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[Reprise] Le point sur l’Ukraine par Jacques Sapir

Monday 1 September 2014 at 01:06

Intéressant billet de synthèse de Sapir du 30 aout.

Interview pour Solidarité Étudiante (Amiens)

30 août 2014  Par 

Que s’est-il passé en Ukraine de l’automne 2013 à février 2014 sous le nom « EuroMaïdan », conduisant le renversement d’un chef d’Etat pourtant démocratiquement élu ?

Au début de l’automne 2013, il s’agissait surtout d’un mouvement de révolte contre la corruption. Depuis une quinzaine d’années, l’Ukraine vit sous un régime de corruption endémique, quel qu’ait été le parti au pouvoir. Il est cependant clair qu’avec Yanoukovitch, la corruption avait atteint des sommets jamais égalés. Au début de l’hiver, le mouvement connaît une première inflexion. La revendication d’une possible « adhésion » à l’UE émerge, de même qu’un sentiment nationaliste. Très vite, des ultra-nationalistes font main basse sur le mouvement de contestation, alliés à des gens qui se faisaient, parfois naïvement, parfois non, des illusions sur une entrée rapide dans l’Union européenne. La tension est alors montée rapidement. Dans les dix jours qui précèdent l’accord du 21 février, on a assisté à un basculement dans la violence du mouvement de contestation qui conduit à un véritable coup d’Etat d’extrême-droite. Il est ainsi aujourd’hui établi que c’est cette extrême-droite qui est la principale responsable des fusillades et des morts sur la place Maïdan. Le 21 février, un accord de sortie de crise est signé par le président Yanoukovitch et les principaux protagonistes politiques du mouvement, accord dont se portaient garants l’Union européenne (dont la France). Cet accord porte, entre autre, sur l’organisation d’élections présidentielles pour la fin du mois de mai. Il faut ici rappeler que la Russie (malgré des réserves) ne s’oppose nullement à cet accord, et qu’elle considère que la crise en Ukraine ne concerne QUE les ukrainiens. Le lendemain cependant Yanoukovitch s’enfuit sans qu’il y soit donné d’explication claire : craignait-il  des menaces sur sa vie (ce qui n’est pas impossible au vu de la présence de groupes armées de l’extrême droite) ou est-il parti sur calcul politique dans l’espoir d’une intervention russe ? Si c’est cette hypothèse, alors il fait un très mauvais calcul. Le Premier Ministre russe, Dmitry Medvedev fera dans les jours qui suivent une déclaration pour dire que Yanoukovitch « n’a plus d’avenir politique ». Yanoukovitch a lassé le gouvernement russe par ses tergiversations continuelles, mais aussi par le spectacle de sa corruption.

Mais, le départ de Yanoukovitch crée un problème politique. Il y a vacance du pouvoir de fait. L’assemblée nationale (la Rada d’Etat) aurait pu exiger que le Président revienne, quitte à le démettre s’il s’y était refusé. Ce n’est pas la voie qui est choisie. Il y a la constitution d’un gouvernement de fait, sur la base d’une Parlement dont certains membres sont de fait arrêtés, et d’autres soumis à des menaces physiques. L’une des premières décisions est de faire interdire de vote un certain de nombre de députés hostiles au nouveau pouvoir et d’interdire aux autres de quitter Kiev. Puis, le « chef » de cette assemblée se proclame chef du pouvoir provisoire. En rupture avec l’accord du 21 février, la situation insurrectionnelle se transforme en coup d’Etat, mettant l’Ukraine en dehors de toute légalité constitutionnelle.

Il faut ici mesurer toutes les implications de ce qui se passe à Kiev du 23 au 28 février. Si l’on considère la légalité constitutionnelle, il y a clairement une rupture. Ce pouvoir est illégal ou alors on doit sommer Yanoukovitch (qui est toujours le président légal) de rentrer au plus vite à Kiev. Ou alors, on considère qu’il y a une révolution. Mais, toute révolution implique la rupture de l’ordre constitutionnel préexistant. Si l’ordre constitutionnel est rompu, ce n’est pas à des élections présidentielles (ou législatives) qu’il faut procéder, mais à l’élection d’une assemblée constituante. De ce dilemme nait la crise que l’on va connaître dans les semaines qui suivent. Et une part des responsabilités en revient ici aux gouvernements des pays de l’Union européenne qui n’ont pas dit clairement aux dirigeants de Kiev qu’il ne pouvait y avoir que deux solutions : soit le rappel de Yanoukovitch, soit l’élection d’une assemblée constituante.

Y a-t-il eu ingérences étrangères dans ces événements ?

L’ingérence de groupes étrangers est prouvée. Ainsi, Georges Soros s’en est-il même vanté et l’entrainement paramilitaire de militants néo-nazis ukrainiens en Pologne par des groupes polonais proches a été dévoilé par un journal polonais de gauche. Mais il y a aussi eu un soutien, implicite ou explicite et actif de la part d’Etat de l’Union européenne et des USA. On peut penser qu’il s’agissait plus de maladresse et d’aveuglement plutôt que d’un dessein, mais cela a conduit à une fuite en avant incontrôlée. Ainsi, des personnalités, et parfois des officiels, européens et américains vont défiler place Maïdan de décembre 2013 à février 2014, mais sans jamais dire, même à mots couverts, ni à ces manifestants ni à leurs relais politiques, qu’il n’y avait aucune chance d’intégration à l’UE de leur pays à court ou moyen terme, et ce contre toute prudence élémentaire. Par la suite, ils reconnaissent le gouvernement de fait issu de Maïdan, bafouant leur propre contreseing à l’accord du 21 février et donnant leur soutien à un gouvernement à forte composante nationaliste, voire fasciste. Le tout sans aucune garantie politique sur le respect d’engagements politiques minimaux, par exemple en terme de respect des minorités ou encore des libertés fondamentales et des droits politiques. L’inconséquence politique est totale. Ce qui est grave, c’est qu’elle fait croire aux dirigeants ukrainiens qu’ils ont le soutien inconditionnel de l’UE et des pays occidentaux. D’une certaine façon, l’imprudence de Mme Ashton et de M. Fabius nous ont arrimé au char des extrémistes ukrainiens.

Quels sont les soutiens du mouvement « EuroMaïdan » ?

Le soutien initial au mouvement « EuroMaïdan » était très diversifié et très large, et représentatif de la société ukrainienne dans sa diversité, tant toutefois qu’il était vécu comme un mouvement anti-corruption. Ce soutien allait donc d’un mouvement démocratique fort mais très peu organisé (mais qui s’effondre en réalité en janvier-février) jusqu’à des mouvements fascistes. Jusqu’en janvier, cette diversité prévaut mais une évolution apparaît alors d’un mouvement anti-corruption à un mouvement pour une intégration à l’Union européenne, créant une fracture interne. Dans le même temps, on assiste à la montée en puissance à l’intérieur de ce qu’il reste de ce mouvement de mouvements extrémistes tels que Svoboda[1] ou encore Pravy Sektor[2], et au muselage des voix discordantes. L’élection d’un nouveau président, Poroshenko, a d’ailleurs constitué, malgré le boycott massif des électeurs du sud-est de l’Ukraine, un (court…) moment de stabilisation politique, mais aussi l’expression d’une défiance populaire dans l’ouest le centre du pays à l’égard des extrémistes de Maïdan. La Russie elle-même reconnait son élection malgré le boycott d’une partie des russophones. Mais Poroshenko, vite mis en face de ses contradictions, choisit la méthode forte en déclenchant une opération militaire dans le Donbass (région de l’est de l’Ukraine et poumon industriel du pays), réduisant à néant presque aussitôt les espoirs nés de son élection.

Quelle politique met en œuvre le nouveau pouvoir ukrainien issu de ce mouvement ?

En réalité, très peu de mesures politiques ont été prises de manière effective. En dehors des attaques contre le statut de la langue russe dans le sud-est russophone du pays, sur lesquelles les nouvelles autorités sont revenues ultérieurement (mais le mal était alors déjà fait, puisque l’est du pays était déjà en révolte…), ou des mesures de persécutions contre les opposants politiques (initialement surtout contre le Parti des régions, l’ancien parti au pouvoir, et ses élus, mais aussi plus récemment contre le parti communiste ukrainien, dont le groupe parlementaire a été dissout, les élus expulsés du Parlement, et qui est menacé d’interdiction). Mais face à une économie à l’arrêt, avec une aggravation du fait de la crise politique, les nouvelles autorités de fait demandent l’aide du FMI. Aide qui leur est accordée, mais conduisant en contrepartie à de sévères mesures d’austérité budgétaire. C’est ainsi, au niveau universitaire, que le ministre de l’Education[3] a décidé autoritairement une réduction drastique du nombre d’universités de quinze à cinq (avec mise en concurrence entre les « survivantes » et fin du cadrage national des diplômes. Ces mesures d’austérité budgétaire avaient été initialement plutôt bien acceptées par la population, mais uniquement dans la mesure où elles étaient présentées comme ponctuelles. Il n’est pas impossible que l’hiver difficile qui s’annonce désormais puisse être porteur de contestation sociale quand ces mesures d’austérité vont se révéler dans toute leur ampleur.

Quelles sont les causes de la contestation apparue dans le sud-est de l’Ukraine en réaction au coup de force « EuroMaïdan » intervenu à Kiev ? Qui sont les insurgés du Donbass et que réclament-ils ?

Ce soulèvement dans le sud-est de l’Ukraine, particulièrement puissant dans le bassin industriel du Donbass, est très composite. Ses principales motivations sont l’absence de confiance envers les autorités de fait installées à Kiev par le mouvement « EuroMaïdan », le souci de défense de la langue russe et de leurs spécificités par la population locale, le sentiment antifasciste vivace hérité de la 2eGuerre mondiale et l’enracinement des idées communistes dans cette région cultivant une forte nostalgie de l’époque soviétique. On peut retrouver dans un sens les mêmes ambiguïtés à front renversé qu’à Maïdan initialement. Contrairement à une idée reçue, les autorités russes sont initialement très méfiantes à l’égard de ces insurgés du Donbass. Ainsi, elles se refusent à reconnaître les référendums d’indépendance, au contraire de ce qui avait été leur réaction en Crimée. Si elles soutiennent les revendications linguistiques et culturelles des populations de l’est de l’Ukraine, elles affirment que ce problème doit être réglé dans le cadre de la Nation ukrainienne. De même, le gouvernement russe salue l’élection de M. Porochenko comme Président, et un contact personnel avec Vladimir Poutine a lieu le 6 juin quand les deux dirigeants sont présents en France pour les commémorations du débarquement en Normandie. Mais, cette position va progressivement évoluer. C’est le résultat du refus persistant des autorités de Kiev de prendre en compte les revendications exprimées par les insurgés de l’est de l’Ukraine, mais aussi du déclenchement des opérations militaires, qualifiées par Kiev « d’opération Anti-Terroristes ». Très vite, les pertes civiles vont être importantes. La Garde Nationale, qui rassemble des militants du « secteur droit » (Pravy Sektor) et de Svoboda, va se distinguer par les exactions commises. On doit ici rappeler le drame d’Odessa ou des militants d’extrême-droite ukrainiens vont bruler vifs près de 40 militants pro-insurrection. Ce drame a des conséquences politiques et psychologiques très importantes. Aussi, dès la fin juin, des volontaires russes, des communistes (du KPRF) mais aussi et majoritairement des nationalistes, parfois d’extrême-droite, viennent progressivement épauler ces insurgés. Ces volontaires seraient entre 3000 et 5000 dans les forces insurgées. A partir de la seconde moitié du mois de juin, et surtout dans le mois de juillet, on assiste à une prise de contrôle de l’appareil décisionnel plutôt par la fraction la plus nationaliste. Mais sans effusion de sang ni exclusion de la fraction communiste toutefois, qui conserve des leviers politiques. Par ailleurs, des volontaires européennes antifascistes, surtout des Espagnols et des Italiens, sont actuellement présents pour se battre aux côtés des insurgés. Il y a aussi des Français d’origine ukrainienne, anciens de la Légion étrangère engagés dans les années 1990, ainsi que d’anciens camarades de régiment à eux venus là les aider. Une forte confusion sur le plan politique prévaut donc. Ce qui fait leur unité, je pense, plus que l’idéologie nationaliste, c’est la volonté de sauver la population civile victime de véritables massacres, de bombardements systématique, et menacée d’épuration ethnique.

Doit-on pour autant voir la main de la Russie dans cette contestation ?

Il existe une implication russe qui se précise dans le cours du mois de juillet et début août, mais elle est indirecte et non directe. Ainsi, il y a une tolérance en faveur du recrutement de volontaires pour le Donbass, mais pas de troupes russes engagées par le Russie sur place, du moins jusqu’au 15 aout. Depuis, la Russie semble avoir franchi un pas, et s’être impliquée plus directement. Aujourd’hui (30 août), il semble qu’il y ait environ un millier de soldats russes en Ukraine. Ceci constitue bien entendu un développement nouveau et inquiétant, même si cela ne saurait expliquer les victoires remportées par les insurgés depuis le 15 août. Rappelons que les forces de Kiev comptent environ 50 000 à 60 000 combattants déployés contres les insurgés, et que ces derniers déploient environ 15 000 hommes. La question de l’équipement des insurgés a été posée à de nombreuses reprises. Rappelons que, lors de la phase initiale de l’insurrection, ces derniers ont saisi des quantités importantes d’armement sur la police ou sur les unités de l’Armée qui se trouvaient à Donetsk et Lougansk, et dont la plupart se sont soit débandées soit on rejoint les insurgés. Par ailleurs, de nombreuses unités loyalistes ukrainiennes qui ont été encerclées par les insurgés se sont rendues que ce soit aux insurgés ou aux gardes-frontière russes. La Russie a alors rétrocédé leur matériel militaire aux insurgés. On ne peut pas dire que la Russie soit neutre, mais elle n’est toutefois pas en état de belligérance avec l’Ukraine du point de vue du droit international. L’aide de conseillers militaires russes aux insurgés est possible, et pour tout dire assez probable, mais elle n’a toutefois jamais été prouvée. Inversement, l’aide de conseillers militaires américains à l’armée ukrainienne ne fait par contre aucun doute, de même que l’emploi de « mercenaires » (de la compagnie Academiqui est le nouveau nom de Blackwater, un société de sécurité privée) voire de volontaires polonais et Baltes.

L’actualité récente est marquée par le crash d’un avion  de ligne de Malaysia Airlinesdans l’Est de L’Ukraine : à qui est imputable cet accident selon vous ?

Ce drame a été l’occasion d’une campagne hystérique antirusse d’une rare violence. Les Etats-Unis ont immédiatement accusé les insurgés et la Russie d’être les responsables de ce drame. Aujourd’hui, les contradictions dans la thèse américaine sont désormais évidentes. Elles ont été, pour certaines, relevées par des anciens responsables du renseignement américain[4], comme William Binney, ancien Technical Director, World Geopolitical & Military Analysis, et co-fondateur du SIGINT Automation Research Center, David MacMichael, du National Intelligence Council, Ray McGovern, qui fut un ancien analyste de la CIA et de l’US Army infantry, Coleen Rowley, Special Agent de FBI, et Larry Johnson et Peter Van Buren qui ont travaillé tant à la CIA qu’au Département d’Etat[5].

