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Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Obama)

Wednesday 18 February 2015 at 00:55

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche : Croissance européenne : “Arrêtons de rêver” – 16/02

Olivier Delamarche: Economie mondiale: “La dette tue la croissance !” (1/2) – 16/02

Olivier Delamarche: Croissance europénne: faut-il crier à la reprise ? (2/2) – 16/02

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : Ukraine : “Sanctions, propagande, mensonges : les Etats-Unis font tout pour que la situation s’envenime”

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Comment interpréter l’évolution du dossier grec ? – 11/02

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Fed: doit-on s’attendre à une hausse des taux en automne ? – 11/02

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir: Grèce: désaccord sur le programme d’aide – 17/02

IV. Obama

L’Europe est sur le point de s’effondrer. La Russie, l’Ukraine, la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite sont autant de points chauds géopolitiques. les banques centrales sont sur le point d’une perte totale de contrôle et sont en train de lancer non seulement un QE mais aussi un programme de taux négatif, en poussant les marchés boursiers du monde entier à des niveaux records alors que la contraction de l’économie mondiale s’accélère.

Et pendant ce temps là, à la Maison Blanche …


 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-obama/


Actu Ukraine 17/02

Wednesday 18 February 2015 at 00:01

Actu’Ukraine – Semaine du 9 au 15 février 2015

 Lundi 9 février 2015 (MINSK J-3)

• Le ministre des affaires étrangères lituanien Linas Linkevičius déclare  ” Nous avons besoin de soutenir l’Ukraine non seulement financièrement et économiquement,  mais aussi militairement… non pas avec des soldats – Ce n’est pas sujet à discussion – mais au moins en soutenant leurs troupes avec des armes pour se défendre” (RT).

Joseph LeGasse, un “expert” américain de la sécurité et ex conseiller spécial de la Maison Blanche, déclare sur un site ukrainien qu‘ “il n’y a pas de raison de donner plus d’armes à l’Ukraine corrompue, cela ne conduirait qu’à des milliers de morts en plus” . Le titre de l’article a changé entre temps de “No reason to give corrupt Ukraine more arms, it will only lead to thousands of more deaths” à “How to best support Ukraine”. Cependant, l’ancien titre est toujours présent dans l’adresse http (Kyiv Post).

Pour info, voila comment le journal KyivPost présente Joseph LeGasse  : Joseph LeGasse is a U.S. security expert and former  special adviser with the White House. He spoke at the 2014 Tiger  Conference panel on security issues confronting Ukraine. LeGasse is a  private adviser for executives, political leaders and senior military  officials. Among his key clients have been government agencies,  transnational companies in energy, technology, banking etc. During his  work for the U.S. government, he completed a number of  counter-insurgency and intelligence assignments with the White House,  International Security Assistance Force in Afghanistan, U.S. Embassy in  Baghdad, Iraq and multinational force in Iraq. He is a graduate of  Harvard Business School and West Point Military Academy.  

“Ne mettez pas en colère l’ours russe !” Vidéo de propagande novorusse à visionner pour comprendre le conflit du point de vue des novorusses. Attention, quelques images sont dures (Youtube). Pour la propagande ukrainienne, il suffit de suivre les médias français…

Selon un responsable militaire de la  république autoproclamée de Donetsk, on entend quatre langues étrangères dans les communications radio interceptées dans la poche de Debaltsevo: “l’anglais, le polonais, le  français et probablement le flamand” (Sputnik News)

Lors d’une interview donnée à Vox (Youtube), Barack Obama déclare : “Nous devons, de temps à autre, tordre le bras de pays qui ne veulent pas faire ce que nous avons besoin qu’ils fassent…” (“we occasionally have to twist the arms of countries that wouldn’t do what we need them to do if it weren’t for the various economic or diplomatic or, in some cases, military leverage that we had — if we didn’t have that dose of realism, we wouldn’t get anything done, either.”)  (RT).

Mardi 10 février 2015 (MINSK J-2)

•  Après d’intenses combats le 9 février, les forces novorusses conjointes (Donetsk et Lougansk) terminent l’encerclement de  la poche de Debaltsevo en prenant le village de Logvinova situé sur le  cours de l’autoroute M-103 allant de Debaltsevo à Artemovsk (Fort Russ, Colonel Cassad, Colonel Cassad, Colonel Cassad).

la poche de Debaltsevo le 10 février 2015

la poche de Debaltsevo le 10 février 2015

Bombardement à Kramatosk, sur l’arrière de la ligne de front, côté ukrainien. Les Ukrainiens accusent les Novorusses, les Novorusses accusent les Ukrainiens. Des personnes innocentes, résidentes de l’Oblast de Donesk, meurent. La nouveauté est que cela ne déclenche pas le concert de protestations habituel des occidentaux. Tous semblent concentrer sur les pourparlers de Minsk 2 qui doivent se dérouler le jeudi 12 février 2015 (Colonel Cassad., Youtube).

Mercredi 11 février 2015  (MINSK J-1)

•  Les premières analyses balistiques des roquettes ayant touchées Kramatosk indiqueraient un point de départ en territoire ukrainien (Colonel Cassad). Faut-il y voir une provocation ukrainienne ? un épisode de la guerre larvée entre l’armée ukrainienne et les bataillons de volontaires ukrainiens (la zone visée abriterait un QG de l’armée) ?  Porochenko se rend sur place accompagné de BLH (Les Crises).

Les USA déploient 12 avions d’attaque au sol A10 accompagnés de 300 hommes de soutien en Allemagne dans le cadre de l’opération “Atlantic Resolve” (CNN, RT).

 Jeudi 12 février 2015  (MINSK J0)

Accords de Minsk 2. Cette actualité a été couverte par un long billet paru  sur ce blog  ( Les Crises) ainsi qu’une analyse de Colonel Cassad (Colonel Cassad). Ce qui est intéressant est ce qui n’est pas mentionné dans l’accord : la Crimée et la poche de Debaltsevo dont Porochenko nie l’encerclement pourtant manifeste. Le fait que des milliers de soldats ukrainiens soient encerclés en territoire novorusse porte en soi le germe d’un échec des accords de Minsk 2. D’ailleurs les Ukrainiens vont essayer jusqu’au dernier moment avant le cessez-le-feu, le 15 février à minuit, de rompre cet encerclement sans y parvenir.

Déclaration des chefs des deux républiques de Novorussie à Minsk (Youtube).

Dmitry Yarosh, le leader du mouvement Pravy Sektor (Secteur Droit) indique avoir fédéré autour de lui 17 bataillons de volontaires ukrainiens (FortRuss)

Selon Novorossia, la salaire moyen en Ukraine serait de 130 euros, 2,5 fois plus bas que le plus bas salaire moyen dans l’UE : la Bulgarie avec 330 euros. (Nnovorossia Today)

La Rada a adopté une résolution visant à supprimer l’accréditation des journalistes russes auprès des organismes officiels ukrainiens. La liste des journalistes concernés sera préparée par le SBU, le service de sécurité ukrainien (LB.ua).

Vendredi 13 février 2015  (MINSK J+1)

Echec d’une offensive ukrainienne pour rompre l’encerclement de Debalstevo (Fort Russ, Fort Russ).

Survol de la zone d’encerclement par un drone novorusse (Youtube, Colonel Cassad)

Reportage sur la ligne de front, côté novorusse (Youtube)

La dernière brillante idée de Kiev ! Le futur ex président Porochenko en train de perdre une guerre civile en 2015 nomme comme conseiller spécial le géorgien Saakashvili, un ex président ayant perdu une guerre civile en 2008. Son rôle officiel serait de coordonner les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine (President.gov.ua, Sputnik News). Saakashvili avait déclaré une semaine plus tôt qu’ “une Ukraine armée par les USA pourrait conquérir toute la Russie” (Sputnik News). Devant les protestations de la Géorgie (Saakachvili est en “délicatesse” avec la justice de son pays), l’ambassadeur d’Ukraine en Géorgie a justifié la nomination de Saakachvili par son “expérience pour moderniser l’armée  géorgienne” (VZ ). Lors de la guerre de 2008 contre la province géorgienne sécessionniste d’Ossétie du sud, l’armée géorgienne “modernisée” a fait illusion pendant une journée avant de s’écrouler totalement après l’arrivée des renforts russes. Durée totale de la guerre de Saakachvili : 5 jours (du 8 au 12 août 2008)… Finalement, ce n’est pas une si mauvaise idée cette nomination si cette guerre d’Ukraine pouvait se terminer en 5 jours !

• Yarosh et ses 17 bataillons rejettent les accords de Minsk 2 (Fort Russ)

Les bombardements sur les villes novorusses continuent. 3 enfants d’une même famille sont tués chez eux à Gorlovka (Fort Russ).

Cacophonie européenne :  La Croatie indique que des croates se battent au côté des troupes de Kiev. Le président de l’UE, Donald Tusk, réfute ce fait (RT).

Cacophonie otanienne : L’OTAN réaffirme avoir des preuves de la présence de troupes russes en Novorussie, l’OSCE dit le contraire…  (ZeroHedge)

• Cacophonie américaine : La délégation ukrainienne en visite aux Etats-Unis en décembre dernier, composée entre autres de MM. Semenshenko et Bereza, députés et commandants de bataillons, avait remis au Sénat alors des photos soi-disant prouvant l’invasion russe dans le Donbass. Parmi elles, il s’est avéré que plusieurs avaient faite en 2008, lors du conflit russo-géorgien. Cependant, James Inhofe, sénateur républicain, qui occupait alors un poste important à la commission des affaires militaires a expliqué : “J’étais très en colère quand j’ai appris qu’une des photos présentées est en fait une falsification d’une photo de l’AP prise en 2008. Mais cela ne change pas le fait qu’il y a de nombreuses preuves que la Russie soit entrée en Ukraine avec des tanks T-72 et que les séparatistes pro-russes ont tué des Ukrainiens de sang-froid.” (Korrespondent).

2008-2015 même photo

Samedi 14 février 2015  (MINSK J+2)

Des volontaires de Pravy Sektor sont pris en flagrant délit de pillage par la police. Leur bataillon encercle le poste de police avec 100 hommes, mitrailleuses, mortiers et snipers pour exiger leur libération (Fort Russ). Pillages, viols et exactions sont régulièrement signalés dans la partie occupée des Oblast de Donetsk et Lougansk sans faire l’objet de prévention, de répression ou même de couverture médiatique.

Après les accords de Minsk 2, le Porochenko bashing s’installe. Sa firme chocolatière Roshen a multiplié ses profits par 9… (Fort Russ). Que cela soit vrai ou non, peu importe. Porochenko est de facto accusé de profiter de la guerre pour s’enrichir…

Le Royaume-Uni confirme la livraison de véhicules blindés Saxon (Wikipedia) à l’Ukraine via une compagnie privée (Sputnik News).  Cette livraison fait suite à un accord passé avec le précédent gouvernement ukrainien en 2013, donc avant Maidan et le coup-d’état. il s’agit d’une cinquantaine de véhicules dont 20 ont déjà été livrés et dont certains sont déjà mis en vente (RT)…

Conférence de presse d’Alexandr Zakharchenko suite aux accords de Minsk 2 (Youtube). Le point central est que les accords de Minsk 2 sont vagues et donc sujet à interprétation de part et d’autre. Par exemple : le contrôle de la frontière avec la Russie, les élections et le statut de Debaltsevo. Sur ce point précis, les autorités novorusses indiquent que la poche de Debaltsevo n’est pas concernée par le cessez-le-feu car étant en territoire novorusse et non sur la ligne de front.

 

Dimanche 15 février 2015  (MINSK J+3 – Jour du cessez-le-feu)

Le cessez-le-feu est brisé par des tirs de mortier provenant de la poche de Debaltsevo (Youtube), ce qui entraine une réplique des novorusses. Sur le reste du front la trêve est globalement respectée (Sputnik News, RT).

Les Novorusses (DNR) propose à l’armée ukrainienne de quitter Debaltsevo sans ses armes et équipements (VZ). Cela ferait sans doute des milliers de morts en moins et, mieux encore,  des milliers d’ukrainiens qui ne seraient pas pressés d’y retourner…

Fallait juste y penser… Une autre super idée géniale d’un député Ukrainien. Tous les déboires de l’Ukraine sont dus… à l’ordre des couleur sur le drapeau ! il suffirait de mettre le bleu (symbole du matérialise) en bas et le jaune (symbole des valeurs spirituelles) en haut pour tout changer… (Lenta, VZ) A ce niveau là, c’est soit du grand art, soit c’est la panique totale !

