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[Propagande 1/2] Les médias chiens de garde à l’attaque de l’Argentine…

Thursday 28 May 2015 at 03:37

Nous allons ici décrypter l’affaire Nisman dont vous avez sans doute entendu parler – sans en connaitre le fin mot… (ce qui ne veut pas dire que cette série vise à dédouaner de toute critique la présidente argentine – je n’en sais rien. C’est la traitement médiatique qui est très intéressant…)

La narrative était simple : la très très méchante présidente argentine a fait maquiller en suicide le meurtre du gentil gentil juge qu’elle avait commandité, vu qu’il allait prouver à la face du monde sa malhonnêteté… (tiens, ça ne vous rappelle rien, en changeant juge par opposant ?)

Ce qu’on vous a montré :

LE MONDE

En Argentine la présidence Kirchner minée parl’affaire Nisman (C.Legrand)

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/02/05/en-argentine-la-presidence-kirchner-minee-par-l-affaire-nisman_4570528_3222.html?xtmc=kirchner_nisman&xtcr=20
« Deux semaines après la mort suspecte du procureur Alberto Nisman, et alors que l’enquête piétine, des milliers de personnes ont défilé dans Buenos Aires, mercredi 4 février, pour exiger « la fin de l’impunité … La sensation que l’impunité est de règle en Argentine a été alimentée, ces dernières années, par une série de tragédies sans coupables – l’incendie d’une discothèque en 2004 ou l’accident d’un train en 2012 –
et par des scandales de corruption éclaboussant le pouvoir et qui n’ont jamais été sanctionnés…
Argentine : le crépuscule des années Kirchner (P. Paranagua)
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/02/20/argentine-le-crepuscule-des-annees-kirchner_4580641_3222.html?xtmc=kirchner_nisman&xtcr=12
« La tragique affaire Nisman sonne le glas des années Kirchner. La mort subite et suspecte du procureur Alberto Nisman, le 18 janvier, alors qu’il s’apprêtait à engager des poursuites contre la présidente Cristina Kirchner, a précipité une ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques … Les Kirchner et leurs partisans ont du mal à accepter l’alternance, parce qu’ils craignent des poursuites judiciaires. L’enrichissement personnel vertigineux de la famille Kirchner suscite des soupçons : au minimum, il y a eu conflit d’intérêt, si ce n’est blanchiment d’argent provenant de la corruption. Le capital initial amassé pendant la dictature militaire, lorsque les Kirchner, avocats d’affaires, se sont repliés sur la province natale de Nestor, Santa Cruz, ne suffit pas à expliquer l’expansion de leur fortune ».
MARIANNE
Argentine : L’intrigante mort du procureur Nisman
http://www.marianne.net/argentine-intrigante-mort-procureur-nisman.html
«Qui a tué le procureur Nisman ? La question agite l’Argentine depuis bientôt deux semaines, date à laquelle Alberto Nisman, 51 ans, a été retrouvé mort, d’une balle dans la tête, dans la salle de bain de son luxueux appartement … Après dix ans d’enquête dans l’affaire de l’attentat de 1994 contre l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA), qui a fait 85 morts, le procureur s’apprêtait en effet à présenter devant le Parlement argentin ses conclusions. Très embarrassantes pour quelques-uns des plus hauts dignitaires du pays, parmi lesquels la présidente Cristina Kirchner accusée publiquement par Nisman, le 14 janvier dernier, d’avoir protégé les officiels iraniens inculpés dans l’attentat, en échange du renforcement des liens commerciaux entre l’Iran et l’Argentine ». 
L’OBS
“Je suis Nisman. Un magistrat meurt mystérieusement. Et l’Argentine s’embrase.”
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150120.OBS0320/je-suis-nisman-un-magistrat-meurt-mysterieusement-et-l-argentine-s-embrase.html

« Il accusait la présidente Cristina Kirchner d’avoir couvert les suspects d’un attentat antisémite. L’enquête sur la mort du magistrat Nisman s’oriente vers un suicide, mais la société argentine demande la vérité et dénonce la corruption du gouvernement. »

