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[Reprise] « La crise ukrainienne est en train de dégénérer en véritable génocide », par Francis Boyle

Friday 29 August 2014 at 01:51

Reprise d’une interview de RT du 4 juillet

“Alors que les russophones sont exterminés en Ukraine par le « mauvais » gouvernement dirigé par des fascistes néo-nazis, la Russie doit agir et prévenir le génocide, dit à RT Francis Boyle, Professeur de Droit International de l’Université d’Illinois.

 

 

RT : La situation à l’Est de l’Ukraine est désormais terrible. Au moins 200 personnes ont été tuées et 600 autres blessées dans les combats qui se déroulent dans les régions ukrainienne de Donetsk et Lugansk. Le premier ministre Yatsenyuk [ex. premier ministre – NdT] traite officiellement les Russes de « sous-hommes », tout comme le faisait Hitler. Dans les zones qu’elle n’a pas encore prises, l’armée de Kiev a coupé les couloirs humanitaires de sorte que la famine est désormais aussi catastrophique que le bombardement. Selon vous, le comportement de Kiev est-il génocidaire ?

Francis Boyle : Oui, je crains que ce à quoi nous assistons dégénère en génocide. Je le dis en m’appuyant sur mon expérience en tant qu’avocat de la partie Bosniaque dans le procès en génocide à la Cour pénale internationale [à la Haye – RT], ainsi que sur les deux ordonnances mesures provisoires de protection [technique judiciaire de protection des droits fondamentaux – NdT] prises pour eux. Nous constatons depuis un certain temps des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre manifestes. Et je crains maintenant que cela dégénère en véritable génocide, si ce n’est pas déjà le cas.

La Russie comme l’Ukraine sont signataires de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 et, dans ces circonstances, ma première recommandation au président Poutine serait de couper le gaz à l’Ukraine, totalement, même plus un mètre cube de gaz. Couper le gaz puis annoncer que, étant donné que la Russie est signataire de cette convention, et selon son article Un, la Russie a l’obligation de « prévenir le génocide ». Si ce n’est pas encore un génocide, cela le deviendra très rapidement. Je pense que le président Poutine peut et doit le faire maintenant, et s’il coupe le gaz, cela forcera l’arrêt immédiat de tout cela. Nous savons qu’en droit international la doctrine du parens patriae (parent de la patrie) autorise un État à agir dans l’intérêt de personnes qui ne sont pas ses propres citoyens. En l’espèce la Russie peut sans aucun doute intervenir en tant que parens patriae au nom des russophones d’Ukraine qui sont actuellement exterminés par un gouvernement mauvais dirigé par un groupe de néo-nazis fascistes. Je pense que même le Président Poutine a utilisé le terme « exterminer » et c’est exactement ce qui se passe.

RT : Quelqu’un pourrait-il poursuivre l’Ukraine devant la Cour pénale internationale pour génocide contre les russophones ?

Francis Boyle : Oui, la Russie peut poursuivre l’Ukraine ; les deux États sont signataires, je pense que ça doit être fait aussi. Mais dans des circonstances aussi terribles, je pense vraiment que le président Poutine doit couper le gaz au nom de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Mais il peut bien entendu intenter un procès aussi, déposer plainte, demander un référé auprès de la Cour et obtenir un jugement provisoire demandant à l’Ukraine de cesser immédiatement ses actes de génocide à l’encontre des russophones. Ça risque de prendre un moment. Je pense que la situation est si grave qu’il faut que le président Poutine monte au créneau et coupe le gaz maintenant, et dise clairement pourquoi il le fait – pour que le génocide cesse sur le champ. Ça ramènerait l’Ukraine et ses soutiens européens et américains à la raison et, espérons-le, produirait des effets concrets et immédiats.

RT : Qu’est-ce qu’un jugement provisoire, et qu’empêcherait-il l’Ukraine de faire ?

Francis Boyle : Ce serait une ordonnance typique de cessation immédiate comme les deux ordonnances que j’ai gagné pour la Bosnie contre la Yougoslavie, lui intimant l’ordre de cesser immédiatement tout acte de génocide envers les Bosniaques. Et cette ordonnance est ensuite transmise au Conseil de Sécurité [de l'ONU – NdT] pour sa mise en application. Mais encore une fois, dans le cas des Bosniaques, ce processus m’a pris trois semaines, et je crains que nous soyons les témoins d’une catastrophe humanitaire là-bas [en Ukraine] dans les trois prochaines semaines. C’est la raison pour laquelle je propose que le président Poutine annonce immédiatement l’arrêt des livraisons de gaz à l’Ukraine sur la base de l’Article Un de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide – et l’obligation pour la Russie et le président Poutine de prévenir le génocide des russophones en Ukraine.

RT : Étant donné l’influence de la Maison Blanche, n’est-il pas peu probable que la Cour pénale internationale prenne position contre un gouvernement soutenu par les États-Unis, quand bien même il serait génocidaire ?

Francis Boyle : Non, je ne pense pas. Je suppose que si on voulait aussi poursuivre les États-Unis pour complicité dans le génocide ukrainien des russophones cela puisse être un facteur. Mais ce n’est pas ce que je recommande. Je pense que les États-Unis d’Obama sont coupables, vue leur complicité dans ce que Poroshenko et ces néo-fascistes font. En effet l’administration Obama et son porte-parole ont hier [le 3 juillet – NdT] et le jour d’avant apporté leur soutien à Poroshenko dans ses actes de génocide envers les russophones. Mais je pense que si la Russie poursuivait les États-Unis, cela compliquerait la situation politiquement et diplomatiquement, et je ne pense pas que le président Poutine voudrait faire cela parce que le Ministre des Affaires Étrangères Lavrov se réfère aux Américains comme « nos collègues » ou « nos partenaires ». Je ne pense pas qu’ils le croient vraiment mais ils doivent le dire pour des raisons diplomatiques, et pour cette raison je ne pense pas qu’ils poursuivraient les États-Unis ou l’Europe en justice, bien qu’en théorie cela puisse arriver.

RT : Vous avez écrit que la situation à l’Est de l’Ukraine ne pourra qu’empirer. Pourquoi pensez-vous cela ?

Francis Boyle : Poroshenko a utilisé le soit-disant cessez-le-feu, qui n’a jamais été un cessez-le-feu, pour amener des armes lourdes jusqu’aux villes du Donbass. C’est exactement ce que la Serbie a fait aux Bosniaques avant de déchaîner ces armes lourdes sur les quartiers les plus habités. Pourquoi apporterait-il des armes lourdes en bordures des villes russophones si ce n’est pour exterminer la population ? De même la rhétorique ici est clairement génocidaire. En les désignant comme des « parasites », des « sous-hommes », Timoshenko annonce qu’elle va « tuer tous ces chiens de Russes » à coups de bombes nucléaires, etc. Nous voyons donc à l’œuvre une mentalité génocidaire de la part de Poroshenko, Yatsenyuk, Timoshenko et bien d’autres parmi ceux qui dirigent le régime néo-nazi de Kiev. Lorsqu’on met bout à bout ces mentalité et déclarations exterminationistes et les armes lourdes qui entourent maintenant les villes russophones du Dombass, on peut craindre le pire et c’est ce à quoi nous serons bientôt confrontés.


Source : RT, via histoireetsociete.

Maison détruite par une frappe aérienne de l'armée ukrainienne dans le village de Stanitsa Luganskaya le 2 juillet 2014 (photo AFP).

Source: http://www.les-crises.fr/la-crise-ukrainienne-est-en-train-de-degenerer-en-veritable-genocide-par-francis-boyle/


L’Amérique divisée, par Gordon Duff

Thursday 28 August 2014 at 02:14

Parce que la guerre, c’est ceux qui l’ont faite qui en parlent le mieux…

Gordon Duff est un Marine vétéran de la guerre du Vietnam. Il travaille sur des questions relatives aux vétérans et aux prisonniers de guerre depuis des décennies, et a conseillé des gouvernements sur des questions de sécurité intérieure. Il est co-rédacteur en chef et président du conseil d’administration de Veterans Today, en particulier pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook”.

Source : Gordon Duff, veteranstoday.com, 4 aout 2014

Pour la première fois depuis la guerre du Vietnam, les américains sont divisés, jusqu’à s’e prendre à la gorge. Nous en avons eu les prémices avec l’Ukraine. Collègues et familles prennent parti, générant amertume et colère. Cependant, ce n’est rien par rapport à ce qui est en train d’arriver face à ce qui est clairement un génocide à Gaza.

Le grand changement a eu lieu dans les média grand public. Ils ne défendent plus Israel, ce qui en déconcerte beaucoup. Avec un Président Obama pris à son propre piège en appuyant ouvertement le droit d’Israël à l’autodéfense, tout en gardant le silence sur le meurtre de 250 enfants, le ciblage des écoles, des bâtiments de l’ONU et maintenant la demande d’un tribunal de guerre.

Les américains sont dorénavant prêts à se retourner contre d’autres américains, et contre leur président , ils sont réveillés et en colère, des décennies et même des siècles de vieilles rancœurs ont refait surface, comme c’est aussi le cas dans le monde entier.

Arrière-plan

Comme ça a souvent été le cas par le passé, les présidents s’entourent de conseillers qui ne voient rien hors de ce qu’on leur dit dans les diners privés et les sorties au golf avec les lobbyistes des groupes d’intérêt. Et quand le monde prend un virage à 180 degrés, et que même les médias télévisés et les journaux que la plupart en Amérique considèrent comme étant sous contrôle strict, à gauche comme à droite, prennent des positions radicales nouvelles, Obama est désemparé.

Aujourd’hui, le président le plus haï par le lobby d’Israël est en train de « mourir » politiquement, catalogué comme criminel de guerre pour avoir fait des déclarations absolutistes tout comme d’autres présidents américains, juste au mauvais moment. Il n’y a jamais eu de plus « mauvais moment » dans l’histoire.

Pour ceux d’entre nous qui se rappellent la guerre du Vietnam, qui ont servi au combat au Vietnam et qui sont revenus prendre la tête des manifestations qui ont arrêté la guerre, un conflit ici, chez nous, ça a quelque chose de rafraîchissant, après des décennies à défendre nos intérêts personnels sans état d’âme.

Quand les médias reflétaient seulement les intérêts d’Israël, le soutien sans conditions au meurtre de palestiniens était considéré bizarre mais inoffensif. Ce qui est effrayant en Amérique c’est que les gens ont l’air d’avoir besoin de permission pour penser ou ressentir. Assassiner des enfants est tout à fait normal jusqu’à ce qu’un journal possédé par une entreprise étrangère ou un fournisseur de l’armée décide de faire remarquer que faire de la boucherie systématique d’enfants, c’est mal.

Malaise du leadership

L’Amérique est en manque d’autorité morale. Des millions d’américains regardent le président Vladimir Poutine en souhaitant qu’il soit notre président. La droite aime ses déclarations musclées, sa force physique et son amour des armes.

La gauche aime ce qu’il voient comme sa capacité à déjouer ses ennemis, son refus de céder à la menace. Les politiciens américains se courbent à la moindre brise.
Ce « culte de Poutine » n’est pas sain. Les américains ne savent pas grand chose de la politique russe ni de la marche du monde. Les américains n’y connaissent vraiment pas grand chose, et la plupart d’entre eux ont arrêté de s’en préoccuper deuis longtemps, en tous cas depuis le 11 septembre, quand il devint évident pour la plupart qu’il venait de se produire une catastrophe qui ne devait rien à des terroristes armés de cutters.

Il n’y a aucun membre du gouvernement américain que le public puisse admirer. Personne à Washington n’est vu comme un homme d’Etat. John Kennedy n’a pas été remplacé. Il n’y a que du second choix, et les américains ne voient rien d’autre. Dans le genre, John Mc Cain est typique : instable, changeant, lié depuis toujours à des organisations criminelles, poursuivi par des rumeurs de trahison lors de sa captivité au VietNam.

Les médias américains avaient Walter Cronkite, Edward R. Murrow et tant d’autres hommes, respectés, vénérés, prêts à prendre position, soutenus par des organes de presse qui n’avaient pas de comptes à rendre à des groupes d’intérêt.

Rien de cela n’existe plus en Amérique. Les médias américains ont des acteurs et des semeurs de haine. Maintenant quelqu’un leur dit qu’il est permis de haïr Israël. Certains parmi nous se demandent pourquoi, que se passe-t-il en coulisse ? Pourquoi des hommes mauvais feraient-ils quelque chose simplement parce que c’est juste ?

Le 11 septembre

Le 11 septembre à brisé l’esprit de l’Amérique, et infecté le pays de peur et de désespoir. Il faut être fou pour penser que Bush et Cheney, alors qu’ils venaient de prendre leurs fonctions après une élection clairement truquée, aient rassuré quiconque en parlant de défense de l’Amérique.

Alors que les informations rapportaient une popularité de Bush de 98%, tout ceux que je connaissais lui reprochaient de l’avoir fait, de l’avoir laissé faire volontairement ou d’être un incompétent flagrant, dans cet ordre. Il s’agit d’un président qui a quitté ses fonctions avec un taux de satisfaction de 12% et qui était entré en fonction avec seulement 48% du vote officiel et une estimation réelle de seulement 35%. L’élection de 2000 était truquée et tout le monde le sait mais rien n’a été fait. En 2004 c’était truqué aussi. Des dizaines de membres du congrès l’ont dit ouvertement mais ça n’a pas été rapporté.

Près de la moitié des Américains ne votent pas et la majorité de ceux-ci sont considérés comme « libéraux. » Les partisans de Bush, même dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, n’ont peut-être jamais atteint les 25%, encore moins 98%. Comment ce genre d’histoires peuvent-elles se perpétuer alors que Bush a peur de montrer sa tête en public et encourt une arrestation dans des dizaines de pays à travers le monde ?

Pourquoi les gens à travers le monde ont-ils cru si volontiers que les américains s’étaient soudainement ralliés à une figure de discorde, inepte, un incompétent, la risée du monde ? L’Amérique est-elle parvenue à mentir au monde aussi efficacement ?

L’Amérique Divisée

C’étaient des VRAIS hommes avec de vraies couilles. On espère qu’il y en a encore.

D’un point de vue personnel, les familles américaines commencent à « faire le point. » Gaza les rend furieux, des années de mensonges, le malaise et l’humiliation d’être restés muets trop longtemps. Les américains regardent ceux qu’ils connaissent, les juifs et les évangélistes chrétiens, et les voient sous un nouveau jour. Ils se posent des questions « Comment quelqu’un que je connais depuis si longtemps peut-il encourager ces horreurs. »

Les Américains comparent Israël avec l’Allemagne nazie, des millions le font, certains publiquement, beaucoup en privé. Ils espèrent que leurs amis juifs et extrémistes « évangéliques » vont se réveiller.

C’est la première fois que l’on voit ça depuis très longtemps : les américains veulent mettre un terme à des amitiés, cataloguent des gens comme « psychopathes », reconnaissent la démence tout à fait réelle autour d’eux, et reconnaissent qu’ils ont laissé le mal se rapprocher d’eux, de leurs familles.

