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Jérémie Zimmermann : audition “Internet et terrorisme djihadiste” au Sénat

Saturday 31 January 2015 at 03:30

Table ronde “Internet et terrorisme djihadiste” le 28/01

Intervention de Jérémie Zimmermann, le cofondateur et l’ex-porte-parole de La Quadrature du Net, une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Vous apprécierez la vision de M. J.P. Sueur, ancien ministre PS, sur le rôle du Conseil Constitutionnel…

Source: http://www.les-crises.fr/zimmermann-audition-internet-et-terrorisme-djihadiste/


[Reprise] Moi, je ne suis pas Charlie ! Je suis Claude !, par P. Piccinin

Saturday 31 January 2015 at 01:42

Édito du Courrier du Maghreb et de l’Orient de ce mois de janvier.

Rappel : Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

“J’aurais bien voulu être Charlie, mais je dois être Claude.

Claude, c’est un jeune professeur de philosophie politique, qui enseigne dans une école supérieure de la région parisienne.

C’est un fidèle lecteur du Courrier du Maghreb et de l’Orient ; et il suit régulièrement mes coups de gueule sur Facebook…

Claude, il y a quelques jours, a découvert, dans son fil d’actualité, le petit placard que j’avais posté sur ma page, la veille, très tard ; je l’avais moi-même emprunté à un ami algérien, qui vit à Toulouse.

Ce qui m’avait décidé ?

En visant les dernières infos du jour, tandis que je zappais, j’étais tombé sur cette scène : une meute de bienpensants, à New York, qui ânonnaient benoîtement « Je suis Charlie », avec un accent américain abominable…

Probablement ces Charlies états-uniens n’avaient-ils jamais ouvert une seule fois dans leur vie un exemplaire de l’hebdomadaire français, ni jamais vu aucune des caricatures de Cabu, Charb ou Wolinski ; s’il faut en croire l’éditorialiste James Brooks, en tout cas, qui affirmait, dans un article paru dans The New York Times (« I’m NOT Charlie Hebdo »): « S’ils avaient essayé de publier leur journal satirique sur n’importe quel campus universitaire aux États-Unis, durant ces deux dernières décennies, ils n’auraient pas tenu 30 secondes. Les étudiants et les cercles facultaires les auraient accusés d’attiser la haine. L’administration leur aurait coupé toute subvention et leur aurait fait fermer boutique. »

C’en était pathétique ; de ce pathos écœurant que peut exhaler un mouvement de foule idiot, imbécile, une réaction épidermique, où tout le monde fait tout comme tout le monde, sans rien vraiment comprendre aux enjeux, mais pour ne pas être en reste, pour ne pas prendre le risque de se tromper tout seul… Par peur, de se tromper tout seul…

Mais aussi parce que c’est tellement agréable de se sentir solidaire…

Surtout quand ça n’engage à rien !

Claude a imprimé le placard et l’a affiché au tableau noir de sa salle de cours.

Au soir de cette journée-là, Claude m’écrit…

Dans l’après-midi, une petite troupe aux babines haineuses s’est présentée à sa porte. Des étudiants, plusieurs de ses collègues, quelques parents d’élèves…

Ils voulaient le lui faire enlever, son placard.

Claude s’y est opposé.

Devant son refus, la troupe a assailli le rectorat de coups de téléphone et la porte de son directeur de coups de poings.

« Indigné », son directeur s’est joint à la petite foule hystérique. Il a ordonné à Claude d’enlever le placard de dessus son tableau.

Une nouvelle fois, Claude s’y est opposé.

« Déchirez ce torchon ! », s’est alors exclamé un des quidams. « Il faut défendre Charlie ! », a-t-il vociféré de plus belle. « Il faut défendre ‘la liberté d’expression’ ! » (sic)

La troupe, alors, a envahi la salle ; Claude, qui a tenté de résister, a été violemment bousculé, poussé à terre.

Et les fiers et courageux défenseurs de la liberté d’expression ont arraché le placard qu’il avait affiché dessus son tableau noir.

Tous ont applaudi.

Eux tous, qui, très certainement, jamais, dans l’entièreté de leur existence, d’aucune façon, ne se sont mis à un seul moment en danger pour défendre quelque forme de liberté.

Claude voulait poser une question, à propos d’un phénomène.

Peut-être voulait-il aussi remémorer à ses étudiants les vastes tragédies de l’Orient, plus ou moins oubliées dans les méandres d’un inconscient collectif.

Il n’en a pas eu le droit.

Depuis cet événement, Claude est sous le coup d’une procédure disciplinaire.

Peut-être devra-t-il définitivement quitter sa salle de cours et son tableau noir.

Alors, non ! Décidément, non ! Et, après ça, moins que jamais ! Je ne suis pas Charlie !

Parce que je ne saurais m’associer à ces gens-là !

Parce que, si Claude a pleuré le jour où il a appris l’assassinat des journalistes de la rédaction de Charlie Hebdo, ces « Charlies » qui l’ont frappé, « bunkérisés » dans leurs certitudes, dans leurs convictions bornées, eux, ils n’ont jamais levé le petit doigt pour la Syrie, la Palestine et l’Afrique.

Parce que tous les Charlies du Monde qui se sont subitement sentis investis de la mission de défendre « la liberté d’expression » en frappant Claude pour lui clouer le bec, je ne les ai pas vus… Je ne les vois jamais, eux… Lorsque je manifeste pour que l’on apporte de l’aide aux centaines de milliers de réfugiés Syriens… Lorsque je manifeste pour que cesse les carnages à répétitions qu’Israël perpètre à Gaza… Lorsque je manifeste pour que les multinationales arrêtent d’affamer l’Afrique… Les Charlies subitement apparus un peu partout n’ont jamais été ni la Syrie, ni Gaza, ni la Côte d’Ivoire.

Parce que, comme les milliers de familles arabo-musulmanes qui vivent dans les villes d’Occident, je pense à mes proches, à chaque heure, à ceux-là, qui meurent quotidiennement plus nombreux dans les guerres du Moyen-Orient ; parce que je comprends mal pourquoi les Charlies ne se mobilisent pas pour eux.

Parce que je refuse de participer à cette névrose collective, ce qui ne m’empêche pas d’exprimer ma tristesse devant la souffrance et l’horreur des attentats de Paris, même si Charlie Hebdo n’était plus, depuis longtemps, le champion de l’esprit critique et de la vérité à tout prix qu’il a été jadis et si cette rédaction avait passé pas mal de petits compromis avec le politiquement très correct, depuis que Philippe Val y a remis de l’ordre, un ordre très favorable à Israël dont Charlie Hebdo avait pris le parti en 2006, et depuis que le comité s’était élargi à des personnalités de l’acabit de Caroline Fourest, pseudo-intellectuelle chantre de l’islamophobie…

Parce que je refuse de m’associer à ce qui s’est rapidement mué en une scandaleuse pleurnicherie réservée aux membres du grand club occidentalo-occidental, alors que, depuis des années, tous ces gens se fichent éperdument de tragédies autrement plus effroyables qui, de l’autre côté du grand lac Méditerranée, plongent dans l’horreur des centaines de milliers de familles.

Parce que je ne peux pas être Charlie avec tous ces inconscients qui ne savent pas la réelle valeur de « la liberté d’expression », quatre mots dont ils ignorent tout des réalités intrinsèques.

Parce que je suis effrayé par leur sectarisme hypocrite, par ce communautarisme de proximité qui frise le racisme le plus débridé, jamais avoué, ni assumé dès lors.

Parce que je ne peux pas être à la fois la Palestine, la Syrie et l’Afrique… et Charlie. Pas ce Charlie-là, en tout cas ; pas cette indécence qui, je crois, n’aurait peut-être pas vraiment plu à l’un ou l’autre des douze défunts… Qui les aurait embarrassés, gênés.

Parce qu’on n’est pas obligé d’avoir les mêmes sentiments que tout le monde. Parce qu’on ne devrait pas avoir à s’inquiéter si, avec la raison et l’esprit, on n’exprime pas les mêmes émotions viscérales que tous ceux-là qui s’empressent d’hurler le même slogan.

Parce que je n’ai jamais eu la mémoire courte et parce que je me souviens que ceux-là mêmes qui braillent à présent sur toutes les chaînes de télévisions et de radios contre une atteinte à « la liberté d’expression », politiciens, journalistes et simples quidams, il y a quelques mois, en meutes, l’écume aux lèvres, muselaient sans vergogne et avec une arrogance féroce la voix dissidente d’un autre humoriste par trop dérangeant… La liberté d’expression à géométrie variable…

Parce que je m’opposerai toujours à ces policiers de la pensée.

Parce que je n’ai pas besoin de me donner l’impression d’exister, à travers un quelconque « Je suis Charlie ». Même s’il est éminemment politiquement incorrect de l’écrire, c’est effectivement bien de cela qu’il s’est agit, dans le cas de beaucoup des badauds qui se sont rassemblés sous cette épithète, de ces derniers jours…

Mais ce phénomène de masse a surtout eu l’effet pervers d’étourdir les analystes et de les détourner des réels enjeux des trois attaques qui ont frappé la capitale de la France.

Dès les premières heures (et trop souvent à ce stade encore), en effet, toute la communication autour des ces attaques a été axée sur l’idée d’une cible unique et d’une atteinte à la liberté d’expression. Aucun des médias mainstream occidentaux n’a même évoqué la revendication de l’attentat, que l’État islamique, le jour même, se glorifiait d’avoir commandité, information pourtant publiée par plusieurs quotidiens algériens et reprise ensuite dans la presse arabophone.

Ainsi, c’est seulement après la troisième attaque que certains des commentateurs de presse ont commencé à reprendre leurs esprits et, en un habile glissement, à peine perceptible par le grand public, à recentrer leur propos sur l’implication de l’État islamique. Très peu, encore, ont fait le rapprochement avec l’attaque djihadiste qui avait eu lieu quelques mois plus tôt, au Musée juif de Bruxelles, une attaque elle aussi liée à la dimension tentaculaire de l’État islamique.

Les deux attaques, qui, à Paris, ont suivi celle du siège de Charlie Hebdo, confirment la thèse selon laquelle les caricatures de Mahomet n’étaient pas la motivation unique des djihadistes. Charlie Hebdo était une cible parmi d’autres, dans un contexte de guerre, celui du conflit désormais internationalisé qui oppose l’Occident et ses alliés arabes à l’État islamique qui a fait tache d’huile en Syrie et en Irak, un conflit dont la France est partie prenante.

Dès les premiers instants, il était assez évident que ces attaques frontales, comme à Bruxelles, relevaient d’une forme d’action et d’un modus operandi signés de l’État islamique.

Or, c’est précisément dans le cadre de ce conflit qu’il fallait d’emblée inscrire ces événements et à la lumière de ces circonstances qu’il fallait les interpréter : ce n’est pas une question de liberté de presse (ou d’expression; ce qui n’est pas la même chose…) ; c’est une guerre sainte. Ce sont les guerres que l’Occident mène en Orient, qui débordent et inondent aujourd’hui les rues des métropoles européennes. C’est une croisade inversée… mais pas une guerre de civilisation…

Mon éditorial, en ce mois de janvier, devait porter sur la nouvelle politique sociétale et médiatique qui se redessine tout en subtilité dans le Golfe persique, dont les vieilles monarchies, vacillantes, tentent de faire peau neuve et de trouver un second souffle. Il aura été quelque peu bousculé par l’actualité, tout comme Claude.

Notre rédaction a en effet reçu beaucoup de réactions. Des réactions de nos lecteurs en Europe, mais aussi en Afrique et au Moyen-Orient. Et nous ne pouvions faire l’impasse sur cet événement ou, plus exactement, sur les conséquences qui s’en sont déjà faites sentir.

Mais notre revue n’y a en rien perdu. Au contraire, elle a pleinement joué son rôle, celui auquel doit s’astreindre tout organe de presse honnête et sincère ; elle a accompli sa mission, de se battre pour la vérité, pour la justice et, à l’encontre de ceux-là mêmes qui censurent au nom de principes qu’ils foulent au pied, pour la liberté d’expression. Pas seulement celle de quelques-uns. Pas seulement celle d’une majorité. Mais celle de tous. De l’Occident à l’Orient.

Source : P. Piccinin, historien et politologue pour le Courrier du Maghreb et de l’Orient

Source: http://www.les-crises.fr/moi-je-ne-suis-pas-charlie-je-suis-claude/


En Israël, Charlie Hebdo n’aurait même pas eu le droit d’exister…, par Ido Amin

Saturday 31 January 2015 at 01:40

En France, la liberté d’expression est considérée comme un droit universel, une loi israélienne interdit “d’offenser les sensibilités religieuses”.

Par Ido Amin, HAARETZ

Georges Wolinski, le caricaturiste de premier plan de Charlie Hebdo, était parmi les victimes assassinées dans l’attaque terroriste à Paris la semaine dernière. Il était un de mes héros culturels lorsque j’ai débuté.

Ni superman, ni Charlie Brown, ni Astérix ou “Les Aventures de Tintin” ne m’ont parlé de la façon dont les croquis en noir et blanc de Wolinski l’ont fait, avec ses visages tordus et exagérés, révélant ouvertement leurs sombres envies. Ce juif mi-polonais mi-tunisien possédait un esprit d’anarchiste qui n’épargnait aucune vache sacrée.

Chaque communauté a été insultée par son crayon. Sa position à l’égard de ses lecteurs était la suivante : Cela vous gêne? Alors ne lisez pas ! Et si vous voulez me ridiculiser en retour, je ne vous ferai pas de procès.

Après le terrible massacre à Charlie Hebdo et les meurtres qui suivirent dans le supermarché juif, des personnes se sont inquiétées du sort des juifs de France. Ne voient-ils pas qu’il est temps de déménager en Israël, comme le leur a dit le Premier ministre Benjamin Netanyahou, après le meurtre de l’école de Toulouse ?

Et le plus tôt sera le mieux ! Mais si Wolinski était allé en Israël pour y ouvrir un Charlie Hebdo, il aurait eu des ennuis.

En France, la liberté d’expression est considérée comme un droit universel tandis qu’en Israël un tel hebdomadaire ne pourrait pas exister, à cause des lois qui interdisent “l’offense aux sensibilités religieuses”. Durant mes années de dessinateur j’ai dû me familiariser avec les lois restreignant la presse israélienne.

Mais notons bien que la loi contre les offenses des sensibilités religieuses n’est pas une loi contre le racisme, l’obscénité ou la diffamation (il y a d’autres lois pour ça). C’est une loi spécifique très draconienne, une vrai loi anti-Wolinski. La loi interdit toute illustration de Moïse, Jésus ou Mahomet d’une manière qui heurterait la sensibilité des croyants.

Au tout début je ne connaissais pas l’existence d’une telle loi en Israël. Un jour, jeune illustrateur affamé durant un hiver parisien, j’ai abordé Wolinski avec une proposition pour une BD dans Charlie. Il voulait quelque chose concernant le Moyen-Orient, la région autour d’Israël et les pays arabes, j’ai alors suggéré une prise d’otages dans laquelle des terroristes palestiniens s’emparent d’un kibboutz. L’incident tourne en orgie avec les femmes du kibboutz qui sont volontaires ; des religieux extrémistes se joignent aussi à eux.

Il était enthousiasmé par cette idée. Lorsque je suis retourné en Israël, je n’ai montré le dessin à personne car il n’y avait personne à qui le montrer mais je ne pensais pas qu’il était interdit.

Je n’ai découvert cette loi que des années plus tard, lorsqu’une de mes caricatures, parue dans un journal renommé, qui critiquait la cruauté de la coutume du Kaparto – tradition qui consiste à balancer un poulet par-dessus la tête de quelqu’un pour expier ses péchés avant Yom Kippour – déclencha un débat à la Knesset [NdT : le Parlement d'Israël]. (Et il n’y avait même pas de nichons dans le dessin !)

