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Très bonne année 2015 !

Thursday 1 January 2015 at 00:01

Je souhaitais – sans grande originalité mais avec sincérité – vous souhaiter simplement aujourd’hui une excellente année 2015, pour vous et pour vos proches !

Et pour cela, j’espère que nous ne connaitrons ni crack financiaro-économique, ni conflits !

Merci encore pour votre confiance et votre fidélité !

Olivier Berruyer

 

Source: http://www.les-crises.fr/tres-bonne-annee-2015/


Quand ELLE fait de la pub pour les néonazi(e)s… (ELLE 1/3)

Wednesday 31 December 2014 at 02:11

Ils sont mignons chez ELLE : ils ont voulu faire de la géopolitique (bien sentimentale, bien entendu).

Alors le 14 novembre, zou, reportage sur les combattantes en Ukraine :

franc

Bon, déjà j’adore le sous-titre : “à la guerre contre les séparatistes russes, les Ukrainiennes sont sur tous les fronts“.

Enfin, c’est quand même énorme :

Cela aurait été bien de parler d’elle par exemple, comme on l’a fait cet été (sans même parler du scoop dont elle parle 1 mois avant l’attaque du MH-17) :
foll

Cela aurait montré la réalité de la guerre civile, et le drame que cela représente… Mais non, pas de journalisme de qualité dans ce pays…

Alors voici la suite :

C’est mignon…

Enfin bon, sauf que le web Russe a reconnu cette Vita : il s’agit de Vita Zaverukha, qui a un joli FaceBook :

C’est bien la même :

(drapeau conféré US en arrière plan, symbole raciste)

On rigole bien entre amis :

Elle publie des trucs sympas :

Ah, l’amour…

“L’Ukraine sans les Juifs”… Ça ne gêne pas trop BHL apparemment ce genre de combattante de la liberté…

Autre déclaration sympa sur sa page :

« La trêve ne fait que compliquer et prolonger la guerre. J’aime mon pays. Mais je me suis mise à détester les gens qui y vivent. Qu’on fasse le génocide de la population russe ! […] Je fais la propagande du nazisme, de la terreur et du génocide. En même temps, je ne suis pas quelqu’un de mauvais. Tout se justifie par « La guerre au nom de la paix ». Si je partais avant de terminer l’affaire, uniquement dans ce cas mes actions ne pourront pas être justifiées. On ne juge pas les vainqueurs. »

Un de ses followers :

Bon, du coup ELLE a avoué le 29/12 (bien obligé…) :

“Suite à la publication le 14 novembre dernier dans notre magazine d’un reportage intitulé « Les femmes ukrainiennes s’engagent », traitant du rôle de femmes au parcours très divers dans le conflit à l’est de l’Ukraine, nous avons appris, fin décembre, qu’une des jeunes femmes, interviewée et photographiée, était une activiste d’extrême-droite, diffusant sur les réseaux sociaux des photographies faisant l’apologie du néo-nazisme.

Lors du reportage, la jeune femme incriminée, combattante du Bataillon Aidar, rencontrée le 2 octobre dernier, sur la ligne de front près de la ville de Lougansk, aucun élément, aucun signe extérieur distinctif, aucune parole dans l’interview, ne laissait comprendre ce jour-là que cette jeune femme était néo-nazie.

En effet, le reportage s’est partiellement déroulé auprès d’une unité du Bataillon Aidar, une formation paramilitaire nationaliste d’environ 600 membres, rattachée au ministère de la Défense ukrainien, qui comprend dans ses rangs des combattants d’origine et d’obédience politique très diverses.

La rédaction de ELLE ainsi que les deux journalistes ayant réalisé le reportage, ont été choqués d’apprendre, à posteriori, le véritable profil idéologique de cette jeune femme, et condamnent bien entendu toute idéologie prônant la xénophobie, l’antisémitisme ou l’apologie du nazisme

La Rédaction”

 Seule RTL a relayé ceci lundi…

Alors, euh, “aucun élément” ?
  1. Je rappelle qu’en Ukraine, on a une région qui s’est “autonomisée”, mais qui ne menace en rien le reste du pays. C’est évidement déplaisant, et de nombreux Ukrainiens n’approuvent pas ceci, mais de là à aller se battre sur le terrain en risquant sa vie, il y a quand même un sacré pas à franchir !!! Et quand on le franchit, on est quand même plus proche de l’extrême droite que de Jean Jaurès me semble-t-il… Surtout que ces bataillons sont réputés pour être du coup des repaires d’extrémistes (cf l’affaire ZDF qui, 1 mois avant le reportage, avait entrainé beaucoup de soucis en raison des images de nazis dans le bataillon Azov)
  2. La fille dit juste : ”La guerre [...] se terminera quand les Russes auront quitté l’Ukraine”. Je rappelle qu’il y a 30 % d’Ukrainiens “russes ethniques” dans cette région et qu’ils sont chez eux. Si elle avait dit La guerre [...] se terminera quand les Juifs auront quitté l’Ukraine”, on l’aurait classée comment ?
  3. Elle dit juste “J’espère bien” avoir tué de nombreuses personnes : une Humaniste !
Chapeau les artistes !

Allez, à suivre en 2015 !

EDIT : finalement, à suivre en effet dans ce billet (à paraitre)

Source: http://www.les-crises.fr/quand-elle-fait-de-la-pub-pour-les-neonazies/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir)

Wednesday 31 December 2014 at 00:10

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: 1% de croissance, on y arrivera avec la drogue et la prostitution…

Olivier Delamarche: Marchés financiers: Quel bilan pour 2014 ? – 29/12

II. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : “Les propos de Valls à la presse espagnole sont choquants”

Jacques Sapir: Grèce :Les élections anticipées sont-elles une source d’inquiétude pour l’Europe ?


 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-31-12-2014/


Avec l’Europe, les socialistes ont créé les conditions d’impossibilité de leur propre politique, par Jean Bricmont

Tuesday 30 December 2014 at 01:58

Suite de l’excellente conférence de 2010 de Jean Bricmont, commencée ici.

Deuxième partie du compte rendu de la conférence de Jean Bricmont à Montpellier avec les questions-réponses et en particulier un débat autour de la décroissance, de la démographie, de la technologie, etc. Autres points abordés : les anarchistes, le Parti de gauche, la souveraineté versus le nationalisme, la socialisation des moyens de production, « la gauche morale », le déclin intellectuel de l’occident, etc.

Jean Bricmont le 8 avril 2010 à Montpellier (photo : Mj)

Les questions sont parfois synthétisées ou réduites à un mot ou une expression, et certaines parties des réponses non essentielles pour le discours remplacées par des [...].
Pour écouter l’intégralité de cette partie (1h13′) : télécharger le fichier

Question(s) : selon Jean-Claude Michéa, même si on cherche à séparer libéralisme idéologique et économique, c’est une impasse parce que l’un ne peut aller sans l’autre. [...] Les décroissants disent que la société occidentale a pu devenir ce qu’elle est devenue parce qu’elle avait plusieurs mondes à sa merci mais que si tout le monde se met à avoir le monde pour soi, on n’a pas assez de planètes. Je crois qu’on ne s’en sortira pas tant qu’on continuera, et je suis d’accord avec Michéa là-dessus, à défendre le libéralisme quel qu’il soit.

Jean Bricmont :[…] C’est compliqué de dire que je ne suis pas d’accord avec Michéa parce qu’il y y a des  choses avec lesquelles je suis d’accord. Mais je pense que certaines de ses idées font partie d’une tendance à avoir des réactions antilibérales et anti-soixantehuitardes, qui remontent à la racine du problème qui serait le libéralisme classique, la mise au centre de l’individu, du sujet libre et pensant. Et c’est une dérive de la liberté individuelle et je pense que c’est une erreur.  Je ne suis pas d’accord avec le lien du libéralisme dans ce sens-là [idéologique] avec le libéralisme économique. Je peux très bien avoir une vie individuelle, personnelle, sexuelle, une pensée libre c’est-à-dire non soumise à l’État ou à l’église et travailler dans un collectif autogéré ou peut-être comme fonctionnaire dans d’autres marchés libres. Je ne vois pas le lien logique entre les deux. Il y a eu un lien historique mais je trouve que c’est la grande qualité de Marx et des autres socialistes du XIXe d’avoir découpé le lien logique.

Ce que dit Michéa est le négatif de ce que les libéraux disent. Les libéraux disent : si vous acceptez le libéralisme politique (parce que vous n’acceptez pas la dictature, Staline ou la monarchie absolue), vous devez accepter le libéralisme économique. Michéa et les autres disent que, oui, les deux sont liés et comme on ne veut pas acceptez le libéralisme économique, on doit aussi rejeter le libéralisme politique. Et je ne suis pas d’accord : je défends la liberté d’expression, le droit de chacun de vivre sa vie comme il l’entend, etc. [...]

Les autres pays ont à leur disposition des technologies que nous n’avions pas au XIXe siècle

Pour l’histoire de la décroissance, je pense que les gens de gauche font souvent l’erreur de sous-estimer la possibilité de nouvelles technologies, de progrès technologiques. [...] Sur ma droite, il y a des gens qui ont le discours traditionnel qu’on a apporté la civilisation aux colonies, que ça nous a coûté de l’argent, qu’on a été gentil, etc., et sur ma gauche, des gens qui disent que l’Europe n’est que le produit du pillage colonial, comme s’il n’y avait pas eu de progrès scientifique en Europe, comme s’il n’y avait pas eu une exploitation éhontée de la classe ouvrière européenne en Europe, comme s’il n’y avait pas eu de développement économique endogène. J’ai donné la métaphore de l’île pour seulement suggérer un hinterland, et qu’on dépend de cet hinterland mais je ne veux pas prendre de position extrême par rapport au rôle de cet arrière monde. Je ne sais pas évaluer exactement l’impact mais je ne suis pas convaincu du tout par l’argument : « Parce que nous nous sommes développés comme ça, les autres pays ne peuvent pas se développer. » Parce que les autres pays ont à leur disposition des technologies que nous n’avions pas au XIXe siècle. [...]

Il est très possible que le développement de la Chine, de l’Inde ou d’autres pays se fassent d’une autre façon, d’une façon moins brutale et moins impérialiste. [...] Je ne suis pas convaincu que, d’ici 10-20 ans, on ne maîtrisera pas l’énergie solaire. Si on la maîtrise, on a une source d’énergie bon marché et pratiquement illimitée. Dans ce cas, ça change beaucoup le problème du besoin de plusieurs planètes. Donc je ne suis pas d’accord avec les décroissantistes parce qu’ils partent d’une crise absolument pessimiste. De plus, leur programme est totalement irréaliste. Mais enfin, ils pourraient avoir raison mais je ne suis pas adepte du catastrophisme. [...]

Questions : Les reliquats [de la gauche classique] peut-être un peu jaunis ne seraient-ils pas les gens qui sont à la Coordination des groupes anarchistes ou Alternative libertaire ? [...] L’énergie versus les autres problèmes environnementaux. [...] Déconstruire notre désaccoutumance à la croissance.

Si tout saute, je pense que ce sera le fascisme

JB : [...] Je le connais mal, mais vu de l’extérieur (je ne vis pas en France), le parti de gauche ou Die Linke en Allemagne, me semblent être le véritable renouveau d’une sorte de sociale-démocratie en Europe. Ce ne sont pas des gens comme les socialistes donc j’ai plutôt de la sympathie pour le Parti de gauche. J’ai aussi des sympathies libertaires mais ma façon de comprendre l’anarchisme n’est pas contradictoire avec une certaine social-démocratie radicale. Je crois que c’est aussi le cas chez Chomsky, c’était le cas chez Russell aussi. L’alternative chez les anarchistes c’est toujours le problème de la révolution, du Grand soir. C’est-à-dire qu’on attend le moment où tout va sauter et puis on va créer un monde nouveau. Et ça, je n’y crois pas. Si tout saute, je pense que ce sera un truc horrible de droite. Quand des révolutions ont été couronnées de succès, ça a toujours débouché sur des dictatures, donc je n’ai pas le fantasme de la révolution. Un gros problème des anarchistes c’est de ne pas être à la fois anarchistes dans un idéal, comme disait Russel, vers lequel la société doit tendre tout en acceptant de faire des réformes. C’est quelque chose qui leur paraît totalement absurde mais qui me paraît naturel. Je ne connais pas les groupes anarchistes dont vous parlez et je ne vais pas me prononcer. Mais je pensais à un sujet de masse. Je parlais des grandes masses ouvrières : il n’y en a plus. Et on a  cette division sur une base religieuse, où certains anarchistes jouent un rôle très discutable avec des attaques insensées sur l’islam. C’est la mauvaise façon d’aborder le problème.

Le libertarisme vient des États-Unis et ce sont des gens qui n’ont pas bougé d’un pouce depuis l’idéologie libérale du 18ème siècle. Ils n’ont rien compris à la grande entreprise, au socialisme et c’est assez fort aux États-Unis. C’est une posture théorique totalement inapplicable dans le monde actuel, qui détruirait tout l’État, beaucoup plus que ce que les libéraux type Thatcher ou Reagan ont fait. Il n’y aurait ni armée, ni police ; les routes, les écoles, tout, seraient privés. J’ai de la sympathie pour un certain libertarisme américain car avec lui  il n’y a plus de base américaine à l’étranger, plus de guerre, d’intervention, de CIA… Mais ce sont des utopistes qui veulent retourner, non au socialisme du 19ème comme moi, mais au libéralisme du 18ème siècle. [...]