Les américains ne savent pas combien il reste de juifs qui montrent des valeurs sociales traditionnelles ni le nombre de moutons qui suivent ce qui est maintenant clairement de la barbarie criminelle. Cela fait maintenant des dizaines d’années que beaucoup ont commencé à élever la voix en Amérique, mais personne ne sait plus comment faire. Faut-il mettre en doute ceux qui sont autour de nous, faut-il aller plus loin ? Penser et ressentir est très nouveau en Amérique, c’est quelque chose que les Américains font mal.

Les Américains connaissent la haine. Ils seront prompts à haïr les juifs, tous les juifs, et à détourner sur eux leur peur manipulée des musulmans, ainsi que la détestation et le ressentiment qu’ils vouent aux hispaniques et aux noirs.

L’évangélisme chrétien est fondé sur la haine des juifs

Les chrétiens en Amérique sont majoritairement des ” nés à nouveau ( born again ) “, des chrétiens évangélistes. Beaucoup sont également étiquetés ” chrétiens sionistes ” : ce groupe soutient aveuglément Israël, a soutenu des guerres pour donner à Israël plus de terres, plus de puissance, plus d’armes nucléaires, et se risque à maintenir un monde basé sur les tensions politiques générées par l’expansionnisme d’Israël.

Ils n’aiment pas les Juifs et n’aiment pas vraiment Israël. La plupart vivent dans des régions où dans le passé les juifs étaient interdits de résidence et où peu de juifs vivent aujourd’hui, si jamais ils y vivent.

Le problème est le suivant : selon d’obscures croyances religieuses, ce n’est qu’après l’établissement d’un “Grand Israël “, “du Nil jusqu’à l’Euphrate” que commencera “la fin des temps”. Soit les Juifs se convertiront au christianisme soit ils mourront, “l’enlèvement de l’Eglise surviendra et les élus s’élèveront jusqu’à prendre place aux côtés de Jésus, alors que les “laissés en arrière” souffriront et mourront dans un enfer post-apocalyptique. De sorte que ceux qui soutiennent Israël se fondent sur leur désir de voir Israël et les juifs s’auto-détruire, et avec eux, la fin de la plus grand partie de l’humanité. Ces gens sont fous. Nous en avons des tonnes de cette espèce. Bienvenue en “Amérique”.

L’Amérique

Il y a des choses que peu de gens, hors des USA, savent sur l’Amérique. La plupart des Américains sont athées. Dans les petites communautés, beaucoup fréquentent les offices religieux à cause de pressions sociales, mais peu « croient ». L’Amérique a rompu avec la religion au XIXème siècle et la religion est généralement considérée comme stupide. Peu de juifs américains sont religieux. La plupart s’en tiennent aux devoirs traditionnels des jours de fête, et s’excusent en privé auprès de leurs amis s’ils ont des activités religieuses, par peur de paraître rétrogrades.

En France, seuls 11% vont à l’église. L’Eglise catholique s’est trop souvent rangée du côté des ennemis du peuple français. La même chose s’est produite en Espagne et en Allemagne. La moitié de l’Italie est communiste. Presque aucun Américain ne sait ça, parce que la plupart ne sortent jamais du pays et quand ils le font, c’est en général pour rester dans leur hôtel, leur navire de croisière ou leur bus touristique.

On nous dit que 44% des Américains sont profondément religieux. En réalité, il y a un puissant courant religieux sous-jacent en Amérique. Dans le Sud et l’Ouest, ainsi qu’ailleurs en Amérique, parmi les moins éduqués, des églises évangéliques qui tournent comme des entreprises, pour la plupart dotées d’un clergé plus qualifié dans la vente de voitures d’occasion ou d’assurances que dans la théologie, vendent un étrange mélange de science-fiction, d’histoires d’ovnis et de « prophéties bibliques » toujours fortement imprégnées de haine sous une forme ou une autre.

Les Américains éduqués considèrent ces gens comme des chiens enragés ou des phénomènes de foire. On ne peut pas parler avec eux. Leurs seules réponses consistent en versets de la Bible et en homélies bizarres imprégnées de psychologie de comptoir.

La majorité des Américains religieux sont des alcooliques ou des narco-dépendants convertis, des gens sévèrement déprimés ou atteints de troubles de la personnalité borderline.
Y en a-t-il des millions en Amérique ? D’après vous, regardez simplement la dernière décennie où l’Amérique a régné sur le monde. Est-ce que vous avez vu des signes quelconques de santé mentale ?

Retour à Gaza

Le bombardement génocidaire de Gaza s’inscrit dans la droite ligne d’une politique vieille de soixante ans. Au début, la plupart d’entre nous ne l’avons considéré que comme une mise en scène de plus, quelque chose que nous n’avons que trop souvent vu. Nous avions tort.

C’est ici que se tient la vraie question. Est-ce que les gens, outre les seuls Américains et les Russes, vont réaliser qu’il y a une théâtralité dans toutes les guerres d’aujourd’hui ?
D’abord, nous avons « disparu » un vol commercial, MH370, comme par l’effet d’un tour de prestidigitation.

Considérons le Nigéria, les filles enlevées, les convois militaires et les communications par satellite. Quelque chose ne cadre pas.

Rien en Ukraine, et certainement rien de Kiev, n’est ce qu’il semble être.

Qu’en est-il d’ISIL en Irak ? Les montres Rolex, les mutilations génitales féminines, les conversions forcées et les militants masqués noyautés par la CIA, le Mossad et armés de M16 [NDT, fusil de l'armée américaine], et infiltrés par divers militants, des djihadistes et des mercenaires occidentaux.

Même Zbignew Brzezinski a été capable de réaliser que les enlèvements israéliens étaient des mises en scène.

Serons-nous capables de voir ce qu’une minorité a préparé depuis longtemps, que tout est scénarisé, que tous les participants sont des acteurs sur une scène ? Seuls les morts sont réels.

Gordon Duff

Source: http://www.les-crises.fr/lamerique-divisee-par-gordon-duff/


[Reprise] Les Bons, la Brute et la Crimée ou L’obsession antirusse, par Olivier Zajec

Thursday 28 August 2014 at 01:02

Reprise d’un papier du Monde diplomatique d’avril 2014 (NB. soutenez ce journal, il en a besoin et, lui, le mérite…)

Avec l’annexion de la Crimée au territoire russe, entérinée le 18 mars par M Vladimir Poutine, et les sanctions décrétées à l’encontre du Kremlin, la crise ukrainienne a pris les dimensions d’un séisme géopolitique. Comprendre ce conflit implique d’intégrer les points de vue concurrents de tous les acteurs. Mais, dans les chancelleries occidentales, les proclamations morales supplantent souvent l’analyse.

PAR OLIVIER ZAJEC *

Ces dernières semaines, le traitement médiatique des événements en Ukraine en a apporté la confirmation : pour une partie de la diplomatie occidentale, les crises ne trahissent plus une asymétrie entre les intérêts et les perceptions d’acteurs doués de raison mais constituent autant d’affrontements ultimes entre le Bien et le Mal où se joue le sens de l’histoire.

La Russie se prête à merveille à cette scénarisation qui a le mérite de la simplicité. Pour nombre de commentateurs, cet Etat barbare gouverné par les Cosaques a la semblance d’un ailleurs semi-mongol tenu par les épigones du KGB, qui ourdissent de sombres complots au service de tsars névrotiques barbotant dans les eaux glacées du calcul égoïste (1). Reclus, coupés de leur époque, ces autocrates déplacent lentement des pions sur de grands échiquiers d’ivoire au lieu de lire The Economist. De temps en temps, ils coulent un sous-marin nucléaire pour le plaisir de polluer la mer de Barents, en attendant de susciter un référendum illégal dans leur «étranger proche» afin de reconstituer l’URSS.

Si on rassemble les lieux communs parus sur ce thème dans la presse occidentale — pas seulement depuis le début de la crise ukrainienne, mais depuis quinze ans —, ce chromo folklorique est à peu près ce que le lecteur ordinaire retiendra de la politique de l’actuelle Fédération de Russie. Cette perception globalement négative dégénérant en caricature relève d’une tradition bien ancrée.

Elle s’appuie tantôt sur des analyses qui soulignent la compulsion totalitaire et « mensongère » de la culture russe (2), tantôt sur la continuité supposée entre Joseph Staline et M. Vladimir Poutine — un thème prisé des éditorialistes français et des think tanks néoconservateurs américains (3). Elle trouve son origine dans les récits des voyageurs européens de la Renaissance, qui opéraient déjà un rapprochement entre les Russes «barbares» et les farouches Scythes de l’Antiquité (4).

Les événements de Maïdan à Kiev offrent un exemple des inconvénients analytiques qu’induit cette démonologie. Divisée linguistiquement et culturellement entre Est et Ouest, l’Ukraine ne peut garantir ses frontières actuelles qu’en maintenant un équilibre éternel entre Lviv et Donetsk, symboles respectifs de son pôle européen et de son pôle russe.

Epouser l’un ou l’autre reviendrait pour elle à nier ce qui la fonde, et donc à valider le mécanisme sans retour d’une partition A la tchécoslovaque (5). Elle est une éternelle fiancée géopolitique.

L’Ukraine ne saurait « choisir ». Elle se contente donc de se faire offrir des bagues coûteuses : 15 milliards de dollars promis par la Russie en décembre 2013, et 3 milliards par l’Union européenne au même moment pour accompagner l’accord d’association avorté. A chaque prétendant, elle accorde quelques assurances révocables : accords de Kharkiv, qui, en 2010, prolongeaient jusqu’en 2042 la location à la Russie de la base navale de Sébastopol, ou encore location de terres arables aux magnats de l’agriculture européenne. En réduisant ce ménage à trois géoculturel à un mariage forcé avec Moscou, les experts qui succombent à ce qu’il faut bien appeler l’obsession antirusse révèlent une sévère insuffisance analytique. Eux qui reprochent à M. Poutine de se borner au champ étroit de la politique de puissance font preuve l’une hémiplégie non moins condamnable en limitant leur horizon narratif à l’absorption libératrice de l’Ukraine dans la communauté euro-atlantique.

Contrairement à ce qui a pu être écrit, rupture des équilibres internes de cette nation fragile n’a pas eu lieu le 27 février 2014, date de la prise de contrôle du Parlement et du gouvernement de Crimée par des hommes armés — un coup de théâtre qui serait la réplique de M. Poutine à la fuite du président ukrainien Viktor Ianoukovitch le 22 février. En réalité, le basculement s’est opéré entre ces deux événements, précisément le 23 février, avec la décision absurde des nouveaux dirigeants de l’Ukraine d’abolir le statut du russe comme seconde langue officielle dans les régions de l’Est — un texte que le président par intérim a jusqu’ici refusé de signer. A-t-on déjà vu un condamné à l’écartèlement fouetter lui-même les chevaux?

M. Poutine ne pouvait rêver mieux que cette ineptie pour enclencher sa manœuvre criméenne. L’insurrection qui a mené à la chute de M. Ianoukovitch (élu en 2010), puis à la sortie de la Crimée russophone du giron de Kiev n’est donc que la dernière manifestation en date de la tragédie culturelle consubstantielle à cette Belgique orientale qu’est l’Ukraine.

A Donetsk comme à Simferopol, les Ukrainiens russophones sont en général moins sensibles qu’on ne le dit à la propagande du grand frère russe : la décrypter avec une ironie fataliste est devenu une seconde nature. Leur aspiration à un véritable Etat de droit et à la fin de la corruption est la même que celle de leurs concitoyens de Galicie. M. Poutine sait tout cela. Mais il sait aussi que ces populations, qui tiennent à leur langue, n’échangeront pas Alexandre Pouchkine et les souvenirs de la « grande guerre patriotique » — nom soviétique de la seconde guerre mondiale — contre un abonnement à La Règle du jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy. En 2011, 38 % des Ukrainiens parlaient russe à la maison. Or la décision aventureuse et revancharde du 23 février a soudainement rendu le discours de Moscou véridique : pour l’Est ukrainien, le problème n’est pas que le nouveau gouvernement du pays soit parvenu au pouvoir en renversant le président élu, mais bien que sa première décision ait été de faire courber la tête à la moitié de ses citoyens.

 

Fantasmes bipolaires et romans d’espionnage

C’est ce jour-là que Maïdan a perdu la Crimée, dont personne n’a jamais oublié qu’elle avait été « offerte » par Nikita Khrouchtchev à l’Ukraine en 1954 (lire la chronologie ci-contre). D’où la remarque de M. Mikhaïl Gorbatchev le 17 mars, après le plébiscite par la population criméenne d’un rattachement à la Russie : « Si, à l’époque, la Crimée a été unie à l’Ukraine selon des lois soviétiques (…), sans demander son avis au peuple, aujourd’hui ce peuple a décidé de corriger cette erreur. Il faut saluer cela, et non annoncer des sanctions (6). » Ces propos ont fait l’effet d’une douche froide à Bruxelles, où se préparaient, en coordination avec Washington, une série de mesures de rétorsion contre Moscou (restrictions du droit de voyager et gel des avoirs de responsables ukrainiens et russes).

Si ce que veut la Russie n’est pas justifiable, il serait intéressant d’en comprendre les ressorts, avant de le condamner si nécessaire. D’autant que l’Ukraine pourrait perdre davantage que la Crimée, si d’aventure la fréquentation prolongée de la si courtoise Victoria Nuland (7) la poussait à adhérer à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Certains des hommes forts du nouveau gouvernement, où siègent quatre ministres du parti ultranationaliste Svoboda (8), sont acquis à cette idée.

Peut-être serait-il temps de bannir la locution « guerre froide » des articles consacrés à la Russie. Historiquement inopérant, ce raccourci sert surtout à justifier l’expression pavlovienne de fantasmes bipolaires recuits. M. John McCain, ancien candidat républicain à la Maison Blanche et expert international reconnu de l’Arizona, en a donné un exemple notable en fustigeant M. Poutine, « impérialiste russe et apparatchik du KGB » enhardi par la « faiblesse » de M. Barack Obama. Lequel, sans doute trop occupé par l’assurance-maladie de ses concitoyens, ne réalise pas que « l’agression en Crimée (…) insuffle de l’audace à d’autres agresseurs, des nationalistes chinois aux terroristes d ‘Al-Qaida et aux théocrates iraniens » (9). Que faire? « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, répond l’ancien colistier de Mme Sarah Palin, pour empêcher que les ténèbres du monde de M Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Discours qui, pour dénoncer des théocrates, n’en abuse pas moins du registre théologique.

A Washington et à Bruxelles, dans un style voisin, on semble s’être entendu pour souffler sur les braises de la crise ukrainienne au lieu de l’apaiser. A l’écart de ces outrances, l’impavide Mme Angela Merkel téléphone (en russe) à M. Poutine.

* Chargé de recherche à l’Institut de stratégie comparée (ISC), Paris.