De la tribune, le ministre de la police a comparé mon travail aux caricatures du journal nazi Der Stürmer, et sur les instructions du ministre, mon rédacteur en chef et moi-même avons été convoqués pour répondre à quelques questions. Peu de temps après j’ai été renvoyé.

Depuis que j’ai eu connaissance de cette loi, j’ai remarqué des décisions de justice basées sur elle. En 1997, Tatiana Soskine a été condamnée à une peine de prison pour avoir dessiné son fameux “Poster au Cochon” [NdT : qui représentait le prophète Mahomet sous la forme d'un cochon en train d'écrire le Coran] à Hébron. En 2006, une campagne publicitaire pour le parti Shinui a été interdite pour offense aux sensibilités religieuses.

“On ne trouve des lois contre le mauvais goût qu’en Israël” m’a dit un jour un avocat américain. Cela lui semblait étrange car la liberté de la presse est inscrite dans la Constitution de son pays. Pour les français, cela semble aussi étrange car les lois qui limitent la liberté d’expression ont été retirées des textes à la fin du XVIIIème siècle.

En Israël, comme nous le savons, il n’y a pas de Constitution qui protège la liberté d’expression. Les partis religieux se sont opposés à ce genre de Constitution en 1948. En revanche la loi israélienne contre l’offense aux sensibilités religieuses est un héritage du mandat britannique. Elle fut importée par les colonisateurs britanniques depuis une autre colonie – l’Inde – en 1936 pour éviter que ne se reproduisent des émeutes violentes, religieuses et raciales comme celles de 1929.

Les émeutes de 1929 étaient-elles un événement unique ? Serait-il donc possible d’abolir les lois d’exception ? S’il y a eu un américain, un français ou un britannique pour penser ainsi, alors la réalité l’a giflé au visage lorsqu’un autre massacre a eu lieu dans la même ville, Hébron, en 1994.

Les britanniques avaient-ils donc raison en matière de législation ? Lorsque des groupes différents vivent côte-à-côte dans une petite zone, devrait-on censurer l’expression ? Le respect de nos voisins doit-il être plus sacré que la liberté d’expression ?

Et qu’en est-il de notre métier d’illustrateur ? Pour être honnête, il y a bien longtemps que j’ai arrêté de vivre de mon travail dans les médias papier. Vous ne le saviez pas ? Les médias papier sont morts depuis longtemps.

Ido Amin est illustrateur et animateur.

Source : Haaretz, le 12/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/en-israel-charlie-hebdo-naurait-meme-pas-eu-le-droit-dexister-par-ido-amin/


La victoire idéologique de Charlie Hebdo, par Olivier Cyran [2011]

Saturday 31 January 2015 at 00:48

Tribune de 2011 d’Olivier Cyran, ancien journaliste de Charlie Hebdo

La question musulmane, de Guéant au NPA

En ces temps de crise, de désarroi et de division, il est bon que la France se rassemble autour d’une grande cause nationale, qui est aussi un enjeu de civilisation : le droit de dégueuler sur les musulmans.

Quatre jours avant la parution en kiosque du Charlie Hebdo spécial rire anti-musulmans, dont la Une affublée d’un bandeau « Charia Hebdo » et d’une représentation du prophète en clown fouettard promettait de requinquer un peu les ventes moribondes du journal, on avait déjà compris que l’affaire était pliée. Dauber le musulman n’est plus seulement une bonne affaire commerciale, l’équivalent spirituel de la femme à poil en page 3 du Daily Mirror, c’est maintenant un gage d’appartenance à la gauche, et même à la gauche de gauche.

Ce samedi soir-là, en effet, Laurent Ruquier recevait dans son bocal à rires de France 2 le bizut aux élections présidentielles du NPA, Philippe Poutou. Éprouvante séquence, durant laquelle le successeur d’Olivier Besancenot, jeté dans l’arène télévisuelle comme une crêpe dans la poêle, fut sommé de s’expliquer sur l’affaire qui scandalise tout le monde civilisé : la candidature dans le Vaucluse aux dernières élections régionales d’une jeune femme voilée militante du NPA.

Tour à tour, l’animateur hennissant, ses deux chroniqueuses et son philosophe de compagnie, Michel Onfray, mirent Poutou en demeure de renier sa camarade et d’abjurer toute « complaisance » envers le bout de tissu infâme, symbole de la barbarie-qui-sape-nos-valeurs-laïques. Poutou n’a pas quitté le plateau en se retenant d’assommer ses tourmenteurs. Il ne leur a pas conseillé de se mêler de ce qui les regarde, ou de réexaminer leur propre coiffure, pourtant d’allure peu ragoûtante dans le cas d’Onfray (une hyperhidrose du cuir chevelu, peut-être ?).

Le porte-parole « communiste et révolutionnaire » a préféré reluquer ses godasses, s’enfoncer la tête dans les épaules et bredouiller que non, bien sûr, il n’avait « pas été d’accord » avec cette candidature, qu’il avait lu« les livres de Chahdortt Djavann » et qu’au sujet du voile « un vrai débat toujours pas fini » déchirait la formation qu’il représentait.

Sous nos yeux se concrétisait une capitulation historique : la gauche, dans sa déclinaison la plus « radicale » sur le nuancier électoral, se rendait avec armes et bagages à un camp hier encore identifié à l’extrême droite. À la figure de l’Arabe mettant en péril l’identité française s’était substituée celle du musulman qui menace la république, et il a suffi de ce simple coup de bonneteau pour que le vilain raciste d’autrefois se métamorphose en bel esprit voltairien, devant lequel toutes les composantes de la gauche élective doivent à présent se prosterner sous peine d’excommunication médiatique.

Il faut se rendre à l’évidence : idéologiquement, les boute-en-train de Charlie Hebdo ont gagné la partie. Dix ans de vannes obsessives et de piailleries haineuses sur l’islam, consacrées par les « caricatures danoises » et une voluptueuse montée des marches au festival de Cannes aux côtés de BHL, ont diffusé leur petit venin dans les crânes les plus finement lettrés. En juin 2008, les lecteurs de Charlie Hebdo n’avaient déjà rien trouvé à redire à la promotion dans leur journal d’un « caricaturiste hollandais », Gregorius Nekschot, dont « l’humour » consiste par exemple à représenter ses compatriotes blancs en esclaves, chaînes au pied, portant sur leur dos un Noir qui suce une tétine. « Les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles », avait expliqué ce joyeux drille à son admiratrice, Caroline Fourest.

La parution du « Charia Hebdo » n’avait donc rien pour surprendre, pas plus que le cocktail Molotov qui s’en est suivi. Tout aussi prévisible, le chant d’amour bramé à l’oreille des martyrs de la « liberté d’expression » par la classe politique et médiatique unanime, de Christine Boutin à Jean-Luc Mélenchon, d’Ivan Rioufol à Nicolas Demorand.

Pas si étonnante non plus, la poignée de main entre Charb et Claude Guéant : comme l’expliquerait Oncle Bernard à la table de Libération, c’était « tout de même le ministre de l’Intérieur », et la visite d’un si grand personnage sur les lieux du crime constituait une « marque de la bonne santé républicaine », laquelle crève en effet les yeux de toute part.

Réglées comme du papier à musique, les ventes record du numéro culte : seize pages de grosse poîlade sur les barbus, les burqas, les djellabahs, les vierges, les lapidations et les méchouis. Un exemple, tenez, en page 2 :

« Jeu concours : découpez votre hymen et envoyez-le dans une enveloppe à “Charia Madame”, jeu-concours, Tripoli, Libye. S’il est de première fraîcheur, gagnez un séjour en thalasso dans la Mer Morte. Dans le cas d’un hymen déjà usité, un séjour dans la mer, où la morte, c’est vous. »

Ça ne vous fait pas « marrer » ? C’est parce que vous pactisez en secret avec l’envahisseur islamiste…

Philippe Val est parti, mais ses rejetons ont repris le flambeau. On a même pu voir Charb jurer-cracher sur le plateau du « Petit journal » de Canal + (« l’équivalent télé de Charlie », a apprécié Patrick Pelloux, c’était tout dire) que le « Charia Hebdo », avec son fond de sauce hexagonal dégoulinant de chaque page, ne visait qu’à traiter gentiment « un fait d’actualité étrangère », en l’occurrence la victoire électorale en Tunisie du parti Ennahda. Tartufferie énorme, valienne. Charlie Hebdo a-t-il titré « Talmud Hebdo » et déversé seize pages d’« humour » sur les juifs quand l’extrême droite religieuse est entrée au gouvernement israélien ?

C’était pourtant un « fait d’actualité étrangère » au moins aussi considérable que le résultat du scrutin tunisien. Mais l’animateur n’a pas bronché. Il s’est esclaffé en revanche lorsque Luz, affalé sur le plateau et à moitié dans les vapes, a balbutié :

« Mahomet, c’est un copain, ouaiiis, on va aller en boîte de nuit ensemble. »

Source : Olivier Cyran, pour LMSI (Les Mots Sont Importants). Olivier Cyran avait démissionné de Charlie Hebdo en 2001, échaudé par la conduite despotique et l’affairisme ascentionnel .

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De même pour un autre journaliste, Philippe Corcuff, arrivé en 2001 puis démissionnaire en décembre 2004 :

“Mais, plus récemment, ne se contentant pas de faire l’éloge d’un livre structuré par le schéma de “la conspiration”, Charlie Hebdo s’est directement mis à la fabrication de “complots”, avec les articles de Fiammetta Venner sur l’islam. Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo – hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication – s’est alors inscrit dans une croisade de la Civilisation (“européenne”) contre la Barbarie (“musulmane”). […] Mais on doit aussi considérer la vigueur du racisme anti-arabe dans notre société, redoublée par une islamophobie depuis le 11-septembre. C’est pourquoi je me bats pour une réunification du mouvement antiraciste autour d’une double lutte contre deux figures renouvelées de la xénophobie : la judéophobie et l’islamophobie. […] Philippe Val alimente plutôt, quant à lui, les divisions de l’antiracisme.” [ Philippe Corcuff, 2004]

Vous pouvez retrouver de nombreuses sources d’époque à propos de l’affaire des caricatures sur Voltairopolis.

Source: http://www.les-crises.fr/la-victoire-ideologique-de-charlie-hebdo/


Revue de presse du 31/01/2015

Saturday 31 January 2015 at 00:15

Cette semaine dans la revue, Thomas Piketty écouté mais pas en France, le troisième épisode de la série sur le travail zappé la semaine dernière, la BCE, la Pologne très classe, les pommes c’était mieux avant et Jacques Sapir. Merci à nos contributeurs. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-31-01-2015/


[Humour RECOMMANDÉ] Minute Papillon : Liberté d’expression VS Charlie Hebdo

Friday 30 January 2015 at 05:30

Je vous propose cette EXCELLENTE vidéo, très drôle et très fine, sur l’affaire Charlie Hebdo, par une star Youtube, Kriss de Langue de Pub :

“La liberté d’expression me donne le droit de vous proposer un point de vue différent sur cette tragédie survenue il y a 3 semaines : Attentats / Charlie Hebdo / Je suis Charlie .

Je ne voulais pas faire cette vidéo trop tôt, car donner un axe différent, quand “l’unité” semble faire beaucoup de bien à tout le monde, ça me semblait contre productif et sûrement assimilable à de l’opportunisme (sport en vogue en ce moment), mais d’un autre côté, la faire trop tard, c’était par contre risquer le “Hors-Sujet” ^^. ”

500 000 abonnés à sa chaîne Youtube

Source: http://www.les-crises.fr/humour-minute-papillon-charlie-hebdo/


[C'est dit] Juncker : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Friday 30 January 2015 at 05:00

Notez, on l’avait bien vu en 2005 : les traités européens sont au-dessus de la Démocratie

Point positif de Juncker : sa franchise – bah oui, les Grecs, votre invention plurimillénaire est dépassée, quoi, tellement pas “moderne”… !!

Point négatif de Juncker (et les eurocrates) : il va vite voir à quoi ça sert, en général, la Diplomatie…

Juncker dit « non » à la Grèce et menace la France

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. », affirme notamment le président de la Commission européenne.

Intraitable. Dans un entretien au Figaro, le président de la commission européenne adresse une fin de non recevoir au gouvernement grec conduit par Alexis Tsipras. Sur l’annulation de la dette, Jean-Claude Juncker, oppose à la Grèce un « non » catégorique :

« Athènes a accepté deux plans d’ajustement (de redressement, NDLR), elle doit s’y sentir tenue. Il n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays européens ne l’accepteront pas. »

[OB Ca, tu vas voir qui de l'État ou de ses créanciers va gagner... P.S. 2 000 ans d'Histoire pour t'aider, comico...]

On a connu le président de la Commission plus conciliant quand, Premier ministre du Luxembourg, il autorisait des dizaines de multinationales à s’affranchir des législations fiscales des pays membres de l’UE.

Les élections ne changent rien, affirme en substance le président de la Commission européenne. Sans prendre beaucoup de gants :

« Dire qu’un monde nouveau a vu le jour après le scrutin de dimanche n’est pas vrai. Nous respectons le suffrage universel en Grèce, mais la Grèce doit aussi respecter les autres, les opinions publiques et les parlementaires du reste de l’Europe. Des arrangements sont possibles, mais ils n’altèreront pas fondamentalement ce qui est en place. »

Vous n’êtes pas certain d’avoir compris ? « Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités », ajoute encore Jean-Claude Juncker, qui lâche une phrase terrible, qui résume toutes les limites de la démocratie dans l’Union européenne :

« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Interrogé sur la France, et notamment sur la question de savoir si la Commission va accepter d’accorder à notre pays un délai supplémentaire pour réduire le déficit à 3 % du PIB, Jean-Claude Juncker se montre également rigide et menaçant.

Rigide quand il radote le credo de toutes les Commissions : « Nous voudrions voir la France renforcer ses réformes, en nombre comme en intensité. » Selon lui, « la France soufre d’un manque de réformes dites structurelles, de réformes qui portent sur l’essentiel (…). Elle doit soigneusement examiner les faiblesses de son droit du travail ». Menaçant lorsqu’il réaffirme qu’« il n’y a pas d’autre remèdes que de la consolidation budgétaire » (sic) et n’exclut pas de sanctionner la France si son déficit n’est pas réduit : « Un pays ne peut pas échapper aux sanctions s’il ne respecte pas les règles. »

Il n’y a pas de « diktat » allemand, affirme le président de la Commission européenne. « Cette impression d’un diktat, d’une machine allemande qui laminerait toute contradiction est parfaitement erronée », soutient-il. Avant de lever un coin du voile de secret qui entoure les sommets européens : « D’autres gouvernement, parfois même socialistes, étaient beaucoup plus sévères à l’égard de la Grèce, par exemple. » Une confidence dont la véracité ne nous paraît pas contestable. Allez savoir pourquoi…

Source : Politis

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Le dernier Sapir pour éclairer :

L’Allemagne entre deux maux

29 janvier 2015

Par

On commence seulement aujourd’hui à bien mesurer ce que la victoire de SYRIZA peut signifier pour le zone Euro. En réalité, cette victoire met l’Allemagne au pied du mur et fait éclater son double langage quant à la zone Euro. Privée de marges de manoeuvres néanmoins, l’Allemagne peut réagir violemment et provoquer, indirectement, la dissolution de la zone, même si elle en est la principale bénéficiaire aujourd’hui. Pour comprendre cela, il faut rappeler ici quelques points.

