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Carnet de juillet 2015, par Tariq Ali

Friday 21 August 2015 at 00:16

Source : London Review of Books, le 30/07/2015

Dans les premières heures du 16 juillet, le parlement grec a voté massivement le renoncement à sa souveraineté afin de devenir un appendice semi-colonial de l’UE. Une majorité du Comité central de Syriza avait déjà pris position contre la capitulation. Il y avait eu un début de grève générale. Tsipras avait menacé de démissionner si une cinquantaine de ses députés votaient contre lui. Six se sont abstenus et 32 ont voté contre lui, y compris Yanis Varoufakis, qui avait démissionné comme ministre des finances après le référendum, parce que, dit-il, “certains participants à l’Euro-groupe avaient exprimé le désir qu’il soit « absent» des réunions”. Maintenant, le parlement a effectivement déclaré le résultat du référendum nul et non avenu. Dehors, Place Syntagma, des milliers de jeunes militants de Syriza ont manifesté contre leur gouvernement. Ensuite, les anarchistes sont arrivés avec des cocktails Molotov et les policiers anti-émeute ont répondu avec des grenades lacrymogènes. Tout le monde a quitté la place et, vers minuit, le silence était de retour. Il est difficile de ne pas se sentir déprimé par tout cela. La Grèce a été trahie par un gouvernement qui, lorsqu’il a été élu il ya seulement six mois, offrait de l’espoir. Lorsque je suis parti de la place vide, le coup d’état de l’UE m’a ramené à d’autres souvenirs.

Je suis d’abord allé en Grèce à Pâques 1967. L’occasion était une conférence de paix à Athènes pour honorer le député de gauche Grigoris Lambrakis, assassiné par les fascistes à Salonique en 1963, tandis que la police assistait à la scène sans intervenir, fait plus tard immortalisé dans le film Z de Costa-Gavras. Un demi-million de personnes ont assisté à ses funérailles à Athènes. Lors de la conférence, de folles rumeurs ont commencé à se répandre autour de la salle. Sur le podium, un moine bouddhiste du Vietnam ne pouvait pas comprendre pourquoi les gens avaient cessé de l’écouter. Quelqu’un, dont la famille avait des accointances dans l’armée, avait signalé que l’armée grecque, soutenue par Washington, était sur le point de lancer un coup d’état pour éviter des élections qu’ils craignaient de voir remportées par la gauche. Les délégués étrangers ont été invités à quitter sur-le-champ le pays. Je pris un vol de retour pour Londres en début de matinée. L’après-midi même les tanks occupaient les rues. La Grèce est restée sous les colonels les sept années suivantes.

Je suis allé à Athènes ce mois-ci pour la même raison : parler à une conférence, laquelle était ironiquement intitulée « La montée de la démocratie ». En attente d’un ami dans un café à Exarchia, j’ai entendu des gens discuter du moment où le gouvernement tomberait. Tsipras a encore des partisans qui sont convaincus qu’il triomphera lors de la prochaine élection. Je n’en suis pas si sûr. Il a été peu glorieux depuis six mois. Les jeunes gens qui ont voté pour Syriza en grand nombre et qui sont sortis pour faire campagne avec enthousiasme pour le « non » au référendum tentent de saisir ce qui est arrivé. Dans le café bondé, ils débattaient furieusement. Au début du mois, ils fêtaient le « Non ». Ils étaient prêts à faire plus de sacrifices, à risquer la vie hors de la zone euro. Syriza leur a tourné le dos. La date du 12 juillet 2015, lorsque Tsipras a accepté les termes de l’UE, deviendra aussi infâme que le 21 avril 1967. Les tanks ont été remplacés par les banques, comme Varoufakis l’a dit après qu’il ait quitté le poste de ministre des finances.

La Grèce, en fait, a beaucoup de tanks, parce que les industries d’armement, allemandes et françaises, désireuses de se débarrasser du surplus de matériel dans un monde où les guerres sont menées par des bombardiers et des drones, corrompent les politiciens. Au cours de la première décennie de ce siècle la Grèce a été parmi les cinq principaux importateurs d’armes, principalement les entreprises allemandes Ferrostaal, Rheinmetall et Daimler-Benz. En 2009, un an après le crash, la Grèce a dépensé 8 milliards d’euros – 3,5 pour cent du PIB – pour la défense. Le ministre grec de la défense de l’époque, Akis Tsochatzopoulos, qui a accepté des pots de vin énormes de ces sociétés, a été reconnu coupable de corruption par un tribunal grec en 2013. Prison pour les Grecs, petites amendes pour les patrons allemands. Rien de tout cela n’a été mentionné par la presse financière ces dernières semaines. Nécessité de présenter la Grèce comme le seul transgresseur. Pourtant  une preuve concluante a été produite à un tribunal comme quoi le plus grand fraudeur d’impôts du pays est Hochtief, l’entreprise allemande géante de construction, qui gère l’aéroport d’Athènes. Elle n’a pas payé la TVA depuis vingt ans, et doit 500 millions d’euros pour les seuls arriérés de TVA. Elle n’a pas non plus payé les cotisations dues à la sécurité sociale. Les estimations suggèrent que la dette totale de Hochtief pour le Trésor public pourrait dépasser le milliard d’euros.

C’est souvent en temps de crise que les politiciens radicaux découvrent combien ils sont inutiles. Paralysés par la découverte que ceux qu’ils pensaient être leurs amis ne l’étaient pas du tout, ils s’inquiètent de semer leurs électeurs et perdent leur sang-froid. Lorsque leurs ennemis, surpris qu’ils aient concédé plus que la livre de chair exigée, en demandent encore plus, les politiciens piégés se tournent finalement vers leurs partisans, pour découvrir que les gens sont très en avance sur eux : 61 pour cent des Grecs ont voté le rejet de l’offre de sauvetage.

Ce n’est plus un secret ici que Tsipras et le cercle de ses proches attendaient un « Oui » ou un « Non » étriqué. Pris par surprise, ils ont paniqué. Une réunion d’urgence du cabinet les a montrés en pleine retraite. Ils ont refusé de se débarrasser des placements de la BCE en charge de la Banque d’état grecque, et rejeté l’idée de nationaliser les banques. Au lieu de suivre les résultats du référendum, Tsipras a capitulé. Varoufakis a été sacrifié. Les ministres de l’UE le détestaient parce qu’il leur parlait comme un égal, et son ego était un défi pour Schäuble.

Pourquoi Tsipras tint-il un référendum, après tout ? « Il est si difficile et idéologique », se plaignit Angela Merkel à ses conseillers. Si seulement. C’était un risque calculé. Il pensait que le camp du oui gagnerait, prévoyait de démissionner et de laisser l’UE diriger le gouvernement. Les dirigeants de l’UE ont lancé une vive campagne de propagande et de pression sur les banques grecques, afin de restreindre l’accès aux dépôts, avertissant qu’un vote « non » signifiait le Grexit. L’acceptation de Tsipras de la démission de Varoufakis était un signal précocement envoyé à l’UE comme quoi il était sur le point de céder. Euclid Tsakalotos, son successeur aux manières douces, a bénéficié rapidement de l’approbation de Schäuble : c’était quelqu’un avec qui il pouvait faire affaire. Syriza a tout accepté, mais lorsque il a été demandé plus, il a été donné plus. Cela n’a rien à voir avec l’économie, et tout à voir avec la politique. Ils ont crucifié Tsipras, a dit un fonctionnaire de l’UE au FT (Financial Times). La Grèce avait vendu sa souveraineté pour un troisième plan de sauvetage du FMI, et une promesse d’aider à la réduction du fardeau de la dette – Syriza avait commencé à ressembler à un ver remontant du cadavre du Pasok discrédité.

Lui aussi fut autrefois un parti de gauche. En 1981, quand il est arrivé au pouvoir, son leader, Andreas Papandreou, était très populaire, et dans les six premiers mois au pouvoir, il entreprit de réelles réformes – et non les régressions que les néolibéraux appellent aujourd’hui “réformes”. Beaucoup d’étudiants radicalisés par la lutte contre la dictature, ainsi que de nombreux intellectuels marxistes qui avaient contesté l’hégémonie américaine, ont afflué pour le rejoindre. En quelques années, certains des plus connus d’entre eux avaient été intégrés moralement et politiquement dans les nouvelles structures de pouvoir du pays que Papandreou inséra dans l’UE. Les années passant, le Pasok dégénéra. Dans ce siècle, il devint pratiquement impossible de le distinguer de son vieux rival, la Nouvelle Démocratie.

Syriza est l’enfant de la crise actuelle et des mouvements qu’elle engendre. Un instrument politique était nécessaire afin de contester les partis existants, et Syriza était cela. Les objectifs que Tsipras a maintenant abandonnés furent inscrits dans le programme de Thessalonique, republié ci-dessous, programme que le parti a accepté à l’unanimité en septembre de l’année dernière.

Lors de leur premier voyage à Berlin, le 20 février de cette année, M. Schäuble a exposé clairement à Tsipras et Varoufakis que leur programme était incompatible avec l’appartenance à la zone euro. Tsipras a accepté de mettre ce programme de côté, et a offert quelques « concessions » : la troïka – les auditeurs représentant la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, et le FMI – a été remplacée par une structure censée être plus responsable, dont les bureaucrates ne seraient pas autorisés à entrer dans les ministères grecs. Cela a été revendiqué par Tsipras et Varoufakis comme une victoire. La vérité est tout à l’opposé. Il est maintenant reconnu que Schäuble a offert un Grexit organisé, à l’amiable, et un chèque de 50 milliards d’euros. Cela a été refusé au motif que cela semblait être une capitulation. C’est une logique bizarre. Cela aurait préservé la souveraineté grecque, et si Syriza avait pris en charge le système bancaire grec, une reprise aurait pu être planifiée sur ces bases. L’offre a été répétée plus tard. « Combien voulez-vous pour quitter la zone euro ? » a demandé Schäuble à Varoufakis, juste avant le référendum. Encore une fois, Schäuble a été snobé. Bien sûr, les Allemands ont fait l’offre selon leur propre point de vue, mais un Grexit organisé aurait été beaucoup mieux pour la Grèce que ce qui est arrivé.

Quand le capitalisme est entré en crise en 2008, l’ampleur de la catastrophe fut telle que Joseph Stiglitz était convaincu que c’était la fin du néolibéralisme, que de nouvelles structures économiques seraient nécessaires. Erreur, hélas, sur ces deux points. L’UE a rejeté toute idée de relance, sauf pour les banques, dont l’insouciance, soutenue par les politiciens, avait en premier lieu été responsable de la crise. Les contribuables, en Europe et aux États-Unis, ont donné des milliards aux banques. La dette grecque, par comparaison, était peu de chose. Mais l’UE, ne voulant pas opérer de changement capable d’endommager le processus de financiarisation, avait insisté que c’était la seule manière d’avancer. La Grèce, le maillon faible de la chaîne de l’UE, s’en est allée en premier, suivi par l’Espagne, le Portugal, l’Irlande. L’Italie était au bord. La troïka a dicté les politiques à suivre dans tous ces pays. Les conditions en Grèce ont été horribles : un quart de million de Grecs dut recourir à l’aide humanitaire pour acheter de la nourriture, payer le loyer et l’électricité ; le pourcentage d’enfants vivant dans la pauvreté a bondi de 23 pour cent en 2008 à 40 pour cent en 2014 et, maintenant, est proche de 50 pour cent. En mars 2015 le chômage des jeunes s’élevait à plus de 49 pour cent, 300 000 personnes n’avaient pas accès à l’électricité et l’institut de médecine préventive Prolepsis a constaté que 54 pour cent des Grecs étaient sous-alimentés. Les pensions ont diminué de 27 pour cent entre 2011 et 2014. Syriza soutient que cela constituait une punition collective, et qu’un nouvel « accord », visant à apporter une certaine amélioration des conditions de vie quotidienne, était nécessaire.