Pas besoin d’aller plus loin …
 
THE GUARDIAN
Il suffit d’énumérer les titres de leurs articles, selon leur moteur de recherche :
« Family of Alberto Nisman say Argentinian prosecutor was murdered », “Argentina, Iran and the strange death of Alberto Nisman », “Alberto Nisman’s death highlights failures of Argentinian investigation», “Reporter flees Argentina after threats in case of dead prosecutor », “Spies, cover-ups and the mysterious deathof an Argentinian », “Argentina prosecutor laid to rest as protesters demand ‘Justice for »
THE NEW YORK TIMES. 
Même chose :
“Alberto Nisman, Argentine Prosecutor, Was Killed, His Ex-Wife Says »”The Mysterious Death of Alberto Nisman” –« Puzzling Death of a Prosecutor Grips Argentina» “Suspicion Is Cast on Aide in Death of Argentine Prosecutor « Draft of Arrest Request for Argentine President Found at Dead … » “March to Honor Dead Prosecutor Highlights Tensions” 
http://www.slate.com/blogs/the_slatest/2015/02/04/
« who_killed_argentinian_prosecutor_alberto_nisman ?
http://financial-times
« Democracy-in-argentina-dented-by-mysterious-murder”)
 https://foreignpolicy.com/2015/01/22/
Can-argentina-find-justice-without-alberto-nisman ?”
Délire sur Nisman le justicier infatigable.
“Nisman committed suicide. I don’t believe it. … Kirchner’s administration insisted that the charges “have no foundation,” but neither those charges nor the sudden, suspicious death of the prosecutor who brought them would be the first time the case was marred by political corruption and illegal activities at the highest levels”.
El PAIS
Ordre d’apparition selon leur moteur de recherche.
06/3 « L’ex épouse affirme que l’ex- procureur Nisman a été assassiné », 20/1 « Le légiste penche pour le suicide, mais n’exclut pas qu’il ait pu être provoqué », 21/4 « le procureur renonce à poursuivre la présidente », avec pour commentaire : on ne saura donc jamais qui a commis l’attentat, comme si cela avait un rapport !
19/1 Editorial non signé du journal : « La balle qui a tué Nisman se glisse dans les failles d’une démocratie faible contaminée par l’autoritarisme ».
20/1 « L’enquête alimente les doutes qui existent sur la mort de Nisman »
26/1 Editorial « L’argentine recule. La perception de l’impunité dans le tissu social genera un desespoir impuissant ».

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-1-2-les-medias-chiens-de-garde-a-lattaque-de-largentine/


[Propagande 2/2] Ce que vous n’avez pas appris dans les médias à propos de l’affaire Nisman

Thursday 28 May 2015 at 02:08

Merci à Bernard Guerrien qui m’a proposé et a réalisé ce dossier pour nous…

On se souvient de l’énorme campagne médiatique mondiale sur le « petit magistrat suicidé-assassiné », alors qu’il venait de demander l’inculpation de la présidente de la République, de son ministre des affaires étrangères et de quelques députés et hauts fonctionnaires pour « félonie » – sombres manœuvres visant à disculper des dirigeants iraniens de l’attentat contre la mutuelle juive (AMIA), en 1994, à Buenos Aires. Gros titres dans la presse mondiale. Une « manifestation immense », une « marée humaine » selon Le Monde, d’une population meurtrie et « indignée». 400.000 personnes « selon la police de Bs As » (Le Monde, 19/2/2015). Le Monde omet de signaler que la police dont il parle dépend du maire, de droite, de la capitale, très hostile au gouvernement. 50.000 personnes selon la police fédérale et, le plus crédible, 80.000 selon une étude de densité faite par un journal trotskyste d’opposition (de gauche). Tout cela dans « une ambiance de fin de règne » pour une présidente cernée par les affaires de corruption :

« La mort subite et suspecte du procureur Alberto Nisman, le 18 janvier, alors qu’il s’apprêtait à engager des poursuites contre la présidente Cristina Kirchner, a précipité une ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques » (Le Monde, 21/2/2015).