La victoire de Syriza

La victoire, véritablement historique, de SYRIZA en Grèce a propulsée son chef, le charismatique Alexis Tsipras sous le feu des projecteurs. Il convient de rappeler que ce parti est en réalité une alliance regroupant des anciens gauchistes, des anciens communistes, des écologistes, et des anciens socialistes. Ce qui a fait le ciment de cette improbable alliance, et qui explique son succès, avec plus de 36% des suffrages exprimés, est en réalité bien plus profond, mais aussi plus complexe, que la “question sociale”. Non que cette dernière ne soit importante, voire tragique. On comprend le refus d’une austérité meurtrière qui ravage la population grecque depuis 2010. Mais il y a aussi la question de la souveraineté nationale. Le refus de la soumission aux injonctions de Bruxelles et de la commission européenne, qui s’est exprimé dès le lendemain de l’élection, est une dimension très importante de la victoire de SYRIZA. La question sociale, sur laquelle se focalisent les commentateurs français, pour importante qu’elle soit, n’explique pas tout. En réalité, SYRIZA s’est engagé dans un combat pour le souveraineté du peuple grec contre les bureaucrates de Bruxelles et de Francfort, siège de la Banque Centrale Européenne. La victoire de SYRIZA annonce peut-être celle de PODEMOS en Espagne au début de cet automne. Et, tout comme dans SYRIZA, la composante souverainiste est loin d’être négligeable dans PODEMOS, ou encore dans le parti Irlandais qui briguera lui-aussi la victoire au début de 2016, le SIN FEINN.

Au-delà du symbole, il y a des actes. Et les premiers actes de Tsypras ont été des signaux très forts envoyés aux autorités de Bruxelles. Tout d’abord, il a constitué son gouvernement en passant une alliance avec le parti des « Grecs Indépendants » ou AN.EL. Beaucoup considèrent que c’est une alliance hors nature de l’extrême-gauche avec la droite. Mais ce jugement reflète justement leur incompréhension du combat de SYRIZA et sa réduction à la seule question sociale. Ce qui justifie l’alliance entre SYRIZA et les « Grecs Indépendants », c’est justement le combat pour la souveraineté de la Grèce. Tsypras, dès son premier discours, a parlé de l’indépendance retrouvée de son pays face à une Union Européenne décrite ouvertement comme un oppresseur. Le deuxième acte fort du nouveau gouvernement, qui n’a eu aucun écho dans la presse française mais qui est fondamental, a été de se désolidariser justement de la déclaration de l’UE sur l’Ukraine. Une nouvelle fois, comme on pouvait s’y attendre, l’UE condamnait la Russie. Tsypras a dit, haut et fort, que la Grèce n’approuvait pas cette déclaration, ni sur le fond ni dans sa forme. Or, ce point va devenir de plus en plus important. La politique de l’Union Européenne concernant les affaires internationales est une politique intergouvernementale. Cela implique que les décisions soient prises à l’unanimité[1]. Le nouveau gouvernement grec reproche donc à l’UE cette décision car elle a été prise sans respecter les procédures internes à l’UE[2]. Il est désormais clair que l’UE ne pourra plus se comporter comme avant en ce qui concerne tant la Russie que l’Ukraine. Le troisième acte a été la décision du gouvernement, annoncée par le nouveau ministre des Finances M. Varoufakis, de suspendre immédiatement la privatisation du port du Pirée. Cette décision signifie la fin de la mise à l’encan de la Grèce au profit de l’étranger. Ici encore, on retrouve la nécessité d’affirmer la souveraineté de la Grèce. Mais, cette décision est aussi un coup très dur porté aux diverses compagnies qui s’étaient attablées devant ce marché.

Le dilemme allemand

Il faut alors chercher à comprendre la position de l’Allemagne. La déclaratio du Ministre de l’Economie, M Sygmar Gabriel est à cet égard éclairante. Il a ainsi déclaré qu’”il faut que soit respecté un principe de justice à l’égard de notre population[3]. Il a souligné que ce fameux « principe de justice » devait s’appliquer à l’égard “des gens en Allemagne et en Europe (…) qui se sont montrés solidaires” [des Grecs]. En réalité, ces aides sont allées majoritairement aux banques européennes qui avaient acheté une grande part de la dette grecque. Il n’y a pas eu de « solidarité » avec le peuple grec, mais un principe bien compris de socialisation des pertes. Néanmoins, il faut s’interroger sur le pourquoi de cette déclaration.

L’Allemagne ne veut pas que la zone Euro se transforme en une “union de transferts”. C’est une constante depuis le début des négociations sur la zone Euro. On peut le comprendre, d’ailleurs, car si les principes d’un réel “fédéralisme” étaient appliqués (comme ils le sont à l’intérieur d’un Etat comme la France) l’Allemagne, “région” riche de la zone Euro, devrait contribuer à hauteur de 8-9% de son PIB par an sur une période d’au moins dix ans. On peut considérer que ceci aboutirait à casser les reins à l’économie allemande. Mais, l’Allemagne veut – par contre – les avantages de la monnaie unique, et d’un taux de change inchangé avec ses pays “clients”. C’est ici que le bat blesse. En effet, soit l’Allemagne accepte une nouvelle – et très importante – restructuration de la dette grecque (ou un moratoire) et elle sera immédiatement saisie de demandes analogues par des pays comme la Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Soit l’Allemagne adopte une position “dure”, en l’enrobant de pleurnicheries obscènes comme celles de Sygmar Gabriel (et en oubliant toutes les restructurations de la dette allemande qui ont eu lieu au XXème siècle) et provoque un affrontement avec la Grèce. Mais alors, le risque est important de voir la Grèce quitter l’Euro, et un processus de contagion se mettre en place.

De fait, et quoi que fasse l’Allemagne, elle sera confrontée à ce processus de contagion, soit à l’intérieur de l’Euro (et avec une pression de plus en forte pour voir augmenter sa contribution) ou à l’extérieur, avec une dislocation probable de la zone Euro. L’Allemagne a encore le choix, maix c’est un choix entre deux maux. Et l’on peut penser que, dans ce cas, elle choisira ce qui pour elle, ou plus précisément pour ses dirigeants, apparaîtra comme le moindre: la rupture de la zone Euro. Mais, l’Allemagne ne peut pas, pour des raisons historiques, porter la responsabilité d’une destruction de cette zone. Elle devra, à tout prix, la faire porter aux grecs, quitte a déployer des trésors de mauvaise foi.

Quoi qu’il en soit, l’avenir s’annonce sombre pour l’Allemagne qui se rend compte aujourd’hui qu’elle est dans un piège, ce piège même ou elle avait cru enfermer les autres pays. Quel que soit l’issue qu’elle choisira, l’Europe, qui est aujourd’hui une forme de proriété allemande, sortira affaiblie. Mais, cet affaiblissement tire en réalité son origine du fait que l’Allemagne a sciemment pratiqué une politique de “cavalier solitaire” tout en prétendant adhérer à des mécanismes fédéraux. Le double langage se paye toujours, et dans ce cas il se payera à un prix particulièrement élevé.

Une anticipation par le BCE?

Il faut alors revenir sur la conférence de Mario Draghi du jeudi 22 janvier. On a déjà signalé l’importance de la limitation à 20% de la garantie de la BCE sur les nouveaux achats de titres[4]. Mais on peut se demander si, en réalité, Mario Draghi n’a pas anticipé la situation à venir, et une probable décomposition de la zone Euro. On peut lire sa politique, et ses déclarations comme le choix suivant: pas de mutualisation des dettes s’il n’y a pas de mutualisation économique (et en particulier budgétaire). Cette position est très sensée. La mutualisation des dettes n’auraient effectivement de sens que si l’on aboutissait rapidement à un système de mutualisation économique, et budgétaire. Or, Mario Draghi n’est pas sans savoir que l’Allemagne est fortement opposée à une telle mutualisation. Aussi est-il en train d’organiser le fractionnement monétaire du marché des dettes, et donc la renationalisation de ces dernières. Ceci pourrait bien être la dernière étape avant la dissolution de la zone Euro.

Mais, pour qu’il y ait une dissolution “organisée”, il faudrait que l’Allemagne reconnaisse le dilemme dans lequel sa propre politique l’a plongé. Il est très peu probable que les dirigeants allemands, qui ont tous – que ce soit la CDU-CSU ou la SPD – été connivents à cette politique l’acceptent. Disons le tout de suite, c’est très peu probable. Le cheminement auquel nous devons nous attendre est donc celui d’une montée de l’affrontement avec la Grèce conduisant cette dernière à faire défaut sur sa dette et à se faire “expulser” de la zone Euro, non pas dans les formes (car rien ne permet de le faire) mais dans les faits. La BCE coupera l’alimentation de la Banque Centrale grecque et décidera que les “euros” émis en Grèce ne peuvent plus circuler dans le reste de la zone Euro. Notons que des mécanismes de ce type ont été en leur temps employés, pour une durée certes très courte, sur Chypre.

Il est aussi clair que le gouvernement grec se prépare à ce type de scénario. Il va réaliser un budget en équilibre strict, moyennant bien entendu l’affectation des dépenses prévues sur les intérêt des la dette à d’autres dépenses. Mais, si cette politique fait sens pour la Grèce, elle ne le fait nullement pour la zone Euro, qui devra alors affronter une crise de défiance massive, et une contagion rapide sur d’autres pays. Ce sera le scénario de “dislocation” de la zone Euro.

Il serait important que notre personnel politique commence à s’y préparer. Mais l’on peut craindre que, vivant dans une bulle et pratiquant une forme particulière d’autisme politique, il ne voit rien venir et soit confronté à la réalité de manière très brutale.

Source: http://www.les-crises.fr/juncker-il-ne-peut-y-avoir-de-choix-democratique-contre-les-traites-europeens/


« Hier ist kein warum » (Ici, il n’y a pas de pourquoi), par Noëlle Cazenave-Liberman

Friday 30 January 2015 at 04:00

Belle réponse suite à l’article d’hier

Lettre à Najat Vallaud-Belkacem

« Je crois qu’il est fondamental que ces génocides ne soient pas occultés pour montrer jusqu’où peut amener la haine, les discriminations… alors ça commence très doucement en général, par de simples discriminations pour des postes, des fonctions, la carte d’identité des choses comme ça, et puis de montées en montées on convainc la population qu’il faut s’en débarrasser : s’en débarrasser c’est d’abord dans des camps simplement, et puis ensuite c’est de tuer. » Simone Veil (( Récente rediffusion (http://www.rfi.fr/emission/20150124-pologne-liberation-auschwitz-deportation-genocides-camp-concentration/) ))

« Attendez un peu et l’impensable devient inéluctable, l’impossible devient ordinaire. » Edward Bond1 .

Madame la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

Vous avez déclaré :

« L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, Les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. » (( Depuis http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2015/01/14/najat-vallaud-belkacem-je-mobilise-la-communaute-educative-pour-repondre-par-des-actes-forts/ ))

Depuis que j’ai eu connaissance de cette déclaration, je n’arrive plus à respirer correctement, je n’arrive pas à dormir, je suis comme alourdie par une envie de vomir qui ne se déclarerait pas. Et comme je n’ai pas tout de suite trouvé ce qui me malmenait autant, aussi violement l’esprit et les tripes, vos mots n’ont cessé de tourner en boucle, de taper dans mes tempes. Je n’arrêtais pas de me les répéter pour tenter de les exorciser. Et puis, hier soir, j’ai retrouvé.

Je ne vous ferai pas l’affront de vous indiquer d’où vient la citation, mais pour les lectrices et lecteurs j’ajouterai cependant en note la source de ces lignes :

« Et justement, poussé par la soif, j’avise un beau glaçon sur l’appui extérieur d’une fenêtre. J’ouvre, et je n’ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu’un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehor vient à moi et me l’arrache brutalement. “Warum ?” dis-je dans mon allemand hésitant. “Hier ist kein warum” (ici il n’y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l’intérieur. » (( Primo Levi, Si c’est un homme (1947), Paris, Julliard, 1987. ))

Ces mots, qui fondent – avec les témoignages sur Hiroshima – un des basculements majeurs du XXe siècle, suffisent à me rendre à ma lucidité et à ma liberté, les offrir en réponse me libère du poids atroce qui n’avait plus quitté mon crâne et mon estomac depuis que je vous avais lue. Je pourrais m’arrêter à ces mots, et vous dire seulement que de tout ce qui nous a été donné d’entendre depuis le 7 janvier, de tout le fatras infécond que les médias et la classe politique déversent sur notre dignité en un torrent d’immondices satisfait de lui-même, votre déclaration gouvernementale est la chose la plus grave, la plus dangereuse, la plus dégénérée, la pire des choses que j’ai eu à avaler. Et que si je ne la digère pas, au sens propre du terme, c’est que votre déclaration, vos mots, viennent de nous faire entrer dans le totalitarisme.

Mais pour qu’il soit clair que je ne verse pas ici dans une fascination abstraite et maniérée pour le « point Godwin », et pour que vous sachiez de quel ordre est la responsabilité que vous venez de prendre en direction de l’institution « éducation nationale », du corps enseignant français, et des enfants de France (je dis enfants pour mineurs, est-il besoin de le préciser ?), je vais dire quelle construction au contraire bien rationnelle m’a fait entendre Auschwitz dans vos propos. Et m’appuyer pour ce faire sur le travail d’un auteur dont l’éducation nationale a proposé l’étude, trois années durant, dans le cadre de l’enseignement de spécialité théâtre du bac littéraire.

Edward Bond est dramaturge et théoricien du théâtre. Il est né à Londres en 1934. Dans un poème autobiographique, il écrit :

« Comme tous ceux qui vivaient au mitan de ce siècle ou qui sont nés plus tard / Je suis un citoyen d’Auschwitz et un citoyen d’Hiroshima / De ce lieu où les méchants ont fait le mal et de ce lieu où les bons ont fait le mal ».

Ainsi Auschwitz et Hiroshima interrogent-ils à égale part la « barbarie » de l’idéologie du nazisme et de celle de nos démocraties, et placent l’humanité devant la question, inexorable, que porte toute l’œuvre de l’écrivain : comment devenir humain ?

