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Onfray/Valls : retour sur la polémique

Tuesday 17 March 2015 at 00:15

J’ai trouvé très intéressante cette “polémique”, pas tant sur le fond mais plutôt sur ce qu’elle montre du niveau de nos dirigeants politiques…

Triste époque où la finesse de pensée est finalement interdite – surtout par les JeSuisCharlie…

Michel Onfray : “Cette mafia qui se réclame de la gauche…”

Le Point : Une partie de la gauche est devenue très hostile à votre égard. Votre opposition à la théorie du genre, votre critique de l’islam et votre défense d’Eric Zemmour vous ont valu le surnom de « Finkielkraut bis ». Auriez-vous basculé du « côté obscur de la force » ?

Michel Onfray : Tout dépend de quelle gauche on parle …

La gauche mondaine, parisienne, celle de Saint-Germain-des-Prés ?
La gauche caviar de BHL ?
La gauche tellement libérale qu’elle défend la vente d’enfants en justifiant la location d’utérus des femmes pauvres pour des couples riches ?
La gauche de Pierre Bergé qui estime que louer son ventre, c’est la même chose que travailler comme caissière ?
La gauche qui préfère avoir tort avec Robespierre, Marx, Lénine, Staline, Mao, Khomeyni que raison avec Camus ?
La gauche qui rend responsables Houellebecq, Finkielkraut et Zemmour des attentats du 7 janvier, qu’elle ne veut pas nommer islamistes ?
La gauche de Libération qui, le 20 janvier 2014, justifie la zoophilie et la coprophagie avec la philosophe Beatriz Preciado, chroniqueuse dudit journal ?
La gauche qui fit de Bernard Tapie son héros et un ministre ?
La gauche qui a vendu une télévision publique à Berlusconi ?
La gauche qui traque la misogynie et la phallocratie partout dans la langue française et veut qu’on dise professeure et auteure mais qui ne voit pas que la polygamie, le voile, la répudiation, les mariages arrangés, l’excision, le chômage des mères seules, les ex-maris qui ne paient pas les pensions alimentaires font des ravages plus profonds en matière de phallocratie ?
La gauche qui vote comme Sarkozy sur l’Europe et l’euro, la diminution des retraites et l’augmentation du temps de travail, les restrictions de remboursements maladie, et croit que le danger fasciste est partout sauf là où il est ?
La gauche qui se croit antifasciste comme Jean Moulin quand elle appelle à interdire le parti de Marine Le Pen ?
La gauche de ceux qui croient à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, bien sûr, mais qui me bannissent de France Inter pendant quatre ans ou demandent qu’on interdise la diffusion de mon cours sur Freud à France Culture en lançant une pétition contre moi au nom de la liberté d’expression ?
La gauche du sénateur socialiste qui intervient auprès du président du conseil régional de Basse-Normandie pour faire sauter la subvention de l’Université populaire à la demande d’une historienne de la psychanalyse qui, bien sûr, est de gauche ?
La gauche qui détruit l’école parce qu’elle sait que ses enfants sortiront de toute façon du lot, puisqu’elle s’en occupe à la maison et qui, de ce fait, renvoie les enfants de pauvres dans les caniveaux où Marine Le Pen ou le djihad les récupèrent ?
Que cette gauche-là ne m’aime pas, ça m’honore …

En revanche, je ne compte pas le nombre de gens vraiment de gauche qui me disent, dans la rue, par mails, par courrier, à l’issue de mes conférences, qu’ils sont d’accord avec moi mais n’osent pas le dire parce qu’il règne une terreur idéologique activée par cette mafia qui se réclame de la gauche …

Le Point : Même la revue de la nouvelle droite, « Eléments », vous tresse des lauriers … Y aurait-il un malentendu ?

Michel Onfray : Je suis antilibéral, contre l’euro et l’Europe, pour les peuples, je défends un socialisme proudhonien, mutualiste et fédéraliste, je crois au génie du peuple tant que les médias de masse ne l’abrutissent pas pour le transformer en masse abêtie qui jouit de la servitude volontaire et descend dans la rue comme un seul homme au premier coup de sifflet médiatique, je ne crois pas que le marché doive faire la loi, je ne fais pas de l’argent l’horizon indépassable de toute éthique et de toute politique, je préfère les girondins fédéralistes et provinciaux aux jacobins centralisateurs et coupeurs de têtes, et avec ça, je suis de gauche – si Eléments est d’accord avec ça, devrais-je cesser de croire ce que je crois ?

Le Point : Dans « L’ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus », vous faisiez une critique implacable de la « gauche totalitaire ». Ce livre n’a-t-il pas marqué une rupture définitive entre une certaine intelligentsia de gauche et vous ?

Michel Onfray : Une certaine intelligentsia de gauche, comme vous dites, n’a jamais aimé que je ne sois pas du sérail et que je ne doive mon statut qu’à mon travail et non au copinage tribal qui fait l’essentiel de son quotidien. J’ai construit ma vie pour n’avoir rien à demander à personne. Que cette tribu grosse comme un village papou fasse sa loi et fonctionne comme une mafia, c’est son affaire, pas la mienne.

J’ai créé l’Université populaire de Caen il y a treize ans, en province, pour lutter contre la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle, cette université fonctionne à merveille avec une vingtaine d’amis. J’y travaille bénévolement et les cours sont gratuits. C’est ma façon d’être de gauche car se dire de gauche compte pour rien si l’on ne vit pas une vie de gauche, à savoir une vie dans laquelle on incarne les idéaux de gauche : liberté, égalité, fraternité, laïcité, féminisme. Cette intelligentsia n’en parle jamais alors que mille personnes viennent chaque lundi à mon cours. L’arbitre des élégances n’est pas pour moi ce village papou, mais ce peuple qui vient.

Le Point : « Moi qui suis de gauche, je préfère un homme de droite intelligent à un homme de gauche débile » avez-vous déclaré au « Figaro ». La droite serait-elle de plus en plus intelligente ? Et, a contrario, la gauche serait-elle de plus en plus débile ?

Michel Onfray : Depuis que je juge la gauche sur ce qu’elle fait plus que sur ce qu’elle dit d’elle, je ne me fais plus avoir par les étiquettes. Il n’y a pas la gauche et la droite, mais des gens de gauche et des gens de droite. Et je n’estime pas une personne sur ces critères. Pas plus que l’athée que je suis ne juge autrui sur le fait qu’il croie ou non en Dieu, mais sur ce qu’il fait de son athéisme ou de sa foi dans sa vie quotidienne. Là aussi, là encore, je préfère un croyant intelligent à un athée imbécile. Je trouve même sidérant qu’on ait besoin de le dire, ce qui supposerait qu’un homme de gauche devrait préférer un crétin de gauche à un homme de droite intelligent …

Le Point : Quels sont les intellectuels de droite dont vous vous sentez le plus proche ?

Michel Onfray : Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Mine ni de Jacques Attali, qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite ? Qui sont-ils, d’ailleurs ? Concluez, si vous voulez, que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préfère une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist … Les Papous vont hurler ! Mais ils ne me feront pas dire que je préfère une analyse injuste de BHL sous prétexte qu’il dit qu’il est de gauche et que Pierre Bergé, Libération, Le Monde et Le Nouvel Observateur, pardon, L’Obs affirment aussi qu’il le serait …

Le Point : Y a-t-il un homme politique de droite pour lequel vous seriez prêt à voter ?

Michel Onfray : Aucun. Ni d’ailleurs aucun homme de gauche. C’est fini, l’époque où je croyais aux bateleurs de la politique politicienne.

Propos recueillis par Sébastien Le Fol.

Source : Le Point, le 9 mars 2015. (Et pour les non-abonnés au Point, ici).


Onfray traite Valls de “crétin” : décryptage d’une polémique

Une petite phrase dans une interview du philosophe au “Point” - ”Je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL” – a mis le feu aux poudres. Explications.

Michel Onfray et Manuel Valls. (NICOLAS MESSYASZ/SIPA & BALTEL/SIPA - Montage l'Obs)
Michel Onfray et Manuel Valls.

“Manuel Valls est un crétin.” “Michel Onfray perd ses repères.” Le philosophe Michel Onfray, qui se réclame de la gauche, et le Premier ministre Manuel Valls s’échangent des amabilités depuis dimanche.

Au coeur de la polémique, une petite phrase dans une interview de Michel Onfray au “Point”dans laquelle il dit préférer “une analyse juste” de droite (extrême) “qu’une analyse injuste” de gauche. Décryptage d’une passe d’armes qui a pris une nouvelle tournure lundi 9 mars alors que le philosophe a qualifié le chef du gouvernement de “crétin”.

# La provocation

“Je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL [Bernard-Henri Lévy, NDLR].” C’est la phrase à l’origine de la controverse. Dans une interview au “Point” datée du 25 février, Michel Onfray confie qu’il ne se sent “pas proche” des intellectuels BHL, Alain Minc et Jacques Attali ”qui, me dit-on, sont de gauche”.

Dans son interview, au cours de laquelle il tape à bras raccourcis sur une partie de la gauche, incarnée notamment par Manuel Valls, Michel Onfray précise donc qu’il “préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL”.

Or, Alain de Benoist, essayiste et journaliste, est un ancien militant d’extrême droite. Figure de la “Nouvelle Droite”, ce mouvement tantôt placé ”entre droite et extrême droite”tantôt décrit comme “fasciste”, Alain de Benoist assure néanmoins “n’avoir jamais voté pour le Front national”.

En citant ce nom, Michel Onfray est cependant conscient de jouer la provocation. “Les Papous vont hurler !” prévient-il dans les colonnes du “Point”.

# La réplique

Lors d’un entretien accordé à Europe 1/i-Télé/Le Monde, Manuel Valls lance dimanche une charge contre le Front national. Mais il profite aussi de son interview pour répondre aux critiques du philosophe qui dénonce, dans les colonnes du “Point”, “une mafia qui se réclame de la gauche” et reproche notamment aux socialistes d’avoir abandonné leurs idéaux sur de nombreuses thématiques, comme l’école, l’emploi ou les inégalités hommes-femmes.

Et la référence à Alain de Benoist a visiblement fortement déplu au Premier ministre :

Quand un philosophe connu, apprécié par beaucoup de Français, Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist, qui était le philosophe de la ‘Nouvelle Droite’ dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grece, [...] au fond vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères”, dénonce Manuel Valls.

# L’insulte

“Manuel Valls est un crétin.” Le philosophe n’a pas du tout apprécié le raccourci du Premier ministre. Dans son interview, il ne dit pas concrétement que Alain de Benoist “vaut mieux” que Bernard Henri-Lévy. Si l’on reprend ses termes, le philosophe assume “préférer une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de BHL”.

La nuance est importante. Dans “Le Point”, Michel Onfray s’empressait d’ailleurs d’ajouter : “Je préférais une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist.”

Pour le philosophe, “Manuel Valls, l’ami de BHL, perd [donc] les pédales !”

S’il faut une explication de texte à Manuel Valls [...] je disais que, moi qui suis de gauche, je préférais une idée juste, fût-elle de droite, à une idée fausse même si elle est de gauche, surtout si elle est de gauche. Quel philosophe, quel citoyen même, pourrait soutenir le contraire d’ailleurs, sauf à préférer l’erreur et le faux pour des raisons idéologiques ? Ne pas souscrire à cette affirmation de bon sens élémentaire revient à dire qu’il vaut mieux une idée fausse avec BHL qu’une idée juste de droite.”

Et Michel Onfray de se fendre d’un tweet outré, dans lequel il qualifie le Premier et le secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen, de “crétins”.

Le terme est fort. Mais, invité d’Europe 1 lundi matin, le philosophe libertaire confirme l’emploi du mot “crétin” pour qualifier le Premier ministre.

J’ai vérifié dans le dictionnaire, ça s’appelle un crétin. Ce n’est pas insultant, c’est familier.”

Voilà qui est dit.

Source : Renaud Février, pour L’Obs, le 9 mars 2015.


Onfray sur Vals : “Dans le dictionnaire, ça s’appelle un crétin”

VIDÉO. Manuel Valls s’en est pris dimanche à Michel Onfray, accusé de “perdre les repères”. Le philosophe, qui se dit “vraiment de gauche”, tacle l’exécutif.

Le philosophe Michel Onfray ne décolère pas contre le couple exécutif.
Le philosophe Michel Onfray ne décolère pas contre le couple exécutif.

“Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Minc ni de Jacques Attali qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite ? Qui sont-ils, d’ailleurs ? Concluez si vous voulez que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préfère une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist… Les Papous vont hurler ?” Voici la réponse de Michel Onfray auPoint (n° 2216) qui l’interrogeait sur les intellectuels de droite dont le philosophe se sent le plus proche.

Des propos qui n’ont manifestement pas échappé à Manuel Valls. “Quand un philosophe connu, apprécié par beaucoup de Français, Michel Onfray, explique qu’Alain de Benoist, qui était le philosophe de la Nouvelle Droite dans les années 70 et 80, qui d’une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l’Horloge, le Grece, (…) au fond vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu’on perd les repères”, a dénoncé dimanche le Premier ministre auGrand Rendez-vous Europe 1/i>Télé/Le Monde.

“Je suis vraiment de gauche”

“Manuel Valls, l’ami de BHL, perd les pédales !” a réagi dans un premier temps le philosophe. Lundi matin, sur Europe 1, Michel Onfray s’est refusé à répondre au Premier ministre. “Je ne lui réponds rien du tout parce qu’il n’a rien lu du tout. Ses fameux conseillers en communication ont dû lui fabriquer une petite fiche, ils n’ont pas compris ce que j’avais écrit. Je fais juste mon travail de philosophe en disant que je préfère une idée juste et mon problème n’est pas de savoir si cette idée juste est de droite ou de gauche. J’ai l’impression que Manuel Valls pense le contraire, c’est-à-dire qu’il préfère une idée fausse, pourvu qu’elle soit de gauche, à une idée juste si elle de droite.” Et le philosophe d’ajouter : “J’ai vérifié dans le dictionnaire, ça s’appelle un crétin. Ce n’est pas insultant, c’est familier.”

REGARDEZ Michel Onfray

“Moi, je suis vraiment de gauche, et eux ont cessé de l’être en 1983″, a affirmé Michel Onfray, faisant référence au “tournant de la rigueur” mené par François Mitterrand. Pour lui, “les repères sont perdus depuis que Mitterrand a converti la gauche à la droite”. Poursuivant sa diatribe, Michel Onfray n’a pas oublié de tacler l’actuel chef de l’État, sans le nommer. Faisant référence à un récent dîner à l’Élysée auquel participait Joey Starr et Julie Gayet, l’écrivain assène : “Si ce monsieur oublie ce que je fais depuis treize ans, et, plutôt que de m’inviter, on préfère inviter Joey Starr qui boit du whisky ou Julie Gayet ou Yannick Noah en considérant que ce sont les seuls critères intellectuels qu’on ait à présenter, c’est leur affaire, mais ce n’est pas la mienne.” Fin de la polémique ?

Source : Le Point, le 9 mars 2015.


Michel Onfray répond à Valls : “Si le PS a perdu ses repères, c’est un peu à cause de lui”

Michel Onfray a répondu à Manuel Valls
Michel Onfray a répondu à Manuel Valls

Manuel Valls s’en est pris dimanche au philosophe Michel Onfray, accusé de “perdre les repères” et de préférer l’intellectuel de la Nouvelle droite, Alain de Benoist, à Bernard-Henri Lévy. Celui-ci lui a répondu ce lundi matin sur RMC.

Passe d’arme entre Manuel Valls et Michel Onfray. Le premier accuse l’autre de “perdre les repères”. Le second “de perdre les pédales”. Et la querelle a continué ce lundi matin. Ainsi, invité de Jean-Jacques Bourdin ce lundi matin sur RMC, le philosophe s’en est une nouvelle fois pris au Premier ministre. “C’est drôle que l’on me reproche de perdre mes repères alors que si vraiment le PS a perdu les siens c’est un peu à cause de gens comme lui”, assène-t-il.

“Je n’ai pas le droit de le penser ?”

Et de faire une anaphore pour argumenter son propos: “C’est quand même Manuel Valls qui critique les 35h. C’est quand même Manuel Valls qui a été filmé sur les marchés disant que cela manquait de ‘blancos’. C’est quand même Manuel Valls qui a été dragué par Sarkozy au moment de son gouvernement d’ouverture. C’est quand même Manuel Valls qui veut en finir avec le mot socialisme qu’il trouve grossier et vulgaire. C’est quand même Manuel Valls qui appartient à un parti qui, avec Sarkozy, a dit au peuple qui avait voté non à l’Europe en 2005 ‘On en a rien à faire de votre décision’”.

Dans Bourdin Direct, Michel Onfray va encore plus loin. “Je n’ai pas dit ce que Manuel Valls dit. J’ai dit qu’il valait mieux une idée juste d’Alain de Benoist qu’une idée injuste de BHL. Cela ne veut pas dire que l’on préfère Alain de Benoist à BHL. Mais aurais-je même dit cela, je n’ai pas le droit de le dire? Je n’ai pas le droit de le penser?”, s’interroge-t-il. Et de contre-attaquer vertement.

“L’Union soviétique et l’OAS, c’est la même chose”

“Parce que tous ces gens qui n’ont jamais lu une seule ligne d’Alain de Benoist, sont incapables de citer un seul de ses titres, m’expliquent qu’il est d’extrême droite, qu’il a soutenu l’OAS. Oui, il l’a soutenu et en même temps Cambadélis a soutenu Trotski, BHL a soutenu Mao et pratiquement tous les gens qui sont dans la presse de gauche aujourd’hui ont eu leur période Pol Pot, Mao, URSS etc. Ces gens-là sont-ils pires que l’OAS? Pour moi, ça se vaut”, estime le philosophe sur RMC.

Il poursuit, en colère: “L’Union soviétique et l’OAS pour moi c’est exactement la même chose ! Je regrette mais pour moi Alain de Benoist fait partie du paysage intellectuel français et on le criminalise en disant qu’il est fasciste. Or, il suffit de lire quelques-uns de ses livres pour savoir qu’il est intellectuel de droite. Même si ce n’est pas ma pensée, je me nourris de tous les intellectuels. Comme je lis la Bible alors que je ne suis pas chrétien ou le Talmud et le Coran alors que je ne suis ni juif ni musulman”.

Source : Maxime Ricard avec Jean-Jacques Bourdin, pour BFM TV, le 9 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/onfrayvalls-retour-sur-la-polemique/


L’isolement de la Russie 2/5 : Forces de l’économie russe face aux sanctions, par Nicolas

Monday 16 March 2015 at 00:02

Ceci est la deuxième partie d’une série sur l’isolement de la Russie. La première partie est : L’isolement de la Russie 1/4 : l’effondrement de 1991. Je vous propos ici de faire un tour de l’économie russe, et en particulier de voir comment cette économie fait face à la guerre économique lancée par Washington. Cette partie étant plus longue que prévu, je l’ai coupée en deux (cette série est donc une tétralogie en 5 parties), et je commence avec des considérations générales sur l’économie russe puis un tour de ses principales forces.

L’auteur : je suis un citoyen franco-américain, polyglotte, traducteur et consultant. Vous pouvez me contacter, surtout si vous voulez une traduction ou de l’aide pour exporter. La Russie n’est pas encore complètement fermée, loin de là.