L’UE a maintenant réussi à écraser l’alternative politique que Syriza représentait. L’attitude allemande envers la Grèce, bien avant la montée de Syriza, a été façonnée par la découverte qu’Athènes (aidée par Goldman Sachs) avait trafiqué ses livres afin d’entrer dans la zone euro. Ceci est incontestable. Mais cela n’est-il pas dangereux, et erroné, de punir le peuple grec – et continuer à le faire même après qu’il ait rejeté les partis politiques responsables de ces mensonges ? Selon Timothy Geithner, l’ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, l’attitude des ministres européens des finances au début de la crise a été : « Nous allons donner une leçon aux Grecs. Ils nous ont menti, ils ont tout aspiré, ils étaient prodigues, ils ont profité de tout ça, et nous allons les écraser. » Geithner dit qu’en réponse il leur a dit, « Vous pouvez mettre votre pied sur le cou de ces gars si c’est ce que vous voulez faire », mais il a insisté pour que les investisseurs ne soient pas punis, ce qui signifiait que les Allemands devaient assumer une grande partie de la dette grecque. Comme les banques françaises et allemandes avaient le plus d’exposition à la dette grecque, leurs gouvernements ont agi pour les protéger. Renflouer les riches est devenu la politique de l’UE. La restructuration de la dette est en cours de discussion, maintenant, avec la fuite du rapport du FMI, mais les Allemands sont en tête de la résistance. « Aucune garantie sans contrôle », la réponse de Mme Merkel en 2012 demeure en vigueur.

La capitulation signifie davantage de souffrances, mais elle a aussi conduit plus largement à des questions sur l’UE, ses structures et ses politiques. Pour les Grecs de pratiquement toutes les sensibilités politiques, l’UE fut considérée comme une famille à laquelle il fallait appartenir. Elle s’est avérée être une famille très dysfonctionnelle. Je ne pensais pas voter au référendum sur l’UE en Grande-Bretagne quand il aura lieu. Maintenant, je le ferai. Je vais voter « non ».

17 Juillet

Le Programme de Thessalonique

Nous exigeons des élections législatives immédiates et un fort mandat de négociation dans le but de :

Rayer la plus grande partie de la valeur nominale de la dette publique de sorte qu’elle devienne supportable, dans le contexte d’une « Conférence européenne de la dette ». Cela s’est produit en Allemagne en 1953. Cela peut aussi advenir pour le Sud de l’Europe et la Grèce.

Inclure une « clause de croissance » pour le remboursement de la part restante, de sorte que cela soit financé par la croissance, et non par le budget.

Inclure une période significative de grâce (« moratoire ») dans le service de la dette afin d’épargner des fonds pour la croissance.

Exclure l’investissement public des restrictions du Pacte de Stabilité et de Croissance.

Un « New Deal européen » de l’investissement public, financé par la Banque européenne d’investissement.

L’assouplissement quantitatif par la Banque centrale européenne des achats directs d’obligations souveraines.

Enfin, nous déclarons, une fois encore, que la question de l’emprunt forcé sur la Banque de Grèce par l’occupation nazie est pour nous ouverte. Nos partenaires le savent. Cela deviendra la position officielle du pays dès nos premiers jours au pouvoir.

Sur la base de ce plan, nous allons nous battre pour une solution socialement viable au problème de la dette de la Grèce, afin que notre pays soit en mesure de rembourser la dette restante dès la création de nouvelles richesses, et non à partir des excédents primaires, ce qui prive la société de tout revenu.

Avec ce plan, nous mènerons avec sécurité le pays à la reprise et à la reconstruction productive par :

L’augmentation immédiate des investissements publics d’au moins 4 milliards d’euros.

L’inversion progressive des injustices du mémorandum.

La restauration progressive des salaires et des pensions, de manière à augmenter la consommation et la demande.

La stimulation des petites et moyennes entreprises, par des incitations à l’emploi, et la subvention de l’énergie pour l’industrie, en échange d’emplois et de clauses environnementales.

L’investissement dans la connaissance, la recherche, les nouvelles technologies, afin que les jeunes scientifiques, qui ont massivement émigré au cours des dernières années, reviennent chez eux.

La rénovation de l’état-providence, la restauration de la primauté du droit, la création d’un état méritocratique.

Nous sommes prêts à négocier et nous travaillons à la construction d’alliances les plus larges possibles en Europe.

Le présent gouvernement de Samaras est de nouveau prêt à accepter les décisions des créanciers. La seule alliance qu’il se soucie de construire est avec le gouvernement allemand.

Ceci est notre différence et cela est, à la fin, le dilemme :

La négociation européenne par un gouvernement Syriza, ou l’acceptation des termes des créanciers de la Grèce par le gouvernement Samaras.

Source : London Review of Books, le 30/07/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/carnet-de-juillet-2015-par-tariq-ali/


La Russie renforce son arsenal nucléaire avec 40 missiles intercontinentaux

Friday 21 August 2015 at 00:01

C’est à dire que, quand la Russie répond au déploiement d’armes lourdes par les USA à sa frontière, elle abuse sévère quoi…

Par chance, nos dirigeants font tout pour améliorer notre sécurité, comme on le voit…

Vladimir Poutine, le président russe, a prononcé un discours lors d’une foire aux armes, à Kubinka, près de Moscou, le 16 juin 2015.

Vladimir Poutine a annoncé mardi 16 juin que la Russie allait renforcer son arsenal nucléaire avec le déploiement de plus de quarante nouveaux missiles intercontinentaux d’ici à la fin de l’année. Ils devraient être « capables de déjouer les systèmes de défense antimissile les plus sophistiqués », a précisé le président russe à l’occasion du Salon militaire armée 2015. Un déploiement qualifié de « déstabilisant » et « dangereux » par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

« La déclaration de M. Poutine aujourd’hui confirme (…) le comportement de la Russie depuis un moment déjà. Nous avons vu que la Russie investit davantage dans la défense en général, et en particulier dans les capacités nucléaires », a observé M. Stoltenberg, ajoutant :

« Ils s’entraînent plus, ils développent de nouvelles capacités nucléaires et utilisent davantage une rhétorique nucléaire. »

Cette annonce a été faite sur fond d’aggravation des tensions entre la Russie et les Etats-Unis, dont les projets de déploiement d’armes lourdes en Europe dévoilés par le New York Times ont provoqué la colère de Moscou. Le Pentagone prévoit d’entreposer des armes lourdes, notamment des chars de combat, en Europe de l’Est et dans les pays Baltes – Lituanie, Estonie et Lettonie. Ces derniers craignent de devenir la cible de la Russie à l’activité aérienne et navale accrue dans la région.

« Encourager la peur »

« Les Etats-Unis encouragent soigneusement la peur de la Russie chez leurs alliés européens afin de tirer avantage de ce moment difficile et d’étendre davantage leur présence militaire et donc leur influence en Europe », avait dénoncé lundi soir le ministère des affaires étrangères russe dans un communiqué. Moscou espère que « le bon sens l’emportera et [que] l’on réussira à empêcher que la situation en Europe ne dégénère en une nouvelle confrontation militaire qui pourrait avoir des conséquences dangereuses », avait souligné le ministère.

Si la proposition du Pentagone est acceptée par l’exécutif américain, les Etats-Unis entreposeront pour la première fois des armes lourdes dans ces pays qui ont adhéré à l’OTAN et qui, avant la chute du mur de Berlin, appartenaient à la sphère d’influence de l’Union soviétique. Washington explique vouloir ainsi rassurer les pays Baltes et d’autres pays d’Europe de l’Est qui sont très inquiets depuis l’annexion de la Crimée et le déclenchement du conflit en Ukraine, où des séparatistes prorusses contestent l’autorité de Kiev. Kiev et les Occidentaux accusent la Russie d’armer les séparatistes et d’avoir déployé des troupes régulières pour les aider ; ce que Moscou dément farouchement. Le conflit a fait plus de 6 400 morts depuis avril 2014.

Source : Le Monde, le 16 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-renforce-son-arsenal-nucleaire-avec-40-missiles-intercontinentaux/


[Recommandé] Eric Toussaint témoigne sur la capitulation du gouvernement Tsipras

Thursday 20 August 2015 at 00:01

Source : CADTM, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde, le 18 août 2015.

SiV-Athens, Flickr/cc

Lors d’une conférence organisée le 13 août 2015 à Lasalle par le Collectif cévenol de solidarité avec le peuple grec, Éric Toussaint (qui a conduit l’audit citoyen de la dette grecque, à la demande du Parlement grec) a présenté son témoignage sur ce qui a amené le gouvernement Tsipras à capituler. 130 personnes étaient présentes.

Nous vous présentons 2 versions de la vidéo, la complète de 1h44 et une version réduite avec les meilleurs moments en 37 minutes.

Voici donc la version intégrale :

Et la vidéo de 37 minutes réalisée par Jean-Claude Carcenac qui reprend des extraits de la conférence :

Dans la foulée de cette conférence, le cinéaste Philippe Menut, auteur de la Tourmente grecque, prépare avec Éric Toussaint une vidéo consacrée à l’explication de la capitulation. La conférence présentée à Lassalle constitue en quelque sorte une préparation de cette nouvelle vidéo.

À noter qu’au cours de cette conférence 800 euros ont été récoltés en soutien au dispensaire de santé d’Hellinikon à Athènes.

Source: http://www.les-crises.fr/recommande-eric-toussaint-temoigne-sur-la-capitulation-du-gouvernement-tsipras/


Tryfon Alexiadis : “Des pays européens tentent d’attirer les armateurs grecs chez eux”

Wednesday 19 August 2015 at 01:45

Source : Pavlos Kanpantais, pour L’Obs, le 11 août 2015.

Pourquoi est-ce tellement difficile en Grèce de collecter l’impôt ? Réponse de Tryfon Alexiadis, ministre en charge du dossier. De notre correspondant à Athènes.

Entretien avec Tryfon Alexiadis, vice-ministre des Finances, en charge de la Fiscalité (ARIS MESSINIS / AFP)

Entretien avec Tryfon Alexiadis, vice-ministre des Finances, en charge de la Fiscalité (ARIS MESSINIS / AFP)

Tryfon Alexiadis est le vice-ministre des Finances en charge de la Fiscalité depuis le 17 juillet et le remaniement du gouvernement d’Alexis Tsipras. Son profil est atypique. Président du Syndicat des agents du fisc pour Athènes et les Cyclades jusqu’à sa nomination, c’est un expert incontestable de la fiscalité grecque qui connait aussi parfaitement le fonctionnement du ministère des Finances pour y avoir travaillé pendant plus de 20 ans. Interview

- Tryfon Alexiadis : Pendant très longtemps en Grèce, il n’y avait aucune volonté politique de faire réellement marcher le système fiscal. Résultat direct, il n’y a jamais eu une vraie planification centrale pour collecter l’impôt. Cela, combiné à la collusion qui a longtemps existé entre les hommes politiques et les fraudeurs, grands ou petits, rendait la situation intenable.

Ce que je dis ici d’ailleurs n’est pas une analyse personnelle. Cela a été maintes fois dénoncé par des hommes politiques de tous bords : pour tout contribuable ayant des contacts politiques, les contrôles étaient très souvent interrompus après l’intervention de ces derniers, qu’ils soient ministres ou députés, du parti au pouvoir mais même, parfois, de l’opposition. La grande nouveauté aujourd’hui, c’est que pour les 5.300 contrôles effectués la semaine passée auprès d’entreprises du secteur touristique, je n’ai reçu aucun coup de fil demandant que j’intervienne pour protéger quelqu’un…

La semaine passée, sur l’île de Rhodes, des contrôleurs fiscaux ont été chassés manu militari par des commerçants et des citoyens. La défiance contre les services du fisc reste donc un problème majeur auquel vous allez être confronté vous aussi…

- Cette manière de fonctionner, c’est le début du fascisme. Le citoyen ne peut pas décider qu’il a le droit d’agresser des fonctionnaires qui font leur travail. Il peut manifester, il peut organiser des actions politiques pour communiquer ces idées et proposer des solutions, mais on ne peut pas aller plus loin. Les “révolutionnaires” de l’ile de Rhodes ne sont pas des combattants héroïques. Ce sont tout simplement des fraudeurs essayant d’échapper à un contrôle fiscal. D’ailleurs, il faut savoir que ce genre de violences envers les contrôleurs a commencé par les boites de nuits et leurs gros bras… Ces pratiques ne sont pas acceptables dans le cadre démocratique.

Rhodes n’est pas un cas isolé. Des actes similaires ont déjà eu lieu il y a quelques années, notamment sur l’ile d’Hydra.

- C’est vrai, et c’était bien évidemment tout aussi condamnable. Mais dans le passé, il y avait le sentiment que les contrôles ne concernaient que ceux qui n’avaient pas les bonnes connections politiques. Nous devons mettre fin à cette idée reçue, car désormais nos contrôles concernent tout le monde. La société grecque va s’en rendre compte très vite. D’ailleurs, ce combat contre la fraude fiscale et la contrebande ne pourra réussir que lorsque nous aurons la société avec nous… Les contrôles visant la contrebande de carburant ont déjà commencé, chose qui n’avait, malheureusement, jamais été faite jusqu’à maintenant ! Fin septembre, vous en verrez les résultats.

