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La question ukrainienne : une étape dans le processus de déconstruction du droit international par les puissances occidentales, par Robert Charvin

Thursday 12 February 2015 at 12:45

Je remonte cet excellent billet de 2014…

Un article d’une remarquable limpidité de Robert Charvin, Professeur Émérite de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis et Doyen Honoraire de la Faculté de Droit et de Science Politique de Nice, permettant même aux non initiés, de comprendre qu’on ne peut “exporter la démocratie” par la force, destituer des présidents élus, ni faire des coups d’état, sans conséquences sur le plan juridique. Ce qui implique que même si le coup de force est passé, même s’il est escamoté voir dénié, il ne devient pas pour autant légitime. Non seulement parce qu’il n’émane pas d’un choix du peuple souverain, mais aussi parce qu’il participe de la déconstruction de l’ordre juridique international, garant de la paix et du dialogue serein entre les États.

Le droit international est le plus souvent passé sous silence, parce qu’il entrave une puissance politique ou privée. Lorsqu’il est invoqué, c’est parce qu’un État y trouve un intérêt. Les États-Unis, tout particulièrement, qui se refusent à la plupart des engagements multilatéraux, n’y font référence qu’à titre exceptionnel. C’est le cas à l’occasion de la crise ukrainienne, contrairement à la crise irakienne : les États-Unis s’étaient dispensés d’obtenir l’autorisation du Conseil de Sécurité pour recourir à la force armée, en violation d’une disposition majeure de la Charte des Nations Unies.

Les États occidentaux, s’arrogeant la qualité de seuls représentants de la « communauté internationale », se sont fait aussi une spécialité d’interpréter avec mauvaise foi les résolutions du Conseil de Sécurité afin de légitimer leurs politiques d’ingérence : ce fut le cas pour la Libye, par exemple. La France et l’OTAN sur la base d’une simple décision du contrôle de l’espace aérien en sont arrivés, après huit mois de guerre, à la liquidation du régime de Tripoli et à l’exécution de son leader.

De plus, la pratique de quelques puissances occidentales, désireuses de produire à elles seules un « droit coutumier » utile pour leurs intérêts, devient une source fondamentale du droit international, en lieu et place de l’accord entre États et des dispositions de la Charte des Nations Unies. Les fondements du droit international sont ainsi balayés : c’est le cas de « l’égale souveraineté des États » laissant place à une hiérarchie de fait entre les États dits « démocratiques » et ceux qui ne le seraient pas, seuls les premiers étant éligibles au droit international, liquidant ainsi l’universalisme des droits et obligations internationales. C’est aussi le cas du principe de « non ingérence », transformé en son contraire au nom d’un « humanitaire » réinterprété à l’occidentale, particulièrement négligeant vis-à-vis des droits économiques et sociaux.

Par ailleurs, de nombreuses « ONG » et autres « Fondations », préfabriquées dans les officines des pouvoirs publics et privés des États-Unis et d’Europe, participent activement au financement, à la formation des « activistes », à la diffusion « d’informations », dans les pays dont la politique n’a pas l’approbation occidentale. Elles ont été en pointe dans les diverses pseudo « révolutions » qui se sont déroulées dans certaines des ex-Républiques soviétiques, comme en Afrique ou dans le monde arabe, en collaboration, si nécessaire, avec des forces ultra-religieuses (avec les Frères Musulmans ou les Salafistes, par exemple) ou néofascistes (dans les pays proches de la Russie). On a ainsi assisté à « la révolution des roses » en Géorgie, à celle des « Tulipes » au Kirghizistan, à la « révolution orange » en Ukraine, renouvelée en 2014.

Grâce à ces forces téléguidées, les inévitables mécontentements populaires, de type social, se trouvent canalisés afin d’intégrer les peuples dans l’orbite occidentale économique et militaire, dont il est difficile de sortir en raison des rapports de forces globaux.

Les justifications fournies par les Occidentaux se contredisent et varient d’un cas à l’autre. Loin de s’enfermer dans le cadre de la légalité, trop rigide, elles se fondent souvent sur une « morale » internationale très proche de celle du XIX° siècle. Le paradigme le plus usité, parce que très instrumentalisable, est celui des « droits de l’homme »1. Il vise à légitimer toutes les activités proclamées « humanitaires » par-delà des normes juridiques qui tendent à se dissoudre dans la confusion et à sensibiliser une opinion internationale formatée au « droitdel’hommisme » stimulée par un « american way of life » illusoire mais attractif !

En raison d’un procès (facile) pouvant être fait au monde occidental, responsable dans l’Histoire de la colonisation puis des guerres de décolonisation, de nombreuses interventions armées (par exemple, celle des États-Unis en Asie et en Amérique du Sud ou de la France en Afrique) et de multiples violations des droits de l’homme, les Puissances occidentales tendent (et réussissent souvent grâce à la force de leurs médias) à imposer à l’opinion internationale une vision cohérente de leur pratique politique et juridique grâce à une fragmentation de l’Histoire en séquences courtes.

Ainsi, selon elles, à l’origine, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’a concerné que des États constitués (il s’agissait de consacrer la liberté recouvrée des peuples victimes du nazisme et du militarisme japonais), sans s’appliquer aux colonies. Lorsque, logiquement, les peuples colonisés ont entendu s’appuyer sur ce principe pour accéder à l’indépendance, la doctrine occidentale a tendu à en nier la positivité. Dans le troisième temps actuel, le même principe, selon les Occidentaux, doit s’appliquer non plus dans les rapports internationaux, mais pour fonder des implosions internes, légitimement « stimulée » de l’extérieur, afin qu’une partie de la population d’un État s’en écarte pour constituer un autre État. Cette multiplication d’entités politiques (souvent très petites et à peine viables) dans l’ordre international, due à une volonté occidentale d’affaiblissement de certains États d’une certaine importance (par exemple, l’émergence de l’État Sud-Soudanais ou le démantèlement de la Fédération de Yougoslavie) correspond parfaitement aux intérêts des « mondialisateurs », partisans d’une « globale gouvernance », maîtrisant les acteurs étatiques à la souveraineté limitée.

Une autre falsification de la légalité concerne le principe fondamental de l’interdiction du recours à la force, sauf cas de légitime défense, l’objectif étant le maintien de la paix : le recours à la force contre des États souverains est, pour les Occidentaux, concevable s’il s’agit de faire cesser des atteintes au droit humanitaire, c’est-à-dire pour des considérations d’ordre interne !

Les États-Unis (et Israël) vont plus loin encore dans leurs « interprétations » du droit en adhérant à la notion de « légitime défense préventive » qui n’est en réalité qu’une assimilation – paradoxale – de la légitime défense et de l’agression (dont par ailleurs on refuse la définition donnée par l’Assemblée Générale des Nations Unies) ! L’OTAN, en particulier, se considère aussi comme un substitut au Conseil de Sécurité de l’ONU, doté d’un « droit d’action autonome », (voir le concept stratégique de l’Alliance Atlantique adopté les 23-24 avril 1999).

Les pratiques politiques occidentales déconstruisent ainsi le droit positif en les justifiant doctrinalement a posteriori, au cas par cas. Pour être plus facilement acceptées ou tolérées, les Occidentaux considèrent qu’il y a « plusieurs âges du droit international qui s’affrontent »2 !!! Sans cesse, il y aurait déconstruction et reconstruction du droit et chaque étape serait brève : les principes et les interprétations du droit de l’étape « ancienne » ne seraient plus pertinents pour l’étape « nouvelle » !

Il n’y aurait donc pas violation de la légalité par les Puissances occidentales, mais effort de transition et de reconstruction d’un droit plus ajusté aux besoins et aux réalités internationales. En réalité, il y a recherche permanente et souvent dans l’urgence d’une adaptation aux besoins de la mondialisation néolibérale menacée par le multipolarisme en voie d’édification. C’est ainsi que la Charte de l’ONU lors de son adoption visait essentiellement au maintien de la paix ; aujourd’hui l’OTAN « interprète » cette Charte comme devant assurer le primat des droits de l’Homme et du droit humanitaire, y compris au risque de conflits armés.

Certains juristes occidentaux vont jusqu’à dénoncer ce qu’ils appellent le « droit classique » (par exemple, en ironisant sur la réaction de la Yougoslavie, agressée par l’OTAN, invoquant sa souveraineté, le non-ingérence et saisissant la Cour internationale de justice !). Et plus la séquence historique mise en scène est courte, plus, évidemment, les conceptions occidentales semblent cohérentes !

La crise ukrainienne

La crise ukrainienne et la révolte de Kiev sont imputables à des causes avant tout sociales : les manifestants contestataires ont dénoncé la mauvaise gestion d’instances présidentielle, gouvernementale et parlementaire incertaines. La protestation populaire s’est cependant retrouvée rapidement encadrée par des cadres « entraînés » et financés par l’Occident et les activistes néonazis et néofascistes de « Secteur Droite » et de « Svoboda » (dont l’un des dirigeants occupe actuellement la fonction de vice-Premier Ministre et Ministre de la Défense, et un autre celle de Procureur Général). Les États-Unis et l’Union européenne ont ainsi tenté de se positionner encore plus près des frontières russes, y compris au détriment des intérêts économiques de l’Ukraine. La crise ukrainienne n’est qu’une composante d’une politique globale de « refoulement » de la Russie et de la liquidation des liens qu’elle peut nouer avec les États voisins, autrefois intégrés dans l’Union Soviétique. Elle est indissociable d’une volonté occidentale affirmée d’interdire à la Russie de prendre toute sa place dans le concert des nations, ce qui est évidemment le droit de tous les États « également souverains ».

Au-delà du discours anti-russe traditionnel, dont le style et les thèmes n’ont pas fondamentalement changés depuis la fin de l’URSS, le monde occidental, particulièrement les États-Unis et la France3, dénonce la violation par la Fédération de Russie de la légalité interne à l’Ukraine et du droit international.

La position des nouvelles autorités installées à Kiev est de s’afficher comme les défenseurs de la légalité constitutionnelle ukrainienne, ce qui est un paradoxe pour ceux qui viennent de faire ce qu’ils appellent une « révolution ». En effet, l’insurrection qui s’est produite à Kiev n’a manifesté aucun respect pour la Constitution de 1996, révisée en 2004, révision dont les amendements ont été annulés par la Cour Constitutionnelle en 2010. Sous la pression de la rue, une nouvelle procédure de révision a été entamée le 21 février 2014 rétablissant les amendements de 2004. Mais l’absence de promulgation invalide cette révision. Dans la confusion, le Parlement a voté la destitution du Président qualifié de « pro-russe » par l’Occident. Cette destitution est possible en raison de l’article 108 de la Constitution à l’issue d’une procédure d’impeachment (article 111). Cette procédure exige une enquête par une Commission dont les conclusions sont déposées devant le Parlement qui peut, après examen de la Cour Constitutionnelle, voter la destitution par une majorité des ¾. Celle-ci n’a pas été atteinte : l’impeachment a été voté par 328 voix, au lieu des 337 nécessaires. La destitution telle qu’elle a été prononcée est illégale : en droit, le Président n’est pas déchu de sa fonction, et son appel à l’assistance de la Russie est fondé. D’autres dispositions de la Constitution ont été violées (les articles 126 et 149) : c’est ainsi que la Cour Constitutionnelle a été « épurée » de cinq de ses juges dont le Président, pourtant bénéficiaires d’immunités.

Les nouvelles autorités de Kiev ne peuvent donc pas se prévaloir d’une légalité dont ils ont balayé les fondements constitutionnels. Elles constituent simplement un pouvoir de fait, quelles que soient les relations externes qu’elles ont nouées avec des représentants occidentaux avec lesquels les liens étaient, il est vrai, très antérieurs.

Ces Ukrainiens qui se veulent si proches de l’Europe occidentale doivent se remettre en mémoire l’adage latin : « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans ». Ce vieux principe général du droit leur rappelle que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Ils ne peuvent à la fois violer la loi fondamentale de leur pays et l’invoquer ensuite pour servir leur cause.

La question de la Crimée

L’initiative prise par les autorités de la République autonome de Crimée d’organiser un référendum pour ou contre le rattachement à la Fédération de Russie a provoqué de la part des États-Unis et des États de l’Union européenne une réaction « légaliste », alors qu’ils soutenaient jusque-là une rébellion s’achevant par un coup d’état.

Le monde occidental et leur nouvel allié de Kiev dénoncent avant tout « l’intervention de la Russie » en Ukraine, et particulièrement les mouvements de troupes en Crimée. La Russie menacerait l’intégrité territoriale de l’Ukraine et l’intangibilité de ses frontières. Le référendum d’autodétermination en Crimée du 16 mars serait illicite : il ne pourrait être légal que dans le cadre constitutionnel ukrainien (la Constitution, d’ailleurs, ne reconnaît pas le « droit de sécession »). Enfin, un peuple ne s’auto-définit pas : le « peuple » de Crimée n’existerait pas.

