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[Ils ne sont pas Charlie...] Schlomo Sand, Jean Ortiz, UJFP…

Friday 30 January 2015 at 00:25

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Je ne suis pas Charlie par Shlomo Sand

mardi 13 janvier 2015

Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?

Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !

On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie, Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.

Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.

En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.

De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.

Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.

C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.

Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

Source : http://www.ujfp.org

Je ne veux pas partager mon deuil et ma douleur avec eux, par Jean Ortiz

Les monstres qui ont commis ce crime inqualifiable au siège de Charlie Hebdo, l’hebdo insoumis, provocateur, antiraciste, humaniste (mais qui fut injuste envers ce site où j’écris), sont des hommes formatés par des courants religieux fascisants, par des Etats théocratiques « fondamentalistes », « amis de la France », pour faire taire l’esprit critique, l’humour, l’anticonformisme, la pensée libre, la laïcité, la création sans rivages… Ils n’ont aucune excuse.

J’ai du mal à concevoir que des hommes aient pu à ce point s’aliéner, s’avilir, se fanatiser, se laisser manipuler, s’animaliser, pour produire une telle barbarie.

Je suis en deuil. Le crime de ces assassins vise notre République, celle des Lumières, du contrat social, des droits de l’homme, de l’égalité entre eux, de la liberté pleine et entière… Cette « gueuse » que sociaux et néolibéraux n’ont de cesse, depuis plus de trente ans, de dépecer, de démonter, d’affaiblir par l’explosion des inégalités, le communautarisme, l’instrumentalisation du racisme, la concurrence à tout crin, par le rabougrissement de l’Etat, la multiplication des brisures sociales, la ruée contre les services publics et les biens communs, la casse de l’ascenseur social scolaire, jadis intégrateur, la pratique de l’amalgame délétère « Islam = terrorisme » , le « no future » pour des millions de jeunes Français, quelle que soit leur origine.

Et on voudrait aujourd’hui que je défende, au nom de la douleur, ma République sociale et démocratique bras-dessus bras-dessous avec ses fossoyeurs, avec ceux qui, à force de déifier le marché, de le débrider toujours plus, de tout marchandiser, de dépolitiser, ont laissé le champ libre aux intégrismes de toutes sortes ?

Oui, je crois à la nécessaire, à l’urgente unité populaire et républicaine, mais avec tous les Républicains sincères, tous ceux qui partagent ces valeur de base, la tolérance, l’ouverture à l’autre, la justice sociale, le débat sans corsets, la liberté sans demi-mesure, et notamment celle des médias ; oui, je crois à l’unité avec tous ceux qui défendent le pluralisme de l’information… pas avec les hypocrites qui pleurent aujourd’hui sur la République menacée et qui n’ont cessé d’attiser les haines raciales, les vieilles peurs, de stigmatiser l’autre, de détruire toute espérance progressiste…

Qu’ont-ils fait pour éradiquer la Bête ?

Que viennent-ils pleurnicher aujourd’hui sur la liberté de la presse alors que Charlie Hebdo était sur le point de déposer le bilan, que le pouvoir rend chaque jour la vie plus difficile, par des dispositions mortifères à « l’Humanité », au « Monde Diplomatique » ? De quelle liberté d’information parle-t-on ? De celle sous la coupe des marchands d’armes, des bétonneurs, des chiens de garde de l’oligarchie, du latifundium médiatique désinformateur, de la pensée unique et cynique.

Oui, je crois à l’unité populaire et républicaine face à la barbarie, mais avec tous ceux qui consacrent beaucoup d’énergie à solidariser, à « faire pays » quand les autres l’atomisent, le livrent à la guerre de tous contre tous, le blessent, le défigurent, en font une jungle. Je me souviens que lorsque Charlie Hebdo nous gratifiait de quelques « unes » décapantes, les moralisateurs venaient faire la leçon à ces « dangereux agitateurs ».

Alors, oui, je suis en deuil, je l’assume, je le revendique. Il y a danger, il faut se rassembler. Oui, j’ai mal, mais je ne veux pas partager ce deuil et cette douleur avec ceux qui ont contribué à créer le climat nauséabond et létal qui ronge notre pays depuis des années. Oui, l’islamisme, comme tous les intégrismes, est un danger. Mais qui arme et entraîne ces monstres ? Le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Emirats, ces Etats voyous, extrémistes, obscurantistes, valets de l’impérialisme français, qui blanchissent les milliards sales dans des paradis fiscaux, garantissent aux multinationales occidentales une chasse gardée pétrolière, piétinent les droits de l’homme et des femmes, combattent les laïques et la gauche… Comment peut-on à la fois s’ériger en gendarme international contre les groupes terroristes, et livrer, par exemple, le Paris-Saint-Germain au Qatar ?

Alors, oui, je manifesterai, le cœur et la colère gros, mais en prenant soin d’éviter les infréquentables. Je ne veux pas, je le redis, partager ce deuil et cette douleur avec eux.

Jean Ortiz

EN COMPLEMENT, 10 janvier

Dimanche : la manifestation « historique », « consensuelle » et les tireurs de ficelle

Une provocation absolue ?

Tout ce que j’écrivais hier soir, à contre courant, sous le titre : « Je ne veux pas partager mon deuil et ma colère avec eux » s’avère de plus en plus fondé, justifié. La récupération politicienne de la douleur n’a guère attendu que le sang sèche…

Quel est le statut de la manifestation « historique » de dimanche ? Qui sont les organisateurs ? Si l’on s’en tient aux médias, c’est F. Hollande et M. Valls qui l’organisent, qui invitent, dans un souci désintéressé d’ « unité nationale »… et nullement de remontée dans les sondages. La lutte contre le terrorisme, nécessaire, sert de prétexte à l’ « union sacrée », à la relégation des questions sociales, des causes et des ravages de la crise, des fruits pourris de la violence, du terrorisme, sert à l’abdication devant les inégalités, source d’affrontements, devant la pauvreté, l’exclusion, l’affaiblissement de la laïcité, l’obscurantisme, qui gagnent du terrain…

Manifestement, le chef de l’Etat et le premier ministre font une OPA sur la manifestation, en instrumentalisant la douleur et l’émotion. On annonce ce soir la présence du massacreur de Gaza, le criminel de guerre Netanyahou. Si cela est vrai, c’est une provocation absolue, irresponsable, anti-laïque, anti-républicaine, anti droits de l’homme, anti-démocratique, nauséabonde, avec du sang sur les mains. Une provocation absolue.

Comment peut-on manifester pour défendre la République, aux côtés du néo-franquiste Mariano Rajoy, qui combat en Espagne le rétablissement de la République, qui fait une loi pour criminaliser les mouvements sociaux, qui s’accommode de 130 000 Républicains « disparus » dans des fosses communes, qui subventionne le parc thématique fasciste du « Valle de los Caidos » (Patrimonio real), qui s’en prend aux droits des femmes, qui contraint près de 50% des jeunes diplômés au chômage et à l’exil ? Lui offrir un vernis de défenseur de la démocratie, à quelques mois d’élections générales, où la gauche de gauche (Podemos, Izquierda Unida…) peut gagner, ce n’est pas aider l’alternative possible. Quant à la présence de Merkel, Cameron, Renzi, des sabreurs de l’Union Européenne, il faudra se boucher le nez et les oreilles. Oui, il y a « hold-up » sur l’indignation populaire contre la haine, la violence, l’intolérance…

Jamais « l’union sacrée » n’a servi l’intérêt des peuples.

Jean Ortiz

Être ou ne pas être Charlie – là n’est pas la question

Union Juive pour la Paix
Dans le chaos provoqué par l’attentat monstrueux qui a coûté la vie à douze êtres humains, il n’est pas facile de se situer : Entre ceux qui expriment uniquement douleur et colère justifiées, ceux qui « craignent les amalgames » et ceux qui appellent à l’union nationale (et internationale) contre l’Islamisme radical sous la bannière du slogan « je suis Charlie ».

Bien sûr, le crime appelle douleur et colère, mais contre quoi exactement ?

Ce massacre ignoble est revendiqué par des individus qui se disent membres de Al Qaida. La nécessité absolue de combattre les mouvances obscurantistes de l’islamisme radical ne doit pas nous rendre amnésique. Ces courants qui s’imposent par la terreur affirment commettre leurs crimes au nom de l’Islam. Leur développement a été rendu possible par les interventions impérialistes, le démembrement des États et l’utilisation par l’Occident de ce courant contre les forces progressistes. En France, la situation sociale insupportable que vit la population issue de l’immigration post-coloniale, le racisme d’État, l’islamophobie, les discriminations, la stigmatisation ou les contrôles au faciès portent une responsabilité évidente dans l’essor de ce courant qui touche en réalité une frange marginale d’une jeunesse de toutes origines mais sans horizon.

Bien sûr le crime risque de provoquer des amalgames. Mais ces amalgames sont-ils nouveaux ? Charlie Hebdo, qui a longtemps représenté pour nous l’impertinence, l’insolence de mai soixante-huit, Wolinski, Cabu, l’écologie, RESF, ne s’est-t-il pas justement distingué dans l’art graphique et politique de l’amalgame depuis des années ? Et que les choses soient claires, personne ici ne dit qu’il n’avait pas la liberté de le faire et il a eu toute liberté de le faire des années durant.

Avoir la moindre complaisance ou compréhension pour des assassins de dessinateurs ou pour la mise à mort de gens en raison de leurs idées est insensé.

Mais Charlie Hebdo a mené une bataille politique. Et occulter et faire oublier dans quel contexte il publiait ses caricatures faisait partie de sa bataille politique.

Peut-on imaginer des caricatures émanant de journaux progressistes critiquant la religion juive pendant les années trente au moment de la montée de l’antisémitisme et de la persécution des juifs ? Et nous ne parlons pas ici de caricatures antisémites de l’époque mais de caricatures critiquant la religion juive.

Comment la critique des religions pourrait-elle faire abstraction du rapport dominant/dominé ? Critiquer les religions cela se fait aussi dans un contexte, dans un moment politique qui n’est aucunement neutre à l’égard des musulmans. Les actes de Charlie Hebdo, et les caricatures et les articles sont des actes et ont participé au développement de l’islamophobie en France. Développement du mépris et du racisme à l’encontre de tous les musulmans, des lois chargées de protéger « la laïcité à la française » contre eux, des mosquées attaquées, des agressions physiques contre des gens “d’apparence musulmane”. Leur désignation comme boucs émissaires de la crise économique et sociale, qu’ils subissent aussi et souvent en première ligne, à l’aide des « amalgames » est en marche depuis des années.

Des ghettos et des discriminations, il n’en est pas question aujourd’hui, l’« union nationale » peut se faire avec le sang de tous ces morts, contre les musulmans, des mosquées brûlent déjà (encore), le terrain a été préparé de longue date.

Le “suicide français” est en marche annonçait le mois dernier un autre Charlot.

“L’Union Nationale” et “l’Union Sacrée” que l’émotion autour du massacre qui vient d’être commis essaie de nous imposer, manipulent les sentiments d’horreur et de révolte légitimes au service d’autres significations bien plus complexes et douteuses. La liberté d’expression n’est pas menacée en France, même la plus raciste. Nous ne sommes pas dans le camp de ceux qui soutiennent le racisme d’État ou les interventions impérialistes. Nous n’acceptons pas le “choc des civilisations” et la logique “terrorisme/antiterrorisme”. Nous refusons d’avance toutes les nouvelles lois “sécuritaires” et toutes les nouvelles formes de discrimination ou d’injonction à l’égard des musulmans que cette union nationale ne peut manquer de produire. .

Alors aujourd’hui craindre l’amalgame nous semble plus qu’insuffisant. La France se dit un État de droit, les criminels doivent être arrêtés et jugés pour leurs crimes [Là, ils ont été abattus. Note du GS]. Mais leur crime va bien au-delà, il vient en réalité de libérer la politique de l’amalgame, et du bouc émissaire. En ce sens les bourreaux comme les victimes de l’attentat étaient partie prenante de la guerre des civilisations. En ce sens, si les assassins nous font horreur, Charlie n’était pas et n’est pas pour autant notre ami et « nous ne sommes pas Charlie ». Si notre solidarité et notre profonde compassion vont à tous les journalistes, salariés, policiers, victimes innocentes de cette tragédie et à leurs familles, l’union qu’il faut construire aujourd’hui est celle d’une France qui accepte d’être enfin celle de tous ses citoyens, musulmans inclus. La bataille contre le terrorisme passera par la bataille pour l’égalité, la justice, la reconnaissance de la France d’aujourd’hui dans toute sa diversité source d’immense richesse. Pour qu’au bout de cette nuit, le jour se lève, nous devons être aujourd’hui des musulmans.

Bureau national de l’UJFP le 9 janvier 2015

A la hauteur de nos idéaux

Auteur : A. Serend / Citoyen français, comédien et metteur en scène de 30 ans

Il y a 3 semaines, deux individus armés ont assassiné les membres de la rédaction d’un journal satirique, provoquant un soulèvement populaire.

Ce n’est pas un acte de guerre, même si la violence et les armes choisies tendent à nous faire croire le contraire. Il ne s’agit pas de deux armées qui s’affrontent à visage découvert. Il ne s’agit pas de deux peuples, deux religions ou deux civilisations qui s’opposent. Non, c’est l’immense majorité des citoyens qui s’oppose aux crimes d’une poignée d’individus utilisant des moyens condamnés par une croyance qu’ils revendiquent mais qu’ils ne font qu’insulter.

J’entends ici et là qu’on demande aux musulmans de se dissocier de ces atrocités. J’entends ici et là que les musulmans devraient se désolidariser des terroristes. C’est une demande, une attente qui en plus d’être insultante est contre-productive. Contre-productive, parce qu’en les considérant par défaut comme part d’un ensemble dont ils seraient membres, elle confère de facto aux terroristes la légitimité qu’ils revendiquent : celle de parler au nom d’un tout. Insultante parce qu’elle part du postulat que les musulmans sont associés dans leur majorité aux actes de croyants qui n’en ont que l’appellation. Il ne suffit pas de se proclamer pieux pour l’être, ou de se dire porte-parole d’une cause pour être considéré ainsi. Non, il faut que la réalité, les actes soient en accord avec ces affirmations, et lorsque celles-ci s’opposent, il est du bon sens de considérer les faits et non ce qui est annoncé. Suffit-il de se prétendre oiseau pour être capable de voler ?

Et tout comme il n’y a pas deux France, il n’y a pas deux Islam. Non, ce que certains nomment Islam pour justifier leurs exactions n’en a pas une once d’âme : c’est une coquille vide qui se prétend un navire. En le qualifiant de radical, de fondamentaliste, ou d’intégriste, nous passons à côté de ce qu’il n’est pas.

Certains pensent – à raison ou à tort – que Charlie Hebdo n’était pas d’une grande bienveillance ni d’une grande prudence au nom de sa liberté d’expression : c’était à la fois son plus grand droit et ne justifie en rien le sort qu’ils ont connu. Les règles qui concernent une communauté ne s’appliquent pas à ceux qui n’en sont pas. A-t-on vu les lois françaises s’appliquer à la Suisse ? L’interdiction de représentation du prophète de l’islam ne s’applique qu’aux musulmans. Et la liberté d’expression est un droit garant de notre système démocratique, parce que sans elle, pas de débat. Il est donc important qu’on soit à la fois d’une absolue certitude quant à nos droits et dans le même temps d’une grande responsabilité face au pouvoir que ceux-ci nous confèrent.

Car avoir le droit ne signifie pas être pertinent, ni être juste. La loi ne rend pas mes propos intelligents ou bienveillants. Ce que la justice autorise sur la forme ne valide aucunement le fond. Et croire qu’un dessin n’est qu’un dessin, ou qu’une œuvre artistique ou humoristique n’a pas de portée politique, c’est nier le pouvoir de cette expression dont nous cherchons à garantir l’usage, c’est nier ce pouvoir et les responsabilités qui lui sont liées. En nous interrogeant sur l’aspect légal de nos expressions, nous externalisons la responsabilité de nos propos. Et oui, pour une partie des démocrates, ce n’est pas le droit d’expression de Charlie Hebdo mais c’est l’usage qui en est fait qui est en question.

Pour différentes raisons, nous ne sommes pas tous à l’aise à l’idée de proclamer “Je suis Charlie”. Cette formule a le mérite de dire que nous sommes dans une empathie avec les victimes et leurs proches, et qu’en tant que citoyens nous refusons la violence tout comme de voir être menacées nos valeurs démocratiques. Mais ce “Je suis Charlie” personnifie ce combat pour la liberté d’expression en faisant de cet hebdomadaire le porte-étendard d’un principe républicain bien plus grand. Ceux qui considèrent cette seconde partie et qui partagent pas l’approche politique des publications ne peuvent être accusés d’une quelconque tolérance envers les meurtres et les atteintes à la liberté d’expression : ils condamnent cela tout aussi fermement. De même ceux qui, par respect, souhaitent laisser aux victimes et à leurs proches le caractère “personnel” de leurs peines ne peuvent être taxés d’un quelconque manque de solidarité, au contraire, ils ne le sont que trop. Ils ne sont pas Charlie, car ils n’ont perdu ni enfant, ni parent, ni ami(e), ni collègue, ni idole et qu’ils ne sentent pas la légitimité de cette douleur. D’autres encore sont interrogatifs quant à cette défense parfois trop intéressée de la liberté d’expression : sélectivité qui vient annuler la notion même de principe. Enfin, et non des moindres, tous ceux qui n’ont pas appris à être immunisés face aux infos répétées de villages exterminés, de région d’innocents bombardés et de dizaines, de centaines, de milliers d’enfants tués pour des conflits qui les dépassent, ceux-là qui pleurent et se battent pour ces morts pour rien ont le droit d’être mal à l’aise à l’idée de glorifier uniquement ceux morts pour la liberté d’expression. Ne nous séparons pas sur la manière que nous avons d’exprimer notre désarroi et nos principes face à cette situation: les larmes de chacun coulent différemment sur nos joues. Ne nous séparons pas sur la façon de vivre cette tragédie en demandant à ceux qui partagent nos valeurs de se dissocier des terroristes, en pointant du doigt ceux qui ne déclarent pas être Charlie pour des raisons – aussi multiples ou discutables soient-elles – qui ne s’opposent nullement à notre projet démocratique commun.

Car l’objectif des terroristes n’est pas d’éliminer leurs cibles, c’est d’instaurer un climat de terreur et de désordre. Leur objectif est d’inciter quiconque à tout mettre en œuvre pour ne pas devenir une éventuelle cible, c’est d’éliminer le courage, l’empathie, la raison et la nuance. C’est de nous diviser, de nous séparer, c’est de créer des clans et faire voler en éclats l’unité et l’indivisibilité de notre république. Ils veulent nous pousser à voir l’ennemi chez notre voisin. Ils ne cherchent pas à gagner en nombre de morts, en vitrines cassées ou en menaces délivrées. L’objectif des terroristes est de nous pousser à sacrifier nos principes en fonction de la situation, réduisant nos valeurs à de simples règles communes en périodes paisibles. C’est au contraire justement dans les moments douloureux, dans les temps difficiles que nos principes doivent être respectés, sans quoi nous les rendons vides de sens. Le vrai combat va donc être à jouer contre nous-même. Individuellement et collectivement, il nous faudra lutter contre nos préjugés, nos idées reçues, nos tentations à la simplification et contre la volonté animale de vengeance. Car c’est bien cela que ces assassins souhaitent : que nous soyons leur reflet dans le miroir, que nous ne soyons pas l’inverse d’eux, mais simplement ce qui les oppose et qui – quelque part – leur donne vie alors même qu’on tente de les faire disparaître.

Et c’est ici qu’est le réel enjeu : ne pas être une majorité qui, à la proposition infâme d’une minorité, répondra au détriment de ses valeurs. En 1759, Benjamin Franklin déclara dans son Historical Review of Pennsylvania : “Ceux qui abandonneraient leur liberté essentielle pour un peu de sécurité momentanée ne méritent ni liberté ni sécurité”. L’essence de cette déclaration nous pousse à garder à l’esprit que nos valeurs, nos principes fondamentaux ne sont pas monnayables quels que soient les situations. Toute loi ou projet législatif qui viserait à diminuer, même momentanément, nos libertés au motif qu’il est des temps où il faut savoir prioriser, se défendre, être raisonnable, tout ceci ne serait qu’une preuve de notre incapacité à nous élever au niveau de nos idéaux. Si la liberté, l’égalité et la fraternité pour laquelle se sont battus tant de français, si ces valeurs constitutives de notre nation sont maltraitées, écornées, abimées en réaction à ce tragique événement et aux menaces qui pèsent sur notre société, alors ces mots deviennent creux. Et tout comme des assassins qui se disent pieux, nous deviendrions des citoyens liberticides qui se diraient démocrates.

Il est bon de voir la majorité dite “silencieuse” faire cause commune. Il est bon de constater qu’est admise l’idée qu’on peut être à la fois croyant et laïque, que la position religieuse ne s’oppose pas forcément à l’aspiration politique. Il est bon d’entendre le peuple de France se lever pour dire qu’il ne fera pas l’erreur de tout confondre. C’est le cas aujourd’hui dans l’émotion, il faudra que ce le soit demain dans la raison. Si chacun avait plus d’une motivation pour défiler ou ne pas défiler, la cause partagée est qu’en tant que citoyens français, qu’en tant qu’êtres humains nous avons été frappés de plein fouet par les menaces qui pèsent, dans ce cas précis, sur la liberté d’expression. C’est là notre immense plus petit déterminant commun.

Mais soyons certains que l’union républicaine sera uniquement dans la rue. N’attendons rien de ceux qui pourraient tenter de s’accaparer ce combat, de ceux qui pourraient être dans un clanisme politique ou sociétal. Au contraire, imposons-leur le chemin à suivre. Il ne tient qu’à nous, alors que se joue dans cet événement la définition même de nos conceptions démocratiques, que nous soyons prêts, non pas à pointer du doigt ou à fermer le poing, mais à encore et toujours tendre la main.

Ils n’acceptent pas notre liberté, notre réaction ne doit pas être d’en retirer : ce doit être plus de liberté. Ils n’acceptent pas notre tolérance : soyons dans une permanente communion, dans une indéfectible bienveillance. Est venu le temps de raison garder. Est venu le temps d’enfin correctement nommer les choses. Est venu le temps d’exprimer pacifiquement nos accords et nos désaccords, de parfois être dans le silence, d’accepter plus encore d’avis divergents pour s’en nourrir, de ne plus laisser le porte-voix à ceux qui sont les plus enragés. Est venu le temps de proposer des chemins plutôt que suivre la direction qu’on nous impose. Est venu le temps de chercher à comprendre, quand bien même nous ne pouvons accepter. Est venu le temps de douter de nous-même tout en étant certains de nos valeurs, de nous interroger, de ne plus être dans une opposition systématique, mais dans une introspection qui permet l’ouverture. Est venu le temps de ne plus essentialiser mais d’accepter la complexité des sociétés et des individus. Est venu le temps de nuancer pour être dans la subtilité, tout en étant ferme et exigeant. Dans le cas contraire, le terreau qui a mené à ce 7 janvier 2015 sera toujours présent et laissera pousser à nouveau les germes de la terreur. Dans le cas contraire, il ne restera de nos sentiments de colère et de de communion qu’un arrière-goût plein de nostalgie et de « on aurait pu, on aurait dû ». Dans le cas contraire, combien d’autres 7 janvier 2015 ?

Nous sommes à un point de rupture. A partir d’ici, le statu quo n’est plus envisageable. La période qui s’est ouverte définira notre société en profondeur et pour une génération entière. Soit nous ferons voler en éclat l’indivisibilité de notre république, et nous sombrerons ensemble – et c’est là l’ironie – dans une atomisation de notre société, dans un morcellement de notre pays où tous ennemis, tous opposés nous aurons peur de nous-même après avoir perdu les valeurs qui nous reliaient. Soit nous garderons en mémoire ce sentiment d’union, cette volonté de cohésion et – là est notre chance, là est notre salut – nous nous élèverons à la hauteur de nos idéaux.