(1) Bernard-Henri Lévy, «L’honneur des Ukrainiens», Le Pole Paris, 27 février 2014.

(2) Alain Besançon, Sainte Russie, Editions de Fallois, Paris, 2014.

(3) Steven P. Bucci, Nile Gardiner et Luke Coffey, «Russia, the West, and Ukraine : Time for a strategy — not hope », Issue Brief 004159, The Heritage Foundation, Washington, DC, 4 mars 2014.

(4) Cf. Stéphane Mund, Orbis Russiarum, Droz, Genève, 2003.

(5) La «révolution de velours» de 1989 conduisit en 1992 à la scission de l’Etat en deux entités, sur une base ethnolinguistique,

(6) Déclaration à l’agence Interfax, 17 mars 2014.

(7) Au cours d’une conversation téléphonique avec l’ambassadeur américain en Ukraine rendue publique en février, la sous-secrétaire au département d’Etat chargée de l’Europe s’est exclamée : «Que l’Union européenne aille se faire f !»

(8) Lire Emmanuel Dreyfus, «En Ukraine, les ultras du nationalisme », Le Monde diplomatique, mars 2014.

(9) John McCain, « Obama has made America look weak», The New York Times, 14 mars 2014,

Source: http://www.les-crises.fr/les-bons-la-brute-et-la-crimee/


[Entraide] Recherche d’un article

Wednesday 27 August 2014 at 07:45

bonjour

je me demandais si par hasard l’un d’entre vous aurait moyen de récupérer cet article (bibliothèque ?) dont j’ai besoin :

Paul Bairoch, International industrialization levels from 1750 to 1980, dans : Journal of European Economic History, Vol. 11, no’s 1 & 2, Fall 1982.

Contactez-moi ici

Merci d’avance !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-recherche-d-un-article/


L’Occident fait fausse route, par Gabor Steingart

Wednesday 27 August 2014 at 04:12

Gabor Steingart est le directeur de la rédaction du leader de la presse financière allemande, le quotidien Handelsblatt.

par Gabor Steingart, Handelsblatt, 8 aout 2014

Au regard des derniers événements en Ukraine, le gouvernement et nombre de médias ont basculé de la pondération à la surexcitation. L’éventail des opinions s’est réduit à la largeur du champ de vision d’un tireur d’élite. La politique d’escalade n’a pas de but réaliste – et elle porte atteinte aux intérêts allemands.

Chaque guerre s’accompagne d’une sorte de mobilisation des esprits : la fièvre de la guerre.

Même les personnes sensées ne sont pas totalement épargnées. « Cette guerre, dans toute son atrocité, reste toutefois une grande et merveilleuse chose. C’est une expérience qui vaut la peine d’être vécue », se réjouissait Max Weber en 1914 alors que les lumières s’éteignaient en Europe. Thomas Mann, quant à lui, ressentait une « purification, une libération et une énorme espérance ».

Même lorsque des milliers de morts jonchaient les champs de bataille de Belgique, la fièvre de la guerre ne se calma pas. Il y a 100 ans exactement, 93 peintres, écrivains et scientifiques publièrent l’« Appel au monde de la culture ». Max Liebermann, Gerhart Hauptmann, Max Planck, Wilhelm Röntgen et d’autres encouragèrent leurs compatriotes à se montrer cruels envers leur voisin : « Sans le militarisme allemand, la culture allemande aurait été éliminée de la surface de la Terre depuis longtemps. Les forces armées allemandes et le peuple allemand ne font qu’un. Cette conscience commune fait des 70 millions d’Allemands des frères, sans distinction d’éducation, de statut social ou d’appartenance à un parti. »

Arrêtons un instant le cheminement de notre pensée : « l’Histoire ne se répète pas ! » Mais pouvons-nous en être aussi sûrs aujourd’hui ? A la lumière des dernières hostilités en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, les chefs des Etats et gouvernements occidentaux ont soudainement cessé de se s’interroger et ont toutes les réponses. Le Congrès des Etats-Unis discute ouvertement d’armer l’Ukraine. L’ancien conseiller à la sécurité, Zbigniew Brzezinski, recommande d’armer les citoyens là-bas pour des combats de rue, maison par maison. La Chancelière allemande, comme à son habitude, est plus floue mais non moins inquiétante : « Nous sommes prêts à prendre des mesures sévères. »

Les journaux allemands sont passés, en quelques semaines, d’une position réfléchie à l’agitation. L’éventail des opinions s’est rétréci au champ de vision d’une lunette de tireur d’élite.

Les journaux que nous pensions être d’idées et de réflexion, emboîtent maintenant le pas aux politiciens dans leurs appels aux sanctions envers le Président de la Russie, Poutine. Même leurs titres trahissent cette agressivité qui d’ordinaire caractérise les hooligans lorsqu’ils « supportent » leurs équipes.

Tagesspiegel : « Assez parlé !».Frankfut Allgemeine Zeitung : « Montrons notre force ». Süddeutsche Zeitung : « Maintenant ou jamais. » Le Spiegel appelle à la « Finissions-en avec la lâcheté » : « Le tissu de mensonges de Poutine, sa propagande et ses tromperies sont averés. L’épave du MH 17 est aussi le résultat d’ une diplomatie en morceaux ».

Les Médias allemands et les Politiques des Chancelleries Occidentales sont alignées.

Chaque série d’accusations réciproques aboutit au même résultat : en un rien de temps, les affirmations et les contre-arguments deviennent si confus que les faits s’en retrouvent presque complètement occultés.

Qui a trompé qui, le premier ?

Cela a-t-il commencé avec l’invasion de la Crimée par la Russie ou est-ce l’Occident qui a d’abord poussé à la déstabilisation de l’Ukraine ? La Russie veut-elle s’étendre à l’Ouest ou bien l’Otan à l’Est ? Ou bien, peut-être, deux super-puissances se rencontrent-elles au pied de la même porte, au milieu de la nuit, guidées par les mêmes intentions envers un pays tiers sans défense qui paye maintenant le prix du bourbier en resultant par les premières phases d’une guerre civile ?

Si, arrivés à ce stade vous attendez de savoir qui est coupable, vous feriez mieux d’arrêter votre lecture. Vous ne manquerez rien. Nous n’essayons pas de déterrer cette vérité cachée. Nous ne savons pas comment ceci a commencé. Nous ne savons pas comment cela va finir. Et nous sommes assis ici, au milieu de tout cela. Au moins, Peter Sloterdijk nous adresse quelques mots de réconfort : « Vivre dans le monde signifie vivre dans l’incertitude ».

Notre but est d’essuyer un peu de l’écume qui se forme aux lèvres des rhéteurs, de remplacer les mots des agitateurs et des agités par de nouveaux mots, par exemple un mot tombé en désuétude depuis longtemps : réalisme.

La politique de l’escalade montre que l’Europe manque cruellement d’un but réaliste. Il en va autrement États-Unis. Menaces et positionnement font simplement partie de la préparation des élections. Quand Hillary Clinton compare Poutine à Hitler, elle ne le fait que pour plaire à l’électorat républicain, c’est-à-dire à des gens qui ne possèdent pas de passeport. Pour la plupart d’entre eux, Hitler est le seul personnage étranger qu’ils connaissent, c’est pourquoi « Adolf Poutine » est une effigie de campagne très appréciée. À cet égard, Clinton et Obama ont un objectif réel : plaire au peuple, gagner les élections, remporter une nouvelle présidence démocrate.

Angela Merkel ne peut pas prétendre à ces circonstances atténuantes. La géographie oblige tout chancelier allemand à un peu plus de sérieux. Comme voisins de la Russie, comme partie prenante de la destinée de la communauté européenne, comme acheteurs d’énergie et fournisseurs de choses et d’autres, nous les Allemands avons clairement un intérêt vital à la stabilité et au dialogue. Nous ne pouvons pas nous permettre de regarder la Russie avec les yeux du Tea Party américain.

Chaque erreur provient d’une erreur de raisonnement. Et nous nous trompons si nous croyons que seul l’autre tire profit des relations économiques avec nous, et qu’il souffrira donc seul de la fin de ces relations. Si les liens économiques ont été maintenus pour un bénéfice mutuel, alors les rompre conduit à des pertes pour les deux parties. Punition et auto-punition sont équivalentes dans ce cas de figure.

L’idée même qu’une pression économique et une politique d’isolement puisse mettre la Russie à genoux n’a pas été pensée dans toutes ses conséquences. Même si nous réussissions, à quoi bon mettre la Russie à genoux ? Comment pouvez-vous vouloir vivre ensemble dans la « Maison européenne » avec un peuple humilié dont les dirigeants élus sont traités en paria, et dont vous pourriez avoir à aider les citoyens au cours du prochain hiver ?

Bien entendu, la situation actuelle demande une attitude forte, mais par-dessus tout une attitude forte envers nous-mêmes. Les Allemands n’ont ni voulu ni causé ces situations, mais elles sont devenues notre réalité. Imaginez seulement ce que Willy Brandt a dû entendre lorsque son destin de maire de Berlin l’a placé dans l’ombre du mur. Quelles sanctions et punitions ne lui a-t-on suggérées ! Mais il décida d’ignorer ce festival d’indignation. Il ne céda jamais à l’esprit de revanche.

A sa réception du Prix Nobel de la Paix, il a apporté quelques éclaircissements sur ce qui s’était passé autour de lui au moment des jours fiévreux suivant la construction du mur : « Il y a aussi un autre aspect – l’impuissance qui se cache derrière les gesticulations oratoires : on prend des positions qui ne peuvent devenir réalité et on planifie des mesures répondant à des éventualités sans rapport avec la situation présente. Aux moments critiques, nous étions livrés à nous-mêmes. Les beaux parleurs n’avaient rien à offrir. »

Les beaux parleurs sont de retour et leur quartier général est à Washington D.C. Mais personne ne nous oblige a à faire des courbettes devant leurs ordres. Les suivre – même si c’est de façon calculée et quelque peu réticente comme c’est le cas de Merkel – ne protège pas le peuple allemand, mais pourrait bien le mettre en danger. Cela reste vrai même si ce n’étaient pas les Américains, mais les Russes qui étaient à l’origine des dégâts en Crimée et Ukraine orientale.

Clairement, Willy Brandt prenait ses décisions tout autrement que Merkel aujourd’hui, et ce dans une situation manifestement plus tendue. D’après ses souvenirs, il s’était réveillé le matin du 13 août 1961 « très éveillé et en même temps engourdi ». Il s’était arrêté à Hanovre au cours d’un déplacement, lorsqu’il reçut des comptes rendus de Berlin concernant des travaux en cours sur le vaste mur divisant la ville. C’etait un dimanche matin et il ne pouvait y avoir pire humiliation pour un maire en poste.

Les Soviétiques l’avaient mis devant le fait accompli. Les Américains ne l’avaient pas informé, bien qu’ils eussent probablement reçu des informations de Moscou. Brandt se souvient qu’une « rage impuissante » avait monté en lui. Mais que fit-il? Il étouffa ses sentiments d’impuissance et mit en œuvre son grand talent d’homme politique réaliste, ce qui lui valut un mandat de chancelier, puis un Prix Nobel de la paix.

Sur le conseil d’Egon Bahr, il accepta la nouvelle situation, sachant que quel que soit le niveau d’indignation manifesté par le reste du monde, ce mur resterait là pour un moment. Il donna même l’ordre à la police de Berlin-Ouest de faire usage de bâtons et de canons à eau contre ceux qui manifestaient contre le mur, afin de ne pas glisser de la catastrophe de la division à la catastrophe encore bien plus grande de la guerre. Il suivit le paradoxe que Bahr formula plus tard de la manière suivante : « Nous avons pris acte du statu quo pour mieux le changer. »

Et ils réussirent à accomplir ce changement. Brandt et Bahr firent des intérêts particuliers de la population de Berlin-Ouest, dont ils étaient maintenant responsables (à partir de juin 1962, l’auteur de ces lignes est également concerné), la règle de leur politique.

A Bonn, ils négocièrent la Subvention de Berlin, une réduction de 8% des charges salariales et de l’impôt sur le revenu. Dans le jargon, on l’appelait « la prime de la peur ». Ils négocièrent aussi un traité autorisant les déplacements avec Berlin-Est, ce qui rendit le mur de nouveau perméable deux ans après sa construction. Entre Noël 1963 et le nouvel an 1964, 700 000 habitants de Berlin purent rendre visite à des membres de leur famille dans l’est de la ville. Chaque larme de joie se transforma en vote pour Brandt un peu plus tard.

Les électeurs se rendirent compte que c’était là quelqu’un qui voulait agir sur leur vie quotidienne, pas uniquement faire la une des journaux du lendemain. Dans une situation presque désespérée, cet homme du SPD se battit pour les valeurs occidentales – en l’occurrence la liberté de mouvement – sans mégaphones, sans sanctions, sans menaces de recours à la violence. Les élites de Washington commençèrent à entendre des mots qui n’avaient jamais été entendus auparavant en politique. Compassion. Changement par le rapprochement. Dialogue. Réconciliation des intérêts. Et ce en pleine guerre froide, quand les puissances mondiales étaient censées s’attaquer venimeusement, quand le scénario ne contenait que des menaces et des protestations. Lançons des ultimatums, mettons en place des blocus maritimes, menons des guerres par procuration, c’était de cette manière que la guerre froide était censée être conduite.

La politique étrangère allemande s’efforçant à la réconciliation – au départ simplement la politique étrangère de Berlin – n’apparaissait pas seulement courageuse, mais aussi très curieuse.

Les Américains – Kennedy, Johnson, puis Nixon – suivirent les Allemands, ce qui lança un processus sans précédent dans l’histoire de nations ennemies. Enfin, il y eut une rencontre à Helsinki pour en fixer les règles. L’Union Soviétique obtint la garantie d’une « non-ingérence dans ses affaires intérieures » qui remplit de satisfaction le leader du parti, Leonid Brejnev et irrita Franz Josef Strauss au plus haut point. En retour, la direction du parti communiste de Moscou dut garantir à l’Occident (et donc à ses propres sociétés civiles) un « respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, incluant la liberté de conscience, de croyance et de religion ».

Ainsi, la « non-ingérence » fut acquise par le biais de la « participation de chacun aux affaires de l’autre ». Le communisme reçut une garantie éternelle de maintien de son territoire, mais à l’intérieur de ses frontières, les droits de l’homme commencèrent soudain à poindre. Joachim Gauck se souvient : « Le mot qui a permis à ma génération de tenir bon était Helsinki.»

Il n’est pas trop tard pour que le duo Merkel / Steinmeier utilise les concepts et les idées de ce temps. Il n’y a pas de raison de suivre simplement un Obama sans vision stratégique. Tout le monde peut observer que Poutine et lui sont se dirigent comme dans un rêve en plein vers un panneau marqué : impasse.

