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L’inégalité et l’islamophobie créent les conditions du djihadisme, par Said Bouamama

Friday 6 February 2015 at 01:22

L’occultation politique et médiatique des causes, des conséquences et des enjeux

11 janvier 2015 par Said Bouamama

L’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo marquera notre histoire contemporaine. Il reste à savoir dans quel sens et avec quelles conséquences. Dans le contexte actuel de « guerre contre le terrorisme » (guerre extérieure) et de racisme et d’islamophobie d’Etat, les artisans de cet acte ont, consciemment ou non [1] accéléré un processus de stigmatisation et d’isolement de la composante musulmane, réelle ou supposée, des classes populaires.

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »

 L’occultation totale des causes

Ne pas prendre en compte les causalités profondes et immédiates, isoler les conséquences du contexte qui les fait émerger et ne pas inscrire un événement aussi violent dans la généalogie des facteurs qui l’ont rendu possible condamne, au mieux, à la tétanie, au pire, à une logique de guerre civile. Aujourd’hui, personne dans les médias n’aborde les causes réelles ou potentielles. Pourquoi est-il possible qu’un tel attentat se produise à Paris aujourd’hui ? Comme le souligne Sophie Wahnich, il existe « un usage fasciste des émotions politiques de la foule » dont le seul antidote est le « nouage possible des émotions et de la raison » [2]. Ce que nous vivons aujourd’hui est ce cantonnement des discours médiatiques et politiques dominants à la seule émotion, en occultant totalement l’analyse réelle et concrète. Toute tentative d’analyse réelle de la situation, telle qu’elle est, ou toute analyse tentant de proposer une autre explication que celle fournie par les médias et la classe politique, devient une apologie de l’attentat.

Regard sur le ventre fécond de la bête immonde

Regardons donc du côté des causes et d’abord de celles qui relèvent désormais de la longue durée et de la dimension internationale. La France est une des puissances les plus en guerre sur la planète. De l’Irak à la Syrie, en passant par la Libye et l’Afghanistan pour le pétrole, du Mali à la Centrafrique, en passant par le Congo pour les minerais stratégiques, les soldats français contribuent à semer la mort et le désastre aux quatre coins de la planète.

La fin des équilibres mondiaux issus de la seconde guerre mondiale avec la disparition de l’URSS, couplée à une mondialisation capitaliste centrée sur la baisse des coûts pour maximiser les profits et à la nouvelle concurrence des pays émergents, font de la maîtrise des matières premières la cause principale des ingérences, interventions et guerres contemporaines. Voici comment le sociologue Thierry Brugvin résume la place des guerres dans le monde contemporain :

« La conclusion de la guerre froide a précipité la fin d’une régulation des conflits au niveau mondial. Entre 1990 et 2001 le nombre de conflits interétatiques a explosé : 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts. […] Officiellement, le départ pour la guerre contre une nation adverse est toujours légitimé par des mobiles vertueux : défense de la liberté, démocratie, justice… Dans les faits, les guerres permettent de contrôler économiquement un pays, mais aussi de faire en sorte que les entrepreneurs privés d’une nation puissent accaparer les matières premières (pétrole, uranium, minerais, etc.) ou les ressources humaines d’un pays. » [3]

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le discours de légitimation des guerres s’est construit essentiellement sur le « danger islamiste » contribuant au développement d’une islamophobie à grande échelle au sein des principales puissances occidentales, que les rapports officiels eux-mêmes sont contraints de constater. [4] Dans le même temps, ces guerres produisent une solide « haine de l’occident » dans les peuples victimes de ces agressions militaires. [5] Les guerres menées par l’occident sont une des principales matrices de la bête immonde.

Dans la volonté de contrôle des richesses pétro-gazières, le Proche et le Moyen-Orient sont un enjeu géostratégique central. Les stratégies des puissances occidentales en général et françaises en particulier, se déploient sur deux axes : le renforcement d’Israël comme base et pivot du contrôle de la région, et le soutien aux pétromonarchies réactionnaires du golfe.

Le soutien indéfectible à l’Etat d’Israël est ainsi une constante de la politique française ne connaissant pas d’alternance, de Sarkozy à Hollande. Cet État peut assassiner en toute impunité sur une grande échelle. Quels que soient l’ampleur et les moyens des massacres, le gérant local des intérêts occidentaux n’est jamais véritablement et durablement inquiété. François Hollande déclare ainsi lors de son voyage officiel en Israël en 2013 : « je resterai toujours un ami d’Israël ». [6]

Et, là aussi, le discours médiatique et politique de légitimation d’un tel soutien se construit sur la base d’une présentation du Hamas palestinien mais également (à travers des imprécisions verbales récurrentes) de la résistance palestinienne dans son ensemble, de la population palestinienne dans son ensemble et de ses soutiens politiques internationaux, comme porteurs d’un danger « islamiste ». La logique « du deux poids, deux mesures » s’impose une nouvelle fois à partir d’une approche islamophobe portée par les plus hauts sommets de l’État et relayée par la grande majorité des médias et des acteurs politiques. Tel est le second profil du ventre de la bête immonde.

Ces facteurs internationaux se conjuguent à des facteurs internes à la société française. Nous avons déjà souligné, plus haut, l’islamophobie d’État, propulsée par la loi sur le foulard en 2004 et entretenue depuis régulièrement (discours sur les révoltes des quartiers populaires en 2005, loi sur le niqab, « débat » sur l’identité nationale, circulaire Chatel et exclusion des mères voilées des sorties scolaires, harcèlement des lycéennes en jupes longues, interdiction des manifestations de soutien au peuple palestinien, etc.).

Il faut maintenant souligner que ce climat islamophobe n’a été confronté à aucune réponse par les forces politiques se réclamant des classes populaires. Plus grave, un consensus très large s’est fait jour à plusieurs reprises, au prétexte de défendre la « laïcité » ou de ne pas frayer avec « ceux qui défendent le Hamas ». De l’extrême-droite à une partie importante de l’extrême gauche, les mêmes arguments ont été avancés, les mêmes clivages ont été construits, les mêmes conséquences ont été produites.

Le résultat n’est rien d’autre que l’enracinement encore plus profond des islamalgames, l’approfondissement d’un clivage au sein des classes populaires, la fragilisation encore plus grande des digues antiracistes déjà fragilisées, et des violences concrètes ou symboliques exercées contre les musulmans et les musulmanes. Ce résultat peut se décrire, comme le propose Raphaël Liogier, comme la diffusion, dans une partie importante de la société, du « mythe de l’islamisation » débouchant sur la tendance à constituer une « obsession collective ». [7]

La tendance à la production d’une « obsession collective » s’est de surcroît encore approfondie avec le traitement médiatique récent des cas Zemmour et Houellebecq. Après lui avoir offert de multiples tribunes, Eric Zemmour est renvoyé d’I-télé pour avoir proposé la « déportation des musulmans français ». Dans le contexte d’obsession collective que nous avons évoquée, cela lui permet de se poser en victime. Quant à l’écrivain, il est défendu par de nombreux journalistes au prétexte de ne pas confondre fiction et réalité. Dans les deux cas cependant, il reste un approfondissement de « l’obsession collective » d’une part, et le sentiment d’être insulté en permanence une nouvelle fois, d’autre part. Tel est le troisième profil du ventre de la bête immonde.

Ce facteur interne d’une islamophobie banalisée a des effets décuplés dans le contexte de fragilisation économique, sociale et politique générale des classes populaires aujourd’hui. La paupérisation et la précarisation massive sont devenues insoutenables dans les quartiers populaires. Il en découle des rapports sociaux marqués par une violence grandissante contre soi et contre les proches. A cela, se combinent le déclassement d’une part importante des classes moyennes, ainsi que la peur du déclassement pour ceux chez qui tout va encore bien mais qui ne sont pas « bien nés ». Ceux-là, se sentant en danger, disposent alors d’une cible consensuelle déjà toute désignée médiatiquement et politiquement comme légitime : le musulman ou la musulmane.

La fragilisation touche encore plus fortement la composante issue de l’immigration des classes populaires, qui est confrontée aux discriminations racistes systémiques (angle absolument mort des discours des organisations politiques se réclamant des classes populaires), celles-ci produisant des trajectoires de marginalisation (dans la formation, dans l’emploi, dans la recherche du logement, dans le rapport à la police et aux contrôles au faciès, etc.). [8]

L’approfondissement du clivage entre deux composantes des classes populaires dans une logique de « diviser ceux qui devraient être unis (les différentes composantes des classes populaires) et d’unir ceux qui devraient être divisés (les classes sociales aux intérêts divergents) » est le quatrième profil du ventre de la bête immonde.

De quoi accouche un tel ventre ?

Une telle matrice est à l’évidence propice à l’émergence de trajectoires nihilistes se traduisant par la tuerie à Charlie Hebdo. Extrêmement minoritaires, ces trajectoires sont une production de notre système social et des inégalités et discriminations massives qui le caractérisent.

Mais ce qu’ont révélé les réactions à l’attentat est tout autant important et, quantitativement, bien plus répandu que l’option nihiliste (pour le moment ?). Sans pouvoir être exhaustifs, rappelons quelques éléments de ces derniers jours. Du côté des discours, nous avons eu Marine Le Pen exigeant un débat national contre le « fondamentalisme islamique », le bloc identitaire déclarant la nécessité de « remettre en cause l’immigration massive et l’islamisation » pour lutter contre le « djihadisme », le journaliste Yvan Rioufol du Figaro sommant Rokhaya Diallo de se désolidariser sur RTL, Jeannette Bougrab accusant « ceux qui ont traité Charlie Hebdo d’islamophobe » d’être les coupables de l’attentat, sans compter toutes les déclarations parlant « de guerre déclarée ». A ces propos, se joignent des passages à l’acte de ces derniers jours : une Femen se filme en train de brûler et de piétiner le Coran, des coups de feu sont tirés contre la mosquée d’Albi, des tags racistes sont peints sur les mosquée de Bayonne et Poitiers, des grenades sont lancées contre une autre au Mans, des coups de feu sont tirés contre une salle de prière à Port la Nouvelle, une autre salle de prière est incendiée à Aix les Bains, une tête de sanglier et des viscères sont accrochés devant une salle de prière à Corte en Corse, un restaurant-snack-kebab est l’objet d’une explosion à Villefranche sur Saône, un automobiliste est la cible de coups de feu dans le Vaucluse, un lycéen d’origine maghrébine de 17 ans est molesté lors d’une minute de silence à Bourgoin-Jallieu en Isère, etc. Ces propos et actes montrent l’ampleur des dégâts d’ores et déjà causés par les dernières décennies de banalisation islamophobe. Ils font aussi partie de la bête immonde.

La bête immonde se trouve également dans l’absence criante d’indignation face aux victimes innombrables des guerres impérialistes de ces dernières décennies. Réagissant à propos du 11 septembre, la philosophe Judith Butler s’interroge sur l’indignation inégale. Elle souligne que l’indignation justifiée pour les victimes du 11 septembre s’accompagne d’une indifférence pour les victimes des guerres menées par les USA : « Comment se fait-il qu’on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n’aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir ? ». [9]

Cette indignation inégale est à la base du processus de production d’un clivage bien réel au sein des classes populaires. Et c’est ce clivage qui est porteur de tous les dangers, notamment en période de construction de « l’union nationale », comme aujourd’hui.

L’union nationale qu’ils rêvent de construire, c’est « toutes et tous ensemble contre ceux qui ne sont pas des nôtres, contre celles et ceux qui ne montrent pas patte blanche ».

Une formidable instrumentalisation politique

Mais le scandale que nous vivons aujourd’hui ne s’arrête pas là. C’est avec un cynisme consommé que des instrumentalisations de la situation, et de la panique qu’elle suscite, se déploient à longueur de journée.

* Renforcement sécuritaire et atteintes aux libertés démocratiques

Certains, comme Dupont Aignan, réclament « plus de souplesse aux forces de l’ordre » alors qu’une nouvelle « loi antiterroriste » a déjà été votée l’automne dernier. Et, en écho, Thierry Mariani fait référence au Patriot Act états-unien (dont la conséquence a été de graves atteintes aux libertés individuelles sous prétexte de lutte contre le terrorisme) : « Les Etats-Unis ont su réagir après le 11 Septembre. On a dénoncé le Patriot Act, mais, depuis, ils n’ont pas eu d’attentat à part Boston ». [10]

Instrumentaliser la peur et l’émotion pour renforcer des lois et mesures liberticides, telle est la première manipulation qui est aujourd’hui testée pour mesurer le champ des possibles en matière de régression démocratique. D’ores et déjà, certaines revendications légitimes et urgentes sont rendues inaudibles par la surenchère sécuritaire qui tente de profiter de la situation : il sera par exemple beaucoup plus difficile de mener le combat contre le contrôle au faciès, et les humiliations quotidiennes qu’il produit continueront à s’exercer dans l’indifférence générale.

* L’unité nationale

La construction active et déterminée de l’unité nationale est la seconde instrumentalisation majeure en cours. Elle permet de mettre en sourdine l’ensemble des revendications qui entravent le processus de dérégulation généralisé. La ficelle a beau être grosse, elle est efficace dans un climat de peur généralisé, que l’ensemble des médias produisent quotidiennement. Dans certaines villes, l’unité nationale est déjà étendue au Front National qui a participé aux rassemblements de soutien à Charlie Hebdo. Dati et Fillon s’indignent déjà de « l’exclusion » de Marine Le Pen de l’unité nationale. C’est cette « unité nationale » qui fait le plus de dégâts politiquement aussi, car elle détruit les rares repères positifs qui pouvaient exister auparavant en termes d’alliances possibles et d’identités politiques.