Ces arguments, qui semblent appartenir au droit international « classique », par ailleurs si souvent critiqué par les « Occidentalistes », peuvent être réfutés avec des moyens relevant eux-mêmes des principes les plus « classiques ».

Il n’y a pas « intervention » militaire russe illicite en Crimée. Deux accords régulièrement conclus entre la Russie et l’Ukraine (accords du 31 mai 1997 et pacte de Kharkiv du 21 avril 2010) autorisent la présence de troupes russes en Crimée (une base maritime et deux bases aériennes) jusqu’en 2042 (en échange de livraison de gaz à tarif préférentiel). De plus, rien n’empêche en droit les autorités de Crimée de constituer des groupes « d’autodéfense », comme il en existent aussi à Kiev à l’initiative des « révolutionnaires ».

La disparition des autorités constitutionnelles à Kiev au profit d’un pouvoir de fait ouvertement antirusse justifie les mesures prises pour assurer le respect des accords conclus (pacta sunt servanda), y compris à l’encontre des garnisons de l’armée ukrainienne et pour protéger les civils russes et russophones.

Cette protection des civils, très fréquemment invoquée par les États occidentaux dans leurs relations internationales et servant de justifications à leurs ingérences4, s’impose par diverses mesures prises par Kiev à l’encontre des intérêts des populations russes et russophones : suppression de la langue russe en tant que langue légale, mesures discriminatoires à l’encontre des russophones, agressions physiques à Kiev et dans différentes régions de l’Ukraine. L’argument selon lequel les « révolutionnaires » de Kiev ont été victimes d’une répression brutale source de nombreuses victimes mériterait par ailleurs une enquête objective : les membres des forces de l’ordre tués sont nombreux et nul ne peut attester de l’origine des snipersqui ont tiré sur la foule5.

Il n’y a pas de fondement à refuser l’argument humanitaire invoqué au profit des minorités (majoritaires en Crimée) placées dans une situation d’insécurité, source de menace, en raison de la déstabilisation de toute l’Ukraine.

Kiev et les États occidentaux ne peuvent non plus faire le procès d’une « intervention » russe, alors que les ingérences occidentales multiformes se sont multipliées pour obtenir que Kiev prenne ses distances vis-à-vis de la Russie. Les principe légal est celui de la « non-ingérence », par quelque moyen que ce soit : or les révoltes qui ont bouleversé de nombreux pays, ces dernières années, ont été « animées » selon des méthodes et par des groupes (armés ou non) financés et organisés par les États-Unis et leurs alliés.

Croire à la spontanéité des masses populaires, à leur libre capacité d’organisation et à leur persévérance (la révolte s’est prolongée plus de trois mois à Kiev) relève de la naïveté, quelles que soient les raisons légitimes de contestation de la gouvernance ukrainienne6Cette prétendue « aide à la démocratie », financée essentiellement par les États-Unis, viole l’esprit et la lettre du principe de non-ingérence, y compris si elle n’utilise pas ouvertement la force armée.

Pour le moins, s’interroger sur le contenu de la notion « d’ingérence » et « d’intervention » est une exigence pour la question ukrainienne, comme pour toutes les interventions occidentales qui se sont multipliées depuis la disparition de la bipolarité Est-Ouest. A défaut, une seconde « guerre froide » risque de se développer au détriment des intérêts de tous.

Référendum de Crimée et droit international

L’organisation d’un référendum sur l’adhésion de la Crimée à la Fédération de Russie, après que le Parlement de Crimée ait proclamé l’indépendance, ne serait illégal que dans la mesure où l’ordre constitutionnel ukrainien aurait encore une existence ou si un cadre supranational s’était établi pour administrer la Crimée. Le fait que la Constitution ukrainienne ne prévoit pas le droit à la sécession n’apporte rien à la controverse : encore faut-il en effet que cette Constitution ait encore une quelconque validité. Les autorités de Kiev ne sont pas fondées à arguer de certaines dispositions constitutionnelles tout en ne respectant pas les autres !

Au contraire, les instances légales de Crimée comme l’État russe sont fondées à considérer qu’elles sont en droit de ne plus collaborer avec ceux qui ont renversé par un coup de force le gouvernement légal. Elles peuvent invoquer différentes décisions d’organisations internationales reconnues.

L’OSCE (Organisation de la Sécurité collective en Europe) a condamné, peu après la tentative de coup d’état contre M. Gorbatchev de 1991, toute tentative ou tout renversement par des moyens antidémocratiques d’un gouvernement légal.

L’OEA (Organisation des Etats américiains) a fait de même en 1992 en adoptant un nouvel article 9 de sa Charte constitutive, permettant la suspension au travail de l’organisation de la participation des représentants d’un État victime d’une « interruption inconstitutionnelle » de son système de gouvernance.

L’OUA (Organisation de l’Unité africaine) a aussi en 1999 proclamé que les coups d’état n’étaient pas admissibles et l’Union africaine a mis l’accent sur l’exigence de « légitimité constitutionnelle » pour ses membres, tout comme l’Organisation internationale de la Francophonie (Déclaration de Bamako en 2000) que la France semble avoir « oubliée » !

Il est plus remarquable encore que le Conseil de Sécurité de l’ONU se soit référé à ces dispositions dans sa résolution 1497 (2003) relative aux changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Le discours consistant à légitimer les coups de force (internes ou externes) par une finalité « pro-démocratique » n’a pas de fondement juridique. Certes, les États-Unis ont expressément fondé leur intervention militaire contre La Grenade en 1983 sur cette base. Cette position a été jugée dès 1986 sans validité par la CIJ (Cour internationale de justice) (Affaires des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua). La notion de « guerre juste » n’a plus aucune dimension juridique aujourd’hui, quoique puissent souhaiter certaines ONG et déclarer certains États occidentaux.

De même dans l’ordre intérieur, la « légitimation », par-delà la légalité, des actions menées « au nom de la démocratie » n’est qu’un retour à l’archaïque conception du « droit public de l’Europe » de la fin du XVIII° siècle et du XIX° siècle, qui n’était que celui des « nations civilisées » dont seraient exclue la Russie et une partie de la population ukrainienne !

Au contraire, la nature démocratique du référendum d’autodétermination dans une région ayant échappée à la désorganisation générale d’un pays doté d’un pouvoir issu d’une rébellion soutenue de l’extérieur, est peu contestable. Il suffit que, conformément aux recommandations de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe (2005), les questions posées soient claires, qu’il se déroule sans irrégularité et que la participation soit de plus de 50% des inscrits, avec une réponse à plus de 55% de majorité7.

La France, quant à elle donneuse de leçons de démocratie, n’a pas été très rigoureuse lorsqu’elle a organisé en 1974 un référendum concernant l’accès à l’indépendance des Comores sans le moindre respect de leur intégrité territoriale : a posteriori, la France a en effet déclaré que les résultats devaient être appréciés « île par île », ce qui a conduit malgré la très large majorité globale des voix en faveur de l’indépendance, à détacher Mayotte, l’une des quatre îles, pour en faire ensuite (en 2009) un département français, et ce malgré un avis contraire des Nations Unies et le refus du gouvernement comorien.

Le principe de l’intégrité territoriale et de l’intangibilité des frontières a été mis à mal par les puissances occidentales qui ont vu dans l’implosion de l’URSS, notamment, un moyen d’affaiblir et d’isoler la Russie8. La multiplication de micro-Etats (par exemple, le Sud-Soudan), résultat de diverses revendications plus ou moins fondées, apparaît aussi comme un outil favorisant une « globale gouvernance » dans un système unipolaire, dominé par les États-Unis.

La construction occidentale du Kosovo réalisée par la force militaire de l’OTAN en 1999, puis l’administration conjuguée des Nations Unies, de l’OTAN et de l’Union européenne, au nom de droits des populations albanaises et des droits de l’Homme, avant la reconnaissance d’une indépendance formelle, a créé un précédent que les puissances occidentales et les autorités de fait de Kiev ne peuvent rejeter par une formule simpliste « la Crimée n’est pas le Kosovo » !

L’OTAN dans l’affaire du Kosovo a usé unilatéralement de la force armée. Elle n’a pas tenu compte de la « protection » des civils en arguant simplement des inévitables « dommages collatéraux », comme en Irak ou en Libye. La Constitution serbe n’a pas été respectée, tout comme les droits de la minorité serbe au Kosovo (dont 250.000 se sont réfugiés définitivement en Serbie). Le fondement de cette pratique occidentale s’est limité à l’affirmation d’un droit à la sécession « moralement » justifiée !

Ces illégalités flagrantes ont été néanmoins « couvertes » par l’ONU (dont la Charte ne prévoit pas le droit de sécession), qui s’est chargée, pour partie, de l’administration provisoire du Kosovo, alors qu’elle résultait d’une intervention armée illégale, et par la reconnaissance par tous les États occidentaux et par nombreux autres lorsque le Kosovo a été qualifié « d’État souverain ».

L’UCK, qui avait été créée opportunément en 1997-1998, « force de frappe » des Albanais pro-occidentaux, responsable de nombreuses exactions anti-serbes, et qui s’est avérée ensuite être une organisation de type mafieux, n’a pas été condamnée à ce titre (à la différence des personnalités transférées à la CPI (Cour pénale internationale) lorsqu’il s’est agi de dirigeants opposés aux intérêts occidentaux). Enfin, l’avis sur le Kosovo, rendu par la CIJ, n’a pas infirmé la sécession kosovare.

Pire, la doctrine juridique occidentale dominante ne s’est pas manifestée : le professeur S. Sur, par exemple9, très représentatif de la doctrine française dominante, semble convaincu que la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité sur le Kosovo, permet une « opération de reconstruction de la paix » et « résorbe l’anomalie » de l’intervention militaire10 ! Le Conseil de Sécurité a ainsi tiré les conséquences d’une violation de la légalité, sans l’approuver ni la désapprouver, à la satisfaction des juristes !! Néanmoins, le professeur Sur manifeste une certaine « inquiétude » devant l’absence de « justification convaincante » à l’usage de la force dans l’affaire du Kosovo. Mais, pour le professeur S. Sur, « de la déconstruction peuvent sortir des créations nouvelles, bien que les pratiques (sous-entendues occidentales)cherchent encore leur doctrine ».

Le retour vers l’Ouest du balancier de l’autodétermination

A l’issue de ce processus global et des différentes crises qui se sont produites ces dernières années, c’est le monde occidental et ses alliés qui, aujourd’hui, voient se retourner à leur encontre des revendications fondées sur le droit à l’autodétermination au nom, selon l’expression d’un courant doctrinal nord-américain, d’une « souveraineté méritée » au bénéfice des peuples sous « domination aliénante »11.

C’est le cas de la Catalogne en Espagne, de l’Écosse en Grande Bretagne, de l’Italie du Nord (contre le Centre et le Sud), des peuples autochtones en Amérique du Nord et du Sud, et de différents mouvements religieux et ethniques dans le monde arabe et africain, sources souvent de dissolution généralisée (Yémen, Somalie, Centre Afrique, Mali, etc.).

Le processus de mondialisation néolibérale, en effet, favorise un repli identitaire qui peut conduire à des « sécessions remèdes ».

A ce propos, les Puissances occidentales, prises « à contre-pied », n’ont pour défense que d’abandonner tous les principes généraux, de quitter le domaine juridique et d’opter pour le « cas par cas » : « chaque cas devenant un cas « d’espèce »12 !

L’ « exemple » donné par l’OTAN avec l’acceptation de la survie artificielle de la République turque de Chypre (reconnue seulement par la Turquie, le Pakistan et le Bangladesh), du maintien de la division de la Corée sans le moindre appui à une politique de réunification respectueuse des deux parties, ou de la politique de l’Union européenne « fabriquant » par étapes le Monténégro jusqu’en 2006, pour le dissocier de la Serbie, alors que dans le même temps on condamne les Tamouls au Sri Lanka comme sécessionnistes13, tout en abandonnant les Palestiniens au pouvoir israélien, s’avère à terme dangereux pour les États occidentaux eux-mêmes et désagrégateur pour l’ordre mondial très fragile.

Les États occidentaux (particulièrement les États-Unis) et leurs juristes manifestent une incohérence profonde. Ils utilisent de plus en plus des notions indéfinissables, telle l’oppression « grave », évidemment non mesurable, condition pour admettre le droit à la sécession ; la souveraineté « méritée », non susceptible d’être distinguée de celle qui ne le serait pas ; la notion de « civil » qui alors même qu’ils sont armés doivent ne pas être traités comme combattants ; de « droits de l’Homme », amputés néanmoins des droits économiques, sociaux et culturels ; de « démocratie », sans aucune définition précise ayant validité universelle ; « d’humanitaire » sans dissociation du politique, etc.

