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« Les Allemands torturent les Grecs pour que les Italiens entendent leurs cris », par Charles Gave

Monday 13 July 2015 at 00:01

Très belle analyse du vrai libéral Charles Gave

Grèce : Enfin des bonnes nouvelles ! par Charles Gave

Lénine avait coutume de dire que pendant certaines semaines, plus d’événements inouïs se passaient que pendant toutes les décennies précédentes et c’est une idée que je crois très juste. C’est peut être ce que nous allons vérifier une fois de plus dans les semaines qui viennent.

Prenons l’Euro.

Depuis sa création, je ne cesse d’expliquer à qui veut bien l’entendre que tout cela finira très mal et que l’Euro n’est pas une monnaie, mais une construction complètement artificielle qui allait détruire l’Europe de la diversité que j’aimais profondément, dans l’espoir insensé de créer de toutes pièces un Etat Européen dont seuls des technocrates non-élus  seraient les bénéficiaires.

Et j’étais loin d‘être seul à me faire du souci.

Par exemple, Milton Friedman, bon connaisseur de la monnaie s’il en fut, avait coutume de dire qu’à sa connaissance c’était la première fois dans l’Histoire que des pays souverains décidaient de tous utiliser la même monnaie et que le système sauterait si un choc asymétrique venait  à toucher les différents pays. Ce qu’il voulait dire était que, dés qu’un choix allait devoir être fait entre la Souveraineté Nationale et la monnaie, la Souveraineté Nationale l’emporterait.

Ce choc, nous l’avons eu au moment de la grande crise financière de 2008-2009, le système a failli craquer et a fini par tenir quand monsieur Draghi a fait comprendre aux marchés que les Traités, il s’asseyait dessus et que la Bundesbank ne pouvait que se coucher, ce qu’elle fit.Et donc le nœud coulant fut resserré autour du cou de la Grèce et desserré par ailleurs, l’idée étant que les malheurs des Grecs devaient montrer aux autres peuples Européens pris dans le même étau ce qui arrivait aux mauvais sujets. Comme me l’avait dit le patron de l’une des grandes sociétés d’assurance Allemandes avec beaucoup de finesse (!), « Nous torturons les Grecs pour que les Italiens entendent leurs cris», ce qui m’avait passablement surpris venant d’un Allemand.

Et donc l’Euro est encore là, à ma grande surprise, continuant à pousser les peuples Européens dans la misère et le désespoir, les seuls gagnants étant des technocrates que personne n’a élu.

Au fil des années, je me suis quand même demandé POURQUOI je détestais l’Euro à ce point ?

Je crois que j’ai compris. Au début, j’étais contre l’Euro pour des raisons  purement techniques puisqu’il était idiot de vouloir maintenir un taux de change fixe entre des pays qui ont des productivités du travail et du capital complètement différentes. Et puis j’ai réalisé que derrière ce projet il y avait une volonté profonde de détruire les Nations Européennes.

Philosophiquement, je suis un partisan des Lumières, c’est-à-dire de la Liberté, ou plus exactement de Libertés bien concrètes et bien réelles. Le projet des Lumières était que chaque homme puisse exercer ses Libertés, dans trois domaines essentiels.

Et je suis en bonne compagnie.

Jean- Paul II dans son encyclique « Centesimus Annus », écrite pour commémorer la grande encyclique de Léon XIII «  Rerum Novarum » qui consacrait la réconciliation entre l’Eglise et le monde nouveau, précisait que la Liberté de chaque homme ne pouvait s’exercer que dans le cadre de la Nation dont il était citoyen (en tant que Polonais, il savait de quoi il parlait).

Un peu plus loin, il indiquait que l’entreprenariat était une vocation et que les pays où les entrepreneurs ne pouvaient exercer leurs Libertés n’étaient pas libres.

Ce qui veut dire en termes clairs que l’Euro était une machine à détruire nos Libertés comme il en a peu existé dans l’Histoire. Je m’explique, en commençant par les entrepreneurs.

Il n’en est rien dans l’Euro.

PERSONNE n’a le monopole de la violence légitime en Europe, et pour une raison très simple : il n’existe pas de Nation Européenne et la démonstration en est faite par la BCE qui finance les Etats légitimes en imprimant de l’argent puisque les impôts ne suffisent pas. Or les impôts sont la manifestation de cette volonté de vivre ensemble… Et  donc le projet Européen apparait en pleine lumière : Il s’agit purement et simplement de détruire les volontés de vivre ensemble, c’est-à-dire les  Nations Européennes auxquels les peuples sont extraordinairement attachés, pour construire un Etat Européen dont personne ne veut sauf mes chers Oints du Seigneur (ODS), tous socialistes c’est-à-dire sans aucun respect pour la volonté du Peuple, qu’ils méprisent. Et nulle part, cette volonté de destruction de la Nation n’a été plus visible qu’en Grèce. L’Etat Grec est  certes tout à fait inefficace, tout le monde le savait, un peu comme l’Etat Italien mais le Peuple Grec est une réalité profonde et ancienne.  Attaquer la Grèce parce qu’elle avait un Etat inefficace a couté fort cher à Mussolini et à Hitler, qui eux aussi, comme mes ODS aujourd’hui,  voulaient rétablir l’Empire Romain…

Ils n’ont pas trouvé en face d’eux l’Etat Grec, mais bien le Peuple Grec, ce qui n’est pas  pareil. La même chose va arriver aux ODS Européens.  L’Euro n’est qu’une expression de plus, après  le communisme, après  le fascisme, après le nazisme de la Présomption Fatale de ce cher Hayek, qui avait tout compris. La seule différence est que les victimes de ce projet contre nature se suicident à la place d’être envoyés dans des camps de concentration. Gros progrès !

Les Grecs vont donc pouvoir voter, ENFIN suis- je tenté de dire.

Quand Papandreou avait proposé la même chose il ya quelques années, il avait été promptement débarqué grâce à ce qu’il faut bien appeler un coup d’Etat organisé a Bruxelles pour être remplacé par un Quisling de service, ex haut fonctionnaire de …la BCE.

Je ne sais pas ce que les Grecs vont voter, mais comme le dit le proverbe Américain, les dindes votent rarement pour Noel.

En tout cas, je sais ce que je voterais si j’étais Grec.

“L’Homme” disait le Christ “ne vit pas que de pain”.

Les Grecs ont donc le choix entre la fin de l’horreur et une horreur sans fin.

J’espère que la révolte des Peuples Européens contre la dictature molle que Tocqueville avait parfaitement vu arriver a enfin commencé, et si c’est le cas,  elle se produit d’abord, ironie de l’Histoire dans le pays qui a été le berceau de la Démocratie…

Quel magnifique symbole.

En réalité, je ne connais pas d’exemple dans l’Histoire de retour vers la Démocratie et vers des prix de marché qui se soient mal terminés.

Je me sens redevenir optimiste. Comme le disait Jean-Paul II, encore lui : “N’ayez pas peur car la Vérité l’emportera toujours sur le Mensonge”.

Conclusion : ce qui se produit en Grèce est une bonne nouvelle, mais ça va secouer.

Source : Charles Gave, pour l’Institut des Libertés, le 29 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/les-allemands-torturent-les-grecs-pour-que-les-italiens-entendent-leurs-cris-par-charles-gave/


Emmanuel Todd

Sunday 12 July 2015 at 03:21

(article retiré à la demande de Copiepresse)

Source: http://www.les-crises.fr/on-assiste-a-la-3e-autodestruction-de-leurope-sous-direction-allemande-par-emmanuel-todd/


Cédric Durand : « Les peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen »

Sunday 12 July 2015 at 01:06

Entretien pour le site de Ballast

Dimanche 5 juillet 2015. Nous retrouvons l’économiste Cédric Durand (auteur du Capital fictif et directeur de l’ouvrage collectif En finir avec l’Europe) dans l’après-midi. Les premiers résultats tombent au cours de notre entretien. La soirée confirmera ces chiffres : les Grecs balaient d’un écrasant revers de la main (61,31 %) les oukases de leurs créanciers. « Le non au référendum est un grand oui à la démocratie », s’empressera d’avancer le ministre Varoufakis avant de « donner » sa démission. Si ce résultat apparaît aux yeux de Cohn-Bendit comme « une catastrophe », si Laurence Parisot lance un « Aïe » historique, si Éric Brunet, l’auteur d’Être riche : un tabou français, peste aussitôt contre « l’immaturité »  profonde des Grecs, Durand lance et tranche : « Les Grecs s’apprêtent à écrire une nouvelle page de l’histoire de l’émancipation humaine. Leurs victoires seront nos victoires. » Décryptage. 

Toutes les photographies en Grèce sont de Stéphane Burlot

Après le « non » au référendum, quelles sont les perspectives pour la Grèce, dans les jours et les semaines à venir ?

Cette victoire extrêmement large est un événement politique majeur : c’est la première fois qu’un gouvernement dénonce la légitimité de l’Europe et en appelle à son peuple. Ce précédent démontre qu’on peut se référer à la légitimité des peuples contre la légitimité des bureaucrates et de l’ordre européen. Les conséquences de ce « non » sont avant tout politiques : un « oui » aurait rendu très difficile pour Tsipras de rester Premier ministre et aurait représenté une cassure de sa majorité. Lorsqu’il a décidé d’annoncer ce référendum, son parti était quasiment coupé en deux : l’aile gauche était vent debout, refusant d’endosser l’accord proposé aux créanciers le 23 juin (il comportait des concessions importantes sur la TVA et les retraites). Dans ces conditions, Tsipras risquait de se retrouver devant l’alternative suivante : démissionner ou s’allier avec Potami, le Pasok et des forces du centre-gauche néolibéral. Le référendum a permis de sortir de cette impasse et de réunifier son camp face à un adversaire commun. C’était très habile. Aujourd’hui, son capital politique est plus fort que jamais ; il a ressoudé son camp et dispose d’une légitimité populaire immense.
Toutefois, les désaccords qui préexistaient ne sont pas résolus. Beaucoup de choses ne dépendent pas de la Grèce et l’on peut se demander jusqu’à quel point les Européens vont accepter de donner satisfaction à Athènes – il ne faut pas se faire d’illusions à ce sujet. S’il y a des concessions en faveur des Grecs, elles seront minimales. L’accord esquissé sera un accord de restructuration de la dette (même le FMI et les États-Unis sont pour) en échange des réformes que Tsipras avait acceptées. La victoire politique de ce dernier serait alors d’obtenir une restructuration partielle de la dette, tandis que les Allemands pourront dire que les Grecs ont pris des engagements très fermes dans le sens de l’austérité… La victoire du « non » aurait un goût amer si elle devait se traduire par la poursuite des politiques d’austérité. Ce sur quoi Tsipras était prêt à s’engager avant le référendum, ce sont 8 milliards d’euros de coupes budgétaires et de taxes supplémentaires — ce qui ne manquerait pas d’aggraver de la dépression et d’accroître le niveau de chômage.

Que retenez-vous du rapport de force qui a opposé la Grèce à ses créanciers au cours des dernières semaines ?

« C’était très habile. Aujourd’hui, le capital politique de Tsipras est plus fort que jamais. Il a ressoudé son camp et dispose d’une légitimité populaire immense. »

Ce que les Grecs sont parvenus à faire est spectaculaire. La Grèce ne représente rien en terme de poids économique, pour l’Union européenne : c’est 2 % du PIB européen. Et c’est le seul pôle de gauche radicale dans une Europe majoritairement à droite. Les différents pays d’Europe sont gouvernés par une grande coalition permanente – comme en en Allemagne ou, implicitement, en France, puisque les cadres de la politique économique du gouvernement entrent dans une matrice définie en commun avec la droite, par le biais de l’échelon européen. En cela, la Grèce est spécifique : ce tout petit pays ne rentre pas dans cette grande coalition, ne souhaite pas y entrer et dispose même d’un gouvernement élu pour ne pas y rentrer. Dès lors, la situation est extrêmement difficile. Ces derniers mois, le gouvernement grec a adopté un positionnement assez ambivalent. D’un côté, une posture de combat, en permanence, avec un discours sur lequel il n’a jamais cédé : l’austérité ne marche pas et la dette grecque est insoutenable, il faut la restructurer. De l’autre, le gouvernement Tsipras a toujours adopté une posture de négociation qui l’a amené à reculer sur des questions essentielles. Si on fait le bilan, les Européens ont reculé sur le niveau d’excédent primaire qu’ils exigeaient – c’est un recul substantiel, mais qui a été effectué très tôt et qui, par ailleurs, tenait à l’insoutenabilité des objectifs fixés. Pour le reste, les Grecs se sont petit à petit alignés sur les exigences des créanciers, jusqu’à la fin du mois de juin, où Tsipras était prêt à signer ce qu’il avait refusé la semaine d’avant, grillant toutes ses lignes rouges — notamment sur la réforme des retraites et les privatisations.

Les reculs du gouvernement grec reflètent la puissance du chantage auquel celui-ci est soumis. La Banque centrale européenne [BCE] a, ces derniers mois, resserré à deux reprises le nœud coulant financier. D’abord, lors de l’accord du 20 février : elle a fermé l’accès aux mécanismes standards de refinancement, ne leur laissant l’accès aux procédures d’urgences plus coûteuses. Le gouvernement grec s’est alors résolu à signer un agenda de négociations plus qu’éloigné de son mandat électoral. Néanmoins, dans la période qui suivit, il a temporisé, n’ayant de cesse de remettre la question de la restructuration de la dette et du niveau d’excédent primaire sur la table… mais finissant par lâcher sur l’essentiel. Jusqu’au coup de tonnerre de la convocation du référendum ! Une décision prise, rappelons-le, par le fait que bien que le niveau d’austérité exigé soit accepté par la partie grecque, le contenu de celle-ci (notamment une taxe exceptionnelle sur les gros bénéfices) ne leur convenait pas. Ensuite, le 30 juin, Tsipras recula une nouvelle fois. Il craignait que la BCE ne rendît encore plus difficile l’accès au refinancement d’urgence. Ces derniers étaient déjà plafonnés – ce qui a conduit à la fermeture des banques –, mais, là, la BCE risquait d’appliquer une décote sur les titres qu’elle acceptait pour donner accès au refinancement d’urgence. Cela signifie que dans les deux jours qui allaient suivre, une banque fermerait — imaginez une banque qui ferme à la veille du référendum…

Quelle est la position du gouvernement Tsipras sur l’euro ? Faut-il souhaiter une sortie de la monnaie unique pour la Grèce ?

« Sans sortie de l’euro, il n’y a pas de marge de manœuvre pour une politique de gauche. C’était vrai avant le référendum ; cela le restera après. »

D’après les enquêtes d’opinion, les Grecs ne sont majoritairement pas favorables à une sortie de l’euro. Cependant, le résultat du referendum montre que cette perspective ne les effraie pas. La position la plus partagée est sans doute celle d’un « oui à l’euro » à condition de sortir de l’austérité. Tsipras fait de la politique et conserve à ce sujet une ambiguïté qui recoupe celle de la gauche de la gauche sur la question européenne. Il défend l’idée que, malgré tout, il faut se battre au sein des structures européennes pour faire changer l’Europe. D’autres personnes, dont je suis, pensent que la perspective internationaliste ne doit bien évidemment pas être abandonnée, que même la perspective européenne peut, toujours, être une perspective, mais que celle-ci ne peut se faire que par une désobéissance aux institutions européennes, et en particulier par une sortie de l’euro. Sans sortie de l’euro, il n’y a pas de marge de manœuvre pour une politique de gauche. C’était vrai avant le référendum ; cela le restera après.

