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MAE anglais : Poutine, ce “tyran du milieu du XXè siècle”…

Monday 9 February 2015 at 04:50

Vladimir Poutine agit comme un “tyran du milieu du XXe siècle” et devrait “adapter son comportement en fonction du déclin de l’économie russe”, a accusé dimanche le ministre britannique des Affaires étrangères (MAE), Philip Hammond.

Livrer des armes à l’Ukraine n’est pas envisagé “pour l’instant”, mais la position de la Grande-Bretagne à cet égard pourrait changer, a ajouté le chef de la diplomatie britannique sur la chaîne d’information en continu Skynews.

Cet homme a envoyé des troupes franchir une frontière internationale et occuper le territoire d’un autre pays, en se comportant au XXIe siècle comme un tyran du milieu du XXe siècle“, a souligné le ministre en parlant du président russe.

Oui oui, c’est bien le ministre du pays qui a envahi l’Irak (où il y avait peu de Britanniques) d’une façon – hmmmm- un peu plus violente… (enfin, il me semble)

C’est typiquement le genre de 12 poids 12 mesures qui ne peut que faire haïr l’Occident par les autres pays…

“Les nations civilisées ne se comportent pas ainsi au XXIe siècle, a-t-il insisté. Nous vivons dans une société régie par des lois. Nous voulons que le peuple russe fasse partie de la communauté internationale [...] mais nous ne pouvons tolérer ce comportement scandaleux et d’un autre âge de la part du Kremlin.”

M. Hammond s’est exprimé alors qu’un sommet réunissant France, Allemagne, Ukraine et Russie est prévu à Minsk mercredi avec pour tenter de trouver une solution au conflit entre séparatistes prorusses et forces ukrainiennes qui a fait plus de 5.500 morts, dont de nombreux civils, dans l’Est de l’Ukraine.

Le ministre a défendu l’absence de la Grande-Bretagne à la table des négociations en soulignant qu’il n’était “pas pratique d’être à dix pour parler au Kremlin”.

“Ceci est l’une des dernières chances pour la Russie d’éviter de nouveaux dommages significatifs à son économie. M. Poutine doit adapter son comportement en fonction du déclin de l’économie russe“, a-t-il commenté.

“Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. Les Ukrainiens ne peuvent pas vaincre l’armée russe. Il faut trouver une solution politique et M. Poutine doit comprendre que ses actions en Ukraine auront un prix politique et économique“, a-t-il développé, faisant peser la menace de nouvelles sanctions économiques.

Source : AFP (repris ici par La Libre.be ), 8/2/2015

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Je n’aime pas trop jouer au populiste, mais on est d’accord, ces gens sont totalement cinglés ?

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(Rappel) Tiens, sien passant non, on va bientôt regretter Sarko :

L’ancien président français Nicolas Sarkozy, désormais chef de l’opposition de droite à son successeur François Hollande, a estimé samedi qu’on ne pouvait “pas reprocher à la Crimée” d’avoir “choisi la Russie” et a mis en garde contre une nouvelle “guerre froide” avec Moscou.

“La séparation entre l’Europe et la Russie est un drame. Que les Américains la souhaitent, c’est leur droit et c’est leur problème. Nous avons une civilisation en commun avec la Russie. Les intérêts des Américains avec les Russes, ce ne sont pas les intérêts de l’Europe avec la Russie”, a affirmé l’ex-chef de l’Etat lors d’une réunion à Paris des dirigeants du parti de droite UMP qu’il dirige, . “Nous ne voulons pas de la résurgence d’une guerre froide entre l’Europe et la Russie”, a-t-il martelé en évoquant les tensions entre Moscou et les Occidentaux nées du conflit dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée par Moscou en mars 2014 après un référendum de la population locale.

“La Crimée a choisi la Russie, on ne peut pas le lui reprocher”, a ajouté M. Sarkozy, estimant par ailleurs qu’”il faut trouver les moyens d’une force d’interposition pour protéger les Russophones d’Ukraine”. “L’Ukraine doit garder sa vocation de pont entre l’Europe et la Russie. Elle n’a pas vocation à entrer dans l’Union européenne”, a-t-il ajouté. (Source AFP)

Source: http://www.les-crises.fr/poutine-ce-tyran-du-milieu-du-xxe-siecle/


L’option Fallouja pour l’Ukraine de l’Est, par Mike Whitney (+ Sapir)

Monday 9 February 2015 at 04:15

La vraie raison pour laquelle Washington se sent menacé par Moscou

« Je veux lancer un appel au peuple ukrainien, aux mères, aux pères, aux sœurs et aux grands-parents : Cessez d’envoyer vos fils et frères au massacre, un massacre inutile et sans merci. Les intérêts du gouvernement ukrainien ne sont pas les vôtres. Je vous en supplie: Reprenez vos esprits. Vous n’êtes pas obligés d’arroser les champs du Donbass avec le sang ukrainien. Ça n’en vaut pas la peine.  »

Alexander Zakharchenko, Premier ministre de la République populaire de Donetsk

Washington a besoin d’une guerre en Ukraine pour atteindre ses objectifs stratégiques. On ne le dira jamais assez.

Les États-Unis veulent faire avancer l’OTAN jusqu’à la frontière occidentale de la Russie. Ils veulent un pont terrestre vers l’Asie pour multiplier les bases militaires étatsuniennes sur tout le continent. Ils veulent contrôler les couloirs de pipelines de la Russie vers l’Europe pour contrôler les revenus de Moscou et s’assurer que le gaz continue d’être négocié en dollars. Et ils veulent une Russie affaiblie et instable qui sera plus vulnérable au changement de régime, à la fragmentation et, finalement, au contrôle étranger. Ces objectifs ne peuvent être atteints pacifiquement, et de fait, si les combats cessaient demain, les sanctions seraient levées peu après et l’économie russe rebondirait. Cela serait-il profitable à Washington?

Bien sûr que non. Cela saperait le plan plus vaste de Washington qui est d’intégrer la Chine et la Russie dans le système économique dominant, le système du dollar. Les éminences grises étatsuniennes se rendent compte que si le système actuel ne peut pas se développer, il s’effondrera. Si la Chine et la Russie ne sont pas mises au pas et convaincues d’accepter un rôle subalterne dans l’ordre mondial mené par les Etats-Unis, Washington perdra sa position de puissance hégémonique mondiale.

C’est la raison pour laquelle les hostilités dans l’Est Ukraine s’intensifient et vont continuer à s’intensifier. C’est la raison pour laquelle le Congrès américain a voté des sanctions plus sévères contre le secteur énergétique russe ainsi que l’envoi d’armes létales à l’armée ukrainienne. C’est la raison pour laquelle Washington a envoyé des instructeurs militaires en Ukraine et se prépare à fournir 3 milliards de dollars de « missiles anti-blindés, de drones de reconnaissance, de blindés Humvees, et de radars capables de repérer l’emplacement des roquettes et de l’artillerie ennemies. » Toutes les actions de Washington n’ont qu’un seul but : intensifier la lutte et intensifier le conflit. Les lourdes pertes subies par l’armée inexpérimentée de l’Ukraine et les terribles souffrances des civils de Lougansk et Donetsk n’ont aucun intérêt pour les stratèges américains. Leur travail est d’éviter la paix à tout prix parce que la paix ferait dérailler le projet américain de pivoter vers l’Asie et de rester la seule superpuissance au monde. Voici un extrait d’un article de WSWS:

« L’objectif ultime des Etats-Unis et ses alliés est de réduire la Russie à une semi-colonie misérable. Cette stratégie, historiquement associée au conseiller à la Sécurité Nationale de l’administration Carter, Zbigniew Brzezinski, National Security Advisor, est à nouveau à l’honneur.

Dans un discours prononcé l’an dernier au Centre Wilson, Brzezinski a appelé Washington à fournir à Kiev des « armes spécialement conçues pour permettre aux Ukrainiens de s’engager dans une guérilla urbaine de résistance. » Conformément à la politique actuellement prônée par l’Institut Brookings et d’autres think tanks qui appellent à armer le régime de Kiev, Brzezinski a appelé à fournir des « armes antichars … des armes appropriées au close-combat urbain. »

La stratégie définie par Brzezinski est certes criminelle d’un point de vue politique – du fait qu’elle piège la Russie dans une guerre urbaine ethnique en Ukraine qui menacerait de mort des millions, sinon des milliards de personnes – mais le fait est qu’elle est parfaitement conforme à la politique qu’il prône contre la Russie depuis des décennies.  » (“L’armement américain de l’Ukraine et le danger d’une troisième guerre mondiale “World Socialist Web Site)

L’aide militaire non létale entraînera inévitablement l’aide létale, les armes sophistiquées, les zones d’exclusion aérienne, l’assistance secrète, les milices privées, les opérations spéciales et les bottes sur le terrain. Nous connaissons déjà tout ça. La population étatsunienne ne s’oppose pas à la guerre, il n’y a pas de mouvement anti-guerre en mesure de paralyser les villes, déclencher une grève générale ou remettre en question le statu quo. Il n’y a donc aucun moyen d’enrayer le bellicisme galopant. Les médias et la classe politique ont donné carte blanche à Obama, il peut poursuivre la guerre comme il veut. Cela augmente la probabilité d’une guerre plus large, cet été après la fonte des neiges.

Bien qu’on ne puisse exclure la possibilité d’une conflagration nucléaire, cela n’affectera pas le projet étatsunien pour le futur proche. Personne ne pense que Poutine va déclencher une guerre nucléaire pour protéger le Donbass, ce qui enlève toute force dissuasive à cette arme.

Et Washington ne s’inquiète pas non plus des coûts. Malgré l’échec des interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye et dans une demi-douzaine d’autres pays à travers le monde, les actions américaines montent encore, les investissements étrangers dans les bons du Trésor américain atteignent des records, l’économie des Etats-Unis croît à un rythme supérieur à tous ses concurrents, et le dollar a grimpé d’un impressionnant 13 % face à un panier de devises étrangères depuis juin dernier. Ça n’a rien coûté à l’Amérique de détruire de larges pans de la planète et de tuer plus d’un million de personnes. Pourquoi s’arrêteraient-ils maintenant?

Ils ne s’arrêteront pas, et c’est la raison pour laquelle les combats en Ukraine vont s’intensifier. Voyez ce que dit WSWS:

« Lundi, le New York Times a annoncé que l’administration Obama allait armer directement l’armée ukrainienne et les milices fascistes qui soutiennent le régime de Kiev lui-même soutenu par l’OTAN, après les récents revers que ce régime vient de subir dans la guerre qu’il mène contre les forces séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine.

L’article cite un rapport publié conjointement, lundi, par l’Institut Brookings, le Conseil Atlantique et le Conseil de Chicago sur les affaires mondiales, et remis au président Obama, qui conseille la Maison Blanche et l’OTAN sur la meilleure manière d’intensifier la guerre en Ukraine ….

Selon le Times, les responsables américains se rallient tous aux propositions du rapport. Le commandant de l’OTAN en Europe, le général Philip M. Breedlove, le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le chef d’état-major des armées des États-Unis le général Martin Dempsey soutiennent tous la proposition d‘armer Kiev. La conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, est en train de reconsidérer son opposition à la fourniture d’armes à Kiev, ce qui permettra à Obama d’en faire autant. » (« Washington s’apprêt à armer le régime ukrainien« , World Socialist Web Site).

Vous voyez ce qui est en train de se passer? Les dés sont déjà jetés. Il y aura une guerre avec la Russie parce que c’est ce que l’establishment politique veut. C’est aussi simple que cela. Et tandis que les provocations précédentes n’ont pas réussi à attirer Poutine dans le chaudron ukrainien, cette nouvelle vague de violence – l’offensive printanière – y parviendra sûrement. Poutine ne va pas rester les bras croisés pendant que les suppléants des Etats-Unis réduisent le Donbass en ruines façon Fallouja avec les armes et la logistique étatsuniennes. Il fera ce que tout leader responsable doit faire. Il protégera son peuple. Cela signifie la guerre. (Voir les immenses dégâts que la guerre par procuration d’Obama a déjà causés en Ukraine de l’Est, ici : “Un aperçu de la situation socio-humanitaire sur le territoire de la République populaire de Donetsk à la suite des opérations militaires du 17 janvier 2015).

Guerre asymétrique: la chute des prix du pétrole

Gardez à l’esprit que l’économie russe a déjà souffert des sanctions économiques, de la manipulation du prix du pétrole, et de la brutale attaque contre le rouble. Jusqu’à cette semaine, les médias grand public rejetaient l’idée que les Saoudiens faisaient délibérément chuter les prix du pétrole pour nuire à la Russie. Ils disaient que les Saoudiens cherchaient simplement à conserver leur « part de marché » en maintenant les mêmes niveaux de production et en laisser les prix baisser naturellement. Mais tout cela était de la foutaise et le New York Times l’a finalement reconnu mardi dans un article intitulé: « Le pétrole saoudien est un moyen de pression pour forcer la Russie à cesser de soutenir le président syrien, Assad ». Voici un extrait de l’article:

« L’Arabie saoudite a tenté de faire pression sur le président Vladimir V. Poutine de Russie pour qu’il renonce à soutenir le président Bachar al-Assad de Syrie, en se servant de sa position dominante sur les marchés mondiaux du pétrole au moment où le gouvernement russe souffre des conséquences de la chute des prix du pétrole …

Des officiels saoudiens disent – et c’est ce qu’ils ont dit aux États-Unis – qu’ils peuvent peser sur M. Poutine en raison de leur capacité à réduire l’offre de pétrole et à faire monter les prix … Le moindre signe d’affaiblissement du soutien que la Russie apporte à M. Assad pourrait indiquer que la récente agitation du marché du pétrole a un impact sur la gouvernance mondiale …

L’effet de levier de l’Arabie saoudite dépend de l’importance que Moscou attache à la baisse de ses revenus pétroliers. « Si sa situation est si grave que les Russes ont besoin d’un accord pétrolier tout de suite, alors les Saoudiens sont dans en bonne position pour leur faire payer un prix géopolitique aussi », a déclaré F. Gregory Gause III, un spécialiste du Moyen-Orient de l’école de gouvernement et de service publique Texas A & Bush (« Le pétrole saoudien est considéré comme un moyen de pression pour forcer la Russie à cesser de soutenir le Syrien Assad», New York Times).

Les Saoudiens « pensent donc qu’ils ont une certaine influence sur M. Poutine en raison de leur capacité » à manipuler les prix?

Tout est dit, n’est-ce pas?

