les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

[Réfléchissons] Rendons hommage à Charlie Hebdo : boycottons la manifestation du 11 janvier (pour 10 raisons)

Sunday 11 January 2015 at 13:05

Primo, condamnons sans équivoque la barbarie de ce crime indéfendable.

Secundo, honorons la mémoire des victimes et pensons à leurs prochesm

Tertio, à l’heure où on veut nous obliger à hurler “Je suis Charlie”, n’oublions pas ce que c’est non plus et ce qu’on veut nous faire endosser… D’où cette mise au point utile d’un des anciens de Charlie Hebdo, écrite il y a 1 an.

Désolé, je voulais attendre 1 mois plein avant de remettre ceci sur le tapis, mais le fil des événements, ainsi que l’expérience du 11 septembre me pousse à contrecoeur à traiter de ces sujets plus tôt.azer

Je vous encourage donc à rendre hommage à l’équipe de Charlie Hebdo dimanche en boycottant la “manifestation” de dimanche.

Pour ma part, je n’irai pas, et  ce, pour plusieurs raisons (à vous de les évaluer et de vous faire votre opinion).

La première, pour ne pas être complice d’une infâme récupération

Avez-vous envie de vous associer à l’OTAN en grande pompes ?

L’OTAN qui met le feu au Moyen-Orient depuis 25 ans et qui a engendré des milliers de terroristes ?

L’OTAN qui annonçait le lendemain du massacre avoir largué 5 000 bombes en Irak ? (et on s’étonne donc des retours de flamme ?)

Voulez-vous donc risquer de soutenir par avance des politiques qui causeront encore plus de morts là-bas, et plus de terroristes dans le futur ?

Alors sérieusement, vous pensez que Cabu a envie de voir Merkel venir larmoyer (et se faire de la publicité) sur son cercueil ?

La deuxième, c’est qu’il y aura le président ukrainien

Vous savez celui qui a des néo-nazies qui combattent pour lui, et dont les troupes ont tué des centaines de civils dans l’Est de l’Ukraine ? Lui dont la place est à La Haye, et pas à Paris avec Cabu ?  C’est l’esprit Charlie ça ?

EDIT : tiens, je me disais qu’on l’aurait bien aussi lui :

Vous vous rappelez, c’est celui qui refuse de reconnaître la Cour Pénale Internationale – sans doute un peu car il a fait ça cet été (et qui n’a probablement aucun rapport avec une hausse du terrorisme, bien entendu) :

(Si vous avez le coeur très très bien accroché, regardez ou )

Hommage à Charb, qui nous manquera tant sur ces questions… :

EDIT 2 : tiens, il u aura aussi le turc Erdogan. Je me demande s’il pensera à Fazil Say, comdamné en Turquie pour avoir revendiqué son athéisme.. #JeSuisCharlie ?

La troisième, c’est qu’ils n’aimaient pas les messes du dimanche

La quatrième,  c’est qu’on ne manifeste pas “contre le terrorisme”

On manifeste pour demander au gouvernement des solutions concrètes non pas pour empêcher les terroristes d’agir, mais pour qu’il déconnecte la machine à fabriquer des terroristes (conflit en Palestine, islamophobie, “choc des civilisations”, “guerre contre le terrorisme”, BHL, misère, etc.).

Bien entendu, après ce beau moment d’émotion collective (façon “Black Blanc Beur” dont on a vu la réalité concrète durant 15 ans…), le gouvernement annoncera la 15e loi anti-terroriste (qui n’empêchera jamais un attentat de ce type) et réduira encore plus nos libertés publiques, entrant encore plus dans une société de surveillance, dont a vu les résultats aux USA… Rien ne sera évidemment fait pour s’attaquer aux racines du terrorisme issues de notre propre politique étrangère et de coopération…

La cinquième, c’est que je ne suis pas Charlie

Car Charlie avait une face sombre, discutable, non respectueuse de l’autre (à différents niveaux) et donc non humaniste, à laquelle je ne veux pas être associé.

Condamner le massacre : oui, évidemment ! Promouvoir la liberté d’expression, oui ! Mais donner un blanc seing à tout ce qui a été fait, non !

Vous êtes Charlie ?

Donc vous êtes ça :

“Pleine page de Caroline Fourest parue le 11 juin 2008 où elle racontait son amicale rencontre avec le dessinateur néerlandais Gregorius Nekschot, qui s’était attiré quelques ennuis pour avoir représenté ses concitoyens musulmans sous un jour particulièrement drolatique”. (Lire Charlie Hebdo pas raciste ? Si vous le dites… par Olivier Cyran)

(je n’ai pas la moindre complaisance avec le FN, j’ai encore dénoncé Marine Le Pen ce matin ; mais c’est 25 % des Français qu’on traite de merde, alors que beaucoup font partie des Français qui souffrent le plus dans notre pays – on est en droit d’espérer des analyses un peu plus fines)

Donc NON, désolé, je les pleure, mais Je ne suis pas Charlie, car je ne suis pas tout ça, moi je préfère que les gens soient – quand c’est possible – respectés, et qu’on travaille à rapprocher plutôt qu’à diviser.

Car je suis désolé, alors que plein de dessins de Charlie sont d’une intelligence extrême, la plupart de ceux-ci, ceux qui ont causé tant de problèmes et de dégâts, ne sont pas drôles, ne véhiculent aucune message, ne poussent pas à la réflexion : ce sont de simples provocations gratuites, sans talent, destinées à choquer, humilier, blesser (je ne dis pas non plus qu’il faudrait les interdire, bien entendu). Et que je vois mal où est la “liberté d’expression” là-dedans (car je ne vois pas “l’expression”, et je ne suis pas le seul),

alors que je vois assez bien où est l’incitation à la haine – un peu comme si vous allez hurler face à votre voisin que sa femme est très moche et ses enfants de gros mal élevés… Ce qui n’excuse évidemment en RIEN les actes barbares – mais qu’on ne vienne pas me demander de mettre sur le blog des stickers “Je suis Charlie”…

On a aussi le droit d’écouter les autres, et d’essayer de faire preuve de fraternité…

Pour l’ex-Premier ministre de Malaisie, Mahathir Mohamad, l’hebdomadaire a maintes fois manqué de respect à l’islam. « Ont-ils besoin de ridiculiser le prophète Mahomet en sachant qu’ils offensent les musulmans ? » a-t-il dit cité par l’agence officielle Bernama. « Nous respectons leur religion, et ils doivent respecter la nôtre ».

Et enfin, puisqu’on en parle, puisque les “belles âmes” nous disent qu’elles soutiennent un droit absolu à la liberté d’expression de blesser, j’imaginent qu’elles défendent aussi le droit de ce dessinateur de publier ça (en pastichant Charlie Hebdo) ?

Ces dessins ne me plaisent nullement (ils ne font pas rire, sont choquants et c’est bien l’exacte intention du dessinateur), mais je dis ça car j’avais cru comprendre le contraire… C’est juste pour m’assurer de leur cohérence – parce qu’un discours “je n’en n’ai rien à foutre que des musulmans soient choqués par ceci, je fais ce que je veux // je suis choqué par ceci, c’est un scandale à interdire” n’est pas intellectuellement cohérent ni honnête…

Pour ma part, je milite simplement pour une autocensure de création / diffusion / lecture – la loi n’a rien à faire là dedans.

La sixième, c’est que je veux protéger mes concitoyens

Je ne suis pas irresponsable comme tous nos médias. Honorer les morts oui, afficher “Je suis Charlie” partout, au vu des dessins précédents, envoie un clair message au monde musulman : “Attaquer ainsi votre prophète n’est pas le fait de quelques dessinateurs provocateurs, mais est assumé par toute la population française”.

Et donc chaque Français sera désormais une cible désignée pour les extrémistes de tout poil. Je ne porterai pas une telle responsabilité…

Libération indique d’ailleurs :

La septième, c’est que personne n’a manifesté contre ça en décembre :

D’autant qu’il me semble qu’on a une petite responsabilité dans tout ceci… Mhhh, non ?

Alors si on ne veut pas indiquer aux musulmans que leurs vies n’ont aucune valeur, qu’aucun dirigeant ne se déplace pour eux, autant appliquer la même règle à nos morts : le “2 poids 2 mesures” détruira notre civilisation à la longue.

La huitième, c’est que 3 barbares n’ont pas à influer sur ma vie

J’ai prévu autre chose dimanche, et ce ne sont pas 3 barbares qui vont changer un iota de ma vie…

Cela reviendrait à combler leurs attentes – et à envoyer un signal clair à l’État islamique : “renvoyez donc quelques barbares, vous aurez encore une semaine pleine sur nos médias pour parler de vous et terroriser notre population, avant qu’on vote une nouvelle loi liberticide et inutile”…

La neuvième c’est que, ami musulman, tu n’as rien à prouver

J’ai vu ces appels “aux musulmans” à se “mobiliser” pour montrer que vous n’êtes pas des terroristes !

Mais c’est quoi ce délire ?

Ami musulman, j’imagine que tu as lu comme moi les 10 commandements, en particulier le 6e, disant :

Tu ne tueras point” [Dieu pour ceux qui y croient, un philosophe génial à écouter pour les autres]

C’est clair net et précis, et aucun prophète ou religieux ne peut contredire la parole claire de Dieu me semble-t-il…

Quoiqu’il en soit, ami musulman – et concitoyen si tu es français – tu ne peux donc – évidemment, et comme moi – que désapprouver ces actes barbares.

Tu n’as donc évidemment rien de commun avec ceux qui les ont perpétrés.

Tu n’es pas plus responsable de ceci que moi des crimes de l’Inquisition ou de Pol Pot…

Tu n’as donc aucune preuve à apporter, aucune excuse à présenter pour des actes de crétins, aucune repentance à faire et tu n’as donc pas à subir ça :

==========================================================

==========================================================

Je rappelle qu’il y a 2 ou 3 siècles, les Charlie auraient été brûlés en place publique par des intégristes catholiques…

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’on serait plus “avancé”, le crétinisme et l’appel à la violence ont de beaux jours devant eux…

(Ami “je suis Charlie”, j’imagine que tu iras aussi manifester avec un “Je suis Dieudonné” au cas où Tesson serait entendu ?)

 

Enfin, la dernière, car les hommages, c’est vraiment de la merde !

Les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter.” [Sören Kierkegaard]

Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.” [Benjamin Franklin]

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.” [Martin Luther-King]

P.S. j’en ai surement oublié, tombant de fatigue, vous pouvez en rajouter en commentaire…

P.P.S. : Si vous n’êtes pas d’accord, et que “vous êtes Charlie”, merci de ne pas m’écrire pour m’insulter (j’ai le compte d emails, c’est bon) mais de faire suivre ce billet en indiquant votre désaccord, pour montrer votre haute idée de la liberté d’expression :)

EDIT : pour un meilleur confort : Vous pouvez retrouver les 700 commentaires ici, et y réagir

P.S. si vous avez un peu de temps cet après midi, et un esprit d’analyse critique, merci de me contacter pour un coup de main

Source: http://www.les-crises.fr/indecense-rendons-hommage-a-charlie/


Commentaires sur rendons hommages à Charlie Hebdo

Sunday 11 January 2015 at 12:00

Afin de soulager le serveur, vous pouvez commenter ici l’article “[Indécence] Rendons hommage à Charlie Hebdo : boycottons la manifestation du 11 janvier (pour 10 raisons)”

P.S. si vous avez un peu de temps cet après midi, et un esprit d’analyse critique, merci de me contacter pour un coup de main

==================================================

Quelques uns de vos commentaires, au fil de l’eau…

==================================================

Envoyé le 11/01/2015 à 13 h 06 min

Je suis musulman

Je ne suis pas Charlie mais je suis chacun de ceux qui sont morts, les survivants à jamais meurtris et tous leurs proches.

Je suis d’accord avec ces dix raisons auxquelles j’ajouterai les suivantes.

Parce que nous sommes responsables en tant que société d’une dérive de paumés. Défaillance collective d’une société sans valeur en échec sur tous les plans ; famille, école, prison, police, travail… Quel espoir ont ces jeunes de trouver une place dans une société qui ne fait que leur demander leurs papiers ? Que leur reste t’il d’autre que la provocation pour la majorité et le risque de déraper pour les crânes les plus malléables ?

Parce que le spectacle putassier des médias avides de scoop, avec son lot d’experts autoproclamés, de flics en mal de vitrine, de politiciens venus s’exhiber comme au quartier rouge d’Amsterdam, d’interviews sans retenue ni pudeur avec des propos indignes en profusion. Jusqu’à un François Morel sur Inter vendredi matin qui parle des « barbus » avec ce qu’il faut de trémolos dans la voix d’un homme de gauche. Rien à dire sur la forme du nez de ces anti France M. MOREL ?

Parce qu’on nous les vend comme un réseau entraîné avec des ramifications dignes d’une théorie du complot et que nous ne voyons que des branquignoles perdant en descendant de voiture qui une chaussure qui une carte d’identité, avec un niveau de préparation inférieur au moindre braqueur de banque, sans solution de replis et sans aucune connexion. Sacré réseau !

Parce que de la même manière on a eu un dingue, rien de plus rien de moins, Mohamed Merah, présenté comme un islamiste, dont on ne sait pas puisqu’il a lui aussi été assassiné par la police, ce qu’il avait vraiment dans le crâne. Avait-il seulement lu le Coran ? Etait-il un informateur de la police ? A-t-il vraiment fait une sortie de nuit pendant sa traque ?… S’il avait des gens structurés derrière lui, que sont-ils devenus ? Qu’avons-nous à gagner à fabriquer des ennemis publics quand il faudrait mieux taire leurs méfaits pour éviter qu’ils fassent école ?

Parc que la seule chose certaine dans cette histoire est que l’on va gagner une nouvelle loi liberticide avec la bénédiction des « je suis Charlie », énième loi sécuritaire aussi inutile et dangereuse que les précédentes. Parce que les racistes, anti musulmans et tous les bas du front vont sortir renforcés dans leurs convictions, nous éloignant un peu plus du bien vivre ensemble. Plus de police, plus de garde à vue, plus de caméras, plus de budget pour la face sombre et toujours moins pour la face claire (culture, formation…) plus de haine de l’autre, plus de confort pour envoyer demain des troupes là où de pseudos islamistes sévissent.

Parce que deux jours avant le Charles de gaulle quittait la France pour aller mettre à feu et à sang l’Irak. Parce que « nous sommes en guerre contre les extrémistes et les islamistes partout ou il y en a » nous dit notre Président qui va y gagner un pouillème de popularité. Parce que nous sommes en guerre contre un monstre que nous avons créé pour nos intérêts et que nous voulons détruire maintenant qu’il est émancipé, tout en acceptant son coup de main en Syrie.
17000 civils irakiens sont morts en 2014, chaque jour un attentat meurtrier frappe des innocents dans un pays musulman, Yémen, Pakistan, Irak, Syrie…Et nous sommes responsables ! Donc nous sommes en guerre, mais une guerre propre et inconsistante pour les « Moi Charlie » et les autres, parce que lointaine. Là des dingues nous montrent sur notre sol un aspect de ce que toute guerre provoque et c’est l’horreur. Et pour les millions de familles que nos armes endeuillent, expulsent, maintiennent dans la misère parce que nous sommes le camp du bien, de la liberté contre des fanatiques, elle est quand la marche ?

Parce que l’un de ces trois nazes a été se former au Yémen, avec l’argent de l’Arabie Saoudite et/ou du Qatar. Je marcherai avec « toi Charlie » quand tu déchireras ta carte du PSG et que tu ne te coucheras plus devant l’argent d’une dictature moyenâgeuse qui finance sans vergogne la haine pendant que notre ancien président y délivre des conférences à 100 000€.

Parce que sur France Info ce matin une anthropologue qui a pour mission nationale de remettre dans le droit chemin les brebis égarées en djihad nous expliquait qu’il faut les prendre jeunes pour les redresser sinon c’est trop tard, la preuve. Elle et tous ceux qui bavassent en surface sans nous mettre en face de nos responsabilités me font peur. Cette route de l’exclusion ne peut être que zemmourienne.

Parce que Charlie Hebdo était en train de mourir lentement faute de lecteurs, quelles qu’en soient les raisons, et que cette tragédie conduit à une survie artificielle d’un journal qui tournait sur lui-même à l’agonie, avec un Plantu qui fait aussi dans la finesse d’analyse et qui annonce sans pudeur avoir trouvé un financeur prêt à intervenir (mais je n’en dit pas plus), un libé lui aussi sous perf et son Joffrin qui se compte parmi les combattants de la liberté ( !), un Etat qui va apporter des fonds etc. Donc Charlie va renaître et continuer de publier des dessins comme ceux qu’Olivier nous montre ? Et peut-être même verra t’on le retour de Philippe Val qui en était parti sur fond de polémique, avec outre ses idées, son salaire et la vente de ses parts, et de Caroline Fourest et de ses nobles combats ? Brrr Un journal dont la ligne éditoriale est d’être un journal athée, donc au-dessus de tout, qui tape sur toutes les religions en confondant religion et intégrisme, provocation et insulte aux croyants, ne m’intéresse pas, ni hier ni demain, avec une surenchère qui se profile.

Parce que l’argent roi qui a une place majeure dans cet épisode dramatique va régler le problème. Le dernier numéro s’arrache à plus de 75 000€ sur Ebay, le prochain va se vendre à plus d’un million d’exemplaires, l’état va injecter au moins 250 000€, Charlie fait un appel aux dons pour poursuivre leur combat, les médias engrangent de la publicité pendant que les citoyens y suivent le flux sans réfléchir, les professionnels de la sécurité vont avoir un regain d’activité… L’argent fou coule à flot. L’argent, donc notre capitalisme débridé, va nous sauver ? Comme si la montée des inégalités n’avait pas sa part. Si émotion rime avec pognon mais pas avec réflexion, alors on est tous morts.

Je suis musulman et pour prendre le problème à sa racine, je suis palestinien.

==================================================

Envoyé le 11/01/2015 à 12 h 46 min

Bon on a l’habitude maintenant, mais quand même, c’est toujours aussi choquant : Le Parisien, aujourd’hui : “sans oublier le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov (dont les relations avec Hollande sont pourtant tendues à cause du dossier du Mistral), le président ukrainien, Petro Porochenko, avec qui la Russie est en guerre…”

link to leparisien.fr

==================================================

Envoyé le 11/01/2015 à 11 h 41 min

je comprends le point de vue du billet, mais je pense qu’il y a un temps pour tout, le recueillement est une chose, les manifestations quand ils voudront promulguer une loi qui atteindra a nos libertés en est une autre, et c’est à ce moment la qu’il faudra agir. Quand à Charlie hebdo, leur dessins certes pas tous d’une intelligence extrême permettent de prendre la température sur la liberté d’expression, car pour rappel tout le monde y passait, politique, religion, sexualité…. Pas de tabou, c’est ce qui faisait leur force. Aujourd’hui cet attentat est une preuve de plus des dangers des religions mal interprétée (et cela dure depuis qu’elles existent). Donc oui il faut cautionner ces dessins, car ils sont la preuve de l’unité, du respect des libertés. Le jour où ce genre de dessins n’atteindra plus personne c’est qu’une guerre contre la l’intolérance sera gagné.

Bref, si tu ne cautionnes pas les dirigeants des états, c’est pas en allant pas à cette manifestation que tu va changer grand chose, en revanche ton blog peut aider à éveiller certains esprits, à chacun d’y prendre une décision.

==================================================

Envoyé le 11/01/2015 à 12 h 41 min | En réponse à Giannetto.

“je trouve ça très positif [...] qu’on veuille défendre tous ensemble les valeurs de la République”

Oui, c’est positif.
Sauf que ce n’est pas nécessairement le cas des Sarkozy, Valls, Hollande.
Et qu’ils pourront s’appuyer sur le nombre des manifestants pour tout justifier.

Pour rappel, les valeurs de la République ne se déclinent pas de façon automatique en politique “clé-en mains”. Elles peuvent se concevoir de nombreuses façons.

Vous allez défendre la Liberté d’expression? Celle des écoutes de journalistes?
Celle de l’abrogation d’émission trop dérangeant et trop regardée? Celle des médias aux mains de marchands d’arme? Celle de ceux qui se sont royalement assis sur le référendum de 2005?

Parce que demain, ceux qui s’appuieront sur la réussite de l’hommage à Charlie pour faire passer leur agenda, ce sont eux.

==================================================

Envoyé le 11/01/2015 à 11 h 53 min

J’aimerais aller marcher ce jour – dimanche 11 janvier – dans Paris avec des millions de gens défendant des idéaux que je partage. Mais je n’irai pas, tout simplement parce que j’ai l’intuition, à moins que ce ne soit carrément l’impression, d’être manipulé et instrumentalisé. Qui achetais Charlie Hebdo auparavant, ce torchon journalistique si peu représentatif de la liberté d’expression. Nous vivons une époque où, plus que jamais, il faut se méfier de la portée des mots, du poids des images. Les salariés et pigistes de Charlie Hebdo savaient très bien qu’ils allumaient l’étincelle d’un formidable explosif : ils ont abusé de la liberté, oui j’en ai la conviction. On n’a pas le droit, quel que soit son camp politique ou idéologique, de blasphémer, de froisser les susceptibilités de ceux qui croient, qui nourrissent de la spiritualité.