Autre avantage, il suffit d’inverser le drapeau actuel, donc cela ne coûterait rien…

le drapeau officiel de l’Ukraine (un champ de blé/tournesol sous un ciel bleu)

Drapeau officiel

Le drapeau proposé (les valeurs spirituelles au-dessus des valeurs matérielles)…

Drapeau alternatif

Pour mémoire, le drapeau “alternatif” était le drapeau non officiel de l’éphémère république ukrainienne en 1917.

Le monde enchanté de la politique ukrainienne. Ce dimanche, le Premier Ministre ukrainien, M. Yatseniuk, a annoncé que Kiev pourrait réclamer des compensations à la Russie pour la destruction du Donbass (112, Sharij) : “En ce qui concerne la reconstruction du Donbass, je pense qu’il est légitime de poser la question des réparations de la part de la Fédération de Russie (…). Ils ont détruit le Donbass. Et la Russie doit payer pour la reconstruction de Donetsk et Lougansk. Ils ont détruit notre économie, ils nous ont agressé militairement, et ils doivent en porter la responsabilité.”

Il a ajouté que l’Ukraine ne renoncera pas à son intégrité territoriale et à son indépendance et, dans le futur, fera tout pour la paix. Selon certaines sources, en septembre de l’année dernière, les destructions des infrastructures suite aux combats s’élevaient déjà à 440 millions de dollars. D’autres sources donnent des montants bien plus importants : 1 milliard de dollars, voire plusieurs milliards de dollars…

Infographie des dommages infligés aux républiques de Donetsk et Lugansk ( Russia Insider)

Dégats dans le Donbass

Source: http://www.les-crises.fr/actu-ukraine-1702/


[Euro] L’Europe pose un ultimatum à la Grèce

Tuesday 17 February 2015 at 20:05

Grèce : et si c’était une partie de poker menteur ?

L’essentiel

L’Eurogroupe du lundi 16 février, à Bruxelles, a-t-il été une réunion où chacun – les Grecs d’un côté, les autres pays de la zone euro de l’autre – a surjoué l’affrontement, afin de ne pas perdre la face et mieux faire passer un futur accord, qui n’interviendra qu’à la dernière extrémité ? Ou a t-on assisté à un réel dialogue de sourds, sans issue ?

« Je ne joue pas, je n’ai pas de plan B », a juré le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, à la sortie de ce nouvel Eurogroupe, qualifié « de la dernière chance » et consacré à l’énorme dette d’Athènes – elle s’établit à 320 milliards d’euros, soit 175 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. « J’espère qu’on était en pleine dramaturgie ce soir, mais je n’en sais rien », avouait, de son côté, une source bruxelloise. « Il y a encore du travail de compréhension », glissait, sobrement, une autre source, proche des négociations.

Ce qui est sûr, c’est que, après le fiasco du 11 février, première réunion au sommet entre M. Varoufakis et les dix-huit autres grands argentiers de la zone euro, le rendez-vous de lundi a tourné au « clash ». Il n’y a pas d’accord, a constaté en début de soirée, Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, qui a donné « jusqu’à la fin de cette semaine, pas plus » aux Grecs pour accepter les conditions des Européens. « Je n’ai aucun doute que dans les prochaines 48 heures, l’Europe va réussir à nous soumettre [un document] afin que nous commencions le vrai travail et mettions sur pied un nouveau contrat », a répondu, un peu plus tard, M. Varoufakis.

« On n’a pas avancé d’un iota »

Au bout d’à peine trois heures de réunion, la délégation grecque était descendue en salle de presse du Conseil européen, où se tenaient les discussions des ministres, brandissant un « draft » de conclusions de l’Eurogroupe, qu’elle a qualifié d’« inacceptable ». Selon ce document, les Grecs devaient s’engager à « accepter de conclure avec succès le plan d’aide ». Les Européens, eux, s’engageaient à » utiliser toutes les flexibilités que recèle le programme actuel ».

« Ce n’était pas du tout ce dont nous avions discuté avant l’Eurogroupe avec Pierre Moscovici [le commissaire européen à l’économie], avec qui nous avons eu un échange très constructif », a assuré une source gouvernementale grecque. Cette version des faits est toutefois contestée tant à la Commission qu’à l’Eurogroupe, où l’on prétend qu’il n’a même pas été question de discuter sur un texte d’accord, lundi, les positions ayant divergé tout de suite. « On en est au même point que la semaine dernière, on n’a pas avancé d’un iota », soupirait un proche des négociations, du côté des Européens, lundi soir.

De fait, les termes du débat restent les mêmes. Arrivé au pouvoir il y a à peine trois semaines, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, leader du parti de la gauche radicale Syriza, a promis de mettre en œuvre son programme anti-austérité : mesures d’urgence pour les foyers les plus pauvres, relèvement du salaire minimum à 751 euros, remise en cause des privatisations et des mesures de libéralisation du marché du travail imposées par la « troïka » des créanciers (Commission et Banque centrale européennes, Fonds monétaire international). Il demande à l’Europe un « moratoire », ou un « plan relais » de trois ou quatre mois, le temps de négocier cette nouvelle donne.

Utiliser « toutes les flexibilités »

De leur côté, les Européens, unanimes depuis le début des négociations, estiment qu’ils ne peuvent pas donner au gouvernement grec un chèque en blanc, ni le laisser mettre à terre cinq ans de travail de la troïka, alors que celui-ci commence juste à porter ses fruits, le pays ayant dégagé un petit excédent primaire, en 2014.

D’où leur exigence : Athènes doit accepter de « terminer » le deuxième plan d’aide internationale, quitte à en utiliser « toutes les flexibilités ». Ce plan, 130 milliards d’euros au total, lancé en 2012, est assorti de conditions, c’est-à-dire de réformes, qui visent à restaurer l’équilibre des finances publiques, la stabilité du système financier et la compétitivité des entreprises grecques, mais qui n’ont pas encore toutes été mises en place.

Aux yeux des Européens, le plus « logique », au vu des délais – le plan d’aide s’achève théoriquement le 28 février –, serait que les Grecs sollicitent sa prolongation pour six mois. Cette prolongation devant ensuite être approuvée par les parlements nationaux d’au moins quatre pays (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, Estonie).

Ce schéma serait tenable d’ici à la fin de ce mois, si le « signal » d’Athènes arrive dans les jours qui viennent, assure-t-on à Bruxelles. Au-delà, sans « programme », la Grèce, qui doit faire face à d’importantes échéances de remboursement (en mars, en juin-juillet, puis en septembre) et ne peut se financer sur les marchés qu’au compte-gouttes et à un taux prohibitif, risque le défaut de paiement.

On ne parle plus de « troïka »

Mais pour M. Varoufakis, il n’est pas question, à ce stade, de se contenter des « flexibilités » promises par les Européens. Et pour M.Tsipras, il apparaît difficile, voire impossible d’accepter de travailler dans le cadre du deuxième plan d’aide : cela reviendrait à endosser politiquement un contrat signé par son prédécesseur, le conservateur Antonis Samaras.

Il y a quelque jours, certains à Bruxelles, avaient évoqué la possibilité, plus conforme au souhait des Grecs, de se lancer dans une discussion sur un troisième plan d’aide. Cette voie a pour l’instant été mise de côté. La proposition de ne plus utiliser le terme « troïka », abhorré des Grecs, a en revanche été adoptée.

A part cette concession minime, pour l’instant, c’est la ligne « dure » des Allemands qui prévaut. « Ils sont vraiment exaspérés », soulignait une source européenne, lundi soir. Les attaques de la presse grecque présentant le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, en nazi, et les demandes répétées de M. Tsipras de récupérer une « dette de guerre » allemande n’arrangent rien.

Source : Cécile Ducourtieux, pour Le Monde


L’Europe pose un ultimatum à la Grèce

Hier, la réunion de l’Eurogroupe s’est achevée sur un clash. Bruxelles donne une semaine à Athènes pour accepter ses conditions. Un accord reste possible.

Bruxelles (Belgique), hier Le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis (photo de gauche), s’est dit confiant sur la capacité des deux parties à trouver un accord dans les 48 heures, alors que Pierre Moscovici (au centre), commissaire européen aux Affaires économiques, et Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe (à droite), ont affiché leur fermeté. 

Les négociations entre l’Europe et la Grèce ont tourné court hier à Bruxelles. Plutôt qu’un assouplissement des conditions de remboursement de la dette grecque, l’Europe est restée ferme et a lancé au pays un ultimatum. Le nouveau gouvernement hellénique de la gauche radicale, dirigé par Alexis Tsipras, a une semaine pour accepter une extension de son programme actuel d’aide financière, qui doit en principe se terminer à la fin du mois.

Le deal proposé par les 18 autres pays de l’Eurogroupe aux Grecs est simple : acceptez d’abord nos exigences et discutons ensuite des possibilités d’assouplissement. « Le gouvernement grec doit s’engager sur le fait qu’il accepte les principaux éléments du programme », a prévenu Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe. Une proposition vigoureusement refusée par Athènes, qui a jugé cette exigence absurde et inacceptable. « Nous ne demanderons aucune extension, nous avons un mandat du peuple pour aller jusqu’au bout, écrit sur son compte Twitter Panos Kammenos, le ministre de la Défense et dirigeant du parti des Grecs indépendants. Les Grecs tous ensemble disent non. On ne nous fera pas de chantage. »

Yanis Varoufakis joue l’apaisement

Résultat, c’est l’impasse, aux conséquences potentiellement dramatiques. Sans accord, en effet, la Grèce se prive de 240 MdsEUR de prêts indispensables pour éviter la faillite. « Je suis de plus en plus inquiet, reconnaît Philippe Gudin, chef économiste de la Barclays. Le gouvernement grec est pris au piège par les engagements qu’il a pris auprès de son peuple, et l’Europe reste intraitable. Même si ce scénario est catastrophique, nous sommes à deux doigts d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Avec le risque que cela crée un précédent pour d’autres pays. »

Une hypothèse à laquelle Dimitri Uzunidis, professeur d’économie à l’université du Littoral-Côte d’Opale, ne croit pas : « Chacun essaie de gagner du temps. On est dans la posture politique. Une sortie de la Grèce est toujours possible, mais le gouvernement grec connaît les risques d’une telle issue pour son pays comme pour toute l’Europe. Un ultimatum, c’est fait pour être prolongé… »

De fait, tard dans la soirée, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a joué l’apaisement. Il s’est dit confiant sur la capacité des deux parties à trouver un accord dans les 48 heures. « L’Europe va nous soumettre un document afin que nous commencions le vrai travail et mettions sur pied un nouveau contrat. »

Des déclarations qui, selon un spécialiste, « prouvent que le gouvernement grec, pour s’en sortir politiquement, est obligé de souffler le chaud et le froid ». De toute façon, a prévenu Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques : « Il n’y a pas d’alternative à la prolongation du programme. » Visiblement serein, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a indiqué que les discussions se poursuivaient. Tout en précisant que le prochain pas doit venir des autorités grecques. « Au vu du calendrier, on peut utiliser cette semaine, mais c’est à peu près tout », a-t-il prévenu.

Ainsi, si la Grèce accepte d’ici la fin de la semaine une extension de son programme d’aide financière, une nouvelle réunion de l’Eurogroupe pourrait se tenir vendredi.

Source : Vincent Vérier, pour Le Parisien

Source: http://www.les-crises.fr/leurope-pose-un-ultimatum-a-la-grece/


Nigeria : le massacre le plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram (2 000 morts ?)

Tuesday 17 February 2015 at 03:05

“Je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres” : Boko Haram plonge le nord-est du Nigeria dans l’horreur

Des centaines voire des milliers de personnes ont été tuées par les islamistes la semaine dernière. Les témoignages affluent pour raconter leurs exactions.

Après plusieurs jours de fuite éperdue, les survivants de ce qui serait la pire attaque de Boko Haram racontent l’horreur qu’ils ont vécue sur les rives du lac Tchad, dans l’extrême nord-est du Nigeria. De la ville de Baga et une quinzaine d’autres localités dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres, il ne reste presque rien. Elles ont été incendiées, rasées, et les populations qui n’ont pas pu fuir ont été massacrées.