Au XXe siècle, on a accompli un progrès humain inouï : la lutte contre la mortalité infantile

Je rencontre souvent dans les débats, par exemple ceux des Amis du Monde diplomatique, une très forte hostilité à la techno science, etc. que je ne partage absolument pas. Au XXe siècle, on a accompli un progrès humain inouï : la lutte contre la mortalité infantile, par l’hygiène, la vaccination et l’intensification de l’agriculture. […] Si l’explosion démographique a eu lieu à partir des années 1940, c’est en raison de cela. Il y en a encore beaucoup parce qu’avec l’explosion démographique, il y a beaucoup de pauvres. Et je suis tout à fait en désaccord avec le fait de critiquer le capitalisme, l’impérialisme, le communisme, n’importe quel système économique, uniquement parce qu’il y a beaucoup de pauvres. Parce qu’entre le moment où vous avez des gens qui meurent en grand nombre et qui ne vivent pas et où vous avez des gens qui vivent bien, vous avez une période intermédiaire où il y a beaucoup de gens qui vivent mal. [...]

Peut-être ne fallait-il pas lutter contre la mortalité infantile mais l’explosion démographique a eu lieu et c’est un résultat de la technologie. Et c’est un résultat globalement positif. Qui plus est, en cinquante ans – qui est une petite fraction de seconde à l’échelle de l’histoire humaine – on a trouvé le remède à ça : le contrôle artificiel des naissances par la contraception, l’avortement, etc. [...] Ce sont deux crises majeures de l’humanité qu’on a résolu au XXe siècle et ça me rend optimiste. Évidemment, ça a des contreparties. Souvent, j’ai l’impression quand j’écoute les décroissantistes que si on éliminait 4 milliards d’êtres humains – et ça, c’est eux et pas les capitalistes qui pensent à ça – ils n’y verraient aucun inconvénient parce que ce serait bon pour la terre, on pourrait vivre plus écologiquement, etc. Mais on vit avec ces gens, ils sont là, on ne peut pas les supprimer. Que va-t-on faire pour assurer une vie minimalement décente ? Je ne vois pas de solution non technologique à ça.

Questions : S’il y a beaucoup de pauvres, ce n’est pas seulement parce qu’il y a une augmentation démographique, c’est surtout aussi parce qu’il y a une répartition des richesses un petit peu aléatoire.

J’ai l’impression que la décroissance c’est une énième incarnation de la gauche morale

JB : Bien sûr mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’un système économique, quel qu’il soit, s’adapte, en si peu de temps, à une explosion démographique si rapide. [...] Je regrette que les critiques radicaux du système, en particulier les décroissantistes, ne prennent jamais ça en considération et ne disent jamais ce qu’ils vont faire avec tous ces gens. Rien ne nous dit que dans la décroissance, ces gens-là vont vivre mieux. J’ai l’impression que la décroissance c’est une énième incarnation de la gauche morale. On montre du doigt maintenant le prolétariat en disant : « Regardez, ils font leur shopping, etc. » [...] L’écart de revenu en France entre les revenus salariaux et ceux des capitaux. Cet écart, comme dans tous les pays occidentaux, a été augmentant dans les 20 dernières années. Ce qui s’est passé c’est que la gauche morale a fait tous ses discours de gauche morale et pendant ce temps-là les capitalistes se sont cassés avec la caisse. J’ai peur qu’avec la décroissance, ce soit la même chose. On va dire au prolétariat de moins consommer et puis les autres vont consommer plus. Si on me dit, « la décroissance pour les hauts revenus, les capitalistes », Ok. Si on a un moyen de les maîtriser, qu’on commence par eux et puis qu’on discute pour les autres. Il y a dans le discours décroissantiste, un moralisme qui m’irrite exactement comme pour la gauche morale.

Question : L’envers des modes de production, c’est la consommation et son approche démocratique.

JB : J’ai un problème avec le discours sur la surconsommation. Il y a une nette divergence entre les revenus consacrés au travail et ceux consacrés au capital. Alors comment font les gens pour consommer plus alors que leurs salaires stagnent ? Aux États-Unis, c’est à cause de l’emprunt, qui ne résout rien. [...] Ne faudrait-il pas augmenter les salaires ou en tout cas augmenter un certain nombre de services sociaux qui compenseraient la baisse de salaire (logements sociaux, transports en commun moins chers, etc. selon les pays) ? Plutôt que dire simplement augmenter la consommation, j’aurais plutôt tendance à dire augmenter la sécurité, la stabilité de l’emploi, la sécurité de l’existence pour que les gens soient plus rassurés sur leur futur, leur pension, sur ce qui se passe s’ils perdent leur emploi. Et des politiques macro-économiques qui permettent de créer des emplois, des politiques industrielles, qui n’existent pas puisque la commission européenne les empêche. [...] Je ne veux pas spécialement augmenter la consommation mais je ne vois pas comment, dans la situation dans laquelle on a une telle perte des revenus du travail par rapport à ceux des capitaux, la gauche peut proposer une diminution de la consommation aux couches populaires. Il y a quelque chose d’indécent, là, or le discours décroissantiste fait ça exactement comme le discours antiraciste. Je suis pour diminuer la consommation comme je suis pour supprimer le racisme mais je pense qu’il faut le faire de façon réaliste et non pas seulement tenir un discours qui finit par avoir l’effet inverse, de marginalisation du discours de gauche. […] Il faut donner aux gens plus de sécurité d’existence (sécurité de l’emploi, de bonnes écoles, etc.) or ça a été balayé par les réformes néolibérales.

Questions : Les nano-technologies. [...] L’optimisme technocratique était pardonnable du temps de Marx mais je pense qu’après le XXe siècle, il n’est plus de mise [...] On pense à l’avenir mais si on n’a plus de planète sous nos pieds, socialisme ou capitalisme, il n’y aura de toute façon plus rien.

C’est aux forces sociales d’utiliser la technique dans un sens positif

JB : Il faudrait me réinviter pour une autre conférence parce que c’est très long de discuter tout le discours sur la technique. [...] Je reste fondamentalement convaincu qu’un marteau peut servir à enfoncer un clou dans le mur ou à fracasser le crâne de quelqu’un d’autre et que la personne qui décide sont les êtres humains. Je suis convaincu que les structures sociales dans lesquelles on vit font que l’usage de la technique est pervertie mais je reste convaincu que la technique est l’arme principale qui a permis à une partie de l’Humanité de sortir de la misère et qui permettra à l’avenir à l’Humanité de sortir de la misère et c’est aux forces sociales d’utiliser la technique dans un sens positif. [...] Le fait de nous voir comme des esclaves de la technique c’est une façon d’ignorer les forces sociales qui utilisent la technique à leur propre fin. [...] Détourner le discours vers la technique c’est une façon de détourner l’attention du problème fondamental qui reste le capitalisme entendu comme la propriété privée des moyens de production.

Questions : Le mot d’indécence fait référence à des valeurs morales. [...] et vous les condamnez en tant que programme politique [...] Que pensez-vous des pays d’Amérique centrale et latine qui essayent de reconquérir une souveraineté économique et politique vis à vis des Etats-unis ? [...] Quelle est la place du nationalisme dans votre idée de souveraineté ?

Mon idéal politique c’est Allende

JB : Une fois qu’on a certaines idées morales, on essaie de les mettre en pratique par des changements de structure plutôt que par du prêchi-prêcha. Je suis d’accord pour dire que le racisme est dégueulasse, mais je ne pense pas qu’on fait avancer les choses en le répétant ad vitam aeternam, c’est tout. Il n’y a pas de contradiction entre prendre une position morale et le fait de dire que le prêchi-prêcha n’est pas la solution, or le discours de la gauche morale est sans arrêt du prêchi-prêcha. [...] Il faut adapter à l’Europe ce qu’ils font [en Amérique centrale et latine]. Pas imiter mais adapter. Pour moi ce que font Chávez et Morales – peut-être pas aussi bien que lui – c’est revenir à ce qui est pour moi l’idéal politique, mon héros politique : c’est Allende.

Le nationalisme c’est la version émotive de la souveraineté ou, si vous préférez, la souveraineté c’est la version rationnelle du nationalisme. J’essaye de défendre toujours des positions rationalistes. [...] Cependant je suis assez lucide pour me rendre compte que dans l’histoire, la souveraineté a souvent été associée au nationalisme. De Gaulle par exemple était nationaliste, ses discours enflammés faisaient rire en Belgique à l’époque, mais rétrospectivement ce n’est pas un nationalisme agressif qui n’a pas provoqué de guerre contre d’autres. Il a subi la guerre de 1914, celle de 1940, mis fin à la guerre d’Algérie… Il n’est pas un fauteur de guerre par un nationalisme destructeur. Je n’adhère pas à cela : comme la religion, le nationalisme m’irrite. Mais je suis suffisamment réaliste pour me rendre compte qu’on n’aura pas de souveraineté sans une dose minimale de nationalisme dont on peut espérer qu’il ne sera pas agressif. En Amérique latine, Chavez est très nationaliste dans son discours, mais je ne le vois pas envahir les pays voisins, donc c’est un moindre mal […]. Je n’encouragerai jamais le nationalisme ; en tout cas il faut toujours le limiter. En revanche, je ne suis pas d’accord avec la gauche morale qui fait des arnaques comme la construction européenne qui est antidémocratique, au nom de l’antinationalisme et qui fait comme si le maintien de la souveraineté nationale était fasciste, génocidaire, etc.. En 1992, c’est ainsi que ça s’est passé. [...]

Questions : Comment peut-on revenir vers un contrôle des moyens de production ? [...] Quid de la monopolisation des finances ? [...] Toutes les perspectives de gauche, difficiles à définir aujourd’hui, ne dépendent-elle pas de la possibilité de redévelopper un contrôle non seulement sur les moyens de production mais aussi plus largement sur les moyens majeurs que sont le capital financier ? [...]

Par pitié qu’on revienne aux fondamentaux : la lutte des classes, la propriété privée des moyens de production et du capital financier

JB : L’économie effectivement n’est pas seulement capitaliste mais aussi financière. Notre problème, c’est le contrôle de la finance. [...] Non seulement les capitalistes sont partis avec la caisse mais ils nous ont enfermés dans la cave et ils sont partis avec les clés. Ils ont tellement bien ficelé leur truc, qu’on ne sait pas par où commencer. Si tu prends l’Europe, par exemple, c’est vraiment le truc que les socialistes ont construit pour éviter les audaces du programme commun. On pourrait revenir au programme commun après l’échec de Mitterrand, sous une autre forme, mais ils ont verrouillé le truc pour qu’on ne puisse jamais, même dans 1000 ans, revenir à quelque chose comme le programme commun. Ça, c’est l’idée de l’Europe. Ils ont créé les conditions d’impossibilité de leur propre politique. Ça, c’est l’œuvre  des socialistes des années 80-90. Je ne sais pas par où commencer. Mais au moins qu’on en discute ! Mais au moins qu’on remette ça au centre de nos préoccupations ! [...]

Par pitié, il faut qu’on revienne aux fondamentaux : la lutte des classes, la propriété privée des moyens de production et du capital financier. Mais le capital financier est très volatil. Comment faire ? A la limite, on pourrait dire qu’on fait une croix sur le capital financier, et qu’on s’intéresse à l’économie réelle : on refait une monnaie, on sort de l’euro… On pourrait trouver des solutions radicales pour redynamiser le capital réel, industriel à l’opposé du capital financier. Mais on rentre dans des questions où il y a réellement un savoir technique que je ne maîtrise pas, et que peu maîtrise. La plupart des économistes sont à côté de la plaque. Il faudrait des études là-dessus.

Question : Les acquis sociaux sont-ils liés à l’impérialisme ? Est-il possible de les maintenir sans impérialisme ? La question des délocalisations et de notre dépendance plus grande vis à vis du tiers monde qu’on ne contrôle plus contrairement à l’époque de la colonisation. 

JB : […] La métaphore de l’île me paraît claire mais tout le reste est discutable. […] En quoi les États-Unis sont-ils moins impérialistes que nous parce qu’ils n’ont pas de sécurité sociale comme nous ici ? […] Les conquêtes sociale-démocrates ne doivent pas être vues comme uniquement le résultat de l’impérialisme car on aurait pu avoir un capitalisme sans cela et tout aussi impérialiste. C’est un paradoxe mais nous sommes plus dépendants aujourd’hui du Tiers monde qu’on ne l’était à l’époque coloniale, alors qu’on ne le contrôle plus. […] Les capitalistes occidentaux ont tellement délocalisé la production que le niveau de vie des masses n’est maintenu, alors que l’on casse les salaires, qu’en faisant venir des produits bon marché de Chine, vendus à Walt-Mart où les gens sont super exploités. Mais finalement l’ex-ouvrier américain et ses enfants qui ont un petit boulot peuvent aller acheter leurs produits. A l’époque coloniale, les produits coloniaux étaient marginaux, le gros de l’économie était ici. Même dans les années 1950-60, il n’y avait pas cette importation massive de produits bon marché. Le déclin est un problème. Peut-on maintenir les acquis sociaux-démocrates en phase de déclin ? La nouvelle gauche dit justement que ces acquis sont le produit de l’impérialisme donc pas très jolis. [...] Mais les gens tiennent à ça et ils ont raison de tenir à ça ! […] On va peut-être devoir se déconnecter du reste du monde. Si on laisse faire les capitalistes, il y aura une population en trop ici, qui n’aura rien à faire. […] On va devoir inventer quelque chose d’autre si on veut maintenir quelque chose ici.

Question : La globalisation économique. Une oligarchie financière internationale dirige-t-elle tout ?