Dans la bataille menée en Grèce, il est intéressant d’observer un clivage très net entre l’élite (qui s’est uniformément mobilisée en faveur du « oui » — en particulier via les organisations patronales et les médias privés) et le reste de la population, majoritairement du côté du « non ». Dans l’Union européenne, le grand capital transnational et financier est du côté de l’euro. Refuser les règles du jeu de cette monnaie unique, c’est se donner les moyens de les changer et, en particulier, d’en finir avec une politique économique dont les marges de manœuvre se limitent à baisser le coût du travail et à réduire la dépense publique. En tant qu’économiste hétérodoxe, je n’ai pas de doute sur le fait que reprendre la main sur leur monnaie permettrait aux Grecs d’obtenir de meilleurs résultats socio-économiques, à moyen terme. C’est une sortie qui devrait être négociée, pour limiter le choc initial — ils pourraient en particulier négocier un régime de change contrôlé avec la BCE, afin d’empêcher un effondrement de la monnaie au cours des premiers mois. N’oublions pas que la partie grecque a une carte maîtresse en main : leur dette qui pourrait être, purement et simplement, annulée.

Une restructuration de la dette permettrait-elle à la Grèce de rester dans l’euro ?

Oui. Pour rester dans l’euro, il faut que la Banque centrale européenne continue à financer le système bancaire grec. Pour qu’elle accepte de le faire, la BCE pose comme condition que les Grecs bénéficient d’un programme d’assistance financière. La question qui se pose aujourd’hui concerne les mesures qui s’imposeront aux Grecs pour qu’ils puissent bénéficier d’un tel programme.

Et quels seraient, plus précisément et à courts termes, les effets d’une sortie de l’euro  sur l’économie grecque ?

Une dévaluation se traduit par un appauvrissement du pouvoir d’achat en biens produits à l’étranger ; il y aurait donc un renchérissement sur les produits importés. Mais l’économie grecque est l’une des économies les plus fermées d’Europe : elle est très largement autocentrée. Décrocher de la monnaie unique serait la possibilité d’avoir une politique de relance keynésienne (qui s’avérerait plutôt efficace). Ensuite, cela restaurerait brutalement la compétitivité de l’économie, permettant de réutiliser des capacités de production aujourd’hui oisives. De nombreuses personnes n’ont pas de travail, des usines et des établissements ne fonctionnent pas, des agriculteurs ne peuvent cultiver leurs champs. Il y a ici un vivier qui peut se remettre en ordre de marche très vite. Dans les cas de la Russie, en 1998, et de l’Argentine, en 2001, la reprise s’est jouée en l’espace de quelques mois : cinq à six mois pour la Russie, un peu plus pour l’Argentine — dans le contexte d’un chaos politique. Dans ces deux cas, les dévaluations ont un effet très puissant, remettant les pays sur une trajectoire de croissance forte pour une dizaine d’années (même si d’autres facteurs ont, bien entendu, joué un rôle).

« Dans deux ou trois ans, une Grèce reconstruite avec un chômage qui a diminué, imaginez l’impact que cela aurait sur les débats européens ! »

Le plus important demeure qu’une sortie de l’euro représente la possibilité de sortir d’un agenda d’austérité, d’un côté, et de réformes structurelles, de l’autre. Le pari que l’on peut faire, c’est qu’une Grèce sortant de l’euro, avec une politique internationaliste et menant une politique alternative, ferait une démonstration politique. Dans deux ou trois ans, une Grèce reconstruite avec un chômage qui a diminué, imaginez l’impact que cela aurait sur les débats européens ! À l’inverse, si la Grèce, après avoir gagné ce référendum, consent finalement à des mesures d’austérité, cela pèsera sur l’ensemble de la gauche radicale européenne.

Mais la Grèce a-t-elle des structures économiques et industrielles sur lesquelles une relance de l’économie pourrait s’appuyer en cas de dévaluation ?

Elle a une base industrielle très faible, mais qui existe et qui pourrait jouer un rôle. Elle a un potentiel d’export et le tourisme bénéficierait massivement d’une dévaluation. Elle a un secteur agricole qui pourrait se reconstruire et jouer un rôle plus important — d’abord en satisfaisant la demande interne et, secondairement, en contribuant aux exports. En ce qui concerne les machines et les équipements, les Grecs n’ont pas investi pendant cinq ou six ans, mais, même si une « vieille » machine s’avère moins performante, elle redevient rentable face aux importations lorsque la monnaie est dévaluée.

Quel pourrait-être le nouveau régime de change de la Grèce si elle sortait de l’euro ?

Ce qui serait souhaitable serait un régime de change fixe ajustable. Un accord avec l’Union européenne pourrait permettre de s’ancrer sur la valeur de l’euro afin d’échapper aux vents de la spéculation sur les marchés des changes, mais aussi de procéder politiquement à des réajustements en cas de nécessité. Les marchés ne détermineraient pas les taux de change et il faudrait déterminer un niveau compatible avec l’équilibre extérieur de la Grèce. Cela constituerait une expérience pour l’ensemble de la gauche radicale. Si l’on veut mener une politique de gauche, il faut une autonomie financière, il faut donc des comptes équilibrés ; c’est une question centrale. La difficulté que rencontre, par exemple, le Venezuela renvoie à une stratégie économique entièrement dépendante des exports de pétrole (une stratégie à présent très vulnérable). La Bolivie, à l’inverse, a réussi à avoir des comptes plus équilibrés, avec une politique un peu plus conservatrice, mais qui lui donne des marges de manœuvre pour tenir.

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Est-il vraiment impossible, comme certains le proposent encore à gauche, d’imaginer une reprise en main de la BCE, avec un objectif de lutte contre le chômage et en contraignant l’Allemagne à sortir de son obsession monétaire autour de l’euro fort et de la lutte contre l’inflation ?

« L’économie allemande bénéficie très largement de l’euro tel qu’il existe et ses classes dominantes feront tout pour ne pas en changer les règles. »

Sur le papier, rien n’interdit les États-Unis socialistes d’Europe. Cela serait formidable. Mais cela n’aura pas lieu – pour deux raisons principales. La première, c’est qu’il y a aujourd’hui des gagnants et des perdants de la zone euro. À commencer par le capital allemand, qui bénéficie de la zone euro sous forme d’un taux de change sous-évalué par rapport à la compétitivité du pays gagnée sur l’écrasement des salaires, dans les décennies 1990 et 2000. Cette sous-évaluation équivaut à une subvention massive à l’industrie du pays. Bref, l’économie de ce pays bénéficie très largement de l’euro tel qu’il existe et ses classes dominantes feront tout pour ne pas en changer les règles. La position du Ministre des Finances allemandSchaüble est cohérente et consiste à dire qu’il est hors de question que l’union monétaire devienne une union de transferts entre différents pays, c’est-à-dire d’une zone où des flux financiers d’une région à une autre permettre de faire tenir l’entité politique (comme il en existe, par exemple, entre Paris et la Corrèze).

La deuxième raison est plus historique, plus longue, et c’est celle qui est explorée dans En finir avec l’Europe. Au fur et à mesure du temps, il y a une cristallisation de certains types de rapports sociaux au niveau des structures étatiques. La zone euro est un proto-État dont la construction s’est faite au moment où le mouvement ouvrier était en pleine déconfiture, dans les années 1980, avec le choc du chômage et le bloc de l’Est qui se fissure. Les forces du mouvement ouvrier sont complètement absentes de ce processus. De la même manière que la Sécurité sociale est un héritage des grandes grèves de l’après-guerre et de la Résistance (dans lesquelles il y avait un Parti communiste extrêmement fort), la zone euro cristallise l’absence d’un mouvement ouvrier. Quatre champs sont des domaines exclusifs de l’UE : la pêche, le commerce, la concurrence et la monnaie. Ces trois dernières questions sont centrales pour l’organisation du Capital, mais le mouvement ouvrier n’intervient pas dessus, ou seulement de manière subordonnée (il aborde les sujets de la protection sociale, de la qualité des produits, de la structure du marché du travail, de l’emploi et des services publics). Par conséquent, l’intégration européenne se fait en positif sur les premières questions, qui déterminent les problèmes légitimes à traiter. Les secondes questions sont uniquement subordonnées aux premières : c’est ce que Hayek appelle, de manière assez lucide, l’« intégration négative ». Ce concept très puissant permet d’expliquer comment l’Europe, aujourd’hui, s’occupe en réalité de politique sociale. Tout le temps. Des politiques de réformes structurelles menées en France et ailleurs, comme la loi Macron, sont bel et bien élaborées au niveau européen — mais elles ne sont pas élaborées en tant que telles, elles le sont au nom d’autre chose : les principes de compétitivité et de concurrence libre et non faussée.

Et quid de la viabilité de la zone euro, à long terme ?

« Les institutions européennes sont une grande victoire pour les classes dominantes et le capital financier transnational, en ce qu’elles contournent les compromis sociaux réalisés dans le cadre des États. »

Les pronostics sont toujours très dangereux, mais il existe bel et bien un mouvement historique long, en matière d’intégration européenne. Et la Grèce est intéressante en cela. Au début des années 1980, lorsqu’elle rentre dans l’UE, elle a valeur de modèle pour tous les États post-autoritaires et post-fascistes (le Portugal, l’Espagne…). L’UE leur propose alors une certaine stabilité politique, celle de la démocratie libérale. Et, actuellement, ce qu’il se passe en Grèce – et qui se déroulera, peut-être, en Espagne – marque le refus des corps sociaux de se soumettre aux lois comme aux principes établis et orchestrés par Bruxelles. Il existe un paradoxe : les classes dominantes ont à ce point réussi dans leur projet qu’elles vont échouer dans sa mise en œuvre. Je m’explique. Les institutions européennes sont une grande victoire pour les classes dominantes et le capital financier transnational, en ce qu’elles contournent les compromis sociaux réalisés dans le cadre des États. Mais cet espace européen ne permet plus d’encaisser les chocs sociaux comme le permettaient encore les États : il existe, dans ces derniers, toute une série de micro-couches et de micro-institutions (à commencer par l’administration) qui amortissent et digèrent les conflits, permettant de maintenir l’édifice politique en garantissant une certaine cohésion. Au niveau européen, en revanche, il n’y a pas d’amortisseurs puisque l’Union est une pure structure au service des classes dominantes : lorsqu’un refus fort se manifeste, il n’existe donc rien pour négocier la cohésion du corps social. C’est ce que l’on voit actuellement en Grèce. Je ne dis pas qu’elle va sortir, demain, de la zone euro, mais cela fait partie des possibilités – en tout cas, ce n’est pas exclu (si le système bancaire tombe et que la BCE refuse de refinancer, cela peut aller très vite). En revanche, c’est très clair, pour moi, qu’une tendance longue à la dislocation est aujourd’hui à l’oeuvre.

Vous parlez de la situation de « quasi protectorat » que l’UE impose à certains pays, dans une logique presque coloniale.

Vous avez tout à fait raison d’insister sur ce point. On a beaucoup dit, ces derniers jours, qu’un conflit entre démocratie et non-démocratie se jouait en Grèce : c’est absolument vrai, mais ce n’est pas que cela. Il y a un autre conflit : celui des créanciers face aux débiteurs – ceux qui sont en droit d’exiger des autres qu’ils travaillent pour eux pendant X temps. Que demande-t-on aux Grecs ? De dégager un excédant primaire de 3,5 % à partir de 2018. En clair, cela induit qu’il doit y avoir 3,5 % du PIB grec destiné à l’étranger. Cela instaure un rapport fondamentalement inégal. C’est un peuple qui travaille pour un autre – et, en disant cela, je n’efface pas les rapports de classes : sous régimes coloniaux, il y a bien sûr une bourgeoisie locale, comme en Grèce. La zone euro permet à l’Allemagne de dégager des excédents considérables (de 7 à 9 % du PIB par an). Chaque année, elle accumule donc des droits de tirages sur la production future du reste du monde sous la forme d’investissements ou de prêts : cette dynamique, lorsqu’elle devient aussi importante, génère des rapports inégaux structurels — et, en réaction, une demande de libération.

Lorsque Frédéric Lordon affirme que l’euro n’est pas un simple instrument d’échange mais un instrument de coercition, doublé d’une clé de l’architecture institutionnelle du néolibéralisme, êtes-vous d’accord ?

« C’est un peuple qui travaille pour un autre – et, en disant cela, je n’efface pas les rapports de classes : sous régime coloniaux, il y a bien sûr une bourgeoisie locale. »

Absolument. L’euro est une monnaie sans budget. Donc sans politique. Seules les règles uniformes du Capital s’y imposent – avec deux variables d’ajustement en fonction des pays : le prix du travail et le niveau de prélèvement des impôts. Dans les années 2000, on a eu une Europe à deux vitesses : un centre, où le prolétariat allemand a subi une grande défaite (ce sont les années Gerhard Schröder, avec une stagnation totale des salaires et l’apparition d’une masse de travailleurs pauvres), et une périphérie au sein de laquelle existait une hausse des salaires modérée mais réelle (et même une consolidation de l’État social dans certains cas : le Portugal, la Grèce ou l’Espagne). Mais la progression et le rattrapage de ces derniers se sont avérés être un trompe-l’œil : ils ont été rendus possibles par des flux financiers massifs (essentiellement des prêts au secteur privé, un peu au public) qui ont soutenu une demande en partie satisfaite par les importations, tandis que le secteur industriel se délitait. La crise a mis à nu ce mécanisme : une fois que les marchés financiers en ont pris acte, les dettes et les exigences de remboursement ont surgi. Regardez les courbes de PIB par habitant : c’est spectaculaire. Rattrapage dans les années 2000 et tout se casse la figure juste après la crise. Aujourd’hui, la Grèce et l’Italie sont deux pays dans lesquels le PIB par habitant est inférieur à celui de 1999. Pour ces pays, c’est une crise extrêmement forte : pire que celle de 1929. En Europe, la dette publique ne devrait pas être un problèmeAu Japon et aux États-Unis, elle est, en proportion du PIB, bien plus importante que dans la zone euro prise dans son ensemble.

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Au sein de la gauche critique, un argument parfois avancé contre la sortie de l’euro est celui du « coût du capital » : en France, les revenus distribués par les entreprises à leurs actionnaires seraient tellement importants qu’ils pénaliseraient les PME et entraveraient l’innovation. Cette prise de pouvoir du capital empêcherait l’augmentation des salaires et une dévaluation ne changerait rien de ce point de vue. La question de l’euro ne serait pas l’enjeu central. Qu’en pensez-vous ?

« La dette publique ne devrait pas être un problème. Au Japon et aux États-Unis, elle est, en proportion du PIB, bien plus importante que dans la zone euro. »

Tout dépend de l’horizon dans lequel on se place. Si on regarde ce qu’il se passe depuis les années 1980, on assiste en effet à la montée en puissance de la création de valeur pour l’actionnaire, l’affirmation du pouvoir de la finance – mais il faut saisir que tout ceci n’est pas déconnecté de la construction européenne. L’unification des marchés boursiers européens, dans les années 1990, va permettre au capital financier de renforcer son emprise en accroissant sa liquidité. La constitution de la zone euro également. Il faudrait examiner cette question pays par pays et secteur par secteur, mais concentrons-nous donc sur la France : on observe depuis le lancement de l’euro un recul de l’industrie et des déficits croissants liés à cette perte de compétitivité, du fait d’un taux de change réel trop élevé pour notre économie. À l’inverse, dans des secteurs comme les télécommunications ou la grande distribution, la logique de la financiarisation joue à plein. Ce ne sont donc pas des arguments contradictoires.

Le Royaume-Uni a dévalué de manière significative depuis 2008 : ça a permis de relancer son économie, mais la condition des salariés reste la même…

Ils ont un gouvernement de droite, qui mène une politique de droite – donc défavorable aux salariés et finançant massivement une bulle immobilière. Il n’empêche que la dévaluation a permis au pays d’obtenir une certaine croissance. Sortir de l’euro, ça ne signifie pas entreprendre une politique de gauche : il peut y avoir des sorties de droite et de gauche. Mais ce qui est certain, c’est qu’il ne peut y avoir de politique de gauche au sein de l’euro.

On parle toujours de « saut dans l’inconnu » pour évoquer cette sortie. Comment aborder la phase de transition ?