La thèse de l’assassinat était ainsi (implicitement) confortée : on ne manifeste pas pour un suicide ! Et cela bien que personne n’ignorait alors que les « accusations » de Nisman reposaient sur du sable. Faites en pleine trêve judiciaire d’été, subitement et théâtralement, elles n’avaient guère convaincu la juge de garde – Servini de Cubria, une personnalité très respectée – qui n’avait pas accédé à la demande de Nisman de rompre la trêve et d’inculper les « suspects ». Le juge chargé du dossier, Canicobal Corral, rentré précipitamment de vacances, l’a approuvée, estimant que Nisman n’ « apportait aucun élément nouveau », qu’il avançait « des propos de services d’espionnage sans aucune valeur judiciaire », l’accusant au passage d’avoir travaillé pendant deux ans, comme il le prétendait, sans en référer à aucun juge. . Pire, le chef d’Interpol entre 2000 et 2014 qui s’était occupé du dossier iranien, Ronald Noble, a pris publiquement position en affirmant :

« je peux dire, avec 100% de certitude, sans le moindre doute, que le ministre des affaires étrangères, Timerman et le gouvernement argentin ont toujours insisté, sans aucune ambiguïté, pour que les listes rouges d’Interpol demeurent en vigueur, sans jamais demander qu’elles soient suspendues ou retirées”.(The Telegraph, 19/01/2015)

Il a qualifié de “fausses” les allégations de Nisman. Tout cela avant son « assassinat », la veille du jour où les députés du parti au pouvoir, sûrs d’eux, avaient convoqué Nisman au Parlement pour qu’il apporte les nouvelles preuves qui justifiaient l’inculpation de la Présidente de la République – rien que ça ! On a appris par la suite que son mentor et principal informateur, l’ancien ‘chef des opérations’ des services secrets, Stiuso, un homme de l’ombre au passé trouble, l’avait lâché et ne répondait plus à ses innombrables appels, la veille de sa parution devant le Parlement. Dans ces conditions, la thèse du suicide d’un homme aux abois n’apparaissait pas comme invraisemblable. Même avant qu’on ait pris connaissance des éléments très gênants de sa vie privée, que lui n’ignorait pas évidemment.

Voilà pour les états d’âme du personnage. En ce qui concerne sa mort, la thèse du suicide semblait la plus plausible : salle de bains sans fenêtre, corps entravant la porte d’entrée (rendant difficile la sortie sans laisser aucune trace de son éventuel assassin), tir à bout portant, aucun signe de lutte ou de résistance, aucune ecchymose sur le corps, éclaboussures du sang sur la porte fermée (vous savez, la lumière bleue des séries policières…), etc. Seul élément de doute : il n’y avait pas de poudre sur la main de Nisman. Mais il semble que cela n’est pas obligatoire avec le tipe de pistolet utilisé. Les éléments recueillis depuis étayent encore plus la thèse du suicide. A supposer que ce n’est pas le cas, on doit se demander alors à qui profite le crime. Sûrement pas au gouvernement, qui savait qu’il lui serait automatiquement imputé par des média très hostiles, et que le dossier de Nisman était vide (ce qui a été confirmé par la suite : toutes les instances judiciaires convoquées par la suite ont qualifié, malgré la pression des média, ses accusations de non fondées). La popularité de Cristina a d’ailleurs nettement baissé suite à la mort de Nisman et

« 70% des argentins pensent que la mort du procureur ne sera jamais élucidée et que les responsables ne seront jamais punis » (Le Monde, 4 février),

le suicide n’étant même plus considéré comme une possibilité par la journaliste (et donc ses lecteurs).

Le Monde ne se distingue en rien de ses confrères du Pais et du Guardian, réputés sérieux comme lui. Il suffit de faire « Nisman Argentine » dans leurs moteurs de recherche pour constater que le thème dominant est l’ assassinat de Nisman, ou sa « mort suspecte », toujours en faisant le lien avec ses accusations envers la présidente. Inutile d’y chercher le nom de Ronald Noble, dont le démenti a mis Nisman en grande difficulté.