« Le test en politique n’est pas la manière dont quelque chose commence, mais dont elle finit », dit Henry Kissinger, un autre Prix Nobel de la paix. Suite à l’occupation de la Crimée par la Russie, il déclarait:« Nous devrions vouloir la réconciliation, pas la domination. Diaboliser Poutine n’est pas une politique. C’est l’alibi d’une absence de politique ». Il conseille de condenser les conflits, c’est-à-dire de les rendre plus petits, de les réduire, puis d’en faire sortir une solution.

Pour le moment (et depuis un bon bout de temps déjà), l’Amérique fait l’inverse. Tous les conflits sont systématiquement aggravés. L’attaque d’un groupe terroriste appelé Al Qaida est transformée en campagne mondiale contre l’Islam. L’Irak est bombardé sous des prétextes douteux. Puis l’US Air Force poursuit son vol vers l’Afghanistan et le Pakistan. On peut avancer sans risque que la relation avec le monde musulman est abîmée.

Si l’Occident avait jugé le gouvernement américain d’alors, qui avait envahi l’Irak sans résolution de l’ONU et sans preuve d’existence d’armes de destruction massive, suivant les mêmes standards que nous appliquons à Poutine aujourd’hui, alors George W. Bush aurait immédiatement été interdit d’entrée sur le territoire de l’UE. Les investissements étrangers de Warren Buffett auraient été gelés; l’exportation de voitures des marques GM, Ford et Chrysler, bannis.

La tendance américaine à l’escalade verbale puis militaire, l’isolation, la diabolisation et l’attaque d’ennemis ne s’est pas montrée efficace. La dernière action militaire majeure réussie des Etats-Unis a été le débarquement en Normandie. Toutes les autres – la Corée, le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan – ont été des échecs patents. Déplacer des unités de l’Otan vers la frontière polonaise et envisager d’armer l’Ukraine sont le prolongement d’une absence de diplomatie compensée par des moyens militaires.

La politique consistant à foncer tête la première dans le mur – et à le faire précisément là où le mur est le plus épais – ne vous donnera qu’un mal de tête et pas grand chose d’autre. Et ce, en considérant qu’une large porte s’ouvre dans ce mur pour les relations de l’Europe envers la Russie. Et la clé de cette porte est étiquetée « conciliation des intérêts ».

La première étape est appelée par Brand « compassion », c’est-à-dire la capacité à voir le monde à travers le regard des autres. Nous devrions arrêter d’accuser 143 millions de Russes sous prétexte qu’ils n’ont pas la même vision du monde que John McCain.

Ce qu’il faut ce sont des aides à la modernisation du pays, pas des sanctions qui vont encore l’appauvrir et nuire à l’ensemble des relations. Les relations économiques font aussi partie des relations. La coopération internationale est semblable à de la tendresse entre nations, car tout le monde se sent mieux par la suite.

Il est bien connu que la Russie est une superpuissance énergétique et qu’à la fois, elle est aussi une nation industrielle en développement. La politique de réconciliation et d’intérêts communs devrait cibler cet angle. Une aide au développement en échange de garanties territoriales ; le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier avait même trouvé les mots justes pour la décrire : partenariat de modernisation. Il lui faut juste dépoussiérer cette formule et l’utiliser comme un slogan ambitieux. La Russie devrait être intégrée, pas isolée. De petits pas dans cette direction sont préférables à la grande absurdité des politiques d’exclusion.

Brandt et Bahr n’ont jamais cherché à utiliser l’outil des sanctions économiques. Ils savaient pourquoi : on ne connaît aucun cas dans lequel des pays sanctionnés aient présenté des excuses pour leur comportement, puis soient restés dociles. Au contraire : des mouvements collectifs se lèvent en soutien au pays sanctionné, comme en Russie aujourd’hui. Le pays a rarement été aussi soudé derrière son président qu’en ce moment. Cela vous ferait presque penser que les agitateurs de l’Ouest sont employés par les services secrets russes.

Encore un commentaire sur le ton du débat. L’annexion de la Crimée a été faite en violation du droit international. Le soutien aux séparatistes en Ukraine de l’Est ne cadre pas avec les idées que nous avons de la souveraineté d’un État. Les frontières des États sont inviolables.

Mais chaque acte doit être pris dans son contexte. Et le contexte allemand est que nous sommes une société qui est dans la situation d’un criminel en probation, qui ne peut pas agir comme si les violations du droit international avaient commencé avec les évènements en Crimée.

Au cours des cent dernières années, l’Allemagne a livré par deux fois la guerre à son voisin de l’Est. L’âme allemande, que nous affirmons généralement romantique, a montré son côté cruel. Bien entendu, nous qui sommes venus plus tard, nous pouvons continuer à proclamer notre indignation envers l’impitoyable Poutine et en appeler au droit international contre lui, mais au vu du contexte, cette indignation devrait se manifester avec une certaine pudeur. Ou, pour reprendre les mots de Willy Brandt, « Les prétentions à l’absolu menacent l’Homme ».

Finalement, même les hommes qui avaient succombé à la fièvre guerrière en 1914 durent en prendre conscience. Après la fin de la guerre, les pénitents lancèrent un second appel, cette fois-ci pour une bonne entente entre les nations : « Le monde civilisé a été un camp militaire et un champ de bataille. Il est temps qu’une grande vague d’amour remplace la vague destructrice de la haine ».

Nous devrions essayer d’éviter ce détour par les champs de bataille au XXIe siècle. Il n’est pas nécessaire que l’histoire se répète. Peut-être pouvons-nous trouver un raccourci.

Gabor Steingart

Source: http://www.les-crises.fr/l-occident-fait-fausse-route/


Russie-Ukraine : la diplomatie va-t-elle reprendre ses droits ? par Isabelle Facon

Tuesday 26 August 2014 at 04:28

Isabelle Facon est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et maître de conférences à l’École polytechnique.

Intéressant papier publié, une fois de plus, par Le Figaro (qui loin d’être parfait laisse passer bien plus de papiers équilibrés que Le Monde ou le Nouvel Obs.

Alors qu’Angela Merkel vient de se rendre à Kiev, Isabelle Faucon analyse les divergences qui ont empêché le dialogue entre les différents acteurs du conflit.

Angela Merkel, en se rendant à Kiev ce week-end, a voulu ramener la diplomatie au centre du jeu ukrainien. Cet effort fait suite à l’initiative franco-allemande de la semaine passée (réunion entre les ministres des Affaires étrangères ukrainien et russe en présence de leurs homologues français et allemand) et précède une rencontre Porochenko-Poutine à Minsk, le 26 août, en marge d’un sommet de l’Union douanière, avec la participation de hauts représentants de l’Union européenne. L’effort diplomatique des Européens traduit leurs craintes que la situation en Ukraine, hautement volatile, pourrait atteindre prochainement un nouveau paroxysme alors que l’armée ukrainienne tente une initiative décisive pour reprendre deux bastions séparatistes, Louhansk et Donetsk, et que le ton se durcit considérablement entre Kiev et Moscou, entre la Russie et le monde occidental.

Il faut dire que, jusqu’à récemment, les éléments de modération n’ont finalement jamais eu le loisir de s’exprimer pleinement.

La Russie n’a jamais, contrairement à ce qu’elle a annoncé à plusieurs reprises, fermé hermétiquement sa frontière avec l’Ukraine, par laquelle sont passées toutes formes d’aides – hommes, matériels, vivres… – avec et sans le visa des autorités russes. La pression militaire russe n’a quasiment jamais cessé, et l’intense propagande officielle a compromis l’apaisement dans les relations avec Kiev, celles-ci étant actuellement réduites au minimum.

Des voix, notamment à l’OSCE, ont regretté le choix par Kiev des termes «terroriste» et «séparatiste» pour qualifier les forces diverses en action dans l’est de l’Ukraine et qui n’étaient pas toutes parties d’un agenda séparatiste. Si cela a permis de justifier une campagne militaire assez indiscriminée, apparemment perçue par Kiev et Washington comme le seul moyen d’assurer l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine, cela a dégradé profondément les relations entre les différentes Ukraines. Après l’annexion de la Crimée, le gouvernement ukrainien ne pouvait que faire preuve de fermeté et de prudence face à Moscou et ses relais dans l’Est, mais en s’attachant aussi à consolider la société ukrainienne par tous les moyens.

Beaucoup de médias occidentaux ont, qui par facilité, qui par projet, opté pour une présentation insuffisamment complexe des enjeux, des intérêts et des responsabilités des acteurs en présence. Cela a directement contribué à brouiller les options diplomatiques et à compliquer les voies du dialogue. La crise a également cristallisé des tensions au sein de la communauté des chercheurs et des experts, entrant dans un jeu d’accusations mutuelles parfois violentes. Cela, aussi, a concouru à priver le débat de la nuance qu’il aurait méritée. Tous ces éléments se sont associés au cours des derniers mois pour miner les perspectives d’une sortie de crise selon des modalités moins délétères. [...]

Lire la suite ici : Isabelle Facon, Le Figaro, 25 aout 2014

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J’en profite pour reprendre une vieille interview du 3 mars, où Mme Facon débat avec la dispensable Marie Mendras :

Source: http://www.les-crises.fr/russie-ukraine-la-diplomatie-va-t-elle-reprendre-ses-droits/


Les manifestations anti-guerre se multiplient en Ukraine, tandis que le gouvernement mène une guerre à tout-va dans le sud-est et que l’Otan menace la Russie, par Roger Annis

Tuesday 26 August 2014 at 02:23

Rabble.ca,  par Roger Annis – 31 juillet 2014

Une vague grandissante de manifestations contre la guerre et la conscription s’étend dans les villes de l’ouest de l’Ukraine . Les manifestations ont débuté après l’annonce, par le président ukrainien Petro Porochenko, il y a dix jours, d’une troisième phase de mobilisation. Celle-ci est jugée nécessaire pour la guerre, qualifiée par Kiev d’« opération anti-terroriste » et entamée il y a trois mois, contre la population d’Ukraine orientale. Parallèlement à ces manifestations, les désertions dans l’armée et les refus d’obtempérer aux ordres de mobilisation se multiplient.

La proposition de mobilisation de Porochenko a été approuvée par la Rada ukrainienne le 22 juillet. Cette mesure signifie que davantage de personnes vont être mobilisées et que plus d’unités de réservistes vont être envoyées au front.

Depuis le crash du vol MH17, Kiev s’est lancé dans une offensive frénétique dans le sud-est de l’Ukraine pour essayer de venir à bout d’une rébellion autonomiste. Cette offensive bloque l’accès des enquêteurs au site du crash du MH17, et sa première phase consiste en des bombardements massifs et aléatoires de villes et villages constituant des crimes de guerre à grande échelle. (proposition : … du MH17, et la ligne de front de l’offensive est impliquée dans un bombardement massif et aléatoire des communes et des villes constituant, de fait, un crime de guerre à grande échelle)

Cette vidéo du bombardement d’un ensemble de logements dans la ville de Donesk, le 29 juillet, est un exemple de ce qui est en train de se passer. Buzzfeed rapporte : « Avec l’attaque de mardi, c’est la première fois que des bombardements ciblent le centre de Donetsk, un bastion rebelle jusque-là tranquille, occasionnant trois morts et quinze blessés. La ville toute proche de Horlivka a décrété trois jours de deuil après que des tirs fournis eurent tué dix-sept personnes en une nuit et blessé des douzaines d’autres. Au moins quatre autres personnes sont mortes dans les bombardements de Yasynuvata, dans la banlieue de Donetsk. »

Kiev s’est lancé dans une course contre-la-montre pour mater la rébellion avant que les coûts des opérations ne deviennent prohibitifs et que les manifestations anti-guerre et les désertions ne l’obligent à interrompre son offensive. Kiev doit également se préoccuper des révoltes prévisibles de la population ukrainienne dans son ensemble, dès lors que se feront sentir, de plus en plus douloureusement, les sévères conséquences de l’accord d’association économique que Kiev a signé avec l’Union européenne le 30 juin dernier.

Les protestations s’amplifient

 

 

 

Bien que les sites internet de propagande du gouvernement de Kiev vantent les succès de son « opération antiterroriste », en cours menée depuis maintenant trois mois dans l’est de l’Ukraine (qu’il appelle « OAT » / « ATO » en anglais), la mesure spéciale de mobilisation approuvée la semaine dernière montre que l’armée ukrainienne est en difficulté. Davantage d’unités de combat sont nécessaires, le Trésor public est en réalité en faillite à cause de tout cela, le nombre de désertions dans l’armée augmente, tout comme s’amplifient les protestations des mères, épouses, amis et voisins des soldats conscrits. La chaîne de télévision ICTV rapporte que le conseiller auprès du ministre des Affaires intérieures, Anton Gerachenko, a annoncé que toute personne qui fera campagne, via les réseaux sociaux en Ukraine, contre la guerre menée par le régime, sera arrêtée.

La contestation qui prend de plus en plus d’ampleur porte sur plusieurs points ; certains s’opposent catégoriquement à la guerre. D’autres s’interrogent plus spécifiquement sur les conditions particulièrement rudes et dangereuses auxquelles sont confrontés les soldats dans l’Est.

L’une des manifestations les plus spectaculaires depuis l’annonce de la « troisième mobilisation » a eu lieu dans la ville portuaire et industrielle de Mikolaïv (aussi orthographiée Nikolaev) sur la mer Noire, à l’est d’Odessa. Des mères et des femmes de soldats ont bloqué le pont de Varvarovka, au-dessus de la rivière Bug, à plusieurs reprises pendant trois jours, à partir du 25 juillet. Elles réclamaient qu’après leurs longues périodes de service dans le 79e Régiment de parachutistes, leurs fils et époux puissent rentrer. Les tours de services ont été prolongés et ce régiment a été engagé dans des combats intenses. Les femmes ont parcouru à pied le trajet jusqu’au pont avec des pancartes où était inscrit « Sauvez nos garçons ! » et elles ont utilisé un passage piéton pour bloquer la circulation. Des affrontements avec la police et la milice ont eu lieu (voir un enregistrement vidéo spectaculaire ici du 25 juillet).

Le premier jour de la manifestation, les femmes ont rédigé un projet de lettre au Président Porochenko, que le maire de la ville et le gouverneur de la région ont accepté de lui porter. Elles y déclaraient qu’elles resteraient là tant qu’elles n’obtiendraient pas une réponse satisfaisante… qui n’est pas arrivée. Un assaut de la police a mis fin au barrage le 27 juillet. Certaines manifestantes ont été arrêtées.

Les sites internet Hronika.info et ZIK.ua ont mentionné des attaques menées le 22 juillet par des habitants en colère contre le bureau de recrutement de l’armée et des bâtiments abritant d’autres services administratifs locaux dans la ville de Bohorodtchany, dans l’oblast (le district) de Ivano-Frankivsk, au sud-ouest de l’Ukraine, à la frontière de la région des Carpates. Les documents de conscription ont été brûlés. (Source en ukrainien ici)

Il s’agit d’une région rurale et les manifestants criaient un slogan qui revient dans beaucoup de manifestations contre la conscription : ils disent que leurs hommes n’ont ni entraînement, ni équipement correct et que les envoyer à l’Est revient à les condamner à une mort certaine.

