Merkel, c’est toujours la même politique qui est appliquée. Les Allemands n’envisagent pas de quitter l’ordo‑libéralisme. Or, rapprocher des modèles aussi différents ne peut consister en un alignement du modèle français sur le modèle libéral allemand. Il faut que chacun fasse un bout du chemin. Enfin, les modèles économiques eux-mêmes sont très différents. Le modèle allemand donne la priorité au commerce extérieur. Le modèle français donne la priorité au pouvoir d’achat des classes moyennes et à la consommation. La part des exportations représente 51 % du PIB en Allemagne, 27 % du PIB en France.

Le système qui serait inacceptable, c’est un système permanent de dévaluations internes. A défaut de réaliser la convergence, des ajustements par la baisse des coûts salariaux seraient en permanence nécessaires pour corriger les écarts de compétitivité. On peut corriger 2 ou 3 % d’écart de compétitivité à titre exceptionnel entre la France et l’Allemagne avec le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), pas 15 ou 20 %. Si le sauvetage de l’euro devait passer par une dévaluation interne institutionnalisée, par des coups de rabot permanents dans les coûts salariaux et les avantages sociaux, la route deviendrait absolument sinistre. Ce système marquerait le retour aux années trente. Les risques politiques seraient immenses.

Que faire ? Accepter de débattre de toutes les hypothèses, sans exclusive

L’euro est à la croisée des chemins. Un débat doit s’engager dans toute la zone euro pour savoir comment on réoriente l’Europe, comment on essaye de la réconcilier avec les citoyens. Tous les pays doivent se faire entendre. Le discours officiel n’est pas réservé à la Commission, à la BCE et à l’Allemagne. La relation franco-allemande doit notamment être beaucoup mieux équilibrée. De temps en temps, il faut savoir taper du poing sur la table. Si le Général de Gaulle n’avait pas pratiqué la politique de la chaise vide en juin 1965, pendant près d’un an, les agriculteurs français ne bénéficieraient pas aujourd’hui de la politique agricole commune.

Pour se faire entendre, la France a des atouts. Elle doit arrêter de faire des complexes. Comment ne pas rappeler d’abord que la France contribue, avec le Royaume Uni, de manière substantielle à la sécurité de l’Europe. Elle consacre aux dépenses militaires un montant par habitant deux fois supérieur à celui de l’Allemagne. Elle peut être fière de cette contribution au moment où il apparaît que les conflits potentiels n’ont pas disparu du continent européen. La France a une démographie forte. Si les tendances actuelles se poursuivent, la population française aura rattrapé la population allemande d’ici une trentaine d’années. Les ménages français ont une épargne record au sein de la zone euro. Le taux de dette des ménages français est un des plus faibles. Ce sont des éléments de bonne santé économique. Celle-ci ne se mesure pas simplement avec le relevé des ratios de dette publique.

Mais pour se faire entendre la France doit faire des réformes de structures, de vraies réformes, pas de nouveaux prélèvements sur les revenus. Sinon, elle sera inaudible. Son objectif en Europe doit être d’obtenir une relance de la croissance de la part de l’Allemagne. Si cela n’est pas possible, dans un délai rapproché, il faudra avoir le courage de prendre des décisions politiques beaucoup plus fortes, de réformer les traités. Il faudra assouplir le système monétaire actuel, lui donner de la flexibilité. C’est ce que l’on appelle la monnaie commune.

Par rapport au système actuel, le changement majeur serait le retour à des monnaies nationales avec un ajustement des parités à intervalles réguliers en fonction des écarts de compétitivité, par exemple tous les ans ou tous les deux ans. Ce sont les gouvernements de la zone euro qui décideraient d’un commun accord de la politique de change. Il y aurait un élément de continuité avec la situation actuelle puisque ce sont les gouvernements qui sont aujourd’hui en charge de la politique de change de l’euro avec l’article 219 du traité de Lisbonne, en concertation avec la Commission et la BCE, un article qui n’a malheureusement jamais été appliqué. Autre élément de continuité, l’euro serait conservé pour les transactions externes à la zone euro, transactions commerciales et financières.

Si ce système, qui avait été imaginé autrefois par des dirigeants politiques comme Edouard Balladur et John Major, ne pouvait être instauré en raison d’une insuffisante volonté politique des gouvernements de la zone euro, il serait possible d’envisager un changement plus important, sans drame, la fin concertée de l’euro. La fin de l’euro ne serait pas le chaos. La dette publique française est en effet entièrement libellée en euros, pas en dollars ou en yens. Son montant serait par conséquent inchangé pour les emprunteurs au premier rang desquels l’Etat français, contrairement à ce que l’on dit parfois. Mais, naturellement il faudrait que cette période soit soigneusement préparée, avec autant d’attention que celle que l’on a mise pour créer la monnaie unique. Les banques notamment devraient gérer leurs risques en anticipant toutes les hypothèses. Si l’euro avait implosé en mai 2010, la crise aurait été véritablement systémique puisque les banques considéraient à cette époque qu’une créance sur la Grèce ou sur l’Italie, c’était comme une créance sur l’Allemagne. Aujourd’hui, elles gèrent beaucoup plus attentivement leurs risques, à l’image de ce que font les grandes entreprises industrielles. Certains économistes et dirigeants critiquent l’actuelle fragmentation des marchés, la renationalisation de la dette souveraine, mais cette renationalisation s’impose au nom de la prudence dans la gestion des risques. Piloter le passage d’un système de monnaie unique à un système de parités flexibles reviendrait en définitive à aligner le système monétaire de la zone euro sur le système international.

La seule question que devraient se poser les dirigeants européens, c’est de savoir si la zone euro est bien une zone économique optimale. C’est en principe pour cela qu’ils ont décidé de faire l’euro… A cette question économique, ils doivent apporter une réponse économique. Autrement, nous risquons d’entrer dans un monde absurde. Nous y sommes peut-être déjà. Ce monde pourrait ressembler à celui des Shadoks. On dirait : « il faut pomper, il faut pomper ! Même si cela ne marche pas ! Au moins, on a le sentiment que l’Europe existe ! ». L’Europe mérite tout de même mieux que cela !

Regardons les réalités en face, acceptons de débattre de toutes les hypothèses, sans préjugé politique. L’engagement européen ne se mesure pas à l’aune d’un système monétaire qui n’est qu’un moment dans la vie des peuples. Le monde de 2014 n’est plus celui des pères fondateurs de l’euro. Et prenons garde à ce fossé qui ne cesse de se creuser entre les dirigeants et les citoyens. En d’autres termes, au nom de l’Europe n’affaiblissons pas le projet européen et notre démocratie.

[1] Voir la note de lecture par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica

Source : Fondation Res Publica

===============================================================

“La monnaie unique est déjà morte. Vive la monnaie commune !” 

Entretien de Dominique Garabiol, membre du Conseil scientifique de la fondation Res Publica et professeur associé à Paris 8, à Marianne, le 22 août 2014. Propos recueillis par Emmanuel Lévy.Marianne : La nouvelle migration de travailleurs depuis les pays du Sud de la zone euro vers ceux du Nord et, en particulier, l’Allemagne, n’est-il pas le signe de la pleine réussite de la monnaie unique, au sens de l’émergence d’un ensemble homogène, comme le prévoit la théorie économique ?

Dominique Garabiol : C’est vrai, l’unification des marchés du travail en serait une des manifestations, et depuis le début les promoteurs de l’euro la guette. Mais ils se tromperaient en l’identifiant au mouvement actuel. Et il ne serait pas banal de se réjouir du malheur de cet exode lié au chômage de masse, car ce flux migratoire est d’abord le fruit de la destruction d’activités économiques, comme en Espagne.

Il faudrait en tout cas être aveugle pour ne pas voir que l’euro, ainsi que l’histoire économique nous l’enseigne, a renforcé la spécialisation régionale. Comme l’Italie du Nord a vampirisé l’industrie du Mezzogiorno, la mise en place d’une monnaie unique a conduit en Europe au renforcement du pôle industriel dominant, l’Allemagne, et à la marginalisation des centres industriels secondaires, France, Italie, Espagne… Selon Eurostat, en 2001, le niveau de vie (emplois, salaires, etc.) était à parité entre l’Allemagne, la France et l’Italie par exemple. Aujourd’hui, il est plus faible de 20 % pour l’Italien, de 13 % pour le Français.

Une telle catastrophe n’a été rendue possible qu’avec l’échec de l’Europe politique, inscrite elle-même dans les statuts de la Banque centrale. Car au lieu de faire converger les économies différentes qui composent la zone euro (cela aurait dû passer par une politique différenciée selon les pays et des actions volontaristes de répartition des activités), on a au contraire fait converger les politiques économiques. Et accentuer du même coup les déséquilibres.

Airbus nous en donne un exemple caricatural. Si on avait voulu faire converger les structures industrielles en Europe, on aurait placé sa nouvelle chaîne de production, non pas à Hambourg, mais à Valladolid ou à Salonique.

Vous semblez dénoncer davantage la politique économique que la monnaie unique ?
Ils sont indissociablement liés, mais il est vrai que c’est davantage la conception simpliste de la politique monétaire et du taux de change unique, que l’euro lui-même qui est en cause. Cette politique est responsable au premier chef des divergences productives qui conditionnent tout le reste au sein de la zone euro et de la situation critique de déséquilibre en faveur de l’Allemagne que nous vivons. Dans ces conditions, on peut faire comme avec le traité de Versailles et se répéter en boucle que l’Allemagne paiera, comme la région parisienne a payé pour la Creuse lors de la lente construction de la France. Mais c’est doublement chimérique. Non seulement les rares solidarités existantes entre la Grèce et l’Allemagne ne sont pas à la dimension des besoins, mais cela condamne l’Allemagne à payer ad vitam æternam, car les déséquilibres ne peuvent aller qu’en s’accentuant.

Tant qu’on focalise les débats sur la solidarité financière entre pays, on ne fait qu’accompagner la désagrégation de la zone euro, et au-delà de l’Europe. Car cela équivaut à dire : l’euro vivra tant que l’Allemagne paiera, alors qu’il n’y a aucune raison que l’Allemagne gagnante jusqu’à présent accepte de perdre systématiquement les parties suivantes.

Donc, selon vous l’euro est déjà mort ?
Oui, au moins dans la forme actuelle. S’il n’a pas explosé, c’est que la Banque centrale le soutient à bout de bras. Sans la BCE tout éclate. C’est le signe de la perte de crédibilité de l’euro. Mario Draghi a dit que la BCE ferait tout pour sauver l’euro. Selon un des scénarios possibles : une crise survient, la BCE rachète massivement les dettes des Etats qui font défaut et se retrouve, elle-même, au bord de la faillite au point qu’il y a urgence à la recapitaliser. Or, rares seront les Etats, eux-mêmes en détresse financière, qui pourront suivre. Et l’euro mourrait avec la BCE.

Quelles sont vos solutions ?
Historiquement, le choix de la monnaie unique est un choix politique. Un choix utopique même : dans l’impensé des dirigeants Français, l’euro est conçu comme une ligne Maginot pour contenir la puissance allemande. Et pas plus qu’elle, l’euro n’a tenu ses promesses.

Des alternatives ont été étudiées. Dès les années 1970, certains économistes européens, des libéraux notamment, ont pensé un système de monnaie commune. Elle a été reprise par les Anglais et quelques responsables politiques français de droite et de gauche lors des débats conduisant à la création de l’euro. En gros, il s’agit de partir de la double nature de l’union monétaire. Du point de vue de l’extérieur, c’est une zone homogène, pour laquelle une monnaie est adaptée. Mais, comme je l’ai dit précédemment, à l’échelle interne, l’hétérogénéité domine et, pire, elle s’est accentuée avec la monnaie unique.

Aujourd’hui, privées de l’instrument monétaire, le seul moyen dont les économies disposent pour s’ajuster les unes aux autres, passe par une modification des prix des facteurs de productions. Et notamment des salaires. Si la Grèce avait pu dévaluer son « euro drachme », elle aurait pu empêcher le chômage d’exploser autant et les salaires de se réduire de plus de 25 %. Idem pour le capital en France. Depuis l’arrivée de l’euro, la valeur du Cac 40, reflétant celle des 40 plus grandes entreprises tricolores, s’est dégradé de 55 % par rapport au Dax, son homologue allemand. Cinquante-cinq pourcents, c’est bien davantage que ce qu’entrainerait une dévaluation considérée comme mortelle !

Pratiquement, comment une monnaie commune fonctionne-t-elle ?
Nous avons deux périodes encore récentes qui permettent de comprendre comment fonctionnerait une monnaie commune. La première se situe entre 1999 et 2002. La zone euro bascule alors vers la monnaie unique qui n’est qu’une monnaie bancaire. Les autres agents de la zone continuent d’utiliser leur monnaie nationale, dont les parités sont fixées et qui deviennent des subdivisions de l’euro. L’autre période est celle du SME, le Système monétaire européen. L’ancêtre de l’euro, l’écu, joue alors bien le rôle de référence pour les monnaies de la zone qui peuvent s’ajuster, mais selon un corridor d’évolution trop étroit de 5%, ce qui a entrainé sa défaillance…

L’euro, comme monnaie commune, conserverait ses attributs pour le commerce international et les marchés financiers, alors que les monnaies nationales resteraient des subdivisions réservées aux échanges intérieurs comme en 1999-2002. Mais à la différence avec cette période, les parités des subdivisions nationales seraient ajustables en fonction des déséquilibres constatés, notamment en termes de balance extérieure et de taux de chômage, dans le cadre d’un SME protégé par l’euro de la spéculation internationale et doté d’un corridor plus large que le précédent. Le statut international de l’euro serait sauvegardé et la flexibilité monétaire permettant la cohésion de la zone serait retrouvée.

Il est aussi possible d’avoir une lecture moins simpliste des traités et de considérer que les objectifs assignés à la BCE, l’inflation mais aussi secondairement, l’équilibre de la balance extérieure, la stabilité des conditions monétaires et, en dernier ressort, le plein emploi, s’appliquent non à la moyenne de la zone — ce qui est la source de tous les problèmes —, mais à chaque pays selon un corps de règles uniques. L’utilisation d’instruments monétaires connus mais aujourd’hui délaissés, comme les réserves obligatoires et les montants compensatoires monétaires appliqués par pays, donnerait les moyens d’adapter les taux d’intérêts et les taux de change au niveau de compétitivité de chacun.

Vous êtes optimiste ?
Pas dans l’immédiat. Pourtant les exemples réussis de split, d’éclatement monétaire contrôlé, ne manque pas, notamment récemment en Europe de l’Est : l’URSS, la Tchécoslovaquie ou même la Yougoslavie où l’on s’est battu pour tout sauf pour la monnaie. Bien sûr il y aura des coûts. Mais ils sont déjà là à travers la multiplication des dévaluations internes. Soit on les paye lors d’une sortie de l’euro, idéalement selon un modèle de monnaie commune. Mais, on repart sur de bonnes bases de croissance. Soit il faut réduire encore les salaires et prestations sociales de 20 % en Grèce comme en Espagne et amorcer d’ici peu le même mouvement en Italie et en France. On a vu ce que cela a donné : la récession comme seul horizon, d’autant plus que la dette, elle, ne subit pas cette dévaluation interne.

Mais malheureusement la mise en place d’une solution de raison, comme la monnaie commune ne peut survenir qu’à l’occasion d’une nouvelle crise financière aigüe de l’euro au cours de laquelle les responsables politiques seront à nouveau confrontés au risque d’éclatement de la zone. Je m’interroge par exemple sur l’incompréhension de la contrainte qu’impose l’euro que font mine d‘ignorer jusque dans les rangs de la majorité ceux qui se désignent comme les « frondeurs ». Ils partent du principe que l’euro, c’est bien, mais pas la politique économique de François Hollande. Mais le plan de 50 milliards d’euros, c’est du petit bois au regard de ce à quoi nous contraint l’euro !

Source : Marianne

Source: http://www.les-crises.fr/crise-de-leuro-regarder-les-realites-en-face/


[BIG LOL] “Tout le monde pensait que la croissance allait reprendre. Tout le monde s’est trompé”, assume Sapin

Friday 12 December 2014 at 02:29

Le cynisme de ces gens là est sans fin… Le pire, c’est qu’ils se croient bons…

Michel Sapin, le 2/11/2014 :

Tout le monde de droite ou de gauche pensait que cette croissance reprendrait en Europe et en France à partir de mi-2013 et 2014. De ce point de vue, on peut dire que tout le monde s’est trompé.” [Michel Sapin, 2/11/2014]

Tout le monde ??? Non, certains tentent de résister à la bêtise…

Monsieur le ministre, il faut lire Dennis Meadows, scientifique du club de Rome :

(Lire ici)

(Lire ici)

Mais bon, lisez simplement ce billet de 2013 que je ressors - il vous aidera bien je pense…

Vous y verrez ceci par exemple, qui est une belle aide pour les prévisions de croissance…

Source: http://www.les-crises.fr/big-lol-tout-le-monde-pensait-que-la-croissance-allait-reprendre-tout-le-monde-sest-trompe-assume-sapin/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [4/4] : Florilège de discours de dirigeants américains (2012-2014)

Friday 12 December 2014 at 00:01

Suite du billet : Florilège de discours de dirigeants américains (2008-2012)

Le second mandat de Barack Obama

Barack Obama, 44e président des États-Unis : 2009 à nos jours
Discours d’inauguration, 21 janvier 2013

“Chaque fois que nous nous réunissons pour la prise de fonction d’un président, nous sommes les témoins de la force éternelle de notre Constitution. Nous réalisons la promesse de notre démocratie. Nous nous souvenons que ce qui lie ensemble cette Nation n’est pas la couleur de notre peau ou les piliers de notre foi, ou les origines de nos noms. Ce qui nous rend exceptionnels – ce qui fait de nous des Américains – c’est notre allégeance à une idée articulée dans une déclaration faite il y a plus de deux cents ans : nous tenons ces vérités comme évidentes et sans conteste, que tous les hommes ont été créés égaux ; que leur Créateur leur a accordé certains droits inaliénables ; que parmi ceux-ci se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Aujourd’hui, nous poursuivons un voyage éternel pour relier le sens de ces paroles avec les réalités de notre époque. Car si l’Histoire nous dit que ces vérités sont évidentes et sans conteste, elles ne se sont jamais accomplies d’elles-mêmes ; car si la liberté est un don de Dieu, elle doit être assurée par son peuple ici sur la Terre. [...] Les possibilités de l’Amérique sont sans limite, car nous détenons toutes les qualités que requiert ce monde sans frontières : jeunesse et conduite, diversité et ouverture, une capacité infinie à prendre des risques et un don pour la réinvention.