Il est à noter que les accusations initiales affirmant la culpabilité des insurgés du Donbass, voire de la Russie, ont donné lieu ces derniers à une rétropédalage en bonne et due forme des autorités françaises et à une forte discrétion à Washington. De fait, l’événement a disparu des radars médiatiques. Le Drian, Ministre de la Défense, a reconnu devant l’Assemblée nationale que les services secrets français ne savent pas quelles sont les responsables de ce drame et n’exclut pas la responsabilité de l’armée loyaliste.

Quelle est votre appréciation sur les sanctions prises par les USA et l’Union européenne contre la Russie et sur les contre-sanctions russes ?

Au départ, il s’agissait en réalité de sanctions pour la forme de la part de l’UE. Mais les USA sont montées en puissance dans les sanctions, et ont entraîné l’UE dans cette logique de fuite en avant. Or, si les contre-sanctions russes n’ont qu’un effet direct négligeable en France au niveau macro-économique. Par contre, il y a un véritable effet indirect, qui n’est pas directement lié aux sanctions, du fait de l’arrêt des importations russes, du fait de consignes des autorités russes de se tourner vers d’autres partenaires économiques pour se fournir en produits d’importation.

Propos recueillis par J. Wachill, pour le journal étudiant amiénois

Solidarité Etudiante (journal d’information syndicale de l’AGEP)


[1] ndlr : parti d’extrême-droite ultra-conservateur issu de la mutation d’un parti qui se réclamait il y a peu encore « national-socialiste »

[2] ndlr : un mouvement néo-nazi

[3] ndlr : un ministre fascisant membre de Svoboda

[4] American Intelligence Officers Who Battled the Soviet Union for Decades Slam the Flimsy “Intelligence” Against Russia, URL http://www.washingtonsblog.com/2014/07/obama-release-ukraine-evidence.html

[5] Sapir J., MH17: Doubts in the Intelligence Community…, note publiée sur Russeurope, le 1eraoût 2014, http://russeurope.hypotheses.org/2610

Source: http://www.les-crises.fr/le-point-sur-l-ukraine-par-jacques-sapir/


[Reprise] Faut-il nous battre pour Donetsk ?, par Joseph Savès

Sunday 31 August 2014 at 06:04

Un intéressant papier d’Herodote.net du 29 aout (dont je ne partage pas cependant certaines tournures)

Voilà que la guerre reprend en Ukraine, aux portes de l’Union européenne ! Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, cette crise incongrue résulte d’un malentendu historique entre la Russie et les Occidentaux.

On peut lire aussi notre éditorial : Gare à ne pas désespérer la Russie.

« Sont-ils tous devenus fous ? » se demandait récemment Jacques Attali à propos des dirigeants européens (*).

Après les manifestations de Maidan, à Kiev, à l’automne 2013, le nouveau gouvernement ukrainien n’a rien eu de plus pressé que d’ôter au russe, langue parlée par un tiers de leur population, son statut de langue officielle.

Et c’est avec les encouragements de l’Union européenne, de l’OTAN et de quelques intellectuels déphasés qu’il est entré en guerre contre les séparatistes russophones de Crimée et du Donbass, qui ne supportaient plus d’être traités en parias.

Ainsi les dirigeants occidentaux approuvent-ils le droit à l’autodétermination des peuples quand il concerne les Catalans, les Écossais, les Corses ou encore les Tibétains, mais ils le violent en Ukraine. Il est vrai que tout est permis quand il s’agit de repousser l’ogre russe et relancer la « guerre froide ».

D’Eltsine à Poutine, quelle différence ?

Ah, c’est sûr, les Occidentaux avaient plus de sympathie pour Boris Eltsine que pour Vladimir Poutine, qui lui a succédé en 1999 à la tête de la Fédération russe.

D’abord, il avait l’alcool joyeux. Ensuite, il avait accueilli à bras ouverts les « Chicago boys » et, sur les conseils de ces missionnaires du néolibéralisme, il avait bradé l’économie russe aux anciens apparatchiki du Parti communiste. Cette politique éclairée avait conduit à l’effondrement démographique de la Russie.

Poutine a, lui, tous les défauts. Il est issu de la police d’État, le FSB (ex-KGB), dont l’historienne Hélène Carrère d’Encausse rappelle avec une nuance d’humour qu’il est le vivier des cadres russes, à l’égal de l’ENA en France. Ses manières sont celles d’un tsar et il ne cache pas son mépris des démocraties occidentales.

Plus gravement, il s’est mis en tête de redresser son pays en instaurant des barrières protectionnistes pour sauver l’industrie, en mettant au pas les hiérarques, voire en les jetant en prison, et en brutalisant les médias. Le pire est qu’il semble y réussir comme le montrent les indicateurs démographiques relevés par le démographe Emmanuel Todd. Cela lui vaut d’être immensément populaire dans son pays.

La Russie (145 millions d’habitants) n’est plus menacée de disparition à moyen terme. Son indice de fécondité (1,2 enfants par femme en 1999, 1,7 en 2013) est remonté au-dessus de celui de la Chine (1,5), de l’Ukraine (1,5) et bien sûr de l’Europe, pour ne rien dire de l’Allemagne (1,4). Niveau d’éducation, accession des filles à l’enseignement supérieur, mortalité infantile, suicide… tous les indicateurs témoignent de ce que la population russe reprend lentement confiance en son destin.

C’est cette renaissance encore fragile de la plus grande nation du continent que les dirigeants européens s’appliquent à briser avant qu’un disciple de Charles de Gaulle ne s’avise de construire « l’Europe de l’Atlantique jusqu’à l’Oural ».

En finir avec la Russie ?

Certains, en Suède et plus encore en Pologne, cachent à peine leur désir de vengerPoltava et Katyn« Isolons la Russie et renvoyons-la dans ses lointaines steppes asiatiques », clament-ils.

Les gens de Bruxelles (l’OTAN et la Commission européenne) s’y sont essayé en 2008 avec la Géorgie. Ils ont encouragé celle-ci à rompre avec Moscou et se rapprocher de l’Union européenne, voire entrer dans l’OTAN, en violation de la promesse faite en 1991 à Mikhail Gorbatchev, dernier chef d’État soviétique, de ne pas étendre l’alliance aux portes de la Russie. La tentative a fait long feu après que Vladimir Poutine eut brutalement ramené la Géorgie au bercail.

Oublieux de la leçon (*), ils ont donc récidivé cinq ans plus tard avec l’Ukraine, ou« petite Russie », en l’invitant à s’émanciper de Moscou et se rapprocher de l’Union européenne et de l’OTAN, ce que les Russes ont perçu comme une nouvelle manifestation d’hostilité à leur égard.

L’Ukraine ! Jusqu’à ces derniers mois, nous méconnaissions ce pays tout autant que la Géorgie. À sa partie orientale russophone, la « Nouvelle Russie », les Soviétiques ont rattaché la partie occidentale, enlevée aux mondes balkanique, carpathique et polonais. De ces régions pauvres mais fières sont issus les nationalistes qui s’associèrent aux envahisseurs allemands pendant la Seconde Guerre mondiale et aussi ceux qui se sont retrouvés sur Maidan à l’automne 2013 pour renouveler leur sympathie à l’adresse de l’Europe, de l’Allemagne et de la Pologne.

Cette sympathie justifie-t-elle que nous enfonçions un coin entre l’Ukraine et la Russie ? Est-il urgent et utile de nous rapprocher de l’Ukraine, avec son économie en lambeaux, sa société en loques et sa démographie sinistrée ? L’Ukraine, notons-le, est, de tous les pays de la planète, celui dont la population devrait le plus diminuer d’ici 2050 (34 millions d’habitants au lieu de 45 millions dans les frontières de 2013 d’après les démographes de l’ONU).

Las. Après un échec cuisant sur la Crimée, reprise par la Russie le 17 mars 2014, le président ukrainien Petro Porochenko a retourné son armée contre ses concitoyens russophones du Donbass, ne leur offrant que la « paix des cimetières ». Au lieu de calmer ses pulsions bellicistes, les Européens se sont enferrés dans leur erreur. Ils ont choisi de s’en prendre exclusivement à son homologue russe.

Il s’en est suivi une escalade ukraino-occidentale, combinant sanctions économiques contre la Russie et opérations de guerre contre les séparatistes du Donbass, soutenus en sous-main par les Russes.

Le président Barroso, qui, avec Bush Jr, Blair et Aznar, a envoyé les Irakiens en enfer, s’est autorisé à menacer la Russie de ses foudres. Et tant pis si l’économie européenne, qu’il a déjà mise à terre, risque de s’enfoncer dans des profondeurs encore insoupçonnées. Les Russes ont fait comprendre qu’ils sauraient se passer des pommes de Pologne, du poulet français, des machines allemandes et aussi des bateaux Mistral construits à prix d’or par la France… Tant mieux pour les agriculteurs brésiliens, les fabricants de machines-outils japonais et les fabricants d’armements israéliens qui déjà se frottent les mains.

« Mourir pour Donetsk ? »

Autrement plus habile que les stratèges de Bruxelles, Poutine a laissé les Ukrainiens épuiser leurs maigres ressources dans la guerre du Donbass. Un moment déstabilisé par le crash imprévu de l’avion MH17 de la Malaysia Airlines, le 17 juillet 2014, au-dessus de la zone des combats (298 victimes), vraisemblablement dû à un tir des pro-russes, il a fait le gros dos avant de reprendre l’initiative un mois plus tard, une fois l’affaire oubliée.

Le 27 août 2014, après avoir amusé la galerie avec un convoi humanitaire, il a engagé dix mille militaires en Ukraine et, en quelques heures, brisé l’armée de Kiev. Petro Porochenko, pris au piège de son incurie, appelle à l’aide les Européens et l’OTAN après avoir perdu son armement et écrasé sous les bombes la principale région industrielle de son propre pays.

Devons-nous donc prendre le risque de mourir pour Donetsk ? Quand la question fut posée en 1939 à propos de Dantzig, il y avait de bonnes raisons pour répondre oui. Le dictateur qui menaçait Dantzig et la Pologne ne cachait pas ses visées sur le reste de l’Europe.

Rien de tel aujourd’hui. Poutine, que l’Ukrainien Porochenko et le Portugais Barroso ont choisi d’affronter, ne demande qu’à poursuivre le redressement de son pays sans être isolé de ses alliances traditionnelles ni menacé par l’installation de l’OTAN à ses portes. Il sait que ses compatriotes ne lui pardonneraient pas de reculer là-dessus ni d’abandonner les russophones d’Ukraine à la vengeance des Galiciens. Lui-même n’acceptera jamais de renvoyer la Russie dans les ténèbres eltsiniennes.

Faut-il donc l’acculer dans ses retranchements ? Sauf à vouloir en finir avec la Russie, cette option est indigne de tout homme d’État digne de ce nom, qui se doit au contraire de ménager à ses adversaires une issue honorable. L’Union européenne a provoqué la crise actuelle en tentant de détacher l’Ukraine de la Russie alors qu’elle n’en a ni les moyens financiers ni la capacité politique. Il lui appartient maintenant d’amorcer la désescalade.

Il s’agit : 1) d’entériner le retour de la Crimée dans le giron russe, 2) d’imposer une fédéralisation de l’Ukraine, seule voie de sortie après les troubles de ces derniers mois qui ont creusé un abîme entre les différentes composantes du pays. Ces  avancées politique peuvent s’accompagner en contrepartie d’un rapprochement économique entre la Russie, l’Ukraine et l’Union européenne, profitable à toutes les parties, en faisant fi de la brutalité du président russe et de son approche peu démocratique des conflits (*).

Le ballet diplomatique des derniers jours d’août 2014 donne à penser que cette solution raisonnable finira par être mise en oeuvre sous l’impulsion des deux seuls« hommes » d’État qui restent en Europe : la chancelière Angela Merkel et Vladimir Poutine. La première, devenue le chef de facto de l’Union européenne, a tenté le 23 août, à Kiev, de calmer l’Ukrainien Porochenko et l’a invité à faire enfin des concessions à ses compatriotes russophones. Le second, après avoir fait la preuve de sa détermination, est en situation aujourd’hui de calmer le jeu à son avantage, en obtenant une neutralisation de l’Ukraine.

Joseph Savès, Herodote.net

Source: http://www.les-crises.fr/faut-il-nous-battre-pour-donetsk/


Israël et la Palestine : ces aveuglantes vérités qu’on ne veut pas voir, par Chokri Ben Fradj

Sunday 31 August 2014 at 04:23

Israël, s’amusent à rappeler, régulièrement, nos médias occidentaux, est une démocratie ; ce serait même la “seule et unique démocratie de tout le proche orient”. Comme c’est bien joli et rassurant de s’endormir sur ses lauriers, baigné par ces douces certitudes. Le nouveau chapitre du martyre des Palestiniens qui vient de se dérouler, sous nos yeux, à Gaza, impose pourtant, et plus que jamais je crois, ” un arrêt sur image” afin de pouvoir nous poser certaines questions fondamentales en rapport avec le sujet

Ce sur quoi devrait – me semble-t-il – se concentrer notre attention ce sont tout d’abord les faits récents et ils sont absolument accablants. Pendant plus d’un mois, des centaines de milliers de Palestiniens ont vécu sous les bombes de ladite “unique démocratie proche-orientale”. Pour la énième fois, la machine de guerre israélienne accomplit sa besogne de mort à Gaza, dans la quasi indifférence, sinon avec la complicité active de l’occident “civilisé”, à commencer par ceux prétendant nous gouverner, le sommet de l’indignité politique ayant été, sans doute, atteint par François Hollande, exprimant, il y a quelques semaines, son soutien et sa solidarité, non pas aux Palestiniens mais….. à leurs bourreaux israéliens. Combien de drames humains, de morts, de blessés, de mutilés, combien de destructions et de ravages en tout genre faut-il encore comptabiliser pour que les consciences endormies (médiatiques, intellectuelles et politiques) se réveillent vraiment enfin ?

Mais au-delà de l’horreur du moment, le vrai problème (tout le monde le sait pertinemment) n’est pas Gaza. Cette bande de terre, exiguë et assiégée de toutes parts, concentre, certes, à un niveau intolérable, tous les aspects de la question palestinienne, mais celle-ci ne peut, bien évidemment, être réduite à ce qui se passe à Gaza ; ce serait trop simple et surtout trop facile.