* L’injonction à se justifier

Une autre instrumentalisation se trouve dans l’injonction permanente des musulmans réels ou supposés à se justifier pour des actes qu’ils n’ont pas commis, et/ou à se démarquer des auteurs de l’attentat.

Cette mise en accusation permanente est humiliante. Il n’est venu à l’idée de personne d’exiger de tous les chrétiens réels ou supposés une condamnation lorsque le Norvégien Anders Behring Breivik a assassiné 77 personnes en juillet 2011 en se revendiquant de l’islamophobie et du nationalisme blanc.

Derrière cette injonction, se trouve la logique posant l’islam comme étant par essence incompatible avec la République. De cette logique découle l’idée de mettre les musulmans, réels ou supposés, sous surveillance non seulement des policiers, mais également des médias, des profs, des voisins, etc.

* Être Charlie ? Qui peut être Charlie ? Qui veut être Charlie ?

Le slogan « nous sommes tous Charlie » est enfin la dernière instrumentalisation en déploiement ces jours-ci. Si l’attentat contre Charlie Hebdo est condamnable, il est hors de question cependant d’oublier le rôle qu’a joué cet hebdomadaire dans la constitution du climat islamophobe d’aujourd’hui.

Il est également hors de question d’oublier les odes à Bush que ses pages accueillaient alors que celui-ci impulsait cette fameuse « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan puis en Irak. [...]

Nous ne sommes PAS PLUS Charlie hier qu’aujourd’hui.

Les temps qui s’annoncent vont être difficiles et coûteux. Pour stopper l’escalade, nous devons mettre fin à la violence des dominants : nous devons nous battre pour stopper les guerres impérialistes en cours et abroger les lois racistes. Pour stopper l’escalade, nous devons développer tous les cadres et événements de solidarité destinés à empêcher la déferlante des propos ou actes racistes et notamment islamophobes. Pour stopper l’escalade, nous devons construire tous les espaces de solidarité économique et sociale possibles dans nos quartiers populaires, en toute autonomie vis-à-vis de tous ceux qui prônent l’union nationale comme perspective.

Plus que jamais, nous avons besoin de nous organiser, de serrer les rangs, de refuser la logique « divisant ceux qui devraient être unis et unissant ceux qui devraient être divisés ». Plus que jamais, nous devons désigner l’ennemi pour nous construire ensemble : l’ennemi, c’est tout ce qui nous divise.

Said Bouamama

Notes :

[1] Il est d’une part trop tôt pour le dire et, d’autre part, le résultat est le même.
[2] Sophie Wahnich, La révolution française, un événement de la raison sensible 1787-1799, Hachette, Paris, 2012, p. 19.
[3] Thierry Brugvin, Le pouvoir illégal des élites, Max Milo, Paris, 2014.
[4] Djacoba Liva Tehindrazanarivelo, Le racisme à l’égard des migrants en Europe, éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009, p. 171.
[5] Jean Ziegler, La haine de l’Occident, Albin Michel, Paris, 2008.
[6] Le Monde, Hollande « ami d’Israël » reste ferme face à l’Iran, 17-11-2013.
[7] Raphaël Liogier, Le mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, Le Seuil, Paris, 2012.
[8] Voir sur cet aspect mon dernier article sur mon blog, Les dégâts invisibilisés des discriminations inégalité sociales et des discriminations racistes et sexistes, https://bouamamas.wordpress.com/
[9] Judith Butler, cité dans, Mathias Delori, Ces morts que nous n’allons pas pleurer, http://blogs.mediapart.fr/blog/math…, consulté le 9 janvier 2015 à 18 h.
[10] Le Parisien du 8-01-2015
Source : Investig’Action

Said Bouamama est l’auteur de nombreux ouvrages dont”Figures de la libération africaine. De Kenyatta à Sankara”, 2014 ; Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations, des femmes de Blanc-Mesnil, Le Temps des Cerises, 2013 ; Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Édition Syllepse, 2012 ; Les discriminations racistes : une arme de division massive,L’Harmattan, 2010 ; Les classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination, Éditions du Cygne, 2009 ; L’affaire du foulard islamique : production d’un racisme respectable, Le Geai bleu, 2004 ; Dix ans de marche des beurs, chronique d’un mouvement avorté, Desclée de Brouwer, 1994.

L’inégalité et l’islamophobie créent les conditions du djihadisme

Saïd Bouamama. Sociologue et docteur en socioéconomie

le 15.01.15 | 10h00 5

Saïd Bouamama

Saïd Bouamama est un sociologue algérien établi depuis plusieurs années en France. Il est docteur en socioéconomie. Il développe une sociologie des dominations prenant pour objets les questions liées à l’immigration, comme la place des personnes issues de l’immigration dans la société française. Il est, par ailleurs, militant politique et associatif dans les luttes de l’immigration pour l’égalité réelle des droits en France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Les Discriminations racistes, une arme de division massive (2011), La Manipulation de l’identité nationale : Du bouc émissaire à l’ennemi de l’intérieur (2011) ou encore Femmes des quartiers populaires en résistance contre les discriminations (2013).

- Que pensez-vous du débat politique en France qui pointe du doigt la banlieue et l’immigration suite aux attentats de Paris ?

Le débat actuel est incompréhensible si on ne le restitue pas dans un contexte plus global. Le premier élément de ce contexte est une paupérisation et une précarisation massive des classes et quartiers populaires depuis quatre décennies. Les politiques ultralibérales ont fragilisé, de manière inédite jusqu’à aujourd’hui, ces classes et espaces de vie où les populations issues de l’immigration sont concentrées. Des taux de chômage atteignant, selon les chiffres officiels, plus de 40%, c’est-à-dire quatre fois plus que la moyenne nationale, caractérisent ces quartiers.

De surcroît, ces jeunes Français issus de l’immigration sont confrontés à des discriminations massives et systémiques. En 2008, selon une étude du Bureau international du travail (BIT), quatre sur cinq employeurs discriminent à l’embauche les candidats issus de groupes minoritaires, noirs ou d’origine maghrébine. Toute une partie de notre jeunesse est, de ce fait, dans une situation de désespérance sociale.

De plus, s’ajoute à cela des contrôles au faciès qui sont vécus comme de l’humiliation et de la hogra. Enfin, depuis les attentats du 11 Septembre, puis après la loi interdisant le port du foulard à l’école, les débats médiatiques et politiques se sont succédé pour stigmatiser les musulmans en les amalgamant fréquemment à l’intégrisme, au terrorisme, au djihadisme, etc. C’est ce que nous avons appelé les «islamalgames».

- En tant que sociologue, comment expliquez-vous le phénomène de radicalisation dans les quartiers populaires ?

C’est le contexte global, dont je viens de parler, qui débouche pour de nombreux jeunes sur une absence de projection dans l’avenir, sur un rapport sceptique au monde et sur une colère sourde. Cette colère explose parfois suite à des contrôles aux faciès, par exemple. Cette discrimination a provoqué plus d’une dizaine de morts en dix ans. Une extrême minorité de ces jeunes est tombée en proie à des prédicateurs de la haine, financés par l’Arabie Saoudite ou le Qatar, par ailleurs grands amis de l’Etat français.

Le phénomène de radicalisation, il faut le dire aussi, est renforcé par la participation de la France à toutes les guerres pour le pétrole et son soutien à l’Etat d’Israël, y compris lors des périodes de massacres de masses. L’interdiction, cet été, de plusieurs manifestations publiques de soutien à la Palestine a été vécue comme une injustice. D’ailleurs, la présence des assassins israéliens à la manifestation de dimanche dernier est également perçue par certains comme une provocation.

- Une semaine après les attaques contre Charlie Hebdo, quelle est votre évaluation des réactions politiques et médiatiques envers la communauté musulmane ?

Je disais souvent que la stigmatisation, sur une longue durée, des musulmans, réelle ou supposée, a produit une islamophobie. Elle est entretenue sur le plan médiatique par des propos polémiques de la part même de membres du gouvernement. Parler des conséquences de ce qui s’est passé, comme on le constate depuis une semaine, sans aborder les causes est une autre injustice qui se paye cher. A cause des discours médiatiques qui ont suivi les attentats, les actes islamophobes se sont multipliés.

On en compte une cinquantaine, qui vont de grenades lancées dans une mosquée à une tête de porc déposée devant une autre, à un jeune molesté lors d’une minute de silence, en passant par des graffitis injurieux et des insultes racistes. En réalité, c’est l’inégalité et l’islamophobie qui créent les conditions du djihadisme d’une minorité de jeunes. Le nier et ne pas prendre des mesures claires contre l’islamophobie alimentent ce processus.

- Pourquoi avez-vous déclaré que vous n’êtes pas Charlie ?

J’ai préféré dire «Je ne suis pas Charlie» pour dénoncer trois sortes d’instrumentalisation de cette affaire. D’abord, deux instrumentalisations du gouvernement français. Ce dernier a fait des choix économiques qui conduiront inévitablement les quartiers populaires à des explosions. Il profite de l’émotion liée aux assassinats atroces des journalistes de Charlie Hebdo pour justifier un futur Patriot Act, à la française, donnant de nouveaux droits aux policiers.

Ainsi, on peut craindre le pire quand on sait que le deuxième syndicat de policiers est ouvertement d’extrême droite. La lutte contre le terrorisme est prise comme prétexte pour introduire une restriction des libertés et des droits démocratiques pour tous, mais nous savons très bien qui sera pénalisé en premier lieu.

La seconde instrumentalisation de la part du gouvernement est celle du discours sur l’unité nationale. Cette unité n’est pas possible si les questions de la justice sociale, de la lutte contre les discriminations et du combat contre l’islamophobie ne sont pas posées. Le discours sur l’unité nationale vise à masquer et à rendre inaudibles ces questions. Au nom de cette unité nationale, il a été demandé de défiler avec Netanyahu et ceux qui ont refusé, ont été présentés comme idiots utiles ou complices des assassins.

La troisième instrumentalisation est médiatique et sociétale. Elle se trouve dans le slogan «Nous sommes Charlie». Cet hebdomadaire satirique développe depuis de nombreuses années des caricatures islamophobes et insultantes. C’est son droit inaliénable et il n’est pas question de le remettre en cause.

En revanche, il est impossible de demander à ceux qui se sont sentis insultés pendant de nombreuses années de se revendiquer de leur insulteur. La réaction spontanée — que les médias ont massivement occultée — a été la mise en circulation de multiples affichettes, pancartes et tags : «Je suis Ahmed», «Je suis contre l’islamophobie», «Je suis contre le sionisme», «Je suis musulman et contre les attentats», «Je suis contre le djihadisme», etc.

- Que devront faire les jeunes des quartiers populaires pour se défendre et se démarquer du terrorisme, tout en restant dignes ?

Il est urgent de donner un canal d’expression organisé aux jeunes des quartiers populaires. Faute de cela, ils deviendront les otages de la fausse alternative entre injonction à la soumission — se taire sur leurs revendications sociales, sur leur opposition aux guerres pour le pétrole, sur leur soutien à la cause palestinienne, etc., pour ne pas être amalgamés aux djihadistes — et se taire sur les djihadistes pour ne pas renforcer les stigmatisations des musulmans.

Tel est le piège qui est aujourd’hui tendu. Refuser cette alternative c’est s’auto-organiser, c’est s’allier avec les forces de la société française qui refusent la situation. C’est se donner les moyens d’une expression autonome pour dévoiler la réalité sociale et économique des quartiers populaires.

En réalité, il ne s’agit que d’une partie d’un combat mondial contre une mondialisation impérialiste et néocolonialiste provoquant guerres et misère ici et là. Nous ne voulons pas que nos enfants détruisent leur vie en allant faire des guerres injustes. Nous ne voulons pas qu’ils écoutent les sirènes de voyous inspirés de Doha ou de Riad. Nous ne voulons pas non plus qu’ils deviennent des indigènes de second collège dans leur propre pays.

Samir Ghezlaoui

Source : https://histoireetsociete.wordpress.com

Source: http://www.les-crises.fr/loccultation-politique-et-mediatique-des-causes-des-consequences-et-des-enjeux-par-said-bouamama/


Paris : une «pervenche» n’ayant pas respecté la minute de silence suspendue

Friday 6 February 2015 at 00:01

C’est rigolo, il me semblait que c’était encore un droit de l’Homme de ne pas s’associer à une minute de silence si l’on n’en avait pas envie….

Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.” [Roland Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1977]

A Paris, mais aussi à Lille, plusieurs agents municipaux ayant refusé de participer à l’hommage national rendu après les attentats contre Charlie Hebdo risquent la révocation.

Connue pour s’être radicalisée, cette contractuelle se présentait parfois avec un voile lors des rendez-vous avec sa hiérarchie. AFP

15 Janv. 2015, 14h32

Une agent de surveillance de Paris (ASP, les ex-«pervenche»), a été suspendue par la préfecture de police (PP) pour ne pas avoir respecté jeudi dernier la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo.Cette fonctionnaire, qui assume son refus, «va être traduite rapidement en conseil de discipline et risque la révocation».

Les ASP, qui sont chargés de dresser des contraventions, dépendent du personnel de la ville de Paris mais sont mis à disposition de la Préfecture de police.

Jeudi dernier, une minute de silence avait été observée dans toute la France en hommage aux 12 morts lors de l’attentat commis contre Charlie Hebdo. Cette contractuelle, «connue pour être radicalisée, et qui se présentait assez souvent lors d’entretiens avec sa hiérarchie en portant le voile»,

Je ne savais pas que c’était interdit face à son employeur au travail

a ostensiblement refusé, devant ses collègues, d’observer l’hommage rendu par l’ensemble des fonctionnaires.