Mes compatriotes américains, nous sommes faits pour cet instant, et nous le saisirons – pour autant que nous le saisissions ensemble. [...] Nous, le peuple, croyons toujours que nos obligations en tant qu’Américains ne concernent pas seulement nous-mêmes mais également la postérité. [...] Nous soutiendrons la démocratie de l’Asie à l’Afrique, des Amériques au Moyen-Orient, parce que nos intérêts et notre conscience nous forcent à agir au nom de ceux qui aspirent à la liberté. Et nous devons être une source d’espoir pour les pauvres, les malades, les exclus, les victimes de discriminations – non seulement par simple charité, mais parce que la paix en nos temps requiert l’avancée constante de ces principes décrits par notre crédo commun : tolérance et chance, dignité humaine et justice. [...] Soumettons-nous, chacun d’entre nous, dans le devoir solennel et la joie immense, à ce qui est notre droit de naissance éternel. Dans un effort commun et un but commun, avec passion et dévouement, répondons à l’appel de l’Histoire et portons dans cet avenir incertain cette précieuse lumière de la liberté.

Barack Obama, Discours à la Nation sur la situation en Syrie, 10 septembre 2013

“Mes compatriotes américains, depuis presque sept décennies, les États-Unis ont été l’ancre de la sécurité mondiale. Cela nous a demandé bien plus que de forger de simples accords internationaux. Cela nous a demandé de les faire appliquer. Le fardeau du commandement est souvent lourd, mais le monde est meilleur parce que nous les avons portés. [...] Franklin Roosevelt a dit un jour, “Notre détermination nationale à rester loin des guerres et des embrouilles étrangères ne peut pas nous empêcher de nous sentir profondément inquiets lorsque les idéaux et les principes que nous avons chéris sont attaqués.” Nos idéaux et nos principes, tout comme notre sécurité nationale, sont en jeu en Syrie, tout comme l’est notre prééminence dans un monde où nous cherchons à nous assurer que les pires armes ne seront jamais utilisées. L’Amérique n’est pas le gendarme du monde. Des choses terribles se produisent partout sur le globe, et redresser tous les torts serait au-delà de nos moyens. Mais si, avec un effort et un risque modérés, nous pouvons stopper le gazage d’enfants – et par la même occasion, assurer une plus grande sécurité à nos enfants à long terme – je crois que nous devrions agir. C’est ce qui fait que l’Amérique est différente. C’est ce qui fait que nous sommes exceptionnels. Avec humilité, mais résolution, ne perdons jamais de vue cette vérité essentielle.

Réponse de Vladimir Poutine dans le New York Times – 12 septembre 2013 (traduction legrandsoir.info)

“Ma relation professionnelle et personnelle avec le président Obama est marquée par une confiance croissante. J’apprécie cela. J’ai étudié attentivement son discours à la nation de mardi dernier. Et je serais plutôt en désaccord avec un exemple qu’il a pris à propos de l’exceptionnalisme américain, en déclarant que la politique des États-Unis est “ce qui rend l’Amérique différente. C’est ce qui nous rend exceptionnels.” Il est extrêmement dangereux d’encourager les gens à se considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation. Il y a de grands pays et de petits pays, des riches et des pauvres, ceux qui ont de longues traditions démocratiques et ceux qui cherchent encore leur voie vers la démocratie. Leurs politiques diffèrent aussi. Nous sommes tous différents, mais quand nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux.”

Barack Obama, Discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, 24 septembre 2013

“Eh bien, je crois qu’un tel désengagement serait une erreur. Je crois que l’Amérique doit rester engagée pour notre propre sécurité. Mais je crois aussi que le monde est meilleur grâce à cet engagement. Certains pourraient ne pas être d’accord, mais je crois que l’Amérique est exceptionnelle, en partie parce que nous avons montré notre volonté, à travers le sacrifice du sang et de nos trésors, de nous lever non seulement pour nos propres intérêts égoïstes, mais dans l’intérêt de tous. Je dois cependant être honnête. Nous sommes bien plus susceptibles d’investir notre énergie pour des pays qui veulent travailler avec nous, qui investissent dans leur propre peuple plutôt que dans un petit nombre de corrompus [...] Parce que, de l’Europe à l’Asie, de l’Afrique aux Amériques, les nations qui ont persévéré sur le chemin de la démocratie en sont sorties plus prospères, plus pacifiques, et plus investies dans la défense de notre sécurité commune et de notre humanité commune. Et je crois que la même chose sera vraie pour le monde arabe.”

Barack Obama, Discours sur la Loi sur la poursuite des appropriations de 2014, le 17 octobre 2013

“L’Amérique est la pierre fondatrice de l’économie mondiale pour une bonne raison. Nous sommes la nation indispensable, que le reste du monde considère comme la zone la plus sûre et la plus fiable pour investir, ce qui a facilité les choses pour les générations d’Américains qui souhaitaient investir dans leur propre avenir. Nous assumons cette responsabilité depuis plus de deux siècles, grâce au dynamisme de notre économie et de nos entrepreneurs, à la productivité de nos travailleurs, mais aussi parce que nous tenons notre parole et que nous faisons face à nos obligations. Voilà ce que signifient la foi totale et le crédit : Vous pouvez compter sur nous.”

Barack Obama, Discours au quartier-général de DreamWorks Animation SKG, à Glendale, Californie, 16 novemebre 2013

Et croyez-le ou pas, les loisirs font partie de la diplomatie américaine. Cela fait partie de ce qui nous rend exceptionnels, de ce qui fait de nous une puissance mondiale. Vous pouvez aller n’importe où sur la planète et vous trouverez un gamin portant un T-shirt de “Madagascar”. Vous pouvez dire “Que la Force soit avec toi” et ils sauront de quoi vous parlez. Des centaines de millions de personnes ne mettront peut-être jamais les pieds aux États-Unis, mais grâce à vous, ils ont vécu un peu de ce qui rend notre pays spécial. Ils ont appris quelque chose de nos valeurs. Nous avons modelé une culture mondiale à travers vous. Et les histoires que nous racontons transmettent des valeurs et des idéaux sur la tolérance et la diversité ; et dans notre ADN nous avons la créativité et la capacité à surmonter les épreuves. Et en conséquence de ce que vous avez réalisé, vous avez contribué à modeler la culture mondiale dans un sens qui a rendu le monde meilleur.”

John Kerry, Secrétaire d’État, Washington DC
Discours lors de la Conférence du Conseil Atlantique “Vers une Europe Complète et Libre”

“Cela fait 15 ans, 10 ans et 5 ans que l’OTAN a accueilli des nouveaux partenaires dans l’ère de l’après-guerre froide. Et en même temps que nous nous sommes étendus en tant qu’organisation, que l’OTAN s’est étendu en tant qu’organisation, je crois qu’on peut facilement dire que nous avons également étendu la démocratie, la prospérité et la stabilité en Europe, que nous avons ouvert de nouvelles opportunités afin d’être en mesure de faire avancer la sécurité plus loin encore, et que nous avons stimulé la croissance économique autour du globe. [...]

De plus, à travers toute son histoire, je crois sans aucun doute, que l’OTAN a fait plus pour promouvoir la sécurité, la prospérité, et la liberté qu’aucune autre alliance dans l’Histoire de l’humanité.

[...] Nous sommes ensemble, Europe et États-Unis, deux des plus grands marchés du monde. Et de fait, nous pouvons sérieusement renforcer nos liens économiques, accélérer la croissance et la création d’emplois, et servir de tampon à tous les impacts négatifs des mesures que nous devons prendre, si nous avançons rapidement sur les deux rives de l’Atlantique pour finaliser le Partenariat Atlantique sur le Commerce et l’Investissement. Cet accord modifiera bien plus notre manière de faire des affaires et nos considérations stratégiques, que n’importe quel rapprochement économique, exception faite de l’indépendance énergétique.

Alors mes amis, j’achèverai simplement en disant à vous tous que cet instant – sans chercher aucunement la solennité parce que cet instant est suffisamment sérieux comme ça et n’en a pas besoin – cet instant est plus grand que nous-mêmes. De fait, c’est tout notre modèle de leadership mondial qui est en jeu. Et si nous nous serrons les coudes, si nous tirons notre force des leçons du passé et si refusons d’abandonner, alors je suis certain que l’OTAN, la plus puissante alliance de la planète, pourra faire face aux défis, pourra saisir à son avantage les opportunités que lui présentent les crises, et que nous pourrons avancer vers une Europe en paix, libre et forte.

C’est notre objectif, et nous avons hâte de travailler avec nos collègues ministres de chacun de ces pays pour atteindre ce but. Merci de m’accueillir parmi vous.”

Barack Obama, Discours d’accueil à l’Académie militaire des États-Unis de West Point, New York, le 2 mai 2014

“Voyez-vous, l’influence américaine est toujours plus forte lorsque nous donnons l’exemple. Nous ne pouvons nous exempter des règles qui s’appliquent au reste du monde. Nous ne pouvons pas appeler les autres à s’engager face au réchauffement climatique si une grande partie de nos dirigeants politiques nie qu’il a lieu. Nous ne pouvons pas essayer de résoudre les problèmes au Sud de la mer de Chine, alors que nous avons négligé la ratification de la Convention sur le Droit de la Mer par le Sénat, malgré le fait que nos meilleurs chefs militaires aient déclaré que ce traité soit une avancée pour notre sécurité nationale. Ce n’est pas du leadership, c’est une retraite. Ce n’est pas de la force, c’est de la faiblesse. Cela serait complètement étranger à des dirigeants tels que Roosevelt et Truman, Eisenhower et Kennedy. Je crois avec chaque fibre de mon être en l’exceptionnalisme américain. Mais ce qui nous rend exceptionnel n’est pas notre capacité à mépriser les normes internationales et le droit, c’est notre volonté de les affirmer au travers de nos actions. Et c’est pourquoi je continuerai à essayer de fermer Guantanamo, parce que les valeurs américaines et les traditions juridiques ne permettent pas la détention sans fin de personnes hors de nos frontières.

C’est pourquoi nous mettons en place de nouvelles restrictions sur la manière dont l’Amérique recueille et utilise les informations, parce que nous aurons de moins en moins de partenaires et serons de moins en moins efficaces si l’impression que nous menons une surveillance de masse se diffuse. L’Amérique ne fait pas que soutenir la stabilité et l’absence de conflit à tout prix. Nous soutenons une paix plus durable, qui peut seulement découler d’une démocratisation des opportunités et des libertés. Ce qui m’amène à ce quatrième et dernier élément du leadership américain : notre volonté d’agir au nom de la dignité humaine. Le soutien de l’Amérique pour la démocratie et les droits de l’Homme vont au-delà de l’idéalisme ; c’est une question de sécurité nationale. Les démocraties sont nos plus proches amis et sont bien moins susceptibles de partir en guerre. Les économies fondées sur le marché libre et ouvert ont de meilleures performances et deviennent des marchés pour nos marchandises. Le respect des droits de l’Homme est un antidote à l’instabilité et aux douleurs qui alimentent la violence et la terreur.”

Barack Obama, Discours lors d’un comité de collecte de fonds pour la campagne sénatoriale démocrate à Tisbury, Massachusetts, 11 août 2014

“Je veux souligner, néanmoins, à un moment où les médias semblent remplis de nouvelles d’Ukraine, de Gaza et d’Ebola et tout ce que vous voudrez, qu’à chaque fois, les gens cherchent en permanence à savoir comment l’Amérique peut aider à résoudre ces problèmes. Et il y a une raison à cela. Parce qu’en dépit des plaintes et des interprétations, et du sentiment anti-américain que vous entendez parfois à la télévision dans le monde, lorsqu’il y a un vrai problème, ils reconnaissent tous que nous sommes la seule nation indispensable. Ils reconnaissent tous que notre leadership est absolument crucial. Et cela est vrai tant pour les défis que pour les opportunités. [...] Voici ce en quoi je crois : de la même façon que lorsque nous sommes sortis avec résolution et pugnacité de la crise économique dans laquelle nous étions il y a cinq ans, je n’ai aucun doute quant à notre capacité à conduire le monde, unis en tant que pays, à travers les moments mouvementés que nous traversons dans les relations internationales. Mais tout cela requiert du sérieux à Washington.”

Barack Obama, Discours lors de la Convention nationale de la Légion américaine à Charlotte, Caroline du Nord, 26 août 2014

“Et comme nous sommes plus forts chez nous, les États-Unis sont en meilleure position encore pour conduire le XXIe siècle qu’aucune autre nation sur la Terre. Ils ne nous arrivent pas à la cheville. Nous avons la plus grande puissance militaire de l’Histoire. On est largement devant. De l’Europe à l’Asie, nos alliances sont sans rivales. Notre économie est la plus dynamique. Nous avons les meilleurs travailleurs. Nous avons les meilleurs hommes d’affaires. Nous avons les meilleures universités et les meilleurs scientifiques. Avec notre révolution énergétique nationale, y compris plus d’énergie renouvelable, nous sommes plus indépendants énergétiquement. Nos technologies relient le monde. Nos libertés et nos opportunités attirent les immigrants qui “sont avides de pouvoir respirer librement”. A travers le globe, nos idéaux fondateurs inspirent les opprimés qui recherchent leur propre liberté. Voilà qui nous sommes.

C’est ce qu’est l’Amérique. Et de plus, personne d’autre ne peut faire ce que nous faisons. Aucune autre nation ne fait plus que nous pour soutenir la sécurité et la prospérité dont le monde dépend. En temps de crise, aucune autre nation ne peut rallier de si grandes coalitions pour se dresser en défense du droit international et de la paix. En temps de désastres, aucune autre nation n’a la capacité d’aider autant et si vite. Aucune nation ne fait autant pour aider les citoyens à revendiquer leurs droits et à construire leurs démocraties. Aucune nation ne fait autant pour aider les gens dans les coins les plus reculés de la Terre à échapper à la pauvreté, à la faim, à la maladie, et à retrouver leur dignité. Même les pays qui nous critiquent, quand les jeux sont faits et qu’ils ont besoin d’aide, savent toujours qui appeler. C’est nous qu’ils appellent. C’est ça le leadership américain. C’est pour cela que les États-Unis sont et resteront la seule nation indispensable du monde.

Barack Obama, Discours au Forum DNC sur le leadership des femmes, 19 septembre 2014

“Nous avons vu que malgré tous les défis que nous avons affrontés chez nous, l’Amérique reste la seule nation indispensable au monde. Lorsque le monde est menacé, quand le monde a besoin d’aide, le monde nous cherche – cherche l’Amérique. Même les personnes qui nous calomnient nous cherchent. L’Amérique conduit l’effort pour rallier le monde contre l’agression russe. L’Amérique mène le combat pour endiguer et lutter contre l’épidémie d’Ebola en Afrique. L’Amérique mène la coalition qui va amputer et in fine détruire le groupe terroriste appelé EIIS. En tant qu’Américains, nous acceptons ces responsabilités ; nous ne reculons pas devant elles. [...] L’Amérique est mieux placée aujourd’hui que jamais pour saisir l’avenir. Nous sommes mieux placés qu’aucune autre nation sur Terre pour aider à modeler un monde meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants.

To be continued..

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Sources :

http://www.washingtonpost.com/blogs/post-politics/wp/2013/09/12/putin-america-is-not-exceptional/

http://blog.foreignpolicy.com/posts/2013/09/24/obama_fires_back_at_putin_i_believe_america_is_exceptional

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-44-florilege-2012-2014/


La puissance des lobbies contre l’intérêt public, par Lawrence Davidson

Thursday 11 December 2014 at 00:30

27 octobre 2014

Certains lobbies américains sont d’une puissance telle que les politiciens américains rampent peureusement à leurs pieds, sachant que s’ils s’élèvent pour défendre un intérêt national plus général leur carrière sera menacée, un fait plus particulièrement notable quand il s’agit d’Israël ou des armes à feu, comme l’explique Lawrence Davidson.

Par Lawrence Davidson

Le problème des groupes d’intérêt, ou lobbies, était l’un des principaux sujets d’inquiétude des Pères Fondateurs des États-Unis. A leur époque, ces groupes de pression étaient appelés factions.

James Madison, considéré comme l’architecte de la Constitution Américaine, a consacré à ce problème un numéro entier (le dixième) du Federalist Paper en 1787. Il y définissait une faction comme « un certain nombre de citoyens, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires [...] mus par quelque intérêt… commun, opposé… à l’ensemble des intérêts de la communauté », et pensait que dans le contexte du républicanisme libéral, il était impossible de les éliminer.


http://consortiumnews.com/wp-content/uploads/2014/03/kerry-aipac-2-300×200.jpg

Le Secrétaire d’état John Kerry s’exprime à la conférence de l’AIPAC (Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes) le 3 mars 2014.

Madison pensait néanmoins qu’on pouvait les contrôler. Dans ce but, il tenta de créer des corps représentatifs comportant de très nombreux délégués et une grande variété d’intérêts dans l’espoir qu’ils se contrebalanceraient les uns les autres.

Lorsque George Washington prononça son célèbre Discours d’Adieu en 1796, lui aussi constata le problème. Washington mit en garde contre l’existence d’« alliances et associations » qui tentent de « diriger, contrôler, contrecarrer et intimider les délibérations et les actions normales des autorités constituées », et ainsi de substituer leurs propres désirs à « la volonté de la nation confiée à ses représentants».

Comme le souci persistant de Washington l’impliquait, l’approche de James Madison pour contrôler les intérêts particuliers des factions ne s’est jamais révélée adéquate.