À en croire la rhétorique américaine, toute la Russie est un immense pays de Shadoks occupés à pomper du pétrole. Obama a affirmé : “La Russie ne produit rien [1]. Donc je n’ai qu’à vérifier cette affirmation : soit cet article sera terminé après une vérification très simple, soit Obama est un menteur et j’en aurais pour des pages et des pages pour vous faire le tour d’une économie diversifiée. Vérifions, en utilisant les chiffres de l’emploi fournis chaque année par GKS (l’INSEE russe)

élément de comparaison 1991 1998 2003 2008 2013 Notes
Taux de chômage (%) 13,5 8,4 6,4 5,7
Chômage déclaré (%) 2,9 2,3 2,0 1,2
Emplois (milliers) 73848 63683 65979 68474 67901
dont, par secteur d’activité (en milliers) :
agriculture, chasse, industrie forestière 9101 7796 6675 6364
pêche 140 116 142 139
Extraction de matières premières 1167 1112 1044 1075 1,6% des emplois en 2013… soit environ 1,4% des personnes employés qui se consacrent à l’extraction de pétrole et de gaz.
Industrie manufacturière 11946 11932 11191 10065 Production doublée depuis 1998→ efficacité largement améliorée
Production et distribution d’eau, gaz et électricité 1824 1890 1884 1936
Construction 4439 4555 5474 5712 +1,3M → traduit la création de nouvelles infrastructures
Commerce ; réparation de véhicules et d’objets à utilisation personnelle 8447 10462 12020 12408
hôtels et restaurants 957 1150 1274 1267 Développement du tourisme
Transport et communication 4954 5205 5451 5420
Activité financière 645 771 1132 1309 +103%… Bien plus que l’extraction de pétrole
Opérations sur l’immobilier : location et services 4587 4859 5146 5815
Administration de l’État, sécurité militaire, sécurité sociale 2938 3266 3727 3711
éducation 6033 6092 5980 5570 Le nombre d’écoles a diminués pour réduire les coûts – comparaison : L’É.N. française emploie environ 1,1 M de personnes
Santé et services sociaux 4378 4469 4666 4523
Services communaux, sociaux et à la personne 2116 2295 2621 2520
Investissements (milliards de roubles) 2186,4 8781,6 13255,5 Les chiffres de 1998 ne sont pas comparables du fait de la dévaluation
dont, par origine (en milliards de roubles) :
russes 1837,8 7359,0 11761,1
russes privés 900,8 4490,6 7942,4
étrangers 89,6 655,7 757,4 Record de 1142,9 milliards en 2012
mixtes russes + étrangers 258,9 767,0 737,0 Record de 800,0 en 2012

 

American think tank

Think tank américain pompant des bobards sur la Russie. Fait peu connu, les bobards sont la principale ressource naturelle des États-Unis. Aucun bobard n’est trop ridicule pour les experts américains : exemple 1 exemple 2 (image ORTF / Rouxel modifiée par moi)

On a donc 1,6% des personnes employés travaillent dans l’extraction de pétrole, charbon, fer, or, diamant etc. Soit environ 1,4% dans l’extraction de pétrole et de gaz. La part de l’extraction des ressources naturelles dans le PIB est de 9,3% en 2013. C’est moins que l’immobilier, moins que l’industrie manufacturière et presque 2 fois moins que le commerce. Certes, grâce à l’augmentation du cours du pétrole c’est plus qu’en 2002 (5,9%) mais on reste très loin de l’économie basée sur l’extraction de pétrole qu’on nous présente régulièrement. Le chiffre d’affaire réalisé par l’extraction de ressources naturelles est 6,8 fois inférieur au chiffre d’affaire de l’industrie manufacturière. Le tableau ci-dessous laisse donc clairement entrevoir une économie diversifiée, soutenue par une industrie manufacturière en plein développement. La vision simpliste d’une économie qui ne repose que sur l’extraction du pétrole et “ne produit rien” est donc grotesque. Il va donc falloir que j’aille chercher un peu plus d’infos pour en tracer le portrait.

Structure des exportations russes en 2012 par produits

Structure des exportations russes en 2012 par produits (MIT)

Certes, la structure des exportations russes montre que les matières premières énergétiques ont une part importante dans l’économie russe. La part du pétrole brut, gaz et charbon s’élève en 2012 à 51,2% du total (à comparer aux 78,8% de l’Arabie Saoudite). Notons que le pétrole raffiné est le premier produit d’exportation des Pays-Bas ou de Singapour, pas un produit caractéristique d’une économie arriérée. Notons surtout que la structure des exportations n’est que la partie émergée de l’économie, l’essentiel de ce qui est produit en Russie est consommé en Russie, qui est un grand marché. L’exportation de pétrole est évidemment un apport important de devises pour le gouvernement russe, nous verrons ici que cet apport a permis d’investir massivement dans la modernisation de l’économie du pays.

Il serait impossible de parler de tous les grands projets qui sont lancés en Russie, depuis le début de l’année 2014, ou actuellement en cours [2]. Depuis 2011 il y a en effet environ un nouveau site de production industrielle par jour ouvré. Je ne donne qu’un aperçu de quelques secteurs d’activité important, en me concentrant sur l’activité industrielle. C’est après tout l’activité industrielle d’un pays qui fait son succès économique, ce que nos chers leaders ont oublié lorsqu’ils ont favorisé la désindustrialisation de la France, avec apparemment l’idée que la France est tellement développé qu’elle n’a besoin que d’emplois du secteur tertiaire [3].

Aux États-Unis, le développement de l’industrie se fait largement sur le modèle investissements publics – bénéfices privés. Par exemple, les entreprises informatiques qui se sont développées dans les années 50 à 70 profitaient très largement des achats de l’armée américaine qui achetait tous les ordinateurs disponibles, ce qui a permis à un grand nombre d’entrepreneurs privés de faire fortune [4]. La situation est la même dans l’aéronautique, le domaine spatial, la construction navale, les entreprises de défense, etc : Les achats massifs de l’armée américaine, avec l’argent des contribuables, permettent avant tout l’enrichissement d’entrepreneurs privés. Le modèle économique choisi par la Russie est différent. Les entreprises qui bénéficient le plus largement des commandes de l’État, que ce soit dans le domaine de l’armement, du gaz, du pétrole, sont des entreprises publiques, avec l’objectif d’obtenir des bénéfices publics grâce à des investissements publics. C’est ce que certains médias américains appellent le communisme, mais que l’on peut aussi appeler du pragmatisme guidé par l’intérêt national. Certains secteurs sont essentiellement privés, comme le secteur automobile. En effet l’État russe n’a plus que des parts minoritaires dans AvtoVaz (connu à l’export comme Lada) qui est contrôlée par Renault-Nissan. En revanche, pour ce qui est des domaines jugés stratégiques, des champions nationaux ont été créé, comme à l’époque où la France avait des ambitions industrielles et avait créé Areva (alors Framatome), Airbus, et Ariane.

Suite aux sanctions, le gouvernement a décidé de lancer une grande politique de remplacement des importations : dans les domaines de la défense, de la médecine, de l’infrastructure et de l’industrie, le président russe souhaite que la Russie devienne “technologiquement indépendante“, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui. dans tous les secteurs, Le gouvernement pousse les industries russes à moins dépendre des équipements et matériaux étrangers, en particulier venant de pays hostiles, et a fixé des objectifs en ce sens, secteur par secteur.

Comme nous l’avons vu dans la première partie de l’article, l’économie russe avait été ravagée par l’effondrement de 1991, et a atteint le fond en 1998 avec le défaut partiel sur la dette. Elle s’est depuis reconstruite progressivement, secteur par secteur. De même qu’on ne commence à construire une maison par le toit, l’industrie russe se reconstruit dans l’ordre logique, et reste comparativement faible dans des certains secteurs industriels les plus modernes. Cette modernisation est loin d’être achevée, et sa poursuite est actuellement compliquée par le contexte de la guerre économique voulue par l’Empire du Bien. L’économie russe a subi, après la chute de l’URSS, de nombreuses privatisations très largement critiquées, dont je donnerai ici 2 exemples qui permettront d’avoir un aperçu du problème. Ces privatisations ont laissé de très mauvais souvenirs parmi la population, ce qui explique que le sujet de privatisations ultérieur est évoqué avec beaucoup de prudence. Cependant le gouvernement russe a une approche pragmatique et non idéologique (l’article 13.2 de la Constitution interdit au gouvernement toute idéologie, telle que communisme ou libéralisme) du sujet, et comprend l’importance des investissements privés pour renforcer l’économie russe. Des privatisations importantes sont donc en cours. En 2013, il était prévu que les privatisations rapporteraient 1700 milliards de roubles de 2014 à 2016. La privatisation de certaines entreprises jugées d’intérêt stratégique est exclues. Cela concerne évidemment les entreprises d’armement.

Pour tout le tour d’horizon de l’économie russe qui suit, l’astérisque suivant le nom d’une entreprise (exemple : “Gazprom*”) indique que cette entreprise a été frappée de sanctions européenne, américaine et / ou japonaise. Essentiellement, cela prive ces entreprises de possibilité de trouver des financement sur les places de marché de l’Empire du Bien.

1. Secteur énergétique

Oléoducs, stations de pompage et raffineries de Russie

Carte des oléoducs, stations de pompage et raffineries de Russie

Comme on nous l’a assez dit, le secteur pétrolier et gazier est un élément très important de l’économie russe, et ses entreprises appartiennent en grande partie à l’État. Cependant, le président russe a de nouveau exprimé en octobre 2014 que le gouvernement russe vendra des parts dans de grandes entreprises productrices d’énergie, en rappelant l’importance des investissements privés pour l’économie russe. Actuellement les champions nationaux du secteur sont :

Le groupe Gazprom* emploie environ 431 000 personnes en tout. Gazprom est le leader mondial du secteur gazier, et possède une filiale spécialisée dans le pétrole (Gazprom Neft), ainsi qu’une banque. Le gouvernement russe en possède 50% plus une action. L’État touche en outre 30% du prix du gaz exporté en droits de douane. Gazprom a évidemment été frappé par les sanctions occidentales (d’abord via sa filiale Gazprombank, puis une deuxième vague de sanctions a attaqué Gazpromneft et Gazprom elle-même).

Rosneft* : 170 000 employés (en 2012), ~100 milliards d’euros de CA en 2013, appartient à 69,5% à l’État russe, mais cette part pourrait diminuer dès 2015 à 50% + 1 action. BP en possède 19,75%. En 2013 Rosneft a investi 148,5 milliards de roubles en innovations, dont 23,2 milliard de roubles en R&D. En dehors de l’extraction, Rosneft* possède 7 raffineries.

Transneft* : 84 000 employés. 70 000 km de tuyaux, 500 stations de pompage. C’est la plus grande compagnie d’oléoducs au monde. La part de l’État dans cette entreprise doit descendre à 75% + 1 action.

Les sanctions contre ces 3 géants du secteur posent de réels problèmes. D’une part ces mesures de guerre économique limitent les possibilités de financer les projet que Gazprom, Rosneft et Transneft doivent développer, ce qui n’est pas une mince affaire puisqu’il doivent trouver des milliards de dollars. D’autre part ils importent de nombreux équipements. Un plan a été mis en œuvre pour remplacer les équipements venant des É-U et de leurs vassaux par des équipements produits en Russie ou dans des pays non alignés. Rosneft annonce qu’il achètera tout son matériel en Russie dès 2018, tandis que la part de matériels importés parmi les achats de Transneft* passera de 10% à 3%, et Gazprom a créé un département consacré au remplacement du matériel importé, dont la part est actuellement de 5%. Gazprom* prévoyait récemment d’acheter pour 2,5 milliards de dollars de matériel étranger en 2015. Les équipements étrangers qui ne peuvent pas être produits en Russie seront remplacés par des équipements de pays non vassaux des États-Unis (Chine et Corée du Sud notamment). Dommage pour les fournisseurs habituels dans les pays de l’Empire du Bien (Schlumberger, Schneider, Caterpillar, Sumitomo…). En outre, l’UE a décidé (ou plutôt John Kerry a ordonné) d’annuler le projet de gazoduc “South Stream”, forçant ainsi la Russie à réorienter ce projet, sans conséquence énorme pour la Russie, autre qu’un retard (qui coûte des centaines de milliers d’euros par jours, mais sur un projet de plusieurs milliards). J’y reviendrai dans la partie 4/5 de la série.

En dehors des trois géants mentionnés ci-dessus, de grandes entreprises demeurent dans le secteur privé, comme Loukoïl* (151 000 employés) qui a les deuxième réserves prouvées de pétroles après Exxon parmi les entreprises privées, et qui produit autant de pétrole que l’Algérie, ainsi que Sourgoutneftgaz* (102 000 employés) qui est notamment le principal fournisseur de pétrole du Bélarus. Ces deux entreprises ont également été frappées de sanctions, bien qu’elles soient privées, preuve supplémentaire que ces sanctions ne sont qu’un outil de guerre économique sans aucun lien avec les prétextes annoncés. Notons à propos de Sourgoutneftgaz, qu’en 1995 40% de son capital a été vendu pour 88,9 millions de dollars. Cette part de l’entreprise vaut 11,2 Md$ en 2012, soit 126 fois plus. On comprend bien que la valeur intrinsèque de l’entreprise est très loin d’avoir augmenté d’autant. C’est un exemple du pillage que j’évoquais dans la première partie de l’article. [5].

La Russie n’est que le 7ème producteur mondial de charbon, mais est au 2ème rang mondial pour les réserves. Le secteur du charbon y est contrôlé par des entreprises privées, parfois enregistrées à Chypre. Actuellement, la majorité de l’extraction de charbon en Russie se fait en Sibérie occidentale (Kouzbass). Kouzbassrazrezougol par exemple emploie 25 000 personnes. Le secteur du charbon n’a pas (encore) été frappé par des sanctions de la part des É-U.

Rossatom est le champion russe de la construction de centrales nucléaires et extraction d’uranium. Rossatom emploie 255 000 personnes et a dépassé Areva en chiffre d’affaire. Son carnet de commande international se porte très bien, comme on le verra dans la partie suivante parlant des développements des relations internationales de la Russie depuis le début de la crise : une vingtaine de réacteurs sont prévus, en construction ou en négociation à l’étranger (13 pays). Sur le seul marché intérieur, 12 réacteurs sont en construction (en janvier 2015). Au total, le carnet de commande de Rossatom était de près de 100 milliards de dollars pour les dix prochaines années, excusez du peu. Et pendant qu’Areva est au bord du gouffre, Les scientifiques russes développent la technologies de production d’énergie à base de thorium (à la place de l’uranium). Comme disent les Américains, la Russie ne sait rien faire à part extraire du pétrole.

La production d’électricité est largement privé, et le sera encore plus à l’avenir. La distribution d’électricité en revanche est publique, contrôlée par Rosseti (Réseaux de Russie, 230 000 employés).

L’énergie hydroélectrique continue de se développer avec la construction de 12 nouvelles centrales hydroélectriques de 100 MW et plus d’ici 2030. L’usine hydro-électrique de Saïano-Chouchensk a été réparée fin 2014 (6400 MW). RusHydro est le plus grand producteurs d’hydroélectricité de Russie, le 3ème au monde (113 TWh en 2012). Elle appartient à 65,9% à l’État russe mais cette part doit diminuer à 50% + 1 action. En dehors de Rushydro, on note que les européens Enel et E.ON sont très présents, avec un CA combiné de près de 150 Md roubles en 2013 pour leurs filiales russes (presque la moitié de Rushydro).

Concernant l’exportation de gaz, la Russie a plusieurs projets, dont je parlerai dans la partie 4/5. Le contournement de l’Ukraine mettra fin aux possibilité de chantage que l’Ukraine a utilisé pendant des années en menaçant l’Europe de fermer le transit du gaz russe sur son territoire.

Afin de pouvoir vendre son gaz à tous les pays, la Russie construit également des stations pour le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Sur la péninsule de Yamal (au bord de l’Océan Arctique), une station est en cours de constructions. Avec la construction du port et de l’aéroport, il s’agit d’un investissement de 850 milliards de roubles. Ce port et cette station permettront d’exporter du gaz naturel partout autour de l’Océan Atlantique dès 2016.

2. Raffinage

Raffinage en Russie

Raffinage en Russie. Graphique de moi, d’après des données GKS

En 2012 la Russie a exporté 184 Md$ de pétrole brut contre seulement 70,6 Md$ (68 Md$ d’exportation nette) de pétrole raffiné, ce qui, bien que représentant un énorme apport de devises, traduit un manque de capacité de raffinage en Russie, et le vieillissement des raffineries existantes. Les nombreux projets actuellement en cours permettront d’améliorer cette situation de façon très significative, en améliorant très nettement la capacité de raffinage de pétrole du pays. Parmi les usines en construction en expansion ou très récemment construites dans le domaine de la pétrochimie, on peut mentionner la raffinerie de Volgograd, qui augmentera sa production de diesel de 1,8 Mt par an. Une raffinerie du Tatarstan aura quant à elle une capacité de 14 Mt de pétrole par an, contre 7 Mt actuellement (à 50$/barril, 7 Mt de pétrole valent environ 2,6Md$) et sa modernisation permettra d’améliorer la qualité, et donc le prix, du pétrole de marque “Urals” vendu à l’export. L’investissement de ce dernier projet est estimé à 235 milliards de roubles.

Sans entrer dans le détail, en décembre 2014, au moins 5 autres raffineries existantes étaient en cours de modernisation, grâce à des investissements très importants pour améliorer la “profondeur” du raffinage. En plus d’améliorer la qualité des carburants utilisés en Russie, tous ces projets rendront l’industrie pétrochimique russe beaucoup plus moderne et compétitive, ce qui améliorera nettement la balance commerciale de la Russie dans ce secteur.

Un point sur l’Ukraine : les raffineries de l’est de l’Ukraine était utilisées pour raffiner le pétrole russe : La Russie a importé pour 490M$ de pétrole raffiné d’Ukraine en 2012. L’augmentation des capacités de raffinages en Russie pourrait rendre les raffineries ukrainiennes moins utiles à l’industrie russe, en particulier si des taxes d’importation sont prélevées.

3. Secteurs minier et métallurgique

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“Cheminée Chanceuse”, une mine de diamants d’ALROSA en Yakoutie (Photo Alexander Stapanov, Wikipedia). ALROSA extrait entre 7 et 8 tonnes de diamants par an.

Le grand champion national est ALROSA, la plus grande entreprise d’extraction de diamants au monde. Elle emploie 40 000 personne, réalise 27% de la production mondiale, et a les plus grandes réserves du monde. Son contrôle est partagé par l’État russe et la Yakoutie (=République de Sakha, plus grande entité territoriale sub-nationale au monde), mais la part de l’État russe doit descendre à 25% + 1 action.

Cependant le secteur minier est largement aux mains de grandes entreprises privées. Citons parmi les principales :

Norilsk Nickel (V. Potanine et  O. Deripaska) emploie 96 000 personnes et est le leader mondial du Nickel. Sa privatisation en 1995 nous donne le second exemple de pillage. 38% de cette entreprise ont été vendus en 1995 pour 170,1 M$ en 1995, et valaient 15,8 milliards de dollars en 2012 (93 fois plus), ce qui pourrait éventuellement laisser comprendre que cette privatisation ne s’est pas totalement faite dans l’intérêt de l’État russe.

Polyus Gold (S. Kerimov) est l’un des plus grands producteurs d’or du monde (~53 tonnes par an) et dispose des troisièmes plus grandes réserves prouvées d’or au monde.

Rusal (O. Deripaska, M. Prokhorov et V. Vekselberg) emploie 67 000 personnes et est le leader mondial de l’aluminium, avec 4,5 millions de tonnes d’aluminium par an, correspondant à 9% de part de marché mondial. Rusal est actif dans 13 pays, mais la majorité de son activité reste en Russie. Rusal possède 27% de Norilsk Nikel.

VSMPO-AVISMA* est le leader mondial du titane, dont elle contrôle la majorité du marché mondial. C’est l’investisseur clé de la “Vallée du titane“, qui est un centre d’investissement et de recherche pour l’industrie du titane, actuellement en construction dans la région d’Iekaterinbourg. VSMPO-AVISMA* fait partie de Rostec*.

Metalloinvest (A. Ousmanov) emploie 60 000 personnes et est le plus grand producteur de fer de Russie. Elle dispose de 14,5 milliards de tonnes de fer de réserve (secondes réserves au monde, correspondent à 150 ans de leur production). Leader mondial du fer briqueté à chaud (HBI), c’est aussi un producteur important d’acier.

Severstal (A. Mordachov) est le plus grand producteur d’acier de Russie. Elle emploie 67 000 personnes, contre 320 000 pour Mittal. Le CA de Severstal est la moitié de celui de Mittal Steel. Depuis juillet 2014, Severstal a une nouvelle usine de profils laminés, capable de produire un million de tonnes par an (région de Saratov).

Evraz (R. Abramovitch et A. Abramov) est une multinationale née dans la Russie post-soviétique (Abramovitch) mais désormais basée à Londres. Elle est le deuxième producteur d’acier de Russie et emploie environ 100 000 personnes dans le monde, probablement la majorité en Russie.

NLMK (V. Lissine) emploie 60 000 personnes, est le troisième producteur d’acier de Russie, et contrôle des entreprises en France et aux É-U.

Metchel (I. Zyounine) emploie plus de 70 000 personnes, et ses activités incluent le charbon, l’acier et la production d’électricité (à partir du charbon). Concernant la baisse du cours du rouble, les responsables de Metchel commentent qu’il s’agit d’un “cadeau du destin“, cette baisse ayant fait baisser la dette du groupe de 8,6 à 6,4 milliards de dollars : Metchel, comme les autres entreprises métallurgique russes, vend la grande majorité de sa production à l’étranger. Metchel a une usine à Donetsk.