Comprenez bien : si le gouvernement d’Alexis Tsipras reste populaire, malgré toutes les difficultés, c’est parce que gens savent que les choses désormais sont très différentes.

Vous semblez très confiant. Mais êtes-vous certain que le gouvernement actuel restera en place assez longtemps pour accomplir ces changements ? L’accord qui va être signé avec les créanciers de la Grèce ne risque-t-il pas d’être fatal au gouvernement actuel et à Syriza ?

- La stabilité gouvernementale est dans les mains du groupe parlementaire de Syriza. Ils peuvent faire chuter le gouvernement à tout moment s’ils le désirent. Mais la majorité de ses députés c’est positionnée en faveur de l’accord que le gouvernement finalise en ce moment même avec les créanciers du pays. Une minorité importante a quant à elle une autre opinion. On verra bien.

Concernant l’accord, nous avons dû choisir entre une faillite violente et un retour forcé à la monnaie nationale. Cependant, au final, vous verrez : il sera bien meilleur que les accords précédents. Ceux qui prédisent que cet accord sera insoutenable et impossible à appliquer pour Syriza se trompent. Ce gouvernement comprend qu’il y a des limites pour la population et la société et il négocie en conséquence.

Au-delà des questions de volonté politique concernant la collecte de l’impôt et de la méfiance des citoyens grecs, le fisc grec est-il confronté à d’autres problèmes majeurs ?

- Nous n’avons pas le personnel nécessaire pour faire correctement notre travail. Selon une étude récente de l’OCDE, nous sommes très loin des moyennes européennes. Concrètement, en France, il y a un agent du fisc pour 550 habitants, en Allemagne un agent pour 725 habitants. Et en Grèce, seulement un agent pour 1.100…

De plus notre équipement informatique est complètement obsolète. La plupart de nos agences ont des ordinateurs datant de 2002 ou de 2003. Pire encore, aucun poste des douanes grecques ne possède une machine de contrôle aux rayons X pour pouvoir scanner et contrôler facilement les camions qui passent. L’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie ont tous ce genre de machines à leur disposition. Evidemment, ces problèmes réduisent beaucoup notre efficacité.

Que comptez-vous faire concernant l’imposition de l’Eglise et des armateurs ?

- [sourire] On va demander l’aide de Dieu et appliquer la Constitution. La Constitution du pays prévoit deux choses : que les citoyens grecs doivent tous sans exception contribuer au trésor public et que cela doit se faire selon les possibilités de chacun. Tant l’Eglise que la marine marchande paieront ce qu’ils doivent payer.

Considérez-vous que l’Eglise et les armateurs doivent payer plus ?

- Dans les deux cas, il faut commencer un dialogue pour voir si réellement ils peuvent et doivent payer plus. Concernant l’Eglise en particulier, il faut bien comprendre qu’elle accompli aussi un grand travail social pour lequel elle coopère avec l’Etat. Quel intérêt pour l’Etat de l’imposer tellement qu’elle devra diminuer ses contributions envers les plus démunis ?

En ce qui concerne la marine marchande et donc les armateurs, nous avons déjà rencontré les représentants du secteur. Une discussion sur une hausse de leur imposition est à l’étude. Cependant, comprenez que la marine marchande est l’un des trois secteurs principaux de l’économie grecque, au même titre que le tourisme et la production agricole. Il faut donc faire attention : si une hausse d’impôts nuit réellement à leur compétitivité, non seulement on ne récupérera pas plus d’argent, mais on ne touchera même pas ce que l’état touche actuellement. Leur activité étant de toute façon extraterritoriale, il est très simple pour les armateurs de changer les pavillons de leurs navires et de s’installer dans un autre pays, peut-être même à l’intérieur de l’UE…

Vous considérez donc qu’il existe un problème de compétition intra-européenne concernant la fiscalité ?

- Οui, et tant qu’il y a des pays au sein de l’UE qui essayent d’attirer des entreprises en pratiquant le dumping fiscal, cela sera un problème majeur… Lors de nos récentes rencontres avec les armateurs, ceux-ci nous ont confié qu’ils reçoivent de nombreux coup fils de dignitaires d’autres gouvernements européens qui leur promettent des meilleures conditions s’ils y transfèrent leur siège social… Sans citer les pays concernés, au moment même où l’on nous met la pression pour les taxer plus, ce n’est pas normal.

Source: http://www.les-crises.fr/tryfon-alexiadis-des-pays-europeens-tentent-dattirer-les-armateurs-grecs-chez-eux/


Thomas Piketty : ceux qui cherchent le Grexit « sont de dangereux apprentis-sorciers »

Tuesday 18 August 2015 at 01:55


Thomas Piketty : ceux qui cherchent le Grexit… par lemondefr

Source : Le Monde, le 2 juillet 2015.

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On se rappellera alors le fameux appel de ces non-moins fameux économistes, sorti en octobre 1997 – qui eux, PAR CHANCE, n’étaient pas de dangereux apprentis-sorciers… !!!!!!!!!!!!!!!

« L’Euro, une chance pour la France, une chance pour l’Europe », texte publié dans le supplément économique du quotidien « Le Monde » daté du 28 octobre 1997.

« L’avènement prochain de la monnaie européenne nous concerne tous : Français et citoyens de l’Union européenne. Et pourtant qu’en savons-nous exactement? L’Europe, trop souvent présentée comme une abstraction et comme une source de contraintes, va enfin se concrétiser dans notre vie de tous les jours d’ici moins de cinq cents jours.

En effet, dès le 4 janvier 1999, les épargnants se familiariseront avec la monnaie unique : les obligations, la cotation des actions, la valorisation des sicavs et des fonds communs de placement, notamment, seront exprimés en euros. Les prix commenceront à être libellés en euros. Les consommateurs, avant même l’introduction des pièces et des billets (janvier 2002), pourront régler leurs achats dans la nouvelle monnaie sous forme de chèques et de paiements par carte. Les entreprises, en particulier, celles qui ont une activité internationale, pourront basculer tout ou partie de leurs activités (facturation, trésorerie, règlements…) en euros.

L’Union européenne, les États membres et de nombreuses entreprises ont d’ores et déjà engagé les préparatifs pour l’introduction de l’euro. Celle-ci ne constitue pas une fin en soi. Elle cimentera le rapprochement des citoyens européens, auxquels elle offrira davantage de bien-être, de cohésion et de capacités d’action.

Sommes-nous pleinement conscient de la portée de cet évènement? Mesurons-nous les enjeux et les opportunités engendrés par la réalisation de l’Union économique et monétaire? Savons-nous que l’euro apportera :

1. Le complément logique du marché unique. L’Europe a assez souffert des fluctuations de change depuis vingt-cinq ans pour ne pas chercher à fixer irrévocablement les taux de conversion des monnaies des États membres. Ne pas le faire, c’est nous condamner à encourir le risque de crises spéculatives, et à en payer indéfiniment le prix, notamment sous la forme de taux d’intérêts plus élevés.

2. Une référence commune des prix dans les pays appartenant à la zone euro, ce qui développera la concurrence et stimulera les échanges. Elle assurera ainsi des prix attractifs et effectivement comparables pour les consommateurs, dont les choix seront facilités par une offre de services d’une qualité croissante.

3. Une gestion saine des finances publiques. Celle-ci est de toute façon indispensable. Mais coordonnée à l’échelle européenne, elle favorisera la croissance au sein d’un grand marché homogène, facilitera la modération des impôts et des taux d’intérêts bas. Elle bénéficiera aux investisseurs, aux consommateurs et aux entreprises qui pourront ainsi développer la recherche, l’activité et l’emploi.

4. L’élargissement des possibilités de financement des entreprises et de placement de notre épargne dans un marché financier européen de taille mondiale.

5. Une source de simplification et d’économie dans les transactions au sein de l’Union (disparition du risque de change, paiements transfrontaliers moins coûteux…).

6. Une monnaie reconnue qui concurrencera le dollar et le yen. L’euro donnera à l’Europe, première puissance commerciale mondiale, l’expression de sa véritable dimension économique. La Banque centrale européenne assurera la stabilité du pouvoir d’achat tant dans notre vie quotidienne que dans nos placements à l’étranger. L’euro sera ainsi le symbole concret de l’identité européenne et assurera à l’Union européenne une position centrale dans le concert international.

7. Dans une Europe unifiée par l’économie et la monnaie, les citoyens et les entreprises, disposant désormais d’une totale liberté de mouvement, pourront tisser des liens approfondis. Des solidarités nouvelles pourront alors naître dans les domaines sociaux, culturels et politiques. Ainsi se forgera une Europe plus harmonieuse et plus démocratique.

Tous ces attraits de l’euro sont encore trop mal connus des populations européennes. Or l’adoption réussie de la nouvelle monnaie exige la confiance de tous, ce qui nécessite l’émergence d’un enthousiasme fort, expression d’une adhésion partagée. Il n’est que temps de susciter cette prise de conscience et cette appropriation de l’euro à tous les niveaux. La publication rapide d’un schéma de passage à l’euro pour l’ensemble de la société française constitue, à cet égard, une urgence.

Depuis des siècles, l’Europe a recherché, par des voies souvent éphémères ou condamnables, une unité durable. Elle n’y est jamais totalement parvenue, car les valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité n’ont jamais réussi à s’harmoniser durablement dans un cadre pacifique et démocratique.

Aujourd’hui, le traité de l’Union européenne, ratifié par le peuple français en 1992, offre désormais une base solide pour tous les États membres. A travers l’Union économique et monétaire, c’est la société européenne de demain que nous bâtissons ensemble pour nous mêmes et pour nos enfants. Une société fondée sur des valeurs humanistes et une culture à laquelle ont contribué tous les peuples de l’Union européenne. Ne laissons pas passer cette chance !

Des voix s’élèvent encore de temps à autres pour inciter au doute et au rejet. Serons nous prêts à temps? Une telle union sera-t-elle durable? L’euro n’est-il pas un facteur de chômage? Tous ces efforts ont-ils un sens?

Ces interrogations sont surtout la manifestation d’un manque de confiance en nous-mêmes et dans notre capacité à faire face aux défis du monde d’aujourd’hui. L’Europe ne retrouvera la voie de la prospérité et du plein emploi que par la mobilisation des énergies et le respect commun de règles de bon sens (saine gestion économique, maîtrise des budgets…). Les efforts consentis hier et aujourd’hui en ce sens feront demain la force de l’Union européenne et assureront durablement notre prospérité ainsi que notre rayonnement dans un monde de plus en plus interdépendant.

Au sein de l’Union, les pouvoirs publics français et allemands notamment déploient une détermination continue pour respecter les échéances de l’Union économique et monétaire.

Il est grand temps que les acteurs économiques et sociaux intensifient leurs travaux d’adaptation pour bénéficier des avantages de cette mutation sans précédent. C’est au prix d’un tel engagement que les citoyens, informés de ces enjeux et de ces attraits, participeront alors positivement à l’émergence de la monnaie européenne. L’euro touchera à bien des aspects de la vie sociale, par exemple le fonctionnement des entreprises, des associations, des administrations et le quotidien du particulier.Ses bienfaits seront d’autant plus effectifs que les préparations techniques auront été engagées et achevées le plus tôt possible. C’est en levant au plus vite les contraintes du basculement  que les banques et les entreprises pourront saisir les opportunités de croissance nouvelle ainsi offertes. Il s’agit d’une course contre la montre dont tous les acteurs doivent être pleinement conscients. C’est une chance mais aussi un devoir que de se préparer au plus vite.

L’euro sera l’un des piliers d’une cohésion nouvelle. C’est un acte de confiance dans l’avenir, un facteur d’espérance et d’optimisme, qui permettra à l’Europe de mieux affirmer sa destinée et d’entrer de plain-pied dans un XXIe siècle fondé sur la paix et la liberté ».