Lobbification

Aujourd’hui, le problème est toujours là, et il est pire que jamais. C’est pourquoi, en avril 2011, j’ai inventé le terme de « lobbification » pour décrire le processus corrupteur qui soumet les politiciens à la volonté d’intérêts privés, c’est-à-dire à la volonté des lobbies. Ce par quoi ce processus est rendu possible est, évidemment, l’argent, habituellement sous la forme de contributions aux campagnes des politiciens.

Si le politicien défie le lobby faisant l’offre (un événement rare mais pas inouï), ces intérêts privés reporteront leur soutien sur l’adversaire électoral du politicien rétif. Le résultat est que beaucoup de politiciens agissent en parfaite conformité avec les demandes de nombreux et puissants intérêts privés.

James Madison croyait que le processus corrupteur était la conséquence de la nature humaine – l’intérêt personnel en action. Peut-être en est-il ainsi, mais les résultats n’en sont pas moins débilitants. La lobbification a créé des réactions qui sont si pavloviennes qu’aujourd’hui, les politiciens qui sont dans cet état d’esprit ne peuvent plus différencier les intérêts particuliers de ces puissantes factions auxquelles ils sont redevables, des intérêts réels nationaux ou locaux de leur pays ou de leur communauté.

Deux exemples

Voici deux exemples récents de la puissance de la lobbification. Le 18 juillet, en réponse aux pressions du lobby sioniste, le sénat américain a voté unanimement le soutien à l’attaque en cours d’Israël sur la bande de Gaza. Ceci étant le fait d’un Congrès connu pour son incapacité à s’accorder sur à peu près n’importe quelle législation importante pour son propre pays !

Les sénateurs ont voté leur soutien, bien que l’offensive israélienne ait été de même nature que les attaques allemandes sur Londres durant le Blitz, et la destruction par les alliés de la ville allemande de Dresde vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Autrement dit, les Israéliens étaient engagés dans une opération à grande échelle ciblant des populations civiles. C’est un crime de guerre qui ne peut être présenté comme un acte d’autodéfense. Pourtant, le sénat américain, comme un seul homme, a publiquement soutenu ce comportement criminel.

Il faut noter ici qu’il y avait de sérieuses divergences d’opinion sur le comportement israélien parmi la population américaine – c’est à dire, celle qui compose le Sénat. Mais les sénateurs semblaient immunisés aux débats populaires et ont réagi comme s’ils représentaient le lobby sioniste, et pas le peuple américain.

Sur le plan intérieur, une loi significative, nationale ou locale, réglementant les armes à feu s’avère politiquement impossible à cause de l’influence de la National Rifle Association (NRA). Cela en dépit de la prolifération des morts et blessures en lien avec les armes à feu, dans nos maisons, dans nos rues, et dans nos écoles.

Les arguments des partisans de la NRA insinuent habituellement que la réglementation des armes à feu sonnerait le glas de la chasse, du tir sportif, des collectionneurs d’armes, et même de la capacité d’agir en légitime défense. Cependant, une réglementation rationnelle et raisonnable des armes n’est pas la même chose qu’une prohibition, et se conduire comme s’il n’y avait pas de différence est, à mon avis, un point de vue paranoïaque.

Ensuite, il y a l’argument du Deuxième Amendement, qui permet à beaucoup de partisans de la NRA de fantasmer et de croire qu’ils sont enrôlés dans une « milice bien réglementée » sans laquelle les États-Unis ne pourraient pas rester une société libre. Libre de quoi ? D’une potentielle autorité de l’état avec sa police et ses branches militaires immensément mieux armées ? C’est juste naïf. Si le gouvernement veut agir de façon dictatoriale, les membres armés de la NRA ne seront pas capables de l’arrêter.

En vérité, un contrôle rationnel des armes à feu ne menace pas notre liberté. Cela nous rendrait plus libres en augmentant notre sécurité contre la peste de la violence armée que le lobby de la NRA oblige actuellement beaucoup de nos politiciens à ignorer ou à nier.

Il est important de noter que la direction de la National Rifle Association échoue souvent à représenter fidèlement ses propres membres, et encore moins le grand public. Un sondage Pew de 2013 a trouvé que 74% des membres de la NRA ont soutenu la vérification pour tout le monde des antécédents pour la vente d’armes à feu aux particuliers (comme l’ont fait 94% de la population américaine en général). Néanmoins, sous la pression de la NRA, le sénat a voté contre cette exigence la même année.

Comme avec le lobby sioniste, et comme avec les préoccupations du public sur sa politique étrangère particulariste, beaucoup de sénateurs sont insensibles au débat populaire sur les contrôles des armes à feu, et répondent comme s’ils représentaient le lobby de la NRA et non le peuple américain.

Besoin de réglementation

Madison avait raison sur un point : la réglementation de la capacité des factions/intérêts privés/lobbies à influencer les politiciens et les politiques est une absolue nécessité. Cependant, nous nous heurtons là à un dilemme inextricable. Ce projet de loi de réglementation et d’autres efforts en rapport comme la réforme du financement des campagnes doivent provenir des ces mêmes politiciens qui sont financièrement liés aux intérêts privés.

A l’instar des grands drogués, ces hommes politiques semblent incapables de se désintoxiquer.

S’il y a une façon de sortir de ce dilemme, elle doit venir du grand public. Le mécontentement de longue date envers les politiciens, spécialement au niveau national, doit être canalisé en une campagne populaire pour libérer les législateurs et les décideurs politiques de l’influence de ces intérêts privés.

Envisagez-le comme un effort pour se débarrasser d’un obstacle historique à une bonne façon de gouverner. Si cela n’advient pas, les politiques étrangères qui ont fait naître tant d’hostilité antiaméricaine à travers le monde, et la politique intérieure qui a permis le meurtre aveugle de tant de citoyens innocents, continueront et en fait empireront.

Lawrence Davidson est professeur d’histoire à la West Chester University de Pennsylvanie. Il est l’auteur de Foreign Policy Inc.: Privatizing America’s National Interest; America’s Palestine: Popular and Official Perceptions from Balfour to Israeli Statehood; and Islamic Fundamentalism.

Source : Consortium News, le 27/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-puissance-des-lobbies-contre-linteret-public-par-lawrence-davidson/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [3/4] : Florilège de discours de dirigeants américains (2008-2012)

Thursday 11 December 2014 at 00:01

Suite du billet : Florilège de discours de dirigeants américains (1973-2008)

Le premier mandat de Barack Obama

Rudy Giuliani, candidat républicain à l’élection présidentielle de 2008
Allocution à la Société fédéraliste à Washington, DC, 16 novembre 2007

“Il y a des gens qui aujourd’hui, je crois, doutent que l’Amérique ait une mission particulière, voire d’inspiration divine, à l’échelle mondiale. Je ne comprends pas comment on peut observer l’histoire et ne pas voir la sagesse et la réalité de ce fait. La majorité des pays sur terre ont leur propre ethnie, leur propre religion, des caractéristiques communes qui unissent le peuple avant même qu’il soit une nation. L’Amérique est très, très différente. Nous ne sommes pas d’une seule appartenance ethnique, nous sommes toutes les ethnies. Nous ne sommes pas d’une seule race, nous sommes toutes les races. Nous ne sommes pas une seule religion. Notre société s’est établie de sorte que nous ne soyons pas une seule religion. Donc nous sommes aussi différents dans nos origines, qu’à peu près n’importe quel autre pays sur terre. [...] Nous sommes juste très, très chanceux et nous ne le reconnaissons pas, je ne pense pas que nous faisons honneur à notre histoire et à notre devoir. C’est cette nation qui a pris toutes ces idées qui se sont développées depuis très longtemps, issues de l’Ancien Testament, de la philosophie grecque, du Droit romain et des Lumières.

C’étaient vraiment des idées jusqu’à ce qu’elles aient été réellement mises en pratique et personne ne savait vraiment si ces idées mises en pratique marcheraient et l’Amérique l’a fait. Et l’Amérique a établi ce gouvernement démocratique constitutionnel sous la forme d’une République et cette nation a vu dès le début, que la tyrannie et l’oppression étaient illégitimes et qu’il fallait y faire face. C’est cette nation qui a sauvé le monde des deux grandes tyrannies du XXe siècle, le nazisme et le communisme. C’est ce pays qui est en passe de sauver une civilisation du terrorisme islamique. Les États-Unis d’Amérique ont été et continueront d’être une lueur d’espoir pour le monde. […] Cette génération d’Américains est aussi forte que les précédentes générations, parce que nous venons d’eux et que nous leur devons, à eux comme à nous-mêmes, de nous assurer que ce principe de démocratie et de liberté est respecté, préservé et étendu partout dans le monde.”

Barack Obama, 44e président des États-Unis
Conférence de presse du président à Strasbourg, 4 avril 2009

- Question : [...] puis-je vous demander si vous souscrivez, ainsi que beaucoup de vos prédécesseurs l’ont fait, à l’école de l’exceptionnalisme américain qui voit l’Amérique comme spécialement qualifiée pour diriger le monde, ou avez-vous une philosophie légèrement différente ? Auquel cas, pourriez-vous entrer dans les détails à ce sujet ?


- Barack Obama : Je crois à l’exceptionnalisme américain, comme je soupçonne les Britanniques de croire en l’exceptionnalisme britannique et les Grecs en l’exceptionnalisme grec. Je suis extrêmement fier de mon pays et de son rôle et son histoire dans le monde. Si vous songez à cet endroit où a lieu ce sommet et ce qu’il signifie, je ne pense pas que l’Amérique devrait être embarrassée de voir les preuves des sacrifices de nos troupes, la quantité immense de ressources qui furent engagées en Europe après la guerre, et notre leadership dans la construction d’une alliance qui a finalement mené à l’unification de l’Europe. Nous devrions être fiers de tout cela.

Et si vous pensez à notre situation actuelle, les États-Unis demeurent la plus grande économie du monde. Nous avons des capacités militaires inégalées. Et je pense que nous avons un système de valeurs qui est sanctuarisé dans notre Constitution, dans notre code législatif, dans nos pratiques démocratiques, et dans notre foi en la liberté d’expression et en l’égalité qui, quoique imparfaites, sont exceptionnelles.

Dès lors, le fait que je sois très fier de mon pays et que je pense que nous avons beaucoup à offrir au monde ne diminue en rien mon intérêt à reconnaître la valeur et les merveilleuses qualités des autres pays, ou à reconnaître que nous n’aurons pas toujours raison, ou que d’autres gens puissent avoir de bonnes idées, ou qu’afin que nous puissions travailler collectivement, toutes les parties se doivent de faire des compromis, nous y compris.

Barack Obama, Discours à l’Académie militaire des États-Unis de West Point, New York, 22 mai 2010

“Aujourd’hui, même si nous combattons dans les guerres qui sont en face de nous, nous devons aussi voir l’horizon au-delà de ces guerres, car contrairement à un terroriste dont le but n’est que de détruire, notre avenir sera défini par ce que nous bâtissons. Nous devons voir cet horizon, et pour y parvenir nous devons poursuivre une stratégie de renouveau national et de leadership global. Nous devons construire les sources de la force américaine, influencer et modeler un monde qui sera plus pacifique et plus prospère.

Barack Obama, Discours devant les chambres du Parlement de Londres, Angleterre, 25 mai 2011

“Et pourtant, alors que ce changement rapide a eu lieu, il est devenu à la mode, dans certains quartiers, de remettre en question le fait de savoir si l’émergence de ces nations s’accompagnera du déclin de l’influence américaine et européenne sur le monde. Peut-être, dit-on, que ces nations représentent l’avenir, et que le temps de notre domination est passé.

Cet argument est faux. Le temps de notre domination, c’est maintenant. Ce sont les États-Unis et le Royaume-Uni et nos alliés démocratiques qui ont modelé un monde dans lequel de nouvelles nations peuvent émerger et les individus s’épanouir. Et même si plus de nations endossent les responsabilités d’un leadership mondial, notre alliance reste indispensable pour atteindre notre objectif d’un siècle plus pacifique, plus prospère et plus juste.

Au moment où les menaces et les défis exigent des nations qu’elle travaillent de concert les unes avec les autres, nous restons le plus grand des catalyseurs de l’action mondiale. Dans une ère définie par le flux rapide du commerce et de l’information, c’est notre tradition de libre échange, notre ouverture, renforcées par notre implication à offrir la sécurité de base à nos citoyens, qui offre la meilleure chance d’avoir une prospérité à la fois forte et partagée. Tandis qu’on refuse encore à des millions de personnes les droits humains de base en raison de qui ils sont, ou de ce qu’ils croient, ou du type de gouvernement auquel ils sont soumis, nous sommes les nations les plus volontaires pour nous lever au nom de la défense des valeurs de tolérance et d’autodétermination qui conduisent à la paix et à la dignité.”

Barack Obama, Déclarations lors d’une collecte de fonds pour la Victoire d’Obama à San Francisco, Californie, le 16 février 2012

“Les peuples admettent que nous restons la seule nation indispensable, non pas seulement parce que nous sommes grands et puissants, mais aussi parce que nous avons cette idée qu’il y a certains principes universels, droits universels et normes internationales, qui doivent être respectés et que nous sommes peut-être la seule superpuissance dans l’histoire à chercher non seulement son propre intérêt personnel, mais aussi ce qui est bon pour reste du monde. Et cela fait partie de notre pouvoir.”

Barack Obama, Discours d’introduction à l’école de l’armée de l’air des États-Unis de Colorado Springs, Colorado, 23 mai 2012

“Avec toutes les tragédies que nous avons su surmonté, on peut penser que les gens puisse comprendre cette évidence : ne jamais parier contre les États-Unis d’Amérique. Et l’une des raisons à cela est que les États-Unis ont été, et seront toujours, la seule nation indispensable dans les affaires du monde. C’est un des nombreux exemples qui montrent pourquoi l’Amérique est exceptionnelle. C’est pourquoi je suis fermement convaincu que si nous accédons à ce moment de l’Histoire, si nous faisons face à nos responsabilités, alors – tout comme l’a été le XXe siècle - le XXIe sera un autre Grand Siècle Américain. C’est l’avenir que je vois. C’est l’avenir que vous pouvez construire.

Je vois un siècle américain parce que nous avons la force de traverser cette période économique difficile. Nous allons remettre l’Amérique au travail en investissant dans les domaines où nous restons compétitifs – l’éducation et les industries de pointe, la science et l’innovation. Nous rembourserons nos crédits, réformerons notre code fiscal et continuerons à réduire notre dépendance vis-à-vis du pétrole étranger. Nous devons bâtir notre nation ici, chez nous. Et je sais que nous le pouvons, parce que nous sommes toujours l’économie la plus grande, la plus dynamique et la plus innovante du monde. Et quels que soient les défis auxquels nous ferons face, nous n’échangerons notre place avec aucune autre nation de la Terre.

Je vois un siècle américain parce vous appartenez à la meilleure et à la plus compétente armée que le monde ait jamais connue. Aucune autre nation ne vous arrive à la cheville. Oui, alors que les guerres d’aujourd’hui prennent fin, notre armée – et notre aviation – va se réduire. Mais en tant que Commandant en chef, je ne laisserai pas les erreurs passées se reproduire. Nous faisons encore face à de très sérieuses menaces. Comme nous l’avons vu ces dernières semaines, avec Al-Qaida au Yémen, il y a encore des terroristes qui cherchent à tuer nos ressortissants. Donc nous avons besoin que vous soyez prêts à répondre à toutes sortes de menaces. Des menaces conventionnelles aux menaces non-conventionnelles, des nations cherchant à obtenir des armes de destruction massives jusqu’aux cellules terroristes planifiant leur prochain attentat, du danger de la vieille piraterie aux nouvelles attaques cybernétiques – nous devons être vigilants. Et ainsi guidés par notre stratégie militaire, nous conserverons une armée – et une aviation – rapide, flexible et polyvalente. Nous maintiendrons notre supériorité militaire dans tous les domaines – aérien, terrestre, marin, spatial et cybernétique. Et nous garderons foi en nos soldats et en nos corps d’armées. [...]

Et pour terminer, je vois un siècle américain en raison du caractère de notre pays – l’esprit qui nous a toujours rendus exceptionnels. Cette idée simple mais révolutionnaire – présente depuis notre fondation et qui n’a jamais quitté nos cœurs – qu’il est en notre pouvoir de construire un monde nouveau et de faire de l’avenir ce que nous voulons qu’il soit. C’est cette foi fondamentale – cet optimisme américain – qui dit qu’aucun défi n’est trop grand, qu’aucune mission n’est trop ardue. C’est l’esprit qui guide votre classe : “Aucune hésitation, aucun échec”. C’est l’essence de l’Amérique, et il n’y a rien de comparable ailleurs dans le monde.

C’est ce qui inspire les opprimés de chaque coin du monde qui réclament les mêmes libertés pour eux-mêmes. C’est ce qui a inspiré des générations abordant nos rivages, nous renouvelant de leur énergie et de leurs espoirs. Et cela inclut un cadet parmi vous, un cadet qui célèbre sa promotion aujourd’hui, qui a grandi au Venezuela, a pris un aller-simple pour l’Amérique, et est aujourd’hui sur le point de réaliser son rêve de devenir un pilote de l’aviation des États-Unis : Edward Camacho. Edward a déclaré ce que nous savons tous être vrais : “Je suis convaincu que l’Amérique est la terre de toutes les opportunités.”

Vous avez raison, Edward. C’est ce que nous sommes. C’est l’Amérique que nous aimons. Toujours jeune, toujours tournée vers l’avant, vers cette lumière d’une nouvelle aube à l’horizon. Et, cadets, en vous regardant dans les yeux – quand vous rejoindrez la Longue Ligne Bleue – je sais que vous nous porterez encore plus loin, encore plus haut. Et grâce à votre fier dévouement, je suis absolument certain que les États-Unis d’Amérique passeront les épreuves de notre époque. Nous resterons la terre de toutes les opportunités. Et nous resterons forts, la plus grande force pour la liberté et pour la dignité humaine que le monde ait jamais connu.

Que Dieu vous bénisse. Que Dieu bénisse la classe de 2012. Et que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique.”