Les attaques ont débuté le 3 janvier et ont duré plusieurs jours. Aucun bilan précis n’est donné pour le moment, mais Amnesty International avance le chiffre de 2 000 morts, quand d’autres, plus prudents, parlent de plusieurs centaines de victimes. Francetv info revient sur ces attaques sans précédent.

Une position stratégique

Baga, 10 000 habitants, s’est développée autour de son marché aux poissons et de sa communauté de pêcheurs. Aujourd’hui, le lac Tchad a reculé, mais la ville est restée le grand carrefour agricole et commercial du nord-est du Nigeria. Elle abritait aussi une caserne de la force sous-régionale supposée protéger les populations contre ce type d’attaques. Mais, depuis plus d’un mois, les troupes nigériennes et tchadiennes s’étaient retirées. Il ne restait que des Nigérians.

Samedi 3 janvier, des dizaines de véhicules chargés de plusieurs centaines de combattants islamistes de Boko Haram déferlent sur cette base militaire. L’attaque, venue simultanément du Nigeria et du Tchad, est coordonnée, affirme le chef de district, Alhaji Baba Abba Hassan, au Daily Trust (en anglais). Les troupes nigérianes sont submergées. Elles prennent la fuite.

“C’est le chaos total”

Les assaillants s’en prennent alors à la ville et aux villages environnants. Cela dure plusieurs jours. “C’est le chaos total”, déclare le lendemain de l’attaque, à RFI, un sénateur de l’Etat du Borno, Maina Ma’aji Lawan. “Les gens ne savent plus dans quelle direction fuir ni vers qui se tourner pour être protégés.”

Cinq jours après l’attaque, le chef de district affirme que “depuis le jour de l’attaque, ils [les combattants de Boko Haram] n’ont pas bougé d’un pouce. Ils sont dans Baga et ils vont de maison en maison, cherchant les gens et tuant ceux qui n’ont pas de chance.” Les habitations sont rasées. Des centaines de corps jonchent les rues de la ville, selon des témoignages recueillis par le site Sahara Reporters (en anglais). Parmi eux, des femmes, des enfants. Personne n’ose les enterrer. Un habitant, parvenu à entrer dans la ville pour aller chercher ses économies, confie à l’AFP, lundi 12 janvier, que “toute la ville empeste l’odeur des cadavres en décomposition”. Dans une édition locale de la BBC, un responsable local constate : “Baga est anéantie. Ils ont brûlé entièrement Baga.”

La fuite par le lac

Membre d’une milice d’autodéfense, un survivant rencontré par le Premium Times (en anglais) se souvient : “Boko Haram a surgi dans Baga de tous les côtés, tirant, tuant. Nous n’avions pas d’autre choix que de fuir avec les autres.” Acculés sur les rives du lac, des centaines d’habitants tentent de s’échapper en bateau, en pirogue, vers les îles du lac. “Nous avons vu un grand bateau qui transportait 25 personnes. Toutes avaient été abattues.”

Un autre survivant explique que les assaillants se “couchaient en embuscade dans l’eau et quand une embarcation arrivait avec des habitants tentant de fuir, ils les attaquaient et les abattaient tous.” Isolés sur des îles infestées de moustiques, sans nourriture, des rescapés meurent. Ce survivant dit avoir vu beaucoup de corps sur les îles du lac Tchad : “De nombreuses personnes ont été tuées là-bas comme des insectes.” Il ajoute que “les tueries n’ont pas duré un jour, mais le premier jour, elles étaient massives, les soldats et les habitants étaient tués. Même après [que les combattants de Boko Haram] eurent pris Baga, ils ont continué à attaquer des villages voisins.”

Tenter sa chance en brousse

Quand ils ne fuient pas par le lac, d’autres tentent leur chance en brousse. Les transports sont coupés, les routes dangereuses. Un témoin dit à l’AFP être resté tapi entre un mur et la maison de son voisin, écoutant les massacres autour de lui, sortant la nuit pour “avaler rapidement des graines de manioc, boire de l’eau”.

Trois nuits après le début de l’attaque, Boko Haram commence à brûler la ville. L’étau s’est un peu desserré. Le témoin cité par l’AFP en profite, se glisse dans la nuit, en direction opposée des bruits des islamistes, et découvre l’horreur : “Sur cinq kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres, jusqu’à ce que j’arrive au village de Malam Karanti, qui était également désert et brûlé.” Il doit la vie à un vieux berger peul qui lui indique la direction à prendre pour éviter les bandes islamistes. Marchant, courant, il arrive le lendemain à 65 km de son point de départ, avant de prendre un bus pour Maiduguri, à 200 km de Baga.

D’autres, poursuivis en brousse, ont eu moins de chance. Le milicien rencontré par le Premium Times affirme avoir croisé “de nombreux corps, certains en groupes, d’autres seuls, dans la brousse. J’ai vu des enfants et des femmes morts, et même une femme enceinte avec le ventre ouvert.”

De nouveaux enjeux

Désormais, Boko Haram, en plus d’avoir remporté une victoire symbolique sur les puissances de la sous-région, contrôle toute une zone stratégique aux frontières de plusieurs pays. Comme le résume le sénateur de l’Etat du Borno : “Vous n’avez qu’à tendre le bras et vous êtes au Niger, vous faites un pas dans une autre direction et vous êtes au Tchad.” Quant au Cameroun, Boko Haram a menacé personnellement son président, Paul Biya, le mois dernier. En clair, toute la région risque désormais l’embrasement.

De plus, en prenant possession  d’un territoire ayant accès au lac Tchad, l’organisation terroriste s’est dégagée une nouvelle voie de ravitaillement. Des armes en provenance de Libye transiteraient déjà par le lac et Boko Haram dispose désormais d’un point d’atterrissage.

Enfin, cette nouvelle attaque coïncide avec le lancement de la campagne pour les élections législatives et présidentielle de février. Le scrutin ne pourra pas se dérouler dans l’état du Borno, à cause de l’insécurité. Et, pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1999, le Parti démocratique populaire, le PDP, n’est pas assuré de remporter la victoire. Le président Goodluck Jonathan est vivement critiqué pour son incapacité à contenir la menace de Boko Haram, alors que le conflit a fait plus de 10 000 morts en 2014. Il pourrait être battu par Muhammadu Buhari, un ancien général. Un homme qui a la réputation d’être un dirigeant à la poigne de fer.

Source : FranceTVInfo

Le rapport Amnesty

Alors que le gouvernement nigérian tente de minimiser le bilan du massacre de Baga, au Nigéria, le 3 janvier, plusieurs sources locales avancent le chiffre de 2 000 morts. Les captures d’images satellitaires confirment le massacre de masse.

[15/01/2015]

Des images satellite rendues publiques par Amnesty International jeudi 15 janvier fournissent des éléments de preuve irréfutables et choquants sur l’ampleur de l’attaque menée la semaine dernière par les extrémistes de Boko Haram contre les villes de Baga et Doron Baga.

Des images de ces deux villes voisines, Baga (située à 160 km de Maiduguri) et Doro Baga (également connue sous le nom de Doro Gowon, à 2,5 km de Baga), prises avant et après les faits, les 2 et 7 janvier, montrent l’effet dévastateur de ces attaques, qui ont endommagé voire totalement détruit plus de 3 700 structures. D’autres villes et villages des alentours ont eux aussi été attaqués à ce moment-là.

« Ces images détaillées donnent à voir une destruction d’une ampleur catastrophique dans deux villes, dont l’une a quasiment été rayée de la carte en l’espace de quatre jours », a déclaré Daniel Eyre, spécialiste du Nigeria à Amnesty International.

« Sur toutes les attaques de Boko Haram analysées par Amnesty International, celle-ci est la plus massive et la plus destructrice à ce jour. Il s’agit de violences délibérées contre des civils, dont les maisons, centres médicaux et écoles sont désormais des ruines calcinées. »

L’analyse ne porte que sur deux des nombreux villages et villes qui ont été victimes de la série d’attaques menées par Boko Haram depuis le 3 janvier 2015.

À Baga, ville densément peuplée dont la superficie est inférieure à 2 km², quelque 620 structures ont été endommagées ou complètement détruites par le feu.

À Doron Baga, plus de 3 100 structures ont été abîmées ou annihilées par le feu, ce qui représente la majeure partie de cette ville d’une superficie de 4 km². Un grand nombre des bateaux de pêche en bois visibles le long du rivage sur les images du 2 janvier ne sont plus présents sur celles du 7 janvier, ce qui confirme les témoignages selon lesquels des résidents ont fui en bateau de l’autre côté du lac Tchad.

Des milliers de personnes ont fui les violences en se rendant au Tchad et dans d’autres zones du Nigeria, notamment Maiduguri, la capitale de l’État de Borno. Ces personnes viennent rejoindre les centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés, afflux mettant déjà à rude épreuve les capacités d’accueil de leurs hôtes et des autorités gouvernementales. Amnesty International demande aux gouvernements nigérian et tchadien de veiller à ce que ces personnes déplacées soient protégées et reçoivent une assistance humanitaire digne de ce nom.

La destruction visible sur les images correspond aux terribles témoignages qu’Amnesty International a recueillis. Les déclarations des témoins, des représentants des autorités sur place et des militants locaux des droits humains semblent indiquer que les extrémistes de Boko Haram ont tiré sur des centaines de civils.

Un homme d’une cinquantaine d’années a expliqué à Amnesty International ce qui s’est passé à Baga durant l’attaque : « Ils ont tué énormément de gens. J’ai vu peut-être 100 personnes se faire tuer à Baga à ce moment-là. J’ai couru vers la brousse. Ils continuaient à tirer et à tuer alors que nous courions. » Il s’est caché dans la brousse, et a plus tard été découvert par des combattants de Boko Haram, qui l’ont retenu à Doron Baga pendant quatre jours.

Ceux qui ont fui disent avoir vu beaucoup d’autres corps dans la brousse. « Je ne sais pas combien il y en avait, mais nous étions entourés de cadavres, à perte de vue », a dit une femme à Amnesty International.

Un autre témoin a déclaré que les hommes de Boko Haram tiraient à l’aveugle, tuant même des enfants en bas âge et une femme en train d’accoucher. « [L]e petit était à moitié sorti et elle est morte comme ça », a-t-il expliqué.

Les combattants de Boko Haram s’en sont pris de manière répétée à des populations qu’ils soupçonnent de collaborer avec les forces de sécurité. Les villes ayant constitué des milices soutenues par l’État, telles que la Force d’intervention civile conjointe (CJTF), ont été visées par des attaques particulièrement brutales. Des groupes de la CJTF étaient actifs à Baga et un responsable militaire a confirmé en toute confidentialité à Amnesty International que l’armée faisait parfois participer des membres de ceux-ci à des opérations visant les positions de Boko Haram. Un témoin a déclaré à Amnesty International que lors de l’attaque contre Baga, il avait entendu des combattants de Boko Haram dire qu’ils recherchaient les membres des CJTF tandis qu’ils se rendaient de maison en maison, abattant les hommes en âge de se battre.

Après l’attaque à Baga, des témoins ont expliqué que les hommes de Boko Haram se sont rendus dans la brousse en voiture pour rassembler les femmes, les enfants et les personnes âgées qui s’étaient échappés. Selon une femme qu’ils ont privée de liberté pendant quatre jours, « les hommes de Boko Haram ont pris environ 300 femmes et nous ont gardées dans une école à Baga. Ils ont laissé partir les femmes plus âgées, les mères et la plupart des enfants au bout de quatre jours mais les femmes les plus jeunes y sont encore. »

Amnesty International demande à Boko Haram de mettre un terme à l’ensemble des attaques contre les civils. L’homicide délibéré de civils et la destruction de leurs biens par Boko Haram sont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, et doivent faire l’objet d’enquêtes.

Le gouvernement doit prendre toutes les mesures légales en son pouvoir afin de rétablir la sécurité dans le nord-est et de garantir la protection des civils.

« Compte tenu de l’isolement des habitants de Baga, et du fait que Boko Haram conserve le contrôle de cette zone, il a été très difficile jusqu’à présent de confirmer ce qui s’est passé sur place. Les résidents n’ont pas été en mesure de revenir enterrer les morts, ni, à plus forte raison, de les compter. Les images satellite et certains témoignages très explicites nous donnent cependant une image de plus en plus nette de ce qui est certainement l’attaque la plus meurtrière qu’ait menée Boko Haram », a déclaré Daniel Eyre.