Moi qui ai, qui revendique des racines chrétiennes (et je suis allé à la messe de minuit à Noël), je suis peiné par tous ces musulmans dits modérés, que je croise tous les jours dans le bus et dans ma cité, qui sont maintenant tombés dans un piège, un piège que le pouvoir actuel a contribué à créer. Ils ont une réelle croyance, et ils sentent que certains veulent les assimiler à des actes qui leur échappent. Mais «on» les a quand même offensé dans leur pratique religieuse. «On» ? Charlie Hebdo, entre autres médias. Il y a beaucoup de choses, de faits, de détails flous dans toute cette sanglante affaire. Il y a aussi un président qui n’a pas réussi grand-chose, disent certains (autres) journaux et qui cherche évidemment à se faire réélire, qui cherche à éliminer de potentiels adversaires, etc. La France est en guerre, sur plusieurs fronts, et elle ne reçoit peut-être pas de la communauté internationale l’aide sur laquelle le gouvernement compte. Alors, voilà sans doute une occasion toute trouvée d’élargir la coalition qui combat les groupes d’extrémistes musulmans à l’étranger. Voilà aussi l’occasion, par la suite, de fliquer toujours davantage une société que l’on déresponsabilise puisque les gens, de plus en plus, sont amenés à ne pas penser par eux-mêmes et à ne pas mesurer les conséquences de leur acte. Bref, une sorte de fascisme à la française, parrainé par les socialos et leurs alliés, ne serait-il pas en train de naître?

Et puis, si j’ai bonne mémoire, dans son intervention télévisée, présentant ses vœux aux Français, François Hollande a évoqué ceux qui dénigrent la France. «Dénigrer» : un mot troublant dans son discours, car c’est exactement ce que fait Charlie Hebdo : dénigrer, provoquer, offenser, salir, abaisser le débat.
Comment la France, hélas, peut-elle défendre ses valeurs de liberté et de tolérance rassemblée autour d’un tel torchon journalistique. Le monde est devenu fou pour en arriver à de telles .absurdités. Oui, attention : la violence des mots est une arme qui peut se retourner contre ceux s’y adonnant, et qui peut tuer beaucoup de monde.

==================================================

Source: http://www.les-crises.fr/commentaires-sur-rendons-hommages-a-charlie-hebdo/


[2002] Le terrorisme et la réponse appropriée

Sunday 11 January 2015 at 05:21

L’intervention américaine en Afghanistan
Par Noam Chomsky 2 juillet 2002,

Le 11 septembre 2001 restera indubitablement comme une date clé dans les annales du terrorisme. Partout à travers le monde, ces actes terribles ont été condamnés et considérés comme de graves crimes contre l’humanité. On appelle quasi universellement tous les États « à débarrasser le monde des êtres malfaisants », et l’on s’accorde à penser que « le fléau diabolique du terrorisme » – en particulier du terrorisme international soutenu par certains États – est un véritable virus propagé par les « adversaires sournois de la civilisation » et qu’il constitue un « retour à la barbarie » parfaitement intolérable. Mais derrière le considérable soutien à ces propos émis par différents responsables politiques américains – respectivement George W. Bush, Ronald Reagan et son secrétaire d’État George Schultz [1] –, les appréciations divergent sur la question précise de la réponse appropriée aux crimes terroristes et sur celle, plus générale, de leur nature véritable. Pour répondre à cette dernière question, la définition américaine officielle du terrorisme évoque « l’usage calculé, en vue d’atteindre des objectifs de nature politique, religieuse ou idéologique, de la violence, de la menace de violence, […] de l’intimidation, de la coercition ou de la peur [2] ». Cette définition officielle laisse néanmoins en suspens bien des interrogations, parmi lesquelles celles touchant à la légitimité des actes ayant pour objectif de garantir « le droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance – tel qu’il découle de la Charte des Nations unies – des peuples privés de ce droit par la force, […] et notamment des peuples qui sont soumis à des régimes coloniaux ou racistes ainsi qu’à une occupation étrangère ». Même dans sa plus ferme résolution consacrée à la dénonciation du terrorisme, l’Assemblée générale des Nations unies reconnaît la légitimité de tels actes [3].

Pour expliquer leur opposition à cette résolution, les États-Unis et Israël se référaient au passage même que nous venons d’évoquer et qui avait pour but, selon eux, de légitimer la résistance au régime sud-africain, allié des ÉtatsUnis, qui avait plus d’un million et demi de morts sur la conscience et avait occasionné environ soixante milliards de dollars de dommages aux pays voisins entre 1980 et 1988, sans compter son comportement dans les affaires intérieures. La résistance au régime était essentiellement conduite par le Congrès national africain (ANC), dirigé par Nelson Mandela. En 1988, l’ANC était qualifié par le Pentagone de « groupe terroriste notoire », contrairement au RENAMO sud-africain, que ce même Pentagone considérait comme un simple « mouvement de révolte indigène », tout en reconnaissant qu’il avait pu assassiner environ 100 000 personnes au Mozambique voisin au cours des deux années précédentes [4]. La résolution de l’ONU était également suspectée de justifier la résistance à l’occupation militaire israélienne et à la politique d’annexion des territoires occupés menée par Israël ainsi qu’à ses pratiques violentes soutenues par les États-Unis et leur aide diplomatique, destinée à contrer le consensus international maintes fois réaffirmé en faveur d’un accord de paix [5].

Bien qu’elle ne soit jamais utilisée [6], la définition officielle américaine me semble parfaitement adaptée à la question que nous traitons ici – et ce malgré des divergences fondamentales, mais qui apportent justement certaines lumières sur la nature du terrorisme telle qu’on peut la concevoir selon le point de vue que l’on adopte.

Venons-en à la question de la réponse appropriée. D’aucuns prétendent que le terrorisme est un mal « absolu » et qu’il mérite donc d’être traité en retour selon la « doctrine absolue de la réciprocité » [7]. Ce qui signifie le recours à de féroces opérations militaires répondant parfaitement à la théorie de Bush, favorablement commentée dans le même ouvrage universitaire, consacré à The Age of Terror : « Si vous protégez un terroriste, vous êtes un terroriste ; si vous aidez et assistez un terroriste, vous êtes un terroriste – et vous serez traité comme tel. » Cette publication reflète l’opinion des Occidentaux cultivés qui considèrent que la réponse anglo-américaine est appropriée et même parfaitement « calibrée ». Mais l’amplitude de ce consensus semble singulièrement limitée si l’on en juge par les données disponibles auxquelles nous reviendrons plus loin.

De manière générale, il est assez difficile de trouver quelqu’un qui accepte l’idée que des bombardements massifs constituent une réponse appropriée aux crimes terroristes – que ce soient ceux du 11 septembre ou d’autres encore pires, qui ne sont malheureusement pas difficiles à trouver. Du moins si l’on adopte le principe de l’universalité : si ce que fait autrui est mal (ou bien), c’est également mal (ou bien) lorsque c’est nous qui agissons. Ceux qui ne se plient pas à cette exigence morale minimale – qui consiste à appliquer pour soi-même les principes que l’on applique aux autres, voire plus rigoureusement encore – ne méritent décidément pas d’être pris au sérieux lorsqu’ils parlent du caractère approprié de la réponse au terrorisme, ou même de ce qui est juste ou injuste, voire du Bien et du Mal. Pour illustrer notre propos, considérons un cas qui, loin d’être le plus extrême, n’en a pas moins le mérite de ne souffrir aucune controverse – au moins de la part de ceux qui affirment respecter la loi internationale et les traités auxquels ils se sont soumis. Personne n’aurait soutenu le bombardement de Washington par le Nicaragua après que les États-Unis eurent rejeté la décision de la Cour internationale de justice leur ordonnant de mettre fin à leur « usage illégal de la force » à l’encontre de ce pays et de lui payer des dommages et intérêts substantiels. Au lieu de cela, les États-Unis décidèrent d’intensifier les actes de terrorisme international et même de les étendre, officiellement, en s’attaquant à des cibles civiles sans défense. Ils opposèrent également leur veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant que tous les États respectent le droit international, et ils votèrent (avec le seul appui d’un ou deux États clients) contre des résolutions du même genre à l’Assemblée générale des Nations unies. Les États-Unis rejetèrent la décision de la Cour internationale de justice sous prétexte que d’autres nations n’étaient pas d’accord avec eux et qu’ils devaient en conséquence se « réserver le pouvoir de décider [eux-mêmes] des cas particuliers dans lesquels la Cour peut [leur] imposer sa juridiction » et ceux qui relèvent « fondamentalement de la juridiction proprement américaine » [8]. Dans le cas dont nous parlons, il s’agissait d’agressions terroristes contre le Nicaragua [I].

Pendant ce temps, Washington continuait de saboter les efforts régionaux destinés à parvenir à un règlement pacifique de la question, en suivant la doctrine édictée par le très modéré secrétaire d’État américain George Schultz : les États-Unis doivent « éradiquer » le cancer nicaraguayen par la force. Et Washington poursuivit cette politique alors même que les présidents des pays d’Amérique centrale étaient parvenus à se mettre d’accord sur un plan de paix en 1987, malgré de vigoureuses objections émises par les Américains. Ces accords d’Esquipulas demandaient que tous les pays de la région s’ouvrent plus franchement à la démocratie et au respect des droits de l’homme sous la supervision de la communauté internationale et insistaient sur le fait que « l’élément fondamental » de cet accord était la fin de l’agression américaine contre le Nicaragua. Washington répondit en intensifiant au maximum cette même agression et en triplant le nombre de livraisons aéroportées effectuées par la CIA au profit de la Contra. Après s’être tenu à l’écart de cet accord et le sabotant donc dans les faits, Washington fit en sorte que les régimes qui lui devaient tout agissent de même. Le gouvernement américain alla jusqu’à user de son pouvoir effectif – et absolument pas symbolique – pour démanteler l’International Verification Commission sous le prétexte que ses conclusions étaient inacceptables. Les États-Unis obtinrent également que le plan Esquipulas soit revu afin d’autoriser leurs États clients dans la région à poursuivre leurs crimes terroristes. Ces crimes surpassaient même, et de loin, la guerre dévastatrice menée par les ÉtatsUnis contre le Nicaragua, qui fit pourtant des dizaines de milliers de morts et provoqua la ruine peut-être irréversible du pays. Poursuivant la doctrine politique de Schultz, les États-Unis usèrent de menaces pour contraindre le gouvernement du Nicaragua à abandonner ses demandes de dommages et intérêts, qui avaient pourtant été acceptées par la Cour internationale de justice [9].

Il ne pourrait guère y avoir d’exemple plus évident du terrorisme international tel qu’on le définit officiellement ou dans les milieux intellectuels : des opérations destinées à « démontrer par l’usage d’une violence apparemment aveugle que le régime en place n’est pas en mesure de protéger la population supposée être placée sous son autorité », provoquant ainsi non seulement un sentiment « d’angoisse, mais une disparition des liens qui fondent l’ordre social établi » [10]. Durant toutes ces années, le terrorisme d’État pratiqué dans d’autres endroits d’Amérique centrale peut être considéré comme un terrorisme international aussi bien par le rôle décisif qu’y jouaient les États-Unis que par ses objectifs exprimés dans certaines occasions de la façon la plus claire – comme, par exemple, par l’École militaire des Amériques, qui forme la plupart des officiers d’Amérique latine et s’enorgueillit du fait que « la théologie de la libération […] ait été défaite avec le soutien de l’armée américaine [11] » [II].

À l’évidence, il devrait donc s’ensuivre que seuls ceux qui soutiennent l’idée de bombardements sur Washington pour punir ces crimes de terrorisme international – c’est-àdire absolument personne – acceptent la « doctrine absolue de la réciprocité » en réponse aux atrocités terroristes ou considèrent que les bombardements massifs y répondent de manière appropriée et même parfaitement « calibrée ».

Considérons certains des arguments juridiques qui ont été avancés pour justifier le bombardement anglo-américain de l’Afghanistan. Je ne considérerai pas ici leur validité mais leurs conséquences si l’on s’en tient au principe moral de l’universalité. Christopher Greenwood prétend que les États-Unis ont le droit de « se défendre » contre « ceux qui sèment effectivement la mort et la destruction ou qui menacent de le faire ». Il invoque pour ce faire la décision de la Cour internationale de justice dans le cas du Nicaragua [12]. Le passage auquel il fait référence s’applique pourtant bien plus évidemment à la guerre menée par les États-Unis contre le Nicaragua qu’aux talibans ou à Al-Qaida. Ainsi, avoir recours à ce texte pour justifier les bombardements intensifs sur l’Afghanistan et les opérations sur le terrain, c’est reconnaître que le Nicaragua aurait dû être autorisé à se lancer dans des opérations armées encore plus sévères contre les États-Unis [III]. Un autre éminent professeur de droit international, Thomas Franck, reconnaît le bien-fondé de la réplique anglo-américaine sous prétexte qu’« un État est tenu responsable pour avoir permis que l’on utilise son territoire pour porter des attaques contre un autre État et doit en accepter les conséquences » [13]. Cela semble assez juste et pourrait certainement s’appliquer aux États-Unis eux-mêmes dans les cas du Nicaragua, de Cuba et de bien d’autres pays.

Inutile de préciser que, dans aucun de ces cas, on n’aurait toléré la moindre velléité de se « défendre » par la violence contre de tels agissements continuels semant la « mort et la destruction ». Je parle d’agissements effectifs et non de simples menaces.

Le même raisonnement vaut pour d’autres positions, pourtant plus nuancées, concernant la réponse appropriée aux crimes terroristes. Michael Howard, expert en histoire militaire, propose « une opération de police menée sous l’égide des Nations unies […] contre une conspiration criminelle dont les membres devraient être pourchassés et traînés devant une cour internationale afin d’y être jugés dans les formes et condamnés à une peine appropriée s’ils étaient reconnus coupables ». Proposition fort raisonnable, bien qu’il soit proprement impensable de voir cette proposition appliquée un jour de manière universelle. Le directeur du Center of Politics of the Human Rights de Harvard estime pour sa part que « la seule réponse raisonnable aux actes de terrorisme [serait] un travail d’enquête honnête suivi d’un procès en justice, le tout appuyé par un emploi résolu, ciblé et incessant de la force armée contre ceux qui ne peuvent – ou ne veulent pas comparaître devant la justice » [14]. Tout cela est à nouveau fort sensé si le recours à la force n’est envisagé qu’une fois tous les moyens légaux épuisés. Quoi qu’il en soit, ce conseil ne s’applique pas aux événements du 11 septembre (les États-Unis ayant refusé de fournir les preuves demandées et repoussé toute proposition de transfert des suspects faits par le régime des talibans). En revanche, ici encore, cette proposition s’applique parfaitement au cas du Nicaragua.

Comme elle s’applique d’ailleurs aussi à d’autres situations. Prenons le cas d’Haïti, qui a fourni un très grand nombre de preuves à l’appui de sa demande d’extradition d’Emmanuel Constant, commandant des troupes qui firent des milliers de morts sous le régime de la junte militaire que les États-Unis avaient, en son temps, tacitement soutenue (sans parler, bien entendu, des régimes antérieurs). Ces demandes aux États-Unis sont restées lettre morte – à cause, probablement, de ce que Constant pourrait être conduit à dévoiler s’il venait jamais à être jugé. La demande d’extradition la plus récente date du 30 septembre 2001, c’est-à-dire de l’époque même à laquelle les Américains exigeaient que les talibans leur livrent Ben Laden [15]. Cette coïncidence passa parfaitement inaperçue, suivant le fameux principe selon lequel même la moindre des exigences morales doit être fermement rejetée.

Pour en revenir à la « réponse raisonnable » de Howard, demander qu’on ait recours à « une opération de police menée sous l’égide des Nations unies » – même dans les situations où elle serait clairement justifiée – n’engendrerait que fureur et mépris. D’autres encore ont formulé des principes plus généraux pour légitimer la guerre américaine en Afghanistan. Deux universitaires d’Oxford proposent un principe de « proportionnalité » : « L’ampleur de la réponse sera déterminée par l’ampleur de la transgression que l’agresseur commet contre les valeurs fondamentales de la société agressée. » Dans le cas des États-Unis, ce serait « la liberté de chercher à améliorer sa situation personnelle dans le cadre d’une société pluraliste et au travers de l’économie de marché » qui aurait été sournoisement attaquée le 11 septembre 2001 par « des agresseurs […] dotés d’une éthique divergeant de celle de l’Occident ». Puisque « l’État afghan s’est rangé du côté de l’agresseur » et refuse de se soumettre aux exigences américaines et de livrer les suspects, « les États-Unis et leurs alliés, obéissant au principe dicté par l’ampleur de la transgression, pourraient moralement et de manière parfaitement justifiée avoir recours à l’usage de la force contre le gouvernement des talibans » [16].

Si l’on revient à notre principe de l’universalité, il s’ensuit qu’Haïti et le Nicaragua peuvent « moralement et de manière parfaitement justifiée avoir recours » à un usage de la force bien plus sévère contre le gouvernement américain. Ces conclusions valent aussi pour d’autres situations, qui vont de crimes plus graves encore jusqu’à certaines petites escapades du terrorisme d’État « à l’occidentale », comme le bombardement, ordonné en 1998 par Clinton, de l’usine pharmaceutique soudanaise d’Al-Shifa, qui fit « plusieurs dizaines de milliers de morts [IV] », selon l’ambassadeur allemand en poste au Soudan et d’autres sources autorisées dont les estimations recoupent celles d’autres observateurs dignes de foi [17]. Selon le principe de proportionnalité évoqué précédemment, le Soudan peut donc légitimement se livrer à des représailles de nature terroriste de grande ampleur. Surtout si l’on accorde que cet acte perpétré par l’« Empire » a eu de si « dramatiques conséquences pour l’économie et la société » soudanaises que ce crime peut être considéré comme d’une plus grande gravité que les attentats du 11 septembre, qui, bien que parfaitement dramatiques, n’ont pas causé de dégâts comparables à la société et à l’économie américaines [18].

Au sujet du bombardement de l’usine soudanaise, on se contente la plupart du temps de se demander si on a vraiment cru qu’elle produisait des armes chimiques. Que la réponse soit positive ou négative, elle ne modifie en rien « l’ampleur de la transgression que l’agresseur [a commis] contre les valeurs fondamentales de la société agressée » – son existence même en l’occurrence. On prétend également souvent que les pertes humaines n’étaient pas préméditées comme dans tant d’autres crimes que nous dénonçons si justement. Pourtant, dans le cas du Soudan, il est difficile de croire que les conséquences probables sur les vies humaines aient été ignorées de ceux qui préparèrent cette opération. Cet acte ne peut être excusé qu’en faisant appel au principe hégélien qui ferait des Africains de « simples choses » dont les vies n’auraient « pas de valeur ». Cette attitude s’accorde si bien avec les actes pratiqués qu’il est difficile pour les victimes de l’ignorer, et que celles-ci sont alors en droit d’en tirer leurs propres conclusions quant à la « rigueur morale de l’Occident ».

Un collaborateur de la publication universitaire déjà citée, Charles Hill, admettait que le 11 septembre ouvrait la seconde « guerre contre le terrorisme ». La première avait été déclarée, il y a de cela vingt ans, par l’administration Reagan dès son accession au pouvoir. Et « nous avons gagné », proclame triomphalement Hill, bien que l’hydre terroriste n’ait été que blessée et non terrassée [19]. La première « ère terroriste » devait s’avérer un des problèmes principaux de la politique internationale tout au long de la décennie 1980, en particulier en Amérique centrale mais aussi au Moyen-Orient. C’est d’ailleurs le terrorisme dans cette dernière région du monde que les éditorialistes ont choisi comme événement principal de l’année 1985. Ils lui conservent une place de premier choix dans leurs commentaires sur les années suivantes.

On peut comprendre pas mal de choses de la guerre actuelle contre le terrorisme en étudiant attentivement cette première période et la manière dont on en parle aujourd’hui. L’un des plus éminents spécialistes en la matière qualifie les années 1980 de décennie du « terrorisme d’État ». Une décennie « de soutien continuel ou de “sponsorisation” du terrorisme par les États, en particulier l’Iran et la Libye ». C’est pour cette raison que les États-Unis ont été tenus d’adopter une « position “préventive” à l’égard du terrorisme ». D’autres recommandent les méthodes grâce auxquelles « nous avons gagné » : c’est-à-dire ces mêmes opérations militaires pour lesquelles nous avons pourtant été condamnés par la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité des Nations unies (avec veto américain bien sûr). Ce que nous avons fait dans le cas du Nicaragua est un modèle « pour le soutien à apporter aux adversaires des talibans (en particulier à l’Alliance du Nord) ». Un autre éminent historien va chercher les racines enfouies du terrorisme pratiqué par Oussama Ben Laden jusqu’au SudVietnam, où « l’efficacité de la terreur viêt-cong contre le Goliath américain muni des armes les plus sophistiquées a pu nourrir l’espoir que le cœur même de l’Occident était également vulnérable » [20].