Je ne savais pas que c’était interdit – sauf en Corée du Nord, bien entendu…

«Une faute grave», précise un proche du dossier. Cette fonctionnaire faisait l’objet d’autres enquêtes internes pour des fautes répétées.

Trois agents municipaux de Lille risquent la radiation

Des mesures disciplinaires ont par ailleurs été prises à l’encontre de trois agents municipaux, des vacataires qui assurent la pause méridienne dans les écoles de la ville de Lille, a annoncé jeudi matin la maire Martine Aubry. Selon le quotidien La Voix du Nord, l’autre jeudi, lors de l’hommage national, ces derniers n’ont pas souhaité respecter la minute de silence demandée en hommage aux victimes de l’attentat perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo. Deux ont quitté la salle en clamant haut et fort qu’il était hors de question de le faire. Rappelés à l’ordre, ils risquent la radiation. Le troisième homme, lui, s’est fendu de remarques faisant, semble t-il, l’apologie du terrorisme. Une plainte a été déposée à son encontre.

Source : leparisien.fr

P.S. ce genre d’image a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux…

Source: http://www.les-crises.fr/paris-une-pervenche-nayant-pas-respecte-la-minute-de-silence-suspendue/


La BCE ferme ses guichets aux banques grecques

Thursday 5 February 2015 at 09:57

La grosse partie de poker menteur continue…

Le communiqué de la BCE, l’analyse Bloomberg (en anglais)

Ceci étant, je vois plein de réactions outrées, mais la décision de la BCE est fort logique : la Grèce a un gouvernement élu qui a indiqué qu’il ne voulait pas tenir tous les engagements pris précédemment, à commencer par rembourser la BCE ! Il n’y a pas de raison que la BCE ne protège pas ses intérêts (et ceux des autres pays) en arrêtant d’accepter du papier grec. Elle n’a pas à négocier, car ce n’est pas une instance politique, c’est au gouvernements de le faire.

Après, ou le gouvernement grec plie, ou il applique son programme et fait défaut (ce que j’espère, de toutes façon, il n’a guère de réel choix, sinon gagner du temps). Mais il ne peut rester indéfiniment dans l’entre-deux.

On devrait donc voir assez vite qui est la poule mouillée…

La BCE ferme ses guichets aux banques grecques

La décision couperet est tombée mercredi soir lors d ’une réunion du conseil des gouverneurs de la BCE , qui devait se prononcer sur la poursuite ou non d’un dispositif permettant aux banques grecques d’obtenir des liquidités de la BCE en présentant comme garanties des titres de l’Etat grec. « Cette suspension est en ligne avec les règles existantes de l’Eurosystème, du fait qu’il est actuellement pas possible de présumer que la revue du programme (de sauvetage de la Grèce, NDLR) aboutisse à un succès ».

En clair, la BCE met fin à une dérogation destinée à faciliter le refinancement de banques grecques et dépendant de l’existence d’un programme d’aide au pays. Or, cette condition saute de fait avec les déclarations d’Athènes voulant suspendre les liens avec la Troïka, dont la BCE fait partie avec le FMI et la Commission Européenne.

La décision de la BCE a une conséquence immédiate : à compter du 11 février prochain, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence en liquidités (ELA), prodiguée par la Banque Nationale Grecque. Cela s’était déjà produit en 2012, lorsqu’un défaut temporaire avait été constaté sur la dette grecque. Il faut s’attendre dans les jours à venir à ce que la banque centrale grecque doive fournir à de nombreux établissements bancaires du pays des liquidités, probablement à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Par ailleurs, la BCE précise que sa décision ne « change rien » aux statuts des banques grecques dans le cadre d’opérations de politique monétaire.

La visite, mercredi, du ministre des Finances grec Yánis Varoufákis à Francfort n’a donc pas modifié d’un iota l’attitude ferme de l’institution. Venu plaider en faveur de la nouvelle politique économique et sociale que son gouvernement veut mettre en place pour mettre fin à l’austérité, le ministre espérait en retour que l’institution francfortoise puisse dévier de sa ligne dure et accorder un répit à l’Etat, mais surtout aux banques grecques menacées d’asphyxie.

Il apparaît aussi que la BCE n’est pas prête à accorder à Athènes une rallonge financière, en laissant l’Etat émettre jusqu’à 25 milliards d’euros de dette à court terme -les T-Bills- au lieu du plafond de 15 milliards en vigueur jusqu’ici. Une demande du gouvernement Tsípras afin de pouvoir financer le train de vie de l’Etat.

La BCE refuse également tout ajournement de la dette d’Athènes envers elle, de l’ordre de 25 milliards d’euros. La BCE n’est pas, et de loin, le créancier, le plus important d’Athènes, mais c’est à elle que la Grèce doit rembourser dès cet été quelque 7 milliards d’euros d’obligations arrivant à échéance. Il y a bien 1,9 milliard d’intérêts sur cette dette qui vont être rétrocédés à l’Etat grec par les banques centrales de l’eurosystème, mais ils ne suffiront pas à couvrir la somme due en capital.

Dans ce contexte tendu, depuis l’arrivée de la gauche radicale au pouvoir, l’agence publique gérant les émissions de dette a vendu difficilement mercredi pour 812 millions d’euros d’obligations à six mois, au taux de 2,75 %. Les banques grecques qui ont souscrit ces titres craignaient de ne pouvoir présenter ces obligations au guichet de la BCE comme collatéral en échange de liquidités. La décision prise en soirée par la BCE a confirmé ces craintes.

Yánis Varoufákis est aujourd’hui à Berlin, où un rendez-vous crucial va se dérouler dans le bureau du ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Plus que jamais, Athènes est plongé dans une course contre la montre pour ne pas précipiter ses banques et son économie dans la faillite

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/monde/europe/0204135297436-la-bce-ferme-ses-guichets-aux-banques-grecques-1090213.php?EfILCjdh7EDJeEQU.99

Source : Les Echos

Grèce : le coup de semonce, très politique, de la BCE

Le coup de semonce est tombé vers 22 heures mercredi 4 février. Il a été tiré de Francfort : la Banque centrale européenne (BCE) a mis la pression maximale sur le gouvernement grec en suspendant le régime de faveur qu’elle accordait jusqu’ici aux banques hellènes, ces dernières pouvant emprunter de l’argent auprès de l’institution monétaire avec des garanties inférieures à celles exigées habituellement.
En pratique, cela ne remet pas en question la capacité des banques grecques à disposer des liquidités, dont elles estiment avoir grand besoin en ce moment. Elles pourront en effet toujours se refinancer auprès de la BCE, mais à à un taux plus élevé, et avec un risque porté seulement par la banque de Grèce.

Lire aussi : Interrogations sur l’état de santé réel des banques grecques

  • La décision de la BCE est-elle une décision « politique » ?

C’est un message très clair, et sans ambiguïtés qui a été adressé par la BCE au gouvernement d’Alexis Tsipras : il s’agit de ramener ce dernier « à la raison ». En somme, la BCE dit à Athènes : il faut négocier, et vite, avec les Européens.

Mario Draghi, le président de la BCE, met ainsi Alexis Tsipras devant un choix cornélien : accepter, très vite, le chemin de négociation proposé – imposé – par les Européens, mais au prix d’un renoncement politique majeur, lui qui a fait toute sa campagne contre la troïka (Fonds monétaire international, Commission et Banque centrale européennes) et l’austérité ; ou prendre le risque de défaut, donc de « Grexit », de sortie de la zone euro.

Avec la décision de la BCE, il va falloir qu’Alexis Tsipras accélère la cadence, et entre sérieusement en négociation avec le reste de l’Eurogroupe (les pays de la zone euro), s’il veut éviter la faillite. Selon plusieurs sources, les Grecs pourraient se trouver à court de liquidités dès le mois de mars.

  • Que veulent obtenir les Européens d’Athènes ?

Pour les Européens, l’urgence est de boucler le deuxième plan d’aide à la Grèce (130 milliards d’euros), déclenché en 2012 et qui se termine le 28 février 2015. Si ce plan n’est pas bouclé « proprement », c’est-à-dire si Athènes refuse de valider le principe de quelques réformes supplémentaires, la Grèce ne recevra pas la dernière tranche de ce plan d’aide, soit environ 3,6 milliards d’euros d’aide.

Les créanciers de la Grèce partagent les mêmes lignes rouges : pas question d’accepter un effacement de la dette grecque. Et pas question de prêter de l’argent sans exiger une surveillance du remboursement de ces sommes – via la troïka ou un autre véhicule.

M. Hollande, chez qui M. Tsipras était venu chercher, mercredi, le soutien d’un chef d’État social-démocrate, est ainsi resté très prudent. Le chef de l’Etat français a certes d’abord insisté sur « le respect du vote du peuple grec : un vote clair et fort qui a sûrement voulu signifier que l’austérité – comme seule perspective et comme seule réalité – n’était plus supportable. » Mais il a ajouté qu’il y a « aussi le respect des règles européennes qui s’imposent à tous, à la France aussi – et ce n’est pas toujours simple. »

« Le calendrier est beaucoup plus serré que Syriza ne semble le penser, relève Krishna Guha, en charge de la politique des banques centrales à la banque d’investissement Evercore, dans une note rédigée mercredi soir, juste après la décision de la BCE. Le gouvernement grec pense qu’il peut se débrouiller seul jusqu’en juin, ce qui laisserait amplement le temps de négocier avec les autorités européennes […] À notre avis, la BCE tente de forcer la cadence de cette courbe d’apprentissage, en freinant le robinet des liquidités avant même que le deuxième plan d’aide s’achève. »

  • Quelle est aujourd’hui la stratégie du gouvernement grec ?

Le nouveau premier ministre grec, Alexis Tsipras a évolué, ces derniers jours, par rapport à ses premières prises de position radicales, dans la foulée de la victoire triomphale aux élections législatives de son parti de la gauche radicale Syriza, fin janvier. Idem pour son ministre des finances, Yanis Varoufakis.

Au gré de leur tournée des capitales européennes (Londres lundi 2 février, Rome mardi 3 février, Bruxelles, Francfort et Paris mercredi 4 février, Berlin jeudi 5 février), M. Tsipras et M. Varoufakis ont nettement infléchi leur discours. Plus question, par exemple, de demander un effacement de la dette grecque (320 milliards d’euros au total), ou de prendre des décisions unilatérales pour mettre fin, sans plus tarder, à l’austérité qui va de pair avec les mesures d’aide, ou en encore de réclamer la fin de la troïka. Leur message est maintenant plus « audible » : ils sont prêts à négocier, et à respecter les règles d’une Eurozone à 19 membres.

Lire aussi : Grèce : trois questions sur la renégociation de la dette

À l’issue de sa rencontre à Paris avec le président François Hollande, mercredi après midi, M. Tsipras a ainsi reconnu : « nous devons mener des réformes en Grèce pour que notre pays devienne crédible », a-t-il dit.

  • Quel est le scénario possible des prochaines semaines ?

Le plus simple, vu le temps imparti, serait de décider une « prolongation technique » du plan d’aide, de quatre ou cinq mois. Le temps de mettre les choses à plat. De redéfinir une trajectoire économique, soutenable, pour la Grèce : quelles réformes mettre en œuvre pour retrouver la croissance ? Quelle part de l’excédent budgétaire primaire allouer aux investissements, aux dépenses sociales, au remboursement de la dette, etc ? Les Européens l’ont dit plusieurs fois : ils sont prêts, de leur côté, à revoir la maturité et les taux des emprunts grecs.

Le problème, c’est que c’est au gouvernement grec de faire la démarche et de demander officiellement une prolongation du plan d’aide. C’est-à-dire accepter officiellement une prolongation de l’action de la troika, dont l’existence est liée au plan d’aide.

Cette perspective est très dure, politiquement, à faire accepter à un premier ministre tout nouvellement élu, qui a construit une partie de sa campagne sur la promesse de la fin de la troïka, et qui risque, s’il accepte le « diktat » de Francfort, d’être très vite complètement démonétisé chez lui.

« La plupart des concessions vont devoir être faites par le gouvernement Syriza, encore dans l’euphorie de la victoire électorale, et avec un mandat démocratique authentique », relève ainsi Krishna Guha, qui prévient : « Attachez vos ceintures, cela va secouer ! »
Source : Le Monde

La BCE suspend le régime de faveur dont bénéficiaient les banques grecques

Le ministre des finances grec s’est voulu rassurant. Dans la nuit du mercredi 4 au jeudi 5 février, Yanis Varoufakis a réagi à l’annonce faite quelques heures plus tôt par la Banque centrale européenne (BCE) de priver les banques grecques d’une de leurs sources de financement.
Cette décision n’a « pas de répercussions négatives » sur le secteur financier du pays qui reste « totalement protégé » grâce aux autres canaux de liquidités toujours disponibles, a-t-il affirmé dans un communiqué. A ses yeux, la mesure « met la pression sur l’Eurogroupe [la réunion des ministres de Finances de la zone euro] pour progresser rapidement vers la conclusion entre la Grèce et ses partenaires d’un accord qui bénéficie à chacun » sur l’avenirde la dette et des réformes économiques d’Athènes.
CRAINTES D’UNE ASPHYXIE FINANCIÈRE
L’institution monétaire de Francfort a suspendu le régime de faveur accordé jusqu’ici aux banques hellènes, qui leur permettait d’emprunter de l’argent auprès de la BCE avec des garanties inférieures à ce qu’elle exige habituellement. Motif invoqué par l’institution : « Il n’est pas possible à l’heure actuelle d’anticiper une issue positive » du programme d’aide internationaldont bénéficie la Grèce. Ce faisant, elle a accéléré les craintes d’une asphyxie financière du pays.Dans la pratique, la décision de la BCE signifie que les banques grecques, soumises par ailleurs à de forts mouvements de retrait de capitaux de la part de leurs clients, ne pourront plus compter sur les prêts de la BCE pour acheter de la dette grecque. Or ces banques sont peu ou prou le seul débouché d’Athènes, dont les titres ne trouvent pas d’autres preneurs.