Le chaos conceptuel à la lumière de la crise ukrainienne

La crise ukrainienne met en lumière ce chaos conceptuel plaçant le droit international dans une situation de confusion extrême. Le comble des paradoxes est que l’Occident fait le procès de la Russie, qui reprend pourtant à son compte, outre les principes du droit international classique, des arguments juridiques souvent utilisés par ailleurs par l’Occident. Pour paraphraser le Président Obama, mais en retournant contre les États-Unis et leurs alliés sa formule : « L’Occident est (de plus en plus) du mauvais côté de l’Histoire ». Il n’est plus en mesure, comme l’a souligné le Président Poutine, de stopper par n’importe quel moyen la reconstruction légitime de la puissance russe et de sa collaboration avec de nombreux États non occidentaux dont le développement économique est très rapide, sous forme d’accords bilatéraux ou d’Union douanière14.

Les juristes occidentaux devraient s’interroger davantage sur l’utilité d’une authentique multipolarité (en lieu et place des prétentions à l’hégémonie que manifestent encore les États occidentaux) pour garantir les objectifs de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire le maintien de la paix et le développement.

Robert Charvin

Professeur Émérite de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, Doyen Honoraire de la Faculté de Droit et de Science Politique de Nice (France)

Source LaPenséeLibre.org via blog Mediapart

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1Lorsqu’il s’agit de diviser des adversaires politiques ou de gommer des conflits nés des rapports sociaux, dont la résolution serait trop coûteuse, l’Occident instrumentalise le paradigme religieux (par exemple, l’opposition entre musulmans chiites et sunnites), ou les différends ethniques ou nationalistes.

2« L’affaire du Kosovo et le droit international : points et contrepoint ». AFDI. XLV. 1999, p. 288

3Bernard-Henri Lévy, qui s’est déjà illustré par ses positions « va-t-en guerre » en Libye et en Syrie, s’est rendu à Kiev pour mettre en cause avec vulgarité la Russie et son Président, reprenant sans scrupule à l’encontre des Russes le mot d’ordre des Républicains espagnols en guerre contre la rébellion franquiste : « No passaran » : < https://www.youtube.com/watch?v=nTc6pb6-0Fo >

4La protection des civils, présentée parfois comme un « devoir », a justifié l’intervention de l’armée française et de différents services spéciaux occidentaux et de l’OTAN en Libye et en Syrie, par exemple. Le paradoxe est qu’une seconde intervention de ces pays pourrait aujourd’hui être fondée à nouveau sur la nécessaire protection des civils en raison du chaos provoqué par les premières, particulièrement en Libye.

5Durant les incidents survenus dans la période post-électorale en Côte d’Ivoire (2011), les snipers qui ont tué un certain nombre d’Ivoiriens étaient de provocateurs mandatés cherchant à susciter des réactions violentes et une insécurité générale permettant de justifier l’intervention de l’armée française.

6On peut citer parmi les acteurs professionnels de l’ « exportation de la démocratie », la Canvas (Center for Applied Non Violent Action et Strategies), basée en Serbie et financée par les États-Unis, l’USAID, la NED, l’IRI, le NDI, Freedom House, l’Open Society Institute, etc. relevant de fonds américains.

Voir, par exemple, R. Falk. « When is an’ NGO’ not an’ NGO ?” Foreign Policy Journal, 18.2.2012. ; G. Sussman et S. Krader. Template Revolutions : Marketing us Regime Change in Eastern Europe, University of Westminster, London, vol. 5, n° 3. 2008.

7La situation serait différente si l’accord du 21 février 2014, cosigné par les pays de l’Union européenne et la Russie, était toujours valide (dissolution du gouvernement provisoire, rétablissement du Président de la République élu, renonciation à la demande de la Crimée de rattachement à la Russie).

8Diverses tentatives d’ingérence occidentales au service de certaines minorités des peuples chinois « non Han » se produisent aussi contre les autorités de Pékin pour tenter de faire imploser la Chine, le cas du Tibet et des Ouïghours étant les plus visibles.

9Serge Sur. « L’affaire du Kosovo et le droit international : points et contrepoint ». AFDI. XLV. 1999, p. 280 et s.

10Il est vrai que cette Résolution fait référence à « l’attachement à la souveraineté » : cette réaffirmation quasi-rituelle se retrouve dans toutes les résolutions du Conseil de Sécurité qui paradoxalement ouvrent la voie à une ingérence !

11On reste perplexe devant une hégémonie qui ne serait pas « aliénante » !

12C’est la position explicite du professeur canadien P. Garant, par exemple, faisant une note en novembre 2010 sur l’Avis de la CIJ sur le Kosovo.

A l’inverse, le professeur J. Sapir, à propos de la Crimée, souligne : « On ne peut appliquer un principe de droit à Kiev et un autre à Simféropol ! ». Cf. La Crimée et le droit. 7 mars 2014.

13NDLR. Au sujet de l’évolution des ingérences occidentales visant Sri Lanka, voir : < http://www.lapenseelibre.org/article-le-retour-de-darusman-rapport-de-navi-pillay-sur-le-sri-lanka-n-81-118257795.html > ; < http://www.lapenseelibre.org/article-sri-lanka-qui-sont-nos-ennemis-qui-sont-nos-amis-partie-1-79612035.html > et < http://www.lapenseelibre.org/article-sri-lanka-qui-sont-nos-ennemis-qui-sont-nos-amis-partie2-79612354.html >

14On peut citer l’étape que représente l’accord du 18 novembre 2011 conclu entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan et celui avec l’Arménie signé en septembre 2013, bien que Madame Hillary Clinton n’y ait vu (déclaration de décembre 2012) qu’une « resoviétisation » par la Russie de ses ex-satellites !

 

Source: http://www.les-crises.fr/la-question-ukrainienne-charvin/


L’ineptie des sanctions économiques, par Arnaud Dotézac (et pourquoi la Crimée pourrait avoir été russe depuis 1991…)

Thursday 12 February 2015 at 12:44

Papier juridique suisse très fouillé. Je vous recommande de lire le début sur les sanctions économiques, l’affaire du gazoduc en 1982  et surtout la partie sur la Crimée…

Vous êtes forts les Suisses ! :)

Par Arnaud Dotézac, paru dans la revue Market, Genève, numéro 118, septembre-octobre 2014.

Tout le monde sait que l’efficience des sanctions économiques contre la Russie est incertaine. Dans le cas de la Suisse, son évaluation n’est même pas proposée, bien que des effets boomerang sévères puissent apparaître, notamment dans le secteur du trading pétrolier de Genève. On connaît l’effet d’entraînement que l’arrivée de Lukoil a créé dans ce secteur et ce que son départ signifierait. Cette absence de pesée des intérêts est un mode de gouvernement en soi inhabituel, sauf à ce que des enjeux non dévoilés motivent cette décision.

En parallèle, les aspects normatifs restent à l’écart du débat. Les choses iraient-elles de soi, dans une sorte d’impensé collectif ? Ce n’est pas notre sentiment et si la solidité légale des sanctions helvétiques était seulement de façade, alors oui, il y aurait quelque chose d’inepte à les avoir prises. La Suisse s’est donc ralliée aux sanctions économiques américano-européennes contre des citoyens russes ad hominem et contre des intérêts économiques stratégiques de leur pays et ce, dès le 2 avril 2014. Elle l’a fait presque l’air de rien. Son message n’était pas celui de la punition directe et offensante, à l’instar de ses « partenaires commerciaux », mais celui de la sanctuarisation du territoire helvétique. Sa motivation officielle est en effet d’éviter que le pays ne devienne un espace de « contournement » de ces mesures punitives édictées par d’autres, qu’il ne soit pas le refuge de tous les « Sanctionnés de la Terre ». On en serait presque à se retrouver dans un discours de pure neutralité. Pourtant, à y regarder de près, c’est exactement le contraire qui est à l’œuvre.

Gardons à l’esprit que les sanctions internationales non militaires[1] ne sont pas des verdicts judiciaires mais des décisions gouvernementales, qui matérialisent donc des choix politiques. Contrairement à une méprise fréquente, le fait d’être sanctionné par un État ou un groupe d’États, ne repose sur aucune procédure ou condamnation pénale préalable, c’est-à-dire sur aucun crime ou délit qui soit judiciairement avéré. Ces mesures ne « sanctionnent » donc pas des faits punissables selon le droit commun, mais plutôt une relation politique entre États. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une même situation sera traitée différemment selon la nature des relations choisies entre deux ou plusieurs Etats.

On a vu ce double standard fonctionner pour le Kosovo, une province arrachée à la Serbie sans même un vote populaire et que Berne s’était empressée de reconnaître comme Etat souverain. Il ne s’agit pas ici de contester le choix de Berne mais simplement de rappeler que le double standard est possible en droit international public.

Le double standard est possible en droit international public

Tout l’édifice de ce droit a ceci de particulier qu’il n’est pas construit par une autorité législative supérieure mais qu’il repose sur le principe essentiel de sa libre appréciation par chaque État souverain. Chaque Etat apprécie pour lui-même sa situation juridique à l’égard des autres Etats et chaque interprétation étatique est aussi licite qu’une autre. En pratique, aucun État n’est lié juridiquement par la position d’un autre État, sauf par la voie de l’accord volontaire qu’est le traité ou l’adhésion à une organisation internationale, ou encore par le consensus explicite.

Ceci nous amène à la nature de la sanction. Dès lors qu’un État censeur en sanctionne un autre, il rompt symboliquement cette égalité de souveraineté, qui est pourtant protégée par le principe d’immunité de juridiction des Etats agissant dans leur souveraineté. Dans le fait même de punir, le censeur se déplace donc mécaniquement au-dessus de l’Etat puni, il s’attribue une autorité supérieure, quasi-judiciaire, puisque d’une part, il trace la frontière entre ce qui est fautif et ce qui ne l’est pas et que d’autre part, il apprécie seul l’opportunité de la sanction, son calendrier et son intensité. Le discours politique passe alors au registre du dominant-dominé avec tous les ingrédients de la belligérance qui s’y trouvent. C’est ce que fait la Suisse à l’égard de la Russie.

Pour oser cette rupture d’égalité, le censeur doit pourtant disposer d’une plus grande puissance économique et/ou militaire que l’Etat puni, faute de quoi il pourrait se retrouver à devoir subir des représailles à la mesure du différentiel de puissance. C’est en cela que les mesures restrictives traduisent toujours l’affirmation d’un rapport de force[2]. Le premier constat qui s’impose est que la Suisse s’est placé dans un rapport de force défavorable avec la Russie. 1) les sanctions comme rapport de force Pour nous convaincre de ce rapport de force, comparons l’effet que produirait un ukase annoncé en grande pompe par l’île de Tobago[3] à l’encontre des Etats-Unis, avec l’effet que provoquerait la décision réciproque des Etats-Unis, à l’encontre de Tobago. Pas besoin d’aller plus loin.

Lord Ellenborough, célèbre juge anglais contemporain de Napoléon 1er, s’en amusait déjà en ces termes : « Can the island of Tobago pass a law to bind the rights of the whole world? Would the world submit to such an assumed jurisdiction? [4]». Inutile de préciser que, même s’ils sont aujourd’hui rattrapés par l’Union européenne, les États-Unis furent les champions toutes catégories dans ce domaine. Durant les deux mandats de Bill Clinton, ils auront mis en œuvre près de la moitié de leurs 170 procédures de sanctions décidées au cours du XXè siècle.

Cette « culture de la rétorsion[5] » dans les relations internationales remonte à la présidence de Woodrow Wilson (1913 à 1921). Ce dernier voyait dans l’embargo, le boycott et la mise au ban des nations déviantes (rogue states, déjà), la panacée du règlement des conflits. Pour lui, « une nation qui est boycottée est une nation sur le point de capituler. Appliquez ce remède économique, pacifique, silencieux et meurtrier et il ne sera pas nécessaire de recourir à la force ». Dans l’idéalisme wilsonien, les États-Unis conservaient néanmoins leur position dominante. Au nom du modèle américain de la démocratie et des vertus du capitalisme, ils étaient les vecteurs et les garants d’une propagation « sécurisée » de cette démocratie américaine dans le monde[6]. Un schéma qui semble toujours en vigueur dans la doxa diplomatique actuelle.

Les choses ont-elles fonctionné comme il le prévoyait ? La réponse est non. La recette de l’embargo s’avéra beaucoup moins efficace que Wilson ne l’espérait. On sait bien aujourd’hui que la mise sous embargo d’un État n’annonce pas l’imminence de sa capitulation (cf. Iran, Cuba, Corée du Nord et aujourd’hui la Russie) ; que l’embargo n’évacue pas davantage l’usage de la force, mais qu’il en est au contraire le prélude assuré (Ex-Yougoslavie, Irak, Haïti, Libye, Syrie, Russie ?) ; qu’enfin, sa mise en œuvre à géométrie variable (double standard) et son incompatibilité intrinsèque avec les principes fondamentaux du droit international et des droits de l’Homme, en ont fait un instrument qui exacerbe les tensions plus qu’il ne les apaise[7].