Pour la très grande majorité des dirigeants israéliens d’hier et d’aujourd’hui, traiter la population civile palestinienne (et arabe en général) comme leur armée vient de le faire une fois encore, à Gaza, n’est, à vrai dire, en rien une nouveauté. C’est une pratique plutôt banale fréquemment mise en œuvre (à une échelle de violence variable) à Gaza et ailleurs. Je dirais même qu’elle relève, objectivement, d’une sorte de normalité routinière à laquelle les militaires israéliens n’hésitent pas (les archives écrites et audio-visuelles des 70 dernières années sont là pour très amplement le démontrer) de régulièrement recourir depuis la création de leur État. Ils le font, du reste, d’autant plus aisément qu’ils savent pertinemment qu’ils n’auront jamais à en payer le prix, leurs puissants amis et protecteurs leur garantissant quasiment une impunité totale. “Les Arabes aiment la mort”, osent, ignominieusement, répéter beaucoup de responsables israéliens, civils et militaires. Ils en ont, très manifestement déduit (et ceci ne date absolument pas d’aujourd’hui) que la vie des Arabes ne compte pour rien et que, puisqu’il en est ainsi, pourquoi, alors, se gêner ? ” Allons-y à fond… Tuons et massacrons à volonté”. Difficile, en réalité, d’aller plus loin dans le cynisme et la barbarie. Accepteraient-ils, ces Israéliens, que leurs villes, leurs infrastructures de base et leur population civile soient – des semaines durant – ravagées, non pas par des roquettes à l’effet somme toute très modeste, mais par des bombardiers, des drones, des chars et de l’artillerie lourde, faisant, dans leurs rangs, des milliers de morts et de blessés (pour l’essentiel civils) et causant d’énormes destructions ? Que feraient-ils et que diraient-ils aussi si tel était le cas ? Quelle serait, également la réaction de la fameuse ” communauté internationale” face à cela ? La réponse est déjà dans la question et il me parait donc inutile de l’expliciter davantage.

Rien d’original là-dedans en réalité, car ce à quoi nous sommes confrontés est, ni plus ni moins, conforme à ce que fût la logique présidant à toutes les entreprises coloniales à travers l’histoire et à l’attitude de leurs promoteurs à l’égard des populations colonisées. Les Américains, les Français, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Belges, les Allemands ou encore les Japonais ont, en effet, raisonné et agi de la même manière vis à vis des populations autochtones de leurs empires coloniaux respectifs où les victimes des guerres de conquête puis des répressions, des exactions et des exploitations de toutes sortes, se comptent, du 16è au 20è siècles, en dizaines de millions.

Dans un monde dominé, depuis toujours, par la loi de la jungle, comment, d’ailleurs s’étonner de pareils comportements ? Comme tous les colonisateurs, la très grande majorité des Israéliens se sont ainsi construit un univers auto-mystificateur dans lequel ils se sont enfermés et d’où ils se montrent parfaitement incapables de sortir. A l’autre, à leur victime qui frappe à leur porte, demandant la récupération ne serait-ce que d’une partie de ses droits, ils ne savent répondre que par le mépris ou par encore plus de violence et d’oppression. Les représentants les plus modérés des Palestiniens ont ainsi beau tenté de négocier, depuis plus de vingt ans, un traité de paix un minimum équitable avec les gouvernements israéliens successifs. En vain, car en guise de “paix”, ces derniers leur ont “offert”, une colonisation massive et sans fin de ce qui reste de leurs terres, une extension inouïe de la politique de peuplement juif (ayant fait passer le nombre des colons de 15 000 en 1972, à plusieurs centaines de milliers aujourd’hui), la destruction de leurs cultures et l’arrachage de leurs oliviers multi-centenaires, le dynamitage, sans cesse répété, de leurs habitations, le pillage éhonté de leurs ressources aquatiques, les successifs et fréquents “assassinats ciblés” (avec, à chaque fois, de très nombreuses “victimes collatérales”) de leurs militants et responsables politiques, les arrestations massives et arbitraires, les brimades et les humiliations au quotidien. A bien regarder, toutefois, nous constatons que cette attitude s’inscrit dans le sillon d’une orientation politique particulière, moins connue par le grand public mais tout aussi condamnable.

Nos lecteurs savent-ils, ainsi, que l’État d’Israël fût longtemps (et cela en dit déjà très long…) l’allié privilégié de l’Afrique du sud de l’apartheid (qu’il aida directement à fabriquer sa bombe atomique), ainsi que des dictatures fascistes d’extrême droite en Amérique latine des années 60 à 90 (Brésil, Chili, Argentine, Guatemala, Salvador etc…) jusqu’aux “républiques” dirigées par des potentats grotesques, pourris et sanguinaires, d’Afrique noire (tel le régime de Mobutu dans l’ex-Zaïre et plein d’autres du même genre) ?

A “ces braves dirigeants “, les Israéliens ont apporté leur soutien et leur savoir-faire multiformes, civil et militaire, et cela ouvertement et considérablement. Pour “une démocratie”, cela pose déjà un très sérieux problème de cohérence minimum avec les “valeurs” qu’elle est supposée défendre. Ces mêmes amis lecteurs savent-ils aussi que l’État d’Israël n’a jamais eu de frontières définitives officiellement reconnues, puisque celles-ci se sont longtemps étendues, non pas en fonction des règles du droit international mais au fur et à mesure de ses conquêtes militaires ? Le territoire israélien (pourtant géographiquement délimité par une décision de l’Onu datant de 1947, lors du partage de la Palestine, demeuré purement théorique, entre deux États juif et arabe) est donc potentiellement extensible, selon la formule biblique, à un espace allant “du Nil à l’Euphrate”, illustration, parmi d’autres, de ce ” brigandage impérialiste”, évoqué, il y a plus d’un siècle, par Lénine.

Ce territoire n’inclut-il pas déjà, outre la Cisjordanie et Jérusalem- Est, le Golan syrien, occupé en 1967 puis annexé par Israël en 1981?

La nature juridique de l’État d’Israël reste aussi une énigme: Est-ce une république? Une monarchie? Un empire ? Une principauté ? Une tribu ? Cet État a-t-il, par ailleurs, une constitution clairement rédigée déterminant, de manière officielle, son fonctionnement ? Est-il un État construit sur la notion égalitaire de citoyenneté, garantissant à tous ses habitants, Juifs et non Juifs, les mêmes droits effectifs ? Est-il régi par des principes laïcs et réellement démocratiques ? Est-il un État respectueux des droits de l’homme, de la légalité internationale et de la charte de l’Onu (cette organisation à laquelle il doit son existence) ? Ou alors est-ce plutôt un État voyou, qui s’assoit systématiquement sur le droit des autres et qui ne reconnait d’autres lois que les siennes ? Un État d’apparence libérale mais en même temps adossé à une théocratie religieuse obscurantiste, intolérante, archaïque et ségrégationniste ? Un État acceptant, dans ses lois et ses pratiques, une lecture scandaleuse du statut légal de la femme (que tous les féministes et les progressistes du monde devraient, normalement, très fermement dénoncer) et ayant la Bible et la Thora comme sources d’inspiration juridico- politique ? Peut-être cet État est-il un mélange aberrant et anachronique de tout cela, un État où cohabitent, étrangement, d’un côté, de vrais espaces de modernité rattachables à un fort potentiel scientifique et à une forte créativité culturelle irrigués par des esprits brillants et laïcs, et de l’autre, la prétention, ouvertement affichée, de puiser – avec le mythe du “peuple élu auquel la Palestine aurait été promise par Dieu”- dans les “textes sacrés”, sa toute première source de légitimation. Le fait, d’ailleurs, que l’actuel premier ministre israélien se revendique (comme, d’ailleurs, tous ses prédécesseurs), chaque fois que cela l’arrange, du “monde libre” et de “l’occident démocratique” – dont Israël se voudrait le bastion dans la région – tout en exigeant des Palestiniens (comme préalable à la reprise de “négociations de paix” dont tout le monde a pu constater l’absolue inanité), la reconnaissance d’Israël comme un État exclusivement juif, n’est-il pas assez éloquent en la matière ? Plus grave encore : quand Menahem Begin et Itshak Shamir (tous les deux anciens premiers ministres israéliens des années 70 à 90) qualifient les Arabes de “sauterelles” et de “cafards”, quand une députée de l’actuel parlement israélien, déclare, tout récemment, qu’il faudrait “tuer délibérément les femmes palestiniennes afin de les empêcher d’engendrer de futurs terroristes” ou encore quand l’actuel ministre israélien des affaires étrangères, Victor Libermann (un Moldave immigré en Israël à l’âge de 20 ans et dirigeant d’un parti ouvertement raciste et fasciste) préconise ” le transfert des Arabes israéliens vers la Cisjordanie afin de faire d’Israël une entité ethniquement et religieusement homogène”, quand on entend, enfin, ce que disent les colons fanatiques installés sur les terres palestiniennes, qu’ils ont confisqué en Cisjordanie, et quand on voit comment ils se comportent à l’égard des Palestiniens qu’ils ont spoliés, quand on intègre tout cela à notre réflexion, on est vraiment en droit de s’interroger sur la nature de cette prétendue “démocratie israélienne” mais aussi sur la mentalité profonde (les résultats des élections législatives successives l’attestant, du reste, amplement depuis très longtemps) d’ une grande partie de ses citoyens.

Poussons encore plus loin notre raisonnement : qu’est- ce donc cette idée vraiment saugrenue que de vouloir, à tout prix, réunir (sous prétexte des persécutions subies) des hommes et des femmes venus de pays extrêmement différents, dans un même territoire et ce sur une base exclusivement religieuse ? Tout faire pour inciter des gens n’ayant, auparavant, rien à voir ensemble, à se regrouper dans un pays artificiellement crée pour la seule raison qu’ils partageraient la même manière de croire en Dieu, peut-il être considéré comme une démarche progressiste ou émancipatrice ? Je me permets d’en douter et ce d’autant plus que cette bien curieuse entreprise s’est accompagnée d’une vaste épuration ethnique et de crimes abominables à l’égard de la population autochtone, dont la mémoire palestinienne est toujours lourdement chargée. Pourquoi, d’ailleurs et tant qu’on y est, s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas favoriser des démarches similaires à l’égard des musulmans, des chrétiens, des bouddhistes, des hindouistes, des athées ou des mécréants de l’ensemble de la Terre ? Ne sont-ils pas, eux aussi, à un titre ou à un autre, et à des degrés divers, exposés, là où ils vivent, à différents types de menaces et de persécutions ? N’y-at-il pas là comme l’expression d’une pensée moyenâgeuse particulièrement fermée, rétrograde et fanatique, porteuse d’un risque, plus que réel, de transformer les entités politiques potentielles ainsi crées, en autant d’abcès de fixation pour tous les affrontements, toutes les stigmatisations et tous les sectarismes ? Au lieu d’être consacrée à l’entretien d’ un très détestable esprit communautariste et une fort néfaste mentalité grégaire, l’énergie, ainsi gaspillée, n’aurait-elle pas dû plutôt servir, et depuis très longtemps, au combat universel et multiforme pour le triomphe effectif de la justice, de la dignité, de la fraternité et de l’égalité au profit de tous les habitants de cette terre, indépendamment de leurs origines ethniques, de leurs appartenances religieuses, sexuelles ou nationales ? Ce raisonnement aurait dû, et devrait toujours – me semble-t-il – obtenir l’adhésion unanime de tous les êtres humains lucides, de bonne volonté et à l’esprit réellement éclairé. Et pourtant……

Arrêtons-nous, du reste, un instant sur ce mythe de “la terre que Dieu aurait promis au peuple juif dans la bible “. Selon la lecture israélienne du droit et plus précisément, selon la loi (tout à fait hallucinante) dite du” retour”, n’importe quel citoyen de n’importe quel pays du monde pourrait ainsi – à la seule condition qu’il soit reconnu comme Juif – non seulement venir s’installer en Israël, y obtenir, ainsi que sa famille, automatiquement la nationalité et bénéficier de tous les avantages et droits allant avec, mais également établir (avec le soutien et la bénédiction de l’État israélien) son domicile sur n’importe quelle région du territoire de la Palestine historique (incluant la Cisjordanie et Jérusalem Est) en s’appropriant, souvent, au passage, (avec la protection de l’armée israélienne qui veille au grain) des terres sur lesquelles il n’a, pourtant, strictement aucun droit, alors que les vrais propriétaires palestiniens de ces terres (qui y étaient depuis des siècles et des siècles) n’auront plus – la rage au cœur – que leurs yeux pour pleurer. Cette image, qui n’a absolument rien d’irréel, fait quasiment partie – tous les Palestiniens vous le diront- de leur vécu quotidien depuis de très longues décennies. Imaginons un peu ce que pourrait signifier, dans notre monde contemporain, ce genre de comportement, ce qu’engendrerait un pareil raisonnement s’il était repris, de nos jours, par les différents peuples de la Planète. Imaginons dans quel état serait celle-ci si, au nom de je ne sais quel droit chimérique, les hommes se mettent, soudain, à vouloir conquérir la terre des autres, celles des voisins comme celles des lointains, sous prétexte qu’elle aurait appartenu, il y a plusieurs milliers d’années, à leurs très très lointains supposés ancêtres. Essayons de deviner dans quel monde on vivrait si cette pratique était effectivement acceptée et admise comme quelque chose de légitime et de normal. Non seulement ce serait la mort assurée de toute notion (déjà durement malmenée un peu partout dans le monde) de justice et de droit, mais ce serait aussi, et plus que jamais, la guerre universelle de tous contre tous qui serait tout simplement déclenchée, avec les conséquences cataclysmiques que nous pourrions facilement prévoir. Pourtant, nous sommes, bel et bien, obligés de constater que c’est bien à partir d’un tel mythe que l’État d’Israël a été fondé. Les risques et les dangers gravissimes, pour la paix dans la région et la bonne entente entre les croyances et les hommes, qu’une telle entreprise portait fatalement en elle, ont-ils jamais été sérieusement pris en compte par ses promoteurs ainsi que par leurs soutiens ? Tout porte à croire que non, le respect des droits fondamentaux des victimes étant, dans cette affaire, manifestement considéré comme une sorte de “luxe superflu” dont on ne peut s’encombrer. Il suffit, d’ailleurs, d’observer le comportement des soldats israéliens sur le terrain, depuis des décennies, pour s’en convaincre. Dans le discours politique israélien, ils sont présentés, très sérieusement et sans la moindre once d’humour, comme constituant ” l’armée la plus morale du monde “. Ils sont, effectivement, “beaux et exemplaires ces soldats, et ces soldates” dans l’accomplissement de leur rôle préféré, joué et répété à l’infini depuis plus de 70 ans, auquel l’ensemble de la planète vient à nouveau d’assister en direct et qui se passe de tout commentaire. Franchement, très franchement même: si tel est le comportement de la soi-disant “l’armée la plus morale du monde”, j’aimerais vraiment que l’on me dise comment cette dernière aurait agi si elle était dépourvue de la morale qu’on lui attribue. Oui, j’aimerais réellement qu’on me le dise, dans le cas où je n’aurai pas bien compris

Ces propos sont-ils antisémites ? Je connais bien cette musique : délégitimer l’adversaire, en le disqualifiant moralement afin de tenter de le neutraliser politiquement. Cela constitue une très vieille rengaine, usée jusqu’à la corde, à laquelle ont systématiquement recouru ceux qui – faute d’arguments solides et crédibles à opposer à leurs contradicteurs – se réfugient dans l’insulte et la calomnie.