Une lettre du Père Zanotti-Sorkine à Cabu, Wolinski, Charb et Tignous

Cher Jean, cher Georges, cher Stéphane, cher Bernard,

Bien que je sois prêtre et que cet état par le passé vous débectait, permettez-moi de vous appeler par vos prénoms et non par vos noms de guerre. Une façon comme une autre de me sentir votre frère. Certes, vous demeurez Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, dessinateurs de profession, crayonneurs d’idées, trublions de vie politique, insulteurs de justes et de coupables, souvent drôles et méchants sous le crayon vulgaire et obsessionnellement blasphémateur du sacré, mais à mon esprit éduqué par le Christ à dépasser les apparences, vous apparaissez plus grands que votre œuvre, plus grands que vos dessins offerts aux combats rétrécis de la terre. Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois, et pour cela, je mourrais. Tout le reste n’appartient qu’à la petite histoire qui finit sous le dégueuloir conventionnel des hommages et des récompenses accordés entre hommes, au gré des intérêts particuliers et des partis. Bah ! que tout cela est bas !

Aujourd’hui, préoccupé par plus haut, maintenant que la vie n’est plus un mystère pour vous puisque vous connaissez la vérité tout entière (et Dieu sait si cette connaissance doit désormais susciter en vous non plus votre humour mais votre joie), je viens vous demander un petit coup de main pour la France. Ne me le refusez pas.

Amis, auriez-vous la gentillesse de dire un mot au créateur du monde afin qu’il continue de juger avec indulgence ses enfants d’en bas qui le rejettent ou qui prétendent le défendre en tuant leurs semblables ? Faites cela pour nous, je vous en supplie ! Que le Ciel n’abandonne pas la terre, et que les hommes comprennent enfin que travailler à la mort de Dieu dans les consciences ou tuer au nom de Dieu revient à massacrer l’homme lui-même ! Pourriez-vous aussi de vos lumières actuelles éclairer nos intelligences de manière à ce que nous empruntions les chemins par lesquels on peut enrayer les fusils les plus huilés ?

Je vous avoue qu’une chose me surprend depuis votre entrée dans la vie éternelle : c’est la glorification unanime de la liberté d’expression que vous auriez honorée magnifiquement jusqu’à mourir pour elle ! Je dirais plus sobrement que vous avez exprimé librement ce que vous pensiez sans jamais vous préoccuper des effets collatéraux que l’expression de VOTRE vérité pouvait créer dans les esprits. C’est ainsi. Pourtant, dans les relations humaines, et en particulier dans la vie conjugale, familiale, et même amicale, nous ne lâchons pas ce que nous pensons sans exercer un certain discernement à la seule fin de ne pas blesser inutilement nos proches. Et cela devrait valoir aussi pour les lointains.

La raison de cette retenue n’est pas à chercher bien loin, elle appartient à l’univers de l’amour qui tout simplement ne désire pas blesser. Cette retenue dans le langage, cette réserve bienveillante n’est pas une faiblesse, elle est une intelligence qui protège les liens et qui, en évitant de faire monter le sang à la tête de l’adversaire potentiel, empêche par rebond de le faire jaillir de la tête d’un autre. Cette réserve, tout homme peut la vivre, elle est vraiment à la portée de tous, sauf de l’extrémiste qui donne aux idées plein pouvoir y compris à l’irrespect qui, paraît-il, gagne la partie.

Le président de la République n’a pas cessé ces derniers jours d’appeler le peuple français à la vigilance. Encore une idée bien abstraite !

Que faut-il donc faire ? Rester chez soi ? Faire des provisions ? Lire le Coran ? Souscrire à un abonnement à Charlie Hebdo ? J’aurais préféré qu’il demandât humblement à tous les Français de calmer le jeu de la haine en les suppliant de ne plus blesser la conscience d’autrui au nom d’une liberté d’expression pas assez réfléchie, autrement dit, en nous invitant tous à prendre la résolution de respecter profondément les croyances qui sont chères à des millions de personnes. C’est à ce prix que la paix fera son lit.

Chers Jean, Georges, Stéphane et Bernard, votre mort ignominieuse me fait une peine immense et je voudrais qu’elle ne soit pas inutile. Vos caricatures ne méritaient pas de vous tuer, mais elles l’ont fait. D’une certaine façon, vous avez touché de votre humour grinçant les régions les plus viscéralement haineuses de la nature humaine assoiffée de justice et de vengeance, et par là, vous avez provoqué l’avénement de la barbarie. Parce que votre nature était saine, je veux le croire, parce que vous cherchiez sans doute à votre manière le bien commun, parce que vous considériez la liberté d’expression comme un droit devant s’exprimer sans état d’âme, parce que vous étiez au fond restés des enfants qui dessinaient comme tous les enfants tout en jouant à mettre le feu, vous avez oublié la permanence de la cruauté humaine quand elle se met au service d’une cause jugée absolue. Vous avez touché à de l’intouchable, et en réponse, vous qui étiez intouchables de par votre dignité d’homme, vous avez été plus que touchés, abattus en plein cœur.

Au-delà de toutes les décisions politiques qui seront prises, je l’espère, pour contrecarrer les actes terroristes, intercédez pour nous, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, rendez-nous intelligents et respectueux des croyances d’autrui pour que la France se distingue encore par sa hauteur civilisatrice.

Un dernier point qui me tient à coeur : si vous croisiez au Ciel les trois petits enfants qui, lors de l’affaire Merah, ont été assassinés sauvagement, embrassez-les pour moi, et partagez avec eux la gloire qui est la vôtre aujourd’hui. Eux n’ont pas eu droit à une journée de deuil national ni à une manifestation d’envergure. Mais que pouvons-nous y faire ? Ces enfants ne disposaient que de leurs prénoms, ils n’avaient pas de noms de guerre, et ils ne défendaient pas la liberté d’expression ni la cause de certains politiques ! Qu’importe ! Seule la bonté personnelle qualifie un être et l’ennoblit jusqu’à la moelle, je le crois. Pour cela, je mourrais.

Allez, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, soyez dans la joie de Dieu, continuez votre vie, et éclairez-nous maintenant de vos clartés.

Père Zanotti-Sorkine

P.S. La lettre a été complétée ensuite d’une lettre aux musulmans :

À mes frères musulmans, capables comme moi du pire et du meilleur, par le Père Zanotti-Sorkine

Cette lettre sera brève. Le temps presse. Le sang gicle. Ce n’est plus le moment de disserter.

La semaine dernière, dans une lettre fictive adressée aux quatre principaux Charlie passés dans l’au-delà, je regrettais que le président de la République n’ait pas invité leurs suivants survivants à calmer le jeu des insultes prétendument humoristiques à l’égard de celui que vous considérez comme votre prophète. Il eût été simple de dire qu’après des abattages aussi atroces qu’inattendus, le bras de fer n’était pas de mise. Mais non ! La sacro-sainte liberté d’expression, libre de toute entrave, se devait de poursuivre comme une brute sa route.

Et le discours s’en est allé par là : « Hommes, femmes, grands, jeunes musulmans qui tenez à protéger Mahomet de la moindre attaque, qu’importe vos pensées, vos manières d’agir ou de réagir, nous allons vous mâter, chevaux sauvages, jusqu’à ce que vous tourniez bien tranquillement en manège rangé dans le sens laïciste que nous allons vous indiquer. Aussi, nous commençons le dressage par la publication d’un bon Charlie Hebdo à 3 euros où les fidèles de l’islam et, en passant, ceux du Christ, en prendront plein la poire ! » Raté ! En un instant, le cheval s’est cabré ! Un enfant de sixième aurait pu le prévoir, mais… quand les idées l’emportent sur le réel, c’est bien connu, les fruits sont souvent mauvais.

En vérité, en vérité, qui ne le sait ? À vouloir dresser et même redresser à coups de trique les rebelles (trique : dans le sens de fouet ou de sexe toujours omniprésent sur nos jolis dessins), on obtient le contraire. La preuve est aujourd’hui livrée sur un plateau de violence en Somalie, au Niger, au Pakistan, au Yémen, à Gaza, où la hargne humaine s’en donne à cœur joie.

Et je crains fort, tout en pleurant, qu’à l’heure présente elle ne prenne que son élan. Devant ce gaspillage de sang par trop innocent, je pleure aussi sur notre irresponsabilité, je pleure sur notre fixité idéologique, je pleure sur la France qui refuse au respect des croyances d’être artisan de paix. Ce respect n’est pourtant pas une faiblesse, qu’on se le dise ; il n’exclut ni la résistance ni le combat face au fanatisme, mais il vomit résolument toute forme de mépris à l’égard de l’ennemi.

Chers musulmans qui souffrez de nos dessins bêtes et méchants, ne croyez pas – c’est un prêtre catholique qui vous parle – que le cœur chrétien les admet. Aussi, je vous en supplie, ne brûlez plus d’églises, ne lacérez plus le livre des Évangiles, ne tuez plus vos frères chrétiens, vous vous trompez de cible ! Nous ne sommes pas plus aimés que vous par notre pays qui condamne à mort, tous les jours davantage, l’avenir de la transcendance.

Et puisque je suis chrétien jusqu’au bout du cœur, et votre ami comme le Christ me demande de l’être, permettez-moi d’ajouter à votre endroit un simple mot salutaire : ne cherchez plus à vous venger des insulteurs et des irrespectueux. Qui sort son épée périra par l’épée. Ne portez plus atteinte à une seule vie humaine, répondez à la haine par la pitié, et vous plairez à Dieu, et il vous bénira, lui qui n’aime que l’amour…

Philippe Bilger : pourquoi je ne participe pas à « la marche républicaine »

Par Philippe Bilger Mis à jour le 11/01/2015

FIGAROVOX/HUMEUR – Notre chroniqueur a décidé de s’abstenir de participer à la grande marche citoyenne de ce dimanche. Il s’en explique dans FigaroVox.

Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Son dernier livre, «Contre la justice laxiste», a été publié aux Éditions de l’Archipel (2014). Il publie également sur sa chaîne Youtube des entretiens avec plusieurs personnalités. Sa prochaine oeuvre, un roman judiciaire intitulé «72 heures» (Lajouanie) est disponible depuis le 4 décembre.

Suis-je un citoyen indigne, pour tout dire un salaud, parce que je ne vais pas «marcher contre la terreur», pour écrire comme Le Monde, ou «me lever contre le terrorisme», selon l’exhortation du président de la République?

Je pourrais déjà tenter de m’absoudre en soulignant que cette immense émotion, depuis le 7 janvier, et qui culminera le 11 va représenter, sur un mode pervers, la victoire odieuse de criminels qui ont atteint leur but puisque l’ampleur de l’indignation était probablement espérée par ces sanguinaires de l’intégrisme. Notre pays certes solidaire a ainsi, aussi, manifesté la gravité des blessures qui lui ont été causées.

En ce sens, il est clair que cette «marche républicaine» va être purement symbolique, quoique multiforme, puisqu’elle ne va rigoureusement pas avoir le moindre effet sur les menaces, les attentats, les représailles et les tragédies à venir et qu’elle n’est destinée, dans une sorte de béatitude collective satisfaite d’elle-même, qu’à persuader la nation que durant quelques jours elle aura été à peu près unie.

Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait « l’honnête homme » à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions ?

J’entends bien que cette argumentation peut apparaître mesquine en refusant à la communauté nationale le droit de se faire du bien parce qu’elle se rassemble autour de Charlie Hebdo, de la policière abattue à Montrouge, des quatre otages supprimés dans l’épicerie casher.

Avec des assassins que nos forces de police exemplaires ne pouvaient que blesser mortellement puisque leur rêve était de mourir en «martyrs» et que probablement ils le sont devenus pour des admirateurs, des émules, leurs inspirateurs et si on se fonde sur les innombrables messages téléphoniques de haine et de violence adressés à divers commissariats dans la soirée du 9.

Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.

J’ose soutenir, si cette compétition n’était pas indécente et absurde, avoir éprouvé autant de révolte, d’indignation et de besoin de justice que quiconque devant ces actes répétés innommables. Ces sentiments ne conduisent pas forcément à la fusion de dimanche.Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait «l’honnête homme» à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d’attitudes conventionnelles, tant d’hypocrisies à tant d’illusions?

Cette union nationale qui ne pointe son visage emblématique qu’après les désastres et pour si peu de temps.

Malgré le comportement apparemment irréprochable de nos gouvernants, le soupçon de l’instrumentalisation politique d’une terrifiante douleur qui aurait pu demeurer sincère avec plus de discrétion et un Etat moins omniprésent.

Dans cette «marche contre la terreur», combien sont profondément épris de la liberté d’expression sous toutes ses latitudes, et pas seulement de celle de Charlie Hebdo? Combien, au contraire, ne se sont souvenus de cette dernière qu’après les massacres, défenseurs opportunistes sur lesquels le dessinateur Willem et Charlie Hebdo «vomissent»?

Pour se lever contre le terrorisme au sein d’une multitude, encore faut-il être assuré que l’humanisme n’est pas hémiplégique et que pour d’autres causes jugées moins nobles, moins «porteuses», on ne moquerait pas notre exigence de sécurité au nom d’une idéologie discutable et compassionnelle?

Combien, dans cette masse, pourront dire, en conscience, comme Patrick Modiano a su magnifiquement l’exprimer dans son seul commentaire sur ces crimes, qu’ils rejettent toute violence?

Que signifie ce consensus factice, cette concorde superficielle qui prétendent, au prétexte que nous aurions le cœur sec en nous abstenant, faire oublier, sans y parvenir, les déchirements, les fractures, les divisions profondes de la France?

Le verbe, la résistance de proclamation et défiler seraient-ils essentiels alors que, se recueillant sur le passé si proche encore, ils n’auront pas la moindre incidence sur le futur?

Est-il honteux de proférer que plutôt que de concevoir cette phénoménale marche internationale, avec un incroyable risque d’insécurité, il n’aurait pas mieux valu, modestement, efficacement, appréhender l’avenir pour convaincre le citoyen que non seulement il ne doit pas avoir peur mais que notre état de droit rendra, autant que faire se peut, inconcevable cette angoisse parce que notre démocratie sera mieux armée, saura mieux suivre et contrôler, sera moins laxiste et libérera moins vite?

Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu’une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.

Et lundi, on fera quoi?

Non, décidément, je ne crois pas être un salaud parce que je vais m’abstenir aujourd’hui.

Source : www.lefigaro.fr

Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-3/


[Folie collective] Ahmed, 8 ans, convoqué au commissariat pour “apologie d’acte de terrorisme”…

Thursday 29 January 2015 at 05:33

Vous savez, c’est un peu pour éviter ce genre de trucs que je me mobilise depuis 3 semaines tout rond…

Vous imaginez les dégâts que fera une telle histoire sur la cohésion nationale ? (je t’en foutrais des “marches républicaines” moi…)

Nice : à 8 ans, un écolier convoqué pour “apologie du terrorisme”

Révélée par son avocat Me Sefen Guez Guez sur Twitter (pseudo @IbnSalah), l’histoire fait aussitôt polémique.

Ahmed, un écolier niçois âgé de 8 ans, a été entendu ce mercredi 28 janvier après-midi dans un commissariat de la ville pour “apologie de terrorisme”.

“Est-ce que tu es Charlie ?”

Tout a commencé le 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Ahmed, 8 ans, était en classe avec ses camarades de CE2 de l’école Nice Flore (située à Nice Ouest), quand il a été interpellé par son instituteur qui lui a demandé s’il était “Charlie”.

Étant de confession musulmane, et âgé de seulement 8 ans, il répond naïvement “Je suis du côté des terroristes, car je suis contre les caricaturistes du prophète’”, explique son avocat.

Ulcéré, son professeur l’envoie vers le directeur de l’établissement, qui se trouve dans la classe d’à côté, et qui lui pose alors la question trois fois devant toute la classe: “est-ce que tu es Charlie?”

Ses parents, immédiatement avertis, “ont joué un rôle pédagogique en lui expliquant ce qu’était réellement le terrorisme, et pourquoi il fallait évidemment être du côté des victimes à Charlie Hebdo”, poursuit Me Guez Guez.

L’école porte plainte

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais le 21 janvier, le directeur de l’école décide de déposer plainte, pour deux infractions: “apologie du terrorisme” contre Ahmed, et “intrusion” contre son père.

Le cabinet de la ministre de l’Education, qui a d’abord assuré ne pas être informé de cette affaire, précise finalement : « La plainte n’a pas été déposée contre Ahmed, mais contre son père pour “intrusion”. S’agissant de l’enfant, il y également eu un signalement à la protection de l’enfance. Nous ne pouvons rien dire de plus car le dossier est maintenant dans les mains du procureur. »

La police ment ?

Selon l’école, convoqué par le chef d’établissement, le père de l’écolier aurait eu une “attitude menaçante”. L’école a alors déposé plainte contre le parent d’élève pour “intrusions” dans l’établissement et “menaces”.

Effectivement, l’enfant étant très perturbé et isolé depuis les faits, son père l’a accompagné jusque dans la cour de récréation à trois reprises après le 8 janvier, pour le rassurer, avant de se voir interdit d’accès. Trois reprises qui lui ont valu cette plainte pour intrusion, selon Me Guez Guez.

Selon l’académie de Nice, contactée par metronews, l’enfant a tenu en classe des “propos inadmissibles”. “Il y a eu un signalement auprès de la cellule de protection de l’enfance” précise le rectorat.

Contactée, la mairie de Nice avoue ne pas être au courant de ce cas particulier, mais indique que “malheureusement, des enfants de 8 ans tiennent ou ont tenu à l’école des propos faisant l’apologie du terrorisme. S’ils tiennent ces propos, c’est qu’ils les ont entendu dans leur famille, donc nous faisons remonter l’information au préfet”.

Convoqué au commissariat en audition libre

L’affaire est prise très au sérieux puisque le garçonnet a été convoqué par la police ce 28 janvier, et entendu par un officier de police judiciaire.

L’enfant avait déjà refusé d’observer une minute de silence et de participer à une ronde de solidarité dans son école primaire, au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, a indiqué le directeur départemental de la sécurité publique Marcel Authier.

« On a convoqué l’enfant et son père pour essayer de comprendre comment un garçon de 8 ans peut être amené à tenir des propos aussi radicaux », explique M. Authier. L’enfant a été entendu pendant 30 minutes, puis a joué avec des jouets pendant l’audition de son père, civilement responsable.

« Visiblement, l’enfant ne comprend pas ce qu’il a dit. On ne sait pas où il est allé chercher ses propos », selon le directeur départemental de la sécurité publique.

Le jeune garçon a quitté le commissariat après environ deux heures d’audition. « C’est insensé, c’est un enfant de 8 ans, cette procédure est complètement disproportionnée, tonne Me Sefen Guez Guez, l’avocat du mineur et de ses parents, que nous avons contacté par téléphone. Les policiers lui ont demandé ce que voulait dire le mot terrorisme, il était bien incapable de répondre. Il a 8 ans, il dessine des Pokemon sur ses cahiers ! Il ne sait pas ce que c’est que le terrorisme ! On a pris au sérieux des paroles d’un enfant de 8 ans qui ne comprend pas ce qu’il dit. C’est absurde. »

Les parents ont souligné durant l’audition qu’ils condamnaient fermement les propos de leur fils, toujours selon Me Guez Guez.

Rencontrée par BFMTV, la police confirme le déroulé des faits :

“Le 21 janvier, nous avons reçu le signalement d’un chef d’établissement de Nice, qui avait été alerté et perturbé par les propos de ce jeune enfant de 8 ans. L’enfant avait dit en classe “Il faut tuer les Français”, “Je suis du côté des terroristes”, “Les journalistes ont mérité leur sort”, puis avait refusé la minute de silence”, indique Fabienne Lewandowski, directrice-adjointe de la sécurité publique des Alpes-Maritimes.

“Lors de notre entretien, le jeune garçon a indiqué qu’il avait tenu une partie de ces propos, mais qu’il n’en connaissait pas vraiment la portée. Le but de cette audition était de comprendre ce qu’il s’était passé exactement, et ce qui avait pu le conduire à dire cela. On peut regretter que ça ait eu la forme d’une audition ordinaire, mais compte-tenu du contexte, il nous a semblé qu’on pouvait aller un peu plus loin”, poursuit la directrice-adjointe, qui précise que le père “a manifesté des regrets pour les propos de son fils”.

Le parquet de Nice doit désormais décider de donner suite ou de classer cette affaire.

Le 20 janvier, le tribunal correctionnel de Nice avait placé sous contrôle judiciaire quatre Niçois qui seront prochainement jugés pour “apologie de terrorisme” au cours d’une manifestation “anti-islamophobie”.

Victime de violences à l’école ?

Un autre pan de l’affaire a surgi par ailleurs, pour lequel les parents du petit Ahmed ont l’intention de porter plainte.

Le directeur de l’école aurait, selon l’enfant et donc, c’est à prendre au conditionnel), tenu des propos humiliants, et eu des gestes de violences envers lui suite à l’incident. “Ahmed raconte qu’un jour, il jouait dans le bac à sable, quand le directeur lui a dit: “Arrête de creuser dans le sable, tu ne trouveras pas de mitraillette pour tous nous tuer”.

Un autre jour, il l’a privé de son insuline (Ahmed est diabétique, ndlr), en lui disant, toujours selon la version de l’enfant : “Puisque tu veux qu’on meurt tous, tu ne vas pas prendre ton insuline, tu vas pouvoir goûter à la mort”". Des propos démentis par le directeur.

L’avocat est effaré par cette situation. “C’est d’une violence inouïe, c’est un comportement d’un autre âge. Nous exigeons une enquête indépendante pour établir les responsabilités de chacun dans l’administration de l’école”, tonne Me Guez Guez.

Les parents de Ahmed ont mené un vrai travail de pédagogie auprès de leur enfant pour qu’il comprenne mieux les événements. Mais ce qu’il s’est passé à l’école l’a profondément traumatisé. Il souffre de trouble du sommeil et du comportement.

Source : Metro News, Le Parisien, Rue89, L’Obs et autres titres

Edit : “Normal” pour l’élite de l’UMP-Bygmalion

Edit 2 : “L’équipe de l’établissement scolaire a bien réagi”, affirme aussi la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem.

OK…


Bon, comme on a des politiques qui adorent apparemment commémorer, et qui insistent beaucoup sur l’apprentissage de quelques pages de notre Histoire, une petite pensée.

Finalement, quand vous arrivez à faire en sorte que l’école dénonce un enfant de 8 ans à la police, et que celle-ci le convoque ensuite avec ses parents, l’administration a vraiment fait le plus gros.

Il ne vous reste plus ensuite qu’à les conduire simplement dans un train :

Circulaire du 13 juillet 1942, organisant la rafle du vel d’hiv

(Le pdf source ici, retranscrit ici)


Allez, pour finir sur une note moins sombre:

Source

Source: http://www.les-crises.fr/ahmed-8-ans-convoque-pour-apologie-du-terrorisme/


[Délation] Quand l’école trouve “insupportable” que les élèves posent des questions, et en dénonce 40 à la police pour leurs propos…

Thursday 29 January 2015 at 04:59

Honnêtement, je me dis toujours qu’à ce stade, plus rien ne m’&tonnera, mais ça m’étonne toujours…

“La gauche est une salle d’attente pour le fascisme” [Léo Ferré, 1971]


Najat Vallaud-Belkacem : “L’école est en… par LCP

Le 7 janvier dernier, sitôt la stupeur et l’horreur passées, les enseignants de toute la France ont très vite compris que l’école serait en première ligne pour réagir face à ces attentats, pour expliquer aux élèves l’inexplicable, et pour gérer leurs émotions et leurs réactions.

Et dans la foulée je leur ai en effet adressé une lettre leur demandant non seulement de faire respecter la minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échanges et de dialogue. Ils l’ont fait, je les en remercie.

Ca ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu, ils sont même nombreux et ils sont graves et aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère. Et aucun d’entre eux ne sera traité à la légère.

Vous me demandez combien nous sont remontés ? Je vais vous répondre. S’agissant de la minute de silence elle-même c’est une centaine d’incidents qui nous ont été remontés. Les jours qui ont suivi nous avons demandé la meme vigilance, et c’est une nouvelle centaine d’évènements et d’incidents qui nous ont été remontés.

Donc surement un bon milliers vu que la plupart des profs n’ont pas surement pas voulu les remonter – et encore, quand ils ont vraiment fait la minute de silence…

Parmi eux une quarantaine ont d’ailleurs été transmis aux services de police, de gendarmerie, de justice, parce que pour certains il s’agissait même d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela.

Par des enfants ??? Traités comme une vidéo de recrutement d’Al Quaeda ?

Oui, l’école est en première ligne. L’école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif, y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la coéducation.

Ah ben comme ça, elle va même être de plus en plus en première ligne !!!