Ce qui est intéressant dans cet article c’est la façon dont il contredit des articles précédents du Times. Par exemple, il y a seulement deux semaines, dans un article intitulé « Qui dominera le marché du pétrole? », l’auteur ne voyait aucune raison d’ordre politique à l’action de l’Arabie. Selon lui, les Saoudiens avaient juste peur « de perdre des parts de marché de façon permanente » s’ils réduisaient la production et maintenaient les prix élevés. Le Times a fait maintenant volte-face et rejoint les soi-disant fous de la conspiration qui disent que les prix ont été manipulés pour des raisons politiques. En fait, la chute brutale des prix n’avait rien à voir avec les pressions déflationnistes, la dynamique de l’offre et de la demande ou d’autres forces mystérieuses du marché. C’était de la politique à 100 %.

L’attaque sur le rouble était tout aussi politique, bien que ses péripéties soient beaucoup plus sommaires. Il y a une interview d’Alistair Crooke qui intéressera ceux qui se demandent comment la  » domination tous azimuth » du Pentagone s’applique à la guerre financière. Selon Crooke:

« … Avec l’Ukraine, nous sommes entrés dans une nouvelle ère: Nous assistons à un conflit géostratégique de première importance qui est en réalité une guerre géo-financière entre les Etats-Unis et la Russie. Nous avons l’effondrement des prix du pétrole; nous avons les guerres de devises; nous avons le « court-circuit » artificiel – la vente à découvert – du rouble. Nous avons bien une guerre géo-financière, et la première conséquence de cette guerre géo-financière, c’est la formation d’une alliance étroite entre la Russie et la Chine.

La Chine a compris que la Russie était le premier domino; si la Russie tombe, la Chine suivra. Ces deux états sont en train de créer ensemble un système financier parallèle, détaché du système financier occidental.

Depuis quelque temps, l’ordre international est structuré autour de l’Organisation des Nations Unies et du corpus du droit international, mais l’Occident a de plus en plus tendance à contourner les Nations Unies, qui est pourtant l’institution destinée à maintenir l’ordre international, et à recourir plutôt aux sanctions économiques pour faire pression sur certains pays. Nous avons un système financier basé sur le dollar, et en se servant du fait qu’ils contrôlent toutes les transactions en dollars, les États-Unis ont réussi à contourner les vieux outils de la diplomatie et l’ONU – pour atteindre leurs objectifs.

De fait, ce monopole de la monnaie de réserve est devenu l’unique outil des Etats-Unis – jusqu’à remplacer l’action multilatérale de l’ONU. Les États-Unis revendiquent le contrôle juridique de toutes les transactions libellées en dollars partout dans le monde. Et la plupart des transactions internationales commerciales ou autres sont libellés en dollars. C’est ce qu’on appelle la financiarisation de l’ordre mondial: L’ordre international dépend davantage aujourd’hui du contrôle exercé par le Trésor américain et la Réserve fédérale que de l’ONU » (“La Turquie pourrait devenir l’otage de l’EIIL tout comme le Pakistan avant elle“, Today’s Zaman).

La guerre financière, la guerre asymétrique, la guerre de quatrième génération, la guerre de l’espace, la guerre de l’information, la guerre nucléaire, la guerre au laser, chimique et biologique : Les États-Unis ont élargi leur arsenal bien au-delà de la gamme traditionnelle des armes conventionnelles. Leur but, bien sûr, est de préserver l’ordre mondial post-1991 (date de la dissolution de l’Union soviétique) et de maintenir leur domination absolue. L’émergence d’un ordre mondial multipolaire dirigé par Moscou menace gravement l’hégémonie de Washington. Le premier affrontement d’importance entre ces deux visions concurrentes du monde aura probablement lieu cet été dans l’est de l’Ukraine. Que Dieu nous vienne en aide !

Note: Les Forces armées de Novorussie (NAF) tiennent actuellement 8 000 soldats de l’armée régulière ukrainienne encerclés à Debaltsevo, dans l’est de l’Ukraine. C’est très important, bien que les médias (de manière prévisible) aient pris soin de ne pas en faire de grands titres.

Des corridors d’évacuation ont été ouverts pour permettre aux civils de quitter la zone. Les combats pourraient éclater à tout moment. À l’heure actuelle, il semble qu’une bonne partie de l’armée nazie de Kiev pourrait être détruite d’un seul coup d’un seul. C’est pourquoi Merkel et Hollande ont pris l’avion pour Moscou pour discuter d’urgence avec Poutine. La paix ne les intéresse pas le moins du monde. Ce qu’iIs veulent, c’est tout simplement sauver leur armée par procuration de l’anéantissement.

Je pense que Poutine va intervenir en faveur des soldats ukrainiens, mais le commandant Zakharchenko refusera sans doute. S’il laisse ces soldats sortir du chaudron maintenant, quelle assurance a-t-il qu’ils ne seront pas de retour dans un mois ou deux avec des armes ultra perfectionnées fournies par nos va-t-en guerre du congrès et de la Maison Blanche?

Alors dîtes-moi : quel choix Zakharchenko a-t-il réellement? Si ses camarades sont tués dans de futurs combats parce qu’il a laissé l’armée de Kiev s’échapper, à qui pourra-t-il en vouloir sinon à lui-même?

Il n’y a pas de bon choix.

Source : Marc Whitney, pour Counter Punch, traduit en français par Dominique Muselet pour Arrêt sur Info

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Moscou, Munich et Minsk

8 février 2015

Par

 

Le processus de négociations sur l’Ukraine, dont la visite à Moscou de Mme Merkel et de M. François Hollande le 6 février a été un épisode, est clairement appelé à continuer. Ces deux dirigeants ont prévu de se rencontrer, le mercredi 11 février, à Minsk avec le Président Poutine et le Président de l’Ukraine, M. Poroshenko[1]. Les responsables des Républiques de Donetsk et de Lougansk seront aussi de la partie. On peut donc s’attendre à une négociation enfin sérieuse. Mais que la route est longue qui va de Moscou à Munich et de Munich à Minsk. Cette route nous renvoie aux pires moments de la Guerre Froide, que l’on croyait défunte.

Un parfum de guerre froide ?

Car c’est dans une situation très dégradée que cette négociation va s’engager. Pourtant, il est bon qu’elle s’engage. L’urgence humanitaire dans le Donbass l’exige, et la situation désespérée des troupes de Kiev l’impose. Mais, rien ne dit qu’elle aboutisse. Pour cela, il faudra que le Président Poroshenko fasse des concessions substantielles, qui pourraient le mettre en difficulté dès son retour à Kiev. Et rien ne dit qu’il soit de l’intérêt des Etats-Unis que les combats s’arrêtent.

Le Président François Hollande a dit, samedi 7 février à Tulle, une chose juste : la seule alternative serait la guerre, ou plus exactement la poursuite de cette guerre civile que Kiev camoufle sous le nom « d’Opération Anti-Terroristes ». On ne peut qu’adhérer à ce constat. Le sommet sur la sécurité, qui s’est tenu lui aussi le samedi 7 février à Munich, a cependant bien montré à quel point nous en sommes arrivés. Très clairement, une partie des journalistes américains et britanniques présents ont tout cherché pour ressusciter un climat de guerre froide. Dans une atmosphère délétère, faite d’accusations insensées, on a plus cherché à mettre la Russie en accusation qu’à avancer vers un accord. Le « show » pathétique du Président ukrainien, M. Poroshenko, agitant des « passeports » russes, a participé de cette atmosphère délétère. Pourtant, dans son allocution, le Ministre Russe des Affaires Etrangères, M. Sergueï Lavrov, a dit des choses importantes, qu’il faut écouter et surtout entendre, même si l’on ne partage pas son point de vue[2].

Autisme occidental.

Un des points qui ressort de cette conférence est l’autisme des dirigeants occidentaux au discours tenus par les responsables russes depuis 2007. La presse occidentale peut évoquer un soi-disant autisme de Vladimir Poutine[3]. On sait bien qui, en réalité, se refuse à entendre l’autre. Vladimir Poutine s’est exprimé avec constance sur la désintégration du cadre de sécurité résultant de la politique américaine, telle qu’elle était menée depuis 1995-1996. Jamais on a pris ces propos au sérieux. La crise actuelle en résulte dans une large mesure.

La vision politique de l’environnement international du XXIème siècle qui caractérise Vladimir Poutine et ses conseillers est nettement plus pessimiste que celle de ses prédécesseurs[4]. Elle tire le bilan de l’intervention de l’OTAN au Kosovo et de l’intervention américaine en Irak en 2003[5]. Si l’on reprend son discours de Munich, prononcé le 10 février 2007, et qui est un document fondateur de la politique étrangère russe, on remarque qu’il y fait le constat suivant :

« Le monde unipolaire proposé après la guerre froide ne s’est pas non plus réalisé. Certes, l’histoire de l’humanité a connu des périodes d’unipolarité et d’aspiration à la domination mondiale. L’histoire de l’humanité en a vu de toutes sortes. Qu’est ce qu’un monde unipolaire? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu’une seule chose: c’est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision. C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain lui-même, qui se détruira de l’intérieur.

  Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité. A propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre. J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner: contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine »[6].

Ce pessimisme incite donc le pouvoir russe à prendre ses précautions et à se prémunir contre ce qu’il appelle « l’aventurisme » des Etats-Unis. Cela le conduit aussi à souhaiter une réhabilitation rapide des capacités technologiques et industrielles du secteur des industries à fort contenu technologique et de l’armement. En fait, de là date la priorité dont bénéficient ces secteurs. La politique économique devient alors pour une part déterminée par l’analyse de la situation internationale. Comme pour la Chine on peut constater ici aussi que les décisions économiques sont dictées par une analyse politique. En Russie aussi, depuis 2000, la politique est au poste de commandes. Il faudra bien un jour se résoudre à l’admettre.

L’urgence d’un réel cessez-le-feu.

Mais, pour l’instant, les esprits sont focalisés sur la négociation en cours. Il faut donc en comprendre les blocages, qu’ils soient immédiats ou de plus long terme. Le premier porte sur les conditions d’un cessez-le-feu dont l’urgence s’impose. L’idée de revenir aux accords de Minsk, si elle peut se comprendre d’un strict point de vue diplomatique, est absurde sur le terrain. Ces accords n’ont jamais été appliqués et ne pouvaient l’être. Les positions des forces insurgées comme celles de l’armée de Kiev étaient trop imbriquées pour qu’il puisse en résulter un cessez-le-feu vérifiable. Les déclarations du Président Poroshenko à ce sujet cachent mal sa volonté de voir effacer sur la table de négociations la défaite militaire que ses forces ont subie. Il ne peut en être ainsi.

Aujourd’hui, avec l’élimination progressive des « poches » contrôlées par l’armée de Kiev, un cessez-le-feu sur la ligne actuelle des combats est beaucoup plus logique. Il faut ici dire cette triste vérité. Il aura fallu une nouvelle défaite militaire des forces de Kiev pour rendre peut-être possible un cessez-le-feu. Telle était la constatation que je faisais il y a déjà plusieurs jours[7].

Kiev ne peut plus aujourd’hui se masquer la réalité : il n’y aura pas d’issue militaire dans ce conflit, point qu’a d’ailleurs rappelé la Chancelière Angela Merkel à Munich. Il est donc urgent que des négociations s’ouvrent entre Kiev et les insurgés, et que ces négociations soient garanties tant par l’Union Européenne, la Russie que les Etats-Unis. A cet égard, vouloir inclure la Russie et non les insurgés n’a aucun sens. C’est faire fi de l’indépendance acquise par les gens de Donetsk et de Lougansk. C’est ne pas comprendre que Poutine ne peut exercer une pression trop forte sur eux, sous peine de se voir rejeté par une large majorité de la société russe qui soutient les insurgés.

Les conditions de la viabilité d’un cessez-le-feu

Mais, un cessez-le-feu ne vaut que s’il est respecté, et en particulier si cessent les bombardements meurtriers sur les civils dont les forces de Kiev se rendent coupables. Il faut ici redire que le comportement sur le terrain de certaines des forces de Kiev relève du crime de guerre. Ces bombardements ont été trop systématiques pour qu’il s’agisse d’erreurs de tir. Rappelons que les forces de Kiev utilisent des bombes et des obus au phosphore, des bombes à fragmentation[8], pour des attaques contre la population civile. Des missiles tactiques de type « OTR-21 Totchka-U » ont même été utilisés[9]. C’est dire l’urgence qu’il y a à aboutir à un cessez-le-feu qui soit réellement respecté.

Pour cela, il faut impérativement une force d’interposition. Cette force sera chargée de vérifier qu’il n’y a aucune arme lourde d’un côté et de l’autre à une distance de plusieurs dizaines de kilomètres de la ligne de cessez-le-feu. Cette force ne peut à l’évidence inclure ni l’armée de Kiev, ni aucun des pays de l’OTAN, car cette organisation est désormais partie prenante du conflit, ni la Russie.

Cela fait près de 6 mois que je dis et j’écris que seule une force de Casques Bleus des Nations Unies peut avoir l’autorité pour imposer un cessez-le-feu[10]. Il faudra bien un jour en convenir. On peut imaginer quelle en serait la composition, sans doute des pays des BRICS, mais ayant de bonnes relations avec les Etats-Unis. Cela désigne deux pays : l’Inde et la République d’Afrique du Sud. On doit donc faire pression sur les Etats-Unis et sur le gouvernement de Kiev pour qu’ils acceptent une telle solution. Aujourd’hui, seule l’organisation des Nations Unies a la légitimité pour imposer une solution mettant fin au conflit armé. Le plus vite cela sera reconnu le mieux cela vaudra pour tout le monde. C’est aussi l’une des leçons que l’on peut tirer des dix dernières années. A chaque fois que les Etats-Unis ont imposé que l’on contourne les Nations-Unies, des désastres sont survenus. Il faut, ici encore, se souvenir des termes utilisés en 2007 par le Président Poutine à Munich :

« Quel en est le résultat [ d’une action hors du cadre des Nations Unies]? Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes: les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont pas diminué. (…)Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des Etats-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines: dans l’économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres Etats. A qui cela peut-il convenir? »[11].

Quelles solutions politiques ?

Il faudra, ensuite mais ensuite seulement, aborder l’épineuse question de l’issue politique de cette crise. La solution d’un fédéralisme « simple », qui eut été possible en mars ou bien en avril 2014 est aujourd’hui morte. La violence des forces de Kiev et les milliers de morts de Donetsk et Lougansk l’ont rendue impossible. Il faut ici méditer sur ce fait : ce qui aurait été possible au début du conflit, sans l’usage disproportionné de la violence dont les forces de Kiev se sont rendues coupable ne l’est plus désormais. On peut alors penser à une solution du type de celle qui a été adoptée en Irak pour les régions kurdes : une république autonome dans le cadre de l’Ukraine. Cette solution, même si elle ne correspond pas à ce que souhaitent les dirigeants de Donetsk ou de Lougansk, est bien meilleure qu’une « indépendance » sans reconnaissance internationale. Mais il faut aussi penser au statut de l’Ukraine elle-même.