Pour se financer, il reste théoriquement aux banques grecques l’option d’urgence, un mécanisme appelé ELA. Ce dernier permet aux banques centrales nationales, la Banque de Grèce en l’occurrence, de débloquer des fonds pour aider les établissements de crédit à surmonter une crise de liquidités.

LE MINISTRE DES FINANCES À BERLIN

Plus tôt dans la journée, Yanis Varoufakis, en déplacement à Francfort, avait évoqué des « discussions fructueuses » avec le président de l’institution monétaire, Mario Draghi. M. Varoufakis était venu lui demander d’aider la Grèce à « garder la tête hors de l’eau » en soutenant les banques grecques, le temps que la nouvelle équipe au pouvoir s’entende avec ses partenaires européens sur le sort du programme d’aide en vigueur.

Lire aussi : Entre Athènes et la BCE, « une partie de poker menteur »

« Le gouvernement élargit tous les jours le cercle de ses consultations avec ses partenaires et avec les institutions dont il fait partie », insiste le communiqué du ministère des finances. Et le texte d’ajouter qu’Athènes n’en reste pas moins « ferme dans ses objectifs d’appliquer le programme de salut social » et de relance, pour lequel il a été élu lors des législatives du 25 janvier qui ont donné la victoire au parti de gauche radicale, la Syriza.

L’annonce de la BCE est intervenue alors que M. Varoufakis et le nouveau premier ministre, Alexis Tsipras, font une tournée européenne pour tenter de renégocier la dette grecque. Le ministre des finances doit rencontrer jeudi à Berlin son homologue allemand Wolfgang Schaüble.

Lire aussi : Le gouvernement grec en tournée européenne pour rassurer ses partenaires

Mercredi, Alexis Tsipras avait rencontré François Hollande et plusieurs acteurs de la vie politique française, notamment le dirigeant du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a d’ailleurs réclamé après l’annonce de la BCE une audience au chef de l’Etat français, afin de discuter de cet enjeu.

Source : Le Monde

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L’ultimatum de Francfort

5 février 2015

Par

La Banque Centrale Européenne vient de choisir son camp, et c’est – qui s’en étonnera – celui de l’Allemagne. Par la mesure qu’elle vient de prendre contre la Grèce, elle envoie un signal très clair au nouveau gouvernement : restez dans le cadre du plan d’aide décidé par la « Troïka ». Mais, elle vient de déclencher un processus qui peut aboutir à l’inverse de ce qu’elle recherche. Loin de faire céder le gouvernement grec, cette mesure pourrait le forcer à prendre des mesures radicales qui, à terme, provoqueraient une rupture définitive entre la Grèce et ses créanciers et conduiraient ce pays à sortir de l’Euro. Telle est la logique du jeu de « poulette » (chicken) que l’on a décrit dans la note précédente[1].

Les mesures de la BCE

La BCE a donc décidé le mercredi 4 février au soir de suspendre l’exception qu’elle consentait à la Grèce, le fait d’accepter temporairement les obligations d’Etat grecques en collatéral pour des prêts des banques grecques. Les raisons de cette exception étaient l’adhésion de la Grèce au plan d’aide élaboré par la Troïka, et dont les conséquences ont été si désastreuses, que ce soit pour les Grecs ou pour les finances de l’Etat. En soi, cette mesure n’est nullement décisive. Mais, il y a peu de doutes qu’elle provoque dans les jours qui viennent à Athènes une panique bancaire, ce que les économistes appellent un « bank run ». Les banques grecques auront désespérément besoin de liquidités. Elles pourront en demander à la BCE dans le cadre d’un programme d’aide urgent à la liquidité bancaire nommé ELA. Mais, ce programme est soumis aux règles de la Troïka et il n’a été renouvelé que jusqu’au 28 février.

Concrètement, cela équivaut à mettre un pistolet sur la tempe d’un gouvernement nouvellement élu pour exiger de lui qu’il renonce à des mesures approuvées par son électorat. On appréciera le sens aigu de la démocratie des dirigeants de la BCE et plus généralement des autorités européennes.

Les possibles réactions du gouvernement grec

Face à ce qu’il faut bien appeler un ultimatum le gouvernement grec peut se décider à capituler. Ce faisant, il se saborderait politiquement. Un sondage réalisé dimanche dernier montre que 70% des Grecs, soit en réalité bien plus que ceux qui ont voté SYRIZA le 25 janvier, soutiennent le gouvernement et le pensent capable de mener une véritable politique de survie pour le pays.

Le gouvernement Grec peut donc mettre en place des contre-mesures. Certaines sont techniques (fermeture momentanée des banques, limites aux retraits des particuliers). Mais d’autres sont plus politiques. En réalité, quand la BCE dit prêter aux banques grecques, cela veut dire qu’elle autorise la Banque Centrale de Grèce à le faire. L’organisation de la BCE n’a pas supprimé les différentes Banques Centrales des pays membres de la zone Euro. Elle les a mises en réseau et sous l’autorité de la BCE, opérant depuis Francfort. Le gouvernement grec peut donc décider de réquisitionner la Banque Centrale pour la contraindre de continuer à alimenter en liquidités (en Euro) les banques grecques. Mais, ce faisant, il viole les traités constituant l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire la zone Euro. Il pourrait donc le faire constatant la menace que fait peser la BCE sur la Grèce, et prenant à témoin la population de ce fait inouï d’une instance technique s’immisçant dans les chois politiques d’un peuple souverain.

Les conséquences.

Une telle décision serait bien entendu lourde de conséquences. Ce serait au tour de la BCE d’être le dos au mur. Si elle acceptait la mesure de réquisition, elle reconnaitrait son impuissance et donnerait des idées d’indépendance aux autres pays. Ceci dans un cadre où elle a déjà pris acte de la fragmentation croissante de la zone Euro, comme en témoignait les mesures annoncées par Mario Draghi le 22 janvier, et que l’on a un peu hâtivement assimilées à un « quantitative easing ».

En fait, la pression allemande, directe et indirecte (par le biais de pays alliés à l’Allemagne comme la Finlande et l’Autriche) est aujourd’hui telle sur la BCE que l’on voit mal cette dernière accepter un possible fait accompli venant d’Athènes. Il faut le répéter, ce qui est en cause c’est la politique d’austérité de Mme Merkel et surtout son imposition à l’ensemble de l’Europe, condition nécessaire à ce que ne se mette pas en place une logique d’Union de Transfert au détriment de l’Allemagne. Cette dernière ne peut céder, ou alors elle verra sa crédibilité disparaître instantanément.

En cas de réquisition de la Banque Centrale de Grèce, réquisition qui pourrait alors survenir le 28 février ou le 1er mars, la Banque Centrale Européenne pourrait décider de ne plus accepter en circulation les euros « grecs ». Une telle mesure a déjà été temporairement appliquée à Chypre. Cela revient à expulser, ou à menacer de le faire, un pays de la zone Euro.

Une sortie de l’Euro?

En réalité, la Grèce est aujourd’hui dans une meilleure situation qu’elle ne l’était en 2010 pour envisager une sortie de l’Euro. A cette époque, le budget était gravement déséquilibré. Aujourd’hui, le budget est équilibré au niveau du solde primaire, ce qui revient à dire que si la Grèce n’avait aucune dette (et donc pas d’intérêts à rembourser) elle n’aurait nul besoin d’emprunter à nouveau, et bénéficierait même d’un excédent. La balance commerciale, elle, est légèrement déficitaire. Mais, compte tenu des élasticités-prix qui peuvent être calculées, si la Grèce dévaluait de 30% à 35%, elle accroîtrait ses exportations de manière significative et serait en excédent. Signalons d’ailleurs qu’une dévaluation de la monnaie grecque accroîtrait les ressources fiscales en monnaie locale, provenant des armateurs car ces derniers opèrent en dollars. Quant aux investissements directs dans ce pays, on imagine sans peine qu’avec un budget à l’équilibre, un solde commercial positif et un avantage compétitif très sérieux sur ses concurrents, ils ne tarderaient pas à affluer. Bien entendu, la Grèce ferait défaut sur sa dette dans le cas d’une sortie de l’Euro. Mais, n’ayant plus à emprunter, elle ne risque rien à se couper de ses créanciers. Au-contraire, ce sont ces derniers qui viendront à résipiscence, comme le montre l’histoire des- nombreux pays qui sont passés par un défaut sur la dette.

Une dévaluation de 30% à 35% redonnerait à l’économie non seulement sa compétitivité mais elle permettrait au gouvernement d’avoir des marges de manœuvres dans le domaine social, en même temps qu’il en aurait par le défaut de fait sur la dette.

La Grèce doit dont regarder résolument la possibilité de sortir de la zone Euro. Si une telle solution devait s’imposer, ce n’est pas elle, mais la Zone Euro elle-même, qui en subirait les conséquences. Elle doit dire aux autorités de la BCE et de l’Union Européenne que, s’il le faut, elle n’hésitera pas devant une telle solution.

De quoi s’agit-il ?

Il convient de ne pas se laisser abuser par la technicité, réelle ou imaginaire, des différentes mesures et contre-mesures qui ont été ou qui pourront être prises. Fondamentalement, la mesure prise par la BCE pose le problème de la souveraineté populaire dans un pays membre de la Zone Euro, c’est à dire le problème de la démocratie.

Nous sommes aujourd’hui confrontés au conflit inexpiable entre la légitimité technocratique et la légitimité démocratique.

En cela, l’issue pour la Grèce nous concerne tous.

Voulons nous vivre libre ou acceptons-nous le joug ?


[1] Sapir J., « Grèce, un jeu complexe », note publiée sur RussEurope, le 3 février 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3389

Source: http://www.les-crises.fr/grece-le-coup-de-semonce-tres-politique-de-la-bce/


[Parabole] Seriez-vous Minute ?

Thursday 5 February 2015 at 05:10

Hypothèses…

Le plan B

Ce 7 janvier, les terroristes découvrent en bas de Charlie Hebdo un cordon de protection.

Les terroristes, dépités, déclenchent alors leur plan B.

Il se rendent dans un autre arrondissement de Paris, au siège du journal “Minute”, qui a longtemps été proche du FN, et ayant tenu des propos islamophobes.

Vous savez, Minute, c’est le journal qui avait sorti cette Une de très mauvais gout en 2013 :

(Ils ont été condamnés à 10 000 € d’amende en 1ère instance, l’appel est en cours)

Notez que personne n’avait poursuivi Charb pour ce dessin (mais attention, LÀ, c’était évidemment de l’humour) :

Après avoir défoncé la porte, ils entrent et… C’est le carnage, 15 journalistes morts.

Alors de là, j’ai une question importante :

Si vous avez “été Charlie”, seriez-vous alors Minute, au nom de la liberté d’expression (et sans le moindre “ils l’ont un peu cherché quand même” bien entendu) ?

Le plan C

Fichtre, un autre cordon de protection autour de Minute. Le Plan C !

Direction le meeting de Marine Le Pen, planque à la sortie, et au moment où elle entre dans sa voiture : le carnage !

Alors, seriez-vous Le Pen ?

Seriez-vous allé manifester avec ce panneau comme vous l’avez fait pour Charlie?

Auriez-vous exigé une minute de silence dans les écoles en mémoire de la présidente du 1er parti de France aux Européennes ?

Conclusion

Alors, bien que condamnant ces meurtres ignobles, ça vous aurait gêné de défiler avec ça, ou d’afficher ça sur Facebook ?

Eh bien vous ressentez donc ce qu’ont ressenti pas mal de concitoyens musulmans…

Alors la prochaine fois, réfléchissez un peu, et défilez plutôt avec ça – ça marchera mieux pour avoir une union nationale dans le pays

Source: http://www.les-crises.fr/parabole-seriez-vous-minute/


[Reprise] L’imposture de la célébration de la “liberté d’expression” en Occident, par Glenn Greenwald

Thursday 5 February 2015 at 02:04

Par Glenn Greenwald (avocat et journaliste américain qui a révélé l’affaire Snowden)

Quarante-huit heures après la manifestation massive en faveur de la liberté d’expression, la France a ouvert une enquête pénale contre un comédien français controversé ayant commenté sur Facebook l’attaque de Charlie Hebdo. Ce matin, il a été arrêté pour ce motif sous l’accusation « d’apologie du terrorisme ». Ce comédien, Dieudonné (voir ci-dessus), qui s’est présenté récemment aux élections en France avec ce qu’il appelle un programme “antisioniste”, a vu son spectacle être interdit dans plusieurs villes de France par de nombreux membres du gouvernement, et a été poursuivi pénalement plusieurs fois pour avoir exprimé des idées proscrites dans ce pays.

Le point de vue, apparemment répréhensible, qu’il a posté sur Facebook, était le suivant : “ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly”. Les enquêteurs ont conclu que c’était dans le but de se moquer du slogan “Je suis Charlie” et d’exprimer un soutien à l’auteur des meurtres dans le supermarché à Paris (dont le nom de famille était “Coulibaly”). Exprimer cette opinion est évidemment un crime dans la République de la “Liberté” [NdT : en français dans le texte], si fière de ses intellectuels du 20e siècle (de Sartre à Genet, et de Foucault à Derrida) dont la marque de fabrique était de ne pas laisser les conventions ou l’orthodoxie en paix, aussi sacrées soient-elles.