Signataires : Michel Albert, membre du Conseil de politique monétaire ; Edmond Alphandéry, président d’EDF ; Jacques Attali, conseiller d’État ; Robert Baconnier, président du directoire du Bureau Francis Lefebvre ; René Barberye, président du directoire du Centre national des Caisses d’épargne et de prévoyance ; Claude Bébéar, président d’AXA-UAP ; Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain ; Christian Blanc, ancien président d’Air France ; Christian de Boissieu, universitaire, économiste ; Jean Boissonnat, journaliste ; Philippe Bourguignon, président du Club méditerranée ; Monique Bourven, président-directeur général State Street Bank SA ; Hervé Carré, directeur des affaires monétaires à la Commission européenne ; Jérôme Clément, président de la Cinquième ; Bertrand Collomb, président de Lafarge ; Paul Coulbois, professeur émérite des universités ; Lucien Douroux, directeur général de la Caisse nationale du crédit agricole ; Jean-René Fourtou, président de Rhône-Poulenc ; Jean-Marie Gorse, président national du centre des jeunes dirigeants (CJD) ; Gilbert Hyvernat, directeur général de la Croix-Rouge française ; Jean Kahn, président de la Commission consultative européenne « racisme-xénophobie » ; Philippe Lagayette, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ; Pascal Lamy, directeur général du Crédit lyonnais ; Jacques de Larosière, président de la BERD ; Daniel Lebègue, vice-président de la BNP ; Robert Léon, gérant de Qualis SCA ; Edmond Malinvaud, professeur honoraire au Collège de France ; Gérard Mestrallet, président du directoire de Suez-Lyonnaise des eaux ; Jean Miot, président de l’AFP ; Thierry de Montbrial, membre de l’Institut ; Etienne Pflimlin, président du Crédit mutuel ; Jean-François Pons, directeur général adjoint à la Commission européenne ; René Ricol, président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (csoec) ; Jacques Rigaud, président de RTL ; Gérard Trémège, président de l’Assemblée des chambres de commerce et d’industrie.

Source : Pense-bête.

“On nous prendrait pas un peu pour des imbéciles ?”

Source: http://www.les-crises.fr/thomas-piketty-ceux-qui-cherchent-le-grexit-sont-de-dangereux-apprentis-sorciers/


Zone euro : que veut l’Allemagne ?

Tuesday 18 August 2015 at 00:01

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 10 août 2015.

Angela Merkel et Wolfgang Schäuble pourraient bien être d'accord sur l'avenir de l'Europe

Angela Merkel et Wolfgang Schäuble pourraient bien être d’accord sur l’avenir de l’Europe (Crédits : Reuters)

Au lendemain de l’accord grec, Berlin envoie des messages sans équivoque : l’Allemagne cherche un renforcement de la surveillance budgétaire en zone euro. Et la France ne devrait pas pouvoir s’y opposer. Elle pourrait cependant en être la première victime.

« Il ne peut pas être possible que la France ne maîtrise pas encore son déficit budgétaire ! Il existe une limite pour cela : 3 %. Si elle est dépassée, il doit y avoir des sanctions. » Cette déclaration du chef du groupe conservateur CDU/CSU au Bundestag Volker Kauder dimanche 9 août au journal Welt am Sonntag semble donner raison à Yanis Varoufakis qui, voici une semaine, affirmait que « la destination finale de la troïka est Paris. » Elle montre, en tout cas, que la dernière crise grecque semble avoir convaincu l’Allemagne d’accepter son rôle d’hegemôn, de puissance dirigeante de la zone euro. Et que la position allemande est beaucoup plus claire qu’il n’y paraît.

Qui est Volker Kauder ?

Volker Kauder n’est pas n’importe qui. Sa position est centrale : en tant que chef du groupe parlementaire, il doit faire accepter la position du gouvernement aux députés. Une tâche ardue qu’il mène avec zèle. Dans cette même interview, il menace du reste les 60 députés qui n’ont pas voté en faveur du plan de renflouement de la Grèce de sanctions, notamment leur exclusion des commissions parlementaires des affaires européennes et budgétaire. Des propos qui ont déclenché l’émoi au sein du parti. Il n’est donc pas un rebelle et un opposant à Angela Merkel, c’est au contraire un des éléments clé de son pouvoir. Mais c’est aussi un proche du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, un « dur » qui, fin juin, avait lui aussi évoqué la possibilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro. En réalité, Volker Kauder est la preuve de l’accord existant entre la Chancelière et son ministre.

« Jouer avec le Grexit », sans le risquer

Ceci doit amener à revoir la version communément acceptée de la fin de la crise grecque. Dans cette version, Wolfgang Schäuble est le « méchant » qui, le 11 juillet, propose à l’Eurogroupe un plan d’exclusion de la Grèce de la zone euro de 5 ans pour lui permettre de se restructurer. Angela Merkel est, au contraire, la « gentille. » Elle vient le 12 juillet pour écarter le plan Schäuble et maintenir la Grèce dans la zone euro. Mais il se pourrait bien que cette opposition ne soit que tactique. Un scénario qu’a compris le politologue et sondeur allemand Richard Hilmer dans une interview du 17 juillet dernier à Welt. Il y explique que la stratégie du gouvernement consiste à « jouer avec le Grexit. » « Angela Merkel se passe la balle avec Wolfgang Schäuble », poursuit-il, « Il frappe fort, elle montre de l’empathie. Et les deux profitent à la chancelière. »

Dès lors que le danger d’un « Grexit d’initiative grecque » a été écarté au lendemain du référendum le 6 juillet avec la démission de Yanis Varoufakis, Angela Merkel a su qu’elle pouvait faire céder entièrement Alexis Tsipras en le menaçant d’un « Grexit d’initiative allemande. » D’où la proposition Schäuble du 11 juillet. La panique qui a suivi à Athènes a permis à la Chancelière d’obtenir une capitulation hellénique. En se payant le luxe de paraître, aux yeux de certains, magnanime en acceptant certaines « concessions » (le maintien de la loi sur l’urgence humanitaire, la localisation du Fonds de privatisation en Grèce et non au Luxembourg) qui n’étaient en fait que des adoucissements des conditions du 11 juillet.

Le rôle du « Janus allemand »

Ce « Janus allemand » a permis de dégager un accord très positif pour le gouvernement allemand qui pouvait ainsi paraître à la fois ferme et déterminé à sauver l’euro. Il permettait aussi à l’Allemagne de satisfaire une de ses principales hantises historiques : apparaître comme une puissance dominatrice. Entretenir une fiction de division donnait une impression de fragilité qui ne convient guère à une telle puissance. Surtout, elle permettait de maintenir, pour les gouvernements de gauche du sud de l’Europe, l’idée que l’Allemagne d’Angela Merkel est différente de celle de Wolfgang Schäuble, et donc bien plus chargée « positivement. » Ceci permet d’affirmer : Wolfgang Schäuble ne représente pas le gouvernement allemand, comme l’a fait la semaine dernière Michel Sapin, son homologue français. Au nord, au contraire, les gouvernements finlandais ou néerlandais pouvaient se satisfaire de la force de Wolfgang Schäuble. Chacun pouvait donc se trouver en accord avec l’Allemagne, réduisant à néant les accusations de domination.

Pourtant, nul n’aura manqué de le remarquer, ni Volker Kauder, ni Wolfgang Schäuble, n’ont contesté cet accord. Le ministre des Finances a certes continué à défendre son projet de Grexit « temporaire », mais il n’en a pas pour autant quitté son poste, bien au contraire. Il a défendu, avec l’aide de Volker Kauder, devant le Bundestag, l’accord et a demandé aux députés de le voter. Bref, Wolfgang Schäuble a bel et bien défendu l’accord. Pour une raison simple : il est le préalable à l’organisation de la zone euro qu’il désire.

Obtenir une neutralisation politique des budgets

Cet accord confirme en effet la prééminence de la « règle » en matière économique sur la politique. Alexis Tsipras, fort de son mandat électoral, voulait « réorienter la zone euro », puis, plus modestement (et sans doute de façon plus réaliste), réorienter la gestion économique de la Grèce. L’accord du 13 juillet a soldé l’échec de ces deux tentatives. La conclusion en est tirée par Volker Kauder dans l’interview déjà citée : « nous pouvons parler politiquement de beaucoup de choses en Europe, mais les règles de stabilité doivent être traitées, selon les lois, en dehors du champ du politique. » Autrement dit, comme l’affirmait Wolfgang Schäuble, cité par Yanis Varoufakis : « il n’est pas possible qu’une élection remette tout en cause. »

L’accord grec permet donc d’exclure de facto du champ du politique le domaine budgétaire. On comprend ainsi mieux pourquoi l’Allemagne – par la voix de son vice-ministre des Finances, Jens Spahn, défend un « accord global » plutôt qu’un accord permettant un financement-pont pour rembourser la BCE le 20 août. Il s’agit de s’assurer que l’objectif de « neutralisation politique » de la Grèce soit atteint. Et pour cela, il ne faut laisser aucune marge de manœuvre à Athènes. Il convient aussi – et c’est un des points sur lequel Berlin insiste beaucoup – de maintenir une surveillance constante.

Angela Merkel convaincue par les objectifs de Wolfgang Schäuble

Et ceci n’a pas été obtenu contre Angela Merkel, mais avec son soutien et sa participation. La chancelière écrit, autant que Wolfgang Schäuble et Volker Kauder, cette nouvelle page de l’histoire de l’Europe. Angela Merkel n’a sans doute jamais cru à la théorie de son ministre des Finances qu’un Grexit renforcerait l’unité de la zone euro. Mais elle a vu dans l’utilisation du Grexit une opportunité de renforcer les règles d’inspiration allemande qui régissent cette zone euro. Car, en tant que membre de la CDU, elle partage cette ambition avec l’ensemble de son parti (et également avec l’immense majorité des Sociaux-démocrates). Angela Merkel est favorable à cette exclusion du politique du domaine budgétaire. C’est elle qui a imposé en 2009 en échange du plan de relance une « règle d’or budgétaire » très stricte. En 2010, elle a renoncé à ses promesses électorales de baisse d’impôts. Et depuis, elle soutient la politique de Wolfgang Schäuble de retour à l’équilibre budgétaire, malgré les besoins criants d’investissement fédéraux, notamment dans les infrastructures.

La Grèce, insuffisant exemple

En réalité, la chancelière est convaincue, comme son ministre des Finances, que l’application stricte des règles budgétaires est la seule façon de maintenir la cohérence de la zone euro. Or, Angela Merkel veut maintenir cette cohérence. Si donc l’Allemagne doit apporter sa garantie à un nouveau plan pour Athènes, il faut que ce plan permette de renforcer cet objectif au niveau de la zone euro. L’enjeu est donc moins grec qu’européen. Et, précisément, c’est ici que se situe un écueil : utiliser la Grèce comme exemple pourrait ne pas suffire. Car la Grèce est un cas particulier. Le pays n’a pas accès au marché financier, il est surendetté, il a une économie affaiblie et un système bancaire en lambeaux. Faire pression sur lui est aisé. Mais est-ce suffisant pour en faire un « modèle », notamment vis-à-vis de pays plus solides, mais peu respectueux des « règles » comme la France et l’Italie, voire même pour l’Espagne ? Pas réellement. L’accord du 13 juillet va donc être complété par un autre dispositif.

Maintenir le risque de Grexit

En préalable, Berlin continue à faire vivre le risque de Grexit. On l’a vu : à peine séchée l’encre de l’accord du 13 juillet, Wolfgang Schäuble a répété qu’il jugeait le Grexit préférable. Depuis, des parlementaires conservateurs expriment leurs doutes sur la possibilité de s’entendre avec Athènes, comme ce lundi 10 août, Ralph Brinkhaus, adjoint de Volker Kauder au Bundestag. Ceci permet de maintenir une pression non seulement sur le gouvernement grec dont on s’assure ainsi la soumission aux demandes des créanciers, mais aussi sur l’ensemble des gouvernements de la zone euro, à commencer par ceux des deux pays qui redoutaient le plus le Grexit, la France et l’Italie. L’épée de Damoclès du plan Schäuble du 11 juillet demeurant au-dessus des têtes, chacun va s’efforcer de donner des gages à l’Allemagne, notamment dans le cadre de la future réforme de la zone euro. Les atermoiements allemands dans le cadre des discussions avec la Grèce ont aussi pour vocation d’entretenir ce risque.

La proposition Hollande

L’objectif final de l’Allemagne est donc la fameuse réforme de la zone euro. Wolfgang Schäuble la veut depuis longtemps et l’on se souvient qu’il avait déjà proposé un plan dans les années 1990 à ce sujet. Là encore, stratégiquement, Berlin a joué très finement. Traumatisé par le week-end de négociations et par le plan Schäuble, François Hollande a, le 14 juillet, proposé un « gouvernement de la zone euro » avec « un budget et un parlement. » L’Allemagne n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche : un tel projet est évidemment présenté comme un sacrifice pour le pays. Un « budget de la zone euro » ne serait-il pas le premier pas vers une « union des transferts » ? Un gouvernement de la zone euro et un parlement de la zone euro ne seraient-ils pas un abandon de la souveraineté allemande en matière financière ? Il faut donc des compensations.