Edward Bond est l’auteur de Sauvés (qui fit tomber la censure royale en Angleterre en 1966), des Pièces de guerre, de Café (des soldats se font du café pendant le travail d’extermination par balles devant la fosse de Babi Yar), du Crime du XXIe siècle… parmi plusieurs dizaines de pièces. La raison pour laquelle l’éducation nationale avait inscrit les Pièces de guerre au programme du « bac théâtre » réside sans aucun doute dans ce que l’écrivain dit lui-même du singulier rapport qui s’établit entre des élèves – des mineurs donc – et son écriture :

« Je constate, par exemple, que souvent beaucoup de jeunes gens réagissent mieux à mes pièces que le reste du public. C’est parce qu’ils sont dans une situation où ils comprennent mieux que les adultes ce dont je parle. Nous ne sommes pas nés pour faire du profit mais pour créer la justice. Les jeunes gens sont encore proches de leur gravité existentielle et ils en ont certainement besoin si leur vie future ne veut pas être plongée dans le chaos. Ils savent encore que tout ne peut pas s’acheter et se vendre. C’est une chance d’écouter les jeunes, de les voir faire, de découvrir comment ils sont en train de créer leur propre monde. Ils ont une grande proximité avec les questions les plus importantes. Et on a tendance à l’oublier. Le problème de leurs parents reste de payer les factures, les traites. Eux se demandent ce que sera leur vie, comment ils vont construire leur vie… Quand ces questions sont oubliées, les choses se meurent. Les jeunes vous rappellent toujours à la question de la valeur des choses. Et ils le font de manière très créative. À cette étape de la vie, on est en mesure de créer. C’est très important d’entrer en contact avec cette capacité de conscience que les jeunes possèdent, car si elle n’est ni reconnue ni encouragée, elle tourne à la destruction. Il n’y a pas d’alternative. » (( Extraits depuis « Le théâtre d’Edward Bond » in Numéro spécial du Journal de la Colline, http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/La-Flute/ensavoirplus/idcontent/22356, http://www.paris-normandie.fr/detail_article/articles/PN-472831/lart-de-la-democratie-472831#.VMXOFGOK6t5 et http://www.humanite.fr/node/274268 ))

Bond écrit pour la jeunesse, et c’est un acte pour l’humanité à venir. Or, le théâtre qu’il écrit à l’attention des jeunes sert à demander « pourquoi ». Parce qu’en demandant « pourquoi », les enfants construisent, pour leur psyché propre, une carte du monde et que dans ce monde, le monde, ils y recherchent la justice :

« Pourquoi est une question que seuls les êtres ayant une conscience de soi peuvent poser. Un lion qui attend la proie escomptée a conscience de sa faim quand la proie ne se présente pas à temps. Mais le lion ne saurait demander pourquoi elle ne se présente pas. Il préférera attendre ou rejoindre un autre point d’eau. Une renarde peut contraindre ses petits à ne pas chahuter quand il est temps d’aller chasser. Mais elle n’aura pas à se demander pourquoi les petits chahutent pour répondre ensuite : c’est parce qu’ils sont vilains. Le sens moral ne voit le jour que lorsque vous êtes en mesure de demander pourquoi. »

« Notre “site” est l’univers, et c’est pourquoi nous demandons pourquoi. Les réponses que nous apportons à ces questions décident de notre degré d’humanité ou d’inhumanité. »

« L’enfant doit pouvoir penser qu’il a le droit d’être chez lui dans le monde. Autrement dit, qu’il a le droit de vivre. S’il en est incapable il tombe forcément dans un fonctionnement autiste. Son esprit ne peut plus fonctionner, son pourquoi est pris au piège et il perd alors son moi. S’il ne peut pas demander pourquoi, il n’a pas d’autres questions à poser, et il n’y a plus de réponses – le moi et le monde n’ont plus de sens. Autrement dit, ils n’ont pas de valeur. Les valeurs ne viennent au monde que lorsqu’on peut demander pourquoi. » (( Extraits de « Notes éparses sur la justice » in La Trame cachée. ))

Madame la ministre garante des valeurs de la République, la République est inégalitaire. En plus d’être économiquement inégalitaire, elle est ethniquement inégalitaire. Et c’est à une partie de la jeunesse, socialement marquée, ethniquement marquée, que vous venez d’interdire de demander pourquoi.

Si un 27 janvier, les soviétiques ouvraient les portes d’Auschwitz, ce n’est pourtant pas cette date qui pourra nous aider à comprendre « comment devenir humain ». La seule date qui pourrait nous servir, c’est celle qui a vu ouvrir la porte à l’existence d’Auschwitz : c’est le jour où il a été possible d’imaginer un lieu qui abolirait les « pourquoi ». Et nous y sommes.

Source : Noëlle Cazenave-Liberman, pour LMSI (Les Mots Sont Importants), 27/01/2015

  1. En commentaire du Crime du XXIe siècle (« La raison d’être du théâtre » in La Trame Cachée, L’Arche Editeur, 2003).

Source: http://www.les-crises.fr/hier-ist-kein-warum-ici-il-ny-a-pas-de-pourquoi-par-noelle-cazenave-liberman/


[Ils ne sont pas Charlie...] Halim Mahmoudi, le pape, Abdallah…

Friday 30 January 2015 at 03:26

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Quelques rencontres intellectuelles improbables…

Je rappelle – que cette série proposée ne signifie nullement que j’approuve toutes ces visions.

Mais comme en démocratie il est important que toutes les vues s’expriment, surtout en ce moments dangereux, je vous propose ce condensé vraiment peu entendu par les médias.

Et comme pour l’Ukraine, je ne vous propose pas le point de vue opposé, car cela demande déjà énormément de temps et d’énergie pour réaliser ceci, et que je n vois pas pourquoi je me fatiguerais encore plus pour faire ce qu’on fait 5 000 journalistes professionnels et qui a été entendu partout…

Promis, dès qu’on aura 10 journalistes salariés, on fera de beaux papiers bien équilibrés :)

Je suis dessinateur de presse, arabe… mais seulement ami avec Charlie !

par Halim Mahmoudi, dessinateur de presse

Merci pour les messages et les demandes de participations dessinées, mais:

J’allais chez Charlie Hebdo depuis le lycée, ca date! Et puis la dernière fois, c’était en Septembre dernier, j’ai partagé une assiette d’huitres avec Tignous, 3 jours de poilade et d’amitié franche… Alors depuis hier, je n’ai rien pu dessiner.

Depuis hier, je reçois des messages d’amitiés, des pensées, et aussi des demandes de dessins, et de participation. Mais je reste comme un con devant ma feuille blanche.
J’ai compris que c’était l’horreur tout ca, moi qui enfant ai “naturellement” vu circuler des armes, appris à mentir pour que 4 types armés de fusils à pompe ne rentre pas à la maison pour se venger, ou pour ne pas balancer des amis ( dont je comprenais la situation) au RG qui essayaient de nous extorquer des renseignements… jusqu’à l’année dernière encore, où cette fatalité, cette “loi du milieu” à tué 2 de mes potes d’enfance. L’un après l’autre, ils sont mort atrocement et ont fait les faits divers. C’est aussi ca mon âme d’enfant d’immigré. Des choses du passé refont surface….

La laïcité de façade qui m’a fait subir des contrôles d’identité humiliants qui m’ont souillé le coeur et où j’ai dû ravalé ma rage, des soirées niquées parce qu’on ne rentrait pas en boite, une petite amie qui m’a dit sur le seuil de sa porte que c’était terminé parce que ces parents ne veulent pas “que je sorte avec un arabe” ou encore des emplois qu’on me refusait parce que les clients ne comprendraient pas. Des centaines de lettres et aucun entretien d’embauche à passer! Peu de ressources financières, et l’ennui chevillé aux pompes bon marché chez Tati. Les vacances au quartier, ou en colo. Des braqueurs au grand cœur, on achetait des trucs tombés du camions à des prix que la chine ne suivrait pas.. On allait pas chipoter sur la légalité.

Des blancs à la télé, des blancs dans les centre ville, dans les bureau. Même les assistantes sociales qui paradaient chez nous étaient blanche. La rédaction de Charlie, invariablement blanche. Hier encore, quand je suis allé au rassemblement pour Charlie Hebdo, la place du Capitole n’était pas “noire de monde”. Elle était blanche! Il y avait quelques personnes comme moi, un peu, dont une femme en Hijab qui portait un panneau ou il n’y avait pas écrit “Je suis Charlie”, rien de pro-liberté d’expression. Non! Il y avait juste écrit: “Touche pas à ma France! “. Ca m’a rappelé ma tante qui m’a dit l’autre jour que “les arabes d’Algérie, ils faut s’en méfier, ils veulent profiter, c’est tout!”. Et alors ca m’a rappelé que la religion me séparait des miens un peu plus chaque jour. Ca m’a rappelé qu’avant ce repli, il suffisait juste d’être arabe pour se sentir proches, peu importe si tu faisais la prière, si tu respectais ou pas scrupuleusement les piliers de l’islam. Même si je ne cautionne pas cet aveuglement, je le comprends à un point, vous n’imaginez même pas… Bref, on ne mangeait pas de porcs, mais on s’arrachait pas les cheveux sur des étiquettes “Hallal”. Et la petite mosquée dans mon quartier d’enfance était encore une salle des fêtes à l’époque. Ils auraient pu en construire une, mais ils ont décidé que la salle des fêtes deviendrait la mosquée. Depuis, on a plus de salle des fêtes hors des pièces sans fenêtre dans une cave où ils ont mis des animateurs de quartier. Et on ne se faisait pas insulter à longueur de journaux, de médias radios, télés, de couverture. Personne pour nous représenter à part des clowns triés sur le volet pour chanter les valeurs républicaines. Ces valeurs qui ont saccagé mon enfance!

On ne représentait pas encore un danger. Mais on était en danger. On l’a toujours été. La pauvreté et la misère, les ghettos sociaux, l’économie parallèle ou la prison, les voies de garages à l’école, l’échec scolaire, le chômage sans perspective d’avenir, et surtout, surtout l’ethnicité: tout ca c’est dangereux. Réellement dangereux.

Et puis, un peu partout, je lis que les bien pensants demandent de ne pas faire d’amalgame…. j’y ai cru, j’ai essayé de les éviter ces amalgames. Toute ma vie, je n’ai fait que ca! Eviter ces putains d’amalgames! Sauf que voilà, ce pays, la France, est bâtie sur l’amalgame: La séparation économique et sociale est ethnicisée. Les visages floutés sur TF1 restent basanés, les dirigeants de ce pays sont tous un peu vieux, pas mal blancs, très masculins. Et ce pays aussi. Quand je suis allé à Clichy-sous-bois l’an dernier, là-bas la population était massivement arabe et noire. A des kilomètres de Paris. Et il y a une sorte de frontière invisible à un moment où tous les passagers du bus deviennent blancs. Et ceux là, ils vont travailler. On passe des sacs de courses aux mallettes de travail.L’amalgame a bâtie la France. Je me suis fait insulté par la police, giflé quelque fois à cause de cet amalgame national. J’ai parfois répondu et j’avais la trouille d’aller trop loin.. de rajouter mon nom sur la liste des centaines de mes frères abattus pas des policiers. Tous ces crimes se sont soldés par des non-lieux, ou de la prison avec sursis. Et en général des promotions pour les assassins.

Alors nous, on est un peu las de ce manège, ca nous fatigue ces valeurs à la gomme, ces vertus inexistantes, cette liberté d’expression à sens unique. On ne dit rien parce qu’être musulman ce n’est pas être Charlie. Enfin plus depuis l’arrivée de Philippe Val en tout cas. Même ce cher Cavanna, ex-pauvre et fils d’immigré italien, le fondateur de Charlie, pleurait d’impuissance parce que Val a pris et changé l’âme de ce qu’était Charlie Hebdo à la base.
Et les médias qui font mine de pleurer, ou de s’insurger devant la barbarie ont armé les criminels qui ont abattu mes amis. Alors si eux sont Charlie, si Val est Charlie, je ne peux pas être Charlie. J’ai trop de respect et d’amour pour hurler avec les loups. Trop de douleur et encore toutes mes facultés mentales en état de marche.

Sinon expliquez moi en quoi mettre une bombe sur la tête d’un prophète est marrant? Ou écrire “traitre” sur le front d’un juif sur une caricature d’avant guerre par exemple? En quoi c’est marrant, expliquez-moi? En quoi Dieudonné ne représente t’il pas le courage du vaillant soldat qui se bat pour exprimer ses idées et convictions? Lui aussi s’est moqué en parlant de Mahomet ou d’Allah, mais il riait de tout, et AVEC tout le monde! Alors elle est où la différence? Je ne comprends pas! En quoi l’acharnement médiatique à vouloir sans cesse dénicher ce qui cloche avec l’islam est-il une liberté d’expression? Bordel, c’est quoi au juste la liberté d’expression?
Ne serait-ce pas la France qui a des gros problèmes d’intégration dans ce siècle? Avec son système vicié, lent, et tout poussiéreux? Ne serait-ce pas pour une fois, l’oppresseur qui aurait tort? Au lieu de nous chanter à longueur de temps qu’on a de la chance dans ce pays parce que dans nos pays d’origine c’est pire. Ou qu’on se plaint, qu’on joue les victimes, comme si tous nous étions paranos!!!?
Que les études du CNRS sur la discrimination à l’embauche au logement sont erronées? Qu’ à Amnesty International ils se plantent, quand ils disent qu’il y a une véritable violence répressive à l’œuvre en France à l’égard des populations issues de l’immigration? Que la Halde ne fait jamais suivre les plaintes pour discrimination?

Mais quel Charlie voudriez vous que moi dessinateur de presse et de culture musulmane, je sois? Le Charlie de la bande à Choron, Coluche et Reiser qui rigolait AVEC nous? Ou celui de Philippe Val et d’un Charb qu’humainement j’aimais beaucoup mais qui grillé un fusible et qui rigolait DE nous? Je le lui ait dit à Charb, on était en désaccord mais ca n’empêchait pas que j’ai proposé une autre grille de lecture après l’affaire des caricatures en 2005. D’autres dessins, avec une autre vision. Et rien n’est passé. Ce n’est pas grave, il ne se voyait pas publier ca dans Charlie, c’est son droit. Mais aucun journal n’a suivit. Si Le Monde. Sauf qu’ils m’avaient demandé d’édulcorer et d’enlever certains passages afin que ca puisse être publiable. Alors j’ai refusé. Parce que je n’ai pas une tête à m’appeler Charlie!

Je me sens mal quand il y a un acte terroriste au nom de l’islam. Je me sens mal quand des dessinateurs prennent une caricature pour un dessin d’humour. Comme s’ils n’avaient jamais eu de cours sur l’image. Et je me sens coupable de faire partie de chacun de ces groupes, de les comprendre, de voir qu’ils se trompent sur l’autre, et sur eux-mêmes, parce qu’incapable de parler. L’empire ottoman, celui des Abbassides, et tout le monde arabe en général était malgré la dictature et les violences inhérentes à l’exercice de pouvoirs impérialistes ( c’est vrai tu as raison kris krumova, merci ) était humain. Je parle des peuples. Les juifs, alors persécutés dans toute l’Europe trouvaient principalement refuge chez nous. Et nombre de nos illustres ancêtres, des savants ou des poètes; pensaient que le domaine de tous les domaines, la quintessence divine n’était pas la science, ni l’art, ni la géométrie, mais bel et bien l’amour et la sexualité. Le moyen par lequel on donne généralement la vie donc! Nous n’incarnions pas la terreur et la mort. Nous célébrions ce que dieu a mit de plus cher à notre disposition: La vie ! Je parle du savoir et des valeurs que ces peuples se transmettaient. Et aujourd’hui, un nombre important des miens, acculés au mur, se sont repliés pour s’opposer, résister pour ne pas être rien pour personne. Ne surtout pas être rien à nos propres yeux. Immigré ici ou là-bas, c’est la même impression d’être partout apatride, mais on ne se l’avoue pas. Et de toute façon à qui, puisque personne n’écoutera …

Les gens qui savent ce que c’est que de vivre nos vies savent que j’ai édulcoré mes BD pour m’adapter, me mettre au niveau intellectuel et psychologique de ce pays. C’est à dire en dessous de toute volonté de dialogue, d’ouverture, d’objectivité et de réciprocité. Je ne peux pas ouvrir mon cœur à un pays qui me sort des mots à la con comme “diversité” ou “vivre ensemble” et qui diffuse à gogo vidéos et bandes sons du drame sans égard ni pour les familles de mes potes qui sont morts, ni pour la majorité des musulmans que le système médiatique fait souffrir à longueur de temps!

Sinon dites moi où sont passées les vidéos de caméras de surveillance du commissariat de Joué-Les-Tours?

Au fait, à propos des intégristes, je me rappelle qu’ils étaient venu au quartier, j’étais enfant. Des mecs sortis d’une camionnette qui ressemblait à celle de “Retour vers le Futur” quand Doc se fait abattre. Bref, je n’ai pas pensé à ca, mais je me souviens que ma mère ( qui nous élevait toute seule ) les avait vu ( et flairé) et qu’elle m’avait foutu la trouille en me disant que j’aurai affaire à elle si jamais je leur adressais la moindre parole. Voilà je viens d’y penser parce qu’aujourd’hui, c’est ton anniversaire youma…

J’ai reçu quelques messages qui disent que rien ne justifie l’acte terroriste… alors je donc REPETER: Je NE cautionne PAS cet acte effroyable, ce meurtre. Cessez de me relier à cela, je vous remercie! D’autant que j’ai perdu personnellement de bons potes dans l’histoire.