« Une mort certaine » pour des soldats n’est pas le signe d’une guerre qui réussit. Cela suggère également que le très récent rapport du Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, qui fait mention « d’au moins » 1 129 victimes dûe à la guerre en Ukraine, est sérieusement en deçà de la vérité. De fait, le chiffre estimé dans ce rapport de 100 000 personnes ayant fui à cause de la guerre est ridiculement bas – la Russie affirme que plus de 500 000 réfugiés ont passé la frontière depuis le début de la guerre en avril, et l’Ukraine admet qu’il y a presque 100 000 réfugiés sur son propre territoire.

La Russie a condamné ce dernier rapport du BHCNUDH, en ces termes : « Le message clef [de ce rapport] est que le gouvernement ukrainien est autorisé à exercer son droit légitime lorsqu’il utilise la force pour restaurer la loi et l’ordre dans l’est du pays. »

Le 22 juillet, des habitants du village de Skobychivka ont formé une chaîne humaine en se tenant par les bras pour bloquer la route menant d’Ivano-Frankivsk à Bohorodchany, produisant un embouteillage d’un kilomètre. Les manifestants tenaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Pas d’Afghanistan en Ukraine ! » « Envoyez des ordres de rappel sous les drapeaux aux enfants des dignitaires ! », « Rendez-nous nos enfants » et « Halte au bain de sang ». Le slogan « Refusez ! » est très répandu dans ces manifestations.

Un autre reportage dans Vesti citait rapporte que les parents de soldats déclarent que leurs fils servent de « chair à canon ». Le reportage mentionnait d’autres manifestations à Yaremtcha, dans la même région, et à Sambor, dans la région de Lviv.

Non loin de là, en Bucovine, les habitants de sept villages ont bloqué plusieurs routes le 28 juillet. Cette région du sud-ouest de l’Ukraine abrite une importante population d’origine roumaine.

Une vidéo publiée par 112.UA montre des proches de soldats qui, le 24 juillet, ont bloqué une route dans le district d’Oboukhivs’kyi, près de Kiev, pour exiger le retour de soldats après une longue période d’activité. Le 28 juillet, des manifestants dans la région d’Odessa ont bloqué l’autoroute sur la côte de la mer Noire pendant plusieurs heures.

Les habitants de six villages des environs de Sokyryanskyi (dans l’oblast de Tchernivtsi) – Bilousivka, Lomachyntsi, Mykhalkove, Serbytchany, Korman and Romankivtsi – ont bloqué l’autoroute entre Tchernivtsi et Novodnistrovsk dans la matinée du 25 juillet, pour exiger que leurs hommes ne soient pas envoyés à la guerre.

Les manifestations se sont multipliées dans toute la région de Tchernivtsi au sud-ouest de l’Ukraine. Sur un enregistrement vidéo, des personnes affirment : « On veut la paix, pas la guerre » et « On n’a pas élevé nos enfants pour la guerre. Ils ne les auront pas ! »

Cette vidéo (voir ci-dessous) montre un groupe de personnes de Tchernivtsi, principalement des femmes, se rassembler pour affronter un officier de recrutement du bureau local. Elles brandissent les ordres de conscription de leurs fils ou de leur mari.

« Votre guerre, faites-là vous-mêmes », disent-elles à l’officier de conscription qui leur répond « d’aller sur internet » si elles souhaitent connaître les raisons de cette nouvelle mobilisation. Il fait référence à l’intense propagande des sites du régime de Kiev consacrés à tout ce qui touche à l’OAT (« opération anti-terroriste »). Mais les manifestants n’en ont cure et empilent des ordres de conscription de couleur bleue par dizaines afin de les brûler.

Regroupées autour des flammes, elles expriment leur point de vue. Une mère dit : « [les autorités de Kiev] quittent le navire comme des rats, mais ils viennent ici pour prendre nos fils et les envoyer à la mort. Ce sont eux qui ont causé ce désastre et maintenant ils ont besoin de nous pour remettre de l’ordre ». L’officier de conscription reste là, impuissant. Que peut-il faire ? Il obéit aux ordres. Dans le village de Marchintsi dans la région de Novoselytskyy de l’oblast de Tchernivtsi, les manifestants ont bloqué l’entrée aux soldats et à la police. Les habitants ont apporté des pneus et barricadé la rue menant à l’intérieur du village. Beaucoup d’entre eux ont écrit des lettres de refus, qui décrivent les événements dans le sud-est comme un massacre.

Le 20 juillet, l’autoroute Kiev-Tchop a été bloquée par des résidents locaux, pour la plupart des femmes, non loin du village de Hamaliivka, près de Lviv. Une manifestation, le mois dernier, a également bloqué l’autoroute. La même autoroute a été bloquée le 28 juillet, dans les villages de Rakochyno et de Znyatsevo, près des frontières de la Slovaquie et de la Hongrie.

Dans une des toutes dernières vidéos postées sur YouTube, on peut voir une manifestation dans la ville de Novoselytsya (oblast de Tchernivtsi), le 30 juillet dernier.

Dans nombre de ces manifestations, le mot d’ordre est « Pas d’Afghanistan en Ukraine ». Ce slogan renvoie à la guerre de dix ans que l’Union soviétique a livrée contre le peuple d’Afghanistan, dans les années 80. Au total 14 500 soldats de l’Union soviétique y ont péri, 54 000 ont été blessés, et beaucoup, beaucoup plus d’Afghans y ont trouvé la mort. Cette guerre a été un facteur déterminant dans l’effondrement de l’Union soviétique, qui s’est produit en 1988, peu de temps après une défaite humiliante suivie d’un retrait d’Afghanistan.

Après l’ère soviétique, l’Ukraine désormais indépendante s’est jointe à la guerre et à l’occupation américaine en Afghanistan. Une force modeste y participe encore.

Le journaliste et commentateur ukrainien bien connu Ostap Drozdov a appelé au boycott du dernier décret de mobilisation. Le site internet Russkaya Vesna (Printemps russe) rapporte ses propos : « Mon programme d’hier (sur la chaîne régionale ZIK) peut être considéré comme le début d’une campagne informelle pour le boycott de cette mobilisation. J’y déclare mon soutien total à cette initiative, qui porte le nom provisoire de « Mobilisation Égale Génocide ». »

Il ajoute : « C’est vraiment important que les gens opposés à la mobilisation de la population civile sachent qu’ils ne sont pas isolés. Il y a en a beaucoup d’autres comme eux. »

L’armée en difficulté

 

 

Le nombre exact de désertions est inconnu , et fait l’objet de vifs débats. Ce site Internet publie, par exemple, un rapport présumé de l’armée ukrainienne affirmant que près de 3 500 soldats ont déserté au cours de la troisième semaine de juillet, que 1 600 soldats sont morts et 4 700 ont été blessés au cours de la même période. Des sources en Russie affirment que les documents cités ne sont pas authentiques.

Voici un bref article de presse dans lequel plusieurs soldats ukrainiens parlent de leur décision de demander asile en Russie. (de nombreuses vidéos de combats dans l’est de l’Ukraine sont postées ici sur la « chaîne YouTube Anti-Maidan »)

Cette vidéo montre une manifestation à Kiev des familles de la 72e Brigade militaire, qui ont subi de lourdes pertes lors d’une attaque à la roquette il y a quelques jours. Les protestataires scandent « Aidez les héros ». Sur une pancarte, on lit : « Envoyez les députés [de la Rada] et les généraux sur le champ de bataille ! » Ils prient et chantent l’hymne national ukrainien.

La brigade a été prise dans un macabre chaudron, dans le sud-est de l’Ukraine, il y a eu de nombreux morts, blessés et quelques survivants qui ont trouvé refuge en Russie. Dans cette vidéo, des soldats de la brigade parlent, pendant 13 minutes, de leurs difficultés et de leur expérience bouleversante du combat.

L’agence Interfax, pro-Kiev, parle de 18 soldats ukrainiens qui ont trouvé refuge en Russie et y ont reçu des soins médicaux. Russia Today a parlé, il y a quelques jours, de ce groupe de 40 soldats qui ont pénétré en Russie pour y demander l’asile.

Un fasciste recyclé présente une proposition de loi de conscription

 

 

 

Andriy Parubiy a déposé un « troisième » projet de loi de mobilisation à la Rada. Il est secrétaire à la sécurité nationale et au conseil de la défense, une importante institution de conseil au Président et au Parlement en matière d’affaires militaires. Selon lui, la mesure va mobiliser 15 unités de combat de plus et 44 unités de soutien.

Parubiy est un fasciste bien connu en Ukraine qui a modifié son image au cours de l’année passée et s’est élevé dans la hiérarchie du régime qui a pris le pouvoir à Kiev en février dernier. En 2013, il a rejoint le parti « Patrie » de l’ancienne Premier ministre Ioulia Timochenko et a été élu à la Rada. « Patrie » est un parti-coalition néo-conservateur.

Le journaliste américain Robert Parry écrivait, il y a peu de temps, au sujet de Parubiy « Parubiy est lui-même un néonazi bien connu, qui a fondé le parti National-Socialiste d’Ukraine en 1991. Ce parti mélange un nationalisme radical ukrainien avec des symboles néonazis. »

« Parubiy a également formé un groupe paramilitaire, les Patriotes d’Ukraine, et a soutenu la remise [en 2007] (à titre posthume) du titre de « Héros de l’Ukraine » au collaborateur nazi de la Seconde Guerre mondiale, Stepan Bandera, dont les propres forces paramilitaires ont (auraient) exterminé des milliers de Juifs et de Polonais en vue d’aboutir à une Ukraine racialement pure. »

Les États-Unis renforcent leur aide et leurs actions de formation militaire en Ukraine. L’annonce vient de l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt, le 25 juillet. Les États-Unis ont déjà investi 23 M$ en équipement; leur aide se montera donc désormais à 33 M$. Ils interviennent également dans les pays qu’ils dominent dans la région afin de renforcer la formation et l’équipement de leurs armées, y compris en Moldavie et en Roumanie à la frontière sud-ouest de l’Ukraine, ainsi que du côté nord-ouest, en Pologne.

Le bombardement sans pitié de villes et villages par Kiev tourne court en raison du gigantesque coût financier de la guerre.

A propos de l’économie de l’Ukraine, voici ce qu’écrivait, le 26 juillet, le Washington Post :

« Le FMI prévoit que le PIB de l’Ukraine chutera de 6,5 % cette année, et que le déficit public atteindra 10,1 % du PIB. Cette semaine, le gouvernement a déclaré qu’il lui faudrait au moins 800 millions de dollars pour poursuivre les opérations de contre-insurrection et a demandé au Parlement de voter une augmentation supplémentaire des impôts et une réduction des dépenses publiques. Le refus des députés d’affecter les fonds nécessaires a provoqué la démission du premier ministre Arseniy Yatsenyouk, qui a dû admettre que les soldats ne recevraient pas leur solde le mois prochain. La reconstruction du Donbass est, elle, encore plus incertaine puisque le gouvernement a promis de se tourner vers des donateurs étrangers afin de récolter des fonds cet automne. »

La semaine dernière, l’ambassadeur d’Ukraine au Canada, Vadym Prystaiko, a fait cet aveu extraordinaire au Globe and Mail, « Nous injectons tout l’argent de notre budget…dans la campagne d’anti-terrorisme. »

De manière scandaleuse, la guerre ne fait absolument aucun cas de l’enquête internationale portant sur la tragédie du vol Malaysia Airlines MH17. Le 27 juillet et les jours suivants, les bombardements continus et autres pilonnages d’artillerie de l’armée ukrainienne dans la région ont empêché les enquêteurs de se rendre sur le site.

Comme les médias internationaux s’en sont fait l’écho, les inspecteurs sont logés dans des hôtels de Donetsk et traversent sans difficultés les lignes d’autodéfense pour accéder au site. Mais au fil des jours, ces mêmes médias ont imputé le blocage à des « combats » et « échanges de tirs ».

Le 30 juillet, la propagande de Kiev a commencé à prétendre que les combattants rebelles avaient placé des mines sur le site du crash et le bombardaient. Une histoire qui a disparu dès le lendemain lorsque, dans des circonstances inexpliquées, les inspecteurs ont finalement rejoint le site.

La sinistre réalité de la campagne militaire de Kiev dans l’est de l’Ukraine a été escamotée par les grands médias. Aucune image, ou presque, des bombardements et autres crimes de guerre ne passe les filtres éditoriaux. La guerre et ses conséquences ne sont expliquées qu’avec des mots vides de sens comme « combats » ou « échanges de tirs ». Tanya Talaga du Toronto Star commence son article du 30 juillet par : « L’Union européenne et les pays occidentaux se sont mis d’accord [le 29 juillet] pour tenter de forcer le président russe, Vladimir Poutine, à arrêter son agression militaire en Ukraine…» (Dans le même numéro, le Toronto Star publiait un décompte exact des villes et villages bombardés).

L’Union européenne complète l’offensive de l’armée ukrainienne en aggravant ses sanctions économiques contre la Russie. Ces sanctions sont une punition infligée à la Russie, pour son refus d’obéir aux États-Unis et à l’UE qui exigaient qu’elle contrôle les mouvements pro-autonomistes dans l’est de l’Ukraine et les oblige à se rendre. Les sanctions participent à la volonté de longue date des pays membres de l’OTAN d’affaiblir et d’isoler la Russie.

L’essor du mouvement anti-guerre en Ukraine a des conséquences profondes pour l’avenir du pays. Les contestations arrêteront-elles la guerre menée par Kiev avant que le sud-est de l’Ukraine ne soit plus qu’un champ de ruines ? Qu’ils viennent d’Ukraine ou du reste du monde, ces mouvements de protestation réussiront-ils à faire réfléchir des stratèges de l’OTAN qui ont de plus en plus la Russie dans leur ligne de mire ?

L’élite économique ukrainienne a pris un virage très serré et a accueili à bras ouverts l’Europe de l’austérité. C’est cette austérité, dont les conséquences ont ravagé la Grèce et d’autres pays d’Europe du Sud, qui attend le peuple ukrainien. Comment les manifestants anti-guerre et les Ukrainiens ordinaires réagiront-ils alors que le gouvernement poursuit sa politique impopulaire de coupes dans les programmes sociaux et réduit les subventions qui abaissent le prix des produits de première nécessité ?

Partout dans le monde, il faut qu’il y ait des manifestations pour faire cesser les faiseurs de guerre dans le sud-est de l’Ukraine. Des actions de solidarité peuvent arrêter les tueries. Elles peuvent aussi aider les Ukrainiens à choisir une nouvelle voie de développement économique et social. Ce ne serait que justice, puisqu’au tout début, c’était bel et bien un refus de l’austérité qui était au coeur de la rebellion dans l’est de l’Ukraine.