Là, nous avons une contradiction entre le principe de souveraineté, que nul ne veut remettre en cause, et la réalité géopolitique. On comprend qu’une Ukraine militairement hostile à la Russie est une menace directe pour cette dernière. Mais, l’Ukraine ne peut fonctionner économiquement sans la Russie. Et là se trouve sans doute la solution. L’Ukraine doit volontairement accepter un statut de neutralité, que ce soit par rapport à une alliance militaire (comme l’OTAN) ou dans des relations économiques (tant par rapport à l’UE qu’à l’Union Eurasienne). Cette décision doit alors s’accompagner de la déclaration par la Russie du renouvellement des contrats gaziers et pétroliers ainsi que de celle des Etats-Unis s’engageant à ne pas conclure une quelconque alliance militaire avec l’Ukraine. Il est donc essentiel d’impliquer directement les Etats-Unis dans cet accord. On peut comprendre que la Russie ne se contente pas de l’engagement de l’Allemagne et de la France à ne pas admettre l’Ukraine dans l’OTAN. Cet engagement pourrait être tourné par un traité bilatéral entre l’Ukraine et les Etats-Unis.

Quel futur pour l’OTAN ?

Enfin, cela pose la question des institutions de sécurité en Europe. Très clairement l’OTAN, qui n’a su ni voulu s’adapter à la nouvelle configuration géostratégique datant de la fin de l’URSS a donné ses preuves de nocivité. Cette organisation, datant de 1949, avait à sa fondation trois objectifs : garantir les pays membres contre une agression soviétique, garantir ces mêmes pays contre une résurgence du militarisme allemand, et garantir la présence en Europe des Etats-Unis. Ces trois raisons sont à l’évidence caduques. Cette organisation doit donc soit évoluer, et admettre la Russie en son sein, soit disparaître, et être remplacée par une nouvelle organisation de sécurité cette fois réellement européenne.


[1] http://lci.tf1.fr/monde/europe/rencontre-hollande-merkel-poutine-et-porochenko-mercredi-8560786.html

[2] RT : « Lavrov: US escalated Ukraine crisis at every stage, blamed Russia », 7 février 2015, http://rt.com/news/230219-lavrov-munich-speech-ukraine/

[3] Viallèle A., « Vladimir Poutine serait autiste Asperger ? Ne jouons pas avec des diagnostics hasardeux », L’Obs, 6 février 2015, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1320249-vladimir-poutine-serait-autiste-asperger-ne-jouons-pas-avec-des-diagnostics-hasardeux.html

[4] Voir la déclaration du président Russe lors de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich le 10 février 2007 et dont le texte a été traduit dans La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007.

[5] Points que j’ai développés dans Sapir J., Le Nouveau XXIème Siècle, Le Seuil, Paris, 2008.

[6] Voir, La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007.

[7] Sapir J., « Nouvelles du Donbass », note publiée sur Russeurope, le 2 février 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3381

[8] http://fr.sputniknews.com/international/20150206/1014397894.html

[9] https://www.youtube.com/watch?v=y9-8KvtfjZA

[10] Sapir J., « Ukraine : Cease-Fire ? », note publiée sur Russeurope, le 3 septembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/2770

[11] Voir, La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007.

 

Source: http://www.les-crises.fr/l-option-fallouja-pour-lukraine-de-lest-par-mike-whitney/


[Reprises] Non, nous ne sommes pas en guerre !

Monday 9 February 2015 at 03:07

Je me permets de rappeler que :
1/ on est en guerre contre une entité constituée : pas contre le terrorisme, l’islam ou l’oxygène…
2/ la démocratie n’est pas compatible avec la guerre
3/ les vraies guerres c’est en général nous qui les déclenchons…

Je ne suis pas en guerre

Cela vient sans doute d’avoir été biberonné (entre autres lectures) à Charlie Hebdo du temps où ce journal n’était pas obsédé par l’Islam, mais la vision de l’Assemblée chantant d’une voix mâle La Marseillaise pour répandre un sang impur, l’écoute de l’applaudissement à tout rompre de la police, la lecture du discours de Manuel Valls ponctué de « barbarie »« guerre » et autres mesures exceptionnelles contre le terrorisme, tout cela soulève un sentiment à mi-chemin entre le malaise et le haut-le-coeur. Comme si la classe politique et médiatique volait l’expression populaire de dimanche, qui mettait d’abord en avant la liberté d’expression, les crayons, la parole.

Tous ces gens, dimanche, voulaient-ils seulement des policiers, des soldats dans les rues, de l’ordre, de l’autorité, de l’épuration, de la guerre ? Et bien, si c’était cela, je ne serai pas d’accord avec eux.

Immense malaise de n’entendre quasiment que les mots de police, de traque, de renseignement, de prison, d’isolement, de protection. Immense malaise de voir dix mille soldats déployés, en plus de ceux qui trainent dans les rues déjà depuis des années. Ils ne sont pas là pour protéger quoi que ce soit – ont-ils empêché les assassinats du 7 janvier ? -, mais pour nous habituer à trouver normal qu’il y ait des soldats dans les rues. Comme dans… un Etat militaire, un Etat policier.

Immense malaise de l’absence presque totale de réflexion, au sens de retour sur soi. Comme s’il ne s’agissait que d’un péril extérieur, étranger, indicible. Immense malaise devant l’incapacité à poser cette question simple : qu’est-ce qui a conduit MM. Kouachi et Coulibaly à commettre de tels actes ? L’incapacité à oublier deux faits simples : ces hommes étaient français. Ils sont nés du sein de cette nation que l’on célèbre avec des mots vengeurs. Et puis cet autre fait simple, que rappelait Stéphane Lavignotte : « Les assassins ont fait quelque chose d’inhumain, de monstrueux. Mais ils restent des humains. » Oui, ce sont des humains, et l’on n’entend presque rien, ces jours-ci, qui nous aident à réfléchir à ce qui pousse des humains à commettre de tels actes.

Je ne sais pas. Mais je sais que nous ne saurons pas si, en nous obsédant sur les policiers, la guerre, les prisons, nous ne parlons pas d’écoles, de villes, de culture. De racines, de déracinement, d’exclusions, de solitude, de lien social.

Et quand j’entends l’unanimité de ces politiciens qui parlent de guerre - Manuel Valls : « La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical » -, je rappelle qu’il y a une autre guerre, décrite sans fard par le milliardaire Warren Buffet : « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner. » Vraiment, n’y a-t-il rien à voir, pas un fil d’explication, entre le crime de MM. Kouachi et les politiques prônées par MM. Bolloré, Arnault, Pinault, Dassault, Mulliez,… ? Rien à voir entre la poussée de « l’islamisme radical » et le fait que 85 personnes possèdent autant que trois milliards d’autres humains ? Rien à voir entre la poursuite obstinée des politiques néo-libérales et la déshérence de l’école, des systèmes de santé, des quartiers ?

Il y a une guerre des riches contre le peuple. Et il faut poser la question inconvenante de savoir si une partie du peuple ne répond pas d’une façon que n’avait pas prévue les traités révolutionnaires.

Et puis, entendre ces députés blancs, mâles, français, faire comme si on nous faisait la guerre. Mais, au fait, qui fait la guerre à qui ? Qui a commencé dans ce jeu fou ? Qui a des troupes au Mali, au Centrafrique, en Irak ? Qui n’a rien dit quand l’Etat d’Israël a mené une guerre sans pitié à Gaza, en juillet dernier,tuant 1 800 Palestiniens dont 65 % de civils ? Qui est intervenu en Libye en 2011 ? Et combien de personnes les drones de M. Obama ont-ils tué ? Etc. dans cette liste sans fin : il ne s’agit pas ici, en deux phrases, de désigner les coupables et les victimes, mais de rappeler qu’il est impossible de déterminer dans les guerres qui a raison et qui a tort, puisque les torts sont partagés.

Eh bien, il faut pouvoir dire : non, je ne suis pas en guerre ; non, je ne considère pas que le problème islamique est le plus important de l’époque ; non, je n’admets pas une unanimité qui couvrirait une inégalité stupéfiante ; non, je ne ne pense pas que nous avons besoin de plus de policiers et de prisons.

Et oui, je peux dire : Nous voulons la paix ; nous considérons que l’essentiel aujourd’hui est la crise écologique ; nous ne retrouverons l’unité que quand les inégalités seront réduites ; nous avons besoin de plus d’artistes et d’écoles.

Source : Hervé Kempf, pour Reporterre


Non, nous ne sommes pas en guerre

Le discours guerrier que certains politiques commencent à employer recèle bien des menaces. Sur nos libertés d’abord, certains voulant clairement les rogner au nom de la sécurité, alors qu’une nouvelle loi antiterroriste est adoptée tous les deux ans depuis le 11 septembre 2001 ! En déployant massivement l’armée sur le territoire, d’autres confondent opérations militaires et enquêtes de police judiciaire : « Et bien non : le territoire national n’est ni le désert sahélien, ni des régions du Yémen », écrit Eros Sana, collaborateur de Basta ! qui a réalisé des reportages photos au Mali, en Egypte ou en Palestine.
Nous ne sommes pas en guerre. N’en déplaise à François Fillon, Nicolas Sarkozy, Manuel Valls et François Hollande qui ont tous répété le contraire, nous ne sommes pas en guerre.

Nous ne sommes pas en guerre, car accepter d’être en guerre, c’est accepter de tracer une ligne indépassable entre « eux » et « nous », une ligne entre des « ennemis de l’intérieur » et le reste de la nation. C’est accepter une fracture insurmontable entre citoyennes et citoyens de ce pays. Or le rôle de dirigeants politiques qui se veulent à la hauteur des événements qui frappent la France est un rôle d’union du peuple, plutôt que de division.

Depuis 1986, quinze lois antiterroristes ont été adoptées

Nous ne sommes pas en guerre, car si l’on se base du point de vue du droit, national comme international, les trois personnes qui ont lâchement attaqué et exécuté les membres de l’équipe deCharlie Hebdo, les trois policiers ainsi que les quatre personnes de confession juive, ne relèvent pas du droit de la guerre. Les frères Kouachi et Amedi Coulibaly relèvent du droit pénal : ce sont ni plus ni moins que des criminels, des malfaiteurs. Oui, des malfaiteurs, même en relation avec une entreprise terroriste. Le droit pénal français en matière de lutte antiterroriste relève d’un régime juridique spécifique qui déroge en grande partie au droit commun et qui comporte un nombre impressionnant de mesures en matière de capacité d’investigation et de répression.

Cette législation en matière de lutte antiterroriste est l’une des plus fournies : depuis 1986, quinze lois ont été adoptées en la matière, dont sept depuis le 11 septembre 2001 – soit une nouvelle loi tous les deux ans ! Les frères Kouachi et Amedi Coulibaly peuvent être qualifiés de terroristes, de criminels, de personnes immondes, mais ce ne sont pas les guerriers d’une cinquième colonne fantasmée, au sein de notre population, cachée dans nos campagnes et dans nos banlieues, hébergée dans nos tours ou dans nos maisons.

Ne pas confondre opérations militaires et enquêtes de police judiciaire

Nous ne sommes pas en guerre. Prétendre le contraire revient à faire croire qu’entre les ennemis hors des frontières de la France et les criminels présents dans nos frontières, il n’y a aucune différence. Il existerait un continuum entre « opérations militaires extérieures » et « opérations militaires intérieures ». C’est d’ailleurs dans ce sens que Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a justifié le déploiement de 10 500 soldats sur le territoire français. C’est « une opération militaire intérieure », déclare-t-il, avant d’ajouter qu’« il n’y a pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure » et de faire le lien entre la mobilisation du 11 janvier 2015 en France et le début de l’engagement militaire au Mali, le 13 janvier 2013. « Aujourd’hui, les armées sont là parce que c’est la même menace, pour nos armées c’est le même combat. »

Eh bien non : le territoire national n’est ni le désert sahélien, ni des régions du Yémen. Mener des opérations militaires à l’étranger, à l’appel d’un État ou dans le cadre de l’Onu, est une chose. Lutter contre le terrorisme ou des gangsters influencés idéologiquement en menant des opérations de police judiciaire sur le territoire national en est une autre. Appliquer cet amalgame entre territoire national et opérations extérieures, revient à reprendre la rhétorique de George W. Bush et des néo-conservateurs nord-américains avec leur « war on terror », et risquer les graves conséquences que l’on sait, avec l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak.

Les risques mortels d’une « Union sacrée » au service de la guerre

Nous ne sommes pas en guerre. « Entrer en guerre » signifierait accepter ce que les terroristes tentent justement d’imposer à notre société et à ses institutions : la division, la suspension ou la fin de plusieurs de nos libertés fondamentales, la fin de notre État de droit, la fin de notre démocratie. Entrer en guerre, adopter un état d’esprit guerrier – une « union sacrée » –, ne pas seulement répondre avec le déjà très étoffé arsenal répressif juridique et administratif, y ajouter des mesures « exceptionnelles », c’est abandonner ce qui fait de la France ce qu’elle est, un État de droit. On ne peut répondre à ces actes terroristes par l’instauration d’un régime d’exception. Pour chacun d’entre nous, ce serait sacrifier, consciemment ou non, une grande partie de nos libertés individuelles et de nos droits collectifs, sur l’autel d’une illusion sécuritaire. On combat les terroristes. On ne peut malheureusement pas éradiquer le terrorisme.

Certains comparent le choc des attaques qui ont commencé le 7 janvier 2014 au choc des attentats du 11 septembre 2001. Je ne suis pas partisan de cette comparaison. Tout d’abord parce que les deux événements n’ont rien à voir en terme de préparation, d’acteurs, de symboles et d’intensité, ensuite parce que le contexte n’est pas le même. Enfin parce que la France n’est pas les États-Unis. Cependant, si l’on part du postulat que les deux évènements sont comparables, référons-nous aux conséquences qu’ont eues les attentats du 11 septembre sur la société américaine, sur la démocratie américaine et sur les libertés fondamentales des citoyennes et citoyens américains. En comparant ces deux événements et la cohorte des (mauvaises) décisions qui ont suivi, nous devons avant tout refuser que ne se dérobent sous nos pieds nos libertés fondamentales à travers des lois d’exception ou des « mesures exceptionnelles » devenues permanentes. Nous devons refuser, comme cela a été le cas pour les États-Unis de George Bush, que tout se règle par des moyens exclusivement guerriers.