JB : [...] Il faut toujours donner une certaine importance aux phénomènes nationaux. [...] Je ne suis pas du tout convaincu que les capitalistes américains dictent leurs conditions à la Chine. Ils le font jusqu’à un certain point  mais la Chine se renforce. Il y a des divisions de classes en Chine comme ailleurs mais il y a un projet national, y compris dans la bourgeoisie. La vision de Brzeziński est réductrice, cette vision de toute puissance américaine que [les Américains] ont imaginé et dont ils ont montré l’inexistence dans leurs aventures en Irak et en Afghanistan. On aime citer certains discours américains parce que ça montre combien ils sont « vilains », etc. Mais on ne doit pas oublié la part d’illusion qu’il y a dans ce discours. […] Moi je me préoccupe de l’Europe pas de la chine car la Chine fera ce qu’elle veut de toute façon. La question est : comment s’adapte-t-on à notre déclin ? Et je n’ai pas de réponse. […] La Chine a un immense réservoir de gens corvéables à merci pour un temps assez long. Y aura-t-il des luttes sociales ? Une révolution ? Des programmes sociaux-démocrates ? […] Je n’en sais rien. […] [En Europe], les expériences locales de développement alternatif sont peut-être une partie de la solution. [...]

Question : La crise actuelle ne permettrait-elle pas de reréguler les flux financiers ?

On aurait besoin d’économistes progressistes

JB : Ce qui me frappe dans la crise, c’est que les outils intellectuels qui permettraient même à la gauche de proposer ça, n’existent plus. […] Il y a eu un raz-de-marée néolibéral dans la science économique. [...] On aurait besoin d’économistes progressistes. [...] Il y en a quelques-uns mais il y en a très peu. Il y a quelques-uns de l’ancienne génération mais tous les nouveaux ont été balayés. [...] Donc on n’a pas d’idée, on n’a presque rien parce que, pendant tout un temps, on s’est amusé à faire la gauche des valeurs donc on n’a plus réfléchi à l’économie. Quand la crise arrive, personne [à gauche] n’est prêt. […]

Question : Le déclin [de l'Occident] n’est-il pas avant tout intellectuel ?

Je vois le déclin positivement

JB : Il y a un pessimisme culturel dont on trouve certains aspects dans la philosophie de la décroissance qu’on trouve depuis la guerre en France et qui est lié au déclin. Si vous prenez les idées en Allemagne après la guerre de 14 (Heidegger, Spengler, même l’école de Francfort qui se dit de gauche et marxiste, Strauss, Hannah Arendt, etc.), tous les courants de pensée sont extraordinairement pessimistes par rapport à la modernité et à mon avis – mais c’est mon interprétation cynique de la chose – ils sont pessimistes par rapport à la modernité parce que l’Allemagne avait pensé gagner la guerre sur la base de la science, de la technologie, de la modernité et elle la perd. [...] Je trouve la même chose en France après la guerre de 40. La France est dans le camp des vainqueurs mais elle a perdu la guerre. S’y ajoutent la perte de l’empire colonial, et celle du statut de puissance. C’est très mal ressenti par l’intelligentsia d’où ce pessimisme culturel qui est postmoderne, anti-progrès, anti-raison, antiscientifique, etc. […]. Mais je vois le déclin positivement, je suis pour la décolonisation, je ne suis pas pour qu’on contrôle le reste du monde. Je suis pour que le reste du monde se développe indépendamment de nous. Je ne suis pas pour l’hégémonie, pour qu’on s’entre-tue. Le déclin, c’est aussi qu’on n’est plus prêt à mourir pour la gloire, la patrie, l’Église, etc. et c’est très bien ! On est moins religieux qu’avant, c’est très bien. […] Le problème du déclin, c’est de le gérer : ne pas retomber dans la nostalgie […], d’essayer de vivre aussi bien entre nous dans un monde qu’on ne contrôle pas. [...]

Source : Montpellier journal, avril 2010

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Jean Bricmont a suggéré à Montpellier journal d’ajouter un lien vers un texte de Normand Baillargeon qui comporte un passage sur le point de vue de Noam Chomsky  – dont est proche Jean Bricmont – concernant notamment la science et la préservation de l’environnement. Ce que nous faisons bien volontiers : « Quelques observations de Chomsky sur certaines tendances de l’anarchisme actuel ». Et pour les anglophones, les propos de Noam Chomsky sur lesquels sont basés ce billet sont consultables et visionnables via le site reddit ou Znet.

Source: http://www.les-crises.fr/l-europe-impossibilite-politique/


La gauche morale est devenue le substitut de la religion, par Jean Bricmont

Monday 29 December 2014 at 02:01

Reprise d’un article de 2010 (qui n’a pas pris une ride !) de Jean Bricmont, physicien et essayiste belge, proche de Noam Chomsky…

Jean Bricmont était à Montpellier le 8 avril 2010 à l’invitation des Amis du Monde diplomatique. L’intellectuel belge, proche de Noam Chomsky, a brossé un « panorama idéologique de l’histoire de la gauche et du socialisme ». Il a fustigé « la gauche des valeurs ». Ce qui prend un relief particulier au moment où Martine Aubry, la première secrétaire du PS, et plus localement, Hélène Mandroux, maire de Montpellier, choisissent de mettre en avant « les valeurs de la gauche » (1). Jean Bricmont a aussi évoqué quelques rares pistes pour agir « quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ».

Les questions sont parfois synthétisées ou réduites à un mot ou une expression, et certaines parties des réponses non essentielles pour le discours remplacées par des [...].  Pour écouter l’intégralité de cette partie : télécharger le fichier

Une critique de l’anti-système

Il est possible que je dise des choses qui vous choquent. Ma position dans le fond est très modérée. Sur certaines choses, ma position paraît radicale uniquement parce que l’époque dans laquelle on vit, est radicale. Dans la mauvaise direction mais radicale. [...] Je souhaite faire une critique idéologique de la situation actuelle. Ce n’est pas une critique du système mais de l’anti-système ou une critique de la gauche.  Je fais une critique de la gauche d’un point de vue de gauche. [...]

Jean Bricmont le 8 avril 2010 à Montpellier (photo : Mj)

Je vais partir d’un constat : on se trouve aujourd’hui dans une crise du système. Tout le monde est d’accord y compris les économistes libéraux (qui disent que peut-être la crise est passée mais qui reconnaissent qu’il y a eu une grosse crise). Mais je remarque qu’il n’y a rien comme opposition. La crise de la gauche, à l’heure où il y a crise du système, est d’autant plus grave et manifeste que la crise du système est grave. On peut se réjouir que le système soit en crise mais que fait-on pour y répondre ? Que fait-on ? Rien et personne ne sait que faire. Quand j’ai donné ce titre un peu provocateur ["Que faire quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ?"], je me suis dit que ma réponse n’est pas la réponse communiste classique, ce n’est pas Lénine. Ce n’est pas Cohn-Bendit première version de mai 68 ni Cohn-Bendit deuxième version, social-libérale.

Mais que peut-on faire ? Et en fait je n’ai pas beaucoup de réponses à la question. Mais je voudrais commencer par faire un panorama de l’histoire de la gauche et du socialisme depuis les origines jusqu’à la crise de 1981-1983, me concentrer sur ce qui s’est passé après et expliquer pourquoi la gauche mitterrandienne nous a mis dans une impasse, dont je ne sais pas très bien comment sortir.

La gauche est toujours anti

Marx est un enfant des Lumières et du libéralisme des Lumières, il ne faut pas l’oublier. Rien ne m’énerve plus que l’expression « gauche anti-libérale » parce que, quand la gauche se dit anti-libérale, elle veut dire qu’elle est anti-néolibérale et elle devrait dire qu’elle est anti-capitaliste. Mais elle ferait mieux de dire qu’elle est pro quelque chose. La gauche est toujours anti. : anti-raciste, anti-fasciste, anti-capitaliste, anti-libérale, anti-OGM, anti-nucléaire. Mais pourquoi ? On y reviendra.

Les libéraux actuels n’ont rien à voir avec le libéralisme classique. Les libéraux classiques étaient des gens qui voyaient deux pouvoirs oppressifs en face d’eux, l’État absolutiste et l’Église, et qui pensaient s’en libérer afin que l’individu puisse réaliser son plein potentiel. Leur version du marché libre n’avait rien à voir avec la version actuelle parce que c’était une société essentiellement de petits producteurs. Et disant : si ces petits producteurs peuvent se libérer de la tutelle de l’État absolutiste et de l’Église, ils pourront alors interagir et ça mènera à une situation d’humanité. [...] Ce projet a échoué parce qu’en libérant les forces du marché, on a eu, en même temps, avec la révolution industrielle, la naissance de la grande industrie. Et, avec celle-ci, on a eu une concentration de pouvoir entre les mains des capitalistes qui n’était pas tellement différente du pouvoir concentré contre lequel les libéraux s’étaient battus : celui de la féodalité, de la monarchie, de l’Église.

La concentration des médias fait que l’information et la liberté de débat sont perverties

À partir du moment où des individus possèdent les moyens de production, ils peuvent dicter aux gens qui n’ont à vendre que leur force de travail, leurs conditions de vie, d’habitat, etc. qui fait que la réalisation de l’individu, dans ses aspirations personnelles, devient de facto impossible même si, en principe, les droits de l’homme existent, il y a la démocratie, etc. De plus, le processus démocratique est intrinsèquement perverti par cette concentration entre quelques mains des moyens de production puisqu’ils peuvent acheter les députés, faire pression sur les parlements, sur les gouvernements en disant (ça c’est la version moderne) : « Si vous n’êtes pas gentils avec nous, on délocalise. » De plus, j’anticipe mais au XXe siècle, la concentration entre quelques mains des médias fait que même l’information, la liberté de discussion et de débat qui étaient les conquêtes du libéralisme classique, sont perverties parce que finalement les médias sont entre les mains de quelques puissants. Alors que de ces processus de discussion libre devraient émerger les solutions d’un point de vue libéral.

Ce n’est pas parce que le libéralisme classique a échoué qu’il faut rejeter les idéaux qu’il défendait. Tous les socialistes du XIXe siècle (Marx, Engels, Bakounine, Kropotkine, etc.) qui avaient certes des différences mais qui ne sont pas si grandes comparées à ce qui est venu après, avaient pour leitmotiv que, pour résoudre cette concentration, il fallait supprimer la propriété privée des moyens de production et les socialiser. Cela ne veut pas dire étatiser, nationaliser ou mettre sous le contrôle du gouvernement. Au XIXe, ce n’était pas ça : la socialisation c’est le contrôle effectif par la population de la production qui est déjà socialisée. À partir du moment où elle est socialisée, l’idée libérale fondamentale de la démocratie exige que cette production, tellement essentielle à la vie des gens, soit soumise à un contrôle démocratique. Le socialisme, pour moi, n’est rien d’autre que l’extension du libéralisme ou de la démocratie à la sphère économique qui est rendue nécessaire par l’émergence de la grande production.

La question n’est pas l’État ou le marché mais plutôt : qui décide dans les entreprises ?

C’est une idée qui est totalement oubliée aujourd’hui parce que quand vous avez le débat entre la gauche et la droite, c’est presque toujours un débat entre l’État et le marché. Pour moi la question n’est pas l’État ou le marché mais plutôt : qui décide dans les entreprises ? Les travailleurs ou la collectivité ? Pas nécessairement l’État : on pourrait imaginer une société où toutes les entreprises sont autogérées par les travailleurs et sont toutes en relation par des mécanismes purs de marché. Je ne dis pas que c’est souhaitable mais on pourrait l’imaginer pour comprendre la différence entre le contrôle social de la production et l’Étatisation. Je ne suis pas contre une intervention de l’État dans l’économie mais c’est un tout autre débat. C’est important de comprendre que le socialisme émerge d’une façon naturelle comme une réaction à l’échec du libéralisme mais il n’est pas anti-libéral dans le sens profond du terme. Il accepte la liberté d’expression, de débat, la démocratie, le pluralisme, les conquêtes des lumières mais il dit : il y a ce problème de la concentration.

Ce mouvement a crû tout au long du 19ème siècle mais il s’est effondré avec la guerre de 1914. […] Il est très intéressant de lire des textes de socialistes classiques avant la guerre de 14. Par exemple Kautsky, le « renégat Kautsky » comme disait Lénine. [...] C’est un social-démocrate allemand mais il avait un programme de socialisation de l’économie. Vous en avez d’autres. Même ceux que l’histoire a gardé comme étant des gens compromis, des traites, etc., sont beaucoup plus radicaux que ce que vous avez aujourd’hui. Même le NPA ne va pas signer des choses pareilles.