Une nouvelle compilation vidéo de 80 minutes, Ukraine Crisis, vient d’être réalisée et constitue un témoignage puissant de la guerre dans l’est de l’Ukraine au cours du mois dernier. Certaines séquences montrant des morts et des destructions causées par les bombardements du gouvernement de Kiev sont très dures, particulièrement celles entre les minutes 4 et 6. Le témoignage de cette femme qui parle pendant cinq minutes à 1’17″30 est particulièrement juste et bouleversant. Elle n’a aucune nouvelle de son fils parti à la guerre depuis mars, et se demande s’il est encore en vie. Elle pose la question: « Qu’est devenue la nation ukrainienne ?»

Cet article est partiellement inspiré d’un article du 28 juillet 2014 publié sur le site russe Rabkor (La correspondance des travailleurs), traduit en anglais par Renfrey Clarke.

Notes :

[1] L’Ukraine est divisée en 25 régions : 24 oblasts (provinces) et la capitale Kiev, au statut spécial. Deux anciens oblasts, Donetsk et Luhansk, ont voté en mai pour l’autonomie. La férocité de la guerre conduite par Kiev les mène à une sécession de fait.

Roger Annis – Traduction collective par les lecteurs du blog www.les-crises.fr 

Source: http://www.les-crises.fr/les-manifestations-anti-guerre-se-multiplient-en-ukraine-tandis-que-le-gouvernement-mene-une-guerre-a-tout-va-dans-le-sud-est-et-que-lotan-menace-la-russie-par-roger-annis/


Ukraine : vers l’effondrement, par Xavier Moreau

Monday 25 August 2014 at 05:00

Billet du 22 aout de Xavier Moreau – avec des informations très intéressantes, mais avec un ton très pro-russe (je vous laisse aiguiser votre esprit critique).

Saint-Cyrien et officier parachutiste, titulaire d’un DEA de relations internationales à Paris IV Sorbonne, il a fondé une société de conseil en sûreté des affaires, et est installé en Russie depuis 14 ans.

Source : Xavier Moreau, RP, 22/08/2014

Le système ukrainien poursuit son effondrement politique, économique et militaire. Le calcul du Kremlin, qui consistait à attendre, que les réalités économiques ramènent le gouvernement oligarchique à la raison, semble fonctionner. La question qui se pose aujourd’hui, est de savoir s’il restera quelqu’un pour assumer les réformes constitutionnelles qui aboutiront à la fédéralisation du pays.

Situation militaire

Le 19 août dernier, Kiev a lancé une nouvelle fois ses forces à l’assaut, et de nouveau sans résultats. En fait, les rebelles laissent approcher les troupes ukrainiennes, et en combat rapproché, la supériorité de l’infanterie de Nouvelle Russie fait la différence, particulièrement contre des troupes démoralisées, ou trop habituées aux beuveries de Maïdan. L’artillerie rebelle, plus professionnelle et manœuvrière, emporte régulièrement les duels contre celle de Kiev, qui ne peut que riposter en bombardant les agglomérations à l’aveuglette.

Les tergiversations sur le convoi humanitaire russe ne sont pas liées à la possibilité que les Russes y aient caché une division parachutiste ou des T-90, mais au fait, que cette aide remet en question les efforts de Kiev pour affamer les habitants de Nouvelle Russie. Toute la stratégie de la Junte repose sur l’espoir de répéter ce qui s’est passé à Slaviansk. Notons que la tentative de couper l’approvisionnement en eau à Donetsk a échoué, l’administration de la ville ayant réussi à rétablir les stations de pompage. Fatigués de l’anarchie kiévienne et confiants dans la maîtrise du terrain par les guerriers de la LNR, les Russes ont envoyé leur convoi qui est arrivé aujourd’hui à Lougansk. La crise humanitaire est désormais impossible à nier pour Kiev, d’autant plus que son armée en est également victime.

L’OSCE continue de donner raison à la Russie, et les soldats ukrainiens, faute de combattre efficacement les guerriers du Donbass, en sont réduits à tourner des vidéos où ils se font passer pour des soldats russes prisonniers. Tandis que Pravy Sektor et le SBU torturent et brutalisent leurs prisonniers, l’armée de Nouvelle Russie met un point d’honneur à traiter les siens correctement. Les Ukrainiens capturés sont autorisés à appeler leur famille restée sans nouvelles. L’effet est dévastateur à l’arrière, car Kiev nie l’hécatombe dont son armée est victime. C’est une nouvelle fois le choc entre la sauvagerie de la modernité occidentale et l’Europe chrétienne.

Les Russes n’ont pas besoin d’envoyer du matériel car, comme le soulignait non sans humour le premier ministre de la DNR, Alexandre Zakharchenko, le fournisseur unique et fiable en matière d’armements pour les rebelles reste l’armée ukrainienne. Du côté russe proviennent certainement des volontaires et de l’argent, mais cette guerre est une guerre civile, que Kiev est en train de perdre, faute d’avoir voulu l’admettre.

Il semblerait que la contre-offensive annoncée régulièrement depuis 3 semaines a commencé. Sur tous les points du front, les forces kiéviennes reculent. L’objectif de la Nouvelle Russie est de contrôler totalement la zone tampon avec la frontière russe et ses liaisons avec Lougansk. Ces premiers objectifs atteints, les fédéralistes pourraient se retourner, si leurs réserves le leur permettent, vers Slaviansk et Marioupol. Les jours qui viennent devraient être décisifs.

Stalingrad puis l’offensive du Têt et peut-être le débarquement du 6 juin 1944

L’état-major de Nouvelle Russie a accompli Stalingrad, car il a contenu les forces d’invasion, tout en préparant sa contre-attaque. Il est sur le point d’accomplir l’offensive du Têt par une attaque qui révèlera aux opinions ukrainiennes et occidentales que la guerre est loin d’être gagnée par Kiev et peut même être perdue. Enfin, dans la mesure où le gouvernement de Kiev a envoyé la majeure partie de ses forces s’épuiser sur le Donbass, il a créé un vide entre Donetsk et les autres villes de l’est : Kharkov, Zaporojie ou Dniepropetrovsk. L’armée allemande s’est retrouvée dans la même situation après la bataille de Normandie.

À la demande de l’ambassade des États-Unis, les médias français ont expliqué cette débâcle par un changement de stratégie, « un calcul intelligent », comme l’a appelé Harold Hyman. Tout aussi incompétent que ses homologues français, il mélange allègrement munitions éclairantes et bombes au phosphore, comme Frédéric Encel confond les T64, fabriqués à Kharkov, avec des T72. Admettons pour sa défense que contrairement à ses confrères français, le journaliste américain a au moins le mérite d’être sympathique et rigolo.

Situation économique

Le Premier Ministre Iatsenouk, que certains avaient tendance à considérer, à tort, comme modéré et raisonnable, se ridiculise avec ses sanctions contre la Russie. Les Européens ont appris avec effarement qu’il était question de couper les arrivées de gaz, du côté ukrainien. L’incrédulité a succédé à l’effarement quand il a proposé la privatisation partielle du réseau ukrainien de transit du gaz russe. Les installations sont dans un tel état de délabrement, que personne ne voudra sérieusement y investir. Shell a d’ailleurs immédiatement décliné l’offre, préférant collaborer avec la Russie. Tout le monde attend « South Stream », alors que les Bulgares, qui ont été menacés par John MacCain et l’UE, ont gelé le projet contre leurs propres intérêts. Il sera intéressant de voir comment le gouvernement bulgare expliquera cela à sa population, cet hiver, si Kiev coupe le gaz.

En effet, l’hiver arrive, mais pas le gaz. Les approvisionnements alternatifs se révèlent être une fable, comme nous l’avons annoncé depuis le début. Au déficit de gaz, qui empêchera de chauffer correctement les maisons pendant l’hiver, et d’avoir de l’eau chaude, s’ajoute celui du charbon (majoritairement extrait dans le Donbass). Dans 40 jours, l’Ukraine va passer du statut d’exportateur à celui d’importateur. La production d’électricité, où l’Ukraine est également exportatrice devrait être gravement affectée, notamment à Kiev. Dans la mesure où les Ukrainiens se sont précipités sur les chauffe-eau et les chauffages électriques, il faut s’attendre à des « black-out » cet hiver. L’aide du FMI est prévue pour le 29 août, mais elle n’est pas garantie. Étant donné la situation, le ministre de l’économie, Pavel Sheremet, a démissionné le 21 août.

Situation politique

La démission du ministre de l’économie n’est pas un cas isolé. Parouby a quitté le conseil de sécurité national complètement, après avoir renoncé il y a deux semaines au secrétariat général. Tatiana Tchernovol, autre figure hystérique du bandérisme militant a, quant à elle, quitté son ministère de la lutte contre la corruption.

Le gouvernement ukrainien s’est soumis aux menaces de Iarosh. Le chef du « Pravy Sektor », ne supportant pas que ses sbires soient arrêtés pour trafic d’armes, avait menacé de quitter le Donbass pour remonter sur Kiev. Des rumeurs circulent, sur le fait que Petro Porochenko aurait demandé son élimination et que les unités nazies, dont l’absence de professionnalisme en fait des cibles faciles pour les rebelles, seraient envoyées dans les zones les plus dangereuses pour y être taillées en pièces (le déploiement tragi-comique de cette unité sur cette vidéo, entrainerait un renvoi immédiat de l’École d’Application de l’Infanterie). Plusieurs leaders radicaux ont ainsi été blessés ou tués. L’efficacité de Iarosh n’est pas sans nous rappeler celle d’un autre grand stratège de la deuxième mondiale.

L’arbitraire règne partout en Ukraine. Les enlèvements et les tortures se multiplient. Les échanges de prisonniers et des dépouilles mortuaires apportent des témoignages effrayants sur les traitements subis dans les geôles de Kiev. Comme si cela ne suffisait pas, le Président Porochenko a signé un décret autorisant une détention de 30 jours sans décision d’un juge. Comme quoi, les valeurs américaines finissent par se répandre en Ukraine.

Maïdan a été déblayé, au moins en partie. Vitali Klitchko a mis la main à la pâte et n’a jamais été aussi populaire que depuis qu’il remplit des bennes à ordures, en évitant de parler. Le gouvernement ne passera donc plus devant le soviet de Maïdan. Cela n’a pas éveillé de protestation chez Anne de Tinguy, qui s’était pourtant laissée, avec beaucoup de sensualité, submerger par le bonheur, le 26 février dernier, devant l’érection de ce système politique fabuleux et original.

Dans les Carpates, les Hongrois demandent désormais leur autonomie, avec le soutien du parti nationaliste hongrois, le Jobbik. On sourit, en pensant à ceux, qui voulaient unir les nationalistes de toute l’Europe. Nous attendons avec impatience la réaction de Svoboda et de son leader Tiagnibok. Pour Kiev, la situation est des plus délicates. La Hongrie est non seulement membre de l’OTAN, mais aussi un pays ami de la Russie, dont elle partage les valeurs chrétiennes, en attendant de transporter son gaz.

Relation russo-ukrainienne

Le Président Porochenko s’apprête à rencontrer Vladimir Poutine à Minsk, le 26 août prochain, mais sa marge de manœuvre est limitée. Yulia Timochenko, qui n’a toujours pas digéré sa défaite aux présidentielles, l’attend en embuscade avec une accusation de trahison, pour le cas où le Président ukrainien accepterait la fédéralisation. Elle est soutenue par Igor Kolomoïski, qui est en train de s’emparer d’Odessa et qui peut mettre à la disposition de la « princesse du gaz », son armée privée, que composent les bandes armées du « Pravy Sektor ».

Si Porochenko veut faire bouger les choses et notamment la constitution ukrainienne il devra, tôt ou tard, mettre sa démission dans la balance. Élu pour faire la paix, il est de plus en plus impopulaire en Ukraine et risque de perdre les élections parlementaires. Il bénéficierait dans ce cas-là des soutiens français et russe. La question est de savoir, si Angela Merkel, qui doit le rencontrer à Kiev le 23 août, sera capable d’oublier son propre revanchisme anti-russe.

La Russie est désormais le seul pays qui semble s’intéresser aux résultats de l’enquête sur la destruction du Boeing malaysien. Gageons que la publication du rapport, si elle a lieu, devrait être un grand moment dans l’histoire des médias français, dans le même genre que l’assassinat de James Foley, soit disant détenu par Bachar al-Assad depuis 2012.

Échec des sanctions

Les sanctions sont un échec quasi-total. L’UE, qui ne doute décidemment de rien, vient de demander à l’Amérique du Sud de sanctionner la Russie, ainsi qu’à la Serbie. La réponse ne s’est pas fait attendre des uns comme des autres. Côté américain, c’est sur la Chine et la Corée que Washington espère, avec beaucoup d’optimisme et de candeur, faire pression. Le Japon continue à faire semblant. Les agriculteurs russes et serbes peuvent ainsi dire un grand merci à l’UE et à l’OTAN. De son côté la Russie battra en 2014 son record de production de blé, et vient d’ailleurs de signer un contrat de livraison avec l’Égypte dans le cadre de la reprise de la politique arabe, héritée de l’Union Soviétique. Grâce aux sanctions, la valeur en bourse des actions des sociétés agricoles russes a augmenté de 20%.

Les 125 millions d’euros proposés par l’UE n’étant qu’une goutte d’eau dans l’océan du désastre, les idéologues européistes tentent d’expliquer aux producteurs européens que c’est encore plus dur pour les Russes. Même si cela était vrai, ce serait une bien piètre consolation pour les paysans français, qui, contrairement à Bruxelles et Washington, ne sont pas en guerre contre la Russie. Pas plus pour les Lettons, qui n’en peuvent plus eux aussi, ou que les Espagnols, qui protestent désormais ouvertement. Le pauvre Jacques Rupnik voyait dans la crise ukrainienne un test pour l’Europe (en fait l’UE, mais la nuance est trop subtile pour son enthousiasme de supporter de football). Il va être servi.

L’UE et l’OTAN vivent toujours dans les années 1990, et il est temps que la France rentre dans le XXIème siècle et cesse de s’occuper des caprices de la Pologne pour se tourner vers les BRICS et l’Asie. Dans l’immédiat, la France a bien joué sa partie lors du salon de l’armement, qui s’est tenu à Moscou du 13 au 17 août, et où Dimitri Rogozine a annoncé que les sociétés qui avaient été présentes dans les moments difficiles ne seraient pas oubliées.

Concernant Exxon Mobil, que nous avions évoquée lors de notre dernière analyse, la compagnie pétrolière n’a pas manifesté d’intérêt pour les tuyaux rouillés de Naftogaz. Elle a, en revanche, inauguré en direct avec Vladimir Poutine et Igor Setchine (qui se trouve sur toutes les listes de sanctions) son premier forage américano-russe en Arctique, le 9 août dernier.