Émoi feint en Allemagne

En réalité, l’émoi allemand est en grande partie feint. Le poids de l’Allemagne et de ses alliés les plus sûrs et les plus proches (Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Finlande, pays baltes, Slovaquie, Slovénie et, dans une moindre mesure, l’Autriche, le Portugal et l’Espagne) est tel qu’un projet de ce type ne saurait remettre en cause la capacité de Berlin à déterminer les choix qui seront faits dans la zone euro. De plus, on ignore le montant du futur budget de la zone euro, ainsi que son usage. Une chose est certaine : les décisions de la cour de Karlsruhe depuis 2009 interdisent aux gouvernements fédéraux d’exécuter des transferts sans l’accord du Bundestag. Dans le cas du Mécanisme européen de Stabilité (MES), il avait fallu accepter de donner un veto au représentant allemand pour toute décision, lequel devait s’exprimer après un vote du parlement. Il y a donc fort à parier que le futur budget de la zone euro fonctionne selon le même mode.

Obtenir un ministre des Finances européen qui surveille les budgets

Mais Berlin doit entretenir le mythe du « sacrifice » que représenterait pour la République fédérale cet « approfondissement » de la zone euro. Pour obtenir le renforcement de la neutralisation politique des politiques budgétaires nationales. Pour cela, il faudra sans doute passer encore, comme en 2011 et 2012 avec les directives Two Pack et Six Pack, par un renforcement de la surveillance et de la punition. C’est l’objet de la phrase de Volker Kauder au Welt am Sonntag le 9 août. La tolérance pour des déficits excessifs doit cesser. Il devrait donc y avoir un durcissement dans l’acceptation des « écarts. » Et pour s’assurer que la surveillance soit parfaite, il faut un contrôle plus « indépendant » que celui de la Commission, jugée à Berlin trop à l’écoute des différents pays, trop laxiste, en un mot trop « politique. » L’idée serait donc de transmettre cette surveillance à un « ministre des Finances » de la zone euro, une vieille idée de Wolfgang Schäuble. Une idée qui a sans doute la faveur de la BCE qui a joué un rôle important dans l’appui à la menace de Berlin de Grexit en envisageant ouvertement et pour la première fois la possibilité d’une exclusion de la zone euro par la bouche de deux des membres de son directoire, Benoît Coeuré et Vitor Constancio.

La France prise au piège

Bref, pour obtenir le feu vert de Berlin, pour empêcher l’Allemagne de continuer à jouer avec le risque de Grexit, Paris va devoir faire d’immenses concessions et accepter une surveillance plus stricte et plus dure de son budget. Angela Merkel et Wolfgang Schäuble savent que s’ils parviennent à faire céder sur ce point la France, pays le plus réticent à la « neutralisation » de la politique budgétaire, ils auront atteint leur objectif. Mais, comment le gouvernement français pourrait-il à présent refuser un « approfondissement » de la zone euro qu’il a proposé et dont il semble désormais devoir être la première victime ? Lorsque l’on se souvient que, dans le cas grec, l’alignement de la France avec la ligne d’Angela Merkel a été parfait, on ne peut que s’interroger sur la pertinence stratégique de la tactique suivie par Paris. En tout cas, cette faiblesse est parfaitement perçue à Berlin, comme n’a pas manqué de le souligner Volker Kauder.

Source: http://www.les-crises.fr/zone-euro-que-veut-lallemagne/


« L’Europe de Jean Monnet est morte », par Michel Pinton

Monday 17 August 2015 at 00:52

Source : Michel Pinton, ancien député au Parlement européen, pour le Cercle Aristote, le 4 août 2015.

Jean Monnet

L’Europe de Jean Monnet est morte. Elle est passée de vie à trépas dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015. Je le répète, puisque personne ne semble le savoir : l’Europe de Jean Monnet n’est plus qu’un cadavre.

Il est donc fini, le temps où les fédéralistes européens pouvaient affirmer que, grâce aux principes posés par leur maître, nos nations ne cessaient de progresser vers « une union de plus en plus étroite ». Fini le processus qui devait « créer un espace européen de paix, de démocratie et de prospérité ». Finie l’ambition de « promouvoir le bien-être de tous les peuples » de l’Europe. Il n’en reste que des mots vides de toute réalité.

Comment une œuvre qu’on proclamait impérissable, a-t-elle pu disparaître aussi soudainement ? La réponse est simple : l’organisme dont la tête est à Bruxelles a été empoisonné. Et le plus étonnant, c’est que « l’Union européenne » s’est administrée elle-même le poison mortel. Il s’appelle l’euro.

A vrai dire, ceux qui auscultaient attentivement la santé de l’Union, la savaient malade depuis longtemps, précisément depuis qu’elle avait commencé d’introduire l’euro dans ses aliments. Mais personne, moi compris, n’avait prévu une fin aussi bizarre, aussi caricaturale, que celle qui s’est produite la semaine passée. Pour en saisir le caractère paradoxal, je propose au lecteur d’examiner ce qu’a été l’existence de l’Union depuis qu’elle s’est adonnée aux plaisirs délétères de la monnaie unique.

L’euro a son origine dans le traité de Maastricht (1992). Son père s’appelle François Mitterrand. Dans l’esprit du Président français de l’époque, la nouvelle monnaie était un instrument de politique étrangère : elle devait attacher l’Allemagne tout juste réunifiée à la France :elle enserrerait le géant germanique dans des liens juridiques et financiers si étroits qu’il ne pourrait plus jamais les défaire.

La crainte inavouée de Mitterrand – celle d’une Allemagne cherchant son destin dans un jeu de bascule entre la Russie et l’Amérique- était mal fondée et sa parade peu crédible : on ne ligote pas un grand peuple par le papier d’un traité ni par des procédures monétaires. Mais elle méritait un débat politique. Il n’eut jamais lieu. L’idée de monnaie unique fut immédiatement reprise par les disciples de Jean Monnet et détournée de son but. Ils en firent une fin en soi. Ils l’entourèrent d’un culte intransigeant. Sa venue serait, selon eux, un acte historique qui marquerait l’entrée de l’Europe dans une ère de paix, de démocratie et de prospérité, dresserait un bouclier impénétrable contre les assauts du reste du monde et attacherait définitivement nos vieilles nations les unes aux autres dans une unité fraternelle. Ils proclamèrent que l’Europe ne reviendrait jamais sur un pas en avant aussi décisif et que le traité de Maastricht n’avait donc pas besoin de clauses de dissolution. Parmi les nombreux prophètes de cet accomplissement de l’histoire européenne, citons Michel Rocard : « Maastricht constitue (sic) les trois clés de l’avenir :il ouvre d’abord sur plus de prospérité et plus d’emploi, ensuite sur plus de sécurité et enfin sur plus de démocratie en Europe ». Je ne veux pas fatiguer le lecteur en lui infligeant les propos non moins grandiloquents tenus en 1992 par nos dirigeants actuels, Sarkozy et Juppé, Fabius et Sapin par exemple. Il reste à indiquer que c’est par ce genre de promesses que nos responsables politiques arrachèrent au peuple français un consentement réticent à l’euro (51% des suffrages).

Les institutions de Bruxelles, enthousiasmées par un projet qui allait leur donner un pouvoir accru, le prirent alors en mains. La Commission prépara de nouvelles directives et le Parlement européen multiplia les « résolutions ». « Les Etats membres doivent réunir au plus vite les conditions de création d’une union monétaire » proclama ce dernier. Il rappela à ceux qui avaient des doutes, que « les effets bénéfiques de l’union monétaire sur la croissance économique et sur l’emploi seraient substantielles pour tous les Etats membres ». Je peux attester que les rédacteurs de cette affirmation extravagante étaient sincères.

L’enthousiasme bruxellois était si grand et les certitudes des disciples de Jean Monnet si enracinées, que les timides objections qui leur étaient présentées, furent balayées comme des incongruités. J’ai participé à des commissions parlementaires qui auditionnaient des spécialistes de la monnaie. La démonstration négative de l’un cachait, disaient les partisans de Maastricht, la jalousie des milieux financiers anglo-saxons ; les avertissements d’un autre, son nationalisme dépassé ; les réserves d’un troisième, son ignorance foncière. La principale critique qui était faite à l’euro, peut être résumée en deux phrases : il allait placer des nations dont les vies économiques et sociales différaient profondément, sous les décisions uniformes d’un pouvoir monétaire centralisé. Il en résulterait inévitablement des distorsions lesquelles aboutiraient à des tensions insupportables. La Commission européenne, agacée, comprit qu’il ne suffisait pas de déconsidérer les détracteurs de l’euro. Elle leur opposa une autre théorie « scientifique » : la monnaie unique, publia-t-elle, loin de créer des distorsions entre pays européens, sera au contraire un facteur irrésistible de « convergence » économique et sociale. Grâce à elle, la Grèce et l’Allemagne, la France et le Danemark, le Portugal et la Finlande atteindront rapidement le même niveau de vie, le même taux d’emploi, la même prospérité. L’Europe allait s’unifier par le haut.

C’est sur toutes ces prévisions et promesses que le projet de l’euro fut mis en oeuvre. Il me paraît indispensable de les rappeler parce que la validité d’une politique se juge par comparaison entre les intentions et les résultats.

Les institutions de Bruxelles, emportées par leur élan, décrétèrent que l’adoption de l’euro était obligatoire pour tous les Etats membres de l’Union. Quatre d’entre eux regimbèrent : la Grande Bretagne, la Suède, le Danemark et la Grèce. La première était trop puissante pour que la Commission pût la faire plier. Elle obtint la dérogation qu’elle demandait (opt-out). La seconde, après avoir longtemps traîné les pieds, finit par s’abriter derrière le résultat négatif d’un référendum populaire (2003) pour ne pas donner son adhésion. Le Danemark se contenta d’un compromis : il conserva sa monnaie nationale mais l’accrocha irrévocablement à l’euro. La Grèce était trop faible pour se voir accorder un traitement particulier. Sommée d’adhérer « dans les meilleurs délais et ce, dans son propre intérêt », elle s’inclina. Elle passa sous les fourches caudines des « 4 critères » auxquels tout candidat à la monnaie unique devait satisfaire. Elle le fit avec tant de bonne grâce que le Conseil européen tint à « féliciter la Grèce pour les résultats qu’elle a obtenus grâce à une politique économique et financière saine » (3 mai 2000). Je rappelle ces faits pour réfuter la légende, trop répandue aujourd’hui, d’une Grèce si désireuse d’entrer dans la zone euro qu’elle en a forcé la porte en truquant ses comptes publics.

Que se passa-t-il alors ? L’inévitable. Ni la pensée de Jean Monnet, ni les décisions de la Banque centrale européenne, ni la surveillance tatillonne de la Commission ne purent empêcher que la Grèce demeurât une nation des Balkans, dont la prospérité dépend beaucoup plus de ses relations avec ses voisins que de ses liens avec le lointain Bruxelles. Son premier client est la Turquie et son premier fournisseur, la Russie. L’Allemagne est son seul partenaire européen de quelque importance. Encore faut-il préciser qu’elle ne vend à Athènes que certains produits industriels et ne lui achète à peu près rien. L’euro convient donc mal à la Grèce ; il l’isole de son milieu naturel. Le gouvernement grec ne tarda pas à prendre conscience du malaise économique qui en résultait. Mais, à la manière des faibles, il n’osa pas affronter une réalité trop dure. Il choisit de biaiser. C’est alors qu’il commença de manipuler les « 4 critères » de conformité aux règles de la zone euro. On dit aujourd’hui que les institutions européennes ont découvert avec stupeur, en 2010, les tricheries grecques. C’est faux. Dès 2005, la Commission de Bruxelles se plaignait de l’obscurité et de l’approximation des comptes publics hellènes. Mais, sur le moment, personne n’y a attaché de l’importance.

Il y avait une raison à l’indifférence des disciples de Jean Monnet. Pendant les sept années qui suivirent l’introduction de l’euro (2000-2008), la réalisation de leur rêve les avait plongés dans un état d’euphorie tel qu’ils écartèrent toutes les nouvelles qui contrariaient leurs prédictions. Une vague de dépenses effrénées s’étendit sur l’Europe. Aux observateurs qui gardaient la tête froide, la croissance économique qui s’ensuivit semblait trop artificielle pour durer. Mais, à Bruxelles et à Francfort, on choisit d’y voir une manifestation éclatante de la prospérité annoncée.