Et je vais donc PRECISER: Dans l’état actuelle des choses où les populations immigrés, noirs, arabes, musulmanes etc. subissaient la ghettoïsation économique, sociale que l’on sait depuis un bail, il ne leur reste que 5% de dignité, une religion, cet espace intime qu’est la foi et qui fait tenir debout dans les situations les plus critiques. Et malgré cette maigre “bandelette de Gaza” intime et psychologue que les musulmans tentent de préserver pour ne pas craquer sous le poids de la mise à l’écart et des insultes répétées, il se trouve malgré tout en France, des gens qui se permettent de s’offusquer qu’on tienne à ce petit bout de territoire privé qu’est leur religion. Au risque de choquer, ca ne m’étonne plus qu’il ce soit trouvé des gens avant la seconde guerre mondiale pour faire circuler de sales blagues antimites en France, à une époque où les juifs étaient à peu près dans la même situation que celle des musulmans aujourd’hui. Finalement, il y a une vraie cohérence dans ce pays les gars, ca c’est une constante bien nationale!

Personnellement, je n’ai jamais compris pourquoi à Charlie ils ne s’acharnaient pas avec autant d’assiduité à la criminalité politico-financière de religion monétaire, et qui finira par tous nous enterrer vivant dans nos petites batailles identitaires. Si nous en sommes là, c’est parce que le système tourne à vide. Sauf qu’en 2014 y’en a qui veulent encore vérifier si les musulmans ont vraiment de l’humour. Sans même se douter qu’il y a des cons vraiment vraiment vraiment partout: Même s’il n’y a pas que cela ( heureusement), il y en a chez les musulmans comme il y en a chez Charlie! Sinon ce bon vieux Siné ne se serait jamais fait viré !

Les miens, les issus de l’immigration, les jeunes, les vieux, les clandos, les blédards, ceux qui virent muslim, modérés ou radicaux, les rappeurs, les intégrés, les rageux, les “viva l’algérie”, ceux qui disent “Cheh !” depuis mercredi, ceux pleurent, tous ceux qui se taisent, ceux qui ont peur, ceux qui applaudissent, ceux qui ont la rage, ceux qui ont mal, ceux qui comprennent sans cautionner, ceux qui cautionnent sans comprendre, tous: On critique parce qu’on aime ce putain de territoire Français et ses habitants! Malgré tout le mal qui a été fait, malgré les incompréhensions, la surdité, la peur, l’ignorance que ce pays à envers nous, on l’aime quand-même surtout si ca l’emmerde! Si on l’aimais pas, on serait simplement indifférents. On ne critiquerait rien, on ne provoquerait pas, on ne sifflerait pas la marseillaise, il n’y aurait pas de drapeaux algériens dans les stades, il n’y aurait pas eu le rap, pas de tensions, pas d’émeutes, pas de liens, pas de relation, aucun crime ni passion, pas de blessures, aucune souffrance, pas de tentation Djihadiste, pas d’attentats, pas de drames, ni de moments de joies ( heureusement plus nombreux!). Je sais que Charlie Hebdo s’acharnait sur l’islam avec le même amour. Et la même incompréhension.

Mais tant que les médias n’ouvriront pas leurs ondes et leurs journaux aux uns et autres avec la même attention. Tant que les inégalités sociales et économiques persisteront à s’acharner encore et toujours sur le seul critère racial, alors la vie continuera. On va rire, mais on va pleurer ensemble.

Quoiqu’il arrive ce pays on l’aimera de tout notre cœur, jusqu’à ce que mort s’en suive!

Dernière chose: Ma compagne est française et nous avons ensemble 3 jolies petites princesses aux cheveux frisés et aux yeux bleus pétillants de bonheur! Alors je n’ai aucun intérêt à salir une communauté quelconque. Je n’appartiens à personne! A la maison, ma femme et moi nous représentons l’autorité, le pouvoir. Et nos 3 filles sont le peuple. Si l’une des 3 filles se sent maltraitée, et s’insurge contre nous. Nous ne nous disons pas que c’est de sa faute, que c’est à elle de mieux s’intégrer dans sa famille… vous comprenez? Ma compagne et moi aimons nos enfants, et s’il y a conflit, incompréhension, entre elles et nous, c’est nous que nous allons d’abord remettre en question, dans notre éducation ou autre. Nous lui parlerons, elle s’exprimera, et nous tâcherons de lui montrer qu’on est à ses côtés. C’est donc à l’autorité de se soumettre, car l’autorité est le pouvoir, et à les clés de la résolution des conflits. Le pouvoir d’agir. Ca s’appelle Responsabilité! Et La France doit prendre les siennes, et écouter ses minorités… parce qu’elles font partie de la solution!

Je n’oublie pas qu’il y avait quelques arabes à Charlie, je le savais déjà ca, merci! Mais je tiens à rappeler qu’il y a aussi quelques blancs dans les prisons françaises. Quelques uns, … alors que pourtant nous vivons en France n’est-ce pas? Mais le cœur de mon texte ne dit pas cela. J’ai écris ce texte parce que je ne veux plus perdre des gens que j’aime de cette façon violente et impardonnable. Et que peu importe le conflit, je choisirai toujours d’aider le peuple. Jamais le pouvoir: Lui il peut se débrouiller tout seul. Et s’il a besoin d’aide, il sait où me trouver… Si ce pays ne veut plus jamais subir une telle tragédie, alors il a tout intérêt à se demander pourquoi elle est arrivée. Et de comprendre pourquoi les principaux clients de ses groupes intégristes se recrutent dans les pays les plus pauvres de la planète, et dans les couches sociales les plus abandonnés de son territoire aux allures de pays éclairé! Pas en Arabie Saoudite, ou au Qatar ( eux ils financent) mais au Nigéria, au Maghreb, en Syrie etc…

Un intégriste n’est pas un islamiste, c’est tout au plus un Misériste!

Ce n’est pas l’islam qui l’a façonné. C’est la misère!

Même un enfant comprendrait ça !!!!!

Bon aller, merci pour ces messages de soutien, ces demandes de dessins, des chaines de solidarité sont nécessaire je pense, mais là j’atteins l’overdose. Cette journée de deuil national est un cache misère… Le terme “national” ne me parle absolument pas. Et par certains côtés oui, je suis comme Charlie, mais je ne suis pas Charlie!

J’ai un pied dans le monde arabe, un pied en occident
Un pied dans les quartiers et l’autre en France
Un pied dans le dessin de presse et l’autre dans la vie de tous les jours
Un pied chez Charlie Hebdo, un pied au cul de Charlie Hebdo
Un pied dans les médias alternatifs et l’autre dans les journaux
Un pied dans l’anonymat et l’autre dans la l’auto-censure
Un pied dans la douleur, et l’autre dans la colère.
RIP Charlie…

Source

Le pape

Entre le Sri Lanka et les Philippines, le pape François a répondu dans l’avion aux questions des journalistes dont une portait sur Charlie Hebdo. Voici la réponse intégrale du Pape, dans sa forme orale, telle que l’agence romaine I.Media l’a recueillie.

«Je crois que ces deux droits humains sont fondamentaux : la liberté religieuse et la liberté d’expression. Vous êtes français non? Alors, allons, Paris: parlons clairement!… On ne peut pas cacher une vérité aujourd’hui: chacun a le droit de pratiquer sa religion, sans offenser, librement, et nous voulons tous faire ainsi.

Deuxièmement, on ne peut pas offenser, faire la guerre, tuer au nom de sa religion, c’est-à-dire au nom de Dieu.

Ce qui se passe maintenant nous surprend, mais pensons toujours à notre histoire: combien de guerres de religion avons-nous connues! Pensez seulement à la nuit de la saint Barthélemy! Comment comprendre cela? Nous aussi nous avons été pécheurs sur cela, mais on ne peut pas tuer au nom de Dieu, c’est une aberration. Tuer au nom de Dieu est une aberration. Je crois que c’est le principal, sur la liberté religieuse: on doit le faire avec la liberté, sans offenser, mais sans imposer ni tuer.

La liberté d’expression à présent. Non seulement chacun a la liberté, le droit et aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider le bien commun: l’obligation! Si nous pensons que ce que dit un député ou un sénateur – et pas seulement eux mais tant d’autres – n’est pas la bonne voie, qu’il ne collabore pas au bien commun, nous avons l’obligation de le dire ouvertement.

Il faut avoir cette liberté, mais sans offenser. Car il est vrai qu’il ne faut pas réagir violemment, mais si M. Gasbarri [responsable des voyages du Pape, à côté du Pape pendant l'interview, ndlr.], qui est un grand ami, dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing! C’est normal… On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi!

Le pape Benoît, dans un discours, avait parlé de cette mentalité post-positiviste, de cette métaphysique post-positiviste qui menait à croire que les religions, ou les expressions religieuses, sont une espèce de sous-culture: elles sont tolérées mais elles sont peu de choses, elles ne sont pas dans la culture des Lumières.

C’est un héritage des Lumières: il y a tant de gens qui parlent mal des religions, qui s’en moquent, qui jouent avec la religion des autres. Ceux-là provoquent… et il peut se passer ce qui arriverait à M. Gasbarri s’il disait quelque chose contre ma mère. Il y a une limite! Chaque religion a de la dignité, chaque religion qui respecte la vie humaine et l’homme, et je ne peux pas me moquer d’elle… c’est une limite.

J’ai pris exemple de la limite pour dire qu’en matière de liberté d’expression, il y a des limites, d’où l’exemple choisi de ma mère»

Source

Abdallah

Abdallah essuie de vives critiques ! Abdallah est un rappeur qui a fait « le buzz » pour noël en rappant déguisé en père noël dans un supermarché. Mais il a également fait un « bad buzz » après les attentats perpétrés à Charlie Hebdo en diffusant une caricature de Charlie Hebdo sur laquelle on peut voir un imam avec un Coran dans les mains qui dit « Le Coran c’est de la merde ça n’arrête pas les balles ». Abdallah a accompagné son post sur Facebook avec la photographie en question d’une légende pour le moins hasardeuse : « Charlie Hebdo c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles« .

Abdallah a tenu à s’expliquer pour son post ! – Abdallah s’est justifié dans un très long post Facebook :

APRÈS LA PUBLICATION, L’EXPLICATION :

Alors là … je n’comprends vraiment plus rien. Pourquoi vous vous mettez dans tous vos états ? Pourquoi tant de haine ? Quoi ? C’est ma publication d’hier qui vous fait cet effet-là ? D’accord. Reprenons les choses dans l’ordre.

Hier j’ai publié une des fameuses couvertures de Charlie Hebdo qui ont tant fait polémique, reprenant leur slogan pour y modifier 2 misérables mots. Même formulation. Même humour. C’est ce qu’on appelle de la satire mesdames et messieurs, et c’est exactement ce que Charlie Hebdo pratiquait. Je suis même sûr que les malheureuses victimes se sont bien marrées en lisant ma publication de là où elles sont. Alors pourquoi n’ai-je pas le droit de formuler EXACTEMENT la même blague qu’eux ? Quoi ? Quelqu’un aurait-il le monopole de l’humour ? Ah oui j’avais oublié ! Je vous entends déjà me répondre : « Parce que c’est un drame et qu’on ne rit pas avec la mort ! ». Ah bon … On ne rit pas avec la mort ? Mais sur la caricature en question, Charlie Hebdo parlait du massacre de 1 150 (mille cent cinquante) personnes en Egypte ! Quoi ? Toutes les vies humaines n’ont-elles pas la même valeur ? Alors expliquez-moi pourquoi je ne peux pas faire la même foutue blague putain ? Pourquoi êtes-vous choqués ?
Attendez … Je crois savoir … Peut-être que ça n’a rien de logique, rien de cohérent. C’est purement émotionnel. En fait si je comprends bien, ça ne se passe pas au niveau du cerveau … mais au niveau du cœur. Ma blague vous a blessé. Je vois où vous voulez en venir … C’est d’ailleurs exactement là où je voulais vous emmener …

A vrai dire, je partage votre avis. Ma blague était horrible. Indécente et de mauvais goût. D’ailleurs peut-on réellement dire que c’était une blague ? C’était plutôt un ramassis de vomi et de haine. Et j’en profite pour m’en excuser parce que ça m’a moi-même profondément blessé ce que j’ai publié hier. Mais c’était pour la bonne cause … Parce que vous voyez, selon moi, il y a 3 formes d’humour :
Il y a ceux qui rient de tout. Il y a ceux qui ne rient de rien. Et puis il y a ceux qui rient de tout mais avec RESPECT. Je fais partie de la troisième catégorie de personnes. Vous voyez mes amis, il y a une fine ligne entre la liberté d’expression et la liberté d’injurier ou d’humilier quelqu’un. Une ligne que j’ai clairement dépassé hier soir. Maintenant je dois vous avouer quelque chose …
Vous voyez ce sentiment de coups de poignard dans le cœur que vous avez ressentis hier en lisant ma publication ? Vos confrères musulmans ont ressentis EXACTEMENT la même chose en prenant chaque jour le métro et en voyant placardé partout : « Le Coran c’est de la merde ! ». Ils se sont sentis humiliés. Ils ne vous l’ont peut-être pas dit par pudeur, mais il faut que vous le sachiez : Pour un musulman, SES prophèteS sont plus chers à son cœur que son propre père ou sa propre mère ! On peut ne pas être d’accord avec ça ! On peut en débattre ! On peut en rire ! Mais dans le respect mutuel. Donc laissez-moi vous poser une question : Où est le respect quand on dessine un prophète en levrette sur un lit ? L’auriez-vous accepté pour votre mère ? Enfin je ne sais pas, c’est peut-être drôle … L’humour est relatif. La dignité ne l’est pas.

Croyez-moi, la liberté d’expression ABSOLUE est un leurre. C’est un mensonge qu’on vous a vendu. Regardez, même votre meilleur pote, vous pouvez le traiter d’ « enculé », de « suceur », mais vous ne vous permettrez jamais de lui dire « ta mère est une chienne ». Pourquoi ? Parce qu’il y a des limites. Lesquelles ? Celles de la décence. Et même si vous n’avez aucun lien avec sa mère, ça vous dérangerait de le blesser. C’est instinctif. C’est un réflexe primitif chez l’Homme. C’est ce qu’on appelle la « Honte ». En être dénué équivaudrait à retourner au stade animal. Tout comme ceux qui tuent des innocents. Sachez-le, on peut aller très loin dans l’humour, mais la retenue est quelque chose de naturel. C’est la liberté d’expression absolue qui ne l’est pas.

Pour finir, je vais vous raconter une petite anecdote. Comme vous le savez tous, je ne m’en cache pas, je suis un grand fan de Dieudonné. Quand je suis allé voir son fameux spectacle « Le Mur », à un moment on le voit uriner contre le mur des Lamentations. Vous savez, à ce moment-là, inconsciemment j’ai baissé le regard. Je n’ai pas trouvé ça drôle. J’ai trouvé ça indécent. Je crois que sur ce coup, il avait dépassé la fine ligne dont je vous parlais …
Disons non au terrorisme. Rions ensemble. Rions même les uns sur les autres. Mais respectons-nous les uns les autres. Car c’est dans le respect de nos différences que se trouve la clé du vivre ensemble.