Secteur métallurgique

Production du secteur métallurgique. Graphe de moi, d’après des données GKS. En 2013 la production de tuayaux d’acier est presque remontée au niveau de 1991.

Début 2015, une douzaine d’usines d’acier et d’aluminium était en construction ou en expansion en Russie : une usine d’1,5 million de tonnes d’acier laminé par an près de Toula, une autre usine de 1,2 Mt /an près de Vladimir. Près d’Irkoutsk, c’est une usine de 750 000 tonnes / an d’aluminium qui est en construction. Une valse d’investissements qui se comptent en milliards de dollars, et renforcera très sensiblement le secteur métallurgique russe. La récente dépréciation du rouble a entraîné une hausse du prix des métaux, et dans cette situation les producteurs de métaux ont encore plus intérêt à vendre à l’étranger, à un prix plus élevé que ce que peuvent payer leur clients russes. Afin de soutenir les consommateurs de métaux (producteurs de trains, de voitures, de machines-outils…), le gouvernement a menacé les producteurs de métaux d’introduire des taxes à l’export s’ils ne font pas un effort pour soutenir leurs clients russes. Ah, un gouvernement qui a le droit de prendre des mesures pour soutenir ses industries (et donc les emplois industriels du pays), comme en France avant l’UE, ça fait rêver.

À Iekaterinbourg, les investissements (3 Mds roubles) pour la modernisation de l’usine Ouralkhimmach ont abouti en février 2015. Cette usine peut désormais produire des pièces beaucoup plus grande. Auparavant, certains très grands projets, tels que des réacteurs de raffineries ou des réservoirs de pétroles de plusieurs milliers de m³ devaient être importés d’Europe. Ceci pourra intéresser les ouvriers Italiens et Allemands qui ont perdu leur emplois suite à cette modernisation : Ouralkhimmach a 300 postes à pourvoir pour faire face à l’augmentation de la production, au double du salaire régional moyen.

4. Complexe militaro-industriel

Tyfon

La parade du 9 mai sur la Place Rouge est l’occasion de révéler au public les innovation de l’industrie militaire russe. Ici, la première apparition publique des “Taïfoun” (blindés parachutables), qui étaient suivis par les nouveaux missiles supersoniques antichars Chrysanthème-S. Le 9 mai 2015, le tank T-14 Armata devrait être présenté.

On peut le regretter si on veut, mais le secteur de l’armement est un moteur essentiel des progrès technologiques. Ça n’est pas récent, c’était déjà le cas du temps de Leonardo. En Russie, le secteur de l’armement est également largement contrôlé par l’État. Ce secteur occupe environ 1500 entreprises qui emploient plus de trois millions de personnes (cela inclut l’industrie spatiale et des entreprises qui ont aussi des activités hors armement). Les champions nationaux sont :

Rostec*, immense consortium rassemblant l’essentiel des entreprises d’États liés à la défense. 900 000 employés environ travaillent pour les nombreuses entreprises concernées.

Oboronprom* : Producteur d’armement contrôlé par la Russie, en partie via Rostec* et en partie directement.

ODK* (groupe Oboronprom) est une holding contrôlée par l’État et rassemblant des entreprises spécialisées dans la construction de turbines à gaz et de moteurs (de fusées et d’avions). En tout, environ 83 000 employés travaillent pour les différents entreprises qui la composent. ODK* fait partie de Rostec*.

Kalachnikov* a été renommée en 2013 pour profiter de la renommée des pistolets automatiques Kalachnikov (s’appelait Ijmash). Cette entreprise contrôlée par Rostec* a acquis ZALA, un producteur russe de drones pour diversifier sa gammes de produits. L’entreprise devrait également se lancer dans la production de bateaux, y compris de plaisance.

Rosselektronika* fait également partie de Rostec* et rassemble environ 120 entreprises spécialisées dans l’électronique. Une part importante de ces entreprises travaillent pour l’industrie militaires. Parmi leur très nombreux produits, on peut citer le viseur infrarouge de l’équipement “ratnik” (Cf. point 4.3 ci-dessous).

T-14 Armata

Le T-14 Armata, le tout nouveau tank russe, sera révélé lors de la parade du 9 mai. Le journal “National Interest” peut déjà le placer dans la prochaine liste des armes russes dont il faut avoir peur : son canon est plus puissant que celui du Leopard 2, et sa tourette est contrôlée à distance. Il ne faut que 2 personnes à bord.

Ouralvagonzavod* : “L’usines de wagons de l’Oural” est le plus grand producteur de wagons du monde (régulièrement plus de 20 000 wagons par an, record de 28 000), et aussi le plus grand producteur de tanks au monde (capacité de 1500 tanks par an). 27 600 employés. Appartient à 100% à l’État russe (cette part doit descendre à 75% + 1 action), dépend largement des commandes de l’armée et de RJD (la compagnie nationale de chemins de fer), mais exporte aussi, essentiellement vers le Kazakhstan, et il existe également des lignes de chemins de fer privés (aux mains de compagnies minières notamment). Comme d’autres entreprises russes, Ouralvagonzavod* pourrait bénéficier de la fin des commandes russes de matériel militaire et ferroviaire auprès des entreprises ukrainiennes, à moins que ces commandes aillent à l’une de ses concurrentes. L’entreprise a commencé à produire le très moderne tank de 5ème génération T-14 Armata, qui sera probablement présenté au public lors de la parade du 9 Mai. Une version modernisée du célèbre T-90 a été présentée à l’IDEX 2015. Le T-90 était déjà le tank le plus exporté au monde (plus de 1000 exemplaires en plus du milliers produits sous licence en Inde), et plusieurs pays se sont montrés intéressés par la version modernisée au salon IDEX 2015.

Pistolet-mitrailleur ADS

Le pistolet-mitrailleur ADS est le premier au monde a être aussi performant sous l’eau que dans l’air (Photo Sergueï Ptitchkine / RG)

La NPO Complexes de Haute Précision* fait partie de Rostec* et rassemble 19 entreprises et environ 45 000 employés. En dehors des célèbres missiles Iskander, cette holding produit par exemple des pièces d’artilleries. Concernant les derniers développements, elle a commencé la production de nouveaux instruments de contacts radio “Antey”en février 2015. Jusqu’à présent l’armée russe employait des appareil conçus il y a plus de 30 ans. Également en février 2015, une autre entreprise du groupe a présenté au salon IDEX-2015, à Dubaï, le pistolet-mitrailleur et lance-grenade amphibie ADS. Il était jusque là réservé à l’armée russe.

Parmi les autres développement d’Ouralvagonzavod*, il faut mentionner le blindé de transport “Atome”. Ce blindé est conçu par Renault Trucks. En avril 2014, la Suède a interdit à Renault Trucks de poursuivre le projet (Renault Trucks est, comme son nom ne l’indique pas, une filiale de Volvo, mais les sites de production et le siège sont en France). En juin, il a été annoncé que Renault Trucks continuait de travailler sur le projet. Cependant la collaboration s’est par la suite définitivement arrêtée. Depuis, une solution a été trouvé : Ouralvagonzavod* se passera du partenariat de l’indispensable industrie de l’Empire du Bien. Le Directeur Général d’Ouralvagonzavod* n’a pas précisé quel était le nouveau partenaire qui remplace Renault Trucks. Il pourrait s’agir d’une entreprise russe ou d’un autre pays de l’Union Économique Eurasiatique (UÉE), voire d’un autre pays qui refuse de sanctionner la Russie pour le bien de l’humanité (et un peu aussi pour le bien des grandes entreprises américaines). Concernant l’arrêt de la coopération de Renault Trucks, Ouralvagonzavod* expliqueLes Français ont les mains liés“. Ah ? Par qui ? La France ne serait pas un pays indépendant ? Encore un bon point pour la diplomatie française dans ses efforts de favoriser le chômage de masse en France (c’est bien le but, apparemment).

Almaz-Anteï* : Systèmes anti-aériens et radars, 93 000 employés. Appartient à 100% à l’État russe. Le plus grand producteur d’armes en Russie, 12e au niveau mondial. 46 entreprises qui composent Almaz-Anteï*, et parmi leurs produits on peut citer le célèbre système lance-missiles “Bouk” connu de ceux qui suivent la guerre contre le Donbass, ou encore les S-300 que l’Iran avait essayé d’acheter, désormais remplacés par les Anteï-2500.

Missiles Tactiques: 40 000 employés. Produit comme son nom l’indique des missiles tactiques.

Bazalt* : 9500 employés, produit des munition et des lance-roquettes.

Technologies Radio-électroniques* (“KRET”) emploie 67 000 personnes et produit divers appareils radio-électroniques, en particulier de guerre électronique, mais aussi d’avionique, et a un laboratoire de photonique. En dehors de ses activité pour l’industrie militaire, cette entreprise produit également divers appareils médicaux. Bien que le gouvernement russe souhaite continuer la coopération des entreprises russes avec les entreprises occidentales pour tous les projets civils, KRET a annoncé en février 2015 que la part des équipement radio-électroniques produits en Russie passerait de 48% à 80% pour les avions MS-21 et Superjet (Cf. point 4.1 ci-dessous). KRET a commencé à préparer l’avionique des chasseurs de 6ème génération, avec et sans pilote.

Enfin, mentionnons l’Usine de Construction Mécanique de Mityschi* (MMZ), qui produit notamment des blindés sur chenilles. Ce n’est pas la plus importante usine de blindés de Russie mais puisqu’elle a eu l’honneur d’être frappée de sanctions, autant la mentionner.

4.1 Aéronautique

Mi-28M

Selon les experts américains, la Russie serait une république bananière sans bananes. Preuve du contraire, des bananes Mi-28N volent ici en formation au-dessus de Moscou, le 9 mai 2014. La Russie est un très grand producteur de bananes volantes.

Hélicoptères de Russie* (HR*, groupe Orboronprom*) est le 24e producteur d’armes au monde, et le second en Russie. Cette holding emploie 38 500 personnes réparties dans plusieurs usines dont la plus importantes est à Kazan. HR* et produit des hélicoptères civils et militaires exportés dans de nombreux pays. En 2015 elle a commencé la production de plusieurs nouveaux modèles :un hélicoptère lourd (15 tonnes de charge utile) de transport et de parachutage, un hélicoptère conçu spécialement pour l’Arctique, et un hélicoptère pouvant atteindre 400 km/h. En 2013, HR* a produit 303 hélicoptères, contre 422 pour le leader mondial Airbus Hélicopters. Cependant, tous les sites de productions d’HR* sont en Russie, alors qu’Airbus Helicopters a des sites de productions hors de France. Sur le secteur des hélicoptères militaires, HR* et son concurrent américain Sikorsky (Le Russe Igor Sikorsky avait construit le premier avion multi-moteur avant d’émigrer pendant la Guerre Civile) sont au coude-à-coude pour le leadership mondial. [6]. HR* ne pourra pas vraiment profiter de la baisse du cours du rouble : son carnet de commande est déjà plein (essentiellement de commandes de l’armée russe) et elle ne peut augmenter au maximum sa production que de 10%.

Depuis 2006, OAK* (Environ 100 000 employés en tout) a été créé pour devenir le champion russe de l’aéronautique, sur le même principe que ODK* ci-dessus ou OSK* ci-dessous. C’est dans en un sens l’Airbus russe, en ce qu’il est issu de l’union de toutes les entreprises russes qui construisent des avions militaires comme civils.

Côté aviation militaire, Iliouchine* a commencé en février 2015 à assembler le premier avion ravitailleur post-soviétique , le Il-78M-90A, version modernisée du Il-78. Iliouchine continue également de produire le célèbre avion cargo militaire Il-76 depuis plus de 40 ans.

Mikoyan* produit un chasseur de génération “4++”, le MiG-35, version moderne du MiG-29 toujours en production.

Su-35

L’un des chasseurs les plus redoutables actuellement existants, le Su-35.

Soukhoï (26 000 employés) produit un autre chasseur de génération “4++”, le multirôle Su-35, version modernisée du Su-27. Soukhoï développe également, avec l’indien HAL, le chasseur de 5ème génération FGFA.

Tu-22M3

La Russie ne produit rien. Ce rien (Tu-22M3) est conçu pour couler un porte-avion américain.

Tupolev* développe actuellement le bombardier stratégique de nouvelle génération PAK-DA qui doit remplacer le Tu-95 et le Tu-160. Ce projet en est à la phase de construction d’un prototype. Dans le même temps, Tupolev modernise le bombardier supersonique Tu-22 en Tu-22M3M.

De son côté, Irkout* (14 000 employés) produit actuellement le Yak-130, un chasseur léger et d’entraînement. 2014 fut une année record pour Irkout, et son président se montre très optimiste pour la suite.

MS-21

L’une des premières photos du MS-21, qui devrait décoller en 2016. Il aura le fuselage le plus large de tous les avions mono-couloirs. Le couloir permettra ainsi le passage d’un fauteuil roulant, ou le croisement de 2 personnes (enfin !)

Les avions de lignes sont depuis la chute de l’URSS un point faible de l’industrie aérospatiale russe : Boeing et Airbus dominent largement le marché intérieur russe. Soukhoï* produit actuellement l’avion de ligne SSJ-100 (Superjet), concurrent des Embraer E-Jet et Bombardier CRJ. Cet avion exploité commercialement depuis 2011 peine à s’exporter : en dehors des compagnies aériennes russes, on ne compte qu’environ 20 avions livrés, et des contrats pour un peu plus de 40 avions, hors options. De nombreuses sociétés étrangères produisent des pièces pour cet avion, dont Thalès et Snecma. Le président russe a déjà exprimé qu’il n’estimait pas que l’aviation civile devait limiter sa coopération avec ses fournisseurs étrangers, au contraire de l’aviation militaire qui doit s’efforcer de devenir autonome.

Irkout* développe le MS-21, avion de ligne de 150 à 210 places attendu pour 2016, concurrent notamment de l’A320 Neo, et dont 160 exemplaires ont déjà été commandées par diverses compagnies aériennes russes.

Les constructeurs russes d’avions de ligne pourraient profiter de la volonté politique de faire de la Russie le 3ème producteur d’avions civils au monde après Boeing et Airbus, i.e. devant Embraer et Bombardier. Cette volonté se traduit par des mesures pour favoriser l’installation d’entreprises étrangères en Russie, particulièrement dans les domaines de compétences qui manquent en Russie. 159 milliards de roubles sont consacrés à ces mesures, avec un retour attendu de 2100 milliards de roubles de rentrées supplémentaire dans le budget des 20 prochaines années. Sur un autre front, la Cour des Comptes a attiré l’attention du gouvernement sur le fait que les avions de lignes sont tous acquis en leasing, enregistrés dans des paradis offshore (Bermudes etc). Début 2015, la Douma a demandé à Medvedev de prendre des mesures pour rectifier cette situation, qui fait perdre beaucoup en TVA impayée et des parts de marché au Superjet. Quoi qu’il en soit, l’industrie des avions de lignes russe aura besoin de partenaires internationaux pour se développer.

Démonstration du BE-200 au salon du Bourget 2011. Le Be-200 est un avion (bateau volant en fait) unique au monde. En plus d’être un bombardier d’eau, il peut faire du transport de passagers, et peut atterrir sur un champ comme sur un lac. Les commentaires des journalistes… peuvent être mis en sourdine.

Irkout* contrôle la société Beriev* et produit notamment des avions bombardier d’eau, dont le remarquable Be-200, unique en son genre. La France et les États-Unis pourraient commander en tout 30 exemplaires de Be-200, pour un coût estimé de 3 milliards de dollars.

Si l’aviation civile est actuellement en grande difficulté en raison de la crise, OAK* produira cette année 193 avions en tout contre 161 l’an dernier, avec un chiffre d’affaire de 400 milliards de roubles, en forte hausse. Pour faire face à la demande, OAK* embauchera cette année 8000 personnes, et 16 000 en tout d’ici 2017. En 2015, l’armée et la flotte russe recevront 126 nouveaux avions et 88 nouveaux hélicoptères. Les contrats d’achats d’avions de lignes étant souvent négociés pendant des années, il est peu probable que le Superjet et le MS-21 bénéficient du cours du rouble actuellement faible.

Dans le domaine de l’aviation intra-régionale, la Russie a besoin de très nombreux petits avions (moins de 20 passagers), et un accord a été trouvé entre l’autrichien Diamond et Rostec* pour produire dans l’Oural et dès 2016 jusqu’à 60 avions de 19 places par an. À Omsk, la production de biplans de 9 places reprendra pour concurrencer les avions Cessna et Pilatus. Enfin la compagnie Avgour’ produira des dirigeables de transport de passagers spécialement conçu pour fonctionner par grand froid, dès 2016 en Yakoutie. Notons que la ville de Yakoutsk n’est toujours pas relié au reste de la Russie par la route : la route et la voie de chemin de fer arrivent à Nijni Bestiaj, de l’autre côté du fleuve Lena. Le passage est possible en été par ferry, en hiver sur la glace, mais est bloqué pendant l’inter-saison. L’utilisation de dirigeables, capable de transporter de gros chargement avec beaucoup moins de carburant que les avions, pourrait être utile à Yakoutsk, ainsi que dans d’autres régions isolées en Sibérie, en Extrême Orient ou dans le Nord de la Russie. Ces projets concernant l’aviation intra-régionale pourrait permettre de fortement développer les régions isolées de Russie, en permettant de désenclaver leurs habitants mais aussi en leur apportant des touristes.

Point sur l’Ukraine : L’entreprise ukrainienne “Motor Sitch”, née dans la Russie impériale, est un très grand producteur de moteurs d’avions et hélicoptères qui réalisait environ les deux tiers de ses ventes en Russie. L’usine d’Hélicoptères de Kazan (partie d’Hélicoptères de Russie) continue d’utiliser des moteurs ukrainiens, mais il est déjà prévu de passé à des moteurs Klimov (entreprise de Saint-Pétersbourg née en 1912 comme la première usine de Renault en Russie) pour toutes les usines d’Hélicoptères de Russie dès la fin du contrat avec Motor Sitch. L’entreprise ukrainienne compte sur le marché européen pour remplacer le marché russe. Motor Sitch a obtenu un contrat avec Diamond, mais il n’est pas certain que cela suffise à remplacer les clients russes : Le contrat avec Hélicoptères de Russie, qui va jusqu’en 2016, se montait à 1,5 milliards de dollars. Dès Mai 2014, le représentant en Russie de Motor Sitch laissait déjà entendre que tous les projets russo-ukrainiens dans le domaine aéronautique pourraient tomber à l’eau.

4.2 Chantiers navals

Plate-forme Prirazlomnaya

La plate forme pétrolière Prirazlomnaya, construite en Russie, résistante à la glace, permet d’extraire du pétrole depuis mai 2014 (photo Gazprom). C’est la première plate-forme au monde conçue pour l’Arctique.

OSK* (73 000 employés) est l’équivalent de OAK* pour la construction de bateaux et de ODK* pour les moteurs. Elle appartient à 100% à l’État russe et est comparable en chiffre d’affaire à STX Europe, mais tous ses employés travaillent en Russie quand STX Europe a des chantiers répartis sur 6 pays. OSK* profite largement des commande militaires de l’État. Par exemple, en février 2015, 4 sous-marins nucléaires sont en constructions dans le chantier naval de Sevmach (Severodvinsk, Mer Blanche). Sevmach a également construit la plate forme Prirazlomnaya, ici en photo, qui extrait actuellement du pétrole de la Mer de Barents. Si la Russie est encore loin d’être autonome technologiquement concernant l’exploitation du pétrole offshore en eaux profondes dans l’Arctique, cette plate forme semble indiquer qu’ils ont tout de même réussi à acquérir quelques compétences dans ce domaine. OSK* a aussi de nombreuses commandes civiles.

Concernant la marine, notons que dans l’ensemble, la Russie, comme auparavant l’Union Soviétique, base la puissance de sa flotte en grande partie sur les sous-marins nucléaires, moins chers que les immenses groupes navals américains constitués autour de porte-avions. Il est régulièrement question de remettre en cause cette doctrine et de construire des porte-avions, mais à la date de février 2015, le choix des construire des porte-avions n’est toujours pas clairement affirmé. La Russie n’a actuellement qu’un porte-avion, le Kuznetsov (un autre porte-avion a été vendu à l’Inde, et un autre porte avion soviétique avait été attribué à l’Ukraine qui l’a vendu à la Chine) qui n’utilise pas de catapulte mais une piste d’envol inclinée (STOBAR). Ce concept a ses limites, mais il est moins cher.