Soudain, en 2009, une violente tempête financière secoua la zone euro. Alors l’impensable se produisit. La terre promise, qui semblait presque atteinte, s’évanouit comme un mirage. Les peuples européens, stupéfaits, découvrirent un paysage tout autre que celui décrit par les disciples de Jean Monnet. Il était sombre et sans perspectives. Au lieu de prospérité partagée, un appauvrissement qui frappait inégalement les peuples ; à la place d’une croissance régulière de l’emploi, un chômage massif, particulièrement cruel aux jeunes ; et plus encore que ces faits désastreux, la « convergence » s’était évaporée. Une nation et une seule s’enrichissait de l’affaiblissement de toutes les autres. C’était l’Allemagne. Le dogme central de l’euro, si hautement proclamé par la Commission de Bruxelles et repris par la Banque centrale européenne, était faux. Aucune des prophéties avancées par les adeptes de la monnaie unique n’a été plus brutalement démentie par les évènements que celle là.

La Grèce, si éloignée de Bruxelles, si isolée, fut évidemment la victime la plus pitoyable de la chute de l’utopie. Nulle part dans l’Union européenne, le chômage ne devint plus étendu, l’activité plus ralentie, la divergence avec la puissante Allemagne plus béante. Il est naturel que les appels au secours les plus désespérés soient venus d’elle.

On aurait pu penser que les disciples de Jean Monnet, remis de leur ivresse, prendraient les mesures réalistes qui s’imposaient, dût leur doctrine en souffrir. Ils préférèrent s’accrocher à leur rêve. « L’euro, c’est l’Europe et l’Europe, c’est l’euro » affirmèrent d’une même voix Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Le remède qu’ils employèrent pour guérir la Grèce, consista à renforcer l’application des « 4 critères ». Il ne pouvait faire aucun bien au patient. De fait, son état empira. Exténué de souffrances, il est revenu, il y a six mois, implorer un ultime secours.

La réponse des institutions européennes – le Conseil, la Commission, le Parlement, la Banque centrale – ne pouvait plus être dilatoire. La gravité des évènements ne le permettait pas. Elle a été donnée le 12 juillet. Elle a consisté à réaffirmer, de la façon la plus nette, la nécessité pour la Grèce et tous les autres Etats membres, de respecter rigoureusement les règles qui font la spécificité de la zone euro. Apparemment, la victoire des disciples de Jean Monnet est totale et définitive. « La zone euro est sauvée » jubilait François Hollande le 13 juillet. Pourquoi, alors, dis-je qu’au contraire, leur Europe est morte cette nuit là ? Parce que les dirigeants de l’Union ont avoué par un silence on ne peut plus parlant, qu’ils ne savaient pas comment tenir les promesses qui ont conditionné la naissance de la monnaie unique. Ils sentent au fond d’eux-mêmes, que le contrat est rompu. Mais ils n’arrivent à se détacher de l’utopie. Alors ils se réfugient dans le monde abstrait des « 4 critères » pour éviter d’avoir à répondre d’une réalité qui est en tous points le contraire de ce qui était annoncé. Ils en viennent, par un retournement dialectique étonnant, à expliquer que la fraternité des peuples européens est ébranlée non pas par les méfaits de l’euro mais par l’impéritie des Grecs. Pour qu’aucun reniement des engagements passés ne nous soit épargné, ils transforment même le « plus de démocratie » du traité de Maastricht en tutelle brutale sur le gouvernement d’Athènes. Ce dernier est tenu de soumettre tous ses « projets législatifs » à ses créditeurs étrangers avant même de les présenter à son Parlement. Je n’arrive pas à comprendre comment un Chef d’Etat français a osé contresigner cette clause. A-t-il perdu le souvenir honteux de Vichy ?

C’est par leurs clameurs de triomphe que nos dirigeants reconnaissent l’échec historique de l’Europe de Jean Monnet. Elle n’est plus qu’un poids mort que nous portons à grand peine. Je ne sais combien de temps nos dirigeants réussiront à nous faire croire que le 13 juillet a été non pas la nuit de son décès mais au contraire le jour de sa santé retrouvée. L’illusion ne saurait durer bien longtemps.

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-de-jean-monnet-est-morte-par-michel-pinton/


La Chine entre dans la guerre des monnaies

Monday 17 August 2015 at 00:01

Amusant ça quand même : les marchés tanguent car la méchante Chine a baissé sa monnaie de -4 %…

C’est pas comme si l’euro avait fait -20 % hein…

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 11 août 2015.

La Chine cherche à importer de la croissance, aux dépens des autres économies émergentes et avancées.

La Chine cherche à importer de la croissance, aux dépens des autres économies émergentes et avancées. (Crédits : reuters.com)

Le cours pivot du yuan face au dollar a été abaissé de 2 %. Une dévaluation présentée comme technique par Pékin, mais qui traduit le manque d’alternative du pays pour relancer sa croissance.

La Chine a donc décidé de dévaluer le yuan ce 11 août de près de 2 % face au dollar des Etats-Unis. Le mouvement n’est pas anodin. C’est tout simplement la plus forte évolution quotidienne du renminbi (RMB, « monnaie du peuple », nom officiel de la monnaie chinoise) depuis 1994.

Le régime de change du yuan

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut comprendre le régime de change du yuan. Entre 1994 et 2005, la Chine a adopté un système de taux de change fixe face au dollar étasunien, un « ancrage » (« peg » en anglais). La Banque centrale chinoise, la Banque populaire de Chine (connu sous son acronyme anglais de PBoC), assurait le taux officiel via un strict contrôle des changes. Lorsque le développement chinois s’est accéléré, au début des années 2000, ce système s’est révélé inadapté. Il a fallu s’ouvrir davantage pour attirer les investisseurs étrangers. En 2005, la Chine a donc décidé d’adopter le « flottement contrôlé » de sa monnaie. Désormais, le yuan peut évoluer dans une fourchette par rapport à un « cours central » défini lui-même sur un « panier » de grandes devises. Ce système a été suspendu pendant la crise entre 2008 et 2010. Mais en 2014, la fourchette de variation a été élargie de 1 % à 2 % quotidiens.

Ajustement technique ?

L’ambition de Pékin est de faire du renminbi une devise internationale, de transaction, mais aussi de réserve. L’ambition est économique, mais aussi clairement géopolitique. Il s’agit de faire de l’ombre au maître dollar. Pour cela, la Chine a engagé une libéralisation progressive de l’accès au yuan. Et la dévaluation de ce 11 août est présentée comme un moyen de renforcer ce mouvement. En effet, cette nouvelle fixation du cours du yuan a pour but de permettre, à partir de ce jour, de favoriser un prix « dépendant de l’offre et de la demande et des mouvements des grandes monnaies. » Comme le cours central était de plus en plus éloigné du cours de marché, en raison de l’affaiblissement de l’économie chinoise et de la perspective d’une remontée des taux de la Fed, la PBoC ramène ce cours à sa valeur de marché pour permettre au nouveau système de bien fonctionner. C’est donc, officiellement, une mesure « exceptionnelle » visant à favoriser une nouvelle étape vers une évolution guidée par le marché du yuan.

Entrer dans le panier des DTS du FMI

La Chine peut espérer que ce mouvement favorise une de ses obsessions : faire entrer le yuan dans le très restreint club des monnaies formant la « monnaie » du FMI, les droits de tirage spéciaux (DTS, en anglais SDR). Ce serait faire du « billet rouge » une monnaie de référence mondiale. Aujourd’hui, le cours du DTS est déterminé par quatre monnaies seulement : l’euro, le dollar des Etats-Unis, la livre sterling et le yen japonais. L’institution de Washington a promis de réviser le panier des DTS en septembre 2016. Pour entrer dans ce club fermé, il faut avoir une place importante dans les transactions internationales et être « librement utilisable. » La réforme pourrait donc aider, si cet ajustement est effectivement « unique. » Mais une autre réalité, bien moins réjouissante, pourrait se dissimuler derrière cet « ajustement » du renminbi.

Marasme économique

La réalité, c’est que l’économie chinoise est en plein marasme. Certes, les chiffres officiels font encore rêver la planète entière avec une croissance de 7 % visée, mais beaucoup ne prennent guère au sérieux le niveau de cette croissance et préfèrent s’en tenir à la tendance. Laquelle est clairement à la baisse. Et le front des exportations est particulièrement inquiétant. En juillet, les exportations ont reculé de 8,3 % sur un an contre une baisse de 1,5 % attendue par les analystes. Dans un pays encore largement dépendant des exports, ce chiffre est plus qu’inquiétant. D’autant que le pays subit encore une baisse notable du crédit, du moins en ce qui concerne les crédits aux entreprises non-financières et aux particuliers. A cela s’ajoute la tourmente boursière qui a fait perdre à la Bourse de Shanghai près d’un tiers de sa valeur en trois mois.

Où trouver de la croissance ?

La PBoC intervient activement depuis novembre pour relancer l’activité : elle a baissé son taux directeur de 5,6 % à 4,85 %, mais rien n’y fait. La Chine est en réalité prise en tenaille entre des injonctions contradictoires. Il lui faut de l’investissement et de la dette pour soutenir sa croissance, mais de nombreux secteurs comme la métallurgie, le secteur minier ou le secteur solaire sont déjà en surcapacité et, souvent, surendettés. Le même phénomène se produit avec les gouvernements locaux, avides consommateurs de grands projets sans réel intérêt économique et désormais croulant sous les dettes. Par ailleurs, pour favoriser le rééquilibrage de l’économie vers la consommation, l’inflation faible est une bonne nouvelle, mais elle pénalise l’activité industrielle et l’investissement, tout en rendant le poids de la dette plus lourd. Les prix à la production ont reculé en juillet de 5,4 %.

Bref, la solution la plus simple est de relancer l’économie par les exportations afin d’importer de la croissance qui permettra de créer un socle « sain » pour l’investissement tout en réduisant le poids de la dette par la reprise de l’inflation. Or, ceci était impossible avec un cours central du yuan particulièrement élevé par rapport aux grandes monnaies émergentes comme le real brésilien, la roupie indienne ou le rand sud-africain, mais aussi par rapport aux monnaies asiatiques comme le won coréen et les dollars de Singapour et Taiwan.

Le risque pris par la PBoC

On comprend donc mieux le mouvement de ce 11 août qui, comme le notent les équipes de RBS, « illustre les défis croissants de la Chine. » Car l’argument de la libéralisation ne tient pas réellement. Si la Chine n’avait pas bougé pendant si longtemps sur le front de sa monnaie, alors que l’on savait déjà que la Chine ralentissait et que la Fed pensait relever ses taux, c’est précisément parce qu’il voulait instiller dans l’esprit des investisseurs l’idée que le yuan était une monnaie stable et fiable. Le mouvement de dépréciation autoritaire de la monnaie chinoise remet précisément en cause ces efforts, même si la rhétorique officielle peut se montrer rassurante.

La Chine se lance dans la guerre des monnaies

En réalité, la Chine se jette à son tour dans la guerre des monnaies et répond à la Banque du Japon, à la BCE et à la dépréciation rapide de plusieurs monnaies émergentes. Compte tenu de la place de la Chine dans l’économie mondiale, cette dévaluation accompagnée d’une évolution plus conforme à la situation du marché tend à favoriser une dépréciation continue de la monnaie. Les investisseurs sont, du reste, prévenus : si la situation ne s’améliore pas, la BPoC pourra toujours « ajuster » à nouveau le niveau du yuan. Car cette dévaluation de 2 % ne règle pas la question du fort taux de change réel du pays. Le marché va sans doute anticiper cette volonté chinoise d’avoir une monnaie faible, ce qui est précisément le but de la manœuvre.

Impact sur les matières premières

Les conséquences de cette offensive chinoise sur l’économie mondiale risquent d’être importantes. Et négatives, dans l’ensemble. Cette dévaluation du yuan va d’abord peser sur les cours des matières premières libellées en dollars, déjà déprimés par le ralentissement chinois et la surcapacité dans l’empire du milieu. Les économies qui dépendent de ces matières premières vont en subir le choc direct. Ce sera notamment le cas de l’Australie, du Canada, des pays du Moyen-Orient et du Brésil. Ce dernier cas est particulièrement préoccupant, car la récession brésilienne emporte l’ensemble des économies d’Amérique latine, même les plus solides comme l’Uruguay, par exemple.

Affaiblissement des marchés émergents

De plus, un peu plus compétitive, la Chine pourrait prendre des parts de marché à ses concurrents directs, émergents principalement. Bref, l’Asie émergente risque aussi de souffrir de cette décision qui, comme toute dévaluation, favorisera la production interne plutôt que la production extérieure. Il y a fort à parier que plusieurs pays réagissent en cherchant à déprécier à leur tour leur monnaie. Cette course risque, au final, d’affaiblir l’ensemble de la zone émergente, seule vraie ressource de croissance jusqu’en 2012 pour les économies avancées, particulièrement pour la zone euro dont la seule stratégie à long terme consiste dans l’amélioration de la compétitivité externe. Par ricochet, les croissance européennes et américaines risquent donc de pâtir de cette décision.