À court terme, il y aurait des coûts de transition (de la même façon qu’il y en eut pour rentrer dans l’euro). Tout dépend du contexte dans lequel cela s’effectuerait : en cas de grande conflictualité et de profonds désaccords entre les différents partenaires, cela peut en effet créer un choc violent ; si c’est préparé et négocié, la transition, en terme de coûts, serait tout à fait envisageable. L’essentiel est de mettre en place des mécanismes de garantie pour les ménages les plus modestes (en terme d’accès aux services publics et de biens de consommation courante), de manière à s’assurer qu’ils ne payent pas le coût de la dévaluation. Il faut aussi prioriser les importations pour s’assurer que les besoins essentiels du pays passent avant les produits de luxe. Une sortie de l’euro, outre les gains de compétitivité qui en découleraient, permettrait, et c’est le plus important, de regagner en autonomie politique : avoir sa propre monnaie, financer ses déficits publics en interne, etc. Il faut vraiment se rendre compte de la fonction, à l’heure qu’il est, de la BCE. Depuis la crise, elle a mobilisé plus de 2 000 milliards en faveur de la finance (via, en 2012, des prêts aux banques à taux particulièrement réduits, et, cette année, le programme de rachats de titres). 2 000 milliards ! C’est-à-dire 70 millions d’emplois au SMIC durant un an. On pourrait très bien embaucher ces personnes pour, par exemple, entamer la transition énergétique. Il faut également mettre les choses en perspective politique — admettons que Podemos l’emporte cette année et que Tsipras se maintienne : cela va changer les rapports de force. Constituer un projet à deux et sortir de l’euro à deux, ce n’est pas pareil que d’avancer en solitaire. En France, malheureusement, la question ne se pose pas…

Sauf si vous prenez le pouvoir avec Lordon.

« Je ne vois vraiment pas comment on peut livrer une bataille de classe en investissant de nos désirs de gauche l’espace de l’ennemi. »

(rires) Il y a peu de signes qui l’indiquent ! Imaginons que le champ politique voie émerger une orientation de gauche d’affrontement à l’euro-libéralisme ; vu la position de la France dans l’Europe, le pays serait en mesure de faire des propositions à l’ensemble des autres Européens afin de refonder les bases d’une intégration européenne et, probablement, serait amené à mettre en œuvre ce projet avec seulement certains d’entre eux… Que l’on se comprenne bien : je n’exalte en rien un espace national particulier qui, en tant que tel, serait le mieux à même de développer la démocratie.

Justement, Philippe Corcuff estime que votre pensée désarme la gauche critique en ce qu’elle prête le flanc aux dérives nationalistes.

Corcuff, et la mouvance politique de gauche dans laquelle il s’inscrit, ne se rend pas compte que l’Europe n’est pas seulement un espace, mais un appareil politique. Et cet appareil cristallise les rapports de force sociaux. On ne peut pas le regarder in abstracto. Il y a un internationalisme du Capital et l’Union européenne en est l’une de ses émanations : on ne peut pas dire que « c’est bien » car cela relève de l’internationalisme mais « c’est mal » car ça tient du Capital. On ne peut pas dissocier les deux. Il ne faut pas accepter ce cadre, au prétexte qu’il dépasserait les nations. Si Bernier et Sapir font de l’État un fétiche, ce n’est pas ma position. Je n’ai pas cette volonté ni cette préoccupation. J’estime seulement que c’est une position de repli nécessaire dans la mesure où un pays en a, contextuellement, les moyens : par nos temps, c’est la Grèce. Au lendemain d’un référendum gagné et porté par un gouvernement de gauche, il faudra m’expliquer en quoi ce serait « nationaliste » de défendre la sortie de l’euro. Je dirais même que ce serait authentiquement internationaliste puisque cela proposerait à l’ensemble des peuples européens une nouvelle voie.

burl05

Vous aviez débattu avec Étienne Balibar, dans Regards, et il soutenait que la réflexion que vous développiez dans votre ouvrage En finir avec l’Europe était « au mieux équivoque, au pire criminelle ». Vous avez pourtant en commun le même héritage marxiste. Comment expliquer un tel décalage ?

«  Au lendemain d’un référendum gagné et porté par la gauche, il faudra m’expliquer en quoi ce serait “nationaliste” de défendre la sortie de l’euro. »

J’ai beaucoup d’estime pour lui (c’est un grand théoricien), mais il voit l’Europe, là encore, comme une idée. Negri est sur la même position, à la percevoir comme la possibilité de dépasser les États-Nations. Je partage avec eux cet affect mais je ne vois vraiment pas comment on peut livrer une bataille de classe en investissant de nos désirs de gauche l’espace de l’ennemi.

Vous écrivez, en rebondissant sur Lénine, que le processus d’intégration européenne est très probablement « contre-révolutionnaire » dans sa « nature » même. Concluons là-dessus ?

Lénine expliquait en effet que l’Europe ne se fera pas, à moins de se faire contre les peuples. C’est ce que l’on observe aujourd’hui. Depuis les années 1980, les autorités européennes ne sont plus mues par la peur des États socialistes mais, de façon très nette, par le contournement des compromis sociaux : voilà comment Mario Draghi, président de la BCE, a pu déclarer que « le modèle social européen est mort ».

Source : Ballast, le 6 juillet 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/cedric-durand-les-peuples-contre-les-bureaucrates-et-lordre-europeen/


Le ministre allemand des finances veut que la Grèce soit exclue de l’euro pour effrayer les Français, par Yanis Varoufakis

Saturday 11 July 2015 at 19:06

Le sommet EU de demain va sceller le sort de la Grèce dans l’Eurozone. Alors que ces lignes sont écrites, Euclid Tsakalotos, mon cher ami, camarade m’ayant succédé au poste de ministre grec des finances se rend à la réunion de l’Eurogroupe qui va déterminer si un ultime accord entre la Grèce et nos créanciers peut être trouve et si cet accord contient assez d’éléments concernant un allègement de la dette permettant à l’économie grecque de devenir viable dans la zone euro. Euclide a emporté avec lui un plan de restructuration de la dette, à la fois logique, modéré et bien-pensé, qui est sans aucun doute dans l’intérêt de la Grèce et de ses créanciers. (Je publierai les détails de ce plan ici une fois que les choses se seront calmées).

Si ces modestes propositions de restructuration de la dette sont rejetées, comme en a menacé le ministre allemand des finances, le sommet EU de dimanche devra décider entre exclure maintenant la Grèce de l’Eurozone ou la garder pour un certain temps, dans un profond état d’appauvrissement, jusqu’à ce qu’elle s’en aille. La question qui se pose est : pourquoi le ministre des finances allemand, Dr Wolfgang Schäuble, s’oppose à une restructuration de dette modérée et bénéfique aux deux parties ? L’éditorial suivant, publié récemment dans le Guardian, répond a ma question. [Je tiens à dire que le titre du Guardian n’était pas mon choix. Le mien était, comme celui au-dessus: Derrière le refus allemand d’accorder un allégement de la dette grecque]

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Le drame des finances grecques a dominé les gros titres des médias Durant 5 ans pour une raison: le refus obstiné de nos créanciers d’accepter un allègement de la dette. Pourquoi, alors que cela est un non-sens, que cela va contre l’avis du FMI et les pratiques habituelles des banquiers faisant face à des emprunteurs ruinés, refusent-ils une restructuration de la dette ? La réponse n’est pas d’origine économique, mais est profondément inscrite dans le labyrinthe politique européen.

En 2010, l’État grec est devenu insolvable. Deux options, toutes deux impliquant un maintien dans l’Eurozone, se présentèrent d’elles-mêmes : l’option logique, que tout bon banquier recommanderait, était de restructurer la dette et redynamiser l’économie ; et l’option néfaste était de prêter encore plus d’argent a une entité en faillite en prétendant qu’elle demeurait solvable.

Les officiels européens ont choisi la seconde option en plaçant le sauvetage des banques françaises et allemandes exposées à la dette grecque au-dessus de la viabilité socio-économique de la Grèce. Une restructuration de la dette aurait engendré des pertes pour les banquiers sur leurs parts de la dette grecque. Résolus a ne pas avouer aux parlements que les citoyens devraient encore renflouer les banques du fait de leurs prêts inconsidérés, les officiels européens ont présenté l’insolvabilité de l’État grec comme un manque de liquidité, et ont justifié le ‘sauvetage’ de la Grèce comme nécessaire solidarité envers le peuple grec.

Pour transformer le transfert cynique de pertes privées irrécupérables sur les épaules des citoyens en un cas “d’amour vache”, une politique d’austérité a été impose à la Grèce, dont le revenu national (qui sert à payer les anciennes et nouvelles dettes) a en conséquence diminué de plus d’un quart. Il faut l’expertise mathématique d’un enfant de 8 ans pour comprendre que cette approche ne peut que mal finir.

Une fois que cette opération sordide fut achevée, l’Europe a automatiquement trouvé une autre raison pour refuser de discuter d’une restructuration de la dette : celle-ci affecterait maintenant directement les citoyens européens ! Et ainsi des doses d’austérité de plus en plus importantes ont été administrées tandis que la dette enflait, forçant les créanciers à accorder plus de prêts en échange de plus d’austérité.

Notre gouvernement a été élu sur la proposition d’en finir avec cette boucle infernale ; de demander une restructuration de la dette et d’arrêter cette austérité néfaste. Les négociations ont atteint une impasse pour une raison simple : les créanciers continuent de refuser toute restructuration de dette tout en insistant pour que notre énorme dette soit remboursée ‘’paramétriquement ‘’ par les Grecs les plus faibles, leurs enfants et leurs petits-enfants.

Durant ma première semaine en tant que ministre des finances, j’ai reçu la visite de Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe (les ministres des finances de l’Eurozone), qui m’a mis face à un choix impossible : « accepte cette forme de sauvetage et oublie toute demande de restructuration de de dette ou tes accords de prêt vont être annulés » (la conséquence non-dite étant que les banques grecques devraient mettre la clé sous la porte).

S’en sont suivis cinq mois de négociations effectuées dans des conditions d’asphyxie monétaire et d’un bank-run supervisés et administrés par la BCE. La suite logique était évidente : à moins que nous capitulions, nous nous retrouverions très vite à faire face à des contrôles de capitaux, une fermeture des banques et au final un Grexit.

La menace d’un Grexit a provoqué quelques frayeurs ces dernières années. En 2010, il a effrayé les financiers car leurs banques étaient remplies de dette grecque. Même en 2012, quand le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, a déclaré que le coût d’un Grexit était un investissement rentable en tant que moyen de discipliner la France et d’autres États, l’idée d’un Grexit a continué à effrayer quasiment tout le monde.

Avant même que Syriza arrive au pouvoir en janvier dernier, et que cette élection ait confirmé notre opinion que ces ‘renflouements’ n’avaient pas pour but de sauver la Grèce (mais plutôt de renforcer l’Europe du nord), une vaste majorité au sein de l’Eurogroupe, sous la tutelle de Schäuble, avait adopté le Grexit soit comme leur solution préférée soit comme arme de choix contre notre gouvernement.

Les Grecs, à raison, ont frissonné à l’idée d’être coupés de l’union monétaire. Sortir d’une monnaie commune n’est en rien comparable à la sortie d’une parité de change fixe, comme le firent les Britanniques en 1992, quand […] la livre sterling a quitté le Système Monétaire Européen (SME). Hélas, la Grèce n’a pas de monnaie dont le taux de change avec l’euro peut être découple. Elle a l’euro, une monnaie étrangère entièrement administrée par un créancier insensible au besoin de restructurer notre dette nationale intenable.

Pour sortir, nous aurions à créer une nouvelle monnaie à partir de rien. En Irak occupé, l’introduction d’une nouvelle monnaie papier a pris près d’un an, a peu près 20 Boeings 747, la mobilisation des forces armées américaines, 3 entreprises d’impression et des centaines de camions. En absence d’un tel support, un Grexit équivaudrait a annoncer une large dévaluation plus de 18 mois en avance : une recette parfaite pour liquider la Grèce et transférer les avoirs a l’étranger par tout moyen.

Note OB : cet exemple : soit il se drogue là, soit c’est de l’intox liée à la négo en cours…

Avec [la menace d’]un Grexit amplifiant le bank-run induit par la BCE, nos tentatives pour remettre un plan de restructuration de la dette sur la table des négociations tombent dans l’oreille d’un sourd. Encore et toujours, on nous a dit que cette question serait abordée après que le programme d’austérité ai été terminé avec succès, ce qui constitue une prodigieuse farce dans la mesure ou le ‘’programme’’ ne pourrait jamais réussir sans restructuration de dette.

Ce week-end nous amène au firmament des discussions où Euclid Tsakalotos, mon successeur, s’efforce, encore, de remettre les choses en ordre : de convaincre un Eurogroupe hostile que la restructuration de la dette est un prérequis au succès des reformes grecques et non une récompense accordée après-coup. Pourquoi cela est-il si difficile à comprendre ? J’y vois 3 raisons.

« L’Europe ne savait pas comment répondre a une crise financière. Celle-ci doit-elle conduire à une expulsion (Grexit) ou une fédération ? »

Une raison est que l’inertie institutionnelle est dure à combattre. Une seconde raison est qu’une dette insoutenable donne aux créanciers un immense pouvoir sur les emprunteurs, et le pouvoir, comme nous le savons, corrompt même les meilleurs. Mais c’est la 3eme raison qui me semble la plus pertinente et, de fait, plus intéressante.

L’euro est un hybride entre un régime de taux de changes fixes, comme le SME des années 80, ou l’étalon or des années 30, et une monnaie étatique. Le premier compte sur la peur d’une expulsion pour garder sa cohésion, tandis que la monnaie étatique implique des mécanismes de redistribution des surplus entre États membres (par exemple, un budget fédéral, des bons du Trésor communs). Mais l’Eurozone n’est en réalité aucun de ces 2 concepts : c’est plus qu’un régime taux de changes fixes et moins qu’une monnaie étatique.

Et voilà bien le hic. Après la crise de 2008/9, l’Europe ne savait pas comment répondre. Devait-elle se préparer à au moins une expulsion (c’est le Grexit) pour renforcer la discipline? Ou se diriger vers une fédéralisation ? Jusqu’à présent cela n’a été ni l’un ni l’autre, et son angoisse existentialiste augmente sans fin. Schäuble est convaincu qu’étant donné la situation, il a besoin d’un Grexit pour faire retomber la pression, d’une façon ou d’une autre. Soudainement, une dette publique grecque perpétuellement insoutenable, sans laquelle le risque d’un Grexit s’évaporerait, a trouvé une nouvelle utilité auprès de Schäuble.

Que veux-je dire par là ? Basée sur des mois de négociations, ma conviction est que le ministre allemand des finances veut que la Grèce soit exclue de l’euro pour effrayer les Français et amener ces derniers à accepter son modèle d’une Eurozone disciplinée.

Source : le blog de Yanis Varoufakis, 11/07/2015. Traduction en urgence par Romain (merci encore) pour le blog www.les-crises.fr, librement reproductible en indiquant la source.

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Source: http://www.les-crises.fr/derriere-le-refus-allemand-daccorder-un-allegement-de-la-dette-grecque-par-yanis-varoufakis/


[J-1] Quid de la stratégie de Tsipras ?

Saturday 11 July 2015 at 11:20

La trahison de Tsipras?

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Les propositions soumises par Alexis Tsipras et son gouvernement dans la nuit de jeudi à vendredi ont provoqué la stupeur. Elle reprennent largement, mais non totalement, les propositions formulées par l’Eurogroupe le 26 juin. Elles sont largement perçues dans l’opinion internationale comme une « capitulation » du gouvernement Tsipras. La réaction très positive des marchés financiers ce vendredi matin est, à cet égard, un signe important.

On sait par ailleurs qu’elles ont été en partie rédigées avec l’aide de hauts fonctionnaires français, même si cela est démenti par Bercy. Ces propositions résultent d’un intense travail de pressions tant sur la Grèce que sur l’Allemagne exercées par les Etats-Unis. La France a, ici, délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l’Allemagne. Le gouvernement français n’a pas eu nécessairement tort de choisir d’affronter l’Allemagne sur ce dossier. Mais, il s’est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En fait, ce que veut par dessus tout M. François Hollande c’est « sauver l’Euro ». Il risque de voir très rapidement tout le prix qu’il a payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, ces propositions, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien.