Comme à l’ordinaire, toutes ces analyses montrent les États-Unis comme une malheureuse victime contrainte de se défendre contre le terrorisme des autres : des Vietnamiens (au Sud-Vietnam), des Nicaraguayens (au Nicaragua), des Libyens et des Iraniens (si ces derniers avaient eu à se plaindre des Américains, personne ne s’en était aperçu apparemment), et d’autres factions anti-américaines à travers le monde. Cependant, tout le monde ne voit pas les choses de la même manière. La région du monde la plus intéressante à cet égard est l’Amérique latine, qui a une considérable expérience en matière de terrorisme international. Les attentats du 11 septembre 2001 y furent fermement condamnés, non sans éveiller toutefois certains souvenirs. Selon le Research Journal de l’université jésuite de Managua, les événements du 11 septembre évoquent l’« Armageddon », mais le Nicaragua a, par la faute des États-Unis, « lui aussi connu l’Armageddon sur une longue période, et il en supporte encore aujourd’hui les effets mortels ». D’autres remontent encore plus loin dans le temps, jusqu’à la formidable épidémie de terrorisme d’État qui balaya le continent tout entier à partir du début des années 1960 et dont la responsabilité revient à Washington. Un journaliste panaméen s’est joint, dans son pays, à la condamnation générale des attentats du 11 septembre, en rappelant tout de même la mort de plusieurs milliers de miséreux, lorsque le père du président actuel avait fait bombarder le quartier de Chorillo, en décembre 1989, au cours de l’opération dite « Juste Cause », entreprise dans le seul but d’enlever un homme de main désobéissant afin de le condamner à la prison à vie pour des crimes qu’il avait le plus souvent commis à l’époque où la CIA le rétribuait grassement. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano fit remarquer que, si les États-Unis prétendent s’opposer au terrorisme, ils le soutiennent, de fait, un peu partout, y compris en « Indonésie, au Cambodge, en Iran, en Afrique du Sud […] et dans les pays d’Amérique latine qui ont dû subir la sale guerre entreprise avec le plan Condor », mis en place par les dictatures militaires sud-américaines qui faisaient régner la terreur avec le soutien des États-Unis [21].

Ces remarques nous ramènent à la seconde cible importante de la première « guerre contre le terrorisme » : le Proche-Orient. Le plus grand crime commis dans cette région fut sans conteste l’invasion du Liban par Israël en 1982, qui fit près de 20 000 morts et laissa l’ensemble du pays en ruine, et en particulier la capitale, Beyrouth. Comme les attaques meurtrières et dévastatrices de 1993 et de 1996 ordonnées par Rabin et Peres, l’invasion de 1982 ne pouvait guère se justifier par une quelconque nécessité de se défendre. Le chef d’état-major israélien, Rafael Eitan, ne fit qu’exprimer clairement ce que tout le monde savait lorsqu’il annonça que l’objectif de cette invasion était de « détruire l’OLP en tant que partenaire possible dans des négociations concernant la Terre d’Israël » [22]. Illustration presque littérale du terrorisme tel qu’il est officiellement défini. L’objectif « était d’instaurer un régime ami et de détruire l’OLP de M. Arafat », selon le correspondant du New York Times au Moyen-Orient. « On pense, sur place, que cela pourrait persuader les Palestiniens d’accepter l’autorité des Israéliens sur la Cisjordanie et sur la bande de Gaza », poursuivait-il [23]. Nous avons sans doute, ici, la première mention dans les médias dominants américains de faits parfaitement assumés dès le départ en Israël, mais que l’on ne trouvait aux ÉtatsUnis que dans des ouvrages plus critiques.

Ces opérations qui furent menées avec l’aide militaire et le soutien diplomatique cruciaux des administrations Reagan et Clinton entrent donc dans la définition du terrorisme international. Les États-Unis furent aussi impliqués directement dans d’autres crimes terroristes qui frappèrent la région au cours des années 1980, y compris dans les terribles attentats terroristes de la fameuse année 1985 : attentat à la voiture piégée organisé avec l’aide de la CIA à Beyrouth, qui fit environ 80 morts et 250 blessés ; bombardement de Tunis avec ses 75 morts, ordonné par Shimon Peres, encouragé par les États-Unis et fort prisé par le secrétaire d’État George Schultz, bien qu’unanimement condamné et qualifié par le Conseil de sécurité des Nations unies d’« agression armée » (les États-Unis s’abstenant) ; et, toujours sous l’égide de Peres, les opérations lancées contre les « villages terroristes » au Liban, qui atteignirent de nouveaux records de « brutalité calculée et d’assassinats arbitraires », selon les propres termes d’un diplomate occidental familier de la région, propos amplement confirmés par les témoignages directs [24]. Répétons-le, tout cela relève du terrorisme international sinon du crime de guerre aggravé.

Dans les milieux journalistiques et universitaires, 1985 passe pour la pire année du point de vue du terrorisme au Moyen-Orient. Bizarrement, ce n’est pas du fait des événements que nous venons d’évoquer mais à cause de deux autres attentats terroristes, qui causèrent à chaque fois la mort d’un individu – dans les deux cas, un Américain [25]. Mais les autres victimes n’oublient pas facilement.

Cette histoire très récente a d’autant plus de signification que certains protagonistes de la nouvelle « guerre contre le terrorisme » jouaient déjà un rôle important dans la précédente. Le versant diplomatique de la guerre actuelle est confié à John Negroponte, ambassadeur de Reagan au Honduras, qui servit de base arrière aux crimes terroristes pour lesquels le gouvernement avait été condamné par la Cour internationale de justice et pour les autres actes de terrorisme d’État soutenus par les États-Unis en Amérique centrale. Ces activités firent des « années Reagan, la plus terrible décennie qu’ait vécue l’Amérique centrale depuis la conquête espagnole [26] », et tout cela sous la supervision de Negroponte [V]. Quant au versant militaire de la nouvelle guerre contre le terrorisme, il a été confié à Donald Rumsfelf, envoyé spécial de Reagan au Moyen-Orient aux pires moments qu’ait vécus cette région en matière de terrorisme initié ou soutenu par le gouvernement américain.

Soulignons au passage que les atrocités de ce genre n’ont pas cessé au cours des années suivantes. La contribution de Washington à « l’intensification de la violence » dans le conflit israélo-arabe se poursuit. Forgée par le président Bush lui-même, cette expression vise, suivant la rhétorique en vigueur, le terrorisme des autres. Il suffit toutefois de sortir de cette routine pour trouver d’autres exemples assez significatifs de l’attitude américaine. On peut, par exemple, renforcer la violence en y participant : livrer des hélicoptères destinés à attaquer des cibles civiles ou lancer des opérations meurtrières – comme les États-Unis le font régulièrement sans en ignorer les conséquences. On peut aussi bloquer l’envoi d’une force internationale destinée à s’interposer dans les conflits. Les États-Unis ont, dernièrement, fait connaître leur position en ce domaine, en opposant leur veto à la résolution du Conseil de sécurité du 14 décembre 2001, qui prévoyait le déploiement des casques bleus. Commentant le retour d’Arafat à un statut à peine plus enviable que celui d’un Ben Laden ou d’un Saddam Hussein, la presse nous apprend que le président Bush a été « extrêmement irrité [par] le durcissement de dernière minute de la position palestinienne […] concernant l’envoi d’une force d’interposition internationale dans les territoires palestiniens, décidé par une résolution prise par le Conseil de sécurité des Nations unies ». Bush semble donc avoir été « extrêmement irrité » par le fait qu’Arafat se joigne au reste du monde pour exiger que l’on mette en œuvre les moyens de lutter contre le terrorisme [28].

Dix jours avant d’opposer leur veto à l’intervention d’une force internationale, les États-Unis avaient boycotté – autrement dit, saboté – la conférence internationale de Genève destinée à réaffirmer la validité de la quatrième convention de Genève pour la question des territoires occupés, ce qui aurait permis de qualifier la plupart des activités israélo-américaines dans cette région de crimes et même – lorsqu’il s’agit d’« infractions graves », comme le sont beaucoup d’entre elles – de véritables crimes de guerre. Cela inclut la colonisation israélienne financée par les États-Unis et l’« homicide intentionnel, la torture, la déportation illégale, la privation du droit d’être jugé régulièrement et impartialement, la destruction et l’appropriation de biens […] exécutées de façon illicite et arbitraire » [29].

Cette convention, à l’origine destinée à formellement criminaliser les crimes commis par les nazis dans une Europe occupée, est un des principes fondamentaux du droit humanitaire international. Sa validité dans le cas des territoires occupés par les Israéliens a été confirmée à plusieurs reprises, par George Bush lui-même en 1971², alors qu’il était ambassadeur auprès des Nations unies, et en 1980 par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées à l’unanimité, qui accusaient Israël (soutenu par les États-Unis) de « violations flagrantes » de la convention de Genève (abstention des États-Unis). Ces résolutions appelaient également Israël à « faire scrupuleusement face à ses responsabilités au regard de la quatrième convention de Genève », qu’il violait à l’époque de façon flagrante. En leur qualité de hautes parties contractantes, les États-Unis et les puissances européennes sont tenus par un traité solennel de poursuivre et de se saisir des responsables de tels crimes même lorsqu’il s’agit de leurs propres dirigeants s’ils y ont pris part. En s’obstinant à ne pas obéir à cette obligation, ils renforcent le terrorisme directement et de manière significative.

Mais revenons à la question de la réponse appropriée aux attentats terroristes, et en particulier à ceux du 11 septembre. On pense communément que la réaction angloaméricaine a bénéficié d’un considérable soutien international. Mais ceci n’est vrai que si l’on s’en tient à l’opinion des élites. Un sondage international (Gallup) a d’ailleurs démontré que seule une minorité soutenait d’emblée l’opération militaire alors qu’une majorité de sondés se déclaraient plutôt favorables à un processus diplomatique [30]. En Europe, les réponses favorables à l’option militaire allaient de 8 % en Grèce à 29 % en France. En Amérique latine, le soutien aux opérations militaires américaines était encore plus faible : de 2 % au Mexique à 16 % au Panamá. Quant au pourcentage des sondés qui soutenaient l’idée de frappes visant des cibles civiles, il était extrêmement faible. Même dans les deux pays qui soutenaient le plus fermement la politique américaine (Israël et l’Inde – on comprend aisément pourquoi), une importante majorité des personnes interrogées s’opposaient aux bombardements. Il y avait donc au contraire une méfiance considérable vis-à-vis de l’attitude américaine.

Les effets prévisibles de la politique américaine sur la population afghane furent en revanche parfaitement ignorés des sondages et de la plupart des commentaires sur la question. Des millions d’Afghans connaissaient déjà une quasi-famine avant le 11 septembre. Était-ce alors vraiment une réponse appropriée que d’exiger du Pakistan l’arrêt « des convois qui fournissaient l’essentiel de la nourriture ainsi que d’autres produits de première nécessité à la population civile afghane » ? et provoquer le départ des organisations humanitaires, laissant ainsi « des millions d’Afghans […] en grand danger de mourir de faim » ? Les organisations humanitaires émirent de vigoureuses protestations (réitérées à la fin de la guerre) contre cette politique, l’accusant de préparer une grave crise humanitaire [31]. Bien entendu, les opérations ne devraient être évaluées que par rapport à ce qu’on en attendait. Cela devrait être évident. Mais les effets réels de celles-ci ne sont pas près d’être connus, même approximativement, tant on enquête toujours très attentivement sur les crimes des autres mais jamais sur les nôtres. On peut néanmoins extraire quelques indications des rapports successifs qui ont évalué la part de la population nécessitant une aide alimentaire d’urgence : 5 millions d’individus avant le 11 septembre pour 7,5 millions à la fin du même mois pendant les bombardements ; six mois plus tard, ils étaient  millions qui ne souffraient pas tant du manque de nourriture (l’aide alimentaire avait été rapidement organisée) que des difficultés de la distribuer dans un pays retombé aux mains des chefs de clans [32]. On ne connaît pas d’étude digne de confiance sur l’opinion publique afghane durant la guerre, pourtant nous ne manquons pas totalement d’informations à ce sujet. Dès le départ, le président Bush a averti les Afghans qu’ils seraient soumis aux bombardements tant qu’ils n’auraient pas livré les individus que les États-Unis suspectaient de terrorisme. Trois semaines plus tard, les objectifs américains avaient changé. Il s’agissait désormais de renverser le régime des talibans : les bombardements se poursuivraient, annonça l’amiral Michael Boyce, « jusqu’à ce que le peuple de ce pays comprenne qu’il lui fallait changer de dirigeants » [33]. Soulignons que la question de savoir si le renversement du régime des talibans pouvait suffire à justifier les bombardements ne se posa même pas puisque cela ne devint un objectif américain que bien après le début de ces bombardements. Nous pouvons cependant nous interroger sur l’opinion de certains Afghans à même d’être interrogés par les observateurs occidentaux sur les choix stratégiques des Américains – qui de toute façon répondent clairement à la définition officielle du terrorisme international. Alors que, à la fin du mois d’octobre 2001, l’objectif principal de la guerre devint le renversement du régime, un millier de responsables afghans se réunirent à Peshawar. Certains revenaient d’exil, d’autres arrivaient d’Afghanistan, mais tous souhaitaient renverser le régime taliban. La presse y vit un des « rares exemples d’unité entre chefs de communautés, universitaires islamistes, membres de différents partis et anciens commandants de la guérilla ». Ces personnalités afghanes prièrent unanimement « les États-Unis de mettre fin aux raids aériens ». Ils demandèrent également aux médias internationaux d’appeler à cesser le « bombardement d’individus innocents ». Ils insistaient pour que d’autres moyens soient adoptés pour renverser le régime pourtant détesté des talibans. Ils pensaient en effet que cet objectif pouvait être atteint sans avoir recours au meurtre et à la destruction [34].

Un message de même teneur fut envoyé par le leader de l’opposition afghane, Abdul Haq, fort apprécié à Washington. Juste avant de pénétrer en Afghanistan – sans le soutien des États-Unis, semble-t-il – et d’être capturé puis assassiné, il avait condamné les bombardements et critiqué les États-Unis pour avoir refusé d’apporter leur soutien au projet qu’il partageait avec d’autres de « provoquer une révolte au sein même des talibans ». Les bombardements ont « gravement nui à ce projet », déclara-t-il. Il faisait part de contacts pris avec des commandants talibans de la base et certains chefs de clans et ex-moudjahidines. Il expliquait comment une telle stratégie pourrait atteindre ses objectifs et demandait aux États-Unis de la soutenir financièrement et par d’autres moyens au lieu de lui nuire par leurs bombardements. Selon lui, les États-Unis voulaient faire une « démonstration de force, remporter une facile victoire et faire peur au monde entier ». Et Abdul Haq ajoutait : « Ils se moquent de la souffrance des Afghans et des pertes que nous aurons ici. » [35]

Dans ce contexte, le sort des femmes afghanes éveilla un intérêt plutôt tardif. Après la guerre, on reconnut aisément le courage de celles qui avaient été à l’avant-garde de la défense des droits des femmes pendant près de vingt-cinq ans – au sein de la RAWA (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan). Une semaine avant le début de la campagne de bombardements, le 11 octobre 2001, la RAWA publia une déclaration publique qui n’aurait pas dû être seulement un bon coup éditorial mais faire la une des journaux partout où le sort des femmes afghanes était une véritable source d’inquiétude. Les femmes de la RAWA condamnaient le recours « au fléau de la guerre de destruction » au moment même où les États-Unis se lançaient « dans une opération de grande envergure contre [leur] pays », qui allait causer de terribles souffrances à de nombreux Afghans innocents. Pour leur part, elles appelaient à « se débarrasser des talibans et d’Al-Qaida [… par] le recours à l’insurrection générale » du peuple afghan luimême, qui seul pourrait « empêcher le retour de ce fléau qui s’est abattu sur notre pays ».

Tout cela fut parfaitement ignoré. Il n’est pourtant pas forcément évident que ceux qui possèdent la force des armes soient autorisés à négliger l’opinion de ceux qui se battent pour leur liberté et pour les droits des femmes depuis de si longues années. Est-il également raisonnable de traiter avec un mépris évident leur souhait d’en finir de l’intérieur avec le régime détesté des talibans, sans recourir aux inévitables atrocités de la guerre ?

Bref, une revue générale de l’opinion internationale, appuyée sur ce que nous savons de l’opinion afghane, permet de sérieusement relativiser l’importance du consensus existant parmi les intellectuels occidentaux ainsi que la justice de leur cause.

Demeure pourtant un conseil donné par ces élites qui reste tout à fait valable : il est en effet absolument nécessaire de s’interroger sur les raisons des crimes terroristes du 11 septembre 2001. Cela au moins est parfaitement indiscutable – du moins pour ceux qui espèrent réduire les risques de voir de tels actes se répéter. Il y a la question particulière des motifs exacts qui ont inspiré les terroristes. Sur ce point, tout le monde tombe à peu près d’accord. Les observateurs dignes de foi reconnaissent qu’après l’installation de bases permanentes américaines en Arabie Saoudite « Ben Laden ne pensa plus qu’aux moyens d’expulser les Américains de la terre sainte d’Arabie » et de débarrasser le monde musulman « des menteurs et des hypocrites » qui rejettent sa vision extrémiste de l’islam [36]. L’accord est tout aussi général sur le fait que, « à moins que l’on ne s’occupe véritablement des conditions sociales, politiques et économiques sur lesquelles prospèrent Al-Qaida et d’autres groupes qui lui sont associés, les États-Unis et leurs alliés d’Europe de l’Ouest ou d’ailleurs continueront d’être la cible des terroristes islamistes » [37]. Ces conditions sont certes complexes, mais certains facteurs en sont néanmoins connus depuis longtemps. En 1958 – année cruciale dans l’histoire de l’après-guerre –, le président Eisenhower informa son équipe que, dans le monde arabe, « les ÉtatsUnis [devaient] faire face à une campagne de haine à [leur] égard. Et ce, non pas tant de la part des gouvernements que des populations elles-mêmes ». Ces populations étaient « dans le camp de Nasser » et soutenaient son indépendantisme nationaliste et laïc. Les raisons de cette « campagne de haine » avaient été identifiées quelques mois plus tôt par le Conseil national de sécurité : « Aux yeux de la majorité des Arabes, les États-Unis semblent s’opposer à la réalisation des objectifs du nationalisme arabe. Ils pensent que les États-Unis cherchent à protéger leurs intérêts au ProcheOrient en préférant le statu quo et en s’opposant aux avancées économiques et démocratiques. » Cette opinion était d’ailleurs parfaitement exacte : « Nos intérêts économiques et culturels dans cette région nous ont conduits à resserrer tout naturellement les liens que notre pays entretient avec les éléments du monde arabe dont les intérêts fondamentaux reposent sur le maintien de leurs relations avec l’Occident et celui du statu quo dans leurs affaires intérieures. [38] »

Ce sentiment existe encore aujourd’hui. Tout de suite après le 11 septembre, le Wall Street Journal, rapidement imité par d’autres journaux, se mit à enquêter sur l’opinion des « musulmans fortunés » : banquiers, professions libérales, dirigeants de multinationales, etc. S’ils soutiennent en général assez fermement la politique américaine, ceux-ci ne s’en montrent pas moins amers quant au rôle des ÉtatsUnis dans la région – en particulier le soutien américain aux régimes brutaux et corrompus, qui nuit à la démocratie et au développement, et certaines politiques spécifiques à l’encontre, par exemple, de la Palestine et de l’Irak. Bien qu’on ne puisse pas vraiment sonder l’opinion des habitants des villages et des bidonvilles de cette région, elle est sans doute similaire à celle évoquée à l’instant – et même probablement plus violente. En effet, contrairement aux « musulmans fortunés », l’écrasante majorité de la population locale n’a jamais véritablement accepté que les ressources de la région profitent avant tout à l’Occident et à ses collaborateurs locaux au lieu de permettre de garantir la satisfaction de leurs besoins vitaux. Les « musulmans fortunés » reconnaissent avec regret que la rhétorique hargneuse de Ben Laden reçoit un écho considérable jusque dans leurs propres cercles, même si – faisant partie de ses principales cibles – ils le craignent et le détestent [39].

Il est indubitablement plus confortable de croire que la réponse au plaintif « Pourquoi nous détestent-ils ? » de George Bush se trouve dans leur ressentiment vis-à-vis de notre liberté et de notre amour de la démocratie ; ou dans une faillite culturelle pluriséculaire ; ou bien encore dans leur incapacité à jouer un rôle dans cette forme de « mon dialisation » dont ils bénéficient pourtant si heureusement. Confortable sans aucun doute, mais peu sage.

Bien que parfaitement choquants, les attentats terroristes du 11 septembre n’étaient pas complètement imprévisibles. De telles organisations terroristes avaient déjà projeté des attentats tout au long des années 1990. En 1993, elles furent assez près de faire sauter le World Trade Center. Leurs modes de pensée étaient alors indubitablement familiers aux services de renseignements américains, qui avaient participé à leur recrutement, les avaient entraînées et armées depuis 1980 et continuaient à travailler avec eux alors même qu’ils s’en prenaient aux États-Unis eux-mêmes. Une commission du gouvernement hollandais enquêtant sur les massacres de Srebrenica a révélé que, à l’époque où certains tentaient de faire sauter le World Trade Center, d’autres radicaux islamistes basés en Afghanistan et appartenant aux réseaux formés par la CIA étaient acheminés par les États-Unis vers la Bosnie, avec armes et bagages, en compagnie de combattants du Hezbollah soutenus par l’Iran. Et tout cela à seule fin de soutenir le camp choisi par les États-Unis dans les conflits qui déchiraient les Balkans. Pour sa part, Israël (avec l’Ukraine et la Grèce) armait les Serbes (probablement avec des armes fournies par les ÉtatsUnis) – ce qui explique pourquoi « des obus n’ayant pas explosé à Sarajevo portent parfois des inscriptions en hébreu », comme l’observe un spécialiste de sciences politiques, l’Anglais Richard Aldrich, à la lecture du rapport d’enquête du gouvernement hollandais [40].

Plus globalement, les actes terroristes du 11 septembre agissent comme un rappel spectaculaire de ce que nous savons depuis longtemps : avec la technologie moderne, les riches et les puissants ne détiennent plus, désormais, le quasi-monopole de la violence qui a marqué presque toute l’histoire de l’humanité. Bien qu’il faille bien entendu craindre le terrorisme partout où il se présente, et qu’il s’agisse indubitablement d’un intolérable « retour à la barbarie », il ne nous surprendra pas que les jugements sur sa nature véritable diffèrent très radicalement selon les expériences elles aussi diverses des protagonistes internationaux. C’est au péril de leurs vies que ceux que l’histoire a habitués à une parfaite impunité lorsqu’ils commettaient de leur côté des crimes également abominables continueront d’ignorer ce fait.