Le bolchevisme et le fascisme

La guerre de 14 a marqué l’effondrement du socialisme classique pour deux raisons. De la guerre de 14, sont nés le bolchevisme et le fascisme. Loin de moi l’idée de dire que c’est la même chose mais ce sont deux phénomènes qui ont profondément handicapé le projet socialiste. [...] L’interprétation que je donne au mouvement bolchevique en Union soviétique est tout à fait différente de celle qui en a été donnée en occident. En particulier par les partis communistes mais aussi par leurs adversaires : trotskystes, maoïstes, etc. Pour moi, l’aspiration fondamentale du bolchevisme, c’est la modernisation d’un pays arriéré qu’était l’Union soviétique. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, ça a été remarqué en 1920 par Bertrand Russell (2). [...] Il décrit ça très bien : « Ce sont des fanatiques de l’industrialisation, ils vont poursuivre l’œuvre de Pierre Legrand et s’ils le font, c’est très bien mais s’ils prétendent être les représentants de ce qui a de plus avancé dans le socialisme européen, alors il faut les condamner pour cela. »

L’erreur des communistes occidentaux est d’avoir détruit l’idée du socialisme

Et c’est exactement ce qu’on n’a pas fait. On aurait dû dire : eux, c’est eux, nous c’est nous. Nous socialistes européens, nous n’aurions pas dû nous déterminer en fonction de l’Union sociétique. Mais dans beaucoup de pays européens, la gauche s’est divisée en deux : une partie radicale majoritairement communiste qui a fait exactement l’erreur qu’il ne fallait pas faire, c’est-à-dire de voir dans les réalisations soviétiques ce qu’il y avait de plus avancé dans le socialisme. [...] L’erreur des communistes occidentaux n’est pas qu’ils ont commis le crime de soutenir l’horrible Staline mais qu’ils ont détruit, d’une certaine façon, l’idée du socialisme ici en identifiant les aspirations du socialisme avec ce qu’il se passait en Union soviétique, (qu’ils enjolivaient pendant un certain temps puis quand ils se sont rendus compte que ce n’était pas si joli, ça s’est retourné contre le socialisme) ; l’autre partie, sociale-démocrate, a regroupé les éléments les plus mous, qui dérivaient le plus vers les compromis de classe… [...] Il y a quand même cette erreur fondamentale, cette identification du socialisme à ce qui se passait en Union soviétique. En particulier ça a renforcé l’idée que le socialisme, c’est l’étatisme. Alors que c’est la socialisation.

D’autre part, on a eu le fascisme et le nazisme. Une grande partie de l’énergie de la gauche, pendant toutes ces années, a été consommée dans le combat contre le fascisme. Qui s’est terminé en 1945 par la victoire de l’armée rouge qui a encore renforcé le problème de l’identification du socialisme avec l’Union soviétique.

Le développement de l’occident a toujours dépendu de l’existence d’un monde extérieur à nous où on pouvait aller déverser nos problèmes et chercher des richesses

Un autre problème qui se posait au socialisme, c’est qu’il y a un impensé du socialisme du XIXe siècle – et ça, c’est leur erreur : c’est le colonialisme et l’impérialisme. Je ne crois pas que l’occident soit purement un produit de l’exploitation coloniale. En revanche, je crois que l’existence d’un arrière monde, d’un hinterland, [...] par rapport à l’Europe a toujours biaisé notre développement. [...] Pour expliquer ça simplement, je vous demande d’imaginer le scénario suivant. Imaginez que l’Europe occidentale soit une île entourée de mer et tout le reste du monde est la mer. […] A quoi ressemblerait notre développement ? Il n’y aurait pas d’or d’Amérique, de commerce des esclaves, de colonisation de l’Afrique, de pétrole du Moyen Orient, de travailleurs immigrés… Tout est changé ! Contrairement aux sociétés traditionnelles qui vivaient en autarcie, le développement de l’occident a toujours dépendu de l’existence d’un monde extérieur à nous où on pouvait aller déverser nos problèmes et chercher des richesses. Déverser nos problèmes, c’est par exemple l’émigration quand les Européens deviennent trop nombreux et qu’on envoie en Australie, en Amérique… [...]

Après guerre, bien sûr, il y a eu les luttes anti-coloniales, une partie qui a absorbé une certaine énergie de la gauche. Mais il y a eu, pendant la période qui a commencé dans les années 30, quelque chose qu’on a tendance à sous-estimer : les gains sociaux-démocrates. Ce sont la sécurité sociale, la démocratisation de l’enseignement, les pensions, l’assurance chômage et maladie. Tous ces gains vont contre l’idéologie libérale classique. Pas celle du XVIIIe mais telle qu’elle devient au moment du développement du capitalisme où ce qui se dit libéralisme n’est plus du tout libéralisme.

Le véritable héritier du libéralisme c’est le socialisme. Mais ce qui devient le libéralisme, c’est la défense du grand capital, de la propriété privée des moyens de production au nom de la défense de la petite entreprise, au nom des idées libérales. On transpose les idées libérales à une situation nouvelle et on dit : « Ah ! L’épanouissement de l’être humain c’est le libre marché. » Y compris quand il y a des immenses capitalistes qui sont en concurrence avec des petits commerçants ou des travailleurs et qui peuvent les écraser. Ce libéralisme-là était toujours opposé à tout ce qu’on a. Si vous regardez l’histoire de la droite, elle s’est battue contre toutes les conquêtes sociales-démocrates. [...] Elles n’ont pas transformé le capitalisme mais dans un certain sens, elles l’ont fait. Si vous prenez le capitalisme à la fin des années 70 où on est au sommet de la montée des conquêtes sociales-démocrates, vous arrivez à un capitalisme très différent de ce que vous avez aujourd’hui et de ce que vous aviez 50 ans plus tôt. Une moitié de la vie a été socialisée : l’enfance, le chômage, la vieillesse…

Le Parti communiste était en principe révolutionnaire mais a été socio-démocrate

En France c’est un peu particulier puisque celui qui a fait le plus ces programmes socio-démocrates, c’était un catholique de droite maurassien qui s’appelait De Gaulle. Vous n’avez pas eu à l’époque quelqu’un comme Olof Palme, par exemple, Kresiki en Autriche ou Atlee en Angleterre, des sociaux-démocrates classiques. [...] De Gaulle l’a fait parce que c’était dans l’esprit du temps. Et, en face de lui, il avait un Parti communiste qui était en principe révolutionnaire mais qui, en pratique, comme le PCI en Italie, a été social-démocrate. A aucun moment il n’y a eu de possibilité de prises du pouvoir de type léniniste et d’instauration de la dictature, certainement pas en 1968 et même à la fin de la guerre. Le Conseil national de la résistance est un programme social-démocrate, similaire à d’autres pays comme dans les pays scandinaves. Particulièrement en France il y a un décalage entre la réalité et l’imaginaire avec un président, ayant un programme social démocrate, mais de droite classique, et un parti communiste qui recrutait au nom de la révolution mais qui parce qu’il ne pouvait pas faire autrement soutenait des programmes sociaux-démocrates, et en Italie aussi. Tout ce courant social-démocrate classique pour lequel j’ai évidemment de la sympathie parce que je le vois comme une résurgence, après tous les problèmes du fascisme et de l’effondrement de la guerre de 14, de l’idéal socialiste classique du XIXe siècle, s’est effondré curieusement, en France particulièrement, mais aussi ailleurs en Europe, à partir de 68 et particulièrement lors de l’accession de Mitterrand au pouvoir en 81-83. La France est le pays de tous les paradoxes de mon point de vue puisque le meilleur social-démocrate est un catholique réactionnaire qu’était De Gaulle et la mort de la social-démocratie est liée à l’arrivée au pouvoir du parti socialiste sous Mitterrand. [...]

Il y a eu de tout en mai 68 […] mais ce qui est massif aujourd’hui, c’est son institutionnalisation. C’est la lente montée des soixantuitards dans les institutions (dans la presse, les ministères, etc. ) et qui commencent à prendre le pouvoir en 81. Vous avez Kouchner, certains nouveaux philosophes sont un produit de cette époque, Lang, etc.[...] Tout s’est passé à contretemps. La social-démocratie était faite (sous la 4ème république, dès la libération et encore plus sous De Gaulle) mais Mitterrand est venu avec un programme beaucoup plus radical, social-démocrate, de nationalisations (qui n’avaient pas eu lieu autant en France qu’en Angleterre par exemple) qui pour moi n’était pas nécessairement bien pensé et pas adapté à l’époque. Parce qu’à l’époque la crise de la sociale-démocratie et du keynésianisme se faisait sentir, et il n’y avait pas un programme cohérent. En 81 il commence à appliquer son programme et en 83, il y a des déficits, des problèmes avec le franc, il prend le tournant de la rigueur. Je ne vais pas le condamner mais tel qu’il a été fait, ça a été une rupture complète avec les idéaux de la gauche classique. Et on a eu vraiment une nouvelle gauche qui s’est instaurée, qui a pris le pouvoir et qui est la gauche qu’on rencontre aujourd’hui dans laquelle je ne me reconnais pas même si je me dis de gauche.

Si vous parlez de la gestion et du contrôle de l’économie, la gauche ne vous dit rien

Sur le plan intérieur, l’idée de socialisme, de socialisation des moyens de production, a été remplacée, dans le discours, par les Droits de l’homme. Si vous écoutez la gauche, elle est toujours pour les Droits de l’homme, contre les discriminations,… Mais, si vous parlez de la gestion et du contrôle de l’économie, elle ne vous dit rien. Celui qui incarne ça encore plus que les socialistes français, c’est Tony Blair. [...] Il a dit : « La gauche a appris qu’il n’y a pas une façon de gauche et une façon de droite de gérer l’économie, il y a une seule façon de gérer l’économie et la gauche a appris à le faire aussi bien que la droite. » Donc il n’y a pas de débat sur la propriété privée des moyens de production, sur le contrôle démocratique de la production. Ça n’existe plus. Parce qu’il y a, soi-disant, une science économique qui est, en fait, la version néolibérale de la science économique, le paradigme dominant (parce que si vous regardez dans l’histoire il y a de tout dans les économistes). La gauche comme la droite l’applique, ce sont des recettes économiques et on ne discute pas. Et c’est ce que Blair exprime de façon crue mais tous les socialistes y compris français font ça.

Mais quel peut-être le débat gauche/droite ? Quel peut être le débat gauche-droite si on admet que le marché domine, que la démocratie formelle est indépassable et que l’idéal, ce sont les droits de l’homme ? Parce que c’est exactement ce que les libéraux disaient ! Donc on est obligé de dire qu’on est d’accord avec les libéraux. Au lieu de dire qu’on fait kamikaze, qu’on supprime le PS et qu’on rejoint [la droite] (mais ce n’est pas possible car il y a trop de fromages à distribuer) […], vous devez trouver un sens à être de gauche qui n’est pas de droite. Alors qu’a-t-on inventé ? Je vais peut-être être méchant mais je pense que c’est une invention, une arnaque : on a inventé l’antifascisme et l’antiracisme. On a fait mousser le Front national et du coup on a créé un danger fasciste contre lequel on a mobilisé la jeunesse. [...] On a aussi mobilisé les gens contre le racisme en faisant croire que la droite était d’une certaine façon nostalgique de Pétain, de l’Algérie, une droite raciste, etc. Ça a été le tournant idéologique autour des années 80. Évidemment, il y avait la crise du communisme. Ce qui avait été un avantage pour le PC c’est-à-dire le prestige de l’URSS devient un inconvénient c’est-à-dire le discrédit de l’URSS ; tout se retournait : alors que les communistes avaient été les sociaux-démocrates européens, ça se retournait contre eux. Tout ce qui avait été l’essence du socialisme et de la social-démocratie européenne était discrédité au nom de l’anticommunisme avec lequel il n’avait rien à voir : la social-démocratie suédoise n’a rien à voir avec le communisme ! Mais le même processus de diabolisation et de discrédit de la social-démocratie s’est passé. Alors on a introduit la gauche morale qui est une gauche des valeurs. Vous entendez ça tout le temps : on a des valeurs, on est féministe, anti-raciste, anti-fasciste, pour la démocratie, pour les Droits de l’homme.

Alors qu’a-t-on dit aux travailleurs ?

L’astuce la plus scandaleuse, c’est qu’on a perdu la classe ouvrière. Parce que, en même temps qu’il y a ce processus de création la gauche morale, on a eu les pertes d’emplois, les délocalisations, les fermetures d’entreprises. Alors qu’a-t-on dit aux travailleurs ? « Écoutez, c’est l’économie, c’est géré scientifiquement, on ne peut rien y faire. Mais surtout ne soyez pas racistes, n’allez pas voter pour le Front national. » Et s’ils vont voter pour le Front national – et les statistiques montrent qu’ils le font – on dit : « Voyez, ça c’est des Dupont la joie, des beaufs, etc. » Et donc on a renforcé la stigmatisation du peuple qu’on était en train justement d’abandonner de toutes les façons possibles dans le programme même de la gauche. Et on a trouvé l’argument idéologique ! La petite bourgeoisie intellectuelle a trouvé le « politiquement correct », le féminisme, l’antiracisme, etc. pour montrer les ouvriers du doigt et leur dire « vous avez perdu votre emploi, mais n’allez pas voter pour le front national et on ne peut rien faire pour vous ». On s’est mis dans une situation de plus en plus insupportable : la gauche morale, la gauche du discours sur les valeurs, les gens qui font claquer leurs bretelles en disant qu’ils sont des bons démocrates. Comme le dit Régis Debray : « La morale c’est quelque chose qu’on s’impose à soi-même, pas quelque chose qu’on fait aux autres. » Or, dans le discours dominant, c’est quelque chose qu’on fait aux autres, au peuple essentiellement à qui on dit : le racisme… Je ne conteste pas qu’il y a beaucoup de racisme mais je ne suis pas convaincu que l’anti-racisme du discours dominant fasse avancer les choses. [...]

Si vous voulez changer les choses, vous devez vous attaquer aux structures sociales.

On a fait un retour en arrière gigantesque : avant 1845, avant les premières critiques que Marx faisait, dans l’idéologie allemande, à ce qui était la gauche morale de son temps. C’est Marx et les autres qui ont dit : « Le problème ce n’est pas la morale, les idées, la dialectique hégélienne, la religion. Ce n’est pas de ça dont il faut parler. C’est des structures sociales. Si vous voulez changer les choses, vous devez vous attaquer aux structures sociales. » Ils étaient tous comme ça. Ils avaient raison. Et tout ça, on l’a perdu. On l’a oublié. La gauche morale est devenue le substitut de la religion. On a une religion des Droits de l’homme, de la démocratie. [...] On fait des lois pour sanctionner les gens qui dévient de la religion. Mais comme la religion n’est pas le christianisme, ça passe pour de gauche mais ça a des effets catastrophiques.