La Russie attend donc calmement que la situation se décante. Les contre-sanctions ont été comme une douche froide pour l’UE qui, visiblement, pensait que Moscou se laisserait punir comme un enfant pris en faute. Le gouvernement français, dont il faut saluer une nouvelle fois la persévérance sur le Mistral, s’est laissé entraîner dans ces sanctions stupides et stériles en raison de la nullité des « spécialistes » qu’il consulte sur les questions russes et ukrainiennes. Les journalistes français doivent, bien entendu, ne jamais être consultés, et les Gomart, Encel, Tertrais, Rupnik et autres Heisbourg, dont l’incompétence nuit gravement aux intérêts français, doivent être mis à l’écart. La Fondation pour la Recherche Stratégique et l’IFRI doivent se remettre en cause urgemment, impérativement et sérieusement.

En conclusion

Pour finir sur une note humoristique, nous présenterons un exemple filmé, de la manière dont on joue avec les enfants en Galicie. Cela ressemble davantage à une cérémonie Vaudou, et on se dit qu’après une enfance pareille, même Oleg Tiagnibok a des excuses…

Enfin, ultime et excellente nouvelle, un budget pour la constitution de Russia Today en français, de 29 millions d’euros, a été voté. Le Kremlin a fini par prendre en compte l’absence de liberté d’expression en France et tente désormais d’y porter remède.

Xavier Moreau

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-vers-l-effondrement/


[Article] « Nous assistons à l’écroulement d’un monde, des forces immenses sont sur le point d’être déchaînées », par Frédéric Lordon

Monday 25 August 2014 at 01:59

Vous n’avez décidément pas de chance en ce mois de mai.

Pour couper un peu la série aride sur le système bancaire européen, je vous propose aujourd’hui, avec un manque total de sens marketing, un article de Frédéric Lordon. Un roman je dirais. Mais comme à son habitude, un beau, profond et grand roman.

L’article fait 20 pages, mais vous avez ici un concentré d’intelligence analytique, qui change tellement de la médiocrité des “analystes star” des médias, qui oui, font plus simple, plus court, mais surtout beaucoup plus faux.

Comme souvent, je n’adhère pas à tout le propos, mais j’adhère au sens général, à la description et à l’enchaînement des faits analysés.

Il FAUT lire Frédéric Lordon avec sa vision si contraire à tout ce qui nous est déversé au quotidien – et se faire sa propre opinion.

Je l’ai entièrement remis en page et vous pouvez le télécharger en cliquant ici.

“C’est une leçon de choses historiques. Ouvrons bien les yeux, on n’a pas souvent l’occasion d’en voir de pareilles. Nous assistons à l’écroulement d’un monde et ça va faire du gravât. L’histoire économique, en tout cas celle qui a fait le choix de ne pas être totalement bornée – je veux parler d’auteurs comme Kindleberger, Minsky ou Galbraith – a depuis longtemps médité l’effrayant pouvoir de destruction de la finance libéralisée. Il fallait de puissants intérêts – très évidemment constitués – à la cécité historique pour remettre sur les rails ce train de la finance qui a déjà causé tant de désastres ; en France, comme on sait, c’est la gauche de gouvernement qui s’en est chargée.

De sorte que, à la lumière de ces leçons de l’histoire, on pouvait dès le premier moment de la dérégulation financière annoncer la perspective d’une immense catastrophe, et ce sans pourtant savoir ni où, ni quand, ni comment exactement elle allait se produire. La catastrophe en question aura pris vingt ans pour survenir, mais voilà, nous y sommes. Notons tout de même qu’un scénario que certains avaient envisagé d’assez longue date considérait l’hypothèse de la succession de crises financières sérieuses, rattrapées mais, aucune des contradictions fondamentales de la finance de marché n’étant résolues, enchaînées selon un ordre de gravité croissante, jusqu’à la big one. Sous ce rapport, la première crise de la série n’aura pas pris un an pour se manifester puisque le grand krach boursier se produit en 1987… après le big bang de 1986. Puis elles se sont succédé à intervalle moyen de trois ans. Et nous voilà en 2007. 2007, n’est-ce pas, et pas 2010. Car le discours libéral n’a rien de plus pressé que de nous faire avaler l’idée d’une crise des dettes publiques tout à fait autonome, européenne dans son principe, et imputable à une fatalité d’essence de l’État impécunieux. Or le fait générateur est bien la crise de la finance privée, déclenchée aux États-Unis, expression d’ailleurs typique des contradictions de ce qu’on pourrait appeler, pour faire simple, le capitalisme de basse pression salariale, dans lequel la double contrainte de la rentabilité actionnariale et de la concurrence libre-échangiste voue la rémunération du travail à une compression continue et ne laisse d’autre solution à la solvabilisation de la demande finale que le surendettement des ménages.”

Source: http://www.les-crises.fr/l-ecroulement-d-un-monde/


La crise économique est aussi une crise de l’enseignement de l’économie (+ Scandale au Bac ES)

Monday 25 August 2014 at 00:10

Un article de 2013, que j’avais sous le coude… Mis à jour avec un papier de Sapir de juin 2014

Etudiants en économie, nous nous intéressons au monde qui nous entoure. Or l’enseignement que nous recevons est étrangement déconnecté de l’histoire qui s’écrit sous nos yeux.

De cette insatisfaction est né en France le collectif étudiant PEPS-Economie, qui se mobilise “Pour un enseignement pluraliste de l’économie dans le supérieur”. D’autres mouvements similaires ont vu le jour de par le monde (Canada, Etats-Unis, Allemagne, Israël, Chili, Uruguay, Argentine…).

Afin de mesurer l’ampleur du problème de l’enseignement de l’économie dans l’enseignement supérieur, et particulièrement à l’université, nous avons mené un grand travail d’enquête en recensant les programmes et curriculae de toutes les licences d’économie en France. Nous en tirons un triple constat, qui est à la base de notre désarroi : un manque de recul critique criant, un repli de l’enseignement sur une portion congrue de la discipline économique, et un isolement à l’égard des autres sciences sociales.

Durant les trois premières années d’enseignement, l’histoire de la pensée et des faits économiques n’est ainsi enseignée que très marginalement (moins de 1,7 % des cours proposés).

COURS D’ÉPISTÉMOLOGIE

Le recul offert par une perspective historique est pourtant fondamental, ainsi que le soulignent des économistes comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz. Pire : une seule licence en France propose un cours d’épistémologie, qui analyse les fondements scientifiques de la discipline, question ô combien importante en économie.

L’infime place concédée aux problèmes économiques contemporains (1,6 %) confirme enfin la difficulté à faire le lien entre enseignements théoriques et réalités concrètes. Pour le dire clairement : l’enseignement de l’économie à l’université ne parle presque pas de ce qui se passe dans le monde. C’est aberrant.

Cette absence de questionnement sur l’histoire et les méthodes de cette discipline est aggravée par l’absence de pluralisme théorique. Malgré la diversité des approches existantes, les cursus actuels font la part belle à l’école dite “néoclassique” et à ses différentes branches contemporaines (nouveaux classiques, nouveaux keynésiens, nouvelle microéconomie…), au point de favoriser la confusion entre science économique et économie néoclassique.

Or les récents événements ne permettent pas de déceler une quelconque supériorité scientifique de cette approche. Nous souhaitons que la théorie néoclassique soit pleinement enseignée, mais au même titre que d’autres écoles de pensée, aussi dynamiques que stimulantes (théorie de la régulation, économie écologique, économie complexe, économie postkeynésienne, école autrichienne…).

Enfin, l’isolement disciplinaire sclérose la réflexion. Les autres sciences sociales sont absentes des cursus universitaires en économie. Ce repli est d’autant plus préjudiciable qu’un problème économique est également un problème social et politique.

NÉCESSAIRES À LA COMPRÉHENSION

L’économie telle qu’elle est enseignée a tendance à se satisfaire de méthodes quantitatives qui, si elles sont indispensables, aboutissent à la production d’un savoir parfois trop simpliste malgré sa sophistication technique. L’idée n’est pas de remplacer les mathématiques et les statistiques, mais de ne pas se priver des outils complémentaires nécessaires à la compréhension de phénomènes complexes.

Nous revendiquons donc un triple pluralisme.

Pluralisme critique d’abord : il est fondamental d’offrir aux étudiants un recul sur la discipline elle-même, notamment à travers l’enseignement de l’épistémologie et de l’histoire de la pensée et des faits économiques.

Pluralisme théorique ensuite : les différentes écoles de pensée doivent être enseignées avec rigueur afin de promouvoir une émulation scientifique entre ces courants théoriques et d’offrir une pluralité de vues aux étudiants.

SCIENCE SOCIALE

Pluralisme disciplinaire enfin : l’économie est une science sociale. Pour rendre compte de dynamiques complexes, les disciplines voisines de l’économie offrent des approches et des outils d’analyse féconds.

Refusant de rester inactifs, nous avons pris appui sur notre analyse critique pour être force de proposition. Nous avons élaboré une maquette alternative d’enseignements en licence d’économie, fondée sur ce triple pluralisme et l’envie de croiser les apports des différentes approches. Nous proposons ainsi une problématisation par objets, organisée autour de grands thèmes, à l’instar de ce qui se faisait dans les cours de sciences économiques et sociales dans l’enseignement secondaire.

L’enseignement de l’économie est un enjeu démocratique. Nos sociétés ont besoin d’économistes capables d’imaginer des politiques diverses, de contribuer au débat public en diffusant les éléments de réflexion nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté éclairée, afin que tous puissent se forger un avis.

Aujourd’hui l’enseignement de l’économie ne le permet pas, et l’urgence et la persistance de la crise que nous traversons impose de le refonder.

Par le Collectif PEPS-Economie
Source lemonde.fr

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Scandale au Bac ES

19 juin 2014

Par 

Le Bac est, cette semaine, le sujet à la mode. Il revient ainsi tous les ans, avec ses polémiques (faut-il supprimer le Bac ?), avec ses scandales, réels ou imaginaires. Il y a une bonne raison à cela. Premier examen universitaire (et c’est pour cela qu’un professeur des universités préside le jury), il conditionne pour de nombreux jeunes la possibilité d’avoir accès aux études supérieures. L’idée de faire passer le Bac par contrôle continu aurait probablement pour conséquence de conduire les universités à instaurer des concours d’entrée, puis à créer leurs propres filières de préparation à ces concours d’entrée, ouvrant par là même la porte à des abus multiples.

Le formatage par le MEDEF commence au Bac !

On trouve donc de tout dans les sujets du Bac ; parfois des « perles » et même de la propagande. C’est le cas pour les sujets de 2014 dans l’épreuve de sciences économiques et sociales pour la section ES (Sujets: BAC-ES2014). Cette propagande peut être grossière, comme c’est le cas pour les (malheureux) élèves qui auront choisi l’épreuve composée. La première question de cette dernière (valant 6 points) se compose de deux sous-questions :

  1. Comment la flexibilité du marché du travail peut-elle réduire le chômage ?
  2. À quels risques économiques peuvent s’exposer les pays qui mènent une politique protectionniste ?

On ne saurait imaginer choix plus tendancieux, et plus erroné du point de vue de la science économique.

Commençons par la première sous-question ; il est ainsi implicitement suggéré à l’élève que la « rigidité » du marché du travail peut-être une cause du chômage. Or, ce que l’on appelle la « rigidité » ce sont des contrats de travail assurant une stabilité et une protection au salarié. Poussons alors le raisonnement à l’absurde : si la flexibilité du travail permet de réduire le chômage, il nous faut revenir à des contrats journaliers ou hebdomadaires, comme aux premiers jours de la révolution industrielle. Il n’y avait rien de plus flexible que le marché du travail au début du XIXème siècle. Pourtant, comme c’est étrange, tous les commentateurs de l’époque s’entendent pour dire qu’il régnait alors un chômage important… Par ailleurs, si une personne n’a aucune garantie quant à son lendemain, si elle vit dans une insécurité permanente, aura-t-elle la moindre incitation pour s’instruire et développer sa force de travail ? On oublie trop que l’extrême flexibilité du travail a pour corolaire une productivité extrêmement faible. Inversement, ce sont les industries qui avaient besoin d’un travail qualifié (comme Krupp en Allemagne ou Schneider en France) qui ont, les premières, instauré des mécanismes rigidifiant le marché du travail afin de stabiliser une main d’œuvre avec des caractéristiques spécifiques. En réalité, la segmentation du marché du travail est issue du développement même du capitalisme. Les gains très importants en productivité du travail que l’on a connu depuis plus de 100 ans dans l’industrie sont le résultat de ces stabilités qui sont aussi, pour ceux qui les combattent, autant de « rigidités ». Or, ces gains permettent des hausses régulières du salaire réel, qui assurent ainsi les débouchés (la consommation) à la production, et contribuent par là à la baisse du chômage. Il faut ici rappeler que l’introduction du SMIG puis du SMIC a fortement contribué à une croissance rapide dans les années 1960.

Quant à la seconde question, elle passe sous silence le fait qu’il n’y a pas eu un seul pays qui ait réussi à s’industrialiser et à se développer économiquement sans recourir à des méthodes protectionnistes. De la France au Japon, des États-Unis à l’Allemagne, tous les pays ont eu recours au protectionnisme, et ceci a correspondu à leurs périodes de croissance les plus importantes. Dans un papier célèbre[1], le regretté Paul Bairoch et Richard Kozul-Wright ont montré le rôle largement positif des réglementations protectionnistes.

Tableau 1

Niveau de protection 1875 et 1913[2]

Montant moyen des droits de douanes sur les biens manufacturés

Tous produits

1875

1913

1913

Autriche-Hongrie

15-20

18-20

18-23

Belgique

9-10

9

6-14

Danemark

15-20

14

9

France

12-15

20-21

18-24

Allemagne

4-6

13

12-17

Italie

8-10

18-20

17-25

Russie

15-20

84

73

Espagne

15-20

34-41

37

Suède

3-5

20-25

16-28

Suisses

4-6

8-9

7-11

Pays-Bas

3-5

4

3

Grande Bretagne

0

0

0

Etats-Unis

40-50

44

33

 

Tableau 2

Composition géographique des exportations, 1913 (en %)

Part des exportations mondiales Commerce avec le « nord » Part des exportations de biens manufacturés en % des exportations Exportations vers d’autres producteurs industriels en % de exportations
Grande-Bretagne

22.8

37.9

76.6

31.8

France

12.1

68.2

57.9

63.8

Allemagne

21.4

53.4

71.7

53.5

Autres pays d’Europe occidentale

15.0

70.3

49.4

62

Etats-Unis

22.1

74.5

34.1

63.2

Source: Maizels Industrial Growth and World Trade, Cambridge, Cambridge University Press, 1963

On constate ainsi que non seulement le protectionnisme n’a nullement ralenti la croissance, mais qu’il n’a pas non plus ralenti le développement du commerce international avant la première guerre mondiale, dans la période considérée comme celle de la « première mondialisation ». La « seconde mondialisation » se caractérise aussi par la fin de l’URSS et du CAEM en Europe, transformant en commerce « international » ce qui était largement un commerce « intérieur » auparavant. À cet égard, les chiffres extrêmement élevés du commerce international dans les années 1994-1997 semble bien avoir été le produit d’une illusion statistique. Ce sont ces chiffres, enregistrés sur quatre années, qui ont très largement conditionné notre vision de la croissance. Enfin, il faut avoir à l’esprit la hausse du prix des matières premières qui s’est manifestée pendant une bonne partie de cette période. Les matières premières, à l’exception de la période 1998-2002, ont vu leur prix monter de manière significative. Or, dans le commerce international, les produits sont comptabilisés à leur prix courant.