« Cette semaine, le directeur de la communication en matière de défense au Nigeria a déclaré que le nombre de morts à Baga, y compris les combattants de Boko Haram, “ne dépasse pour l’instant pas 150 personnes”. Ces images, associées aux récits de ceux qui ont survécu à l’attaque, semblent indiquer que le nombre final de victimes pourrait être beaucoup plus élevé. »

Pour accéder aux images satellite, rendez-vous à l’adresse suivante : https://adam.amnesty.org/asset-bank/action/search?attribute_603=Nigeria+Satellite+Images+January+2015

NOTES :

Baga et Doron Baga sont deux villes situées au bord du lac Tchad, dans le nord-est de l’État de Borno, au Nigeria. La frontière entre le Nigeria et le Tchad passe par le lac. Baga et Doron Baga dépendent de la zone de gouvernement local de Kukawa, où vivent 203 864 habitants, d’après le recensement de 2006.

Après avoir pris connaissance des premières informations relatives à l’attaque, Amnesty International a commandé des données satellite concernant cette zone à l’opérateur privé DigitalGlobe.

Le nombre réel de structures endommagées ou détruites à Doron Baga est sans doute plus élevé que les 3 100 identifiées, mais il s’est avéré difficile de délimiter et de confirmer l’emplacement de certaines structures individuelles dans les zones densément peuplées et sous les arbres.

Les extrémistes de Boko Haram ont attaqué Baga et des villes et villages des environs samedi 3 janvier. À 6 heures du matin, ils ont pris pour cible la base militaire de la force multinationale conjointe à Baga. Après avoir écrasé les soldats postés à la base, les combattants de Boko Haram s’en sont pris à Baga, Doron Baga et à d’autres villages de la zone.

Vendredi 9 janvier, Amnesty International a indiqué dans un flash que « si les informations indiquant que la ville a été en grande partie rasée et que des centaines de civils (peut-être même 2 000) ont été tués sont exactes, nous sommes en présence d’une escalade sanglante très inquiétante des actions de Boko Haram contre la population civile. »

Depuis 2009, Boko Haram prend délibérément pour cibles les civils lors de raids, d’enlèvements et d’attentats à la bombe, et les attaques se multiplient et s’intensifient. Les effets sur la population civile sont dévastateurs, des milliers de personnes ayant été tuées, des centaines enlevées et des centaines de milliers d’autres forcées à fuir de chez elles.

Amnesty International a déploré à plusieurs reprises que les forces de sécurité n’en fassent pas plus pour protéger les civils des violations des droits humains commises par Boko Haram. Rares sont les enquêtes dignes de ce nom qui ont été effectuées et les membres de Boko Haram qui ont été poursuivis pour des crimes de droit international.

L’assaut mené contre Baga montre à quel point le conflit s’est intensifié ces 12 derniers mois. Les recherches effectuées par Amnesty International indiquent qu’en 2014, plus de 4 000 civils ont été tués par Boko Haram.

Médecins sans Frontières a signalé mercredi 14 janvier que 5 000 rescapés de l’attaque contre Baga se trouvent actuellement dans un camp à Maiduguri. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a indiqué le 9 janvier que quelque 7 300 réfugiés nigérians étaient arrivés dans l’ouest du Tchad.

Amnesty International,
15 janvier 2015

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21/01/2015

Le chef du groupe armé Boko Haram a revendiqué l’attaque de la ville de Baga, qui a fait des centaines de morts début janvier, et menacé le Niger, le Tchad et le Cameroun, dans une vidéo mise en ligne mardi soir.

«Nous avons tué le peuple de Baga. Nous les avons en effet tués, comme notre Dieu nous a demandé de le faire dans Son Livre», déclare Abubakar Shekau dans une vidéo de 35 minutes publiée sur YouTube.

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Massacres de Boko Haram: des survivants racontent

La plaie est toujours profonde. Allongé sur le côté, Moussa Zira montre l’impact de balle qu’il a reçue dans la cuisse la nuit où les islamistes de Boko Haram ont massacré 12 personnes dans son village du nord-est du Nigeria, début janvier.

Grièvement blessé, il s’est fait passer pour mort avant de s’enfuir en pirogue au Tchad voisin, jusqu’au camp de réfugiés de Baga Sola, sur l’autre rive du lac. La douleur est encore vive, Moussa Zira boîte, mais il se sait «miraculé».

«Les Boko Haram sont arrivés à quatre heures du matin et sont entrés dans chaque case, ils cherchaient les hommes. Ils nous ont salués puis nous ont dit de les suivre en brousse, qu’ils nous expliqueraient ensuite», raconte-il en haoussa.

Les islamistes ont pris 14 personnes en tout, «un homme par maison», dans les envions de la ville nigériane de Baga. «Il y avait un vieux parmi nous et ils lui ont dit de partir. Nous avons marché jusqu’au champ et ils ont dit à tout le monde de se coucher, face contre terre».

«Après avoir tiré en l’air une fois, ils se sont mis à nous tirer dessus» à bout portant, poursuit-il. Là, Moussa Zira a cru que tout était fini. «Peu après, j’ai compris que la balle n’avait pas touché ma tête, mais le bras et l’arrière de la cuisse. Autour de moi, ils étaient tous morts».

Pour éviter d’être «achevé», il est resté tapi au milieu des cadavres en attendant que les hommes de Boko Haram partent, puis a rampé dans les hautes herbes pendant des heures avant de croiser une moto qui l’a aidé à fuir vers du lac.

Le pasteur Yacubu Moussa, 43 ans, est l’un des rares chrétiens rescapés de l’attaque de Baga. La nuit du 3 janvier, lorsque Boko Haram est arrivé par surprise, la ville dormait.

«Ils se sont mis à tirer sur tout le monde sans distinction, hommes, femmes, petits enfants, et même vieillards», raconte-il.

Interrogé sur le nombre d’assaillants, il hésite, parle «de milliers d’hommes». Chiffre invérifiable. Mais le pasteur est sûr d’une chose: «il y avait des cadavres partout dans les rues» lorsqu’il s’est enfui.

Deux jours plus tard, Yacubu Moussa a tenté de revenir chez lui récupérer quelques affaires. Caché dans la brousse, il a vu «des corps flotter sur l’eau». «L’odeur était tellement forte qu’on la sentait de très loin».

De la ville, affirme-t-il , ne restait que des cendres: «ils avaient tout brûlé, nos maisons, nos magasins, les motos aussi».

Au camp de réfugiés, le pasteur dit se sentir bien seul, à l’heure de la prière, où les musulmans s’agenouillent tout autour de lui par dizaines. «Ici je n’ai rien à faire, je n’ai pas de fidèles, pas de lieu de culte, je n’ai même pas de bible».

Depuis début janvier, plus de 14.000 personnes ont traversé la frontière pour fuir les attaques sanglantes autour de Baga, selon Mamadou Dian Balde, représentant adjoint du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) au Tchad.

«Ils arrivent avec des histoires trop dures à entendre. L’autre jour, un homme est arrivé pour se faire enregistrer, il n’écoutait rien de ce que je lui disais, il ne faisait que pleurer: les Boko Haram ont jeté une grenade dans sa maison, sa femme et ses trois enfants sont morts sur le coup», raconte Idriss Dezeh, de la Commission nationale d’accueil, de réinsertion des réfugiés et des rapatriés.

Certains ont eu la chance d’arriver au camp avec toute leur famille… Assise devant une tente blanche, Aisha Aladji Garb, la poitrine opulente, allaite un minuscule nourrisson. Il y a deux semaines, elle lui a donné naissance dans la pirogue à bord de laquelle elle fuyait, raconte-elle.

En débarquant au Tchad, elle est tombée sur une patrouille de soldats tchadiens. «Ils ont pris soin de moi, ils m’ont fait monter dans leur camion et m’ont directement emmenée au camp où j’ai reçu de l’aide».

«C’est grâce à eux si mon bébé est en vie», dit-elle avec un large sourire. «Alors je l’ai appelé +Idriss Déby+», le nom du président tchadien…

Source

Baga : le témoignage d’un survivant des massacres de Boko Haram

Un témoin, qui a survécu samedi 3 janvier à une attaque de Boko Haram près du lac Tchad, témoigne de la violence du groupe islamiste.
Des tirs, des hurlements, puis une fuite nocturne à travers la brousse jonchée de cadavres. Yanaye Grema est resté terré trois jours pendant que les combattants de Boko Haram ravageaient sa ville de Baga, sur les rives nigérianes du lac Tchad. Samedi 3 janvier, la milice d’autodéfense de ce pêcheur de 38 ans venait d’être défaite par la puissance de feu du groupe islamiste, lancé dans une vaste et sanglante offensive contre plusieurs localités de l’extrême nord-est du Nigeria.
Caché entre un mur et la maison de son voisin, protégé par le feuillage d’un margousier, Yanaye Grema écoutait le massacre se dérouler autour de lui. «Tout ce que j’entendais c’était des tirs d’armes à feu, des explosions, des hurlements, et les “Allah Akbar” des combattants de Boko Haram», raconte-t-il à l’AFP par téléphone depuis Maiduguri. «Chaque nuit j’escaladais la palissade de ma maison pour avaler rapidement des graines de manioc, boire de l’eau, et ensuite je retournais dans ma cachette.»
«Certains hommes de Boko Haram campaient près du marché principal de Baga, à quelque 700 mètres à peine de ma cachette», explique-t-il. «La nuit je pouvais voir la lumière de leur générateur. J’entendais aussi des acclamations et des rires.»
Evasion
Lundi, le nombre de combattants en patrouille a diminué. La ville n’était plus aussi quadrillée, offrant au pêcheur une fenêtre d’évasion. «Mardi, ils ont commencé à piller le marché et toutes les maisons de la ville. Vers 18h, ils ont mis le feu au marché et ont commencé à incendier des maisons. J’ai décidé qu’il était temps de partir avant qu’ils ne se dirigent dans ma direction. Vers 19h30, je me suis hasardé hors de ma cachette et j’ai commencé à partir dans la direction opposée au bruit des islamistes. Il faisait sombre, donc personne ne pouvait me voir.»
Ce n’est qu’en quittant sa cachette que le pêcheur réalise l’ampleur de l’offensive, qui pourrait s’avérer l’une des plus meurtrières de Boko Haram en six années d’insurrection. «Sur cinq kilomètres, je n’ai pas arrêté de marcher sur des cadavres, jusqu’à ce que j’arrive au village de Malam Karanti, qui était également désert et brûlé.»
Dans la brousse, Yanaye rencontre un vieux berger peul, qui lui conseille de se diriger vers l’ouest afin d’éviter les bandes de Boko Haram. Accélérant le rythme, il rattrape vite un groupe de quatre femmes, fuyardes également. L’une d’elles transporte sur son dos un bébé. «Elles m’ont dit qu’elles avaient fait partie de centaines de femmes arrêtées par Boko Haram et retenues dans la maison d’un chef de district, que Boko Haram avait converti en centre de détention pour femmes.» Trois de ces femmes avaient été séparées de leurs enfants, selon lui.
Les femmes étant «trop lentes», il a donc continué seul. Marchant et courant durant toute la nuit, il arrive le mercredi matin au village de Kekeno, à quelque 65 km de son point de départ. Le lendemain, il prend un bus jusqu’à la ville de Maiduguri. «Je serai toujours reconnaissant à ce vieux Peul, son conseil m’a sauvé la vie», dit-il.
Au moins 16 localités rasées
Des officiels ont affirmé cette semaine que l’attaque avait forcé près de 20 000 personnes de Baga et des localités près du lac Tchad à prendre la fuite, certains traversant même la frontière tchadienne. Ce n’était pas la première à viser Baga. Près de 200 personnes y avaient été tuées en avril 2013. Des combattants de Boko Haram avaient attaqué la ville, l’incendiant en grande partie, ce qui avait provoqué une violente confrontation avec l’armée nigériane.
Samedi, les islamistes ont rencontré moins de résistance et sont parvenus à prendre le contrôle de la ville ainsi que de la base de la Force multinationale (MNJTF), censée regrouper des soldats nigérians, nigériens et tchadiens dans la lutte contre Boko Haram, mais où ne se trouvaient que des troupes nigérianes au moment de l’attaque. Au moins 16 villes et villages de la zone ont été rasés. Les analystes estiment que l’offensive du week-end visait les milices d’autodéfense assistant l’armée dans sa contre-insurrection.
 Source

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Source: http://www.les-crises.fr/nigeria-le-massacre-le-plus-meurtrier-de-lhistoire-de-boko-haram-2-000-morts/


[Baga, "hameau du monde"] Si tous les gens bien pensants sont unis contre le terrorisme, où sont les bannières ‘Je suis Nigeria’ ?, par Patrick Cockburn

Tuesday 17 February 2015 at 02:00

“Naaaaaoooon, mais là, c’est pas pareil, en fait….”