Depuis cette magnifique marche pour la « liberté d’expression », on rapporte que la France aurait ouvert 54 enquêtes criminelles pour « apologie du terrorisme ». AP a déclaré ce matin que « la France avait ordonné à tous les procureurs de sévir contre les propos haineux, l’antisémitisme et la glorification du terrorisme ».

Aussi pernicieuse que soit cette arrestation, ainsi que la répression de certains discours, elle a une valeur essentielle : en fait, elle souligne l’arnaque totale qu’a été cette semaine de célébration de la liberté d’expression en Occident. Le jour précédent l’attaque de Charlie Hebdo, je m’étais, à tout hasard, documenté sur les nombreuses affaires qui dans les pays occidentaux, y compris les États-Unis, mettent en cause des musulmans ; ceux-ci subissant des poursuites pénales voire la prison pour leurs discours politiques. Aucun de nos audacieux experts en liberté d’expression de ces dernières semaines n’a eu le moindre mot de protestation pour ces cas, que ce soit avant, ou depuis, l’attaque de Charlie Hebdo. C’est parce que la « liberté d’expression », pour de nombreux occidentaux, signifie en fait : il est primordial que les idées que j’approuve soient protégées, et que le droit d’offenser les groupes que je n’aime pas soit conforté ; tout le reste peut être puni.

C’est sans doute vrai : les opinions et les déclarations de Dieudonné sont délétères, même si ses supporters et lui insistent sur le fait qu’il s’agit de « satire » pratiquée dans la bonne humeur. À cet égard, ils provoquent des controverses proches de celles des désormais-tant-aimées caricatures de Charlie Hebdo (un membre de la gauche française insiste sur le fait que les dessinateurs étaient plus dans la raillerie que dans le racisme ou la bigoterie, mais Olivier Cyran, un ancien rédacteur du magazine ayant démissionné en 2001, a écrit en 2013 une lettre percutante et bien documentée, accusant Charlie Hebdo d’être tombé, après le 11 septembre, dans une bigoterie antimusulmans totale et obsessionnelle.

En dépit des réelles menaces sur la liberté d’expression dues à cette arrestation, il est inconcevable qu’une quelconque personnalité des principaux médias occidentaux se mette à twitter “#JeSuisDieudonné” ou mette en ligne des photographies d’elle-même répétant son horrible geste rappelant celui des nazis en “solidarité” avec son droit à la liberté d’expression. Cela resterait vrai même s’il avait été assassiné pour ses idées et non “seulement” arrêté et poursuivi pour elles. C’est pour cela que les manifestations de la semaine dernières, en mémoire des dessinateurs de Charlie Hebdo (et bien au-delà du deuil lié à leur horrible et injuste assassinat), étaient plus proches d’une approbation de leurs messages antimusulmans que de la défense de la liberté d’expression qui fut invoquée par leurs soutiens ; au moins tout autant.

L’immense majorité des vibrants hommages en faveur de la “liberté d’expression” a été un peu plus qu’une tentative pour protéger et révérer un discours qui avilit les groupes défavorisés, tout en rendant hors de portée un discours du même genre sur les groupes favorisés, une escroquerie absolument déloyale transformée en un ambitieux fondement de la liberté. En réponse à mon article de lundi dernier comprenant des dessins anti-juifs (que j’avais écrit pour démontrer à quel point cette toute nouvelle adoration du discours offensif manquait d’authenticité et était hautement sélective), j’ai essuyé des commentaires sans fin, justifiant en quoi les textes antimusulmans étaient grands et nobles alors que les textes anti-juifs étaient affreusement brutaux et méchants (la différence la plus fréquente étant : “les juifs sont une race/une ethnie, et les musulmans non” – ce qui ne manquera pas de surprendre les juifs du monde entier : asiatiques, noirs, latinos, et blancs, autant que ceux pour qui être “musulman” fait partie de l’identité culturelle même s’ils ne prient pas cinq fois par jour). Comme d’habitude : on parle de liberté d’expression si cela concerne des idées que j’apprécie ou si cela attaque des groupes que je n’apprécie pas, mais la situation change si c’est moi qui suis offensé.

Pensez au crime “d’apologie du terrorisme” pour lequel Dieudonné a été arrêté. Est-ce que dire quelque chose de ce genre doit être vraiment considéré comme un crime – entraînant l’arrestation, des poursuites et l’emprisonnement de son auteur : les pays occidentaux comme la France ont déchaîné une telle violence dans les pays musulmans pendant si longtemps qu’il est justifié de provoquer des violences en France afin de les faire cesser ? Si vous voulez que les cas « d’apologie du terrorisme » comme celui-ci soient poursuivis pénalement (plutôt que rejetés socialement), que dire de ceux qui justifient, encouragent et glorifient l’invasion et la destruction de l’Irak, avec sa doctrine de « choc et de stupeur » signifiant l’intention de terroriser la population civile pour la soumettre, et les tactiques monstrueuses de Falloudjah ? Ou que dire des appels psychotiques d’un présentateur de Fox News, en parlant des musulmans radicaux, à « les tuer TOUS ». Pourquoi une de ces opinions serait permise et l’autre proscrite car criminelle – sinon parce que la force de la loi est utilisée pour contrôler le discours politique et qu’une forme de terrorisme (la violence dans le monde musulman) est commise par, plutôt que contre l’Occident ?

Pour ceux que cela intéresse, mon argument complet contre toute loi limitant « les propos haineux » et les autres tentatives de recours à la loi pour contrôler le discours politique est là. Cet essai a été écrit en particulier pour dénoncer la proposition d’une ministre française, Najat Vallaud-Belkacem, de forcer Twitter à collaborer avec le gouvernement français afin de supprimer les tweets que différents hauts fonctionnaires comme cette ministre (et de futurs ministres inconnus) considèrent comme « haineux ». La France est à peu près aussi légitime comme symbole de la liberté d’expression que Charlie Hebdo, qui a viré l’un de ses rédacteurs en 2009 pour une seule phrase prétendument antisémite au sein de la publication d’une orgie de contenu antimusulman (et non seulement anti-Islam). Les célébrations de cette semaine en France – et la brochette de dirigeants tyranniques qui s’y sont joints – avaient peu à voir avec la liberté d’expression et beaucoup avec la suppression des idées qui leur déplaisent, tout en vénérant les idées qu’ils préfèrent.

Le personnage le plus corrompu intellectuellement est peut-être, sans surprise, l’intellectuel public le plus célébré de France (et aisément le plus surévalué du monde), le philosophe Bernard-Henri Lévy. Il exige la répression judiciaire de toute opinion de près ou de loin anti-juive (il a demandé l’interdiction des spectacles de Dieudonné « je ne comprends pas pourquoi quiconque verrait le besoin d’un débat » et a soutenu le licenciement en 2009 d’un rédacteur de Charlie Hebdo pour propos haineux contre les juifs) tout en paradant de manière éhontée pendant toute la semaine passée comme le champion churchillien de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit de dessins antimusulmans.

Mais ceci, inévitablement, est précisément le but et l’effet des lois qui criminalisent certaines idées et de ceux qui soutiennent de telles lois : codifier un système où les vues qu’ils apprécient sont sanctifiées et les groupes auxquels ils appartiennent sont protégés. Les opinions et les groupes qu’ils n’aiment pas – et eux seulement – sont les victimes désignées de l’oppression et de l’insulte.

L’arrestation de ce comédien français si peu de temps après l’extraordinaire marche dans Paris pour la liberté d’expression souligne ce point plus fortement que tout ce que j’aurais pu écrire sur le caractère sélectif et frauduleux de cette parade de la liberté d’expression. Cela montre aussi – encore une fois – pourquoi ceux qui veulent criminaliser les idées qu’ils désapprouvent le plus fortement sont au moins – au moins – aussi dangereux et tyranniques que les idées qu’ils ciblent.

Photo: Chesnot/Getty Images

Source : The Intercept, le 14/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-limposture-de-la-celebration-de-la-liberte-dexpression-en-occident-par-glenn-greenwald/


[Folie collective] « J’ai levé la main et j’ai dit “Ils ont eu raison” »

Thursday 5 February 2015 at 01:40

Très beau papier de Patricia, éducatrice, le 20 janvier sur Rue89.

Ce site condamne avec fermeté toute apologie du terrorisme.

Patricia, éducatrice, travaille sur le dossier d’un collégien accusé d’avoir fait l’apologie du terrorisme pendant un débat sur l’attentat contre Charlie Hebdo. Elle dénonce une « folie collective ».

Une salle de classe (Max Klingensmith/Flickr/CC)

Né au sud de la Loire voilà quatorze ans un début d’avril, il est là comme une mauvaise blague de la République.

Originaires du Maroc et de Tunisie, ses parents tiennent depuis vingt ans un restaurant, dans un terroir du sud de la Loire. L’endroit ne s’appelle ni L’Oasis, ni Djerba la douce, non. Il porte un nom du terroir, celui d’une danse régionale.

Seule devant moi dans ce palais de justice, la mère du petit poisson vit l’échec de toute une vie occupée à se fondre, faire oublier ce qu’elle est, ce qui l’a construite. Dans l’espoir insensé d’être intégrée sans doute.

Elle veut m’expliquer montrer prouver faire entendre qui elle est :

« Une commerçante respectée, respectueuse avec tous, une mère de quatre enfants polis bien élevés appréciés de tous les voisins, parents toujours présents aux réunions parents-professeurs pour chacun des enfants, une famille de musulmans modérés non pratiquants. »

MAKING OF

Ce texte a été écrit par Patricia (un pseudo), une éducatrice titulaire de la Protection judiciaire de la jeunesse exerçant depuis plus de 30 ans dans ce service extérieur du ministère de la Justice. Elle est actuellement en poste dans un service chargé de rencontrer tous les mineurs immédiatement déférés devant un juge des enfants ou un juge d’instruction au terme de leur garde à vue, et de fournir immédiatement un écrit aux magistrats saisis. Xavier de La Porte

Elle me le dit avec ces mots-là, je lui laisse le temps de ce préambule dépassant l’ordinaire.

Je lui promets que je photocopierai et lirai plus tard les lettres qu’elle a serrées dans une pochette. Des témoignages souvent spontanés de voisins, de commerçants, éducateur sportif, président de club de foot qui ont écrit tout le bien qu’ils pensent de cette famille et de mon petit poisson. J’ai lu plus tard :

« Parents travailleurs, enfants bien élevés, footballeur cité en exemple pour son attitude tant sur le terrain qu’avec ses camarades, histoire surréaliste. »

J’ai noté aussi la consonance des patronymes de ces témoins, gaulois, arménien, espagnol, maghrébin… Elle me parlera enfin de son enfant :

« Un garçon gentil avec tout le monde, bon élève jusque-là, mais qui prend de la graine, veut se montrer, regarde les filles, ses résultats baissent… Son père lui a mis une gifle, depuis on lui pourrit la vie. »

Elle avait démarré tendue, forte. Elle finit en larmes, tout aussi effondrée que le monde qu’elle avait cru bâtir.

« La salle des profs, une vraie pétaudière »

Mon petit poisson est en troisième générale dans un collège lambda de la République. Un établissement en zone libre, ni réputé d’élite, ni prioritaire en rien.

Toute la famille retournée chez elle, j’appellerai le principal. Echange d’un nouveau mode avec un professionnel qui, lui aussi, a besoin de parler de ce qui lui tombe sur la gueule depuis tout ça. Pêle-mêle :

« C’est pas un ange, il sait pas se taire, il faut toujours qu’il en rajoute, il a déjà eu des avertissements, il en a eu un pour harcèlement avec une fille. Je connais bien les parents, la mère ça va, mais j’ai dit au père qu’il était beaucoup trop gentil. L’autre jour, sa fille a fait sonner son portable en classe, c’était l’appel à la prière. Le père est venu et il lui a mis une gifle, devant moi. Ce n’est peut-être pas vraiment ce qu’il faudrait faire, mais c’est un début.

C’est entre nous, mais la salle des profs est devenue une vraie pétaudière. Ça fait quinze ans qu’on dit que ça va plus, qu’on ne respecte pas la laïcité, je l’ai pourtant affichée partout la charte. La hiérarchie ne veut pas entendre, ils nous laissent tout seuls. Il y a des profs qui viennent me dire qu’ils voteront FN.

Ils sont allés sur Internet, ils m’ont montré. Vous allez sur Google et vous tapez son nom, en mettant des guillemets et on le voit, c’est bien lui. C’est un truc, Ask.fm, des questions/réponses. Et lui, à “Qu’est-ce qui te fait pleurer ?”, il a écrit “Le Coran”. “Quand te sens-tu le plus heureux ?”, il a répondu “Quand je fais la ierprie”, comme ça. Je n’en ai pas parlé, je pense que si les policiers l’ont vu, ils sauront quoi en faire.

J’ai porté plainte sur consigne de l’académie mais je croyais que les policiers allaient faire un rappel à la loi, que ça s’arrêterait là. Le conseil de discipline mardi prochain, je suis d’accord avec vous. Moi, je vais proposer une exclusion avec sursis mais on est quatorze à voter, des profs, des parents d’élèves, je n’y peux rien.

Je vous remercie pour cet échange, je vous tiendrai au courant, je vous laisse mon portable professionnel. Je vous souhaite un bon week-end et maintenant je vais aller faire du tango, ça va me faire du bien. »

En rentrant chez moi, j’avais pas tango, alors, pour me rassurer, découverte de Ask. Un tchat insignifiant d’ados où s’invite, parfois, mon petit poisson.