L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les « oui je soutiens Charlie, mais… », Les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?

Ces questions nous sont insupportables,

!!!! arghhh !!! !

surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs.

Mais lesquelles ? Pas l’esprit critique au moins ????

Et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire, c’est ce que le Premier ministre a fait devant les recteurs hier, c’est la raison pour laquelle je mobilise l’ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas que par des discours mais par des actes forts. Merci.

Source : son site

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Comme on y est :

François Hollande, la CIA ou Israël, les véritables responsables de l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes ? C’est en tout cas le genre d’explications que des enseignants ont entendu, effarés, dans la bouche de leurs élèves suite aux attentats sanglants de la semaine dernière.

Un conspirationnisme qui explique en grande partie les quelques 200 incidents recensés depuis le 8 janvier dans des classes lors de la minute de silence organisée en hommage aux victimes, selon Najat Vallaud-Belkacem.

Interrogée sur RTL ce jeudi 15 janvier sur ce chiffre (qui n’est “pas exhaustif”), la ministre de l’Education nationale voit dans ce goût pour les théories du complot l’un des défis majeurs de l’enseignement.

Un problème d’autant plus difficile à combattre, selon elle, que les jeunes de 2015 forment d’abord leurs opinions sur la Toile, alors “qu’il y a 20 ou 30 ans, 90 % de ce qu’apprenait un élève venait soit de ses parents, soit de l’école. Aujourd’hui, la proportion s’est inversée“, assure la ministre.

Statistiques bétons du sondeur Nimportnawakos ?

Or que trouvent-ils sur Internet ? Ils trouvent notamment ces théories du complot qui sont en train, vraiment, de miner notre jeunesse.

Un jeune sur cinq aujourd’hui adhère aux théories du complot.

On est bien d’accord pour dire comme ça que “adhérer aux théories du complot”, cela ne veut rien dire du tout ? (beaucoup de théories étant contradictoires par ex). Et c’est la ministre de l’éducation qui parle…

C’est-à-dire la remise en cause des institutions de la République, de la crédibilité des hommes politiques, mais aussi des médias.

AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH

 

Face à ce phénomène inquiétant, l’Education nationale a perdu une première manche, admet la ministre :

Ce que nous avons peut-être un peu raté jusqu’à présent à l’école, c’est de réussir à faire le pont entre ce que ce jeune découvre sur Internet, et qu’il ne sait pas trier (…) et ce qu’on doit lui apprendre pour l’aider à y voir plus clair et à se construire en citoyen.

…. soumis, citoyen soumis !

Source : Europe 1

La ministre a dit vouloir “profiter de la présence des médias”, venus au collège Jean Moulin de Pontault-Combault. Entourée d’une vingtaine de collégiens, et en présence du Premier ministre Manuel Valls, la ministre s’est alors interrogée: “Est-ce qu’il ne faudrait pas un journal télévisé d’actualité pour les enfants?”

AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH.

On en reparlera justement…

Source : L’express

P.S. au passage, Giacometti a précisé que la ministre avait mal recopié le sondage :

Ce qui dit le sondage

Le sondage Ipsos (commandé par Fleuve Editions) portait sur la croyance dans les Illuminati et pas sur les théories du complot en général. Les résultats principaux ? Un Français sur cinq y croit. Et la croyance augmente chez les jeunes. Un tiers des 18-24 ans estiment que les Illuminati existent.Première remarque, la ministre a sous estimé le pourcentage des jeunes. Un jeune sur trois, c’est quand même inquiétant. Les données intégrales du sondage sont disponibles chez notre éditeur. Il suffit de contacter l’attachée de presse. Deuxième remarque : si la question avait porté sur une défiance envers les médias et les institutions, du genre « croyez-vous qu’on nous cache des choses », le chiffre aurait été beaucoup plus important. Un sondage Opinion way de 2012 révélait que 50 % des Francais se méfiaient de la parole officielle (et particulièrement les Français aux idées politiques… extrémistes).

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En conclusion, elle a présenté son plan (plus de détails ici, le pdf là – je n’ai pas lu, si vous trouvez des trucs croustillants, mettez les en commentaire merci):



 

Source: http://www.les-crises.fr/delation-quand-lecole-trouve-insupportable-que-les-eleves-posent-des-questions-et-en-denonce-40-a-la-police-pour-leurs-propos/


[Reprise] Je suis Charlie… ou pas, disent mes élèves de lycée. Ils ont raison de s’interroger

Thursday 29 January 2015 at 04:05

Enfin un peu d’intelligence… Venant ici d’un professeur de philosophie

La minute de silence des élèves du lycée Paul Bert à Bayonne, le 8 janvier 2015 (Bob Edme/AP/SIPA)

« Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendus les ’oui je soutiens Charlie, mais’, les ’deux poids, deux mesures’, les ’pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?’. Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs. » Ces propos proprement ahurissants, et effrayants, de la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud Belkacem, et plus largement l’atmosphère de vendetta que font planer les premières inculpations, de majeurs comme de mineurs, pour « apologie d’actes de terrorisme », nous ont amené à publier, dans son intégralité, la double intervention de deux enseignantes anonymes [1] que le site Leplus.nouvelobs a déjà publiée, en deux articles séparés, et dans une version plus brève. Une contribution qui apporte, dans le climat de chasse à l’élève déviant qui d’ores-et-déjà se met en place, un contrepoint salutaire d’intelligence et de responsabilité.

Commémorer sans discuter

Réflexions sur et contre la criminalisation des élèves, et notamment des élèves présumé-e-s musulman-e-s (Première partie)

Nous sommes deux enseignantes dans deux établissements très différents : un collège de REP (Réseau Education Prioritaire) et un lycée très mixte socialement, mêlant la classe bourgeoise blanche à des élèves des quartiers populaires. Nous apportons ici deux témoignages au sujet des discussions qui ont eu lieu en classe, dans nos établissements respectifs, suite aux attentats du 7 et du 9 janvier 2015, et qui malgré les écarts d’âge, de classe, d’origine sociale entre nos deux panels d’élèves, sont finalement assez similaires.

Les témoignages d’enseignant-e-s rapportant des réactions d’élèves jugées problématiques trouvent beaucoup d’échos dans les médias, et nous nous inquiétons de voir comment les élèves des quartiers populaires sont actuellement sous le feu des projecteurs : des enseignant-e-s, relayés par la presse, sont en train de construire l’image d’élèves supposés musulman-e-s (en réalité d’élèves descendant-e-s de l’immigration) qui seraient intrinsèquement rétifs à « nos » valeurs, à savoir complaisants à l’égard de la violence terroriste, mais aussi antisémites. Il s’agit pour nous d’interroger explicitement les conditions d’émergence de certaines paroles d’élèves : l’institution en général et certains enseignant-e-s en particulier ont mis les élèves dans une alternative absurde (à savoir : « soit on est tous Charlie, dont on ne saurait critiquer la ligne éditoriale, soit on fait l’apologie du terrorisme » ), dont il n’est pas étonnant qu’elle ait produit des résultats apparemment incompréhensibles.

Depuis mercredi dernier, mes élèves et d’autres scolarisé-es comme eux/elles dans les Réseaux d’Education Prioritaire (anciennes ZEP) sont sous haute surveillance médiatique et politique. Leurs réactions et leurs propos relatifs aux attentats et prises d’otages font l’objet d’une attention soutenue et leurs attitudes à l’égard de la minute de silence proposée par le chef de l’Etat dans tous les établissements d’enseignement public sont scrutées.

Des attentes et des craintes qui précèdent les « réactions »

Pas d’amalgames, s’écrie-t-on d’une part, mais de l’autre s’exprime une attente a priori, qui s’applique spécifiquement à ces élèves dont on fait visiblement, à tort ou à raison, l’hypothèse qu’ils et elles sont pour beaucoup musulmans et musulmanes. Le principe de laïcité, pourtant brandi à tout bout de champ et qui est censé laisser chacun dans l’ignorance de la confession de l’autre dans le cadre scolaire, semble cette fois s’effacer devant l’urgence médiatique : prendre la mesure des réactions d’élèves supposé-es musulman-es à des attentats auxquels on répète pourtant qu’ils et elles ne devraient pas être particulièrement assimilé-es.

Cette attente spécifique à l’égard des élèves des REP s’exprime d’abord dans la salle des profs du collège où j’enseigne, puisque dès 7h30 le jeudi matin, avant même d’avoir pris leurs classes, des collègues s’interrogent :

Comment les élèves vont-ils réagir ? Y aura-t-il des « problèmes » ?

Certain-es vont-ils et elles refuser de participer à la minute de silence ?

Et qu’est-ce qu’il y aura « derrière » cet hypothétique refus ?

Une crainte, largement partagée, précède donc la réaction d’élèves âgé-es de 11 à 15 ans à un événement dont il est difficile même pour des adultes de prendre la mesure pour produire une analyse.

Dans ce contexte, il semble que la première question qui aurait pu se poser était plutôt : comment aborder de tels événements avec des enfants et des adolescent-e-s et en tant qu’enseignant-e fonctionnaire de l’Etat, avec tout ce que cela implique en terme de devoir de réserve ainsi que de gestion de ses propres émotions et opinions politiques ? Elle a été remplacée d’emblée par cette autre question : comment parler de cet événement à des élèves supposé-es musulman-es et par là-même soupçonné-es d’avoir des liens idéologiques avec les personnes incriminées ?

Dans mon collège, comme dans d’autres, le dispositif était faussé dès le départ, et les élèves ont pour certain-es été confronté-es à des enseignant-es anticipant et attendant des réactions de solidarité et de défense à l’égard des actes terroristes. Mis dans la position de se justifier, implicitement ou explicitement, en acceptant unanimement un discours faisant le plus souvent des journalistes de Charlie Hebdo des héros de la liberté d’expression et des garants des valeurs républicaines (étant donné l’ancrage anarchiste du journal, cela peut faire sourire), certain-es élèves ont refusé cette position. Ou plutôt ont joué le jeu de l’assignation à cette figure du « jeune de banlieue provocateur, refusant la commémoration collective et donc fanatisé et donc potentiellement dangereux, etc. » que le dispositif leur imposait. La remarque d’un de mes élèves de troisième, sourire ironique aux lèvres, le montre bien :

« Est-ce que je suis obligé de faire la minute de silence Madame ? Je veux dire, si c’est moi qui ai commis l’attentat, je ne la fais pas, non ? Enfin, moi, c’est une manière de parler hein, je veux dire, un mec comme moi quoi mais bon c’est pareil hein… ».

Commémorer sans discuter, ou les paradoxes de la liberté d’expression

Les attentes des enseignant-es et leur propre positionnement face aux élèves produisent indéniablement des effets et programment en partie les réactions de ces derniers. Avec l’une de mes classes de troisième, la discussion sur les événements a été assez rapide : ils et elles en avaient déjà beaucoup parlé, entre eux/elles, avec les autres enseignant-e-s, avec leurs parents. Ils et elles voulaient simplement mon avis, en tant que professeure de français, sur un ou point : pouvait-on bien distinguer deux choses, d’un côté la condamnation des actes terroristes et de l’autre l’opinion personnelle sur la publication visée par ces actes ? À cette question, j’ai répondu qu’il était même essentiel de faire la distinction et que maintenir la possibilité d’un discours critique sur Charlie Hebdo indiquait précisément que ce n’était certainement pas au nom de ce discours critique que l’on pouvait justifier des meurtres. La discussion a été calme et intéressante, comme elle l’est souvent avec les classes de troisième.

Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai, quelques heures plus tard, croisé un collègue sortant outré d’une conversation avec les mêmes élèves, sur le même sujet, et déclarant que certain-es élèves avaient « défendu » les responsables des actes terroristes. Face à cette attitude apparemment contradictoire d’une même classe, je me permets, tout en comprenant l’émotion qui a saisi la plupart d’entre nous depuis mercredi, de demander à mes collègues : à quoi avons-nous confronté nos élèves depuis mercredi ? À la possibilité de discuter et de comprendre un événement bouleversant et complexe sur les plans politiques et sociaux ? Ou à l’obligation de prendre part à une commémoration exprimée en des termes non discutés collectivement et à l’obligation de nous prouver leur bonne volonté, toujours soumise à caution, en adhérant sans discussion à tout ce que nous leur proposions ?

« J’ai mis dans la salle d’à côté deux élèves qui sont habituellement perturbateurs » m’explique une collègue, de manière à être certaine que « la solennité de l’instant et du reste de la classe » ne soit pas « gâchée ». Deux élèves qui n’avaient pourtant pas pris la parole sur le sujet pendant la discussion précédant la minute de silence… Je ne pense pas que la contradiction propre à la situation ait échappé aux élèves : comment parler de la défense de la liberté d’expression en interdisant par anticipation et arbitrairement l’expression d’un désaccord ou d’un refus à l’intérieur d’une classe ?

Cette contradiction saute aux yeux des élèves plus âgé-es, comme mes anciennes élèves de troisième maintenant élèves de seconde : l’une d’entre elles m’a par exemple expliqué que pendant son cours d’histoire, elle a voulu dire que, en tant que musulmane, si elle condamnait totalement les meurtres commis, cela ne l’empêchait pas de s’être sentie blessée par des dessins et des propos tenus dans Charlie Hebdo et d’être en désaccord politique avec la ligne éditoriale de l’hebdomadaire. Elle me dit que ses propos n’ont pas été acceptés par son enseignant qui, toujours au nom de la défense de la liberté d’expression, lui a fait comprendre que ses sentiments et ses idées n’étaient pas légitimes. Elle ajoute que si l’on défend la liberté d’expression, elle voudrait bien voir quelque part défendu son droit à exprimer le fait qu’elle ne s’est pas sentie respectée et que c’est un élément à prendre en compte tout autant que les droits, idées et affects de ceux qui défendent Charlie Hebdo.

Les réactions des 5ème : des questions, des peurs et des solutions d’adolescent-e-s

Pour répondre plus précisément à tou-tes ceux/celles qui se régalent une fois de plus des « perles » d’élèves, sorties de leur contexte, sans que soient analysées la situation d’assignation et de demande de justification qui les a souvent produites, je voudrais décrire rapidement la manière dont s’est passé l’échange avec une des mes classes, la classe des cinquièmes avec qui j’ai pris trois quarts d’heure pour discuter. C’était jeudi matin, la première heure de cours pour eux comme pour moi. Je ne suis pas leur professeure principale, mais comme j’étais la première à les voir, je leur ai demandé s’ils et elles avaient besoin et envie d’en parler. Tou-tes ont répondu oui, même si certain-es étaient plus demandeurs/euses que d’autres.

Ils et elles ont commencé par faire le tour des questions, importantes, qu’ils et elles se posaient :

Les terroristes avaient-ils dit « Allahou akbar » et est-ce que cela voulait forcément dire qu’ils étaient musulmans ?

Est-ce qu’on pouvait encore se définir comme musulman et plus généralement comme croyant lorsqu’on avait tué des gens ?

On disait que Charlie Hebdo avait critiqué toutes les religions : est-ce que c’était vrai et est-ce que c’était pareil pour toutes les religions d’être critiquées ?

Critiquer et se moquer, est-ce que c’est la même chose ?

Est-ce que les journalistes de Charlie Hebdo n’avaient pas été prévenus qu’ils étaient menacés et est-ce que dans ce cas ils n’auraient pas dû arrêter ?

Et surtout, toujours cette question importante, est-ce qu’on pouvait être triste et en colère des attentats tout en étant pas d’accord avec Charlie Hebdo ?

Autrement dit, est-ce qu’on pouvait ne pas « être Charlie » sans être une mauvaise personne ?

Ces questions ont suscité des interventions, des petits débats :

A. trouvait que quand même Charlie Hebdo était souvent allé trop loin mais que assurément ceux qui avaient fait ça n’étaient pas des musulmans.

Y. trouvait que ce qui était grave c’était de répondre à des dessins et des écrits par des meurtres alors qu’ils auraient dû parler ou dessiner.

Ou même, a dit I., à la limite, se battre.

Comme un duel, a dit D. C’est ça, comme un duel mais sans armes. Un combat de boxe alors, a dit I.

Ce à propos de quoi ils sont tou-tes tombé-es d’accord, c’est sur le fait qu’on ne peut pas tuer des gens parce qu’on n’est pas d’accord avec eux/elles et que la liberté d’expression, c’est pouvoir dire son opinion en respectant les autres, donc aussi pouvoir dire qu’on aime ou qu’on n’aime pas les dessins dans Charlie Hebdo.

Ce qu’ils et elles n’ont pas bien compris, c’est pourquoi on a fait une minute de silence dans ce cas et pas dans d’autres. Ce qui leur fait peur depuis ce mercredi 15 janvier, c’est qu’il y ait des attaques contre les musulman-e-s et les arabes à cause des gens qui confondent tout ou qui « font exprès de tout confondre parce qu’ils sont racistes ». Depuis vendredi, ils ont aussi peur d’autres attaques contre les juifs/juives, parce que « ça leur arrive souvent » et qu’on n’en parle pas assez.

La surveillance idéologique des « jeunes des banlieues » : un prétexte pour l’évitement des questions économiques et sociales ?

Mes élèves sont des adolescent-e-s qui essaient de mettre des mots sur des situations complexes et, pour certain-es, de se dépatouiller avec les attentes et injonctions contradictoires d’une société à leur égard. Ils et elles ont entre onze et douze ans dans cette classe de cinquième et, parce qu’ils et elles n’ont pas vraiment le choix, ont une conscience aiguë de nombre de problèmes économiques et sociaux. Ils se posent beaucoup de questions et ont beaucoup d’émotions à propos de ce qui s’est passé ces derniers jours.

Ils ont aussi envie de penser à autre chose parce qu’ils ont peur de ne plus pouvoir « bien s’entendre » si ça continue. Ils veulent tou-tes être respecté-es dans ce qu’ils et elles sont et d’ailleurs à ce propos aimeraient vraiment bien qu’on parle plus du racisme dans cette société. Et aussi du sexisme, rajoutent les filles, qui pensent pour beaucoup que c’est un peu lié à la jalousie des garçons de voir que, « nous, les femmes, on sait tout faire et, eux, ben, pas grand chose quand même ».

En tant que professeure de français dans un collège REP du 95 depuis trois ans, je dois dire que je n’avais pas été habituée à ce que la population scolaire à laquelle j’enseigne suscite un tel intérêt. Ces derniers mois, j’ai vu, par exemple, peu d’articles analysant le fond de la réforme de la carte de l’éducation prioritaire et ses conséquences sur la scolarité d’élèves déjà majoritairement fragilisés dans leur rapport à l’école par le fait que leur culture familiale et sociale est peu ou pas favorisée par le système scolaire et, plus généralement, par des situations économiques et sociales les soumettant souvent à la précarité et à des oppressions diverses.

J’aimerais que les journalistes viennent enquêter auprès de ceux et celles qui sont les plus directement concerné-es, en particulier les élèves et leurs parents, pour savoir si oui ou non il y a une politique sérieuse de l’éducation prioritaire en France, si oui ou non il est sérieux de faire sortir à la rentrée 2015 tous les lycées de ce dispositif, si oui ou non nous nous donnons les moyens de faire que l’école soit autre chose qu’un instrument violemment efficace de la reproduction sociale. Alors, c’est sûr, ce serait sûrement moins vendeur dit comme ça. Mais au moins ça parlerait de la réalité quotidienne des REP et non des fantasmes et des peurs d’une partie de la population française qui servent à justifier, encore et encore, des inégalités et une domination sans partage.

Des questionnements « insupportables »… et néanmoins pertinents

Réflexions sur et contre la criminalisation des élèves, et notamment des élèves présumé-e-s musulman-e-s (Deuxième partie)

L’institution en général et certain-e-s enseignant-e-s en particulier ont mis les élèves dans une alternative absurde : “soit on est tous Charlie, soit on fait l’apologie du terrorisme”. Il n’est pas étonnant qu’elle ait produit des résultats apparemment incompréhensibles.

Nous sommes deux professeures qui livrons nos témoignages. Notre but ? dénoncer la construction médiatique de la figure de l’élève descendant de l’immigration comme menace à la République.

« Pourquoi on ne dit pas tout cela à la télé, Madame ? »

Voilà ce que m’ont demandé mes élèves après que nous ayons ensemble discuté des événements de la semaine dernière. Et je dois moi-même retourner la question :

Pourquoi les journalistes ne sont pas aussi sensé-e-s que mes élèves ?

Je suis professeure en Terminale, dans un lycée de région parisienne, mixte socialement, mêlant des élèves de la bourgeoisie, à des élèves des classes populaires, des élèves blanc-he-s, à des noir-e-s, arabes, juifs et juives. En quelques minutes, collectivement, exerçant de façon exemplaire leur esprit critique, ils/elles ont souligné et compris chacune des grosses erreurs logiques sous-jacentes aux commentaires journalistiques les plus fréquents.

Mon lycée, qui n’est pas un lycée de quartier populaire, n’est pas sous le feu des projecteurs, pourtant, ici comme ailleurs, les adolescent-e-s ne cessent de questionner le cadre lorsqu’il est imposé, sont toujours soupçonneux à l’égard du discours majoritaire, sont rétifs à certains raisonnements fallacieux, ce qui est finalement plutôt rassurant ! Au lieu de s’indigner qu’ils ne soient pas tou-te-s « Charlie », on devrait en réalité saluer leur capacité à raisonner au-delà de l’émotion collective…

Être ou ne pas être Charlie ? Une parole critique à l’égard de Charlie Hebdo est-elle encore possible ?

Le mouvement #JeNeSuisPasCharlie serait un mouvement qui refuse de s’associer au deuil des victimes de l’attentat perpétré à Charlie Hebdo. Certains éditorialistes nous parlent d’ailleurs de commencer un« repérage », voire une chasse aux « #JeNeSuisPasCharlie »…

On nous rapportedes témoignages d’enseignant-e-s désappointés parce que les élèves seraient solidaires des assassins de Charlie Hebdo car ils refuseraient de s’identifier au slogan “Je suis Charlie”. Ou encore des témoignages d’enseignant-e-s, ayant montré des caricatures aux élèves, et désespéré-e-s, du fond de leur vertu républicaine, de voir que ces élèves, malgré leurs explications, continuent de penser que ces caricatures sont racistes/islamophobes, ou tout simplement blessantes, humiliantes, et pas vraiment drôles.

Ces mêmes enseignant-e-s, tel des apôtres du rire républicain, se demandent ensuite, sérieusement, quels projets pédagogiques construire afin que ces élèves finissent enfin par rire et par accepter avec le sourire ce qu’ils/elles jugeaient humiliant ! Comme si le fait de désapprouver ces caricatures, ou d’être blessé par elles, constituait le premier pas vers le terrorisme

Ici, mes élèves n’ont eu aucune peine à voir le sophisme grave qu’il y a à associer la dénonciation de l’attentat à une adhésion à la ligne éditoriale du journal. Vouloir à tout prix démontrer que Charlie Hebdo était un journal qui ne posait aucun problème politiquement, c’est entériner de façon sous-jacente l’idée que, si d’aventure c’était le cas, alors l’attentat pourrait être légitimé.

L’idée que « Charlie l’aurait bien cherché » n’est que l’autre face de ce sophisme. Il a semblé absolument évident à mes élèves que si on ne pouvait pas légitimer l’attentat par le contenu politique du journal, alorscorrélativement, on pouvait tout à fait dénoncer la tuerie, tout en critiquant le contenu du journal, puisqu’il ne saurait y avoir aucun lien logique entre la ligne éditoriale du journal d’une part, et l’attentat d’autre part.

Dès lors, on peut très bien refuser de dire « Je suis Charlie », parce qu’on s’oppose politiquement à l’orientation de ce journal [2], tout en dénonçant sans nuance l’attentat. J’ai commencé le cours par la mise en évidence de ce sophisme.

Il a donc été limpide, pour ceux qui étaient arrivés en cours en disant que les dessinateurs n’étaient pas « tout à fait victimes », que finalement, si certaines prises de position des dessinateurs étaient critiquables, rien ne pouvait cependant légitimer leur assassinat. À partir du moment où dans l’espace du cours, en tant que représentante de l’institution scolaire, j’ai explicitement autorisé l’expression d’une parole critique à l’égard de la ligne éditoriale du journal, les élèves, tels X. ou S., qui étaient coincé-e-s dans un sophisme créé de toute pièce par l’injonction à tou-te-s « être Charlie », se sont sentis libéré-e-s, et ont pu alors sortir de la posture apparemment « barbare » dans laquelle ils/elles sont arrivé-e-s en cours et que d’autres enseignant-e-s auraient été prompts à rapporter, horrifié-e-s, à la presse, sans comprendre que cette posture n’était que le résultat logique d’une injonction absurde. Lorsqu’on enjoint tout le monde à « être Charlie », sans discussion possible de ce que ce slogan peut signifier et de ce que veut dire s’identifier à ce journal, ou à accepter le dogme selon lequel Charlie Hebdo était anti-raciste, qui, des élèves ou de l’institution scolaire, ne comprend pas ce qu’est la liberté d’expression et l’exercice de l’esprit critique ?