Tous les problèmes qui sont au cœur de la réflexion de la gauche classique ont disparu et sont gérés par la Commission européenne

Le premier effet catastrophique que ça a, c’est l’Europe. On l’a faite avaler au nom de l’anti-fascisme, de l’anti-nationalisme, comme si la souveraineté française à l’époque de De Gaulle (Qui a fait la réconciliation allemande ? Ce n’est pas l’Europe qui l’a faite, c’est De Gaulle et Adenauer) allait mener à la guerre, comme si les nations européennes souveraines allaient nécessairement s’entretuer et qu’il fallait créer cette bureaucratie européenne supranationale pour résoudre le problème. Si vous prenez le traité de Maastricht, en 1992, ça a été vendu au peuple français et au peuple de gauche sur des arguments antinationalistes et antifascistes : Le Pen était contre donc on était pour, etc. Sans réfléchir. Je n’ai rien contre l’Europe (on ne peut pas être contre un continent), contre l’unification de l’Europe, je trouve ça bien comme l’unification de l’Amérique latine. Mais je suis contre la perte de souveraineté. Parce que vous pouvez très bien imaginer une unification de l’Europe qui se fait par des accords gouvernementaux, sanctionnés par le parlement  et révisables. [...]

La commission européenne est un pouvoir non démocratique, bureaucratique qui est pire que le pouvoir des capitalistes sur le peuple parce qu’on a recréé une espèce de monarchie absolue sauf que c’est une bureaucratie plutôt qu’une seule personne. Elle a un pouvoir énorme, elle prend énormément de décisions qui sont entérinées ensuite par les gouvernements nationaux qui sont obligés de le faire. Tous les problèmes économiques, de libre-échange, de commerce, de monnaie, tous les problèmes qui sont au cœur  de la réflexion de la gauche classique ont disparu et sont gérés par la Commission européenne. Et tout ça, on l’a fait au nom de fantasmes. Encore une fois, je ne suis pas contre la coopération mais on devrait le faire comme le fait la Suisse qui a fait de la coopération avec le reste de l’Europe sur une base souveraine. [...]

« Les gens ne votent plus »

On a abandonné la démocratie. Un des résultats c’est la dépolitisation. [...] Les gens ne votent plus. [...] Vous n’avez pas d’autre politique possible. Si vous veniez avec un programme commun de gouvernement comme en 78 ou 81, l’Europe ne l’accepterait pas. Ça entrerait en contradiction avec toutes les règles de libre-échange de l’Europe. Et vous ne pouvez pas l’imaginer. Et si vous ne pouvez pas l’imaginer, de quoi discute-t-on ? Ah ! De la burqa. Eh oui ! On trouve ça ridicule de discuter de la burqa mais qui a créé ce problème si ce n’est la gauche morale qui a remplacé le discours sur les structures sociales par un discours sur les valeurs ? À partir du moment où on a porté le discours sur les valeurs, on se ramasse dans la gueule, le discours sur les valeurs de droite. [...]

Parce que de même que le discours des valeurs de gauche (antifasciste, antiraciste, etc.) est parfaitement compatible avec une droite libérale, à la Giscard d’Estaing, capitaliste, qui s’en fiche (ils sont pour le libre marché, pour l’Amérique…), on a aussi alors une droite qui est beaucoup plus efficace sur le discours des valeurs,  la droite de l’autorité, (l’autorité du père de famille, du maître d’école, chanter la Marseillaise, se lever en classe, l’identité française, la burqa, l’agitation contre l’islam, etc.). Une fois qu’on a mis le discours sur les valeurs, elle récupère ce discours et elle est beaucoup plus efficace que nous, et on est coincé, coincé, coincé !

Quelqu’un m’a demandé, avant de venir, si j’allais parler de « la vraie gauche ». Je veux bien mais le problème c’est que je ne sais pas où elle est parce que quand je regarde l’extrême gauche, en France du moins, j’ai l’impression qu’elle est comme la gauche morale. Mais en plus fort. Elle hurle encore plus fort par exemple quand il y a une petite phrase d’un président de région qu’on peut critiquer comme raciste. Je ne sais pas si vous pensez à quelqu’un… Ils n’ont pas d’alternative réellement et ils sont rentrés dans le discours des valeurs. Ou bien parfois, il y a le discours du retour à Marx, avant Lénine, Staline. [...] Mais on fait un Marx complètement utopique, découpé de l’histoire du XXe siècle, des transformations sociales. Et donc on a un Marx politiquement correct, lié à aucune guerre, aucun crime, aucune lutte, rien. Et franchement je ne vois pas grand-chose d’autre, alors, que faire ?

« Pas de perspective de changement radical »

D’abord on pourrait dire : on va faire la révolution. [...] Les révolutions au sens où elles ont été fantasmées par les mouvements trotskystes, maoïstes, etc. non seulement n’ont pratiquement jamais eu lieu mais les vrais changements de régime violents ont presque toujours été de droite. [...] Je suis prêt à parier – je ne tiens pas à ce que ça arrive – que s’il y avait vraiment un effondrement économique (je ne parle pas de la crise actuelle qui est grave mais si vous aviez une crise “à l’Argentine”), vous auriez une révolution d’extrême droite. [...] Donc il n’y a pas de perspective de changement radical. Donc on est obligé de revenir à des choses simples, petites et de commencer par là. Ceci dit, les néolibéraux et les néo conservateurs n’ont jamais fantasmé la révolution. Ils ont dit : « On va changer les choses petit à petit. » Mais en 20 ans, ils ont changé beaucoup de choses. Ils ont détruit beaucoup mais ils ne l’ont pas fait d’un seul coup.

Premièrement, c’est très important de re-légitimer, de rétablir la perspective socialiste fondamentale de la socialisation des moyens de production. Même si ce n’est pas demain qu’on va le faire, même si on ne peut pas le faire, ça change tout, à mon avis, dans les luttes. [...] Parce que si vous partez de l’acceptation de la légitimité de la propriété privée des moyens de production alors vous dites simplement : les travailleurs doivent avoir une part de gâteau, un peu plus de dignité, de considération, etc. Mais si vous dites : « Non, tout est à nous rien n’est à eux. » Pour le moment on ne peut rien faire mais quand on se bat on part d’un point de vue de légitimité qui est très différent et ça, c’est très important psychologiquement.

Il faut ne pas se soumettre au diktat européen

Le deuxième point concerne le court terme. Il faut tout faire pour sauver les acquis sociaux-démocrates. Il en reste : la sécurité sociale, l’enseignement… ils n’ont pas tout détruit, mais enfin ils font le processus de saucissonnage. [...] Mais comme l’Europe qui a été faite avec l’approbation de la gauche, de la nouvelle gauche, de la gauche morale, a été construite institutionnellement pour rendre le détricotage des acquis sociaux inévitable, il faut ignorer l’Europe. Alors je ne sais pas comment faire, je ne suis pas technicien de la politique mais il faut ne pas se soumettre au diktat européen. Je ne pense pas qu’on puisse sortir de l’Europe comme ça du jour au lendemain mais on peut faire comme si elle n’existait pas sur un certain nombre de choses. Ce que les pouvoirs actuels ont fait lors de la crise financière en créant des déficits qu’ils n’étaient pas supposés faire. Si on l’avait fait pour des raisons sociales, ça aurait été considéré comme totalement illégitime. [...]

L’Europe et les citoyens européens peuvent être un facteur de paix dans le monde par rapport aux Américains. Mais pour ça, il faut regagner notre souveraineté par rapport aux États-Unis. De même qu’il faudrait ignorer l’Europe, il faudrait ignorer l’Otan. C’est une catastrophe par exemple que la France qui était le seul pays qui, bien que de façon modérée et symbolique, était un peu en dehors de l’OTAN y soit rentrée complètement grâce à notre ami Sarkozy. […] Par exemple la Hollande très pro-américaine vont se retirer d’Afghanistan. […] C’est très important symboliquement de se retirer d’Afghanistan [...] Il ne faut pas oublier que pendant la guerre du Vietnam, avec un anti-communisme fanatique dans les gouvernements européens, il n’y avait pas un soldat européen au Vietnam. Harold Wilson n’aurait jamais envoyé de soldats anglais, De Gaulle n’aurait jamais envoyé de soldats français. Maintenant tous les soldats européens servent de supplétifs aux Américains. [...] Ça n’indigne personne, il n’y a pas de manifestation, pas de protestation, pas de pétition, pas d’agitation dans les facultés, parmi les intellectuels. Le mouvement de la paix a complètement disparu. Il faut recréer ça. La Palestine est un truc où l’Europe pourrait avoir une position moins alignée sur les États-Unis et par conséquent sur Israël. [...] Par exemple appuyer par toutes les façons imaginables le mouvement Boycott désinvestissement sanctions (BDS).

Je ne vois pas de sujet collectif qui puisse être l’agent d’un renouveau

Le premier obstacle c’est que je ne vois pas de sujet. Avant, la vieille gauche avait un sujet actif qui était en gros la classe ouvrière, le prolétariat autour duquel pouvaient se faire des alliances. Mais maintenant je ne vois pas de sujet collectif qui puisse être l’agent d’un renouveau. Ce qui était la classe ouvrière est terriblement divisé en raison de la question de la religion et en particulier de l’Islam. La droite évidemment a cette astuce très intelligente d’agiter le problème de l’Islam (voile, burqa, etc.) mais la gauche tombe trop souvent dans le piège. Je pense le plus grand mal des religions mais je pense qu’il faut une laïcité honnête qui ne soit pas sélectivement contre une religion particulière. Il faut un mouvement dans la population, un processus de paix comme on dirait au moyen orient avec les musulmans de France – et de Belgique. [...] On n’unifiera pas les forces populaires en France ou en Belgique ou ailleurs en Europe si on n’unit pas les musulmans et les non musulmans parce que les musulmans représentent une partie importante de ce qui, dans le temps, aurait été appelé la classe ouvrière, le prolétariat. Vous ne pouvez pas les ignorer. Particulièrement sur la Palestine. En France, le discours est tellement biaisé en faveur d’Israël, que les gens deviennent fous furieux.

On ne contrôle plus le reste du monde

Autre problème auquel je n’ai pas de réponse, c’est le « déclin de l’occident ». Utiliser cette expression est particulièrement provocateur puisque c’est le titre du livre de Spengler qui était un proto Nazi après la guerre de 14 mais l’expression me paraît très juste. [...] S’il y a une transformation sociale importante au XXe siècle, c’est la décolonisation. C’est l’émergence de cet hinterland que nous avions au moment de notre développement et ce monde-là nous échappe complètement. [...] On ne contrôle plus le reste du monde et c’est un fantasme qui continue à exister à gauche et à droite de faire comme si on contrôlait : on va dire aux Chinois ce qu’ils doivent faire au Tibet, aux Russes ce qu’ils doivent faire ici, aux Iraniens. Ça ne marchera pas ! Les Iraniens font ce qu’ils veulent et les Chinois aussi. La seule chose qu’on a à faire c’est de nous occuper de nos affaires et de vivre en paix avec eux.[...] De même, les transformations de l’Europe font que vous ne pouvez plus trouver des dizaines et des dizaines de milliers de jeunes Français prêts à aller se faire tuer à Berlin ou sur la Somme. [...] On décline ça veut dire aussi qu’on se retrouve face à des Chinois qui disent, quand on veut faire des restrictions d’importation textile de la Chine : « Oui mais nous on doit vendre 20 millions de chemises pour construire un Airbus. » Et comme j’ai écrit dans l’article du Monde diplomatique : le jour où ils construiront des Airbus, qui fabriquera nos chemises ?

On doit gérer notre déclin. Or tout le problème que je vois dans les manifestations culturelles et intellectuelles en France avec particulièrement un type qui est vraiment scandaleux pas seulement pour ses remarques racistes, Zemmour, c’est qu’on vit dans une France, une Europe qui est dominée par la nostalgie de notre glorieux passé – avec ses aspects pas très jolis – mais on ne regarde pas vers l’avenir. On n’essaye pas de s’inventer un avenir dans lequel nous devons vivre, dans un monde que nous ne contrôlons pas et où nous ne sommes pas les plus forts. Et ça, c’est vraiment le défi auquel je n’ai pas de réponse. Pour moi c’est le défi le plus important de notre époque qui justifie à la fois la défense de la paix et du socialisme. Mais comment l’accomplir ? Je vous laisse réfléchir à ça.

Deuxième partie (à venir) : les questions de la salle
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(1) Lire La gauche que veut Martine Aubry (Mediapart, sur abonnement), Le Languedoc-Roussillon, village gaulois ? par Hélène Mandroux (lemonde.fr)
(2) La Pratique et la théorie du bolchevisme, Paris, Ed. de la sirène, 1921

Source : Montpellier journal, avril 2010

Source: http://www.les-crises.fr/la-gauche-morale-substitut-de-la-religion/


[Barbarie] La Russie a abattu le traîneau du père Noël près du pôle Nord !

Sunday 28 December 2014 at 05:00

La Russie a abattu le traîneau du père Noël dans l’espace international de l’océan Arctique.

Selon les premiers communiqués, le traîneau terminait sa tournée mondiale de Noël lorsqu’il a été frappé par un missile sol-air tiré depuis l’île russe de Novaya Zemlya – à quelques centaines de kilomètres du pôle Nord. Le père Noël et presque tous ses rennes ont été tués sur le coup.