Sur plus de six mois, ça parle de filles, beaucoup. Elles sont mignonnes, bien soignées, toutes en portrait, sans décolletés. « Qui tu aimes ? Pourquoi tu mets pas de photo ? » Petit poisson a fini par en mettre une, en short de foot, torse nu, tout fier de son corps sec d’athlète, ses petites tablettes de chocolat.

Quand il doit un peu se risquer à parler de lui – enfin si tant est que trois mots, pas même une phrase, ce soit parler –, il évoque dans l’ordre ses parents, le foot, le collège et, deux fois en six mois, son sentiment religieux. Il sait aussi répondre « T ki ? », « C’est pas ton problème en cptp » ou un truc approchant. A une des dernières questions, « Pourquoi t’es pas au collège ? », il a répondu « Je suis exclu ».

« Je sais même pas pourquoi j’ai dit ça »

Mais qu’a-t-il donc fait, ce putain de petit poisson, pour s’attirer toutes les foudres du ciel, se retrouver pris dans les filets de la justice, pour venir empoisonner ma journée ?

Jeudi, en classe, il a fait sa minute de silence. Vendredi après-midi, en français, sur une proposition de débat du prof, il a plus fait le mariole que pété les plombs :

« J’ai levé la main et j’ai dit : “Ils ont eu raison”. J’ai dit ces quatre mots, madame. Je sais même pas pourquoi j’ai dit ça, je le pense pas, c’est sorti tout seul. Les copains ont dit : “Pourquoi tu dis un truc comme ça ? T’es fou !” Le prof m’a dit : “Si tu penses ça, tu sors de la classe.” Alors je suis allé chez la CPE. Elle m’a expliqué, bien, pourquoi c’était grave ce que j’avais dit. »

Dimanche, il est allé au foot et a refait une minute de silence avant le match :

« C’était bien, on était tous en rond, on se tenait tous par le cou. »

Il risque l’exclusion définitive

Lundi matin, il a été convoqué chez le principal : « Vous allez pas me faire un plat pour ça. » Il a été envoyé auprès de la médiatrice, qui lui a fait faire un écrit.

Lundi après-midi, il était reconvoqué chez le principal, il s’est excusé, a dit qu’il regrettait, sans doute trop tard et pas assez fort. Il est parti au CDI faire un devoir avec l’enseignante chargée de ce poste.

Mardi, il est revenu devant le principal, convoqué avec ses parents. Il lui a été appliqué une sanction que le collège appelle « une mesure conservatoire » : il est exclu de l’établissement pour une semaine et le septième jour, il passera devant le conseil de discipline. Il risque l’exclusion définitive.

Ni le petit poisson ni ses parents ne comprennent bien pourquoi. Après tout ça, le principal du collège est parti mercredi déposer plainte contre petit poisson au commissariat.

[OB : Aller porte plainte pour ça contre un ado de 14 ans quand on est son principal de collège, je me suiciderais de honte à sa place...]

Jeudi matin, il s’est rendu au commissariat où il était convoqué avec ses parents « pour être entendu ». Il a été placé en garde à vue, y est resté 24 heures.

Terrorisme ? « Ça vient de terreur ? »

Et vendredi matin, à 8 heures, il est là, dans les geôles du palais de justice, arrivé menotté, attendant d’être mis en examen pour apologie d’acte de terrorisme. Comme l’autre comique avec son « Je suis Charlie Coulibaly ». Mon petit poisson, « apologie », il a pas la moindre idée de ce que ça peut bien vouloir dire. Terrorisme ? « C’est ceux qui tuent pour rien. » En cherchant bien, « ça vient de terreur ? »

RAPPORT

L’écrit dont parle Patricia est une enquête rapide de personnalité, appelée recueil de renseignements socio-éducatifs, et qui propose, en regard des réquisitions du parquet, la mise en place de mesures éducatives qui paraissent répondre, du point de vue éducatif, à la situation personnelle et familiale du mineur rencontré.

Cette intervention éducative dans une procédure pénale concernant un mineur est rendue obligatoire par la loi (art. 12 de l’ordonnance du 2 février 1945). Quand la réquisition du parquet est un placement en détention provisoire d’un mineur, la PJJ doit alors proposer une alternative à l’incarcération demandée par le parquet. Cette intervention d’un service éducatif dans les procédures pénales concernant des mineurs a été généralisée et étendue en 2011.

Il est au fond du trou, avec moi dans les geôles, et nous essayons d’imaginer demain, d’imaginer qu’il pourra retourner dans son collège. Il ne craint pas trop la réaction de ses copains de classe :

« Ça sera comme d’habitude, c’est la classe, on est pas tous amis mais on s’entend quand même. »

Mais le regard des profs…« Ils vont me voir comment ? »

En trois heures, j’ai entendu la mère, entendu le fils et fait la moitié de mon rapport écrit au Saint Esprit : ils étaient plusieurs mineurs dans les geôles un vendredi et « si on pouvait au moins en prendre un avant midi… »

J’ai complété mon demi-rapport à l’oral devant un juge des enfants qui se demandait ce que faisait cette procédure mal ficelée sur son bureau, mais bon, quand même, il allait bien le mettre en examen :

« On pourra changer la qualification, et puis au jugement, il pourra toujours bénéficier d’une dispense de peine, si ses parents amènent les écrits qu’il a fait là-dessus au collège. »

En dix minutes, la cérémonie a été bouclée et tout le monde renvoyé dans son terroir, sans savoir la possible chance d’une dispense de peine, à attendre huit mois, un an, le jugement.

Garde à vue, menottes : la totale

Il était bien d’accord avec moi le juge, on n’allait surtout pas mettre une mesure éducative de suivi jusqu’au jugement, « même pas une mesure de réparation, après toutes les sanctions qu’il a déjà eues ».

J’ai pas demandé à la maman du poisson d’aller au collège pour réclamer la copie des écrits de son goujon et de surtout bien les conserver pour les donner à l’avocat le jour du jugement. Au flan, j’ai carrément expliqué au principal qu’il lui fallait faxer d’urgence ces morceaux d’anthologie, sur la demande et à l’attention du juge, pour le dossier pénal. Je les aurai lundi.

Le procureur aurait pu traiter cette affaire en « alternative aux poursuites », en COPJ-MEX (mise en examen sur rendez-vous ultérieur dont la date est transmise par un officier de police judiciaire du commissariat où la personne vient d’être entendue), après ou pas une garde à vue.

Mais petit poisson a bénéficié de la totale, la GAV, les menottes, le déferrement immédiat.

Le juge des enfants aurait pu différer la mise en examen en ouvrant un supplément d’information pour attendre les écrits faits au collège. Et moi, j’aurais pu dire non, le rapport n’est pas prêt, refuser de le faire oralement, prendre tout mon temps, tout le temps pour tout le monde d’essayer de comprendre ce qui est en train de se passer, dans quoi on est entraînés.

Mais petit poisson aurait passé plus d’heures tout seul dans les geôles et sa famille plus de temps aussi dans l’angoisse. J’ai hésité et décidé, peut-être trop rapidement, qu’ils avaient été assez exemplaires comme ça.

Je suis fatiguée de cette folie collective

J’ai mal dormi. J’ai peur pour ce petit poisson, pour ses parents. Je suis effrayée par la réaction Vigipirate des institutions de la République, sans plus de raison, de discernement, chacun suivant les directives de sa hiérarchie, démultipliant la rigueur pour mieux exposer aux médias la réaction des institutions. Parce qu’un des arguments pour ces réactions en chaîne, le premier souvent avancé, c’est celui-là :

« On est sous le regard des médias, de l’opinion publique. »

Je suis fatiguée de cette folie collective qui, après un très bel élan de fraternité, traque et cherche les coupables de ce chaos qu’il nous reste à vivre, dans lequel il va me falloir travailler.

Un collègue et ami a affiché dans notre service une belle lettre de sa fille Valentine et son amie Chaïna, 11 ans, et moi je vous punis de ce long récit, pour exorciser ce moment vécu et continuer à penser.

Source : Rue89

Source: http://www.les-crises.fr/j-ai-leve-la-main-et-j-ai-dit-ils-ont-eu-raison/


[Reprise] L’assassinat de journalistes… les leurs et les nôtres, par William Blum

Wednesday 4 February 2015 at 02:07

Après Paris, la condamnation du fanatisme religieux est à son comble. Je suppose qu’il y a même de nombreux progressistes qui rêvent de tordre le cou à des djihadistes, en enfonçant dans leurs crânes quelques réflexions sur l’intelligence, la caricature, l’humour et la liberté d’expression. Nous parlons ici, après tout, de jeunes qui ont grandi en France, pas en Arabie saoudite.

D’où provient tout cet intégrisme islamique des temps modernes ? La plupart vient – formé, armé, financé, endoctriné – d’Afghanistan, d’Irak, de la Libye et de la Syrie. Au cours de différentes périodes, des années 1970 à nos jours, ces quatre pays ont été les états-providences les plus laïcs, modernes, instruits du Moyen-Orient. Et qu’est-il arrivé à ces états-providence laïcs, modernes et instruits ?

Dans les années 1980, les Etats-Unis ont procédé au renversement du gouvernement afghan qui était progressiste, où les femmes jouissaient de tous les droits, croyez-le ou non1 , pour aboutir à la création des talibans et leur prise de pouvoir.

Dans les années 2000, les Etats-Unis ont renversé le gouvernement irakien, détruisant non seulement la laïcité, mais aussi un état civilisé, dont il ne reste que des décombres.

En 2011, les Etats-Unis et leur appareil militaire de l’OTAN ont renversé le gouvernement libyen laïc de Mouammar Kadhafi, laissant derrière eux un état de non-droit et en répandant des centaines de djihadistes et des tonnes d’armes au Moyen-Orient.

Et depuis quelques années les Etats-Unis tentent de renverser le gouvernement syrien laïc de Bachar al-Assad. Ceci, avec l’occupation américaine qui a déclenché une guerre généralisée entre sunnites et chiites en Irak, a conduit à la création de l’Etat islamique avec toutes ses décapitations et autres pratiques charmantes.

Mais malgré tout cela, le monde est plus sûr pour le capitalisme, l’impérialisme, l’anti-communisme, le pétrole, Israël et les djihadistes. Dieu est grand !

Depuis la guerre froide, et la multiplication des interventions énumérées ci-dessus, nous avons affaire à 70 ans de politique étrangère américaine, sans laquelle – comme le faisait remarquer l’écrivain russo/américain Andre Vltchek – « presque tous les pays musulmans, dont l’Iran, l’Egypte et l’Indonésie, seraient aujourd’hui très probablement socialistes, sous la direction d’un groupe de dirigeants très modérés et plutôt laïcs »2 . Même l’ultra-répressive Arabie Saoudite – sans la protection de Washington – serait probablement un pays très différent.

Le 11 Janvier, Paris fut le théâtre d’une Marche d’unité nationale en l’honneur du magazine Charlie Hebdo, dont les journalistes avaient été assassinés par des terroristes. La marche fut plutôt émouvante, mais ce fut aussi une orgie d’hypocrisie occidentale, avec les chaînes de télévision françaises et la foule rassemblée vantant sans fin la vénération de l’OTAN pour les journalistes et la liberté d’expression partout dans le monde ; avec un océan de pancartes clamant « Je suis Charlie … Nous Sommes Tous Charlie » ; avec des crayons géants brandis, comme si les armes de choix de l’Occident au Moyen-Orient au cours du siècle passé avaient été des crayons, et non des bombes, des invasions, des coups d’état, de la torture et des drones.

Personne n’a relevé que l’armée américaine, dans le cadre de ses guerres au cours des dernières décennies au Moyen-Orient et ailleurs, a été responsable de la mort délibérée de dizaines de journalistes. En Irak, entre autres incidents, il faut revoir la vidéo de 2007 de Wikileaks sur l’assassinat de sang-froid de deux journalistes de Reuters ; l’attaque en 2003 par une missile air-sol US sur les bureaux d’Al Jazeera à Bagdad, qui a fait trois morts et quatre blessés parmi les journalistes ; et le tir américain sur l’Hôtel Palestine à Bagdad la même année qui a tué deux cameramen étrangers.

En outre, le 8 Octobre 2001, au cours du deuxième jour de bombardements américains sur l’Afghanistan, les émetteurs de Radio Shari du gouvernement taliban ont été bombardés et peu de temps après, les Etats-Unis ont bombardé quelques 20 sites de radios régionales. Le Secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld, a défendu la destruction de ces installations en déclarant : « Naturellement, ils ne peuvent pas être considérés comme des médias libres. Ils sont les porte-paroles des talibans et de ceux qui hébergent les terroristes ».3

Et en Yougoslavie, en 1999, lors des 78 jours de bombardement d’un pays qui ne menaçait ni les États-Unis ni aucun autre pays, la Radio Television Serbia (RTS) appartenant à l’Etat fut visée [voir photo. Note du GS] parce qu’elle diffusait des choses qui n’étaient pas du goût des États-Unis et de l’OTAN (notamment les horreurs provoquées par les sus-dits bombardements). Les bombes ont tué de nombreux employés de la station, et les deux jambes de l’un des survivants qui a dû être amputé pour le libérer des décombres.4

Voici une opinion sur Charlie Hebdo qui m’a été envoyée par un ami à Paris qui connaît bien ce journal et ses journalistes :

« En matière de politique internationale, Charlie Hebdo était néoconservateur. Il a soutenu toutes les interventions de l’OTAN depuis la Yougoslavie. Ils étaient anti-musulman, anti-Hamas (ou toute organisation palestinienne), anti-russe, anti-cubain (à l’exception d’un dessinateur), anti-Chávez, anti-Iran, anti-Syrie, pro-Pussy Riot, pro-Kiev… Faut-il continuer ?