En février 2015, il a été confirmé que tous les navires construits pour la flotte russes seront “100% sdelano v Rossii” : entièrement équipés de matériels produits en Russie, et ceci y compris pour les bateaux déjà en cours de constructions. Cela entraînera forcément des retards de livraison, mais c’est encore une bonne nouvelle pour l’industrie russe, moins bonne pour l’industrie européenne. La flotte russe recevra environ 50 nouveaux navires en 2015.

4.3 Dissuasion nucléaire

train-nucleaire

Train-missile exposé à la gare de Varsovie, à Saint-Pétersbourg. Bientôt le retour du train numéro zéro ? (photo Panther /Wikipedia)

La France se targue d’être l’un des très rares pays a maîtriser les 3 vecteurs de la force nucléaire. Comme la France, la Russie dispose de sous-marins lanceurs d’engins (classe Boreï) et de silos de missiles intercontinentaux. La Russie dispose en outre de bombardiers stratégiques supersonique (Tu-160). La Russie possède en outre un quatrième vecteur, avec des systèmes mobiles Iskander-M (portée de 500 km). Enfin, à la fin de l’époque soviétique avait été développé un système mobile sur train, BJRK, permettant de déplacer des missiles intercontinentaux sur tout le réseau ferré soviétique. Cette prouesse technologique impliquait des dizaines d’usines réparties dans 6 républiques soviétiques. L’intérêt de ce système était que ces trains étaient, de l’extérieur, absolument semblables à des trains de passagers (avec des fausses fenêtres) permettant de déplacer les missiles de façon indétectable, ce qui les immunise contre une attaque américaine, y compris nucléaire, qui ne peut être exclue (Cf. Hiroshima, Nagasaki, doctrine otanienne de frappe nucléaire préventive, “prompt global strike”… et la la “théorie du fou”). Le démantèlement de ces trains a fait parties des accords auxquels la Russie a dû se soumettre dans les années Ieltsine, et ce démantèlement a été accompli en 2005. Il est actuellement question de relancer ce projet, en réponse à la doctrine américaine “prompt global strike” : en cas de tentative américaine de détruire la capacité nucléaire russe, il serait pratiquement impossible de frapper ces trains, qui se déplacent continûment et de manière anonyme sur le réseau ferré, pendant des missions de plusieurs semaines, à la manière d’un sous-marin. Ce nouveau projet, nommé Bargouzine, lancera des missiles Yars.

Le journal américain “National Interest” a récemment fait une liste des 5 armes russes dont ‘l’ouest devrait avoir peur”. À la première place se trouvent les sous-marins de classe Boreï, produits par Sevmach. À la deuxième place du classement, l’auteur de l’article place les missiles nucléaires ballistique Bulava lancés par les mêmes sous-marins Boreï. Et à la troisième place, l’auteur place les sous-marins nucléaires d’attaque de classe Yassen. Ils semblent que les producteurs américains de sous-marins voient le “Yassen” comme un modèle à reproduire. Cette liste se termine par les missiles Iskander et RS-24 Yars. Dans une précédente opération de marketing pour le matériel militaire russe, le même journal avait indiqué qu’il fallait avoir peur du tank T-90S, des missiles supersoniques anti-bateaux Oniks, et des chasseurs Su-35. Au final on ne sait plus très bien si l’on doit croire que l’industrie russe est arriérée, ou si elle est tellement avancée que les Américains en ont peur. Le journal devrait prochainement mentionner le missile intercontinental Sarmat, actuellement en développement. Grâce à un système avancée de lutte anti-anti-missile, Sarmat devrait rendre inutile le très coûteux bouclier anti-missile américain. Il aura une portée d’au moins 10 000 km, et une charge utile de 10 tonnes.

4.4 Autres secteurs de l’industrie militaire

Le nouvel équipement de combat “Ratnik“, qui a commencé à équiper les soldats russes en 2015, est un ensemble comprenant des équipements de protection (90% du corps est couvert), de communication, de géolocalisation GLONASS, un nouveau pistolet-mitrailleur, ainsi que d’autres équipements couvrant tous les besoins des soldats en opérations. En 2014 il était prévu qu’une partie de ce matériel sera produit en France. Grâce à la politique française de sanctions contre la Russie, il a été décidé d’annuler ces commandes et de les remplacer par du matériel produit en Russie, ce qui permet le transfert de quelques emplois de la France vers la Russie. L’industrie russe produira de 50 000 à 70 000 ratniks par an.

“Les Tchétchènes aiment faire la guerre”. Comme le dit le président tchétchène Ramzan Kadyrov : “Nous avons ça dans le sang”. Cela pourrait devenir un axe de développement économique de la République caucasienne, puisqu’en février 2015 Kadyrov a annoncé la création d’un centre international de formation des soldats d’élite, déjà en construction à Goudermes. La formation des soldats d’élites russes se fait déjà dans le Caucase.

De façon générale, l’industrie russe de l’armement profitera de la politique occidentale en Ukraine. En effet toutes les commandes passées en Ukraine seront désormais passées en Russie, ce qui, à terme, condamne à mort toute l’industrie militaire ukrainienne. Il était estimé en septembre 2014 qu’il faudra 2,5 ans aux russes pour être capable de remplacer entièrement les fournisseurs ukrainiens, pour un coût d’environ 700 millions d’euros. Encore des ouvriers ukrainiens au chômage grâce à Obama, Barroso et compagnie qui envoient des dizaines de milliers d’emplois en Russie. Entre autres exemple, Les sous-marins nucléaires par exemple seront désormais 100% “sdelano v Rossii” (fabriqué en Russie) dès début 2017. Dès janvier 2015, le ministère de la défense russe affirmait que “la question ukrainienne est close […] nous ne dépendons pas de fournisseurs ukrainiens”.

La fin de la coopération industrielle russo-ukrainienne entraîne des retards, par exemple pour des livraisons de torpilles pour sous-marins. La volonté politique est ferme, il faut réduire ces retards autant que possible et aussi vite que possible, et cesser de dépendre, pour l’armement, de l’industrie de pays hostiles. Malgré les sanctions, la Russie (plus précisément Rossoboroneksport, la société d’état qui gère les exportations d’armement) avait en septembre 2014 un portefeuille de commande de 39 milliards de dollars, un niveau très satisfaisant. Les exportations d’armement russe ont été de 13 milliards de dollars en 2014, et devrait être au moins aussi importante en 2015. Dans le cadre de la nouvelle politique de remplacement des importations, un “cluster” d’entreprises produisant du matériel militaire actuellement acquis à l’étranger se met en place, à Saint-Pétersbourg, Vladikavkaz et Kirovgrad. 20 milliards de roubles seront investi dans ce projet qui démarrera dès l’été 2015, avec une production en série prévue dès 2020.

5. Industrie spatiale

Soyuz et Progress arrimés à la SSI

Vaisseaux Soyuz et Progress arrimés à la SSI. La Russie est actuellement le seul pays capable de permettre le fonctionnement de la Station Spatiale Internationale.

Actuellement la Russie est le seul pays capable d’amener des équipages à la station spatiale internationale, et la NASA a été contrainte en février 2015 d’acheter 6 vaisseaux Soyouz pour des vols en 2018 vers la station spatiale internationale, pour la simple raison que jusqu’à 2019 au moins la Russie reste le seul pays disposant de la technologie nécessaire pour ces vols.

L’industrie spatiale russe n’est pas aux mains d’une seule entreprise, mais de plusieurs :

Energia est la plus importante. Elle construit notamment les vaisseaux Soyouz.

Progress est notamment le producteur des lanceurs Soyouz-FG et des vaisseaux cargo Progress. Cette entreprise a son origine dans l’usine Dux, qui produisait à l’époque impériale des vélocipèdes, des automobiles, des dirigeables et des avions.

Le Bureau d’Études Makeïev produit notamment les Shtil, missiles intercontinentaux de sous-marins reconvertis dans la mise en orbites de satellites, ainsi que les célèbres missiles Scud. Depuis 2014, ses nouveaux missiles intercontinentaux R-29 RMU 2.1 (encore appelés “Layner”)sont entrés en service dans l’armée russe.

Fin février 2015, Roskosmos a étudié la question d’une fusée “super-lourde” (70t-80t de charge utile, à comparer aux 105 tonnes de la navette Bourane lancée par la fusée Energia en 1988), pour laquelle ces 3 entreprises ont présenté des projets. Finalement, afin d’économiser 200 milliards de roubles, et parce que l’intérêt commercial d’une telle fusée n’est pas clair, il a été décider de “simplement” modifier la fusée Angara-A5 pour porter sa charge utile à 35 tonnes, contre 24,5 tonnes actuellement. Ces économies éloignent donc la possibilité d’une mission habitée vers la Lune, précédemment évoquée. La construction d’une station orbitale russe (ou sino-russo-indienne) après 2024 reste possible.

Angara5

Premier lancement de la nouvelle fusée lourde Angara-5, décembre 2014. Angara-5 (24,5 t en orbite basse) pourrait concurrencer Ariane 5 (16 t en orbite basse) dès 2017.

Parmi les autres entreprises russes du secteurs, citons GKNPZ Khrounitchev qui produit les fusées Proton. Elle a ses origines dans la société Russo-Balt, qui produisait des automobiles et avions à l’époque impériale. GKNPZ développe Khrounitchev développe la famille de lanceurs Angara, qui a réussi ses premiers tests en juillet et décembre 2014. Les fusées Angara sont lancées depuis le cosmodrome de Plessetsk, sur la nouvelle plate forme de lancement “Angara”.

Energomach est une autre entreprise importante du secteur et produit des moteurs de fusées.

En 2014, le secteur spatial russe a été réorganisé sur le modèle de OSK*, ODK* et OAK*, créés précédemment dans les secteurs de la constructions navale, des moteurs et de la construction aéronautique respectivement. La Corporation Unie de fusée et du Spatial (ORKK) rassemble notamment le Bureau d’Études Makeïev, Energomach, Energia et 8 autres entreprises du secteur, dont la célèbre usine péterbourgeoise Arsenal, fondée en 1711 par Pierre le Grand pour produire des canons, et qui a depuis diversifié son activité. Cette réorganisation fait partie d’un projet à long terme d’améliorer l’efficacité du secteur spatial russe.

Cosmodrome Vostochny. Présentation complète en anglais par Roscosmos en 2010.

La base de lancement la plus connue de Russie est la base de Baïkonour, qui se trouve sur le territoire Kazakh et que la Russie loue au Kazakhstan. Pour réduire la dépendance de la Russie envers le Kazakhstan dans ce domaine, un nouveau cosmodrome est en construction dans l’Extrême-Orient russe. Le coût de ce cosmodrome “Vostotchniy” serait d’environ 300 milliards de roubles. Comme on peut le voir dans la vidéo, la collaboration avec la France a joué un rôle non négligeable. Cette collaboration remonte à 1966 et se poursuivra encore longtemps, selon un accord signé en février 2015. Le complexe Vostotchniy sera aussi une ville moderne prévue pour 30 000 habitants et un centre universitaire. Il a pris du retard par rapport à ce qui était prévu en 2010, mais il avance maintenant activement, et on peut suivre sa construction en direct.

L’autre cosmodrome important de Russie est Plessetsk, qui se trouve à 62°N, dans la région d’Arkhangelsk. Il existe également deux autres cosmodromes : Dombarovski dans la région d’Orenbourg, et Kapoustine Yar à la frontière avec le Kazakhstan. Enfin, depuis 2010, Energia contrôle 95% de l’entreprise SeaLaunch qui lance des fusées depuis la plate-forme Odyssey placée sur l’Équateur, dans l’Océan Pacifique. Cette entreprise subit cependant les effets de la crise en Ukraine et est gélé au moins jusqu’au second semestre 2015.

Fin 2014, le vice premier-ministre russe Rogozine a annoncé que les fusées Zenit, produites en Ukraine, ne seraient probablement plus utilisées pour SeaLaunch. De façon générale, sauf retournement de situation, la fin des commandes russes aux entreprises ukrainiennes signifiera la mise à mort de l’industrie spatiale ukrainienne (50 000 emplois), et un renforcement des entreprises russes du secteur. Rogozine a affirmé que le secteur russe employait 250 000 personnes en 2011, contre 70 000 aux États-Unis, laissant entendre que l’industrie spatiale russe était pléthorique. Si les 250 000 Russes doivent désormais accomplir le travail des 50 000 employés ukrainiens du secteurs, cela pourrait aider à améliorer la compétitivité de l’industrie spatiale russe.

L’un des développements récents les plus importants de l’industrie spatiale russe est le déploiement du système de géolocalisation GLONASS, concurrent du GPS américain. GLONASS garantit l’indépendance de la Russie dans ce domaine vis-à-vis de l’armée américaine, qui a la possibilité de fausser le signal GPS sur un pays, comme elle l’a fait lors de l’invasion de l’Irak. Afin de promouvoir l’adoption de ce système par les grands producteurs d’appareils GPS, le gouvernement russe a décrété des taxes d’importation très importantes sur les appareils utilisant les GPS mais pas GLONASS. C’est ainsi que par exemple les dernières versions d’iPhone, et ses principaux concurrent, utilisent les signaux GLONASS en plus des signaux GPS.

 

À suivre…

 

Notes :

1. Dans la même tirade, Obama a aussi affirmé que la Russie n’attire pas d’immigrants. La Russie a eu de 2011 à 2013 un solde migratoire de 910 550 personnes (303 517 personnes par an), mais c’est pas grave, tout est bon pour faire croire que l’économie russe n’est pas attractive: Go home Barack, you’re drunk! (retour au texte)

2. Pour en savoir plus sur le sujet on pourra utiliser des sites que j’ai abondamment utilisés et cités :

-le site sdelanounas (“fabriqué chez nous”), qui présente l’inauguration ou l’agrandissement des sites de production industrielle en Russie, et présente une carte indiquant divers succès de l’industrie russe
- Concernant l’industrie de l’armement, le site VPK (abréviation de “complexe militaro-industriel”) est une source précieuse et abondante d’informations.
-Le site Ruxpert quant à lui présente les grands projets russes, par période.
-Enfin la version russe de Wikipedia apporte quelques informations de base sur les grandes entreprises russes. C’est de là que j’ai tiré les nombres d’employés des différentes entreprises, ces chiffres sont donc à prendre avec des pincettes (sauf 3 trouvés sur le site des entreprises). (retour au texte)

3. Le secteur tertiaire, c’est essentiellement le commerce et l’utilisation d’objets produits par l’industrie, et le commerce d’outils de production industrielle. Donc, à moins de transformer la France en paradis fiscal, on ne peut avoir d’emplois du secteur tertiaire sans production industrielle (C’est difficile de vendre ce qu’on n’a pas). Si vous comprenez ça, vous êtes plus intelligent que la plupart des énarques, dommage que vous ne fûtes pas ministre à l’époque où nos très chers dirigeants regardaient de haut la “Chine, atelier du monde”. (retour au texte)

4. Noam Chomsky raconte ça abondamment dans ses conférences, mais je n’ai pas la référence exacte sous le coude. Ça vous fait une excellent raison de l’écouter. (retour au texte)

5. Selon Dobrenkov et Ispravnikova (ISBN 978-5-91304-335-1). Le chiffre donné pour Norilsk Nikel vient aussi de là. Voir aussi ce qu’en dit Marshal Goldman, qui parle par exemple de l’acquisition de Sibneft par Berezovsky pour 100 millions de dollars alors qu’elle en valait 3 milliards. En français, on peut lire https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00166897/document (retour au texte)

6. Concernant Hélicoptères de Russie, on peut noter qu’une privatisation partielle avait été envisagé, et HR* devait être cotée à Londres et à Moscou. Une campagne de promotion a été lancé, mais le projet a été abandonné en constatant le manque d’intérêt des investisseurs occidentaux pour HR*. Ainsi, la Russie post-Ieltsinienne préfère repousser ou abandonner une privatisation plutôt que de vendre des joyaux de l’industrie russe à une fraction de sa valeur. Peut-être qu’à la prochaine tentative le gouvernement russe préférera lancer son offre sur une place de marché asiatique ? (retour au texte)

Source: http://www.les-crises.fr/forces-de-leconomie-russe-face-aux-sanctions-2/


Produits dérivés : la BCE au pied du mur

Monday 16 March 2015 at 00:01

Très bon papier du grand Jean-Michel Naulot…

Il montre la folie de l’organisation de Bruxelles, qui refuse à la BCE le droit de demander que d’importantes opérations en euros aient lieu dans la zone euro – pour qu’elle puisse aider en cas de problème… Ces talibans causeront ainsi la perte du système financier qu’ils chérissent tant…

La BCE s’est vue refuser le droit par la Cour de justice européenne d’imposer la localisation en zone euro des chambres de compensation qui traitent des opérations en euro. Cette décision pose le problème du rôle de la Banque centrale dans la maîtrise du risque systémique sur les produits dérivés.

En donnant récemment raison aux britanniques au sujet de la localisation des chambres de compensation, la Cour de justice européenne a jugé que la BCE allait au delà du droit existant. La BCE n’a pas le droit d’imposer la localisation en zone euro des chambres de compensation qui traitent des opérations en euros. Derrière ce débat d’apparence commerciale dans lequel les banques et la BCE ont fait cause commune pour des raisons différentes – renforcement des places financières européennes pour les banques, meilleur contrôle du  risque pour la banque centrale – il y a une question d’une extrême importance : comment va-t-on maîtriser le risque systémique en cas de difficultés majeures, de détresse, d’une chambre de compensation ?

Londres capte l’essentiel des produits dérivés

Les G20 de 2009 avaient décidé de faire obligatoirement transiter les produits dérivés réputés liquides par ces institutions financières destinées à assurer la bonne fin des opérations, donc de concentrer le risque systémique autour d’elles. Les encours de dérivés ont représenté en 2014 près de 800.000 milliards de dollars, un encours supérieur à celui qui existait avant la crise, plus de dix fois le produit mondial. Lorsque le chantier en cours sur l’encadrement des produits dérivés sera achevé, environ 40% des produits dérivés passeront par des chambres de compensation. Or en zone euro, la plus grande partie des produits dérivés est traitée à Londres … Il devient vraiment urgent, sept ans après la crise, de préciser comment l’accès à la liquidité en euros de ces chambres londoniennes sera possible ! Concentrer le risque systémique est une bonne idée, encore faut-il pouvoir le gérer !

La solution de localisation des chambres proposée par la BCE avait l’avantage pour la banque centrale de permettre de maîtriser le risque systémique tout en laissant planer un  doute sur l’automaticité de son intervention. La BCE avait la possibilité en cas de difficultés d’une chambre d’apporter la liquidité nécessaire ou de laisser la chambre mettre en place un plan de redressement, voire son plan de résolution. Comme les banques, les chambres de compensation en difficulté doivent en effet – en théorie – pouvoir faire faillite, ne pas systématiquement miser sur l’aléa moral. En théorie…

Probabilité d’aggraver le risque systémique

Actuellement, toute l’attention des acteurs financiers est mobilisée autour des textes que la Commission doit présenter d’ici l’été sur les plans de résolution. Comme ceux des banques, ces plans de résolution seront utiles et rassurent les contribuables. Mais ils ne sont pas l’essentiel. Chacun sait qu’en cas de crise, le risque systémique doit être géré dans l’urgence et le secret, avec l’appui de la Banque centrale. Qui peut imaginer que l’on mette alors immédiatement à contribution les actionnaires et les clients de la chambre de compensation pour organiser la liquidation ? Il n’y aurait rien de tel pour aggraver la propagation du risque ! Dès aujourd’hui, les clients des chambres de compensation ont-ils même une idée des risques qu’ils prennent en traitant avec ces institutions censées leur apporter la sécurité ? Ils ont plutôt  le sentiment que ces institutions qui concentrent le risque systémique bénéficient des protections nécessaires… En cas de crise d’une chambre, n’en doutons pas, l’aléa moral sera bien là, ne serait-ce que parce qu’il existe toujours une zone grise pendant laquelle il faut évaluer, comme pour les banques, les chances de redresser l’institution en difficulté. Mais encore faut-il que cela soit techniquement possible…

La décision de la Cour pose donc très clairement le problème clé du rôle de la banque centrale dans la maîtrise du risque systémique sur les produits dérivés, problème que la BCE a jusqu’à présent évité de traiter trop ouvertement, préférant vivre dans l’ambiguïté. Etre là sans avoir à le dire… Après la décision de la Cour, sauf à prendre des risques considérables, la BCE ne peut rester silencieuse. La logique serait qu’elle prenne directement en charge la supervision des grandes chambres de compensation de la zone euro comme elle l’a fait pour les banques. Mais cela ouvrirait une fois de plus un débat nourri avec les britanniques et le temps presse. Alors comment fait-on ? Un chantier intéressant pour le nouveau Commissaire Jonathan Hill, britannique, qui a fait de la liberté de circulation des capitaux son objectif central et semblait rêver d’une pause en matière de régulation financière !