Les termes de la proposition grecque

Ces propositions sont donc proches de celles de l’Eurogroupe. On peut cependant noter certaines différences avec le texte du 26 juin, et en particulier la volonté de protéger les secteurs les plus fragiles de la société grecque : maintien du taux de TVA à 7% pour les produits de base, exemptions pour les îles les plus pauvres, maintien jusqu’en 2019 du système d’aide aux retraites les plus faibles. De ce point de vue, le gouvernement grec n’a effectivement pas cédé. De même, le gouvernement a inclus dans ce plan des mesures de luttes contre la fraude fiscale et la corruption, qui faisaient parties du programme initial de Syriza. Mais, il faut bien reconnaître qu’il s’est, pour le reste, largement aligné sur les demandes de l’Eurogroupe. Faut-il alors parler de capitulation comme le font certains ? La réponse est pourtant moins simple que ce qu’il paraît.

En effet, le gouvernement grec insiste sur trois points : un reprofilage de la dette (à partir de 2022) aboutissant à la reporter dans le temps de manière à la rendre viable, l’accès à 53 milliards sur trois ans, et le déblocage d’un plan d’investissement, dit « plan Juncker ». Mais, ce « plan » inclut largement des sommes prévues – mais non versées – par l’Union européenne au titre des fonds structurels. Surtout, le gouvernement grec insiste sur unengagement contraignant à l’ouverture de négociations sur la dette dès le mois d’octobre. Or, on rappelle que c’était justement l’une des choses qui avaient été refusées par l’Eurogroupe, conduisant à la rupture des négociations et à la décision d’Alexis Tsipras de convoquer un référendum.

De fait, les propositions transmises par le gouvernement grec, si elles font incontestablement un pas vers les créanciers, maintiennent une partie des exigences formulées précédemment. C’est pourquoi il est encore trop tôt de parler de capitulation. Une interprétation possible de ces propositions est qu’elles ont pour fonction de mettre l’Allemagne, et avec elle les autres pays partisans d’une expulsion de la Grèce de la zone Euro, au pied du mur. On sait que les Etats-Unis, inquiets des conséquences d’un « Grexit » sur l’avenir de la zone Euro, ont mis tout leur poids dans la balance pour amener Mme Merkel à des concessions importantes. Que l’Allemagne fasse preuve d’intransigeance et c’est elle qui portera la responsabilité du « Grexit ». Qu’elle se décide à céder, et elle ne pourra plus refuser au Portugal, à l’Espagne, voire à l’Italie, ce qu’elle a concédé à la Grèce. On peut alors considérer que ce plan est une nouvelle démonstration du sens tactique inné d’Alexis Tsipras. Mais, ces propositions présentent aussi un grave problème au gouvernement grec.

Le dilemme du gouvernement grec

Le problème auquel le gouvernement Tsipras est confronté aujourd’hui est double : politique et économique. Politiquement, vouloir faire comme si le référendum n’avait pas eu lieu, comme si le « non » n’avait pas été largement, et même massivement, majoritaire, ne sera pas possible sans dommages politiques importants. Le Ministre des finances démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a d’ailleurs critiqué des aspects de ces propositions. Plus profondément, ces propositions ne peuvent pas ne pas troubler non seulement les militants de Syriza, et en particulier la gauche de ce parti, mais aussi, et au-delà, l’ensemble des électeurs qui s’étaient mobilisés pour soutenir le gouvernement et Alexis Tsipras. Ce dernier prend donc le risque de provoquer une immense déception. Celle-ci le laisserait en réalité sans défense faces aux différentes manœuvres tant parlementaires qu’extra-parlementaires dont on peut imaginer que ses adversaires politiques ne se priveront pas. Or, la volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu’avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n’a pas changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker recevait les dirigeants de la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et de To Potami (centre-gauche). Privé d’un large soutien dans la société, ayant lourdement déçu l’aile gauche de son parti, aile gauche qui représente plus de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais très vulnérable. Au minimum, il aura cassé la logique de mobilisation populaire qui s’était manifestée lors du référendum du 5 juillet et pendant la campagne. Il faut ici rappeler que les résultats de ce référendum ont montré une véritable mobilisation allant bien au-delà de l’électorat de Syriza et de l’ANEL, les deux partis du gouvernement. Cela aura, bien entendu des conséquences. Si les députés de la gauche de Syriza vont très probablement voter ces propositions au Parlement, il est néanmoins clair que les extrêmes, le KKE (les communistes néostaliniens) et le parti d’Extrême-Droite « Aube Dorée », vont pouvoir tirer profit de la déception que va susciter ces propositions.

Au-delà, la question de la viabilité de l’économie grecque reste posée, car ces propositions n’apportent aucune solution au problème de fond qui est posé. Certes, cette question de la viabilité sera posée dans des termes moins immédiatement dramatiques qu’aujourd’hui si un accord est conclu. La crise de liquidité pourra être jugulée sans recourir aux mesures radicales que l’on a évoquées dans ces carnet. Les banques, à nouveau alimentée par la BCE, pourront reprendre leurs opérations. Mais, rien ne sera réglé. Olivier Blanchard, l’ancien économiste en chef du Fond Monétaire International signale que les pronostics très négatifs réalisés par son organisation sont probablement en-deçà de la réalité. Après cinq années d’austérité qui l’ont saigné à blanc, l’économie grecque a désespérément besoin de souffler. Cela aurait pu passer par des investissements, une baisse de la pression fiscale, bref par moins d’austérité. Ce n’est pas le chemin vers lequel on se dirige. Cela aurait pu aussi passer par une sortie, et non une expulsion, hors de la zone Euro qui, en permettant à l’économie grecque de déprécier sa monnaie de -20% à -25%, lui aurait redonné sa compétitivité. On ne fera, à l’évidence, ni l’un ni l’autre. Dès lors, il faut s’interroger sur les conditions d’application des propositions soumises par la Grèce à ses créanciers. Même en admettant qu’un accord soit trouvé, la détérioration de la situation économique induite par l’action de la Banque Centrale Européenne, que M. Varoufakis a qualifiée de « terroriste », venant après cinq années d’austérité risque de rendre caduques ces propositions d’ici à quelques mois. Une chute des recettes de la TVA est aujourd’hui prévisible. Une nouvelle négociation sera donc nécessaire. En ce sens, ces propositions ne règlent rien.

L’Euro c’est l’austérité

Il faut, alors, s’interroger sur le sens profond de ces propositions. Si elles sont tactiquement défendables, elles correspondent très probablement à une erreur de stratégie. Alexis Tsipras a déclaré ce vendredi matin, devant le groupe parlementaire de Syriza, qu’il n’avait pas reçu mandat du peuple grec pour sortir de l’Euro. Le fait est aujourd’hui débattable, surtout après l’écrasante victoire du « non » au référendum. Il est clair que telle n’était pas l’intention initiale du gouvernement, et ne correspondait pas au programme sur lequel il avait été élu. Mais, on peut penser que mis devant l’alternative, refuser l’austérité ou refuser l’Euro, la population grecque est en train d’évoluer rapidement. En fait, on observe une radicalisation dans les positions de la population, ou du moins c’est ce qui était observée jusqu’à ces propositions. Les jours qui viennent indiqueront si cette radicalisation se poursuit ou si elle a été cassée par ce qu’a fait le gouvernement.

En réalité, ce que l’on perçoit de manière de plus en plus claire, et c’est d’ailleurs l’analyse qui est défendue par l’aile gauche de Syriza et un économiste comme Costas Lapavitsas[1], c’est que le cadre de l’Euro impose les politiques d’austérité. Si Tsipras a cru sincèrement qu’il pourrait changer cela, il doit reconnaître aujourd’hui qu’il a échoué. L’austérité restera la politique de la zone Euro. Il n’y aura pas « d’autre Euro », et cette leçon s’applique aussi à ceux qui, en France, défendent cette fadaise. Dès lors il faut poser clairement le problème d’une sortie de l’Euro, qu’il s’agisse d’ailleurs de la Grèce ou de nombreux autres pays.

[1] Voir son interview, http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=14181

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 10 juillet 2015.

Grèce : le gouvernement Tsipras a-t-il vraiment refusé de réformer ?

Le gouvernement grec a-t-il entamé des réformes ?

Le gouvernement grec a-t-il entamé des réformes ?

Les créanciers justifient leur dureté avec Athènes par un manque de volonté de réformer du gouvernement grec. Mais qu’en est-il exactement ?

Un des arguments les plus fréquemment utilisés ces derniers jours pour justifier la violence avec laquelle la Grèce et son gouvernement sont traités par les créanciers européens est l’incapacité du gouvernement d’Alexis Tsipras à réformer. La charge a été menée notamment par l’ancien premier ministre belge, le libéral flamand Guy Verhofstadt en réponse au discours du premier ministre hellénique le jeudi 8 juillet.

L’arrestation de Leonidas Bobolas

Qu’en est-il exactement ? Evidemment, il y a loin de l’ambitieux programme de Syriza à ce qui a été fait sur le terrain. Affirmer que rien n’a été fait n’est cependant pas vrai. Du reste, qui connaît la Grèce ne peut que s’en convaincre quand il songe à cette image d’un des hommes les plus puissants du pays, Leonidas Bobolas, arrêté par la police pour évasion fiscale et contraint de payer 1,8 million d’euros pour sa libération. Personne n’aurait pu imaginer une telle scène, car Leonidas Bobolas, président d’une puissante société de construction et président des sociétés d’autoroutes de l’Attique était connu pour ses « amitiés politiques. » C’était l’exemple de l’oligarque lié au pouvoir politique.

Des mesures contre l’évasion fiscale

Une action symbolique ? Bien sûr et sans doute trop isolée. Mais pas uniquement. Depuis cette arrestation, plusieurs riches contribuables demandent à régulariser leur situation fiscale pour éviter le sort de Leonidas Bobolas. La fameuse « liste Lagarde » des évadés fiscaux, après avoir été mise au rebus par les précédents gouvernements, commence à porter ses fruits. Du reste, le gouvernement grec a entamé des pourparlers avec les autorités suisses – gelés au cours des dernières années – pour conclure un accord fiscal. Il a aussi demandé et obtenu la coopération du gouvernement régional de Rhénanie du Nord-Westphalie en Allemagne, qui a été en pointe dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Le long travail préalable

Mais le gouvernement grec doit repartir de zéro dans des conditions difficiles. D’abord, une partie de la hiérarchie intermédiaire administrative, issue du clientélisme, est hostile au gouvernement et « protège » certains contrevenants. Ensuite, il convient de reprendre entièrement les méthodes de travail. Il a donc fallu réorganiser les agences de contrôles. Un nouveau ministère de la Transparence a été mis en place pour unifier ces contrôles. Ce travail, s’il est peu visible des médias ou de Guy Verhofstadt, est cependant essentiel et constitue une « réforme structurelle » majeure.

Quelques fruits

Ces nouvelles méthodes commencent cependant à porter leurs fruits. Deux listes ont déjà été publiées et sont traitées directement par les services fiscaux : une liste d’évadés fiscaux le 2 mars et une liste de fraudeurs fiscaux (ayant déclaré en tout 70,5 millions d’euros de moins que la réalité) le 6 mai. Par ailleurs, un travail de vérification des données fiscales de près de 1,3 millions de contribuables déclarant plus de 300.000 euros au cours des dix dernières années est en cours. Le gouvernement a aussi mis en place un « registre des fortunes », sorte d’embryon de cadastre notamment, qui est en cours d’élaboration. Il s’agit d’avoir une vision la plus précise possible de la richesse de chaque contribuable, y compris foncière.

Inspections du travail renouvelées

De même, une nouvelle équipe d’inspecteurs du travail, la Sepe, a été mise sur pied et a effectué de nombreux contrôles, notamment dans les banques et les médias. Ainsi le groupe de télévision privé Skai a été inspecté pour la première fois depuis 17 ans. De plus, le 11 mai, le gouvernement a établi que le travail dissimulé dans la société de livraison Raptopoulos a conduit à un manque à gagner de 193 millions d’euros pour l’Etat. Dire que le nouveau gouvernement n’a rien fait est donc faux.

La tentative de numérisation des paiements

La détermination du gouvernement a également lancé un projet important concernant la numérisation des paiements le 13 mai dernier. Le président de l’industrie touristique, Andreas Andreadis s’en félicite et rappelle que c’est une mesure qu’il a de nombreuses fois demandé en vain aux précédents gouvernements et aux représentants de la troïka. Mais comment mettre en place cette numérisation dans un contexte de fuite des dépôts, puis de course aux guichets bancaires ? Alors que le gouvernement grec voulait réduire l’utilisation du liquide, la stratégie du « nœud coulant » de la BCE et des créanciers l’a renforcée.

La responsabilité des créanciers

Du reste, les créanciers ont beau jeu aujourd’hui de prétendre s’offusquer de l’immobilisme de Syriza en matière de réformes. Ils oublient encore leur part de responsabilité. En effet, le 20 février, dans l’accord signé avec les créanciers, Athènes s’est engagée à ne pas « prendre de mesures budgétaires unilatérales. » « Toute mesure d’envergure sur les questions importantes devait, dans le programme qui s’est achevé le 30 juin, être approuvée par les institutions pour ne pas être considéré comme une action unilatérale », explique un responsable gouvernemental hellénique. Cette décision était donc un piège tendu au gouvernement grec, le paralysant pour mieux pouvoir l’accuser d’inertie.

Des « listes de réformes » rejetées

Du reste, dans les nombreuses « listes de réformes » envoyés par Athènes aux créanciers, il y avait toujours un aspect « structurel » concernant le fisc et la numérisation des paiements. Toutes ces listes ont été rejetées comme « insuffisantes » ou « peu sérieuses. » Dans la proposition du 22 juin dernier, le gouvernement avait proposé une taxe relevée sur les entreprises réalisant plus de 500.000 euros de bénéfices en Grèce. Un moyen de mieux répartir l’impôt et donc de le faire mieux accepter. Mais le FMI et l’UE ont biffé cette proposition en rouge. Au point que l’on se demande si ces réformes structurelles étaient alors jugées utiles par les créanciers.

Contexte très défavorable

Reste un point : l’équipe gouvernementale débutante a dû mener des réformes dans un contexte d’asphyxie économique, de retraits massifs des dépôts, de développement du numéraire dans l’économie en raison des actions de la BCE et de recherche désespérée de ressources pour payer les créanciers. Quel gouvernement, fût-il le plus aiguisé aurait pu changer l’administration et les habitudes d’un pays en six mois dans de telles conditions ? Encore une fois, on exige des Grecs ce que l’on ne saurait exiger de nous-mêmes. Le « blame game » joue à plein. Mais la réalité, c’est que les Européens ont peut-être ici perdu une chance historique de réellement réformer la Grèce.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 9 juillet 2015.

Grèce : où Alexis Tsipras veut-il en venir ?

Que cherche le premier ministre grec avec sa proposition ?

Que cherche le premier ministre grec avec sa proposition ?

En acceptant les anciennes propositions des créanciers, le premier ministre grec tente un coup de dés. Quelles sont ses ambitions ?

Avec la reprise des propositions des créanciers qui s’apparente à une victoire par procuration du « oui » au référendum du 5 juillet, Alexis Tsipras donne l’impression de renoncer à beaucoup de ses objectifs. Mais dans quel but le premier ministre hellénique a-t-il accepté ces concessions majeures ?

1. Faire repartir l’économie

L’objectif premier de l’hôte de Maximou, le Matignon grec, c’est évidemment de mettre fin à l’asphyxie économique et financière dont son pays est victime. La Grèce est presque coupée désormais du reste du monde en termes économiques. Les importations deviennent presque impossibles et les exportations très difficiles. Le règne de l’argent liquide menace par ailleurs les recettes publiques. La situation ne pouvait continuer. Un accord rapide vise à rétablir le fonctionnement normal du système bancaire. Si la Commission accepte de débloquer les 35 milliards d’euros bloqués pour « raison politique » en en faisant un usage massif et rapide, Alexis Tsipras peut compter sur une bonne dynamique d’ici à la fin de l’année qui s’accompagnera d’un effet « rattrapage » après 6 mois de gel de l’activité économique. Ceci pourrait faire passer en partie les premières mesures d’austérité.