Barack Obama, Discours à la Convention nationale des Vétérans des guerres extérieures à Reno, Nevada, 23 juillet 2012

“Parce que vous avez protégé l’Amérique, nous allons transmettre à la prochaine génération notre pays plus fort, plus sûr, et plus respecté dans le monde. Alors si quiconque essaie de vous dire que notre grandeur est passée, que l’Amérique est en déclin, vous lui répondez : exactement comme le XXe siècle, le XXIe siècle sera un autre grand siècle américain. Parce que nous sommes les Américains, bénis d’avoir la plus grande forme de gouvernement jamais conçue par l’homme, une démocratie vouée à la liberté et au service des idéaux qui éclairent toujours le monde. Nous ne demanderons jamais pardon pour notre style de vie ; nous ne renoncerons jamais à le défendre.

Nous sommes une nation qui a libéré des hommes par millions et qui a transformé ses adversaires en alliés. C’est nous, les Américains, qui avons défendu la paix et riposté à l’agression. C’est nous, les Américains, qui avons embrassé nos responsabilités mondiales et notre leadership mondial. Les Etats-Unis ont été et resteront, la seule nation indispensable dans les affaires du monde.

Et vous, vous êtes les soldats, les marins, les aviateurs, les forces spéciales et les gardes-côtes qui ont fait que nous sommes restés forts. Nous honorerons votre héritage. Et nous veillerons à ce que l’armée que vous avez servie et l’Amérique que nous aimons demeure la force la plus grande pour la liberté que le monde ait jamais connue.

The Washington Post : “Exceptionnalisme américain : une vieille idée et une nouvelle bataille politique”, 29 novembre 2010

“Cette réorientation qui s’écarte de la célébration de l’exceptionnalisme américain est erronée et vouée à l’échec”, écrit l’ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney dans son livre de lancement de campagne : “Pas d’excuses : en faveur de la Grandeur de l’Amérique”.

Lundi, le représentant Mike Pence (Républicain – indépendant), qui est également considéré comme un possible candidat à la Maison Blanche, doit faire un discours au Club économique de Détroit : “Restaurer l’exceptionnalisme américain : une vision pour la croissance économique et la prospérité”.

Pour l’ancien gouverneur de l’Alaska Sarah Palin, le concept est un thème récurrent de ses discours, ses publications Facebook, ses tweets et ses apparitions sur la chaîne Fox News. Son nouveau livre, “l’Amérique par cœur”, a un chapitre intitulé “L’exceptionnelle Amérique“.

Newt Gingrich, l’ancien président de la Chambre, relève dans ses discours que les vues d’Obama sur le sujet sont “franchement alarmantes”.

Lors d’une interview au mois d’août pour Politico, l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee est allé jusqu’à déclarer à propos de Barack Obama : “Sa vision du monde est radicalement différente de celle qu’ont eue jusqu’à présent tous les présidents, républicains ou démocrates” [...] Nier l’exceptionnalisme américain revient, en substance, à renier le cœur et l’âme de cette nation.

Et la semaine dernière, Rick Santorum, ancien sénateur de Pennsylvanie, a dit à un groupe d’étudiants du “College Republicans at American University” : “Ne soyez pas dupes de ce mensonge. L’Amérique est exceptionnelle, et les Américains sont inquiets qu’un groupe de gens à Washington n’y croient plus”.

[...] C’est également ancré dans la croyance religieuse. Un récent sondage de l’Institut de Recherche sur la Religion et de l’Institut Brookings montre que 58 % des Américains approuvent l’affirmation : “Dieu a donné à l’Amérique un rôle particulier dans l’histoire de l’humanité”.

Rick Perry, candidat à la présidence 2012
Remarques annonçant la candidature à la présidentielle à Charleston, Caroline du Sud, 13 août 2011

“Pour paraphraser Abraham Lincoln et Ronald Reagan, j’ai réalisé que les États-Unis d’Amérique sont vraiment le dernier grand espoir de l’humanité. J’ai vu des systèmes de gouvernement qui élevaient des dirigeants au détriment du peuple. Les systèmes socialistes se drapaient dans de bonnes intentions mais ne prodiguaient que misère et stagnation. Puis j’ai appris que tout le monde ne considérait pas la vie avec autant de valeur que les Américains, et que tout le monde n’avait pas la même conception que les états-Unis, des droits qu’un Dieu d’amour distribue à chaque être humain. Voyez-vous, en tant qu’Américains nous ne sommes pas définis par notre classe, et jamais on ne nous assignera notre place. Ce qui fait que notre nation est exceptionnelle, c’est que chacun, quelle que soit son origine, peut monter jusqu’aux plus hauts sommets.

Mitt Romney, candidat Républicain à l’élection présidentielle de 2012
Remarques sur la politique étrangère des États-Unis, Charleston, Caroline du Sud, 7 octobre 2011

“Mais je suis ici aujourd’hui pour vous dire que je suis guidé par une conviction et une passion inébranlables : Ce siècle doit être un siècle américain. Lors d’un siècle américain, l’Amérique a l’économie la plus forte et l’armée la plus puissante du monde. Lors d’un siècle américain, l’Amérique dirige le monde libre et le monde libre dirige le monde entier. Dieu n’a pas créé ce pays pour être une nation de suiveurs. L’Amérique n’est pas destinée à être une puissance planétaire parmi d’autres, d’égal à égal. L’Amérique doit diriger le monde, ou quelqu’un d’autre le fera. Sans le leadership américain, sans la direction déterminée et la résolution américaines, le monde devient un lieu bien plus dangereux, et la liberté et la prospérité seraient parmi les premières victimes. Soyons bien clairs. En tant que président des États-Unis, je me dévouerai à un siècle américain. Et jamais au grand jamais je ne demanderai pardon au nom de l’Amérique.

Certains pourraient demander, “Pourquoi l’Amérique ?” Pourquoi l’Amérique devrait-elle être différente des autres pays autour du globe ?” Je crois que nous sommes un pays exceptionnel avec un destin et un rôle uniques au monde. [...] Nous sommes exceptionnels parce que nous sommes une nation fondée sur une idée rare qui naquit lors de la Révolution américaine, proposée par nos plus grands hommes d’État, dans nos documents fondateurs. Nous sommes un peuple qui a rejeté le joug de la tyrannie et a établi un gouvernement, selon les mots d’Abraham Lincoln, “du peuple, par le peuple, et pour le peuple.” Nous sommes un peuple qui, selon les termes de notre déclaration d’Indépendance, tient certaines vérités pour évidentes par elles-mêmes : à savoir que tous les hommes reçoivent de leur Créateur certains droits inaliénables. Nous croyons en l’universalité de ces droits inaliénables qui nous amènent à notre rôle exceptionnel sur la scène du monde, celui d’un grand champion de la dignité humaine et de la liberté.”

Jon Huntsman, candidat à la Présidentielle 2012
Discours à l’université Sud du New Hampshire, à Manchester, 10 octobre 2011

“Je crois que les États-Unis ont l’opportunité d’une génération, celle de redéfinir leur place dans le monde, et reprendre le sceptre du leadership mondial. L’approche de mon administration des affaires étrangères sera guidée par ce qui définit l’exceptionnalisme américain, et ce sont nos valeurs : la liberté, la démocratie, les droits de l’Homme, le libre marché. Les valeurs de l’Amérique, Mesdames et Messieurs, sont le plus grand cadeau de l’Amérique à l’humanité. Avec ces nations qui partagent nos valeurs, et que nous appelons amies et alliées, nous rétablirons la confiance et renforcerons nos liens, à la fois économiques et militaires. Aux nations qui continuent à s’opposer à la marche invincible de la liberté humaine, politique et économique, nous leur ferons voir clairement qu’elles sont du mauvais côté de l’Histoire, en nous assurant que la lumière de l’Amérique brille de manière éclatante à chaque coin du globe, tel un phare d’espoir et d’inspiration.

Convention nationale démocrate 2012, “Faire avancer l’Amérique”

“Le président Obama et le parti Démocrate savent qu’il n’y a aucune responsabilité plus grande que la protection des Américains. Nous comprenons aussi le rôle indispensable que les États-Unis doivent continuer à jouer dans la promotion de la paix internationale et de la prospérité. Et grâce aux étapes que nous avons franchies, les États-Unis sont en tête encore une fois et l’Amérique est plus en sécurité, plus forte et plus sûre qu’il y a quatre ans.”

Barack Obama, Discours devant une session commune du Congrès sur l’état de l’Union, le 24 janvier 2012

“Quelqu’un qui vous dit autre chose, qui vous dit que l’Amérique est en déclin ou que notre influence est en perte de vitesse, ne sait pas de quoi il parle. Ce n’est pas le message que nous transmettent les leaders du monde entier qui sont impatients de travailler avec nous. Ce n’est pas ainsi que les gens le ressentent de Tokyo à Berlin, de Cape Town à Rio, où les avis concernant l’Amérique sont plus favorables qu’ils ne l’ont été depuis des années. Oui, le monde change. Non, nous ne pouvons pas contrôler chaque événement. Mais l’Amérique reste la nation indispensable dans les affaires mondiales et tant que je serai Président, je poursuivrai dans cette voie.”

ABC News : Obama repousse Romney sur “l’exception américaine”, 2 avril 2012

“Notre président a une conception de l’exceptionnalisme américain, qui est totalement différente de la nôtre,” a déclaré Romney samedi. “Et je pense que, ces trois ou quatre dernières années, des gens dans le monde entier ont commencé à remettre cela en question. Ce mardi, nous avons l’occasion – vous avez l’occasion – de voter et de franchir la prochaine étape dans la réhabilitation de la nature exceptionnelle du peuple américain.”

Barack Obama, Conférence de presse du président avec le président mexicain Calderon et le Premier ministre canadien Harper, 2 avril 2012

- Question : Et ensuite une question pour le président Calderon et le premier ministre Harper : Pendant le week-end, le gouverneur Mitt Romney a dit que les États-Unis avaient eu l’habitude de promouvoir la libre entreprise dans le monde entier et il a dit, “Notre président a une conception de l’exceptionnalisme américain, qui est totalement différente de la nôtre, et je pense que, ces trois ou quatre dernières années, des gens dans le monde entier ont commencé à remettre cela en question.” Donc ma question à vous deux est : est-ce que vous pensez que l’influence américaine a diminué ces trois ou quatre dernières années ? Et monsieur le président Obama, si vous souhaitez également répondre.

- Barack Obama : Et bien, sur la seconde partie de votre question, c’est encore la saison des primaires au parti républicain. Il vont désigner celui qui va être leur candidat. Ça ne compte pas que le premier discours que j’ai prononcé sur la scène nationale, lors de la convention démocrate, ait porté entièrement sur l’exceptionnalisme américain et que toute ma carrière ait été une preuve de cette défense de l’exceptionnalisme américain. Mais je ne vais pas m’occuper de ces personnes pour l’instant, parce qu’ils en sont encore à essayer d’obtenir leur nomination. »

Barack Obama, Discours lors d’un meeting de campagne à Glen Allen, en Virginie, le 14 juillet 2012

“Et à travers ces voyages que j’ai effectué lors de ma première campagne, je suis souvenu de cette idée fondamentale qui est centrale pour ce pays, ce qui nous rend exceptionnels, ce qui nous rend supérieurs. Ce n’est pas le nombre de nos gratte-ciels ; ce n’est pas la puissance de notre armée. Ce qui nous rend spéciaux, c’est cette idée que dans ce pays, si tu acceptes de travailler dur, si tu acceptes de prendre ta vie en main, alors tu peux réussir si tu essaies. Peu importe d’où tu viens, peu importe ton apparence, peu importe ton nom de famille, peu importe la modestie de tes débuts. Tu peux y arriver dans ce pays si tu travailles dur. Parce que l’Amérique n’a jamais été un pays de Cocagne. Nous sommes une nation de travailleurs d’entrepreneurs, de rêveurs et de preneurs de risques. Nous travaillons pour obtenir nos résultats. Et tout ce que nous demandons en tant qu’Américains, c’est que notre labeur soit récompensé. Tout ce que nous demandons, c’est que notre responsabilité soit récompensée pour que, si nous y mettons assez d’efforts, nous puissions trouver un travail pour payer les factures, nous puissions nous offrir une maison bien à nous, nous ne soyons pas sur la paille lorsque nous sommes malades, et pour qu’on se prenne des vacances en famille de temps en temps, rien d’extravagant.”

Plateforme du parti républicain en 2012, le 27 août 2012

“Nous sommes le parti de la paix issue de la force. Professant l’exceptionnalisme américain – la conviction que notre pays détient une place et un rôle unique dans l’histoire de l’humanité – nous sommes fiers de nous associer à ces Américains de tous les horizons politiques, qui, il y a plus de trois décennies, dans un monde aussi dangereux que celui d’aujourd’hui, se sont unis pour faire avancer la cause de la liberté. En rejetant la folie d’une politique étrangère d’amateurs et en défiant l’avancée marxiste mondiale, ils ont annoncé leur stratégie avec le slogan indémodable que nous répétons aujourd’hui : la paix issue de la force – une paix solide fondée sur la liberté et la volonté de la défendre, et sur les valeurs démocratiques américaines et la volonté de les défendre. Alors que le XX siècle a été indéniablement un siècle américain – avec un leadership puissant, l’adhésion aux principes de liberté et de démocratie que nos Pères fondateurs ont scellés dans la Déclaration d’Indépendance et dans la Constitution de notre nation, et dans une confiance perpétuelle dans la Divine Providencele XXI siècle sera lui aussi un siècle de grandeur américaine.

Les adversaires d’aujourd’hui sont différents, tout comme le sont leurs armes et leur idéologie, mais cela revient au même : l’unité des Américains, par-delà les partis, en hommage à ceux qui ont défendu notre pays et pourchassé ses attaquants jusqu’au bout du monde, et monté une garde vigilante aujourd’hui dans nos villes, sur nos côtes et dans les pays étrangers. Nous assurons à nos soldats l’autorité et les ressources dont ils ont besoin pour protéger la nation et pour défendre la liberté de l’Amérique. Poursuivre notre vigilance, en particulier sur les voyages et le commerce, est nécessaire pour empêcher le bioterrorisme et le cyberterrorisme, et tous les autres actes de guerre asymétriques et non-traditionnels, et pour s’assurer que l’horreur du 11 septembre 2001 ne se répètera jamais sur notre sol.”

À suivre dans le billet suivant : Florilège de discours de dirigeants américains (2012-2014)

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Sources :

http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/11/28/AR2010112804139.html?sid=ST2010112901818

http://blog.foreignpolicy.com/posts/2012/09/04/democratic_platform_swaps_american_exceptionalism_for_indispensable_nation

http://blog.foreignpolicy.com/posts/2012/08/27/american_exceptionalism_and_other_key_lines_in_the_gop_platform?wp_login_redirect=0

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-34-florilege-2008-2012/


Le Rapport Anti-Empire n° 133, par William Blum

Wednesday 10 December 2014 at 04:30

Intéressant billet de William Blum (né en 1933 – 81 ans), qui est un écrivain et journaliste américain critique de la politique étrangère des États-Unis.

Par William Blum – Publié le 16 octobre 2014

L’État Islamiste

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que les États-Unis ou ses médias grand public disent du conflit actuel impliquant l’État Islamique (EIIL).

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que la France ou le Royaume-Uni disent de l’EI.

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, la Jordanie, ou les Émirats Arabes Unis disent de l’EIIL. Pouvez-vous dire avec certitude quel côté du conflit est en réalité financé, armé et entraîné par l’un de ces pays du Moyen-Orient, si en fait ils ne soutiennent qu’un seul côté ? Pourquoi laissent-ils leurs jeunes enragés rejoindre les extrémistes islamiques ? Pourquoi la Turquie, membre de l’OTAN, laisse-t-elle autant d’extrémistes islamiques traverser ses frontières pour rejoindre la Syrie ? La Turquie est-elle plus intéressée par l’élimination de l’État Islamique ou des Kurdes assiégés par l’EIIL ? Ces pays, ou ces puissances occidentales, sont-ils plus préoccupés par le renversement de l’EIIL ou par le renversement du gouvernement syrien de Bachar el-Assad ?

Vous ne pouvez pas croire les soi-disant rebelles syriens « modérés ». Vous ne pouvez même pas croire qu’ils sont modérés. Ils ont la main sur tout, et tout le monde a la main sur eux.

L’Iran, le Hezbollah et la Syrie combattent l’EIIL ou ses précurseurs depuis des années, mais les États-Unis ont refusé de s’allier pour la bataille avec l’une de ces entités. Washington n’a pas imposé non plus de sanction à un quelconque pays soutenant l’EIIL, comme il l’a fait promptement pour la Russie en raison de son rôle supposé en Ukraine.

Les fondations de cet abominable embrouillamini d’horreurs politiques et religieuses qui balaient le Moyen-Orient ont été creusées – profondément creusées – par les États-Unis durant les 35 ans (de 1979 à 2014) passés à renverser les gouvernements séculiers d’Afghanistan, d’Iraq, de Libye et de Syrie (comme supplément à la pagaille ambiante durant la même période il ne faut pas oublier les bombardements américains incessants du Pakistan, de la Somalie et du Yémen). On ne peut pas détruire des sociétés modernes, relativement développées et éduquées, en déchirer le tissu social, politique, économique et juridique, torturer des milliers de personnes, en tuer des millions, et s’attendre à la survie de la civilisation et de la décence humaine.

Un point crucial de ces fondations a été la décision américaine de, pour faire simple, jeter à la rue, sans emploi, 400 000 Irakiens formés au combat, dont un corps complet d’officiers. C’était la formule parfaite pour créer une insurrection. Humiliés et amers, certains de ces hommes rejoindront par la suite divers groupes de résistance qui agissent contre l’occupation de l’armée américaine. On peut avancer sans trop de risques que la plus grande partie des véhicules blindés, des armes et munitions et des explosifs qui tuent à chaque minute au Moyen-Orient, sont estampillés « Made in USA ».

Et tous les chevaux de Washington, tous les gens d’armes de Washington, ne peuvent plus réparer ce monde. [NdT : Allusion à la comptine Humpty Dumpty : And all the king's horses and all the king's men couldn't put Humpty together again.] Le monde sait, à présent, que ces endroits sont des «États ratés ».