Davantage s’inspirer d’Oslo que de Washington

Le 22 juillet 2011, la Norvège était frappée par deux attentats commis par un individu se réclamant du christianisme, qui assassinait 77 personnes pour leurs opinions politiques. A la suite de cette tragédie, conscient de la gravité de ces évènements ainsi que des limites du modèle de société, le Premier ministre norvégien déclarait :« La réponse de la Norvège à cette violence sera plus de démocratie, plus de tolérance et une plus grand implication politique. » Nos dirigeants politiques devraient davantage s’inspirer d’Oslo que de Washington. Il est primordial d’accompagner les grands discours sur « l’union nationale » d’une certaine forme d’humilité. L’humilité de reconnaître que notre société a également trop longtemps produit sur l’ensemble du territoire inégalités et violences, discriminations, racisme, antisémitisme, islamophobie, négrophobie, sexisme, homophobie…

Partout, des centaines de milliers de personnes ont clamé « je suis Charlie », en particulier ce dimanche 11 janvier. Une affirmation polysémique : chacune et chacun y projetant le sens qu’il veut y donner. Les dirigeants de notre pays ont, eux, pour tâche de donner un sens collectif à « Nous sommes Charlie ». Ils doivent avant tout répéter que nous sommes dans un État de droit, que nous sommes une société de justice, une société qui, face à l’ignominie, résiste mais ne sombre pas, que nous sommes une société où tous et toutes ont leur place, athées comme croyants, chrétiens, juifs comme musulmans. Une France qui « sans les juifs de France n’est pas la France », mais aussi une France qui, sans les musulmans de France n’est plus la France. Ceux qui nous gouvernent doivent comprendre que nous devons guérir ensemble car nous avons été blessés ensemble.

Source : Eros Sana, pour Le Grand Soir


Non, nous ne sommes pas en guerre !

Non, Monsieur VALLS, nous ne sommes pas en guerre !Non, la France n’est pas en guerre… suite aux meurtres atroces de la semaine dernière !

Je ne sais pas si vous vous promenez dans les rues ou si vous avez regardé la télévision ces derniers jours, Monsieur le Premier Ministre ?! Mais les millions de français et d’étrangers de toutes origines, de toutes confessions religieuses, de toutes convictions politiques et philosophiques… qui sont sortis dans les rues, se sont réunis avec dignité et ont défilé dans le plus grand des respects… l’ont fait contre la barbarie et pour défendre les valeurs de notre République, notamment la liberté d’expression ! Pas pour je ne sais trop quelle guerre dans laquelle vous voulez nous emmener ?!

Pas à un moment, ces millions de manifestants n’ont exprimé des propos guerriers, des envies d’en découdre avec tel pays, telle population ou telle communauté religieuse… Non, Monsieur VALLS, les marées humaines de ces derniers jours, à travers la France et le monde, ont renvoyé des images et des messages de solidarité, de fraternité, d’amour et de liberté… comme plus belle réponse à l’obscurantisme et à la barbarie de ces trois meurtriers !

Il n’y a que vous, les politiciens et les élites de nos sociétés occidentales, représentants de l’oligarchie capitaliste, qui parlez de guerre, qui voulez aller coûte-que-coûte faire la guerre ! Je dois dire, et c’est bien malheureux, qu’il y a un consensus presque unanime de vous tous, nos dirigeants, pour “jouer aux petits soldats”… peut-être parce que vous ne serez jamais sur le front !

Effectivement, dans votre cortège de personnalités, dimanche dernier, nombre d’entre vous à l’esprit belliqueux, êtes impliqués voire même à l’origine de la plupart des conflits militaires à travers le monde… Effectivement, certains ont même le sang de nombreuses victimes innocentes sur leurs mains… Effectivement, certains de vos invités sont les représentants de pays qui bafouent les valeurs inscrites dans la Constitution Française telles que la liberté d’expression, la liberté de croyance, la liberté de pensée… de régimes monarchiques féodaux aux valeurs opposées à celles de notre République ! D’autres pratiquent même des politiques d’apartheid, la torture, des emprisonnements voire des exécutions arbitraires !

Peut-être que vous, dirigeants qui vivez dans des palais dorés et surprotégés, qui ne risquez pas de mourir sous les bombes ou les balles d’armes que vous vendez à travers le monde… vous voulez faire la guerre et continuer ainsi votre commerce mortifère, mais ô combien lucratif ?! Je veux bien le croire, ça !

Mais les millions de voix qui se sont levées depuis le 7 janvier dernier, elles, n’ont jamais demandé la guerre…

D’ailleurs, la guerre contre qui ?

Contre trois jeunes nés en France qui ont sombré dans l’extrémisme religieux et dans la folie meurtrière ? Peut-être faut-il vous poser la question des politiques libérales et d’austérité que vous mettez en œuvre depuis des décennies et qui engendrent pauvreté, exclusion, communautarisme, perte des valeurs républicaines… et pour certains, glissement vers l’obscurantisme et la barbarie ?!
Contre les 1000, 2000… 5000 soi-disant personnes au profil “similaire” à ces trois assassins, prêts à se lancer dans le “djihad” et à mettre la France à feu et à sang ? Sur la base de quels éléments factuels, ces prédictions apocalyptiques ?
Contre les 5 à 6 millions de musulmans qui vivent en France et pratiquent un Islam de tolérance, respectueux des valeurs de la République et notamment de la laïcité ?

D’ailleurs, de la laïcité, valeur essentielle de notre République… parlons-en !
Vous les premiers, messieurs le Président et le Premier Ministre de notre République Française, ce d’autant plus dans un contexte actuel exceptionnel avec des risques importants d’amalgames, de discriminations et d’instrumentalisation… vous mettez à mal la laïcité en assistant à une office religieuse avec une kippa sur le dessus du crâne, alors que vous devez être les garants des valeurs de notre République ! Drôle de conception de la laïcité, que d’arborer un signe d’appartenance à une religion en particulier en de pareilles circonstances ?!
Pourtant, les carnages de ces derniers jours sont des attaques contre toutes les religions sans distinction et sans hiérarchisation aucune, mais surtout contre toutes les valeurs de notre République Française… et, entre autres, la laïcité.
Je ne parle même pas du fait d’accueillir avec les honneurs de notre République et d’être assis à côté de Benjamin NETANYAHOU, chef d’état d’un pays qui bafoue depuis des décennies le droit international, ainsi que les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de certaines populations et religions !

Oui, Monsieur Manuel VALLS, “nous sommes tous juifs”… mais pas plus, pas moins que “tous musulmans”, “tous catholiques”, “tous protestants”, “tous CHARLIE”… “tous libres de nos convictions philosophiques, politiques ou religieuses” !
Il aurait été de bon ton, dans votre discours de l’autre jour, que votre formule ne se limite pas à une religion mais à l’ensemble de celles-ci et avant toute autre chose, aux valeurs de la République Française.
A toutes les religions pour montrer qu’il n’y a pas de différence, pas de préférence pour l’une par rapport aux autres dans un état laïque ; qu’elles ont toutes leur place dans notre société française mais avec une séparation claire entre celles-ci et l’état français que vous êtes censé représenter !

D’ailleurs, Monsieur VALLS, pourquoi des forces de l’ordre devant les écoles de confession juive… et pas devant toutes les écoles de la République ? Pourquoi des militaires devant les synagogues… et pas également devant tous les lieux de culte musulmans qui subissent depuis quelques jours des attaques racistes et des dégradations ?
La République Française n’est-elle plus “une et indivisible”, égale pour tous les concitoyens de notre pays, quels que soient leurs origines et leurs signes d’appartenance ?

Non, Monsieur VALLS, nous, peuples français et du monde, ne sommes pas en guerre !

Nous n’acceptons pas votre discours belliqueux, qui risque d’attiser les divisions, d’engendrer des amalgames, des tensions et d’autres drames… Nous ne voulons pas d’un état de guerre qui justifiera forcément des restrictions de nos libertés individuelles… et notamment de la liberté d’expression !

Nous attendons plutôt d’hommes et de femmes qui se prétendent de “gauche”, qu’ils fassent les choix courageux d’une politique axée sur l’éducation et la culture, loin du prosélytisme libéral actuel, en donnant notamment les moyens à “l’école de la République” d’inculquer à tous nos enfants les valeurs pour lesquelles des millions de personnes sont descendus dans les rues ces derniers jours !

Nous attendons, Monsieur VALLS, plutôt que de vous entendre vouloir partir en guerre contre je ne sais trop quels djihadistes, que vous mettiez en œuvre une politique de relance de la consommation, de hausse des salaires, de rétablissement des services publiques sur l’ensemble du territoire français, quartiers de banlieues compris… afin de sortir de la paupérisation et de l’exclusion des tranches entières de la population de notre pays ! Ce n’est que comme ça que vous éviterez que des jeunes français actuellement sans perspectives d’avenir, se laissent embrigader dans des quêtes “d’absolu” les entrainant dans la barbarie…

Résolument non, Monsieur Manuel VALLS, la France n’est pas en guerre et elle ne doit pas y rentrer ! Ne rajoutez pas de la barbarie à la barbarie !

En mémoire aux dix-sept morts et aux blessés des tueries de la semaine dernière, mais aussi à tous les morts et blessés des guerres que des hommes engagent par bêtise et ignorance… Ce sont rarement ceux qui déclenchent les guerres qui en sont les premières victimes, mais bien souvent les populations civiles innocentes !

Source : Emmanuel Adami, pour Le Grand Soir

Source: http://www.les-crises.fr/non-nous-ne-sommes-pas-en-guerre/


[Reprise] “Résistons à l’esprit de guerre”, par Dominique de Villepin

Monday 9 February 2015 at 01:29

Résistons à l’esprit de guerre

Nous sommes aujourd’hui sidérés par le déchaînement de violence froide et calculée qui a tué douze personnes et grièvement blessé tant d’autres, qui visait à réduire au silence un organe de presse par la liquidation méthodique de toute sa rédaction pour intimider la liberté elle-même. Ils sont morts parce qu’ils étaient journalistes, morts parce qu’ils étaient libres, morts pour ce qu’ils représentaient. Nos forces de l’ordre ont payé un lourd tribut à la protection de la sécurité de nos concitoyens.
Le pays fait face, uni, à l’attentat terroriste le plus meurtrier depuis près de deux siècles, par des manifestations spontanées de solidarité.
La tentation est grande dans ces moments de recourir à des formules martiales. L’émotion est intense,mais l’intelligence de ce qui se passe est indispensable.

Une peur construite pour nous enfermer tous

La France glisse lentement dans un climat de guerre. Une guerre étrange qui ne dit pas son nom. Une guerre qui efface les frontières entre dehors et dedans. A l’intérieur semblent s’imposer des images, des postures, des logiques de guerre civile larvée. Le terrorisme change de visage.Les réseaux de poseurs de bombe semblent avoir laissé place aux loups solitaires qui eux-mêmes cèdent aujourd’hui le terrain àune nouvelle violence, des commandos aux méthodes mafieuses et aux équipements militaires se fixant pour but d’éliminer des cibles symboliques représentant la démocratie et la liberté. Ce n’est plus la terreur chaotique, c’est la peur organisée, construite pierre à pierre pour nous enfermer tous.

A l’extérieur, nous voyons se cristalliser de mois en mois la ligne de front cauchemardesque d’une guerre de civilisations opposant l’Occident à l’Islam, sous les traits déformés et monstrueux de l’islamisme. Les interventions occidentales font système : elles semblaient des opérations indépendantes, mues par des ambitions diverses ; elles ont abouti à un résultat unique, l’émergence d’un ennemi djihadiste insaisissable et l’effondrement des Etats et des sociétés civiles de la région. Nous le savons, d’autres opérations s’annoncent : en Libye, que l’opération de 2011 et l’implosion depuis cette date a transformée en repère terroriste du Sahara ; au Sahel et en particulier au Nigeria, aux confins du Cameroun et du Tchad où Boko Haram étend son emprise barbare. Mais ces guerres nourrissent toujours de nouvelles guerres, chaque fois plus grandes, chaque fois plus impossibles. Elles nourrissent le terrorisme chez nous en promettant de l’éradiquer. Car on ne viendra à bout du djihadisme là-bas et du terrorisme ici qu’en apportant des solutions concrètes aux crises du monde musulman, qui sont à la fois des conflits territoriaux, sociaux, politiques, économiques,que nous simplifions en ne regardant que le symptôme islamiste.

L’esprit de guerre est un piège. C’est un engrenage qui nous conduit chaque jour davantage vers une guerre hors de tout contrôle. Notre devoir est de résister à l’esprit de guerre au nom de nos valeurs démocratiques. La seule victoire que puissent espérer les fanatiques, c’est de nous convaincre que nous menons une guerre totale. C’est de nous mener dans l’impasse de la force que nous croyions être un raccourci.

Nous avons trois adversaires redoutables à affronter.

Il y a d’abord, le plus évident, les terroristes. Nous ne pouvons tolérer que des assassins de masse circulent encore dans le pays et que les apôtres de la haine sèment leurs paroles impunément. Tous les moyens de l’Etat de droit doivent être mis en œuvre pour les appréhender et les traduire en justice. Nous devons améliorer les dispositifs de prévention, de surveillance et de protection des lieux sensibles, empêcher la radicalisation notamment dans les prisons. Face à un ennemi sans frontières, il ne peut y avoir de lutte efficace qu’à travers une coopération policière et judiciaire sans cesse renforcée, à l’échelle de l’Europe mais également avec les autres pays concernés. Là où il y a vingt ans il n’y avait que quelques foyers terroristes, aujourd’hui le monde entier est concerné.

Il est urgent de tarir tous les financements de l’extrémisme islamiste en France, notamment venant de pays du Moyen-Orient. C’est dans ce but que, ministre de l’intérieur, j’avais proposé de réformer le financement des constructions de lieux de culte musulman par une Fondation des œuvres de l’islam permettant de réduire les financements étrangers, et permettre ainsi l’épanouissement d’un islam de France.

Perte des repères démocratiques

Il y a un second ennemi, c’est la peur. Le sentiment d’une violence imprévisible, omniprésente et soudaine suscite un désir de sécurité qu’il sera impossible de combler. L’expérience nous l’enseigne, les attaques terroristes favorisent le renoncement aux valeurs démocratiques, le souci de notre sécurité nous disposant à sacrifier les libertés de tiers, chez nous ou à l’étranger. La spirale de défiance créée aux Etats-Unis par le Patriot Act et la légitimation durable de la torture ou des détentions illégales a aujourd’hui plongé ce pays dans la perte de repères moraux. Nous avons vu le vertige de la guerre civile en Algérie durant les années de plomb. Nous voyons de plus en plus de pays qui ont peur, qui s’emmurent, qui s’éloignent des valeurs démocratiques.