2. Gagner du temps pour les “vraies” réformes

En laissant mourir le programme du 30 juin et en demandant un troisième plan, la Grèce sort de la politique des « plans à court terme. » Jusqu’au 30 juin, on négociait des financements de quelques mois au mieux, cette fois, le gouvernement grec demande un plan de trois ans. Ceci couvre une grande partie du mandat d’Alexis Tsipras et permet de réaliser les « vraies » réformes, celles pour lesquelles les Grecs ont porté ce gouvernement au pouvoir : amélioration des recettes fiscales, meilleure justice sociale et lutte contre l’oligarchie. S’il réussit à mettre en place ces réformes, les éléments « punitifs » du plan ne seront alors plus forcément nécessaires. Alexis Tsipras sera alors celui qui aura mis fin à la logique purement comptable de la troïka. On comprend alors mieux l’importance du référendum : il a permis de mettre fin à ce « nœud coulant » financier lié au maintien depuis février d’une logique de court terme.

3. Mettre les créanciers face à leurs responsabilités

En reprenant les mesures des créanciers, Alexis Tsipras les contraint en réalité à accepter sa proposition de restructuration de la dette à long terme. Si les créanciers refusent, leur intransigeance éclatera au grand jour et il sera difficile de tenir le discours habituel fustigeant des Grecs pas sérieux. Dès lors, la sortie de la zone euro, si elle a lieu, sera une expulsion politique et sa gestion sera justifiée face aux Grecs. S’ils acceptent, alors Alexis Tsipras pourra se vanter d’avoir réussi là où le gouvernement Samaras a échoué : obtenir une remise de dette à partir de 2022 qui va permettre de redonner de la visibilité aux investisseurs et aux agents économiques grecs. Il pourra aussi renforcer ainsi sa stature d’homme d’Etat travaillant pour la Grèce à long terme en étant celui qui a fait céder en Europe, pour la première fois Angela Merkel et Wolfgang Schäuble.

4. Renforcer sa position politique

Le référendum du 5 juillet a été une défaite politique cuisante pour l’opposition centriste et conservatrice qui sont apparues comme des forces aveuglément suivistes des ordres des créanciers. Aujourd’hui, Alexis Tsipras les prend au piège à nouveau en reprenant le texte pour lequel ils avaient fait campagne. Il détruit donc toute opposition sur sa droite. Sur sa gauche, c’est évidemment plus délicat, mais là encore, la victoire au référendum a tellement renforcé la position d’Alexis Tsipras et la tension économique est si forte, que la gauche de Syriza ne peut prendre le risque de renverser le gouvernement. Sans doute y aura-t-il de la mauvaise humeur, mais il est actuellement très difficile de prétendre faire campagne contre Alexis Tsipras. Comme Angela Merkel en Allemagne, le premier ministre grec renforce donc sa position politique avec cette proposition. Il serait donc parvenu, grâce au référendum, à échapper au « coup d’Etat financier » souhaité par Bruxelles et Berlin. Face à l’opinion, il peut prétendre incarner à la fois la rupture avec l’austérité unilatérale du passé, la résistance face à la dureté des créanciers et la responsabilité. C’est finalement le cœur de son mandat du 25 janvier : infléchir la politique sans sortir de l’euro.

5. Garantir les acquis

Si la proposition grecque est une capitulation au regard du « non » du référendum et même des propositions grecques du 1er juillet. Mais ce n’est pas une capitulation au regard de la situation de départ du gouvernement. Il est faux d’affirmer que le gouvernement grec aurait obtenu la même chose sans lutter. D’abord, parce que, comme on l’a dit, on parle désormais d’un plan de trois ans. Ensuite, parce que le gouvernement a obtenu de vrais succès : acceptation d’une réforme du marché du travail conforme aux standards de l’OCDE et de l’OIT, pas de baisses de salaires ni de réductions d’effectifs dans la fonction publique, des retraites en partie préservées, un effort socialement mieux réparti en dépit de la hausse de la TVA (mais l’électricité reste à 13 %). Alexis Tsipras a estimé qu’une sortie de la zone euro aurait mis en danger ces acquis.

Au final, le plan d’Alexis Tsipras semble plus élaboré qu’il n’y paraît au premier regard. La fonction du référendum ne semble pas non plus si futile qu’on pourrait le croire. Mais le premier ministre grec prend néanmoins un risque majeur, car les Grecs vont à nouveau devoir accepter des sacrifices importants et douloureux. Le risque, c’est aussi que le gouvernement Tsipras ne soit dépendant des « revues » de la troïka et ne devienne qu’un fondée de pouvoir des créanciers comme ses prédécesseurs. Au-delà de l’accord, son application sera donc un élément à surveiller de près…

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 10 juillet 2015.

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11/07 : Le Parlement grec valide à la proposition d’accord soumise aux créanciers par Alexis Tsipras

Le Parlement grec a donné dans la nuit son feu vert à la proposition d’accord soumise aux créanciers du pays par le gouvernement d’Alexis Tsipras. Le vote a cependant été marqué par les défections de plusieurs députés de Syriza, selon le décompte de l’assemblée.

Le Premier ministre, qui avait fait de ce vote un choix de “haute responsabilité nationale”, a recueilli 251 votes positifs sur un total de 300 députés pour aller négocier samedi avec les créanciers du pays (UE, BCE, FMI) sur la base de la proposition qu’il a mise sur la table jeudi soir. Mais il a enregistré les défections de dix députés de son parti de gauche radicale Syriza qui se sont abstenus ou, pour deux d’entre eux, ont voté contre ce plan d’accord.

Parmi les huit abstentionnistes figurent trois personnalités de sa majorité : le ministre de l’Energie Panagiotis Lafazanis et le ministre délégué aux caisses d’assurance sociale Dimitris Stratoulis, de l’aile eurosceptique de Syriza, ainsi que la présidente du Parlement Zoe Konstantopoulou, troisième personnage de l’Etat.

Plusieurs députés Syriza étaient par ailleurs absents pour le vote, dont l’ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis, si bien que le texte a été adopté avec les voix de l’opposition, socialistes et conservateurs notamment, puisque la majorité gouvernementale compte 149 députés Syriza ainsi que 13 députés du petit parti de droite souverainiste Anel, ces derniers ayant voté pour la proposition d’accord.

Les commentateurs politiques estimaient samedi que ces défections au sein de la majorité pourraient entraîner des changements politiques, peut-être sous la forme d’un remaniement ministériel.

Alexis Tsipras, tout en défendant le paquet de mesures proposé par le gouvernement, avait admis, face aux parlementaires, qu’elles étaient “difficiles” et loin des promesses électorales de la gauche radicale.

(avec AFP)

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Source: http://www.les-crises.fr/j-1-quid-de-la-strategie-de-tsipras/


L’Europe se déchire à propos du cas grec – et personne ne semble en mesure de l’en empêcher, par Ambrose Evans-Pritchard

Saturday 11 July 2015 at 11:15

Voici l’avis d’Ambrose Evans-Pritchard. Il n’engage que lui, mais il est assez bien informé en général. A prendre néanmoins avec recul…

Le premier ministre Alexis Tsipras ne s’attendait pas à remporter le référendum de dimanche dernier. Il est maintenant pris au piège et précipité vers le “Grexit”.

5 juillet – Des manifestants célèbrent la victoire du non | Photo: IBL / Rex Shutterstock

Par Ambrose Evans-Pritchard, Athènes 20:35 BST 07 juillet 2015

Comme une tragédie d’Euripide, le long conflit entre la Grèce et les puissances européennes qui détiennent sa dette s’achemine vers une fin catastrophique que personne n’avait vue venir, à laquelle nul ne semble pouvoir échapper, et qui menace de détruire au passage l’ordre européen dans son ensemble.

Le premier ministre Grec Alexis Tsipras ne s’attendait absolument pas à remporter le référendum de dimanche sur les conditions de sauvetage de l’UME, et encore moins à se retrouver à la tête d’une révolte nationale contre le contrôle exercé par les pays étrangers.

Il a organisé ce scrutin inattendu dans l’intention – et le souhait – de le perdre. Son but était d’en sortir la tête haute, en se résignant à une défaite honorable, et de rendre les clefs de la villa Maximos en laissant à d’autres le soin d’appliquer l’ultimatum du 25 juin, et d’en supporter l’opprobre.

Cet ultimatum fut un choc pour le gouvernement grec. Ils pensaient être sur le point de trouver un accord, aussi mauvais fût-il. Tsipras avait déjà décidé de céder au plan d’austérité, Syriza ayant échoué à créer une union des états débiteurs du sud de l’UME et ayant mal apprécié la tendance politique générale au sein de l’Euro-zone.

En lieu et place, ils se sont retrouvés confrontés à des créanciers qui ont levé la barre plus haut, exigeant que la TVA sur l’hôtellerie de tourisme passe de 7 à 23%.

Les créanciers ont réclamé une nouvelle baisse des retraites équivalant à 1% du PIB pour l’année suivante, ainsi qu’une sortie progressive de l’Allocation de Sécurité Sociale (EKAS) pour les retraités les plus pauvres, alors même que les montants des retraites avaient déjà été réduits de 44%.

Ils ont aussi réclamé une augmentation de la pression fiscale de 2% du PIB, alors que l’économie subit toujours les effets de six années de crise et d’hystérèse dévastatrice [NdT : hystéresis/hystérèse : « Retard de l'effet sur la cause dans le comportement des corps soumis à une action physique. Persistance d'un phénomène quand cesse la cause qui l'a produit. »]. Ils n’ont pas proposé de restructuration de la dette. Les Européens sont intervenus en coulisse pour supprimer un rapport du FMI qui validait la position grecque selon laquelle la dette était “insoutenable”. Le FMI a conclu que non seulement le pays avait besoin d’un abattement de 30 % du montant de la dette pour préserver la viabilité de ses créances, mais également d’un nouveau prêt de 52 milliards d’euros pour surmonter la crise.

Ils ont rejeté le plan grec de coopération avec l’OCDE pour réformer le marché, et avec l’Organisation Internationale du Travail sur les lois régissant les conventions collectives. Ils ont joué leur partition sans souplesse aucune, refusant d’admettre que leurs exigences dignes d’un roman de Dickens avaient été dénoncées par des économistes partout sur la planète.

“Ils ne voulaient tout simplement pas que nous signions. Ils avaient déjà décidé de nous mettre à la porte”, a dit le ministre des finances démissionnaire Yanis Varoufakis.

Syriza a donc opté pour le référendum. Mais, à leur grand désarroi, ils l’ont remporté, provoquant ainsi la grande révolte grecque de 2015, ce moment où le peuple a finalement poussé son cri primitif, s’est couvert de peintures de guerre et a formé la phalange des hoplites.

M. Tsipras est désormais pris au piège de son propre succès. “Le référendum a sa dynamique propre. Les gens se révolteront s’il revient de Bruxelles avec un compromis bâclé”, a déclaré Costas Lapavitsas, un des députés de Syriza.

“Tsipras ne veut pas du Grexit, mais je pense qu’il se rend compte que c’est la voie qui maintenant s’ouvre devant lui”, a-t-il ajouté.

Alexis Tsipras arrive à Bruxelles pour un sommet d’urgence après son référendum.Ce qui aurait dû être une fête joyeuse dimanche soir s’est transformé en veillée funèbre. Alexis Tsipras, déprimé, a analysé toutes les erreurs faites par Syriza depuis son arrivée au pouvoir en janvier, discutant ainsi jusqu’au petit matin.Le premier ministre aurait alors été mis face au choix suivant : ou bien s’emparer de l’opportunité politique d’un vote remporté triomphalement avec 61% des scrutins pour s’attaquer directement à l’Euro-groupe, ou bien céder aux exigences des créanciers – en abandonnant l’imprévisible M. Varoufakis au passage, comme gage de bonne volonté.

Tout le monde savait ce qu’une confrontation signifierait. Le cabinet du ministre en avait examiné les conséquences en détails une semaine auparavant lors d’une rencontre tendue à la suite du refus de la BCE d’augmenter les liquidités (ELA) du système bancaire grec, forçant ainsi Syriza à imposer un contrôle des capitaux.

C’était un plan en trois phases. Ils “réquisitionneraient” la Banque de Grèce tout en licenciant son gouverneur selon des lois d’urgence nationale. Les réserves estimées à 17 milliards d’euros cachées dans différentes succursales de la banque centrale seraient saisies.

Ils émettraient en parallèle de la liquidité et des titres de dette (“IOU”) de type californien libellées en euros pour garder un système bancaire fonctionnel, soutenus par un appel à la Cour Européenne de Justice afin de déséquilibrer leurs adversaires, tout en faisant respecter les droits de la Grèce en tant que membre de la zone Euro. Si les créditeurs les forçaient à un Grexit, ce seraient ceux-ci – et pas la Grèce – qui agiraient de manière illégale avec toutes les implications du droit des contrats à Londres, New York et même Francfort.

Ils imposeraient un abattement de 27 milliards d’euros sur les obligations grecques détenues par la BCE, que certains qualifient “d’odieuses” puisque leur achat initial visait à sauver les banques françaises et allemandes, empêchant ainsi une restructuration de la dette qui sinon aurait eu lieu.

“Ils essayaient de nous étrangler jusqu’à ce que l’on se soumette, et voici comment nous aurions répondu”, a dit un ministre du cabinet. M. Tsipras a rejeté le plan. Il était trop dangereux. Mais une semaine plus tard, c’est peut-être précisément ce qu’il devra faire, à moins qu’il n’accepte un retour forcé à la drachme.

Syriza est en proie à un profond désarroi depuis 36 heures. Mardi, la délégation grecque est arrivée à un sommet de la dernière chance à Bruxelles sans le moindre plan de négociation, alors même que l’Allemagne et ses alliés l’avaient averti dès le début qu’il s’agissait de son ultime chance d’éviter d’être bouté hors de la zone Euro.

Le nouveau ministre des finances, Euclide Tsakalotos, a vaguement proposé de fournir d’ici mercredi un projet, qui sera sans doute une version bricolée des projets déjà refusés par les créanciers.

Les événements se précipitent désormais et échappent à tout contrôle. Les banques restent fermées. La BCE a maintenu sa politique de gel des liquidités et, par son inaction, est en train d’asphyxier le système bancaire.

Des usines ferment partout dans le pays alors que les stocks de matières premières s’épuisent et que les conteneurs pleins de biens de première nécessité s’accumulent dans les ports grecs. Les sociétés ne sont plus en mesure de payer leurs fournisseurs, puisque les transferts extérieurs sont bloqués. Des titres provisoires privés commencent à apparaître tandis que les entreprises en sont réduites à une espèce de troc, hors du circuit bancaire.

Pourtant, si la Grèce est en pleine tourmente, l’Europe n’est pas en reste. La direction de la zone euro au grand complet a averti avant même le référendum que le “non” conduirait à l’expulsion de l’euro, sans cependant imaginer que ce scénario se produirait vraiment.

Jean-Claude Juncker, qui est à la tête de la Commission Européenne, a su plaisanter de sa volte-face. Il a déclaré : “Nous devons mettre nos petits égos, dans mon cas un très gros égo, de côté, et gérer la situation à laquelle nous sommes confrontés.”

Le premier ministre français, Manuel Valls, a déclaré qu’empêcher le Grexit et l’explosion de l’union monétaire était un impératif stratégique absolu. “Nous ne pouvons pas laisser la Grèce quitter la zone euro. Personne ne peut dire aujourd’hui quelles en seraient les conséquences politiques, comment réagirait le peuple grec”, a-t-il dit.

Les dirigeants français travaillent de concert avec la Maison-Blanche. Washington fait jouer son immense pouvoir diplomatique et demande ouvertement à l’UE de “mettre la Grèce sur le chemin de la soutenabilité de sa dette” et de résoudre ce problème récurrent une fois pour toutes.