Non, bien évidemment que non. Mes propos n’ont rigoureusement rien à voir avec un quelconque antisémitisme, idéologie infecte et abjecte dont nous savons tous à quels genres de monstruosités et d’horreurs elle a abouti et peut encore aboutir. Ma parole se veut tout simplement, celle d’un esprit libre, réfractaire à tous les dogmes, à toutes les hypocrisies et à toutes les formes d’aliénation. Partant, justement, de ce positionnement intellectuel et politique, je dénis, en ce qui me concerne, totalement à l’État d’Israël le droit de représenter, en quoi que ce soit, l’essence de ce qu’est réellement, le judaïsme (religion monothéiste à laquelle on peut ou non adhérer mais tout aussi respectable que toute autre religion s’exerçant dans un cadre démocratique et laïc et non instrumentalisée à des fins de domination ou d’oppression) qu’il a, manifestement, pris politiquement, moralement et intellectuellement, en otage, au prix d’un intense lavage de cerveau collectif en direction, non seulement des communautés juives à travers le monde, mais aussi de l’opinion publique occidentale

Je pense, également, que, par son idéologie et ses agissements criminels, la caste politico-religieuse et militaire qui dirige cet État constitue (au même titre d’ailleurs que les groupes terroristes génocidaires, porteurs d’un islam de mort et de ténèbres qu’on voit tristement à l’œuvre, de nos jours, dans nombre de pays musulmans) une véritable insulte vis à vis de toutes les valeurs morales et spirituelles, non seulement du judaïsme, mais aussi de toutes les religions. Plus encore : les crimes horribles et les exactions en tout genre que ne cessent de commettre ou de cautionner, depuis bien longtemps déjà, une partie de ceux prétendant parler au nom du judaïsme et des Juifs, sont devenus, incontestablement, aujourd’hui,(tout observateur lucide peut le constater) le meilleur terreau sur lequel peut prospérer, à volonté, le discours antisémite, l’amalgame étant, chez énormément de gens (tout particulièrement au sein du public arabe et musulman mais pas seulement) malheureusement vite fait entre le judaïsme et l’État d’Israël. C’est, sans doute là la principale raison pour laquelle un très grand nombre de juifs à travers le monde (dont beaucoup de citoyens français) – qu’ils soient pratiquants ou pas, laïcs ou orthodoxes – n’hésitent pas, depuis un certain temps déjà, à dire ce qu’ils pensent de cet État, mais aussi à rallier activement et régulièrement les diverses manifestations de soutien au peuple palestinien. Ils sont, à mes yeux, l’honneur du judaïsme, sa noblesse et sa lumière, celles qu’incarnaient et qu’incarnent encore, dans la longue mémoire des hommes, les innombrables grandes figures issues du judaïsme (présentes aussi dans la société israélienne actuelle, mais, hélas, en trop petit nombre), hommes et femmes humbles, dévoués, libres, hommes et femmes de savoir, de culture et d’engagement, humanistes et progressistes de toutes tendances, amoureux de la justice et de la fraternité, symboles, parmi d’autres, de cet universalisme auquel je suis, moi-même, depuis toujours, profondément attaché.

Les abominations et agressions de toutes sortes (dont l’évocation détaillée remplirait des livres entiers) commis, depuis sa création, par l’État d’Israël, à l’égard des Palestiniens et divers États ou peuples de la région, sont, aussi, pour tout être humain disposant d’une conscience morale, autant de couteaux plantés dans le dos de ces résistants juifs de tous les pays d’Europe qui ont pris les armes contre le fascisme et le nazisme durant la dernière guerre et dont la plupart sont morts, fusillés, sous la torture ou dans les camps de l’horreur nazie, sans jamais avoir renié leurs principes et leurs convictions. Entre, d’un côté, ces hommes et femmes, héros et justes parmi les justes, et la plupart des acteurs de la politique israélienne ainsi que leurs soutiens, il y a sans doute, autant de différence qu’entre le jour et la nuit.

Que cette mémoire-là, celle de la résistance juive à l’oppression, au racisme et à l’injustice, soit aujourd’hui salie et saccagée par des bêtes féroces assoiffées de sang, de domination et d’asservissement, est absolument inqualifiable. Que l’État d’Israël puisse détourner cette mémoire, de manière si perverse, à son profit, est révoltant et insupportable. Mais comment donc des êtres humains, à l’esprit apparemment sain (et dont, une grande partie des ascendants ont été victimes des bourreaux hitlériens) peuvent-ils, à la fois, se revendiquer du souvenir des victimes du génocide nazi, célébrer leur martyre et rendre hommage à leur sacrifice, tout en agissant, à l’égard d’autres êtres humains, comme ils le font depuis des décennies et viennent encore de le faire à Gaza ? Cela restera, sans doute, l’une des raisons pour lesquelles le pessimisme, la désespérance et la noirceur finissent, souvent, par l’emporter quand on prend la peine de réfléchir un peu à ce qu’est devenu le monde dans lequel nous tentons encore de survivre, le monde que nous laisserons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Des dizaines d’années après la défaite et la destruction de l’abominable régime nazi, les dirigeants israéliens commettent, toutefois, à mon sens, une erreur stratégique majeure en choisissant d’ignorer, délibérément, les leçons de l’histoire. Comme le pensaient, dans leur délire criminel, les différents dictateurs de l’entre-deux-guerres (allemand, italien mais aussi japonais), à l’origine du déclenchement du second conflit mondial (mais aussi, avant eux, tous les États colonisateurs), ils semblent croire que ce n’est pas le droit qui fonde la force, mais l’inverse. Ils paraissent donc en avoir conclu qu’au niveau de leurs rapports avec ceux qu’ils ont spolié et dont ils ont ravagé l’existence, le seul langage “payant” est non seulement celui de l’écrasement mais également celui de l’effacement. Il en est ainsi de la théorie que les dirigeants israéliens (toutes tendances confondues) avaient, très longtemps, cherché à faire prévaloir : celle consistant à présenter la Palestine d’avant l’installation de l’État d’Israël, comme “une terre sans peuple pour un peuple sans terre”, présentation équivalant, ni plus ni moins, à la négation pure et simple de l’existence même du peuple palestinien. Ce faisant, les Israéliens (du moins ceux parmi eux adhérant à ce schéma de pensée) se sont, en réalité, engouffrés dans un piège qu’ils risquent, à terme, de payer très cher.. Comme partout où règne une atmosphère empoisonnée par l’arrogance inhérente à un insupportable complexe de supériorité, la caste dirigeante de l’État d’Israël a, en effet, toujours eu fortement tendance à tenir ses adversaires pour quantité négligeable et donc à les mépriser, commettant souvent, de ce fait, la grave erreur de les sous-estimer. A l’égard des Palestiniens, et plus généralement des Arabes, les Israéliens sont, ainsi, apparemment, devenus les victimes consentantes de leurs propres chimères et donc sourds et aveugles aux réalités les plus élémentaires de leur environnement, géographique et humain, immédiat. Celles-ci sont, pourtant, archi-évidentes pour toute personne disposant d’un minimum de lucidité : par le lieu où il s’est construit, les méthodes avec lesquelles il a été bâti et imposé dans la région, l’idéologie qui l’inspire et le motive comme par les agissements qui sont les siens sur le terrain, l’État d’Israël constitue, bel et bien, une construction aux fondements particulièrement fragiles dont l’avenir, sur le long terme, ne peut être, pour le moins, qu’extrêmement incertain

Crée – au cœur même du monde arabe – au prix d’une injustice fondamentale, commise à l’égard de tout un peuple (en grande partie chassé de sa terre et réduit, depuis 1948 puis 1967, à un indigne et humiliant statut de réfugiés s’entassant dans des camps dans les pays voisins ou encore en Cisjordanie et à Gaza), l’État d’Israël n’a jamais ni su ni voulu bâtir, avec ses voisins, d’autres rapports que ceux basés sur la terreur, l’humiliation et l’injustice. A ce niveau, croire que les traités de paix (structurellement inéquitables et non acceptés par les populations arabes car escamotant complétement le fond du problème à savoir la tragédie subie par le peuple palestinien) signés avec l’Egypte et la Jordanie, puissent, en quoi que ce soit, changer la donne, relève de la stupidité ou d’une naïveté sans bornes.

Leurrés par un rapport de force militaire, (qui leur est encore très favorable), les Israéliens paraissent croire ce dernier éternel et donc capable, à lui seul, de pérenniser leur existence. A l’ombre de leurs centaines de bombes atomiques (bombes dont ils jouissent, très curieusement, du monopole absolu dans la région), de leurs milliers d’avions, de chars, de canons et de missiles (qu’ils ne cessent d’accumuler grâce à la générosité sans bornes ni limites de leurs parrains occidentaux, dont ils constituent les alliés stratégiques), ils se pensent invulnérables, semblant persuadés que la répression et les massacres finiront, un jour, par venir définitivement à bout de la volonté de résistance et de la soif de justice du peuple palestinien.

Travaillés par une idéologie fascisante et excluant, à connotation raciste (propre, à vrai dire, à toute situation de type colonial), la plupart des Israéliens donnent également l’impression d’être (comme ce fût le cas pour les colons européens en “Afrique du nord française “) convaincus que ni les Palestiniens, ni les Arabes, en général, ne seront jamais capables de construire une véritable force économique, éducative, scientifique et militaire susceptible de ” renverser la table”, remettant ainsi en cause leur domination sur la région. Ils le croient d’autant plus que l’oligarchie occidentale, dans toutes ses composantes, est, depuis toujours, à leur service, appuyée désormais, ouvertement par la plupart des régimes arabes qui – à l’instar des sultans et beys du Maghreb d’hier et des monarchies féodales du golfe d’aujourd’hui – sont dirigés par des fantoches et des larbins, ayant, depuis déjà un certain temps, perdu tout sens du patriotisme, de l’intégrité morale et de l’honneur.

Or, cet ordre, inhumain et amoral, qui ne tient que par la force brutale et la complicité active des puissants, prendra (et c’est l’une des constantes leçons de l’Histoire), un jour ou l’autre et d’une façon ou d’une autre, fin. Nul ne sait, bien entendu, quand et comment cela se produira, mais les peuples arabes (confrontés, certes, aujourd’hui, à de très lourds problèmes internes aux causes fort complexes) peuvent se prévaloir, au moins, d’une qualité : celle de la patience. Ils ont l’indiscutable avantage du nombre et de gigantesques richesses ainsi que des potentialités qui rendront, demain (sous certaines conditions bien sûr) réalisable leur sursaut et leur renaissance. Ceux auxquels cette perspective fait, pour une raison ou une autre, peur, s’attèlent, sans doute, de mille façons et avec de flagrantes complicités locales et régionales, à retarder voire à empêcher cette évolution, en entretenant activement – au sein de l’espace arabe – la décomposition politique, les antagonismes ethniques et religieux ainsi que le chaos social, économique et sécuritaire (les exemples déchirants de la Syrie, de l’Irak et de la Libye, pour ne citer que ces trois pays, en sont de parfaites et effrayantes illustrations). Ceux qui jouent cette carte criminelle et abjecte ne semblent, toutefois, pas vraiment se rendre compte qu’on ne peut arrêter la marche du temps et – qu’ils le veuillent ou non – celui-ci, à bien regarder, joue, sur le long terme, indiscutablement – dans la région – en faveur de tous ceux que l’État d’Israël et ses alliés s’acharnent, depuis si longtemps, à martyriser et à opprimer. Seuls des esprits imbéciles et bornés ne le comprendraient pas, mais il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Déjà, la fameuse “armée la plus morale du monde ” vient de se casser les dents à Gaza face à une résistance palestinienne héroïque (pourtant sans aucun moyen en quoi que soit comparables à ceux des Israéliens) qui, à force de courage, d’imagination et de détermination, lui a infligé des pertes sérieuses. Ce fût déjà le cas, d’ailleurs, lors de la dernière guerre du Liban, en juillet 2006, quand l’armée israélienne dût, honteusement, battre en retraite (après avoir subi de lourdes pertes en hommes et en matériel, ses fameux chars Merkeva, qu’elle croyait invincibles, ayant été taillés en pièce par ses adversaires), au bout de 33 jours de combats acharnés contre les combattants du Hezbollah dont elle croyait, pourtant, pouvoir ne faire qu’une bouchée. A eux seuls, ces deux faits devraient suffire à rendre un minimum de conscience à ceux qui l’ont perdue ou qui ne l’ont jamais eue. Et pourtant, rien de substantiel ne semble vraiment se dessiner chez la très grande majorité des Israéliens, visiblement indifférents aux droits des Palestiniens comme à leurs insondables souffrances et plus que jamais barricadés dans leur bunker suicidaire.

Comment donc la population israélienne imagine-t-elle son avenir dans une région où elle baigne dans un océan de rejet et de haine ?

A-t-elle, au moins, conscience, cette même population, que des générations successives, non seulement de Palestiniens, mais aussi d’Arabes, n’ont jamais rien connu d’autre, de la part de l’État qui la représente, que l’image des bombardements, des massacres, du crime, de l’oppression et de l’injustice ? Comment ferait-elle, le jour où le monde arabe (au sein duquel elle est venue si imprudemment s’implanter) aura enfin trouvé son chemin vers l’unité et la puissance et donc la capacité réelle de relever le défi israélien dans la région ? Quel type d’État et quel modèle sociétal les Israéliens vont-ils, par ailleurs, “inventer” quand, dans 20 ou 30 ans, la population arabe sera devenue majoritaire dans les territoires actuellement sous leur contrôle direct ou indirect ? Croient-ils vraiment que la manipulation et la déformation de l’information pourrait un jour permettre d’effacer des faits solidement établis et abolir, au sein des mémoires individuelles et collectives, l’histoire millénaire de tout un peuple qu’ils ont dépossédé de sa terre et de ses droits ? Considèrent-ils réellement que la guerre perpétuelle et la violence meurtrière, sans cesse renouvelée, peuvent constituer, en quoi que ce soit, une politique rationnelle, un tant soit peu moralement défendable et susceptible de les protéger contre les dangers mortels qui les guettent et dont ils sont, pour l’essentiel, les tout premiers responsables ? Pensent-ils sérieusement qu’en procédant de la sorte, ils vont plus facilement se faire accepter par leurs voisins et par leurs victimes ? En agissant comme ils le font, les Israéliens et leurs dirigeants ne se trompent-ils pas plutôt, lourdement de siècle et d’époque ? Se pensent-ils encore au 19è ou au début du 20è siècles (et non pas au 21è) c’est à dire à un moment historique où les puissances européennes pouvaient encore prétendre, assez aisément, imposer leur ordre colonial “aux races inférieures” dont parlait, dans les années 1880 (et entre autres responsables politiques européens de l’époque), le chef du gouvernement français Jules Ferry ?

Autant de questions sur lesquelles, à quelques exceptions près, aucune réflexion de fond, digne de ce nom, ne semble en cours ou avoir été sérieusement entamée parmi les intellectuels et les faiseurs d’opinion en Israël. Ces questions sont pourtant absolument cruciales, pour ne pas dire existentielles pour cet État, habité, depuis le début, par une logique d’apartheid, la peur comme la négation de l’autre et sans cesse ravagé, de l’intérieur, par le complexe, finalement autodestructeur, de “la forteresse assiégée”.