Un pêcheur norvégien a rapidement localisé la zone d’impact dans les eaux glaciales de l’océan Arctique. Sur les images des débris, diffusées sur CNN et d’autres chaînes internationales, on peut apercevoir, pêle-mêle, branches brisées, ours en peluche et autres cadeaux encore emballés éparpillés sur l’océan.

Bien que la Russie ait nié officiellement toute implication dans cet incident, les agences de renseignement américaines affirment détenir la preuve que le missile a bien été tiré depuis une installation militaire russe située sur l’île. Plusieurs hommes politiques ultra-nationalistes se sont réjouis de cette destruction, visant une personnalité occidentale

Selon Alexi Onnatopp, le leader du parti d’extrême-droite Ours doré, “le père Noël est un des symboles de la décadence occidentale et de la société de consommation. “Qui que puisse être la personne qui a tué ce gros bonhomme corrompu, elle est à considérer comme patriote et héros. ”

Les évènements d’aujourd’hui comportent des similitudes frappantes avec l’affaire du vol MH 17, abattu cet été par les rebelles pro-russes dans l’est de l’Ukraine à l’aide du même type de missile sol-air. Les 285 passagers ainsi que les 15 membres d’équipage trouvèrent la mort à bord de ce vol qui reliait Amsterdam à Kuala Lumpur.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, un des rennes a survécu à l’explosion d’aujourd’hui et est actuellement soigné dans un hôpital de Norvège. Les autorités n’ont pas encore révélé son identité mais des sources proches de l’enquête indiquent qu’il s’agit de Rudolph, le renne excentrique au museau rouge, immortalisé dans la chanson éponyme de 1939 : “Rudolph, The Red-Snouted Reindeer”.

“Nous avons pu le secourir en premier grâce à son nez rouge qui se détachait nettement sur les vagues de l’océan. Les autres n’ont pu être sauvés assez rapidement”, nous rapporte Lars Sommerheilm, amiral de la Marine Royale Norvégienne.

Dans un discours prononcé depuis le bureau ovale, le président Obama a promis une réponse à la hauteur de la tragédie. Celle-ci pourrait comporter un durcissement des sanctions face à une économie russe déjà exsangue.

“Aujourd’hui, la Russie est allée trop loin”, a-t-il déclaré aux journalistes présents, “Vladimir Poutine a brisé les rêves et les espoirs de tous les enfants du monde. Il devra répondre de ses actes devant un tribunal.”

Les funérailles de M. Noël auront lieu le 31 décembre au pôle Nord. Le président Obama, le premier ministre britannique David Cameron, le président français François Hollande et d’autres représentants de la communauté internationale ont déjà prévu de s’y rendre.

Source : DailyCurrant.com, 24/12/2014, traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-abat-le-traineau-du-pere-noel-pres-du-pole-nord/


[Journalisme ?] Cette semaine en images…

Sunday 28 December 2014 at 02:38

Ah, les méchants coréens…

C’est clair :

Attaque Caroline !

Euh, bon…

On le sait désormais : déclaration américaine = mensonge 2 fois sur 3, mais pas grave…

Et en plus…

(mais est-ce bien le rôle d’un studio de faire un film de propagande débile sur un État étranger ? Pourquoi pas un vrai documentaire alors ?)

(P.S. : on en a déjà parlé, mais je rappelle que si Sony a de smillions à jeter en l’air pour faire une bouse, le petit fils de Pagnol cherche 150 000 € pour restaurer la trilogie marseillaise – sponsoring de grande entreprise bienvenue, si vous connaissez un directeur de la com’ d’une très grosse boite, faites suivre… :) )

L’essentiel est préservé :

Et une vrai question pour les libertés et les Droits humains (à l’infarctus) :

Bon, ça, on va passer trèèèèèèès vite dessus :

Ah, bon, ben, si c’est “inefficace”, les principales leçons ont bien été tirées alors…

Source: http://www.les-crises.fr/journalisme-cette-semaine-en-images-12-2014/


Le cadeau de Noël de Manuel Valls aux internautes : la surveillance

Sunday 28 December 2014 at 01:30

Excellent papier de Guerric Poncet dans Le Point

Le 24 décembre, Matignon a publié un décret sur une mesure très contestée permettant aux agents de l’État de surveiller le Net français. Habile.

C’est un cadeau de Noël dont les internautes et les opérateurs français se seraient bien passés. Le gouvernement a publié mercredi 24 décembre, à la faveur des fêtes de Noël, le décret d’application du très contesté article 20 de la loi de programmation militaire (LPM). Ce texte prévoit un accès très vaste des services de l’État aux télécommunications (téléphone, SMS, Internet, etc.) des Français, et à toutes les informations qui transitent par les réseaux nationaux.

La mesure de surveillance, pudiquement nommée “accès administratif aux données de connexion”, avait été votée fin 2013 et entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Dénichées par notre excellent confrère Next INpact, qui évoque “un décret qui sent le sapin”, ce sont les modalités de sa mise en oeuvre, tout aussi importantes, qui ont été dévoilées pour Noël.

Comme dans de nombreuses démocraties, le spectre terroriste permet au gouvernement de faire passer des mesures très floues et de tirer pleinement parti des systèmes d’information de plus en plus performants afin de surveiller la population.

Qui chapeaute le système ?

Le décret du 24 décembre présente “le groupement interministériel de contrôle [...], un service du Premier ministre chargé des interceptions de sécurité et de l’accès administratif aux données de connexion”. Ce groupement est chargé de centraliser les demandes des agents et de les transmettre aux opérateurs concernés, en les épurant de toute information sensible.

En effet, si les services de l’État doivent justifier leurs requêtes auprès du Premier ministre (qui nomme une “personnalité qualifiée”), il est hors de question de transmettre ces explications aux opérateurs. Les fournisseurs d’accès ne sauront même pas de quel service ou ministère émane une demande, ni à quelle date elle a été formulée.

Quelles données sont concernées ?

Sans surprise, le décret se réfère à l’article 20 de la LPM, sans vraiment le préciser. Peuvent donc être interceptés les “informations ou documents traités ou conservés par les réseaux ou services de communications électroniques, y compris les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications”.

On notera l’utilisation de la formule “y compris”, qui n’est aucunement exhaustive : difficile de faire plus vaste.

Un contrôle démocratique insignifiant

Face aux critiques sur l’intrusion dans la vie privée, le gouvernement invoque la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), un organe très joli sur le papier mais qui n’a jusqu’à présent pas été doté d’un réel pouvoir. Cette commission “dispose d’un accès permanent aux traitements automatisés”, et “l’autorité ayant approuvé une demande de recueil d’informations ou de documents fournit à la commission tous les éclaircissements que celle-ci sollicite”, promet le décret, plein de bons sentiments.

Néanmoins, la CNCIS n’a toujours pas le pouvoir de sanction et ne peut même pas alerter la justice en cas de manquement sur un dossier couvert par le secret de la défense nationale. Habile…

Par ailleurs, le gouvernement se protège en supprimant ses archives en un temps record. Si l’on peut saluer la suppression des informations et des fichiers recueillis au bout de trois ans, on ne peut être que surpris par le fait que les registres mentionnant qui a autorisé telle ou telle surveillance soient eux aussi “automatiquement effacés” après trois ans. Le seul contrôle démocratique possible lorsqu’on jongle avec le secret défense, celui qui s’effectue a posteriori, est donc rendu impossible, pour la CNCIS comme pour la justice.

À quel prix ?

“Les coûts supportés par les opérateurs pour la transmission des informations ou des documents font l’objet d’un remboursement par l’État”, précise le décret. Pas un mot sur la grille tarifaire qui sera appliquée, car ils seront définis par les ministères concernés.

Qui peut demander les informations ?

Trois ministères sont habilités à émettre des demandes. Le décret détaille le nombre impressionnant de services pour lesquels les vannes du Web français sont ouvertes :

- Au ministère de l’Intérieur : la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction générale de la police nationale (unité de coordination de la lutte antiterroriste, Direction centrale de la police judiciaire, Direction centrale de la sécurité publique, Direction centrale de la police aux frontières), la Direction générale de la gendarmerie nationale (sous-direction de la police judiciaire ; sous-direction de l’anticipation opérationnelle ; service technique de recherches judiciaires et de documentation ; sections de recherches), la préfecture de police (Direction du renseignement ; direction régionale de la police judiciaire ; service transversal d’agglomération des événements ; cellule de suivi du plan de lutte contre les bandes ; sûreté régionale des transports ; sûretés territoriales).

- Au ministère de la Défense : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, la Direction du renseignement militaire.

- Au ministère des Finances et des Comptes publics : la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins.

Dans tous ces services, seuls les agents et officiers “dûment habilités” par leur directeur pourront réclamer des informations, assure le décret.

Des perspectives inquiétantes

La loi de programmation militaire a mis en place un outil de surveillance de la population française qui aurait fait pâlir d’envie les pires dictateurs de l’histoire. Si nous sommes très loin d’un régime totalitaire en France, il n’est pas exclu que des leaders extrémistes disent demain merci au gouvernement Valls pour leur avoir fourni un tel outil clé en main.

Source : Guerric Poncet, 26/12/2014, LePoint.fr

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En plus, voici un rappel de la loi, rédigé fin 2013

Comment va s’organiser la surveillance d’Internet en France

Grâce à l’article 8 du projet de loi de programmation militaire, les services de renseignement du ministère de la Défense et ceux du ministère du Budget pourront déjà accéder à de nombreux fichiers administratifs (immatriculation, carte nationale d’identité, passeports, etc.). Il suffira que soient en jeu des « atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ». « Une expression consacrée en plusieurs endroits du texte, mais qui reste trop floue à mon sens » regrettera Lionel Tardy, vainement.

Des fichiers, des fichiers, des fichiers

Il reviendra à un décret en Conseil d’État de déterminer tous les services spécialisés de renseignement qui pourront ainsi piocher dans cette masse d’information alimentée par traitements automatisés. Ces atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation serviront également de justification d’un traitement automatisé des informations recueillies à l’occasion de déplacements internationaux en provenance ou à destination d’États n’appartenant pas à l’Union européenne : cartes de débarquement et d’embarquement des passagers, etc. (article 9 et surtout l’article 10).

Sur ces dispositions, le député Lionel Tardy marquera là encore son étonnement (les échanges retranscrits). « Fait assez rare, voire inédit dans cette enceinte, l’article 10 anticipe la transposition d’une directive. D’habitude, c’est sur le tard, voire hors délai ! Il s’agit d’expérimenter un fichier automatisé des passagers aériens. Le mieux étant souvent l’ennemi du bien, il faut savoir que la directive PNR, « Passenger name record » (en question, ici, NDLR), n’est pas vraiment en phase de transposition : elle a été rejetée par la commission des libertés civiles du Parlement européen. Je sais que la connexion entre députés européens et cadres nationaux du PS n’est pas toujours bonne, mais je précise qu’en l’occurrence, le rejet a été soutenu par les socialistes et les écologistes européens ! » Ses remarques resteront sans effet.

L’article 12 assure quant à lui l’extension de la consultation des fichiers de police judiciaire aux services de renseignement. Sur cette disposition, le député de Haute-Savoie tentera vendredi à tout le moins de mettre la CNIL dans la boucle du décret d’application. Mais la rapporteure du texte, tout comme le gouvernement, s’y sont opposés : « Ce fichier d’antécédents dont l’accès est ouvert aux services de renseignement, résumera Patrica Adam, rapporteure du texte, a été créé par la loi du 14 mars 2011 dite LOPPSI 1. Le traitement de ces données est opéré sous contrôle du procureur de la République territorialement compétent et un magistrat est spécialement chargé de suivre la mise en œuvre du fichier au ministère de la Justice. Je pense que les garanties actuelles sont largement suffisantes et que l’avis de la CNIL sur ce projet de décret d’application est superfétatoire. » Un avis suivi par Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense. Circulez !

Mais c’est surtout l’article 13 qui suscite le plus d’interrogation. Le texte autorise les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques. Sans intervention préalable du juge.

L’article 13, ou la surveillance d’internet autorisée par la loi

Comme déjà exposé, le projet de loi apporte des modifications profondes au régime du recueil des données de connexion dans l’optique de la lutte contre le terrorisme. Ce régime dit des réquisitions administratives avait été installé par une loi antiterroriste du 23 janvier 2006. Il ne devait durer qu’un temps, mais au fil des lois sécuritaires, il a été prorogé et prorogé et prorogé.

Aujourd’hui, les données que peuvent réclamer la police et la gendarmerie visent non les contenus des messages, mais « les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, aux données relatives à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux données techniques relatives aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date de la communication » (article L.34-1-1 du Code des postes et des télécommunications)

Le faible encadrement de ces demandes administratives avait été dénoncé très tôt par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) selon laquelle « ces mesures dérogent évidemment aux principes fondamentaux de protection des libertés (…)une fois encore, au développement des pouvoirs de police administrative dans la mise en place de ce système de surveillance d’une activité privée des citoyens dans des lieux d’expression publics que sont les cybercafés, le tout au détriment des prérogatives auparavant laissées à la seule autorité judiciaire gardienne des libertés. C’est d’abord cette dérive qui est inquiétante. »

Au Sénat, à l’initiative du sénateur Jean Pierre Sueur, la loi de programmation militaire a été l’occasion d’un grand ménage : le provisoire a été gommé pour graver dans le marbre ce dispositif tout en unifiant le recueil prévu par la loi du 10 juillet 1991 (interceptions de sécurité, et donc le contenu des messages) et celui orchestré par la fameuse loi exceptionnelle de 2006 .