Il y a un troisième ennemi aujourd’hui, c’est le rejet. Notre pays se crispe de jour en jour.    élites se tournent chaque jour davantage vers des discours de division et d’exclusion permettant tous les amalgames. L’Histoire nous enseigne que lorsque les digues sautent, le pays risque l’effondrement. Si nous aimantons la violence, c’est parce que nous sommes divisés, faibles, repliés sur nous-mêmes ; un pays blessé qui perd son sang. Les polémiques littéraires, les démagogies partisanes, nous montrent que l’enjeu n’est pas tant de nous sauver des autres, d’invasions ou de remplacements supposés, mais de nous sauver de nous-mêmes, de notre renoncement, de notre narcissisme du déclin, de notre tentation occidentaliste et suicidaire.

Dans l’épreuve, chacun d’entre nous a un devoir à accomplir. Agissons avec responsabilité, sang-froid et dans l’unité, ripostons par l’exemplarité démocratique, redevenons ce que nous sommes, des républicains qui croient au dialogue, à la force de la culture et de l’éducation et à la paix.

Dominique de Villepin (Ancien Premier ministre)

Sources: www.lemonde.fr, 8/1/2015

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Dominique de Villepin: «“Je suis Charlie”, ça ne peut pas être le seul message de la France»

Par Vincent Tremolet de Villers Publié le 19/01/2015

FIGAROVOX/EXTRAITS-L’ancien premier ministre appelle de ses vœux un traitement ciblé et impitoyable de la menace terroriste mais refuse le terme de guerre et les visions «globalisantes».

«La France est en guerre», a dit Manuel Valls…

Nous sommes face à un choix. Soit la logique de guerre, en considérant qu’il n’y a qu’un front continu, de l’extérieur jusqu’à l’intérieur. Nous choisissons alors la surenchère militaire, l’exclusion de ceux qui ne pensent pas comme nous sans pour autant penser comme nos ennemis. Cela signifiera, ici comme là-bas, toujours plus de guerre. Soit nous choisissons la fidélité à nous-mêmes. Nous gardons à l’intérieur le cap de nos repères républicains en rassemblant et en unifiant, et nous gardons à l’extérieur nos repères gaullistes, qui sont une politique de sécurité nationale mais dans le souci du monde, la recherche de solutions et l’esprit de dialogue. Face au drame qui l’a frappée, la France a montré une grande dignité. La mobilisation nationale et populaire a été un sursaut impressionnant. Le peuple a choisi d’instinct la fidélité à la France. Ce dernier choix me paraît être à la fois le plus juste et le plus protecteur.

Pourquoi?

Le terrorisme nous tend un piège. Il veut nous pousser à la faute, et la faute, c’est la guerre. Il vise à créer des amalgames et à fédérer des sensibilités différentes, en s’appuyant sur des sympathies, un sentiment d’humiliation, de rejet. Ainsi il peut élargir sa base au-delà des plus radicaux. Notre intérêt est donc d’éviter l’engrenage de la force. L’idée d’un unique front extérieur signifierait que la situation serait la même en Libye, en Syrie, en Irak, au Mali. Or ce sont des théâtres d’opérations différents qui exigent une approche fine. Chaque guerre appelle une nouvelle guerre. À l’agenda se dessine une nouvelle intervention militaire en Libye ou encore au Nigeria. Chaque guerre augmente l’image d’une guerre globale, celle d’un conflit de civilisation entre Occident et Islam, et donc le pouvoir d’attraction de l’ennemi djihadiste. La violence exerce un phénomène d’aimantation. Notamment chez des jeunes en mal identitaire, en contestation, cela crée le sentiment d’une mission, d’un statut, d’une reconnaissance. L’enjeu de la lutte contre Daech, c’est d’empêcher la constitution de territoires du djihad offrant un refuge à tous les apprentis terroristes. C’est le vide des États faillis qui la rend possible. Il faut une mobilisation de tous les États de la région pour réduire les fractures identitaires entre chiites et sunnites, entre Iran et Arabie saoudite.

Retrouvez la suite de l’entretien ici (abonnés) ou dans Le Figaro du 20 janvier.

Source : LeFigaro

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Dominique de Villepin : “Le rôle militariste… par FranceInfo, le 20/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-resistons-a-lesprit-de-guerre-par-dominique-de-villepin/


[Reprise] C’est pas tout ça, mais faut bombarder Saddam, par Jacques-Marie Bourget

Monday 9 February 2015 at 01:19

Au lendemain des attentats perpétrés contre la rédaction de “Charlie Hebdo”, la réaction du gouvernement est attendue tant d’un point de vue diplomatique que militaire. Jacques-Marie Bourget explique avec ironie que la France doit rapidement se pencher sur certains pays, accusés de financer des groupes terroristes.

C’est pas tout ça, mais maintenant faut bombarder Saddam. Quel Saddam ? Je ne sais pas mais on va bien en trouver un. A ce qu’on dit il y a un bon signe, Le Drian a déjà en main un tube avec un élixir dedans, et il va l’agiter pour nous désigner l’ordonnateur de nos malheurs. Tous les journaux si généreux, si sensibles et émotifs, si proches des autres, nous ont dit que l’attaque contre Charlie était « notre 11 septembre ». Après le drame du World Trade Center, la recette de George Bush II ayant été la bonne, j’espère que cette France soudée comme une carrosserie de tank, et si « debout », va faire la même chose. Un bon signe, le porte-avions Charles De Gaulle a déjà pris la mer. Ça lui fait du bien, dérouille ses hélices et promène ses marins ainsi éloignés des MST de Toulon. S’il ne tombe pas en panne, il devrait faire mal. Gare aux bergers qui poussent leurs troupeaux dans plaines de Syrie. Un keffieh reste un keffieh, et dans le manuel du soldat, cela depuis 1954, une philosophie impulsée par Mitterrand, chef de guerre en Algérie, il est recommandé de tirer. Tant mieux il ne viendra pas se plaindre, le bédouin, et ses moutons encore moins. La guerre contre le terrorisme est une affaire assez peu sérieuse pour qu’on la confie aux militaires.

Quel pays la France va-t-elle vitrifier ?

Quel pays, le Qatar n’en étant pas un et Fabius, qui y voit de l’intérêt, ayant dit qu’il est innocent, quel pays la France va-t-elle vitrifier ? Après avoir donné un coup de pouce en Syrie, Sarko l’a fait en Libye avec l’émir Al-Thani et le poète BHL. François II l’a fait, pas assez à son goût, chez Bachar aussi. Quelle cible prendre comme dirait Bigeard ? Vous avez dit Bigeard ? Le Yémen ? Ce serait pas mal. D’abord à cause de Nizan et de son livre Aden Arabie qui s’ouvre par la plus belle phrase de la littérature, « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus belle âge de la vie ». En plus c’est le grand père d’Emmanuel Todd et il y a, à Sanaa et dans tout le pays une architecture sublime. Mais âgée et que l’on pourrait raser pour la remplacer par des « canopées ». Comme au-dessus du trou des Halles, à Paris. C’est moche mais les Socialistes aiment ça. Dans leurs cavales commentées par eux-mêmes, dans leur road movie, les frères Kouachi ont désigné le coupable, pourquoi faire compliqué : le Yémen.

Problème, le Qatar aime le Yémen qui, lui, n’aime pas l’Arabie Saoudite qui n’aime pas le Qatar. Ouf. Donc, la France peut-elle attaquer un Etat ami de Doha ? Trop cruel et dangereux pour la durée d’une amitié. Il faut encore réfléchir et Le Drian a un peu de temps pour secouer son tube, qui n’est plus d’anthrax mais d’entracte.

Pas question de rupture diplomatique avec ceux qui financent le djihad

Une grande réunion, tenue à Bruxelles, examine les moyens utiles pour faire en sorte qu’on ne tue plus des gens à coups de kalach, fussent-ils journalistes. J’ai examiné l’ordre du jour. Pas question de rupture diplomatique avec les pays où les milliardaires qui financent le djihad, pas question de punir ceux qui achètent le pétrole vendu par Daech ou par les fous de Dieu Libyens. Pas question, en France, de mettre son nez dans les finances d’organisations islamiques c’est-à-dire de leur filiale islamiste, le « vote musulman » est si précieux.

La guerre étant déclarée, nous mobilisons large, personnellement bon balayeur, je pense être convoqué pour nettoyer un commissariat pendant que les policiers terroriseront les terroristes. Mais quand même réveillons-nous et le regard ouvert jetons un œil sur l’Algérie. Difficile de combattre le djihad sans un coup de main de ce pays. Il en a tant souffert et connait l’engeance. Là, écoutez bien, l’Europe vient de décider d’accorder une subvention de 150 000 euros à toute association qui se formera pour « défendre la démocratie ». Autrement dit qui luttera contre le pouvoir en place. Pas impossible que les prochains tueurs ne soient plus d’anciens stagiaires du Yémen, mais des types ayant pris le ferry à Alger.

Le Qatar et l’Arabie Saoudite : un Téléthon pour le djihad

Comme on n’est jamais aussi bien trahi que par ses amis, ce sont les Étasuniens qui sont venus contredire les serments de l’émir du Qatar, quand il jure ne pas financer le terrorisme. En l’occurrence le Trésor : oui l’argent du Qatar a bien abondé l’État Islamique ! Ainsi, un certain Tariq Al-Harzi, cheville ouvrière de l’accueil des djihadistes étrangers dans la zone frontalière turco-syrienne, a touché au moins deux millions de dollars d’un intermédiaire financier basé à Doha. C’est ce bienfaiteur qui, lui-même, a recruté Al-Harzi.

Selon les agents des services spéciaux c’est en milliards de dollars que l’on compte l’aide du Qatar et de l’Arabie Saoudite, l’un et l’autre lancés dans un vrai Téléthon pour le djihad. Selon nos confrères du Daily Telegraph, un diplomate occidental vient de révéler les chiffres qui tuent : « Entre huit et douze personnalités éminentes au Qatar ont récolté des millions de dollars pour les djihadistes. Et ils ne s’en cachaient guère ».

Un rapport du Département d’Etat sur le terrorisme précise que Doha ne « prête aucune vigilance » à cet argent mortifère. Même pris la main dans la bourse d’or, l’émir n’a pas besoin d’avouer son forfait : c’est toujours un ami, un cousin qui prête son concours à la dotation djihadiste. Et le cheikh et sa famille d’expliquer : « on ne peut empêcher nos proches, nos amis de pratiquer la Zakat… Parfois ils se font abuser… » . La zakat, la charité islamique qui fait que l’on va forcément au ciel si on sait se montrer généreux.

Dommage qu’entre deux siestes Laurent Fabius n’ait pas eu le temps de lire les rapports de ses amis de Washington.

Source : Jacques-Marie Bourget, repris par Anaïs Chabalier pour Le Grand Soir, depuis l’article original publié pour Le Plus de l’Obs

Source: http://www.les-crises.fr/c-est-pas-tout-ca-mais-faut-bombarder-saddam/


Syriza cernée, par Frédéric Lordon

Sunday 8 February 2015 at 04:30

Beau rappel de Lordon + 2 autres billets cités

Syriza cernée, par Frédéric Lordon

On savait que l’expérience Syriza serait une leçon de choses en politique, la mise à nu, toutes technicités juridico-financières envolées, des ressorts fondamentaux de la puissance et de la souveraineté. De ses confiscations dans des institutions aussi. Nous y sommes – et encore plus vite que prévu.

Comme on pouvait s’y attendre également, le lieu névralgique du rapport de force se trouve à Francfort, à la Banque centrale européenne (BCE). Ce qu’aucun article des traités européens ne permet juridiquement – mettre à la porte un Etat-membre – c’est la BCE, hors de toute procédure, par une opération entièrement discrétionnaire sans aucun contrôle démocratique, qui le peut. Et qui vient d’en donner l’avant-goût, dix jours à peine après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement malséant, porté par un mouvement populaire ayant le front de réclamer la fin de l’absurde tourment auquel le pays a été soumis par notre chère Europe, un pays en situation de crise humanitaire (( Voir Sanjay Basu et David Stuckler, Quand l’austérité tue, Le Monde Diplomatique, octobre 2014. )) – au cœur de l’Union européenne (UE) et, plus encore, par l’Union ! –, un pays pour lequel, après quelques autres, il faudrait maintenant songer à formaliser juridiquement l’idée de persécution économique – et nommer les persécuteurs. Là contre, le peuple grec s’est donné un gouvernement légitime, mandaté pour faire cesser cet état de persécution. Un gouvernement souverain.

Comme on le sait depuis longtemps, depuis le début en fait, à la question de la souveraineté, la réponse européenne est non. Saint Jean-Claude bouche d’or, qui ne loupe pas une occasion, a livré sa vision terminale de la politique : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » (( Jean-Claude Juncker, entretien, Le Figaro, 29 janvier 2015 )) . Et le peuple grec est invité à crever la gueule ouverte, mais démocratiquement, c’est-à-dire d’après les traités.

Il doit être assez clair maintenant que la leçon de choses a à voir avec deux conceptions radicalement différentes de la démocratie : la démocratie comme asservissement aux traités, contre la démocratie comme souveraineté populaire. Sous la formulation alternative de « passer sous la table ou la renverser », il s’agissait bien de nommer ce point de bifurcation qui verra, selon sa résolution, l’une ou l’autre de ces conceptions l’emporter. On s’y dirige à grande vitesse et, portant au jour la vérité hors-traité des traités, la BCE vient de montrer à tous de quel bois démocratique l’Union se chauffe.

Le chantage de la BCE ou la nudite du rapport de force

Ce que les opérations ordinaires de la politique monétaire ont usuellement pour propriété de voiler apparaît ici en pleine lumière : dans les procédures techniques du refinancement se trouve repliée toute une vision du monde et, comme toujours, c’est en situation de crise qu’elle se révèle pleinement. Couper la ligne du refinancement aux banques grecques n’admet ici aucune justification proprement monétaire. N’était-ce pas d’ailleurs par un geste souverain – car la souveraineté ne disparaît jamais complètement : elle migre – que la BCE avait décidé de détendre ses propres règles et d’admettre en collatéraux les titres de la dette grecque quoique tombés hors de la catégorie investment-grade ? C’est par un geste également souverain, mais inverse, qu’elle vient de revenir discrétionnairement sur cette facilité, manière évidente de faire savoir au gouvernement grec que, précisément, dans les dispositions qui sont les siennes, il n’est plus du tout question de lui faire la vie facile.