Campagne des media … et des fonds vautour

Les média, violemment hostiles au gouvernement, ont vu dans l’affaire Nisman l’occasion de porter lui porter le coup de grâce – ne pouvant plus compter sur les militaires, ils rêvent d’un « coup en douceur », genre Maïdan, la « marée humaine » (des beaux quartiers) forçant le départ de Cristina (la capitale lui étant très majoritairement hostile). Une immense campagne fut déclenchée, relayée obligeamment par la presse mondiale anti « populiste », NYT, El Pais, Le Monde, Libération, le Guardian

L’American Task Force Argentina, organe des fonds vautour voué à dénigrer systématiquement le gouvernement argentin – plusieurs millions de dollars dépensés jusqu’à présent – en a évidemment profité pour multiplier ses compagnes de désinformation. Il a crée un prix, le Alberto Nisman Award for Couragequi sera attribué par la Foundation for Defence of Democracies (FDD),dirigée par un ami intime de Nisman, Mark Dubowitz. Prix financé par le fonds spéculatif NML Elliott, du « célèbre » vautour en chef, Paul Singer, grand donateur du parti Républicain. On verra si ce prix survit à la suite des évènements … La page d’ouverture du site, albertonisman.org montre une photo de Nisman dissertant pour le FDD, ce qui est pour le moins troublant… Depuis, un ex dirigeant de la DAIA (organisme de la communauté juive argentine), Jorge Elbaum, a déclaré sous serment que, lorsqu’il était en exercice, Nisman avait offert de la part de Paul Singer de financer la campagne contre l’accord avec l’Iran (« memorandum ») que le parlement argentin avait approuvé et pour essayer de débloquer la situation en permettant aux juges argentins d’enquêter à Téhéran.

Puis, on en a de moins en moins parlé. En Argentine les media ont tenté pendant un certain temps d’exploiter à fond l’affaire – certains ont inventé une sombre histoire faisant intervenir des agents iraniens entraînés au Venezuela qui n’auraient pas pardonné à Nisman d’avoir découvert le pot aux roses… Mais cela n’a pas pris. Fini le « deuil national » pour Nisman, le « jour Nisman », le procureur martyr. Plus grand chose dans Le Monde, El Pais, The Guardian et autres, si ce n’est sur les tentatives de Cristina K pour « surmonter l’affaire », que les juges cherchent à enterrer. Il s’en est pourtant passé des choses depuis …

Comme cela a déjà été signalé, toutes les instances judiciaires, malgré les multiples appels faits par des procureurs ouvertement opposés au gouvernement et soumis à une énorme pression par les média, ont désavoué Nisman. Mais cela ne suffit pas pour les faire taire – ils peuvent toujours dire, ou laisser entendre, que les juges sont, soit corrompus, soit a la merci du pouvoir (en fait, dans leur grande majorité ils lui sont très hostiles et ne le cachent pas), soit … tout ce qu’on veut.

Ce qui a fait taire les media, ce sont les révélations faites notamment (et maladroitement ?) par la famille de Nisman, qui ont mis a mal l’image du petit juge intègre qui tient tête, au péril de sa vie, au pouvoir.

Ici commence la saga, qui pourtant devrait délecter les journalistes. Car la réalité dépasse parfois la fiction.

 

Cigarettes, whisky et ptites pépées

(Si vous vous demandez si c’est bien une…, oui oui, c’est bien une….)

Quelques jours après la mort de Nisman, ont a vu apparaître sur des sites internet des photos où Nisman est en joyeuse compagnie. Notamment des modèles – dont plusieurs sur une plage de Cancun (Mexique) où il est entouré de ces merveilleuses créatures. Interrogées, elles ont expliqué qu’elles avaient rencontré Nisman « par hasard » et que c’était un « ami », connu dans des salons de danse à Buenos Aires. On apprend que Nisman les fréquentait assidûment. Ainsi, tous les jeudis il recrutait des jeunes modèles pour qu’elles l’accompagnent au RoseBar, un endroit select où il était reçu comme un VIP, avec son salon particulier.

Il n’y a rien à redire, a priori : c’est sa vie privée. Sauf que, en tant que personnage public et dirigeant d’un organisme « sensible », c’était pour le moins imprudent, car il donnait ainsi prise à d’éventuels pressions et chantages.