Des djihadistes type Al-Qaïda ont tué 2 000 personnes en quelques jours, ce que le monde a largement ignoré

Le président Obama est critiqué pour ne pas avoir rejoint les 40 autres chef d’état lors de la manifestation de masse à Paris à la suite du massacre de Charlie Hebdo. Cependant, en faisant profil bas plutôt que de faire face aux assassinats terroristes, Obama a peut être fait preuve de plus de prudence que les dirigeants présents, dans sa manière de gérer de telles attaques, aussi atroces soient-elles.

Que des gouvernements et des personnes veuillent montrer leur solidarité contre le terrorisme, cela peut se comprendre. Mais à bien des égards, le nombre gargantuesque et l’exagération des réactions verbales répondant aux meurtres de dix-sept personnes par trois terroristes, traitant l’affaire comme s’il s’agissait de Pearl Harbour ou du 11 septembre, revient à faire le jeu d’Al-Qaïda et de ses clones.

Les trois terroristes, Chérif et Saïd Kouachi ainsi qu’Amedy Coulibaly, étaient plutôt de pitoyables individus avant le 7 janvier, mais ils ont maintenant acquis un statut diabolique. Leur action a jeté des millions de personnes dans les rues, a amené la plupart des dirigeants du monde à Paris et mobilisé des dizaines de milliers de soldats et de policiers. Ces trois hommes auraient été fiers d’avoir provoqué une telle réponse à partir d’un attentat plutôt banal selon les critères du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Cette réaction excessive des médias dans leur couverture en continu pourrait se révéler contre-productive. La raison est identifiée avec éloquence par un commentateur israélien, Uri Avnery, qui écrit : “Pour d’autres terroristes potentiels à travers l’Europe et l’Amérique, cette sur-réaction ressemble à une belle victoire. C’est une invitation pour des individus et de petits groupes à faire de même, partout.”

“Le terrorisme veut dire frapper de terreur. Ces trois là, dans Paris, ont vraiment réussi. Ils ont terrorisé la population française. Et si trois jeunes sans qualification peuvent le faire, imaginez ce que pourraient faire 30 personnes ou 300 !”

La concentration excessive sur les événements de Paris nous détourne des attaques bien plus violentes qui ont été menées ailleurs dans le monde par des mouvements de type Al-Qaïda. Ils sont aujourd’hui en mesure d’agir librement dans au moins sept pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord où se déroulent des guerres civiles – Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Libye, Somalie et le nord-est du Nigeria – et qui ont presque tous subi depuis le début de l’année des actes de terrorisme ayant fait plus de victimes qu’à Paris.

Même s’il ne s’agissait que de leur propre intérêt, les français, les britanniques et les américains devraient porter plus d’intérêt à ce qui se passe là-bas, dans la mesure où ce sont les terreaux physiques et idéologiques de mouvements de type Al-Qaïda, dont les activités affectent de plus en plus l’Europe occidentale.

La pire atrocité commise cette année par un mouvement extrémiste islamiste a été de loin le massacre de plus de 2 000 personnes, perpétré la semaine dernière par Boko Haram au nord-est du Nigeria. Les images satellite diffusées par Amnesty International montrent deux villes, Baga et Doron Baga, complètement dévastées, avec 3 700 structures endommagées ou détruites.

Le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, s'adressant aux troupes.

Le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, s’adressant aux troupes lors d’une visite à Maiduguri, la capitale de l’état du Borno ; la plus grande partie de la région a été envahie par Boko Haram
(AFP/Getty)

Ce massacre a eu une faible médiatisation jusqu’à ce que la consternation des événements de Paris ne retombe, et pourtant les tueurs au Nigeria et en France avaient des croyances et des méthodes similaires. Mais vous noterez la différence dans les réactions internationales à ces deux atrocités. Mon ami et ancien collègue Richard Dowden, directeur de la Royal African Society, a écrit que si tous les gens bien-pensants sont unis contre le terrorisme, on se demande “où est le mouvement ‘je suis Nigeria’ ?”

Il y a certainement des explications et des excuses au fait que l’attention se soit focalisée sur les événements de France plutôt que sur ceux au Nigeria. Les meurtres de Charlie Hebdo ont eu lieu dans l’un des centres médiatiques mondiaux, tandis que le lointain nord-est du Nigeria, à la limite du Sahara, est l’un des endroits les moins visités, les plus appauvris et dangereux de la planète. Le gouvernement nigérian du président Goodluck Jonathan a fait preuve d’ une incompétence et d’une force d’inertie exceptionnelles dans sa lutte contre Boko Haram.

L’armée nigériane a prouvé son incapacité à arrêter les colonnes de combattants motorisés de Boko Haram qui opèrent avec la même efficacité meurtrière que leurs homologues de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), en Irak et en Syrie. Dans les deux cas, les atrocités ont pour but de causer terreur, panique et démoralisation des opposants, avant même que ne commence la vraie bataille.

En 2004, j’ai comparé l’Irak au Nigeria, en disant que le gouvernement de Bagdad risquait de devenir comme celui du Nigeria : un pays pétrolier qui non seulement était corrompu, mais constituait une kleptocratie institutionnalisée dans laquelle tout était volé et rien n’était construit. Puis lorsque Nouri al-Maliki, en tant que premier ministre irakien, a conduit le pays à la ruine, j’ai pensé que la comparaison était injuste vis-à-vis du Nigeria. Mais finalement, j’avais tort. L’incapacité et le vol du revenu du pétrole à grande échelle, par tous ceux qui sont liés au gouvernement dans les deux pays, ont beaucoup en commun.

Ce qui se passe dans des villages tels que Baga et Doron Baga dans l’état de Borno, dont la plupart ont été envahis par Boko Haram, peut donner l’impression que ce qui se passe ensuite à Londres et Paris n’a rien à voir. Mais c’est dans ces mêmes endroits du monde – rudes, isolés et frappés par la pauvreté – que des mouvements comme Al-Qaïda trouvent les terres les plus fertiles pour se développer sans attirer l’attention, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour les arrêter. Ce qui était le cas pour les déserts de l’ouest de l’Irak, l’est de la Syrie et le sud du Yémen. Là, ils pouvaient fuir ou battre les armées gouvernementales gangrenées par la corruption, dont la brutalité contre les communautés locales garantissait aux djihadistes la sympathie et de nouvelles recrues.

La défense de la France, du Royaume-Uni et d’autres pays, contre les attaques terroristes, comme celle contre Charlie Hebdo, dépend de la capacité à trouver des solutions pour les sept autres guerres civiles ayant lieu du Pakistan au Nigeria. Ce sont les endroits où la violence fanatique sunnite prospère, celle qui a maintenant touché l’Europe occidentale. Les mesures de sécurité et les décisions politiques doivent être coordonnées et, tant qu’elles ne le seront pas, la marche de 40 chefs d’état à Paris restera une vaine gesticulation.

À l’élaboration de politiques efficaces dans la lutte contre Al-Qaïda, ces mêmes 40 chefs d’état devraient penser à ces sept guerres mentionnées plus haut comme étant autant de marais où des moustiques porteurs de malaria se multiplient. Il devrait être possible d’empêcher ces moustiques d’Al-Qaïda d’atteindre l’Europe et d’autres endroits du monde. Certains moustiques pourraient être identifiés et éliminés à leur arrivée. Mais quelles que soient les mesures prises, quelques-uns de ces moustiques – qui ont de nos jours tant d’environnements propices – passeront et s’en prendront aux gens, avec des résultats mortels.

S’opposer au terrorisme ou soutenir la liberté d’expression, c’est comme être en faveur de la maternité ou contre le péché. Le problème avec les manifestations de Paris et d’ailleurs est qu’elles risquent d’être un substitut à des décisions politiques difficiles. Beaucoup d’entre elles, comme par exemple fermer la frontière entre la Turquie et la Syrie, ou mettre la pression sur l’Arabie Saoudite pour contrôler les médias pro-djihadistes, seraient difficiles à mettre en œuvre. Mais sans de telles actions, tout le reste n’est que grandiloquence. Peut être que le président Obama a eu raison de rester à l’écart.

Source : Patrick CockBurn, The Indepedent, le 18/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/baga-hameau-du-monde-si-tous-les-gens-bien-pensants-sont-unis-contre-le-terrorisme-ou-sont-les-bannieres-je-suis-nigeria-par-patrick-cockburn/


[Propagande Sortie de l'euro] Télé-irréalité, par Jacques Sapir

Tuesday 17 February 2015 at 00:15

Encore un documentaire de pure propagande visant à manipuler les masses – payé par la redevance en plus !

Bien entendu, ils ne rappelleront pas que Stligitz, Krugman, Sen, allais, Phelps, Friedman étaient / sont contre l’euro…

France 5 va diffuser, mardi 17 février, un soi-disant « documentaire » (en réalité une « docu-fiction ») sur une sortie de l’Euro1 . J’ai été interviewé dans la préparation de ce « document ». Ce que j’en ai vu ne plaide pas en sa faveur. Ce n’est pas l’Euro à la télévision mais la télévision qui se saisit, et dans le plus mauvais sens du terme, de l’Euro. Passons sur le fait que les personnes doutant de l’Euro, ou les partisans d’une dissolution de la zone Euro ne sont que très faiblement représentées. Le plus grave est la volonté consciente et délibérée des réalisateurs de provoquer une inquiétude, voire une panique, dans l’opinion. On détaillera ici les principales remarques.