© Noam Chomsky

Notes de l’éditeur et du traducteur

I. La résolution du Conseil de sécurité à laquelle fut opposé un veto demandait que l’on se plie aux mandements de la Cour de justice internationale et, sans mentionner personne, appelait tous les États à « se garder de provoquer, de supporter et de promouvoir des actes politiques, économiques ou militaires de quelque nature que ce soit contre les États de cette région » (Elaine Sciolino, New York Times, 31 juillet 1986).

II. Cette École des Amériques a par exemple formé six membres de la junte militaire qui renversa Salvador Allende en 1973. « Nous gardons le contact avec nos officiers diplômés et réciproquement », déclarait à un journaliste le commandant américain de l’école (cité par Howard Zinn, Une histoire politique des États-Unis, op. cit.). [ndt]

III. Greenwood se réfère au paragraphe 195 du jugement de la Cour de justice internationale dans le cas dit Nicaragua vs USA, mais la Cour n’utilisa pas ce paragraphe pour justifier sa condamnation du terrorisme américain, qui est à coup sûr plus approprié à ce cas qu’à celui dont parle Greenwood dans son article.

IV. Il s’agit ici des conséquences sanitaires de la destruction de toute capacité de production de médicaments. [nde]

V. En juin 2004, après la restauration formelle de la souveraineté irakienne, Negroponte a pris la tête d’une ambassade américaine géante à Bagdad [27]. [nde]

Notes générales

1. George Bush, cité par Rich Heffern, National Catholic Reporter, 11 janvier 2002. Ronald Reagan dans le New York Times du 18 octobre 1985 et George Schultz, département d’État, cité dans Current Policy n° 589, juin 1984, et n° 629, octobre 1984.

2. « US Army Operational Concept for Terrorism Counteraction », fascicule du TRADOC, n° 525-537, 1984.

3. Résolution 42/159 du 7 décembre 1987 ; avec l’abstention du Honduras.

4. Lire Joseba Zulaika et William Douglass, Terror and Taboo, Routlegde, New York-Londres, 1996. Sur les activités dans cette région, lire « InterAgency Task Force, Africa Recovery Program/Economic Commission, in South Africa Destabilisation : The Economic Cost of Frontline Resistance to Appartheid, Nations unies, New York, 1989, cité par Merle Bowen, Fletcher Forum, hiver 1991. Sur la poursuite des relations commerciales américaines avec l’Afrique du Sud après les sanctions décidées par le Congrès en 1985 (malgré le veto de Reagan), lire Gay McDougall et Richard Knignt, in Sanctioning Apartheid, Robert Edgard (dir.), Africa World Press, Trenton, 1990.

5. Pour un tour d’horizon des refus unilatéraux américains pendant trente ans, lire Noam Chomsky, introduction à Roane Carey, The New Intifada, Verso, Londres-New York, 2000. Pour plus de détails, se reporter aux sources indiquées.

6. Pour savoir pourquoi elle n’est jamais utilisée, lire Western State Terrorism, Alexander George (dir.), Polity Blackwell, Cambridge, 1991.

7. The Age of Terror : America and the World after September 11, introduction de Strobe Talbott et Nayan Chanda, Basic Books et le Yale University Centre for the Study of Globalisation, New York, 2001.

8. Abram Sofaer, « The United States and the World Cour », Current Policy, n° 769, décembre 1985.

9. George Schultz, « Moral Principles and Strategic Interests », Current policy, n° 820. Pour le témoignage de Schultz devant le Congrès, voir l’article de Jack Spence in Reagan versus Sandinistas, Thomas Walker (dir.), Westview, Londres, 1987. Pour un aperçu des pratiques destinées à miner les approches diplomatiques et de l’escalade du terrorisme international téléguidé par les États, se reporter à Noam Chomsky, Culture of Terrorism, South End, Boston, 1988 ; Necessary Illusions, South End, Boston 1989 ; Deterring Democracy, Verso, Londres-New York, 1991. Sur leurs conséquences, lire Repression, Resistance and Democratic Transition in Central America, Thomas Walker et Ariel Armony (dir.), Schorlarly Ressources, Willmington, 2000. Sur les opérations au Nicaragua, lire Howard meyer, The World Court in Action, Rowman and Littlefield, Lanham-Londres, 2002.

10. Edwartd Price, « The Strategy and Tactics of Revolutionary Terrorism », Comparative Studies in Society and History, n° 19/1, cité par Chalmers Johnson, « American Militarism and Blowback », New Political Science, 24 :1, 2002.

11. School of Americas, 1999, cité par Adam Isacson et Joy Olson, Just the Facts, Latin America Working Group and Center for International Policy, Washington, 1999.

12. Christopher Greenwood, « International Law and the “War against Terrorism” », International Affairs, n° 78/2, 2002.

13. Thomas Franck, « Terrorism and the Right of Self-Defense », Foreign Affairs, janvier-février 2002.

14. Foreign Affairs, janvier-février 2002, et conversation avec Tania Branigan du Guardian, le 30 octobre 2001. Lire aussi Ignatieff, Index of Censorship, n° 2, 2002.

15. New York Times, 1er octobre 2001.

16. Franck Schuller et Thomas Grant, Current History, avril 2002.

17. Werner Daum, « Universalism and the West », Harvard International Review, été 2001. Pour les autres témoignages et les avertissements de Human Rights Watch, lire Noam Chomsky, 9/11, Le Serpent à plumes, Paris, 2001.

18. Christopher Hitchens, Nation, 10 juin 2002.

19. The Age of Terror…, op. cit.

20. Martha Crenshaw, Ivo Daalder, James Lindsay et David Rapoport, Current History, « America at War », décembre 2001. Sur la « première guerre contre le terrorisme », lire Western State Terrorism, op. cit.

21. Successivement : le périodique de l’UCA à Managua, en octobre ; Ricardo Stevens, (Panamá), Report on the Americas, novembre-décembre 2001 ; Eduardo Galeano, La Jornada (Mexico City), cité par Alain Frachon dans Le Monde du 24 novembre 2001.

22. Pour les nombreuses sources à ce sujet, lire Noam Chomsky, Fateful Triangle, South End Press, Boston, 1983, mis à jour dans l’édition de 1999 sur la question du Sud-Liban dans les années 1990 ; Pirates and Emperors, Claremont, New York, 1986, nouvelle édition à paraître chez Pluto Press, Londres ; World Orders Old and New, op. cit.

23. James Bennet, New York Times, 24 janvier 2002.

24. Pour plus de détails, lire la contribution de Noam Chomsky à Western State Terrorism, op. cit.

25. Martha Crenshaw, « America at War », op. cit.

26. Chalmers Johnson, Nation, 15 octobre 2001.

27. Lire Noam Chomsky, « On Negroponte’s Appointment to Iraq Embassy », .

28. Ian Williams, Middle East International, 21 décembre 2001, 11 janvier 2002 ; John Donnelly, Boston Globe, 25 avril 2002 – en l’occurrence, il est fait référence à un veto antérieur des États-Unis.

29. Conférence des hautes parties contractantes, « Report on Israeli Settlement », janvier-février 2002, Fondation for the Middle East Peace, Washington. Sur ce sujet, lire l’article de Francis Boyle, « Law and Disorder in the Middle East », The Link, 35/1, janvier-mars 2002.

30. , chiffres des 14 et 17 septembre 2001.

31. John Burns, New York Times, 16 septembre 2001 ; Samina Amin, International Security, n° 26/3, hiver 2001. Pour les avertissements antérieurs, lire Noam Chomsky, 9/11, op. cit. Pour les évaluations de l’après-guerre faites par les organisations humanitaires, lire Imre Karacs, Independant on Sunday, 9 décembre 2001.

32. Pour des estimations plus récentes, lire Barbara Crossette dans le New York Times du 26 mars 2002 et Ahmed Rashid dans le Wall Street Journal du 6 juin 2002. Lire aussi Andrew Ravkin dans le New York Times du 16 décembre 2001, qui cite le département d’État américain sans mentionner pourtant les bombardements.

33. Patrick Tyler et Elisabeth Bumiller, New York Times, 12 octobre 2001, qui citent Bush ; Michael Gordon, New York Times, 28 octobre 2001, qui cite Boyce.

34. Barry Bearak New York Times, 25 octobre 2001 ; Johyn Thornhill et Farhan Bokhari, Financial Times, 25 et du 26 octobre 2001 ; John Burns, New York Times, 26 octobre ; Indira Laskhamanan, Boston Globe, 25 et 26 octobre 2001.

35. Interview menée par Anatol Lieven, Guadian, 2 novembre 2001.

36. Ann Lesch, Middle East Policy, n° IX/2, juin 2002. Lire aussi Michael Doran, Foreign Affairs, janvier-février 2002 et de nombreux autres, dont plusieurs collaborateurs du Current History, décembre 2001.

37. Sumit Guanguly, ibid.

38. Pour plus de précisions, lire Noam Chomsky, World Orders Old and New, op. cit.

39. Peter Waldman et al., Wall Street Journal, 14 septembre 2001 ; Waldman et Hugh Pope, Wall Street Journal, 21 septembre 2001.

40. Richard Aldrich, Guardian, 22 avril 2002.

Traduit par Frédéric Cotton pour Agone
Source : http://www.noam-chomsky.fr

Source: http://www.les-crises.fr/2002-le-terrorisme-et-la-reponse-appropriee/


[2001] 11/09/2001 : une première réaction [petit retour en arrière...]

Sunday 11 January 2015 at 03:20

Par Noam Chomsky, le 12/09/2001

Ces attaques terroristes sont des atrocités majeures. Il est possible qu’elles n’aient pas atteint le niveau de beaucoup d’autres, telles le bombardement par Clinton du Soudan, sans aucun prétexte crédible, détruisant la moitié de son industrie pharmaceutique et tuant une quantité inconnue de personnes (inconnue, puisque les Etats-Unis ont bloqué une enquête de l’ONU, et que personne ne veut la poursuivre). Sans parler d’autres drames bien plus graves qui viennent facilement à l’esprit. Mais aucun doute : ce qui vient de se passer est un crime atroce. Les premières victimes, comme d’habitude, ont été des travailleurs et des travailleuses : portiers, secrétaires, pompiers, etc. Cela annonce sans doute une tempête infernale contre les Palestiniens et autres peuples pauvres et opprimés. Et il en résultera aussi probablement des contrôles de sécurité serrés, avec beaucoup de ramifications envisageables pour saper les libertés publiques y compris au niveau international.

Ces événements révèlent dramatiquement la folie du projet de « défense anti-missile ». Cela était évident depuis le départ, et a été souligné à maintes reprises par les analystes en stratégie : si quiconque veut causer d’immenses dommages aux Etats-Unis, il est hautement improbable qu’il lance une attaque de missiles, garantissant ainsi sa destruction immédiate. Il y a une infinité de moyens plus simples et à peu près impossibles à contrer. Mais les événements de ce jour vont, selon toute probabilité, être exploités pour augmenter la pression en vue de développer ces systèmes et les mettre en place. Le prétexte de « Défense Nationale » est le cache-sexe de plans de militarisation de l’espace, et avec une bonne communication, même les arguments les plus creux auront un certain poids auprès d’un public effrayé.

En bref, ce crime est un cadeau à la droite extrême, ceux qui espèrent préserver leurs possessions par la force. Cela, même en laissant de côté les réactions prévisibles des Etats-Unis, et ce qu’elles déclencheront : possiblement d’autres attaques similaires à celle-ci, ou pires. Les perspectives sont encore plus sinistres aujourd’hui qu’elles semblaient l’être avant ces dernières atrocités.

Comment réagir ? Nous avons le choix. Nous pouvons exprimer notre horreur, elle est justifiée ; nous pouvons chercher à comprendre ce qui a pu engendrer ces crimes, ce qui implique de faire un effort pour se mettre dans la peau de ceux qui l’ont vraisemblablement commis. Si nous faisons ce dernier choix, nous ne pouvons faire mieux, me semble-t-il, que d’écouter les mots de Robert Fisk, dont la connaissance directe et en profondeur des affaires de la région est inégalée après de nombreuses années de remarquables reportages. En décrivant « la terrifiante cruauté d’un peuple écrasé et humilié », il écrit : « Ceci n’est pas la guerre de la démocratie contre la terreur, comme le monde sera prié de le croire ces prochains jours. C’est aussi l’histoire de missiles américains explosant dans des maisons palestiniennes, et d’hélicoptères américains lançant des missiles contre une ambulance libanaise en 1996, et d’obus américains s’écrasant sur un village du nom de Qana, et l’histoire de milices Libanaises payées et habillées par l’allié de l’Amérique (Israël) frappant et violant et assassinant tout sur leur passage dans des camps de réfugiés ». Et beaucoup plus encore. Je le répète, nous avons le choix : nous pouvons essayer de comprendre, ou le refuser et contribuer ainsi à rendre vraisemblable que bien pire nous attend.

© Noam Chomsky

Source : http://www.noam-chomsky.fr

Source: http://www.les-crises.fr/2001-11092001-une-premiere-reaction-petit-retour-en-arriere/


[Reprise] Il n’y a pas de guerre contre le terrorisme, par Noam Chomsky [2005]

Sunday 11 January 2015 at 02:12

Tiens, nous sommes en guerre – une paille…

Comme d’habitude, guerre décidée par un homme seul, dans son bunker, sans vote du Parlement – j’imagine que c’est ce qu’on appelle une “République exemplaire”. “Moi Président, je ferai comme les autres”…

Alors, en guerre contre qui ?

La France est en guerre contre le terrorisme.” [Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense]

Ah, c’est tout de suite plus clair – “vaste programme”… Il aurait dû faire encore plus simple “en guerre contre les très méchants” me semble mieux.

Alors je reprends un classique de 2005 de Noam Chomsky, puisque nous reprenons désormais la rhétorique de néoconservateurs américains…

Noam Chomsky interviewé par Geov Parrish

WorkingForChange.com (USA) , 23 décembre 2005

Depuis plus de 40 ans, Noam Chomsky, professeur au MIT, est l’un des plus grands intellectuels au monde critique de la politique étrangère des Etats-Unis. Aujourd’hui, alors que les Etats-Unis connaissent des problèmes politiques et militaires suite à leurs dernières aventures impériales, Chomsky – qui a eu 77 ans le mois dernier – promet qu’il ne ralentira pas le rythme « tant qu’il tiendra debout ». Je lui ai parlé au téléphone, le 9 décembre et une autre fois le 20, à son bureau à Cambridge.

Geov Parrish : Est-ce que George Bush a des problèmes politiques ? Si oui, pourquoi ?

Noam Chomsky : George Bush aurait de graves problèmes politiques s’il y avait un parti d’opposition dans ce pays. Pratiquement chaque jour ils se tirent un balle dans le pied. Ce qui est étonnant dans la politique aux Etats-Unis aujourd’hui est que les Démocrates n’en tirent pratiquement aucun bénéfice. Le seul bénéfice pour eux est que les Républicains sont en train de perdre du soutien. Un parti d’opposition serait en train de secouer les branches, mais les Démocrates ont une politique si proche des Républicains qu’ils ne peuvent rien faire. Lorsqu’ils essaient de parler de l’Irak, George Bush, ou Karl Rove, leur rétorque « comment pouvez-vous critiquer ? Vous avez tous voté pour. » En plus, ils ont raison.

GP : Comment les Démocrates pourraient-ils faire la différence à ce stade, étant donné qu’ils sont déjà tombés dans le piège ?

 Chomsky : Les Démocrates, leurs dirigeants, lisent les sondages bien plus que moi. Ils savent ce que pense l’opinion publique. Ils pourraient prendre des positions qui seraient soutenues par l’ opinion publique au lieu d’aller à l’encontre. Ainsi ils deviendraient un vrai parti d’opposition, et même un parti majoritaire. Mais cela signifie qu’ils devront changer de position sur pratiquement tous les sujets.

Par exemple, prenons la question de la santé, qui est probablement la préoccupation principale dans le pays. Une grande majorité de la population est favorable, et ce depuis longtemps, à un système de sécurité sociale nationale. Mais chaque fois que le sujet est abordé – on en parle de temps en temps dans la presse – on dit que c’est politiquement impossible, ou que le projet « manque de soutien politique », qui est une autre manière de dire que les compagnies d’assurance n’en veulent pas, que les compagnies pharmaceutiques n’en veulent pas, et ainsi de suite.

Bon d’accord, une grande majorité de la population le veut, mais qui se préoccupe d’eux ? C’est pareil pour les Démocrates. Clinton avait concocté un plan tellement alambiqué qu’on n’y comprenait rien et tout est tombé à l’eau.

Kerry, aux dernières élections, au dernier débat de la campagne, le 28 octobre je crois, le débat devait aborder les questions de politique interne. Et le New York Times en fit un bon compte-rendu le lendemain. Ils soulignèrent, à raison, que Kerry n’avait jamais mentionné un engagement quelconque du gouvernement dans le système de santé parce qu’il « manquait de soutien politique ». C’est leur manière à eux de dire, et celle de Kerry de comprendre, que soutien politique signifie le soutien des riches et des puissants. Bon, les Démocrates pourraient être différents. On pourrait imaginer un parti d’opposition qui défendrait les intérêts de la population.

GP : Etant donné l’absence de véritables différences entre les deux partis en matière de politique extérieure…

Chomsky : … ou même intérieure.

GP : Oui, ou intérieure. Mais je voudrais poser une question sur la politique étrangère. Sommes-nous en train d’être préparés à un état de guerre permanent ?

Chomsky : Je ne crois pas. Personne ne veut réellement la guerre. Ce que l’on veut c’est la victoire. Prenons l’exemple de l’Amérique centrale. Dans les années 80, l’Amérique centrale était hors de contrôle. Les Etats-Unis ont du mener une guerre terroriste féroce contre le Nicaragua, et ont du soutenir les gouvernements assassins du Salvador, du Guatemala et du Honduras, c’était un état de guerre. Les terroristes ont finalement gagné. A présent, la région est plus ou moins calme. Alors on n’entend même plus parler de l’Amérique centrale parce que tout est calme. Il y a la souffrance et la misère, mais la situation est calme. Ce n’est donc pas un état de guerre. Ailleurs, c’est pareil. Partout où on peut garder les gens sous contrôle, il n’y a pas de guerre.

Prenons par exemple la Russie et l’Europe de l’Est. La Russie a contrôlé l’Europe de l’Est pendant près d’un demi-siècle, avec très peu d’interventions militaires. De temps en temps, ils envahissaient Berlin Est, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, mais en général c’était calme. Et ça leur convenait parfaitement – une situation sous contrôle des forces de sécurité locales, des politiciens locaux, pas de problème. Il n’y avait pas d’état de guerre permanent.

GP : Mais dans la Guerre contre le terrorisme, quelle peut être la définition d’une victoire lorsqu’on a affaire à une tactique ? C’est sans issue.

Chomsky : Il existe des moyens procéder à des mesures. Par exemple, on peut compter le nombre d’attaques terroristes. Et bien ils sont en nette augmentation sous l’administration Bush, et en très nette augmentation depuis la guerre en Irak. Comme prévu – les services de renseignement avaient prévu que la guerre en Irak allait probablement accroître le niveau de terrorisme. Et les estimations effectuées après l’invasion par la CIA et le Conseil National du Renseignement, et autres agences de renseignement, le confirme en tous points. La guerre a augmenté le terrorisme. En fait, elle a même produit quelque chose qui n’existait pas auparavant, un nouveau terrain d’entraînement pour les terroristes, bien plus sophistiqué qu’en Afghanistan, où sont entraînés des terroristes professionnels qui retournent ensuite dans leur pays. C’est une façon de gérer la Guerre contre le Terrorisme, en augmentant le terrorisme. Et selon l’unité de mesure évidente, le nombre d’attaques terroristes, on peut dire qu’ils ont réussi à augmenter le terrorisme.

Le fait est qu’il n’y a pas de Guerre contre le Terrorisme. Il s’ agit là d’un problème secondaire. L’invasion de l’Irak et la prise de contrôle des ressources énergétiques étaient bien plus importantes que le risque de terrorisme. C’est pareil pour d’ autres sujets. Le terrorisme nucléaire, par exemple. Les services de renseignement étasuniens estiment que la probabilité pour qu’ une « bombe sale », qu’une attaque par bombe nucléaire aux Etats-Unis, se produise dans les dix prochaines années est de 50 pour cent. C’est beaucoup. Est-ce qu’ils s’en préoccupent ? Oui.

En augmentant la menace, un augmentant la prolifération nucléaire, en poussant ses ennemis potentiels à prendre des mesures très dangereuses pour tenter de contrer les menaces des Etats-Unis.

Le sujet est parfois abordé. On peut le trouver dans les articles consacrés aux analyses stratégiques. Prenons encore une fois l’ exemple de l’invasion de l’Irak. On nous dit qu’ils n’ont pas trouvé d’armes de destruction massive. Et bien, ce n’est pas tout à fait correct. Ils ont effectivement trouvé des armes de destruction massive, celles que les Etats-Unis, la Grande Bretagne et d’autres avaient envoyées à Saddam pendant les années 80. Il y en avait encore beaucoup sur place. Elles étaient sous le contrôle des inspecteurs de l’ONU et en train d’être démontées. Mais il y en avait encore beaucoup. Lorsque les Etats-Unis ont envahi, les inspecteurs ont été virés, et Rumsfeld et Cheney n’ont pas ordonné à l’armée de garder les sites. Alors les sites sont restés sans surveillance, et ils furent systématiquement pillés. Les inspecteurs de l’ONU ont continué leur travail par satellite et ils ont identifié plus de 100 sites qui étaient systématiquement pillés, pas comme quelqu’un qui entrerait pour voler quelque chose, mais soigneusement et systématiquement pillés.