La pression franco-américaine est renforcée par l’italien Matteo Renzi, pour qui l’Euro-zone doit remettre l’ouvrage sur le métier, et repenser toute sa doctrine d’austérité après la révolte démocratique en Grèce. Lui aussi soutient maintenant qu’une réduction de la dette est nécessaire.

Le premier ministre grec Alexis Tsipras et l’Italien Matteo Renzi prennent part à une rencontre d’urgence de chefs européens de la zone euro.Toutefois, 15 des 18 gouvernements appelés à juger le cas de la Grèce soit soutiennent la position inébranlable de l’Allemagne, soit penchent vers un Grexit sous une forme ou une autre. Les Allemands sont déjà en train de penser à l’après-Grexit et discutent de projets d’aide humanitaire et de la manière de soutenir la balance des paiements de la drachme.Mark Rutte, le premier ministre hollandais, s’est fait l’interprète de nombreux pays en insistant sur le fait que la zone euro devait faire respecter la discipline, quelles qu’en soient les conséquences financières. “Je suis à la table des négociations aujourd’hui afin de veiller à ce que l’intégrité, la cohésion et les principes sous-jacents de la monnaie unique soient protégés. Il appartient au gouvernement grec d’apporter des propositions de grande portée. S’ils n’en font rien, dit-il, je pense que ça sera rapidement terminé.”

Les deux parties sont enfermées dans un dialogue de sourds, s’attachant à leur version de l’histoire, et aucune ne veut se remettre en cause. Le résultat pourrait coûter cher. RBS estime les pertes financières directes d’un défaut de paiement de la Grèce pour la zone euro à 227 milliards d’euros, à comparer aux 140 milliards d’euros s’ils avalaient la couleuvre d’une restructuration de la dette style FMI.

En images : le coût humain de la crise de la dette grecque.

Mais cela n’est qu’un détail en comparaison des dégâts pour le projet politique européen et pour l’OTAN si, malgré les objections vigoureuses de la France, de l’Italie et des États-Unis, la Grèce était jetée aux loups.

Il est difficile d’imaginer ce qui resterait de la direction commune franco-allemande. De dégoût, Washington pourrait alors tourner le dos à l’OTAN, laissant l’Allemagne et les pays Baltes monter leur propre défense contre Vladimir Poutine.

M. Lapavitsas disait que l’enjeu réel est la survie même de l’Europe en tant que force civilisatrice dans le monde. “L’Europe n’a pas montré beaucoup de sagesse durant le siècle passé. Elle a commencé deux guerres mondiales et a dû être sauvée par les Américains”, disait-il.

“Maintenant, avec la création de l’union monétaire, elle a agi avec tant de stupidité et créé un tel désastre qu’elle met l’union même en doute, et cette fois-ci, il n’y aura pas de sauveur. C’est le dernier coup de dés pour l’Europe”, disait-il.

Source : The Telegraph, le 07/07/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-se-dechire-a-propos-du-cas-grec-et-personne-ne-semble-en-mesure-de-len-empecher-par-ambrose-evans-pritchard/


Revue de presse du 11/06/2015

Saturday 11 July 2015 at 10:59

Cette semaine, la France a du mal avec ses ventes d’armes, une géopolitique agressive, du n’importe quoi côté environnement, l’étrange Madame Merkel et Total en double-jeu ? Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-11062015/


Les propositions de la Grèce pour mettre un terme à la crise : mon intervention à l’Euro-groupe, par Yanis Varoufakis

Saturday 11 July 2015 at 04:06

Pour l’Histoire… La vision de Varoufakis

Le seul antidote à la propagande et aux ” fuites” malveillantes est la transparence. Après tant de désinformation sur ma présentation de la position du gouvernement grec à l’Euro-groupe, la seule réponse est de publier les mots précis prononcés. Lisez-les et voyez par vous-mêmes si les propositions du gouvernement grec peuvent constituer une base pour un accord.

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(18 juin)
Chers collègues,

Il y a cinq mois, lors de ma toute première intervention à l’Euro-groupe, je vous ai dit que le nouveau gouvernement grec devait faire face à un double enjeu :

Nous devions créer une monnaie précieuse sans dépouiller notre patrimoine.

Cette monnaie précieuse que nous devions créer était un sentiment de confiance, ici, parmi nos partenaires européens et au sein des institutions. Battre cette précieuse monnaie nécessitait un ensemble de réformes significatives, ainsi qu’un plan de stabilité financière crédible.

Le patrimoine important que nous ne pouvions pas nous permettre de dépouiller était la confiance du peuple grec qui aurait à se ranger derrière n’importe quel programme de réformes accepté qui mettrait un terme à la crise grecque. Afin de ne pas dépouiller ce patrimoine, le pré requis était – et demeure – unique : l’espoir tangible que l’accord que nous rapporterions à Athènes :

Cinq mois se sont écoulés depuis, et le bout de la route est proche, mais cet accord finement équilibré ne s’est pas matérialisé. Certes, au Groupe de Bruxelles nous en avons été proche. A quel point ? Sur le plan fiscal, nos positions sont vraiment proches, particulièrement pour 2015. Pour 2016, il reste un écart s’élevant à 0,5% du PIB. Nous avons proposé des mesures paramétriques à hauteur de 2% du PIB au lieu des 2,5% sur lesquels insistent les institutions. Nous proposons de combler cet écart de 0,5% par des mesures administratives. Cela serait, et je vous prends à témoin, une erreur majeure de permettre à un écart si minuscule de briser radicalement l’unité de la zone euro. Un grand nombre de sujets ont aussi atteint un point de convergence.

Néanmoins, je ne nierai pas que nos propositions ne vous ont pas inspiré la confiance dont vous avez besoin. Et, dans le même temps, les propositions des institutions que M. Juncker a communiquées à M. Tsipras, premier ministre, ne peuvent pas susciter l’espoir dont nos citoyens ont besoin. Ainsi, nous sommes proches de l’impasse.

Dans cet ultime tour des négociations, et avant que des événements incontrôlables ne nous submergent, nous avons un devoir moral, sans parler des devoirs politique et économique, de sortir de cette impasse. Le temps n’est pas aux récriminations et aux accusations. Les citoyens européens nous tiendront collectivement pour responsables si nous ne trouvons pas une solution viable.

Même si certains, influencés par des rumeurs selon lesquelles un Grexit ne serait pas si dramatique ou que cela pourrait même être bénéfique au reste de la zone euro, se sont résignés à un tel évènement, c’est un évènement qui libérerait des forces destructrices que plus personne ne pourrait contrôler. Les citoyens de toute l’Europe ne s’en prendraient pas aux institutions, mais aux ministres des finances, à leurs premiers ministres et aux présidents. Après tout, ils nous ont élus afin de promouvoir une prospérité européenne partagée et d’éviter les écueils qui peuvent nuire à l’Europe.

Notre mandat politique est de trouver un compromis honorable qui fonctionne. Est-ce si difficile ? Nous ne le pensons pas. Il y a quelques jours, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a publié un article intitulé « Grèce : un arrangement réaliste nécessitera des décisions difficiles pour toutes les parties. » Il a raison, les mots clés sont : « pour toutes les parties ». Le Pr Blanchard a ajouté qu’« il y a une question simple au cœur des négociations. Dans quelle mesure la Grèce doit-elle s’adapter et dans quelle mesure ses créancier institutionnels doivent-ils s’adapter ? »

Il ne fait aucun doute que la Grèce doit procéder à des ajustements. Cependant, la question n’est pas de savoir combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce, mais plutôt quelle est la nature de ces ajustements. Si par “ajustements” nous pensons à une consolidation budgétaire, à une coupe dans les salaires et les retraites, et à une élévation du niveau de taxation, il est clair que nous en avons faits bien plus que n’importe quel autre pays en temps de paix.

Personne ne peut affirmer que la Grèce ne s’est pas adaptée au nouvel environnement économique de l’après 2008. Mais ce que nous pouvons dire, c’est que ces ajustements colossaux, qu’ils fussent nécessaires ou pas, ont créé plus de problèmes qu’ils n’en ont résolus :

Donc, à la première partie de la question du Pr Blanchard « combien d’ajustements sont nécessaires en Grèce ? » doit être répondu : La Grèce a besoin de nombreux ajustements. Mais pas du même genre que ceux que nous avons effectués par le passé. Nous avons besoin de plus de réformes, pas de faire plus d’économies. Par exemple,

Dans nos propositions aux institutions nous avons offert :

En plus de ces réformes, les autorités grecques ont sollicité la participation de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) au projet d’Athènes pour mettre en place et contrôler une seconde série de réformes. J’ai rencontré hier le secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Guirria et son équipe, pour présenter ce programme de réformes conjoint, complété par un plan de route détaillé :

Oui, chers collègues, les Grecs doivent encore s’adapter. Nous avons désespérément besoin de réformes profondes. Mais je vous exhorte à prendre sérieusement en considération la différence entre :

Nous avons bien plus besoin de vraies réformes et bien moins de réformes paramétriques.

Il a beaucoup été dit et écrit au sujet de notre « retour en arrière » sur la réforme du marché du travail et notre détermination à réintroduire une protection pour les salariés à travers la négociation de conventions collectives. Est-ce notre orientation à gauche qui met en péril l’efficacité ? Non, chers collègues, ce n’est pas le cas. Prenez par exemple la situation critique de jeunes travailleurs qui, dans plusieurs chaînes de magasins, sont licenciés à la veille de leur 24e anniversaire pour que leurs employeurs puissent les remplacer par des travailleurs plus jeunes, afin de ne pas payer le salaire minimum normal qui est plus bas pour les salariés de moins de 24 ans. Ou prenez le cas des salariés qui sont engagés à temps partiel pour 300 euros par mois, qui travaillent à plein temps et sont menacés de licenciement s’ils se plaignent. Sans négociations collectives, ces abus abondent et ont des effets néfastes pour la compétitivité (les employeurs corrects sont en concurrence déloyale avec des employeurs sans scrupules), mais ont également des effets néfastes pour les caisses de retraite et les recettes de l’état. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement que l’introduction de conventions collectives équilibrées, en collaboration avec l’OMT et l’OCDE, puisse constituer une « contre-réforme », un exemple de « retour en arrière » ?

Pour revenir brièvement sur le sujet des retraites, on a beaucoup parlé du fait que les retraites coûtent plus cher que par le passé ; jusqu’à 16% du PIB. Mais considérez ceci : les retraites ont été réduites de 40% et le nombre de retraités est stable. Donc les dépenses de retraite ont diminué, elles n’ont pas augmenté. Ce taux de 16% du PIB n’est pas lié à une augmentation des dépenses, mais au contraire à la chute dramatique du PIB qui entraîne avec lui une réduction tout aussi dramatique des contributions, liée à la baisse de l’emploi et à l’augmentation du travail non déclaré.

Notre prétendu recul sur la « réforme des retraites » est que nous avons suspendu toute réduction supplémentaire des retraites qui ont déjà perdu 40% de leur valeur, quand les prix des biens et des services dont les retraités ont besoin, par exemple les produits pharmaceutiques, n’ont presque pas bougé. Prenez aussi en compte ce fait relativement méconnu : à peu près un million de familles survivent aujourd’hui grâce à la maigre retraite d’un grand-père ou d’une grand-mère, puisque les autres membres de la famille sont au chômage dans un pays où seulement 9% des chômeurs reçoivent des allocations de chômage. Réduire cette retraite, unique source de revenus, revient à jeter la famille entière à la rue.

C’est pourquoi nous répétons aux institutions que, oui, nous devons réformer les retraites mais, non, vous ne pouvez pas réduire de 1% la proportion des retraites dans le PIB sans causer une nouvelle misère et un nouveau cycle de récession, si ce 1,8 milliard multiplié par un grand multiplicateur fiscal (jusqu’à 1,5) est retiré du flux circulaire des revenus. Si de grosses retraites subsistaient, dont la réduction entrainerait une différence fiscale, nous le ferions. Mais la répartition des retraites est si compacte que pour faire des économies de cet ampleur, il faudrait rogner les retraites des plus pauvres. C’est pour cette raison, je suppose, que les institutions nous demandent d’éliminer les suppléments de solidarité des retraites versés aux plus pauvres parmi les pauvres. Et c’est pour cette raison que nous proposons à la place des réformes adaptées : une réduction drastique, presque une suppression, des retraites anticipées, la consolidation des caisses de retraite et des interventions sur le marché du travail qui réduiront le travail non déclaré.

Les réformes structurelles favorisent le potentiel de croissance. Mais de simples coupes budgétaires dans une économie comme celle de la Grèce favorisent la récession. La Grèce doit s’adapter en introduisant d’authentiques réformes. Mais dans le même temps, pour revenir à la réponse du Pr Blanchard, les institutions doivent revoir leur définition de réformes favorisant la croissance – pour reconnaître que les coupes paramétriques et l’augmentation des taxes ne sont pas des réformes, et que, au moins dans le cas de la Grèce, elles minent la croissance.

Certains collègues nous ont fait remarquer par le passé, et pourraient le faire à nouveau, que nos retraites sont trop élevées comparées à celles de leurs propres retraités, et qu’il est inacceptable que le gouvernement grec espère que leurs retraités paient nos retraites. Laissez-moi être clair sur ce point : nous ne vous demanderons jamais de financer notre état, nos salaires, nos retraites, nos dépenses publiques. La Grèce vit selon ses moyens. Durant les cinq derniers mois, nous avons même réussi, sans avoir accès aux marchés et sans déblocage de fonds, à payer nos créanciers. Nous avons l’intention de continuer à le faire.

J’entends les inquiétudes, la crainte que notre gouvernement renoue avec un déficit primaire, et pour cette raison les institutions nous pressent d’accepter une importante augmentation de TVA et d’importantes coupes dans les retraites. Alors que nous pensons que l’annonce d’un accord viable stimulera suffisamment l’activité économique pour produire un excédent primaire sain. Je comprends parfaitement bien que nos créanciers et partenaires aient des raisons d’être sceptiques et de vouloir des garde-fous ; une police d’assurance contre une éventuelle frénésie dépensière de notre gouvernement. C’est ce que veut dire le Pr Blanchard lorsqu’il appelle le gouvernement grec à proposer « des mesures vraiment crédibles ». C’est une idée. Une « mesure vraiment crédible ».

Plutôt que de se disputer sur des mesures pour un demi-point de pourcentage (ou sur le fait que ces mesures fiscales devraient ou non être de type paramétrique), pourquoi ne pas mettre en place une réforme permanente plus intelligente et plus complète ? Un frein automatique au déficit inscrit dans la loi et surveillé par le conseil fiscal indépendant que les institutions et nous-mêmes avons d’ores et déjà accepté. Toutes les semaines, le conseil fiscal surveillerait l’exécution du budget de l’état, et s’il s’avérait que l’objectif d’un excédent primaire minimum ne peut pas être atteint, il donnerait des avertissements et, à un certain stade, déclencherait automatiquement des réductions générales de dépenses de façon à prévenir le glissement sous un seuil convenu au préalable. De cette manière, un système de sécurité garantit la solvabilité de la Grèce, et le gouvernement grec conserve l’espace politique dont il a besoin pour rester souverain et être capable de gouverner démocratiquement. Considérez ceci comme une proposition ferme que notre gouvernement mettra en place immédiatement après qu’un accord sera obtenu.

Étant donné que notre gouvernement n’aura plus jamais besoin d’emprunter à vos contribuables ou aux contribuables que représente le FMI, un débat entre états membres pour savoir qui a les retraités les plus pauvres, engendrant par là un nivellement par le bas, n’a pas de sens. Le débat doit se recentrer sur le remboursement de la dette. Quel sera le volume de notre excédent primaire ? Quelqu’un croit-il sérieusement que le taux de croissance est indépendant de l’objectif d’excédent primaire fixé ? Le FMI sait parfaitement que les deux chiffres sont intrinsèquement liés, et c’est pour cette raison que la dette publique grecque est une priorité.