Pendant ce temps, les États-Unis bombardent la Syrie quotidiennement, officiellement parce que les États-Unis sont en guerre contre l’EIIL, mais en endommageant gravement par la même occasion les capacités de production pétrolière de ce pays (un tiers du budget du gouvernement syrien), ses capacités militaires, ses infrastructures, même ses réserves alimentaires, prenant d’innombrables vies d’innocents, détruisant des sites antiques ; le tout rendant le relèvement d’une Syrie dirigée par Assad ou de toute autre Syrie hautement improbable. Washington cherche sans doute des moyens pour dévaster tout autant l’Iran sous couvert de combattre l’EIIL.

Rien de bon ne peut être dit sur cette terrible situation. Toutes les issues semblent horribles. Tous les participants, de quelque côté que ce soit, sont très suspects, quand ils ne sont pas criminels et déments. Cela pourrait être la fin du monde. A quoi je réponds : bon débarras. Bien essayé, les humains ! Je dirais même, BEL ESSAI… mais bon débarras quand même ! EIIL… Ebola… Changement climatique… irradiation nucléaire… L’Empire… Lequel nous aura le premier ?… Bonne journée.

Le monde est-il plus mauvais et effrayant aujourd’hui qu’il ne l’était dans les années 50 où j’ai grandi, pour lequel croît ma nostalgie à chaque nouvelle horreur ? Ou serait-ce que les horreurs d’aujourd’hui sont bien mieux médiatisées, puisque nous nageons tous dans un océan d’information et de vidéos ?

Après avoir visionné plusieurs vidéos de l’EIIL sur Internet, remplies de scènes des plus dégoûtantes, contre les femmes particulièrement, voici ce que je pense : donnez-leur leur propre pays ; celui qui y habite actuellement et qui veut partir, sera aidé à partir ; toute personne dans le monde qui voudra y aller, sera aidée à le faire. Une fois sur place, ils pourront y faire ce qu’ils voudront, mais ils ne pourront s’en aller qu’après avoir passé des entretiens rigoureux à la frontière afin de s’assurer qu’ils auront retrouvé leur attachement à l’humanité. Quoi qu’il en soit, comme peu de femmes, sans doute, iraient là-bas, le pays ne perdurerait pas longtemps.

Le Mur de Berlin – Un autre mythe de la Guerre Froide

Le 9 novembre marquera la chute du Mur de Berlin. L’extravagant battage a commencé il y a des mois à Berlin. Aux États-Unis, nous pouvons nous attendre à ce que tous les clichés sur la Guerre Froide et Le Monde Libre opposé à La tyrannie Communiste soient débités, et que le conte simpliste de la création du mur soit répété : en 1961, les communistes de Berlin Est ont construit un mur pour empêcher leurs citoyens opprimés de s’échapper vers Berlin Ouest et vers la liberté. Pourquoi? Parce que les communistes n’aiment pas que le peuple puisse être libre, et ainsi connaître la « vérité ». Quelle autre raison pourrait-il y avoir ?

Tout d’abord, avant que le mur ne soit érigé en 1961, des milliers d’Allemands de l’Est effectuaient le trajet vers l’Ouest pour y travailler tous les jours et rentraient à l’Est le soir ; d’autres faisaient des allers-retours pour des courses ou pour d’autres raisons. Donc ils n’étaient pas retenus à l’Est contre leur gré. Pourquoi le mur a-t-il donc été construit ? Il y a eu deux raisons majeures :

1) L’Ouest tourmentait l’Est par une vigoureuse campagne de recrutement de professionnels et de travailleurs qualifiés, qui avaient été éduqués aux frais du gouvernement communiste. Cela a conduit à une sérieuse crise de main d’œuvre et de production à l’Est. A titre indicatif, le New York Times reportait en 1963 : « Berlin Ouest souffre économiquement de la présence du mur avec la perte d’environ 60 000 personnels qualifiés qui se déplaçaient quotidiennement depuis leur domicile à Berlin Est, vers leur lieu de travail à Berlin Ouest ».

Il faut noter qu’en 1999, USA Today rapportait : « Quand le mur de Berlin s’est effondré [1989], les Allemands de l’Est se sont imaginés une vie de liberté où les biens de consommation seraient abondants et où les difficultés s’évanouiraient. Dix ans plus tard, une proportion remarquable de 51% d’entre eux disaient avoir été plus heureux sous le communisme ». Des sondages faits plus tôt auraient même probablement donné plus de 51% de gens exprimant la même chose, parce que, au cours de ces dix ans, nombre de ceux qui se souvenaient de la vie en Allemagne de l’Est avec affection s’étaient éteints ; même si, dix ans de plus après, en 2009, le Washington Post a pu écrire « les Allemands de l’Ouest de Berlin disent en avoir assez des commentaires nostalgiques sur l’époque communiste ressassés par leurs compatriotes de l’Est ».

Un nouveau proverbe est né en Russie et en Europe de l’Est au cours de la période post-unification : « Tout ce que les communistes disaient sur le communisme était faux, mais tout ce qu’ils disaient sur le capitalisme était vrai ».

Notons, de plus, que la division de l’Allemagne en deux États, en 1949 – qui a posé le décor de 40 ans de guerre froide – était une décision américaine et non soviétique.

2) Au cours des années 50, les tenants américains de la guerre froide, en Allemagne de l’Ouest, ont lancé une grossière campagne de sabotage et de subversion contre l’Allemagne de l’Est conçue pour faire dérailler la machine économique et administrative du pays. La CIA et d’autres agences militaires et de renseignement ont recruté, équipé, entraîné et financé des groupes d’activistes allemands et des individus, aussi bien de l’Est que de l’Ouest, pour qu’ils mènent des actions dont l’éventail allait de la délinquance juvénile au terrorisme ; tout ce qui était possible pour rendre la vie difficile aux populations d’Allemagne de l’Est et affaiblir leur soutien à leur gouvernement ; tout ce qui était possible pour donner une mauvaise image des communistes.

C’était une entreprise remarquable. Les États-Unis et leurs agents ont utilisé des explosifs, des incendies volontaires, des courts-circuits, et d’autres méthodes pour endommager des centrales d’énergie, des chantiers navals, des canaux, des docks, des bâtiments publics, des stations d’essence, des transports publics, des ponts, etc. Ils ont fait dérailler des trains de marchandises en blessant gravement des travailleurs ; ils ont brûlé douze voitures d’un train de marchandises et détruit les conduites d’air comprimé [NdT : qui servent pour les freins] sur d’autres ; ils ont utilisé des acides pour saboter des machines de production industrielle vitales ; mis du sable dans la turbine d’une usine jusqu’à la stopper ; mis le feu à une usine de carrelage ; promu des ralentissements des cadences dans des usines ; tué par empoisonnement 7000 vaches dans une coopérative fermière ; ajouté du savon à du lait en poudre destiné à des écoles d’Allemagne de l’Est ; étaient en possession, lors de leur arrestation, de grandes quantités de cantharidine, avec laquelle ils avaient prévu d’empoisonner des cigarettes destinées aux leaders de l’Allemagne de l’Est dans le but de les tuer ; lancé des boules puantes pour perturber des meetings politiques ; ont tenté de perturber le Festival mondial de la jeunesse de Berlin Est en envoyant de fausses invitations, de fausses promesses d’hébergement gratuit, de fausses notifications d’annulation, etc ; ont mené des attaques contre les participants avec des explosifs, des bombes incendiaires, et des équipements destinés à crever des pneus ; ont fabriqué et distribué de grandes quantités de cartes de rationnement pour causer de la confusion, des pénuries et des ressentiments ; ont envoyé de faux avis d’impôts, d’autres directives gouvernementales et des documents variés pour désorganiser et rendre inefficaces l’industrie et les syndicats… tout cela et bien plus encore.

Le centre d’études international Woodrow Wilson (Woodrow Wilson International Center for Scholars) de Washington DC, des conservateurs pro guerre froide, dans l’un de leurs papiers de travail sur l’histoire internationale de la guerre froide (#58, p.9) déclare : « la frontière ouverte de Berlin a exposé la RDA [Allemagne de l'Est] à un espionnage massif et à la subversion et, comme les deux documents de l’appendice le démontrent, sa fermeture a donné une plus grande sécurité à l’État communiste ».

Au cours des années 50, les Allemands de l’Est et l’Union Soviétique ont porté plainte de façon répétée devant leurs alliés d’autrefois de l’Ouest et devant les Nations Unies à propos d’actions précises de sabotage et d’activités d’espionnage, et demandé la fermeture des officines d’Allemagne de l’Ouest qu’ils tenaient pour responsables, et dont ils donnaient noms et adresses. Leurs plaintes sont tombées dans l’oreille de sourds. Fatalement, les Allemands de l’Est ont été amenés à durcir les conditions d’entrée dans leur pays, ce qui a conduit finalement à la construction de l’infâme mur. Malgré tout, même après la construction du mur, il y avait une émigration légale régulière, bien que limitée, de l’est vers l’ouest. En 1984, par exemple, l’Allemagne de l’Est a laissé partir 40 000 personnes. En 1985, selon des journaux de la RDA, plus de 20 000 nouveaux émigrants en Allemagne de l’Ouest souhaitaient revenir en Allemagne de l’Est à la suite d’une déception sur le système capitaliste. Le gouvernement de la RFA (Allemagne de l’Ouest) a dit que 14 300 Allemands de l’Est étaient repartis au cours des dix années précédentes.

N’oublions pas non plus que, alors que l’Allemagne de l’Est était totalement dénazifiée, en Allemagne de l’Ouest, pendant plus d’une décennie après la guerre, les plus hauts postes au gouvernement dans les branches exécutives, législatives et judiciaires se voyaient occupés en grand nombre par d’anciens nazis et « des anciens » du nazisme.

Enfin, il faut se rappeler que l’Europe de l’Est est devenue communiste parce qu’Hitler, avec l’approbation de l’Ouest, l’a utilisée comme autoroute pour atteindre l’Union Soviétique et détruire définitivement le bolchévisme, et que les Russes, au cours des deux guerres mondiales, ont perdu environ 40 millions de vies parce que l’Ouest avait utilisé cette autoroute pour envahir la Russie. Il ne devrait pas sembler étonnant qu’après la Seconde Guerre mondiale les Soviétiques aient été résolus à fermer cette autoroute.

Pour un très intéressant point de vue supplémentaire sur l’anniversaire du mur de Berlin, voir l’article « Humpty-Dumpty and the Fall of Berlin’s wall » [Humpty-Dumpty et la chute du mur de Berlin], de Victor Grossman (né Steve Weschler) qui a fui l’armée américaine en Allemagne sous la pression des menaces de l’ère McCarthy, et qui devint un journaliste et écrivain pendant ses années passées à l’Est en République Démocratique d’Allemagne. Il habite toujours à Berlin et met en ligne de façon irrégulière son « Berlin Bulletin » sur des sujets concernant l’Allemagne. Vous pouvez vous y abonner à wescher_grossman@yahoo.de. Son autobiographie : « Crossing the River: a Memoir of the American Left, the Cold War Life in East Germany » [De l'autre côté du fleuve : mémoires de la gauche américaine, la vie sous la guerre froide en Allemagne de l'Est] a été publiée par la University of Massachusetts Press. Il revendique être la seule personne au monde étant à la fois diplômé d’Harvard et de l’université Karl Marx de Leipzig.

Al Franken, le chouchou des libéraux

Je reçois un flot continu de courriers électroniques d’organisations « progressistes » me demandant de voter pour le sénateur Franken ou de contribuer à sa campagne de réélection de novembre, alors que je n’habite même pas le Minnesota. Même si je pouvais voter pour lui, je ne le ferais pas. Quiconque ayant été un soutien de la guerre en Irak n’aura mon vote que s’il ne renie clairement cet engagement. Et je n’entends pas par là le renier à la manière absurde d’Hillary Clinton prétendant n’avoir pas eu suffisamment d’informations.

Franken, l’ancien comique du Saturday Night Live, aimerait que vous croyiez qu’il a été contre la guerre en Irak depuis le début. Mais il s’est rendu au moins quatre fois en Irak pour divertir les troupes. Quel sens cela a-t-il ? Pourquoi les militaires fournissent-ils des amuseurs aux soldats ? Pour qu’ils gardent le moral bien sûr. Et pourquoi les militaires veulent-ils que les soldats gardent le moral ? Parce qu’un soldat plus heureux fait mieux son travail. Et quel est le travail d’un soldat ? Tous ces charmants crimes de guerre et ces violations des droits de l’homme que moi ainsi que d’autres ont documenté en détail durant des années. Franken sait-il ce que les soldats américains font pour gagner leur vie ?

Une année après l’invasion américaine en 2003, Franken critiqua l’administration Bush car elle « avait échoué à envoyer assez de troupes pour faire correctement le travail. » Pour quel « travail » cet homme pense-t-il que ces troupes avaient été envoyées et qui n’aurait pas été réalisé dans les normes par manque de main-d’œuvre ? Voulait-il qu’ils tuent plus efficacement les Irakiens qui résistaient à l’occupation ? Les troupes de volontaires américains ne pouvaient même pas se défendre en disant y avoir été envoyées contre leur gré.

Cela fait longtemps que Franken soutient le moral des troupes. En 2009, il était honoré par la United Service Organization (USO) pour ses dix ans passés au service du divertissement des troupes à l’étranger. Y compris au Kosovo en 1999, une occupation impérialiste comme vous en rêveriez. Il parle de son expérience à l’USO comme « une des meilleures choses que j’aie jamais faites. » Franken a également pris la parole à l’académie militaire de West Point, encourageant la prochaine génération de combattants impérialistes. Est-ce un homme à remettre en question la militarisation de l’Amérique, chez elle et à l’étranger ? Pas plus que Barack Obama.

Tom Hayden écrivit ceci à propos de Franken en 2005, quand Franken produisait un programme régulier sur la radio Air America [NdT : L'Amérique à l'antenne]. « Quelqu’un d’autre est-il déçu de la défense quotidienne d’Al Franken de la prolongation de la guerre en Irak ? Pas la guerre version Bush, car cela saperait l’objectif louable d’Air America de rassembler une audience anti-Bush. Mais, disons, la guerre version Kerry, celle où on gère mieux et où on gagne, avec d’une manière ou d’une autre de meilleurs gilets pare-balles et moins de chambres de torture. »

Pendant qu’il était en Irak pour amuser les troupes, Franken déclara que l’administration Bush « avait gâché la diplomatie ce qui fait que l’on n’a pas de réelle coalition », puis qu’elle fut incapable d’envoyer suffisamment de troupes pour faire le travail proprement. « Par pur orgueil, ils ont mis la vie de ces gars en péril. »

Franken sous-entendait que si les États-Unis avaient eu plus de succès à corrompre et à menacer d’autres pays pour qu’ils joignent leur nom à la coalition menant la guerre en Iraq, les États-Unis auraient eu plus de chance de GAGNER la guerre.

Est-ce l’opinion de quelqu’un qui s’oppose à la guerre ? Ou bien qui la soutient ? C’est l’esprit d’un libéral américain avec toute sa guimauve à l’eau de rose.

Source : William Blum, le 16/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-rapport-anti-empire-n-133/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Khazin)

Wednesday 10 December 2014 at 01:55

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Draghi ne serait-il que l’hôtesse d’accueil de la BCE ? – 08/12

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (1/2): Peut-on compter sur la BCE pour relancer l’économie européenne ? – 08/12

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (2/2): États-Unis: La reprise économique est-elle là ? – 08/12

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : A défaut de Mario Draghi, ça sera la FED le Père Noël

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Réunion de la BCE: “Tout le monde attend un Draghi de fin d’année !” – 03/12

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): États-Unis: vers une hausse des taux de la Fed en 2015 ? – 03/12


Bilan Hebdo: Jean-Louis Cussac et Éric Lewin – 05/12

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : L’arnaque politique grecque – 09/12

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (1/2): Vers une nouvelle restructuration de la dette grecque en 2015 ? – 09/12

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (2/2): Économies et marchés: quelles perspectives pour 2015 ? – 09/12

IV. Mikhail Khazin

Intéressante analyse de cet économiste russe :


 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi, ou les sites Soyons sérieux et Urtikan.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-10-12-2014/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [2/4] : Florilège de discours de dirigeants américains (1973-2008)

Tuesday 9 December 2014 at 04:44

 Suite du billet précédent : Histoire de deux concepts essentiels

1973-1993 : Nixon, Reagan, Bush père et le contexte de la Guerre Froide

Richard Nixon, 37e président des États-Unis : 1969-1974
Quatrième rapport annuel au Congrès des États-Unis sur la politique étrangère, 3 mai 1973 :

“Nous avons subi des pressions sur notre territoire, qui menaçaient de faire basculer l’Amérique de la sur-expansion dans le monde à un retrait irréfléchi de celui-ci. Le peuple américain avait supporté avec enthousiasme et générosité les fardeaux du leadership mondial dans les années 1960. Mais après presque trois décennies, notre enthousiasme déclinait et les résultats de notre générosité étaient mis en question. [...] En 1969, nous risquions que le public soutenant la poursuite de notre rôle mondial, ne finisse par s’évanouir à force de lassitude, de frustration et de réaction disproportionnée. Nous étions convaincus de la nécessité de forger de nouvelles politiques pour faire face à ses problèmes. Mais notre première exigence était philosophique. Nous avions besoin d’une vision novatrice pour inspirer et intégrer nos efforts.

Nous avons commencé avec la conviction que notre engagement mondial restait indispensable. Les nombreux changements du paysage d’après-guerre n’avait modifié en aucune façon cette réalité centrale. L’Amérique était si puissante, notre engagement si important et nos préoccupations si profondes, que le fait de supprimer notre influence aurait provoquer des tremblements tout autour du globe. Nos amis auraient été désespérés, nos adversaires auraient été tentés, et notre propre sécurité nationale aurait été rapidement menacée. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à la réalité de notre influence cruciale en faveur de la paix.