  1. L’hypothèse présentée (une crise des banques en Italie) est absurde. Aucun pays ne sortira de l’Euro en raison d’une crise bancaire. Nous en avons connu par le passé et il ne fut jamais question d’une sortie de l’Euro. Une crise de liquidité peut être gérée par la BCE ou par la Banque Centrale du pays considéré. Les seules raisons qui peuvent provoquer une sortie de l’Euro sont la question des dettes souveraines et des difficultés économiques de compétitivité insurmontables rendant impératives une dépréciation de la monnaie.
  2. Le ton de cette « docu-fiction » est volontairement alarmiste et même catastrophiste. On sent la volonté délibérée d’affoler la personne qui regarde. C’est une attitude indigne et honteuse de la part de France 5.
  3. De nombreuses erreurs factuelles, que j’avais signalées, sont pourtant reproduites dans cette « fiction ». Il en est ainsi de la question des dettes (aucune mention n’est faite de ce qu’un bon du Trésor est remboursable dans la monnaie du pays émetteur quelle que soit cette monnaie), la question de la hausse des prix est traitée de manière absurde ainsi que la « panique bancaire ». On ne voit pas pourquoi et surtout comment une conversion de l’Euro à une monnaie nationale provoquerait une panique bancaire. Rappelons que dans le cas de la crise de Lehmann Brother, c’était par la destruction d’une partie de l’actif (les dettes considérées comme « mauvaises ») mais surtout en raison d’une crise de liquidité internationale que les banques ont eu des problèmes. Dans le cas d’une sortie de l’Euro, il n’y aura aucune crise de liquidité internationale, et la question du passif des banques a été étudiée en 2012, montrant que dans l’ensemble des pays (sauf l’Espagne) il n’y aurait aucun problème.
  4. L’idée d’une interruption du commerce international, qu’agite ce pauvre Dessertine est tout aussi absurde. Il n’hésite pas à travestir la réalité des faits pour faire passer son discours : la chute du commerce international en 1930 n’est nullement le produit des dévaluations (qui sont pour la plupart survenue après, d’ailleurs), mais de la crise de liquidité générale, engendrée par la faillite des banques américaines. Ce point a été établi il y a des années dans une étude du NBER2  (via la contraction du crédit qui toucha plus particulièrement les firmes commerciales3 ). C’est l’extension de cette crise de liquidité qui a provoqué l’extension de la crise en Europe, et non les dépréciations monétaires ou le protectionnisme4 . Les conditions d’assurance du trafic maritime se sont détériorées et les moyens financiers des négociants maritimes se sont contractés brutalement. Un produit est vendu par une entreprise française en France et non plus en Euro. Si le Franc est dévalué par rapport à l’Euro, cela avantage l’acheteur. Pourquoi ce dernier refuserait-il de faire ce qu’il peut considérer comme une « bonne affaire » ? Le Franc (comme la Lire) se dévaluerait en fonction du déséquilibre actuel de notre balance commercial. Cela implique une dévaluation d’environ 20% (25-30% pour la Lire).
  5. Les effets positifs d’une sortie de l’Euro (relance de l’activité économique, afflux de touristes, investissements étrangers) sont systématiquement passés sous silence. La relance de l’activité viendrait non seulement des exportations mais des gains sur le marché intérieur (substitution aux importations). L’attrait touristique de la France, déjà élevé, se verrait accru par une dévaluation de 20%. Enfin, les investissements directs étrangers seraient attirés à la fois par la baisse du prix (effet de la dépréciation du Franc) et par l’activité économique. De ces aspects positifs, qui se feraient assez rapidement sentir et qui se manifesteraient de 3 à 5 ans à la suite de la dislocation de l’Euro, il n’est rien dit. Cela confirme que l’on est en présence d’une fiction « à charge » dont le seul but est de faire peur.
  6. L’ensemble des discours argumentant qu’une dissolution de la zone Euro conduirait à un retour des conflits qui ont ensanglanté l’Europe au XXème siècle relève de la même démarche. La Suède et la Grande-Bretagne ne font pas partie de la zone Euro (techniquement de l’UEM), et pourtant on ne voit pas les conflits s’exacerber avec ces pays ou bien même entre ces pays. Par ailleurs, peut-on vraiment prétendre qu’il y a aujourd’hui moins de conflits et de ressentiments entre la Grèce, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne qu’il y en avait avant 1999 ? On mesure l’absurdité, mais surtout la malhonnêteté insigne des gens qui nous affirment tout de go que « l’Euro c’est la paix ».
  7. Par contre, deux choses sont montrées qui ont un certain intérêt. D’une part, qu’en cas de sortie d’un pays comme l’Italie (ou l’Espagne) la France ne pourrait pas rester dans l’Euro. C’est un point important. A cet égard, il convient d’oublier toutes les stupidités sur l’appartenance de la France au « Nord » ou encore l’idée d’opposer un « nord » vertueux à un « sud » qui ne le serait point. Il y a des réalités économiques, des spécialisations industrielles, dont les effets s’imposent et s’imposeront, que les politiques le veuillent ou non. D’autre part, que si nous décidons de sortir de l’Euro, il faut le faire vite. Il ne serait pas raisonnable de laisser s’écouler plusieurs semaines entre la décision et son application.

Le téléspectateur peut donc oublier cette « fiction » et ce consacrer à autre chose. Un véritable documentaire accompagné d’un véritable débat reste à produire. Mais il est clair qu’il ne faut compter sur les chaînes du « service public » pour tenir ce rôle, pourtant fort nécessaire, d’information des citoyens.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope

  1.  http://www.lepoint.fr/economie/bye-bye-l-eururo-16-02-2015-1905300_28.php 
  2. A. Estevadeordal, B. Frants, A. M. Taylor, « The Rise and Fall of World Trade, 1870-1939 », NBER Working Papers Series, n° 9318, Cambridge, National Bureau of Economic Research, 2002 
  3. J. Foreman-Peck, A History of the World Economy: International Economic Relations since 1850, New York, Harvester Wheatsheaf, 1995, p. 197. 
  4.  A. Schubert, The Credit-Anstalt Crisis of 1931, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 

Source: http://www.les-crises.fr/tele-irrealite-par-jacques-sapir/


[Reprise] Peut-on sauver l’accord de Minsk ?, par Jacques Sapir

Monday 16 February 2015 at 21:30

Le fragile accord signé à Minsk1 le jeudi 12 février au matin entre Mme Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et le président ukrainien M. Poroshenko est aujourd’hui clairement en crise. Les regards se focalisent sur la question du cessez-le-feu. C’est une question importante, mais qui pourrait masquer d’autres problèmes, encore plus grave. Ainsi, le gouvernement de Kiev a indiqué qu’il n’entendait pas appliquer la « fédéralisation » du pays à laquelle il s’est pourtant engagé. Enfin, il est possible que des troubles politiques affectent les forces de Kiev, voire qu’un coup d’Etat venant de la fraction la plus extrémiste, se produise d’ici les premières semaines.

La question du cessez-le-feu

Le cessez-le-feu doit avoir lieu le dimanche 15 février à 0h00. Pour l’instant les combats continuent. Cela est dû à la volonté de chaque partie de « grignoter » sur la ligne de front, mais aussi à l’élimination progressive des unités de Kiev qui sont encerclées dans la « poche » de Debalstevo. Le principal problème tient à ce que les forces de Kiev doivent faire reculer leurs armes lourdes à partir de la ligne de front tandis que les insurgés doivent faire la même chose à partir de la ligne du 19 septembre 2014. L’idée semble d’avoir voulu donner satisfaction aux deux parties en présence et de créer une « zone tampon ». Mais, si l’on veut que cette zone tampon puisse remplir son rôle (et éviter de nouveaux bombardements ciblant les populations civiles des villes insurgées de Donetsk et Lougansk), il faudra impérativement qu’un corps d’observateur, susceptible de faire de l’interposition entre les deux adversaires soit créé. L’OSCE, qui est nommément désignée dans l’accord n’a pas les moyens de faire cela. De plus, sa légitimité pourrait être contestée. La seule solution stable serait la constitution de contingents de « Casques Bleus » des Nations Unis. Mais, une telle solution doit être acceptée par le gouvernement de Kiev et doit être validée par le Conseil de Sécurité, ce qui implique un accord des Etats-Unis. C’est ici que l’on mesure les limites de la solution Merkel-Hollande. De fait, les Etats-Unis sont aujourd’hui directement part du conflit. Ils doivent donc être associés à son règlement, ou montrer par leur attitude qu’ils ont fait le choix de la guerre. Tant qu’un cessez-le-feu stable, observé et vérifié ne sera pas en place, l’accord sera nécessairement des plus fragiles.

La question du statut des zones insurgées et la souveraineté de l’Ukraine

Mais, il y a d’autres raisons de penser que cet accord pourrait bien ne jamais être appliqué. Les termes de l’accord sont très clairs : un statut de grande autonomie doit être concédé aux insurgés et, sur cette base, le gouvernement de Kiev pourra recouvrer le contrôle de la frontière entre l’Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l’accord). Or, le gouvernement de Kiev a indiqué son refus d’envisager une « fédéralisation » du pays, dans le cadre d’une refonte de la Constitution, qui devrait être réalisée d’ici à la fin de 2015. De même, le Ministre de la Justice de Kiev, M. Klimkin, s’est déclaré être opposé à une amnistie générale2 . Or, cette amnistie est bien l’une des conditions de l’accord (article 5).

Très clairement, à l’heure actuelle, le régime de Kiev n’a nullement l’intention d’appliquer les clauses politiques de l’accord. Or, on comprend bien que si ces clauses ne sont pas appliquées, la guerre reprendra inévitablement, sauf si l’on s’achemine vers une solution de type « ni paix, ni guerre », ce que l’on appelle un « conflit gelé ». Cependant, une telle solution de « conflit gelé » n’est envisageable que si des forces d’interposition prennent position entre les belligérants. On est donc ramené à la question d’un hypothétique contingent de « Casques Bleus » et de ce fait à la question de l’insertion des Etats-Unis dans le processus d’un accord. On mesure ici, à nouveau, les limites de l’option prise par Mme Merkel et M. François Hollande. A vouloir prétendre que les européens pouvaient trouver sur leurs seules forces une solution à ce conflit, ils se sont enfermés dans une situation sans issue. La position discursive adoptée qui consiste à faire retomber la « faute » de la non-application sur la Russie s’apparente à une ficelle désormais trop grossière. C’est pourtant la voie vers on s’achemine, avec le renforcement des sanctions prises par l’Union européenne3 . Et cela d’autant plus que l’on voit désormais s’ouvrir des failles importantes au sein même du gouvernement de Kiev, très probablement à l’instigation si ce n’est des Etats-Unis, de forces américaines.

Vers un coup d’Etat à Kiev ?

Il faut, à cet égard, regarder de très prés ce que fait le dirigeant de « Secteur Droit », Dmitro Yarosh, l’un des groupes les plus extrémistes (et souvent ouvertement pronazi) de l’espace politique du pouvoir de Kiev. Ce groupe a été directement mis en cause dans le massacre de la place Maïdan4 . Ce personnage a un passé politique chargé, ayant été une sorte d’attaché parlementaire de V. Nalivaïtchenko, un député dont les liens avec le gouvernement des Etats-Unis sont bien connus. Yarosh a été blessé dans les combats de Donetsk. Le groupe qu’il dirige, tout en étant très minoritaire, est très influent dans la Garde Nationale et fournit nombre des combattants des « bataillons punitifs » de cette dernières. C’est là qu’il s’est lié à un oligarque ukrainien I. Kolomoisky5 . Ce dernier s’est constitué un véritable petit royaume privé à partir de Dniepropetrovsk, et surtout Odessa, d’où il finance plusieurs de ces « bataillons punitifs ». Les liens de Kolomoisky avec les Etats-Unis sont nombreux et importants.

Or, dès jeudi 12 au soir, Yarosh annonçait que son mouvement ne reconnaissait pas les accords de Minsk et qu’il comptait établir un « Quartier Général » parallèle à celui existant sous les ordres du Général Muzhenko. Ce dernier s’est attiré l’inimitié de Kolomoisky, qui cherche à le faire remplacer par l’un de ses hommes liges. L’important ici est que Kolomoisky ne s’est pas contenté de financer des bataillons punitifs de la Garde Nationale. Il a aussi recruté entre 400 et 900 mercenaires6 , par le biais des sociétés américaines de contractants militaires. Cela indique que, outre ses liens avec les Etats-Unis, Kolomoisky est désireux de se construire une puissance militaire, peut-être pas sur l’ensemble de l’Ukraine, mais certainement à l’échelle du Sud du pays. Cela implique, de son point de vue, que la guerre continue afin qu’il puisse lui continuer à se renforces.

Mais il y a un autre aspect de la question. Aujourd’hui le gouvernement de Kiev est politiquement divisé (Petro Poroshenko apparaissant à cet égard comme un relatif « modéré ») et surtout techniquement de plus en plus dépendant des Etats-Unis. Des « conseillers » américains occupent plusieurs étages dans les différents ministères. Compte tenu de l’histoire des liens entre Yarosh et les Etats-Unis, on ne peut exclure qu’il puisse représenter une menace de coup d’Etat, si d’aventure le gouvernement actuel devait s’opposer aux intérêts américains.

Ceci montre que les Etats-Unis, qu’ils livrent ou non des armes « létales » à l’Ukraine, sont d’ores et déjà partie prenante de conflit, et d ‘une certaine manière ont acquis une position déterminante dans le gouvernement de Kiev. Ceci expose clairement les illusions de Mme Merkel et de M. Hollande mais nous montre aussi que tant que les Etats-Unis n’auront pas donné leur assentiment explicite à un accord, ce dernier n’a aucune chance d’être respecté. Mais, peut-être peuvent-ils y être contraints.

La question économique

On le sait, l’Ukraine est virtuellement en faillite. Certes, le Fond Monétaire International a évoqué la possibilité d’un prêt de 17 milliards de dollars. Mais, cette somme, si elle est versée et ceci dépend de la réalité du cessez-le-feu, ne règlera rien. Au mieux, si elle est versée, elle assurera la stabilité financière de l’Ukraine jusqu’à la fin de l’année, pas plus. Cet argent ne remplacera pas une économie saine, et des relations commerciales importantes tant avec la Russie qu’avec l’Union européenne. Le futur de l’Ukraine dépend donc d’un accord entre russes et européens. Plus directement, la survie immédiate du pays dépend largement de l’aide consentie par l’Union européenne.

Ceci permettrait à l’Allemagne et à la France, si elles osaient parler clair et fort à Washington, de contraindre les Etats-Unis à s’engager de manière décisive dans le processus de paix. Sinon, l’ensemble du coût de l’Ukraine reposerait sur les Etats-Unis, et il est clair qu’en ce cas le Congrès se refuserait à financer de telles dépenses, qui pourraient d’ici les 5 prochaines années atteindre les 90-120 milliards de dollars.