Une mesure applaudie par Manuel Valls, mais regrettée par la CNIL qui n’a pas été consultée et condamnée par l’Association des acteurs du web 2.0 : « le Projet de Loi de programmation militaire propose d’aligner le régime d’exception d’accès aux données sur celui des interceptions de communications électroniques. Or, les garanties offertes ne sont que partiellement transposées, voire inopérantes, dans certains cas. » Et pour cause, le texte permettra à de nombreuses administrations d’aspirer quantité de données détenues par les FAI et les hébergeurs, le tout en temps réel et sur simple « sollicitation du réseau. »

Quand pourra-t-on justifier ce recueil dans les mains des FAI et des hébergeurs ?

Avant d’ouvrir ces vannes, pas d’intervention préalable du juge. Les autorités auront simplement à justifier d’une recherche de renseignement touchant à « la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ». En clair, le robinet pourra s’ouvrir dès que l’un de ces motifs sera secoué devant lui.

Qu’est-ce qui pourra être butiné ?

Les agents pourront directement aspirer ces flux et ces stocks chez les FAI et des hébergeurs. Le texte est généreux puisqu’il leur apporte sur un plateau les « informations », mais aussi les « documents traités ou conservés. »

On le voit rapidement, les termes « d’informations » et de « documents » sont extrêmement vastes. Le projet de loi n’est pas bavard. Il nous dit que cela concernera notamment :

Mais cette liste inscrite dans le projet de loi n’est pas exhaustive et du coup, rien n’est dit sur l’expression « documents ». Lionel Tardy, un des rares à avoir tenté d’amender ce texte avec sa collègue Laure de la Raudière, a justement craint que ce terme « risque de l’étendre à d’autres éléments que ceux qui sont cités, et cela m’inquiète. »

L’Asic, association des acteurs du web communautaire, est sur la même longueur d’onde (pdf d’une note sur ce projet) : « contrairement au régime actuel, le texte étend très largement les modalités d’accès puisque cet accès concerne non seulement les données techniques (auparavant seules accessibles sur ce régime de l’accès) à toute “information ou document” conservés par les hébergeurs (…) Ce mécanisme revient à offrir aux autorités, sans aucun contrôle préalable, un accès à tout document et/ou contenu stocké par un hébergeur sur ces serveurs »

La présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, Patricia Adam, repoussera l’amendement du député de Haute-Savoie, au motif d’un souci de cohérence avec d’autres dispositions. « S’agissant du recueil de données auprès des opérateurs, les termes utilisés dans le code de la sécurité intérieure et celui des postes et des communications électroniques sont bien « informations et documents », tel que précisé dans cet article. Il n’est pas question d’en utiliser d’autres, qui risqueraient de rendre la loi moins lisible et plus difficilement applicable ».

Le Code de la sécurité intérieur, lorsqu’il aborde la question précise des interceptions (sur les contenus), prévoit en effet déjà que les tribunaux et le premier ministre, notamment, peuvent recueillir, auprès des intermédiaires, « les informations ou documents qui leur sont nécessaires, chacun en ce qui le concerne, pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi ». (Article L244-2). Mais ainsi, en voulant rendre la loi « plus » lisible et « plus » facilement applicable, les députés – avec l’appui du gouvernement socialiste – ont préféré étendre ce pouvoir d’aspiration sans intervention du juge ni de contrôle préalable à l’ensemble de ces pièces, comme on va le voir.

Que se passe-t-il si les administrations aspirent trop ?

L’actuel régime des interceptions prévoit des garanties sur cette question. L’article L.242-5 du code de la sécurité intérieure indique en effet que « dans les correspondances interceptées, seuls les renseignements en relation avec l’un des objectifs énumérés à l’article L. 241-2 peuvent faire l’objet d’une transcription. Cette transcription est effectuée par les personnels habilités ».

Là, il n’y a pas de mesures concrètes pour garantir la purge de ce qui n’est pas utile : en pratique, une lecture un peu paranoïaque peut faire craindre que tout soit demandé dès lors qu’un des motifs de déclenchement sera vérifié au départ (recherche de renseignement touchant à la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées, etc.). Voilà pourquoi l’ASIC considère que « la garantie d’une mesure proportionnée n’est pas ici reprise. Les autorités pourront obtenir l’ensemble des informations en lien ou non avec la finalité recherchée ».

Notons autre chose : les parlementaires n’ont pas repris un autre verrou toujours placé dans le monde des interceptions dites de sécurité. Là, quand les autorités tombent sur un délit ou un crime, ils doivent alerter le procureur de la République (article 40 du Code de procédure pénale, cité par l’article L.242-8 du Code de la sécurité intérieure. Les autres informations recueillies). Les autres données doivent être effacées si elles ne correspondent pas au motif de déclenchement. Dans le projet de loi de programmation, rien n’a été prévu à cet effet, ce qui laisse entrouverte la porte à d’autres utilisations. Quel verrou par exemple contre une transmission des informations et des documents à d’autres administrations ?

Qui pourra accéder à cette masse de données détenues par les FAI et les hébergeurs ?

En première ligne, il s’agira des agents individuellement habilités de l’Intérieur, de des services relevant des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du budget. Bref, toute une ribambelle d’administrations aux intérêts multiples.

Lionel Tardy avait là encore tenté de limiter la casse, cette fois sur le nombre de ministères concernés. « On comprend que les recueils de données puissent être demandés par les ministres de l’Intérieur et de la Défense. En revanche, faire apparaître celui de l’économie et des finances nous fait sortir du cadre de cette loi et mentionner le ministre délégué au budget, vous le reconnaîtrez, est beaucoup plus suspect. Nous traitons de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme : que vient faire ici l’économie ? Sans doute va-t-on me répondre qu’il s’agit de Tracfin. Or, Tracfin traite du blanchiment d’argent et si j’en crois ses propres chiffres, les affaires de terrorisme ne représentent que 1 % de ses dossiers. Il y a sans doute d’autres moyens que de donner ce pouvoir important aux ministres de Bercy. ».

Là encore, sans succès. Patricia Adam, rapporteure, lui rétorquera que « la communauté du renseignement, monsieur Tardy, n’est pas uniquement composée des services qui dépendent du ministère de l’intérieur et de celui de la défense ». Bref, dégagez, il n’y a rien à redire : l’enjeu est d’offrir un bel éventail de droits de communication testostéroné à cette « communauté du renseignement ». Son amendement sera donc repoussé, avec l’appui du gouvernement et le silence poli des autres groupes politiques, dont les Verts ou l’UMP.

Comment seront encadrés ces recueils ?

Ces indiscrétions se feront sur demandes initiales des administrations concernées et seront soumises à la décision d’une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre. Cette personne établira un rapport d’activité annuel qu’elle adressera à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Le recueil des « informations » et des « documents » pourra alors se faire sur « sur sollicitation du réseau », et donc à tous le moins à la demande.

Sur sollicitation du réseau ?

Cette notion fait là encore tiquer Tardy, seul poil à gratter présent vendredi, quelque peu désemparé par la pauvreté des débats sur ce terme. Il a ainsi voulu gommer ce passage jugé trop floue. « Soit [cette notion de sollicitation du réseau] va à l’encontre de l’objectif parce qu’elle est trop large et sujette à interprétation, soit elle est tellement floue qu’elle donne carte blanche à une interconnexion sans filet, ce qui serait intrusif. Dans les deux cas, ce n’est pas satisfaisant. J’aimerais savoir ce que recouvre cette notion. À mon sens, il faut que les opérateurs puissent intervenir, être consultés entre guillemets…Si c’est cela, autant le préciser, car, en l’état, ce n’est pas clair du tout ».

Le député, et donc les citoyens n’auront aucune réponse puisque les débats ont été d’un vide sidéral. Son amendement sera sèchement « repoussé par la commission et le Gouvernement », sous le silence poli des autres groupes, là encore.Ou du Conseil national du numérique qui n’a jamais ouvert sa bouche sur ce texte.

Fait notable, les FAI et hébergeurs auront l’obligation de transmettre toute cette masse d’information « en temps réel », ce qui accentue d’autant plus les capacités des autorités administratives sur les données et documents détenus par les opérateurs et hébergeurs, et spécialement la géolocalisation des équipements.

Ce « temps réel » croisé avec « la sollicitation du réseau » s’entrechoquent avec les dernières révélations d’Edward Snowden. Selon les documents cités dans l’édition du 30 novembre du Monde, la DGSE a noué des relations étroites avec la NSA dès 2005, relations où s’est établie «une franche discussion entre la direction des relations extérieures de la NSA et la direction technique de la DGSE ». Elle a porté « sur les besoins en information et sur l’idée de créer un modèle de référence en termes de partenariat. »

Le partenariat en question s’est même resserré entre la DGSE, la NSA et les autres pays anglo-saxons dès la fin 2011 avec l’adoption d’un protocole d’échange de données massif, écrivent encore nos confrères. Et pour cause : « la France bénéficie d’une position stratégique en matière de transport de données électroniques par les câbles sous-marins. Ce flux d’informations étranger-France, cette «matière première» comme la qualifie la NSA dans une note révélée par M. Snowden, fait l’objet d’une large interception par la DGSE ». Le Monde rappelle aussi les révélations du quotidien néerlandais NRC Handelsblad expliquant que la NSA a placé des points d’interception à Marseille, là où arrivent et partent six câbles sous-marins. On ne sait cependant « s’il s’agit d’un point d’accès «clandestin» ou du fruit d’une coopération avec les services français » temporisent nos confrères.

Et pour la procédure ?

La procédure en amont de cette sollicitation des réseaux en temps réel prend le soin tout particulier, nous l’avons dit, d’éviter tout contrôle a priori. L’autorisation de recueil de ces informations ou documents sera en effet accordée, sur demande écrite et motivée des ministres, par le Premier ministre pour une durée maximale de trente jours. Tardy avait bien tenté de raboter ce délai mais Patricia Adam lui a encore demandé d’aller voir ailleurs : « dix jours ne seraient pas suffisants pour permettre aux services d’effectuer correctement leur travail de surveillance et d’analyse ». Il y a cependant une subtilité passée sous silence puisque cette autorisation peut être renouvelée, dans les mêmes conditions de forme et de durée. Or, la loi ne prévoit aucune limitation permettant du coup des renouvellements successifs sur des périodes très longues !

Comment sont contrôlées ces données ?

Chaque autorisation sera communiquée dans les quarante-huit heures au président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Celui-ci pourra recommander d’y mettre fin s’il doute de la légalité de ces mesures. Tardy, encore et toujours, avait regretté ces modalités d’intervention de la CNCIS, et pour cause : son avis n’intervient qu’a posteriori. « Elle doit être saisie dans les quarante-huit heures et se réunir dans les sept jours. Son avis peut donc intervenir jusqu’à neuf jours après l’autorisation effective. Autrement dit, s’il y a manquement ou erreur, c’est déjà trop tard » constate le député qui a tenté de réduire le délai de sept à trois jours. Mais, sans surprise, son amendement sera « repoussé par la commission et le Gouvernement » sans davantage d’explication ou de soutien chez les autres députés, tous plongés dans un silence radieux.

Que se passe-t-il en cas de manquement ?

Fait notable, la CNCIS, une autorité administrative indépendante, disposera en outre d’un accès permanent au dispositif de recueil des informations ou des documents, histoire d’y mettre son nez. En cas de manquement, elle pourra adresser une autre recommandation au Premier ministre qui fera connaître à la commission, dans un délai de quinze jours, les mesures prises. Trop long là encore, répond Tardy : « le délai de quinze jours me paraît trop long pour revenir sur une erreur, c’est-à-dire sur une intrusion dans la vie privée, une atteinte aux libertés qui n’avait pas lieu d’être ». Il voulait ramener ce délai à 7 jours. Mais son amendement a, comme les autres, été rejeté.

L’Asic a également soulevé ce problème consécutif à tout contrôle tardif : « avoir une recommandation négative postérieurement à la captation des données est totalement inopérante au regard de l’objet même de la mesure. Les données auront déjà été collectées par les autorités (par exemple, récupération de toutes les données stockées dans le cloud) ».

Les FAI et hébergeurs seront-ils remboursés ?

Dans ce dispositif, les FAI et hébergeurs seront remboursés des éventuels « surcoûts identifiables et spécifiques ». Un décret devrait préciser les modalités de ce remboursement puisque selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n’est possible de faire peser sans contrepartie de telles obligations à des acteurs privés qui ne sont pas des auxiliaires de justice à titre gratuit.

Problème, la loi ne prévoit pas de délai pour la publication de ce décret. Lionel Tardy a voulu en imposer un en ayant l’exemple d’Hadopi en tête, où on attend, depuis 2009, pareil décret. « Dans mes souvenirs, la dernière fois que j’ai vu une disposition visant à indemniser les fournisseurs d’accès Internet de leurs obligations techniques à l’égard d’une autorité publique, c’était dans la loi HADOPI. En effet, un décret similaire à l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques est censé prévoir les modalités de compensation des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées par les opérateurs pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, ou d’un manquement à l’obligation (de sécurisation) ». Peine perdue.

Ces opérations seront-elles dévoilées au public ?