GP : Par des gens qui savaient ce qu’ils faisaient

Chomsky : Oui, par des gens qui savaient ce qu’ils faisaient. Cela signifie qu’ils étaient en train de récupérer le matériel de haute précision qu’on peut utiliser pour les armes nucléaires et les missiles, les bio toxines dangereuses, toutes sortes de choses. Personne ne sait vers où le matériel est parti, et on préfère ne pas y penser. Ca, c’est une manière d’accroître nettement le risque de terrorisme. La Russie a nettement augmenté sa capacité militaire offensive en réaction aux programmes de Bush, ce qui en soi est déjà dangereux, mais aussi pour tenter de contrer la domination écrasante des Etats-Unis en termes d’armes offensives. Ils doivent transporter des missiles nucléaires en peu partout sur leur vaste territoire. Et la majorité n’est pas gardée. Et la CIA est parfaitement au courant que les rebelles Tchétchènes s’intéressent aux chemins de fer Russes, probablement pour tenter de voler un missile nucléaire. Oui, ça pourrait être un apocalypse. Mais ils sont en train d’accroître ce danger.
Parce qu’ils s’en fichent.

C’est pareil pour le réchauffement climatique. Ils ne sont pas stupides. Ils savent qu’ils sont en train d’augmenter les risques d’une catastrophe majeure. Mais cela ne concerne que les générations futures. Ils s’en fichent. Il y a en gros deux principes qui gouvernent la politique de l’administration Bush : se remplir les poches et celles de ses amis riches, et renforcer son contrôle sur le monde. Pratiquement tout découle de là. Si vous faites sauter la planète, et bien ce n’est pas votre problème. « Ca arrive », comme l’a dit Rumsfeld.

GP : Vous avez suivi les guerres d’agression des Etats-Unis depuis le Vietnam, et aujourd’hui nous sommes en Irak. Etant donné le fiasco que c’est, pensez-vous que nous verrons un changement dans la politique étrangère des Etats-Unis ? Si oui, comment ?

Chomsky : Et bien, il y a des différences importantes. Comparez, par exemple, la guerre en Irak avec la guerre au Vietnam il y a 40 ans. Il y a une nette différence. L’opposition à la guerre en Irak est beaucoup plus importante que pour le Vietnam. L’Irak est je crois la première guerre de l’histoire de l’impérialisme européen, y compris les Etats-Unis, où on a connu des protestations massives avant que la guerre n’ait été officiellement déclenchée. Au Vietnam, il a fallu quatre ou cinq ans avant de voir les premières protestations. Les protestations étaient si faibles que personne ne se souvient que Kennedy a attaqué le Sud Vietnam en 1962. C’était une attaque importante. Il a fallu des années avant de voir des protestations.

GP : Et que faut-il faire en Irak ?

Chomsky : Et bien la première chose serait d’en parler sérieusement. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux, je suis désolé de le dire, dans la classe politique, sur la question du retrait des troupes. Ceci parce que nous sommes soumis à une doctrine occidentale, un fanatisme religieux, qui prétend que les Etats-Unis auraient envahi l’Irak même si ce dernier ne produisait que des cornichons et des salades, et que les puits de pétrole s’étaient trouvés au milieu de l’Afrique. Tous ceux qui n ’y croient pas sont qualifiés de Marxistes, de théoriciens de la conspiration, de fous, ou autre chose. Et bien, même si vous n’ avez plus que trois neurones en état de marche, vous savez que ce sont des balivernes. Les Etats-Unis ont envahi l’Irak pour ses énormes ressources en pétrole, la plupart encore inexploitées, et cepays est situé en plein centre du système énergétique mondial.

Ce qui signifie que si les Etats-Unis réussissent à contrôler l’ Irak, ils étendront considérablement leur puissance stratégique, ce que Zbigniew Brzezinski appelait le point d’appui indispensable face à l’Europe et l’Asie. C’est une des raisons principales pour contrôler les ressources de pétrole, ça vous donne un pouvoir stratégique. Même si vous pouvez compter sur des ressources renouvelables, vous avez intérêt à le faire. C’est la raison principale pour l’invasion de l’Irak.

En ce qui concerne le retrait, prenez n’importe quelle édition de n’importe quel journal ou magazine. Ils disent tous que les Etats-Unis veulent instaurer un état démocratique et souverain en Irak. En fait, c’est hors de question. Que serait la politique d’ un Irak indépendant et souverain ? S’il est plus ou moins démocratique, le pays serait gouverné par une majorité Chiite.

Ceux-ci chercheront naturellement à resserrer leurs liens avec l’ Iran chiite. La plupart des religieux viennent d’Iran. La brigade Badr, qui contrôle en gros tout le sud, est entraînée par l’Iran. Ils ont des liens étroits qui ne feront que se renforcer. Ce qui donne une alliance informelle Irak/Iran. De plus, juste de l’ autre côté de la frontière avec l’Arabie Saoudite, il y a une population chiite qui a été sévèrement réprimée par la tyrannie intégriste soutenue par les Etats-Unis. Tout mouvement vers l’ indépendance en Irak aurait de fortes chances de les encourager, et c’est déjà en cours. Et il se trouve que c’est là que se trouve la majorité du pétrole Saoudien. Alors, vous pouvez imaginez le parfait cauchemar pour Washington, à savoir une alliance chiite qui contrôlerait la majorité du pétrole mondial, indépendante de Washington et probablement tourné vers l’est, où la Chine et d’autres sont impatients de nouer des relations, et qui sont déjà en train de le faire. Pour Washington, ce n’est même pas concevable. Au stade où en sont les choses, les Etats-Unis préféraient une guerre nucléaire à une telle situation.

Donc, toute discussion sur le retrait devrait tenir compte du monde tel qu’il est, c’est-à-dire prendre en compte ces données.Ecoutez les commentateurs aux Etats-Unis, quel que soit leur bord politique. Qui parle de ça ? Pratiquement personne, ce qui signifie que le débat pourrait aussi bien se dérouler sur Mars. Et il y a une raison à cela. Nous ne sommes pas censés penser que nos dirigeants peuvent obéir à des intérêts impérialistes. Nous sommes censés penser qu’ils sont gentils, et tout ça. Mais ils ne le sont pas. Ils sont parfaitement sensés. Ils comprennent ce que tout un chacun peut comprendre. Alors la première mesure à prendre dans le débat sur le retrait est le suivant : prendre en compte la situation telle qu’elle est et non pas la situation rêvée, celle où Bush poursuivrait une vision de démocratie ou je ne sais quoi. Si nous savons entrer dans le monde réel, nous pouvons commencer à en parler. Et pour répondre à la question, oui, je crois que nous devons nous retirer, mais nous devons en parler dans le cadre de la réalité et connaître les projets de la Maison Blanche. Eux ne sont pas disposés à vivre dans un monde de rêve.

GP : Comment les Etats-Unis régiront-ils à la Chine en tant que superpuissance ?

Chomsky : Quel est le problème avec la Chine ?

GP : Et bien, la concurrence pour les ressources, par exemple.

Chomsky : Si vous croyez aux lois du marché, tels que nous sommes censés y croire, la concurrence pour les ressources à travers les lois du marché ne devrait pas poser de problèmes, n’est-ce pas ? Le problème est que les Etats-Unis n’aime pas la tournure des évènements. Tant pis. Personne n’aime la tournure des évènements lorsque les événements se tournent contre lui. La Chine ne représente aucune menace. Mais nous pouvons la transformer en menace. Nous pouvons augmenter les menaces contre la Chine, et ils réagiront. Et ils sont déjà en train de le faire. Ils riposteront en renforçant leur arsenal militaire, leur capacité militaire offensive, et cela devient une menace. Oui, nous pouvons les pousser à devenir une menace.

GP : Quel est votre plus grand regret en tant que militant de ces 40 dernières années ? Qu’auriez-vous fait différemment ?

Chomsky : J’en aurais fait plus. Parce que les problèmes sont si amples et profonds que c’est une honte de ne pas en faire plus.

GP : Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?

Chomsky : Ce qui me donne de l’espoir c’est l’opinion publique. L’ opinion publique aux Etats-Unis fait l’objet d’études méticuleuses, nous en savons beaucoup. On en parle rarement, mais nous la connaissons. Et vous savez, je suis plutôt en phase avec l’opinion publique sur la plupart des sujets. Sur certains, je ne le suis pas, sur le contrôle des armes à feu, ou sur le créationnisme ou des sujets comme ça. Mais sur la plupart des sujets importants, ceux que nous avons abordé, je suis dans le camp des critiques, mais plutôt en phase avec l’opinion publique. Je pense que c’est un signe très encourageant. Je pense que les Etats-Unis seraient un paradis pour un organisateur.

GP : Quel genre d’organisation devrait être entreprise pour changer la politique ?

Chomsky : Il y a de quoi procéder à un changement démocratique. Prenez ce qui s’est passé en Bolivie il y a quelques jours. Comment un dirigeant indigène de gauche a-t-il été élu ? Etait-ce en se présentant devant les électeurs une fois tous les quatre ans pour leur dire « votez pour moi » ? Non. C’est parce qu’il existe des organisations populaires de masse qui travaillent sans cesse sur tous les fronts, de la lutte contre les privatisations de l’eau jusqu’aux questions locales, et ce sont des organisations à démocratie participative. Ça c’est la démocratie. Nous en sommes loin. Voilà quelque chose qui serait à organiser.

© Noam Chomsky


Traduit par Viktor Dedaj pour Cuba Solidarity Project


Lire d’autres articles sur www.noam-chomsky.fr

Source: http://www.les-crises.fr/guerre-contre-le-terrorisme/


Revue de presse du 11/01/2015

Sunday 11 January 2015 at 01:38

Cette semaine, nous irons de la Chine jusque dans les cabines à UV australiennes… et nous commençons plusieurs sujets suivis qui devraient s’étaler sur quelques semaines. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-11-01-2015/


Charlie Hebdo pas raciste ? Si vous le dites… par Olivier Cyran

Saturday 10 January 2015 at 05:00

Primo, condamnons sans équivoque la barbarie de ce crime indéfendable.

Secundo, honorons la mémoire des victimes et pensons à leurs proches

Tertio, à l’heure où on veut nous obliger à hurler “Je suis Charlie”, n’oublions pas ce que c’est non plus et ce qu’on veut nous faire endosser… D’où cette mise au point utile d’un des anciens de Charlie Hebdo, écrite il y a 1 an.

Désolé, je voulais attendre 1 mois plein avant de remettre ceci sur le tapis, mais le fil des événements, ainsi que l’expérience du 11 septembre me pousse à contrecoeur à traiter de ces sujets plus tôt.

Non, “Charlie Hebdo” n’est pas raciste !, par Charb

Tribune dans Le Monde du 20/11/2013 de Charb (Directeur de publication “Charlie Hebdo”) et Fabrice Nicolino (Journaliste)

>Toute la rédaction de Charlie Hebdo se joint aux auteurs de cette tribune.

Charlie, notre Charlie Hebdo a mal aux tripes et au coeur. Car voilà qu’une incroyable calomnie circule dans des cercles de plus en plus larges, qui nous est rapportée chaque jour. Charlie Hebdo serait devenu une feuille raciste.

Un jour, un chauffeur de taxi arabe exige de l’un des collaborateurs du journal, reconnu par lui, qu’il descende aussitôt, au motif de dessins moquant la religion musulmane. Un autre jour, un interlocuteur nous refuse un entretien pour la raison qu’il “ne parle pas à un journal de gros racistes”. Et, quand le crapuleux Minute s’en prend de la manière que l’on sait à Christiane Taubira, il se trouve des imbéciles, jusque dans les télévisions, pour accoler des couvertures de notre journal à celles de ce torchon raciste.

PROCÈS EN SORCELLERIE

Mais où est passée la conscience morale, si toutes les vilenies deviennent à ce point ordinaires ? Nous avons presque honte de rappeler que l’antiracisme et la passion de l’égalité entre tous les humains sont et resteront le pacte fondateur de Charlie Hebdo.

Bien entendu, le procès en sorcellerie que tant d’esprits faibles nous font ne peut être mené qu’en secret, loin de la lumière, en l’absence de toute défense. Car la lecture de notre journal est la preuve définitive de ce que nous affirmons ici. Ceux qui osent dire le contraire ne nous lisent pas, et se contentent de se délecter d’une abominable rumeur.

Pour les autres, qui respectent encore des valeurs élémentaires, voici en quelques phrases notre histoire. Créé après l’interdiction d’Hara Kiri hebdo par le ridicule pouvoir gaulliste de 1970, Charlie Hebdo est fils de Mai 68, de la liberté, de l’insolence, et de personnalités aussi clairement situées que Cavanna, Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Delfeil de Ton…

Qui oserait leur faire un procès rétrospectif ? Le Charlie Hebdo des années 1970 aura aidé à former l’esprit critique d’une génération. En se moquant certes des pouvoirs et des puissants. En riant, et parfois à gorge déployée, des malheurs du monde, mais toujours, toujours, toujours en défendant la personne humaine et les valeurs universelles qui lui sont associées.

L’un des drames des calomniateurs, c’est que Cavanna, Cabu, Wolinski sont toujours là, fidèles au poste chaque semaine, sans avoir jamais renié une once de leur passé. Contrairement à tant d’autres, qui ont eu le temps, en quarante années, de changer plusieurs fois de costume social, l’équipe de Charlie continue sur la même route.

Nous rions, nous critiquons, nous rêvons encore des mêmes choses. Ce n’est pas trahir un secret : l’équipe actuelle se partage entre tenants de la gauche, de l’extrême gauche, de l’anarchie et de l’écologie. Tous ne votent pas, mais tous ont sablé le champagne quand Nicolas Sarkozy a été battu en mai 2012.

NOUS AVONS CHOISI NOTRE CAMP

Aucun d’entre nous ne songerait à défendre la droite, que nous combattrons jusqu’au bout. Quant aux fascismes, quant au fascisme, nous considérons évidemment cette engeance comme un ennemi définitif, qui ne s’est d’ailleurs jamais privé de nous traîner devant les tribunaux.

Ouvrez donc ce journal ! Jean-Yves Camus y suit avec la rigueur qu’on lui connaît l’activité des extrêmes droites. Laurent Léger dévoile les turpitudes des réseaux si étendus de la corruption. Bernard Maris décortique l’économie et le capitalisme comme aucun autre. Patrick Pelloux raconte avec douceur les horreurs des urgences hospitalières. Gérard Biard ferraille contre le sexisme et la pub. Zineb el Rhazoui critique – oui, et de belle manière – les insupportables manifestations de certain islamisme. Fabrice Nicolino regarde le monde en écologiste radical, mais humaniste. Sigolène Vinson détaille le quotidien absurde de tant de tribunaux. Luce Lapin défend avec une opiniâtreté sans borne les animaux, ces grands absents du débat. Antonio Fischetti raconte la science, les sciences avec drôlerie et impertinence. Philippe Lançon proclame chaque semaine la victoire de la littérature sur la télé. Et puis tous les autres ! Quant aux dessinateurs, qui ne connaît leur trait ?

De Charb à Riss, de Luz à Willem, de Riad Sattouf à Tignous, en passant par Honoré, Catherine et bien sûr Wolin et Cabu, ils font rire chaque semaine ceux qui n’ont pas renoncé à être libres.

Où seraient cachés les supposés racistes ? Nous n’avons pas peur d’avouer que nous sommes des militants antiracistes de toujours. Sans nécessairement avoir une carte, nous avons choisi dans ce domaine notre camp, et n’en changerons évidemment jamais. Si par extraordinaire – mais cela n’arrivera pas – un mot ou un dessin racistes venaient à être publiés dans notre hebdomadaire, nous le quitterions à l’instant, et avec fracas. Encore heureux !

Reste dans ces conditions à comprendre pourquoi. Pourquoi cette idée folle se répand-elle comme une maladie contagieuse ? Nous serions islamophobes, disent nos diffamateurs. Ce qui, dans la novlangue qui est la leur, signifie racisme. Où l’on voit combien la régression a gagné tant d’esprits.

NOUS CONTINUERONS, BIEN SÛR

Il y a quarante ans, conspuerexécrer, conchier même les religions était un parcours obligé. Qui entendait critiquer la marche du monde ne pouvait manquer de mettre en cause les si grands pouvoirs des principaux clergés. Mais à suivre certains, il est vrai de plus en plus nombreux, il faudrait aujourd’hui se taire.

Passe encore que Charlie consacre tant de ses dessins de couverture aux papistes. Mais la religion musulmane, drapeau imposé à d’innombrables peuples de la planète, jusqu’en Indonésie, devrait, elle, être épargnée. Pourquoi diable ? Quel est le rapport, autre qu’idéologique, essentialiste au fond, entre le fait d’être arabe par exemple et l’appartenance à l’islam ?

Nous refusons de nous cacher derrière notre petit doigt, et nous continuerons, bien sûr. Même si c’est moins facile qu’en 1970, nous continuerons à rire des curés, des rabbins et des imams, que cela plaise ou non. Nous sommes minoritaires ? Peut-être, mais fiers de nos traditions en tout cas. Et que ceux qui prétendent et prétendront demain que Charlie est raciste aient au moins le courage de le dire à voix haute, et sous leur nom. Nous saurons quoi leur répondre.

Charlie Hebdo pas raciste ? Si vous le dites… par Olivier Cyran

Tribune d’an ancien de Charlie Hebdo du 5/12/2013

Il y a travaillé de 1992 à 2001, avant de claquer la porte, échaudé par « la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel » d’un certain Philippe Val. Depuis, Olivier Cyran observe de loin, hors les murs, l’évolution de Charlie Hebdo et sa grandissante obsession pour l’islam. Il revient sur cette longue dérive à l’occasion d’une tribune récemment publiée dans Le Monde, signée Charb et Fabrice Nicolino.

Cher Charb, cher Fabrice Nicolino,

« Et que ceux qui prétendent et prétendront demain que “Charlie” est raciste aient au moins le courage de le dire à voix haute, et sous leur nom. Nous saurons quoi leur répondre. » En lisant cette rodomontade à la fin de votre tribune dans Le Monde1, façon « viens nous le dire en face si t’es un homme », j’ai senti monter comme une envie de rejoindre mon poste de combat dans la cour de récré. La sommation ne m’était pourtant pas destinée. Quelles bonnes âmes vous espérez convaincre, d’ailleurs, mystère. Cela fait belle lurette que quantité de gens disent à « voix haute » et « sous leur nom » ce qu’ils pensent de votre journal et du fonds de sauce qui s’en écoule, sans que personne chez vous ne se soit soucié de leur répondre ou d’agiter ses petits poings.

Ainsi donc Le Monde vous a charitablement ouvert son rayon blanchisserie, pour un repassage express de votre honneur tout chiffonné. À vous entendre, il y avait urgence : même plus moyen de sortir dans Paris sans qu’un chauffeur de taxi vous traite de racistes et vous abandonne les bras ballants sur le bord du trottoir. On comprend la vexation, mais pourquoi ce besoin d’aller vous refaire une beauté dans un autre journal que le vôtre ?Charlie Hebdo, son site internet et sa maison d’édition ne vous offrent donc pas un espace d’expression à la hauteur ? Vous invoquez le glorieux héritage du « Charlie » des années 1960 et 70, quand c’était la censure du pouvoir politique et non la hantise du discrédit qui donnait du fil à retordre au journal. Mais je doute qu’à l’époque un Cavanna ou un Choron eussent quémandé l’aide de la presse en redingote pour se façonner une respectabilité.

S’il m’est arrivé à moi aussi, par le passé, de griffonner quelques lignes fumasses en réaction à tel ou tel de vos exploits, je ne me suis jamais appesanti sur le sujet. Sans doute n’avais-je ni la patience ni le cœur assez bien accroché pour suivre semaine après semaine la navrante mutation qui s’est opérée dans votre équipe après le tournant du 11 septembre 2001. Je ne faisais déjà plus partie de Charlie Hebdo quand les avions suicide ont percuté votre ligne éditoriale, mais la névrose islamophobe qui s’est peu à peu emparée de vos pages à compter de ce jour-là m’affectait person

nellement, car elle salopait le souvenir des bons moments que j’avais passés dans ce journal au cours des années 1990. Le rire dévastateur du « Charlie » que j’avais aimé sonnait désormais à mes oreilles comme le rire de l’imbécile heureux qui se déboutonne au comptoir du commerce, ou du cochon qui se roule dans sa merde. Pour autant je n’ai jamais qualifié votre journal de raciste. Mais puisque aujourd’hui vous proclamez haut et fort votre antiracisme inoxydable et sans reproches, le moment est peut-être venu de considérer sérieusement la question.

Raciste, Charlie Hebdo ne l’était assurément pas du temps où j’y ai travaillé. En tout cas, l’idée qu’un jour le canard s’exposerait à pareil soupçon ne m’a jamais effleuré. Il y a avait bien quelques franchouillardises et les éditos de Philippe Val, sujets à une fixette inquiétante et s’aggravant au fil des ans sur le « monde arabo-musulman », considéré comme un océan de barbarie menaçant de submerger à tout instant cet îlot de haute culture et de raffinement démocratique qu’était pour lui Israël. Mais les délires du taulier restaient confinés à sa page 3 et ne débordaient que rarement sur le cœur du journal qui, dans ces années-là, me semblait-il, battait d’un sang plutôt bien oxygéné.