Défi pour la zone euro

Du reste, pour la zone euro, cette dévaluation est un défi. Elle va accentuer la pression déflationniste, ce qui devrait fortement déplaire à une BCE qui tente de redonner de l’air inflationniste à l’économie de la région. Il va donc falloir maintenir, voire intensifier la politique de rachats d’actif pour faire encore baisser l’euro. La zone euro est donc à son tour contrainte de s’engager plus avant dans la guerre des monnaies.

Le plus inquiétant est sans doute que ce mouvement ne règlera pas entièrement les maux structurels (endettement, inégalités, faiblesse de la consommation des ménages, surcapacités) dont souffre l’économie chinoise. En réalité, tant que la Chine dépendra de sa demande extérieure pour sa croissance, elle ne sera pas un élément de stabilité pour la croissance mondiale.

Il y a donc fort à parier qu’il n’y aura pas de relance chinoise venant compenser les effets de la dévaluation sur le commerce mondial. Une fois terminé le rattrapage actuel de la demande intérieure de la zone euro, compter sur un moteur chinois et émergent sera décidément bien délicat.

Source: http://www.les-crises.fr/la-chine-entre-dans-la-guerre-des-monnaies/


Snowden : Wikileaks attaque l’Arabie Saoudite et le TTIP

Sunday 16 August 2015 at 03:58

Snowden, ce “traître à la démocratie” selon Philippe Val

Lors d’une rencontre avec “Les Amis du CRIF”, l’ancien patron de Charlie Hebdo et actuel dirigeant de France Inter a fustigé Edward Snowden, estimant que le lanceur d’alerte était un “traître à la démocratie”. Une saillie à rapprocher d’un édito de 2001, dans lequel Val s’énervait contre Internet et la prétendue impunité qu’il offrait.

On peut avoir dirigé Charlie Hebdo en se prétendant adversaire des élites et du politiquement correct, et voir d’un très mauvais oeil que la population soit correctement informée du fait que tous les citoyens sont désormais traités comme des terroristes en puissance qu’il convient de surveiller étroitement.

Patron très contesté (sur le départ) de France Inter, Philippe Val était la semaine dernière invité de l’association Les Amis du CRIF, pour y mener une discussions sur le thème « Peut-on critiquer les journalistes ? ». La réunion ne semble pas avoir été filmée mais comme le note Rue89, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) en a publié une synthèse.

Celle-ci ne manque pas d’humour involontaire. Le CRIF commence à en effet par dire que Philippe Val a rappelé devant plus de 200 personnes que “les lois sur la presse de 1881 avaient été décisives pour la démocratie française car elles ont permis de dire la réalité au citoyen, sans avoir nécessairement l’aval des dirigeants, comme c’était le cas précédemment“. Puis il attribue à Philippe Val une série d’explications sur les raisons de la crise de la presse, dont celle-ci, inattendue : “le fait que le prix Pulitzer ait été attribué aux journalistes qui ont révélé l’affaire Snowden est le symbole de la crise de la presse car Snowden est un traître à la démocratie“.

Rien que ça. Ainsi, quand Edward Snowden dit la réalité aux citoyens sur les programmes de surveillance qui les concernent au premier chef, sans avoir évidemment l’aval des dirigeants de la NSA ou du gouvernement américain, c’est être un “traître à la démocratie”. Et l’on croit deviner que les journalistes qui ont reçu le Prix Pulitzer pour avoir osé publier les documents de Snowden seraient complices de haute trahison.

Accordons tout de même à Philippe Val une certaine cohérence dans la volonté de pouvoir surveiller qui fait quoi sur Internet. Voici en effet ce qu’il déclarait dès 2001, dans un éditorial à Charlie Hebdo :

A part ceux qui ne l’utilisent (Internet) que pour bander, gagner en bourse et échanger du courrier électronique, qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel ? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines, ou leurs obsessionsInternet, c’est la Kommandantur du monde ultra-libéral. C’est là où, sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité. Vivre sous l’Occupation devait être un cauchemar. On pouvait se faire arrêter à tout moment sur dénonciation d’un voisin qui avait envoyé une lettre anonyme à la Gestapo. Internet offre à tous les collabos de la planète la jouissance impunie de faire payer aux autres leur impuissance et leur médiocrité. C’est la réalité inespérée d’un rêve pour toutes les dictatures de l’avenir.

Internet reste une jungle dans laquelle la vérité peut être loin derrière le mensonge. La circulation des informations n’est pas toujours maîtrisée. On retrouve le pire d’internet dans des « vrais » journaux“, aurait aussi ajouté Philippe Val, lors de la rencontre du CRIF.

Source : Guillaume Champeau, pour Numerama, le 12 mai 2015.

Révélations de Wikileaks : « Il faut accorder l’asile à Julian Assange » selon Jean-Pierre Mignard

Révélations de Wikileaks : « Il faut accorder l’asile à Julian Assange » selon Jean-Pierre Mignard

Après les révélations fracassantes sur l’espionnage des Présidents français par les Etats-Unis, l’avocat Jean-Pierre Mignard, un proche de François Hollande, demande que la France accorde l’asile à Julian Assange, fondateur de Wikileaks, et à Edward Snowden, qui a révélé le programme de surveillance de masse de la NSA américaine. Le premier a trouvé refuge à l’ambassade d’Equateur à Londres et le second est en Russie, à Moscou, où il a obtenu un asile provisoire. « Ils se sont battus pour notre liberté, ils ont révélé des faits graves », fait valoir à publicsenat.fr Jean-Pierre Mignard. Sur les pratiques du renseignement français, il souligne qu’« il serait bien que le gouvernement vérifie bien que tout ce qui se fait ne se fait pas dans son dos ». Entretien.

Après les révélations de Wikileaks, Libération et Mediapart sur l’espionnage de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande par les Etats-Unis, quelle réponse la France doit-elle apporter ?
La France doit apporter une réponse de nature diplomatique et ferme. La blessure est d’autant plus importante et les faits inacceptables qu’ils viennent des Etats-Unis, allié historique de notre pays. La réponse doit d’abord se situer sur ce terrain.

Ensuite nous devons reconnaître que Julian Assange et Edward Snowden nous ont rendu un service considérable. Et l’information, à l’origine de laquelle ils sont, permet pour nous de prendre conscience de cette énormité. Il faut accorder l’asile à Julian Assange et Edward Snowden. Et beaucoup d’Etat européens devraient faire la même chose. Quiconque aura combattu pour la liberté obtiendra l’asile sur le territoire de la République. Ce sont les textes fondamentaux de la Révolution française. La convention de Genève en dispose aussi ainsi. Ils se sont battus pour notre liberté, ils ont révélé des faits graves dont nous étions dans l’ignorance. Ou si nous les suspections, ils sont encore plus lourds de conséquence qu’imaginé. C’est contre un système d’espionnage généralisé qu’ils ont rendu ces informations publiques.

Quel serait le message envoyé en accordant l’asile à Julian Assange et Edward Snowden ?
Ce serait une grande et belle réponse. Ce serait un geste solennel. C’est aussi une manière de dire à nos amis américains que tout n’est pas permis. Et de dire à l’opinion américaine « ça suffit ». Il y a beaucoup de vrais démocrates aux Etats-Unis et beaucoup d’Américains ne sont pas fiers du tout de ce type de comportement. Peut-être que le Président Obama devrait cette fois taper du poing sur table et dire « ça suffit ».

Vous êtes un proche de François Hollande. Avez-vous eu l’occasion de lui transmettre votre idée de leur accorder l’asile ?
Non, mais si j’ai l’occasion de lui dire, je lui dirai. Et je le fais par votre intermédiaire. Nous devons être très nombreux à le dire, de droite, de gauche, du centre et de nulle part. Grace à eux, nous avons un conseil de défense qui se tient ce matin et des mesures de protection vont être prises.

Ces révélations arrivent au moment où le Parlement s’apprête à adopter définitivement aujourd’hui le projet de loi sur le renseignement. Une disposition de la loi permet à un agent des services de renseignement de devenir lanceur d’alerte. Or lors de l’adoption du texte, hier au Sénat, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a déposé et fait adopter un amendement qui amoindrit cette mesure… (lire notre article sur le sujet)
Nous avons eu trop d’utilisation du secret-défense pour que la protection des lanceurs d’alerte ne soit pas là. Il rend public un fait délictuel dommageable. Si le secret-défense interdit qu’il y ait des lanceurs d’alerte, ça veut dire que tout est possible. Je pense que c’est une préoccupation  qui n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. Je suis en désaccord avec cet amendement. On pourrait accroitre les sanctions pénales pour les faux lanceurs d’alerte dans le domaine du secret-défense, mais les excepter de toute protection dans le cadre du secret-défense, je souhaite que cela ne passe pas.

La difficulté pour la France ne réside-t-elle pas dans le fait qu’elle-même pratique l’espionnage de ses alliés, avec peut-être moins de moyens et avec une ampleur moindre, mais avec le même objectif ?
Moins un Etat proteste contre ces écoutes illicites, plus il avoue implicitement qu’il recourt aux mêmes procédés. Je souhaite que les protestations soient à la hauteur des obligations que nous nous fixons à nous-mêmes.

Mais ne peut-il pas y avoir un double langage ? Dénoncer mais pratiquer…
Quand le chef de l’Etat dit on se l’interdit, je veux le croire. La question ensuite est de savoir à quel niveau ces opérations sont-elles décidées. J’étais avocat du journal Le Monde dans l’affaire des écoutes illicites de l’Elysée. Là, c’était décidé au plus haut niveau. Il serait bien que le gouvernement vérifie bien que tout ce qui se fait ne se fait pas dans son dos.

Pensez-vous qu’il y ait une forme d’autonomie des services ?
De toujours, de tout temps et partout, les services, les polices, dès lors qu’elles disposent de pouvoirs, ont toujours tendance à s’en donner plus qu’on ne leur a accordé. Prenons des précautions.

Source : François Vignal, pour Public Sénat, le 26 juin 2015.

Wikileaks attaque l’Arabie Saoudite et sa politique de corruption des médias

Julian Assange cofondateur Wikileaks

Julian Assange, cofondateur de Wikileaks, lors d’une conférence de presse à l’ambassade d’Equateur à Londres, le 18 août 2014.

En publiant 61.229 nouveaux câbles et memos diplomatiques saoudiens, révélant des demandes de financement de plusieurs hommes politiques ou patrons de presse libanais, le site lanceur d’alerte Wikileaks confirme une réalité déjà de notoriété publique. La publication de ces informations menée en partenariat avec un journal pro-Hezbollah, révèle plutôt les difficultés du métier de journaliste.
En sous-titre de sa page d’accueil, le site lanceur d’alerte de Julian Assange arbore fièrement une citation de l’hebdomadaire américain Time magazineaffirmant: «Wikileaks… pourrait devenir un outil journalistique aussi important que le Freedom of information act.» Une loi de liberté de l’information votée en 1966, en pleine guerre du Vietnam, pour garantir au public un accès aux documents de toute l’administration américaine même la plus sensible.

En rendant publics des milliers de télégrammes échangés entre le ministère saoudien des Affaires étrangères et ses ambassades dans le monde ainsi qu’avec les ministères de l’Intérieur et du Renseignement, Wikileaks s’attaque une nouvelle fois de front au royaume Wahhabite.

Julian Assange, cofondateur du site qui prévoit de publier encore quelque 500.000 documents, explique«Saudi Cables a mis en lumière une dictature qui devient de plus en plus imprévisible. Cette année, elle n’a pas seulement célébré sa centième décapitation, elle est aussi devenue une menace pour ses voisins ainsi que pour elle-même.»

Acheter le silence des journalistes

Outre les rapports de complaisances politico-financières entretenus avec Riyad par des personnalités politiques libanaises, Amine Gemayel ou Boutros Harb, par exemple, les télégrammes révèlent aussi ceux avec la presse libanaise et arabe en général pour acheter leur silence. L’ambassadeur d’Arabie Saoudite y révèle par exemple une course entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pour contrôler la chaîne de Pierre Daher LBCI.

Lors d’un premier scoop mondial, en novembre 2010, Wikileaks s’en était déjà pris à l’Arabie Saoudite en révélant, entre autres, un télégramme selon lequel le roi Abdallah demandait à Washington de «couper la tête du serpent», à savoir«attaquer et détruire le programme nucléaire de l’Iran.»