Dans une stratégie soigneusement graduée de la constriction, la BCE fait connaître sa force et ne met pas (encore) le système bancaire grec entièrement à genoux. Il reste à ce dernier une source de refinancement en la procédure exceptionnelle dite ELA (Emergency Liquidity Assistance). Mais d’une part cette procédure est plus coûteuse puisqu’elle fournit de la liquidité à un taux de 1,55 % contre… 0,05 % pour les procédures ordinaires. D’autre part l’ELA, en tant que programme « spécial », fait l’objet d’un strict contingentement en volume, de sorte que, la ligne étant susceptible à tout instant d’être brutalement coupée, le système bancaire grec, et le gouvernement derrière, sont installés dans la plus extrême précarité. Enfin, et peut-être surtout, les opérations ELA sont « déléguées » aux banques centrales nationales, en l’occurrence rejetées sur la Banque centrale de Grèce. La signification de ce mouvement de défausse est parfaitement claire, qui fait d’ailleurs écho aux orientations du QE (Quantitative Easing) récemment annoncé : il s’agit d’une stratégie de cantonnement. Désormais les titres de dette grecque ne finiront plus dans le bilan de la BCE elle-même, mais parqués dans celui de la Banque centrale grecque. L’avertissement est limpide : « n’imaginez pas une seconde que la menace à la sortie nous fera quelque effet, d’ailleurs nous sommes en train de créer les conditions pour que, à défaut de vous soumettre, vous preniez la porte avec vos propres encombrants ».

Nous savons donc maintenant jusqu’où va l’extrémisme libéral européen. Car Tsipras a beau en avoir considérablement rabattu, et renoncé aux annulations d’une dette pourtant insoutenable, la simple idée, à cadrage macroéconomique invariant, de réallouer la dépense publique d’une manière qui ne satisfasse pas pleinement à la conditionnalité de l’ajustement structurel est en soi une hérésie inadmissible. Certes le programme minimal d’urgence humanitaire (réaugmenter le salaire minimum et les plus basses pensions, réembaucher quelques milliers de fonctionnaires) ne pouvait se faire par simple réallocation au sein d’une enveloppe de dépense rigoureusement invariante. Certes encore, le surplus de prélèvement fiscal que Syriza a concédé devoir mettre en face est laissé à l’aléa de la capacité d’une administration fiscale extrêmement défaillante – s’il y a une seule « réforme structurelle » à conduire urgemment, c’est bien de ce côté qu’elle se trouve, tout le monde en convient, les Grecs au tout premier chef, il se pourrait même que Syriza, moins compromis que tous les autres partis dans le marécage clientéliste, soit le plus à même de la porter. Certes donc, le programme minimal appelle sans doute une extension du déficitex ante.

Il n’est même pas certain que ce dernier se confirme en déficit ex post, bien au contraire. Avec un talent confirmé d’étrangleur, c’est l’UE et ses restrictions aveugles qui ont précipité la Grèce dans une dépression dont on ne trouve plus d’équivalent qu’en celle des Etats-Unis dans les années 1930. Si bien que ce que, par paresse intellectuelle, on nomme « la dette grecque » n’est en fait pasla dette des Grecs : l’explosion des déficits et l’effondrement de la croissance à partir de 2010 sont moins le produit de l’incurie grecque que d’un assassinat de politique économique administré par l’Union en guise de « sauvetage ». De sorte que lorsque les Etats-membres prêtent pour tenir la Grèce à flot, c’est en bonne partie pour écoper le naufrage qu’ils ont eux-mêmes causé. On pourrait dire par court-circuit qu’au travers de la Grèce, l’UE prête pour l’UE ! Splendide opération qui aurait toute sa place dans un théâtre de l’absurde – si l’on excepte les investisseurs dont certains, en dépit de la restructuration, auront bien profité au passage.

En tout cas la redistribution de pouvoir d’achat en direction de ceux dont on est bien certain qu’ils le dépenseront intégralement est la plus rationnelle des politiques économiques – mais d’une rationalité qui a depuis belle lurette déserté les esprits européens. C’est en vue du financement intermédiaire d’un déficit temporaire qui avait de bonnes chances de s’auto-couvrir que le gouvernement grec s’était tourné vers la BCE. Nous connaissons maintenant la réponse et nous savons quel degré d’aide les institutions européennes sont disposées à apporter au peuple grec, dont le tableau des misères devrait leur faire honte : nul.

Syriza abandonnée de tous

Ce sont des salauds. Et ils sont partout. Reuters a rendu publique la teneur d’un rapport allemand préparé en vue de la réunion des ministres des finances du 5 février1 : c’est non sur toute la ligne. Non et rien, les deux mots de la démocratie-européenne-selon-les-traités. Croit-on que l’Allemagne soit seule en cause dans cette ligne de fer ? Nullement – ils sont partout. Ni l’Espagne, ni l’Irlande, ni – honte suprême – la France « socialiste » ne viendront en aide à Syriza. Et pour une raison très simple : aucun d’entre eux n’a le moindre intérêt à ce qu’une expérience alternative puisse seulement se tenir : dame ! c’est qu’elle pourrait réussir ! Et de quoi alors auraient l’air tous ces messieurs d’avoir imposé en pure perte à leurs populations un traitement destructeur ? De ce qu’ils sont. Des imbéciles, en plus d’être des salauds.

On n’aimerait pas être à la place de Tsipras et de ses ministres : seuls et abandonnés de tous. Mais l’Union européenne se rend-elle bien compte de ce qu’elle est en train de faire ? Il y avait de sérieuses raisons de penser qu’une combinaison minimale de dureté en coulisse et d’amabilité en façade permettrait un faux compromis qui aurait vu de facto Syriza plier sur toute la ligne ou presque – à quelques concessions-babioles dûment montées en épingle. Entre le désir de rester dans l’eurozone, les effets inertiels du recentrage de campagne, le découplage des institutions politiques qui protège un moment les gouvernants, il était probable que Tsipras aurait choisi un mauvais compromis qui gagne du temps et, laisse l’espoir (qui fait vivre) d’une possible amélioration future.

Mais il y a des degrés dans l’offense auquel, sauf à abdiquer toute dignité, un chef d’Etat peut difficilement consentir. Et tout se passe comme si l’UE était en train de pousser elle-même la Grèce vers la sortie. En s’en lavant les mains naturellement. Mais en ne laissant guère plus d’autre choix au gouvernement grec – passer sous la table ou la renverser, on n’en sort pas… C’est-à-dire, quand les conditions minimales d’estime de soi ne sont plus réunies pour passer dessous, renverser – comme on sait, la position défendue ici de longue date tient que cette Europe n’est pas amendable et que « renverser » est la seule solution offerte à un affranchissement d’avec la camisole libérale.

Si jamais on en venait à ce point critique, les événements connaitraient un de ces emballements qui font l’histoire. Car tout devrait aller très vite : séparation immédiate de la Banque centrale grecque du Système européen des banques centrales (SEBC), répudiation complète de la dette, instauration d’un contrôle des capitaux, nationalisation-réquisition des banques. Dans une interview à laquelle on n’a probablement pas assez prêté attention, Yanis Varoufakis lâche une phrase qui vaut son pesant de signification : « nous sommes prêts à mener une vie austère, ce qui est différent de l’austérité » (( « Nous sommes prêtes à mener une vie austère », Le Monde, 25 janvier 2015 )) . Et en effet c’est très différent, radicalement différent même. Entre la vie austère et l’austérité, il y a l’abîme qui sépare une forme de vie pleinement assumée et la soumission à une tyrannie technique. Car il est certain que la sortie de l’euro n’aurait rien d’un dîner de gala. Mais c’est faire de la politique, et au plus haut sens du terme, que de prendre à témoin le peuple et de lui mettre en mains les termes de son choix : nous pourrions bien, en effet, être plus pauvres un moment mais, d’abord, sous une tout autre répartition de l’effort, et surtout en donnant à cette « vie austère » la signification hautement politique d’une restauration de la souveraineté, peut-être même d’un profond changement de modèle socioéconomique.

De nouveau la politique

En tout cas pour la première fois depuis très longtemps, il y a à la tête d’un pays européen des gens qui savent ce que c’est vraiment que la politique – une histoire de force, de désirs et de passions –, soit l’exact contraire des comptables-eunuques qui gouvernent partout ailleurs, à l’image du têtard à binocles dont la couverture de L’Obs, qu’on créditerait ici volontiers d’un second degré inhabituellement fielleux, révèle qu’il est l’une des têtes pensantes de François Hollande.

Couverture de L’Obs du 5/2/2015
[Incidemment, pour savoir à quoi ressemblent de vrais hommes politiques, c’est-à-dire des gens qui ont touché l’essence de la politique, une essence violente et forte, il faut regarder la tête des anciens directeurs du Shin Beth, le service secret israélien, interviewés dans le formidable documentaire Gate keepers, et qui, quoi qu’on pense par ailleurs de leur action (( En l’occurrence, tous ceux qui ont vu le documentaire savent que ces anciens responsables des services secrets livrent une mise en accusation accablante de la politique des gouvernements israéliens depuis des décennies. )) , ont eu à agir en l’un des lieux de la planète où l’essence tragique du politique se donne à voir sous sa forme la plus haute. Et puis après admirer une photo de Michel Sapin. Ou le sourire d’Emmanuel Macron.]

Il n’est pas inopportun de faire pareil rappel, car ce tragique-là plane aussi sur la Grèce, qui doit compter avec ses salauds de l’intérieur. Dans un article qui éclaire un aspect oublié de la situation grecque, Thierry Vincent (( Thierry Vincent, « Un espoir modéré, la crainte des coups tordus »,Le Monde Diplomatique, février 2015. )) ne fait pas que remettre en mémoire le passé somme toute pas si lointain des colonels, mais la réalité très présente d’un appareil d’Etat gangrené pas seulement par la corruption ordinaire mais aussi par des forces sombres, substructure étatique constituée, comme toujours, autour des appareils de force, police, justice, armée, dont les connivences avec les néo-nazis d’Aube Dorée sont maintenant patentées, et où macèrent potentiellement les pires tendances factieuses. L’obsession économique finirait presque par faire oublier que le risque dominant auquel se trouve confrontée l’expérience Syriza est probablement politique, et tient moins à un rééchelonnement de dette mal fagoté qu’à ce que Thierry Vincent nomme les « coups tordus », et qu’il faudrait peut-être nommer « coup » sans autre qualificatif. Car voyons, dans les termes de notre alternative : passer sous la table, par quoi on entend ne rien obtenir de significatif, c’est épuiser l’idée même d’alternative progressiste en Grèce, et dégager la piste à la seule alternative restante – la pire. Mais renverser la table, c’est possiblement, par enchaînements successifs, entrer en confrontation directe avec le capital, et l’on sait de quelle manière les « démocraties » ont historiquement accoutumé de traiter ce genre de désaccord…

La preuve par Syriza ?

A la remorque de la psychorigidité allemande, l’Europe des ahuris, les Juncker, Moscovici, Sapin, etc., radicalement ignorants de ce qu’est vraiment la politique, jouent en toute inconscience avec le malheur des peuples, sans le moindre égard pour les forces obscures qui commencent à tournoyer au-dessus d’eux. Il faut dire qu’en matière d’ahuris, ils se sont trouvé de fameux intellectuels organiques, à l’image de Bernard Guetta, par exemple, qui entame sur le tard une improbable carrière de situationniste – mais à l’envers. Guy Debord tenait que, dans la société du spectacle, « le vrai est un moment du faux ». Chez Guetta, c’est le faux qui est un moment du vrai. Il suffit en effet de reprendre sa chronique « La preuve par Syriza » (( « « La preuve par Syriza » », Libération, 27 janvier 2015. )) et d’en inverser méthodiquement tous les termes pour avoir une représentation d’assez bonne qualité de l’état de l’UE et des gauches européennes – là où la lecture littérale livre une fantasmagorie sous produits à courir tout nu dans les prés. Car nous sommes le 27 janvier, et Guetta voit l’aube européenne se lever dans l’arrivée simultanée de Syriza et du Quantitative Easing

Or il faut avoir bonne vue, ou bien l’aide de quelques sérotoninergiques, pour voir « s’annoncer de nouvelles politiques économiques européennes » au motif que la BCE, au terme de luttes intestines longtemps indécises, cinq ans après toutes les grandes banques centrales du monde, et ayant dû attendre une situation de désinflation patentée pour être juridiquement fondée à agir, a enfin lancé son programme à elle de Quantitative Easing. Dont on sait déjà qu’il ne produira pas grand effet.

Et l’aide de substances plus brutales encore est requise pour nous appeler à réaliser que « non, l’unité européenne n’est pas en elle-même un projet libéral »« Ce n’est qu’un début », s’exclame le défoncé, « mais que la séquence est belle ». Quand les infirmiers auront achevé de l’embarquer, on ne retiendra que le titre de l’article manifestement écrit dans des conditions à faire peur à un cycliste, mais qui dit contre toute attente une chose très vraie : le caractère probatoire de l’expérience Syriza. En effet, il va bien y avoir une « preuve par Syriza ». Mais la preuve de quoi ?

Source : Frédéric Lordon, pour Le Monde Diplomatique, 6/2/2015

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La preuve par Syriza, par Bernard Guetta

C’est une séquence, une belle et passionnante séquence qui pourrait bien augurer d’un changement d’ère, et pas seulement en Europe. Mardi dernier, dans son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama devenait le premier président américain à rompre avec les dogmes néolibéraux qui s’étaient imposés il y a trente-cinq ans aux Etats-Unis avant de partout triompher dans le monde. Jeudi, Mario Draghi annonçait que la Banque centrale européenne allait racheter pour plus d’un milliard d’euros d’obligations d’Etat. Dimanche, enfin, Alexis Tsipras, conduisait à la victoire une nouvelle gauche dont le programme est de renégocier le remboursement de la dette grecque et d’en finir, en Grèce puis dans toute l’Europe, avec des politiques aussi cruelles que contre-productives car uniquement axées sur le rétablissement des comptes publics.

Barack Obama est ce qu’il y a de plus proche, en Amérique, des sociaux-démocrates européens. Mario Draghi est un libéral, pragmatique mais essentiellement libéral. Alexis Tsipras vient de l’altermondialisme. Il n’y a rien de commun entre ces trois hommes sauf qu’ils constatent tous, aujourd’hui, là où ils sont, que les dogmes libéraux ont mené à une déréglementation dont le plus spectaculaire résultat fut la crise de Wall Street, qu’ils ont créé d’insoutenables inégalités sociales, réduit le poids des classes moyennes et conduit l’Europe au bord de la déflation.