À peine avais-je pris mes cliques et mes claques, lassé par la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel du patron, que les tours jumelles s’effondrèrent et que Caroline Fourest débarqua dans votre rédaction. Cette double catastrophe mit en branle un processus de reformatage idéologique qui allait faire fuir vos anciens lecteurs et vous en attirer d’autres, plus propres sur eux, et plus sensibles à la « war on terror » version Rires & Chansons qu’à l’anarchie douce d’un Gébé. Petit à petit, la dénonciation en vrac des « barbus », des femmes voilées et de leurs complices imaginaires s’imposa comme un axe central de votre production journalistique et satirique. Des « enquêtes » se mirent à fleurir qui accréditaient les rumeurs les plus extravagantes, comme la prétendue infiltration de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou du Forum social européen (FSE) par une horde de salafistes assoiffés de sang2. Le nouveau tropisme en vigueur imposa d’abjurer le tempérament indocile qui structurait le journal jusqu’alors et de nouer des alliances avec les figures les plus corrompues de la jet-set intellectuelle, telles que Bernard-Henri Lévy ou Antoine Sfeir, cosignataires dans Charlie Hebdo d’un guignolesque « Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme islamique 3 ». Quiconque ne se reconnaissait pas dans une lecture du monde opposant les civilisés (européens) aux obscurantistes (musulmans) se voyait illico presto renvoyé dans les cordes des « idiots utiles » ou des « islamo-gauchistes ».

À Charlie Hebdo, il a toujours été de bon ton de railler les « gros cons » qui aiment le foot et regardent TF1. Pente glissante. La conviction d’être d’une essence supérieure, habilitée à regarder de très haut le commun des mortels, constitue le plus sûr moyen de saboter ses propres défenses intellectuelles et de les laisser bailler au moindre courant d’air. Les vôtres, pourtant arrimées à une bonne éducation, à des revenus confortables et à l’entre-soi gratifiant de la « bande à Charlie », ont dégringolé à une vitesse ahurissante. Je me souviens de cette pleine page de Caroline Fourest parue le 11 juin 2008. Elle y racontait son amicale rencontre avec le dessinateur néerlandais Gregorius Nekschot, qui s’était attiré quelques ennuis pour avoir représenté ses concitoyens musulmans sous un jour particulièrement drolatique.

Qu’on en juge : un imam habillé en Père Noël en train d’enculer une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions ».

Ou un Arabe affalé sur un pouf et perdu dans ses pensées : « Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs ».

Ou encore ce « monument à l’esclavage du contribuable autochtone blanc » : un Néerlandais, chaînes au pied, portant sur son dos un Noir, bras croisés et tétine à la bouche.

Racisme fétide ? Allons donc, liberté d’expression ! Certes, concède Fourest, l’humour un peu corsé de son ami « ne voyage pas toujours bien », mais il doit être compris « dans un contexte néerlandais ultratolérant, voire angélique, envers l’intégrisme ». La faute à qui si les musulmans prêtent le flanc à des gags difficilement exportables ? Aux musulmans eux-mêmes et à leurs alliés trop angéliques, ça va de soi. Comme l’enseigne Nekschot aux lecteurs de Charlie Hebdo, « les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles ».

Personne chez vous n’a claqué sa démission après cette page insuffisamment remarquée, qui après tout ne faisait que consacrer le processus entamé six ou sept ans plus tôt. Vos sortes de tolérances vous regardent. Mais quand je lis dans votre tribune du Monde : « Nous avons presque honte de rappeler que l’antiracisme et la passion de l’égalité entre tous les humains sont et resteront le pacte fondateur de Charlie Hebdo », la seule information que je retiens, c’est que votre équipe ne serait donc pas totalement inaccessible à la honte. Vraiment ?

Après le départ en 2009 de Val et de Fourest, appelés à de plus hautes destinées, l’un à la tête d’une radio publique, l’autre sur les podiums de l’antiracisme gouvernemental, on se demandait si vous continueriez à faire du Val sans lui et de la Fourest sans elle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous êtes restés fidèles à la ligne. Imprégnés jusqu’au trognon, faut croire.

Aujourd’hui, les mouches qu’un Tignous n’omet jamais de faire tourner autour de la tête de ses « barbus » se collent plus que jamais à votre imaginaire dès que vous « riez » des musulmans. Dans une vidéo postée fin 2011 sur le site de Charlie Hebdo, on te voyait, Charb, imiter l’appel du muezzin sous les hoquets hilares de tes petits camarades. Tordant, le numéro de la psalmodie coranique à l’heure du bouclage, Michel Leeb n’aurait pas fait mieux. Dans quelle marinade collective faut-il macérer pour en arriver là ? Dans quelles crevasses psychologiques puisez-vous matière à « rire » d’un dessin représentant des femmes voilées qui exhibent leurs fesses pendant qu’elles font leur prière à la « mère Mecquerelle » ? Minable vanne même pas honteuse, embarrassante d’imbécilité avant même que d’être révélatrice d’un état d’esprit, d’une vision du monde.

C’est ce dessin de Catherine qui me vient à l’esprit, mais je pourrais en citer tant d’autres parmi les épanchements de gaudriole islamophobe que vous autres, fabricants d’humour gonflé aux vents du temps, dégazez à longueur de semaines. Ce dessin-là accompagnait une pseudo-enquête sur les « djihadistes du sexe » en Syrie 4. Un « scoop » dont on apprenait peu de temps après – il est vrai qu’on s’en doutait un peu à la lecture – que c’était un tissu d’âneries bidonné à des fins de propagande 5. À noter que vous n’avez même pas retiré cette daube de votre site web : apparemment, certains sujets se prêtent mieux que d’autres au relâchement. Quand on rigole avec la femme voilée, on peut bien se laisser aller, s’autoriser un peu de confusion entre info croustillante en papier mâché et poilade de salle de garde.

Mais je ne vous écris pas pour vous parler de bon goût, plutôt de ce pays que vous avez contribué à rendre plus insalubre. Un pays qui désormais interdit à une femme de travailler dans une crèche au motif que le bout de tissu qu’elle porte sur la tête traumatiserait les bambins. Où une élève de troisième coiffée d’un bandana jugé trop large se fait exclure de son collège avec la bénédiction d’un maire UMP, du ministre socialiste de l’Éducation nationale et de la presse écumante 6. Où l’on peine à trouver un comptoir de bistrot ou une table de fins lettrés sans qu’à un moment ne se déverse le genre de blagues qui, à « Charlie », vous font péter les boyaux le jour du bouclage. Où l’on considère comme une avant-garde de la cinquième colonne toute femme qui se couvre les cheveux, au point qu’on lui interdit de participer à une sortie scolaire ou de faire du bénévolat aux Restos du cœur 7.

Je sais qu’à vos yeux ces vigoureuses dispositions sont cruciales pour la survie de la république et de la laïcité. Récemment, vous avez jugé utile de publier une interview de votre avocat, Richard Malka, le valeureux défenseur de Clearstream, de DSK et de l’esprit des Lumières. « Le voile, c’est l’anéantissement, l’ensevelissement du triptyque républicain “Liberté, Égalité, Fraternité” 8 », pérorait votre bavard comme à un concours d’éloquence pour vendeurs d’aspirateurs9. Faudrait déjà qu’il nous explique en quoi ce fameux triptyque a une existence concrète et au bénéfice de qui, mais passons. Ce qu’il enfonce dans la tête de vos lecteurs, pourtant déjà abondamment instruits en la matière, c’est que quelques centimètres carrés de coton éventuellement mêlé de polyester menacent de répandre la peste sur notre beau pays. Que ce voile est si dangereusement infecté qu’il ne serait pas sage de prêter attention à l’individu qui le porte.

Je dois préciser à ce stade que, personnellement, je n’ai aucun « problème » avec le bonnet de ma tante ou les dreadlocks de mon cousin, et que je n’en ai pas davantage avec le voile de ma voisine. Si cette dernière me confiait qu’elle le porte contre son gré, j’aurais certainement le réflexe de l’encourager à trouver les moyens de vivre comme elle l’entend. Je réagirais de même si on l’obligeait à porter des bas résille ou le kilt écossais. En dehors d’un tel scénario, qu’une femme décide ou non de porter telle ou telle liquette ne me regarde pas. Que ce soit pour des motifs personnels, religieux, esthétiques ou autres, c’est son affaire. Étonnante, cette manie qu’ont les gens dans ce pays de projeter leurs fantasmes sur un carré d’étoffe, qui l’aliénation de la femme, qui la peur de l’invasion islamique, qui la défense du droit masculin à la drague capillaire, etc. Peu m’importent le voile, les talons hauts ou même le t-shirt Camaïeu made in Bangladesh, du moment que la personne dessous, dessus ou dedans mérite le respect. Où en sommes-nous rendus pour qu’il faille réhabiliter un principe aussi évident ? Essayez-le, vous verrez : c’est le meilleur préventif contre l’ulcère à l’estomac et la sauce blanche dans la tête.

Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel votre hebdomadaire se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française. Que rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême droite, mais un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la république, le « vivre ensemble ». Et même, ne soyons pas pingres sur les alibis, par le droit des femmes – étant largement admis aujourd’hui que l’exclusion d’une gamine voilée relève non d’une discrimination stupide, mais d’un féminisme de bon aloi consistant à s’acharner sur celle que l’on prétend libérer. Drapés dans ces nobles intentions qui flattent leur ignorance et les exonèrent de tout scrupule, voilà que des gens qui nous étaient proches et que l’on croyait sains d’esprit se mettent brusquement à débonder des crétineries racistes. À chacun sa référence : La journée de la jupe, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Caroline Fourest, Pascal Bruckner, Manuel Valls, Marine Le Pen ou combien d’autres, il y en a pour tous les goûts et toutes les « sensibilités ». Mais il est rare que Charlie Hebdo ne soit pas cité à l’appui de la règle d’or qui autorise à dégueuler sur les musulmans. Et comme vos disciples ont bien retenu la leçon, ils ne manquent jamais de se récrier quand on les chope en flag’ : mais enfin, on a bien le droit de se moquer des religions ! Pas d’amalgame entre la critique légitime de l’islam et le racisme anti-arabe !

C’est évidemment ce même sillon que vous labourez dans votre tribune du Monde. « Passe encore, vous lamentez-vous, que Charlie consacre tant de ses dessins de couverture aux papistes. Mais la religion musulmane, drapeau imposé à d’innombrables peuples de la planète, jusqu’en Indonésie, devrait, elle, être épargnée. Pourquoi diable ? Quel est le rapport, autre qu’idéologique, essentialiste au fond, entre le fait d’être arabe par exemple et l’appartenance à l’islam ? »

Je veux bien tâcher d’éclairer vos lanternes sur ce point, mais permettez-moi d’abord d’apprécier la vicieuse petite incise dans laquelle vous resservez en loucedé le vieux plat sur l’islam-religion-conquérante qui fait rien qu’à croquer la planète. L’islamisation de l’archipel indonésien a commencé au XIIIe siècle, quand des princes de Sumatra se sont convertis à la religion des marchands perses et indiens qui faisaient bombance dans leurs ports – non sous la contrainte, mais par désir d’intégrer un réseau commercial prospère. Plus tard, au XVIIIe siècle, ce sont les colons hollandais, chrétiens irréprochables, qui se sont arrangés pour imposer l’islam à Java, en vue de soustraire sa population à l’influence séditieuse des Balinais hindouistes. On est loin de l’imagerie du farouche bédouin réduisant à sa merci des peuples exotiques, à laquelle se résume apparemment votre connaissance du monde musulman.

Mais revenons à la question du « rapport » entre Arabes et musulmans, racisme et islamophobie. La démarcation que vous tracez avec une belle assurance entre les deux catégories est-elle vraiment si claire dans vos esprits ? À lire le début de votre tribune, il est permis d’en douter. L’édifiante anecdote du « chauffeur de taxi arabe », qui refuse de conduire à bon port un collaborateur du journal « au motif de dessins moquant la religion musulmane », révèle à cet égard une certaine confusion. En quoi la qualité d’« arabe » prêtée au chauffeur – qui d’après vous ne saurait donc être simplement français – nous renseigne-t-elle sur l’affront subi par votre infortuné collègue ? Croyez-vous qu’il faille être « arabe » pour froncer le nez devant vos beaufitudes de fin de banquet ? Moi qui ne suis ni arabe ni chauffeur de taxi, pas sûr que je dépannerais votre collaborateur d’un ticket de métro. J’espère néanmoins qu’il aura surmonté son choc des civilisations en se dégotant un chauffeur blanc qui l’accepte sur sa banquette arrière.

Vous avez raison, arabe et musulman, ce n’est pas la même chose. Mais vous savez quoi ? Musulman et musulman, ce n’est pas pareil non plus. Sachez qu’il y en a de toutes sortes, riches ou pauvres, petits ou grands, sympathiques ou revêches, généreux ou rapiats, désireux d’un monde meilleur, réactionnaires ou même, oui, intégristes. Or, dans Charlie Hebdo, rien ne ressemble davantage à un musulman qu’un autre musulman. Toujours représenté sous les traits d’un faible d’esprit, d’un fanatique, d’un terroriste, d’un assisté. La musulmane ? Toujours une pauvre cloche réductible à son foulard, et qui n’a d’autre fonction sociale que d’émoustiller la libido de vos humoristes.

Parlant de cela, il y aurait beaucoup à dire sur la composante graveleuse de votre inspiration. L’euphorie avec laquelle Charlie Hebdo a acclamé les militantes topless des Femen suggère que le graillon islamophobe s’agrège parfaitement aux éclaboussures de testostérone.

L’ode de Bernard Maris à Amina Sboui, une Femen tunisienne qui avait posé torse nu sur Internet, offre un bon échantillon de la mayonnaise hormonale qui colle à vos pages : « Montre tes seins, Amina, montre ton sexe à tous les crétins barbus habitués des sites pornos, à tous les cochons du désert qui prêchent la morale à domicile et se payent des escorts dans les palaces étrangers, et rêvent de te voir lapidée après t’avoir outragée… Ton corps nu est d’une pureté absolue en face des djellabas et des niqabs répugnants 10. » Allo, docteur ?

Vous avez le toupet d’accuser vos détracteurs d’« essentialisme », et sans doute les bulbes congestionnés qui vous vénèrent applaudiront-ils l’acrobatie. Mais on n’est pas au cirque. L’essentialisme, vous vous y vautrez chaque semaine ou presque en racialisant le musulman sous les traits d’une créature constamment grotesque ou hideuse. Ce qui définit la vision dominante du « racialisé », « c’est qu’il est tout entier contenu dans ce qui le racialise ; sa culture, sa religion, sa couleur de peau. Il serait comme incapable de s’en sortir, incapable de voir plus loin que son taux de mélanine ou le tissu qu’il porte sur la tête, observe sur son blog Valérie CG, une féministe pas très intéressante puisqu’elle ne vous a pas montré ses seins. Musulman devient une sorte de nouvelle couleur de peau dont il est impossible de se détacher 11. »

Cette remarque judicieuse se rapportait aux élucubrations de la « pédopsychiatre » Caroline Eliacheff, qui, dans le magazine Elle, venait de justifier ainsi le licenciement d’une puéricultrice voilée par la crèche Baby-Loup : « On peut s’interroger sur les conséquences pour un nourrisson de ne voir que le visage de face, une tête amputée des oreilles, des cheveux et du cou 12. » Le voile est une arme de destruction massive, il ensevelit la république aussi sûrement qu’il ampute des organes vitaux. Inutile de préciser que Caroline Eliacheff, tout comme vous, « lutte contre le racisme », c’est en tout cas ce qu’elle déclare dans son interview. Pour professer des inepties, et justifier le renvoi brutal d’une employée reconnue comme compétente et que personne n’a vu appeler les petits chéris au djihad, on n’est jamais aussi confortablement juché qu’au plus haut sommet des vertus civilisées.

Mais votre trône surplombe un marécage. Toi, Charb, pour lequel j’ai jadis éprouvé de l’estime, et toi, Fabrice, dont j’appréciais la rigueur intellectuelle 13, je vous tiens, vous et vos collègues, pour coresponsables du pourrissement ambiant. Après le 11-Septembre,Charlie Hebdo a été parmi les premiers, dans la presse dite de gauche, à enfourcher le cheval du péril islamique. Ne vous privez donc pas de ramasser votre part du crottin au moment où le nombre d’actes islamophobes bat des records : + 11,3 % sur les neuf premiers mois de 2013 par rapport à la même période de 2012, selon l’Observatoire national de l’islamophobie. Lequel s’inquiète d’un « nouveau phénomène » de violence, marqué par au moins quatorze agressions de femmes voilées depuis le début de l’année.

Rassurez-vous, je ne dis pas que la lecture de Charlie Hebdo déclenche mécaniquement l’envie de badigeonner une mosquée avec du sang de porc ou d’arracher son voile à une cliente de supermarché, comme cela se produit ici et là. Vous avez désigné les cibles, mais vous ne voulez pas qu’un pauvre type s’attaque à elles pour de vrai, car vous êtes contre la violence et contre le racisme. Vos lecteurs aussi, très certainement. Ils n’ont aucun préjugé contre les musulmans, c’est juste qu’ils s’esclaffent de bon cœur sur ce dessin de Charb où l’on voit un Arabe à grosse moustache en arrêt devant une prostituée, tandis qu’un prédicateur à barbe le sermonne : « Mon frère ! Tu vas pas payer 40 euros une passe alors que pour le même prix tu peux acheter une épouse ! »

Dans les années trente, le même gag avec des juifs à la place des musulmans aurait fait un tabac, sauf qu’à l’époque son auteur n’aurait sans doute pas eu l’idée de venir brandir un brevet d’antiracisme. Le dessin en question illustrait un article démasquant les sombres desseins d’un petit groupe de salafistes à Bruxelles. Le sous-titre résumait bien l’idée : « Les frites seront-elles bientôt toutes halal en Belgique ? Quelques barbus s’y activent, et combattent la démocratie qui leur permet d’exister 14. » Quoi ? Islamisation des frites, démocratie en danger ? Dans sa tête, le lecteur commence déjà à graisser son fusil de chasse. Dans sa tête seulement, car c’est un antiraciste. À moins qu’il n’aille se déverser au bas de quelque site internet évoquant vos faits d’armes, à la manière de « lulupipistrelle », auteur de ce commentaire sur Agoravox : « Les caricatures de leur prophète ulcèrent les musulmans ? Et alors, moi j’ai envie de baffer toutes les bonnes femmes voilées que je croise, et je ne parlent [sic] pas des barbus… mais je me domine…15 »

Bien sûr que Charlie Hebdo ne se limite pas à cela, qu’on y écrit et dessine sur bien d’autres sujets. On veut bien croire que nombre de lecteurs vous achètent par attachement à la cause des animaux, ou pour Cavanna, ou pour Nicolino, ou pour les dessins drôles, ou pour congratuler Bernard Maris après sa nomination au conseil général de la Banque de France, autre repaire de joyeux drilles. Mais je doute qu’il y en ait beaucoup qui ne trouvent leur petit plaisir sale dans le ressassement de vos obsessions islamophobes – sans quoi le journal leur tomberait des mains. Il en est même, vous ne pouvez l’ignorer, qui l’achètent principalement pour ça : pour voir ce que « Charlie » va encore leur mettre dans les dents cette semaine. Faut avouer, c’est une bonne affaire. Depuis l’épisode des caricatures danoises et votre héroïque montée des marches en costumes de pingouins au festival de Cannes, bras dessus bras dessous avec Philippe Val, Daniel Leconte et BHL (mais hélas sans Carla Bruni, pourtant annoncée), le « muslim bashing » ripoliné en « défense intransigeante de la liberté d’expression » est devenu votre tête de gondole, que vous prenez soin de réapprovisionner régulièrement. Vous pouvez toujours certifier que les sans-papiers sont vos amis ou critiquer Manuel Valls pour ses rafles de Roms, c’est l’islamophobie votre marronnier, votre ligne de front.

Vous me direz que vous n’êtes pas les seuls. Votre positionnement sur ce terrain est en effet assez largement partagé par vos confrères de la presse écrite, de L’Express à Valeurs Actuelles en passant par Le PointMarianneLe Nouvel Observateur ou Le Figaro, pour s’en tenir aux plus enthousiastes. Et je ne parle même pas des télés et des radios. Le marché médiatique de l’islam « sans-gêne », « qui fait peur » et « qui dérange » rapporte gros, même s’il est quelque peu saturé. Toutefois, au sein de cette saine et fraternelle concurrence, votre canard parvient à se distinguer par des produits qui n’ont leur équivalent nulle part ailleurs, et qui vous permettent d’occuper un segment non négligeable de l’opinion islamophobe décomplexée de gauche.

Vous connaissant, je m’interroge cependant : c’est quoi, au juste, votre problème avec les musulmans de ce pays ? Dans votre texte du Monde, vous invoquez la salutaire remise en cause des « si grands pouvoirs des principaux clergés », mais sans préciser en quoi l’islam – qui n’a pas de clergé, mais on ne peut pas tout savoir, hein – exerce en France un « si grand pouvoir ». Hors de la version hardcore qu’en donnent quelques furieux, la religion musulmane ne me paraît pas revêtir chez nous des formes extraordinairement intrusives ou belliqueuses. Sur le plan politique, son influence est nulle : six millions de musulmans dans le pays, zéro représentant à l’Assemblée nationale. Pour un parlementaire, il est plus prudent de plaider la cause des avocats d’affaires et de voter des lois d’invisibilité pour les femmes voilées que de s’inquiéter de l’explosion des violences islamophobes. Pas un seul musulman non plus chez les propriétaires de médias, les directeurs d’information, les poids lourds du patronat, les grands banquiers, les gros éditeurs, les chefferies syndicales. Dans les partis politiques, de gauche comme de droite, seuls les musulmans qui savent réciter par cœur les œuvres complètes de Caroline Fourest ont une petite chance d’accéder à un strapontin.