Mais la modernité a exigé que l’on redéfinisse cet engagement.  Pendant de longues années, notre politique étrangère a été forgée autour d’une mission à vocation universelle que seule l’Amérique pouvait accomplir ;  pour fournir un leadership politique, une défense commune et un développement économique. Nos alliés étaient faibles, les autres nations étaient trop jeunes, les menaces étaient palpables et la puissance américaine était dominante.

À partir de 1969, une mission de cette échelle était devenu obsolète à l’étranger et insupportable sur notre sol. Nos alliés s’étaient renforcés, les jeunes nations d’autrefois avaient mûri, les menaces s’étaient diversifiées et la puissance américaine n’était plus à la hauteur. Il était temps pour nous de passer d’une mission paternaliste dédiée à d’autres nations, à une mission en coopération avec d’autres nations.”

Walter F. Mondale, candidat démocrate (1984) et Vice-président des États-Unis (1977-1981)
Annonce de candidature à l’élection présidentielle de 1984 , 21 février 1983 :

“Je me porte candidat à la présidence pour restaurer notre leadership mondial. Notre président doit comprendre et réunir tous nos avantages réels : efficacité militaire, force économique, indépendance énergétique, autorité morale, alliances qu’aucun ennemi ne peut affaiblir, et armée qu’aucune nation n’ose défier. Nous devons être une Amérique dont la justice sociale chez nous attire l’amitié à l’étranger, et dont la voix condamne la répression – des camps du Goulag russe aux geôles des généraux latins. Nous devons voir le monde tel qu’il est vraiment – l’arène d’une compétition que l’Amérique peut gagner, où notre liberté, nos valeurs et nos réalisations sont un pôle d’attraction pour le monde entier.”

Ronald Reagan, 40e président des États-Unis : 1981-1989

Allocution devant une session commune du Congrès sur l’état de l’Union, 27 janvier 1987 :

“Nous entrons dans notre troisième siècle d’existence, mais il serait inexact de juger notre nation par le nombre de ses années. L’Amérique ne peut se mesurer à l’aune de calendrier car il était écrit que nous serions une expérience infinie de liberté : sans limite dans nos buts, sans limite à ce que nous pouvons faire, sans limite dans nos espoirs. La Constitution des États-Unis est le canal passionné et inspiré par lequel nous voyageons à travers l’histoire. Elle est née de l’inspiration la plus fondamentale de notre existence : que nous sommes ici pour Le servir en vivant libres, que vivre libres libère en nous les plus nobles impulsions et le meilleur de nos capacités ; que nous devons utiliser ces dons à de bonnes et généreuses fins et les sécuriser non seulement pour nous et nos enfants mais pour l’humanité tout entière. [...]

Pourquoi la Constitution des États-Unis est-elle si exceptionnelle ? Eh bien, la raison est si petite qu’elle vous échappe presque mais elle est tellement grande qu’elle vous dit tout en seulement trois mots : Nous, le peuple. Dans d’autres Constitutions, le gouvernement dit au peuple de ces pays ce qu’il est autorisé à faire. Dans notre Constitution, nous, le peuple, disons au gouvernement ce qu’il peut faire et il ne peut faire que ce qui est dit dans ce document et rien d’autre. Quasiment toutes les autres révolutions dans l’Histoire ont seulement troqué un groupe de dirigeants contre un autre. Notre révolution est la première à dire que le peuple est le maître et le gouvernement son serviteur. [...] Nous, le peuple – ainsi sont les cœurs chaleureux innombrables qui commencent leur journée par une petite prière pour des otages qu’ils ne connaîtront jamais et des familles disparues qu’ils ne rencontreront jamais. Pourquoi ? Parce qu’ils sont ainsi, cette race exceptionnelle que nous appelons les Américains. [...] Nous, le peuple – ils refusent les commentaires de la semaine dernière à la télévision qui dévalorisent notre optimisme et notre idéalisme. Entrepreneurs, constructeurs, pionniers et pour la plupart gens ordinaires : ce sont eux les vrais héros de notre pays qui composent la plus exceptionnelle nation de faiseurs de l’Histoire. Vous savez qu’ils sont américains car leur esprit est aussi grand que l’univers et leur cœur est plus grand encore que leur esprit.

George H. W. Bush, 41e président des Etats-Unis : 1989-1993
Déclaration du Secrétaire de la Presse Fitzwater sur la rencontre du président avec Mme Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de Norvège, 5 juin 1992

“Le président a rencontré pendant à peu près 40 minutes Mme Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de Norvège. Les deux dirigeants ont également passé en revue différentes questions portant sur la sécurité européenne et se sont mis d’accord sur l’importance du leadership mondial américain et sur le fait qu’une présence militaire américaine forte et permanente en Europe est essentielle à la paix et la stabilité.

1993-2001 : Clinton et la « nation indispensable »

William J. Clinton, 42e président des Etats-Unis : 1993-2001

Discours à l’Assemblée nationale coréenne de Séoul, 10 juillet 1993 :

“La meilleure manière pour nous de dissuader les agressions régionales, de perpétuer la robuste croissance économique que connaît la région, et de sécuriser nos propres intérêts – maritimes et autres – est d’être une présence active. Nous devons continuer à diriger et nous le ferons. Pour certains en Amérique, il y a la crainte que le leadership mondial américain ne soit un luxe démodé que nous ne pouvons plus nous permettre. Eh bien, ils ont tort. En vérité, notre leadership global n’a jamais été aussi indispensable ou un investissement aussi rentable pour nous. Tant que nous resterons bordés par des océans et enrichis par le commerce, tant que notre drapeau est le symbole de la démocratie et de l’espoir face à un monde désuni, le leadership américain demeurera un impératif.

William J. Clinton, Discours à la Conférence du Comité politique des affaires publiques américano-israëlien, 7 mai 1995 :

“Ecoutez : tout le monde est content que l’on aide l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan à débarrasser leur territoire des armes nucléaires. Cela augmente notre sécurité. Mais on ne peut pas le faire gratuitement. On aide à construire la démocratie en Europe centrale et en Europe de l’Est, mais on ne peut pas faire ça gratuitement. On combat les flux de drogues internationaux qui ruinent nos communautés, mais on ne peut pas faire ça gratuitement.”

Partout dans le monde, dans des pays désespérément pauvres, des gens essaient d’apprendre à s’en sortir et protéger leur environnement pour qu’ils puissent avoir une société réglée et participer à une coopération pacifique, et ne pas être emportés par les courants radicaux qui ravagent le monde. Et pour une bouchée de pain, à l’échelle américaine, nous pouvons faire toute la différence dans le monde. Mais on ne peut pas le faire gratuitement.

Plus que n’importe quel public peut-être dans ce pays, vous comprenez cela. Vous comprenez l’importance de notre leadership et le prix raisonnable que nous devons payer pour le maintenir. Si nous devions abandonner ce rôle simplement parce qu’on nous refuse les instruments de l’aide internationale et de l’assistance sécuritaire, l’un des premiers à en être affecté serait Israël, parce qu’Israël est en première ligne de la bataille pour la liberté et la paix, et la force d’Israël est adossée à la force de l’Amérique et à notre leadership mondial.”

William J. Clinton, Remarques sur des questions de sécurité internationale à l’Université George Washington, 5 août 1996 :

“L’Amérique fait face à trois grand défis alors que nous entrons dans le XXIe siècle : conserver le rêve américain en vie pour tous ceux qui veulent travailler pour l’obtenir ; rassembler notre pays et non le diviser ; et faire en sorte que l’Amérique demeure la plus grande force dans le monde œuvrant pour la paix, la liberté, la sécurité et la prospérité. [...]

Je suis venu dans ce lieu d’enseignement et de raison, cet endroit si focalisé sur l’avenir, afin d’expliquer pourquoi nous ne pourrons pas faire face à nos propres défis d’opportunité, de responsabilité et de communauté si nous ne maintenons pas également notre rôle indispensable de leader pour la paix et la liberté dans le monde. [...]

Le fait est que l’Amérique demeure la nation indispensable. Il y a des moments où l’Amérique et seulement l’Amérique, peut faire la différence entre la paix et la guerre, entre la liberté et la répression, entre l’espoir et la peur. Bien entendu, nous ne pouvons pas prendre en charge le monde entier. Nous ne pouvons pas devenir son gendarme. Mais là où nos intérêts et nos valeurs le réclament et là où nous pouvons faire la différence, l’Amérique doit agir et montrer le chemin.

Dans ce combat ainsi que dans bien d’autres défis tout autour du monde, le leadership américain est indispensable. En assumant notre leadership dans la lutte contre le terrorisme, nous ne devons être ni réticents ni arrogants, mais réalistes, déterminés et confiants. Et nous devons comprendre que dans cette bataille nous devons déployer plus que de la police et des ressources militaires. Chacun d’entre vous compte. Chaque Américain compte.

Notre plus grande force est notre confiance. Et c’est la cible des terroristes. Ne vous y trompez pas : les bombes qui tuent et mutilent des innocents ne leur sont pas vraiment destinées mais visent l’esprit de tout le pays et l’esprit de liberté. Donc la lutte contre le terrorisme implique davantage que les nouvelles mesures de sécurité que j’ai ordonnées et celles à venir. En fin de compte, il faut la volonté confiante du peuple américain de conserver nos convictions pour la liberté et la paix et de rester la force indispensable pour créer un monde meilleur à l’aube d’un siècle nouveau. [...]

Lorsque nous nous souvenons des jeux Olympiques du Centenaire, des semaines de courage et de triomphe, le meilleur de la jeunesse du monde lié ensemble par les règles du jeu dans un véritable respect mutuel, engageons-nous à travailler pour un monde qui ressemble davantage à cela dans le XXIe siècle, à faire face fermement dans les moments de terreur qui autrement détruiraient notre esprit, à faire face pour les valeurs qui nous ont apporté tant de bénédictions, valeurs qui ont fait de nous à ce moment crucial, la nation indispensable. Merci beaucoup.”

William J. Clinton, Allocution présidentielle à la radio, 16 novembre 1996 :

“Bonjour. Comme je l’ai dit à maintes reprises, l’Amérique est le pays indispensable au monde, le pays que le monde envie pour sa première place grâce à sa force et ses valeurs. Cette semaine, j’ai pris deux décisions importantes, correspondant aux responsabilités de l’Amérique dans le monde. La première est l’accord, de principe, pour nos troupes de participer à une mission pour alléger la souffrance au Zaïre. La seconde est l’approbation, toujours de principe, pour nos troupes de faire partie des forces de sécurité présentes en Bosnie. Aujourd’hui, je veux vous dire en quoi notre rôle dans ces missions est important.”

William J. Clinton, Discours inaugural, 20 janvier 1997 :

“La dernière fois que nous nous sommes réunis, notre marche vers ce nouvel avenir semblait moins sûre qu’elle ne l’est aujourd’hui. Nous nous étions alors juré de mettre notre Nation à nouveau sur la bonne voie. Pendant ces quatre ans, nous avons été touchés par la tragédie, exaltés par le défi, renforcés par le succès. L’Amérique reste la seule nation indispensable au monde. Une fois encore, notre économie est la plus forte de la planète. Une fois encore, nous construisons des familles plus soudées, des communautés plus prospères, des moyens d’éducations meilleurs, un environnement plus propre.

William J. Clinton, Discours à l’Université de la Défense nationale, 29 janvier 1998 :

“Dans ce nouveau monde, notre leadership mondial est plus important que jamais. Cela ne signifie pas que nous pouvons y aller tout seul ni répondre à chaque crise. Nous devons être clairs quand nos intérêts nationaux sont en jeu. Mais plus que jamais, le monde se tourne vers l’Amérique pour faire le boulot. Notre Nation guide la construction d’un nouveau réseau d’institutions et d’accords destinés à maîtriser les forces du changement, tout en nous préservant de leurs dangers. Nous contribuons à écrire les règles internationales de la route vers le XXIe siècle, en protégeant ceux qui ont rejoint la famille des nations, et en isolant ceux qui ne l’ont pas fait.”

William J. Clinton, Allocution à bord du navire américain Ville de Hue à New York, le 4 juillet 2000 :

“En ce jour j’espère que chaque Américain prendra un moment pour réfléchir à la façon dont nous avons gagné notre place exceptionnelle dans l’histoire humaine. En 1776 l’action ne s’est pas uniquement déroulée dans le Hall de l’Indépendance à Philadelphie où la Déclaration d’Indépendance a été signée. C’est ici, à New York, que George Washington a préparé ses troupes à la bataille. Cinq longues années et d’innombrables engagements plus tard, les soldats et les marins de l’Amérique ont remporté la victoire et contribué à allumer la flamme de liberté qui brûle à présent dans le monde entier. Aujourd’hui donc, jour anniversaire de notre Nation, je crois que nous devrions rendre hommage à ceux qui ont engagé leur vie, leur fortune et leur honneur sacré pour notre liberté. Et aujourd’hui je pense que nous devrions aussi honorer tous les Américains, indépendamment de leur passé, que leurs ancêtres soient venus ici sur des bateaux d’immigrants ou de négriers, qu’ils aient volé à travers le Pacifique ou traversé le détroit de Behring, car tous les Américains ont apporté leur aide à la marche pour la liberté, la démocratie et pour notre avenir.”

2001-2008 : Bush Jr. et la défense du « monde civilisé »

George W. Bush, 43e président des États-Unis : 2001-2009
Discours du 20 septembre 2001, avant une session extraordinaire du Congrès, sur la réponse des États-Unis aux attaques terroristes du 11 septembre :

Le monde civilisé se rallie au côté de l’Amérique. Ils comprennent que si cette terreur reste impunie, leurs propres villes, leurs propres citoyens peuvent être les prochains. Sans réponse, la terreur peut non seulement abattre des bâtiments, mais peut menacer la stabilité de gouvernements légitimes. Et vous savez quoi ? Nous n’allons pas le permettre. Les Américains demandent, qu’est-ce qu’on attend de nous ? Je vous demande de vivre vos vies et d’embrasser vos enfants. Je sais que ce soir beaucoup de citoyens ont des craintes et je vous demande d’être calmes et résolus, même face à une menace persistante. Je vous demande de soutenir les valeurs de l’Amérique et je rappelle pourquoi tant de vous sont venus ici. Nous sommes dans un combat pour nos principes et notre première responsabilité est de les suivre. Personne ne devrait être discriminé par un traitement injuste ou des mots désobligeants à cause de son origine ethnique ou de sa foi religieuse. […] Je sais qu’il y a des luttes à venir et des dangers à affronter. Mais ce pays définira notre temps, et ne sera pas défini par lui. Tant que les États-Unis d’Amérique seront forts et déterminés, ce ne sera pas un âge de terreur ; ce sera un âge de liberté, ici et à travers le monde. [...] Le progrès de la liberté de l’humanité, la réussite de notre temps et le grand espoir de chaque instant, reposent à présent sur nous.”

George W. Bush, Discours aux cadres dirigeants de la fonction publique, 15 octobre 2001 :

“Ce sont des temps extraordinaires, des temps d’épreuve pour notre gouvernement et pour notre nation. Pourtant, nous tous pouvons être fiers de la réponse de notre gouvernement et de la force de caractère exceptionnelle de la nation que nous servons. Je ne me suis jamais senti plus certain des qualités de l’Amérique ni plus confiant de l’avenir de l’Amérique.”

George W. Bush, Discours radiodiffusé du président, 2 juin 2007 :

“[...] Le peuple américain peut être fier de notre leadership mondial et de notre générosité. Notre Nation apporte de l’aide et du réconfort à ceux qui sont dans le besoin. Nous aidons à étendre les opportunités à travers le monde. Nous posons la fondation d’un avenir plus pacifique et porteur de plus d’espoir pour tous nos citoyens.

À suivre dans le billet suivant : Florilège de discours de dirigeants américains (2008-2012)

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-24-florilege-1973-2008/


[Reprise] Comment la presse de Washington a mal tourné, par Robert Parry

Tuesday 9 December 2014 at 01:40

28 octobre 2014

Exclusif : La presse de Washington se targuait autrefois de demander des comptes aux puissants (les archives du Pentagone, le Watergate, la guerre du Viet-Nam), mais cette époque est depuis longtemps révolue. Pour Robert Parry, elle a été remplacée par un média malléable à souhait, qui place ses bonnes relations avec les arcanes du pouvoir au-dessus de l’intérêt public.

Par Robert Parry

Après la mort la semaine dernière du légendaire directeur du Washington Post Ben Bradlee, à l’âge de 93 ans, beaucoup ont chaleureusement rappelé le style de ce dur à cuire, toujours en quête de scoops retentissants dignes du bon vieux “Arrêtez les rotatives !”

Nombre de souvenirs émus étaient sûrement sélectifs, mais ils contenaient une part de vérité : la vision de la “Une” de Bradley incita bien son personnel à se démener pour suivre les affaires difficiles – au moins pendant le scandale du Watergate quand il soutint Bob Woodward et Carl Bernstein confrontés à l’hostilité de la Maison Blanche. Quel contraste entre les dernières années de Bradley et le travail de ses successeurs au Washington Post !

L’équipe “Watergate” du Washington Post, avec, de gauche à droite, l’éditrice Katharine Graham, Carl Bernstein, Bob Woodward, Howard Simons, et le rédacteur en chef Ben Bradlee.

Par coïncidence, au moment où j’entendais la nouvelle de la mort de Bradley le 21 octobre, je me remémorais la triste dégringolade des médias américains, de l’âge d’or des années 70 avec le Watergate et les archives du Pentagone jusqu’à leur attitude de suppliants obséquieux lorsqu’ils couvraient Ronald Reagan tout juste une décennie plus tard. Cette métamorphose a pavé la voie de la soumission servile des médias à Georges W. Bush les dix dernières années.

Le jour même de la mort de Bradley, je recevais un e-mail d’un collègue journaliste m’informant que Leonard Dowie, qui avait été longtemps son rédacteur en chef avant de lui succéder comme directeur, était en train de diffuser un article du Washington Post attaquant le nouveau film “Kill the Messenger”.