« Curieusement, le magazine était considéré comme « de gauche ». Il m’est difficile à présent de les critiquer parce qu’ils n’étaient pas « mauvais », juste une bande de dessinateurs drôles, oui, mais des électrons libres sans ordre du jour précis et qui au fond n’en avaient rien à foutre du « correct » – ni politique, ni religieux, ni quoi que ce soit ; ils ne faisaient que s’amuser en tentant de vendre un magazine « subversif » (à l’exception notable de l’ancien rédacteur en chef, Philippe Val, qui est, je crois, un néoconservateur pur et dur) ».

Encore plus bête que soi

Vous souvenez-vous d’Arseniy Yatsenuk ? Ce fonctionnaire ukrainien que le Département d’État des États-Unis avait adopté comme un des leurs au début de 2014 et guidé vers le poste de Premier ministre afin de diriger les Forces du Bien ukrainiennes contre la Russie dans la nouvelle guerre froide ?

Dans une interview à la télévision allemande, le 7 Janvier 2015, voici ce que Yatsenuk a laissé échapper de sa bouche : « Nous nous souvenons tous très bien de l’invasion soviétique de l’Ukraine et de l’Allemagne. Nous ne le permettrons pas et personne n’a le droit de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ».5

Les Forces du Bien ukrainiennes, il faut le rappeler, comptent également plusieurs néo-nazis à des postes élevés du gouvernement et beaucoup plus qui participent à la lutte contre les Ukrainiens pro-Russes dans le sud-est du pays. En juin dernier, Yatsenuk a qualifié ces pro-Russes de « sous-hommes »6 , une référence directe au terme nazi de « untermenschen ».

Alors la prochaine fois que vous levez les yeux au ciel devant une remarque stupide faite par un membre du gouvernement américain, essayez de vous consoler en vous en pensant que les hauts responsables américains ne sont pas nécessairement les plus stupides, sauf bien-sûr en ce qui concerne leur choix de partenaires dignes de l’empire.

Le genre de manifestation qui s’est déroulée à Paris ce mois-ci pour condamner un acte de terrorisme par des djihadistes aurait tout aussi bien pu se dérouler pour les victimes d’Odessa en Ukraine, en mai dernier. Les mêmes néo-nazis décrits ci-dessus avaient interrompu leurs parades avec des croix gammées et appelant à la mort des Russes, des communistes et des Juifs, pour aller incendier un bâtiment syndical à Odessa, tuant des dizaines de personnes et envoyant des centaines à l’hôpital ; la plupart des victimes furent battues ou abattues alors qu’elles tentaient de fuir les flammes et la fumée ; les ambulances furent empêchées de porter secours aux blessés… Vous pouvez toujours chercher un seul grand média US qui a fait ne serait-ce qu’une tentative pour décrire toute cette horreur. Il vous faudra visiter le site russe de RT.com à Washington, DC, et rechercher « Odessa fire » ( « incendie Odessa ») pour trouver de nombreux articles, images et vidéos. Voir aussi l’article de Wikipedia sur le 2 mai 2014 et les affrontements à Odessa.

Si le peuple américain avait été forcé de regarder, d’écouter et de lire toutes les histoires sur le comportement des néo-nazis en Ukraine au cours des dernières années, je pense qu’ils – oui, même le peuple américain et ses représentants intellectuellement limités du Congrès – commenceraient à se demander pourquoi leur gouvernement a été si étroitement allié avec de telles personnages. Les États-Unis pourraient même s’allier à la Russie pour les combattre.

L’Occident n’est pas Charlie pour Odessa. Il n’y a pas de défilé à Paris pour Odessa. (en français dans le texte – NdT)

Quelques réflexions sur ce qu’on appelle l’idéologie

Norman Finkelstein, le virulent critique américain d’Israël, était interviewé récemment par Paul Jaysur The Real News Network. Finkelstein a raconté comment il avait été un maoïste dans sa jeunesse et avait été dévasté par l’exposition et la chute de la Bande des Quatre en 1976 en Chine. « Il s’est avéré qu’il y avait énormément de corruption. Les gens que nous pensions être totalement désintéressés étaient en fait totalement égoïstes. C’était clair. Le renversement de la Bande des Quatre avait un énorme soutien populaire ».

Beaucoup d’autres maoïstes ont été déchirés par l’événement. « Tout s’est écroulé subitement, tout le système maoïste, qui nous pensions [étaient] des hommes nouveaux socialistes, qui croyaient tous au don de soi, au combat contre l’égoïsme. Puis du jour au lendemain, ce fut tout le contraire. »

« Vous savez, beaucoup de gens pensent que c’est McCarthy qui a détruit le Parti communiste, » a poursuivi Finkelstein, « C’est absolument faux. Vous savez, quand vous étiez un communiste à l’époque, vous aviez la force intérieure pour résister au maccarthysme, au nom de la cause. Ce qui a détruit le Parti communiste fut le discours de Khrouchtchev, » une référence à 1956 et la révélation par le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev des crimes commis par Joseph Staline et son régime dictatorial.

J’étais moi-même suffisamment âgé et intéressé pour être influencé par les révolutions russes et chinoises, mais ce ne fut pas le cas. J’étais un admirateur du capitalisme et un bon et loyal anti-communiste. C’est la guerre du Vietnam qui fut ma Bande des Quatre et mon Nikita Khrouchtchev à moi. Jour après jour, en 1964 et au début de 1965, je suivais attentivement les informations pour prendre connaissance des derniers statistiques de la journée sur la puissance de feu américaine, les sorties des bombardiers, et le nombre de morts. J’étais rempli de fierté patriotique devant notre démonstration de force massive qui allait façonner l’histoire. Des paroles comme celles prononcées par Winston Churchill, à l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, me revenaient facilement à l’esprit – « l’Angleterre vivra ; la Grande-Bretagne vivra ; la Communauté des Nations vivra » Puis un jour – un jour comme un autre – de façon soudaine et de manière inexpliquée, ça m’a frappé. Dans ces villages aux noms étranges, il y avait des gens sur qui ces bombes tombaient, des gens qui fuyaient dans un désespoir total devant le déluge de feu qui tombait du ciel.

Et ça ne m’a plus lâché. Les bulletins d’informations provoquaient en moi la satisfaction bien-pensante que nous étions en train de donner une leçon à ces maudits communistes et qu’ils n’allaient pas s’en tirer avec ce qu’ils avaient l’intention de s’en tirer. L’instant d’après, j’étais frappé par une vague de répulsion devant toute cette horreur. La répulsion a fini par l’emporter sur la fierté patriotique, et je n’ai jamais fait marche arrière ; me condamnant du coup à ressentir du désespoir devant la politique étrangère des Etats-Unis, encore et encore, décennie après décennie.7

Le cerveau humain est un organe étonnant. Il travaille 24/24h, sept jours sur sept, et 52 semaines par an, avant même votre naissance et jusqu’au jour où vous devenez un nationaliste. Et ce jour-là peut arriver très tôt. Voici un titre récent du Washington Post  : « Aux États-Unis le lavage de cerveau commence dès la maternelle. »

Ah, au temps pour moi. En réalité, le titre était « En Corée du Nord le lavage de cerveau commence dès la maternelle. »8

Que Cuba Vive ! Liste du Diable de ce que les États-Unis ont fait à Cuba

Le 31 mai 1999, une plainte contre le gouvernement des États-Unis pour $181 milliards – pour morts, blessés et dommages économiques – fut déposée devant un tribunal de La Havane. Elle a ensuite été déposée auprès de l’Organisation des Nations Unies. Depuis, son sort est un mystère.

La plainte porte sur les 40 années qui ont suivi la révolution de 1959 et décrit, avec force détails apportés par des témoignages directs des victimes, les actes d’agression des Etats-Unis contre Cuba ; en mentionnant souvent le nom, la date et les circonstances précises, de chaque personne tuée ou gravement blessée. En tout, 3478 personnes ont été tuées et 2099 gravement blessées. (Ces chiffres ne comprennent pas les nombreuses victimes indirectes des pressions et du blocus économique de Washington, qui a provoqué des difficultés pour obtenir des médicaments et de la nourriture, en plus d’autres difficultés.)

En termes juridiques, la plainte fut rédigée de manière très précise. Elle portait sur la mort d’individus, au nom des survivants, et des dommages corporels de ceux qui avaient survécu à des blessures graves, en leur nom propre. Aucune attaque américaine infructueuse ne fut retenue, et par conséquent il n’y avait aucun témoignage sur les plusieurs centaines de tentatives d’assassinat manquées contre le président cubain Fidel Castro et d’autres hauts fonctionnaires, ni des attentats qui n’avaient pas fait de victimes. Les dégâts occasionnés aux cultures, au bétail ou à l’économie cubaine en général ont également été exclus, il n’y avait donc aucun témoignage sur l’introduction dans l’île de la peste porcine ou la moisissure de tabac.

Toutefois, les aspects de la guerre biologique et chimique menée par Washington contre Cuba et ayant fait des victimes furent décrits en détail, notamment la création d’une épidémie de dengue hémorragique en 1981, au cours de laquelle quelques 340 000 personnes furent infectées et 116 000 hospitalisées ; et ceci dans un pays qui n’avait jamais connu auparavant un seul cas de cette maladie. Au final, 158 personnes, dont 101 enfants, sont mortes.9 Le fait qu’il n’y ait eu que 158 morts, sur les quelques 116 000 hospitalisés, constitue un hommage éloquent au remarquable système de santé public cubain.

La plainte décrit la campagne d’attaques aériennes et navales contre Cuba qui ont commencé en Octobre 1959, lorsque le président américain Dwight Eisenhower a approuvé un programme qui comprenait des bombardements de raffineries de sucre, l’incendie des champs de canne-à-sucre, des attaques à la mitrailleuses à La Havane, y compris contre des trains de voyageurs.

Une autre section de la plainte décrit les groupes terroristes armés, Los Bandidos, qui ont ravagé l’île pendant cinq ans, de 1960 à 1965, date à laquelle le dernier groupe fut repéré et vaincu. Ces bandes terrorisaient les petits agriculteurs, torturaient et tuaient ceux considérés (souvent à tort) comme des partisans actifs de la Révolution ; hommes, femmes, et enfants. Plusieurs jeunes enseignants volontaires de la campagne d’alphabétisation furent parmi les victimes de ces bandits.

Il y eut aussi bien-sûr la fameuse Baie des Cochons, en avril 1961. Bien que la totalité de l’incident a duré moins de 72 heures, 176 Cubains ont été tués et 300 autres blessés, dont 50 handicapés à vie.

La plainte a également décrit la campagne incessante de grands actes de sabotage et de terrorisme qui comprenaient le bombardement de navires et d’avions ainsi que des magasins et bureaux. L’exemple le plus horrible de sabotage fut bien sûr l’explosion en plein vol en 1976 d’un avion de Cubana qui avait décollé de la Barbade, tuant les 73 passagers. Il y a aussi l’assassinat de diplomates et fonctionnaires cubains à travers le monde, dont un en pleine rue à New York en 1980. Cette campagne s’est poursuivie dans les années 1990, avec les meurtres de policiers cubains, soldats et marins en 1992 et 1994, et une vague d’attentats contre des hôtels en 1997, qui a coûté la vie à un touriste ; la campagne d’attentats visait à décourager le tourisme et a conduit à l’envoi d’officiers du renseignement cubains aux États-Unis dans une tentative de mettre fin aux attentats ; parmi eux, il y avait les Cinq Cubains.

A tout ce qui précède on peut ajouter les nombreux actes de chantage financier, de violence et de sabotages menés par les Etats-Unis et ses agents au cours des 16 années qui ont suivi le dépôt de la plainte. En somme, la blessure et traumatisme profonds infligés au peuple cubain peuvent être considérés comme leur version à eux d’un 11 Septembre 2001.10

Source : William Blum, repris et traduit par Le Grand Soir, depuis son blog.

  1. US Department of the Army, Afghanistan, A Country Study (1986), pp.121, 128, 130, 223, 232
  2. Counterpunch, January 10, 2015
  3. Index on Censorship, the UK’s leading organization promoting freedom of expression, October 18, 2001
  4. The Independent (London), April 24, 1999
  5. Ukrainian Prime Minister Arseniy Yatsenyuk talking to Pinar Atalay”, Tagesschau (Germany), January 7, 2015 (in Ukrainian with German voice-over)
  6. CNN, June 15, 2014
  7. See William Blum, West-Bloc Dissident : A Cold War Memoir, chapter 3
  8. Washington Post, January 17, 2015, page A6
  9. William Blum, Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War II, chapter 30, for a capsule summary of Washington’s chemical and biological warfare against Havana.
  10. For further information, see William Schaap, Covert Action Quarterly magazine (Washington, DC), Fall/Winter 1999, pp.26-29

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-lassassinat-de-journalistes-les-leurs-et-les-notres-par-william-blum/


[Reprise] Christophe Barbier contre Dieudonné – Editorialiste ou auxiliaire de police ? [2014]

Wednesday 4 February 2015 at 01:55

Article d’Acrimed de janvier 2014

Pour ne pas participer au tintamarre médiatique auquel a donné lieu et donne encore lieu « l’affaire Dieudonné », nous attendrons une accalmie, non sans relever le paradoxe qu’il peut y avoir à entretenir un tel tintamarre autour d’un personnage que la plupart de ceux qui y participent… voudraient justement voir réduit au silence ! Le « débat » fait rage dans les médias sur les meilleurs moyens de combattre les dérives antisémites de Dieudonné et de nombre de ses admirateurs.Au moment où nous écrivons cet article, ce débat est clos, au moins momentanément, puisque le Conseil d’État vient de décider que l’interdiction du spectacle de Dieudonné par le préfet de la région Pays de la Loire était légale – ce qui ne change rien au fond de notre argumentaire. En effet, des opinions des éditorialistes sur ce qu’ilconviendrait de faire aux prescriptions adressées au gouvernement sur ce qu’il faut faire, il y a un pas rapidement franchi. Mais pour que les conseils se transforment en ordres de mobilisation, le meilleur des auxiliaires du ministère de l’Intérieur est Christophe Barbier.