Si les combattants palestiniens de Gaza ont creusé des tunnels, ils savent, au moins, comment en sortir. Or celui dans lequel les Israéliens se sont visiblement enfoncés a tout l’air d’être très profond et sans issue.

Chokri Ben Fradj, historien

 

 

Source: http://www.les-crises.fr/israel-et-la-palestine-ces-aveuglantes-verites-quon-ne-veut-pas-voir-par-chokri-ben-fradj/


[Reprise] L’Ukraine et la tentation de la guerre, par Emmanuel Todd

Sunday 31 August 2014 at 03:53

L’historien Emmanuel Todd a entrevu en 1976 la fin de l’URSS avec un essai au titre provoquant : La chute finale. Aujourd’hui, dans un entretien inédit avec Herodote.net, il prend à nouveau l’opinion à rebrousse-poil en annonçant la renaissance de la Russie et l’effondrement de l’Ukraine. Avec des chiffres que nos dirigeants auraient intérêt à méditer.

Herodote.net : Les dirigeants européens courtisent l’Ukraine après avoir courtisé la Géorgie. Depuis les émeutes de Maïdan, à l’automne 2013, l’opinion publique, en France et dans la plupart des pays européens, ressent également une vive sympathie pour ce pays. En votre qualité d’anthropologue, partagez-vous ce sentiment ?

Emmanuel Todd : Les gens regardent la carte et voient l’Ukraine plus à l’Ouest que la Russie, donc forcément plus « occidentale ». Ce n’est pas faux. La Russie et la Biélorussie se signalent par une structure familiale communautaire : le patriarche et les familles de ses fils vivent sous le même toit. L’Ukraine, elle, se distingue par une structure familiale de type nucléaire analogue à celle que l’on rencontre en Angleterre ou dans le Bassin Parisien : papa, maman et les enfants.

Ces différences-là, je ne les ai pas tirées d’une thèse d’anthropologie de l’époque stalinienne mais d’un historien du XIXe siècle, Anatole Leroy-Beaulieu, auteur d’une somme sur L’Empire des tsars et les Russes (mille pages rééditées chez Bouquins en 1990).

C’est à cause d’elles que Staline a pu sans trop de mal collectiviser les terres en Grande-Russie mais n’y est pas arrivé en Petite-Russie (la région de Kiev), où il a dû exterminer en masse les paysans qui lui résistaient.

Pouvons-nous en tirer la conclusion que les Ukrainiens sont plus proches de nous que les Russes ? Notons que les Tagalogs des Philippines ont aussi une structure familiale nucléaire et individualiste. Sont-ils pour autant proches de nous ? Il est permis d’en douter.

Ce qui caractérise nos sociétés occidentales (à l’exclusion du monde germanique, dominé par la famille souche), c’est la combinaison d’une structure familiale nucléaire, propice à l’individualisme et à la liberté, et d’un État fort autour duquel se cristallisent les aspirations des individus.

Or, l’Ukraine, pas plus que les Tagalogs, n’a jamais connu d’État fort. Elle partage cette caractéristique avec ses voisins d’Europe centrale, la Pologne et la Roumanie, qui ont aussi une structure familiale nucléaire. Les Polonais ont laissé échapper leur chance d’en construire un à cause du comportement tribal de leur noblesse. Ils ont sacrifié leur indépendance à leurs querelles autour du liberum veto.

Cette « Europe intermédiaire », qui s’étire de la mer Noire à la mer Baltique, est donc en panne d’État depuis au moins le XVIIIe siècle. Et pour son malheur, elle s’est trouvée coincée entre deux États forts, la Prusse et la Russie, ce qui a retardé d’autant leur accession à la modernité.

Herodote.net : Curieux. Voulez-vous dire que l’Ukraine est moins moderne que la Russie ?

Emmanuel Todd : C’est un peu cela. Voyez comme les deux pays ont divergé après l’effondrement de l’URSS.

La Russie s’est séparée de son ancien empire sans faire d’histoire et elle a pu retomber ses pieds car elle dispose d’une tradition étatique forte. Aujourd’hui, elle renaît à la vie, au sens propre, avec des indicateurs démographiques et une fécondité à la hausse : 1,7 enfants par femme en 2013 au lieu de 1,2 en 2001 (+40%).

L’Ukraine, quant à elle, est en crise depuis vingt cinq ans. Sa fécondité est à un faible niveau (1,5 enfants par femme) sans atteindre toutefois le niveau calamiteux de l’Allemagne, de l’Europe centrale ou de l’Europe méditerranéenne. Et le pire, c’est qu’elle souffre de l’émigration de sa jeunesse éduquée. Depuis l’indépendance, elle a perdu de la sorte plus d’un dixième de sa population, passant de 52 à 45 millions d’habitants, ce qui est énorme et n’a pas d’équivalent dans les grands pays.

Ce que nous dit la démographie, c’est qu’on assiste à la désintégration silencieuse de la société ukrainienne. Comme en Europe du Sud depuis la crise des subprimes, avec à la fois une fécondité très faible et une fuite de la jeunesse éduquée. La différence est qu’ici, le phénomène est récent et l’on en connaît la cause…

La révolution de Maïdan et l’élection présidentielle du 25 mai 2014 révèlent aussi un autre aspect trouble de l’Ukraine : l’existence d’une extrême-droite ultra-violente qui ferait passer le Front National pour un parti de centre gauche. Cette extrême-droite est particulièrement virulente dans la région occidentale, l’une des plus pauvres du pays, celle qui a les faveurs des Européens (et en particulier des Polonais pour cause de parenté religieuse).

Dans ces oblasts de Galicie (capitale : Lviv, aussi appelée Lvov ou Lemberg) et de Volhynie, au cœur de cette « Europe intermédiaire » qui ne s’est pas encore relevée de son lourd passé, on rencontre encore des antisémites avoués aux portes des plus grands camps et charniers de la Seconde Guerre mondiale. S’ils brandissent le drapeau européen, c’est moins par affinité avec nos valeurs démocratiques que par sympathie pour leurs cousins polonais et les Allemands dont ils cultivent le souvenir de leur combat contre les Soviétiques.

Peut-être les habitants de la Petite-Russie, la région de Kiev et Poltava, vont-ils prendre conscience du poids mortifère de leurs concitoyens des régions occidentales et se rapprocher des russophones de la Nouvelle-Russie (Odessa et Donetsk, au Sud et à l’Est) ? Ce serait sans doute un choix raisonnable, de même que serait raisonnable l’acceptation par l’Ukraine de tout ce qu’elle doit à la Russie en matière de culture étatique…

Herodote.net : Il me semble que vous exagérez dans vos références au nazisme !

Emmanuel Todd : Ce sont les putschistes de Kiev et leurs adversaires russophones qui m’ont mis sur cette piste. Les premiers qualifient les seconds de « terroristes », un mot lourd de sens car c’est celui qu’employait l’occupant allemand pour désigner les résistants. Le camp adverse les qualifie quant à lui de « fascistes ».

Aussi, je ne vous le cache pas, j’ai peur que nous soyons entrés dans une logique de guerre civile ou de guerre tout court…

Herodote.net : La guerre ? Vous y allez fort !

Emmanuel Todd : À l’heure où nous parlons, il est clair que Vladimir Poutine cherche l’apaisement. Il est dans son intérêt. C’est que le redressement russe demeure fragile, incertain même, et que la Russie n’a aucun intérêt à une guerre qui la replongerait dans la violence et la stagnation économique et culturelle.

Ma crainte, c’est que le président Petro Porochenko et les nouveaux dirigeants de l’Ukraine, déboussolés par la décomposition de la société ukrainienne, ne soient tentés d’en sortir par la fuite en avant. Et je me demande qui pourrait les en empêcher.

À la faveur de la crise, les États-Unis ont réactivé l’OTAN et leurs réseaux européens. Mais ils me semblent maintenant dépassés par les événements et troublés par le retour des nations.

Le président Obama s’est fait enfumer par les dirigeants allemands qui l’utilisent pour régler leurs comptes avec la Russie – c’est le pro-américain de gauche qui parle ! On voit aussi la Suède tenter d’établir avec la Pologne un front commun contre la Russie. Comme si la Suède voulait rejouer la guerre du Nord, celle qui s’est soldée par la défaite de leur roi Charles XII à Poltava, au cœur de l’Ukraine ! Les Français, bien entendu, sont absents du jeu.

Plus que la montée des partis europhobes aux élections européennes du 25 mai, la partie d’échecs ukrainienne consacre sans doute la faillite de l’Europe nouvelle manière, celle qui est née du traité de Lisbonne.

Herodote.net : Tout cela n’est pas rassurant !

Emmanuel Todd : Oh, il ne s’agit que d’hypothèses déduites de l’Histoire et de l’observation statistique de la société ukrainienne. Mais rien n’est déterminé et j’espère que la raison et le compromis auront gain de cause.

Propos recueillis par André Larané pour Herodote.net, le 30 mai 2014

Source: http://www.les-crises.fr/l-ukraine-et-la-tentation-de-la-guerre/


Revue de presse internationale du 31/08/2014

Sunday 31 August 2014 at 00:01

La revue de presse internationale. Un grand merci à nos contributeurs. Bonne lecture !

Nous avons besoin de volontaires pour participer aux revues de presse, chargés de suivre certains sites. Vous pouvez nous contacter ici (en précisant si vous préférez des sites en français ou en anglais). Merci d’avance.

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-31-08-2014/


[Reprise] Notes sur le vertige ukrainien, par Philippe Grasset

Saturday 30 August 2014 at 11:53

Un intéressant billet de DeDefensa…

29 août 2014 – Il y a les débats houleux, une poussée soudaine de fièvre, jusqu’à une réunion du Conseil de Sécurité, lancés par les affirmations du président-“roi du chocolat” un petit peu aux abois tout de même, d’une “invasion” russe. “Invasion”, d’abord, le terme est étrange, puisqu’on parle de mille, ou deux à trois mille combattants, ce qui n’a rien d’une “invasion” même si l’on accepte cette version extrême type-Kiev. (On s’en doute, connaissant les circonstances habituelles de ce cirque, les Russes ont déclenché un barrages contre-offensif furieux, défonçant la complète fabrication de la chose, – voir notamment Russia Today, le 29 août 2014.)

Ray McGovern, dans Antiwar.com parlait le 23 août 2014 de l’“invasion” en cours, celle du convoi alimentaire russe (l’“invasion” précédente de celle en cours selon Kiev-guignol, ou bien la précédente de la précédente on ne sait, vu le rythme des annonces dans ce sens). Selon son expérience, il exprimait le simple bon sens qu’une “invasion” russe, c’est vraiment tout autre chose que les multiples bribes de montage que nous balance Kiev-guignol…

«…The West accused those trucks of “invading” Ukraine on Friday, but it was a record short invasion; after delivering their loads of humanitarian supplies, many of the trucks promptly returned to Russia.

»I happen to know what a Russian invasion looks like, and this isn’t it. Forty-six years ago, I was ten miles from the border of Czechoslovakia when Russian tanks stormed in to crush the “Prague Spring” experiment in democracy. The attack was brutal. Once back in Munich, West Germany, where my duties included substantive liaison with Radio Free Europe, I experienced some of the saddest moments of my life listening to radio station after radio station on the Czech side of the border playing Smetana’s patriotic “Ma vlast” (My Homeland) before going silent for more than two decades…»

Inquiétude à Kiev

On en restera là pour la réelle substance de l’“invasion”-du-jour, non sans noter au reste que les chiffres avancées (1 000 combattants “russes”, ou 2 000 ou 3 000) peuvent très bien figurer des infiltrations concernant des initiatives spécifiques, mélangeant des groupes plus ou moins paramilitaires, plus ou moins soutenus par des services ruses. Une guerre dite “civile” de la sorte qui est en cours est pleine de tels mouvements (par exemple, la présence de volontaires français commence à apparaître en nombre substantiel et organisé, comme le montre, vidéo à l’appui, le “Saker-français”, le 29 août 2014), – et cela vaut, bien sûr, pour les deux côtés… Enfin, et puisque nous sommes dans une tragi-grotesquerie où des événements terribles côtoient des circonstances grandguignolesques, les Russes pourraient très bien prétendre à une invasion ukrainienne depuis que plus de 400 soldats ont passé la frontière pour se rendre aux garde-frontières russes début août, suivis depuis par divers contingents qui doivent conduire à un contingent général dépassant le millier…

Ce qui, par contre, relève de la certitude désormais, après plusieurs jours d’informations croisées et finalement vérifiées, c’est un changement de structure de combat des milices du Donbass devenues forces armées de la République Nationale du Donetsk (RND), enchaînant sur un changement opérationnel. Il s’agit de l’évolution d’une structure de guerre mi-guérilla mi-conventionnelle faite avec des petits groupes mobiles assurant une grande souplesse défensive mais peu de capacités offensive de conquérir et de tenir du terrain, réorganisée en unités conventionnelles capables effectivement d’offensives d’occupation. Cela s’est traduit aussitôt par diverses offensives couronnées de succès, facilitées par ailleurs, sinon sollicitées par l’état terrifiant de l’armée ukrainienne, désorganisée, laissée à elle-même sans soutien logistique de Kiev, avec un moral extrêmement bas et, selon la tradition ukrainienne, un commandement corrompu et incompétent.

Ce soudain changement de dimension structurelle et stratégique des forces du Donbass est un événement fondamental parce qu’il secoue directement la structure politique de la direction-guignol de Kiev, ou de la “junte” comme disent les anti-Kiev en élargissant la structure au-delà du seul pouvoir nominal (Porochenko). C’est-à-dire que c’est la structure même de l’Ukraine telle qu’elle avait été installée par l’UE et les USA, pour leurs bénéfices espéraient-ils, qui tremble sur ses bases. Un tweet du radical Oleg Lyachko, un des plus durs au sein de la junte, montre effectivement cette situation (Itar-Tass, le 28 août 2014).

«The situation in eastern Ukraine is very complicated, leader of Ukraine’s Radical Party, parliamentarian Oleg Lyashko said on Thursday. “President [Petro] Poroshenko is indulging in wishful thinking. Several units have been encircled in the Donetsk and Luhansk regions. They cannot break out of the blockade if no measures are being taken,” Lyashko wrote on Facebook. Lyashko said a serious threat was posed to the south of Rostov Region where militias opened the second front. “I can say the defense minister and the chief of General Staff do not adequately react to the situation. No aviation support was provided either to defenders in Mariupol or to volunteers encircled in Ilovaisk,” Lyashko said. He called on the Ukrainian president to appoint a new defense minister and a new chief of General Staff. “The economy should be rebuilt for the war needs. The army does not have enough heavy hardware, artillery, aviation, communications and transport,” Lyashko added.»