Cet article de Jeff Leen, assistant rédacteur en chef pour les enquêtes, massacrait le défunt journaliste Gary Webb, dont la carrière et la vie furent détruites parce qu’il osa ramener à la surface un des plus hideux scandales de l’ère Reagan, la tolérance du gouvernement américain pour le trafic de cocaïne au Nicaragua des fameux rebelles Contra si chers à Reagan.

“Kill the Messenger” offre une peinture compatissante du calvaire de Webb et se montre critique envers les plus grands journaux, y compris le Washington Post, pour avoir dénoncé Webb en 1996 plutôt que de saisir l’occasion de revenir sur un scandale de sécurité nationale que le Post, le New York Times et les autres grands journaux avaient manqué ou minimisé au milieu des années 80, après un premier reportage de Brian Barger et moi-même sur ce sujet pour l’Associated Press.

Downie, qui devint le rédacteur en chef du Washington Post en 1984 et prit la suite de Bradlee comme directeur en 1991 (il est à présent professeur de journalisme à l’Université d’état de l’Arizona), fit passer l’article de Leen visant Webb aux autres membres de la faculté avec un mot introductif, disant :

Objet : Gary Webb n’était pas un héros, dixit le rédacteur des enquêtes du Washington Post Jeff Leen

« J’étais au Washington Post à l’époque où le journal examinait les articles de Gary Webb, et Jeff Leen a parfaitement raison. Néanmoins, il est trop bon envers un film qui fait passer un mensonge pour un fait historique ».

Comme j’ai connu Downie de loin pendant mes années à la Associated Press (il m’avait jadis appelé à propos de mon article de juin 1985 identifiant Oliver North, assistant au Conseil National de Sécurité, comme un personnage clé dans l’opération secrète pilotée par la Maison Blanche de soutien aux Contras), je lui envoyai un e-mail le 22 octobre lui faisant part de ma consternation vis-à-vis de son « sévère commentaire » dans le but de « m’assurer que ces mots étaient bien les siens et qu’ils reflétaient bien son opinion. »

Je lui demandai : « Pourrais-tu développer exactement ce que tu penses être un mensonge ? » Je notai également que « comme le film sort en salles, je joins un article sur les révélations actuelles des archives gouvernementales concernant ce problème » et envoyai à Downie un lien de cet article. Je n’ai eu aucune réponse. [Pour en savoir plus sur mon évaluation de la populaire pièce de Leen, voir Consortiumnews.com's « WPost's Slimy Assault on Gary Webb. »]

Pourquoi attaquer Webb ?

On pourrait supposer que Leen et Downie ne sont que deux scribouillards de la presse mainstream qui brouillent les pistes, puisqu’ils ont tous deux manqué le scandale de la cocaïne des Contras qui se déroulait sous leurs nez dans les années 80.

Leen était le spécialiste du trafic de drogue et du cartel de Medellin au Miami Herald, mais pour une raison ou une autre il n’est pas parvenu à comprendre qu’une grande partie de la cocaïne des Contras arrivait à Miami et que le cartel de Medellin faisait don de millions de dollars aux Contras. En 1991, pendant le procès du trafic de drogue de Manuel Noriega au Panama, Carlos Lehder, cheville ouvrière du cartel, a même témoigné, en tant que témoin pour le gouvernement américain, qu’il avait fourni 10 millions de dollars aux Contras.

Downie était rédacteur en chef du Washington Post, responsable du suivi de la politique étrangère secrète de l’administration Reagan, mais il a été régulièrement au-dessous du niveau attendu lors des plus grands scandales des années 80 : l’opération d’Ollie North, le scandale de la cocaïne des Contras et l’affaire de l’Irangate. Après cette litanie d’échecs, il a été promu directeur du Post, un emploi en or dans le journalisme américain, où il a été placé pour surveiller la démolition de Gary Webb en 1996.

Quoique le billet de Downie à d’autres professeurs de l’Université d’État de l’Arizona ait appelé l’histoire de la Cocaïne des Contras ou “Kill the Messenger” ou tous les deux « un mensonge », Ryan Grim du Huffington Post a raconté récemment, dans un article sur l’assaut des grands médias contre Webb, que « le rédacteur en chef du Post à l’époque, Leonard Downie, m’a dit qu’il ne se rappelle pas de l’incident assez bien pour pouvoir le commenter. »

Mais il y a plus ici que deux ou trois cadres de presse trouvant plus facile de taper sur un journaliste qui n’est plus là pour se défendre que d’admettre leurs propres échecs professionnels. Ce que Leen et Downie représentent est l’incapacité institutionnelle du journalisme américain à protéger les citoyens américains, choisissant à la place la protection de la structure du pouvoir américain.

Souvenons-nous qu’au milieu des années 80, quand Barger et moi-même avons révélé le scandale Contra-cocaïne, le trafic se faisait au moment même. Ce n’était pas de l’histoire. Les différents moyens souterrains de Contra acheminaient la cocaïne dans les villes américaines où une partie était transformée en crack. Si l’on avait agi à ce moment-là, au moins quelques-unes de ces expéditions auraient pu être stoppées et un certain nombre des trafiquants Contra poursuivis en justice.

Et pourtant, au lieu de s’unir pour dévoiler ces crimes, les grands journaux d’information tels que le New York Times ou le Washington Post ont choisi de détourner les yeux. Dans son article, Leen justifie ce comportement avec le supposé principe journalistique qu’« une dénonciation hors du commun nécessite une preuve hors du commun. » Mais ce critère doit aussi être mis en balance avec cette menace contre le peuple américain et d’autres qu’est la dissimulation d’une affaire.

Si le principe de Leen veut dire en réalité qu’aucun niveau de preuve n’était suffisant pour rendre compte que l’administration Reagan protégeait les trafiquants de cocaïne de Contra, alors il veut dire que les médias américains donnaient leur assentiment à l’activité criminelle qui ravageait les villes américaines, détruisait d’innombrables vies et submergeait les prisons de petits trafiquants pendant que de puissants personnages liés au monde de la politique restaient intouchables.

Ce constat est, en gros, partagé par Doug Farah, qui était un correspondant du Washington Post en Amérique centrale du temps où Webb lançait sa série d’articles “Dark Alliance” [Alliance obscure] en 1996. Après avoir lu ces chroniques de Webb dans le San Jose Mercury News, Farah était désireux de mettre en avant cette affaire Contra-cocaïne mais il rencontra d’invraisemblables demandes de preuves de la part de ses éditeurs.

Farah a dit à Ryan Grim : « Si vous parlez de la tolérance – voire promotion – de notre organisation du renseignement pour les drogues pour financer des opérations secrètes, c’est une chose assez incommode à faire pour un média institutionnel tel que le Post… Si vous alliez vous retrouver à heurter directement le gouvernement, ils voulaient que ce soit sur des bases si solide qu’il était presque impossible d’y arriver. »

En d’autres mots, « preuve extraordinaire » signifiait que jamais on ne pouvait écrire un papier sur ce sujet sensible car il n’existe pas de preuve 100% parfaite, apparemment même lorsque le directeur des recherches de la CIA confesse, comme il l’a fait en 1988, que la plus grande partie de ce que Webb, Barger et moi-même avions rapporté était vraie et qu’il y avait beaucoup, beaucoup plus à dire. [Voir Consortiumnews.com : "The sordid Cocaïne Scandal."]

Qu’est-il arrivé à la presse ?

Comment cette mutation du journalisme de Washington a-t-elle eu lieu – d’une corporation journalistique agressive des années 1970 à la corporation de pigeons des années 1980 et au delà – est un important chapitre perdu de l’histoire Américaine moderne.

L’essentiel de ce changement a émergé du naufrage politique qui suivit la guerre du Vietnam, l’affaire des archives du Pentagone, le scandale du Watergate, et la révélation des abus de la CIA dans les années 70. Les structures de pouvoir américaines, particulièrement la droite, répliquèrent, qualifiant les médias d’information américains de « libéraux » et remettant en question le patriotisme de certains journalistes et rédacteurs.

Mais il n’est pas besoin de beaucoup leur forcer la main pour obtenir que les organes d’information grand public rentrent dans le rang et se prosternent. Nombre des responsables de presse sous lesquels j’ai travaillé partageaient les vues des structures du pouvoir affirmant que les manifestations contre la guerre du Vietnam étaient déloyales, que le gouvernement américain se devait de répliquer à des humiliations telles que la crise des otages en Iran, et que le public rétif se devait d’être remis en rang derrière des valeurs plus traditionnelles.

Chez Associated Press, son plus haut cadre dirigeant, Keith Fuller, le directeur général, fit un discours à Worcester, dans le Massachusetts, en 1982, saluant l’élection de Reagan en 1980 comme la noble répudiation des excès des années 60 et la nécessaire correction de la perte de prestige national des années 70. Fuller cita l’investiture de Reagan et la libération simultanée des 52 otages américains en Iran le 20 janvier 1981 comme un virage pour la nation par lequel Reagan ressuscita l’esprit américain.

« Lorsque l’on regarde en arrière vers les turbulentes années 60, on frissonne à la mémoire d’un temps où les tensions semblaient déchirer ce pays », disait Fuller, ajoutant que l’élection de Reagan représentait une nation « criant : assez ! »

« Nous ne croyons pas que l’union d’Adam et de Bruce soit vraiment la même chose que l’union d’Adam et Eve aux yeux de la Création. Nous ne croyons pas que les gens doivent encaisser des chèques d’aide sociale pour les dépenser en alcool et narcotiques. Nous ne croyons pas vraiment qu’une simple prière ou un serment de fidélité dans une salle de classe soit opposé à l’intérêt national. »

« Nous sommes fatigués de notre ingénierie sociale. Nous en avons marre de notre tolérance pour le crime, les drogues et la pornographie. Mais par-dessus tout, nous n’en pouvons plus du fardeau de notre bureaucratie auto-perpétuante qui pèse toujours plus lourdement sur nos épaules. »

Les opinions de Fuller n’étaient pas rares dans les instances dirigeantes des grands médias d’information, où la réaffirmation par Reagan d’une politique étrangère agressive était spécialement bien reçue. Au New York Times, le directeur Abe Rosenthal, un néoconservateur de la première heure, s’était juré de ramener son journal « au centre », ce par quoi il entendait à droite.

Il y avait aussi une dimension sociale à cette retraite journalistique. Par exemple, Katharine Graham, longtemps rédactrice au Washington Post, avait trouvé désagréables les tensions résultant des risques qu’il y a à pratiquer un journalisme d’opposition. De plus, c’était une chose que de s’en prendre au socialement inepte Richard Nixon, c’en était une tout autre que de défier les socialement habiles Ronald et Nancy Reagan, que personnellement Mme Graham appréciait.

La famille Graham embrassa aussi le néo conservatisme, approuvant les politiques agressives contre Moscou et le soutien indiscuté à Israël. Très vite, les éditeurs du Washington Post et de Newsweek reflétèrent les préjugés de la famille.

J’ai fait face à cette réalité quand je suis passé de l’Associated Press à Newsweek en 1987 et que j’ai trouvé le directeur Maynard Parker, en particulier, hostile au journalisme plaçant la conduite de la Guerre Froide de Reagan sous un éclairage négatif. J’avais eu une bonne part de responsabilité dans l’éclatement du scandale de l’Iran-Contra à l’AP, mais on m’a dit à Newsweek « [qu'on] ne [voulait] pas d’un autre Watergate. » La crainte était apparemment que les tensions politiques provoquées par une nouvelle crise constitutionnelle autour d’un président républicain puissent briser la cohésion politique nationale.

La même chose était vraie pour l’affaire Contra-cocaïne, que l’on m’a empêchée de développer à Newsweek. En effet, quand le sénateur John Kerry la fit progresser avec un rapport sénatorial publié en avril 1989, Newsweek ne manifesta aucun intérêt et le Washington Post enfouit l’affaire au plus profond de ses pages intérieures. Par la suite, Newsweek disqualifia Kerry en le traitant « d’excité fanatique de conspirationnisme. » [Pour les détails, voyez Lost History de Robert Parry]

S’adapter parfaitement au modèle

Autrement dit, la brutale destruction de Gary Webb suivant sa relance du scandale Contra-cocaïne en 1996 – quand il étudia les conséquences d’un des réseaux de la cocaïne des Contras sur le trafic du crack à Los Angeles – n’avait rien que de parfaitement ordinaire. C’était un des aspects du modèle d’asservissement à l’appareil de sécurité nationale, spécialement sous les Républicains et ceux de l’aile droite, mais s’étendant aussi à ceux de la ligne dure des Démocrates.

Ce modèle de parti pris s’est poursuivi dans la dernière décennie, et même quand le problème était de savoir si les votes des citoyens américains devaient être comptés. Après les élections en 2000, lorsque George W. Bush trouva cinq républicains à la Cour Suprême des États-Unis pour ordonner l’arrêt du décompte des votes dans l’état clé de Floride, les dirigeants des grands médias d’information étaient plus préoccupés de la protection de la fragile et entachée « légitimité » de la victoire de Bush que de s’assurer que le véritable gagnant des élections américaines devienne le président.

Après la décision de la majorité républicaine à la Cour Suprême garantissant que les votes en Floride – et donc la présidence – iraient à Bush, quelques responsables, y compris le directeur du New York Times Howell Raines, se hérissèrent devant des propositions de faire faire par les médias un compte des votes contestés, d’après un cadre du New York Times présent à ces discussions.

L’idée de ce décompte par les médias était de déterminer lequel des candidats à la présidence avaient en réalité les faveurs de la Floride, mais Raines n’acceptait de revenir sur son attitude vis-à-vis du projet que si les résultats n’indiquaient pas que Bush aurait dû perdre, une préoccupation qui s’aggrava après les attaques du 11 septembre, selon le compte rendu du cadre du Times.

Le sujet d’inquiétude de Raines se concrétisa lorsque les organisations de journalistes achevèrent en novembre 2001 leur décompte non-officiel des votes contestés de la Floride, et qu’il s’avéra que Al Gore aurait remporté la Floride si tous les votes légalement exprimés avaient été comptés, quelle que soit la façon d’apprécier les fameux confettis, un peu enfoncés, pendus, ou carte perforée de part en part. [NdT : les machines à voter, qui étaient censées perforer des cartes, ne fonctionnaient pas toujours très bien, ou étaient mal utilisées par les électeurs. D'où les problèmes d'interprétation de certains votes.]

La victoire de Gore aurait été assurée par ceux que l’on appelle les “sur-votants”, ceux qui non seulement perforent la case correspondant au nom du candidat mais en plus écrivent son nom sur la carte. Selon la loi de Floride, de tels “sur-votes” sont légaux et ils font irruption en faveur de Gore. [Voir sur Consortiumnews.com "So Bush Did Steal the White House" ou notre livre Neck Deep].

En d’autres termes, c’est au mauvais candidat qu’a été attribuée la présidence. Cependant, ce fait surprenant est devenu une vérité gênante que les principaux médias américains ont décidé de cacher. Donc, les grands journaux et grandes chaînes TV ont caché leurs propres informations sensationnelles lors de la publication des résultats le 12 novembre 2001.

Au lieu de déclarer clairement que les votes légaux en Floride étaient en faveur de Gore – et que ce n’était pas la bonne personne qui était à la Maison Blanche – les principaux médias se mirent en quatre pour concocter d’hypothétiques situations dans lesquelles Bush pouvait toujours avoir gagné la présidence, comme si le recomptage avait été limité à quelques comtés ou si les “sur-votes” légaux avaient été exclus.

La réalité de la victoire légitime de Gore était enfouie profondément au milieu des autres affaires ou reléguée dans les graphiques accompagnant les articles. Tout lecteur ne faisant que passer aura fini sa lecture du New York Times ou du Washington Post en concluant que Bush avait réellement gagné la Floride et qu’après tout il était le légitime président.

La manchette du Post disait « d’après le nouveau compte en Floride Bush aurait été en tête. » Celle du Times « l’étude des votes contestés en Floride conclut que ce n’est pas la décision des juges qui a décidé du vote. » Quelques chroniqueurs, comme l’analyste des médias du Post Howard Kurtz, ont même lancé des frappes préventives contre quiconque prétendrait lire les petits caractères et détecterait le “chapeau” caché annonçant la victoire de Gore. Kurtz qualifiait ces gens de “théoriciens de la conspiration.” [Washington Post, 12 novembre 2001]

Un reporter furieux

Après avoir lu ces histoires biaisées sur la « victoire de Bush », j’ai écrit un article pour Consortiumnews.com faisant remarquer que les “chapeaux” évidents auraient dus être ceux révélant que Gore avait gagné. J’ai suggéré que l’opinion des responsables de l’édition des journaux avait pu être influencée par le désir d’apparaître patriote, deux mois seulement après le 11 septembre. [Voir Consortiumnews.com "Gore's Victory"]

Mon article était à peine publié depuis seulement deux heures, que je recevais un appel téléphonique furieux de la correspondante du New York Times Felicity Barringer m’accusant d’attaquer l’intégrité journalistique du directeur Raines.

Bien que Raines et d’autres directeurs aient pu penser que ce qu’ils faisaient était « bon pour le pays », ils étaient en réalité en train de trahir leur plus fondamental devoir envers le peuple américain, celui de leur donner des faits aussi complet et exact que possible. En donnant de Bush un faux portrait de vrai vainqueur en Floride et donc au collège électoral, ces directeurs de journaux lui insufflèrent une fausse légitimité dont il a abusé en menant le pays à la guerre en Irak en 2003.

Là encore, dans cet élan pour l’invasion de l’Irak, les principaux médias d’information se sont conduits plus en propagandistes dociles qu’en journalistes indépendants, faisant leurs les fausses affirmations de Bush sur les armes de destruction massive et se joignant au chœur des chauvinistes célébrant « les troupes » et le début de la conquête de l’Irak.

En dépit de l’embarras que connurent plus tard les médias du fait du mensonge sur les armes de destruction massive et du désastre de la guerre en Irak, les responsables de l’information des médias principaux n’eurent à faire face à aucune responsabilité. Howell Raines a perdu son poste en 2003 non à cause de son manque d’éthique dans le traitement du recomptage en Floride ou de ses faux reportages sur la guerre d’Irak, mais parce qu’il avait fait confiance au journaliste Jayson Blair qui avait fabriqué de fausses sources dans l’affaire des tireurs du périphérique du Maryland.