C’est donc de cette période que date le sentiment que le commerce international porte la croissance. L’on a eu l’impression, et peut-être l’illusion, que c’était par l’abolition des barrières aux échanges que l’on avait obtenu la croissance très forte de ces années-là. Les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts, ce qui invalide le résultat précédent sur l’ouverture[3]. Les travaux d’Alice Amsden[4], Robert Wade[5] ou ceux regroupés par Helleiner[6]montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s’il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d’industrialisation[7], fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Le fait que les pays d’Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI est souligné par Dani Rodrik[8].

Les coûts du libre-échange

La menace des délocalisations et le chantage auquel se livrent les entreprises ont conduit à maintenir les salaires dans l’industrie à un niveau très faible et à exercer une pression croissante sur les salariés. La faiblesse des revenus tend à déprimer la consommation et donc la demande intérieure. La pression sur les salariés, pour que les gains de productivité compensent les gains possibles en bas salaires, est une des causes principales du stress au travail et des maladies qui en sont induites, phénomène que l’on a déjà évoqué. En France, il est alors probable que le coût direct et indirect du stress au travail soit de l’ordre de 55 à 60 milliards d’euro, ce qu’il faut comparer aux 15 milliards de déficit de la sécurité sociale. Il est clair que, si les gains salariaux avaient pu suivre ceux de la productivité, et si l’on avait pu économiser ne serait-ce que 1 % du PIB en cotisations tant salariées que patronales, on aurait eu un impact très fort de ce surcroît de pouvoir d’achat sur la croissance. On peut alors estimer à 1 % de la population active au minimum le gain en emploi (ou la réduction du chômage) que l’on aurait pu obtenir. Cependant, ce gain est global et ne concerne pas uniquement l’emploi industriel.

La combinaison de ces effets indique que la pression du libre-échange coûte directement environ 2 % de la population active en emplois industriels perdus ou non créés. Ceci correspond probablement à une perte globale (avec l’effet multiplicateur habituel de l’emploi industriel sur l’emploi global) de 3 à 3,5 % de la population active. Mais cet effet n’est pas le seul. La concurrence entre travailleurs qui est induite par la globalisation a aussi pour conséquence de déformer la répartition des revenus, en comprimant beaucoup plus ceux des ouvriers. Ceci a été largement étudié dans un pays comme les États-Unis. Cette déformation a été à l’origine du surendettement des ménages américains, qui a conduit à la crise de 2007[9]. En France, le phénomène a été moins marqué, mais la divergence entre le rythme des gains de productivité et la croissance du salaire net moyen y est tout aussi notable ainsi que le décalage très net entre le salaire moyen et le salaire médian. L’effet sur la répartition des revenus semble donc indubitable. Ceci ne constitue pas seulement un problème social de première grandeur[10], qui se traduit dans les faits par la paupérisation des jeunes adultes et par l’apparition du phénomène des « nouveaux pauvres », autrement dit d’une fraction de la population qui, tout en étant employée, sombre petit à petit dans la misère. Ceci constitue aussi un phénomène macroéconomique majeur. Dans une telle situation, la demande intérieure est nécessairement comprimée et la croissance en pâtit. On n’a pu la maintenir à un certain niveau que par l’intermédiaire de dépenses publiques qui ont certainement eu un effet intéressant en matière de hausse de la croissance mais qui ont aussi provoqué une dérive de l’endettement global du pays. Il semble bien que, aujourd’hui, nous ayons touché les limites d’un tel système.

On peut alors calculer l’effet sur l’emploi de cette stagnation d’une partie des revenus salariaux à 1 % au minimum et plus probablement à 1,5 % de la population active. Alors qu’avant la crise, le taux de chômage en France était de 8,3 %, l’effet net du libre-échange (une fois décomptées les créations d’emploi induites par le surplus d’exportations découlant des règles du libre-échange) représenterait ainsi au moins la moitié et au plus 60 % de ce taux (4 à 5 % de la population active). Or le libre-échange et l’impact des politiques prédatrices hors et dans l’Union européenne n’est pas le seul facteur. La hausse de l’euro est aussi un élément qui induit une perte d’emplois non négligeable[11]. De ce point de vue, les effets de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) sont venus aggraver les difficultés de la totalité des pays de la zone, sauf – à court terme – de l’Allemagne[12].

De la propagande explicite à la propagande insidieuse

Mais, la propagande digne des sbires du MEDEF ne concerne pas ces deux seules questions. Une forme de propagande plus insidieuse se retrouve dans le premier sujet (sur 20 points). Le sujet de l’étude de document est le suivant :

Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance économique

On oriente l’élève vers l’innovation, la recherche et… la garantie des droits de propriété (doc. 4). Jamais ne sont évoqués les facteurs macroéconomiques comme le poids de la finance sur une structure industrielle, ou l’influence du taux de change et de la politique monétaire. Ce sujet provient presque directement des thèses de l’école dite des « nouveaux classiques » avec une pincée d’institutionnalisme, ce dernier étant cependant réduit à la simple défense des droits de propriété. Or, cette école est celle qui a produit les modèles DSGE (Dynamic Stochatsic General Equilibrium) qui se sont révélés incapables de prévoir la crise financière de 2007-2008. Les erreurs des modèles dits « standards » ont en réalité plusieurs explications, qui peuvent parfois se conjuguer.

(a) Des spécifications irréalistes issues de la théorie néo-classique qui continue d’imprégner (même s’ils ne s’en rendent pas toujours comptes) les modélisateurs. C’est en particulier le cas dans les modèles issus du « nouveau consensus » macroéconomique, et qui continuent d’intégrer des hypothèses complètement irréalistes, mais qui sont cohérentes avec une idéologie économique néo-libérale. Et pourtant, ces modèles ont été présentés comme des progrès considérables pour la modélisation[13]. On retrouve ce problème dans le modèle MESANGE utilisé par le Ministère des Finances français[14]. L’une de ces hypothèses est la « clause de transversabilité »[15] qui implique qu’aucun agent ne peut faire défaut et qui induit une disparition des banques et de leur rôle dans le modèle[16]… Ces modèles ont été critiqués[17], et parfois même par leurs propres concepteurs[18], mais pour l’instant ils restent l’alpha et l’omega de ceux qui font les sujets du Bac.

(b) Une confusion entre paramètres et variables. Les modèles sont tous fondés sur l’idée que l’économie est une mécanique dont les évolutions sont toutes probabilisables[19] ; or, l’économie se rapproche bien plus de la métaphore d’un être vivant. Cela implique que certains coefficients sont considérés comme constant dans le temps et non liés à d’autres variables, alors qu’en réalité on observe empiriquement des fluctuations importantes de valeur de ces paramètres en fonction justement de l’évolution de ces variables. C’est par exemple le cas du multiplicateur des dépenses publiques dont on sait qu’il permet de déterminer ce que sera l’évolution du PIB futur à partir d’une hausse ou d’une baisse de ces dépenses publiques (incluant les mesures fiscales). La Commission Européenne s’en tient à des valeurs autour de 0,5 alors que l’on sait que les valeurs réellement observées sur l’Italie et l’Espagne sont de 2,2 à 1,7. Le FMI, lui-même, a récemment adopté des valeurs autour de 1,2, ce qui explique les prévisions plus pessimistes du récent rapport World Economic Outlook publié en octobre 2012.

(c) Des hypothèses adoptées « pour simplifier » mais qui altèrent en profondeur la dynamique du modèle. Les modélisateurs se facilitent la vie (pourquoi pas…) en adoptant des simplifications importantes de la réalité dans leurs modèles. Ce serait acceptable, si ces modèles n’avaient pas pour objet de « simuler » la dite réalité. C’est ainsi que le comportement des ménages ne tient en général aucun compte du contexte (alors que l’on sait aujourd’hui l’influence considérable des contextes sur les préférences[20]). De même, la rationalité des agents n’est elle-même jamais définie par rapport à un contexte donné[21]. Dans le même esprit, on adopte la règle de l’« agent représentatif ». On constate que des points de vue normatifs sont ainsi largement présents dans des modèles utilisés pour « simuler » la réalité.

(d) Une large dose d’idéologie. Elle permet d’expliquer certains des a priori que l’on constate dès la construction des modèles, mais aussi l’interprétation qui est faite de certains de leurs résultats. Ainsi, la flexibilité du marché du travail est toujours positive, ou des mesures libérales ne peuvent qu’accroître la croissance. Ceci permet aux modélisateurs de ne pas trop s’interroger sur les écarts qu’ils peuvent constater entre la réalité et les prévisions de leurs modèles, et considérer que ces écarts sont « normaux » et ne remettent pas en cause la structure du modèle.

Au total, on peut constater empiriquement que non seulement les modèles utilisés jusqu’à présent tendent à sous-estimer l’impact des politiques d’austérité, mais qu’ils donnent de plus des visions très pessimistes de l’impact de politiques non-conventionnelles (comme en Russie en 1999). Ceci n’est que le résultat des fondements idéologiques sur lesquels ils sont construits.

 

Les sujets qui ont été proposés aux élèves de la série ES le 19 juin 2014 sont donc particulièrement scandaleux du fait des biais idéologiques qu’ils révèlent. Mais, en cela, ils ne sont pas vraiment étonnants…

Source : Jacques Sapir


[1] Bairoch P. et Kozul-Wright R., GLOBALIZATION MYTHS: SOME HISTORICAL REFLECTIONS ON INTEGRATION, INDUSTRIALIZATION AND GROWTHIN THE WORLD ECONOMY, WIDER conférence, n°113, Mars 1996, Genève. http://unctad.org/en/docs/dp_113.en.pdf

[2] Idem, p. 8.

[3] Voir H.-J. Chang, « The Economic Theory of the Developmental State » in M. Woo-Cumings (dir.), The Developmental State, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; Kicking away the Ladder: Policies and Institutions for Development in Historical Perspective, Londres, Anthem Press, 2002.

[4] A. Amsden, Asia’s Next Giant, New York, Oxford University Press, 1989.

[5] R. Wade, Governing the Market, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1990.

[6] G. K. Helleiner (dir.), Trade Policy and Industrialization in Turbulent Times, Londres, Routledge, 1994.

[7] Voir C.-C. Lai, « Development Strategies and Growth with Equality. Re-evaluation of Taiwan’s Experience », Rivista Internazionale de Scienze Economiche e Commerciali, vol. 36, n° 2, 1989, p. 177-191.

[8] D. Rodrik, « What Produces Economic Success?  » in R. Ffrench-Davis (dir.), Economic Growth with Equity: Challenges for Latin America, Londres, Palgrave Macmillan, 2007. Voir aussi, du même auteur, « After Neoliberalism, What? », Project Syndicate, 2002 (www.project-syndicate.org/commentary/rodrik7).

[9] JEC, U. S. Senate, 26 août 2008. Voir aussi U. S. Congress, State Median Wages and Unemployment rates, prepared by the Joint Economic Committee, US-JEC, juin 2008.

[10] R. Bigot, « Hauts revenus, bas revenus et “classes moyennes”. Une approche de l’évolution des conditions de vie en France depuis 25 ans », Intervention au colloque « Classes moyennes et politiques publiques » organisé par le Centre d’analyse stratégique, Paris, 10 décembre 2007.

[11] F. Cachia, « Les effets de l’appréciation de l’euro sur l’économie française », Note de Synthèse de l’INSEE, Paris, INSEE, 20 juin 2008.

[12] Voir J. Bibow, « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This » in J. Bibow, A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York, Palgrave Macmillan, 2007.

[13] Gali J and M. Gertler, “Macroeconomic Modelling for Monetary Policy Evaluation”, Journal of Economic Perspectives, Vol. 21, n°4, 2007, pp. 25-45

[14] Céline ALLARD-PRIGENT, Cédric AUDENIS, Karine BERGER, Nicolas CARNOT, Sandrine DUCHENE, Fabrice PESIN, PRÉSENTATION DU MODÈLE MÉSANGEModèle Économétrique de Simulation et d’Analyse Générale de l’Économie, Direction de la Prévision, Document de Travail, mai 2002, http://www.tresor.economie.gouv.fr/file/326640 , p.6

[15] Blanchard O.J. et S. Fisher, lectures on Macroeconomics, MIT Press, Cambridge, MA, and London, 1989, chap. 2.

[16] Goodfriend M, et R.G. King, (1997), “The New Neoclassical Synthesis and the Role of Monetary Policy” in Bernanke B.S., and J.J. Rotemberg (edits), NBER Macroeconomic Annual 1997, MIT Press, Cambridge, MA.

[17] Goodhart, C. A. E., The Continuing Muddles of Monetary Theory: A Steadfast Refusal to Face Facts, paper presented at the 12th Conference of the Research Network Macroeconomics and Macroeconomic Policy of the Macroeconomic Policy Institute/Institut für Makroökonomie, Berlin, Octobre 31–Novembre 1, 2008. Idem “The Foundation of Macroeconomics: Theoretical Rigour versus Empirical realism”, papier présenté à la Conference on the History of Macroeconomics, Louvain-la-Neuve, Belgium, Janvier 2005

[18] Buiter W., “Central Banks and Financial Crises” paper presented at the Federal Reserve Bank of Kansas Symposium on Maintaining Stability in a Changing Financial System, Jackson Hole, Wyoming, August 21-23n 2008, document téléchargeable à l’URL:http://www.kc.frb.otg/publicat/sympos/2008/Buiter.09.06.08.pdf

[19] Haavelmo T., «The probability approach to econometrics » in Econometrica, vol. 12, 1944, supplément

[20] Tversky, Amos and Daniel Kahneman, “Rational Choice and the Framing of Decisions,”Journal of Business, 59, 4, part 2:251–278, Octobre 1986 ; Idem, “Loss Aversion in Riskless Choice: A Reference-Dependent Model,” Quarterly Journal of Economics, 106, 4:1039–1061, Novembre 1991.

[21] Tversky A., “Rational Theory and Constructive Choice”, in K.J. Arrow, E. Colombatto, M. Perlman et C. Schmidt (edits.), The Rational Foundations of Economic Behaviour, Basingstoke – New York, Macmillan et St. Martin’s Press, 1996, p. 185-197. Voir aussi J. Sapir, “Novye podhody teorii individual’nyh predpotchenij i ee sledstvija” (New Approaches of Individual Preferences and Their Condequences) in Ekonomitcheskij Zhurnal, Vol. 9, n°3/2005, pp. 325-360.

Source: http://www.les-crises.fr/la-crise-economique-est-aussi-une-crise-de-lenseignement-de-leconomie-scandale-au-bac-es/