La question économique est, peut-être, ce qui pourrait permettre d’aboutir à une application réaliste des accords de Minsk, à deux conditions cependant : que l’Allemagne et la France imposent leurs conditions à Washington et que ces deux pays sortent du jeu stérile et imbécile qui consiste à faire retomber, encore et toujours, la faute sur la Russie alors que l’on voit bien que les fauteurs de guerre sont ailleurs.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, 16/02/2015

  1. Voir ici la déclaration finale des 4 dirigeants : http://interfax.com/newsinf.asp?pg=3&id=571367 
  2. http://www.vesti.ru/doc.html?id=2351431 
  3. http://top.rbc.ru/politics/13/02/2015/54dd2aec9a79475c523efc2e 
  4. Katchanovski I., « The Separatist Conflict in Donbas: A Violent Break-Up of Ukraine? », School of Political Studies, Universitté d’Ottawa, texte préparé pour l’international conference “Negotiating Borders: Comparing the Experience of Canada, Europe, and Ukraine,” Canadian Institute of Ukrainian Studies, Edmonton, October 16–17, 2014
  5. Rosier R., « L’oligarque genevois qui défie Poutine », la Tribune de Genève, 30/05/2014,
  6.  https://www.youtube.com/watch?v=TBAQJ_b6j8w 

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-peut-on-sauver-laccord-de-minsk-par-jacques-sapir/


De Paris à Sydney, le terrorisme est l’héritage des bévues coloniales, par Stephen Kinzer

Monday 16 February 2015 at 01:44

Par Stephen Kinzer, article initialement paru en anglais sur le site du Boston Globe.

Stephen Kinzer est un journaliste américain qui a été en poste dans diverses régions du monde, notamment en Amérique centrale (Honduras) et en Turquie : il a dirigé de 1996 à 2001 le bureau du New York Times à Istanbul.

18 Janvier 2015


« Bien des problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui », déclarait le ministre des affaires étrangères britannique Jack Straw une décennie plus tôt, « sont une conséquence de notre passé colonial ». Euphémisme diplomatique typique. Les guerres au moyen-orient, et leurs récentes retombées à Sydney, Ottawa et Paris, sont l’héritage de bévues coloniales inconsidérées. Elles nous enseignent que bien que le déploiement extérieur de forces puisse permettre de contrôler des terres lointaines pour un certain temps, la finalité s’avère souvent tragique.

En 1921 la diplomate et espionne britannique Gertrude Bell a écrit qu’elle était « horriblement occupée à faire des rois et des gouvernements ». Cela semblait assez romantique. Bell parlait arabe, charmait les scheiks, et pouvait monter à dos de chameau pendant des heures. Nicole Kidman l’incarne dans la super-production prévue pour plus tard dans l’année.

Bell a été une architecte-clé du monde de Sykes-Picot, du Moyen-Orient de la majorité du 20ème siècle. Aux côtés de diplomates comme Mark Sykes et François Georges-Picot – qui dessinèrent arbitrairement les lignes qui définirent les nouveaux pays arabes d’après la première guerre mondiale – d’aventuriers comme T.E. Lawrence, et d’une poignée d’hommes d’état à Londres et à Paris, elle a créé l’ordre qui s’effondre actuellement dans une violence inconcevable. Si un film sur Bell avait été tourné une génération plus tôt, il aurait peut-être été possible de lui donner une fin heureuse. Aujourd’hui, ses camarades colonialistes et elle-même semblent avoir créé une bombe à retardement dont l’explosion secoue actuellement les nations. L’effondrement de l’ordre Sykes-Picot, c’est la grande histoire géopolitique de notre temps.

Mark Sykes - François Picot

Mark Sykes – François Picot

C’est une erreur de considérer séparément – individuellement – les divers conflits politiques et militaires qui font actuellement trembler le Moyen-Orient. Ils font tous partie d’une lutte globale visant à redéfinir la carte de la région. Cette carte sera bien différente de celle que Bell et ses camarades impérialistes nous avaient léguée.

Certains pays du Moyen-Orient sont condamnés. Ils sont des accidents malheureux de l’histoire. Lamentablement, leur effondrement nécessitera des années, et d’immenses coûts en souffrance humaines.

La Syrie, qui fut créée comme protectorat Français, n’existe plus qu’en tant que nom. L’Irak, initialement dominé par l’Angleterre est probablement le prochain sur la liste. La façon dont furent créés ces pays – par des étrangers qui ne s’intéressaient qu’à leurs propres intérêts – garantissait à peu près leur effondrement.

Ailleurs dans le quartier, le Yémen est dans la tourmente. Le Bahreïn n’est discret que parce que son gouvernement sunnite a temporairement réussi à supprimer la majorité chiite. Même le sultanat d’Oman, dans sa longue stabilité, risque de connaitre des troubles une fois que son sultan souffrant ne sera plus.

Le Liban et la Jordanie, deux petits pays qui ont émergé des spasmes impériaux des années 1920, peuvent survivre aux années de guerre à venir, mais c’est loin d’être garanti. Dans la ceinture externe de la région, le futur à long terme de la Libye est lugubre, et les perspectives du Pakistan sont hautement incertaines.

Le candidat à l’effondrement le plus fascinant est l’Arabie Saoudite. Pendant plus d’un demi-siècle les leaders Saoudiens ont manipulé les États-Unis en nourrissant notre addiction au pétrole, prodiguant de l’argent aux politiciens, aidant aux financements des guerres américaines, et achetant à hauteur de milliards de dollars en armement aux compagnies états-uniennes. Aujourd’hui le sol commence à se dérober sous leurs pieds.

Gertrude Bell - espionne britannique

Gertrude Bell – espionne britannique

Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a près de 90 ans et est malade.  L’un de ses demi-frères va probablement lui succéder [NB. C'est fait...], mais cela marquera la fin de la lignée des fils du dirigeant fondateur, Ibn Saud. Après cela, une bataille de pouvoir au sein de la famille royale est probable. Personne ne peut prévoir ni son intensité ni son degré de violence, mais la perspective d’une crise arrive à un moment particulièrement mauvais. La région est en flammes et le prix du pétrole s’effondre. Il serait stupide de penser que l’Arabie Saoudite aura encore la forme qu’elle a actuellement d’ici la prochaine génération.

Dans une région pleine de faux-pays inventés, une puissance musulmane est sûre de survivre : l’Iran. L’opposé d’un faux pays. L’Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ont moins d’un siècle. L’Iran existe – avec quasiment les mêmes frontières et plus ou moins le même langage – depuis 2500 ans. Les colonialistes n’ont jamais réussi à le diviser et il siège aujourd’hui comme un ilot de stabilité dans une région d’activité volcanique instable.

L’arrogance des colonialistes du Moyen-Orient est facilement observable du point de vue de l’histoire. Lawrence a admis avant sa mort qu’ils avaient commis des « erreurs évidentes ». Gertrude Bell a écrit, « je ne participerai plus jamais à la création de rois ; c’est bien trop de pression ». Aucun des deux n’aurait pu prévoir l’horreur qu’entraineraient leurs décisions. Le chaos actuel est le résultat de leur ingérence ignorante. Une leçon pour les étrangers qui tentent aujourd’hui de façonner le Moyen-Orient.

Stephen Kinzer

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Paris est un avertissement : il n’y a pas de cloison étanche entre nous et nos guerres. (The Guardian), par Seumas MILNE

Les attaques en France sont le contrecoup des interventions dans le monde arabe et musulman. Ce qui arrive là-bas, arrive aussi ici.

La réponse officielle de l’Occident à chaque attaque terroriste d’inspiration djihadiste, depuis 2001, a été de jeter de l’huile sur le feu. Ça a été le cas après le 11 septembre, quand George Bush a lancé sa guerre contre le terrorisme, dévastant des pays entiers et répandant la terreur dans le monde. Ça a été le cas en 2005, après les bombes de Londres, quand Tony Blair a réduit les libertés publiques et envoyé des milliers de soldats anglais en mission impossible en Afghanistan. Et ça a été le cas, la semaine dernière, après les horribles massacres à Charlie Hebdo et dans un supermarché juif de Paris.

En écho à la rhétorique de Bush, la réaction de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, aux attaques contre “nos libertés” a été de déclarer une “guerre des civilisations”. Au lieu d’être simplement là avec les victimes – et, aussi, par exemple, avec le grand nombre de victimes de Boko Haram au Nigéria – on a élevé le magazine satirique, et sa manière de représenter le prophète Mouhammad, au rang de symbole sacré de la liberté occidentale. La sortie, mercredi, d’une édition de Charlie Hebdo sponsorisée par l’état est devenu le dernier test en date du “qui n’est pas avec nous est contre nous” dans l’engagement à “nos valeurs”, tout cela pendant que les députés français votaient, par 488 votes pour et un seul contre, la poursuite de la campagne militaire en Irak. Si l’on en juge par le bilan des 13 dernières années, cela se révélera être une décision dangereuse, et pas seulement pour la France.

Absolument rien ne justifie l’assaut meurtrier des journalistes de Charlie Hebdo, et encore moins celui des victimes juives sélectionnées sur le seul critère de leur identité religieuse et ethnique. Ce qui est devenu terriblement évident la semaine dernière, en revanche, c’est le fossé qui sépare la manière dont est perçue la position officielle de l’état français en matière de politique intérieure dans le pays et à l’étranger ainsi que par de nombreux citoyens musulmans du pays. Cela est vrai de l’Angleterre aussi bien sûr. Mais ce qui est salué par la France blanche comme une laïcité dénuée de tout préjugé racial, garantissant l’égalité à tous, est vécu par de nombreux Musulmans comme de la discrimination et comme un déni de leurs liberté fondamentales.

Dans un pays où les femmes sont embarquées dans des cars de police à cause de la manière dont elles s’habillent, la liberté d’expression peut aussi donner l’impression d’être à sens unique. Charlie Hebdo prétend pratiquer “l’offense égalitaire”, en insultant toutes les religions. Mais la réalité, comme un de ses anciens journalistes l’a souligné, était que le journal souffrait d’une “névrose islamophobe” et que son fonds de commerce était l’attaque raciste de la minorité la plus marginalisée de la population. Il ne s’agissait pas simplement de “représentations” du prophète, mais d’humiliations pornographiques à répétition.

Malgré tous les beaux discours sur le fait que la liberté d’expression est un droit non négociable en France, la négation de l’Holocauste y est illégale et les spectacles du comédien noir antisémite Dieudonné y ont été interdits. Mais c’est avec le même aveuglement dont les milieux progressistes français ont fait preuve en ne se rendant pas compte que l’idéologie laïque, qui servait autrefois à lutter contre le pouvoir des puissants, servait aujourd’hui à contrôler le segment le plus faible de la population, que le droit de cibler une religion et de l’insulter à qui mieux mieux a été élevé au statut de valeur libérale fondamentale.

Tout le monde a pu constater l’absurdité de la situation à la manifestation “Je suis Charlie”, à Paris, dimanche. Une marche supposée défendre la liberté d’expression était menée par des rangs serrés de va-t-en guerre et d’autocrates : des leaders de l’OTAN et de celui d’Israël, Binyamin Netanyahou, au roi Abdullah de Jordanie et au ministre des Affaires Etrangères égyptien qui, tous autant qu’ils sont, ont harcelé, jeté en prison et assassiné des pléthores de journalistes tout en commettant des massacres et en lançant des interventions armées qui ont fait des centaines de milliers de morts, bombardant, en chemin, les stations de TV de la Serbie jusqu’à l’Afghanistan.

La scène était d’un ridicule achevé. Mais elle mettait aussi en lumière le rôle central de la guerre contre le terrorisme dans les atrocités commises à Paris, et la manière dont les rangs serrés de meneurs de la manif, sont en train de la récupérer pour faire avancer leur agenda personnel. Bien sûr, le cocktail de causes et de motivations qui a présidé aux attaques est complexe : il va de l’héritage de la sauvage brutalité coloniale en Algérie, à l’idéologie takfiri djihadiste, en passant par la pauvreté, le racisme, la criminalité.

Mais ces attaques n’auraient certainement pas eu lieu si les puissances occidentales, dont la France, n’avaient pas attaqué le monde arabe et musulman pour le mettre au pas et le réoccuper. Cette guerre contre le terrorisme dure depuis 13 ans – même s’il y a eu des tentatives bien antérieures de contrôler la région – et sème massivement la destruction et la terreur.