La guerre est devenue un facteur stratégique

Par conséquent, quoi que l’on pense de l’“invasion” russe, et même si l’on accepte l’extrême de la croyance-Système en tout ce que gémit le “roi du chocolat” pour appeler le bloc BAO à l’aide, c’est-à-dire si l’on est le secrétaire général de l’OTAN, un fonctionnaire du département d’État ou un journaliste-Système, il est assuré que ce qui est présenté comme un “fait indubitable” (l’“invasion”) n’est certainement pas suffisant pour expliquer le basculement complet de la situation stratégique. Cela signifie que, guerre de l’information-guignol mise à part, la vérité de la situation montre que la guerre du Donbass, à cause de ses prolongements soudain, devient un facteur politique de première dimension dépassant d’ailleurs le Donbass, qui menace les amis de Kiev et pourrait déboucher sur une situation inconnue dans ses composants, marquée par un désordre difficilement contrôlable, fût-ce par la porte-parole du département d’État Jen Psaki. (On peut voir sur les sites habituels, Itar-Tass, Russia Today, les Saker US et français, etc., les indications sur la situation, – et rien absolument rien, à fuir comme la peste sinon pour mesurer l’évolution de leur pensée et de leur trouille, – élément intéressant tout de même,– rien de ce que “pense” dit et écrit la presse-Système à cet égard n’a pour l’instant le moindre intérêt d’information directe. La crise ukrainienne se confirme comme la marche funèbre de la presse-Système dans son rôle de pilier de la démocratie, ou so-disant “4ème pouvoir”.)

En d’autres mots, cette “vérité de la situation”-là (la situation sur le terrain) a fait une incursion en fanfare pour déranger dramatiquement l’agencement qui règne en général dans cette crise, de la présence d’au moins deux mondes (et sans doute plus), sans aucune communication entre eux, présentant des “réalités” sans aucun rapport entre elles. L’état général des choses et des événements est à ce point où il faut que tous, d’une façon ou l’autre, tiennent compte, au moins en partie, de la vérité de la situation. Cela ne garantit absolument pas une sorte de remise en ordre, au contraire cela accélère le désordre en dispensant des zestes de “vérité de la situation” dans ces mondes qui ne communiquent pas entre eux…

Des “mondes parallèles” sans communication

En un rapide a parte, nous citerons un paragraphe de notre texte F&C du 27 août 2014, expliquant que l’affaire ukrainienne est le banc d’essai général d’une puissante rupture dans le domaine de la communication, faisant plonger la perception du monde dans un complet désordre, organisation des ruptures totales de perception qui conduisent à l’existence de “mondes parallèles”. (Il est entendu que, dans cette description disons “objective”, nous sommes absolument du côté antiSystème, désignant par conséquent et identifiant sans hésitation le parti déstructurant et dissolvant, – dans ce cas le bloc BAO dans son unanimité moutonnière et paniquée…)

«Nous proposons l’hypothèse que cette nécessité d’une “référence”, – puisqu’il y a bien nécessité, selon nous, – est apparue en pleine lumière, c’est-à-dire comme impérative, essentiellement avec la crise ukrainienne, après une préparation substantielle avec la crise syrienne. Avec l’événement ukrainien, le système de la communication a pris d’une part une extension d’influence, d’autre part une diversité contradictoire et antagoniste sans aucun précédents concevables. Ce faisant, il a conduit à son terme l’exercice d’un changement de nature de la situation du monde. Littéralement, il a fractionné la perception du monde et il a conduit la situation du monde à un chaos indescriptible et incompréhensible en tant que tel. Le compte-rendu intelligible de la réalité de la crise, entre les différentes fractions, et principalement entre le Système du bloc BAO et assimilés d’une part, les forces antiSystème d’autre part, est devenu totalement impossible dans les conditions d’évolution normale. Toutes les catégories de propagande, virtualisme, production de narrative, etc., ont été pulvérisées et remplacées par l’existence chaotique de plusieurs “mondes”, et principalement d’au moins deux mondes sans aucune communication possible. (De ce point de vue, on dira que la crise syrienne a été un “banc d’essai” de ce maximalisme de communication aboutissant à la rupture totale et non dissimulée des réalités caractérisant la situation ukrainienne.)»

La logique de la destruction de MH17

Ce qu’on décrit de la vérité de la situation en Ukraine, qui est une direction qui pourrait se révéler être aux abois à cause des défaites du Donbass et de sa prodigieuse incompétence pour conduire cette guerre “anti-terroriste” qui devait se réduire à une boucherie type épuration ethnique bien organisée, tout cela explique donc la réaction du bloc BAO. C’est une réaction type “destruction du vol MH17”. Aggravation générale, tocsin, civilisation en danger, – réunion du conseils de sécurité avec une Power vouant la Russie aux gémonies, déclarations diverses et décisives entre dirigeants du bloc, fureur du secrétaire général de l’OTAN, préparations d’un nouveau train de sanctions, entretien téléphonique Obama-Merkel (la Merkel, avec ses attitudes selon la logique du yoyo a de plus en plus de mal à nous convaincre qu’elle a une dimension d’homme d’État), etc. Cet appel à l’aide du “roi du chocolat” a été l’occasion pour lancer une offensive de mobilisation générale.

Bien, jouons les naïfs ou les incompréhensibles (pour certains) en ne faisant pas de notre position sur la réalité de cette “invasion” un point central de notre raisonnement. Jouons au “tout se passe comme si…”. En effet, puisque c’est le parti du bloc BAO/ Kiev-guignol qui est en difficultés graves, c’est au bloc BAO de prendre l’initiative pour tenter d’éviter le naufrage de Kiev-guignol. Par conséquent, “tout se passe comme si” l’“invasion” russe était réelle, simplement pour justifier une mobilisation générale au niveau de la communication (ONU, appel aux sanction et tout le toutim) et tenter d’interrompre une phase cruciale, extrêmement dangereuse pour le Système qui entend faire son miel de cette crise ukrainienne, en maintenant Kiev-guignol en place, en écrasant la révolte du Donbass, en impliquant les Russes alors que la situation leur serait stratégiquement très défavorable, – trois faits, deux réels et l’un hautement spéculatif, qui sont de toutes les façons complètement compromis par la situation stratégique nouvelle. (De même, avec MH17, “tout s’était passé comme si” les Russes avaient abattu le vol, justifiant “une mobilisation générale au niveau de la communication”, avec suffisamment d’à-propos pour interrompre net des manœuvres diverses qui auraient pu mener à un arrangement selon l’“axe” Paris-Berlin-Moscou resurgissant épisodiquement, et qui pouvait ouvrir la voie à un règlement de l’affaire ukrainienne dans un sens non conforme aux intérêts du Système.)

A propos de la “vérité de la situation”

Maintenant, on conviendra que le bloc BAO est dans une position beaucoup moins favorable, pour la relance de la tension, que dans le cas du MH17 il y a un mois et demi. La cause en est que la vérité de la situation compte aujourd’hui beaucoup plus qu’à la mi-juillet où le flou régnait encore en maître sur cette situation. Cette fois, il y a des situations claires qui apparaissent, qui justifient que l’on parle effectivement de “vérité(s) de situation” comme d’un facteur fondamental :

• La guerre du Donbass n’est plus un élément tactique accessoire, taillable et corvéable à merci pour les besoins de la communication. Elle est devenue un facteur stratégique fondamental qui pèse de tout son poids dans l’évaluation de la situation. Désormais, le “roi du chocolat” peut être fondé de dire : l’OTAN doit venir à mon secours, sinon je saute… Et là, c’est une autre paire de manche, 1) parce que l’OTAN n’est pas en mesure d’intervenir directement et efficacement, d’une façon irrésistible ; 2) parce qu’une intervention directe de l’OTAN, – en acceptant tout de même l’hypothèse, – ne serait absolument pas assurée d’être un facteur décisif : les milices du Donbass, devenus une vraie armée, sont un sacré morceau contre lequel les sublimes armées occidentales, ou ce qu’il en reste, pourraient subir un échec catastrophique ; et 3) parce qu’une telle perspective nous conduirait vers les abysses d’une guerre générale en Europe, avec l’horreur de l’option nucléaire.

• La situation de la directions-guignol à Kiev est vraiment, désormais, dans une position extrêmement délicate. Toute la stabilité du montage UE/USA est menacée, et il faudra bien plus d’une Nuland avec ses sacs de hamburgers à deux balles pour redresser ce Titanic-là, parce que l’iceberg qu’il est en train de heurter est d’une sacrée texture.

BHO, l’habileté faite POTUS

… Tout de même, et pour introduire notre partie de commentaire et de conclusion qui va porter sur le fait de l’extraordinaire désorganisation du bloc BAO, – pour rassurer ceux qui avouent leurs craintes de voir leurs teribles maîtres-plans et manigances réussir, – un point accessoire mais significatif, et peut-être pas si accessoire au bout du compter, on verra, certes. Le département d’Etat, a priori, dans le chef de la charmante Jen Psiki, a accepté comme argent comptant les photos de l’OTAN, faite d’ailleurs par une société civile officiellement sans rapport structurel avec l’OTAN ni aucun service de sécurité du bloc BAO, selon une technique désormais acceptée ; ces photos-satellites comme “preuves” de l’“invasion” (les guillemets volent bas…)  : «The US as always sided with Poroshenko’s statements and NATO-offered evidence, with US Department of State spokesperson Jen Psaki saying that Washington has “no reason to doubt their [NATO's] assessment.”» (Russia Today du 29 août 2014)

Du côté d’Obama, par contre, on fait dans la nuance extrêmement prudente en considérant l’“invasion” avec la plus extrême réserve, selon Jason Ditz, de Antiwar.com, le 29 août 2014 : «President Obama was very careful to distance himself from Ukraine’s latest allegations of a Russian invasion, saying that there was “not really a shift” in Russia’s policy toward Ukraine, despite this morning’s claims of thousands of Russian troops in the east.»

Mais Ditz poursuit aussitôt, dans le sens de ce qui nous paraît évident… Ce doute extrême sur la véracité des clameurs de Kiev-guignol, qui a déjà démontré son théâtre grossièrement faussaire à cet égard, n’empêche absolument pas le POTUS en place, entre deux parties de golf, de pencher vers la solution habituelle des sanctions renforcées. Il s’agit d’une punition sans trop de risques (sauf les contre-sanctions qui affecteront l’Europe) pour un crime dont il est hautement probable qu’il n’a pas été commis, – et ainsi l’homme de communication nihiliste qu’est Obama se trouve-t-il satisfait : «Still, Obama is not one to let a crisis go unexploited, even a likely imaginary one, and he is promising to impose yet more sanctions against the Russians, insisting Russia brought the moves on themselves by opposing Ukraine’s crackdown on eastern secessionists. The “invasion,” which US media outlets were reporting as absolute fact, was never explicitly mentioned by President Obama, but was clearly the pretext for the latest round of sanctions.»

L’“invasion”, guillemets au vent

L’enseignement de ces divergences de réactions washingtoniennes, loin d’être coordonnées, ne témoignent que d’une chose, toujours la même chose sans cesse renouvelée : le désordre. D’une façon générale, le bloc BAO montre une inorganisation totale, et cède constamment au réflexe imposé par le Système de la montée aux extrêmes. Ce titre de EUObserver, du 29 août 2014, en nous arrêtant au seul titre et sous-titre du texte, sans nous attarder à son contenu qui développe un raisonnement dont la fausseté et l’inversion sont ainsi parfaitement exposées par avance : «Russian “invasion” of Ukraine alienates EU friends – Germany, France, and Italy have indicated they are willing to impose extra sanctions on Russia due to its overt “invasion” of Ukraine…»

… Que dire d’une “invasion” décrite comme “ouverte” mais dont par ailleurs on n’est sûr de rien, et d’abord de son existence, et qui pourtant conduit des “amis de la Russie” (sic) à punir le coupable, la susdite Russie ? Rien, sinon que l’épisode est décrit par un fou plein de bruit et de fureur, et qui ne nous signifie rien, – sinon sa folie… En réalité, cette folie témoigne simplement de la faiblesse de caractère de tous les dirigeants de ces pays, de leur impuissance à oser porter un jugement qui aille contre le raisonnement de la folie, lequel raisonnement, expressément voulu par le Système, est développé par les irrésistibles mécanismes de la bureaucratie. (Quant à la Russie, on finirait par croire que sa culpabilité se trouve dans ce fait que, selon le gouvernement qu’elle a, les principes qui la gouvernent, les conceptions qu’elle défend, il ne serait effectivement pas impossible ni illogique qu’elle vînt en aide à ses compatriotes du Donbass. C’est cette possibilité-là de la souveraineté et de la légitimité, qui constitue une culpabilité aux yeux du bloc BAO qui ne sait ce qu’est un principe de souveraineté et de légitimité, et nullement dans l’acte d’une hypothétique “invasion”, guillemets au vent…)

De tous les côtés qu’on se tourne, on rencontre les mêmes caractères, c’est-à-dire les mêmes absences de caractère. Le cas Rasmussen, tel qu’il nous l’a été suggéré, est particulièrement remarquable. Ce bon politicien d’un petit pays ayant abdiqué toute souveraineté, c’est-à-dire cet homme politique médiocre qui n’a pas la seule idée que puisse exister un homme d’État, ne représente, dans ses clameurs diverses, que lui-même. Il est décrit comme “un homme seul”, qui prend souvent conseil de sa porte-parole (on imaginerait plutôt l’inverse), une Roumaine qui garde la rancune tenace et antirusse de la domination soviétique sur son pays, et lui-même, Rasmussen, qui dirige la rédaction de communiqués incendiaires sans autre consultation. Qu’est-ce qui le guide ? L’alignement comme le reste, certes, la piètre ambition pour un esprit si bas de figurer un rôle dans ce qu’il croit être une posture historique, et surtout le fait, nous dit-on, qu’«il y croit» (à l’infamie et à l’ambition hégémonique de la Russie). Un tel bilan laisse sans voix.

Otages de Kiev-guignol

Il n’y a aucune raison de croire que le reste n’est pas, avec des nuances et des positions variables, dans le même esprit. Par conséquent, nous aurons un durcissement continuel de la politique dans les paroles (c’est ce qu’ils ont de plus banalement facile), des sanctions de plus en plus fortes selon les vœux des bureaucrates, des renforcements divers pour soutenir Kiev-guignol auquel ils seront liés jusqu’au bout, – c’est-à-dire, otages par faiblesse de caractère, par mollesse de jugement, par incompréhension du monde… Illustration à nouveau (voir le 24 mai 2014) de la situation décrite par Immanuel Wallerstein, selon laquelle les manipulés sont de plus en plus, jusqu’à l’être complètement, les manipulateurs de leurs manipulateurs…

(Répétons la chose, pour l’avoir bien dans notre caboche : «Most analysts of the current strife tend to assume that the strings are still being pulled by Establishment elites… [...] This seems to me a fantastic misreading of the realities of our current situation, which is one of extended chaos as a result of the structural crisis of our modern world-system. I do not think that the elites are any longer succeeding in manipulating their low-level followers… [...] I think however that step one is to cease attributing what is happening to the evil machinations of some Establishment elites. They are no longer in control…»)

… Par bonheur, sapiens ne jouant plus qu’un rôle accessoire, celui de figurant tout juste dans la pièce de la crise d’effondrement du Système, l’action de tous ces figurants de la crise ukrainienne n’est qu’un simple apport collatéral pour participer à l’aggravation de la situation qui répond à des impératifs plus hauts. Dans ce cas de l’Ukraine, il en sera fait ainsi : l’envolée et la fortune militaire du Donbass répondent à une légitimité évidente des revendications de cette région, après le traitement qu’elle a subi ; les revers des forces ukrainiennes répondent, elles, à l’illégitimité du pouvoir, se traduisant dans la plus complète désorganisation, et le plus grand désintérêt de ce pouvoir pour ces forces une fois qu’elles sont engagées dans la boucherie.