Les sanctions actuelles adoptées contre la Russie n’échappent pas à la règle. Les dernières mesures des 11 et 12 septembre 2014 qui attaquent notamment les plus grosses banques russes ainsi que les capacités de développement du secteur énergétique, créent de facto les conditions d’un conflit majeur et frontal avec la Russie. Les américains, les européens, et la Suisse avec eux, savent très bien que les Russes ne se convertiront pas à un modèle imposé de l’étranger, même au titre de la plus extrême menace militaire. Par conséquent, le but officiel des sanctions, qui est de modifier un comportement allégué comme déviant, n’est qu’une façade. Le véritable objectif est ailleurs. Dans quel scenario catastrophe la Suisse s’est-elle ainsi trouvé un rôle ? La déstabilisation avéré et reconnue de l’Ukraine, par Washington et quelques capitales européennes, dès 2013 (sans parler des Révolutions Orange), n’en est que l’avant-goût.

Les sanctions créent de facto les conditions d’un conflit majeur et frontal avec la Russie.

Cette situation rappelle d’ailleurs à beaucoup d’égards la stratégie qui fut déjà adoptée par Ronald Reagan en 1981, dans l’affaire dite du « gazoduc euro-sibérien ». Sauf qu’à l’époque, l’Europe s’était opposée très fermement à Washington. Un épisode qui mérite d’être rappelé (cf. Focus1 : Affaire du Ggazoduc euro-sibérien)

———– [Focus 1] Affaire du gazoduc euro-sibérien (1981-1982)

Dès 1980, la France et la RFA ouvrent des négociations visant à doubler la fourniture de gaz soviétique à l’Europe, depuis le gisement d’Ourengoï en Sibérie. Informés, les États-Unis expriment leur réticence, refusant une dépendance énergétique trop forte de l’Europe vis-à-vis de Moscou, trop de transferts technologiques et par-dessus tout l’enrichissement de l’URSS. Le secrétaire d’État Alexander Haig résuma ainsi l’équation : « pas question que l’Europe subventionne l’économie de l’URSS alors que les États-Unis dépensent des milliards de dollars en armement pour se protéger de la menace soviétique [8]». Les premiers contrats sont néanmoins signés en octobre 1981, incluant la participation de l’Europe à la construction du gazoduc. Une vingtaine de sociétés européennes, dont 13 filiales de sociétés américaines, participent à ce consortium.

À la suite de l’instauration de la loi martiale en Pologne, Ronald Reagan décrète des sanctions économiques contre l’URSS le 13 décembre 1981, qui interdisent notamment aux sociétés américaines de réexporter vers l’URSS la technologie américaine liée au secteur énergétique, lorsqu’elle était destinée à un pays tiers. C’est l’asphyxie graduelle des relations énergétiques euro-soviétiques qui est en réalité planifiée, comme le révéla Roger Robinson, un jeune banquier de la Chase Manhattan, déjà actif en URSS, et travaillant pour la CIA[9] . On se croirait en 2014, sauf que là, la CEE s’opposa vertement aux sanctions américaines !

En janvier 1982, Français et Allemands signent avec Soyouz gaz, malgré les très fortes pressions US. Le 18 mars, un émissaire américain exige de la France « la suppression de toute subvention de crédits à l’exportation à destination de l’URSS et la suspension de toute garantie publique aux crédits accordés à ce pays ». Le 14 mai, François Mitterrand déclare à Hambourg devant un parterre d’industriels : « Nous ne sommes pas en guerre [contre l’URSS] ; le blocus économique est un acte de guerre [souligné par nous] qui, d’ailleurs, ne réussit jamais, sauf s’il représente la première phase d’une guerre gagnée ; isolé, il n’a pas de sens[10] ». Le 18 juin 1982, Reagan décrète cette fois l’embargo total contre l’URSS sur le secteur gaz-pétrole, y compris pour les sociétés étrangères travaillant sous licence US. Les sanctions sont qualifiées de « vexatoires, injustes et dangereuses » et attentatoires au principe de «souveraineté», par François Mitterrand.

Le 29 juin 1982, le Conseil européen déclare que : « le maintien d’un système ouvert de commerce mondial serait gravement compromis par des décisions unilatérales, avec effet rétroactif [et] par des tentatives d’exercer une compétence juridique extraterritoriale (…) ». Non seulement les Dix refusent d’appliquer les sanctions, au nom de leur souveraineté, mais ils adoptent des contre-mesures draconiennes, allant de la réquisition pure et simple du matériel destiné à l’URSS, jusqu’à des poursuites pénales contre ceux qui appliqueraient les sanctions américaines.

Les États-Unis réagissent à leur tour en révoquant toutes les licences d’exportation, notamment de Dresser-France, de Creusot-Loire et de leurs filiales. Finalement, des inconvénients économiques se font sentir aux États-Unis mêmes, où les initiatives de Reagan apparaissent plus comme des sanctions contre l’Europe que contre l’URSS. Prenant prétexte de la libération de Lech Walesa en Pologne, Reagan lève les sanctions le 13 novembre 1982 et rétablit les licences. Cette affaire illustre l’étendue des territoires perdus de la souveraineté depuis 30 ans. [fin du texte du focus 1]

Illustration1 : Ronald Reagan au Congrès du G7 à Versailles, 4-6 juin 1982.


Archives MB1


Archives MB2


Archives MB1

Illustration 2 : Un exemple de pression sur l’Europe : l’organisation de la tutelle américaine imposée sur les relations commerciales Est/Ouest. Fac-similé de la « National Security Decision Directive 66 », édictée par Ronald Reagan le 29 novembre 1982, source : archives déclassifiées de la Maison Blanche.]

———

Cette culture, qui devient à présent celle de la provocation, est-elle bien conforme au modèle helvétique ? Rien n’est moins sûr. Elle a effectivement comme un goût d’ailleurs, loin de la neutralité bienveillante qui caractérisait la Confédération, spécialement depuis que l’empereur de Russie Alexandre 1er avait su l’imposer en faveur des Suisses, il y a exactement 200 ans. Un bicentenaire qu’on aurait dû fêter dans la bonne humeur et l’affabilité culturelle mais qui fut entaché d’humiliations à courte vue. Nous pensons notamment à la révocation sine die de la visite de Sergueï Narychkine, président de la Douma (chambre basse du parlement russe), par son collègue Ruedi Lustenberger du Conseil national. Une révocation doublée d’une dérobade, en ce qu’elle n’a fait l’objet d’aucun débat, d’aucune explication, sauf la béance du parti pris[11].

On oublie trop souvent que c’est justement pour éviter de tomber dans un tel piège que les autorités helvétiques avaient décliné l’adhésion de la Confédération à l’ONU en 1945. Elles savaient que sa participation aux sanctions économiques était incompatible avec sa politique de neutralité. Et puis on a commandé des consultations académiques expliquant que la neutralité n’avait de sens qu’en rapport avec des conflits armés, qu’il était donc loisible de s’en départir s’agissant des mesures restrictives. On voit qu’en réalité les conflits armés (chauds) et économiques (froids) sont inséparables.

Mais les sanctions ne visent pas seulement les Etats, elles s’appliquent aussi à des individus. Elles ont droit à l’euphémisme de « smart sanctions », sans doute parce que ce sont ceux qui les infligent qui sont « smart » ? 2) Les smart sanctions L’écart de PIB entre les pays censeurs et leurs cibles est le plus souvent abyssal, de sorte que les populations des pays visés peuvent en souffrir de manière indiscriminée. L’embargo contre l’Irak, dès 1990, sera l’occasion de prendre en compte l’impact humanitaire collatéral de ces mesures. Devant les protestations des organisations humanitaires, les pressions des milieux économiques affectés, les avis de droit, jugements et autres résolutions de l’ONU, les Etats-Unis se décideront à rationaliser l’usage des sanctions générales en leur substituant des mesures ciblées sur les dirigeants des pays ou des organisations en cause (mafieuses ou terroristes) et leurs réseaux d’influence.

Dès le 13 avril 1995, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité adresseront une lettre à son président, lui demandant de systématiser le volet humanitaire dans les sanctions prononcées par l’ONU. C’est dans ce contexte que le concept de « smart sanctions » va naître officiellement et revenir en boucle dans des dizaines de rapports, articles et conférences, utilisant toutes les caisses de résonnance offertes à la sphère de communication américaine. La Suisse n’échappera pas à ce mouvement, qui se traduira par l’organisation du « Processus d’Interlaken » et dont le résultat sera l’adoption de la loi sur les embargos de mars 2002. Un texte dont on voit, avec le recul, qu’il fut taillé sur mesure pour entrainer la Suisse dans une application quasi automatique des sanctions américaines. (Cf. Focus 2 : Lois sur les embargos en fin d’article)

En pratique, on dresse des listes noires d’individus qui, sans procès préalable, verront leurs avoirs gelés, leur droit à opérer des transactions refusé, ou encore leurs déplacements interdits. Ils ne bénéficieront d’aucune des protections habituelles des procédures pénales de droit commun. Et comme si cela ne suffisait pas, la norme qui les incrimine sera fatalement promulguée après les faits reprochés, c’est-à-dire qu’on fera une application rétroactive d’une incrimination d’ordre pénal, ce qui est une régression phénoménale de l’Etat de droit[12]. En plus d’une présomption d’innocence renversée et d’une infamie publique assurée, les « blacklistés », se retrouveront le plus souvent punis du simple fait d’avoir une relation avec une personne exposée, une fonction publique ou privée influente, ou seulement soupçonnés, à tort ou à raison, de les avoir. C’est-à-dire qu’ils seront chargés d’une responsabilité pénale du fait d’autrui, cette fameuse « responsabilité collective », que l’on pensait « bannie de la théorie pénale continentale depuis le siècle des Lumières », selon la formule de la professeure Ursula Cassani[13].

Autre régression extraordinaire de l’Etat de droit. Voici donc comment fonctionne ce « droit smart » : sur la base de simples soupçons, le plus souvent non étayés, afin de ne pas dévoiler des sources issues de la communauté du renseignement, des droits fondamentaux garantis par de solides conventions internationales[14], des constitutions et des lois nationales, vont être déniés à des individus qui pourraient être totalement innocents. Très peu de différence en fait avec les lettres de cachet de l’Ancien régime français, qui permettaient d’embastiller quiconque, sans autre forme de procès qu’une signature du roi en bas d’une feuille de papier. Quant aux agents économiques qui s’approcheraient trop près d’eux, c’est le pénal assuré, sans compter les amendes aussi arbitraires qu’exorbitantes infligées directement par l’administration américaine, sans procès.

La CEDH a déjà condamné la Suisse pour ses sanctions

Le Conseil des droits de l’Homme s’insurge régulièrement contre cette pratique qu’il juge parfaitement illégale[15]. Il estime que les toilettages mineurs opérés au Conseil de sécurité comme la création d’un comité chargé d’enregistrer des demandes de radiation des listes noires ou les exemptions éventuelles destinées à couvrir des besoins de base (santé, religion), sont insuffisants. Quant à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, elle a déjà condamné des Etats pratiquant les « smart sanctions », en particulier la Suisse. 3) La place de la Suisse dans le concert des sanctions

Comme on l’a dit en introduction, la Suisse ne veut pas apparaître comme un Etat censeur de son propre chef. Elle veut simplement éviter les « contournements ». Cela étant, elle condamne fermement le rattachement de la Crimée à la Russie, qu’elle considère comme une violation grave du droit international. C’est là le fondement juridique interne de son ralliement aux sanctions internationales. Mais si ni l’argument du contournement ni celui de l’illégalité de l’annexion de la Crimée ne s’avéraient corrects, alors les sanctions seraient illicites au regard de l’ordre juridique suisse.

a) L’argument du « contournement »

En général on parle de contournement d’une loi lorsque les destinataires de cette loi organisent l’altération d’un rapport de droit, dans le seul but d’échapper à l’application de cette loi, estimée contraire à leurs intérêts privés. Il s’agit en réalité de la classique fraude à la loi, contre laquelle le législateur va se prémunir par la dissuasion grâce à des dispositions complémentaires. Le cas typique est celui de l’évasion fiscale, contre laquelle on dressera tout un arsenal anti-évasion, anti-blanchiment, anti-corruption, etc. Seulement voilà, l’État qui légifère pour dissuader du contournement d’une norme est toujours celui-là même qui a produit cette norme dans son ordre juridique interne, à l’intérieur de son territoire national.

Ce n’est pas la vocation d’un Etat tiers de prendre en charge une telle dissuasion relevant d’une autre souveraineté. A moins que les deux Etats aient organisé une collaboration internationale à cet effet, via un traité entre eux. Mais s’agissant des sanctions contre les Russes, il n’existe aucun traité obligeant la Suisse à s’aligner sur Bruxelles et Washington. Pas même une infime trace de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui leur eût donné un brin de force obligatoire internationale. Alors pourquoi la Suisse se retrouve-elle subjuguée dans cette obligation du non-contournement ? Cela ne peut signifier que deux choses, qui ne sont pas rassurantes:

Pourtant, à y regarder de près, le Conseil fédéral semble bien s’être déterminé en fonction de ces deux aspects.