C’est ce que les meurtriers disent eux-mêmes. Les frères Kouachi se sont radicalisés à la guerre d’Irak et ont été entraînés au Yémen par al-Qaida. Cherif Kouachi a dit clairement que les attaques avaient pour but de venger les “enfants des Musulmans en Irak, Afghanistan et Syrie”. Ahmed Coulibaly a dit qu’elles étaient une réponse aux attaques de la France contre Isis tout en affirmant que le massacre du supermarché avait pour objet de venger les morts de Musulmans de Palestine.

Ces assassinats gratuits sont bien sûr tout à fait contre-productifs et nuisent aux causes qu’ils sont censés promouvoir – et le fait que les victimes soient choisies en fonction d’un cadre religieux réactionnaire, donne à penser que ces assassinats sont une sorte de produit mutant des guerres culturelles européennes. Mais ces attaques n’existaient pas avant 2001. Les bombes de 1995 à Paris qui semblent me contredire, étaient en fait une retombée directe de la guerre civile en Algérie et du rôle qu’y jouait la France. Par contre, la guerre de l’Union Soviétique en Afghanistan, il y a 30 ans, a favorisé le développement d’une forme de fondamentalisme violent qui revient en boomerang frapper le cœur de l’occident.

La France est célèbre pour avoir refusé de prendre part à l’agression étasuno-anglaise contre l’Irak. Mais depuis elle a rattrapé le temps perdu en envoyant des troupes en Afghanistan, en intervenant dans un pays africain après l’autre : de la Libye et du Mali à la Côte d’Ivoire et à la République centrafricaine, en bombardant l’Irak et en soutenant les rebelles syriens. Comme l’Angleterre, la France a armé les autocrates du Golfe et basé des troupes chez eux, et dernièrement, le président français a déclaré qu’il était le “partenaire” du dictateur égyptien Sissi et qu’il était “prêt ” à bombarder à nouveau la Syrie.

L’ancien premier ministre français, Dominique de Villepin, chef de file du camp opposé à la guerre en Irak, a dit, cette semaine, qu’Isis était “l’enfant monstrueux” de la politique occidentale. Les guerres occidentales dans le monde musulman “nourrissent toujours de nouvelles guerres” et “elles nourrissent le terrorisme chez nous”, a-t-il écrit, pendant que “nous simplifions” ces conflits “en ne regardant que le symptôme islamiste ”.

Il a raison – mais il ne fait pas partie des leaders qui ont mené la marche en rangs serrés et qui vont utiliser ces attaques pour justifier d’autres interventions militaires. Etant donné les événements de la dernière décennie, les Européens ont de la chance d’avoir eu si peu d’attentats terroristes. Mais le prix à payer est la perte des libertés, la montée de l’antisémitisme et l’islamophobie rampante. Plus nous laissons cette guerre s’éterniser, plus la menace s’alourdit. Dans un monde globalisé, il n’y a pas moyen de s’isoler. Ce qui arrive là-bas, finit par arriver ici aussi.

Seumas Milne

Traduction : Dominique Muselet

»» http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jan/15/paris-warning-no-…

Source: http://www.les-crises.fr/le-terrorisme-est-l-heritage-des-bevues-coloniales/


Ces morts que nous n’allons pas pleurer, par Mathias Delori

Monday 16 February 2015 at 01:37

Une sensation circule depuis l’attentat perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo : nous sommes en train de vivre un « 11 septembre français ». Si on laisse de côté la question du volume (environ trois mille morts d’un côté, une douzaine de l’autre), le parallélisme entre les deux événements saute en effet aux yeux. Dans les deux cas, les attentats ont été perpétrés par des personnes se réclamant de l’Islam. Ils ciblent par ailleurs des personnes civiles et des symboles de la modernité occidentale (la presse ici, le capitalisme là-bas). Enfin, ils mettent en œuvre une stratégie « terroriste » au sens où il s’agit de provoquer une émotion de peur dans le pays touché. Cette idée selon laquelle nous aurions affaire à un « 11 septembre français » a donc fleuri dans les rédactions. Elle conduit les commentateurs à s’interroger sur les leçons à tirer du 11 septembre américain et, plus généralement, à l’attitude à adopter face à cette « menace ».

A ce propos, deux interprétations semblent structurer le débat public. La première, outrancièrement raciste, affirme que l’Islam a déclaré la guerre à l’Occident et que ce dernier est en droit de se défendre. E. Zemmour, M. Houellebecq et d’autres islamophobes vont certainement s’engouffrer dans la brèche dans les prochains jours. Le corollaire de cette vision du monde est la peur ou la haine de l’Islam, peur et haine que les personnes susmentionnées ne récusent pas. La seconde interprétation invite au contraire à ne pas faire d’amalgame entre Islam et terrorisme et à ne faire la guerre qu’à ce dernier. Cette deuxième approche, dominante dans les discours officiels et les éditoriaux de la presse « mainstream », est plus nuancée que la première dans la mesure où elle dénonce la grossièreté de l’opération consistant à assimiler un milliards d’individus aux actes d’une poignée. Elle se présente par ailleurs comme « humaniste » au sens où elle condamne les idéologies haineuses et invite à se recueillir, pacifiquement, en solidarité avec les victimes des attentats.

Bien que différentes en première analyse, ces deux interprétations présentent au moins un point commun : leur dimension très émotionnelle. En effet, elles ne se fondent pas seulement sur des raisonnements articulés mais également sur une constellation (différente) de sentiments et d’affects. D’un côté, les islamophobes grossiers sont animés par des émotions négatives : peur et haine de l’autre, instincts revanchards, etc. D’un autre côté, les « humanistes » semblent traversés, d’abord et avant tout, par des émotions positives : compassion et sympathie avec les victimes, attachement affectif à des « grandeurs » positives (la liberté de la presse, la démocratie libérale, la république, etc.). La dimension émotionnelle de ces deux cadres d’interprétation se donne à voir dans l’espace public quand un groupe de personne brûle passionnellement un Coran et quand d’autres convergent les yeux rougis vers les places de la république pour un moment de recueillement. Ces deux types de scènes ont marqué l’imaginaire américain après le 11 septembre. Internet et les médias français nous passent en boucle leur équivalent français depuis le drame du 7 janvier.

Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature pour bien mesurer leurs effets. Or quelle leçon pouvons-nous tirer de cette observation très générale sur le caractère socialement construit des émotions et de ce qu’on pourrait appeler le « précédent américain » ?

La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Elle a relevé que ces réactions se sont articulées selon les deux dimensions évoquées plus haut : la dimension négative génératrice de haine, de peur et de désir de revanche et la dimension positive invitant à la compassion et à l’indignation morale face à l’horreur. J. Butler s’est principalement intéressée à la seconde car elle n’a pas, en apparence, le caractère belligène et grossier de la première. Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir au sens de leurs gestes politiques.

La première observation de J. Butler porte sur le caractère extraordinairement sélectif de ces sentiments de compassion. Elle relève que le discours humaniste a organisé la commémoration des 2 992 victimes des attentats du 11 Septembre sans trouver de mots ni d’affect pour les victimes, incomparablement plus nombreuses, de la guerre américaine contre le terrorisme. Sans nier avoir elle-même participé « spontanément » à ces scènes de commémoration, J. Butler pose la question suivante : « Comment se fait-il qu’on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n’aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir? ».

Cette question rhétorique lui permet de pointer du doigt le fait que des mécanismes de pouvoir puissants se camouflent derrière ces scènes apparemment anodines et (littéralement) sympathiques de compassion avec les victimes de la violence terroriste. Ces mécanismes de pouvoir se donnent à voir dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du discours moderne et humaniste. Alors que ce discours accorde a priori une valeur égale à toutes les vies, il organise en réalité la hiérarchisation des souffrances et l’indifférence de fait (ou l’indignation purement passagère) par rapport à certaines morts : les morts de la « forteresse Européenne » (19 144 depuis 1988 d’après l’ONG Fortress Europe) et les enfants de Gaza – pour prendre deux exemples étudiés par Butler – ou encore les 37 personnes tuées dans un attentat au Yemen le jour même du drame de Charlie Hebdo, pour prendre un exemple plus récent.

Le corolaire pratique de cette observation est que ces cérémonies de commémoration ne sont pas triviales. Derrière leur paravent de neutralité positive, elles sont des actes symboliques performatifs. Ces cérémonies nous enseignent quelles vies il convient de pleurer mais aussi et surtout quelles vies demeureront exclues de cette économie moderne et humaniste de la compassion.

Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un éclairage  sur la réaction officielle et dominante – c’est-à-dire « humaniste » et « compatissante » – au drame de la rédaction de Charlie Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir leur deuil. Mais ces familles (et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont noué des liens d’attachement à ces victimes) ne préféreront ils pas faire ce travail dans l’intimité ? On nous dit ensuite que ces discours et ces gestes sont une manière de réitérer le principe de la liberté d’expression. Mais qui pense réellement que ce droit fondamental soit aujourd’hui menacé en France, notamment quand celui-ci consiste à caricaturer la population musulmane, laquelle est – et restera vraisemblablement dans les moments à venir – fréquemment moquée, caricaturée et stigmatisée ?

Le travail de J. Butler nous enseigne que ces discours et ces gestes produisent plus certainement des effets belligènes. En effet, on aurait tort de penser que les guerres et la violence ne prennent racine que dans les émotions négatives. Contrairement à une idée fort répandue, la haine du boche et du « Franzmann » n’a pas été le premier moteur de la Première guerre mondiale. Cette guerre a d’abord pris racine dans les sentiments les plus positifs qui soient : la compassion pour les victimes nationales des guerres passées, l’attachement à la communauté nationale ou encore l’amour de grandeurs aussi universalistes que la « civilisation » en France et la « Kultur » en Allemagne.

On a le droit de penser que la guerre contre le terrorisme islamiste est une guerre légitime. Mais il importe d’être conscient d’une réalité statistique. En trente ans, le terrorisme islamiste a fait environ 3500 victimes occidentales, soit, en moyenne, un peu moins de 120 chaque année. Ces 120 morts annuels sont 120 catastrophes personnelles et familiales qui méritent reconnaissance. Ce nombre est toutefois bien inférieur à au moins deux autres : 9 855 (le nombre de morts par arme à feux aux États-Unis en 2012) et 148 (le nombre de femmes tuées par leur conjoint en France en 2012). Cette nécro-économie (E. Weizman) est certainement trop froide. Elle nous enseigne cependant que nos attitudes politiques sont embuées par notre sensibilité différenciée par rapport à la violence. En effet, personne n’aurait l’idée d’envoyer des bombes de 250 kg sur les maisons des auteurs d’homicide aux États-Unis. De même, aucun chef de gouvernement ne penserait à décréter l’Etat d’exception après avoir pris connaissance du nombre de meurtre sexiste et intra-familial en France. Pourquoi cet unanimisme, dans la presse de ce matin, au sujet de la nécessité de ne pas baisser les pouces dans le cadre de la guerre (militaire et non métaphorique) au terrorisme islamiste ?

Cette économie sélective de la compassion produit un deuxième type d’effet en ce qui concerne la perception de la violence d’État occidental. Les discours communautaristes ou racistes ont ceci de particulier qu’ils mettent bruyamment en scène la violence qu’ils déploient. À l’inverse, le discours moderne et humaniste est aveugle par rapport à sa propre violence. Qui a une idée, même approximative, du nombre de morts générés par la guerre américaine en Afghanistan en 2001, par celle des États-Unis et du Royaume-Uni en Irak en 2003 ou encore par l’intervention de la France au Mali en 2013 ? L’une ou l’autre de ces guerres était peut-être légitime. Mais le fait que personne ne soit capable de donner une estimation du nombre de morts qu’elles ont généré doit nous interroger.

Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à venir, que nous n’allons pas pleurer.

Source : Mathias Delori, Chercheur CNRS au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux, pour Mediapart

Source: http://www.les-crises.fr/ces-morts-que-nous-n-allons-pas-pleurer/


[Entraide] Je cherche la 2e partie de la semaine de l’éco de vendredi sur France 24…

Sunday 15 February 2015 at 15:50

où je participais ce vendredi 13/02 à 15h15… (la 1ère partie est sur leur site)

Si quelqu’un l’a, me contacter svp

Merci !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/je-cherche-la-2e-partie-de-la-semaine-de-leco-de-vendredi-sur-france-24/