Je n’ignore pas, Charb, que tu as reçu des menaces de mort et qu’il y a peut-être des dingues quelque part qui en veulent à ta peau. Cela me désole. Malgré tout ce que je vous reproche, à toi et aux autres, je ne me réjouis pas de t’imaginer avec deux flics collés en permanence à tes semelles et qui coûtent un bras à votre république chérie. Je crains aussi que tes molosses ne déteignent sur toi comme Val a déteint sur toute l’équipe. Mais si vraiment vous tremblez à l’idée que les musulmans de France se métamorphosent en serial killers de la guerre sainte, peut-être trouverez-vous un brin d’apaisement en voyant la manière placide dont les intéressés réagissent aux attaques réelles ou symboliques qui sont leur lot quotidien. Quand une mosquée est recouverte de tags racistes, croyez-vous que ses responsables ou les fidèles du coin se répandent en cris de vengeance ou en promesses de mettre l’Élysée à feu et à sang ? Non, à chaque fois ils déclarent s’en remettre tout simplement à la « justice de leur pays ». Parmi ceux que je connais, l’écume médiatique de vos prouesses ne fait qu’ajouter une petite couche supplémentaire à leur lassitude. Pas sûr que j’aurais la même patience.

Bunkérisés derrière vos zygomatiques, vous revendiquez le droit sacré de « rire » pareillement des imams, des curés et des rabbins. Pourquoi pas, si encore vous appliquiez vraiment ce principe. On oublie l’épisode Siné ou il faut vous faire un dessin ? Un constat avéré d’islamophobie, et c’est l’éclat de rire. Une mensongère accusation d’antisémitisme, et c’est la porte. Cette affaire remonte aux années Val, mais la pleutre approbation que votre patron d’alors a recueilli auprès de « toute la bande », et plus particulièrement auprès de toi, Charb, démontre que le deux poids deux mesures en vigueur à cette époque n’était pas le fait d’un seul homme. La même règle a perduré. À ce jour, me dit-on, le numéro spécial « Charia Hebdo » ne s’est toujours pas dédoublé en un « Talmud Hebdo ». Croyez bien que je ne le regrette pas.

Vous vous réclamez de la tradition anticléricale, mais en feignant d’ignorer en quoi elle se différencie fondamentalement de l’islamophobie : la première s’est construite au cours d’une lutte dure, longue et acharnée contre un clergé catholique effectivement redoutable de puissance, qui avait – et a encore – ses journaux, ses députés, ses lobbies, ses salons et son immense patrimoine immobilier ; la seconde s’attaque aux membres d’une confession minoritaire dépourvue de toute espèce d’influence sur les sphères de pouvoir. Elle consiste à détourner l’attention des intérêts bien nourris qui gouvernent ce pays pour exciter la meute contre des citoyens qui déjà ne sont pas à la fête, si l’on veut bien prendre la peine de considérer que, pour la plupart d’entre eux, colonisation, immigration et discrimination ne leur ont pas assigné la place la plus reluisante dans la société française. Est-ce trop demander à une équipe qui, selon vos termes, « se partage entre tenants de la gauche, de l’extrême gauche, de l’anarchie et de l’écologie », que de prendre un tantinet en compte l’histoire du pays et sa réalité sociale ?

J’aime bien les bouffeurs de curés, j’ai grandi avec et ils m’ont inculqué quelques solides défenses contre les contes de fées et les abus de pouvoir. C’est en partie cet héritage-là qui me fait dresser les poils devant l’arrogante paresse intellectuelle du bouffeur de musulmans. La posture antireligieuse lui offre un moyen commode de se prélasser dans son ignorance, de faire passer pour insolents ses petits réflexes de contraction mentale. Elle donne du lustre à un manque béant d’imagination et à un conformisme corrodé par les yeux doux de l’extrême droite16.

« Encoder le racisme pour le rendre imperceptible, donc socialement acceptable », c’est ainsi que Thomas Deltombe définit la fonction de l’islamophobie, décrite aussi comme une « machine à raffiner le racisme brut »17. Les deux formules vous vont comme un gant. Ne montez donc pas sur vos grands chevaux quand vos détracteurs usent de mots durs contre vous. Ces derniers jours, vous avez hurlé au scandale parce qu’un rappeur pas très futé réclamait un « autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » au détour d’un titre collectif inséré dans la BO du film La Marche. Comme si votre journal n’était qu’amour et poésie, vous avez fait savoir à la terre entière que vous étiez « effarés » par tant de « violence ». Pourtant, vous ne vous êtes pas offusqués lorsque le rappeur tunisien Weld El 15 a assimilé les policiers de son pays à des « chiens bons à égorger comme des moutons ». Au contraire, vous l’avez interviewé avec tous les égards dus à un « combattant de la liberté d’expression18 ». Les violences verbales de Weld El 15 trouvent grâce à vos yeux parce qu’elles visent un régime à dominante islamiste qui veut le renvoyer en prison. Mais quand la métaphore canine se retourne contre vous, ce n’est plus du tout la même chanson. Envolée, la liberté d’expression : ralliement à la rengaine néoconservatrice sur le rap comme « appel à la haine » et « chant religieux communautariste »19.

La machine à raffiner le racisme brut n’est pas seulement lucrative, elle est aussi extrêmement susceptible.

Bien à vous,
Olivier Cyran 

Source : Article11.info


1 « Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste ! », Le Monde, 20 novembre 2013.

2 Fiammetta Venner, « Forum social européen : un autre jihad est possible », Charlie Hebdo, 29 septembre 2004. A lire ICI.

3 Publié le 1er mars 2006 dans Charlie Hebdo en partenariat avec L’Express, RTL, RMC, Europe 1 et France Info.

4 Zineb El Rhazoui, « Sexe and the Syrie »,Charlie Hebdo, 25 septembre 2013.

5 Ignace Leverrier, « Vous allez être déçus : le “djihad du sexe” en Syrie n’a jamais existé », 29 septembre 2013.

6 Pour un décorticage de cette affaire hallucinante, lire Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed,Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013.

7 « Pas de femmes voilées aux Restos du cœur »,www.islamophobie.net, 6 décembre 2012.

8 Les majuscules sont fournies par la rédaction deCharlie Hebdo.

9 « Affaire Baby-Loup : la laïcité à la barre », interview de Richard Malka par Gérard Biard, Charlie Hebdo, 6 novembre 2013.

10 Bernard Maris, « Cette jeunesse irresponsable », Charlie Hebdo, 20 juin 2013. Quelqu’un peut-il expliquer à l’éditorialiste de « Charlie » que la djellaba n’est pas un attribut « musulman » mais un vêtement « arabe ? Un mois après cet article, et à la grande déception de son auteur, Amina Sboui claquait la porte des Femen en expliquant qu’elle ne souhaitait pas que son nom « soit associé à une organisation islamophobe ».

11 « L’islam, ce nouveau déterminisme selon Eliacheff et Elle », www.crepegeorgette.com, 22 novembre 2013.

12 « Le conflit sur le voile touche aussi les enfants », Elle, 13 novembre 2013.

13 - Je suis surpris que tu accrédites par ta signature la piteuse opération de ravalement de façade de tes employeurs. Je ne doute pas de la sincérité de ton ralliement, mais je vois dans celle-ci un mauvais signe.

14 Zineb El Rhazoui, « Les salafistes ont leur roi des Belges », Charlie Hebdo, 13 septembre 2013.

15 Commentaires de l’article « La dernière provocation de “Charlie Hebdo” contre les musulmans »,www.agoravox.fr, 19 septembre 2012.

16 Parmi vos sympathiques soutiens : Bruno Mégret, « Désislamiser la France », discours à l’université d’été du MNR, 27 août 2005 ; Ivan Rioufol, « Pourquoi “Charlie Hebdo” sauve l’honneur », Le Figaro, 19 septembre 2012 ; Benoît Rayski, « Tombouctou-sur-Seine : et si on tranchait les mains des dessinateurs de “Charlie Hebdo” ? », atlantico.fr, 28 novembre 2013.

17 Lire Alain Gresh, « L’islamophobie, “Le Monde” et une (petite) censure, Nouvelles d’Orient, 5 novembre 2013.

18 Zineb El Rhazoui, « Tunisie : l’islamisme menacé par du rap et des tétons », Charlie Hebdo, 19 juillet 2013.

19 Lire Sébastien Fontenelle, «  Un intéressant cas de foutage de gueule », Bakchich.info, 26 novembre 2013.

P.S. En Bonus :

Source: http://www.les-crises.fr/charlie-hebdo-pas-raciste-si-vous-le-dites-par-olivier-cyran/


Terrorisme, l’arme des puissants, par Noam Chomsky [2001]

Saturday 10 January 2015 at 03:06

Reprise d’un billet de 2001 de Noam Chomsky…

Pourquoi, s’interrogeait le président Bush, des gens« peuvent nous détester », alors que « nous sommes si bons » ? Les dirigeants américains n’ont pas toujours conscience des effets à moyen et à long terme de leur détermination à toujours l’emporter contre n’importe quel adversaire. Et leurs exploits d’hier peuvent se payer demain d’un prix très lourd. M. Ben Laden fut le produit de la victoire des Etats-Unis contre les Soviétiques en Afghanistan ; quel sera le coût de leur nouveau triomphe dans ce pays ?

Il nous faut partir de deux postulats. D’abord que les événements du 11 septembre 2001 constituent une atrocité épouvantable, probablement la perte de vies humaines instantanée la plus importante de l’histoire, guerres mises à part. Le second postulat est que notre objectif devrait être de réduire le risque de récidive de tels attentats, que nous en soyons les victimes ou que ce soit quelqu’un d’autre qui les subisse. Si vous n’acceptez pas ces deux points de départ, ce qui va suivre ne vous concerne pas. Si vous les acceptez, bien d’autres questions surgissent.

Commençons par la situation en Afghanistan. Il y aurait en Afghanistan plusieurs millions de personnes menacées de famine. C’était déjà vrai avant les attentats ; elles survivaient grâce à l’aide internationale. Le 16 septembre, les Etats-Unis exigèrent pourtant du Pakistan l’arrêt des convois de camions qui acheminaient de la nourriture et d’autres produits de première nécessité à la population afghane. Cette décision n’a guère provoqué de réaction en Occident. Le retrait de certains personnels humanitaires a rendu l’assistance plus problématique encore. Une semaine après le début des bombardements, les Nations unies estimaient que l’approche de l’hiver rendrait impossibles les acheminements, déjà ramenés à la portion congrue par les raids de l’aviation américaine.

Quand des organisations humanitaires civiles ou religieuses et le rapporteur de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont demandé un arrêt des bombardements, cette information n’a même pas été rapportée par le New York Times ; le Boston Globe y a consacré une ligne, mais dans le corps d’un article traitant d’autre chose, la situation au Cachemire. En octobre dernier, la civilisation occidentale s’était ainsi résignée au risque de voir mourir des centaines de milliers d’Afghans. Au même moment, le chef de ladite civilisation faisait savoir qu’il ne daignerait répondre ni aux propositions afghanes de négociation sur la question de la livraison de M. Oussama Ben Laden ni à l’exigence d’une preuve permettant de fonder une éventuelle décision d’extradition. Seule serait acceptée une capitulation sans condition.

Mais revenons au 11 septembre. Nul crime, rien, ne fut plus meurtrier dans l’histoire – ou alors sur une durée plus longue. Au demeurant, les armes ont, cette fois, visé une cible inhabituelle : les Etats-Unis. L’analogie souvent évoquée avec Pearl Harbor est inappropriée. En 1941, l’armée nippone a bombardé des bases militaires dans deux colonies dont les Etats-Unis s’étaient emparés dans des conditions peu recommandables ; les Japonais ne se sont pas attaqués au territoire américain lui-même.

Depuis près de deux cents ans, nous, Américains, nous avons expulsé ou exterminé des populations indigènes, c’est-à-dire des millions de personnes, conquis la moitié du Mexique, saccagé les régions des Caraïbes et d’Amérique centrale, envahi Haïti et les Philippines – tuant 100 000 Philippins à cette occasion. Puis, après la seconde guerre mondiale, nous avons étendu notre emprise sur le monde de la manière qu’on connaît. Mais, presque toujours, c’était nous qui tuions, et le combat se déroulait en dehors de notre territoire national.

Or on le constate dès qu’on est interrogé, par exemple, sur l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et le terrorisme : les questions des journalistes sont fort différentes selon qu’ils exercent sur une rive ou l’autre de la mer d’Irlande. En général, la planète apparaît sous un autre jour selon qu’on tient depuis longtemps le fouet ou selon qu’on en a subi les coups pendant des siècles. Peut-être est-ce pour cela au fond que le reste du monde, tout en se montrant uniformément horrifié par le sort des victimes du 11 septembre, n’a pas réagi de la même manière que nous aux attentats de New York et de Washington.

Pour comprendre les événements du 11 septembre, il faut distinguer d’une part les exécutants du crime, d’autre part le réservoir de compréhension dont ce crime a bénéficié, y compris chez ceux qui s’y opposaient. Les exécutants ? En supposant qu’il s’agisse du réseau Ben Laden, nul n’en sait davantage sur la genèse de ce groupe fondamentaliste que la CIA et ses associés : ils l’ont encouragé à sa naissance. M. Zbigniew Brzezinski, directeur pour la sécurité nationale de l’administration Carter, s’est félicité du « piège » tendu aux Soviétiques dès 1978 et consistant, au moyen d’attaques des moudjahidins (organisés, armés et entraînés par la CIA) contre le régime de Kaboul, à attirer ces Soviétiques sur le territoire afghan à la fin de l’année suivante (1).

Ce n’est qu’après 1990 et l’installation de bases américaines permanentes en Arabie saoudite, sur une terre sacrée pour l’islam, que ces combattants se sont retournés contre les Etats-Unis.

Appui à des régimes brutaux

Si l’on veut maintenant expliquer le réservoir de sympathie dont disposent les réseaux Ben Laden, y compris au sein des couches dirigeantes des pays du Sud, il faut partir de la colère que provoque le soutien des Etats-Unis à toutes sortes de régimes autoritaires ou dictatoriaux, il faut se souvenir de la politique américaine qui a détruit la société irakienne tout en consolidant le régime de M. Saddam Hussein, il faut ne pas oublier le soutien de Washington à l’occupation israélienne de territoires palestiniens depuis 1967.

Au moment où les éditoriaux du New York Times suggèrent qu’« ils » nous détestent parce que nous défendons le capitalisme, la démocratie, les droits individuels, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Wall Street Journal, mieux informé, explique après avoir interrogé des banquiers et des cadres supérieurs non occidentaux qu’ils« nous » détestent parce que nous avons entravé la démocratie et le développement économique. Et appuyé des régimes brutaux, voire terroristes.

Dans les cercles dirigeants de l’Occident, la guerre contre le terrorisme a été présentée à l’égal d’une « lutte menée contre un cancer disséminé par des barbares ». Mais ces mots et cette priorité ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, le président Ronald Reagan et son secrétaire d’Etat, M. Alexander Haig, les énonçaient déjà. Et, pour mener ce combat contre les adversaires dépravés de la civilisation, le gouvernement américain mit alors en place un réseau terroriste international d’une ampleur sans précédent. Si ce réseau entreprit des atrocités sans nombre d’un bout à l’autre de la planète, il réserva l’essentiel de ses efforts à l’Amérique latine.

Un cas, celui du Nicaragua, n’est pas discutable : il a en effet été tranché par la Cour internationale de justice de La Haye et par les Nations unies. Interrogez-vous pour savoir combien de fois ce précédent indiscutable d’une action terroriste à laquelle un Etat de droit a voulu répondre avec les moyens du droit a été évoqué par les commentateurs dominants. Il s’agissait pourtant d’un précédent encore plus extrême que les attentats du 11 septembre : la guerre de l’administration Reagan contre le Nicaragua provoqua 57 000 victimes, dont 29 000 morts, et la ruine d’un pays, peut-être de manière irréversible (lire « Occasion perdue au Nicaragua » et « “Contras” et “compas”, une même amertume).

A l’époque, le Nicaragua avait réagi. Non pas en faisant exploser des bombes à Washington, mais en saisissant la Cour de justice internationale. Elle trancha, le 27 juin 1986, dans le sens des autorités de Managua, condamnant l’« emploi illégal de la force » par les Etats-Unis (qui avaient miné les ports du Nicaragua) et mandant Washington de mettre fin au crime, sans oublier de payer des dommages et intérêts importants. Les Etats-Unis répliquèrent qu’ils ne se plieraient pas au jugement et qu’ils ne reconnaîtraient plus la juridiction de la Cour.

Le Nicaragua demanda alors au Conseil de sécurité des Nations unies l’adoption d’une résolution réclamant que tous les Etats respectent le droit international. Nul n’était cité en particulier, mais chacun avait compris. Les Etats-Unis opposèrent leur veto à cette résolution. A ce jour, ils sont ainsi le seul Etat qui ait été à la fois condamné par la Cour de justice internationale et qui se soit opposé à une résolution réclamant… le respect du droit international. Puis le Nicaragua se tourna vers l’Assemblée générale des Nations unies. La résolution qu’il proposa ne rencontra que trois oppositions : les Etats-Unis, Israël et El Salvador. L’année suivante, le Nicaragua réclama le vote de la même résolution. Cette fois, seul Israël soutint la cause de l’administration Reagan. A ce stade, le Nicaragua ne disposait plus d’aucun moyen de droit. Tous avaient échoué dans un monde régi par la force. Ce précédent ne fait aucun doute. Combien de fois en avons-nous parlé à l’université, dans les journaux ?

Cette histoire révèle plusieurs choses. D’abord, que le terrorisme, cela marche. La violence aussi. Ensuite, qu’on a tort de penser que le terrorisme serait l’instrument des faibles. Comme la plupart des armes meurtrières, le terrorisme est surtout l’arme des puissants. Quand on prétend le contraire, c’est uniquement parce que les puissants contrôlent également les appareils idéologiques et culturels qui permettent que leur terreur passe pour autre chose que de la terreur.

L’un des moyens les plus courants dont ils disposent pour parvenir à un tel résultat est de faire disparaître la mémoire des événements dérangeants ; ainsi plus personne ne s’en souvient. Au demeurant, le pouvoir de la propagande et des doctrines américaines est tel qu’il s’impose y compris à ses victimes. Allez en Argentine et vous devrez rappeler ce que je viens d’évoquer : « Ah, oui, mais nous avions oublié ! »

Le Nicaragua, Haïti et le Guatemala sont les trois pays les plus pauvres d’Amérique latine. Ils comptent aussi au nombre de ceux dans lesquels les Etats-Unis sont intervenus militairement. La coïncidence n’est pas forcément accidentelle. Or tout cela eut lieu dans un climat idéologique marqué par les proclamations enthousiastes des intellectuels occidentaux. Il y a quelques années, l’autocongratulation faisait fureur : fin de l’histoire, nouvel ordre mondial, Etat de droit, ingérence humanitaire, etc. C’était monnaie courante alors même que nous laissions se commettre un chapelet de tueries. Pis, nous y contribuions de façon active. Mais qui en parlait ? L’un des exploits de la civilisation occidentale, c’est peut-être de rendre possible ce genre d’inconséquences dans une société libre. Un Etat totalitaire ne dispose pas de ce don-là.

Qu’est-ce que le terrorisme ? Dans les manuels militaires américains, on définit comme terreur l’utilisation calculée, à des fins politiques ou religieuses, de la violence, de la menace de violence, de l’intimidation, de la coercition ou de la peur. Le problème d’une telle définition, c’est qu’elle recouvre assez exactement ce que les Etats-Unis ont appelé la guerre de basse intensité, en revendiquant ce genre de pratique. D’ailleurs, en décembre 1987, quand l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution contre le terrorisme, un pays s’est abstenu, le Honduras, et deux autres s’y sont opposés, les Etats-Unis et Israël. Pourquoi l’ont-ils fait ? En raison d’un paragraphe de la résolution qui indiquait qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause le droit des peuples à lutter contre un régime colonialiste ou contre une occupation militaire.

Or, à l’époque, l’Afrique du Sud était alliée des Etats-Unis. Outre des attaques contre ses voisins (Namibie, Angola, etc.), lesquelles ont provoqué la mort de centaines de milliers de personnes et occasionné des destructions estimées à 60 milliards de dollars, le régime d’apartheid de Pretoria affrontait à l’intérieur une force qualifiée de« terroriste », l’African National Congress (ANC). Quant à Israël, il occupait illégalement certains territoires palestiniens depuis 1967, d’autres au Liban depuis 1978, guerroyant dans le sud de ce pays contre une force qualifiée par lui et par les Etats-Unis de « terroriste », le Hezbollah. Dans les analyses habituelles du terrorisme, ce genre d’information ou de rappel n’est pas courant. Pour que les analyses et les articles de presse soient jugés respectables, il vaut mieux en effet qu’ils se situent du bon côté, c’est-à-dire celui des bras les mieux armés.

Dans les années 1990, c’est en Colombie que les pires atteintes aux droits humains ont été observées. Ce pays a été le principal destinataire de l’aide militaire américaine, à l’exception d’Israël et de l’Egypte, qui constituent des cas à part. Jusqu’en 1999, derrière ces pays, la première place revenait à la Turquie, à qui les Etats-Unis ont livré une quantité croissante d’armes depuis 1984. Pourquoi à partir de cette année-là ? Non pas que ce pays membre de l’OTAN devait faire face à l’Union soviétique, déjà en voie de désintégration à l’époque, mais afin qu’il puisse conduire la guerre terroriste qu’il venait d’entreprendre contre les Kurdes.