On peut le vérifier simplement: si la Suisse avait adhéré à l’Union Européenne, il n’y aurait pas eu de grande différence de contenu avec les sanctions actuelles prises par Berne. Dans ce qui distingue la position helvétique, on peut certes observer l’escamotage du gel des avoirs des personnes et entités « blacklistées », la Suisse se contentant d’une interdiction d’ouvrir de nouvelles relations d’affaires avec ces dernières. Pour autant, il est admis que ce n’est pas le Conseil fédéral qui a élaboré la liste noire (sa nomenclature est un copié collé des documents américains). Ce n’est pas lui non plus qui a arrêté les incriminations associés aux noms, sensées justifier leur présence sur la liste noire. Si c’était lui qui avait été à l’origine de la liste noire, il n’aurait pas manqué de s’interdire l’ajout de certaines personnes. Il s’avère en effet que certaines incriminations ne relèvent pas tant d’un acte potentiellement illicite selon la norme américaine, mais de l’exercice d’un droit protégé selon la norme suisse.

Prenons le cas de monsieur Sergei Mironov, qui est donc puni personnellement par le Conseil fédéral, alors que ce dernier n’avait sans doute jamais entendu parler de lui auparavant. Il est député d’opposition de la Douma. Comme tel, il a soumis un projet de loi autorisant l’ajout de nouveaux Etats au sein de la Fédération de Russie, dans la perspective de protéger des populations russes. Si on se rapporte à notre Constitution fédérale, nous lisons que son article 8 al.2 l’aurait protégé en ces termes : « nul ne doit subir de discrimination du fait notamment (…) de ses convictions politiques (…) ». L’article 16 lui aurait garanti la liberté d’opinion et le droit de la former, de l’exprimer et de la répandre librement. Enfin l’article 162 lui aurait garanti l’immunité de parole et d’opinion du parlementaire, comme c’est toujours le cas dans un Etat de droit, notamment au titre de la séparation des pouvoirs.

Le Conseil fédéral s’autorise donc à promulguer une norme restrictive (les ordonnances de sanction ont valeur législative) extraterritoriale, ce qui est en soi une ingérence illicite dans les affaires intérieures russes et en outre en totale violation du cadre constitutionnel dans lequel il est tenu d’exercer son mandat démocratique. La loi sur les embargos a-t-elle vocation à conférer des pouvoirs anticonstitutionnels au Conseil fédéral ? Ce n’est pas l’avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a déjà condamné la Suisse à cet égard, notamment par son arrêt du 12 septembre 2012 (Aff. Nada). Alors même que Berne arguait de son obligation à mettre en œuvre ces sanctions du fait qu’il s’agissait d’une résolution contraignante du Conseil de sécurité, la Cour a fait prévaloir la protection de la Convention sur cette résolution. Elle a condamné une violation des articles 8 (atteinte au respect de la vie privée et familiale, à l’honneur et la réputation) et 13 (absence de recours effectif).

Il est clair que la légalité des sanctions suisses autonomes est encore plus contestable et que les messages politiques du Conseil fédéral voilent sciemment cette réalité. Mais l’argument du contournement présente aussi une difficulté majeure sur le terrain de la neutralité. Qu’aurait fait notre Conseil fédéral durant la 2ème Guerre mondiale ? Qu’aurait signifié le fait d’appliquer des mesures de contrainte pour éviter que celles, quasiment identiques, prises par nos voisins en guerre, ne soient « contournées » sur notre territoire ? N’eut-ce pas été par définition un acte de guerre ? La mise en œuvre des mesures restrictives économiques de l’Union Européenne par la Suisse révèle ici, en creux, une négation essentielle du droit de neutralité en cas de conflit armé. Et comme déjà indiqué plus haut, il devient de plus en plus difficile de faire la part de l’économique et du militaire sur le terrain ukrainien. Nul ne peut soutenir sérieusement que la recherche d’un affaiblissement économique de la Russie, essentiellement par les membres de l’OTAN, est totalement étanche et distincte par nature, du soutien militaire et policier apporté par ces derniers au régime de Kiev.

La frontière étant si floue, soit on se retire du jeu, soit on assume d’en faire partie. En toute hypothèse, il est patent que le Conseil fédéral transpose les « mesures restrictives » de Bruxelles comme il le ferait s’il s’agissait d’une directive européenne, c’est-à-dire qu’il internalise ici le principe de primauté du droit européen. Pourquoi ? Le Conseil fédéral ne pouvait-il pas prendre ses propres sanctions de manière vraiment autonome ? Ou au contraire, ne pouvait-il pas résister aux sanctions étrangères au nom du droit de neutralité, comme l’a fait l’Europe dans l’affaire du gazoduc euro-sibérien ? Aurait-on fait pression sur la Suisse ? Mais qui ? Quand ? En quels termes ? Sur quelles bases légales, voire… sous la menace de quel rapport de force ?

Le Conseil fédéral n’aurait évidemment pas le droit de rester muet à ce sujet puisqu’il est garant de l’indépendance du pays (articles 54 et 185 de la Constitution fédérale). Il n’est pas non plus imaginable qu’une pression ait pu être exercée pour le contraindre à conclure un accord occulte. On sait qu’une telle ingérence est prohibée et que les principaux « partenaires commerciaux » de la Suisse devraient être par nature respectueux de ce principe puisque c’est, entre autres griefs allégués, à cause de son irrespect par la Russie qu’eux, et la Suisse, disent vouloir la châtier. Un principe qu’on ne résiste pas au plaisir de relire dans la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée Générale des Nations Unies : « aucun État ne peut appliquer ni encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de toute autre nature pour contraindre un autre État à subordonner l’exercice de ses droits souverains et pour obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce soit ».

Mais un principe à double tranchant si l’on apprenait que la poudrière ukrainienne fut orchestrée par les censeurs actuels, dès l’hiver 2013, voire avant, ce qui semble avéré à certains égards, faisant de la Suisse leur complice en l’embarquant ainsi dans leurs sanctions. Que dire au final de cet argument du contournement ? Qu’il s’agit d’un excellent révélateur ! Car derrière l’apparence de sa simplicité confinant au bon sens, il se cache à l’évidence des tractations complexes avec à la clé une intégration organique, c’est-à-dire subordonnée, de la Suisse à l’Union européenne, ainsi qu’une mise aux normes de la politique étrangère américaine. Il ne resterait alors de vraiment solide que « la violation du droit international lors de l’annexion de la Crimée », à propos de laquelle « nous ne partageons pas du tout la position de la Russie » disait le président Didier Burkhalter, interviewé le 10 septembre 2014 par Darius Rochebin, sur la RTS.

b) La violation du droit international du fait du rattachement de la Crimée à la Russie

Comme on l’a vu plus haut, une affirmation péremptoire de violation du droit international n’est jamais rien d’autre qu’une allégation politique et non l’expression d’une décision judiciaire indépendante. Le président de la Confédération n’a donc pas tort lorsqu’il rapporte une violation du droit international mais ses opposants non plus. Ce faisant, notre gouvernement prend fermement parti, alors qu’il pourrait créer, fidèle à la vocation de la Suisse, l’espace neutre au sein duquel le contentieux pourrait se purger. Mais c’est d’ores et déjà impossible puisque cet espace est saturé de la thèse officielle.

– La thèse officielle Lorsque l’Ukraine est devenue indépendante en décembre 1991, la Crimée faisait partie de son territoire. En vertu du principe d’uti possidetis[16], les frontières administratives intérieures d’un Etat fédéré qui se sépare de sa fédération d’appartenance, deviennent automatiquement les frontières de l’Etat souverain nouvellement formé. La Crimée n’ayant que le statut de région à l’intérieur de l’ancienne république fédérative d’Ukraine, elle faisait donc partie intégrante de l’Ukraine dès l’indépendance de ce pays. A cela s’ajoute que la Fédération de Russie, nouvellement formée, elle aussi, a reconnu à maintes reprises l’existence de ces frontières et l’intégrité du territoire ukrainien, Crimée incluse, par voie de déclarations autant que de traités.

Sur la validité du référendum d’autodétermination de la Crimée de mars 2014, qui sera l’étape préalable essentielle à sa demande de rattachement à la Fédération de Russie, les experts ont également une position on ne peut plus claire. Le droit à l’autodétermination ne prévaut pas sur la souveraineté étatique et ne permet pas de libre sécession, faute de quoi ce serait un blanc-seing à des recompositions incessantes, d’espaces et de frontières, et la source de tous les conflits qui iraient de pair avec cette instabilité permanente.

[OB : note en passant. C'est certes un cas complexe, mais enfin, il est clair que les conflits naissent JUSTEMENT quand on ne reconnait pas ce droit, cf Ukraine, Catalogne, etc. Je vois mal comment un conflit pourrait naître de votes démocratiques...]

Les rares cas où la sécession peut s’envisager sont le respect d’une procédure constitutionnelle interne au pays, qui dès lors l’autoriserait, comme cela aurait pu se produire pour l’Ecosse à l’égard du Royaume Uni. Il peut également s’agir de l’émancipation des peuples colonisés (dits « non autonomes ») qui ont fait l’objet d’un statut particulier. Et enfin, la « sécession remède », lorsqu’une minorité est opprimée à tel point qu’il ne reste que cette solution, ce qui correspondrait au cas du Kosovo. Et les experts de conclure que la Crimée ne répond à aucun de ces critères. Toutes ces analyses ont en commun de fixer leur axe à la date de déclaration d’indépendance de l’Ukraine : le 1er décembre 1991. Du fait de la spécificité auto-interprétative du droit international, déjà mentionnée, rien n’interdit de changer d’axe, notamment historique et d’en analyser les conséquences.

Tout ne sera au final, qu’une affaire de consensus politique. Nous avons fait l’exercice et c’est l’importance de ce qu’il dévoile qui nous a convaincu d’en publier le cadre général.

La communauté internationale reconnaît la souveraineté de l’Ukraine depuis 1945

- Autre interprétation possible

Premier constat largement négligé, l’Ukraine était considérée comme un pays souverain bien avant le 1er décembre 1991. On oublie en effet qu’elle figure parmi les membres fondateurs de l’ONU en 1945. A ce titre, elle a siégé deux fois au Conseil de sécurité sur une période cumulée de 4 ans, ce qui n’est tout de même pas rien en termes de reconnaissance internationale. Elle a voté souverainement sur quantité de sujets contraignants pour le reste de la planète, parfois différemment de l’URSS. Elle a également voté pour l’entrée de nouveaux membres au sein de l’ONU et signé un grand nombre de conventions internationales, toutes choses qu’un Etat non souverain ne pourrait bien entendu pas faire.

Dans sa relation politique à Moscou, les choses n’étaient pas très éloignée de ce qui dessine pour l’Union européenne. Chaque pays a ses diplomates, dont les membres permanents du Conseil de sécurité, mais les décisions importantes se prennent à Bruxelles. C’est le cas en particulier pour les mesures restrictives. Il n’y avait donc rien d’anormal à ce que la Communauté internationale reconnaisse la souveraineté diplomatique, même partielle, de l’Ukraine et son caractère d’Etats déjà semi-indépendant. Or, lorsque l’Ukraine entre à l’ONU, la Crimée n’en fait pas partie. On le sait, c’est en 1954 que Nikita Khrouchtchev décide du rattachement administratif de la Crimée à l’Ukraine, ce qui apparaît aux yeux de tous comme un simple remembrement interne.

Il nous importe peu ici que ce transfert ne se soit pas déroulé en parfaite conformité avec les règles constitutionnelles de l’URSS de l’époque. Ce qui nous intéresse davantage, c’est la conséquence du changement de frontières pour un membre de l’ONU à part entière et pour sa population. En raisonnant par l’absurde, imaginons que ce soit l’entier de la République Fédérative de Russie, qui pour une raison ou pour une autre, aient été absorbée par l’Ukraine, sur ordre de l’URSS. Peut-on imaginer un seul instant que l’ONU serait restée les bras croisés ? Non. On aurait forcément procédé à un constat formel du redécoupage des frontières, ne serait-ce que pour vérifier si un droit d’option de nationalité avait bien été offert au peuple transféré. Par nature, la même chose aurait dû se produire pour l’Ukraine.

L’arrimage de la Crimée en 1954 n’était pas un simple remembrement administratif mais déjà une succession d’Etat dès lors que la communauté internationale reconnaissait à l’Ukraine un siège à l’ONU et l’entier de ses droits souverains correspondants, sans restriction. Seulement voilà, en URSS, tout le monde avait la nationalité soviétique, donc personne n’a soulevé la question. Ce droit de la population de Crimée à se déterminer s’est-il éteint pour autant? Nous ne le pensons pas. Il serait tout à fait envisageable de considérer que ce droit, né en 1954 soit demeuré simplement suspendu jusqu’à ce que son expression puisse se réaliser, c’est-à-dire en cas de changement de nationalité effective, à un moment ou un autre.