Notre importante dette doit être considérée comme un gros passif d’impôt non consolidé. Alors qu’il est vrai que les tranches de notre dette auprès des FESF et GLF est ancienne, et ont des taux d’intérêt pas trop élevés, le passif d’impôt non consolidé de l’état grec, notre dette, inclut une “tumeur” irrégulière qui entrave l’investissement et la reprise aujourd’hui. Je fais référence ici aux 27 milliards d’obligation du SMP (Security Market Program) qui sont toujours détenus par la BCE. Ceci est un passif non capitalisé à court terme que les investisseurs potentiels en Grèce regardent avant de tourner les talons, car ils peuvent voir le déficit de financement que cette partie de la dette crée instantanément, et parce qu’ils reconnaissent que ces 27 milliards dans les livres de comptes de la BCE empêchent la Grèce de profiter de l’assouplissement quantitatif de la BCE au moment même où ce programme se déroule et atteint sa capacité maximale à venir à l’aide des pays secoués par la déflation. Il est cruellement ironique que le pays le plus affligé par la déflation est celui qui est exclu du remède anti-déflation de la BCE. Et il est exclu en raison de ces 27 milliards forfaitaires.

Notre proposition sur ce front est simple, efficace et mutuellement bénéfique. Nous ne vous proposons pas de nouvelles sommes d’argent, pas un seul nouvel euro, pour notre état. Imaginez l’accord suivant, composé de trois parties, qui sera annoncé dans les prochains jours :

Quelqu’un doute-t-il vraiment que cette annonce en trois parties changerait radicalement l’ambiance, donnerait aux Grecs l’envie de travailler dur dans l’espoir d’un avenir meilleur, inviterait les investisseurs dans un pays dont les prix des actifs ont baissé de façon spectaculaire, et donnerait confiance aux Européens en montrant que l’Europe peut, même à la 11e heure, prendre la bonne décision ?

Chers collègues, à ce stade, il est dangereusement facile de penser que rien ne peut être fait. Ne tombons pas en proie à cet état d’esprit. Nous pouvons forger un bon accord. Notre gouvernement est debout, avec des idées et déterminé à cultiver les deux formes de la confiance nécessaires pour mettre fin à la tragédie grecque : votre confiance en nous et la confiance de notre peuple dans la capacité de l’Europe à produire des politiques qui travaillent pour, et non contre, eux.

Source : Yanis Varoufakis, le 18/06/2015

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Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-propositions-de-la-grece-pour-mettre-un-terme-a-la-crise-mon-intervention-a-leuro-groupe-par-yanis-varoufakis/


Le fardeau du Général

Saturday 11 July 2015 at 01:42

25/06/2015, par Philippe Grasset

Nous/je vous l’avoue, nous avons hésité. Fallait-il employer le “nous” majestatif, celui du dedefensa.org des grands jours courants, alors que la République est en danger et que “formez vos bataillons” ? Ou le “je”, plus élastique, plus primesautier, celui du chroniqueur à la tour d’ivoire à qui on ne la fait pas… Grand débat, conférence de rédaction, enfin décision prise : puisque “la patrie est en danger”, “aux armes citoyens”, à toutes les armes, et l’on utilisera ce qu’on veut, à la fois le “nous” et le “je”, et le “je” et le “nous”. On verra bien. La NSA, elle, c’est promis, n’y verra que du feu.

Tout cela pour dire que je commence par une introduction, – habileté discutable, – dont la légèreté dans ces jours de fougue et de fébrilité nécessite effectivement le “je” ; tout cela pour dire ma stupéfaction, pas d’autre mot, moi qui avais entendu d’une oreille distraite et lu d’un œil fatigué ce matin du 24 juin les grandes déclarations sur les écoutes téléphoniques qui sont le signe indubitable de la sollicitude de nos “grands alliés” ; puis classant le dossier “sans suite” ; puis confronté soudain à ce déluge de nouvelles qui inonde furieusement l’écran, littéralement, ces déclarations terribles, cette unanimité remarquable de l’union nationale pour une fois tout à fait rassemblée, ce “entendez-vous dans nos portables” (“ces féroces écouteurs”, etcetera, que voulez-vous la tentation des pseudo-jeux de mots de piètre lignée dans ces moments terribles et factices).

C’est vrai, je n’y croyais pas, je n’y croyais plus, et voilà que mon cœur se serre naïvement le temps d’un instant, à s’y croire, comme si l’on retrouvait la France, ma douce France, à mi-chemin entre Jeanne de Domrémy et la môme Piaf, en passant par la Lorraine… Mais revenons sur terre et restons-en à Hollande, Hollande le menton ferme levé et le regard sur la ligne bleue de l’Atlantique, Vals dans toutes ses fureurs ethniques et immigrée, et toute la bande qui s’ensuit et qui suit, la majorité, l’opposition, les marges diabolisées qui ne sont plus diables du tout, “tous en scène” vous dis-je, – en vérité, parce qu’il le fallait bien, parce qu’il s’avère, et c’est le comble, qu’il ne pouvait pas, qu’il ne savait pas faire autrement(belgicisme bien connu, mais qui a tout son sens cette fois). Le formidable Houellebecq ne leur a pas appris tous les us et coutumes de la Soumission.

… Et ici, je crois (on verra), j’arrêter de rire et de me moquer d’une façon déshonorable de mon pays. La vérité, je le confesse, est bien que je ne les croyais pas capable de ça … “Ca”, c’est-à-dire, cette extraordinaire comédie-jacquerie hors de l’ordre mondial façon-TTPI, cette insurrection verbale de quelques heures glorieuses, cette fureur qui n’est pas feinte, comme s’ils formaient une direction acceptable de quelque chose qui recèlerait ici et là une cendre rougeoyante encore de ce que l’on nomma “la Grande Nation”. J’entends, d’ici, comme si Colombey était la porte à côté, le rire sans fin, métaphysique, quasiment néoplatonicien, du Général soi-même. Sacré blague.

Le fait est que ces pauvres gens, qui bêchent depuis une, deux ou trois décennies, les champs du déshonneur de la France, ces pauvres gens n’ont pas tout à fait réussi à se débarrasser du fardeau épuisant du gaullisme. Je parle du gaullisme quand il est gaullien, c’est-à-dire inutile par les temps qui courent, sans dividendes ni intérêt, sans argument compréhensible ni rentabilité productive, et qui pèse, et qui pèse, qui vous écrase parfois à la tâche. Car le fait est qu’ils continuent à le porter, qu’ils ne parviennent pas à s’en débarrasser, – alors, pendant 24 heures, 48 heures, etc., ils nous l’ont joué grandiose, implicitement et presque-dit ici ou là, pour un peu, du-type “Nous sommes prêts à envahir Alger (nom de code : Washington D.C.) parce que le Dey a souffleté et insulté gravement la France en donnant ou coup d’éventail à notre ambassadeur”.

Et nous eûmes donc droit à tous les épisodes, le communiqué de l’Élysée, l’union nationale, Hollande parlant à Obama d’urgence, Fabius qui convoque la dame d’en face (le 2, avenue Gabriel n’est pas loin d’être pile en face, Seine franchie et vite effacée, du bureau de Vergennes, quai d’Orsay, non ?), l’ambassadrice Jane D. Hartley, qui n’est pas loin d’être aussi belle que la fabulous Pamela Harriman, première femme ambassadrice de la Grande République auprès de la Grande Nation, d’origine britannique mais sans rien de la froideur de la chose et américanisée avec un clin d’œil, et même au contraire pour la froideur puisqu’avec un brio de séduction qui affola nombre d’entre eux et parfois le président de la république d’alors (je parle du jeune Chirac devenu vieillissant et président, mais toujours chevau-léger) ; mais qu’importe, poursuivons, puisque “nous eûmes droit” encore à des avertissements qui se croyaient d’une certaine hauteur, à des exigences fermement expliquées, à des demandes d’explication, à des explications de Raffarin (“un coup de canif dans l’amitié franco-américain…”), et jusqu’à l’interview sans rire et sans mépris soupçonneux de la part de l’intervieweur de l’unique député mâle du FN/Rassemblement Marine. Paris, ce jour-là, frémit et tremble comme à l’un des grands jours de la capitale, de Thermidor à la Libération, jusqu’à l’inévitable Mai-68, et jusqu’à entendre Mireille Mathieu chanter Paris en colère. On doit le reconnaître, nous n’avions nulle raison de songer à cette possibilité de tout ce tintamarre de la part des enfants de Mai-68, eux qui ont eu la peau du Général et qui ont eu l’audace, – le Général ayant remarqué un jour que le slogan “Mort aux cons” constituait un “vaste programme”, – non, qui ont eu l’habileté de se faire neocons.

Tout cela, je le reconnais, pour en venir à quelques réflexions qu’on trouverait à première vue déplacées dans un commentaire qui prétend apprécier le second «a date which will live in infamy» de notre-histoire commune. A première vue, seulement, mais écoutez plus attentivement … Il y a deux, trois jours, une de ces innombrables chaînes TV donnait un “téléfilm historique” datant de 2008 et programmé pour la première fois en avril 2009, repris donc cette semaine sur Ciné-Cinéma, – Adieu, de Gaulle, adieu. Pierre Vernier y est excellent en de Gaulle méprisant, insupportable, à la dérive, quoiqu’il lui manque une bonne dizaine de centimètres à vue de nez ; Didier Bezace est fabuleux en Pompidou, de même Guillaume Gallienne en Bernard Tricot ; Gérald Laroche n’est pas le meilleur en Jobert, quelques centimètres de trop et l’ironie sarcastique en moins. Ce téléfilm, qui fut distingué et eut des récompenses, raconte le terrible “mois de Mai du Général” ; il n’avait rien vu venir, il n’a rien compris, il a emmerdé tout le monde avec son humeur épouvantable, il a manœuvré comme un novice, il semblait sur une autre planète, il s’enfonçait dans un monde disparu, il était entouré de ricanements et d’yeux levés au ciel alors qu’on décomptait ses erreurs, ses faux-pas, ses fautes même, – et enfin il l’a emporté comme un colosse soulève le monde, comme un Hercule resurgi des Temps Disparus.

Une chose arrête aussitôt, dès que débute le téléfilm sur les scènes d’émeutes qu’on imagine : la musique, et bien sûr c’est voulu sans nul doute ou alors je n’y comprends rien, – moi non plus. On entend des morceaux des Kinks, des Jethro Tull, des The Mamas & the Papas (le téléfilm se termine sur le California’s Dreaming des derniers nommés). Bref, une musique qui est comme une insulte permanente à de Gaulle, qui mériterait au moins comme illustration symbolique la Titan de Mahler et le Requiem de Berlioz (l’Opus 5 ou La Grande Messe des Morts), – alors cette musique-là qu’ils ont choisie, qui semble effectivement programmée comme telle, comme un pied-de-nez permanent. Le reste décrit de Gaulle, effectivement insupportable, marmonnant, pestant, grognant, se trompant sans cesse, n’y comprenant rien, morigénant fort injustement les uns et les autres qui courent en tous sens pour tenter d’aveugler les voies d’eau, annonçant avec une amertume furieuse ou une émotion pleurnicharde qu’il est “foutu” et qu’il s’en va, qu’il “leur laisse” le pouvoir, qu’il est fini, balayé ; cela, jusqu’à son départ-surprise, le mercredi 29 mai, disant qu’il part à Colombey en hélicoptère, puis son hélicoptère disparaissant des écrans-radar (partant en rase-mottes), et le bruit envahissant Paris : de Gaulle a disparu ! Pompidou dans une fureur noire, les restes du gouvernement attendant l’explosion décisive de la grande “manif’ finale” des syndicats, des ouvriers et des étudiants, de la Bastille à la Gare Saint-Lazare, dont tout le monde prévoit qu’elle se terminera par des débordements funestes, l’attaque de l’Élysée, la proclamation d’un “gouvernement d’union populaire & révolutionnaire”… Eh bien, non ! De Gaulle a disparu et tout semble se figer ; la manif a lieu certes, mais en rangs ordonnés et l’on se disperse dans le calme, on ne manifeste plus, on ne dit plus rien, on attend, on attend … Le soir du 29 mai 1968, à Paris, on entendait voler une mouche.

A Baden, au QG de la Première Armée Française qui est déployée sur le territoire de l’ex-zone d’occupation française, de Gaulle retrouve Massu, dit son-fidèle-Massu, qui ne brillait guère par l’esprit disait-on alors sur un ton un peu vache. (Du temps de l’Algérie française finissante, Massu avait été mis sur la touche par de Gaulle et Massu s’était exécuté. Rentrant d’Alger à Paris, il était passé par le bureau du Général. La blague avait couru : “De Gaulle : Alors, Massu, toujours aussi con ? Massu, au garde-à-vous : Toujours gaulliste, mon Général”.) Il n’empêche : de Gaulle avait besoin d’un coup de pied au cul et il alla à Baden ; Massu, bon soldat, s’exécuta, accabla le Président d’exhortations à contre-attaquer, à ne pas céder, à revenir en force, à lancer un nouvel Appel-du-18-juin, lui parlant sur un ton que nul ne peut imaginer d’oser employer avec lui. Il revient le 30 mai, Paris se tait toujours, emporté d’angoisse dans l’attente, paralysé par son absence, des plus ringards aux plus révolutionnaires. Il met son uniforme, il parle, il rassemble un million de Parisiens en deux heures sur les Champs-Élysées, il a gagné. Mai-68 c’est fini, Mai-68 n’a pas dépassé le “joli mois de mai”.

Il regarde passer la foule. “C’est vous qu’ils saluent, mon Général”, lui dit Tricot. Il répond, amer et méprisant : “Ils ont eu la trouille”. On aurait pu lui rétorquer, et à juste titre, et bien mérité : “Et vous, pendant trente jours, qu’avez-vous eu à geindre, à pédaler dans l’impuissance, à disparaître quand on avait besoin de vous ?” Personne ne lui a dit cela. Le Général est ailleurs. Il est dans ces regards qu’on lui voit lancer, à certains moments du film, au plus profond de son désarroi alors que rien ne laisse encore prévoir l’issue du 30 mai, lors de l’une ou l’autre de ses promenades, notamment à ces “jeunes” vautrés sur la pelouse des Champs, devant la grille du jardin de l’Elysée, qui gratouillent leur guitare. Il les regarde et eux le regardent, et les “jeunes” qui lui disent, d’un simple regard justement, qui n’a même pas besoin d’être éclairé par quelque feu divin puisque leur musique, justement, suffit à le dire : “Tu es fini, de Gaulle, tu ne vaux plus rien, c’est nous qui prenons le pouvoir aujourd’hui, qui te prenons la France des mains, pour en faire notre chose. Tu peux rentrer à Colombey faire tes réussites et regarder ce qu’il te reste de ton ‘cher et vieux pays’”.

Curieux, non ? Voilà à quoi j’ai songé, à mesure que se déroulait cette journée du 24 juin, plutôt que suivre les nouvelles que tout le monde connaît depuis longtemps, car qui peut prétendre ignorer que la NSA, qui fait son boulot comme un robot, éclairée par l’éclat des 64 dents superbes du président Obama, aurait laissé passer les ministres français et l’un ou l’autre président ? Et je me disais que se tiennent au pouvoir, aujourd’hui en France, depuis 15-20 ans, les rescapés et les inspirés de mai 68, ceux qui étaient venus dire à de Gaulle, d’un regard et d’une rengaine rock à la sauce hippy, “tire-toi, mec”, ceux qui faisaient la révolution et dont Jouhandeau disait “Dans vingt ans, ils seront notaires”, – ou président-poire, bien entendu, et arrangeurs de “mariages pour tous”… Eh bien voilà, le cœur de ma réflexion, lorsque j’ai vu et entendu toute cette agitation, cette fureur, ces cris de France trahie et qui entend se dresser dans sa pseudo-dignité recousue pour l’occasion, se réaffirmer, taper du poing sur la table, faire sonner pendant quelques heures les mille ans d’histoire et les quarante rois qui vont avec et qu’on n’enseigne plus dans les collèges ; certes, du vent tout cela, du carton-pâte, du simulacre grotesque, effroyablement surjoué, mais aussi l’obligation de figurer, de tenir ce rôle bon gré mal gré, d’en appeler à ces vestiges qu’ils ont eux-mêmes contribués à amasser à grand coups de caillasses dans les rues du Quartier-Latin. Il n’y a pas à dire, hier, ils ont été obligés de nous la jouer “grand Charles”, – mauvais comme des cochons, certes, mais obligés vous entendez ! Obligés de tenir ce rôle. Ca, c’est la victoire du vieil homme qui rit avec les dieux dans son tombeau : il est mort mais faites-lui confiance, il les enterrera tous.