Un journal pro-iranien partenaire de l’opération

La mise en garde des autorités saoudiennes contre la diffusion de documents«qui pourraient être des faux» ne suffira sans doute pas comme démenti aux révélations de Wikileaks. En revanche, le site de Julian Assange n’a pas hésité à mettre en exergue de l’enquête son partenaire libanais de l’opération : le quotidien Al-Akhbar, proche du Hezbollah libanais, soutenu lui-même par la République Islamique d’Iran.

Une illustration parfaite des difficultés que rencontrent les journalistes arabes dans l’exercice de leur fonction.

Source : Alain Chemali, pour Géopolis/FranceTVInfo, le 24 juin 2015.

Julian Assange et Yanis Varoufakis s’attaquent au traité TAFTA

Julian Assange et Yanis Varoufakis, ancien ministre des finances grec, s’associent pour contribuer au financement de la prime de 100 000 dollars offerte à toute personne qui dévoilera le contenu de l’accord de libre-échange transatlantique(TTIP ou « Tafta »), négocié dans l’opacité la plus totale entre la Commission européenne et les États-Unis.

wikileaks_assange_varoufakis_100000_récompense_traité_tafta

C’était une première pour Wikileaks, la pratique a-t-elle vocation à se répéter ?. Après le traité transpacifique en juin, c’est au tour du traité transatlantique de se retrouver dans la ligne de mire de Wikileaks. Ils souhaitent ainsi faire voler en éclat le secret qui entoure aussi bien les négociations menées dans la plus grande opacité que le contenu du futur traité « tafta ».

Mardi 11 aout, Wikileaks a donc annoncé le lancement d’une campagne de financement visant à rassembler la somme de 100 000 dollars constituant la récompense pour tout lanceur d’alerte qui fournira au site de Julian Assange une copie du TTIP. L’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, s’est rallié à la campagne pour faire la lumière sur ce traité qui touchera directement les millions de citoyens européens, totalement exclus des pourparlers, à l’inverse des multinationales. Il fait désormais partie des premiers contributeurs, avec Gleen Greenwald, Daniel Ellsberg, journaliste à l’origine des Pentagon papers ou la créatrice de mode Vivienne Westwood.


« La transparence a besoin d’un coup de main dans la zone euro, mais aussi dans les négociations commerciales qui l’affectent »

Quelques heures après son lancement, un peu plus de 21 000 dollars ont ainsi été levés, sans que le détail des contributions n’ait été communiqué.

« Le secret du TTIP menace le futur de la démocratie européenne. Certains intérêts en profitent et s’en donnent à cœur joie, comme on l’a vu lors du récent siège financier contre le peuple grec. Le TTIP influe sur les vies de tous les Européens et entraîne l’Europe dans un conflit de long terme avec l’Asie. Il est temps de mettre fin au secret », estime ainsi Julian Assange dans un communiqué publié sur Wikileaks.

Concernant la première récompense offerte pour le TTIP, la somme est proche d’être intégralement collectée.

Source : le journal du Geek, 11/08/2015

Source: http://www.les-crises.fr/snowden-wikileaks-attaque-larabie-saoudite-et-le-ttip/


Le futur que Google 
nous prépare

Sunday 16 August 2015 at 00:51

Source : Pierrick Marissal, pour L’Humanité, le 29 juillet 2015.

Hégémonique et tentaculaire, la firme californienne est une entreprise au pouvoir quasi souverain. Mais derrière le prédateur économique 
se cache aussi un projet de société ultra-individualiste, basé sur la méritocratie et la science, pour gouverner l’humanité de demain.

C’est devenu un réflexe. Derrière son écran d’ordinateur, à la moindre question, on clique sur Google. Une traduction ? Google. Le plan d’une ville ? Google. La dernière actualité ? Google. Chaque mois, le célèbre moteur de recherche répond à quelque 100 milliards de requêtes. Plus de 90 % des humains ayant accès à Internet utilisent aujourd’hui ses services : de la messagerie électronique aux vidéos Youtube… En l’espace d’une décennie, la firme californienne, fondée en 1998 dans un garage de la Silicon Valley par Larry Page et Sergueï Brin, a vampirisé l’univers numérique et organisé un empire tentaculaire. Mais l’entreprise à la rentabilité florissante ne veut pas se contenter de compter les milliards de dollars. Les dirigeants de Google nourrissent une autre ambition quasi messianique : changer le monde. Et il faut les prendre au sérieux. « On ne peut pas comprendre Google si on le considère uniquement par ses intérêts financiers, son ambition est politique, explique le sociologue Dominique Cardon, professeur à l’université Paris-Est. Penser que Google n’est motivé que par des raisons économiques, c’est le considérer comme une vieille structure capitaliste rentière européenne. Alors qu’ils ont un modèle de société, entrepreneurial, mais aussi scientifique, créatif et politique. »

Eric Schmidt, le PDG de Google, ne se présente pas comme dirigeant d’entreprise. Il ne parle pas business, mais révolution et vision du monde. Son avant-dernier livre, The New Digital Age, se conclut ainsi : « Notre ambition est de créer le meilleur des mondes. » Et Google ne se contente pas de paraphraser Aldous Huxley. Il se donne aussi les moyens de sa puissance. Avec, tout d’abord, une assise économique phénoménale. Un trésor de guerre de près de 60 milliards de dollars, placés bien au chaud aux Bermudes, et des ressources abyssales issues de son quasi-monopole de la publicité sur Internet avec ses régies Adword et Adsense. Mais ce n’est là qu’une partie de son activité. L’entreprise est perpétuellement dans une logique de création et de conquête. Grossir toujours. Alors Google crée et détruit à coups d’innovation technologique. Ces dernières années, l’entreprise a investi massivement dans la santé, la robotique, l’intelligence artificielle, la culture et même l’automobile…

Écarter l’État et ses règles 
comme la solidarité et la justice…

Son influence est telle qu’elle en devient une force politique. En février 2013, Eric Schmidt est reçu à l’Élysée par François Hollande avec les honneurs d’un chef d’État. Lors de la conférence de presse, les deux hommes sont côte à côte, d’égal à égal. Pourtant son statut d’entreprise souveraine s’est organisé contre les États, considérés par les dirigeants de Google comme des structures du passé, nocives puisqu’elles freinent la créativité des individus. « L’État est une machine à protéger tandis que la technologie est fondamentalement perturbatrice », aime à expliquer Eric Schmidt. « Ce sont des libertariens, souligne Dominique Cardon. Ils sont persuadés qu’un individu peut changer le monde si on le laisse pleinement et librement exprimer ses capacités et sa créativité, et surtout en écartant l’État et ses règles comme la solidarité et la justice… Ils veulent transformer le monde en exacerbant l’égoïsme matérialiste. »

Le projet politique de Google est centré sur la méritocratie, le culte absolu de l’excellence. « Une vision du monde, qui se retrouve dans leur manière d’organiser le travail », note Yann Le Pollotec, chargé de la révolution numérique au PCF. Dans le jargon de l’entreprise, il faut recruter les meilleurs, appelés « chevaliers » (knights), véritable puissance créatrice de Google, qui doivent avoir toute la liberté possible. Et il y a « les manants » (knaves), les médiocres, qui sont dans le ressentiment et qu’il faut écarter pour ne pas contrarier l’excellence des autres. Cela crée une structure où les employés sont tellement en compétition que l’on n’a plus besoin de management. Les patrons de Google l’ont écrit et théorisé dans leur livre How Google Works, aujourd’hui enseigné dans toutes les écoles de management, où ils expliquent que le plus important est le recrutement.

« L’une des bibles des libertariens américains, explique Dominique Cardon, est l’ouvrage d’Ayn Rand Atlas Shrugged. Dans ce roman philosophique, les riches, qui sont fortunés parce qu’ils sont les plus scientifiques et les plus créatifs, jamais parce qu’ils sont héritiers, en ont assez de l’État et de la solidarité et font sécession. Ils partent créer une ville close, dans le désert, alors que la société, privée de ses brillants chefs d’entreprise, se décompose. Sortir des règles et des contraintes, de la solidarité et de la redistribution, de la justice, de l’État, pour laisser libre cours à la créativité de l’individu, voilà ce que veut Google. » Dans cette pensée libertarienne, on n’a pas le droit de ne pas être excellent, de ne pas vouloir changer le monde.

Pourtant, chez les libertariens et chez Google en particulier, domine la croyance que l’humain est fondamentalement imparfait. Trop déterminés par les impulsions et les passions, les hommes ne sont pas objectifs. Il faut ainsi compter sur la science et la technologie pour les améliorer. Par le transhumanisme d’un côté (lire interview) et la volonté de combattre la mort, mais aussi en faisant mieux que l’humain, grâce à la technologie. « Quel que soit le problème rencontré, que ce soit un grand challenge pour l’humanité ou un problème très personnel, il y a une idée, une technologie qui attend d’être découverte pour le résoudre », assurait au Time Magazine Ray Kurzweil, l’ingénieur en chef de Google. Le principe de la Google Car, voiture automatisée qui circule déjà aux États-Unis, est, par exemple, de remplacer le principal facteur de risque d’accidents de voiture – le conducteur – par une machine, supposée bien plus fiable. Éric Schmidt le confirme : « Votre voiture doit se conduire toute seule, il est impensable de laisser des humains conduire. C’est un “bug” que les voitures aient été inventées avant les ordinateurs. »

« Il y a un messianisme scientiste chez Google, poursuit Dominique Cardon. Ils sont scientistes, comme on l’était au XIXe siècle. » Pour eux, le monde est connaissable mathématiquement, dans chacun de ses atomes. Google espère progressivement découvrir les lois mathématiques qui régissent nos comportements, nos amours, nos joies, notre subjectivité… L’ambition de l’algorithme de Google est, d’approximation en approximation et grâce aux probabilités, de dépasser les humains, en faisant émerger du réel des lois mathématiques. « Et ce qui est étonnant pour un sociologue comme moi qui travaille sur les comportements en ligne, c’est que, souvent, statistiquement, cela fonctionne ! » ajoute Dominique Cardon.

Un algorithme au pouvoir
 très inquiétant

Cet algorithme du moteur de recherche de Google, nommé Page Rank, organise, filtre et hiérarchise notre accès au savoir et à l’information. Bien plus efficacement que ne le feraient des humains, Page Rank tend à indexer tout le savoir. La hiérarchie des résultats est purement méritocratique, si on excepte les résultats publicitaires. L’algorithme, selon de nombreux facteurs pas tous connus, choisit les meilleurs sites, puis, dans une proportion de 20 % environ, les personnalise selon le profil de la personne qui a fait la recherche. « L’hégémonie mondiale de Google tient avant tout à cette ressource très spécifique au Web, qui est le moteur de recherche, explique Dominique Cardon. C’est une utilité fondamentale du réseau, ordonnée, conduite par une entreprise privée. Son pouvoir est très inquiétant. »

L’algorithme est à la fois au service des utilisateurs, notamment parce qu’il est produit, amélioré et enrichi par les internautes, mais il reste aussi au service de la stratégie commerciale de Google. Il est très rare qu’un point de vue hétérodoxe soit mis en avant dans les résultats de recherche de Google. Les logiques dominantes gardent la main et participent au contrôle social. Eric Schmidt, lors d’une interview accordée au Wall Street Journal, a même avoué une ambition totalitaire : « Je pense que la plupart des gens ne veulent pas simplement que Google réponde à leurs questions. Ils veulent que Google leur dise quoi faire ensuite. »

Pour Pierre Mounier, chercheur en humanités numériques et auteur d’Homo Numericus, Google se nourrit de nos vies, de nos actions, des contenus que l’on produit pour les monétiser… En ce sens, Google nous appartient. Pour lui, il faudrait que l’on commence à considérer Google, et en particulier son moteur de recherche, comme un bien commun de l’humanité. Pierre Mounier propose que ce soit l’Unesco qui hérite de la gouvernance de ce moteur de recherche, principale source d’accès au savoir et à l’information. « Le patrimoine mondial est l’héritage du passé, dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir », explique l’Unesco dans sa convention de 1972. Ce patrimoine appartient à tous, et sa définition correspond parfaitement, selon Pierre Mounier, au moteur de Google et au cyberespace qu’il indexe. L’idée séduit Yann Le Pollotec : « Google marchandise une certaine forme de communisme, monétise du bien commun, en profitant du fait que le moteur de recherche en est la principale porte d’entrée. » Il serait peut-être temps de remettre la main sur cette porte d’entrée.

Source: http://www.les-crises.fr/le-futur-que-google-%e2%80%a8nous-prepare/