Dès lors, je ne suis guère étonnée des incidents rapportés ici et là pendant la minute de silence imposée sans discussion possible, ni des récits d’enseignant-e-s qui commencent par vouloir démontrer que “Charlie Hebdo” n’avait rien de raciste et qui ensuite ne comprennent pas pourquoi les élèves continuent à dire “Ils l’ont finalement bien cherché”.

C’est l’institution qui a produit ces réactions, par le cadre et les injonctions qu’elle a imposés et c’est encore l’institution, relayée par la presse, qui construit ces réactions comme problème public, figurant l’élève descendant-e de l’immigration comme une menace à la République.

« Pas d’amalgame » ?

Ensuite, mes élèves m’ont posé la question des causes profondes de ces événements. A émergé, dans les échanges collectifs, l’idée que si l’on partait du principe que les terroristes avaient commis un acte qui n’avait rien à voir avec l’Islam mais qui ressortait d’une idéologie politique ultra-violente, alors chercher à prévenir le terrorisme en voulant réformer l’Islam était absurde. Les capacités d’analyse logique de mes élèves devraient être mises au service de la République… et des éditorialistes qui depuis la semaine dernière se demandent comment « guérir » l’Islam de l’intérieur.

Une élève, B., a alors posé la question de savoir quelles étaient les vraies causes de cette violence, se demandant ce qui poussait certains individus à adhérer à des idéologies terroristes, ayant donc bien compris que le vrai problème n’était pas l’idéologie qui servait de support au passage à la violence, mais les causes sociales et profondes de cette adhésion à une idéologie prônant la violence.

Les élèves ont très bien identifié que l’absence d’interrogations politiques sur ces causes effectives sociales et la focalisation sur la cause occasionnelle « religion » revenaient à tomber dans le fameux « amalgame » que l’ensemble du spectre politique disait pourtant rejeter.

S. a d’ailleurs souligné avec pertinence que si le Front National disait lui-même refuser cet amalgame, cette profession de foi du « pas d’amalgame » n’avait plus grande valeur. O. a également demandé si la terminologie « islamiste », pour désigner une idéologie qui n’avait rien à voir avec l’Islam même si elle s’en réclamait, ne sous-entendait pas un lien de continuité entre l’Islam et l’islamisme, le premier n’étant que la version « modérée », édulcorée du second. D. a ajouté que dans la même veine, l’idée que les musulman-e-s devraient se désolidariser des actes terroristes sous-entendait que par défaut les musulman-e-s seraient potentiellement solidaires, ce qui participait du même fameux amalgame que tout le monde dit rejeter, tout en le reconduisant sans cesse.

Comprendre, ce n’est pas justifier 

Puis mes élèves m’ont également fait part de leur perplexité face à certaines expressions employées par la presse ou par des hommes politiques :

« Madame, dire que les terroristes, sont des “monstres”, des “barbares”, c’est dire qu’on ne peut pas comprendre ce qui les a conduit à agir ainsi ? » est intervenu F.

« En disant cela, on fait comme si ce n’étaient pas vraiment des humains, comme s’ils ne faisait pas pas partie de notre société, et on ne se donne pas les moyens de comprendre, on ne prend pas nos responsabilités », a enchaîné B.

Plusieurs se sont souvenus d’un cours sur Hannah Arendt à propos d’Eichmann à Jérusalem et ont rappelé que comprendre les causes d’actes moralement injustifiables ne conduisait pas à excuser ces actes, mais qu’au contraire, c’était une manière de prendre ses responsabilités en réfléchissant à vraiment prévenir, à l’avenir, ce genre d’actes.

Dès lors, il a semblé urgent aux élèves que l’Etat se pose les bonnes questions et agisse sur les vraies causes de cette violence, sans la rejeter dans l’altérité radicale du barbare, ni celle de l’Islam ou encore celle de l’immigration. N. me demande en effet :

« Vous pensez qu’ils vont vraiment prendre leur responsabilités et vraiment chercher les vraies causes, Madame ? ».

M. a souligné que le fait que les terroristes soient morts étaient « une perte pour nous tous », puisque les interroger auraient permis de mieux comprendre leur parcours, de mieux saisir ce qui les avait conduit là. S. s’est aussi indignée que le Figaro puisse titrer : « Justice a été rendue », puisqu’il lui semblait clair que la justice c’était un procès, un jugement, une peine, le tout conformément aux lois.

L’émotion à géométrie variable

Enfin M. et N. ont questionné l’ampleur de la mobilisation, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Comment expliquer la disproportion entre cette mobilisation en France et celle ayant suivi la mort des enfants de Toulouse en 2012 ?

Comment expliquer que le monde entier vienne à Paris, quand ailleurs d’autres massacres ont eu lieu dans l’indifférence ?

Comment, si ce n’est parce que toutes les vies n’ont pas la même valeur pour tout le monde, et parce que« quand ce sont des gens connus, ça mobilise plus que quand c’est des enfants juifs ou des gens en Afrique » ?

Que des adolescent-e-s questionnent le discours majoritaire, qu’ils interrogent ce qu’ils perçoivent comme des injustices, tout ceci est en réalité une excellente nouvelle, puisqu’ils mettent en œuvre l’esprit critique que l’école leur demande justement de développer ; et ce questionnement est partagé par des élèves de milieux très différents. Il est du devoir des enseignant-e-s d’y répondre, sous peine de voir ces questions restées sans réponse, ou criminalisées, trouver un refuge facile dans les théories du complot.

La focalisation sur les élèves racisé-e-s de banlieue vise à construire la figure d’élèves descendant-e-s de l’immigration qui seraient intrinsèquement rétifs à « nos » valeurs, à savoir complaisant-e-s à l’égard de la violence terroriste.

C’est cette même perception déshumanisante de ces élèves-là qui explique que personne ne fait écho, depuis la semaine dernière, aux angoisses profondes, au mal-être des élèves s’identifiant comme musulman-e-s, faisant l’objet d’un véritable harcèlement médiatique, mais aussi d’une recrudescence de la violence raciste quotidienne, et se demandant désormais si un avenir est encore possible pour elles/eux en France…

p.-s.

Nous avons fait le choix de ne pas signer cet article : la criminalisation de certaines prises de paroles d’élèves (40 dénonciations d’élèves à la police par les établissements scolaires pour des faits d’ « apologie de terrorisme » à ce jour), l’apparent consensus dans l’Education Nationale autour de l’effroi inspiré par certaines questions, jugées « insupportables » par Najat Vallaud-Belkacem elle-même, l’accusation de complaisance à l’égard du terrorisme contre les personnes qui tiennent un discours critique à l’encontre de la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, et ce d’autant s’ils/elles sont supposé-e-s musulman-e-s… etc : tout ceci fait que nous ne pouvons nous permettre d’assumer cet article en notre nom. Questionner, avec les élèves, certaines évidences médiatiques et certaines injonctions étatiques semble en effet être considéré comme un comportement anti-républicain, d’autant plus grave que nous sommes fonctionnaires !

Source : LMSI

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-je-suis-charlie-ou-pas-disent-mes-eleves-de-lycee-ils-ont-raison-de-sinterroger/


À l’école : être Charlie… ou pas

Thursday 29 January 2015 at 02:43

Je me demande aussi passage si l’école est bien le lieu de ce genre de “débats” complexes, au risque de susciter exactement ce qui se passe – vaste débat…

«A “Charlie”, ils savaient qu’ils prenaient des risques»

«Libération» a assisté à un débat dans une classe de première de Roubaix. Entre distance et fracture. 

«Au début, j’ai rien ressenti. Puis, je me suis mis à la place des victimes. J’ai eu mal pour les 17. Mais aussi pour les terroristes. Leur vie n’a pas été facile. Il y a des gens qui ont dû leur parler pour qu’ils soient influencés comme ça», dit Adel. C’était jeudi, en première S, au lycée Jean-Moulin de Roubaix (Nord). Ils sont 9 élèves dans cette classe, on ne se bouscule pas pour cette filière. Ce lycée, proche du centre-ville, devant le «rang des drapiers», un rang de maisons cossues de l’ancienne bourgeoisie textile, compte 80% de boursiers et 45 nationalités. Il est aussi classé parmi les lycées à plus forte valeur ajoutée de France, avec un bachelier reçu l’an dernier à Sciences-Po Paris. Les attentats ? Charlie Hebdo ? On a regardé les marches à la télé. «Quand on n’a même pas de table pour faire ses devoirs, ce n’est pas la priorité», dit un prof de maths. Il y a eu des minutes de silence. Une classe a refusé de la faire. Il y a eu débat. Le lendemain, les mêmes ont demandé à la faire.

Lundi, François Da Rocha, prof d’histoire-géo, a passé une journée à débattre en cours «dans les limites de la loi», et pendant deux heures avec cette première S. Une partie des élèves s’est contentée d’écouter. Jeudi, quand Libération a sollicité le lycée, le proviseur, Alain Godon, a interrompu un cours de maths pour reprendre le débat. On s’assoit devant eux, on sort le carnet de notes. Le prof de maths, le prof d’histoire-géo et le proviseur sont au fond de la salle. Un élève : «Vous allez écrire ce qu’on dit dans le journal ?» On dit oui. Ils sont d’accord. Adel commence : «Charlie Hebdo, j’aime pas trop ce journal. On n’a pas à critiquer les religions. On peut rigoler sur d’autres sujets. Ils ont caricaturé le Prophète. Ils savaient qu’il y avait des risques, mais je pense qu’ils ne méritaient pas la mort.» Amar : «Ils ne méritaient pas la mort, mais ils n’auraient pas dû.» Alors quoi faire ? Interdire ? Adel : «Pas interdire le journal. Pas le journal en entier. Mais on peut rigoler d’autres choses. Il y a plein de sujets dans la vie quotidienne.» Quelqu’un : «Ils font ce qu’ils veulent. Mais ils prennent des risques.» Adel : «Ou alors l’interdire. Comme ça, il n’y a pas de problème.» On peut aussi ne pas l’acheter, non ? «Même si on ne l’achète pas, on voit les images.» Oui, mais Charlie Hebdo va continuer… Un élève secoue la tête : «S’ils continuent, les terroristes vont continuer, on n’en aura pas fini.» On leur demande si quelque chose les attriste. Adel : «Ce qui m’attriste, c’est cette histoire, comment elle s’est finie, les morts. Et puis, les terroristes, ça fait pitié comment ils ont vécu. Dans leur enfance, c’était des orphelins, placés à la Ddass.»

«Insulte». François Da Rocha rappelle que, lundi, il a été question de Dieudonné. Les élèves ne s’étendent pas sur ce sujet. Amar se souvient que Dieudonné avait dit qu’il fallait «rouvrir les chambres à gaz pour le journaliste Patrick Cohen». Pas de commentaire. On fait remarquer l’impression d’une société morcelée : des juifs qui veulent quitter la France, des musulmans qui sont montrés du doigt. Amar s’anime : «A cause de l’attentat, les gens croient qu’être musulman, c’est être terroriste, alors que pas du tout. Et, nous aussi, on est français.» Adel : «Musulmans, chrétiens, juifs, on va jamais réussir à s’entendre. Il y a des gens qui insultent les juifs. Tout le monde s’insulte. Ça va pas marcher.» Alexis : «OK, il y a eu des attentats, mais on a trop poussé la chose. Quand il y a eu l’attentat au Maroc, on en a moins parlé.»

Musulman ou pas, aucun n’est allé marcher. Un élève noir du premier rang sourit : «Pas le temps. Trop de devoirs.» Les autres rient. Son prénom ? Il pétille de l’œil : «Jean-Pierre.» Eclat de rire collectif. Et les marches, ils se sont sentis concernés ? Silence. Adel : «C’était bien. Ils sont solidaires entre eux.» Il le dit sans ironie, sans animosité. «On devrait vivre tous comme ça, chacun sa religion, dans la même société. On est des humains, on peut cohabiter. Je vois pas ce qui pose problème.» Le professeur d’histoire : «La fracture est certes ethnique, religieuse, mais surtout socio-économique. On les exclut, on ne les regarde pas depuis des années, et, à présent, on les enjoint à défiler, et on ne comprend pas qu’ils n’obéissent pas.»

«Athées». Plusieurs élèves pensent que si les journalistes de Charlie ne comprennent pas qu’ils blessent des musulmans, c’est parce qu’ils sont «athées».«Ils croient à rien. S’ils étaient à notre place, ça les toucherait. Ils se mettent pas à notre place.» Adel : «Ils savent qu’en tant que musulman, on ne peut pas critiquer d’autres religions. Jésus, c’est un de nos prophètes, on doit le respecter. Mohammed, on ne doit pas le montrer, dans le film le Message [de Moustapha Akkad, 1976, ndlr], il n’est pas montré.»

Le proviseur, au fond de la classe, les titille : «Si les musulmans se mettaient à caricaturer le christianisme, comment ils le prendraient les chrétiens ?» Amar : «Impossible.» Le proviseur insiste : «Ils se marreraient ?» Amar : «Nous, on se marrerait pas.» Le proviseur rappelle que des chrétiens ont souvent intenté des procès à Charlie Hebdo. Amar : «Je les soutiens.» Le prof d’histoire : «Qu’est-ce qui est sacré ? Pour moi, le foot c’est sacré, vous me connaissez… [Il prépare une thèse d’histoire sur l’équipe de France]» . Adel : «Vous n’allez pas pleurer pour un match nul.» Le prof hilare : «Mais si !» Il continue : «A partir de quel moment un dessin est une insulte ?» Une voix : «Quand on parle de religion.» Le proviseur : «La société française, elle est forte. Regardez, ici, on est tous d’origines très différentes.» Il continue : «Est-ce qu’on peut dire qu’ils l’ont cherché ?» Adel : «Ils savaient qu’ils encouraient des risques.» Des risques ? Le proviseur pousse le raisonnement plus loin : «Vous savez qu’à Roubaix, il y a des professeurs, femmes, qui se prennent des remarques, le soir, si elles sont en jupe.» Un élève : «Elles ne sont pas obligées d’écouter.» Le proviseur : «Si elles se font violer, est-ce qu’on va dire qu’elles l’ont bien cherché ?» D’une seule voix : «Non.» Et les journalistes de Charlie, ils l’ont bien cherché ? Un élève : «Ils étaient conscients des risques. Après, ils font ce qu’ils veulent.»

Haydée SABÉRAN Envoyée spéciale à Roubaix
Source : Libération

Témoignages – « Beaucoup d’élèves sont choqués par les dessins de Charlie Hebdo »

Émilie Brouze – 08/01/2015

Dans les classes, une interrogation : comment parler aux élèves de l’attentat de Charlie Hebdo ? Des profs racontent.

« Je les attends. Mais je ne suis pas prête », tweetait ce jeudi matin @lonnyJ, prof en primaire.

Je suis Charlie

Je les attends. Mais je ne suis pas prête. pic.twitter.com/cOCoDlDAsk

— Lonny (@lonnyJ) 8 Janvier 2015

Au lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, qui a fait douze morts, la ministre de l’Education nationale avait appelé à respecter une minute de silence dans les établissements.

Beaucoup de profs se questionnaient : comment réagir ? Comment trouver les mots face aux élèves ? Rue89 leur a demandé de témoigner.

« La tolérance, c’est un combat éthique, politique, culturel »

Jean-Pierre Haddad, prof de philo au lycée Elisa-Lemmonnier (Paris XIIe)

Je suis arrivé à 11 heures au lycée. Beaucoup d’élèves voulaient en parler. Les profs les ont invités à faire des dessins, qui sont affichés dans le hall.

Mot d'élève

Un mot d’élève affiché au lycée Elisa-Lemmonnier (Jean-Pierre Haddad)

Montage de mots d'élèves

Montages : mots et dessins d’élève affichés au lycée Elisa-Lemmonnier (Jean-Pierre Haddad)

Il y a des écrans partout dans le lycée : à la bibliothèque, en salle des profs, dans le hall, avec le même message « Nous sommes Charlie ».

J’ai écrit un texte, que je vais leur soumettre cette après-midi en cours de philo [lire ci-dessous]. On va débattre. Beaucoup sont choqués et ils ont envie d’être apaisés.

Je vais essayer de leur faire faire des distinctions entre religion et utilisation politique ou idéologique de la religion. Je veux leur expliquer les différents courants de l’islam et de l’islam politique. Je vais aussi leur parler de fascisme.

Dans le lycée, 75 % des jeunes sont de familles musulmanes. On a entendu beaucoup de slogans « Ils ne sont pas musulmans mais terroristes ».

Ils sont presque dans la dénégation et c’est vrai, les terroristes ne sont pas de vrais musulmans.

Et je vais leur parler de tolérance. Je vais dénoncer le sophisme qui dit qu’il faut tout tolérer. Les adversaires de la tolérance ne doivent pas être tolérés, sinon il n’y a plus de tolérance. La tolérance, c’est un combat éthique, politique, culturel. »

« La tolérance doit tout tolérer, y compris l’intolérance, sinon elle devient intolérante et se contredit elle-même… »

Non ! Pur sophisme !

La tolérance n’est pas un jeu d’esprit ou une technique verbale. Elle est un effort d’intelligence, une vertu éthique et, en démocratie, un principe politique. Ainsi la tolérance ne peut et ne doit, pour sa survie même, tout tolérer ; elle a une limite.

Laquelle ? Celle où elle rencontre son ennemi : l’intolérance. Oui, l’intolérance est intolérable car elle nie et veut empêcher la tolérance qui, elle, accepte tout ce qui est tolérant, selon son altérité et ses différences.

Aujourd’hui nous voyons bien où est l’intolérance : des facho-fanatiques voudraient nous interdire de rire et de penser librement… au nom d’un « Dieu » qu’ils sont les seuls à insulter par leurs actes.

Soyons tolérants, oui! Mais aussi vigilants et n’ayons pas peur de mener le combat des idées et de la liberté d’expression.

« Je les sens très inquiets »

Soizic Guérin-Cauet, prof d’anglais au lycée Jean-Perrin à Nantes

Dès 8 h 30 ce jeudi, le tabac-presse en face du lycée n’avait plus rien, ni Charlie Hebdo, ni Libé, ni Le Monde…

Il y a eu beaucoup de pleurs ce matin, des élèves comme des profs.

Au début du cours, je ne savais pas quoi leur dire. J’ai juste demandé si ça allait bien. À la fin de cette première heure, la minute de silence se profilait… Je leur ai laissé mes marqueurs et le tableau, je leur ai dit que c’était leur heure.

Il fallait que ce soit spontané, ne pas leur imposer d’en discuter… Ceux qui étaient trop marqués pouvaient continuer à travailler.

Deux élèves ont commencé à parler. Petit à petit, avec leurs chaises, les autres ont commencé à se rapprocher.

On est tous très choqués. Je les sens très inquiets : « Tout le monde va voter FN » ; « Tout le monde va accuser les musulmans. »

C’étaient leurs mots.

Je voulais les entendre. Ils m’ont dit qu’il fallait qu’on parle, qu’on explique, qu’on soit « moins cons ». Ils sont intelligents, mes élèves.

Une fille a dit quelque chose qui m’a heurtée : « Quand même, ils sont allés loin Charlie Hebdo ». Quelqu’un lui a répondu : « Alors tu crois que c’est bien fait ? » Elle a dit que non.

Là, on a commencé à parler de la liberté d’expression et ça, c’est le plus dur. Ils disaient qu’il existait une limite mais la limite, ils ne savent pas la fixer. Est-ce qu’il faut se taire si on risque de vexer quelqu’un ?

Ils sont tiraillés entre ce qu’ils ont envie de dire et ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Ils avaient leur exemple à eux : Justin Bieber, je ne supporte pas de l’écouter mais j’ai le droit de dire que je n’aime pas sa musique.

On a finalement trouvé une forme de limite dans le respect.

On nous avait demandé de faire la minute de silence dans nos classes mais avec les autres profs, on a voulu la faire ensemble, dans la cour. On voulait être ensemble. Tout le monde a bien respecté la minute.

Aux élèves, on ne peut pas leur mentir, leur dire que les gens violents, la mort, l’absurdité, ça n’existe pas. Mais je leur ai dit que Charlie Hebdo allait continuer, que les terroristes n’ont pas gagné.

« J’ai choisi de ne pas laisser la parole libre »

Karine Sahler, prof d’histoire-géo dans un collège privé du Cher

J’avais préparé une séance pour mes trois heures de cours de l’après-midi. Je leur ai d’abord montré ce qu’était une caricature – en me basant sur une autre période historique –, j’ai rappelé les faits, expliqué pourquoi Charlie Hebdo avait été visé. Ensuite, on a lu la déclaration des droits de l’homme, on a analysé plusieurs caricatures publiées en réaction à l’attentat et je leur ai laissé vingt minutes pour dessiner. Beaucoup ont représenté un tireur face à un journaliste. Un élève a dessiné une bibliothèque.

Le dessin d'un  élève

Le dessin d’un élève (Karine Sahler)

Il y a même un moment où on a rigolé, quand je leur ai montré la caricature de Luz sur le pape : « Tes Dieu ? T’as pas de shampoing ? Non mais allô, quoi. » C’était bien car ils ont vu que les caricatures pouvaient à la fois les faire rire, les choquer et les faire réfléchir.

J’ai choisi de ne pas laisser la parole libre et de garder un moment d’expression libre avec le dessin. Je pense que ce n’est pas trop mon rôle, qu’en tant que prof je dois plutôt apporter du contexte, expliquer… C’est difficilement avouable mais j’avais peur aussi d’entendre des choses que je n’avais pas envie d’entendre. Je suis dans un collège où il peut y avoir pas mal de remarques racistes… Je ne voulais pas que ce soit trop émotionnel.

Une de Charlie Hebdo sur le pape

Une de Charlie Hebdo avec un dessin de Luz sur le pape

En quatrième et en troisième, ils sont conscients de la différence entre islam et terrorisme. En cinquième, c’est plus compliqué, plus flou. Ils ont peur pour la suite, ils demandent s’il va y avoir une guerre civile. Un élève a failli dévier sur la peine de mort, je n’ai pas laissé faire.

« Et le cours devra reprendre, difficilement »

Monsieur le prof, blogueur à Rue89 (qui témoigne anonymement)

Ce matin, en arrivant au collège, le secrétariat m’a dit que l’établissement ne souhaitait pas faire de minute de silence aujourd’hui, car c’est « trop précipité » et « certains profs ont peur de ne pas avoir les mots ». Ils avaient également peur qu’il y ait « des troubles ».

Évidemment, chacun est libre de faire la minute de silence avec sa classe s’il le souhaite, mais à mes yeux, l’unité nécessaire est clairement absente dans une telle situation. Pour ma part, je n’ai pas eu de classes ce matin et n’en ai pas eu à midi, au moment de la minute. La sonnerie des pompiers a retenti. Seul dans ma classe, j’ai regardé par la fenêtre et ai vu d’autres profs continuer à faire cours comme si de rien n’était, j’ai vu les élèves jouer dans la cour et se battre comme si de rien n’était. Je trouve triste cette indifférence, cette volonté de détourner les yeux.

Cette après-midi, je demanderai à mes classes si un professeur leur a parlé de ce qu’il s’est passé mercredi. Si ce n’est pas le cas, je leur expliquerai, avec mes mots, en improvisant, parce que forcément, on n’a pas de manuel pour savoir comment réagir dans ces moments-là.

Je leur présenterai également des dessins de presse en anglais, étant donné que c’est ma matière, pour les faire réfléchir à ce sujet. Et le cours devra reprendre, difficilement.

Fin du cours, des élèves restent : « M’sieur, on peut voir des dessins de #CharlieHebdo ? Personne veut nous en montrer. »

— Monsieur Le Prof (@MsieurLeProf) 8 Janvier 2015

Je leur ai donc montré quelques dessins dont le « Dur d’être aimé par des cons. » Ils étaient effarés qu’on puisse tuer pour ça.