Les événements vont leur train, certes, et ils ont fait la situation d’aujourd’hui incomparablement plus dangereuse qu’elle n’était un mois et demi plus tôt, lors de l’épisode du MH17. Les exclamations du bloc BAO n’empêcheront pas les forces du Donbass, si c’est leur destin et si c’est de leurs capacités, de poursuivre leur avancée et de déstabiliser toujours plus et toujours plus profond le pouvoir à Kiev-guignol. Quelles que soient sa volonté d’accommodement et d’arrangement, Poutine ne pourra éviter de constater que ces événements le placent dans une position où il ne pourra plus éviter un engagement, que ce soit, au minimum, une reconnaissance d’un Donbass qui établirait son territoire et pourrait ainsi proclamer son indépendance. Au-delà de cette sorte d’hypothèse, on trouve tous les ingrédients pour une aggravation de la situation générale autour de l’Ukraine, mais qui pourrait d’abord toucher, – c’est le vrai grand espoir qui doit subsister, – la cohésion des pays du bloc BAO lorsque les tensions et les conséquences de restriction de la crise auront atteint une mesure insupportable.

Source : DeDefensa (pensez à la soutenir aussi)

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Ah tiens, en plus d’avoir la Démocratie, les Suisses ont aussi des journalistes…

Source: http://www.les-crises.fr/notes-sur-le-vertige-ukrainien/


[Reprise] La Russie nous surprendra toujours, par Emmanuel Todd

Saturday 30 August 2014 at 05:53

L’historien Emmanuel Todd a entrevu en 1976 la fin de l’URSS avec un essai au titre provoquant : La chute finale. Aujourd’hui, dans un entretien inédit avec Herodote.net, il prend à nouveau l’opinion à rebrousse-poil en annonçant la renaissance de la Russie et l’effondrement de l’Ukraine. Avec des chiffres que nos dirigeants auraient intérêt à méditer.

Herodote.net : Vous tentez de comprendre les sociétés humaines et entrevoir leur futur à travers leurs indicateurs démographiques. Depuis quarante ans, la Russie est l’un de vos terrains de chasse favoris. Cela tombe bien. Au moment où elle fait à nouveau trembler l’Europe, dites-nous comment vous la percevez.

Emmanuel Todd : En 1976, j’avais découvert que la mortalité infantile était en train de remonter en URSS et ce phénomène avait troublé les autorités soviétiques au point qu’elles avaient renoncé à publier les statistiques les plus récentes. C’est que la remontée de la mortalité infantile (décès avant l’âge d’un an) témoignait d’une dégradation générale du système social et j’en avais conclu à l’imminence de l’effondrement du régime soviétique.

Aujourd’hui, disons depuis quelques mois, j’observe à l’inverse que la mortalité infantile dans la Russie de Poutine est en train de diminuer de façon spectaculaire. Parallèlement, les autres indicateurs démographiques affichent une amélioration significative, qu’il s’agisse de l’espérance de vie masculine, des taux de suicide et d’homicide ou encore de l’indice de fécondité, plus important que tout. Depuis 2009, la population de la Russie est repartie à la hausse à la surprise de tous les commentateurs et experts.

C’est le signe que la société russe est en pleine renaissance, après les secousses causées par l’effondrement du système soviétique et l’ère eltsinienne, dans les années 1990. Elle se compare avantageusement, sur de nombreux points, à bien des pays occidentaux, sans parler des pays d’Europe centrale ou de l’Ukraine, laquelle a sombré dans une crise existentielle profonde.

La mortalité infantile

La mortalité infantile (décès avant l’âge d’un an pour mille naissances) est sans doute l’indicateur le plus significatif de l’état réel de la société. Il dépend en effet tout à la fois du système de soins et des infrastructures, de la nourriture et du logement dont disposent les mères et leurs enfants, du niveau d’instruction des mères et des femmes en général…

Le graphique ci-dessous témoigne des progrès spectaculaires accomplis par les trois pays issus de l’ancienne URSS depuis la fin du XXe siècle. La Russie, partie de très haut (plus de 20 décès pour mille naissances) a rattrapé l’Ukraine et se situe à peine au-dessus des États-Unis.

Plus déroutants encore sont les progrès de la Biélorussie, qui se situe désormais au niveau de la France (3 pour mille). Qui l’eut cru de ce « trou noir » au milieu de l’Europe, dirigé par un obscur autocrate ? On verra qu’en tous points la Biélorussie colle à la Russie. Les deux pays ont des structures familiales similaires et la Biélorussie, au contraire de l’Ukraine, se satisfait d’une indépendance restreinte.

Herodote.net : Mais quelle fiabilité pouvons-nous accorder à ces statistiques ?

Emmanuel Todd : La plus grande qui soit. Les données démographiques ne peuvent pas être trafiquées car elles ont leur cohérence intrinsèque. Les individus dont on a enregistré un jour l’acte de naissance doivent se retrouver dans les statistiques à tous les grands moments de leur existence et jusqu’à leur certificat de décès. C’est pour cela que le gouvernement soviétique a cessé de publier les taux de mortalité infantile quand ils lui ont été défavorables.

Ça n’a rien de comparable avec les données économiques ou comptables que l’on peut allègrement trafiquer comme l’ont fait le gouvernement soviétique pendant plusieurs décennies ou les experts de Goldman Sachs quand ils ont dû certifier les comptes publics de la Grèce pour lui permettre d’entrer dans la zone euro…

Les cigognes retrouvent le chemin de la Russie

L’indice de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme) témoigne du renouveau démographique de la Russie même s’il est encore inférieur au seuil de remplacement des générations (comme dans tous les pays développés). Relevons dans les comparaisons ci-dessous l’effondrement de la Pologne catholique qui, visiblement, n’a pas profité de son entrée dans l’Union européenne.

1993 1999 2005 2013
Russie 1,7 1,2 1,4 1,7
Biélorussie 1,8 1,3 1,2 1,6
Ukraine 1,8 1,3 1,2 1,5
Pologne 2,0 1,5 1,2 1,3
France 1,8 1,7 1,9 2,0
Allemagne 1,4 1,3 1,3 1,4
États-Unis 2,0 2,0 2,0 1,9

Source : World Population Data Sheet / INED, Population & Sociétés.

Herodote.net : Ce regain de vitalité de la Russie est donc une surprise pour vous ?

Emmanuel Todd : Oui, tout à fait. Dans Après l’Empire, un essai consacré aux États-Unis et publié en 2003, j’ai envisagé cette éventualité dans un chapitre intitulé « Le retour de la Russie » mais je n’avais aucune donnée statistique me permettant de l’étayer. Je faisais seulement confiance à ma perception de la société russe, de ses structures familiales et étatiques.

C’est peu dire qu’elle n’est pas partagée par mes concitoyens. Dans les dernières années, j’ai été exaspéré par le matraquage anti-russe de la presse occidentale et en particulier française, avec Le Monde au coeur du délire !

Herodote.net : Vous exagérez !

Emmanuel Todd : Pas du tout. Ces médias ont réussi à aveugler l’opinion sur le redressement spectaculaire de la première puissance militaire du continent européen ! Ce faisant, je ne crains pas de le dire, ils nous ont mis en situation de risque.

La CIA s’est elle-même laissée abuser par ses préjugés. En se focalisant sur le désastre démographique des dernières décennies du XXe siècle, elle a cru à la disparition prochaine de la Russie. De même que l’Union européenne, elle a mal évalué les nouveaux rapports de force entre la Russie et ses voisins et c’est comme ça que, de maladresse en maladresse, on a abouti à l’annexion de la Crimée et à la guerre civile en Ukraine.

Herodote.net : Vous oubliez Poutine, sa brutalité, son homophobie…

Emmanuel Todd : Sur l’homophobie, je ne suis pas compétent, même si je suis à titre personnel favorable au mariage pour tous. Le magazine Marianne m’a confié il y a quelques semaines l’analyse d’un sondage sur la sexualité politique des Français et j’avoue que ça m’a beaucoup amusé…

Plus sérieusement, c’est vrai que le président russe n’a rien d’un social-démocrate ou d’un libéral. Interrogé par Le Point en 1990, j’avais dit qu’il ne fallait pas imaginer que la Russie devienne un jour une démocratie à l’anglo-saxonne. Ses structures familiales et étatiques s’y opposent tout autant que la violence inscrite dans son Histoire.

Mais la « poutinophobie » ambiante nous a masqué l’essentiel, ce que révèlent de façon claire les indicateurs démographiques : la chute de l’URSS a accouché d’une grande société moderne et dynamique, avec notamment un haut niveau d’éducation hérité de l’ère soviétique, des filles plus nombreuses que les garçons à l’Université et un bilan migratoire positif qui atteste de la séduction qu’exerce encore la société russe et sa culture sur les populations qui l’environnent.

Cela débouche sur ce que je qualifie faute de mieux de « démocratie autoritaire » ; un régime fort et même brutal, qui a néanmoins le soutien implicite de la grande majorité de la population.

Les filles à l’assaut de l’Université

Le pourcentage de filles par rapport aux garçons dans l’enseignement supérieur est un indicateur intéressant du degré de modernité d’une société et de la place qu’y tiennent les femmes ou qu’elles sont appelées à y tenir (source : OCDE, 2013).

Suède – 140 filles pour 100 garçons
Russie – 130
France – 115
États-Unis – 110
Allemagne – 83

Herodote.net : Permettez-moi d’insister mais un président issu du KGB, la police politique soviétique, ça n’a rien de très moderne.

Emmanuel Todd : Et alors ? Le KGB et son avatar actuel, le FSB, sont des viviers pour les élites russes. Hélène Carrère d’Encausse a dit, en ironisant, qu’ils sont l’équivalent de l’ENA pour la France. Disons qu’ils participent de la nature violente du pays !

Le spectre d’Ivan le Terrible s’éloigne

Sur le chapitre des moeurs, on note de lentes améliorations en Russie, qu’il s’agisse des taux de suicide et d’homicide ou de l’espérance de vie masculine, longtemps plombée par l’alcoolisme et la violence.

1998 2010
taux de suicide (décès pour 100.000 habitants) 35,5 30
taux d’homicide (décès pour 100.000 habitants) 22,9 10
espérance de vie masculine 61 ans 64 ans

Pour rappel, le taux de suicide est de 16 pour 100.000 habitants en France (2008) ; le taux d’homicide est de 4,2 pour 100.000 habitants aux États-Unis et de 1 pour 100.000 habitants en France (2013).

Les graphiques ci-dessous représentent l’espérance de vie à 60 ans des femmes et des hommes. Ils témoignent du retard accumulé par l’URSS depuis les années 1950 et du redressement récent, qui demeure fragile.

Herodote.net : Vous nous assurez que la société russe se porte plutôt bien mais son économie, elle, va mal.

Emmanuel Todd : En matière d’économie, je ne veux pas trop m’engager. Notons simplement que les 1,4% de croissance de la Russie et son taux de chômage de 5,5% feraient pâlir d’envie le président Hollande. Et pour ne pas l’accabler, je ne dirai rien de l’indice de popularité de son homologue russe.

Mais il est vrai que la Russie vit pour l’essentiel sur une économie de rente fondée sur l’exploitation de son sous-sol et, de plus en plus, sur son agriculture. Pour le reste, elle s’en tient à une politique protectionniste destinée à protéger ce qui reste de son industrie.

Le pays a deux atouts : un territoire immense de 17 millions de km2 plein de richesses potentielles et une population de 144 millions d’habitants (2013) qui compte encore beaucoup de scientifiques de haut niveau, malgré le départ de 800.000 juifs pour Israël.

Ces deux atouts déterminent la stratégie de Poutine : protéger le territoire et ses ressources avec une armée performante, en attendant que l’économie mondiale achève sa transition vers l’Asie et les nouvelles technologies. On le voit mal faire un autre choix comme d’accueillir des industries de main-d’œuvre ou développer des entreprises exportatrices de biens de consommation.

Mais je m’en tiens là-dessus à des hypothèses. Ce qui, par contre, ne relève pas de l’hypothèse mais du réel, c’est le réconfortant redressement de la démographie russe. Il témoigne d’une santé qui ferait envie à de nombreux pays européens…

Cela dit, n’exagérons rien. Si par malheur, il devait arriver que je sois chassé de ma patrie, ce n’est pas en Russie que je me réfugierais mais aux États-Unis selon une tradition familiale bien établie !

Propos recueillis par André Larané pour Herodote.net, le 28 mai 2014

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-nous-surprendra-toujours/


[Reprise] Dangereux dirigeants, par Alain Garrigou

Saturday 30 August 2014 at 01:53

Dangereux dirigeants

http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2014/08/head-gears.jpg

Comment peut-on nier l’évidence ? En étudiant les mécanismes de dissonance cognitive, Leon Festinger a élucidé ce mystère [1]. En s’attachant aux communautés millénaristes annonciatrices de la fin du monde, lesquelles refusaient d’admettre — sinon sur un calcul — s’être trompées lorsqu’elle n’advenait pas, il pointait des individus auxquels on attribue au moins un soupçon de folie [2]. Son analyse des dénis de réalité conservait un parfum d’irrationalité finalement rassurant. Il faut cependant convenir que la défense opposée par l’homme de foi à la réalité qui le dément s’applique très généralement à l’homme politique : « Supposons qu’un individu croit de tout cœur à quelque chose. Supposons aussi qu’il est engagé et a commis au nom de cette conviction des actes irréversibles. Supposons enfin qu’on lui fournisse la preuve incontestable et sans équivoque du caractère erroné de sa croyance. Que se passe-t-il bien souvent ? Non seulement l’individu ne sera pas ébranlé mais il en sortira plus convaincu que jamais de la “vérité” de sa foi. Peut-être ira-t-il jusqu’à montrer une ardeur nouvelle à convaincre et à convertir des profanes [3] ».