Source : Jean-Michel Naulot, ancien membre du collège de l’Autorité des Marchés Financiers, pour Les Echos, le 13 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/produits-derives-la-bce-au-pied-du-mur/


Pourquoi la Russie de Poutine est, en 2015, la plus grande menace pour les Etats-Unis

Sunday 15 March 2015 at 03:09

Tiens, ils se réveillent dans Forbes – même si évidemment il ne faut pas trop en attendre…

Tout comme les krachs boursiers qui balaient périodiquement tant de fortunes, les crises militaires sont difficiles à prédire. Les antécédents de Washington en tant que pronostiqueur de menaces futures sont particulièrement mauvais. Du bombardement de Pearl Harbour en 1941 à l’invasion de la Corée du Sud par le Nord dans les années 50, en passant par la crises des missiles cubains dans les années 60, l’effondrement du Vietnam du Sud dans les années 70, l’effondrement de l’empire soviétique dans les années 80, l’invasion du Koweït par l’Irak dans les années 90, les attaques du 11 septembre 2001 et la montée de Daech dans le nouveau millénaire, les élites politiques américaines n’ont apparemment jamais vu le danger qui menaçait avant qu’il ne soit trop tard.

Ainsi, ne soyez pas surpris si d’ici une année, les sanctions économiques que l’Occident a imposées à la Russie sous la conduite de Washington apparaissent comme une mauvaise idée. Pour le moment, une combinaison de sanctions et de chute des prix du pétrole semble porter au gouvernement du président Poutine un rude coup – juste rétribution, comme le disent beaucoup, de son invasion de l’Ukraine et de son annexion de la Crimée l’an passé. Mais, ainsi que le fait remarquer Alan Cullison dans le Wall Street Journal cette semaine, parfois les sanctions provoquent précisément la réaction inverse de celle espérée par les décideurs. Dans le cas de la Russie, cela peut signifier une menace pour la survie des États-Unis. Considérons brièvement comment les circonstances présentes en Russie peuvent conduire à des dangers auprès desquels ceux que posent Daech et les attaques informatiques paraîtront minuscules.

Une culture politique paranoïaque. Les actions de la Russie en Ukraine apparaissent pour de nombreux occidentaux comme un cas évident d’agression. Ce n’est pas la façon dont les choses sont vues par les proches conseillers de Vladimir Poutine à Moscou, pas plus que par la plupart des russes. Ce cercle des proches conseillers est constitué principalement de membres des services de sécurité russes – Poutine lui-même a passé 16 années au KGB – et pour eux, la révolution ukrainienne n’est rien d’autre qu’un coup d’état soutenu par les États-Unis destiné à affaiblir la Russie. Poutine décrit la Crimée comme le berceau de la culture russe et son gouvernement a prévenu à de nombreuses reprises les occidentaux de ne pas étendre leur influence économique et politique sur une région historiquement vue comme partie intégrante de la sphère d’influence de Moscou. Poutine compte fortement sur la bureaucratie du Kremlin pour lui fournir des renseignements (il évite internet), ainsi ses réunions d’information tendent à renforcer l’opinion selon laquelle Moscou a été forcée d’intervenir en Ukraine par la subversion occidentale destinée à saper son influence.

Un arsenal nucléaire à deux doigts de l’explosion. À elles deux, l’Amérique et la Russie contrôlent plus de 90% des armes nucléaires de la planète. Cependant, Moscou dépend largement de son arsenal nucléaire pour sa sécurité parce que la Russie ne peut pas dépenser suffisamment pour rivaliser avec les investissement US dans les nouvelles technologies militaires. Ainsi la doctrine militaire russe est qu’il peut être nécessaire d’utiliser l’arme nucléaire pour lutter contre une attaque conventionnelle de l’Occident. Beaucoup de Russes pensent qu’une attaque de leur pays est une réelle possibilité, et que leurs moyens de dissuasion nucléaire – qui consiste principalement en silos de missiles à la localisation connue – doivent peut-être être mis en œuvre rapidement pour échapper à une attaque préventive. Moscou a organisé un exercice nucléaire de grande importance pendant la crise ukrainienne de l’an passé, dans lequel il était admis que les missiles devaient être lancés rapidement en cas d’alerte d’une attaque de l’Occident. Un officier supérieur russe a indiqué que 96% des missiles stratégiques pouvaient être lancés en quelques minutes.

Une économie qui s’écroule. Une grande part de la popularité de Poutine est liée à l’impressionnant rétablissement de l’économie post soviétique sous son autorité. Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2001, le produit intérieur brut a sextuplé, ce qui a fortement accru la taille et l’influence de la classe moyenne russe. Mais la base de cette croissance était en bonne partie l’exportation de pétrole et de gaz dans les pays voisins à une époque où le prix de l’énergie atteignait des records. Actuellement le prix du pétrole a chuté en même temps que l’effet des sanctions économiques commençait à se faire sentir. Le rouble a perdu près de la moitié de sa valeur en dollars l’année passée et l’économie a commencé à se contracter. Poutine attribue 25 à 30% des difficultés économiques actuelles aux sanctions. Beaucoup d’occidentaux croient qu’une récession prolongée affaiblirait le soutien à Poutine, mais comme il peut faire porter la responsabilité de la situation sur d’autres à l’étranger, les perturbations économiques pourraient en fait renforcer son pouvoir et accélérer la tendance vers un régime autoritaire.

Le président russe Vladimir Poutine dans une des rares apparitions publiques où il semblerait sourire. Forbes l’a qualifié de personnalité la plus puissante de la planète en 2013 et 2014 (Photo : Wikipedia)

Un profond sentiment de rancune. Rendre responsables l’étranger pour des troubles domestiques est une longue habitude dans la tradition politique russe, cela nourrit le sentiment profond que la Russie a été privée de son rôle légitime dans le monde par les USA et les autres puissances occidentales. La Russie a peut-être eu peu d’expérience avec la démocratie, mais elle a été une puissance majeure pendant des siècles avant la chute du communisme. Comme les dirigeants autoritaires d’autres nations, Poutine a façonné sa base politique sur l’appel au nationalisme, donnant des événements récents une image dans laquelle la Russie est victime plutôt qu’auteur de son propre malheur. Il a décrit la chute de l’Union soviétique comme une tragédie épique et semble apparemment vraiment le croire. En usant de la veine profonde du ressentiment dans la culture politique russe, Poutine s’est créé une large base pour résister à l’étranger même si cela signifie prolonger les difficultés économiques ou le risque de guerre.

Un adversaire vulnérable. La présidente de la réserve fédérale, Janet Yellen, a dit que les troubles actuels en Russie ne représentent pour les États-Unis qu’un danger mineur, mais c’est parce qu’elle pense en termes économiques. Dans un sens plus large, les États-Unis encourt un grand danger parce que Poutine et ses conseillers croient réellement être la cible d’un complot occidental visant à affaiblir leur pays. Le plus grand souci serait qu’un quelconque nouveau mouvement de la Russie le long de ses frontières dégénère en une crise lors de laquelle Moscou penserait pouvoir améliorer sa position tactique en menaçant d’utiliser localement des armes nucléaires, et qu’alors la crise s’aggrave. Arrivés à ce point, les décideurs US auraient à faire face au fait que (1) ils sont peu disposés à affronter la Russie pour protéger des endroits comme l’Ukraine, et (2) ils n’ont pas de réels moyens de défense du territoire américain contre une attaque nucléaire d’ampleur. En d’autres termes, la seule raison pour laquelle Washington semble avoir le dessus en ce moment est qu’elle présuppose que les dirigeants à Moscou agissent « rationnellement ».

Le principe implicite ayant cours à Washington aujourd’hui est que si personne n’exprime de telles craintes à haute voix, alors il n’est pas nécessaire de s’en préoccuper. C’est ainsi qu’un monde pacifique est entré en titubant dans la première guerre mondiale il y a un siècle – en ne reconnaissant pas la capacité à dégénérer d’une crise en Europe orientale – et l’aveuglement des dirigeants de l’époque explique la majeure partie de ce qui a mal tourné plus tard au XXe siècle. Si nous voulons éviter le risque de revivre cette leçon transgénérationnelle, alors les décideurs américains doivent faire autre chose que d’attendre simplement que Poutine craque. Car ce jour ne viendra jamais. À court terme, Washington doit s’appliquer à désamorcer les tensions, y compris en envisageant plus sérieusement l’histoire et les raisons ayant mené Moscou à intervenir en Crimée. À plus long terme, Washington doit surmonter ses dangereuses réticences à mettre au point de réelles défenses contre les armes nucléaires à longue portée, parce que c’est juste une question de temps avant qu’un quelconque dictateur ne révèle le grand bluff des États-Unis.

Source : Loren Thompson, Forbes, le 02/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un cas d’école : Loren B. Thompson et l’Ukraine

Nos lecteurs connaissent bien Loren B. Thompson, lobbyiste appointé du Complexe-Militaro-Industriel (CMI), notamment Lockheed Martin, par conséquent archétype du corrompu-Système ; pourtant capable d’analyses de politique générale comme on en trouve peu de cette qualité dans le monde washingtonien des commentateurs, sans jamais sortir des règles conformistes du Système représentées par la narrative en cours … Un exploit dialectique ! (Nous avons souvent parlé de Thompson, essentiellement à propos du JSF. Dans notre texte du 12 avril 2014, où nous le décrivions comme un “semi-robot” du Système, nous mettions aussi bien en évidence la bassesse de son commentaire lorsqu’il s’agit de la quincaillerie US à vendre au prix fort [moitié-robot], que la qualité de son commentaire lorsqu’il traitait de sujets hors-quincaillerie [moitié-non-robot].)

Nous avons déjà signalé et analysé deux textes de commentaires de Loren B. sur la crise ukrainienne, le 14 mars 2014 et le 28 avril 2014, où il détaillait des analyses sortant nettement de l’ordinaire de la vitupération antipoutienne et de l’enthousiasme belliciste et pseudo-démocratique qui constituent l’impérative feuille de route de tout commentateur absolument libre-et-indépendant qui se respecte à Washington. Cette fois, il analyse l’année 2015 selon ce qu’il en prévoit, dans sa chronique de Forbes du 2 janvier 2015 et en livre une vision extrêmement pessimiste.

Loren B. est un malin, — ou bien est-ce effectivement l’archétype parfait du “semi-robot” dont nous parlions. Il réussit à nouveau l’exploit de ne déroger en aucune manière à la narrative du bloc BAO tout en concluant que les évènements, dont il précise in fine que nombre d’entre eux ont été ou sont déclenchés par Washington, risquent de mettre Poutine dans une position où il devra riposter, – riposte à laquelle Washington n’est en rien préparé, inconscient de la psychologie et des conceptions de la direction russe. En quelque sorte, si l’on résumait : “oui, bien entendu, Poutine est l’immonde personnage que l’on décrit et décrie partout ; cela dit, oui il pourrait bien être obligé, à cause de nos actes dont nous mesurons faussement la perception qu’il en a, de devenir extrêmement dangereux pour les USA” (narrative et “vérité de la situation” ainsi réconciliées). Thompson arrive même à glisser dans son texte quelques vérités qui sont en général des anathèmes à Washington, dont les trois suivantes : 1) contrairement à ce qu’on croit, les sanctions antirusses ont un effet catastrophique pour les USA (et le bloc BAO, rajouterons-nous) ; 2) contrairement à ce qu’on prédit, les mesures prises contre Poutine ne vont pas affaiblir sa position en Russie, mais la renforcer («…U.S. policymakers need to do something more than simply wait for Putin to crack. That day will never come.») ; 3) ce que devrait faire les USA pour le court terme, c’est de tenter de détendre l’atmosphère des relations avec la Russie, y compris, – ô sacrilège, – en tentant de comprendre que le rattachement de la Crimée à la Russie n’est pas totalement injustifié («In the near term, Washington needs to work harder to defuse tensions, including taking a more serious look at the history that led to Moscow’s move on Crimea.»)

• Détaillons quelques remarques de Loren B. D’abord, le constat que les USA n’ont jamais su prévoir les véritables dangers qui les menaçaient (divers exemples sont avancés, qui sont justes factuellement mais qui sacrifient complètement à la narrative américaniste quant aux causes profondes de ces dangers). Pour le cas de la crise ukrainienne et de la tension avec la Russie, c’est la même chose ; l’idée est d’autant plus importante qu’elle ne met rien de moins en évidence que le fait que l’Amérique risque désormais sa survie dans cette aventure :

«… Ainsi, ne soyez pas surpris si d’ici une année, les sanctions économiques que l’Occident a imposées à la Russie sous la conduite de Washington apparaissent comme une mauvaise idée. Pour le moment, une combinaison de sanctions et de chute des prix du pétrole semble porter au gouvernement du président Poutine un rude coup – juste rétribution, comme le disent beaucoup, de son invasion de l’Ukraine et de son annexion de la Crimée l’an passé. Mais, ainsi que le fait remarquer Alan Cullison dans le Wall Street Journal cette semaine, parfois les sanctions provoquent précisément la réaction inverse de celle espérée par les décideurs. Dans le cas de la Russie, cela peut signifier une menace pour la survie des États-Unis»

• .. Et Loren B. Thompson de s’expliquer. Il parle de la culture politique russe, de sa paranoïa, de la présence obsessionnelle des groupes plus ou moins issus du KGB dans l’entourage de Poutine, etc., – bref, tout ce qui fait les lieux communs de la narrative faisant de Poutine une espèce de cinglé corrompu et autocratique, obsédé par des dangers extérieurs constants, comme si le monde entier complotait contre lui (tout cela conforme à la narrative, d’autant plus aisément compréhensible que cette description pourrait parfaitement correspondre, – non, qu’elle correspond parfaitement à celle des dirigeants américanistes). Mais il conclut : “Que voulez-vous, c’est cela leur culture, et l’on ne peut pas ne pas en tenir compte, et alors on comprend que les dirigeants russes soient persuadés, en toute bonne foi, que ce sont l’action et la subversion occidentales qui ont suscité la crise ukrainienne et l’ont forcé à ‘intervenir’”… «Poutine compte fortement sur la bureaucratie du Kremlin pour lui fournir des renseignements (il évite internet), ainsi ses réunions d’information tendent à renforcer l’opinion selon laquelle Moscou a été forcée d’intervenir en Ukraine par la subversion occidentale destinée à saper son influence..» (Curieuse référence à internet dont on comprend mal le sens, parce que c’est précisément sur internet qu’on rencontre le plus cette version…) Cette interprétation réduit à néant l’argument-Système impératif que Poutine développe sciemment une politique agressive et expansionniste.

• Le danger nucléaire est une constante de tous les textes de Loren B. Thompson sur l’Ukraine. Là aussi, la narrative est respectée : l’Amérique est plus forte que tout le monde, et bien entendu écrasante de supériorité sur la Russie. Le seul accroc à cette splendide profession de foi, c’est le nucléaire, avec les deux pays (USA et Russie) possédant 90% de toutes les forces nucléaires du monde, dont quasiment toutes les forces stratégiques disponibles. Les Russes étant dans l’état de faiblesse qu’on a décrit (narrative respectée), leur doctrine militaire implique l’usage d’armements nucléaires tactiques si le territoire national est attaqué et menacé dans son intégrité. (Thompson ne s’attache pas trop au fait que cette disposition existe à peu près, in fine et de facto sinon d’une façon formellement exprimée, dans toutes les doctrines d’emploi du nucléaire pour le cas ultime d’une menace fondamentale contre le territoire national d’un pays à capacité nucléaire, – cela déflorerait un peu trop la narrative.) Ce qui ressort de ce passage est cette idée, qui ne semble guère avoir pénétré les chancelleries occidentales, que l’on se trouve dans un jeu extrêmement dangereux et qu’à l’extrême, les Russes, qui sont parfaitement conscients de l’enjeu, n’hésiteront pas… Combien d’experts et de commentateurs occidentaux ont-ils compris cela et le implications de cela ?

«…  Beaucoup de Russes pensent qu’une attaque de leur pays est une réelle possibilité, et que leurs moyens de dissuasion nucléaire – qui consiste principalement en silos de missiles à la localisation connue – doivent peut-être être mis en œuvre rapidement pour échapper à une attaque préventive. Moscou a organisé un exercice nucléaire de grande importance pendant la crise ukrainienne de l’an passé, dans lequel il était admis que les missiles devaient être lancés rapidement en cas d’alerte d’une attaque de l’Occident. Un officier supérieur russe a indiqué que 96% des missiles stratégiques pouvaient être lancés en quelques minutes..»

• L’un des morceaux de choix de l’argument de Thompson concerne la position de Poutine dans son pays et l’attitude des Russes. Là encore, Thompson représente les arguments classiques de la narrative en vogue et en cours sur la popularité de Poutine (l’élévation du niveau de vie qu’il aurait apporté en Russie depuis 2000), en même temps que des prévisions catastrophiques d’effondrement économique de la Russie, mais pour nuancer peu à peu ces observations du constat que Poutine a su démontrer aisément à son opinion publique que les difficultés économiques sont causées par une agression extérieure. La conséquence, selon Thompson, est que l’opinion publique ne fera pas porter les responsabilités de ces difficultés par la direction gouvernementale russe, au contraire de ce qu’en attend le bloc BAO. («Beaucoup d’occidentaux croient qu’une récession prolongée affaiblirait le soutien à Poutine, mais comme il peut faire porter la responsabilité de la situation sur d’autres à l’étranger, les perturbations économiques pourraient en fait renforcer son pouvoir et accélérer la tendance vers un régime autoritaire.»)

Cette dynamique face aux pressions économiques est renforcée, sinon transmutée par ce que Thompson désigne comme “un appel au nationalisme, fabriquant une vision révisionniste des récents événements dans laquelle la Russie est la victime plutôt que la cause de ses propres infortunes”, dans le chef du même Poutine agissant “comme tous les dirigeants autoritaires dans d’autres nations”. Là aussi, les conditions de base de la réflexion sont conformes à la narrative, mais elles conduisent au constat général que Poutine a réussi à créer une large union nationale prête à se dresser contre les agresseurs venus de l’extérieur, fût-ce dans de très dures conditions intérieures. («En usant de la veine profonde du ressentiment dans la culture politique russe, Poutine s’est créé une large base pour résister à l’étranger même si cela signifie prolonger les difficultés économiques ou le risque de guerre..») En d’autres termes conformes à la narrative, il s’agit de nous dire paradoxalement le contraire de ce qu’annonce la narrative : savoir que le patriotisme russe a suscité un regroupement de résistance, quelles qu’en soient les conditions, derrière celui qui a été désigné pour diriger le pays… Ainsi Loren B. Thompson finit-il par exposer, sans dévier d’un pouce de la “ligne du Parti” dans ses attendus, une situation qui est contraire à ce qu’exige de penser la même “ligne du Parti”.