— Monsieur Le Prof (@MsieurLeProf) 8 Janvier 2015

« Beaucoup d’élèves sont choqués par les dessins »

Marie, prof de sciences dans un collège-lycée privé catholique de Paris

Je travaille dans un établissement un peu spécial : un collège-privé catholique parisien, où il y a très peu de diversité. Ce jeudi matin, j’ai banalisé mon heure de cours avec les premières S pour parler de Charlie Hebdo. J’avais essayé de préparer quelque chose mais je n’ai pas réussi.

Il y a un consensus sur le côté inacceptable de cet attentat mais une grande majorité des élèves ne sait pas trop quoi penser. Une dizaine ont participé au débat, environ vingt ont écouté.

Un des élèves m’a dit en petit groupe ce qu’il n’avait pas osé dire devant tout le monde : « Ils ont joué avec le feu et ils se sont brûlés. » Il sous-entendait qu’ils l’avaient bien cherché. Il savait qu’on ne pouvait pas dire ça mais il n’arrivait pas à dire pourquoi, il avait besoin de l’expliciter.

Beaucoup d’élèves ont découvert Charlie Hebdo mercredi et ont été choqués par les caricatures – beaucoup sont catholiques pratiquants. Certains voulaient en afficher dans la classe, d’autres n’en avaient pas envie. Ils se sont demandé si le fait de continuer à dire des choses choquantes pouvait être vu comme un hommage… Un élève a commencé à dessiner Cabu avec un doigt d’honneur et m’a demandé l’autorisation de l’afficher.

Certains élèves veulent s’abonner à Charlie Hebdo, d’autres ont dit qu’ils n’aimaient pas le journal, mais ont demandé ce qu’ils pouvaient faire d’autres.

Ils ont peur mais répètent qu’il est important de montrer qu’ils n’ont pas peur. Ils se demandent ce que ça va donner dans la société. Ils sont pendus à leur téléphone, abreuvés d’informations anxiogènes… Ils se demandent : si on change nos photos de profil sur les réseaux sociaux, est-ce qu’on montre qu’on a peur ?

Ils n’ont pas envie de faire d’amalgames et ne connaissent finalement peu la religion musulmane. Ils ont envie de la connaître davantage.

Notre discussion m’a fait prendre conscience qu’ils n’ont pas d’espace pour parler de la société, pour qu’il puisse apprendre à se faire leur propre opinion… Je me rends compte que ça leur manque.

« Beaucoup ont pleuré et moi aussi »

Noémie, prof de français dans un lycée dans une petite ville de moins de 10 000 habitants dans l’Yonne

On s’est retrouvé avec mes collègues mercredi soir, pour discuter. On savait, sans en faire un outil pédagogique – ce serait déplorable – qu’on allait en parler avec les élèves, quelles que soient nos disciplines.

C’est venu naturellement, très simplement avec ma classe de première L. Ils étaient assez demandeurs. On est d’abord revenu sur le déroulement des faits. Beaucoup ont vu les vidéos, notamment celle de la mise à mort du policier.

Les élèves sont très peinés, très choqués. Beaucoup ont pleuré dans la classe et moi aussi. Mais ils étaient assez censés et forts pour dire qu’il ne fallait pas se laisser déborder par la passion. L’important, c’est de parler, ne pas rester silencieux, même si c’est pour ne pas dire grand-chose.

Quelques élèves de confession musulmane ont dit qu’ils avaient peur de se rendre seuls au rassemblement dans notre ville, ce jeudi soir. Ils avaient peur des remarques, des regards. On a discuté du hashtag [mot-clé] #voyageavecmoi : des twittos proposent à ceux qui se sentent seuls ou en danger de voyager ensemble dans les transports en commun. Alors on a dit qu’on pouvait se rendre tous ensemble au rassemblement de ce soir.

J’avais peur des réactions maladroites… Mais les élèves étaient très mesurés dans leurs propos, ils ne voulaient blesser personne. Ils disaient aussi qu’ils ne pouvaient aller pas plus loin dans l’analyse parce que l’enquête est en cours. Je pense qu’on en reparlera dans les prochains jours.

Les élèves voulaient surtout comprendre pourquoi, mais ils se sont rendus compte qu’on ne pouvait pas y répondre. Ils se sont rendus compte par eux-mêmes qu’il ne fallait pas faire d’amalgames entre une religion et une dérive terroriste.

On s’est demandé : est-ce qu’on peut faire quelque chose ? Les élèves veulent se faire entendre, certains ont apporté des dessins. Il veulent montrer qu’ils se sentent concernés. Des élèves m’ont dit qu’à leur âge, ils n’avaient pas encore eu de cause mais que pour cet évènement-là, ils voulaient réagir. Ils sont heureux de pouvoir se rassembler ce soir, tout âge et toute origine confondus.

« Ils ont parlé de leur crainte de voir monter les extrêmes »

Lucile Peyre, prof de philosophie au lycée privé Saint-Gabriel de Saint-Affrique (Aveyron)

Ce jeudi matin, j’avais trois heures de cours, des terminales ST2S, des terminales L, et des terminales L-ES, des élèves âgés de 17 à 19 ans.

C’est le rôle de la philosophie que d’inviter à la libre expression des idées, à la réflexion, à la discussion et c’est justement ce que j’ai dit à mes élèves, en reliant la philosophie à la démocratie. Leur racine commune n’est pas qu’historique, elle se trouve dans cette ouverture, cette tolérance, dans la pratique du débat, et dans celle de la liberté, tout ce qui a été précisément attaqué mercredi via Charlie Hebdo qui en était un des représentants.

Les élèves étaient vraiment en demande, ils voulaient s’exprimer. Ils ont commencé par parler du choc, de leur très vive émotion, leur peur également. Et, c’est là où j’ai été très contente de leur réaction : ils ont très rapidement et par eux-mêmes distingué terroristes et musulmans, évitant les amalgames, les prévenant même. Ils ont également fait part de leur crainte de voir monter les extrêmes, de voir se développer des réactions intolérantes ou discriminantes suite à cet évènement.

Avec la troisième classe, nous avons procédé un peu différemment. Je leur avais donné un devoir maison lundi pour le jeudi : dans le cadre du cours sur l’art, je leur avais demandé de rechercher plusieurs exemples d’œuvres d’art, et notamment une œuvre engagée. Chaque élève a donc parlé de l’œuvre qu’il avait trouvée, beaucoup d’œuvres pacifistes, ou s’insurgeant contre la violence, l’intolérance, le fascisme. Ont été cités par exemple « J’accuse », des poèmes de Victor Hugo, des chansons de divers groupes de rock contre la guerre du Vietnam, et bien sûr les dessinateurs de Charlie Hebdo dont nous avons parlé.

Un élève évoquant la peine de mort pour les terroristes s’est vu répondre par d’autres qu’une telle peine était d’une part inutile pour prévenir de futurs attentats, et d’autre part revenait à se rabaisser aux façons de faire des terroristes. Un autre élève, qui ambitionne de devenir journaliste, à la question que je lui posais de savoir s’il voulait toujours faire ce métier, m’a répondu : « Plus que jamais. »


Source : Rue89, le 18 janvier 2015


« Ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète »

Benjamin Sportouch – 11/01/2015

Dans une école parisienne, une institutrice s’est retrouvée « choquée » et démunie devant les réactions de ses élèves de CM1 après l’attentat contre Charlie Hebdo.

Un écolier

Hélène ne s’y attendait pas. Professeure des écoles dans un établissement du nord de Paris situé en réseau d’éducation prioritaire (ex-ZEP), elle a entamé la journée de jeudi en expliquant à ses élèves de CM1 de 9-10 ans, le pourquoi du comment de la minute de silence avant la cantine.

Elle n’avait pas terminé son propos introductif que des élèves l’interrompent. « Oui mais ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète », lance l’un. « Ils n’avaient pas qu’à se moquer de notre religion », enchaîne une autre. Hélène est médusée. Elle tente de les éclairer sur la liberté d’expression, la liberté de parole. « Si j’étais la seule à pouvoir parler et que vous étiez réduits au silence, comment réagiriez-vous ? », les interroge l’enseignante qui exerce depuis quatorze ans et qui n’a pas souvenir d’une telle réaction.

« Dalil Boubakeur fréquente des juifs »

Petite moue dubitative de certains écoliers. « Tant pis pour eux, comme ça, ils n’écriront plus c’est dur d’être aimé par des cons ! », renchérit même un enfant en référence à une Une de Charlie de 2006 d’une caricature de Mahomet « débordé par les intégristes ». L’institutrice leur rappelle alors les déclarations sans équivoque du recteur de la Mosquée de Paris Dalil Boubakeur condamnant l’attentat. « Lui il ne faut pas l’écouter parce qu’il fréquente des juifs », la coupe Imad. « Choquée », « très seule », « désarmée », au bord des larmes, Hélène préfère mettre un terme à la discussion. L’après-midi, la directrice est venue dans la classe pour engager le dialogue, sans grand succès non plus.

Même si elle est consciente que les élèves ne font que répéter ce qu’ils entendent, cela ne suffit pas à rassurer Hélène sur l’avenir. « Ils n’ont pas de notions de respect des droits, de respect de l’autre », déplore-t-elle. Et de s’inquiéter : « Qu’est-ce qui va se passer quand on va aborder l’histoire des religions ? ». D’ici là, elle n’exclut pas de revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo en prenant appui sur des documents de l’Éducation nationale. Il a fallu attendre vendredi après-midi pour que le ministère mette en ligne un corpus spécifique à destination des enseignants.

* Les prénoms ont été modifiés


Source : L’Express, le 11 janvier 2015


Être Charlie ou pas : à Roubaix, « on marche sur des œufs »

Gurvan Le Guellec – 12/01/2015

Les grandes marches de ce week-end n’ont pas réussi à réunir la population française dans sa diversité. A Roubaix, l’Obs a rencontré des Français musulmans qui n’ont pas pu ou pas voulu s’associer à leurs concitoyens.

Ismael, Leila et Badredine

Ismael, Leila et Badredine (Eric Flogny, pour l’Obs - Picturetank - montage)

Samedi 10 janvier, à Lille, la mécanique des foules s’est quelque peu déréglée. D’un côté, les circumambulations de la population nordiste unie dans sa grande diversité pour profiter des soldes d’hiver. De l’autre, entre la porte de Paris et la place de la République, la procession rangée de 40 000 manifestants d’une saisissante homogénéité : blancs, venus en famille, lookés avec la même négligence soignée.

Samedi 10 janvier, à Lille, disons le sans fard : la population musulmane n’a pas su ou n’a pas voulu se mobiliser derrière la grande bannière noire « Je suis Charlie » du Club de la Presse Nord-Pas-de-Calais. Ou alors si peu. En l’espace d’un long quart d’heure, posté à mi-parcours du défilé, on aura vu passer une poignée de quinquagénaires brandissant des pancartes « pas en mon nom », et une petite famille – monsieur tiré à quatre épingles, madame en tchador, fillette trottinant à leurs côtés – magnifique par son aplomb mais si isolée dans sa singularité.

Banderole « Je suis Charlie »

Lors de la manifestation à Lille, le 10 janvier (DENIS CHARLET / AFP)

Les jeunes absents

Le matin-même, à trois pas de là, Guillaume Delbar, le jeune maire UMP de Roubaix, nous avait pourtant assuré que les 95.000 habitants de sa ville – et sa très vaste population musulmane, la plus grande de l’agglomération – vivait le deuil national à l’unisson. 1 000 personnes s’étaient réunies sur la Grand Place la veille au soir. Un événement syncrétique donnant à la fois la parole à l’édile, au rédacteur en chef de la Voix du Nord et au président du collectif des mosquées roubaisiennes.

Les jeunes avaient brillé par leur absence. Guillaume Delbar n’y voyait pas motif d’inquiétude.

« Je suis bien conscient que la mobilisation autour de Charlie peut poser question. Mais moi, ce que je retiens, c’est la spontanéité des sentiments exprimés, et comme disait le Général de Gaulle “je vais vers l’Orient compliqué avec des idées simples”. »

Cette spontanéité, ces idées simples, Leila Chebli aimerait bien les retrouver. À 42 ans, la mère au foyer – pardon « l’ingénieure domestique » – a suivi le parcours scolaire de ses enfants en s’investissant peu à peu dans la vie de la cité. Avec quelques autres, elle a contribué à mobiliser les Roubaisiens. Mais se prend aujourd’hui à le regretter.

« Nous voulions exprimer notre compassion aux familles des victimes. Et puis il y a eu cette Marseillaise, ces affichettes “Je suis Charlie” distribuées par la mairie. Moi, je ne suis pas “Charlie”, et je ne crois pas que la Marseillaise en ces circonstances aide à panser les plaies. »

Dans le petit local associatif du quartier populaire de l’Hommelet, où nous retrouvons Leila ce vendredi soir, il y a aussi Badreddine, 30 ans, un conseiller clientèle d’EDF, Ismaël, 21 ans, un étudiant de l’EDHEC, la grande école de commerce lilloise, et Chams, 26 ans, un apprenti journaliste. Trois jeunes Français de confession musulmane, pris dans un même maelström émotionnel. Sentiment de dégoût – « l’image du policier tué de sang froid, j’en ai encore la nausée » (Chams), impression de salissure – « dès que j’ai su, je me suis enfermé dans ma voiture et j’ai eu envie de pleurer » (Badreddine), et… perplexité face à la conduite à adopter.

Hantise de l’amalgame

Leila, Chams, Badreddine et Ismaël ont beau se sentir citoyens français « à part entière », les appels répétés à l’union nationale les plongent dans des abîmes de questionnements. Il y a le problème du mot d’ordre, ce « Je suis Charlie » scandé par les manifestants, mais « intenable pour un musulman ». Et quelque chose de plus profond, de plus handicapant, qui a trait à la hantise de l’amalgame. Ismaël : « Si j’allais manifester, les gens pourraient croire que je me sens forcé d’être là. On ne sait plus quoi faire, parce qu’on ne sait plus ce que les gens pensent ». Leila :

« Les tueurs auraient été autre chose que des djihadistes, ça aurait été plus simple. On n’aurait pas eu à se désolidariser des actions de solidarité pour ne pas avoir l’impression de se justifier. »

Pour la spontanéité, de fait, on repassera.

SMS alarmistes

Ces circonvolutions naissent aussi d’un drôle de climat, fait de peur, de méfiance, voire de paranoïa. C’est « la petite dame de la supérette » qui se met à chuchoter quand Leila arrive à la caisse. C’est un ami de Chams, analyste financier et pieux musulman, qui se sent subitement épié par ses collègues de travail. Ce sont les SMS alarmistes qui se propagent annonçant des attaques de skinheads aux entrées des mosquées. Ou les pages Facebook de militants lepénistes que l’on s’échange avec fébrilité. C’est aussi le principal du collège Pascal, catholique mais fréquenté par une majorité d’enfants de confession musulmane, qui, jeudi, après la minute de silence demandée par le gouvernement, a préféré ne pas épiloguer.

« Ici, on marche sur des œufs. Je ne connais pas la position des parents, et, si vous ouvrez le débat, les opinions les plus extrêmes, d’un côté comme de l’autre, risquent d’être les premières à s’exprimer. »

L’annonce de la mort des frères Kouachi tombe sur les téléphones portables, l’ambiance s’alourdit encore dans la petite salle associative au bord du canal de Roubaix. « Il n’y aura pas de procès. On ne saura pas au nom de quoi agissaient ces soi-disant djihadistes », déplore Sauria Redjimi, la deuxième adjointe au maire, venue rejoindre la discussion. « Le doute va s’immiscer un peu plus. Je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois ». « Et les jeunes vont pouvoir se raconter n’importe quoi », soupire déjà Leila. « Interrogez-les, vous aurez des réponses bien plus cash que ce que vous avez entendu ici. »

Hallal ou pas hallal

Cash, les réponses le sont avec Karim, Saïd et Abdel, trois jeunes oisifs croisés le lendemain matin à l’entrée du centre commercial Casino. Karim, 19 ans, la moustache naissante, fait le fier à bras – « tout ça, c’est un coup monté contre les musulmans, et même si c’est vrai, l’autre, là, Charlie, il le méritait bien ». Après plus ample discussion et intervention d’Abdel – « t’es un fou, mon frère, tu enlèves pas la vie » – Karim finira par concéder difficilement qu’il n’est « pas hallal » (sic) de « tirer dans le tas à la kalachnikov », bien que « dans la vie, on fasse beaucoup de choses interdites, et que quand on fait quelque chose, il faut le faire à fond ».

Hallal, pas hallal… Karim, manifestement, n’est guère au fait de son catéchisme musulman, comme nombre de ses « collègues » jurant sur le Coran plus souvent qu’à leur tour. Ce manque de culture religieuse nourrit une « vraie inquiétude » chez Jawad M., technicien agro-alimentaire et imam du vendredi à la mosquée Bilal, la plus grande – et la plus pimpante – de Roubaix.

Transmettre la vraie foi

La ville a connu une cinquantaine de départs pour le djihad ces derniers mois, c’est à la fois peu et beaucoup. En ce jour de grande prière, le prêche va droit au but, rappelant l’attitude du prophète, stoïque face aux insultes des impies, appelant aussi les musulmans à donner une meilleure image d’eux-mêmes, et à mieux transmettre la vraie foi. Une position de principe que la mosquée s’applique à elle-même puisque depuis trois mois elle propose un prêche en français : « Les jeunes ne maîtrisent pas l’arabe. On ne peut plus accepter qu’ils aillent chercher leurs fatwas sur internet ».

L’imam Jawad est-il descendu dans la rue ce week-end ? On ne le saura pas.

« Je me sens concerné comme tout Français. Mais pourquoi me demander spécialement de manifester ? Je préfère les actes. Et s’il y a une responsabilité, elle est partagée. Ces terroristes sont d’abord passés par les écoles de la République. C’est toute la société qui doit se sentir responsable et se mobiliser. »


Source : L’Obs, le 12 janvier 2015


Charlie Hebdo : je suis prof. L’école a totalement failli à sa mission. Et moi aussi

Jean-Pierre Gross, enseignant – 12/01/2015

L’hommage aux victimes des tueries de Charlie Hebdo passe difficilement dans certaines classes de France. Jean-Pierre Gross est enseignant dans un lycée de l’ouest de Paris, et comme lors de l’affaire Merah, il a eu à faire face à des manifestations intempestives et parfois agressives pendant la minute de silence célébrée le 8 janvier dernier.

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Des messages d’hommage à Charlie Hebdo sont déposés par des lycéens à Ajaccio, le 8 janvier 2015 (P. POCHARD/AFP).

Mercredi 7 janvier, au soir du bain de sang, et comme des milliers d’autres, j’ai ressenti la nécessité et l’urgence d’afficher la bannière Je suis Charlie sur le site de mon lycée de l’ouest parisien.

Le lendemain matin, mon chef d’établissement m’a donné ordre de le retirer immédiatement : « Le site du lycée reste un vecteur officiel de communication et il me semble impossible d’y afficher ce type de prise de position. »

Surprise et désarroi. Je ne mets pas une seconde en doute sa solidarité, ni sa détermination en tant que personne privée, mais en tant que proviseur, le message était clair : le message brandi universellement représentait un risque d’incidents.

En classe, des réactions hostiles et un malaise croissant

Les commentaires enthousiastes des médias sur l’émouvante et grandiose union nationale qui venait de se manifester spontanément ont laissé place quelques heures plus tard dans nos classes à des manifestations plus intempestives et plus agressives pendant la minute de silence célébrée avec une certaine appréhension par les enseignants du lycée.

Les paroles entendues ici et là ne laissaient pas de place à l’ambiguïté :

« Charlie Hebdo l’avait bien cherché. »

« On ne peut pas critiquer les homosexuels qu’on déteste parce que c’est illégal, mais eux ils pouvaient insulter l’Islam. »

Et même l’inévitable énième théorie du complot :

« C’est un coup de la police pour accuser encore les musulmans. »

Des discussions dans les classes ont approfondi le malaise. Pas vraiment une surprise, mis à part peut-être les jeunes profs fraîchement embarqué sur la galère Éducation nationale. Lors de l’affaire Merah, après l’assassinat d’enfants à Toulouse, nous avions déjà dû faire face à des réactions franchement hostiles du même style.

« On fait ça pour les Juifs. Quand des Arabes sont tués, on fait rien. »

Et ces conversations-là se multiplient.

Donner les outils critiques pour s’informer et comprendre le monde

Le plus terrifiant, c’est peut-être de constater que l’école a totalement failli à sa mission, et moi aussi par conséquent. Elle ne leur a pas permis de se sentir intégrés, ne leur a pas transmis ses valeurs, ne leur a pas donné les outils critiques pour s’informer ou comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Ces jeunes-là ne demandent depuis des années qu’une chose, c’est qu’un adulte responsable répondent à leurs interrogations d’adolescents et accomplissent leur devoir d’adulte, pas uniquement à coups de programmes et de grand discours mais aussi avec un bon argumentaire que les gosses puissent comprendre, sinon certains d’entre eux grandiront pour devenir d’autres Merah et d’autres Kouachi et tous les autres continueront à se sentir frustrés et exclus.

Et la source de cette incompréhension grandissante c’est l’information, tout le monde le sait : la génération internet ne sait pas s’en servir ou tout au moins pas pour s’informer.

Tentez une conversation sur le 11 septembre, et recensez le nombre d’élèves quand ce ne sont pas les enseignants eux-mêmes qui sont persuadés que le World Trade Center a été détruit par la CIA-les Illuminati-le Mossad-et puis les Schtroumpfs aussi, tiens.

« – Où vous informez-vous ?

– Ce sont des copains qui m’indiquent des vidéos à regarder sur YouTube.

– Vous ne consultez jamais les autres médias, journaux, télé, radio ?

– Non, ils nous mentent. »

Tandis que les vidéos des complotistes…

Qu’est-ce que ça coûte d’essayer ?

Nos élèves n’attendent que ce dialogue, que ce recadrage comme tous les enfants ont besoin d’une parole d’adulte pour se structurer. J’ai essayé, ça marche. Je ne prétends qu’ils ont tout à coup été touchés par la grâce, mais au moins un peu par le doute et c’est quasiment pareil.

Conclusion : les enseignants doivent être mieux formés sur les médias et l’info. C’est urgent.

Mais l’école a peur, peur depuis des années, pas de vagues, pas de débats, pas de risque de traumatiser nos petits. Résultat : pas moyen de comprendre Charlie Hebdo et la liberté d’expression.

Alors on flingue. Alors on part en Syrie. Alors on va chercher un sens à la vie chez des prédicateurs délirants et les héros qui tuent des enfants et des dessinateurs.

On peut les garder là, si on leur parle. On peut sans doute éviter d’autres dérives, d’autres bains de sang. Franchement, qu’est-ce que ça coûte d’essayer ?


Source : le Plus, le 12 janvier 2015


Attentats : 200 incidents recensés dans les écoles

La rédaction numérique de RTL – 14/01/2015

200 incidents liés aux attentats de la semaine dernière se sont produits dans les établissements scolaires.

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Quelque 200 incidents en rapport avec les attentats de la semaine dernière se sont produits dans les établissements scolaires dont une quarantaine ont été signalés à la police et la justice, selon le ministère de l’Éducation.

Selon ce texte publié dans la nuit de mardi à mercredi, les rectorats ont informé le ministère des incidents liés à la minute de silence observée le 8 janvier, en mémoire des 12 morts de Charlie hebdo. « Les services académiques ont porté à notre connaissance une centaine d’incidents directement liés à cette minute de silence », assure le ministère.

Une centaine d’autres incidents signalés

« À la demande du ministère, les jours suivant les événements ont également fait l’objet d’une vigilance particulière et d’une demande de remontée d’informations qui complète ce soir ce panorama d’une centaine d’autres incidents signalés. »

Le ministère précise que les données sont déclaratives et ne concernent que des incidents qui ont pu être réglés par les enseignants des écoles, collèges et lycées dans le cadre scolaire. Elles ne « constituent donc pas un recensement exhaustif de l’ensemble des difficultés qu’ont pu rencontrer les équipes éducatives », relève-t-il.