Or, ce moment s’est matérialisé dès 1990. Le 26 avril 1990, Gorbatchev fait modifier la loi qui organise les relations entre le Centre et les sujets de l’URSS. La distinction entre républiques unies et républiques autonomes est supprimée, ce qui ouvre la voie à des proclamations de sécession conformes à la constitution de l’URSS. Au mois de juillet suivant, l’Ukraine déclare sa pleine souveraineté. Comme on vient de le voir, ce n’est pas un changement de statut mais un changement de degré, qui s’opère à l’intérieur de sa souveraineté reconnue depuis 1945. Cette déclaration contient un article 5 qui affirme notamment que cette souveraineté s’exerce sur la totalité du territoire, Crimée comprise. La population de Crimée se trouve donc face à un changement de nationalité très probable à court terme. Cependant, l’URSS existe toujours bel et bien à cette époque et les mouvements constitutionnels en cours à ce moment, permettront de modifier le statut administratif de ses régions, sujets ou républiques.

En septembre 1990, le Soviet suprême de Crimée notifie au soviet suprême d’URSS et de Russie son intention d’abroger la décision de 1945-46 qui avait rétrogradé son statut de république autonome (identique à celui de l’Ukraine donc) en simple région (oblast). La Crimée conteste également la légalité de son transfert à l’Ukraine en 1954. Après quoi le parlement de Crimée proclame son droit de restaurer son statut de République socialiste soviétique autonome (RSSA) de Crimée et il amende sa constitution en ce sens. Ce qui est intéressant, c’est que Leonid Kravchuk, président du soviet suprême d’Ukraine, ne s’oppose pas à l’initiative et se rend à plusieurs reprises en Crimée à cet effet.

Avec l’assentiment du pouvoir de Kiev, et finalement en conformité avec les règles (Kiev approuvera la procédure), un référendum de ratification de ce « rétablissement » du statut de la péninsule comme RSSA au sein de l’URSS, est ensuite convoqué pour le 20 janvier 1991. Il s’agit donc très exactement du vote d’autodétermination ouvert en 1954 et suspendu depuis lors, puisque se dessine un changement de nationalité à zéro option en cas d’indépendance complète de l’Ukraine. En effet, et contrairement aux pays baltes, l’Ukraine s’apprêtait à retirer la nationalité soviétique à tous les habitants de son territoire pour la remplacer par l’ukrainienne. Contre toute attente des autorités ukrainiennes, le referendum remporte un oui massif et incontestable dans sa régularité : 94.3% des votants, qui totalisent un taux de participation de 81,37%, se prononcent en faveur du rétablissement de la RSSA de Crimée au sein de l’URSS, ou dans sa nouvelle formule, c’est-à-dire avec un droit de participer au nouveau Traité de l’Union organisé par Gorbatchev. C’est aussi simple que cela : la Crimée est légalement sortie d’Ukraine ce jour là (Ukraine souveraine quant aux conventions internationales, rappelons-le) et se trouve rattachée de nouveau à l’URSS en tant que république autonome.

Alors que s’est-il passé ? Kiev, qui était déjà conseillée par un comité consultatif mis en place très officiellement par George Soros et composé notamment de talentueux avocats américains, court-circuite le résultat à l’arraché. Elle fait passer en extrême urgence une loi le 12 février suivant, par le soviet suprême d’Ukraine, qui reconnaît la nouvelle RSSA de Crimée, mais à l’intérieur de l’Ukraine. Ce faisant, elle annexe purement et simplement la Crimée, qui venait de se détacher d’elle le plus légalement du monde et en parfaite conformité avec son droit d’autodétermination suspendu depuis 1954. La déliquescence de l’URSS et l’activisme étranger feront le reste, en bafouant les droits légitimes de la population de Crimée, en parfaite connaissance de cause. Les mêmes intérêts qui sont à la manœuvre en ce moment.

Il y avait évidemment à la clé les bases navales stratégiques de Sébastopol et le contrôle de la mer noire. Quels que soient les traités qui aient pu intervenir par la suite, dans une confusion savamment orchestrée, afin de prendre le contrôle politique des réformes à venir, l’annexion de la Crimée par l’Ukraine le 12 février 1991, paraît un fait suffisamment marquant pour ouvrir le débat au sein de la communauté juridique. On pourrait même arguer du fait que la population de Crimée a basculé ce jour-là dans un statut non-autonome, qui a perduré jusqu’au nouveau référendum d’autodétermination du 16 mars 2014.

Quels que soient les sentiments politiques des uns et des autres, il est indéniable que la communauté internationale reconnaissait à l’Ukraine une indépendance diplomatique entière depuis 1945 et que le rattachement de la Crimée en 1954 aurait dû faire l’objet d’un traitement juridique correspondant, notamment en termes de modification du tracé des frontières, en particulier maritimes, et de droit d’option de nationalité de la population locale. Il est également indéniable que le peuple de Crimée s’est déterminé légalement pour une réunification à l’URSS le 20 janvier 1991 et que le statut de la péninsule passait de région à république autonome dans le même temps. C’est-à-dire qu’elle avait encore une deuxième chance de déclarer son indépendance après la dissolution de l’URSS, dans la mesure où son statut de république autonome la plaçait au même rang fédéral que l’Ukraine, la Biélorussie, le Kazakhstan, etc…

Il est enfin indéniable que l’Ukraine a détourné le résultat de cette autodétermination et de son potentiel futur, par une loi provoquant une annexion de la Crimée. Il en résulte que le débat est largement ouvert pour considérer le référendum du 16 mars 2014 non pas comme une étape vers l’annexion de la Crimée par la Russie, mais comme un fait de désannexion légitime de la Crimée, réitérant le vote du 20 janvier 1991 et réintégrant pacifiquement le peuple de Crimée dans ses droits acquis à cette date. Si une telle analyse avait les faveurs des Etats qui ont la préférence de Berne dans ce conflit, il ne fait aucun doute qu’elle serait déjà consacrée par une reconnaissance officielle. Il n’en demeure pas moins, qu’à l’aune de cette faille critique dans le raisonnement du Conseil fédéral, la violation du droit international est beaucoup moins évidente qu’on le clame et mérite un débat démocratique ouvert, conforme à la vocation historique de la Suisse, et garanti par sa neutralité. Après quoi le retrait de la Suisse du processus des sanctions paraitra sans doute justifié.

——- Focus 2 Loi sur les embargos (LEmb)

La loi sur les embargos (LEmb) est discrète. Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, le Conseil fédéral la présenta comme un simple ajustement « technique ». L’idée officielle était d’offrir une loi cadre au gouvernement, prenant en compte la nouvelle facette des « smart sanctions », sans les nommer d’ailleurs. En réalité, c’est une véritable loi de subornation[17] qui fut votée. Auparavant, les sanctions se fondaient directement sur l’article 183-4 de la Constitution qui posait comme condition que : « la sauvegarde des intérêts du pays l’exige ». La LEmb ne pose plus une condition mais un but. Elle est faite: « pour appliquer les décisions (…) des principaux partenaires commerciaux de la Suisse ». Tout est dit, c’est une norme d’application de directives étrangères. Est-elle obligatoire pour la Suisse ? Il semble que oui si on lit son art. 2 : « Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions afin (…) de sauvegarder des intérêts suisses. »

On notera le glissement d’une sauvegarde principale des intérêts suisses en général, à une dérogation pour des intérêts suisses, c’est-à-dire ponctuelle et spécifique. Dérogation à quoi, si ce n’est donc aux intérêts des pays émetteurs ? Certes, la LEmb n’a pas fermé le droit de recourir à l’art. 184-3 Cst. Cela fut fait récemment encore, pour geler les avoirs des familles Moubarak d’Egypte et Ben Ali de Tunisie. Mais si le recours à la LEmb n’a pas eu lieu, c’est justement parce que les « partenaires commerciaux » de la Suisse n’avaient pas encore pris de sanction contre les deux autocrates. C’est une confirmation supplémentaire du fait que la LEmb est une norme d’application seconde de directives étrangères premières. On sait que ce texte est le résultat direct du « processus d’Interlaken », organisé à la demande de l’ONU, en vue de généraliser la technique des « smart sanctions ».

Il s’est déroulé à partir de mars 1998, encadré notamment par des responsables du «Watson Institute Targeted Sanctions Project » (Brown University, Rhodes Island, USA) qui en furent les rapporteurs. Le résultat, connu d’avance, valida l’obligation pour les pays participants de se doter d’une législation identique entre eux, dans le but d’appliquer des sanctions internationales uniformes et sans délai. On le lit noir sur blanc dans un rapport de l’époque, les « lois nationales devraient viser des effets uniformes des sanctions plutôt qu’établir des procédures et des moyens uniformes ». Le processus d’Interlaken a mis sur pied un standard de guerre économique conforme à l’approche américaine et a introduit à cet effet un impératif de synchronisation internationale des sanctions.

Au lieu de signer un traité international, on a créé une « entente », au sens juridique du terme, un cartel des sanctions, en vue d’assurer cet « effet uniforme » des sanctions. Bel exploit ! Il ne restait plus qu’à y ajouter le transfert automatique d’informations aux « partenaires commerciaux ». Depuis 2003, toute sanction édictée à l’étranger ouvre le droit de venir se servir à satiété dans la sphère confidentielle des secrets d’affaires de la concurrence installée en Suisse. La LEmb est très généreuse :

Un exemple d’application possible d’un tel mécanisme est celui de l’amende administrative faramineuse de $9 milliards, imposée récemment à la BNP sans jugement. Son crime ? La suspicion d’avoir, tiens donc : « contourné » des sanctions internationales américaines contre le Soudan, Cuba et l’Iran. C’est-à-dire pour avoir simplement utilisé le dollar dans ses transactions avec des « ennemis des États-Unis »… En nous souvenant que certaines de ces transactions passaient par la Suisse, il est techniquement possible que la LEmb ait joué la courroie de transmission pour ce nouveau moyen de renflouer leurs caisses US. Explication. Un beau jour, la BNP s’est donc vue notifier de simples soupçons de « contournement » de ses embargos, par les autorités de poursuites américaines. Ces dernières lui ont proposé le « deals of justice[18]» suivant : collaborer ou sortir du marché américain, payer ou disparaître. Pas d’autre choix que le premier car sinon des poursuites pénales seraient ouvertes, avec pour effet immédiat de suspendre les droits de la banque à travailler aux Etats-Unis, c’est-à-dire la sortie assurée du marché. Alors elle dit oui.

Elle doit en premier lieu s’auto-incriminer des soupçons portés contre elle, en violation directe du Vème Amendement. Mais on l’oblige à y renoncer. Vient ensuite une minutieuse enquête obligatoirement à charge, organisée selon les directives des services américains et diligentée contre elle par des avocats et auditeurs, désignés par les services de poursuite, mais intégralement payés par elle. C’est-à-dire qu’elle fait travailler ses avocats contre elle…Exit le procès équitable, les droits de la défense, la présomption d’innocence, la charge de la preuve à l’accusation, etc. Cette « enquête » se traduit en pratique par le pillage systématique de toutes les informations de la banque, pudiquement nommé : « transfert d’informations même sensibles », comme dans la LEmb. Les informations privées de et sur le personnel y sont évidemment incluses sans restriction.

Si la BNP a bien collaboré et renoncé à critiquer ce mode opératoire et à proclamer son innocence, elle passera à la caisse pour le plus grand bonheur des finances publiques américaines fédérales et locales. Sur les $9 milliards d’amende, plus de $2 milliards iront dans les comptes de l’État de New York. Son gouverneur, Andrew Cuomo, se frotte les mains. Son problème (qui fait la une des journaux locaux !) c’est comment partager le butin entre différents postes : la réfection du Tappan Zee Bridge, les routes, l’entretien des écoles ou la réduction de la dette publique ? Alors, notre loi sur les embargos, simple « ajustement technique » ou vecteur utile des deals de justice ?

Arnaud Dotézac est directeur de la rédaction du magazine market, édité à Genève et spécialiste de géopolitique, en particulier du monde arabo-musulman et du sous-continent indien. Il est également chargé de cours en droit comparé à l’Université de Genève et membre du Centre d’histoire et de prospective militaire suisse (CHPM).

[1] « Contre-mesures » dans la terminologie diplomatique d’origine américaine, « mesures restrictives » dans la terminologie européenne.

[2] A moins qu’elle n’émane d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, juridiquement contraignante.

[3] Ile située au sud des Antilles, d’une superficie de 300 km2 et peuplée de 54000 habitants, soit environ la population de Bienne.

[4] « L’île de Tobago peut-elle adopter une loi qui serait juridiquement contraignante pour le reste du monde? Le monde se soumettrait-il à la prétention d’une telle compétence ? »/ Aff. Buchanan v Rucker, Court of King’s Bench, Londres, 1808.