Non. Dans une dernière tentative parlementaire, Tardy voulait qu’au moins un rapport publie les différentes statistiques autour de l’usage de ces nouveaux droits de communications surmusclés. « Je n’ai pas l’habitude de demander des rapports, mais ici il me paraît essentiel que nous puissions avoir des retours chiffrés pour évaluer la portée du dispositif et le nombre de fois où il a été mis en œuvre. Dans un souci de transparence, ce rapport contiendrait des statistiques sur chacune des étapes : rien sur le contenu bien sûr, mais uniquement des chiffres, pour voir si réellement la procédure s’applique ou si les erreurs sont nombreuses. »

Patricia Adam repoussera avec l’aide du gouvernement encore cette demande. « La CNCIS publie régulièrement un rapport d’activité qui est très complet. On peut penser qu’à l’avenir, il permettra d’avoir des éléments statistiques sur cette nouvelle procédure ». Avec ce superbe « on peut penser », les députés acceptent de n’avoir aucune visibilité, aucune certitude, tout juste un espoir sur cette publication qu’ils n’ont voulu ordonner dans leur œuvre législative,  censée garantir les droits et libertés des citoyens.

Source : NextImpact, 12/2013

Source: http://www.les-crises.fr/le-cadeau-de-noel-de-manuel-valls-aux-internautes-la-surveillance/


[Ca se passe comme ça sur la Planète] Bangladesh, survivre dans le chaos

Sunday 28 December 2014 at 00:52

Je suis tombé hier sur cet incroyable reportage sur la vie au Bangladesh (mention spéciale aux, hmmm, orpailleurs ?), et il m’a semblé important de le partager avec vous…

Chaque année, au Bangladesh, a lieu le plus grand pèlerinage musulman du monde après celui de La Mecque, la Bishwa Ijtema, qui dure trois jours. Pour l’événement, des millions de fidèles affluent de tout le pays et de l’étranger. Bus, bateaux et trains sont pris d’assaut. Les voyageurs sont partout et certains prennent des risques inconsidérés : entassés sur les toits, accrochés aux fenêtres et aux essieux… Une foule quasi ingérable dans un pays aux infrastructures obsolètes.

Source: http://www.les-crises.fr/ca-se-passe-comme-ca-bangladesh/


[Reprise] Déclaration des descendants de l’émigration blanche à l’heure de la tragédie Ukrainienne

Saturday 27 December 2014 at 02:03

Encore un document pas inintéressant pas vu dans nos médias… C’est une déclarations des descendants d’émigrés anti-communistes des années 1920 – en rapport avec l’image Poutine = Russie = URSS = Communistes = Staline

Solidaires de la Russie à l’heure de la tragédie Ukrainienne

Depuis bientôt un an, les événements d’Ukraine interpellent chacun de nous, descendants de l’émigration blanche, d’autant plus que nos origines nous donnent accès à une information diversifiée, contrairement à la majorité des gens qui nous entourent.  La connaissance d’un passé proche, celui de la Russie d’avant 1917, nous donne la possibilité, et le devoir, de dénoncer les falsifications historiques patentes qui ont conduit au drame actuel en Ukraine.

Devant l’aggravation des tensions, dans le Donbass comme dans les relations internationales, une conclusion s’impose : l’hostilité agressive déployée aujourd’hui contre la Russie n’a rien de rationnel. La politique du « deux poids, deux mesures » a dépassé toutes les bornes. La Russie est accusée de tous les crimes, sans preuve, coupable a priori, tandis que d’autres pays bénéficient d’une indulgence particulièrement révoltante, au regard des droits de l’homme notamment.

Nous ne renonçons en rien à la défense des valeurs transmises par nos familles contraintes à l’exil après la révolution de 1917, ni à la dénonciation des crimes des bolcheviks et de leurs successeurs, ni à la promotion de la vérité historique sur ces années terribles. Mais ce n’est pas une raison pour admettre les calomnies qui se déversent, jour après jour, sur la Russie actuelle, ses dirigeants et son président, sanctionnés et vilipendés contre tout bon sens. Ce processus extravagant – autodestructeur pour les pays européens  – donne des arguments sérieux à tous ceux qui y voient une volonté occidentale de contrecarrer le développement de la Russie, bien plus que de résoudre la crise ukrainienne. Attaquer systématiquement tout ce qui touche à la notion de « monde russe » est  particulièrement ridicule : il s’agit d’une réalité historique, géographique, linguistique, culturelle et spirituelle, d’une haute civilisation qui a beaucoup donné au monde et dont nous sommes fiers.

Nous ne pouvons pas non plus tolérer le honteux silence officiel et médiatique des pays européens sur les terribles bombardements de populations et d’infrastructures civiles effectués par l’armée ukrainienne dans le Donbass, soutenue par des milices arborant une symbolique nazie. Ce silence, pour les autorités de Kiev, équivaut à un véritable permis d’exterminer. Depuis des mois, des enfants et des vieillards meurent ou sont gravement blessés, des prisonniers sont torturés. Voilà maintenant que le gouvernement de Kiev a décrété un blocus intégral (gaz, électricité, trains, administrations et hôpitaux, retraites, salaires, médicaments…) pour mieux anéantir une région dont il proclame pourtant qu’elle fait partie intégrante de son territoire. Et comment ne pas dénoncer les violences commises par les partisans de Kiev contre l’Eglise orthodoxe russe en Ukraine – des prêtres menacés, contraints à la fuite ou même tués, une cinquantaine d’églises bombardées (vingt entièrement détruites), des fidèles persécutés.  Où sont les valeurs européennes dans tout cela ?

Malgré leur rejet total de l’Union soviétique, nos parents et grands-parents ont été bouleversés par les souffrances du peuple russe lors de la Deuxième guerre mondiale. A notre tour, nous refusons l’indifférence et le silence  –  devant l’extermination programmée des populations du Donbass, la russophobie délirante, l’hypocrisie de procédés totalement contraires aux intérêts d’une Europe qui nous est chère. Nous voulons espérer que les pays qui ont accueilli nos familles retrouveront bientôt la voie de la raison et de l’objectivité.

Paris, le 26 novembre 2014
Dimitri et Tamara SCHAKHOVSKOY

La déclaration  « Solidaires de la Russie » a été rédigée par Dimitri et Tamara Schakhovskoy, avec la participation du groupe de réflexion Russky Most*. Depuis le 26 novembre 2014,  cette initiative a reçu l’approbation de plus d’une centaine de descendants représentatifs de l’émigration blanche, appartenant à ses différentes associations, dans des pays et des continents différents.  Quelques autres personnes – ayant ou non un lien particulier avec la Russie – ont souhaité, elles aussi, manifester leur soutien. La liste des signataires s’allonge chaque jour et reste ouverte sur solidairesdelarussie@gmail.com.

* Russky Most a été créé en février 2011 par un groupe de descendants de l’émigration blanche, désireux d’approfondir les réflexions nées de leur participation à la « croisière-pèlerinage de Bizerte à Sébastopol ». Organisé en juillet 2010 par plusieurs associations russes (Fonds André le Premier appelé, Fondation pour la Gloire nationale russe, Le Monde Russe, etc), ce voyage commémorait l’Exode de Crimée de l’Armée Wrangel en 1920 et a été l’occasion de débats aussi vifs que riches d’enseignements. On en trouvera quelques échos sur le site www.russkymost.net.

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 LISTE DES SIGNATAIRES:

LL.AA.SS. le Prince et la Princesse Georges Yourievsky (Seengen, Suisse)
Vera Albertini (Sainte-Geneviève-des Bois, France)
Olga Andreoli, née Troubnikoff (Meudon, France)
Arkady Arianoff (Bruxelles, Belgique)
Michel Avierino (Neuilly-sur-Seine, France)
Vladimir et Yolande Bariatinsky (Schiltigheim, France)
Marie-France Beglan (Walton-on-Thames, Grande-Bretagne)
Alexis et Claude Beresnikoff (Roman, France)
Nicolas et Ghislaine Bieliavsky (Roly, Belgique)
Alexandre  Bobrikoff (Asnières-sur-Seine, France)
Nicolas  Bobrinsky (Darmstadt, Allemagne)
Alexandre Boldireff (Gallardon, France)
Irène de Boreicha (Lausanne, Suisse)
Véra Boutleroff (Paris, France)
Sophie Brun de Saint-Hippolyte (Asnières-sur-Seine, France)
Roger Carmigniano (Paris, France)
Pierre Cheremetieff (Paris, France)
Tatiana Chirikova (Saint-Maurice, Suisse)
Philippe Crévieaux (Rixensart,Belgique)
Constantin Davidoff (Paris, France)
Dimitri Dourdine Mak (Bruxelles, Belgique)
Alexander Drutskoy Sokolinsky (Bruxelles, Belgique)
André Feodoroff (Fontenay-aux-Roses, France)
Tatiana Feodoroff (Chatenay-Malabry, France)
Pierre de Fermor (Nice, France)
Julia Filatova (Saintes, Belgique)
Xenia Finnsson (Versailles, France)
Vera Finnsson (Paris, France)
Nestor et Marie Genko, née Starosselsky (Le Pecq, France)
Vladimir Givoloup (Ault, France)
Nadine Goloubinoff (Versailles, France)
Gérard Gorokhoff (Paris, France)
Jean Goutchkoff (Genève, Suisse)
Michel Grabar (Paris, France)
Nicolas Grekoff (Paris, France)
Alexis Grigorieff ( Paris, France)
Marie de Haut de Sigy, née de Saint-Hippolyte (Issy-les-Moulineaux, France)
Anne Henderson-Stewart, née de Pahlen (Londres, Grande-Bretagne)
André Henderson-Stewart (Londres, Grande-Bretagne)
Nicolas Ignatiew (La Rochelle, France)
Marie Ivanov, née Tatistcheff (Paris, France)
Tatiana Kameneff (Vélizy-Villacoublay, France)
Serge Kapnist (Paris, France)
Véronique Kapnist, née Lycett (Vélizy, France)
Hélène Knupffer, née Yaguello (Londres, Grande-Bretagne
Rostislav Kolla-Moussine Pouchkine (Vélizy-Villacoublay, France)
Alexandre et Janine Koltchak (Paris, France)
Ivan Kourdukoff (Nice, France)
Vladimir Kozyreff (Chaumont-Gistoux, Belgique)
Yvan Kriloff (Bruxelles, Belgique)
Oleg Lavroff (Chatenay-Malabry, France)
Jean Lazareff (Paris, France)
Anne Louis-Kisselevsky (Rueil-Malmaison, France)
Serge Loutchaninoff (Texas, Etats-Unis d’Amérique)
Georges Marschalk (Paris, France)
Georges et Nadia  Matcheret, née Wolkonsky (Paris, France)
André Matzneff (Courbevoie, France)
Alexandre et Anne Miller de la Cerda, née Tolstoï (Biarritz, France)
Anna Miloradovitch (Montréal, Canada)
Marie Mourait, née Troubnikoff (Paris, France)
Constantin et Suzanne Mourousy (Paris, France)
Xenia Muratova (Paris, France)
Peter Naryshkine (Capetown, Afrique du sud)
Tatiana Oussof (Paris, France)
Serge de Pahlen (Allaman, Suisse)
Irina Pahlen (Wezembeek Oppen, Belgique)
Serge Pascault (Paris, France)
Galina Perchitchev (Sceaux, France)
Efim Pernikoff (Mareil-Marly, France)
Rostislav et Xenia Pervychine, née Machtalere (Meudon, France)
Alexandre V. et Hélène V. Plotto (Fontenay-sous-Bois, France)
Dmitri Possylkine (Saintes, Belgique)
Alexandre et Marie-Madeleine Pouchkine, née Dournovo (Bruxelles, Belgique)
Marina Poulet, née Pervychine (Chaville, France)
Johanna Pridun (Paris, France)
Stéphane Pridun (Paris, France)
René-Marie et Marianne Rampelberg, née Parfenoff (Paris, France)
Séraphin et Hélène Rehbinder, née Pochitaloff (Mies, Suisse)
Serge et Hélène Rehbinder (Antony, France)
Daria Reine, née Rozova (Paris, France)
Alexandra de Rennenkampf, née Nefedoff (Meudon, France)
Nathalie von Rosenschild (Yerres, France)
Elisabeth Roussel, née Stephanovitch (Paris, France)
Alexis et Nathalie Rutschkowsky, née Babkoff (Paris, France)
Paul Safiannikoff (Bruxelles, Belgique)
Pierre de Saint-Hippolyte (Paris, France)
Dimitri et Tamara Schakhovskoy, née Thorgevsky (Paris, France)
Irène Schidlovsky, née Golovine (Bougival, France)
Marina Schidlovsky (Meudon, France)
André Schorochoff (Bruxelles, Belgique)
Catherine Soulatzky (Boulogne-Billancourt, France)
André Stenbock Fermor (Paris, France)
Xenia Stenbock Fermor (Albenga, Italie)
Antoine Succar (Sacharoff) (Paris, France)
Jean et Denise Swetchine (Châtenay-Malabry, France)
Alexandre Terentiev (Marly-le-Roi, France)
Colette Tolstoï (Paris, France)
Dimitri Tolstoï (Paris, France)
Marina Tolstoy (Bruxelles, Belgique)
Tatiana Toungouzova (Paris, France)
Dr Sergey Trotzky (Salzburg, Autriche)
Catherine von Tsurikoff, née Ignatieff (Bad Homburg, Allemagne)
Michel Vinogradoff (Bourg-en-Bresse, France)
Olga Wienand, née Rosine (Esher, Grande-Bretagne)
Michel et Chantal Worontzoff Weliaminoff (Concarneau, France)
Nicolas Yanoff (Boulogne-Billancourt, France)

Source: http://www.les-crises.fr/declaration-des-descendants-de-lemigration-blanche-a-lheure-de-la-tragedie-ukrainienne/