• Ainsi en arrive-t-il, Thompson, à l’essentiel : qu’est-ce que pourront faire, dans ces conditions, les États-Unis si la situation s’aggrave, notamment avec la fermeté de la résistance russe, jusqu’à des conditions où apparaîtrait la possibilité de l’utilisation par la Russie, au moins de l’armement nucléaire tactique ? Ils (les USA) ne voudront pas risquer de s’engager dans un conflit à grande échelle avec la Russie pour la défense de l’Ukraine à cause du risque nucléaire (sacrifier Chicago pour défendre Kiev, pas question) et ils n’ont pas de véritable défense du territoire nationale contre une attaque nucléaire (russe) ; en d’autres termes, la politique américaniste ne peut affronter le risque suprême sans risquer l’existence même des USA et, pour ne pas s’y trouver confrontée, s’en remet entièrement à la “rationalité” du gouvernement russe pour ne pas en venir au risque suprême … (« Arrivés à ce point, les décideurs US auraient à faire face au fait que (1) ils sont peu disposés à affronter la Russie pour protéger des endroits comme l’Ukraine, et (2) ils n’ont pas de réels moyens de défense du territoire américain contre une attaque nucléaire d’ampleur. En d’autres termes, la seule raison pour laquelle Washington semble avoir le dessus en ce moment est qu’elle présuppose que les dirigeants à Moscou agissent « rationnellement. »)

• Le dernier paragraphe la conclusion, constitue une attaque feutrée, déguisée, mais très violente contre l’aveuglement qui règne à Washington face aux possibilités d’aggravation catastrophique des conditions de la crise avec la Russie. C’est à ce point qu’il recommande pas moins qu’une politique d’apaisement, la recherche d’une entente, allant même, comme on l’a signalé plus haut, jusqu’à suggérer à peine entre les lignes que les USA acceptent comme un fait acquis, au nom des réalités historiques, le rattachement de la Crimée à la Russie…

«Le principe implicite ayant cours à Washington aujourd’hui est que si personne n’exprime de telles craintes à haute voix, alors il n’est pas nécessaire de s’en préoccuper. C’est ainsi qu’un monde pacifique est entré en titubant dans la première guerre mondiale il y a un siècle – en ne reconnaissant pas la capacité à dégénérer d’une crise en Europe orientale – et l’aveuglement des dirigeants de l’époque explique la majeure partie de ce qui a mal tourné plus tard au XXe siècle. Si nous voulons éviter le risque de revivre cette leçon transgénérationnelle, alors les décideurs américains doivent faire autre chose que d’attendre simplement que Poutine craque. Car ce jour ne viendra jamais. À court terme, Washington doit s’appliquer à désamorcer les tensions, y compris en envisageant plus sérieusement l’histoire et les raisons ayant mené Moscou à intervenir en Crimée. À plus long terme, Washington doit surmonter ses dangereuses réticences à mettre au point de réelles défenses contre les armes nucléaires à longue portée, parce que c’est juste une question de temps avant qu’un quelconque dictateur ne révèle le grand bluff des États-Unis.»

On remarquera que, jusqu’au bout, Thompson emploie le langage et les attendus de la narrative, y compris pour porter une critique à peine dissimulé contre une attitude (“l’aveuglement”) qui est manifestement le produit de la narrative. Nous n’en sommes plus à une contradiction près, et même les contradictions les plus colossales peuvent passer sans élever de réelles préoccupations tant la partie, la conscience de la partie, la signification et le sens de la partie sont formidablement imbriquées dans les méandres des narrative, les obligations de demi-mensonges et de quart-de-vérités, pour aboutir à une sorte de “sur-mensonge” dont l’Ukraine est le théâtre même, cet objet étrange (ce “sur-mensonge”) de la communication dont la grossièreté ne cesse de surprendre et dont le poids pour les psychologies est considérable ; ou bien, au contraire, pour aboutir à des vérités imprévues et totalement inattendues, qui apparaissent sans crier gare, qui laissent pantois et ne suscitent que le silence comme commentaire… En effet, pour un commentateur comme Thompson, avec son statut-Système, sa position bien établie de corrompu du Système au cœur même d’une de ses citadelles (le CMI), terminer un texte en plaidant qu’il faudrait chercher à détendre l’atmosphère de la crise ukrainienne notamment en songeant à envisager d’admettre que le rattachement de la Crimée à la Russie n’est pas une monstruosité inconcevable, il s’agit bien d’une de ces “vérités imprévues et totalement inattendues, [...] qui laissent pantois…”

Loren B archétypique d’un renversement surpuissance-autodestruction

Une fois de plus, Loren, B. Thompson est pris comme archétype d’un étrange personnage, à la fois détestable corrompu du Système, à la fois producteur de certaines vérités dont on comprend mal qu’elles puissent trouver leur place dans un environnement de communication complètement acquis au Système. Nous avons déjà signalé ce fait à propos de Loren B., plus d’une fois, ne mâchant pas nos phrases lorsqu’il s’agit de le dénoncer, ne dissimulant pas notre étonnement chaque fois renouvelé lorsqu’il s’agit du contraire. Bien entendu, on laissera ici, de côté, le côté corrompu-Système que tout le monde doit aisément comprendre, et qui est signalé des dizaines de fois à propos de Thompson, lorsqu’il fut souvent question du JSF, puisque lui-même payé pour débiter des conformités absolues et absolument mensongères venues de la narrative de Lockheed-Martin lorsqu’il s’agit du JSF. Mais enfin, ici, en plus, il s’agit de la crise ukrainienne avec laquelle on se trouve, on le sait, au terme de ce que nous jugeons être une sorte d’affrontement final dans la crise d’effondrement du Système…

Donc, dans un texte déjà cité du 12 avril 2014, nous écrivions ceci à propos du côté qu’on pourrait presque qualifier d’“antiSystème” de Loren B. Thompson. (Les deux textes mentionnés qui justifient notamment le passage ci-dessous et sont signalés comme “très intéressants” et “extrêmement instructifs”, sont notamment du 8 février 2010 et du 26 février 2010.)

«… L’intérêt de Loren B. Thompson, décrit ici comme s’il était un robot avec chèque mensuel, c’est qu’il n’est pas un robot. En d’autres cas, que nous avons déjà mentionnés, ses commentaires peuvent être très intéressants et extrêmement instructifs, – à un point tel qu’on les croirait sortis d’une plume de “dissident” du système, ou, dans tous les cas, d’un opposant extrêmement déterminé, ou bien encore d’un esprit assez neutre mais très lucidement critique. Cela nous conduit à quelques remarques qui, sorties du seul cas Loren B.-JSF, pourtant s’y rattachant dans la mesure où Loren B.-JSF font partie du système, concernent effectivement le système et son état présent. [...]

»Le constat auquel nous conduisent ces remarques très spécifiques mais également très précises est celui d’un renforcement constant de la crise du système, et de la perte du contrôle, ou de la perte d’influence, – ce qui revient un peu au même, – du système sur les créatures qui doivent lui être les plus loyales et les plus fidèles. Cela nous paraît être une illustration de notre thèse selon laquelle le paroxysme de la puissance du système engendre le paroxysme de sa crise, et les serviteurs les plus impliqués dans le système reflètent eux-mêmes cette situation dans ce fait d’une fragmentation de plus en plus évidente de leur jugement, jusqu’à la contradiction même. Les sujets qui concernent directement leurs intérêts continuent à être l’objet de l’alignement imperturbable, voire absurde, sur les consignes du système; ceux qui les concernent moins ou ne les concernent pas sollicitent de plus en plus le domaine critique de leur jugement, jusqu’à des constats qui deviennent objectivement hostiles aux intérêts du système.

»Il faut donc admettre que l’emprise des systèmes anthropotechniques sur les psychologies de ceux qui les servent les plus précisément s’avère extrêmement fragile et vulnérable aux pressions engendrées par la crise de ce même système; notamment qu’elles n’annihilent pas ce qui peut subsister de capacité de production d’“esprit critique”, même dans une psychologie acquise au système (car il y a, selon nous, plus de conviction nécessaire et moins de cynisme rétribué qu’on croit, même dans certains jugements absurdes de Loren B.). Les contradictions s’exercent ainsi de plein fouet et donnent des opportunités importantes à des initiatives de “résistance”, voire de contre-attaque. L’important est de montrer, au contraire du système, une extrême souplesse dans l’appréciation des personnes et des groupes qui se situent en fonction de ce système, complètement à son service, complètement sous son influence, – et puis non, après tout, pas si “complètement” que cela…. Le plus grand réalisme est nécessaire, dans la mesure où l’on affronte des automatismes qui n’impliquent aucun engagement fondamental mais bien des circonstances mécaniques. L’important est de trouver l’endroit de la psychologie où glisser le coing qui déterminera la rupture.»

… Mais nous passons, nous, avec ce commentaire, des “systèmes anthropotechniques” au Système tout court, et du JSF à l’Ukraine qui est ce champ absolument fondamental, à visage découvert, hors de tout intermédiaire, de l’affrontement du Système et de l’antiSystème, dans le contexte du “terme de ce que nous jugeons être une sorte d’affrontement final dans la crise d’effondrement du Système…” L’intervention de Loren B. Thompson comme nous la décrivons est donc infiniment plus intéressante, instructive, voire exemplaire pour notre propos … Car notre propos est bien celui-ci : des sapiens, des employés-Système, des dirigeants-Système, peuvent-ils, dans des conditions d’extrême tension, soudain, par révolte, sens commun soudain devenu “sens antiSystème”, quitter brusquement les rangs du troupeau-Système et y opposer une contradiction qui pourrait avoir la singularité de devenir décisive ?

Comme on voit, sur l’Ukraine c’est la partie ouverte, non-robotique, du semi-robot, qui parle, tout en évitant l’écueil de l’excommunication de la part du Système (respect de la narrative). Plus que jamais, Thompson nous paraît un cas particulièrement éclairant ; 1) d’une part, par sa position sans retenue dans le Système et au service du Système lorsqu’il s’agit de ses activités professionnelles directes, en général et même dans ce texte (sa dernière phrase de conclusion va dans la logique de sa pensée générale mais est aussi un appel au développement accélérée d’une véritable défense de missile anti-missile stratégique où le CMI, et Lockheed Martin sont largement impliqués : «Over the longer term, Washington needs to get beyond its dangerous aversion to building real defenses against long-range nuclear weapons…») ; 2) d’autre part, par sa plaidoirie habile, dans les bornes de la narrative, pour une politique de conciliation avec la Russie, allant jusqu’à suggérer que la position d’opposition absolue au rattachement de la Crimée devrait être revue, suggestion implicite pour la revoir dans le sens de l’acceptation.

Il s’agit d’un cas particulier mais aussi d’un cas archétypique d’une personnalité dont le profil général correspond à une large catégorie d’experts, non-idéologisée, conservateurs certes mais sensible à certaines réalités dont celle de la perspective catastrophique d’un affrontement avec la Russie. Si Thompson confirme là une position qu’il a déjà exprimée dans des textes précédents au printemps dernier (le 14 mars 2014 et le 28 avril 2014), c’est qu’il sait que ses employeurs du CMI ne sont pas fondamentalement hostiles à cette analyse : ils sont favorables à une production d’armement accélérée, pour le futur et sur le terme certes, mais nullement pour une aggravation de la situation avec le risque d’un conflit avec la Russie, où la dimension nucléaire réglerait définitivement dans la cendre des explosions nucléaires toutes les questions de rentabilité et de production des grandes sociétés du corporate power productrices d’armements. Ainsi Thompson peut-il être pris comme archétypique effectivement, et comme un personnage dont l’évolution de la pensée pourrait se trouver partagée par de plus en plus d’experts, puis d’hommes plus directement impliqués dans le pouvoir, à mesure que la tension avec la Russie grandirait. C’est dire qu’à partir de cet exemple particulièrement structuré et révélateur, nous voulons pousser notre raisonnement vers une possibilité s’étendant à une fraction en net renforcement et en net élargissement, toujours selon les conditions d’une tension en augmentation.

Ces observations se placent donc, à partir du cas Thompson élargie au sein de la communauté des experts-Système puis des dirigeants-Système, et toujours dans le cas d’une aggravation de la tension, dans une hypothèse qui verrait se renforcer une fraction hostile à une politique frontale d’affrontement avec la Russie, au cœur même de ce qu’on a coutume de nommer le “parti de la guerre”, ou War Party. (Dieu sait si le CMI y a sa place, lui qui subventionne directement certains groupes extrémistes, puisqu’on a déjà trouvé à plus d’une reprise au sein des neocons des hommes de Lockheed Martin comme par exemple Thomas Donnelly [voir le 9 septembre 2010].)

Cette sorte de possibilité de division, potentielle mais prête à se révéler selon les circonstances, pourrait ainsi prendre des dimensions dramatiques de division au sein de la direction-Système de Washington, et dans les groupes de pouvoir et d’influence qui structurent cette direction-Système. Ce qui serait alors en jeu, dans les circonstances pressantes envisagées, ne serait nullement la recherche et la possibilité d’un compromis entre ces groupes d’influence mais une polarisation grandissante et très vite antagoniste entre eux ; d’une part les groupes d’influence qu’on a caractérisés avec Thompson  ; d’autre part des groupes d’influence, fortement idéologisées, caractérisés par leur hystérie belliciste et leur totale absence de conscience à la fois du risque et de la véritable signification de la possibilité d’un affrontement avec la Russie pouvant aller jusqu’au nucléaire, ces groupes ne pouvant accepter une seule seconde une tendance qui envisagerait un accommodement avec la Russie jusqu’à l’acceptation du rattachement de la Crimée à la Russie.

Ces remarques se placent dans la recherche hypothétique des circonstances ou des événements qui pourraient conduite à des occurrences de situations exceptionnelles et extraordinaires de déchirement interne de la direction-Système, par définition placée en pointe de la dynamique du Système. On se trouverait alors devant une hypothèse principale, ou mieux dit une hypothèque gravissime pour le Système, où le désordre et le désarroi de cette direction-Système placée devant l’horrible possibilité d’un conflit nucléaire conduiraient à des circonstances extrêmement déstabilisantes pour l’orientation de la course du Système. L’hypothèse se poursuivrait par la remarque qu’il y aurait là une voie par où pourrait se manifester l’affrontement à partir duquel la dynamique du Système où domine pour l’instant encore la poussée de surpuissance trouverait devant elle une entrave décisive qui pourrait transformer son orientation de surpuissance en orientation d’autodestruction. C’est ce que nous décrivions de cette façon dans notre analyse du 2 janvier 2015, de cette façoin :

«Il n’y a une “course” que dans le sens d’une trajectoire où se déploie cette surpuissance du Système inarrêtable et inévitable (“Why America Can’t Stop”), et la trajectoire n’est une “course” dans son autre sens que dans la mesure où la surpuissance produit de plus en plus l’autodestruction et donc qu’à un moment donné de cet événement inouï l’autodestruction prendra le pas sur la surpuissance, – et là, oui, comme dans une “course” cycliste, distancera irrémédiablement la surpuissance.»

Nous dirions, pour utiliser l’analogie des fameux pourcentages utilisés au niveau économique et social, que Loren B. Thompson fait partie des 1% de Washington (les super-conscients) qui savent encore ce que le nucléaire veut dire et peut provoquer, contre les 99% (les super-inconscients) qui ont totalement oublié, s’ils les ont jamais connus, les circonstances exactes et les conséquences terrifiantes d’un conflit nucléaires. Dans l’occurrence d’une aggravation de la tension entre les USA et la Russie que nous ne cessons d’évoquer parce qu’elle nous paraît complètement possible sinon probable, et certainement logique selon la course suivie actuellement telle que la décrit ce même texte du 2 janvier 2015, les 1% où se trouve Thompson pourrait très rapidement grignoter sur les 99% et constituer rapidement une fraction vocale extrêmement pressante et influente. Le résultat hypothétique vers lequel on se dirigerait, et où nous souhaiterions que l’on se dirigeât (passage de la surpuissance à l’autodestruction), serait alors la très rapide montée aux extrêmes et le caractère aussitôt extrême et sans aucun compromis possible d’un tel affrontement. C’est ainsi que se développe la possibilité d’un breaking point (voir le 2 janvier 2015) du Système dans un de ces moments de décision où les nécessités de décider et d’agir très vite empêchent les habituels arrangements et réflexes de solidarité-Système, prudence, crainte, etc., qui ont jusqu’ici tant bien que mal prévalu (ave tout de même des exemples de breaking point qui renforcent l’hypothèse, mais sur des sujets moins importants comme l’attaque avortée contre la Syrie d’aout-septembre 2013, alors qu’il s’agit ici du sujet décisif et définitif)

C’est l’un de ces cas où l’équation surpuissance-autodestruction si elle prend son plein effet devient à la fois décisive, sans retour, sans possibilité de temps pour quelque aménagement que de soit ; où l’équation surpuissance-autodestruction devient celle, tout simplement, de l’effondrement du Système … Ainsi sera-t-il beaucoup pardonné à l’ultra-corrompu Loren B. Thompson de sa corruption extrême, pour nous ménager, par son côté non-robotisé (des 1%) un exemple intéressant par lequel nous pouvons étayer opérationnellement notre hypothèse générale concernant la Crise de l’Effondrement du système dans sa phase finale.

Source : Dedefensa

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-la-russie-de-poutine-est-en-2015-la-plus-grande-menace-pour-les-etats-unis/


Reconstruire la confiance entre Obama et Poutine, par Ray McGovern

Sunday 15 March 2015 at 03:07

Exclusif : Ray McGovern, ancien analyste de la CIA, nous dit que, entrant dans le dernier quart de son mandat présidentiel, Barack Obama doit décider s’il va se laisser enquiquiner par les néocons ou s’il va finalement les envoyer valser pour s’engager dans une politique étrangère réaliste visant des solutions tangibles aux problèmes mondiaux, y compris en ce qui concerne la crise avec la Russie au sujet de l’Ukraine.

Par Ray McGovern

L’année 2015 marquera sûrement un tournant dans les relations entre les États-Unis et la Russie, d’une manière ou d’une autre. Toutefois, l’accroissement des tensions – jusqu’à une guerre par état interposé en Ukraine ou bien encore une guerre encore plus étendue – ou même leur persistance ne dépend principalement que du président Barack Obama.

La clé pour répondre à cette question en est une autre : Obama est-il assez intelligent et assez fort pour recadrer le secrétaire d’état John Kerry [Ndt : chargé des affaires étrangères], les néocons et les “interventionnistes libéraux” qui mènent le département d’état [Ndt : ministère des affaires étrangères américain], et de s’opposer aux poules mouillées du Congrès qui jouent aux faucons, et qui pour la plupart prennent leurs aises pour flirter avec la guerre parce qu’ils n’en connaissent rien.

 

Victoria Nuland, sous-secrétaire d’état aux affaires européennes, qui a encouragé le coup d’état en Ukraine et a aidé à choisir les dirigeants d’après le putsch.

Le président russe Vladimir Poutine, au contraire, a fait très jeune l’expérience des conséquences de la guerre. Il est né à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) huit ans après la fin de l’effroyable siège de l’armée allemande. Michael Walzer, dans ” Guerre contre des civils “, a noté : “Plus de gens moururent lors des 900 jours de siège de Leningrad que dans les enfers de Hambourg, Dresde, Tokyo, Hiroshima et Nagasaki réunis.”

Le frère aîné de Poutine, Viktor, est mort pendant le siège. Ce qu’a vécu Poutine dans sa jeunesse est, bien entendu, gravé dans sa conscience. Cela peut aider à comprendre pourquoi il a tendance à garder pour lui le genre de vocifération téméraire qu’on entend régulièrement dans la bouche des dirigeants occidentaux de nos jours – la plupart d’entre eux n’ayant aucune idée ni des souffrances de la guerre ni de l’histoire compliquée de l’Ukraine.

A la même époque l’an dernier, peu d’américains auraient pu situer l’Ukraine sur une carte. Et sevrés d’information comme ils le sont par les “médias grand public”, la plupart n’ont aucune idée de ses tensions politiques internes, du schisme entre l’Ukraine occidentale orientée vers l’Europe et l’Ukraine de l’Est profondément liée à la Russie.

Commençons par un bref rappel des points les plus importants de cette histoire, avant de se pencher sur ses récents avatars – et de faire quelques recommandations en ce début d’année. Moins de trois semaines après la chute du mur de Berlin, tombé le 9 novembre 1989, le président George H. W. Bush a invité le chef du Kremlin, Michael Gorbatchev, au sommet de Malte, où ils négocièrent un accord historique : Moscou renoncerait à l’usage de la force pour reprendre le contrôle sur l’Europe de l’Est ; Washington ne “profiterait” pas du soulèvement et de l’incertitude qui régnaient dans cette région.

Cet accord s’est incarné seulement deux mois plus tard, lorsque James Baker, le secrétaire d’état de Bush, a persuadé Gorbatchev d’avaler la couleuvre de l’adhésion à l’OTAN d’une Allemagne réunifiée, en échange de la promesse que l’OTAN ne “déborderait” pas à l’Est au-delà de l’Allemagne. Jack Matlock, l’ancien ambassadeur américain à Moscou, qui a été témoin de tout cela, m’a dit dans un email : “je ne vois pas comment quiconque pourrait qualifier l’expansion de l’OTAN qui a eu lieu ensuite, autrement que d’une manière de “profiter” de la situation.”

Ce diplomate aguerri, qui a pris part aux négociations bilatérales cruciales du début des années 90, a ajouté que l’engagement mutuel n’a pas été mis sur le papier. Néanmoins, revenir sur une promesse – écrite ou non – c’est faire un sérieux accroc dans la confiance.