Philippe Grasset

Source : www.dedefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/le-fardeau-du-general/


Tsipras : capitule, capitule pas ?

Friday 10 July 2015 at 11:54

Tiens, les choses évoluent…

Rappel du problème, vu qu’on lit n’importe quoi.

Il y a un désaccord sur la dette entre la Grèce et l’Eurogroupe :

Evidemment, comme l’Eurogroupe ne veut  pas entendre parler de défaut partiel depuis 6 mois.

Là, Tsipras semble avoir accepté à peu près toutes les demandes MAIS il demande toujours sa restructuration.

Donc certes il capitule, mais partiellement, et demande que l’Eurogroupe capitule aussi :

Donc attendons, et voyons s’il y a un accord demain, et ce qu’il sera.

Si la Grèce n’obtient presque rien, Tspiras aura trahi la cause (mais je tiens à rappeler qu’on ignore de quoi nos fous l’ont menacé lui et son pays (Maidan, sort à la Allende, expulsion de la Grèce et blocus économique, etc), sachant aussi que la majorité des Grecs ne veulent pas quitter l’euro

Si la Grèce n’obtient rien, Tsipras aura joué fin politiquement, et aura démontré que la Grèce n’est pour rien dans la rupture, ayant tout accepté – ce qui serait malin.

Bref, on n’en sait rien, à suivre…

Olivier Berruyer

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Grèce : Alexis Tsipras propose une capitulation aux créanciers, par Romaric godin

Le plan proposé au MES par la Grèce ce jeudi 9 juillet ressemble de près au projet du 26 juin. Une victoire posthume du “oui” au référendum qui devra être compensé par une restructuration de la dette.

Alexis Tsipras rend les armes. Ce jeudi 9 juillet à 21 heures, le gouvernement grec a remis au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) un plan de « réformes » détaillé afin d’obtenir un financement de 50 milliards d’euros sur trois ans.

Excédents à réviser ?

Globalement, ce plan (que l’on peut retrouver ici en intégralité) est assez proche du projet du 26 juin, version légèrement modifiée de celle du 25 juin présentée par les créanciers et rejetée par les électeurs grecs le 5 juillet. C’est donc un plan sévère, prévoyant un excédent primaire (avant service de la dette) de 1% en 2015, 2 % en 2016, 3 % en 2017 et 3,5 % en 2018. Mais Athènes précise qu’elle demande à réviser le « chemin » de ces excédents au regard des « récentes développements économiques. »

Les économies proposées

Pour parvenir à ces objectifs, il sera imposé un taux normal de TVA de 23 %, notamment sur les restaurants et un taux réduit de 13 % sur les hôtels, l’alimentation de base et l’énergie. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Concernant les retraites, la proposition grecque prévoit une réduction des dépenses de 0,25 % à 0,5 % du PIB en 2015 et de 1 % du PIB en 2016. L’âge de départ à la retraite sera de 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Le programme prévoit par ailleurs des réformes ambitieuses (mais acceptée par le gouvernement depuis longtemps) de l’administration fiscale, notamment. Les réformes du marché du travail seront mise en place en accord avec les standards de l’OCDE qui sont acceptés par Athènes. Enfin, des hausses de taxes et d’impôts sont prévues : sur les sociétés (de 26 % à 28 %), sur les compagnies maritimes ou le luxe. Davantage de privatisations sont aussi proposés. Les dépenses militaires sont réduites de 100 millions d’euros en 2015 et de 200 millions d’euros en 2016. Moins que ce que demandaient les créanciers. En tout, les mesures s’élèvent à 13 milliards d’euros sur trois ans, soit en moyenne plus que les 8 milliards d’euros de la proposition de Syriza du 22 juin.

Victoire posthume du « oui » ?

Politiquement, la pilule sera difficile à faire accepter par Syriza, le parti au pouvoir. La Vouli se réunira pour voter le texte en procédure d’urgence (jadis honnie par Syriza) vendredi. Le texte proposé ressemble, il est vrai, à une victoire posthume du « oui » puisque le plan légèrement modifié du 25 juin est désormais proposé par Alexis Tsipras. Selon le Guardian, le premier ministre interpréterait ce « non » de dimanche avant tout comme le renouvellement de son mandat, qui le renforcerait dans sa capacité à prendre le « meilleur parti » pour le pays. Or, faute de liquidités, l’économie grecque se meurt rapidement. La situation s’aggrave de jour en jour. Et le premier ministre ne veut pas prendre le risque, ni l’initiative, d’un Grexit. Il doit donc faire des concessions importantes.

Ceci convaincra-t-il la gauche du parti, qui peut représenter 70 des 149 députés de Syriza ? C’est loin d’être sûr. Et déjà, selon Proto Thema, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi. Certes, pour le faire accepter, Alexis Tsipras disposera de quelques atouts : il n’y aurait pas de coupes dans les salaires et (presque pas) dans les retraites, ce qui préserve une importante « ligne rouge » du gouvernement hellénique. Par ailleurs, Alexis Tsipras pourrait tenter de négocier deux concessions importantes dimanche lors du sommet européen.

Un plan d’investissement

La première est un plan d’investissement.  Selon nos informations, Athènes demanderait que le « plan » de 35 milliards d’euros promis par Jean-Claude Juncker, qui n’est en réalité que le déblocage des fonds structurels et agricoles actuellement bloqués par la commission européenne, serait rapidement mis à disposition du pays afin de créer un « choc positif » pour compenser les effets des mesures d’austérité. Ce point est important, car même si ces fonds ne sont pas réellement nouveaux, leur injection rapide et massive offre une possibilité qui n’était pas incluse dans les précédents mémorandums. Mais l’effet macroéconomique de ces fonds et leur capacité à « compenser » les mesures prises sont loin d ‘être acquis.

Question de la dette

La seconde concession serait évidemment une restructuration de la dette à long-terme. Sans cette concession majeure, il semble impossible que Syriza ne se divise pas. Et il n’est pas sûr que le plan grec soit acceptable même pour Alexis Tsipras. Le texte déposé à la Vouli prévoit de rendre la dette “soutenable” après 2022, donc sur la partie due aux Etats européens. Reste à savoir si les créanciers accepteront d’évoquer le sujet. Ce jeudi 9 juillet, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a concédé qu’une restructuration était nécessaire, mais il a prévenu que, selon lui, les traités laissaient peu de marge de manœuvre.

Quelle majorité ?

Bref, il n’est pas certain que le parti suive Alexis Tsipras. La question est désormais de savoir ce qui se passera si ce texte n’est adopté qu’avec les voix des partis du centre et de droite, donc les partis du « oui. » Alexis Tsipras dissoudra-t-il la Vouli ou entrera-t-il en coalition avec ces partis pour former une « union nationale » ? Le premier cas risque de bloquer les négociations et de déclencher le Grexit. Le second serait une victoire politique complète pour Bruxelles et Berlin qui ont ce schéma en tête depuis plusieurs mois (sa première mention date d’avril dernier dans un article du Financial Times). Grâce à l’asphyxie financière du pays, les créanciers auront donc réussi à effacer le résultat politique du référendum du 5 juillet.

Menace du Grexit

Mais il n’est pas certain que ce texte soit accepté par les créanciers. Angela Merkel avait demandé des “efforts supplémentaires” lundi 6 juillet en précisant que le plan devait désormais être plus “dur” qu’avant le référendum. Mais avec une telle proposition qui s’apparente à une capitulation, Alexis Tsipras fait des concessions considérables qui ne sont acceptables que dans le cas d’une révision du stock de dettes. Si les créanciers veulent aussi éviter le Grexit, ils doivent donc désormais faire un geste sur le dossier de la dette. Que fera le premier ministre grec si ce plan ne s’accompagne pas d’un engagement sur la dette ? Nul ne le sait, mais la menace du Grexit n’a pas disparu.

Source : Romaric Godin, La Tribune, 10/07/2015

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TVA, retraites, fiscalité… La quasi-reddition de Tsipras devant les créanciers

Après un ultimatum et les ouvertures de ses créanciers sur la dette, Athènes accepte presque toutes leurs demandes. Décryptage.

Alexis Tsipras, le 8 juillet à Athènes. (Petros Karadjias/AP/SIPA)
Alexis Tsipras, le 8 juillet à Athènes. (Petros Karadjias/AP/SIPA)
Tout ça pour ça ? Après la glorieuse et dangereuse bataille du référendum, Athènes, triomphante, semble déposer les armes. Après avoir rejeté fin juin les propositions de ses créanciers européens, après avoir organisé un vote où le “non” à ces offres l’a emporté à 60%, frôlant la rupture avec ses partenaires de l’Union européenne de la zone euro, le gouvernement grec a fait, jeudi 9 juillet dans la soirée, des contre-propositions de “la dernière chance”. Et elles ressemblent fort à celles qu’il avait rejetées, plongeant alors l’Europe dans le drame.

Dans ce texte de 13 pages intitulé “Actions prioritaires et engagements” [ici en anglais], laGrèce s’engage, afin d’obtenir un financement de sa dette et 50 autres milliards d’euros sur trois ans, à adopter presque toutes les mesures proposées par les créanciers le 26 juin… et qu’Athènes avait alors refusées. Il est à craindre que ce document soit jugé comme “une capitulation” par le puissant courant de la gauche de Syriza, qui, menaçant déjà de ne pas adopter les dernières propositions des créanciers au Parlement, avait précipité le référendum.

Si le Premier ministre Alexis Tsipras a, en grande partie, cédé aux demandes de ses bailleurs de fonds, c’est qu’il était confronté à la perspective, d’ici dimanche, de la faillite et de la sortie de l’euro après un ultimatum des Européens. C’est aussi parce que les créanciers ont fait une ouverture majeure en promettant, – FMI en tête – la restructuration de la colossale dette grecque (plus de 320 milliards d’euros et plus de 170% du PIB) à l’origine de la crise.

Les nouvelles propositions grecques sont d’ailleurs liées au règlement de cette lancinante et fondamentale question de la dette, que les Européens tergiversent à régler. Si Tsipras a reculé, c’est parce qu’il conditionne aussi sa quasi-reddition à l’octroi par les Européens d’un plan de développement et de croissance de 35 milliards d’euros supplémentaires.

Alexis Tsipras n’a donc pas fait tout ça pour rien. Comme il le prévoyait, en demandant de voter “non” pour lui donner “une arme”, le référendum a renforcé sa main face aux créanciers.

TVA, retraites, fiscalité : tout y est

Les propositions grecques envoyées jeudi soir aux créanciers (UE, BCE et FMI) comprennent une hausse de la TVA ainsi que des réformes des retraites et de la fonction publique afin d’augmenter les recettes publiques, en échange d’une aide financière sur trois ans. Plus particulièrement, les nouvelles propositions acceptent “un système unifié des taux de la TVA à 23%, incluant aussi la restauration”, qui jusqu’ici était à 13%.

Mais pour les produits de base, l’électricité et les hôtels, Athènes souhaite que la TVA reste à 13% et à 6% pour les médicaments, livres et places de théâtre. La hausse de la TVA était la principale pomme de discorde entre Athènes et ses créanciers pendant ces derniers mois de longues négociations.

Le gouvernement accepte également la suppression des avantages fiscaux pour les îles (soit la réduction de 30% de la TVA appliquée depuis plusieurs années), à commencer par les îles les plus riches et touristiques, comme le souhaitaient les créanciers. Ce qui pourrait lui poser de sérieux problèmes avec ses alliés, les “Grecs indépendants” (droite souverainiste), qui lui assurent la majorité au Parlement où Syriza n’a que 149 députés sur 300.

Les alliés de Tsipras vont-ils le lâcher ?

Le chef de ce parti, Panos Kammenos, avait juré qu’il n’y aurait pas de hausse de la TVA sur les îles “de son vivant”, menaçant Syriza de rupture. Mais cette suppression a des allures de compromis peut-être acceptable. La décote de 30 % dans les îles sera progressivement supprimée en partant des îles les plus riches. Si les objectifs sont atteints, elle sera maintenue dans les îles les plus pauvres. Une revue aura lieu fin 2016.

Autre avancée du gouvernement de Syriza vers les Européens qui pourrait mettre en danger son étrange alliance anti-austérité avec le conservateur Panos Kammenos, ministre de la défense : la réduction des dépenses en matière militaire, de 300 millions d’euros d’ici à la fin 2016 (moins 100 millions d’euros en 2015 et 200 millions d’euros en 2016). C’est moins que ce que demandaient les créanciers (400 millions), mais plus que ce qu’exigeait Panos Kammenos qui avait fait du maintien du budget de son ministère “une ligne rouge”.

Autre concession qui devrait faire bondir l’aile gauche de Syriza, le gouvernement d’Alexis Tsipras accepte la relance des privatisations, de réduire la hausse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés de 26 à 28%, comme le voulait les Européens. Sur le dossier aussi ultra-sensible des retraites, Syriza propose un compromis, tout en acceptant l’essentiel des demandes des créanciers. L’âge de départ à la retraite sera relevé progressivement à 67 ans en 2022. Le gouvernement demande que la suppression du complément de retraite pour les plus fragiles, l’EKAS soit reportée à fin 2019 au lieu de fin 2018. Mais sa suppression commencera immédiatement par les 20 % qui touchent le plus. La retraite complémentaire sera gelée jusqu’en 2021. Les cotisations santé des retraités seront portées de 4 % à 6 %.

Abattre le “triangle de la corruption”

Enfin, alors que le parti de la gauche radicale grecque avait juré de s’attaquer à son ennemi juré, “le triangle de la corruption”, les oligarques aux tendances monopolistiques, il n’avait pas fait de propositions. Cette fois, le gouvernement de Syriza promet d’introduire “en collaboration avec l’OCDE, de nouvelles réformes pour anéantir les cartels dans le commerce de gros, le secteur du bâtiment, l’e-commerce, les médias”.

Les Européens, alliés objectifs de la gauche radicale grecque dans ce combat pour une économie de marché fonctionnelle et concurrentielle, avaient été déçus par ce manque. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, avait estimé dans une interview aux “Echos” fin juin qu’il fallait “lever les rigidités de l’économie grecque, les barrières tarifaires, les rentes qui entravent l’activité et pèsent sur le pouvoir d’achat de salariés à qui on a demandé un gros effort.”

L’exécutif grec n’a jamais mis ces questions au cœur des discussions”, avait-il regretté, “et cela a été une vraie déception de la part d’un gouvernement dont tout laissait à penser qu’il serait très engagé dans la lutte contre les rentes.”

Rien ne garantit que le plan grec, qui doit encore faire l’objet de négociations finales avant la fin du week-end, puisse réunir une majorité au Parlement. Déjà, selon Proto Thema, cité par “la Tribune”, le ministre de l’Energie Panagiotis Lafanzanis, représentant de l’aile gauche de Syriza, et le chef des Grecs Indépendants, Panos Kammenos, ont refusé de signer le projet de loi.

La fronde peut l’emporter, surtout si les créanciers ne prennent pas dans l’accord final d’engagements fermes et substantiels sur la réduction de la dette, qui pourraient séduire même les plus durs des députés de la majorité au pouvoir. Une fois de plus, balancé entre ses créanciers vexés et sa majorité rétive, Alexis Tsipras apparaît comme un funambule sur une corde raide, qui devra faire preuve de tous ses talents d’équilibriste pour ne pas tomber.

Source : Jean-Baptiste Naudet, L’Obs, 10/7/2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/tsipras-capitule-capitule-pas/