[5] Michel Jobert, L’aveuglement de l’Occident, Paris, Éditions Albin Michel, 1997

[6] « The world must be made safe for democracy » est le titre de son discours célèbre, prononcé au Congrès le 2 avril 1917, afin de justifier l’entrée en guerre des USA contre l’Allemagne.

[7] Charles Leben, « Les contre-mesures interétatiques » AFDI n°28, 1983, pp 9-77.

[8] cf. Hubert Védrine, « Les mondes de François Mitterrand à l’Elysée (1981-1995), Fayard, Paris, 1996.

[9] Il exposa comment, en plus de la coupure du robinet de gaz, les Etats-Unis décidèrent d’agir en parallèle sur la baisse du prix du brut, avec l’aide des Saoudiens, afin d’étrangler les entrées de pétro-devises en URSS, cf. Peter Schweizer, « Victory », Grove Atlantic, New York, 1996.

[10] H. Védrine, op.cit.

[11] ndlr, malgré cela, Sergueï Narychkine s’est rendu à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE à Genève, le 3 octobre 2014.

[12] Par exemple au regard de l’art 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui dispose que: « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international ».

[13] Professeure à l’Université de Genève.

[14] Les sanctions individuelles sont contraires, notamment à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art. 2, 10, 11, 13, 22, 25), au Pacte International sur les Droits Civils et Politiques (art. 12, 14), à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (art. 2, 6, 8, 9 ; art. 2 du protocole n°4 et 3 du protocole n°7) ;

[15] Par exemple : résolution 24/14 du 27 septembre 2013, disponible ici : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/AdvisoryCom/A_HRC_RES_24_14_FRE%20(1).pdf.

[16] En simplifiant à l’extrême la formule traduit un « laisser en l’état », d’où l’idée d’intangibilité des frontières à la date de la succession d’Etat, c’est-à-dire de l’indépendance.

[17] Définition : Action par laquelle on amène quelqu’un à faire quelque chose contre son devoir.

[18] Voir la seul étude exhaustive disponible à ce jour : « Les deals de justice », PUF Paris, 2013.

Source : World Peace Threathened

Source: http://www.les-crises.fr/l-ineptie-des-sanctions-economiques-par-arnaud-dotezac/


[BHLonaparte ?] Petro Porochenko et Bernard-Henri Lévy sur la ligne de front ukrainienne

Thursday 12 February 2015 at 12:27

Il avait prévenu sur son blog :

Bernard-Henri Lévy, le directeur de La Règle du jeu, et Petro Porochenko étaient, dans la nuit de ce mardi 10 février 2015, en Ukraine, à Kramatorsk, dans l’Oblat de Donetsk, tout près de la ligne de front.

Ces photos ont été prises par un photographe local. Et nous n’en savons pas plus, à l’instant de cette mise en ligne, sur les circonstances de cette visite surprise du Président et de Bernard-Henri Lévy dans l’une des zones le plus dangereuses de l’Ukraine en guerre, là où les séparatistes russes, quelques heures plus tôt, venaient de faire un nouveau et terrible carnage.

Les chiffres annoncés par l’AFP (au moins quarante-cinq personnes, dont dix-neuf soldats ukrainiens, ont été tuées et soixante-dix-huit blessées au cours des dernières vingt-quatre heures) confirment qu’un massacre a eu lieu, à quelques heures de l’ouverture du Sommet de Minsk où Merkel, Hollande, Porochenko et Poutine doivent se rencontrer pour ce qui ressemble à un Sommet de la dernière chance. Cela a tous les airs d’une provocation, d’un bras d’honneur ultime de la part de Poutine et de ses chiens de guerre.
La Règle du jeu apportera plus de précisions sur le contexte de cette incursion lors d’un entretien avec Bernard-Henri Lévy, dès que ce dernier sera à nouveau joignable, à son retour de Kiev.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, en route pour Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Je l’adore celle là, vous avez vu la pose ?

Sérieux, le président de l’Ukraine s’est glissé sur la photo précédente, le retrouverez-vous ?

(je passe sur le fait qu’ils regardent apparemment un dépliant touristique… – y’a du très lourd en Ukraine)

Sérieux, c’est qui lequel des deux le président ?
Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

On a vu où que les forces des sécurité du Président le laissent approcher à 1 mètre d’une fusée (soit-disant) non explosée ?

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Attention à la pneumonie…

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Bernard-Henri Lévy et Petro Porochenko, à Kramatorsk, le 10 février 2015.

Source : Maria de França, pour La Règle du Jeu.

Source: http://www.les-crises.fr/bhlonaparte-petro-porochenko-et-bernard-henri-levy-sur-la-ligne-de-front-ukrainienne/


Rasmussen (OTAN) : “Poutine pourrait attaquer un Etat balte !”

Thursday 12 February 2015 at 05:00

Mais oui, amis oui, il “pourrait” aussi envahir les USA, al Chine, l’Inde – tout est possible avec le magic conditionnel !

Vladimir Poutine a des ambitions au-delà de l’Ukraine et pourrait attaquer un Etat balte afin de tester la solidarité de l’Occident, a indiqué l’ex-secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, au journal britannique The Daily Telegraph aujourd’hui.

Anders Fogh Rasmussen s’est exprimé au moment où le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel sont attendus à Moscou pour tenter de convaincre le président russe d’accepter le nouveau plan de paix face à l’intensification des combats dans l’est de l’Ukraine.

“Il faut voir au-delà de l’Ukraine. Poutine veut redonner à la Russie sa position de grande puissance. Il y a de fortes probabilités qu’il intervienne en Baltique pour tester l’article 5 de l’Otan”, a souligné l’ancien secrétaire général.

L’article 5 du traité de l’Atlantique-Nord stipule qu’une attaque armée contre l’un des pays membres “sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties”. Et qu’en conséquence, celles-ci assisteront “la partie ou les parties ainsi attaquées”, y compris par la force s’il le faut.

“Poutine sait qu’il sera vaincu s’il franchit la ligne rouge et attaque un allié de l’Otan. Mais c’est un spécialiste de la guerre hybride”, mêlant différents types d’opérations pour déstabiliser un Etat, ajoute M. Rasmussen dans le quotidien britannique.

La poussée de la Russie en Ukraine et l’annexion de la Crimée en mars 2014 suscite des inquiétudes dans les trois pays baltes qui, après avoir passé un demi-siècle sous l’occupation soviétique, craignent les ambitions territoriales de Moscou.

Membres de l’Otan depuis 2004, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont toutes effectué d’importants achats de matériel et augmenté leurs budgets militaires ces derniers mois.

Fin janvier, l’une des voix influentes de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzezinski, a recommandé de pré-positionner des troupes américaines ou européennes dans les pays baltes, pour “dissuader” la Russie de toute visée sur ces pays.

Source : Le Figaro avec l’AFP

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“Samedi, à la conférence de Munich sur la sécurité internationale, le commandant des troupes de l’Otan en Europe, le général américain Philip Breedlove, a défendu une “option militaire” qui passerait par l’envoi d’artillerie et de matériels de communication à l’état-major de l’armée ukrainienne. ” (Le JDD)

Philip Breedlove, Commandant suprême des forces alliées de l’OTAN en Europe

Source: http://www.les-crises.fr/rasmussen-otan-poutine-pourrait-attaquer-un-etat-balte/


La Russie doit être notre alliée, par Jacques Attali

Thursday 12 February 2015 at 04:08

Une fois de plus, nous pouvons être entraînés dans une guerre absurde, contre ceux qui devraient être nos alliés dans d’autres combats infiniment plus importants.

Il est en effet totalement absurde de se poser en défenseur d’un gouvernement ukrainien aussi incohérent que les précédents, incapable de proposer un programme de reconstruction de l’État, et qui ne trouve pas mieux pour exister que de réaffirmer que le russe, langue maternelle d’une partie significative de sa population, n’est plus langue nationale.

Alors, faut-il s’indigner de voir la Russie se poser en défenseur des droits de ces minorités ? Nous opposerions nous aux Hollandais s’ils volaient au secours des Flamands à qui un gouvernement belge aurait interdit de parler leur langue ? Et nous, Français, ne réagirions nous pas si le gouvernement suisse interdisait à ses citoyens de parler le français ?

Si l’Ukraine ne veut pas donner à ses russophones un statut décent, il est normal que ceux-ci veuillent l’obtenir, et qu’ils appellent à l’aide la Russie voisine, où beaucoup d’entre eux se sont déjà réfugiés.

Ne nous laissons pas entrainer par ceux qui prétendre que la Russie voudrait ensuite se saisir de la Pologne ou des pays baltes, en réalité invulnérables parce que membres indéfectibles de nos alliances. Ne nous laissons pas non plus entrainer par ceux qui prétendent inviolables les frontières de l’Europe quand cela les arrange et qui ne se sont pas opposés à la sécession de la Slovaquie, à la partition de la Yougoslavie ni même au redécoupage des frontières lors de la naissance du Kosovo !

Enfin, le conflit qui menace désormais avec la Russie, pour la défense d’un gouvernement ukrainien incompétent, est d’autant plus absurde que nous avons bien des combats essentiels à mener en commun avec les Russes.

Ne voit-on pas que le terrorisme fondamentaliste est en train de tenter de s’organiser en un état islamiste unique, qui irait du Nigéria à la Tchétchénie, en passant par le Mali, la Libye, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et une partie du Pakistan ? Ne voit-on pas que ce qui se joue avec le terrorisme en Europe renvoie en écho à cette même bataille ? Ne voit-on pas que les compétences de l’armée russe en matière de lutte antiterroriste nous seraient fort utiles dans cet affrontement majeur ?

La France doit donc pousser les Européens à se dégager de l’influence ici délétère de ceux qui, aux États-Unis et en Europe, en particulier en Pologne, continuent de confondre Poutine avec Hitler. Et de ceux qui, comme dans les organes de direction de l’OTAN, sont heureux d’inventer un ennemi imaginaire pour justifier leur existence.

Il est urgent de proposer à nos partenaires européens de parler à la Russie comme un allié potentiel et non comme un ennemi imaginaire. Ce serait, d’ailleurs, la seule façon de pousser ce pays vers la démocratie.

Il est en conséquence aussi urgent de repenser notre loi de programmation militaire. Et en particulier nos stratégies de défense.

La France est l’un des rares pays au monde à maitriser la dissuasion nucléaire, les opérations spéciales, et la projection de forces conventionnelles et d’entrée en premier sur un théâtre. Elle est par ailleurs le seul pays d’Europe à posséder un porte-avion nucléaire. Mais son effort de défense n’est pas adapté à la nature des menaces à venir, et il décline depuis 1995 (avec notamment une baisse de 30% des effectifs en vingt ans). L’opération Serval au Mali a ainsi révélé les failles de nos équipements de renseignement (drones), de logistique (transporteurs), et de ravitaillement en vol, où certains de nos matériels en service le sont depuis plus de 50 ans ! Alors que nous dépensons des sommes indues, depuis trop longtemps, pour maintenir la chaine de production du Rafale, pour le seul bénéfice de l’entreprise qui le produit.

Tout cela serait à repenser. D’urgence. Il faudrait pour cela, en toute priorité, débattre, au Parlement, de notre vision du monde et de ses menaces. Beau débat. Bien plus intéressant et important que tous ceux qui agitent aujourd’hui notre classe politique.

Jacques Attali, 9/2/2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-doit-etre-notre-alliee-par-jacques-attali/


Un journée sur le Nouvel Obs

Thursday 12 February 2015 at 02:45

Extraits de la page d’accueil du Nouvel Obs le 25 janvier… No comment…

Source: http://www.les-crises.fr/un-journee-sur-le-nouvel-obs/


Samir Amin : « Un acte odieux, mais la faute en est à la France et aux États Unis »

Thursday 12 February 2015 at 01:08

Samir Amin

9.01.15 – Nous avons joint Samir Amin par téléphone à Paris. Philosophe et économiste, directeur du Forum du Tiers Monde, basé à Dakar, il commente l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo.

propos recueillis par Giuseppe Acconcia

Pourquoi les terroristes ont-ils frappé si durement au cœur de l’Europe ?

C’est une conséquence directe de la politique occidentale en Libye. En particulier le Sud du pays est devenu une base d’approvisionnement gigantesque. Cette région a été stratégique pour la France, sans elle l’armée française n’aurait pas pu intervenir au Sahel. Je dirai même plus. Je crois que l’exécution des attaques a une relation avec l’avancée de l’armée française au Tchad ces derniers jours. Les djihadistes ont voulu réaffirmer que le Sud de la Libye doit rester leur base et une terre de personne. Évidemment tout ceci est ensuite la conséquence directe des attaques de l’Otan contre le colonel Muammar Khadafi en 2011.

Qui est donc le vrai responsable de ces actions. Est-ce peut-être le cas de mettre en discussion la politique occidentale au Moyen Orient ?