Des inspecteurs pédagogiques pour accompagner

« Conformément aux instructions de fermeté données par la ministre, toutes les difficultés rencontrées ont été traitées localement, de manière proportionnée à la gravité des faits, par les équipes éducatives et pédagogiques, entre dialogue éducatif et sanctions disciplinaires, allant du rappel à l’ordre en présence de l’élève et de ses parents à la convocation de conseil de discipline », assure le communiqué, ajoutant qu’une quarantaine de situations ont été transmises aux services de police, de gendarmerie ou aux parquets.

« L’Éducation nationale ne laissera prospérer aucun comportement contraire aux valeurs de la République », martèle le ministère. « Pour accompagner les personnels dans la gestion de ces événements et ne laisser aucun enseignant démuni ou isolé », ajoute le texte, « la ministre a donné instructions aux recteurs de dépêcher, dès cette semaine, dans chaque établissement qui en exprime le besoin, des inspecteurs pédagogiques habilités à les assister dans leur mission ».


Source : RTL, le 14 janvier 2015

EDIT : un commentaire du blog

Bonjour,
Voici le texte que j’avais rédigé il y une quinzaine de jours et que je n’ai pas eu le temps d’envoyer. Je le poste aujourd’hui, puisque l’actualité s’y prête :

Il est important que vous ayez connaissance des éléments suivants : je suis enseignant dans un établissement favorisé du centre de Marseille. J’ai fait le choix de consacrer du temps à mes élèves pour évoquer les actes de terrorisme. Un élève m’a dit sans ambiguïté que les caricaturistes avaient mérité leur sort et que si des personnes insultaient à nouveau le prophète, il n’hésiterait pas à passer à l’acte et à les tuer. J’ai ensuite entendu un professeur d’histoire sur France Culture (jeudi 08/01) qui est intervenu après que l’on avait fait remarquer combien il était difficile d’en parler aux enfants. Il a expliqué que, pour sa part, il était parti « au combat » devant ses classes. Son interlocutrice lui a alors demandé, ce qu’il entendait par là, s’il ne savait pas quoi leur dire, s’il avait peur de ne pas trouver les mots pour en parler. Il a alors répondu qu’au contraire, il en avait parlé sans détour, dans la mesure où la majorité des élèves constituant ses classes lui avait tenu les propos auxquels j’ai dû faire face.

Ainsi, j’interviens aujourd’hui pour souligner que le problème est très sérieux et qu’il est urgent de trouver des solutions. J’insiste bien sur le fait que ces solutions ne doivent en aucun cas être en lien avec une quelconque forme de violence. En tant qu’enseignant, je refuse de stigmatiser et de tenir un discours moralisateur à un élève qui récite un pseudo-discours par mimétisme. Je signale simplement qu’il est temps de réformer une société qui refuse la paix (cette remarque vaut pour les terroristes autant que pour les bellicistes qui sèment le chaos au nom de prétendues valeurs démocratiques). Il est donc temps de revoir :

-La politique éducative qui prépare les élèves au monde de l’entreprise à un moment où l’emploi disparait dans des proportions exponentielles en raison de la robotisation et de l’informatisation. L’école devrait non plus raisonner en termes de compétences (pour que les élèves deviennent des « acteurs sociaux capable de réaliser des tâches complexes » au sein de l’entreprise), mais de connaissances et de développement artistique, de façon à préparer non plus l’insertion professionnelle, mais les périodes de chômage qui vont immanquablement se multiplier (je suis prêt à développer ces arguments dans un autre billet où je mettrai en avant une foultitude d’exemples montrant que le travail disparait).

-La politique économique qui favorise l’accumulation du capital avec l’aval des gouvernements du monde entier. Je rappelle volontiers le fait que ce ne sont ni les gens riches, ni les entreprises qui créent l’emploi : le capital exigeant une rentabilité toujours plus accrue, il impose une réduction des effectifs ainsi qu’une compression salariale qui favorise une croissance basée sur l’endettement.

-Le discours raciste institutionnel qui dure depuis trente ans. Il serait trop long d’énumérer tous les discours et remarques ayant fait la une de l’actualité, mais citons pêle-mêle les remarques racistes des ténors de l’UMP au cours du quinquennat de Sakozy, le discours raciste de Dakar, les tribunes aberrantes de Zemmour ainsi que l’hystérie anti-Rom au moment de la dernière présidentielle, avec pour point d’orgue la stigmatisation de cette population par Valls dès sa nomination au ministère de l’intérieur. Pour rappel, les Roms en France, ce sont 15 000 à 20 000 individus (ce qui représente tout au plus 208 individus par département en France métropolitaine !).

-La politique étrangère qui aboutit à des impasses et à un désastre en coût humain chaque fois que l’on prétend lutter contre le terrorisme ou agir au nom de la démocratie.
-La politique télévisuelle qui impose violence, vulgarité et sexe dès le plus jeune âge, sans parler des conséquences pour la santé, puisque les enfants qui regardent trop la télévision sont souvent obèses, développent de fortes angoisses et perdent toute appétence pour le travail et toute curiosité intellectuelle. Ces remarquent valent également pour les smartphones et les jeux vidéo qui inoculent une dose inouïe de violence aux enfants (et même aux adultes).

Il n’y aura de changement profond que si l’on prend tous ces point ensemble (je tiens à signaler que je n’ai nullement été exhaustif dans les points que je viens d’aborder), pour réformer en profondeur. L’attachement aux principes républicains (laïcité, liberté d’expression et de culte) devant permettre la réalisation de ces objectifs. C’est ainsi et pas autrement que l’on pourra lutter contre le discours de mon élève : en éduquant, en rejetant la politique économique qui produit de l’exclusion, en proposant autre chose que de la violence télévisuelle aux jeunes gens…
Je terminerai mon propos en expliquant comment j’ai fait face à mon élève. Je lui ai d’abord expliqué que chaque grand livre religieux contenait de la violence, et que nous étions libres de l’accepter ou de la refuser. A ce titre, je lui ai expliqué qu’aux USA, on justifie la peine de mort en faisant référence à la loi du talion, inscrite dans la Bible. Je lui ai expliqué que bien des personnes confession catholique refusaient d’accepter cette loi. Je lui ai dit qu’il en était de même pour les musulmans, ce qu’il a eu l’air de comprendre. J’espère que je ne serai pas condamné pour complicité d’apologie au terrorisme !

Je tiens également à remercier les nombreuses personnes qui agissent au nom de la modération sur ce blog et qui nous rappellent que la paix et le vivre-ensemble sont envisageables. Mais entendrons-nous un jour un discours de paix de la bouche d’un politicien? « I have a dream », mais la classe politique ne le partage pas !

Source: http://www.les-crises.fr/a-lecole-etre-charlie-ou-pas/


[Reprise] Mes élèves, un drame et des mots

Thursday 29 January 2015 at 01:00

Reprise d’un joli billet d’une enseignante qui adore l’Inde

[Ce billet n’a pas été simple à écrire. Il rassemble à la fois mes interrogations, celles de mes élèves, ce que j’en comprends et ce que j’en ai tiré comme réflexions. Pas de conseils ici, mon expérience seulement.]

Marche Charlie Hebdo
Place de la République, Marche du 11 Janvier 2015.

Que leur dire…

Le prof, c’est un être humain qui gère de l’humain, et l’histoire de chacun donne une coloration à la manière dont nous dialoguons à chaud avec nos élèves sur des événements tragiques comme ceux survenus en cette semaine de rentrée. J’ai un bagage, et je savais jeudi dernier qu’il allait me falloir compter avec, quand bien même je devais « être prof ».

Mon histoire, c’est la sidération pendant les trois jours qu’ont duré les attentats de Bombay en 2008 [OB : Vous pensez que vous n'avez même jamais entendu parler de cet attentat à 173 morts ? C'est ici pour le rappel - qui en dit long sur notre vision nombriliste du monde #ParisCapitaleDuMonde], qui ont laissé la ville groggy pendant des mois ; ceux aussi de 2011 qui ont tué à quelques centaines de mètres de chez moi. Le fait en tant qu’Occidentale d’être cible potentielle s’est ajouté à mon histoire parisienne et de voyageuse, d’avoir conscience que cela peut sauter n’importe où, n’importe quand. De savoir par mon histoire familiale que cela peut VRAIMENT dériver n’importe quand. J’ai retenu de cela le besoin de se réunir, de se serrer, de parler encore et encore, et d’accepter les regards qui se croisent et s’embuent : l’élan viscéral de se sentir humain, solidaires, de partager la peine et l’angoisse. C’est avec cette idée que je suis entrée dans une salle des profs bouleversée.

Mon histoire, ce sont aussi les cris « Vive Al-Qaeda, vive Ben Laden ! » proférés par des 4è devant les attentats de Madrid au début de ma carrière : colère, indignation, incompréhension, et l’absence de réponse institutionnelle à cela. Mes élèves n’avaient-ils donc pas d’empathie ? de retenue ? étaient-ils tous des militants potentiels de l’intégrisme armé ?

Un peu plus d’expérience m’a appris qu’ils étaient surtout des adolescents ; qui plus est, des ados élevés au pied d’un HLM du Val-d’Oise, enfermés dans un microcosme dont ils savaient déjà pertinemment qu’ils ne sortiraient jamais. Les vacances, c’était avec un sourire éclatant aller voir leur tante à Villiers-le-Bel. Des ados dont l’univers était pour nombre d’entre eux marqué par un non-dit absolu sur l’histoire familiale, le pourquoi de l’émigration (et je le vérifie encore aujourd’hui), si ce n’est « la guerre ». L’enfermement, géographique, corporel, intellectuel, culturel et historique.

Voici les élèves auxquels j’allais m’adresser.

Mes élèves.

Alors eux d’abord

J’ai commencé chacun de mes cours en leur disant : « il s’est passé quelque chose de grave, qui touche de nombreuses personnes et qui touche à plein de choses. Quelqu’un peut raconter ce qui s’est passé ? ». J’ai refusé d’encadrer leur pensée, de recourir au bouclier des programmes : faire rentrer le réel dans des définitions et des cases érudites créées par des adultes pour des adultes. J’ai refusé de partir du principe que j’allais contrer frontalement, du haut de ma position d’adulte et de prof, les éventuels dérapages : quand il faut lutter pied à pied contre des thèses fallacieuses, des idées dangereuses, il faut laisser les ados s’exprimer librement plutôt que de se protéger en réduisant immédiatement leur lecture à « liberté d’expression », « liberté de la presse », « laïcité ». Les grands concepts viendront après, peut-être, selon ce qu’ils diront.

Il s’est avéré que presque tous avaient suivi avec attention le déroulement des événements. Ils avaient retenu les noms, les lieux, les hypothèses déjà avancées par les médias. Ils avaient pour certains une lecture bien arrêtée, oscillant entre le « ouaisCharlie Hebdo est allé trop loin mais en même temps ça ne se fait pas de tuer » et le « c’est n’importe quoi, c’est pas des musulmans ça » et « en même temps, hein, la classe d’avoir une kalach !  » . Le travestissement de l’émotion, les mots et les provocations de purs ados. Mais ils étaient en demande de clarification, tout autant que nous.

Et ça, chercher le pourquoi, c’était déjà une victoire.

La disproportion

Dans l’attentat contre Charlie Hebdo, l’inadéquation entre l’insulte et la riposte n’est pas du tout venue à l’esprit de la plupart de mes élèves. Il faut dire que ces derniers se battent jusqu’à casser des nez, avoir la bouche en sang, se faire fracturer un tibia, pour une insulte : pour des mots proférés dans une classe, un couloir ou une cour de récréation. Juste des mots. Réellement du sang, réellement des plâtres. Dans une large proportion, ce sont aussi des élèves qui connaissent les coups comme réponse à des notes scolaires, des paroles, des soucis familiaux. Et quand ils s’intéressent d’eux-mêmes à la géopolitique, c’est uniquement au conflit israélo-palestinien, vu au prisme encore de la disproportion : de pauvres hères dépenaillés et affamés dans les ruines de Gaza face à la mécanique huilée et ultra-puissante d’Israël. La disproportion est constitutive de leur vision du monde, elle est naturelle et fait loi. Je soupçonne même qu’il y ait un peu de Schadenfreude dans l’attitude de certains, si les coups tombent sur quelqu’un d’autre, c’est qu’ils ne tombent pas sur moi.

Alors là, j’ai repris la parole. J’ai comparé, donné des exemples simples. J’ai fait appel à leur sens de l’équité, très éveillé à cet âge-là le plus souvent. Où se trouve la gloire à frapper plus fragile que soi ? Où se trouve l’héroïsme dans la kalachnikov qui anéantit le crayon ?

La compassion variable

Dans leur description des faits connus, leur compassion était quasi nulle il faut bien l’admettre. Tout d’abord parce que Charlie Hebdo ne signifie absolument rien pour eux : par leur âge, leurs centres d’intérêt, leur milieu social, ils ne le lisaient pas, n’en connaissaient pas les dessinateurs et il n’y a aucune raison pour que des gamins nés entre 2000 et 2004 aient eu ce journal entre les mains. Et l’empathie quand on est ado, elle est d’abord pour son nombril, j’en veux pour preuve les hurlements de rire quand un élève tombe de sa chaise. Charlie Hebdo leur évoquait aussi une polémique sur la représentation de Mahomet parce que, uniquement, les médias l’avaient rappelée dès mercredi.

La compassion variable est un trait humain pointé du doigt à chaque catastrophe aérienne ou géologique : l’empathie est créée par la proximité réelle ou supposée avec les victimes, et nous pensons le monde en terme de proximité géographique (ce qui arrivait en Inde m’émouvait encore plus quand j’y vivais), religieuse (les églises brûlées et les chrétiens massacrés dans l’Est de l’Inde ou en Birmanie, avec les musulmans au passage, par les hindous et les bouddhistes touchent profondément des catholiques de mon entourage), ethnique pour certains (cela ne fait pas partie de mes cadres mais je le conçois).

Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom de Clarissa Jean-Philippe. La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires.

« Ah ouais, là, c’est abuser quand même…»

Il n’y a pas de fumée sans feu

Mais dans un univers fait de sanctions et de coups, lorsqu’il arrive quelque chose c’est qu’on l’a un peu cherché, non ? C’est sans doute l’argument qui revient le plus de la part des élèves, avec en ligne la polémique originelle, les caricatures de Mahomet, et la Une un peu trop fine pour qui veut ne trouver que de l’insulte partout dessinée par Cabu. Je n’ai pas eu besoin de leur projeter quoi que ce soit : apparemment, tous les avaient vues ou faisaient semblant de les connaître. Et de surenchérir sur le fait qu’ils avaient aussi regardé la vidéo où Ahmed Merabet se fait exécuter, ainsi que celles des journalistes régulièrement assassinés par Daesh.

Horreur… ou bien peut-être les rodomontades et roulements de mécanique d’adolescents…

Toujours est-il que le journal l’avait bien cherché, et donc avait mérité la punition. On rejoint là les réflexions qui surgissent souvent pendant l’année témoignant selon moi du besoin de justifier la terreur : si les nazis ont voulu exterminer les Juifs, si « tout le monde » déteste les Juifs, c’est que quelque part… ils ont fait quelque chose pour le mériter. L’enfant comme l’adolescent a besoin d’une explication à l’horreur, et quand bien même la peine est disproportionnée, ils établissent une réciproque immonde mais « logique » : si tu fais quelque chose, tu es puni ; si tu es puni, c’est que tu as fait quelque chose. Alors les dessinateurs de Charlie Hebdo l’avaient nécessairement cherché. Sinon, c’est que le monde ne tourne pas rond…

Que mes élèves n’aient aucune idée de ce que contenait et contient le reste du journal, les caricatures vitriolesques de Le Pen, du pape, de Dieudonné, de Sarkozy, d’imams et de rabbins, de tout le monde en fait n’a aucune importance. Charlie dans leur imaginaire est le journal d’une seule chose, qui aurait touché leur âme et leur conscience, la représentation du Prophète. « Sérieux, ça ne se fait pas, ça, c’est de l’irrespect Madame !  » .

Alors parlons un peu de respect.

L’oukaze du respect

Cette notion, on en a badigeonné mes élèves depuis leur plus tendre enfance. Elle est devenue depuis une vingtaine d’année le quatrième mot à ajouter à la devise de la République, en banlieue pauvre en tout cas : le Respect, ce sera le cadre de pensée qui empêchera un peu la marmite d’exploser. Comme le mot « tolérer » (quel mépris : tolérer, c’est accepter de subir !), le respect a tellement été vidé de sens qu’il s’applique à tout indifféremment : on doit « respecter » les autres, accepter leur couleur de peau tout en cédant la place aux personnes âgées, ne pas cracher par terre et écouter l’opinion des autres, ne pas couper la parole aux professeurs et ne pas insulter les élèves. Ce respect-là, tel qu’il a été enseigné, cela s’appelle la politesse.

La loi elle ne s’occupe pas de politesse, mais ça mes élèves ne le savent pas. Pour eux, Charlie et tout le monde est contraint par la loi d’être poli et précautionneux : ne pas insulter la religion des autres, ne pas moquer les convictions des autres puisqu’il est écrit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses  » . Inquiéter, embêter, moquer, respecter : c’est du pareil au même. De plus, la loi de 1905 reconnaissant toutes les religions et leur pratique, comme la pratique de l’Islam implique de ne pas représenter Mahomet il est imposé à tous de ne pas insulter les croyants musulmans en représentant Mahomet… Raccourcis, contre-vérités, mésinterprétations, raisonnements erronés : là, on le sait, il y a du boulot et ce n’est pas avec la portion congrue d’heures de cours que l’histoire-géographie-éducation civique reçoit avec des programmes pantagruéliques qu’on en arrivera à bout.

La relativité des lois

Et puis, il faut revenir à Antigone.

Expliquer encore et encore à des esprits pétris de religieux, et pas seulement d’Islam mais aussi de christianisme évangélique, que la religion est une conviction personnelle, qu’elle n’est pas au-dessus de la loi quand bien même elle importe à notre esprit, notre coeur, nos traditions. Qu’il ne peut pas y avoir blasphème dans un journal français, puisque les dessinateurs n’étaient pas musulmans, qu’ils n’ont pas obligé les musulmans à dessiner des images du Prophète, qu’ils ne les ont pas obligés à les regarder ou à acheter le journal. Et parce que tout simplement, le délit de blasphème n’existe pas en France.

Ils comprennent très bien que chaque pays a ses lois, mais leur inexpérience leur empêche de savoir qu’une personne qui se déplace est soumise aux lois du pays où elle se trouve. Je leur ai raconté la déférence absolue due au roi de Thaïlande et à ses photos quelle que soit notre nationalité, je leur ai dit l’interdiction pour moi, femme, de conduire en Arabie Saoudite alors que j’ai le permis, de me rendre et me déplacer sur le territoire si je ne suis pas accompagnée d’un tuteur, père, frère, mari ou fils, alors que je suis indépendante. Parce que c’est la loi, quand bien même elle offense mes convictions personnelles et éventuellement religieuses. La loi humaine est au-dessus des lois divines. Sauf dans les pays où il est clairement dit que c’est la loi religieuse qui fait loi. Mais ce n’est pas le cas en France. Il y a là une nécessité de hiérarchiser, de séculariser la pensée, avec des élèves qui ont du mal à faire la part des choses.

Expliquer enfin qu’une tradition religieuse ne concerne que les croyants de cette religion, pas les pratiquants d’autres religions ou les non-croyants. Ce qui est évidence pour moi, adulte et athée, ne l’est pas du tout pour eux. Je n’ai pas, habitant avec toi, à exclure le porc de mon assiette si ta religion implique de ne pas en manger : il en va de la politesse que lorsque je cuisine, je te propose un plat sans porc, mais qu’il en va aussi de la politesse que tu ne m’imposes pas de manger sans porc (tiens, ça me rappelle mon billet sur le végétarisme ça…). Tu ne m’imposes pas tes contraintes, je ne t’impose pas les miennes : c’est ça, la politesse, le « respect ».

Compliqué. Il faudra y revenir, encore et encore.

L’art du professeur.

Le « deux poids deux mesures »

Progressivement apparaît en dialoguant avec les élèves un sentiment sous-jacent qui parcourt bien des cours d’histoire. Le sentiment de ne pas être écoutés, de ne pas être entendus surtout.

Evidemment c’est en grande partie lié à cet âge où l’on rit et crie fort dans les rues pour se faire remarquer, l’âge où l’on surjoue l’agressivité en pensant que c’est de la personnalité, l’âge où pour s’affirmer soi on s’affirme avant tout contre tous. Mais il y a aussi, notamment pour mes élèves d’origine algérienne, une mémoire occultée faite de confusions, de non-dits et de sang : bien souvent à l’origine de la migration de leurs parents, et non de leurs grands-parents, la Guerre d’Algérie est un point de cristallisation. Mes élèves confondent en toute candeur la guerre d’indépendance et la guerre civile, en font un récit manichéen…

Mais si vous saviez. La demande pressante, presqu’une supplique, chaque début d’année dès la 6è : « Madame, on parlera de la Guerre d’Algérie cette année ?  » . Si vous saviez le poids mémoriel, le travail énormissime qu’il y a à faire pour rendre droit de cité à une mémoire qui empoisonne ces gamins et nous avec, un désir de vengeance fondé sur rien, un besoin que soit reconnue une souffrance endossée par chaque génération. Pas un mea culpa mais un véritable travail d’historien et de pédagogie pour donner des pistes, un cadre de réflexion, une place réelle dans les mémoires et pas un cours-croupion, qui permettrait à ces élèves et à ces jeunes d’accéder à une reconnaissance après laquelle ils désespèrent.

L’étape suivante ? Comme ces ados ont souvent l’âge émotionnel d’un enfant de 3 ans, pire que de ne pas être écouté, c’est avoir le sentiment que d’autres sont plus écoutés que nous.

Le sentiment d’injustice est alors décuplé.

Se rendre intéressant

La dieudonnisation fonctionnant bien, la question des Juifs et de la Shoah est de temps à autre soulevée par un élève plus provocateur ou plus volubile que les autres. Cela prend la forme du « on parle trop des Juifs et pas assez de « nous »  » , « on peut blaguer sur les Arabes mais pas sur les Juifs » . Si l’on enlève les mots qui heurtent et que l’on écoute le ton, on entend effectivement « moi, moi, moi » .

J’ai au début de ma carrière été désemparée de devoir expliciter ce qui relève de l’empathie, de l’humain, de la finesse, ou peut-être d’une éducation. Mais j’explique. Rire de la mort de 6 millions de personnes, femmes et enfants compris, dans des circonstances d’une cruauté infinie est aussi peu adéquat, drôle et pertinent que de faire de l’humour sur les tortures en Algérie ou les conditions et les conséquences de la traite négrière. Que faire de l’humour, c’est pointer une contradiction (du type : « t’es une fille, t’as pas de shampooing ?« … nan, désolée, c’est pour me détendre un peu…) et la mettre à distance pour faire passer un message, ou détendre l’atmosphère sur un sujet sensible ou douloureux. Voyez le Charlie Hebdo d’aujourd’hui en la matière…

S’ajoute parfois l’argument que si les synagogues et les écoles juives sont protégées, c’est parce qu’ « il n’y en a que pour les Juifs et qu’ils veulent se rendre intéressants » . Il y a l’idée qu’être protégé c’est être faible, ou bien auréolé de prestige : comme une star ou un footballeur, on est quelqu’un d’important. Donc si les Juifs sont protégés… c’est qu’ils sont plus importants que les autres ?

Lutter pied à pied, doucement, ne pas tomber dans le panneau de la confrontation, opposer des faits, des faits, des faits. Rappeler que des Juifs ont été tués à Toulouse, dans une école, récemment et uniquement parce qu’ils étaient juifs. Et que l’HyperCasher n’était pas une épicerie choisie au hasard mais parce que juive et fréquentée par des Juifs. La menace est réelle et concrète. Il y a des morts au bout.

Et puis raisonner un peu par l’absurde. Leur demander s’ils désirent donc que des musulmans soient tués dans un attentat contre une mosquée pour enfin « avoir la chance et le privilège » de vivre une vie surveillée ? D’aller à l’école coranique accompagnés par des policiers ? Leur demander aussi s’ils pensent que les gamins de Peshawar trouvent ça drôle d’avoir gagné le privilège d’aller à l’école protégés…

La spécificité de l’antisémitisme

Mais le plus intéressant dans tout cela, c’est de revenir aux mots.

Une des questions qui hérisse mes élèves, c’est de savoir… pourquoi on a besoin d’un mot différent dans la loi et dans le vocabulaire quotidien pour qualifier la haine des Juifs ? Leur interrogation est sincère et récurrente, parce qu’elle introduit encore cette idée que « pour les Juifs, c’est toujours différent » .