A quel point l’opinion du Times a pu devenir biaisée est souligné par le fait que le successeur de Raines, Bill Keller, avait écrit un important article – « Le Club des Je-Ne-Peux-Pas-Croire-Que-Je-Sois-Un-Faucon » – saluant les “libéraux” qui l’avaient rejoint dans le soutien à la guerre en Irak. Autrement dit, on peut être chassé si l’on fait confiance à un journaliste malhonnête mais on peut être promu si l’on fait confiance à un président malhonnête.

De la même manière, au Washington Post, l’éditorialiste Fred Hiatt, qui ne cessait de rapporter comme « fait établi » que l’Irak cachait des stocks d’armes de destruction massive, n’a pas eu à affronter la sorte de disgrâce journalistique qui a été infligée à Gary Webb. A la place, Hiatt s’accroche au même emploi prestigieux, écrivant la même sorte d’éditoriaux néoconservateurs déséquilibrés que ceux qui ont téléguidé le peuple américain dans le désastre iraquien, sauf que maintenant Hiatt montre le chemin pour des confrontations plus dures en Syrie, en Iran, en Ukraine et en Russie.

Donc, il n’est peut-être pas surprenant que cette corporation profondément corrompue qu’est la presse de Washington se déchaîne contre Gary Webb au moment où sa réputation a une chance tardive de réhabilitation posthume.

Mais combien bas est tombée la si vantée presse de Washington est illustré par le fait que c’est au cinéma hollywoodien – de toute nature – qu’a été laissé la charge de remettre l’histoire d’aplomb.

Le reporter d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses affaires d’Iran-Contra pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 80. Vous pouvez acheter ici son nouveau livre, le «Récit Volé de l’Amérique”, ou en version numérique (sur Amazon et barnesandnoble.com). Pendant une période limitée, vous pouvez aussi commander la trilogie de Robert Parry sur la famille Bush et ses rapports avec divers agents secrets de droite pour seulement $34. La trilogie inclut le « Récit Volé de l’Amérique”. Pour des détails sur cette offre, cliquez ici.

Source : Consortium News, le 28/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-presse-de-washington-a-mal-tourne/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [1/4] : Histoire de deux concepts essentiels

Monday 8 December 2014 at 04:44

Grâce à vos dons, nous avons pu embaucher un excellent stagiaire pour m’aider à la rédaction (nous avons encore besoin de vous, l’information indépendante ne peut hélas pas être totalement gratuite…). Voici donc la première série de billets d’Édouard…

[Americain Progress (1872) – John Gast : Allégorie de la « Destinée manifeste » représentée par Columbia - la personnification féminine des États-Unis au XIXe siècle – guidant les colons américains vers les ténèbres sauvages de l'Ouest pour y apporter la lumière (et en profite pour câbler le télégraphe au passage)1]

L’origine de la fondation des États-Unis découle d’une vision idéaliste et religieuse. La découverte du « Nouveau Monde » devait permettre la construction d’un état idyllique, en opposition aux nations décadentes d’Europe2. Dès 1630, l’avocat puritain et fondateur de la Colonie de la baie du Massachusetts, John Winthrop, dans son sermon « A Model of Christian Charity », déclara que les puritains du Nouveau Monde avaient la mission divine de construire une « Cité sur la colline » (City upon a hill)3 ; expression tirée de l’Évangile selon Matthieu (5:14) : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ». La Révolution américaine et l’apparition de la première nation républicaine et démocratique forgèrent le concept d’ « exceptionnalisme américain ». En effet, la Déclaration d’indépendance de 1776 et la Constitution américaine de 1787 mentionnèrent des principes et des valeurs, dont la vocation était d’être appliqués à l’ensemble de l’humanité.

À son retour de voyage, Alexis de Tocqueville déclara :

« La situation des Américains est donc entièrement exceptionnelle, et il est à croire qu’aucun peuple démocratique n’y sera jamais placé. » [Alexis de Tocqueville, 1835-1840, De la démocratie en Amérique]

Cette conception justifia alors l’idée que les États-Unis étaient dotés d’une « Destinée manifeste », et qu’une mission civilisatrice leur avait été dévolue afin de répandre leur modèle sur l’ensemble du continent4. En 1812, lorsque les États-Unis profitèrent des conquêtes napoléoniennes pour porter la guerre aux colonies britanniques du Canada, Andrew Jackson, alors général en chef et futur président des États-Unis d’Amérique, révéla déjà des prétentions impériales :

« Nous allons nous battre pour défendre notre droit au libre-échange et pour ouvrir le marché aux produits de notre sol » [...] « les jeunes hommes d’Amérique sont animés par l’ambition d’égaler les exploits de Rome ». [Andrew Jackson, 1812, University of Tennesee]

Le terme de « Destinée manifeste » apparut pour la première fois en 1844, dans un article du directeur de la Democratic Review, John O’Sullivan :

« Notre Destinée Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout le continent que nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos millions d’habitants qui se multiplient chaque année» [John O'Sullivan, cité p. 23 de Nouailhat Yves-Henri, Les États-Unis et le monde, de 1898 à nos jours, 2003]

Ainsi, les Américains avaient pour mission divine de s’implanter démographiquement et institutionnellement sur l’ensemble du continent nord-américain. Pour parvenir à la création de cet État exceptionnel, les fondateurs des États-Unis décidèrent de limiter l’implication américaine dans la politique européenne. Ceci se traduisit à travers la doctrine du « non-engagement », , dont Thomas Jefferson (1801-1809) fut l’un des avocats :

« J’ai toujours considéré comme fondamental pour les États-Unis de ne jamais prendre part aux querelles européennes. Leurs intérêts politiques sont entièrement différents des nôtres. Leurs jalousies mutuelles, leur équilibre des puissances (forces), leurs alliances compliquées, leurs principes et formes de gouvernement, ils nous sont tous étrangers. Ce sont des nations condamnées à la guerre éternelle. Toutes leurs énergies sont dévolues à la destruction du travail, de la propriété et des vies de leurs peuples. » [Thomas Jefferson, 1823, Source]

La volonté messianique d’expansion des dirigeants américains fut sécurisée avec la doctrine Monroe (1823) qui sanctuarisa le territoire continental en condamnant toute intervention européenne dans les affaires « des Amériques » comme celle des États-Unis dans les affaires européennes.

À partir de la fin du XIXe siècle, les États-Unis, une fois leurs frontières continentales fixées, cherchèrent à exporter leurs valeurs marchandes et culturelles dans le reste du monde. Dès lors, la notion de « Destinée manifeste » se divisa entre deux visions des relations internationales, l’une réaliste et l’autre idéaliste. Théodore Roosevelt utilisa la « Destinée manifeste » pour justifier l’interventionnisme des États-Unis au-delà de leurs frontières nationales. Son discours de 1904, « corollaire à la doctrine Monroe », affirma que les États-Unis avaient le devoir d’intervenir en Amérique Latine et aux Caraïbes, lorsque leurs intérêts étaient menacés :

« L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte d’un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, même à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international. » [Théodore Roosevelt, Discours prononcé au Congrès, 6 décembre 1904, Wikipedia]

Cette « police internationale » initiée par la vision réaliste de Roosevelt, avait pour objectif premier, non pas la propagation du modèle américain, mais la répression des déviances politiques faisant obstacle aux intérêts des États-Unis5.

Pour le président américain Thomas Woodrow Wilson, les États devaient se conformer à des règles internationales représentées par des institutions supranationales. Wilson se servit du concept de « Destinée manifeste » pour légitimer le fait que les États-Unis avaient la mission d’apporter la liberté et la justice au reste du monde :

« Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté. » [Woodrow Wilson, cité par Ronald Steel, Mr Fix-it, in New York Review of Books, 5 octobre 2000, pp.19-21]

À la suite de la Première Guerre mondiale, il représenta les États-Unis comme le ”sauveur de monde”, porteur d’un modèle exceptionnel à vocation universelle :

« L’Amérique est la seule nation idéale dans le monde […] L’Amérique a eu l’infini privilège de respecter sa destinée et de sauver le monde […] Nous sommes venus pour racheter le monde en lui donnant liberté et justice. » [Woodrow Wilson, cité par Bernard Vincent, La Destinée Manifeste, Messène, Paris, 1999]

L’idéologie impérialiste et suprémaciste américaine, représentée par les concepts de « Destinée manifeste » et d’ « exceptionnalisme américain », est donc l’héritière des visions réaliste et idéaliste de Roosevelt et Wilson.

Bien que le concept d’ « exceptionnalisme américain » date des années 1830, l’expression « American exceptionalism » fut utilisée pour la première fois en 1929, lorsque Joseph Staline condamna les propos des membres du Parti communiste américain, qui considéraient que les États-Unis étaient indépendants des lois marxistes de l’Histoire, « grâce à leurs ressources naturelles, leurs capacités industrielles, et à l’absence d’une importante lutte des classes ». Staline dénonça alors « l’hérésie de l’exceptionnalisme américain »6. La Grande Dépression mit à mal la théorie de l’exceptionnalisme américain, et en juin 1930, lors du congrès national du Parti communiste américain à New York, il fut déclaré que :

« La tempête de la crise économique aux Etats-Unis a renversé le château de cartes de l’exceptionnalisme américain, ainsi que le système tout entier des théories opportunistes et des illusions qui ont été forgées sur le mythe de la prospérité du capitalisme américain. » [Johnpoll, Bernard K, A Documentary History of the Communist Party of the United States, Vol. II, Westport, Conn: Greenwood Press, 1994, p. 196]

 Dans le contexte historique de la Guerre froide, la doctrine américaine Truman – opposée à la future doctrine soviétique Jdanov – s’inspira du concept de « Destinée manifeste » quant au devoir de protection des « peuples libres » :

 « Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d’asservissement […]. Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin […]. Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier. […] de maintenir la liberté des États du monde et à les protéger de l’avancée communiste. » [Harry Truman, Congrès des États-Unis, 12 mars 1947, Wikipedia]

Ce « soutien économique et financier », à travers le plan Marshall, permit de faire entrer les nations européennes dans la zone d’influence américaine. Malgré les tensions induites par le contexte de Guerre froide, les présidents américains continuèrent à faire référence à « l’exceptionnalisme américain » et à leur « Destinée manifeste ». En 1961, le Président John F. Kennedy reprit l’expression « City upon a hill » de Winthrop et déclara :

« Plus que n’importe quel peuple sur Terre, nous portons les fardeaux et acceptons les risques sans précédent – de part leur taille et leur durée – non pas pour nous seuls mais pour tous ceux qui souhaitent être libres. » [John F. Kennedy, 1961, Foreign Policy]

Le président Jimmy Carter affirma quant à lui dans son discours du 2 mai 1977 :

« Nous avons notre forme de gouvernement démocratique que nous pensons être la meilleure. Dans tout ce que je fais concernant la politique intérieure ou extérieure, j’essaie de faire en sorte que les gens réalisent que notre système fonctionne […] et que cela puisse servir d’exemple à d’autres. » [Jimmy Carter, 1977, Source]

À partir des années 1980, Ronald Reagan fit la synthèse entre le réalisme de Roosevelt et l’idéalisme wilsonien. D’un côté, il chercha à provoquer la chute de l’URSS en la désignant comme « l’Empire du mal »7, en l’entraînant dans la « Guerre des étoiles », et en finançant les opposants au communisme dans plusieurs pays. D’autre part, Reagan renoua avec la « Destinée manifeste » en se faisant le défenseur de la diffusion de la démocratie dans le monde :

« Dans le monde entier aujourd’hui, la révolution démocratique gagne en force […]. Nous devons être fermes dans notre conviction que la liberté n’est pas uniquement la prérogative de quelques privilégiés mais un droit inaliénable et universel pour tous les êtres humains. » [Ronald Reagan, Discours du 8 juin 1982, in Les relations internationales au temps de la guerre froide, Paul Vaiss, Klaus Morgenroth, 2006, p.181]

Après l’effondrement de l’URSS, l’administration du président Georges Bush lança le concept de « Nouvel Ordre Mondial », dont le but était d’assurer la suprématie des États-Unis et la sécurité de leurs alliés :

«  Nous nous devons aujourd’hui, en tant que peuple, d’avoir une intention de rendre meilleure la face de la nation et plus douce la face du monde. » [George Bush, 1989, Current Documents, p. 4]

Sous la présidence de Bill Clinton, la diffusion du modèle politique américain à travers le monde se conjugua avec la défense du libéralisme économique :

« Notre stratégie de sécurité nationale est donc fondée sur l’objectif d’élargir la communauté des démocraties de marché tout en dissuadant et en limitant la gamme des menaces qui pèsent sur notre nation, nos alliés et nos intérêts. Plus la démocratie et la libéralisation politique et économique s’imposeront dans le monde, notamment dans les pays d’importance stratégique pour nous, plus notre nation sera en sécurité et plus notre peuple sera susceptible de prospérer. » [Extrait du document Stratégie de sécurité nationale, présenté par le Conseil de sécurité Nationale de l’administration Clinton (1994-96), Source]

L’administration Clinton reprit à son compte l’exceptionnalisme américain en créant l’expression de « nation indispensable » pour caractériser les États-Unis d’Amérique vis-à-vis du reste du monde.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué une radicalisation de la stratégie internationale des États-Unis, notamment à travers l’élaboration d’une politique étrangère « hyper-interventionniste ». Sous l’influence des néo-conservateurs américains8, les États-Unis ont ouvertement planifié le renversement des régimes qui étaient alors hostiles aux intérêts américains :

« Les États-Unis s’efforceront constamment d’attirer le soutien de la communauté internationale, mais n’hésiteront pas à agir seuls, si nécessaire, afin d’exercer leur droit à la défense, en agissant de façon préventive contre les terroristes, dans le but de les empêcher de causer des dommages au peuple américain et au pays. » [Stratégie de Sécurité Nationale de l’administration Bush en 2002, Source]

C’est encore au nom de la « Destinée manifeste », de l’ « exceptionnalisme américain », que les États-Unis sont pris la décision d’entrer en guerre contre « l’axe du mal », sans estimer nécessaire de recevoir l’aval de l’ONU. Pour les néo-conservateurs américains, cette violation du droit international n’est pas condamnable. En effet, l’ « exceptionnalisme américain » comporte également un aspect psychologique qui est « l’inculpabilité de l’américanisme, c’est-à-dire l’impossibilité absolue que l’américanisme puisse être coupable dans le sens d’un acte répondant à une intention, une appréciation, un jugement mauvais ». Les États-Unis d’Amérique sont ainsi considérés comme « bien absolu et justice pure », et par conséquent, « rien de ce que fait l’Amérique dans le reste du monde ne peut être objectivement mauvais pour le reste du monde »9. Ainsi, au regard du passé, l’administration Bush est moins le symbole d’une rupture que de la mise en œuvre de l’idéologique « néo-conservatrice », alliant l’idéalisme théorique wilsonien au réalisme pratique de Roosevelt :

« […] pour la première fois, le wilsonisme serait réaliste puisqu’il ne s’affirmerait plus par l’intermédiaire d’une organisation internationale impuissante ou suspecte, mais par celui d’un empire irrésistible et bienveillant. » [Pierre Hassner et Justin Vaisse, Questions Internationales, p. 55]

Plus récemment, l’ « exceptionnalisme américain » a été placé au centre du débat politique américain. Le 4 avril 2009, lors d’une conférence de presse tenue à Strasbourg, Barack Obama déclara :

« Je crois dans l’exceptionnalisme américain, exactement comme je suspecte que les Britanniques croient dans l’exceptionnalisme britannique et les Grecs croient dans l’exceptionnalisme grec. » [Barack Obama, 2009, conférence de presse à Strasbourg, The American Presidency Project]

En 2010, un sondage a révélé que 80 % des Américains soutenaient l’idée que les États-Unis « possèdent un caractère unique, qui en fait le plus grand pays du monde », et que seulement 58 % d’entre eux affirmaient que « Barack Obama le pense également »10. Dans un objectif purement électoraliste, les Républicains se sont alors emparés de ce concept et l’ « exceptionnalisme américain » a été au cœur du débat de la campagne présidentielle11.

Aujourd’hui, les moyens d’accomplir la « Destinée manifeste » des États-Unis diffèrent selon le contexte, l’emplacement géographique et la présence ou non de matières premières. D’après l’article de Philippe Grasset (DeDefensa) « Notre exceptionnalisme-suprémacisme » :

« les pays européens, ont endossé cette dialectique prédatrice caractérisant aujourd’hui l’Occident dans son entier. [...] L’exceptionnalisme-suprématisme a complètement envahi l’UE, à visage découvert, véritablement comme une doctrine active de fonctionnement [...]  Ce qui était sur le moment le simple résultat d’une mécanique bureaucratique est devenue une sorte de doctrine activiste, fondée sur l’affirmation d’une sorte de supériorité morale, psychologique et technologique comme un équivalent postmoderniste à la supériorité raciale et ethnique des suprématismes des XIXème-XXème siècles. » [Philippe Grasset, 4 juin 2014, Dedefensa]

À suivre dans le billet suivant : Florilège de discours de dirigeants américains (1973-2008) 

Edouard

  1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin%C3%A9e_manifeste
  2. http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa1.htm
  3. http://en.wikipedia.org/wiki/American_exceptionalism
  4. http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin%C3%A9e_manifeste
  5. http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa3.htm
  6. Pease, Donald E. Editors: Bruce Burgett and Glenn Hendler. “Exceptionalism”, pp.108–112, in Keywords for American Cultural Studies. NYU Press, 2007
  7. Ronald Reagan, Discours sur l’état de l’Union de 1985
  8. voir les révélations de Wesley Clark : http://www.youtube.com/watch?v=vE4DgsCqP8U
  9. http://www.dedefensa.org/article-l_inculpabilite_comme_fondement_de_la_psychologie_americaniste_06_05_2006.html
  10. http://www.gallup.com/poll/145358/americans-exceptional-doubt-obama.aspx
  11. http://www.slate.fr/monde/62941/elections-usa-2012-exceptionnalisme-obscurantisme

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-14-histoire/