Ce n’est pas que le néolibéralisme n’ait rien apporté au monde et, moins encore, qu’il soit le simple fruit d’un complot des plus riches. S’il est devenu une idéologie aussi dominante – comme le keynésianisme l’avait été de la fin de la guerre à l’élection de Margaret Thatcher – c’est d’abord que les classes moyennes occidentales des années 70 étaient entrées en révolte fiscale. Accablées de charges et d’impôts, elles ne voulaient plus financer, plus autant en tout cas, cette protection sociale et ces investissements d’avenir qui avaient pourtant fait leur ascension. C’est ce qui avait mis les gauches occidentales dans une difficulté dont elles ne sont pas encore sorties et la seconde raison du succès des néolibéraux était qu’on arrivait à la fin d’un cycle industriel. Les nouvelles technologies devaient prendre le relais de l’industrie lourde et il fallait libérer, pour cela, les nouveaux entrepreneurs de contraintes fiscales et sociales que de jeunes industries ne pouvaient pas encore assumer.

Le néolibéralisme a porté une nouvelle révolution industrielle et permis l’essor des pays émergents mais, maintenant que cela est fait et que la déréglementation permet aux multinationales d’échapper ou presque à l’impôt, on voit aussi, et dénonce beaucoup plus largement qu’hier, les dégâts des dogmes thatchériens, du «trop d’impôt tue l’impôt», de «l’Etat n’est pas la solution mais le problème» ou du «plus les riches sont riches, mieux chacun se porte».

La lutte contre les paradis fiscaux s’est développée depuis 2008, bien trop lentement mais considérablement. La prochaine présidentielle américaine se jouera autour de l’idée, défendue mardi par Barack Obama, d’une plus grande justice fiscale et, donc, d’une augmentation des impôts sur les plus riches. La partie ne sera pas facile pour les Républicains et, en Europe, le triomphe électoral de Syriza vient montrer que, bien au-delà des gauches, le rejet du tout-austérité peut et va constituer de nouvelles majorités politiques.

Sur la lancée du tournant amorcé, à la fois, par les rachats d’obligation de la Banque centrale européenne (BCE) et le plan de relance de la nouvelle Commission, ce sont de nouvelles politiques économiques européennes qui s’annoncent et, déjà, se mettent en place. Le rééquilibrage des comptes publics va se poursuivre mais à un rythme moins aberrant et s’accompagner – c’est l’essentiel – de politiques de relance, nationales et paneuropéennes.

Tant mieux. Mieux vaut tard que jamais car c’est la meilleure chose qui pouvait arriver aux Européens et à leur économie, mais ce n’est pas tout.

Politiquement aussi, ce changement de cap modifiera la donne du tout au tout. Hier encore totalement isolés et impuissants dans une Europe majoritairement libérale-conservatrice, les sociaux-démocrates trouvent aujourd’hui de nouveaux alliés pour faire bouger les choses, en Grèce comme à la BCE ou à la Commission.

Nouvelles et anciennes, les gauches auront maintenant tôt fait de reprendre du poids dans l’Union et ce faisceau de convergences va également changer la perception de l’Europe par les Européens.

Toujours plus nombreux, hier, à assimiler l’Union à ses politiques du moment, ils vont découvrir que, non, l’unité européenne n’est pas en elle-même un projet libéral et que ses politiques comme l’interprétation de ses traités sont susceptibles de profondes évolutions en fonction de réalités qui font loi et des votes, nationaux et paneuropéens, des citoyens de l’Union. Ce n’est qu’un début, mais que la séquence est belle.

Bernard Guetta, 27/01/2015, Libération

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Un espoir tempéré, la crainte des coups tordus par Thierry Vincent

La percée récente des forces progressistes aux élections grecques bouleverse un appareil d’Etat contrôlé depuis quarante ans par deux familles politiques. Si les dégâts de l’austérité ont convaincu une bonne partie de la fonction publique de choisir la coalition de gauche Syriza, des réseaux extrémistes s’activent autour des corps de sécurité.

par Thierry Vincent, février 2015

Madame Rena Dourou salue chaleureusement chacun des employés de l’administration du secteur nord d’Athènes. Dans les bureaux de l’immeuble sans âme, en cet hiver particulièrement rigoureux, il fait un froid glacial. « Le manque de chauffage, c’est aussi cela, la crise et l’austérité », nous explique la gouverneure de l’Attique, région la plus peuplée de Grèce avec près de la moitié de la population du pays. Agée de 39 ans, Mme Dourou a été élue en mai 2014 lors des élections régionales qui ont consacré, ici, la victoire de Syriza, une coalition de partis de la gauche radicale opposés aux politiques dictées par la « troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Mais elle s’avoue un brin désabusée : « Le gouvernement nous met des bâtons dans les roues. Déployer notre programme s’avère difficile. »

 

Mme Dourou est entrée en fonctions le 1er septembre dernier. Quelques jours plus tard, les services financiers lui ont demandé de signer en urgence le projet de budget concocté par son prédécesseur, membre du parti conservateur Nouvelle Démocratie. « J’ai refusé. J’ai été élue pour appliquer ma politique et un budget favorable aux plus déshérités », nous explique-t-elle. Malgré les pressions, elle réussit finalement à imposer ses priorités. La subvention de 27 millions d’euros prévue pour la rénovation de deux stades de football appartenant à deux magnats de la construction est annulée. A la place, raconte Mme Dourou, « nous avons voté un financement de 28 millions d’euros pour les travaux contre les inondations et pour toute une série d’actions sociales, comme le réapprovisionnement en électricité des ménages qui accusent des arriérés de paiement ». 

Votée en 2010, le programme Kallikratis soumet les décisions des régions au contrôle d’une structure de l’Etat central, la direction des affaires décentralisées. Pilotée par un ancien député européen de Nouvelle Démocratie, M. Manolis Angelakas, cet organisme a refusé de valider l’embauche de cent trente-neuf agents réclamée par le nouvel exécutif de l’Attique. « Il s’agit pourtant de postes nécessaires au fonctionnement de la région », soutient Mme Dourou. Pour preuve, la gouverneure nous montre le bureau de la direction de l’éducation désespérément vide. « Le gouvernement cherche à discréditer notre parti, avance-t-elle. Voilà pourquoi une victoire de Syriza [aux élections législatives du 25 janvier 2015] est indispensable pour un vrai changement. »Périphérie d’Athènes, en ce premier samedi de janvier. Le Pavillon des sports de Faliro, superbe installation construite pour les Jeux olympiques de 2004, habituellement désert, est plein à craquer. Deux mille personnes accueillent avec ferveur le dirigeant de Syriza, M. Alexis Tsipras. « L’heure de la gauche est arrivée », scande un groupe de femmes de ménage licenciées du ministère de l’économie, poings fermés dans des gants rouges, symboles de leurs seize mois de lutte. Après une heure d’un discours enflammé promettant la fin de l’austérité, un salaire minimum brut de 751 euros (contre 586 euros aujourd’hui, et 520 pour les moins de 25 ans) et l’exemption d’impôts pour les plus démunis (moins de 12 000 euros de revenus par an), M. Tsipras quitte l’estrade sous les acclamations. Mais l’espoir semble tempéré par une sourde inquiétude.

La démocratie parlementaire, partie émergée de l’iceberg

Car, en Grèce, il y a le visible et le caché. La partie émergée de l’iceberg est une démocratie parlementaire classique, mise en place après la chute de la dictature d’extrême droite des colonels en 1974. La montée des intentions de vote pour Syriza laisse entrevoir une période d’alternance politique dans un contexte de crise économique majeure, alors que le produit intérieur brut (PIB) du pays a baissé de 24 % depuis 2008. Mais derrière ces apparences, il y a le moins avouable : un pays gouverné presque sans interruption depuis soixante ans par deux familles. A droite, les Karamanlis, conservateurs ; à gauche, les Papandréou, socialistes. Deux générations de chefs de gouvernement : l’oncle et le neveu pour les premiers ; le grand-père, le père et le petit-fils pour les seconds. Dans ce système clientéliste, les achats de voix et les emplois de complaisance au sein de la fonction publique tiennent souvent lieu de stratégie politique.Le dernier épisode de corruption politique concerne l’élection présidentielle (1). Le 18 décembre dernier, M. Pavlos Haikalis, ancienne vedette de la télévision devenue député du parti souverainiste de droite des Grecs indépendants (ANEL), a affirmé s’être vu offrir 3 millions d’euros en échange de son vote pour M. Stavros Dimas, le candidat de la coalition au pouvoir, qui devait obtenir au moins cent quatre-vingts voix (sur trois cents députés) pour être élu et éviter l’organisation d’élections législatives anticipées. Le corrupteur serait le financier Giorgios Apostolopoulos, ancien conseiller des premiers ministres Giorgios Papandréou (2009-2011) et Antonis Samaras (en fonctions depuis 2012). Homme de télévision, M. Haikalis a filmé la scène en caméra cachée, puis a diffusé les images sur Internet. Résultat ? La justice a refusé d’engager des poursuites, prétextant que les preuves avaient été recueillies illégalement. Le premier ministre Samaras ayant même déposé une plainte pour diffamation, le corrupteur présumé se retrouve à l’abri, tandis que le lanceur d’alerte devra rendre des comptes…

« Cela rappelle la stratégie de la tension »

Au cœur des institutions se cache aussi ce que les Grecs appellent le parakratos : le « para-Etat » ou l’« Etat souterrain », c’est-à-dire un réseau informel hérité de la guerre froide, composé de hauts fonctionnaires, de policiers, de militaires et de magistrats, prêts à tous les coups tordus pour éviter l’arrivée des « rouges » au pouvoir. Un tel réseau, appuyé par les services secrets américains, avait minutieusement préparé le terrain au coup d’Etat de la junte des colonels en 1967.Les vieux réflexes du parakratos n’ont pas vraiment disparu. Les entorses aux libertés de réunion, de manifestation et d’expression ont été nombreuses ces dernières années. En octobre 2012, quinze militants antifascistes ont ainsi été arrêtés après des affrontements avec les néonazis du parti Aube dorée (qui a recueilli 9,4 % des voix aux élections européennes de mai dernier) et la police. A l’issue de leur garde à vue, les interpellés ont dit avoir été torturés, photographies à l’appui. « Ils nous traitaient de sales gauchistes, raconte Giorgios, l’un des interpellés, qui a porté plainte. Ils nous ont dit : “Maintenant on a vos noms et vos adresses. Si vous parlez, on les donnera à nos amis d’Aube dorée pour qu’ils puissent venir faire un petit tour chez vous.” Ils évoquaient aussi la guerre civile qui, en Grèce, a opposé les milices de droite aux forces de gauche entre 1945 et 1949 [faisant plus de cent cinquante mille morts]. Ils se sentaient clairement en guerre contre toutce qui ressemble à la gauche progressiste (2). » Une enquête interne a été lancée par le ministère de l’intérieur.« Cela rappelle la stratégie de la tension dans l’Italie des années 1970, estime le journaliste Kostas Vaxevanis. La police laisse faire, voire encourage les troubles créés par les néonazis pour justifier le maintien d’un pouvoir fort et la répression farouche de toute contestation. » Le limogeage de plusieurs hauts responsables de la police pour leurs liens supposés avec l’organisation néonazie a confirmé le noyautage par l’extrême droite d’une partie de l’appareil de sécurité : M. Dimos Kouzilos, ancien responsable des écoutes téléphoniques au sein des services secrets grecs, a ainsi dû démissionner, tandis que M.Athanasios Skaras, le commissaire du quartier d’Agios Panteleimonas à Athènes (fief d’Aube dorée), a été brièvement incarcéré en octobre 2013. « Le parakratos repose encore sur trois piliers : la police, la justice et l’armée », nous explique Dimitris Psarras, du quotidien Le Journal des rédacteurs. Toutes trois ont été largement épargnées par les politiques d’austérité, qui ont pourtant amputé le pouvoir d’achat des fonctionnaires de moitié. Le 23 juin 2014, le Conseil d’Etat a jugé inconstitutionnelle la baisse des salaires dans ces trois secteurs.En novembre 2011, M. Papandréou, alors premier ministre, a même été inquiété par des risques de coup d’Etat militaire. En plein sommet européen de Cannes, il annonça la tenue d’un référendum sur les nouvelles mesures d’austérité imposées par l’Union européenne. Tel un élève turbulent, le chef du gouvernement grec fut convoqué par la chancelière allemande Angela Merkel et par le président français Nicolas Sarkozy. Pour justifier son référendum, M. Papandréou évoqua le risque d’un coup d’Etat (3). Mais cette menace ne fut pas prise au sérieux. Les pressions allemandes et françaises l’obligèrent à renoncer à son projet de consultation populaire, et il fut contraint de démissionner un mois plus tard.

Syriza bénéficie même de soutiens chez les patrons

« L’immense majorité des fonctionnaires grecs demeure loyale », insiste néanmoins M. Grigoris Kalomiris, du syndicat des fonctionnaires (Adedy). Sans appeler à voter formellement pour Syriza, son organisation « soutient tout parti qui reviendra sur la politique d’austérité dramatique mise en œuvre depuis cinq ans ». « Il faut distinguer les secteurs relevant de la sécurité et de la répression des autres fonctionnaires. La décision constitutionnelle concernant l’annulation des baisses de salaire dans la justice, la police et l’armée prouve bien que ce sont des secteurs à part », juge le syndicaliste. Les autres catégories de fonctionnaires n’ont aucuneraison d’avoir un a priori contre la gauche radicale : « Nous sommes parmi les premières victimes de l’austérité,rappelle Kalomiris. Le nombre de fonctionnaires a diminué d’un tiers, passant de neuf cent mille à six cent mille environ. Le salaire moyen est de 800 euros. Les salaires ont baissé de 30 % et le pouvoir d’achat de 50 %si l’on prend en compte les hausses d’impôts. »Syriza semble donc bénéficier d’un soutien important au sein de la fonction publique. Pour des raisons également historiques. « Dès l’arrivée du Pasok [parti socialiste grec] au pouvoir en 1981, Andreas Papandréou, le premier ministre d’alors, a voulu “épurer” la fonction publique des éléments souvent compromis dans la dictature des colonels, avance Psarras. Il a fait embaucher à tour de bras des proches de son parti. Cela a duré jusqu’au début des années 2000. Au point que beaucoup de fonctionnaires sont d’anciens socialistes, déçus par la dérive droitière du Pasok et aujourd’hui farouchement pro-Syriza. »La coalition bénéficie d’autres appuis plus étonnants dans la société grecque. Ainsi, une fraction du patronat ne verrait pas d’un mauvais œil l’arrivée au pouvoir d’une gauche radicale mais pragmatique. « L’austérité voulue par la troïka est un échec, admet, sous couvert d’anonymat, un chef d’entreprise du secteur des transports. La dette n’a cessé d’augmenter et la croissance a été cassée, les PME font faillite les unes après les autres. Après la cure d’austérité, une cure de relance de l’économie ne pourrait pas nous faire de mal. » Il reste impossible d’exprimer une telle analyse en public pour un patronat grec majoritairement hostile aux « rouges ». Mais le discours anticorruption de Syriza, loin des dérives clientélistes qui ont fait tant de mal au pays, trouve des partisans dans toutes les classes sociales.