Pourquoi pas d’accord écrit

L’an dernier, j’ai demandé à Matlock et à Viktor Borisovich Kouvaldine, l’un des conseillers de Gorbatchev de 1989 à 1991, pourquoi l’accord Baker-Gorbatchev n’avait pas été mis noir sur blanc. Matlock a répondu :

“Il n’y avait pas d’accord à ce moment-là. Baker et Hans-Dietrich Genscher, le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne de l’Ouest, avançaient tous les deux des idées pour que Gorbatchev y réfléchisse. Il n’a donné aucune réponse, mais il a dit qu’il y penserait… Les accords formels devaient impliquer plus de gens, ce qu’ils ont fait, avec les accords 2+4, qui ont été conclus seulement à la fin 1990.

Bon, d’accord.

L’automne dernier, Kouvaldine m’a confirmé dans un email ce que Matlock m’avait dit. Mais il a poursuivi en signalant que “l’engagement qu’il n’y aurait pas d’extension de l’OTAN à l’Est a été pris envers Gorbatchev, les jours suivant sa première rencontre avec Baker, puis avec le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl [les 9 et 10 février 1990].” Quant à la raison pour laquelle cet engagement n’a pas été formellement rédigé, Kouvaldine a expliqué :

“Une telle requête aurait semblé un peu bizarre à l’époque. Le pacte de Varsovie était actif ; les militaires soviétiques étaient stationnés dans toute l’Europe centrale ; et l’OTAN n’avait nulle part où aller. Au début de février 1990, pratiquement personne n’aurait pu prévoir la tournure que prendraient les événements au cours des années 90.”

Bon, encore d’accord. Mais quand j’ai rencontré Kouvaldine à Moscou, il y a quelques mois, et que je lui ai demandé à brûle-pourpoint pourquoi il n’y avait aucun enregistrement des promesses faites à son chef Gorbatchev, sa réponse a été plus spontanée – et viscérale. Il a penché la tête, ma regardé droit dans les yeux, et m’a dit : “on vous faisait confiance”.

Ecrit ou pas, c’était une question de confiance – et non “d’en tirer avantage”. Gorbatchev, le chef de Kouvaldine, a choisi de faire confiance non seulement au secrétaire d’état américain, mais aussi au gouvernement ouest-allemand de Bonn. D’après un article du Spiegel, citant des documents du ministère des affaires étrangères allemand rendus publics il y a à peine cinq ans :

“Le 10 février 1990, entre 16 heures et 18h30, Genscher a parlé avec [le ministre des affaires étrangères soviétique, M. Edouard] Chevardnadze. Et, d’après le compte-rendu allemand de la conversation, Genscher a dit : “Nous sommes conscients que l’adhésion à l’OTAN d’une Allemagne réunifiée soulève des questions complexes. Pour nous, toutefois, une chose est certaine : l’OTAN ne s’étendra pas à l’Est. “Et parce que la conversation tournait principalement autour de l’Allemagne de l’Est, Genscher ajouta explicitement : “Pour ce qui est de la non-extension de l’OTAN, ceci vaut de manière générale”.

La poussée de croissance de l’OTAN

Certains d’entre nous – même si ce n’est qu’une infime minorité – connaissent la suite de l’histoire. C’est généralement laissé de côté dans les médias occidentaux, mais cela pose néanmoins le décor historique dans lequel s’est joué l’an dernier le soulèvement en Ukraine. Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 – et la rupture du Pacte de Varsovie – la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque ont rejoint l’OTAN en 1999. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie l’ont rejointe en 2004. L’Albanie et la Croatie l’ont rejointe en 2009. Et les chefs du Kremlin n’ont rien pu faire d’autre qu’observer, impuissants – et bouillir de rage.

On peut difficilement blâmer ces pays, dont la plupart ont vécu beaucoup d’expériences douloureuses sous les Soviétiques. Il n’y a pas à s’étonner qu’ils aient voulu se réfugier sous le parapluie de l’OTAN, pour se mettre à l’abri des vents mauvais qui soufflaient de l’Est. Mais, comme John Kennan et d’autres l’ont remarqué à l’époque, ce fut un regrettable manque d’imagination et de vision politique, qu’aucune alternative sérieuse n’ait été conçue pour répondre aux préoccupations des pays à l’Est de l’Allemagne, en dehors de l’adhésion à l’OTAN.

D’autant plus qu’à l’époque il ne restait que peu de dents dans la bouche de l’ours russe. Et – ce n’est pas le moindre des arguments – une promesse est une promesse.

Comme l’expansion de l’OTAN attirait des pays de plus en plus proches des frontières de la Russie, le Kremlin a tracé une ligne rouge, quand, en dépit des avertissements très clairs de Moscou, un sommet de l’OTAN a Bucarest, le 3 avril 2008, a déclaré : “l’OTAN accueille les aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie pour une adhésion à l’OTAN. Nous acceptons aujourd’hui que ces pays deviennent membres de l’OTAN.” Ces deux pays, anciens états soviétiques, font pression sur le ventre mou méridional de la Russie.

On oublie souvent – à l’Ouest, mais pas en Russie – ce que cette déclaration de l’OTAN a provoqué comme réaction impulsive de la part du président géorgien de l’époque, Mikhael Saakachvili, qui a cru que l’heure de la moisson était venue avant même que le parapluie de l’OTAN ne s’ouvre. Moins de cinq mois après que la Géorgie eut été mise en file d’attente devant l’entrée de l’OTAN, Saakachvili a ordonné aux forces géorgiennes d’attaquer la ville de Tskhinvali en Ossétie du Sud. Personne n’aurait dû être surpris de la riposte fulgurante de la Russie, qui a mis une sacrée pâtée aux armées géorgiennes après seulement cinq jours de combat.

Pour finir, les pompom girls de Saakachvili dans l’administration de George W. Bush et le candidat à la présidentielle d’alors, le républicain John McCain, qui avaient couvé Saakachvili, se sont révélés impuissants à le protéger. Cependant, au lieu de tirer les leçons opportunes de cet échec, les néocons qui dirigeaient la politique étrangère de Bush – et qui sont restés dans l’administration Obama – ont jeté leur dévolu sur l’Ukraine.

Le changement de régime de trop

Il est devenu plus difficile de cacher la vérité, qui est que l’objectif final de Washington pour satisfaire les “aspirations occidentales” de l’Ukraine, et l’absorber en fin de compte dans l’OTAN, était ce qui a conduit les États-Unis à monter le coup d’état du 22 février 2014 à Kiev. Même s’il est peut-être exact que les révolutions “ne passeront pas à la télé” [NdT : allusion à un poème, puis une chanson de 1970 de Gil Scott-Heron], les coups d’état peuvent passer sur YouTube.

Et trois semaines avant le putsch de Kiev, la planification du ministère américain des affaires étrangères pour l’orchestration de l’éviction de Victor Ianoukovitch, président dûment élu de l’Ukraine, et pour la sélection de nouveaux dirigeants pour l’Ukraine, a été publiée – paroles et musique – sur YouTube, sous forme d’une conversation téléphonique de 4 minutes interceptée entre Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’état pour l’Europe, et Geoffrey Pyatt, le béni-oui-oui servant d’ambassadeur américain à Kiev.

Il faut l’entendre pour le croire. Et pour ceux qui n’ont pas le temps, voici la transcription d’un bref extrait :

Nuland : Qu’en pensez-vous ?

Pyatt : Je pense qu’on a la main. Le pion Klitschko [Vitaly Klitschko, l'un des trois principaux chefs de l'opposition] est visiblement l’électron compliqué du jeu… Je pense que c’est le prochain coup de téléphone que vous devriez organiser, c’est exactement celui que vous avez donné à Yats [Arseniy Yatseniouk, un autre chef de l'opposition]. Et je suis content que vous l’ayez mis pile où il s’emboite dans le scenario. Et je suis très content qu’il ait répondu ce qu’il a répondu.

Nuland : Bon. Je ne crois pas que Klitsch doive entrer au gouvernement. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Pyatt : Ouais. Je suppose… laissez-le juste rester hors du jeu et s’instruire sur la politique et tout le bazar… On a besoin de garder ensemble les démocrates modérés. Le problème, ça va être Tyahnybok [Oleg Tyahnybok, l'autre chef important de l'opposition, à la tête du parti d'extrême-droite Svoboda] et ses mecs…

Nuland : [interrompant] : Je crois que Yats est le type qui a l’expérience économique, l’expérience gouvernementale. C’est le… ce dont il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. Il faut qu’il leur parle quatre fois par semaine, vous voyez…

Et donc, surprise, surprise : “Yats” se trouva être l’homme de Nuland trois petites semaines plus tard, nommé premier ministre juste après le coup d’état du 22 février. Et il l’est encore. Vous parlez d’une chance !

Aussi transparents que les tripatouillages des “Marionnettes de Maïdan ” (titre que les traducteurs russes ont donné à leur version de la conversation sur YouTube) aient pu être, ces morceaux de bravoure furent rarement mentionnés dans les médias américains “grand public” (MGP). A l’inverse, une place de choix est réservée à l’”aggression ” qu’a commise Moscou en annexant la Crimée, un geste qui a fait suite au choix par l’écrasante majorité des votants de se sauver du régime de Kiev imposé par le coup d’état et de chercher à rejoindre la Russie.

Aucun nazi à l’ horizon

Le coup d’état du 22 février dont le fer de lance était composé de milices néo-nazies bien organisées qui ont tué des policiers et capturé des bâtiments gouvernementaux, ce coup donc, le public américain n’en verra et n’en entendra rien de la part des principaux médias américains. La version américaine qui lui est préférée est celle selon laquelle Ianoukovitch et les officiels de son régime ont simplement décidé de quitter la ville face à la force morale des manifestants du Maidan, à la fois pacifiques et hackers éthiques.

Ce fût donc une surprise agréable lorsqu’un notable comme George Friedman, lors d’une interview avec le magazine russe Kommersant, décrivit la chute du gouvernement ukrainien en février comme “le coup d’état le plus flagrant de l’histoire”. Friedman est le responsable de la STRATFOR, un thin tank souvent décrit comme “l’ombre de la CIA”.

Toujours est-il que dans les récits des grands médias américains – ainsi que d’autres comme la BBC avec laquelle j’ai eu une expérience personnelle sur la question délicate de l’Ukraine – l’histoire de la crise ukrainienne démarre avec l’annexion de la Crimée, appelée parfois “l’invasion” russe bien que les troupes russes soient déjà stationnées en Crimée dans la base navale russe de Sébastopol. Dans ces journaux, il n’y a “juste pas assez de temps, malheureusement” pour évoquer l’expansion vers l’est de l’OTAN ou même le coup d’état à Kiev.

L’autre passage préféré des MGP est l’histoire selon laquelle Poutine aurait fomenté la crise ukrainienne parce qu’il voulait reprendre des territoires perdus lors de l’éclatement de l’Union soviétique. Mais il n’y a pas le début d’une preuve que les Russes auraient repris la Crimée, si ce n’était en raison du coup d’état conçu par Nuland et mis en œuvre par toute une série de voyous, y compris des groupes fascistes agitant des bannières frappées aux symboles nazis.

Il y a bien longtemps, Nuland a eu des compagnons très louches. La liste est longue ; il suffira de mentionner ici qu’elle a été la conseillère principale adjointe pour la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney, au sein de son cabinet fantôme pour la sécurité nationale, pendant ses “années du côté obscur” de 2003 à 2005.

On dit que Nuland a travaillé à la “promotion de la démocratie” en Irak et qu’elle a fait là un travail tellement formidable qu’elle a été promue, sous la secrétaire d’état Hillary Clinton, porte-parole du département d’état, puis sous-secrétaire d’état pour les affaires européennes, ce qui lui a valu d’être en charge du dossier ukrainien. Nuland est également mariée à Robert Kagan, le théoricien néoconservateur, dont le Projet pour le Nouveau Siècle Américain militait pour l’invasion de l’Irak dès 1998. [Voir l'article "La vraie faiblesse dans la politique étrangère d'Obama" sur consortiumnews.com]

En décembre 2013, Nuland avait tellement confiance dans son emprise sur la politique américaine vis-à-vis de l’Ukraine qu’elle a publiquement rappelé à des chefs d’entreprise ukrainiens que, pour aider l’Ukraine à atteindre “ses aspirations européennes, nous avons investi plus de cinq milliards de dollars”. Elle a même fait son apparition au milieu des manifestations de Maïdan pour distribuer des cookies et encourager les manifestants.

En la gardant dans le département d’état et en lui offrant une promotion, Obama et ses deux secrétaires d’état Hillary Clinton et John Kerry ont construit un pont humain vers les années où les néocons étaient du côté obscur. Nuland semble aussi avoir contaminé les dirigeants impressionnables de l’administration Obama, avec cette aimable approche de la réalité que l’auteur Ron Suskind attribuait à un haut responsable de l’administration Bush : “Nous sommes un empire à présent, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité”.

C’est peut-être le remède de bonnes femmes utilisé par Nuland et Kerry, auxquels Obama a principalement délégué la conduite de la politique américaine à l’égard de la Russie. Cela semblera à l’ambassadeur Matlock une maigre consolation, mais cela pourrait l’aider à comprendre ce qui semble être la politique actuelle vis-à-vis de l’Ukraine.

En écrivant l’an dernier sur la crise sur le point d’éclore, Matlock disait : “Je ne peux comprendre comment il [Obama] s’est débrouillé pour ne pas s’apercevoir que se confronter publiquement au président Poutine sur une question qui est si centrale à la fierté et à l’honneur national de la Russie, aurait non seulement l’effet contraire sur la question en jeu, mais renforcerait véritablement des tendances en Russie que nous serions bien inspirés de décourager. C’est comme si lui, et ses conseillers avec lui, vivaient dans un univers idéologique et psychologique parallèle.”

Poutine : Peu de tolérance pour l’autre réalité

Avant de terminer avec quelques recommandations, appliquons les méthodes éprouvées d’analyse des médias, pour voir s’il est possible de discerner la manière dont le président russe Poutine réagit à tout cela. (Indice : il ne va pas céder à la pression sur la question ukrainienne).

Lors d’une conférence de presse, dix jours après le coup de Kiev, Poutine s’est plaint que “nos partenaires occidentaux” continuent à manigancer en Ukraine. “J’ai parfois l’impression”, a-t-il dit, “que quelque part de l’autre côté de cette grosse flaque, en Amérique, il y a des gens assis dans un laboratoire qui font des expériences, comme si on était des rats, sans véritablement comprendre les conséquences de ce qu’ils font. Pourquoi ont-ils besoin de faire cela ?”

Et dans un discours, deux semaines après, Poutine a déclaré :

“Nos collègues à l’Ouest… nous ont menti à plusieurs reprises, ont pris des décisions derrière notre dos, nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN à l’Est, comme avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières… Cela s’est produit avec le déploiement d’un système de défense anti-missile…”

“Ils sont constamment en train d’essayer de nous acculer… Mais il y a des limites à tout. Et avec l’Ukraine, nos partenaires occidentaux ont franchi la ligne. … Si vous comprimez le ressort jusqu’à sa limite, il va vous revenir dans la figure. … Aujourd’hui, il est impératif de mettre un terme à cette hystérie, et de rejeter la rhétorique de la guerre froide… La Russie a ses propres intérêts, qui doivent être pris en compte et respectés.”

Le 8 septembre 2013, pour la cérémonie d’investiture de Nuland en tant que sous-secrétaire d’état, le secrétaire d’état Kerry en a fait des tonnes à propos des réussites de “Toria”, avec un panégyrique qui mérite tout à fait le qualificatif d’excessif. C’était un indice colossal que Kerry lui laisserait carte blanche sur l’élaboration de la politique à l’égard de la Russie, de l’Ukraine, etc.

Par bonheur, Nuland n’a pas été capable de saboter les dialogues en coulisses entre Obama et Poutine, qui ont permis à Poutine de dissuader Obama d’attaquer la Syrie en septembre 2013, en le convainquant que les syriens étaient sur le point d’accepter la destruction de leur armement chimique. Obama avait évincé Kerry de toutes ces discussions sensibles mais, livré à lui-même, Kerry continuait à essayer de faire battre tambour pour réunir un soutien international à l’action militaire contre la Syrie.

Que Kerry ait été tenu dans l’ignorance de l’extraordinaire accord négocié par Obama et Poutine avec la Syrie, est devenu évident à Londres le 9 septembre 2013, lorsque Kerry, de manière bien embarrassante, a écarté toute probabilité que la Syrie accepte jamais de laisser détruire son arsenal chimique. Un peu plus tard le même jour, l’accord de destruction des armes chimiques syriennes était annoncé.

Malheureusement, dans un certain sens, les méfaits américains en Ukraine peuvent être considérés comme la revanche de Kerry, de son copain le sénateur McCain, et bien sûr de Nuland, contre la Russie qui avait anéanti leurs espoirs d’une campagne majeure de l’armée américaine bombardant le gouvernement syrien.

Poutine : Kerry “sait qu’il ment”

Il est rare qu’un chef d’état accuse le chef de la diplomatie d’un état rival d’être un “menteur”. Mais c’est ce que Poutine a fait six jours après qu’Obama eut désavoué Kerry et arrêté l’attaque de la Syrie. Le 5 septembre 2013, alors qu’Obama arrivait à St Petersbourg pour le sommet du G20, Poutine se référait ouvertement à la déposition de Kerry devant le Congrès à propos de la Syrie, qui s’était tenue quelques jours auparavant, et dans laquelle Kerry exagérait grandement la force des rebelles “modérés” en Syrie.

Kerry a également répété des assertions très douteuses (à 35 reprises, lors de la conférence de presse du département d’état du 30 août), affirmant que le gouvernement Assad était derrière les attaques chimiques près de Damas le 21 août, et que par conséquent il avait franchi la ligne rouge qu’Obama avait fixée, et que la Syrie devait être punie par des attaques militaires.

A propos de Kerry, Poutine y est allé sans mettre de gants : “C’était très désagréable et très surprenant pour moi. On leur parle [aux Américains] et on part du principe qu’ils sont des gens honnêtes, mais il ment, et il sait qu’il ment. C’est triste.”

Les sévères paroles de Poutine à propos de Kerry et la collaboration Obama-Poutine en coulisses qui ont désamorcé la crise syrienne de 2013 semblent avoir réveillé les néocons et les avoir convaincus de la nécessité de briser cette coopération – et le coup d’état ukrainien est devenu le parfait moyen d’y parvenir.

Résolutions du Nouvel An

Cinq choses qu’Obama doit faire pour un nouveau départ cette nouvelle année :

1 – Virer Kerry et Nuland.

2 – Lire l’article écrit par Poutine et publié dans le New York Times le 11 septembre 2013, juste après que la coopération avec Obama a produit l’extraordinaire résultat de la destruction des armes chimiques syriennes.

3 – Arrêter le discours idiot sur les États-Unis qui seraient “la seule nation indispensable”. (Le président a dit cela tant de fois l’an dernier que certains ont soupçonné qu’il commençait à croire sa propre rhétorique. Voici comment Poutine a choisi de considérer ce triomphalisme rassérénant mais délétère, à la fin de son article :

“Il est extrêmement dangereux d’encourager les gens à se percevoir comme exceptionnels, quelle qu’en soit la motivation. Il y a de grands pays et de petits pays, des riches et des pauvres, certains avec de longues traditions démocratiques et d’autres qui cherchent encore leur chemin vers la démocratie. Leurs politiques sont, elles aussi, différentes. Nous sommes tous différents, mais lorsque nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons jamais oublier que Dieu nous a créé tous égaux.”

4 – Se pencher sur les collabos de Kiev pour mettre un terme à leurs bêtises. Une magnifique occasion de le faire serait de participer au sommet international souhaité par le président ukrainien Petro Porochenko le 15 janvier au Kazakhstan, auquel Poutine et les dirigeants d’Allemagne et de France sont aussi attendus.

5 – Enfin, choisir une chute différente cette année pour vos discours. Pourquoi pas : “Que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique, et le reste du monde aussi.”

Source : Consortium News, janvier 2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reconstruire-la-confiance-entre-obama-et-poutine-par-ray-mcgovern/


Un journaliste condamné à 25 ans de prison au Rwanda

Sunday 15 March 2015 at 00:40

Petit article en passant du Monde (qui sera rapidement oublié), montrant bien que nos médias n’ont rien à foutre de ce qui se passe au Rwanda – où pourtant notre implication passée dans sa lourde histoire devrait nous sensibiliser un peu…

Alors pourquoi une propagande continuelle sur la Russie et rien sur le Rwanda où c’est à l’évidence bien pire – on n’aura jamais la réponse…

Le président du Rwanda Paul Kagamé au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, le 30 janvier 2015.