Le racisme est un des autres sujets transversaux de la scolarité de mes élèves, on l’aborde par les programmes, on l’aborde par les projets dès le primaire. Le racisme opère sur des critères d’ethnie, de religion, d’origine géographique etc. Dans leur idée, l’antisémitisme devrait être intégré sous le concept de racisme. Et c’est peut-être ce qui m’a demandé le plus de temps à clarifier pour moi-même… pourquoi le racisme est-il distinct de l’antisémitisme… que recouvre donc cette notion d’antisémitisme…

… rien. Rien de concret. Ce n’est pas une question de pratique religieuse ou de concurrence. Ce n’est pas une question de couleur de peau. Ce n’est pas une question d’origine géographique. Ce n’est rien de physique, de culturel, de politique, ce n’est rien de tout cela. Peut-être la réflexion la plus édifiante à cet égard a été celle d’une élève me disant « Madame, quand on va dans le quartier des Juifs, ils nous regardent bizarrement » .

Voilà. Le rien absolu. Et tout ce qui s’engouffre dedans : les fantasmes et les rumeurs, tout peut avoir un sens puisque de toute manière, l’antisémitisme ne repose sur aucun critère concret. Tout peut donc venir l’alimenter : un peuple différent (rare), l’argent (toujours), la puissance occulte (moins à leur âge), la manipulation (plus). Le fantasme qui perdure depuis les débuts du christianisme, avec ses couches qui s’ajoutent à chaque crise de l’histoire : les rites sanguinaires du Moyen Âge, le critère du sang introduit par les rois espagnols, l’âpreté au gain des grands argentiers du roi et de l’industrie etc.

« Alors Madame, pourquoi leur tape-t-on dessus s’ils n’ont rien fait ? » . Pharmakos, le bouc émissaire, El Fennec me rappelant très justement ce proverbe shadok :

Proverbe Shadok

Alors ?

Un prof est sous le feu nourri de mille questions à la fois. Le dialogue est possible mais le débat serein ne l’est pas tant nous sommes tous face à nos limites quand ce qui nous semble évident, moralement et socialement, est mis en cause. Nous sommes en première ligne d’une lutte pour laquelle nous n’avons que trop peu de moyens, humains et horaires. Pas besoin de textes pétris de bonnes intentions, pas besoin de liens vers des séquences sur la liberté d’expression, pas besoin d’émission sur « comment parler des attentats avec les élèves » : donnez-nous des médecins scolaires, des assistantes sociales, des COP, des assistants d’éducation, des éducateurs, des profs payés et traités correctement. Donnez-nous des heures pour aider à réfléchir, interroger et comprendre le monde dans lequel nos élèves vivent et sont amenés à prendre part. Tout simplement.

Les propos de certains de mes élèves, rares pour les provocateurs, plus nombreux pour les « testeurs », paraissent outranciers ? Ecoutons-les. Que nous disent-ils d’eux, de notre société, de nous ? Ces élèves tâtonnent. Questionnent. Répètent. Provoquent. Essaient d’interpréter à partir des seuls cadres de pensée dont ils disposent. Ce sont des adolescents qui sont en train de se former. A les contrer en ridiculisant leurs vues que nous jugeons étriquées, passéistes et dangereuses, nous perdrons à chaque fois. Ce sont des ados et nous sommes des adultes. Ecoutons-les avant de les qualifier de « graine d’islamistes »…

Note : la véritable marche républicaine commence maintenant. La question de l’Ecole certes, mais de tout le reste aussi. Les services sociaux, le milieu carcéral, la prise en charge psychiatrique : tout cela relève de notre engagement de citoyen. Jusqu’où et comment sommes-nous prêts à nous engager ?

Source : Chouyo, pour Chouyo’s World

Source: http://www.les-crises.fr/mes-eleves-un-drame-et-des-mots/


[Éducation Média] Propagande Caricaturale : Le Kremlin conseille de “manger moins” pour faire face à la crise (AFP)

Wednesday 28 January 2015 at 03:54

NAON, c’est un titre de l’AFP, donc c’est à foutre à la poubelle, comme d’hab…

Mais c’est super efficace pour les jeunes (et les autres) qui veulent comprendre ce qu’est de la propagande de guerre.

Et comme la ministre veut de l’éducation aux médias pour “défendre les valeurs républicaines”, en voilà…

Le Kremlin conseille de “manger moins” pour faire face à la crise

“Nous sommes russes, nous avons survécu à la faim et au froid“, lance un député. L’inflation en Russie a dépassé les 11% en 2014 tous produits confondus.

Une femme dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, le 24 novembre 2014 (OLGA MALTSEVA/AFP).

Une femme dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, le 24 novembre 2014 (OLGA MALTSEVA/AFP).

Mangez moins, utilisez de la betterave en guise de rouge à lèvres, préférez les culottes russes en coton à la délicate lingerie française et rappelez-vous que Dieu met votre foi à l’épreuve : voilà les solutions offertes aux Russes pour affronter la crise économique.

Bon, déjà, ça ça semble délirant. On va creuser…

“Si vous n’avez pas assez d’argent, vous devez vous souvenir que nous sommes russes, nous avons survécu à la faim et au froid, nous devons penser à notre santé et manger moins“, a ainsi conseillé Ilya Gaffner, un député de la région de Sverdlovsk, en Sibérie. Il s’adressait à une vieille dame qui lui expliquait ne plus pouvoir acheter du sucre pour son fils handicapé.

Bon, donc c’est UN député en Sibérie… Avec un exemple qu’on dirait sorti des manuels de propagande (le fils handicapé ET homosexuel serait le top)

L’inflation a déjà dépassé 11% en 2014 tous produits confondus – 15% pour les produits alimentaires – et la hausse des prix devrait encore s’accélérer dans les mois à venir. Certaines catégories (viande, poisson, sucre, chou, fromage, oeufs, riz) subissent déjà une hausse de 10 à 50%, dans la foulée des sanctions occidentales contre la Russie et de la baisse des prix du pétrole.

Tatattata !! On vous avait dit que les sanctions ça marchait du feu de Dieu !!!! Comme dirait Clavier “niquéééééééééééés les Russeskovs !!!”

Bon en vrai, c’est évidemment la chute du rouble liés aux mouvement spéculatifs.

Bon, après, que ça puisse donner faim aux Russes, on s’en tape – on s’occupe déjà pas des SDF à Paris, alors…

“Nous allons manger moins”

Confrontés à cette inflation galopante, de nombreux Russes ont réagi vivement aux propos du député, qui a dû présenter ses excuses publiquement.

“De nombreux Russes”, c’est une info béton AFP, et bien sourcée (au moins 124 sur Twitter ?).

Donc à ce stade, on nous pourrit la tête avec ce qui est plus une maladresse qu’autre chose d’un obscur député en Sibérie, tout va bien…

Mais à peine l’avait-il fait que l’un des plus hauts responsables politiques du Kremlin a de nouveau évoqué l’idée de mettre les Russes au régime.

“Nous allons surmonter tous les obstacles dans notre pays, nous allons manger moins, utiliser moins d’électricité”, a lancé le vice-Premier ministre Igor Chouvalov devant le gratin de l’économie mondiale lors du forum de Davos.

“Si un Russe est soumis à une pression extérieure, il n’abandonnera jamais son chef”, a continué le vice-ministre. Igor Chouvalov explique que : ” Le plan anticrise, c’est de faire en sorte que les citoyens ordinaires et les entrepreneurs s’adaptent aux nouvelles réalités “.

“Nous avons un plan ?”, s’est étonné lundi matin la presse russe, comme le quotidien “Izvestia”.

Bah oui, c’est normal, c’est que des poivrots trisomiques au Kremlin…

Tiens, au fait, je croyais que la presse était aux ordres… Ben alors ?

Les culottes synthétiques interdites

“J’ai vécu sous Gorbatchev et Eltsine, mais Poutine est le premier président pour qui on me demande de manger moins“, ironise un Russe, Andreï Kossenko, sur Twitter.

Donc le vice-Premier-Ministre lance une phrase pas tiptop dans une rodomontade à Davos (qui peut vouloir dire en l’espèce “on mangera moins de produits étrangers” pout être logique), ça devient “Poutine demande aux Russes de moins manger” – la preuve on a vu 1 type sur Twietter le dire (le journalisme du XXIe siècle – prenez des photos, l’espèce aura disparu au XXIIe).

Vladimir Poutine, qui est salué par la population comme l’homme ayant permis à la Russie de renouer avec une stabilité bienvenue après la chute de l’URSS et le chaos économique qui a suivi dans les années 1990, continue de jouir d’une forte popularité : les deux-tiers des personnes interrogées en janvier affirment qu’ils voteraient à nouveau pour lui. Le mois précédent, ils étaient cependant bien plus nombreux : près de 88%.

Je n’ai pas vérifié là, mais le 88 % c’est en général une cote de popularité, notion différente de “voteriez vous pour lui” hein…

Pour que les Russes puissent “s’adapter aux nouvelles réalités”, les députés rivalisent d’idées. Igor Tchernichiev, à la tête du Comité des politique sociales, propose ainsi que les élégantes femmes russes prennent pour rouge à lèvres de la… betterave. “C’est naturel et les produits chimiques ne pénétreront pas dans leur corps”, argue-t-il.

“Et nos femmes seront plus jolies dans de la lingerie fabriquée à Moscou qu’en France”, continue-t-il, alors qu’une loi interdit déjà depuis février les petites culottes en dentelle synthétique au nom de l’hygiène féminine.

Encore des trucs qu’il faudrait vérifier, mais bon… J’imagine que c’est un prétexte pour une mesure de rétorsion commerciale aux sanctions, à cause de l’OMC. Mais tant qu’on peut se moquer…

Payer pour l’annexion de la Crimée

Le patriarche Kirill, à la tête de l’influente Eglise orthodoxe, a estimé que “pendant la crise, nous vaincrons le Mal”, ajoutant que ceux qui repoussaient à cause de la crise leurs envies de construire une famille, devaient au contraire s’y tenir car les Russes ne sont jamais riches.

Hein ? Ils se droguent à l’AFP ?

Pour le site d’informations en ligne Gazeta.ru, il est clair qu’aux yeux du Kremlin, la crise est une responsabilité partagée par tous les citoyens.

Hein ? Mais il ne faut pas avoir son BEPC pour écrie dans nos médias en fait ?

“La question, c’est : est-ce que ceux qui soutenaient avec tant d’enthousiasme le rattachement de la Crimée sont disposés à le payer avec une brusque baisse de leur niveau de vie ?”, demande le site.

Tient un russophone peut il vérifier tout ceci svp ? on dirait un discours du Département d’État américain.

De nombreux Russes semblent se résigner à la crise, comme Tatiana Khrolenko, 75 ans, qui se dit “prête à utiliser de la betterave comme rouge à lèvres“.

Ca c’est quand même de l’info de qualité je trouve…

Nous devons aider Donetsk et Lougansk“, deux républiques séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, explique-t-elle.

Tiens, ça se termine comme ça, sur un élan de solidarité – mais sans commentaire moqueur de l’AFP ?

Notez, que le lecteur doit arriver naturellement à la conclusion “mais kissons cons ces Russes”, non ?

Source : L’Obs avec l’AFP

Et comme l’AFP a bien bossé,

(2 450 sites d’un coup quand même…)

Holland est allé à ses 70 ans :


Et là arrive la deuxième couche – et attention, on est allé chercher “le grand reporter du Nouvel Obs”

Avec Tsipras, Poutine a un nouvel ami en Europe

Le nouveau Premier ministre grec est contre l’Otan et pour l’annexion de la Crimée. Qu’en sera-t-il des sanctions européennes ?

Alexis Tsipras après sa victoire, le 25 janvier 2015. (ARIS MESSINIS/AFP)

Alexis Tsipras après sa victoire, le 25 janvier 2015. (ARIS MESSINIS/AFP)

C’est dérangeant, contre-intuitif. Mais c’est la vérité. Alexis Tsipras est un allié – de fait si ce n’est de cœur – de Poutine. 

Purée, on dirait du Fourest…

Bah oui, c’est dingue qu’avec tout ce bonheur européen, des Grecs puissent avoir envie d’élargir leurs alliances…

Il défend la politique agressive du Kremlin en Ukraine.

Ben voyons…

Il dénonce aussi la présence de néonazis au gouvernement – mais ça, l’Obs préfère ne pas ne parler, c’est gênant…

Après l’annexion de la Crimée, Tsipras est l’un des rares leaders politiques européens, avec Marine Le Pen,

Ma théorie : un journaliste touche une ^prime de 50 € à chaque fois qu’il place Marine Le Pen, dans un billet – c’est pas possible autrement.

C’est qaund même bizarre de vouloir soi-disant la combattre et d’en parler à tout bout de champs, non ?

à s’être rendu, en mai 2014, à Moscou où il a été reçu à haut niveau – notamment par une proche de Poutine, Valentina Matvienko, présidente de la Chambre haute.

Hmmm ? Et alors ?

Selon les médias grecs, il s’est prononcé en faveur de l’annexion de la péninsule et a soutenu les référendums organisés par les séparatistes à l’est de l’Ukraine, scrutins dénoncés par les pays occidentaux.

Ah, c’est sûr qu’un type qui soutient le droit des gens à voter pour décider de leur avenir, c’est insupportable dans l’UE…

L’avancée des pro-russes saluée

Selon le décompte effectué par Radio Liberty, son parti, Syriza, a voté à l’automne dernier contre l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE.

Flute, comme la majorité des Européens non consultés, alors ?

Il s’est abstenu lors du vote d’une résolution condamnant la fermeture de l’ONG de défense des droits de l’homme fondée par Sakharov, Memorial.

Mais d’où sort il ça le gars ?

Pas besoin d’enquêter ou de lui demander pourquoi alors ? (pas le temps d’enquêter, si quelqu’un a envie en commentaire, je suis sur que c’est drôle si on creuse…)

Le parole-parole de son parti en charge des relations internationales, Costas Isychos, a même vanté les “impressionnantes contre-attaques” des séparatistes pro-russes à l’automne dernier.

Ben faut dire qu’ils sont chez eux les pro-russes aussi… Et donc attaqués, par des milices, dont une proportion contient des néonazies qu’ELLE affectionne…

Enfin, orthodoxie oblige, son allié souverainiste est lui aussi un soutien indéfectible de Moscou.

Et logique oblige, non ?

Ce n’est pas tout. Comme Marine Le Pen,

Bingo, 100 € ! Quel artiste cet éditocrate…

il souhaite que son pays quitte l’Otan. C’est inscrit noir sur blanc dans la plateforme de son parti rédigée en 2013.

Et alors, c’est la MAAAAAL ? Otan qui aurait du être dissout avec le Pacte de Varsovie en toute logique, mais bon…

Le Kremlin ne peut rêver mieux.

Oui, je pense qu’il téléguide Syzira… Tous les Russes sont communistes, non ?

Quid des sanctions de l’UE ?

Tsipras va-t-il pour autant tenter d’infléchir la politique russe de l’Union européenne qui doit être acceptée par chacun des 28 Etats membres ? Va-t-il détruire l’arsenal de sanctions adopté l’an dernier après l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’Ukraine de l’est ?

On le saura très vite. Le 12 février, les ministres des Affaires étrangères de l’UE doivent se réunir pour discuter de nouvelles mesures contre la Russie après l’avancée meurtrière des séparatistes vers Marioupol. Et puis en mars, l’interdiction de visas et le gel des avoirs concernant des dizaines d’Ukrainiens et Russes adoptés il y a un an arrivent à échéance et doivent être renouvelés, à l’unanimité.

Il n’est pas du tout sûr que Tsipras souhaite risquer un affrontement avec les grands pays de l’UE et la Commission sur ce sujet alors qu’il va tenter de renégocier la dette de son pays.

Il aura d’autant moins à cœur de défendre l’allié russe que celui-ci n’est plus en mesure de l’aider financièrement

Le lien renvoie sur l’article précédent, sur les Russes qui auraient faim, bientôt réduits au cannibalisme à cause de Poutine…

C’est là qu’on voit toute l’ignominie du chien de garde : Tsipras n’agirait que pour l’argent russe, bien sur. Car la politique, c’est forcément ça pour un chien de garde, cela ne peut pas être une conviction, des valeurs, une stratégie etc. C’est du pognon, du flouze, de l’oseille…

Comme pour un journaliste ?

Source : Vincent Jauvert, pour l’Obs

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130 000 000…

 

Source: http://www.les-crises.fr/le-kremlin-conseille-de-manger-moins/


La Grèce peut forcer l’Europe à changer, par Yannis Varoufakis

Wednesday 28 January 2015 at 02:15

Yannis Varoufakis (qui est un espèce de Lordon grec, en un peu plus mou :) ) a été nommé nouveau ministre des finances – en charge de la dette.

Cela va devenir très intéressant…

Propos recueillis par Romaric Godin, à Athènes – 20/01/2015

Dans cette interview accordée à “La Tribune” le 20 janvier dernier (à une semaine des élections), Yanis Varoufakis, qui vient d’être nommé, ce mardi, ministre des Finances du gouvernement Tsipras, explique son engagement et le sens qu’aurait pour l’Europe une victoire du parti dirigé par Alexis Tsipras.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager en politique avec Syriza ?

Pendant très longtemps, je n’étais pas proche de Syriza. J’ai conseillé, avant qu’il ne devienne Premier ministre en 2009, George Papandréou. Mais, lorsqu’en juin 2010, j’ai commencé à écrire que, contrairement à ce qu’affirmaient les politiques grecs, la Grèce était en faillite et qu’il fallait accepter ce fait, plusieurs hommes politiques de tous horizons m’ont contacté, y compris Alexis Tsipras. Progressivement, nos positions se sont rapprochées au fil des années. Je n’avais jamais eu l’intention d’entrer en politique, mais lorsque vous avez établi, en tant qu’économiste, un ensemble de recommandations pour votre pays, et qu’un dirigeant politique vous propose de les mettre en œuvre, il est difficile de refuser.

Si Syriza gagne, pensez-vous mettre réellement en œuvre ces recommandations ?

Non, la seule certitude que l’on a en Grèce, c’est l’incertitude. Mais, si vous avez une chance de pouvoir le faire, vous devez la saisir.

Comment comprenez-vous les pressions de la Troïka sur votre pays en cette période de campagne électorale ?

La Troïka tente de nous asphyxier et de faire pression sur le choix démocratique en nous disant : ou vous suivez nos exigences, ou vous serez jetés en enfer. Ils présentent en réalité leurs propres menaces comme des circonstances exogènes à la situation, alors qu’elles en sont une simple partie. Ils tentent de terroriser les électeurs grecs.

Comment y répondre ?

Pour ma part, j’aime à croire que la meilleure arme que l’on peut opposer à la Troïka est de disposer d’un gouvernement élu avec une bonne majorité. Une fois ce gouvernement élu, il me semble que l’on doit pouvoir s’asseoir à une table pour discuter enfin du règlement définitif de la crise grecque et de mettre en place une nouvelle approche de la part du reste de l’Europe. Car cette crise n’est pas qu’une crise « grecque », c’est aussi une crise européenne. Si la Grèce n’avait pas été dans la zone euro, elle n’en serait pas là. Sans doute serait-elle aussi en difficulté, mais pas à ce point. Si la France se trouve elle-même dans une impasse, en raison de sa dette et de sa situation politique et sociale, elle le doit aussi à l’organisation actuelle de la zone euro.

La crise de 2008 est une crise comparable à celle de 1929 et l’on se souvient que cette dernière crise a libéré des forces qui ont détruit l’Europe. Or, nous n’avons jamais été autorisés à traiter de cette crise comme d’une crise systémique. L’Europe a toujours insisté sur le fait que la crise en Grèce était une crise grecque. Ce n’en est pas une. Nous devons enfin comprendre que si nous voulons une union monétaire, nous devons créer un réseau de solidarités internes. Une victoire de Syriza serait l’occasion de traiter enfin la crise dans sa vraie dimension.

Mais, lors de son élection en 2012, François Hollande voulait aussi changer la zone euro et il disposait aussi de la légitimité démocratique. Cela n’a pas suffi.

En réalité, il n’a jamais essayé. Il s’est contenté de mettre l’accent sur l’aspect « croissance » du pacte de stabilité et de croissance, mais en dehors de ce changement sémantique, il ne s’est rien passé. Mais la situation de la France en 2012 n’est pas celle de la Grèce d’aujourd’hui. La France n’est pas en faillite, nous y sommes et nous n’avons rien à perdre. Si l’Europe et Berlin pensent qu’ils ont le droit moral de nous asphyxier, de nous assassiner, je pense qu’il faut être prêt à les laisser faire.

Comment expliquez-vous la politique européenne de François Hollande ?

Le Parti socialiste français a une lourde responsabilité dans la façon dont la zone euro s’est structurée. Il y a, depuis le début des années 1990, la volonté du PS de capturer la Bundesbank pour permettre à la France d’être riche au-delà de ses propres limites. Cette volonté – qui prend ses racines dans la première proposition d’union monétaire qui date de 1964 – a mené à une « danse de la mort » entre Paris et Francfort et qui a fait du PS le complice de tous les développements de la zone euro. En réalité, la France est en guerre avec l’Allemagne, et cela conduit à une véritable vassalisation de la France, à la création de ce que j’appelle un « Vichy post-moderne. » Et le seul à profiter de cette situation, c’est le Front National… Je crois qu’une victoire de Syriza en Grèce représentera la dernière chance pour François Hollande de changer cette donne.

Quelles seront vos propositions à la troïka ?

Nous demanderons d’abord un délai de 10 à 15 jours pour finaliser notre plan que nous voulons à la fois très détaillé et très complet. Ce plan sera organisé autour de quatre piliers.

Le premier pilier concernera la dette grecque. Nous voulons faire des propositions que même Wolfgang Schäuble [le ministre fédéral allemand des Finances, Ndlr] ne pourra pas refuser. Il n’y aura donc pas de défaut, de coupes franches dans la dette. Nous allons proposer une formule où le remboursement de la dette dépend de l’évolution du PIB nominal. L’idée, ce sera que l’Europe devra être notre partenaire dans la croissance, et ne devra pas plus compter sur notre misère. Le second pilier, ce sera les réformes.

Mais l’Europe et la Troïka prétendent que le gouvernement d’Antonis Samaras est le meilleur garant des « réformes »…

C’est évidemment faux. Antonis Samaras a fait de la chirurgie avec un couteau de boucher. Nous, nous voulons utiliser le laser, pour ne pas tuer le patient. Mais nous voulons évidemment des réformes, nous voulons en finir avec la kleptocratie qui ruine ce pays. Et cela ne signifie pas détruire les emplois et les conditions de travail, ou vendre à vil prix les entreprises nationales.

Et le troisième pilier ?

Il concerne l’investissement. Le problème de l’investissement en Grèce ne peut pas concerner seulement la Grèce. Syriza s’est engagée à maintenir un budget équilibré, nous ne pouvons donc pas attendre de l’Etat grec qu’il résolve ce problème. Il faut donc un plan ambitieux au niveau européen.

Mais Jean-Claude Juncker n’a-t-il pas déjà lancé un tel plan ?

Je ne cesse pas de m’étonner de la stupidité de ce plan. C’est comme donner de l’aspirine à un homme mort. Du reste, l’assouplissement quantitatif (QE) de Mario Draghi n’est pas davantage une bonne idée. Il ne servira sans doute qu’à alimenter des bulles sur les marchés financiers. L’Europe dispose pourtant d’un instrument pour investir, la Banque européenne d’Investissement (BEI) qui est aujourd’hui trop pusillanime dans ses actions, non seulement parce qu’elle craint pour sa notation, mais parce que ses investissements doivent être cofinancés.

Il faut donc libérer la capacité d’action de la BEI pour entamer une vraie « nouvelle donne » pour l’Europe et injecter 6 à 7 % du PIB de la zone euro dans l’économie. Et si Mario Draghi veut racheter de la dette publique, il serait plus utile qu’il rachète sur le marché secondaire des obligations de la BEI. Ce sera bien plus utile que d’acheter de la dette allemande. Les taux de cette dernière seraient ainsi maintenus bas et nous pourrons financer une nouvelle vague d’investissement dont l’Europe – et pas seulement la Grèce – a besoin.

Et le dernier pilier du programme de Syriza ?