Ce qui est dès lors en cause c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle ne se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants. Et cela nous ne pouvions pas le passer sous silence.

Christophe Barbier, donc, dans deux éditoriaux successifs des 30 décembre 2013 et 6 janvier 2014 (sur lesquels nous allons revenir) se rêve grand ordonnateur des basses œuvres du ministre de l’Intérieur agissant « avec une sorte de volonté d’hygiène » (!), conseillant aux préfets d’instrumentaliser la loi, diligentant des enquêtes fiscales, faisant pression sur les directeurs de salles de spectacle, manipulant les militants antiracistes, concevant la stratégie d’emploi des Renseignements généraux, ou orchestrant la propagande au sein de l’Éducation nationale.

Un défenseur de la liberté d’expression (19/09/2012)

Mais on relèvera tout d’abord ceci : l’islamophobie de l’Express fait le lit du racisme ou en est une forme euphémisée. Pour se défendre des effets de cet acharnement, Christophe Barbier, plaidant pour l’irresponsabilité, soutient que « Non, la presse ne peut pas tenir compte du contexte ». Tels étaient le titre et le sens de son éditorial-vidéo du 19 septembre 2012 à propos de la polémique autour de la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Sous prétexte de défendre cette publication, Christophe Barbier déclarait alors :

«  Il ne peut pas y avoir de limite à la liberté d’expression. La liberté peut entraîner l’immaturité, peut-être accompagnée d’irresponsabilité, et c’est peut-être le cas pour Charlie Hebdo, chacun fera son avis. Mais la liberté n’a pas d’autre limite que celle des autres, ma liberté s’arrête quand commence celle des autres. La liberté d’expression de Charlie Hebdo n’entrave en rien la liberté de chaque citoyen de considérer que c’est de mauvais goût, à chaque citoyen de respecter la religion de tel ou tel autre, et surtout de chaque citoyen de pratiquer sa religion comme il l’entend. La liberté de Charlie Hebdo n’est donc pas contestable. Si quelqu’un se sent insulté il peut aller devant les tribunaux, c’est Jean-Marc Ayrault qui l’a dit et il a parlé sagement. Mais le pouvoir aurait pu réaffirmer encore plus fortement dès hier soir la liberté d’expression. […] Si la semaine suivante on est carrément dans un choc des civilisations, il faudra que même les analyses sérieuses, les hypothèses intellectuelles soient refrénées pour ne pas mettre d’huile sur le feu ? Le feu est là. La presse ne met pas d’huile, elle essaye de mettre de l’intelligence, mais ce n’est pas son métier de mettre de l’eau, les pompiers sont dans les ambassades, ce sont les diplomates, ce sont les politiques. […] »

Que L’Express et Christophe Barbier mettent de l’intelligence, cela… se discute. Mais qu’ils mettent de l’huile sur le feu de la xénophobie et du racisme, cela n’est que trop évident ! Quant à appeler le gouvernement à recourir à la force publique et à des mesures illégales, il n’en était pas question dans le bavardage de Christophe Barbier. Et c’est heureux.

Seulement voilà : l’écharpe rouge de Christophe Barbier tourne avec le vent.

Un appel à bafouer le droit de vote (02/06/2009)

Trois ans avant de prendre la défense inconditionnelle et intéressée de la liberté d’expression et de la légalité, Christophe Barbier avait déjà déclamé en vidéo, lors des élections européennes de 2009, au nom des limites à la liberté d’expression cette fois, sa volonté de faire taire Dieudonné qui conduisait alors une liste dans la circonscription d’Île-de-France : en appelant le gouvernement à empêcher les électeurs favorables à cette liste de déposer leurs bulletins de vote. Comment ? En empêchant lesdits bulletins de parvenir dans les bureaux, sans doute… Voire en interdisant la liste ? C’est ce que l’on peut entendre dans l’éditorial-vidéo du 2 juin 2009 intitulé « Dieudonné : stop ! » :

«  La liberté d’expression a des limites. De quel droit Dieudonné et ses comparses peuvent-ils encore nuire dans cette campagne pour les élections européennes. Voilà que dans une tribune ils ont non seulement passé un coup de téléphone du terroriste Carlos les soutenant [sic], non seulement ont fait l’apologie d’Ahmadinejad, mais tenu des propos contre le lobby « juifiste ». […] Et voilà que quand on tient de propos pareils on est tolérés, on a le droit même à des dépêches, on a le droit à une couverture médiatique [sic], on a le droit au respect des autorités de la République, on a le droit de déposer des listes et de se présenter au suffrage des électeurs, on a le droit de flatter les pires instincts parce qu’il y a toujours évidemment des foules prêtes à donner dans la haine, c’est absolument scandaleux, c’est absolument anormal, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’élus pour cette liste, bien sûr, mais il faut faire en sorte, et c’est aux autorités de la République d’y veiller, qu’ils ne puissent pas déposer de bulletin dans les bureaux de vote. Il faut que la République dise que la liberté d’expression a des limites, ce sont les limites des valeurs des droits de l’homme, cette dois ci elles sont franchies. Il y a beaucoup de petites listes insignifiantes dans cette élection, cela ridiculise le scrutin, la liste menée par Dieudonné est une liste de haine, elle ne ridiculise pas le scrutin, elle le rend dangereux, elle le rend nuisible, il faut que cela cesse avant dimanche. »

Des appels au désordre public et aux ex-RG

Depuis quelques semaines, Christophe Barbier mobilise à nouveau contre Dieudonné :

  • « Comment en finir avec Dieudonné ? » se demandait-il le 30 décembre 2013. Et de répondre :« Manuel Valls a raison de tenter de mettre fin aux agissements de Dieudonné. Mais a-t-il pris la bonne méthode ? Le trouble à l’ordre public présumé est toujours difficile à constituer, à constater avant un spectacle, c’est difficile aussi après. Les préfets vont devoir faire preuve de beaucoup d’habileté s’ils veulent appliquer la consigne du ministre. […] Il faut faire pression sur les directeurs de salle, sur les programmateurs pour qu’ils décident de ne plus mettre Dieudonné à l’affiche. Avec une sorte de volonté d’hygiène pour que les spectateurs n’aient plus la possibilité de venir le voir, pour qu’il n’y ait pas la tentation, il faut supprimer l’objet de cette tentation. Ainsi Dieudonné n’aura plus de public. […] »Que cela puisse avoir l’effet inverse à celui qui est escompté ne lui vient pas à l’esprit. Mais passe encore : cette prescription de ce que qu’il faut faire peut passer pour une opinion ! La suite, beaucoup moins.
  • « Comment empêcher Dieudonné de nuire ? » se demande Christophe Barbier une semaine plus tard, le 6 janvier 2014, dans une vidéo que l’on peut voir à la fin de cet article Et il répond :« Puisque la détermination du gouvernement à agir radicalement contre Dieudonné semble vraie, il faut maintenant trouver la bonne méthode. Alors regardons comment, par quel mode d’emploi on peut empêcher Dieudonné de nuire.D’abord, le trouble à l’ordre public, ce n’est pas le plus facile puisqu’il faut qu’il y ait des troubles ou des menaces constatés. […]que tous les militants antiracistes se mobilisent pour aller dans chaque ville concernée la veille faire un peu de tohu-bohu et donner au préfet du coin le prétexte qu’il attend, la bonne occasion pour interdire le spectacle. »

    Que des personnalités comme Arno Klarsfeld ou des associations lancent de tels appels, c’est leur droit, quoi que l’on pense de ces provocations aux désordres publics. Mais un éditorialiste ?

Ce n’est pas tout…

« Ensuite, il faut aller dans les spectacles de Dieudonné, notamment dans sa salle parisienne, où là l’interdiction pour trouble à l’ordre public est plus difficile ; dans cette salle là on pourra y entendre des choses qui pourront après coup, après coup, permettre d’interdire la récidive du spectacle. Cela permettrait de trouver une nouvelle utilité aux anciens Renseignements généraux. »

Pourquoi anciens ? Parce que le service des RG a été intégré à laDirection centrale du renseignement intérieur (DCRI). Christophe Barbier, auxiliaire du ministère de l’Intérieur, donne ici tout la mesure de son rôle…

… Qu’il complète après avoir expliqué comment empêcher Dieudonné de financer ses spectacles, en prêtant son concours au ministre de l’Éducation nationale :

« […] Mais en fait le vrai ministre qui devrait agir dès aujourd’hui contre Dieudonné, c’est Vincent Peillon, c’est au sein de l’Éducation nationale qu’il faut très vite apprendre aux enfants comment des idées nauséabondes arrivent à se faufiler par anfractuosités de la loi et comment sous le faux nez de l’humour on peut répandre des idéologies dangereuses. Si on arrive à vacciner les enfants contre cela, on aura fait un grand progrès, pas seulement contre Dieudonné, mais contre tous ses épigones, contre tous ceux qui veulent détourner ce si beau métier d’humoriste, ce si beau métier de saltimbanque au profit d’idées qui nécessitent d’être sans relâche combattues. »

Christophe Barbier étant devenu lui-même acteur et saltimbanque [1] sait de quoi il parle. Faut-t-il qu’à notre tour nous suggérions au ministre de l’Éducation nationale d’inviter les enseignants à décrypter les « Unes » de L’Express et de la presse magazine sur l’Islam pour « vacciner » les enfants contre « les idées nauséabondes » ?

Nous n’en ferons rien. Notre propos n’est pas ici de débattre des meilleurs moyens de combattre l’antisémitisme et le racisme, d’où qu’ils viennent. Ce qui est en cause, répétons-le, c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants, quand il appelle à bafouer le droit de vote, à provoquer des désordres publics et à mobiliser les anciens Renseignements généraux.

Source : Blaise Magnin et Henri Maler (grâce au signalement de Jérémie Fabre) pour Acrimed, 10/01/2014

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-christophe-barbier-contre-dieudonne-editorialiste-ou-auxiliaire-de-police-2014/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Guignols)

Wednesday 4 February 2015 at 00:35

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (1/2): La Grèce va-t-elle vraiment rembourser sa dette ?- 02/02

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (2/2): Indice manufacturier: l’incertitude plane un peu partout – 02/02

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: Le QE de la BCE, les gens n’y croient pas vraiment – 29/01

Philippe Béchade VS Jean-François Arnaud (1/2): Quels sont les impacts du QE sur les marchés financiers ? – 28/01

Philippe Béchade VS Jean-François Arnaud (2/2): Bourse: Quel algorithme choisir pour détecter les pépites de demain ? – 28/01

Bilan Hebdo: Jean-Louis Cussac et Vincent Ganne – 30/01

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir: Les autorités grecques tentent-elles de vendre leurs nouvelles dettes ?- 03/02

IV. Guignols

Les Guignols de l_Info et la Théorie du Complot


 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-04-02-2015/


[Reprise] Valérie Pécresse veut outrepasser la Convention européenne des droits de l’homme

Wednesday 4 February 2015 at 00:01

Valérie Pécresse veut outrepasser la Convention européenne des droits de l’homme pour empêcher le retour des djihadistes français

OSEF – Le Royaume-Uni l’a fait, alors pourquoi pas la France ? C’est le raisonnement développé par la députée UMP Valérie Pécresse pour justifier sa proposition d’interdire de retour en France des djihadistes français.

Invitée de RTL ce lundi 19 janvier, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy se positionne sur le même créneau que Laurent Wauquiez (qui propose également de sortir des traités européens si nécessaire), qui avait déjà évoqué cette proposition reprise par l’UMP mais que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a jugé juridiquement compliquée :

Quand on veut, on peut. La Convention européenne des droits de l’homme permet des dérogations justifiées par des nécessités d’ordre public. La question est de savoir si les Français souhaitent ou non que les djihadistes soient interdits de retour.

Et d’insister sur l’exemple britannique alors que David Cameron a enclenché cette réforme dès novembre 2014, avant les attentats qui ont frappé Paris les 7, 8 et 9 janvier. Elle déroule ainsi :

Les Britanniques qui font partie du conseil de l’Europe, comme nous, donc qui ont signé la convention européenne des droits de l’homme, vont voter une interdiction de deux ans de retour sur le territoire des djihadistes britanniques.

“C’est donc possible”, assure l’élue UMP qui vise la région Ile-de-France fin 2015.

Non, ce n’est pas voté en Angleterre…

Pourtant, pour le coordinateur de la politique antiterroriste de l’Union européenne, Gilles de Kerchove, cette mesure “paraît difficile juridiquement”, a-t-il réagi ce 19 janvier sur Europe 1. “C’est une phrase pour se faire plaisir”, a raillé le président de l’Assemblée Claude Bartolone.

Outre Valérie Pécresse et l’UMP, le Front national également opte pour cette solution d’interdire à des Français partis faire le djihad en Syrie ou en Irak de revenir dans l’Hexagone. Mais, comme le notent Les décodeurs du Monde, “la loi antiterroriste de novembre 2014 (la loi dite Cazeneuve, ndlr) introduit la possibilité, pour les étrangers, d’une interdiction administrative de territoire pour une personne présentant ‘une menace réelle et actuelle’”.

Source : Le Lab Europe1

Source: http://www.les-crises.fr/pecresse-veut-outrepasser-la-convention-europeenne-des-droits-de-l-homme/