Le Rwanda se retrouve une fois de plus dans le viseur des organisations de défense des droits de l’Homme. Cette fois, Reporters sans frontières dénonce la condamnation à 25 ans de prison du journaliste rwandais, Cassien Ntamuhanga. Vendredi, 27 février, le tribunal de Kigali l’a reconnu coupable de « formation d’un groupe criminel », « conspiration contre le gouvernement ou le président de la République », « entente en vue de commettre un assassinat » et « complicité de terrorisme ».

Il était jugé aux côtés du célèbre chanteur Kizito Mihigo et de trois autres co-accusés. Kizito Mihigo, qui avait plaidé coupable, a été condamné à une peine de dix ans de prison. L’accusation avait requis la perpétuité contre ces quatre accusés, qui avaient été arrêtés en avril 2014 durant la commémoration des 20 ans du génocide. Reporters sans frontières (RSF) a exprimé son indignation face à « ce verdict sévère et disproportionné ». Et de critiquer « le caractère répressif du régime du président Kagamé et sa volonté grandissante de museler toute voix dissidente à l’approche de la présidentielle de 2017 ». Le Rwanda figure à la 161e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse 2015 réalisé chaque année par RSF.

Faire table rase de toute opposition

Ancien chef rebelle à la tête du Front patriotique rwandais (FPR), Paul Kagamé est président du Rwanda depuis 2000. Il est soupçonné de vouloir changer la constitution pour briguer un nouveau mandat en 2017. Et de faire table rase de toute opposition y compris de ses anciens alliés, comme les transfuges du FPR partis en exil dont certains ont rejoint le Congrès national rwandais (RNC). Ce parti d’opposition est considéré comme une organisation terroriste par Kigali. Et des anciens proches de Kagamé ralliés au RNC sont traqués et ont été retrouvés morts à l’étranger, comme l’ancien chef des services de renseignement tué en Afrique du Sud en janvier 2014.

Les atteintes à la liberté de la presse au Rwanda sont fréquemment dénoncées par des organisations étrangères. En décembre dernier, le Comité de protection des journalistes (CPJ) publiait un rapport qui pointait une « presse rwandaise régie par la censure aussi bien volontaire que forcée ». Et ce, malgré le vote d’une loi en 2013 renforçant légèrement la protection des journalistes et la mise en place d’une instance d’autorégulation des médias. Toutefois, des lois sévères encadrent tout outrage au chef de l’Etat et plus largement aux autorités.

En octobre 2014, c’est la diffusion de la chaîne britannique BBC qui y a été suspendue. Le parlement rwandais s’était prononcé en faveur de l’interdiction de la BBC qui avait diffusé un documentaire jugé controversé sur le génocide de 1994. Les émissions en kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, diffusées par la BBC avaient alors été suspendues pour une durée indéterminée.

Source : Le Monde, le 3 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/un-journaliste-condamne-a-25-ans-de-prison-au-rwanda/


Revue de presse du 14/03/2015

Saturday 14 March 2015 at 04:30

Cette semaine dans la revue (ici sans accent pour raison technique…), des difficultes en Autriche, la Nouvelle-Zelande nous ecoute (aussi), la France entre petits decomptes locaux et double-jeu europeen, la propagande qui finit par (trop) se voir en Ukraine et le cout des guerres etats-uniennes. Merci a nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-14-03-2015/


[Capitalisme fou] Manipulation des changes : BNP Paribas et Société Générale dans la tourmente

Saturday 14 March 2015 at 00:45

Un deuxième volet de l'affaire de manipulation des changes est-il sur le point de s'ouvrir?
Un deuxième volet de l’affaire de manipulation des changes est-il sur le point de s’ouvrir? 

Les banques françaises BNP Paribas et Société Générale ont été assignées par le régulateur financier de New-York pour avoir manipulé les taux de devises, selon l’AFP.

Des banques françaises sont dans le viseur du régulateur des services financiers de New York (DSF), Benjamin Lawsky. Il a adressé une assignation aux banques françaises BNP Paribas et Société Générale qu’il soupçonne d’avoir manipulé les taux de devises, ont indiqué vendredi à l’AFP des sources proches du dossier.

Par ailleurs, une investigation en cours de Benjamin Lawsky contre Barclays dans cette même affaire retarde actuellement un accord de l’établissement britannique avec d’autres régulateurs américains et britannique, selon les mêmes sources ayant requis l’anonymat.

Assignation adressée en décembre

L’assignation adressée, en décembre, à BNP Paribas, Société Générale, Goldman Sachs et Credit Suisse leur demande de fournir des documents liés aux opérations sur les devises, a précisé une des sources, ajoutant que M. Lawsky s’intéresse particulièrement à des “technologies spécifiques” utilisées par ces banques.
Les quatre établissements coopèrent, selon elle. Contactée par l’AFP, SocGen n’a pas réagi dans l’immédiat. Ni les services de Benjamin Lawsky, ni BNP Paribas, ni Credit Suisse n’ont souhaité faire de commentaire.

Les autorités américaines reprochent aux cambistes – des opérateurs de marché spécialistes des devises - de grandes banques d’avoir utilisé des forums de discussion sur internet et des messageries instantanées pour se concerter de façon indue afin d’infléchir les cours des monnaies.

Barclays aussi dans le viseur…

En ce qui concerne Barclays, Ben Lawsky soupçonne la banque d’avoir eu recours à de la manipulation algorithmique, ont indiqué les sources à l’AFP. Le régulateur a ainsi décidé de ne pas s’associer à un accord en négociation entre la banque et le département de la Justice américain, le régulateur américain des marchés dérivés (CFTC) et l’autorité de conduite financière du Royaume-Uni (FCA).

Cette intransigeance du régulateur new-yorkais, qui a le droit d’octroyer ou de révoquer la licence bancaire d’une banque opérant à New York, contrecarre les projets de Barclays qui souhaite conclure un accord global, selon la source.

Benjamin Lawsky est en train de faire examiner les ordinateurs de la plateforme électronique de courtage Barx, propriété de Barclays, selon les sources. Ces “super” ordinateurs sont dotés d’algorithmes capables d’effectuer de façon automatisée des opérations très sophistiquées dans des temps extrêmement courts.

… tout comme Deutsche Bank

Les mêmes soupçons pèsent sur l’allemande Deutsche Bank, dont les ordinateurs de la plateforme d’échanges électronique Autobahn sont également scrutés, selon une des sources.
Barclays s’est toujours refusée à commenter ces informations, tandis que Deutsche Bank a déjà dit à l’AFP qu’elle coopère avec toutes les enquêtes la concernant et prendrait des mesures disciplinaires contre des individus si nécessaire.

Ben Lawsky a installé un surveillant chez Barclays et un autre chez Deutsche Bank pour contrôler leurs opérations de courtage de changes, selon les sources.
En novembre, un premier volet de l’affaire avait été refermé avec l’imposition d’une pénalité de 4,25 milliards de dollars à un groupe de banques actives sur le marché des changes comprenant JPMorgan Chase, Citigroup, Royal Bank of Scotland, UBS et HSBC.

Source : La Tribune, le 28 février 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/capitalisme-fou-manipulation-des-changes-bnp-paribas-et-societe-generale-dans-la-tourmente/


Pour Hillary Clinton non plus, le fric n’a pas d’odeur…

Saturday 14 March 2015 at 00:15

La justice ou l’Histoire diront si la campagne présidentielle de Sarkozy a été sponsorisée par Kadhafi. Pour l’épouse de Bill, les financements étrangers sont déjà officiels…

Bien étrange, l’article du Washington Post du 25 février (« Des gouvernements étrangers ont donné des millions à la fondation pendant que Clinton était aux Affaires Étrangères ») qui pourrait laisser entendre que le célébrissime média de la Cote Est ne soutiendra pas Hillary Clinton à l’élection présidentielle US de 2016.

En cause, la fondation familiale – rebaptisée Fondation Bill, Hillary & Chelsea Clinton lorsque Madame a quitté le Département d’État – et les dizaines de millions de dollars qu’elle a reçu de gouvernements étrangers durant les 4 années pendant lesquelles Hillary Clinton a conduit la politique étrangère US.

Un nouvel éclairage qui conduit à s’interroger, comme le fait le Post, sur son réel degré d’indépendance dans la mise en œuvre de sa politique de l’époque, et sur celle qu’elle pourrait entreprendre comme présidente du pays dans l’avenir.
Consciente des graves conflits d’intérêt auxquels elle s’exposait au cas ou des gouvernements étrangers tenteraient d’obtenir des faveurs du Département d’État en faisant des donations à la Fondation Clinton, l’administration de la fondation a apporté en 2008, une importante modification statutaire relative à son fonctionnement.

Un deal négocié avec l’Administration Obama représentée par Valerie Jarrett qui co-présidait l’équipe de transition du nouveau président-élu : seuls les gouvernements ayant fait des dons à la Fondation préalablement à la nomination d’Hillary comme ministre des affaires étrangères, pourraient continuer à le faire à condition que les dons soient d’un niveau équivalent. Pour les nouveaux donateurs désireux de participer aux œuvres caritatives de la fondation, un accord du Bureau de l’Éthique du State Department était nécessaire.

LA SOUDAINE PASSION DU GOUVERNEMENT ALGÉRIEN

Sauf qu’en 2010, le gouvernement algérien s’est pris de passion pour l’aide apporté par la Fondation Clinton à Haïti à la suite du méga-tremblement de terre, et lui a versé sans même informer son trésorier, une modeste contribution de 500 000 dollars.
Les mauvais esprits pourront toujours se demander pourquoi l’Algérie n’a pas directement versé son obole au gouvernement haïtien… La crainte de possibles détournements de fonds ? Mystère…

Toujours est-il que ce don est intervenu alors que l’Algérie déployait un intense effort de lobbying envers les USA pour tempérer les propos sévères que l’Oncle Sam tenait sur la manière dont Alger gérait la question des droits de l’homme, et plus généralement pour adoucir les relations entre les deux pays.

Selon les dispositions de la loi sur les agents officiels étrangers, ce sont 422 097 dollars que le gouvernement algérien a théoriquement consacré au lobbying envers Washington cette année là et vraisemblablement bien d’avantage en réalité. Un accroissement sensible par rapport à celui observé les années précédentes, ayant conduit les agents d’Alger a rencontré les fonctionnaires du Département d’État à 12 reprises contre à peine une ou deux visites les autres années.

Il est vrai que le rapport de 2010 du State Department sur les droits de l’homme en Algérie avait fait son petit effet : (« ...les principaux problèmes relatifs aux droits de l’homme portent sur les atteintes aux droits de rassemblement, de manifestation et aux droits politiques et syndicaux… »). Pour faire bonne mesure, le rapport évoquait également les cas d’assassinats politiques, la corruption généralisée et l’opacité ambiante. Sans parler de son petit supplément de 2011 sur les atteintes aux droits des femmes au travail.

LE CHOIX D’HILLARY

Manifestement gênée aux entournures, Hillary traite dans ses mémoires de 2014 (« Choix Difficiles ») de l’Algérie dans des termes qui traduisent clairement son embarras : « L’Algérie est un de ces pays compliqués qui obligent les États Unis à arbitrer entre nos intérêts et nos valeurs », précisant au passage que le pays est un allié  des USA dans la lutte contre le terrorisme mais « qu’il fait pâle figure en matière de droits de l’homme et que son économie est relativement fermée... ».

Les journalistes politiques qui ont couvert la visite d’Hillary à Alger fin octobre 2012, avaient semble-t-il fait état de l’attitude « guindée » de la Secrétaire d’État venue rendre visite à un Bouteflika physiquement déjà très affaibli, en vue d’assurer « ...la consolidation du partenariat économique et sécuritaire entre les deux pays ainsi que sur les questions de l’actualité régionale et internationale ». En pratique, tout le monde savait que sa visite avait pour but d’obtenir le soutien de Boutef’ à une possible intervention militaire au Nord-Mali afin de faire la peau aux islamistes d’Aqmi.

Quant au Qatar, s’étant lui aussi montré très généreux envers la Fondation Clinton pendant qu’Hillary dirigeait le Département d’État, il a également lâché 5,3 millions de dollars en lobbying officiel à Washington d’après les comptes très pointus tenus par la Fondation Sunlight. Le but de la bonne parole Qatari était officiellement de s’assurer de la détermination américaine pour mettre un terme à la violence dans la région du Darfour. Indépendamment de sa quête de respectabilité sur le plan sportif, chacun sait que l’Émirat a fait l’objet de sérieuses critiques de la part d’alliés des USA dans la région, notamment pour son soutien du Hamas et d’autres organisations aux pratiques discutables.

On se souvient également des propos un peu vifs du Sénateur Républicain Richard Lugar, membre de la Commission des Affaires Étrangères du Sénat au sujet du mélange des genres à la sauce Clinton : « Une complication singulière qui devra être gérée avec prudence et transparence ; la Fondation Clinton représente une énorme tentation pour toute entité ou tout gouvernement étranger qui pense être en mesure d’obtenir des faveurs grâce à une donation, outre les possibles problèmes de perception des actions entreprises par la Secrétaire d’État envers ses donateurs ou leurs pays... ».

C’est étrangement à la suite des propos de Lugar que la Fondation a décidé de ne plus fournir le montant annuel des donations reçues par la Fondation mais uniquement le montant cumulé des contributions des donateurs.

UN TRÉSOR DE GUERRE DE DEUX MILLIARDS

Mais c’est John Kerry, qui était alors le président de la Commission sénatoriale des Affaires Étrangères et qui succédera à Hillary Clinton aux Affaires Étrangères qui s’était montré le plus sévère : « Si vous voyagez dans certains pays dont vous rencontrez les dirigeants et que, une, deux ou trois semaines plus tard le président de votre fondation s’y rend et sollicite un don et que vos interlocuteurs s’y engagent sans donner plus de précisions, est ce que cela ne ressemble pas bigrement à un conflit d’intérêt ? »

L’Allemagne et les Émirats Arabes Unis ont commencé à alimenter la Fondation Clinton après qu’Hillary a quitté son poste aux Affaires Étrangères. Quant à l’Arabie Saoudite, elle en était déjà à 25 millions de dollar quand Hillary est devenue ministre des Affaires Étrangères et s’est apparemment abstenue de banquer pendant que l’épouse de Bill était aux affaires, pour remettre les bouchées doubles depuis…

Bref, malgré son imposant trésor de guerre -  près de 2 milliards de dollars collectés depuis la création de la fondation par Bill Clinton en 2001 – Hillary n’est pas encore au bout de ses peines pour succéder à Obama en 2016. Sa rencontre secrète avec Elizabeth Warren en décembre 2014 – un meeting qui vient d’être révélée par la presse de Washington – pour sonder les intentions de sa plus dangereuse adversaire potentielle côté Démocrate qui ne dispose pourtant sur le papier d’aucune organisation politique dévouée à sa cause, en est la meilleure illustration…

Source : Woodward Et Newton, pour Bakchich.info, le 1er mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/pour-hillary-clinton-non-plus-le-fric-na-pas-dodeur/


Vol MH17 : L’Australie confirme l’existence d’un accord secret de confidentialité sur les résultats de l’enquête

Saturday 14 March 2015 at 00:10

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« Mettre en place une enquête internationale exhaustive et indépendante » sur le vol MH17 de Malaysia Airlines abattu au-dessus de l’Ukraine : c’était l’exigence exprimée par le Conseil de sécurité de l’ONU à travers sa résolution n° 2166 approuvée le 21 juillet 2014, autrement dit quatre jours après le tragique accident. Mais les faits montrent plutôt que l’enquête a depuis le début été organisée et menée sans donner aucune preuve d’indépendance et de transparence.

La délégation au Bureau de sécurité hollandais (Dutch Safety Board)

Le 23 juillet 2014, l’Ukraine a délégué à la Hollande, et plus précisément au Bureau de sécurité hollandais, la mission de conduire l’enquête sur les causes du désastre, en se basant sur un accord publié entre autres sur un site institutionnel hollandais. Le paragraphe 3 de l’accord prévoit clairement que le but de l’enquête déléguée n’est pas de rechercher les responsabilités ou d’attribuer la faute à untel ou untel, mais uniquement de prévenir d’autres incidents.

Le 9 septembre, le Bureau de sécurité hollandais a publié un rapport préliminaire, lequel, comme l’a montré le site Megachip, vient confirmer les problèmes de transparence de l’enquête (à cause d’une erreur de traduction entre le texte anglais et celui hollandais, et la tentative maladroite d’y remédier).

Le JIT et l’absence de la Malaisie

Lors de la réunion de l’Eurojust(*) le 28 juillet 2014, un groupe international d’enquête sur le désastre du MH-17 a été constitué ; ce JIT (Joint Investigation Team) comprend quatre pays : l’Ukraine, la Hollande, la Belgique et l’Australie. L’exclusion de la Malaisie en a surpris plus d’un. On ne comprend pas bien , en effet, pourquoi la Belgique, avec « seulement » 4 citoyens parmi les victimes) a été préféré à la Malaisie, étant donne la nationalité de la compagnie aérienne (Malaysia Airlines), la destination du vol (Kuala Lumpur) et le nombre de citoyens morts dans l’accident (43 Malaisiens). Suite à la réunion du 4 décembre, l’Eurojust a communiqué sur le fait que la Malaisie allait rejoindre le JIT, omettant de préciser que sa participation ne deviendra effective que lorsque la Malaisie signera un accord spécifique (jusqu’ici toujours pas officialisé), comme l’a révélé de son côté la police malaisienne.

L’accord secret du 8 août

Le 30 août 2014, Giulietto Chiesa et Pino Cabras ont révélé sur Megachip et PandoraTV.it l’existence d’un accord passé le 8 août entre les quatre États composants le JIT (Hollande, Ukraine, Australie et Belgique) ; cet accord prévoit un droit de véto sur la divulgation des informations et des résultats de l’enquête. À la mi-novembre, les autorités hollandaises ont fait jouer [cette clause] des accords secrets et ont repoussé les requêtes demandant la publication des résultats de l’enquête, requêtes présentées par deux parlementaires de la Chambre basse des États généraux de l’AIA (le chrétien-démocrate Pieter Omtzigt et le social libéral Sjoerd Wiemer Sjoerdsma). Le ministère hollandais de la Justice a motivé son refus par l’exigence de préserver la stabilité des relations internationales. Mais par la suite, le gouvernement hollandais a révélé certains détails sur le contenu de l’accord. En fait, le 22 décembre, en réponse aux questions parlementaires n° 2014D47806 signée par Omtzigt et Sjoersma qui demandaient si l’Ukraine disposait ou non d’un droit de véto dans le cadre de l’enquête pénale, le gouvernement, par l’entremise à la fois de son ministre de la Justice et de la Sécurité, du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense, a affirmé que les membres du JIT s’étaient engagés réciproquement à s’abstenir de fournir des informations sur l’enquête à l’extérieur du groupe, sauf s’il y a consensus sur le fait que la divulgation de ces informations ne porte pas atteinte à l’enquête elle-même (voir ici).

En pratique, il suffit que l’un des États membres du JIT ne soit pas d’accord pour que l’information ne soit pas rendue publique.

Il est probable que si la Hollande s’est sentie obligée le 22 décembre de reconnaitre cet état de fait – malgré ses réticences initiales -, c’est que quelques jours auparavant, le 26 novembre, le site hollandais RtlNieuws.nl avait publié une importante confirmation provenant des autorités australiennes. Dans une note du 15 octobre 2014, en effet, le gouvernement australien, à travers son Département des Affaires étrangères et du commerce, a affirmé que les quatre États membres du JIT avaient signé un accord de non-divulgation, lequel exige un consensus de toutes les parties avant que ne soient divulguées les informations sur l’enquête. RtlNieuws.nl a demandé au gouvernement hollandais des détails sur cette note du 15 octobre. En réponse, le 26 novembre, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce a confirmé l’authenticité du document et de son contenu, confirmant l’existence de cet accord, qui ne peut cependant être rendu public.

Ce serait donc cela, l’enquête internationale « exhaustive et indépendante » sur le vol MH17 diligentée par l’ONU ?

Et à qui exactement profitent ce droit de véto et cette absence totale de transparence ?

Source : Enrico Santi, pour Megachip, traduit par Christophe pour ilFattoQuotidiano.fr

Source: http://www.les-crises.fr/vol-mh17-laustralie-confirme-lexistence-dun-accord-secret-de-confidentialite-sur-les-resultats-de-lenquete/