La dissonance cognitive est un pathos beaucoup plus grave au centre de la politique où elle menace le monde. Prenons les récents événements irakiens : les djihadistes de l’EIIL mènent une offensive en direction de Bagdad en s’emparant au passage des armes laissées par les Etats-Unis. On se souvient que l’intervention de 2003 était justifiée par un mensonge, celui des armes de destruction massive inexistantes. Sûr de son succès, le principal initiateur de l’aventure, Dick Cheney, avait eu cette formule, à placer parmi les plus belles inepties de l’histoire : « Les Irakiens nous accueillerons en libérateurs ». Accompagnés par le Royaume-Uni de Tony Blair, les Etats-Unis avaient donc le projet d’instaurer la démocratie et la paix par les armes. Il est vite apparu qu’en détruisant le régime de Saddam Hussein, ils préparaient une guerre civile meurtrière, sanctionnée par des centaines de milliers de morts irakiens et quelques milliers de soldats américains, et contribuaient à placer au pouvoir les chiites soutenus par leur pire ennemi, l’Iran. Un fiasco comme il en existe peu, d’autant plus grave qu’il était annoncé. Ne manquaient plus que les djihadistes. Comment réagirent les responsables de l’intervention de 2003 ? Croit-on qu’ils se turent ? Bien au contraire, cela leur donnait raison.

Pour Dick Cheney, l’offensive djihadiste serait la faute de l’administration Obama qui a refusé d’intervenir en Syrie, laissé le pays s’enfoncer dans la guerre civile et servir de base au djihadisme. Une administration qu’il accuse aujourd’hui de se préoccuper de réchauffement climatique, à coup sûr un sujet négligeable pour l’ancien PDG de l’entreprise pétrolière Halliburton. A cet égard, on ne saurait lui reprocher l’incohérence : l’initiateur de la guerre pour le pétrole ne saurait accepter qu’on se soucie d’environnement. Si l’intervention en Syrie a été abandonnée au dernier moment, c’est notamment à cause de sa justification — l’usage d’armes chimiques par le régime syrien contre sa population —, qui rappelait trop la tricherie tragique de George W. Bush. Le Parlement britannique se chargea d’ailleurs de le rappeler au premier ministre David Cameron, qui renonça. Au concert des justifications folles, citons encore la voix de son prédécesseur Tony Blair, « caniche » de Bush en 2003, qui déclarait récemment que si l’intervention en Irak n’avait pas eu lieu, le Proche Orient serait aujourd’hui en guerre (Le Monde, 19 juin 2014).

Quel mal affecte donc l’esprit de ces dirigeants qui ne sauraient jamais convenir qu’ils se sont trompés ? Les néocons américains ont sans doute quelque affinité intellectuelle avec les millénaristes, dont ils partagent les traits psychiques sectaires. En France, ils sont plus difficile à approcher tant ils sont rares. Toutefois, en ayant croisé des spécimens dans mon entourage universitaire, j’ai été confronté aux paralogismes de la mauvaise foi. Comme le notait immédiatement Leon Festinger, « l’homme de foi est inébranlable. Dites-lui votre désaccord, il vous tourne le dos. Montrez-lui des faits et des chiffres, il vous interroge sur leur provenance. Faites appel à la logique, il ne voit pas en quoi cela le concerne. Nous savons tous d’expérience ce qu’il y a de dérisoire à essayer de changer une conviction forte… ».

Alors que je donnais rendez-vous à ce partisan de l’intervention en Irak de 2003 dans dix ans afin d’en évaluer le succès, il me répondit que la meilleure armée du monde chargée d’apporter la démocratie aux Irakiens ne pouvait que réussir. En eût-il été autrement, il ne serait pas à cours de ressources rhétoriques, m’assurait-il, ayant dirigé une organisation étudiante dans sa jeunesse [4].

Sans doute la responsabilité de milliers de morts pèse-t-elle sur la conscience de dirigeants politiques pris en flagrant délit de mensonge. Tellement insupportable qu’il leur est impossible de l’admettre. La dissonance cognitive apparaît comme un mécanisme élémentaire de faiblesse. Non point une faiblesse ordinaire de citoyens sans pouvoir, mais celle de chefs politiques qui, incapables de bien juger, deviennent incapables de se déjuger et dès lors, dangereux.

La dissonance cognitive opère aussi au-delà des questions tragiques où les humains font face à de colossales responsabilités. Il suffit d’écouter des dirigeants de l’opposition non seulement critiquer le gouvernement — c’est leur devoir — mais expliquer doctement ce qu’ils feraient à sa place. Et préparer leur retour. Le plus souvent évoqué, celui de Nicolas Sarkozy, laisse dubitatif. N’était-il pas au pouvoir il y a seulement deux ans ? Avec un bilan très négatif si l’on se fie aux statistiques économiques et aux affaires, et un programme non tenu puisqu’il est à nouveau proposé. En somme, l’ancien président prétend aujourd’hui gouverner pour faire ce qu’il n’a pas fait au cours de son mandat. On serait tenté de mettre l’amnésie sur le compte de traits de caractères personnels. Mais son ancien « collaborateur » François Fillon semble atteint du même mal quand, devant la Thatcher Conference, think tank ultralibéral, il promet de mener une politique… ultralibérale. Cinq ans à Matignon ne lui ont pas suffi. Il faut donc des boucs émissaires : « Les médias sont très majoritairement à gauche. Et nos universités sont des foyers de marxisme » (Huffington Post, 19 juin 2014).

Parfait exemple de professionnel de la politique, François Fillon n’a jamais exercé d’autre métier puisqu’il fut assistant parlementaire dans la Sarthe dès sa sortie de l’université. Comme Nicolas Sarkozy, il aura trouvé dans la politique l’occasion de se venger des professeurs qui lui ont mis des mauvaises notes au cours de ses ternes études – sur Marx qu’il ne connaissait pas, ou tout autre sujet dont on imagine que la trépidante vie politique ne donne pas le temps d’approfondir. Au même moment, Nicolas Sarkozy montrait de l’audace (il est vrai que la conférence rémunérée était organisée par le cabinet Deloitte) en assurant : « la meilleure façon de combattre les extrémistes c’est de les laisser aller au pouvoir pour que les gens comprennent que, en plus de leur fanatisme, ils sont nuls. » (Nice Matin, 18 juin 2014). Sans doute l’orateur n’a-t-il jamais su qu’en 1933, ce même argument avait été utilisé par Franz von Papen pour convaincre le président maréchal Hindenburg de nommer chancelier Adolf Hitler.

Il n’est pas nécessaire de donner tant d’exemples de la mauvaise sélection du personnel politique que déplorait Max Weber dans un autre pays et dans un autre temps [5]. La médiocrité intellectuelle et morale d’une partie importante (la partie supérieure, semble-t-il), du personnel politique français, est dangereuse puisqu’elle conduit à ne pas comprendre ses échecs, à aligner les clichés et les incohérences. Bref, à persévérer.

Que dire encore de l’obstination de la politique néolibérale en France ? Il a suffi d’habiller de quelques équations mathématiques l’autorégulation par le marché pour faire oublier qu’il s’agissait là d’une autre forme de foi dans la providence qui résiste obstinément à la raison. La lecture de la presse depuis deux décennies suffit à convaincre que rien n’a changé dans les grandes orientations politiques. Il est toujours question de critères de convergence et de déficit inférieur à 3 % pour satisfaire les accords de Maastricht, de la nécessité de privatiser pour réaliser l’Europe de la concurrence, de réduction des dépenses de l’Etat pour équilibrer le budget, de baisse des impôts pour encourager l’entreprise. Si les mêmes buts continuent d’être affichés, c’est bien que quelque chose ne fonctionne pas depuis vingt ans. Au lieu de cela, on nous explique qu’il n’y a pas d’autre politique possible ! Que diront-ils nos dirigeants politiques si, par malheur (!), ils échouent ? A qui la faute ? Pas à eux, n’en doutons pas. Il y aura toujours des boucs émissaires : une conjoncture défavorable, le peuple rétif, l’université marxiste, la presse à gauche ou le manque de chance. Cela n’empêchera pas les responsables de chercher un placard doré à Bruxelles ou ailleurs, selon un paradoxe ancien dont se moquait Marc Bloch dans les circonstances tragiques de 1940, lorsqu’il remarquait que les chefs militaires vaincus recevaient le pouvoir « des mains du pays qu’ils n’ont pas su faire triompher [6] » . S’agissant des deux principaux personnages dont il parlait, Hindenburg et Pétain, le danger n’était pas surestimé.

Alain Garrigou

1. Leon Festinger, Cognitive Dissonance, 1959.
2. Leon Festinger, Hans Rieken, Stanley Schachter, L’échec d’une prophétie, PUF, 1993.
3. Ibid., p. 1
4. Faute de néocons et selon une conception dévoyée du pluralisme, la presse française lui donne parfois la parole pour justifier les massacres faits au nom du mensonge.
5. Max Weber, Œuvres politiques (1895-1919), Paris, Albin Michel, 2004. Cf. Alain Garrigou, « La médiocrité du personnel politique occidental », in L’Etat du monde (sous la direction de B. Badie et D. Vidal), Paris, La Découverte, 2011.
6. Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 56.

Source : Alain Garrigou, Le Grand Soir, aussi disponible sur le blog Monde Diplo d’Alain Garrigou

Source: http://www.les-crises.fr/dangereux-dirigeants-par-alain-garrigou/


Revue de presse du 30/08/2014

Saturday 30 August 2014 at 00:01

Nous avons besoin de volontaires pour participer aux revues de presse, chargés de suivre certains sites. Vous pouvez nous contacter ici (en précisant si vous préférez des sites en français ou en anglais). Merci d’avance.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-30082014/


[Ukraine] L’ultimatum de l’UE contre la Russie – un nouveau Rambouillet ?

Friday 29 August 2014 at 01:57

par Williy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat au Ministère fédéral allemand de la défense et vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE

Les chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE n’ont rien appris de leur visite à Ypres à l’occasion du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. L’ultimatum visant la Russie équivaut à un Rambouillet II. Et quand est-ce qu’on passera à l’attaque?

Une récente enquête effectuée par une fondation d’Allemagne du Nord a clairement démontré à quel point le soutien de la population allemande à l’égard de l’orientation martiale du gouvernement fédéral et du Président, de l’UE et de l’OTAN envers la Russie, est faible. Peter Gauweiler, chef adjoint de la CSU et député du Bundestag de Munich, a mis l’accent sur ce constat dans son important discours, tenu devant les diplômés de l’Université de la Bundeswehr de Hambourg. La décision de l’Union européenne, présentée par les présidents sortants Barroso et van Rompoy, va accentuer cette aversion pour de très bonnes raisons.

Est-ce qu’en Europe le moment est à nouveau venu de lancer des ultimatums à l’instar de celui lancé en 1914 à la Serbie ? L’Union européenne demande à la Russie d’entrer, dans un délai de 72 heures, en négociation sur le «plan de paix» du président ukrainien. Et sinon, va-t-on riposter par la force dès 5 h 45 ?
On a l’impression que la Commission européenne et le Conseil européen à Bruxelles, représentés par les messieurs susmentionnés, sont totalement dérangés et qu’ils veulent absolument précipiter le continent dans le malheur. Nul besoin d’avoir visité Ypres avec ses immenses cimetières militaires, pour découvrir à quel point ce langage et cette attitude sont fatals.

Il y a précisément 15 ans, on a emprunté ce chemin «avec succès», en voulant forcer la République fédérale de Yougoslavie, par de soi-disant «négociations» à Rambouillet en France et en rupture avec les prétendus «Accords de Vienne», à des pourparlers internationaux, afin d’obéir au dictat de l’OTAN qui exigeait le passage par la Yougoslavie. Afin que Belgrade le comprenne bien, l’OTAN avait présenté des projets qui correspondaient en détail aux plans d’Adolf Hitler envers la Yougoslavie lors de la Seconde Guerre mondiale. Rambouillet était – aujourd’hui, nous ne le savons que trop – seulement le prétexte pour la guerre qui suivit peu de semaines plustard avec le bombardement de Belgrade. Lors de la guerre de Yougoslavie, l’OTAN avait encore fait le détour abject par les morts de Racak, que l’OSCE, représentée à Pristina par William Walker, voulait absolument attribuer à la Serbie.

Les sanctions économiques envisagées représentent-elles le pas intermédiaire avant que des violences éclatent pour de bon? Ce que les Etats-Unis ont déjà causé en Irak, en Syrie et au Moyen- et Proche-Orient tout entier ne leur suffit pas? Ne peuvent-ils pas se contenter d’y avoir mis le feu aux poudres? Faut-il attiser une guerre contre la Russie?

Après la guerre olympique de la Géorgie contre la Russie on ne peut faire autrement que de penser que des attaques se préparent dans l’ombre d’événements sportifs internationaux. L’Europe politique pratique-t-elle l’exact opposé de l’esprit olympique, selon lequel la paix et un esprit pacifique doivent régner sur des événements tels qu’au Brésil aujourd’hui?
Pourquoi donc un ultimatum contre la Russie, pourquoi des sanctions économiques? Pourquoi la Chancelière allemande ne s’active-t-elle pas auprès du «Bundestag» et en fait «sa cause»? Pourquoi – et c’est là que ça doit avoir lieu – ne dit-elle pas aux dames et aux messieurs au sein du parlement allemand, et par eux au public allemand, où elle voit les raisons, qui justifient un tel comportement envers un voisin européen qui nous a accordé il y a 25 ans le passage à l’unité étatique de notre nation? Que se passe-t-il dans la tête de la Chancelière qui a prêté serment sur le bien-être du peuple allemand? N’est-ce pas sa versatilité qui a empêché, sous un prétexte cousu de fil blanc, un accord de coopération avec l’Ukraine il y a deux ans? Seulement à cause de la dame à la natte blonde en couronne, à qui la plupart des Allemands ne souhaitent pas attribuer la moindre influence sur les intérêts allemands? Madame la Chancelière préfère manifestement prendre la voie administrative par Bruxelles, afin de ne pas devoir dire la vérité au peuple allemand et de nous refuser toute explication.

Nous sommes déjà habitués à ce que le secrétaire général de l’OTAN braille d’une manière ignoble et attise à chaque occasion la haine contre la Russie. Ses exposés le prouvent. Lorsque certains procédés russes à la frontière russo-ukrainienne soulèvent ou soulèveront des questions: pourquoi l’OTAN, l’UE, la Chancelière et le ministre des Affaires étrangères ne consultent-ils pas l’OSCE, conçue pour cela? Que les Britanniques soient félicités pour avoir publiquement annoncé la nouvelle voie qu’ils prendront en tant qu’avant-poste de l’Europe. Bruxelles vante des sanctions économiques et augmente par là le risque d’une guerre en Europe. Cameron en même temps, fait signer des accords d’un montant de plusieurs milliards entre BP et Rosneft, une entreprise russe. Naturellement, cela ne va empêcher ni Londres ni les puissants à Washington de continuer à pousser l’Europe de l’Union européenne dans le désastre. L’ultimatum de l’UE envers la Russie, n’est rien d’autre.

Source : Horizons et débats


«Il est pourtant clair que les cartes mentales des dirigeants du monde, en particulier en Occident, sont attachées au passé. Ils ne veulent ou ne peuvent pas reconnaître qu’ils devraient peut-être réviser leur vision du monde. S’ils ne le font pas, ils risquent de commettre des erreurs stratégiques désastreuses.»
Kishore Mahbubani. Le défi asiatique. Fayard 2008. AN13: 978-2-213-63752-5

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-lultimatum-de-lue-contre-la-russie-un-nouveau-rambouillet/