Mais, surtout, on a vite su qu’aux dates où Nisman se prélassait sur les plages mexicaines, il était officiellement au travail. Et qu’il s’était fait payer pour des jours de vacances qu’il n’aurait pas pris, faute de temps (l’enquête a montré qu’en cinq ans, Nisman a passé un an et demi (411 jours) en voyages, la grande majorité n’ayant rien à voir avec son activité – sans jamais avoir officiellement demandé des jours de vacances ; au point que sa femme réclame l’équivalent de 10 mois de salaires lui soient payés, pour vacances non prises…). En outre, il est apparu que Nisman avait payé le voyage à au moins deux de ces modèles-secrétaires, en première classe. Une facture de 20.000 dollars, aux frais du contribuable. On changeait de registre – surtout quand ça venait d’un magistrat. Mais ce ne sont là que peccadilles, qu’on peut attribuer au surmenage. La suite est devenue bien plus gênante.

Rentrée en scène tonitruante de l’ex, qui soutient la thèse de l’assassinat

Nouvel épisode : l’ex femme de Nisman (Arroyo Salgado) entre en scène. Juge fédéral – poste relativement élevé dans la hiérarchie judiciaire –, elle connaît toutes les ficelles pour freiner ou accélérer les procédures. Elle se porte partie civile au nom de ses filles et parcourt les média en affirmant qu’il n’y avait aucun doute que Nisman a été assassiné – tout en traitant d’incapables la magistrate (Fein) responsable de l’enquête. Elle a tenté de la récuser, mais elle a été déboutée. Dénonçant le « parti pris » des légistes – pourtant dépendant de la Cour Suprême, plutôt hostile au gouvernement – et des autres enquêteurs, elle a proposé les siens, qui se sont empressés de contester leurs conclusions (préliminaires). Elle a bloqué l’expertise des ordinateurs personnels de Nisman, au nom du « respect de la vie privée ». C’est pourtant un élément essentiel de l’enquête, les légistes officiels datant la mort au dimanche matin, la partie civile au samedi soir (seule date où Nisman aurait pu être tué par Lagomarsino – voir plus loin). Or Nisman aurait lu la presse sur son ordinateur le dimanche, tôt le matin. Trois mois après la mort de Nisman, l’expertise n’est toujours pas terminée, l’ex continuant l’obstruction par tous les moyens (qu’elle connaît bien).

Tout cela est évidemment une aubaine pour les média, dont l’ex de Nisman est devenue la vedette – plus ça traîne, plus on entretient la thèse de l’assassinat et des “mains ensanglantées” de la présidente. Pourquoi une telle politique d’obstruction systématique de l’ex ? Difficile à dire. Il ne semble pas que ce soit par haine du gouvernement – il y a des limites. Préserver l’image de leur père pour ses deux filles ? Une histoire d’assurance vie – non valable s’il y a suicide ? On ne sait trop.

Quoi qu’il en soit, en plus de soutenir la thèse de l’assassinat, l’ex femme désigne un coupable. Un nouveau personnage trouble rentre sous les feux de la rampe, à son grand regret : Diego Lagomarsino,  un jeune informaticien, homme de main et de confiance de Nisman, avec lequel il faisait une partie de ses nombreuses virées à l’étranger, personnage aux tâches mal définies, auquel il versait un salaire étonnamment élevé (10 fois le smic). Selon lui, c’est Nisman qui lui avait demandé le pistolet avec lequel il s’est tué (après avoir fait la même requête à ses gardes du corps, qui avaient refusé, notamment parce que Nisman n’avait pas de permis de port d’arme). L’ex a publiquement accusé Lagomarsino d’avoir assassiné Nisman – il l’aurait tué le samedi soir, au moment où il dit lui avoir amené le pistolet, les caméras de l’immeuble l’ayant filmé alors. D’où l’importance du moment de la mort, le dimanche matin Lagomarsino ayant un alibi irréfutable.

Ce faisant, l’ex a déclenché une nouvelle affaire dans l’affaire, dont elle se serait probablement passée.