Thierry Vincent, Journaliste et réalisateur.

(1) Aucun des trois tours de celle-ci (17, 23 et 29 décembre 2014) n’ayant permis la désignation d’un président, des élections législatives anticipées ont été convoquées pour le 25 janvier 2015. (2) « Grèce   : vers la guerre civile   ? », « Spécial investigation », Canal Plus, 1er septembre 2013.(3) Libération, Paris, 5 novembre 2011.

Source : Le Monde Diplomatique

  1. « ECB cancels soft treatment of Greek debt in warning to Athens », Reuters, 4 février 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/syriza-cernee-par-frederic-lordon/


Charlie : Les chiens de garde contre Tariq Ramandan

Sunday 8 February 2015 at 03:56

“Débat sur l’islam et l’actualité le 15/01/2015. Tariq Ramadan face à Arlette Chabot, Michèle Cotta et Olivier Duhamel dans “Le Club de la Presse”"

Je vous le mets, pas tant pour les propos de Ramadan, mais plutôt, en termes d’éducation aux médias, pour l’attitude des “journalistes”. Leur discours “Vous allez partout dans les médias pour porter un message équilibré, mais ne seriez-vous pas en fait un dangereux islamiste” est assez énorme. Tout aussi énorme que la pathétique différence intellectuelle entre ce penseur (qu’on peut évidemment critiquer à loisir, je ne m’intéresse pas du tout au fond de sa vision ici) et l’équipe de nains qui l’interrogent, et qui sont, je le rappelle, “l’élite journalistique” de la France dans les années 2015…

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P.S. je vous mets aussi son débat face à Caroline Fourest :

La version intégrale :

Source: http://www.les-crises.fr/les-chiens-de-garde-contre-tariq-ramandan/


Pendant ce temps-là à Uglegorsk… (Point Ukraine, Edité)

Sunday 8 February 2015 at 01:30

Pendant que la propagande pro-guerre bat ici son plein, voici ce qui se passe à Uglegorsk…

Ah, vous ne savez pas ou c’est ? Ici, dans l’Est de l’Ukraine, entre Donetsk et Lougansk :

Enfin, avec la guerre, la citoyen est celle-ci :

Les troupes de Novorossia ont fermé le gros chaudron saillant bleu (ne me demandez pas comment l’armée ukrainienne peut être assez stupide pour se faire prendre dans ce piège grossier, je ne sais pas…) : :

Voici donc les affreuuuuuuux “pro-russes”, résidents d’Uglegorsk, évacués par la milice de la ville détruite par les Grads (artillerie militaire) de l’armée ukrainienne (que nos “zélites” proposent donc d’armer encore plus…)

Stakhanov. 06/02/2015 :

IMAGES TRES DURES : Komsomolets 6/2 :

Fascinant quand même de voir des vidéos hallucinantes qui sont volontairement non montrées dans nos médias, non ?

Un GRAD (lance-roquettes) :

P.S. bien entendu, en temps de guerre, on gardera son esprit critique sur tout témoignage non prouvé…

P.P.S : complément :

Drôlement heureux les 3 dans un pays en guerre…

Ah, moins sympa tout de suite…

Rien de bien nouveau, on sait bien que des centaines de soldats russes ont traversé pour aider volontairement les russophones. Surement avec l’approbation du Kremlin, mais ce n’est à ce stade “l’armée russe”…

Incroyable quand même cette narrative, qui arrive à sortir de notre tête qu’il y a 25 ans, ces 2 pays n’en faisaient qu’un seul, avec les conséquences qu’on imagine sur le sentiment d’appartenance… Ces soldats russes par exemple, ne seraient-ils pas nés dans le Donbass par exemple ? (Si la Bretagne quitte la France et qu’il y a une guerre là-bas, il y aura surement des soldats “français” volontaires pour aller combattre là bas !)

S’il a des preuves de la présence de chars de l’armée russe, là, je serais preneur…

Ah, pas la peine LePoint.fr SAIT :

9000 soldats de l’arme régulière russe – bah, l’Ukraine et l’OTAN le disent, c’est donc que c’est vrai…

Et il a des preuves tangibles le “sous-maître de la Maison Blanche” ? (mais comment diable des journalistes peuvent-il employer de telles expressions ?)

“Si nous ne parvenons pas à trouver un accord durable de paix, nous connaissons parfaitement le scénario : il a un nom, il s’appelle la guerre“, a martelé le président Hollande de retour en France.

Quel beau succès d’avoir écouté BHL et de s’être occupé de l’Ukraine alors qu’elle avait un président démocratiquement élu, bravo les gars…!

Dimanche, on verra si on peut aller vers une conclusion. Si ce n’est pas conclu demain, on poursuivra les discussions autant de temps que nécessaire mais on n’a pas beaucoup de temps”, a-t-on ajouté.

Ah bon, pourquoi ? On pourrait nous expliquer l’urgence de la guerre svp ?

Le succès de l’initiative franco-allemande pour ramener la paix se décidera “dans les deux ou trois prochains jours”, a estimé dans un entretien télévisé le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.

Tiens, sien passant non, on va bientôt regretter Sarko :

L’ancien président français Nicolas Sarkozy, désormais chef de l’opposition de droite à son successeur François Hollande, a estimé samedi qu’on ne pouvait “pas reprocher à la Crimée” d’avoir “choisi la Russie” et a mis en garde contre une nouvelle “guerre froide” avec Moscou.

“La séparation entre l’Europe et la Russie est un drame. Que les Américains la souhaitent, c’est leur droit et c’est leur problème. Nous avons une civilisation en commun avec la Russie. Les intérêts des Américains avec les Russes, ce ne sont pas les intérêts de l’Europe avec la Russie”, a affirmé l’ex-chef de l’Etat lors d’une réunion à Paris des dirigeants du parti de droite UMP qu’il dirige, . “Nous ne voulons pas de la résurgence d’une guerre froide entre l’Europe et la Russie”, a-t-il martelé en évoquant les tensions entre Moscou et les Occidentaux nées du conflit dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée par Moscou en mars 2014 après un référendum de la population locale.

“La Crimée a choisi la Russie, on ne peut pas le lui reprocher”, a ajouté M. Sarkozy, estimant par ailleurs qu’”il faut trouver les moyens d’une force d’interposition pour protéger les Russophones d’Ukraine”. “L’Ukraine doit garder sa vocation de pont entre l’Europe et la Russie. Elle n’a pas vocation à entrer dans l’Union européenne”, a-t-il ajouté. (Source AFP)

À suivre…

 

Source: http://www.les-crises.fr/pendant-ce-temps-la-a-uglegorsk/


Yves Trotignon : « Une solution contre le jihadisme ? On n’y arrive pas »

Sunday 8 February 2015 at 00:45

 

Spécialiste de l’antiterrorisme, Yves Trotignon (*) redoute une « escalade du pire » et estime que les événements de ces trois derniers jours signent l’échec de 25 ans de lutte contre le jihadisme. Il est le premier invité de notre nouveau rendez-vous, l’entretien du samedi.

Jamais en France les forces de l’ordre n’avaient dû faire face au scénario d’hier : deux prises d’otages simultanées. Est-ce le scénario du pire ?

Les tueurs de Charlie Hebdo visaient évidemment l’état-major du journal. Derrière, mais en avaient-ils réellement conscience, ils se sont en réalité attaqués à ce qui fait de nous des Français, irrévérencieux, arrogants, ricaneurs, amoureux de la vie et des bons mots. Je ne suis pas sûr non plus qu’ils avaient conscience des débats politiques que cela allait entraîner et de la mobilisation de la population. Cet attentat va beaucoup plus loin que les tueries de Merah ou de Nemmouche. C’est le plus meurtrier en France depuis des décennies et le plus sanglant attentat jihadiste commis en Europe depuis ceux de Londres, au mois de juillet 2005 (57 morts). On ne peut cependant pas le comparer avec les attentats du 11 septembre 2001 comme je l’ai entendu. Non. Ce matin, avant la prise d’otages, je vous disais que ce n’était pas non plus l’attentat majeur que redoutent les services. Je disais que la limite haute allait encore au-delà. Hier midi, on a franchi un cran supplémentaire. Mais le pire va encore au-delà. C’est horrible de penser qu’il peut y avoir plus horrible. Mais c’est le cas. C’est cela le jihadisme, une adaptation opérationnelle perpétuelle afin d’obtenir des effets politiques majeurs.

Tout cela est nouveau ?

La nouveauté, c’est que ça se passe en France. La seule rupture, c’est celle de la défense anti-terroriste. Ça y est, ils sont passés. Ils ont brisé la cuirasse. On le redoutait. Jusqu’à présent, les services avaient contenu les terroristes. Nous n’avons eu aucun mort en France entre 1996 et 2012. Les services craignaient deux types d’action : des attentats simultanés de grande ampleur, comme ceux de Bombay par exemple, ou alors un individu isolé qui tire dans la foule.

Comment les suspects, vu leur profil et leurs antécédents, ont-ils pu passer au travers des mailles du filet ?

On n’en sait rien ! C’est pour cela qu’il aurait pu être intéressant de les capturer. Mais la vie des otages est toujours la priorité absolue et la décision prise a évidemment été la bonne. La question centrale, c’est : qu’est-ce qu’ils ont fait que nos services n’ont pas vu ? Ou qu’est ce que nos services n’ont pas fait ? Étaient-ils si bons ? Ont-ils été aidés ? À partir du moment où un attentat survient, c’est qu’il y a quelque chose qui a raté. Peut-être les deux frères étaient-ils suivis mais qu’ils n’ont rien laissé transparaître, qu’aucun de leurs messages n’était inquiétant et qu’au dernier moment, ils ont échappé au dispositif, avec ou sans l’aide d’un réseau. Cela s’est déjà vu. Après, il s’agit rarement d’un échec massif, mais d’une succession de petites erreurs. Mais spéculer n’a jamais fait avancer. Attendons d’en savoir plus.

Cela peut-il être dû à un manque de moyens ?

Le patron de la DGSI le disait encore il y a quelques mois : ils sont débordés. Il y a trop de cibles et trop de personnes à surveiller. Les Britanniques ne disent pas autre chose et ils redoutent bien pire que les trois horribles jours que nous venons de vivre. La question des moyens ne doit pas cacher une réflexion, qu’il faut mener calmement, sur ce qu’on attend des services, sur ce que nous sommes prêts à tolérer en termes de pression judiciaire et de menaces terroristes. Peut-être faudra-t-il admettre que l’invulnérabilité n’est pas de ce monde.

Y a-t-il beaucoup d’autres Kouachi à redouter en France ?

J’en ai peur. Il y a plusieurs dizaines d’individus extrêmement dangereux en France. Ils sont surveillés mais aucun système n’est infaillible malgré l’engagement de tous les services. Que nous enseignent ces événements ? C’est une tragique illustration de l’échec de la lutte contre le jihadisme. Cela fait 25 ans qu’on le combat et nous n’avons toujours aucune solution, qu’elle soit judiciaire, politique, militaire ou sociale. Le contexte international a changé et on n’y arrive pas. On n’arrive même pas à se mettre d’accord sur les causes. Il y a pourtant des traits communs.

Quels traits communs ?

À l’origine, il y a un projet religieux né en Égypte dans les années 20 : le seul pouvoir souverain est celui de Dieu, pas celui du peuple. Il n’y a pas de démocratie possible. Il y a aussi des revendications sociétales : l’État n’est pas satisfaisant. Il est violent, corrompu, injuste… Et ce ressentiment est nourri par de nombreuses interactions : guerres en Irak, au Mali, en Syrie… La violence révolutionnaire n’est plus aujourd’hui marxiste ou réactionnaire mais islamiste. Pour la France, l’injustice ressentie est économique mais pas seulement. Il y a beaucoup de « petits bourgeois » ou de gens qui ont un travail. Cela va plus loin. On entend des discours qui étaient ceux des années 1970, à base de tiers-mondisme, de volonté d’indépendance… Il y a une volonté de ne plus entendre la seule voix de l’Occident.

Il y a donc un vrai message de fond ?

Oui. Dire que les jihadistes sont des fous est faux et réducteur. Cela empêche aussi de se poser les bonnes questions, d’étudier les motivations, les raisonnements, leurs constats. Comment peut-on espérer vaincre une idéologie que l’on ne comprend pas ? Comment bâtir un contre-discours, des argumentaires, envisager le point de vue de l’adversaire en partant du principe que des dizaines de milliers de guérilleros, du Sahel aux Philippines, relèvent simplement de la psychiatrie ? Cela évite encore de nous mettre face à nos contradictions, que pointent les terroristes qui nous accusent perpétuellement de pratiquer le « double standard », de défendre la démocratie mais de tolérer des alliances avec des régimes parfois très autoritaires ?

La Syrie, où une armée de dizaines de milliers de jihadistes s’est levée, avec des moyens militaires et financiers sans précédents, est le coeur du problème aujourd’hui ?

Les frères Kouachi n’en revenaient pas, jusqu’à preuve du contraire ! Il faut arrêter de parler avec ses tripes ! Intervenir en Syrie, aujourd’hui, ce serait contre-productif. Et nous n’en n’avons tout simplement pas les moyens. On ne s’en sort pas au Mali, alors en Syrie… * Analyste senior chez Risk & Co, Yves Trotignon était précédemment analyste à la DGSE, le service de renseignement extérieur français.

Source : Le Télégramme -

Source: http://www.les-crises.fr/yves-trotignon-une-solution-contre-le-jihadisme-on-ny-arrive-pas/


Revue de presse internationale du 08/02/2015

Sunday 8 February 2015 at 00:21

Une petite revue de presse internationale cette semaine. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-08-022015/