N’hésitez pas à taguer toutes les personnes qui ont mal pris ma publication d’hier et à leur expliquer ma démarche. Merci de partager ce message le plus massivement possible, car je crois qu’une grande partie des voix des musulmans n’a pas été entendue le 7 janvier 2015. Des musulmans qui sont ainsi doublement victimes. De Charlie Hebdo. Et de leurs assassins …

Abdallah

Le duc d’Anjou

Je vais aller à contre-courant de la bienséance émotionnelle en me dissociant du mouvement « Je suis Charlie ». Non, je ne suis pas Charlie parce que je n’ai jamais aimé ce journal manichéen.

Charlie Hebdo est un papier vulgaire, méprisant les opinions qui ne sont pas les siennes qui, sous couvert de la liberté d’expression, se permet toutes les provocations. Charlie Hebdo est un journal agressif qui exploite le filon de la haine des religions en passant soi-disant par l’humour. Charlie Hebdo est à l’image de la société athée européenne de gauche, un pourvoyeur de rancune et un ennemi du respect et de la fraternité entre les peuples et les hommes, quelles que soient leurs différences, leur race, leur couleur, leur religion.

Je refuse donc de prendre part à une « alliance sacrée républicaine » pro-Charlie parce que, tout simplement, je ne comprends pas ce que je dois défendre.

Je ne suis ni irrespectueux ni indécent et ne souhaite pas offenser la mémoire des crayonneurs abattus. Les mots manquent pour dire l’horreur de l’attaque qui a frappé la rédaction du journal. Je condamne cet acte de barbarie et présente aux familles et proches des défunts mes plus sincères condoléances.

Je dénonce juste la stérilité de la tentative d’union nationale et l’hypocrisie des citoyens qui n’ont jamais lu l’hebdomadaire humoristique et qui l’ont toujours critiqué.

Rendre hommage aux victimes, oui.
Rendre hommage à Charlie Hebdo, non.

Source

Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-1/


[Ils ne sont pas Charlie] Alain Gresh, David Brooks, Rony Brauman, Thibaud Collin, BC…

Friday 30 January 2015 at 00:59

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Nous diffusons ici des visions différentes de personnes à contre-courant, sans forcément les approuver toutes – et ce au nom de la liberté d’expression.

“Si l’on ne croit pas à la liberté d’expression pour les gens qu’on méprise, on n’y croit pas du tout.” [Noam Chomsky]

Charlie, je ne veux voir dépasser aucune tête

mardi 20 janvier 2015, par Alain Gresh

En 1914, l’ensemble des parlementaires, toutes tendances confondues, chantaient « La Marseillaise » debout et à l’unisson. L’union nationale avait alors vu les dirigeants socialistes trahir tous leurs engagements en faveur de la paix, voter les crédits de guerre et avaliser une boucherie qui devait durer jusqu’en 1918. La scène s’est reproduite le 13 janvier à l’Assemblée nationale et l’union sacrée est à nouveau à l’ordre du jour. Mais elle signifie cette fois-ci l’exclusion de la communauté nationale de tous les mauvais Français, et d’abord des jeunes issus des quartiers populaires, désignés par les médias et les politiques comme « ces pelés, ces galeux, dont (viendrait) tout le mal » (La Fontaine). Ils sont responsables, et surtout ne nous interrogeons pas sur les politiques économiques et sociales qui ont abouti à toujours plus d’inégalités, à toujours plus d’exclusion des classes populaires ; et ne remettons pas en question nos engagements à l’étranger. « Nous sommes en guerre », a déclaré le premier ministre Manuel Valls [1]. Et, comme en 1914, ceux qui doutent du bien-fondé de ces stratégies sont des traîtres.

Répondant à une question du député Claude Goasguen, la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a déclaré le 14 janvier :

« Je leur ai en effet adressé [aux chefs d’établissement] une lettre leur demandant non seulement de faire respecter la minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échanges et de dialogue. Ils l’ont fait, je les en remercie. Ca ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu, ils sont même nombreux et ils sont graves et aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère. Et aucun d’entre eux ne sera traité à la légère. Vous me demandez combien nous sont remontés ? Je vais vous répondre. S’agissant de la minute de silence elle-même c’est une centaine d’incidents qui nous ont été remontés. Les jours qui ont suivi nous avons demandé la même vigilance, et c’est une nouvelle centaine d’évènements et d’incidents qui nous ont été remontés. Parmi eux une quarantaine ont d’ailleurs été transmis aux services de police, de gendarmerie, de justice, parce que pour certains il s’agissait même d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela. »

Interrogeons-nous sur plusieurs éléments de ce discours :

- la minute de silence était « facultative » dans les maternelles (certaines l’ont quand même observée, avec des enfants de trois à six ans !) mais obligatoire dans tous les autres établissements scolaires. Est-il normal de demander, souvent sans discussion, à des enfants de 12 ans de respecter impérativement une minute de silence ? La ministre n’a comptabilisé que deux cents d’incidents, mais elle oublie de dire que nombre d’établissements n’ont rien demandé à leurs élèves tellement ils avaient peur des réactions ;
- est-il normal de transmettre aux services de police les coordonnées de ceux qui s’y sont refusés ? La délation relève-t-elle des enseignants ? Ces jeunes de 15 ou 16 ans qui posent des questions, parfois provocatrices, sont-ils des criminels ?
- un certain nombre de personnalités et d’intellectuels ont clairement affirmé que, tout en condamnant les attentats, ils ne défileraient pas le 11 janvier, qu’ils n’observeraient pas une minute de silence. D’autres, qui ont défilé, posent de vraies questions. Va-t-on les inculper à leur tour ? Il est pour le moins paradoxal, au moment où l’on se gargarise de la liberté d’expression, de refuser toute voix dissidente — bien que nous sachions depuis longtemps que Patrick Cohen, sur France Inter, et la « matinale » de France Culture refusent d’inviter « les cerveaux malades ». Un sondage du Journal du dimanche du 18 décembre indiquait pourtant que 42 % des Français n’étaient pas favorables à la publication de caricatures du Prophète. Faut-il les rayer de la communauté nationale ?

Rappelons que ce ne sont pas ces intellectuels « blancs » qui risquent le plus, mais tous ces jeunes des quartiers populaires déjà stigmatisés, renvoyés à leur ghetto, et que l’on met en prison. On parle beaucoup, et on a raison de le faire, des juifs qui ont peur. Mais qui a interrogé ces femmes portant foulard qui ne veulent plus sortir de chez elles ?

Mme Vallaud-Belkacem poursuit :

« Oui, l’école est en première ligne. L’école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif, y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la coéducation. L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”. “Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?” Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. Et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire, c’est ce que le premier ministre a fait devant les recteurs hier, c’est la raison pour laquelle je mobilise l’ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas que par des discours mais par des actes forts. »

Une ministre de l’éducation nationale qui parle du rôle de l’école et qui évoque « de trop nombreux questionnements » ? On pensait, naïvement, que l’école devait ouvrir à l’esprit critique, instiller le doute. Voltaire est sans cesse convoqué pour cela. Mais Mme Vallaud-Belkacem a une tout autre vision… Les « mais » sont interdits, elle ne veut voir dépasser aucune tête.

S’il fallait mettre en exergue une réaction qui montre la confusion qui règne parfois dans les esprits, on ne saurait trop conseiller de lire le communique du 12 janvier de la fédération de Paris du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES).

Il minimise d’abord la présence des chefs d’Etat étrangers :

« Peu importe la présence de chefs d’Etat plus ou moins respectueux des libertés dans leurs propres pays. Hier nous avons marché pour le respect de la vie humaine, de la sécurité publique et des libertés fondamentales. Nous étions très nombreux, divers, calmes et déterminés. Nous avons porté une exigence de paix — aucun message de haine, aucune déclaration de guerre — et de Liberté : liberté d’expression et liberté d’être tout simplement ce que l’on a décidé d’être ! »

Côtoyer des représentants de régimes tortionnaires ne pose donc aucun problème ? Là aussi, il n’y a pas de doute possible.

« Nous savons que la minute de silence dans nos établissements a fait l’objet de diverses réceptions de la part de nos élèves qui n’adhèrent pas tous à ce projet égalitaire et républicain. Nous disons que l’Institution ne peut accepter certains propos et un rappel à l’ordre sévère doit être signifié aux quelques élèves, peu nombreux, qui ont tenu des propos inacceptables ou ont eu des postures déplacées. L’Ecole ne peut pas donner de signes de faiblesse et doit rester ferme sur la ligne de la laïcité en signifiant clairement à ces élèves qu’elle ne transigera pas sur la liberté d’expression, y compris celle de blasphémer. »

« Le Rectorat n’a transmis aucune consigne de modération vis-à-vis de ces élèves, nous en avons eu confirmation. Nous devons faire comprendre à nos élèves que la loi de la République est au-dessus des règles communautaires. En refusant ce principe laïque élémentaire, ils s’excluent de la République garante des libertés y compris la liberté de culte. »

Ils s’excluent de la République ? Qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas plutôt la République qui les a exclus depuis longtemps ? Et si cette exclusion n’excuse ni le complotisme ni l’antisémitisme, elle permet de comprendre les raisons de certaines réactions et de définir une ligne d’action pour les combattre.

Interrogé, un responsable du SNES-Paris soulignait que ce texte avait été adopté le 12 janvier, avant que l’on assiste à des condamnations pour « apologie du terrorisme », condamnations qu’il juge très négativement et dont il tient à se démarquer.

Celles-ci se sont multipliées, de l’inculpation de jeunes pour des dessins (oui !) à la condamnation à Grenoble à six mois de prison ferme d’un déficient mental. La ministre de la justice Christine Taubira se discrédite en prônant la fermeté dans ces affaires, elle qui ne poursuit pas Eric Zemmour, par exemple, pour ses propos racistes (lire Pascale Robert-Diard, « Des peines très sévères pour apologie du terrorisme », lemonde.fr, 19 janvier 2015). Deux poids, deux mesures ? Oui, il faut le dire, la République française est tout sauf égalitaire. Faut-il s’étonner que les jeunes des quartiers populaires en aient conscience ? Et, sans les excuser en aucune manière, ne peut-on pas comprendre certaines de leurs réactions ?

Note : Je reviendrai sur le concept d’« apologie du terrorisme », mais il est à noter dès maintenant qu’il peut être utilisé contre ceux qui défendent les Palestiniens et le droit à résister à l’occupation israélienne.

[1] Lire « La voix de la France enfouie sous les bombes », Le Monde diplomatique,octobre 2014

Source : http://blog.mondediplo.net

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Je ne suis pas Charlie Hebdo

Les journalistes de Charlie Hebdo sont maintenant célébrés comme des martyrs de la liberté d’expression, mais regardons les choses en face : depuis 20 ans, s’ils avaient essayé de publier leur journal satirique sur n’importe quel campus américain, cela n’aurait pas duré 30 secondes. Etudiants et groupes universitaires les auraient accusés d’être porteurs d’un discours de haine. L’administration aurait coupé son financement et arrêté la parution.

Les réactions du public aux attentats de Paris ont montré que de nombreuses personnes sont prêtes à porter aux nues ceux qui s’opposent, en France, au terrorisme islamique, mais sont beaucoup moins tolérantes à l’égard de ceux qui offensent leurs propres opinions chez eux.

Regardons simplement ceux qui ont sur-réagi aux agressions sur les campus. L’université de l’Illinois a licencié un professeur qui enseignait la position de l’église catholique sur l’homosexualité. L’université du Kansas a suspendu un professeur qui a écrit un tweet cinglant sur la NRA (National Rifle Association). L’université de Vanderbilt a répudié un groupe de chrétiens qui insistait sur ses obédiences chrétiennes.

Les américains peuvent bien louer le courage de Charlie Hebdo qui publie des caricatures se moquant du Prophète Mahomet, il n’en demeure pas moins que quand Ayaan Hirsi Ali est invitée sur les campus, les appels à lui refuser le podium sont nombreux.

Ce peut être un évènement très instructif. Alors que nous sommes choqués par l’assassinat des écrivains et éditeurs à Paris, c’est le bon moment pour intervenir avec une approche moins hypocrite sur nos propres personnalités controversées, provocatrices et satiriques.

La première chose à dire, je suppose, quoique vous ayez publié hier sur votre page Facebook, est qu’il est hors de propos pour la plupart d’entre nous de dire “Je suis Charlie” ou “Je ne suis pas Charlie”. La plupart d’entre nous ne sommes pas engagés dans cette sorte d’offensive de l’humour délibérée dont les journaux se sont fait les spécialistes. L’humour délibérément offensant dont le journal s’est fait le spécialiste.

Nous aurions pu commencer de cette façon. Quand vous avez 13 ans, il semble audacieux et provocateur d’”épater la bourgeoisie” [NdT : en français dans le texte], de mettre un doigt dans l’œil de l’autorité, de ridiculiser les croyances religieuses des autres.

Mais ensuite cela parait bien puéril. Bon nombre d’entre nous ont évolué vers des conceptions de la réalité plus élaborées et une perception plus tolérante des autres. (Le ridicule devient moins comique lorsque vous vous trouvez à la place du ridiculisé). La plupart d’entre nous essaient de respecter un minimum les gens de croyances et religions différentes. Nous essayons d’initier les conversations en écoutant plutôt qu’en insultant.

Cependant, en même temps, nous savons que ces provocateurs et personnages exotiques ont un rôle public important. Les satiriques et les comiques exposent notre faiblesse et notre vanité lorsque nous sommes fiers. Ils vident un succès de son auto suffisance. Ils nivèlent les inégalités sociales en mettant en avant les bas-fonds. Lorsqu’ils sont efficaces, ils nous aident ordinairement à maitriser nos manies, puisque le rire est l’ultime expression du contact humain.

Par ailleurs, les provocateurs et les comiques exposent la stupidité des fondamentalistes. Ces derniers sont des gens qui prennent tout à la lettre. Ils sont incapables d’avoir des points de vues multiples. Ils sont aussi incapables de voir que même si leur religion méritait une profonde vénération, il est aussi vrai que la plupart des religions sont vraiment bizarres. Les satiristes font la lumière sur ceux qui ne sont pas capables de rire d’eux-mêmes et enseignent au reste d’entre nous que nous devrions probablement nous en moquer.

En résumé, en pensant aux provocateurs et aux personnes injurieuses, nous voulons maintenir des standards de civilité et de respect tandis qu’en même temps  nous offrons de l’espace à ces gens créatifs et audacieux qui ne sont pas inhibés par le bon goût et les bonnes manières.

Si vous essayez de jouer sur cet équilibre fragile avec la loi, les codes du discours et les orateurs exclus, vous finirez avec une censure grossière et une conversation étranglée. Il est presque toujours mauvais de tenter de supprimer la parole, d’ériger des codes du discours et de bannir des orateurs.

Heureusement les comportements sociaux sont plus malléables et plus souples que les codes et les lois. De nombreuses sociétés ont conservé leurs codes de respect et de civilité tout en ouvrant de larges boulevards à ceux qui sont drôles, inciviques et offensifs.

Dans la plupart des sociétés, il y a les règles pour adultes et les règles pour enfants. Ceux qui lisent Le Monde et les porte-paroles officiels sont régis par les règles pour adulte. Les bouffons, les gentils saints et les personnes telles qu’Ann Coulter et Bill Maher suivent les règles pour enfant. Ils ne bénéficient pas d’une totale respectabilité, mais ils sont écoutés car, dans leur manière de tirer sur tout ce qui bouge, ils disent parfois des choses nécessaires que personne d’autre ne dirait.

En d’autres termes, les sociétés saines ne suppriment pas la liberté d’expression, mais elles octroient des statuts différents à différentes catégories de gens. Les spécialistes sages et bienveillants sont entendus avec un grand respect. Les satiristes le sont avec un demi-respect déconcerté. Les racistes et les antisémites le sont à travers un filtre d’opprobre et de mépris. Les gens qui veulent être entendus avec attention doivent l’obtenir par leur conduite.