Ce sera de gérer enfin la crise humanitaire en Grèce. Mais là encore, je pense qu’il faut réfléchir au niveau européen. Aux Etats-Unis, les bons d’alimentation ont permis de sortir de la pauvreté des centaines de milliers de ménages. Pourquoi ne pas utiliser les bénéfices de l’Eurosystème, le réseau des banques centrales de la zone euro, pour financer de tels bons en Europe ? Cela créerait de la solidité politique en Europe, les gens pourraient constater concrètement les effets positifs de l’appartenance à la zone euro.

On a cependant l’impression que ce type de propositions risquent immanquablement de se heurter à un refus, notamment allemand, puisque, à Berlin, on ne veut pas d’une union des transferts…

Je ne suis pas d’accord. Quoi que fasse ou dise l’Allemagne, elle paie, de toute façon. Et dès 2010, j’ai considéré que nous n’avions pas, nous autres Grecs, le droit moral d’accepter de l’argent des contribuables allemands, pour payer nos créanciers. En réalité, cet argent va dans un trou noir et, ce que nous leur demandons, c’est qu’ils dépensent leur argent plus intelligemment. Pourquoi demander à la Grèce d’emprunter l’argent des contribuables allemands pour rembourser la BCE ? Parce que Jean-Claude Trichet, le plus mauvais banquier central de l’histoire, l’a décidé jadis ? Faisons plutôt en sorte que la BEI fasse le travail pour lequel elle a été créée.

Précisément, la Grèce devra rembourser 6 milliards d’euros à la BCE en juin. Le fera-t-elle ?

Si nous avons l’argent, évidemment. Sinon, il faudra discuter. Je voudrais néanmoins souligner combien cette idée de devoir rembourser la banque centrale est stupide. C’est une première dans l’histoire et cela n’est jamais arrivé. La question que doit se poser l’Europe est : pourquoi, avec de telles décisions continuer à alimenter des mouvements comme Aube Dorée ou le FN ?

Mais la BCE fait pression sur la Grèce en exigeant un accord avec la Troïka. Pensez-vous qu’elle puisse, en cas de victoire de Syriza, bloquer l’accès des banques grecques à la liquidité ou, du moins, menacer de le faire comme dans le cas irlandais ?

On peut voir l’attitude de la BCE sous deux aspects. Le premier : la BCE fait pression sur la Grèce. Le second : elle fait pression sur la troïka. Ce qu’elle veut, c’est un accord. Nous aussi. Alors, faisons en sorte qu’il y en ait un. Quant au cas irlandais, je voudrais souligner que la situation est très différente. Si l’Irlande a accepté la Troïka, c’est parce que le gouvernement irlandais d’alors n’a pas tenté de résister. Il sera jugé négativement pour cela par l’histoire. Mais dans ce cas, Jean-Claude Trichet a complètement outrepassé son mandat en forçant l’Irlande à transformer de la dette privée en dette publique. Il brûlera en enfer pour cela ou, au moins, il devrait être jugé devant un tribunal européen… Un gouvernement Syriza ne se comportera pas comme le gouvernement irlandais d’alors.

Mais si aucun accord n’est possible, ni trouvé ?

Alors, je le dis clairement : « la mort est préférable. » Le vrai déficit de la Grèce, c’est un déficit de dignité. C’est à cause de ce manque de dignité que nous avons accepté des mesures stupides et cela a alimenté un cercle vicieux de l’indignité qui, elle-même, entretient le mécontentement, la peur et le ressentiment. Tout ceci n’est pas bien. Nous devons retrouver notre dignité, l’esprit qui, le 28 octobre 1940 nous a fait dire « non » à l’ultimatum de l’Italie mussolinienne. A ce moment, nous n’avions pas non plus les moyens de dire « non » et pourtant, nous l’avons fait. (ndlr : le 28 octobre 1940, le dictateur grec Metaxas avait refusé par un « non » devenu légendaire de se soumettre à l’ultimatum italien. Dans la guerre qui a suivi, les Grecs ont repoussé l’armée italienne). Il faut retrouver l’esprit du 28 octobre.

Qu’entendez-vous par « la mort » ? La sortie de la zone euro ?

Le terme de « mort » était allégorique. Et comme toute allégorie, moins on l’explique et mieux on le comprend. Quant à la sortie de la zone euro, je veux insister sur le fait que nous avons le droit de rester dans la zone euro. Nul ne peut nous le contester.

Dans votre ouvrage Le Minotaure Planétaire*, vous indiquez que la crise de 2008 signale la fin d’une époque pour l’économie mondiale, celle où le double déficit américain alimentait les excédents germano-chinois et la croissance financière. Quelle nouvelle époque est-elle en train de naître et quel rôle la victoire de Syriza peut jouer dans cette nouvelle ère ?

Je ne sais pas à quoi va ressembler l’économie mondiale dans l’avenir. Mais il est certain que ce que j’ai appelé le « Minotaure » est en train de mourir. La croissance américaine actuelle ne peut cacher deux réalités : les emplois créés sont souvent des emplois précaires et le recyclage des excédents créés par les déficits américains à Wall Street n’est plus possible. Pour moi, l’élément décisif sera la naissance de nouvelles Lumières. La Grèce peut être une petite lueur d’opportunité. Nous ne sommes pas assez grand pour changer le monde, mais nous pouvons forcer l’Europe à changer.

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(*) Le Minotaure planétaire – L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, par Yanis Varoufakis, Editions Enquêtes et Perspectives (2014), 384 pages.

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POUR ALLER PLUS LOIN

Repères

Agé de 54 ans, Yanis Varoufakis a été formé au Royaume-Uni. Professeur à l’université de Sidney (il a la double nationalité grecque et australienne) jusqu’en 2000, il est ensuite revenu en Grèce où, de 2006 à 2008, il a conseillé George Papandréou, alors leader de l’opposition.

Dès 2010, il s’est opposé au discours dominant en Grèce et a défendu l’idée qu’il fallait assumer la faillite du pays. Auteur d’une “modeste proposition pour régler la crise de l’euro”, notamment saluée par Michel Rocard, il s’est rapproché de Syriza. En cas de victoire du parti d’Alexis Tsipras, on évoque son nom pour diriger les négociations avec la troïka.

Le “Minotaure planétaire”, publiée en 2013 en anglais a été traduit en plusieurs langues. Il commente sur un blog l’actualité économique.

Fiche de lecture

L’ouvrage de Yanis Varoufakis reprend une de ses intuitions, formulés dès le début des 2000 : l’économie mondiale a tourné jusqu’en 2008 autour du “recyclage” des déficits jumeaux américains.

Après l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971, les Etats-Unis ont en effet préféré organiser l’économie mondiale autour de leurs déficits comme ils l’avaient fait auparavant autour de leurs excédents. Ainsi, les économies excédentaires profitaient de ces déficits pour faire des bénéfices qu’elles recyclaient ensuite à Wall Street, assurant ainsi à la croissance américaine. Pour Yanis Varoufakis, la zone euro est devenue une sous-zone de cette logique, centrée sur la capacité de l’Allemagne à faire des excédents.

Cette situation rappelle à l’auteur le mythe du Minotaure, monstre mi-homme, mi-taureau enfermé dans le labyrinthe par son père Minos et qui se nourrissait des otages envoyés chaque année par Athènes, comme le Minotaure américain se repaissait des excédents du reste du monde. Jusqu’à ce que Thésée le mette à mort, métaphore du vieux monde minoéen tombé sous les coups du “nouveau monde” mycénien…

La crise de 2008 est précisément, cette mise à mort du vieux monde. Pour Yanis Varoufakis, c’est l’absence de conscience de ce changement d’ère, la volonté du “vieux monde” de résister qui rend la crise si pénible et si longue, car l’économie mondiale ne peut pas encore mettre à jour le “nouveau monde.”

Yanis Varoufakis, Le Minotaure planétaire – L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, Editions Enquêtes & Perspectives (2014), 384 pages, 23 €.

Source: La tribune

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Sa vision en mars 2014 :

Le “Dr. Doom” grec. C’est par ce surnom -”M. Catastrophe”- que nombre de ses concitoyens connaissent Yanis Varoufakis, ancien conseiller de Georges Papandréou. Mais c’est en critiquant les plans de sauvetage d’Athènes, en 2010 et 2011, qu’il s’est rendu célèbre, s’attirant au passage l’hostilité des cercles dirigeants du pays, au point de devoir s’exiler aux Etats-Unis, en 2011. A quelques jours d’un Conseil européen important (le 20 mars) et à quelques semaines d’élections européennes à haut risque, Varoufakis juge – sévèrement – les politiques menées face à la crise par les institutions du Vieux Continent. Alors que la Grèce préside depuis le 1er janvier l’Union européenne, celui qui enseigne désormais à l’Université du Texas à Austin fait aussi part de son inquiétude pour son pays.

La Commission européenne estime que la Grèce commence à sortir la tête de l’eau. Qu’en pensez-vous?

C’est une absurdité. La Commission met en avant les indicateurs qui l’arrangent. Elle soutient que le taux auquel le pays emprunte a baissé, mais la Grèce n’est pas retournée sur les marchés depuis 2010! Par ailleurs, une grande partie de la dette est désormais détenue par les autres Etats européens. Donc, cela n’a pas vraiment de signification.

De la même manière, on nous explique que la Bourse d’Athènes reprend des couleurs. Mais la plupart des grandes entreprises sont parties s’installer au Luxembourg ou au Royaume-Uni. Il n’y a plus guère que les banques qui soient cotées. Or les hedge funds parient que leur cours va un peu se redres -ser : c’est la seule raison pour laquelle la Bourse remonte !

A quels indicateurs peut-on se fier?

Il faut regarder, en premier lieu, l’investissement. C’est la force qui entraîne l’économie. Il a diminué sans discontinuer depuis quatre ans, y compris au dernier trimestre de 2013. Deuxième indicateur : l’emploi. Le chômage continue à augmenter. Enfin, dernier élément : le crédit, notamment les prêts destinés aux start-up et, plus généralement, aux petites et moyennes entreprises.

Là aussi, on observe une chute. Voilà les vrais indicateurs, et l’histoire qu’ils racontent est très triste. Le plan adopté pour le pays en 2010 a été une énorme erreur de politique économique : on a échangé un sauvetage financier contre une austérité très violente, qui a fait exploser la dette au lieu de la réduire. Il aurait mieux valu laisser le pays faire faillite. La Grèce paie aujourd’hui encore les conséquences de cette décision.

Comment jugez-vous la situation actuelle du pays, sur le plan économique et social?

La Grèce est un Etat exsangue, avec une minorité qui prospère grâce à la corruption, et une majorité qui dépérit. Les véritables décisions sont prises par les commissaires européens. Les seuls biens que nous exportons, ce sont nos jeunes, partis s’installer sous d’autres cieux.

Comment évaluez-vous les risques politiques et sociaux dans le pays?

C’est bien connu : l’Histoire se répète parfois sous forme de tragédie, parfois sous forme de farce. Les premières années de la crise ont été marquées par de nombreux troubles sociaux ; il y en a beaucoup moins maintenant. Les gens rentrent chez eux et lèchent leurs plaies. Ils essaient de joindre les deux bouts, et de mettre de quoi manger sur la table. Pour résumer, les rues sont calmes, mais le mécontentement est fort, et la pauvreté, un cancer qui tue les gens psychologiquement.

De très nombreux ménages sont surendettés. Ce que j’ai pu observer au sein des familles, c’est une forme de dépression au sens clinique du terme, qui s’apparente beaucoup aux états bipolaires. Un jour, les gens sont catatoniques et, le lendemain, ils sont dans une forme d’optimisme bizarre, où ils éprouvent le sentiment totalement irréaliste que tout est possible. Puis la dépression revient. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir de quoi tout cela est le terreau, on l’a déjà expérimenté dans les années 1930, et pas seulement en Allemagne…

Aube dorée, le parti d’extrême droite, ne recueille pourtant qu’une minorité des suffrages…

Aube dorée n’est pas au gouvernement, mais cela ne veut pas dire que ses idées ne sont pas au pouvoir. En 2012, juste avant les élections législatives, le gouvernement socialiste a ordonné que les femmes SDF à Athènes soient soumises sans leur consentement à des tests VIH et que, si elles étaient séropositives, elles soient emprisonnées et que leurs photos soient affichées à l’extérieur des commissariats.

A l’été 2012 encore, des députés du parti au pouvoir [sous le gouvernement conservateur d'Antonis Samaras] ont déposé au Parlement un amendement qui stipule que, pour entrer dans la police ou l’armée grecque, il ne faut pas seulement être citoyen du pays, mais pouvoir prouver que l’on est de sang grec. Si les partis traditionnels font cela, que feront les fascistes ?

Après avoir longtemps été professeur à l’université de Sydney, vous êtes revenu en Grèce en 2000, où vous avez été conseiller économique de Georges Papandréou entre 2004 et 2006. Puis vous avez à nouveau quitté le pays à la fin de 2011. Pourquoi?

Je suis revenu effectivement en Grèce en 2000. Le pays était alors traversé par une vague de xénophobie, et j’avais trouvé que Papandréou, en tant que ministre des Affaires étrangères, y avait bien répondu. C’est pour cela que j’ai accepté de le conseiller. Puis j’ai commencé à avoir des divergences avec lui à propos de son management, mais aussi de la politique économique menée. J’ai démissionné en 2006, et j’ai commencé à alerter sur les risques de crise financière mondiale. J’ai été traité comme l’idiot du village.

Ensuite, la crise a éclaté et a touché la Grèce, en 2009. En tant qu’ancien conseiller de Papandréou, j’étais un des seuls à dire : il ne faut pas accepter le plan de sauvetage, il aura des conséquences catastrophiques; mieux vaut laisser l’Etat faire défaut. Dès lors, j’ai commencé à être considéré en Grèce comme un “agent du mal”, celui qui voulait que le pays fasse faillite. Cela ne s’est pas arrangé l’année suivante, quand j’ai critiqué le second plan de sauvetage, qui alimentait la corruption financière, avec la bénédiction de la troïka [NDLR: Union européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international]. Ma famille a alors commencé à recevoir des menaces, et j’ai décidé de quitter le pays. Voilà pourquoi je vous parle aujourd’hui depuis l’Université du Texas, à Austin.

Au-delà de la Grèce, que pensez-vous de la situation de la zone euro? Bruxelles estime là encore que la situation s’améliore, tandis que certains experts s’alarment du risque de déflation…

Notre premier devoir, c’est de conceptualiser les problèmes que nous rencontrons. Prenez, par exemple, le changement climatique. Vous observez des inondations en Australie, un dégel en Sibérie, des ouragans à New York ou à La Nouvelle-Orléans. Si vous considérez ces phénomènes séparément, vous n’avez aucune chance de résoudre le problème. C’est pourtant ce que l’on a fait avec la zone euro, alors que la pauvreté en Grèce, le chômage en Espagne, les minijobs en Allemagne, le déficit de compétitivité de la France sont tous liés aux dysfonctionnements de l’architecture de la zone euro. On a voulu résoudre ces difficultés par des politiques d’austérité généralisées, avec le succès que l’on sait.

Le risque de déflation est-il réel?

La spirale déflationniste est d’ores et déjà enclenchée. Les prix manufacturiers ont commencé à chuter dans certains secteurs. L’Allemagne vient d’annoncer que les salaires réels avaient baissé en 2013. Si les salaires diminuent en Allemagne, que va-t-il se passer en France ou en

Espagne? Il faut rappeler que cette stratégie de déflation salariale a été mise en oeuvre sciemment par la Commission pour remédier à la crise. Dans sa grande sagesse, elle a récem -ment demandé au Portugal de baisser encore les rému -nérations ! Mais je ne blâme pas les autorités politiques : si l’on considère que l’architecture de la zone euro est sacrosainte, alors la BCE ne peut pas monétiser la dette, elle ne peut pas non plus jouer les inter médiaires entre les établissements financiers et les Etats… Elle ne peut rien faire!

Vous proposez justement dans un ouvrage récent (1) plusieurs mesures pour résoudre ces problèmes sans modifier les traités…

Nous proposons en premier lieu que la BCE puisse émettre elle-même des obligations pour le compte des Etats, ce qui permettrait de faire baisser les taux d’intérêt auxquels ils empruntent. Deuxièmement, il faudrait autoriser la BCE à recapitaliser directement les banques en difficulté via le Mécanisme européen de stabilité. Cette faculté romprait le lien entre les banques et les Etats dont elles sont originaires.

Troisièmement, la BCE pourrait s’associer à la Banque européenne d’investissement (BEI) pour lancer un grand programme d’investissement dans les infrastructures. Enfin, il faudrait prendre des mesures sociales en faveur des citoyens européens les plus fragiles. Toutes ces dispositions permettraient de résoudre la crise, et peuvent être entreprises dans le cadre institutionnel actuel, sans modifier les traités.

On parle beaucoup du retour de la croissance aux Etats-Unis. Réalité ou story-telling?

Les Américains ont réussi une chose que les Européens ne sont pas parvenus à faire : stabiliser leur économie. La crise leur a beaucoup coûté en termes d’activité, mais ils ont réussi à atterrir en douceur. Comment? Grâce à leur système fédéral, ils n’ont pas, contrairement à nous, à gérer un hiatus entre des politiques économiques, qui demeurent nationales, et un système monétaire qui fonctionne au niveau fédéral. En outre, la politique active de la Fed a permis de sauver les établissements financiers et de remettre l’économie à flot en injectant massivement des liquidités.

L’exploitation des gaz de schiste leur a aussi permis de regagner en compétitivité. Les Etats-Unis, enfin, conservent une formidable capacité d’attirer les talents étrangers. Malgré tout cela, ce pays demeure dans une “stagnation séculaire”, ainsi que l’a décrit Larry Summers, l’ancien secré taire au Trésor. Il a en partie perdu le rôle, qui était le sien avant la crise, de capter les excédents des pays exportateurs : Chine, Japon et une partie de l’Europe – l’Allemagne principalement.

En échange, ces pays trouvaient des débouchés auprès du consommateur américain. Ce cercle donnait le sentiment d’une certaine solidité de l’économie mondiale, ce que l’on a appelé la “Grande Modération”. Mais la crise a cassé cette mécanique, sans que rien de stable ne s’y substitue vraiment.

Certains économistes craignent l’explosion de bulles financières en Chine. Est-ce aussi votre cas?

Oui, j’ai très peur de cette éventualité. J’ai beaucoup de respect pour les autorités chinoises, qui, au moins, reconnaissent les problèmes auxquels elles sont confrontées. Afin d’éviter un atterrissage brutal de l’économie, Pékin a essayé de maintenir la cohésion du pays par des investissements publics, dans les infrastructures en particulier, mais en gonflant des bulles d’actifs. Et, à présent, il existe un grand risque que ces bulles explosent. Voilà pourquoi le gouvernement tente de limiter les dégâts en sortant progressivement des liquidités du marché. En définitive, on voit bien que l’économie mondiale hésite entre deux voies : soit un ralentissement graduel, soit une nouvelle secousse brutale. Tout cela confirme ma grande peur : la crise de 2008 n’a pas disparu, elle a simplement changé de nature.

Yanis Varoufakis en 6 dates :

1961 Naissance à Athènes. 1987 Doctorat d’économie de l’université d’Essex (Royaume-Uni). 1988 Maître de conférences en économie à l’université de Sydney. 2000 Professeur d’économie à l’université d’Athènes. 2004-2006 Conseiller économique de Georges Papandréou. Depuis 2013 Professeur d’économie à l’Université du Texas à Austin.

(1) Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro, par James Galbraith, Yanis Varoufakis et Stuart Holland. Ed. Les Petits Matins, 80p., 5€.

Source

Source: http://www.les-crises.fr/la-grece-peut-forcer-leurope-a-changer-par-yannis-varoufakis/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 28 January 2015 at 01:21

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Si seulement la Grèce sortait de la zone euro! – 26/01

Olivier Delamarche VS Marc Riez (1/2): La BCE peut-elle alléger la dette grecque ?- 26/01

Olivier Delamarche VS Marc Riez (2/2): Les retombées du QE de la BCE seront-elles positives ? – 26/01

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Un QE pourquoi faire ? – 22/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (1/2): Le QE de la BCE sera-t-il efficace ? – 21/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (2/2): Que doit-on retenir du discours d’Obama sur l’état de l’Union ? – 21/01

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 23/01

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : Syriza, un risque de contagion de l’Italie et l’Espagne! – 27/01

Jacques Sapir VS Laurent Berrebi (1/2): Quelles modalités pour la renégociation de la dette publique grecque ? – 27/01

Jacques Sapir VS Laurent Berrebi (2/2): La BCE perd-elle le contrôle de sa devise ? – 27/01


 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-28-01-2015/


“Surveiller tout comportement suspect”, par Jacques Attali

Wednesday 28 January 2015 at 00:01

La BCE et le terrrorisme

Le 19 janvier 2015  | par Jacques Attali

A priori, rien ne relie les tragiques événements que nous vivons en Europe, (depuis l’arrivée massive et incontrôlée en Italie de migrants fuyant la folie terroriste au Moyen-Orient, pour la retrouver dans les rues de Paris et Bruxelles, après Toulouse), avec la décision que la Banque Centrale Européenne annoncera jeudi 22 janvier après-midi, rachetant pour la première fois, sur les marchés, des bons du trésor des pays membres de la zone euro.

Cette décision apparemment purement technique, qui vise à relancer la croissance et l’inflation européenne est très bienvenue ; elle donne à l’Europe un formidable ballon d’oxygène. Mais elle n’aura pas d’effet durable si les États européens ne prennent pas le relais en réformant leurs économies, pour s’adapter à la modernité d’une façon socialement juste, et en finançant des projets communs par des bons du trésor communs, des euros bonds.

Seulement il n’existe pour cela aucune structure : à la différence des États-Unis, par exemple, qui ont un Trésorerie et des bons du trésor, il n’y a ni budget de la zone euro, ni administration d’un trésor européen et donc pas d’euro bonds.

C’est le moment de se souvenir de la façon dont sont nés les bons du Trésor américains : De fait, les États-Unis sont vraiment nés en tant que nation, non pas 4 juillet 1776 avec la déclaration d’indépendance, ni même le 17 septembre 1787 avec l’adoption de la constitution, mais quand, à la suite d’un dîner mémorable, à New York, le 20 juin 1790 entre Hamilton, Madison et Jefferson, le président Washington lança la première émission de bons du trésor, pour financer en urgence l’achat d’armes et l’équipement des troupes face au retour des troupes britanniques, encouragés par le départ des troupes françaises, rappelées par la révolution française.

C’est la menace qui créa les États-Unis d’Amérique. C’est elle qui peut aussi créer l’Europe politique.

Aujourd’hui, en Europe, les gouvernements n’arrivent pas à se mettre d’accord sur des projets à financer en commun ni à en trouver le financement, comme le montre le plan Juncker. Et pourtant ils existent : les plus urgents, ceux qui s’imposeraient le plus aujourd’hui, portent sur les moyens de sécurité, de surveillance, et de défense. Comme aux États-Unis, leur financement est urgent et sera populaire : comme toujours, c’est la défense qui crée l’urgence.

Aussi, au moment où l’internet des objets va permettre de tout savoir des comportements de chacun, pour nous aider à nous repérer, nous soigner, nous distraire, choisir un restaurant ou un magasin, il serait parfaitement possible de disposer de moyens technologiques pour surveiller tout comportement suspect, sans pour autant avoir à déployer des moyens démesurés de surveillance physique, et dans le respect des libertés publiques et de la vie privée des honnêtes gens. Pour y parvenir, il faudrait déployer des réseaux, des logiciels et des outils dont nos services de police et nos armées ne disposent pas pour l’instant, alors qu’ils existent dans d’autres pays menacés par le terrorisme.

C’est ensemble que les Européens doivent concerter leurs défenses et organiser leur sécurité, avec les moyens les plus modernes. Et en particulier les pays en première ligne : France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays bas. Qui se trouvent être, justement les premiers pays signataires du traité de Rome.

Il suffirait pour cela que, sans attendre que d’autres drames les y contraignent, les dirigeants de ces pays aient le même courage, la même lucidité, la même capacité d’anticipation, face à une menace, que Jefferson, Madison, Hamilton, et Washington.

Et si ces dirigeants, en particulier en France et en Allemagne n’ont ni ce courage, ni cette imagination, ni cette audace, il faudra en changer.

Source : blog L’Express

Source: http://www.les-crises.fr/surveiller-tout-comportement-suspect/