En 1997, l’aide militaire américaine à la Turquie a dépassé celle que ce pays avait obtenue pendant la totalité de la période 1950-1983, celle de la guerre froide. Résultats des opérations militaires : 2 à 3 millions de réfugiés, des dizaines de milliers de victimes, 350 villes et villages détruits. A mesure que la répression s’intensifiait, les Etats-Unis continuaient de fournir près de 80 % des armes employées par les militaires turcs, accélérant même le rythme de leurs livraisons. La tendance fut renversée en 1999. La terreur militaire, naturellement qualifiée de« contre-terreur » par les autorités d’Ankara, avait alors atteint ses objectifs. C’est presque toujours le cas quand la terreur est employée par ses principaux utilisateurs, les puissances en place.

Avec la Turquie, les Etats-Unis n’eurent pas affaire à une ingrate. Washington lui avait livré des F-16 pour bombarder sa propre population, Ankara les utilisa en 1999 pour bombarder la Serbie. Puis, quelques jours après le 11 septembre dernier, le premier ministre turc, M. Bülent Ecevit, faisait savoir que son pays participerait avec enthousiasme à la coalition américaine contre le réseau Ben Laden. Il expliqua à cette occasion que la Turquie avait contracté une dette de gratitude à l’égard des Etats-Unis, laquelle remontait à sa propre « guerre antiterroriste » et au soutien inégalé que Washington y avait alors apporté.

Réduire le niveau de terreur

Certes, d’autres pays avaient soutenu la guerre d’Ankara contre les Kurdes, mais aucun avec autant de zèle et d’efficacité que les Etats-Unis. Ce soutien bénéficia du silence ou – le mot est peut-être plus juste – de la servilité des classes éduquées américaines. Car elles n’ignoraient pas ce qui se passait. Les Etats-Unis sont un pays libre après tout ; les rapports des organisations humanitaires sur la situation au Kurdistan appartenaient au domaine public. A l’époque, nous avons donc choisi de contribuer aux atrocités.

L’actuelle coalition contre le terrorisme comporte d’autres recrues de choix. Le Christian Science Monitor, sans doute l’un des meilleurs journaux pour ce qui concerne le traitement de l’actualité internationale, a ainsi confié que certains peuples qui n’aimaient guère les Etats-Unis commençaient à les respecter davantage, particulièrement heureux de les voir conduire une guerre contre le terrorisme. Le journaliste, pourtant spécialiste de l’Afrique, citait comme principal exemple de ce retournement le cas de l’Algérie. Il devait donc savoir que l’Algérie conduit une guerre terroriste contre son propre peuple. La Russie, qui mène une guerre terroriste en Tchétchénie, et la Chine, auteur d’atrocités contre ceux qu’elle qualifie de sécessionnistes musulmans, ont également rallié la cause américaine.

Soit, mais que faire dans la situation présente ? Un radical aussi extrémiste que le pape suggère qu’on recherche les coupables du crime du 11 septembre, puis qu’on les juge. Mais les Etats-Unis ne souhaitent pas avoir recours aux formes judiciaires normales, ils préfèrent ne présenter aucune preuve et ils s’opposent à l’existence d’une juridiction internationale. Mieux, quand Haïti réclame l’extradition de M. Emmanuel Constant, jugé responsable de la mort de milliers de personnes après le coup d’Etat qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991, et présente des preuves de sa culpabilité, la demande n’a aucun effet à Washington. Elle n’est même pas l’objet d’un débat quelconque.

Lutter contre le terrorisme impose de réduire le niveau de la terreur, pas de l’accroître. Quand l’IRA commet un attentat à Londres, les Britanniques ne détruisent ni Boston, ville dans laquelle l’IRA compte de nombreux soutiens, ni Belfast. Ils cherchent les coupables, puis ils les jugent. Un moyen de réduire le niveau de terreur serait de cesser d’y contribuer soi-même. Puis de réfléchir aux orientations politiques qui ont créé un réservoir de soutien dont ont ensuite profité les commanditaires de l’attentat. Ces dernières semaines, la prise de conscience par l’opinion américaine de toutes sortes de réalités internationales, dont seules les élites soupçonnaient auparavant l’existence, constitue peut-être un pas dans cette direction.

Noam Chomsky, décembre 2001. Traduction : Le Monde Diplomatique

Source: http://www.les-crises.fr/terrorisme-larme-des-puissants-par-noam-chomsky-2001/


Les États-Unis sont un État terroriste de premier plan, par Noam Chomsky

Saturday 10 January 2015 at 01:05

Je le ressors en hommage à la liberté d’expression…

Par Noam Chomsky - 21 octobre 2014 

« ICH » – « TeleSur » – Un sondage international a révélé que les États-Unis arrivaient largement en tête de « la plus grande menace actuelle pour la paix dans le monde », loin devant le Pakistan classé second, aucun autre pays ne pouvant rivaliser.

Imaginez que la une de la Pravda fasse état d’une étude du KGB passant en revue les principales opérations terroristes conduites par le Kremlin à travers le monde, dans le but de déterminer les facteurs ayant conduit à leur succès ou à leur échec, et finalement concluant que, malheureusement, les succès ont été si rares qu’il convient de quelque peu repenser leur politique. Supposez que l’article se poursuive par une citation où Poutine déclare qu’il a demandé au KGB de mener ces recherches afin de trouver des exemples de « financement et de fournitures d’armes à une insurrection dans un pays, qui aient finalement porté leurs fruits. Et ils n’ont pas pu trouver grand-chose. » De sorte qu’il soit devenu réticent à poursuivre de tels efforts.

Si, scénario presque inimaginable, un tel article devait paraître, les cris scandalisés et les hurlements d’indignation s’élèveraient jusqu’au ciel, et la Russie serait sévèrement condamnée – ou pire – non seulement pour ce violent dossier terroriste ouvertement reconnu, mais aussi pour les réactions de ses dirigeants et de sa classe politique : parfaite indifférence, sauf pour la question de l’efficacité du terrorisme d’État russe et des possibilités d’amélioration de ses méthodes.

Il est en effet bien difficile d’imaginer qu’un tel article puisse voir le jour, sauf que c’est ce qui vient d’arriver – ou presque.

Le 14 octobre, le principal article du New York Times faisait état d’une étude de la CIA passant en revue les principales opérations terroristes conduites par la Maison Blanche à travers le monde, dans le but de déterminer les facteurs ayant conduit à leur succès ou à leur échec, et finalement concluant que, malheureusement, les succès ont été si rares qu’il convient de quelque peu repenser leur politique. L’article continuait par une citation où Obama déclare qu’il a demandé à la CIA de mener ces recherches afin de trouver des exemples de « financement et de fournitures d’armes à une insurrection dans un pays, qui aient finalement porté leurs fruits. Et ils n’ont pas pu trouver grand-chose. » De sorte qu’il est devenu réticent à poursuivre de tels efforts.

Il n’y eut pas de cris scandalisés, pas d’indignation, rien.

La conclusion semble tout à fait claire. Dans la culture politique occidentale, il est admis comme étant entièrement naturel et approprié que le chef de file du Monde Libre soit un état terroriste scélérat et proclame ouvertement sa position éminente dans de tels crimes ; et il n’est rien que de naturel et d’approprié dans le fait que le lauréat du prix Nobel de la paix et spécialiste libéral du droit constitutionnel [NdT : Obama a enseigné le droit constitutionnel à l'université de Chicago] détenteur des rênes du pouvoir soit seulement préoccupé de savoir comment conduire de telles actions plus efficacement.

Un examen attentif établit ces conclusions de manière très solide.

Cet article débute en citant des opérations américaines « de l’Angola au Nicaragua à Cuba ». Complétons donc un peu les omissions.

En Angola, les États-Unis se joignirent à l’Afrique du Sud pour apporter un soutien décisif à l’armée terroriste de l’UNITA de Jonas Savimbi et continuèrent à le faire après que Savimbi eut été franchement battu dans une élection libre surveillée avec soin, et même après que l’Afrique du Sud eut retiré son soutien à ce « monstre dont le désir de pouvoir avait conduit son peuple à une misère épouvantable », selon les mots de l’ambassadeur britannique en Angola Marrack Goulding, appuyé par le chef de la station de la CIA du tout proche Kinshassa qui avertissait que « ce n’était pas une bonne idée » de soutenir le monstre « à cause de l’ampleur des crimes de Savimbi. Il était terriblement brutal. »

Malgré des opérations terroristes étendues et meurtrières soutenues par les États-Unis en Angola, l’armée cubaine repoussa les agresseurs sud-africains hors du pays, les contraignit à quitter la Namibie occupée illégalement, et ouvrit la voie à des élections angolaises suite auxquelles Savimbi, malgré sa défaite, « rejeta en bloc l’avis partagé par 800 observateurs étrangers selon lequel le scrutin… était pour l’essentiel libre et juste » (New York Times), et continua sa guerre terroriste avec le soutien des États-Unis.

Les réussites cubaines dans la libération de l’Afrique et la fin de l’Apartheid furent saluées par Nelson Mandela quand il fut finalement libéré de prison. Un de ses premiers actes fut de déclarer : « Pendant toutes mes années en prison, Cuba a été une inspiration et Fidel Castro un puissant soutien … [les victoires cubaines] ont détruit le mythe de l’invincibilité de l’oppresseur blanc [et] ont inspiré les masses combattantes de l’Afrique du Sud … un tournant pour la libération de notre continent – et de mon peuple – du fléau de l’apartheid. … Quel autre pays peut faire état d’un désintéressement plus grand que celui que Cuba a montré dans ses relations avec l’Afrique ? »

Le chef terroriste Henry Kissinger, au contraire, était « hors de lui » face à l’insubordination de la « demi-portion » Castro qui devrait être « fracassé, » comme rapporté par William Leogrande et Peter Kornbluh dans leur livre Back Channel to Cuba (le Canal de communication officieux vers Cuba), s’appuyant sur des documents récemment déclassifiés.

En ce qui concerne le Nicaragua, inutile de nous étendre sur la guerre terroriste de Reagan, qui se poursuivit bien après que la Cour internationale de justice eut ordonné à Washington de cesser « l’usage illégal de la force » – ce qui est, de fait, du terrorisme international – et de payer des indemnités substantielles, et qu’une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies qui appelait tous les pays (signifiant : les États-Unis) à respecter les lois internationales – ne fut bloquée par le droit de véto de Washington.

Il faut savoir, cependant, que la guerre terroriste de Reagan contre le Nicaragua – poursuivie par Bush 1er, Bush « l’homme d’État » – ne fut pas aussi destructrice que le terrorisme d’État qu’il a soutenu avec enthousiasme au Salvador et au Guatemala. Le Nicaragua avait l’avantage d’avoir une armée pour affronter les forces terroristes dirigées par les États-Unis, alors que dans les États voisins, les terroristes agressant les populations étaient les forces de sécurité armées et entraînées par Washington.

Dans quelques semaines nous commémorerons l’apogée des guerres terroristes de Washington en Amérique latine : le meurtre de six intellectuels latino-américains de premier plan, des prêtres jésuites, par une unité terroriste d’élite de l’armée salvadorienne, le bataillon Atlacatl, armé et entraîné par Washington, agissant sous les ordres explicites du Haut Commandement, avec un long palmarès de massacres des victimes habituelles.

Ce crime choquant du 16 novembre 1989 à l’université jésuite de San Salvador fut le point d’orgue de l’immense épidémie de terreur qui s’étendit à tout le continent après que John F. Kennedy eut fait passer la mission des militaires d’Amérique latine de « défense de l’hémisphère » – un vestige périmé de la seconde guerre mondiale – à « sécurité intérieure », ce qui signifiait guerre contre leur propre population. Les conséquences sont décrites succinctement par Charles Maechling, qui dirigea le programme de contre-insurrection et de défense intérieure des États-Unis de 1961 à 1966. Il décrivit la décision de Kennedy en 1962 comme une transition de « la tolérance face à la rapacité et à la cruauté des militaires latino-américains » à « une complicité directe » de leurs crimes, et à un soutien par les États-Unis des « méthodes des escadrons d’extermination d’Heinrich Himmler ».

Tout cela a été oublié, ce n’est pas la « bonne catégorie de faits ».

À Cuba, les opérations terroristes de Washington furent lancées dans toute leur rage par le président Kennedy afin de punir les Cubains d’avoir repoussé l’invasion américaine de la Baie des Cochons. Comme décrit par l’historien Piero Gleijeses, JFK « demanda à son frère, le procureur général Robert Kennedy, de diriger le groupe inter-agence qui supervisa l’opération Mongoose (Mangouste), un programme d’opérations paramilitaires, de guerre économique et de sabotage qu’il lança à la fin de l’année 1961 pour faire connaître à Fidel Castro les “terreurs de la Terre” et, plus prosaïquement, pour le renverser. »

L’expression « terreurs de la Terre » est tirée d’une citation de l’associé de Kennedy et historien Arthur Schlesinger dans sa biographie quasi officielle de Robert Kennedy, qui était en charge de mener la guerre terroriste. RFK informa la CIA que le problème cubain était « la priorité principale du gouvernement des États-Unis – tout le reste [était] secondaire – et qu’il ne fallait épargner ni le temps, ni les efforts, ni les effectifs » pour renverser le régime de Castro et jeter les « terreurs de la Terre » sur Cuba.

La guerre terroriste lancée par les frères Kennedy n’était pas une mince affaire. Elle impliqua 400 Américains, 2000 Cubains, une flotte privée de hors-bord et un budget annuel de 50 millions de dollars géré par une filiale de la CIA à Miami, fonctionnant en violation du Neutrality Act et, probablement, de la loi interdisant les opérations de la CIA sur le sol américain. Les opérations incluaient la pose de bombes dans des hôtels et des installations industrielles, l’envoi par le fond de bateaux de pêche, l’empoisonnement de récoltes et du bétail, la contamination du sucre exporté, etc. Certaines de ces opérations n’étaient pas explicitement autorisées par la CIA mais menées par les forces terroristes qu’elle finançait et soutenait, une distinction sans aucune différence dans le cas d’ennemis officiels.

Les opérations terroristes Mangouste furent menées par le Général Edward Lansdale, qui avait une expérience amplement suffisante de la conduite d’opérations de terrorisme américaines aux Philippines et au Viêt-Nam. Son programme pour l’Opération Mangouste militait pour « la révolte ouverte et le renversement du régime communiste » en octobre 1962, ce qui, pour « le succès final, nécessiterait une intervention militaire US décisive » après le travail de sape du terrorisme et de la subversion.

Octobre 1962 est, bien sûr, un moment très important de l’histoire moderne. Ce fut au cours de ce mois que Nikita Khrouchtchev fit parvenir des missiles à Cuba, déclenchant la crise des missiles qui est passée sinistrement près de la guerre nucléaire terminale. Les études académiques reconnaissent maintenant que la position de Khrouchtchev était en partie motivée par la prépondérance énorme des forces américaines après que Kennedy eut répondu à ses appels de réduction d’armes offensives en augmentant radicalement l’avantage des États-Unis, et en partie par la préoccupation concernant une possible invasion américaine de Cuba. Des années plus tard, le ministre de la Défense Nationale de Kennedy, Robert McNamara, a reconnu que les craintes de Cuba et de la Russie concernant une attaque avaient été justifiées. « Si j’avais été à la place des Cubains ou des Soviétiques, j’aurais également pensé ainsi », a observé McNamara lors d’une conférence internationale majeure sur le 40e anniversaire de la crise des missiles.

L’analyste politique Raymond Garthoff, hautement considéré, qui a de nombreuses années d’expérience directe des services de renseignement américains, rapporte que dans les semaines ayant précédé l’éclatement de la crise d’octobre, un groupe terroriste cubain opérant depuis la Floride avec l’accord du gouvernement américain avait mené « une audacieuse attaque par vedette rapide en mitraillant un hôtel cubain au bord de la mer près de La Havane où on savait que des techniciens militaires soviétiques se rassemblaient, tuant des Russes et des Cubains ». Et peu de temps après, continue-t-il, les forces terroristes attaquèrent des cargos britanniques et cubains et menèrent un nouveau raid sur Cuba, parmi d’autres, suite à l’intensification des actions décidée début octobre. À un moment tendu de la crise des missiles toujours non résolue, le 8 novembre, une équipe terroriste envoyée depuis les États-Unis fit sauter une installation industrielle cubaine après que les opérations Mangouste eurent été officiellement suspendues. Fidel Castro allégua que 400 travailleurs avaient été tués dans cette opération, guidée par « des photographies prises par des avions espions. » Les tentatives d’assassinat sur Castro et d’autres attaques terroristes continuèrent immédiatement après la fin de la crise, et s’intensifièrent de nouveau dans les années suivantes.

Il y a eu quelques mentions d’une partie plutôt mineure de la guerre de la terreur, les nombreuses tentatives d’assassinat de Castro, généralement écartées comme des manigances puériles de la CIA. En dehors de cela, rien de ce qui s’est passé n’a suscité beaucoup d’intérêt ou de commentaires. La première enquête sérieuse en langue anglaise de l’impact sur les Cubains a été publiée en 2010 par le chercheur canadien Keith Bolender, dans son Voices From The Other Side: An Oral History Of Terrorism Against Cuba (Voix de l’Autre Côté : une histoire orale du Terrorisme contre Cuba), une étude de grande valeur en grande partie ignorée.

Les trois exemples mis en évidence dans le rapport du New York Times sur le terrorisme américain sont uniquement la partie visible de l’iceberg. Néanmoins, il est utile d’avoir cet aveu important de la consécration de Washington aux opérations terroristes meurtrières et destructrices et de l’insignifiance de tout ceci pour la classe politique, qui accepte comme normal et approprié que les États-Unis soient une superpuissance terroriste, non soumise à la loi et aux règles de la civilisation.

Curieusement, le monde pourrait ne pas être d’accord. Un sondage international publié il y a un an par le Réseau Indépendant Mondial/Association Internationale Gallup (WIN/GIA) a fait le constat que les États-Unis sont classés loin en tête en tant que « plus grande menace à la paix mondiale aujourd’hui », loin devant le second, le Pakistan (sans aucun doute gonflé par le vote indien), aucun autre pays ne pouvant rivaliser.

Heureusement, ces informations insignifiantes ont été épargnées aux Américains.

Noam Chomsky est professeur (émérite) de l’Institut de Linguistique du MIT (Massachusetts Institute of Technology).

Source : Information Clearing House, le 21/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Soldats américains à Panama en 1989

Source: http://www.les-crises.fr/les-etats-unis-sont-un-etat-terroriste-de-premier-plan/


[Mission accomplished] Bien joué à tous !

Friday 9 January 2015 at 16:59

Pour tout vous dire, je mûris ce billet depuis mercredi, je me demandais juste combien de temps il mettrait à dire ça…

Je commence à en avoir marre que les terroristes gagnent – vu que ce genre de loi, c’est leur but…

 

Ben si, en 48 heures même, couillons

 

Et ce alors que l’encre de la 14e loi liberticide contre le terrorisme en 20 ans n’est même pas sèche…

Valls se rapproche enfin de son modèle :

En vidéo (20/09/2001) – cela nous fera une avance sur la prochaine séance au Parlement :

Moi, je pense qu’il va bientôt bombarder l’Irak…

(EDIT : Ah flûte, on me signale dans l’oreillette qu’il l’a déjà fait en fait depuis plusieurs mois, en fait)

Bref :

La peine de mort (inutile dans tous les cas) demandée pour des kamikazes rêvant de leurs 70 vierges : toute l’intelligence du Front national dans “cette proposition” humaniste

Tiens, dans la série des gros couillons (désolé, je n’ai pas le courage d’éplucher les tweets à l’UMP) :

(quand je pense qu’on me demande parfois pourquoi je ne soutiens pas ces clowns dangereux…)

 

Mon pauvre Cabu, si tu avais su tout ce qu’on ferait en ton nom…

Enfin, tous ne pensaient pas comme toi, comme je l’ai dénoncé ici l’année dernière :

« Le fait que le prix Pulitzer ait été attribué aux journalistes qui ont révélé l’affaire Snowden est le symbole de la crise de la presse car Snowden est un traître à la démocratie. » [Philippe Val, 05/2014]

EDIT : une info pas inintéressante sur les barbares :

=================================================

Hommage à Charb (putain, tu vas nous manquer):

Alors en conclusion, je vais pour ma part combattre le terrorisme ce week end :

  1. je ne vais pas me laisser terroriser, surtout par 3 dingues (purée, mais ils ne sont que 3 en trains de terroriser le pays !!! Ils vous nous en envoyer 50 quand ils vont voir l’efficacité de leur action dans les médias)
  2. je ne vais évident RIEN changer à mes habitudes (moi, les seuls moment où j’ai peur, c’est quand je croise 5 militaires dans les couloirs du RER (inutiles) ce qui donne soudainement une impression pour le coup de vraie guerre)
  3. je  ne vais évidemment pas écouter les médias délirer et entrer dans le jeu des terroristes (regardez comme votre vie est moins stressante quand vous n’écoutez plus les informations en ce moment), mais relire un bon livre de Chomsky sur le 11 septembre (rassurez-vous, vous allez aussi en bouffer sur ce blog)

Bon week end !

P.S. Si un dessinateur à envie de déféquer sur Mahomet ce week end, je lui demande amicalement de plutôt jouer au foot, cela évitera qu’in fine, un État policier autoritaire soit mis en place en France de mon vivant… Merci d’avance.

Source: http://www.les-crises.fr/mission-accomplished-bien-joue-a-tous/