Le massacre de Charlie Hebdo devrait être une occasion pour en finir avec les codes du discours. Enfin, il devrait nous rappeler d’être légalement tolérants envers les voix offensantes, même si nous sommes socialement discriminants.

Source : David Brooks (journaliste), The New York Times, le 08/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Non à l’Union sacrée

La sidération, la tristesse, la colère face à l’attentat odieux contre Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier, puis la tuerie ouvertement antisémite, vendredi 9 janvier, nous les ressentons encore. Voir des artistes abattus en raison de leur liberté d’expression, au nom d’une idéologie réactionnaire, nous a révulsés. Mais la nausée nous vient devant l’injonction à l’unanimisme et la récupération de ces horribles assassinats.

Nous partageons les sentiments de celles et ceux qui sont descendus dans la rue. Mais ces manifestations ont été confisquées par des pompiers pyromanes qui n’ont aucune vergogne à s’y refaire une santé sur le cadavre des victimes. Manuel Valls, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Jean-François Copé, Angela Merkel, David Cameron, Jean-Claude Juncker, Viktor Orban, Benyamin Nétanyahou, Avigdor Lieberman, Naftali Bennett, Petro Porochenko, les représentants de Recep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine, Omar Bongo… : quel défilé d’abjecte hypocrisie.

Cette mascarade indécente masque mal les 5 000 bombes que l’OTAN a larguées sur l’Irak depuis cinq jours sur décision de ce carré de tête ; les milliers de morts à Gaza, où Avigdor Lieberman, le ministre israélien des affaires étrangères, imaginait employer la bombe atomique quand Naftali Bennett (économie et diaspora) se rengorgeait d’avoir tué beaucoup d’Arabes ; le million de victimes que le blocus en Irak a provoquées. Ceux qu’on a vus manifester en tête de cortège à Paris ordonnent ailleurs de tels carnages.

« Tout le monde doit venir à la manifestation », a déclaré M. Valls en poussant des hauts cris sur la « liberté » et la « tolérance ». Le même qui a interdit les manifestations contre les massacres en Palestine, fait gazer des cheminots en grève et matraquer des lycéens solidaires de leurs camarades sans-papiers expulsés nous donne des leçons de liberté d’expression. Celui qui déplorait à Evry, lorsqu’il était maire PS, de ne voir pas assez de « Blancos » nous jure son amour de la tolérance. Le même qui fanfaronne de battre des records dans l’expulsion des Roms se gargarise de « civilisation ».

En France, la liberté d’expression serait sacrée, on y aurait le droit de blasphémer : blasphème à géométrie variable, puisque l’« offense au drapeau et à l’hymne national » est punie de lourdes amendes et de peines de prison. Que le PS et l’UMP nous expliquent la compatibilité entre leur condamnation officielle du fondamentalisme et la vente d’armes à l’Arabie saoudite, où les femmes n’ont aucun droit, où l’apostasie est punie de mort et où les immigrés subissent un sort proche de l’esclavage.

Nous ne participerons pas à l’union sacrée. On a déjà vu à quelle boucherie elle peut mener. En attendant, le chantage à l’unité nationale sert à désamorcer les colères sociales et la révolte contre les politiques conduites depuis des années.

Manuel Valls nous a asséné que « Nous sommes tous Charlie » et « Nous sommes tous des policiers ». D’abord, non, nous ne sommes pas Charlie. Car si nous sommes bouleversés par la mort de ses dessinateurs et journalistes, nous ne pouvons reprendre à notre compte l’obsession qui s’était enracinée dans le journal contre les musulmans, toujours assimilés à des terroristes, des « cons » ou des assistés. On n’y voyait plus l’anticonformisme, sinon celui, conforme à la norme, qui stigmatise les plus stigmatisés.

Nous ne sommes pas des policiers. La mort de trois d’entre eux est un événement tragique. Mais elle ne nous fera pas entonner l’hymne à l’institution policière. Les contrôles au faciès, les rafles de sans-papiers, les humiliations quotidiennes, les tabassages parfois mortels dans les commissariats, les Flash-Ball qui mutilent, les grenades offensives qui assassinent, nous l’interdisent à jamais.

Et, s’il faut mettre une bougie à sa fenêtre pour pleurer les victimes, nous en ferons briller aussi pour Eric, Loïc, Abou Bakari, Zied, Bouna, Wissam, Rémi, victimes d’une violence perpétrée en toute impunité. Dans un système où les inégalités se creusent de manière vertigineuse, où des richesses éhontées côtoient la plus écrasante misère, sans que nous soyons encore capables massivement de nous en indigner, nous en allumerons aussi pour les six SDF morts en France la semaine de Noël 2014.

Nous sommes solidaires de celles et ceux qui se sentent en danger, depuis que se multiplient les appels à la haine, les « Mort aux Arabes », les incendies de mosquées. Nous nous indignons des incantations faites aux musulmans de se démarquer ; demande-t-on aux chrétiens de se désolidariser des crimes, en 2011, d’Anders Behring Breivik perpétrés au nom de l’Occident chrétien et blanc ? Nous sommes aussi aux côtés de celles et ceux qui subissent le regain d’antisémitisme, dramatiquement exprimé par l’attaque de vendredi 9.

Notre émotion face à l’horreur ne nous fera pas oublier combien les indignations sont sélectives. Non, aucune union sacrée. Faisons en sorte, ensemble, que l’immense mobilisation se poursuive en toute indépendance de ces gouvernements entretenant des choix géopolitiques criminels en Afrique et au Moyen-Orient et ici chômage, précarité, désespoir. Que cet élan collectif débouche sur une volonté subversive, contestataire, révoltée, inentamée, d’imaginer une autre société, comme Charlie l’a longtemps souhaité.

Cette tribune est l’oeuvre d’un collectif: Ludivine Bantigny, historienne; Emmanuel Burdeau, critique de cinéma; François Cusset, historien des idées; Cédric Durand, économiste; Eric Hazan, éditeur; Razmig Keucheyan, sociologue; Thierry Labica, historien; Marwan Mohammed, sociologue; Olivier Neveux, historien de l’art; Willy Pelletier, sociologue; Eugenio Renzi, critique de cinéma; Guillaume Sibertin-Blanc, philosophe; Julien Théry, historien; Rémy Toulouse, éditeur; Enzo Traverso, historien.

Source : Le Monde

Satirique ou Sadique ?

Norman Finkelstein, Professeur de science politique de renommée mondiale déclare qu’il n’éprouve « aucune sympathie » pour le personnel de Charlie Hebdo

Dans l’Allemagne nazie, il y avait un journal hebdomadaire antisémite appelé Der Stürmer.
Dirigé par Julius Streicher, il était réputé comme l’un des défenseurs les plus virulents de la persécution des Juifs pendant les années 1930. Tout le monde se souvient des caricatures morbides de Der Stürmer sur les Juifs, le peuple qui était alors confronté à une discrimination et à une persécution généralisées. Ses représentations validaient tous les stéréotypes communs sur les Juifs – nez crochu, avarice, avidité.
« Imaginons qu’au milieu de toute cette mort et de toute cette destruction, deux jeunes juifs aient fait irruption dans le siège de la rédaction de Der Stürmer, et qu’ils aient tué tout le personnel qui les avait humiliés, dégradés, avilis, insultés », se demande Norman Finkelstein, un professeur de sciences politiques et auteur de nombreux ouvrages dont « L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs » et « Méthode et démence » [consacré aux agressions israéliennes contre Gaza].
« Comment réagirais-je à cela ? » se demanda Finkelstein, qui est le fils de survivants de l’Holocauste.
Finkelstein dressait ainsi une analogie entre une attaque hypothétique contre le journal allemand et l’attaque mortelle du 7 janvier au siège parisien du magazine satirique Charlie Hebdo qui a causé la mort de 12 personnes, dont son éditeur et ses principaux dessinateurs. L’hebdomadaire est réputé pour sa publication de contenus controversés, y compris des caricatures dégradantes sur le Prophète Muhammad [Mahomet] en 2006 et en 2012.
L’attaque a déclenché un énorme tollé mondial, avec des millions de personnes en France et dans le monde qui ont défilé dans les rues pour soutenir la liberté de la presse derrière le cri de ralliement « Je suis Charlie » ou « I am Charlie ».
Ce que les caricatures du Prophète Muhammad [Mahomet] par Charlie Hebdo ont réalisé « n’est pas de la satire », et ce qu’ils ont soulevé n’était pas des « idées », a soutenu Finkelstein.
La satire authentique est exercée soit contre nous-mêmes, afin d’amener notre communauté à réfléchir à deux fois à ses actes et à ses paroles, soit contre des personnes qui ont du pouvoir et des privilèges, a-t-il affirmé.
« Mais lorsque des gens sont misérables et abattus, désespérés, sans ressources, et que vous vous moquez d’eux, lorsque vous vous moquez d’une personne sans-abri, ce n’est pas de la satire », a affirmé Finkelstein.
« Ce n’est rien d’autre que du sadisme. Il y a une très grande différence entre la satire et le sadisme. Charlie Hebdo, c’est du sadisme. Ce n’est pas de la satire. »
La « communauté désespérée et méprisée » d’aujourd’hui, ce sont les musulmans, a-t-il déclaré, évoquant le grand nombre de pays musulmans en proie à la mort et à la destruction, comme c’est le cas en Syrie, en Irak, à Gaza, au Pakistan, en Afghanistan et au Yémen.
« Donc deux jeunes hommes désespérés expriment leur désespoir contre cette pornographie politique qui n’est guère différente de celle de Der Stürmer, qui, au milieu de toute cette mort et de toute cette destruction, a décrété qu’il était en quelque sorte noble de dégrader, d’avilir, d’humilier et d’insulter les membres de cette communauté. Je suis désolé, c’est peut-être très politiquement incorrect de dire cela, mais je n’ai aucune sympathie pour [le personnel de Charlie Hebdo]. Est-ce qu’il fallait les tuer ? Bien sûr que non. Mais bien sûr, Streicher n’aurait pas dû être pendu. Je ne l’ai pas entendu dire par beaucoup de personnes », a déclaré Finkelstein.
Streicher fut l’un de ceux qui furent accusés et jugés au procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale. Il a été pendu pour ses caricatures.
Finkelstein a également fait référence au fait que certaines personnes soutiendront qu’elles ont le droit de se moquer de tout le monde, même des gens désespérés et démunis, et elles ont probablement ce droit, a-t-il concédé. « Mais vous avez aussi le droit de dire : ‘Je ne veux pas publier ça dans mon journal…’ Lorsque vous le publiez, vous en prenez la responsabilité. »
Finkelstein a comparé les caricatures controversées de Charlie Hebdo à la doctrine des « propos incendiaires », une catégorie de propos passibles de poursuites dans la jurisprudence américaine.
Cette doctrine se réfère à certains propos qui entraîneraient probablement la personne contre qui ils sont dirigés à commettre un acte de violence. C’est une catégorie de propos qui n’est pas protégée par le Premier Amendement.
« Vous n’avez pas le droit de prononcer des propos incendiaires, parce qu’ils sont l’équivalent d’une gifle sur le visage, et ça revient à chercher des ennuis », a déclaré Finkelstein.
« Eh bien, est-ce que les caricatures de Charlie Hebdo sont l’équivalent des propos incendiaires ? Ils appellent cela de la satire. Ce n’est pas de la satire. Ce ne sont que des épithètes, il n’y a rien de drôle là-dedans. Si vous trouvez ça drôle, alors représenter des Juifs avec des grosses lèvres et un nez crochu est également drôle. »
Finkelstein a souligné les contradictions dans la perception occidentale de la liberté de la presse en donnant l’exemple du magazine pornographique Hustler, dont l’éditeur, Larry Flynt, a été abattu et laissé paralysé en 1978 par un tueur en série suprématiste blanc, car il avait publié des illustrations de sexe interracial.
« Je n’ai pas le souvenir que tout le monde l’ait glorifié par le slogan « Nous sommes Larry Flynt » ou « Nous sommes Hustler », a-t-il souligné. Est-ce qu’il méritait d’être attaqué ? Bien sûr que non. Mais personne n’a soudainement transformé cet événement en un quelconque principe politique. »
L’adhésion occidentale aux caricatures de Charlie Hebdo est due au fait que les dessins visaient et ridiculisaient les musulmans, a-t-il affirmé.

Le fait que les Français décrivent les musulmans comme des barbares est hypocrite au regard des meurtres de milliers de personnes durant l’occupation coloniale française de l’Algérie, et de la réaction de l’opinion publique française à la guerre d’Algérie de 1954 à 1962, selon Finkelstein.La première manifestation de masse à Paris contre la guerre « n’a eu lieu qu’en 1960, deux ans avant la fin de la guerre », a-t-il rappelé. « Tout le monde soutenait la guerre française annihilatrice en Algérie. »

Il rappela que l’appartement du philosophe français Jean Paul Sartre a été bombardé à deux reprises, en 1961 et en 1962, ainsi que les bureaux de son magazine, Les Temps Modernes, après qu’il se soit déclaré absolument opposé à la guerre.
Finkelstein, qui a été décrit comme un « Radical Américain », a déclaré que les prétentions occidentales sur le code vestimentaire musulman révèlent une contradiction remarquable lorsqu’on les compare à l’attitude de l’Occident envers les indigènes sur les terres qu’ils occupaient durant la période coloniale.
« Lorsque les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, ce qu’ils ont déclaré à propos des Amérindiens, c’est qu’ils étaient vraiment barbares, parce qu’ils marchaient tout nus. Les femmes européennes portaient alors trois couches de vêtements. Puis ils sont venus en Amérique du Nord, et ont décrété que les Amérindiens étaient arriérés parce qu’ils marchaient tous nus. Et maintenant, nous marchons tout nus, et nous proclamons que les musulmans sont arriérés parce qu’ils portent tant de vêtements », a-t-il affirmé.
« Pouvez-vous imaginer quelque chose de plus barbare que cela ? Exclure les femmes qui portent le voile ? », a-t-il demandé, faisant référence à l’interdiction du voile dans les emplois de service public français promulguée en 2004.
Les travaux de Finkelstein, accusant les Juifs d’exploiter la mémoire de l’Holocauste à des fins politiques et dénonçant Israël pour son oppression des Palestiniens, ont fait de lui une figure controversée même au sein de la communauté juive.
Sa nomination en tant que Professeur à l’Université De Paul en 2007 a été annulée après une querelle très médiatisée avec son collègue académique Alan Dershowitz, un ardent défenseur d’Israël. Dershowitz aurait fait pression sur l’administration de De Paul, une université catholique de Chicago, afin d’empêcher sa nomination. Finkelstein, qui enseigne actuellement à l’Université de Sakarya en Turquie, affirme que cette décision fut fondée sur des « motifs politiques transparents. »
Article original : http://normanfinkelstein.com/2015/01/19/norman-finkelstein-charlie-hebdo-is-sadism-not-satire/

Traduction : http://www.sayed7asan.blogspot.fr

L’hebdo satirique n’est pas la France

“Je suis Charlie”, une phrase reprise par beaucoup comme un hommage aux victimes de l’attaque au siège du journal satirique, mercredi.

« Je suis Charlie ». Le succès du slogan signifie donc que de nombreux citoyens français se reconnaissent dans l’esprit de dérision de l’hebdomadaire : double faute éthique et politique. L’argument pour justifier une telle identification est que les assassins, en « tuant Charlie », ont attaqué la liberté d’expression, valeur fondamentale de notre République.