Il s’agit d’un odieux acte de terrorisme de soi-disant islamistes qui ont une compréhension très particulière de l’Islam et de la religion. Mais la responsabilité de ces attentats est de la France et des États Unis. Les puissances occidentales continuent à soutenir l’Arabie Saoudite, le Qatar et les pays du Golfe. Ils accordent tout à ces pays, qui donnent un soutien gigantesque au terrorisme. Pour être plus clair, les puissances occidentales considèrent l’alliance avec les pays du Golfe comme un fondement de la politique néo-libérale. La deuxième erreur occidentale est d’avoir combattu les autocrates qui ont cherché à mettre un frein à l’Islam politique, de Saddam Hussein à Muammar Khadafi. Par exemple en Iraq Saddam Hussein bien qu’il réussissait à assurer la coexistence entre chiites et sunnites a été brutalement destitué. Et Khadafi avait clairement contenu les dérives islamistes en Libye.

Y a-t-il des responsabilités spécifiques de la France ?

La France a une responsabilité de plus : avoir soutenu les islamistes en Algérie, en les présentant comme des victimes de la dictature de l’armée. Une partie de ces islamistes s’est réfugiée en Arabie Saoudite mais aussi en Europe : en Grande Bretagne encore plus qu’en France.

Pourquoi les puissances occidentales ont-elles intérêt à continuer de fomenter le terrorisme international ?

Le seul objectif des puissances occidentales est de faire avancer leur politique néo-libérale. Pour ceci, pour elles, le monde se divise en deux : les pays qui soutiennent inconditionnellement le néo-libéralisme sont les seuls amis de l’Occident, même s’il s’agit d’odieux islamistes ; les pays récalcitrants sont par contre des ennemis de la dictature du capital international. Dit autrement, les puissances occidentales ont un seul critère : le libéralisme absolu. A ceux qui le soutiennent on pardonne tout. Et la démocratie n’a rien à voir avec cela.

Parmi les terroristes certains auraient fait référence à Al Qaeda au Yemen pendant les attaques.

Ça ne m’étonne pas, au Yemen pendant des années les islamistes ont été soutenus par les États-Unis pour leur fonction anti-communiste, ensemble avec l’Arabie Saoudite. Dans ce cas la bataille était contre le « danger » national populaire de l’ex Yemen du Sud.

Est-ce plausible qu’il s’agisse de djihadistes avec des passeports européens, comment cela s’explique-t-il ?

Les puissances occidentales ont toléré que des citoyens européens partent pour la Syrie pour combattre Bachar Al Assad. Ce mécanisme a été soutenu par la Turquie et par d’autres gouvernements occidentaux . Mais il faut faire attention à ne pas tomber dans l’islamophobie. La majorité écrasante des immigrés qui vivent en France, croyants ou pas, ne sont pas du tout fanatiques de l’Islam réactionnaire. Par contre il ne faut pas sous-estimer que soient impliqués beaucoup d’athées et des convertis à ces mouvements radicaux. Les terroristes, comme d’habitude, sont bien préparés. La même chose advint avec les Talibans en Afghanistan qui avaient été entraînés par la CIA au Pakistan. Et ainsi ces « jihadistes européens » ne sont pas des amateurs, probablement ils se sont formés en Syrie et en Iraq. C’est pour cela qu’ils sont extrêmement efficaces.

Pourquoi c’est la presse qui a été choisie comme objectif ?

Les terroristes ont choisi un objectif « intelligent ». Leur but est de diffuser la terreur dans les médias. L’objectif, en dernière analyse, est celui d’obliger l’Occident à renoncer à la laïcité et à la liberté d’expression.

Source : il manifesto.it, trouvé sur histoireetsociete.wordpress.com

Source: http://www.les-crises.fr/samir-amin-un-acte-odieux-mais-la-faute-en-est-a-la-france-et-aux-etats-unis/


Stop au “Mahomet bashing”, par Eric Brunet

Thursday 12 February 2015 at 00:02

Par Eric Brunet

Je ne suis pas Charlie. Je suis resté chez moi, le dimanche 11 janvier, comme 62 millions de Français. Pour autant, les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher m’ont meurtri. Je connaissais personnellement deux victimes…

Si je vous dis que je ne suis pas Charlie, ce n’est pas pour cultiver ma différence, mais parce que j’estime que la liberté d’expression ne peut être réduite au droit de dessiner Mahomet avec une paire de testicules sur la tête… ou le pape avec un crucifix dans le postérieur.

Beaucoup de Français viennent de découvrir que la liberté de la presse est menacée dans notre pays. On pourrait sourire… Dans les faits, elle est bafouée tous les jours par des censeurs éminemment plus subtils que les frères Kouachi : les groupes financiers ou industriels qui achètent nos quotidiens, les milliers de journalistes qui s’autocensurent pour garder leur job…

Curieux, ce réveil tardif des défenseurs de la liberté. Où étaient-ils lorsque Mitterrand usait de tous ses pouvoirs pour empêcher Jean-Edern Hallier de révéler l’existence de sa fille dissimulée, ses liens avec Pétain et la Cagoule, ou le cancer qu’il cachait aux Français ? … Oui, la liberté d’expression, c’était Jean-Edern, pas les caricatures représentant Mahomet sous la forme d’une crotte enturbannée ou Benoît XVI en train de sodomiser des enfants.

Entendons-nous : je ne suis pas religieux et j’adore le rire et la provocation. Mais cessons de nous arcbouter sur le logiciel français et admettons que les obsessions de Charlie Hebdo ont déboussolé une communauté musulmane qui entretient avec Dieu une relation particulière, différente de celle des chrétiens et des juifs.

Je ne rêve pas que la France renonce à la liberté de caricaturer. Je veux juste qu’elle fasse montre de mesure et de discernement… Ces derniers jours, les chaînes de télévision américaines et britanniques ont refusé de montrer la couverture de Charlie Hebdo à leurs publics. Pourtant, les États-Unis et le Royaume-Uni comptent parmi les plus anciennes démocraties du monde. Et CNN comme la BBC ne sauraient être accusées d’indulgence à l’endroit des extrémistes musulmans. Mais dans ces nations où le dogme laïque n’existe pas, le bon sens commun a conduit les médias à prendre une position responsable.

Il est temps d’affirmer que les manifestations du 11 janvier ne donnent pas à Charlie Hebdo un droit éternel à allumer des incendies. Les caricaturistes doivent lever le crayon. « Un dessin est un fusil à un coup », disait Cabu. Vrai : lors des manifestations anti-Charlie Hebdo, des effigies de François Hollande ont été brûlées et de nombreux chrétiens ont été assassinés. N’oublions pas que près de 3 millions de nos compatriotes vivent à l’étranger, et beaucoup redoutent la haine anti-Français…

Source : Valeurs Actuelles, le 26/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/stop-au-mahomet-bashing/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Die Anstalt)

Wednesday 11 February 2015 at 05:20

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche : L’euro nous pourrit la vie depuis trop longtemps

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (1/2): Doit-on accorder une nouvelle aide à la Grèce ? – 09/02

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (2/2): Pourquoi les investisseurs achètent-ils des valeurs chères ? – 09/02

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Pétrole, une panique à la hausse – 04/02

Philippe Béchade: Quid du rebond des cours du pétrole ? – 04/02

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 06/02

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir:”La Grèce est dans une situation favorable pour sortir de la zone euro”

Jacques Sapir VS Pierre Barral (1/2): quel avenir pour la Grèce en zone euro ? – 10/02

Jacques Sapir VS Pierre Barral (2/2): l’inflation de la croissance chinoise va-t-elle s’aggraver ? – 10/02

IV. Die Anstalt

Diffusion d’un épisode de Die Anstalt (du 29 avril 2014), émission d’humour satirique sur la 2e chaine allemande, la ZDF. L’épisode évoque les liens des médias avec différents lobby transatlantiques et l’utilisation des images de l’ennemi dans le conflit ukrainien.

Cet épisode fut interdit suite à la plainte (pour diffamation ?) de deux journalistes contre la chaîne. Josef Joffe, l’un des deux journalistes et l’homme sur la deuxième photo dans la vidéo (9:15) est présenté comme ayant plusieurs lien avec les lobby transatlantiques. Sous réserve de plus d’informations, ce dernier ne nierait pas les liens mais plutôt leurs nombres.
Idem pour Jochen Bittner le deuxième journaliste (présent dans la vidéo également.).

L’épisode a donc fait l’objet d’une interdiction …
http://www.vineyardsaker.co.nz/2015/01/29/banned-german-satire-die-anstalt-exposes-double-standards-on-russia-and-ukraine/
http://www.spiegel.de/kultur/tv/die-anstalt-im-zdf-zeit-journalisten-einstweilige-verfuegung-a-983517.html
http://www.t-online.de/unterhaltung/id_70448526/-die-anstalt-reizt-zeit-journalisten-neuer-aerger-fuers-zdf.html

… qui fut par la suite levée par le tribunal d’Hambourg. L’épisode n’est cependant plus disponible sur le site internet de la ZDF.


Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-11-02-2015/


Les documents du financement américain et de la formation de l’armée ukrainienne, par Karine Bechet-Golovko

Wednesday 11 February 2015 at 04:50

Un intéressant article de Karine Bechet-Golovko, à propos d’un leak russe.

Après première enquête, cela semble suffisamment robuste pour que je reprenne ce papier.

ATTENTION, en ces temps de guerre, donc de propagande à outrance des 2 côtés, il convient de rester prudent quant à leur authenticité.


Yatséniuk et le vice-président américain J. Biden

Hier, le groupe de hackers Cyber-Berkut a publié les documents en possession d’un proche de J. Biden, lors de sa visite en Ukraine. Les documents furent piratés justement lors de cette visite. Des centaines de milliers de dollars versés sur les comptes personnels d’officiers ukrainiens, 1 million de dollars pour que l’armée ukrainienne apprenne l’anglais, le paiement des frais courant de nourriture, les négociations sur des fournitures d’armes à grande échelle, notamment tout ce qu’il faut pour des opérations maritimes coups de poings. Voici une traduction de l’essentiel.

1)

Ce document est particulièrement surprenant. La Marine ukrainienne a demandé aux Etats Unis de payer les frais de déplacement des officiers participants aux exercices militaires communs Ukraine/US sur le territoire ukrainien. Passons sur la fierté nationale, c’est un sentiment dépassé. Techniquement, il est intéressant de noter que, officiellement, les Etats Unis en ont payé pour environ 550 000 Hryvnias (1 dollar = 15 Hryvnias UAH). Et cet argent n’a pas été adressé au budget ukrainien, non. Il a été payé sur le compte privé de Denis Stupak, capitaine de 3e classe.

2)

Ici, l’Académie militaire P. Sagaydachnui demande une compensation pour les déplacements et la nourriture de 11 de ses officiers et d’un civil, pour un montant de 53 000 Hryvnias.

3)


Ici, un petit bonus. Cyber-Berkut analyse cela comme la preuve que l’armée ukrainienne devient une filiale américaine. En effet, environ 1 million de dollar est prévu pour mettre en place un Laboratoire linguistique, permettant aux militaires ukrainiens d’apprendre correctement l’anglais. En plus de cela, et afin que leur formation soit complète, il est également prévu d’acheter des manuels militaires en anglais.

4)

Les Etats Unis fournissent à l’Ukraine ces fameux Radars qui permettent de localiser la position exacte du tir de l’ennemi. 3 radars sont livrés pour un montant de 350 000 dollars. Lorsque l’on voit l’intensification des tirs sur la région de Donetsk, on comprend que le cessez-le-feu n’est qu’un moyen de gagner du temps pour ré-équiper l’armée ukrainienne. Ces armes vont permettre aux militaires ukrainiens de prendre un sérieux avantage sur les combattants.

5)

Ici, 25 millions de dollars d’aide à l’armée ukrainienne.

6) L’aide ne se limite pas aux armes non létales. Les négociations, tellement précises qu’elles ressemblent plutôt à une commande, concernent l’armement lourd, des roquettes anti-tanks (420), des équipements de snipers (400), des mines (70 000), de l’artillerie, etc …


7) Et pour finir, il s’agit de remettre sur pied les forces d’intervention en mer. Cyber-Berkut, vu l’état de la marine ukrainienne, interprète cela comme la préparation d’une intervention soit par la mer de la Crimée, soit de diverses opérations de déstabilisation dans la région.

L’on comprend mieux, maintenant, le large sourire de Yatséniuk et de Poroshenko à l’arrivée de Biden. L’on comprend également mieux pourquoi, quand juste avant, le ministre allemand des affaires étrangères était arrivé pour tenter un compromis, il a dû sonner à la porte et attendre qu’on lui ouvre face à des grilles fermées, alors que la délégation américaine fut accueillie avec un tapis rouge.

Source : Karine Bechet-Golovko, pour Russie Politics

Source: http://www.les-crises.fr/les-documents-du-financement-americain-et-de-la-formation-de-larmee-ukrainienne-par-karine-bechet-golovko/