Ce journal n’a eu de cesse de manier le crayon pour insulter les croyances religieuses et se moquer de toute autorité et institution. Mais la liberté ne s’inscrit-elle pas dans un ensemble plus large : la responsabilité, le respect d’autrui et d’abord le fonctionnement de la raison ?

La liberté en question est celle d’exprimer ce que la raison énonce. Or celle-ci est un outil de connaissance, de jugement, d’argumentation, et c’est à ce titre qu’elle peut déployer sa puissance critique de réfutation.

Identifier la liberté d’expression au seul droit absolu de choquer autrui dans ce qui lui apparaît comme le plus sacré est un contresens sur ce qu’est la raison. On a bien sûr le droit de trouver dangereuses ou obsolètes des croyances et des pratiques religieuses mais n’est-il pas plus pertinent, et même plus efficace, de discuter plutôt que d’insulter ? Bref, il y a une éthique de la raison.

La faute est aussi de nature politique. Il est évident qu’une grande majorité de musulmans a été scandalisée par la publication de dessins lui apparaissant comme blasphématoires.

Certains règlent la question en se limitant à une approche strictement juridique : « le délit de blasphème n’existe plus depuis très longtemps en droit français » pour en conclure à un soi-disant « droit au blasphème » ; comme si offenser autrui était un droit de l’homme. Faire croire aux musulmans français que « Charlie, c’est la France », c’est confirmer dans l’esprit de beaucoup que, décidément, ils sont étrangers à ce corps politique.

Comment peut-on se sentir membre de la communauté nationale si celle-ci se choisit pour symbole ce qui heurte ses croyances les plus sacrées ? Une telle opération est le meilleur moyen de créer un fossé infranchissable dans les esprits et dans les cœurs.

Exiger qu’un musulman devienne un bon citoyen en adhérant aux valeurs de la République dont l’incarnation serait « Charlie », c’est pratiquement l’exclure de la nation et donc le jeter dans les bras des islamistes qui n’attendent que cela.

Ne tombons donc pas dans le piège qu’ils nous tendent : couper les musulmans de France de la communauté nationale.
Lire les autres tribunes : Ceux qui ne sont pas Charlie

Thibaud Collin (professeur de philosophie au Collège Stanislas, un établissement privé catholique à Paris)

Source : Le Monde

Ce qu’il y a de non Charlie en moi

Par Rony Brauman (Ancien président de Médecins sans frontières et professeur de relations internationales à Sciences Po Paris)

Je suis Charlie, je ne suis pas Charlie. Le Charlie en moi est accablé par l’assassinat de figures familières, chantres de la grivoiserie et de la dérision, il est bouleversé par la mort de ces bouffeurs de religion dont l’outrance et le mauvais goût rigolards étaient la marque de fabrique.

J’ai grandi avec eux depuis l’époque d’Hara Kiri et l’horreur de leur disparition me laisse un goût de cendres. Une horreur qu’amplifient encore la froide exécution des otages de l’épicerie casher et celle des policiers. Mais nous sommes ainsi faits que des sentiments distincts et même contradictoires coexistent en nous, se partageant notre esprit, et c’est de ceux-là que je veux parler ici.

Si l’exaspération que je ressens au vu de certaines des réactions n’éteint pas mon émotion, elle m’a retenu de rejoindre les défilés républicains de ces derniers jours, bien que je me reconnaisse sans la moindre hésitation dans nombre de marcheurs qui manifestent leur solidarité avec les victimes.

Le non-Charlie en moi se souvient que le dessinateur Siné en fut expulsé sans ménagement, sur une accusation infamante car injuste d’antisémitisme. C’est à ce moment, d’ailleurs, que j’ai cessé d’en être lecteur. Rappeler cet épisode en un moment si tragique n’est en rien fournir une excuse oblique aux tueurs mais inviter à quelques réflexions sur les « valeurs » que les terroristes veulent détruire.

Je rejoins volontiers tous ceux qui considèrent le droit à l’outrance et au mauvais goût comme des marqueurs de liberté ; mais sous la condition expresse qu’ils soient appliqués à tous, faute de quoi se profilent des hiérarchies dans la satire qui en pervertissent le sens. En attaquant Charlie pour « venger le Prophète », ces impitoyables « justiciers » ne s’en prenaient pas à la liberté, que bien d’autres cibles pouvaient incarner, mais au droit au blasphème, ce qui n’est pas la même chose. Pas la même chose, vraiment ? Si, certainement, dans l’imaginaire républicain moderne à la française, comme l’attestent de nombreuses réactions qualifiant de « lâches » ou « hypocrites » les journaux anglo-saxons qui ont flouté les couvertures de Charlie brandies par des manifestants français.

Ceux qui tiennent ces propos font de l’insistance à republier les caricatures de Mahomet un acte de résistance, un geste de liberté. L’abolition du délit de blasphème, disent-ils en substance et avec raison, implique le droit à être de mauvaise foi, blessant. C’est également mon avis et c’est notamment pourquoi je suis opposé à toutes les lois mémorielles, lesquelles ne peuvent instituer qu’une hiérarchie de la souffrance, irrecevable par ceux qui s’en trouvent abaissés.

Comme d’autres, je me sens blessé par les faussaires de l’Histoire, mais je ne peux tenir ce sentiment pour le fondement d’un délit, qu’il s’agisse du génocide des juifs ou d’autres tragédies du passé. Or la loi Gayssot, en pénalisant la mise en doute et même l’irrévérence à l’égard de la Shoah, réintroduisait de fait un délit de blessure symbolique et de blasphème. Sûrs de leur bon droit à punir une catégorie de profanateurs et une seule, les voltairiens évoqués plus haut n’en semblent guère indisposés.

Ce qui apparaît comme un impératif moral ici est, bien entendu, perçu ailleurs comme une restriction de liberté, tant il est vrai que les contours de l’intolérable, loin d’être un absolu, varient selon les lieux et les moments et qu’il ne suffit pas de les proclamer universels pour qu’ils le deviennent. C’est aussi sous cette lumière-là que l’on peut examiner, avant de le condamner pour collaboration avec l’ennemi, le refus de publier à nouveau les fameuses caricatures initialement parues dans un journal d’extrême droite danois ou d’autres du même tonneau.
Rhétorique d’intimidation morale

Constatons en tout cas, pour ce qui concerne notre pays, que la rhétorique d’intimidation morale dont l’ « affaire Siné » fut une illustration parmi bien d’autres contraste singulièrement avec le droit largement utilisé de mettre à mal d’autres sacrés, comme en témoigne notamment l’omniprésence médiatique d’Eric Zemmour et de Michel Houellebecq. Si d’authentiques défenseurs de la liberté se regroupent sous le drapeau « Je suis Charlie », sous ce même drapeau « Je suis Charlie » (mais non du fait des journalistes de Charlie, je le précise) surgit la figure basanée d’un ennemi intérieur, résonnent des discours martiaux sur la « guerre au terrorisme » et la nécessité d’un Patriot Act.
Lire aussi : L’hebdo satirique n’est pas la France

Ce n’est pas manquer de respect aux victimes et à leurs proches, ni contester l’existence d’une menace terroriste que de s’en inquiéter. Et pas uniquement pour des raisons morales mais aussi et surtout parce qu’ils obscurcissent la réalité plutôt qu’ils ne l’éclairent, comme on l’a vu aux Etats-Unis et au Moyen-Orient sous la calamiteuse présidence George W. Bush.
Olivier Roy a indiqué dans ces colonnes (Le Monde daté du 10 janvier) pourquoi les appels lancés à la « communauté musulmane » à condamner le terrorisme islamiste étaient déplacés, contradictoires dans les termes et contre-productifs dans leurs effets.

Demandons-nous avec lui s’il faut inclure dans ces appels Lassana Bathily, l’homme qui a mis à l’abri les otages de l’épicerie casher de Vincennes et remis les clés du rideau de fer à la police, ou encore Ahmed Merabet, le policier abattu devant le siège de Charlie. Leur patronyme signale leur origine religieuse. Ils ne sont ni moins ni plus musulmans que les frères Kouachi, ils se sont comportés héroïquement. Saluer leur courage est aussi une façon de rendre hommage aux victimes de la terreur islamiste.

Source : Le Monde

“JE NE SUIS PAS CHARLIE. ET CROYEZ-MOI, JE SUIS AUSSI TRISTE QUE VOUS.”

Par BC, @sinaute

“Je ne suis pas descendu parmi la foule.” Un @sinaute exprime, dans le forum de discussion de la dernière chronique de Daniel Schneidermann, son malaise vis-à-vis de “l’union nationale” suite aux attaques meurtrières qui ont visé Charlie Hebdo. En cause, la “dérive islamophobe” du journal et de cette gauche “Onfray/Charlie/Fourest laïcarde”.

Gros malaise. Je ne suis pas descendu parmi la foule. Je ne suis pas Charlie. Et croyez-moi, je suis aussi triste que vous.

Mais cet unanimisme émotionnel, quasiment institutionnel pour ceux qui écoutent les radio de service public et lisent les grands media, j’ai l’impression qu’on a déjà essayé de me foutre dedans à deux reprises. La société française est complètement anomique, mais on continue à se raconter des histoires.

Première histoire: victoire des Bleus en 1998. Unanimisme: Thuram Président, Black Blanc Beur etc. J’étais alors dans la foule. Quelques années plus tard: Knysna, Finkelkraut et son Black Black Black, déferlement de haine contre ces racailles millionnaires, mépris de classe systématique envers des sportifs analphabètes tout droit issus du sous-prolétariat post-colonial. Super l’”unité nationale”.

Deuxième histoire: entre deux-tour en 2002. Unanimisme: le FHaine ne passera pas, “pinces à linges”, “sursaut républicain”, foule “bigarrée” et drapeaux marocains le soir du second tour devant Chirac “supermenteur”, “sauveur” inopiné de la République, et Bernadette qui tire la tronche, grand soulagement national. J’étais dans la foule des manifs d’entre deux tours.
Quelques années plus trard: le FN en pleine forme, invention du “racisme anti-blanc”, création d’une coalition Gauche/Onfray/Charlie/Fourest laïcarde et une Droite forte/UMP/Cassoulet en pleine crise d’”identité nationale” contre l’Islam radical en France, “racaille” et “Kärcher”, syndrome du foulard, des prières de rue, des mosquées, émeutes dans les banlieues, tirs sur les policiers, couvre-feu, récupération de la laïcité par l’extrême droite, Zemmour, Dieudo, Soral… Super l’”unité nationale”.

Troisième histoire: sursaut national après le massacre inqualifiable à Charlie en janvier 2015. Unanimisme: deuil national, “nous sommes tous Charlie”, mobilisations massives pour la défense de la liberté d’expression dans tout le pays. Charlie ? Plus personne ne le lisait. Pour les gens de gauche qui réfléchissent un peu, la dérive islamophobe sous couvert de laïcité et de “droit de rire de tout” était trop évidente. Pour les gens de droite: on déteste cette culture post-68, mais c’est toujours sympa de se foutre de la gueule des moyen-âgeux du Levant. Pour l’extrême droite: pas lu, auteurs et dessinateurs détestés culturellement et politiquement, mais très utile, les dessins sont repris dans “Riposte laïque” [site islamophobe d'extrême droite]. Pour beaucoup de musulmans: un affront hebdomadaire, mais on ferme sa gueule, c’est la “culture française”.

“DIEUDO/SORAL ET LES COMPLOTISTES SONT PASSÉS PAR LÀ”

Résultat: des centaines de milliers de musulmans sommés de montrer patte blanche, quelques années à peine après la purge officielle sur l’identité nationale. Des années durant avec toujours le même message insistant: mais putain, quand est-ce que vous allez vous intégrer? Et vous, les musulmans “modérés”, pourquoi on vous entend pas plus? A partir d’aujourd’hui, “vous êtes pour nous ou contre nous”. Cabu ne disait pas autre chose: “la caricature, ils doivent bien l’accepter, c’est la culture Française”. Super l’”unité nationale”.

Réactions à chaud de jeunes de quartiers entendues dans le micro: “c’est pas possible, c’est trop gros, c’est un coup monté”. Dieudo/Soral et les complotistes sont passés par là: manifestement certains ne croient pas plus au 07/01/15 qu’au 11/09/01. La réalité est qu’on les a déjà perdus depuis longtemps, et c’est pas avec des veillées publiques à la bougie qu’on va les récupérer ni avec des incantations à la “résistance” – mais à quoi vous “résistez” au fond ? Vous allez vous abonner à Charlie? Et ça va changer quoi?

“LA MAJORITÉ VA SE SENTIR MIEUX, ET C’EST PRÉCIEUX. MAIS LA FRACTURE EST TOTALE.”

La réassurance collective est un mouvement sain et compréhensible face à un massacre aussi traumatisant, mais elle a pour versant complémentaire le déni collectif, et pour résultat l’oubli des causes réelles et profondes de l’anomie. La majorité va se sentir mieux, se faire du bien, comme elle s’était fait du bien en 1998 et 2002, et c’est précieux. Mais la fracture est totale. Et la confusion idéologique à son comble.

Personne ne se demande comment on en est arrivé là, comment des jeunes parigots en sont venus à massacrer des journalistes et des artistes à la Kalash après un séjour en Syrie, sans avoir aucune idée de la vie et des idées des gens qu’ils ont tué: ils étaient juste sur la liste des cibles d’AlQaeda dans la Péninsule Arabique. Personne ne veut voir que cette société française, derrière l’unanimisme de façade devant l’horreur, est en réalité plus que jamais complètement anomique, qu’elle jette désespérément les plus démunis les uns contre les autres, et qu’elle a généré en un peu plus d’une décennie ses propres ennemis intérieurs.

“LA PLUS GROSSE FABRIQUE À SOLDATS D’AL QAEDA SUR NOTRE TERRITOIRE, C’EST LA PRISON”

Personne ne veut voir que la plus grosse fabrique à soldats d’Al Qaeda sur notre territoire, c’est la PRISON. Personne n’a compris que la France n’a pas basculé en 2015, mais il y a dix ans déjà, lors des émeutes. Personne ne veut voir que nous vivons encore les conséquences lointaines de l’immense humiliation coloniale et post-coloniale, et que vos leçons de “civilisation” et de “liberté d’expression” sont de ce fait inaudibles pour certains de ceux qui l’ont subie et la subissent ENCORE.

Et on continue à se raconter des histoires, après la fiction des Bleus de 1998, après le mythe du “Front républicain” de 2002, en agitant cette fois-ci comme un hochet la liberté d’expression, dernier rempart d’une collectivité qui n’est plus capable de se donner comme raison d’être que le droit fondamental de se foutre de la gueule des “autres”, comme un deus ex machina qui allait miraculeusement réifier cette “unité nationale” réduite en lambeaux.

Vous n’arriverez pas à reconstruire la “communauté nationale” sur ce seul principe, fût-il essentiel. Je vous le dis, vous n’y arriverez pas. Car ce n’est pas CA notre problème. Notre problème, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait plus personne en France qui n’ait tellement plus rien à espérer et à attendre de son propre pays natal au point d’en être réduit à n’avoir pour seule raison de vivre que de tuer des gens en masse, chez nous ou ailleurs.

Car on ne peut rien contre ceux qui leur fournissent la liste des cibles une fois qu’ils sont conditionnés. Il faut donc TOUT mettre en oeuvre pour agir avant qu’ils en soient là: ce n’est pas facile mais c’est la seule chose qui compte si on ne veut pas progressivement tomber dans le gouffre de la guerre civile, qui est la conséquence ultime de l’anomie.

Après, c’est trop tard. Et c’est déjà trop tard….

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Source: http://www.les-crises.fr/ils-ne-sont-pas-charlie-2/