Le compte caché aux Etats Unis et les ñoquis

Pour quel motif Lagomarsino aurait-il tué celui qui le rémunérait si grassement ? Selon l’ex, c’est pour de l’argent : elle a expliqué que la sœur et la mère de Nisman lui avaient raconté que Nisman détenait un compte aux Etats Unis, chez Merrill Lynch (compte N°  5v3-50653) à New York, au nom de sa mère et sa soeur, mais aussi de Lagomarsino – Nisman n’en étant que son fondé de pouvoir. Il avait expliqué à Lagomarsino qu’ « étant donné son statut, il ne voulait pas que son nom figure parmi les détenteurs du compte ». Compte non déclaré, bien entendu. D’ailleurs, la feuille d’impôts de Nisman était particulièrement simple : il ne possédait rien, aucune épargne, en titres ou autres,même pas de voiture. Pourtant il utilisait  une grosse AUDI, dans le garage de son appartement, qui appartenait à une société dont un des propriétaires est quelqu’un de connu pour ses liens étroits avec l’ambassade US (si ce n’est la CIA)

Face à l’accusation d’être l’assassin, la langue de Lagomarsino s’est déliée – surtout, celle de son avocat. Il disait s’être tu jusqu’alors pour « respect pour le mort », mais il était maintenant obligé de parler pour se défendre. Il a expliqué qu’il ne savait pas grand chose de ce compte – il s’en était seulement servi pour payer des impôts pour des terrains que Nisman aurait en Uruguay et quelques dépenses pour des appartements nà Miami. Mais, surtout, il a révélé qu’il était convenu lorsque Nisman l’a embauché qu’il lui reverserait la moitié de son salaire chaque mois, de la main à la main. Il ne serait pas le seul à le faire : Nisman aurait passé un accord similaire avec un ami d’enfance, une « nutritionniste » et deux secrétaires (dont une modèle), tous embauchés par la « cellule de recherche » AMIA dont il était le chef – qui avait la particularité de n’avoir pas de compte à rendre à personne, vu le caractère spécial de sa mission. Cellule qui n’a pratiquement rien produit depuis des années – on  voyait d’ailleurs rarement ses membres dans les bureaux. Tous ont promptement démissionné à la mort de Nisman. En Argentine, on appelle « ñoquis » les personnes embauchées occasionnellement et pour des tâches particulières par des organismes d’Etat – un peu comme les attachés parlementaires en France – et qui, en fait, ne font rien ou pas grand chose.

C’est probablement sans s’en rendre compte que la juge Arroyo Salgado, ex femme de Nisman, a ainsi largement contribué à démolir l’image, déjà dégradée par l’affaire des modèles, du petit magistrat intègre s’attaquant au Léviathan populiste. En ce qui la concerne, les démêlés avec la justice de son compagnon actuel ont de quoi surprendre.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. La saga continue

La sœur et la maman

Mises en cause, la sœur et la mère de Nisman ont été convoquées pour s’expliquer à propos du compte aux USA. Elles ont alors dit qu’elles ne savaient rien, que Nisman leur avait fait signer des papiers en blanc, en leur donnant un numéro de téléphone où appeler à New York « au cas où il lui arriverait quelque chose ». Ce qu’elles ont fait, à peine le décès connu. Elles ne l’ont toutefois pas fait de chez elles ou de leur téléphone personnel. Trop simple … Elles ont appelé d’une boutique téléphonique (locutorio) dont elles avaient  ”oublié l’adresse”. Le correspondant de la banque US les a reconnues, mais il leur a dit que pour les renseigner, elles  devaient d’abord demander le mot de passe à Lagomarsino. C’est ainsi qu’elles auraient appris qu’il était aussi dans le coup. Elles se sont empressées de le signaler à l’ex femme, qui a alors fait l’erreur de le désigner comme l’assassin (elle devait probablement ignorer le truc du salaire reversé à Nisman).

Il n’y a pas que cela : la mère a dû reconnaître que Nisman possédait 4 coffres forts, dont deux dans deux succursales d’une banque de Buenos Aires, qu’elle s’est empressée de vider à peine connue la mort de son fils. Les employés de la banque pouvaient attester… Qu’y avait-il dans ces coffres ? Mystère. De toutes façons, elle peut dire n’importe quoi et avoir supprimé les documents compromettants. L’étude des comptes bancaires de Nisman ayant révélé, par la suite, qu’il versait régulièrement des charges (4000 euros par trimestre) pour trois terrains situés près de la station balnéaire chic de Punta del Este (Uruguay), il s’est avéré que ces terrains étaient au nom de sa mère. Celle-ci a reconnu s’être déplacée, à la demande de son fils, à Montevideo pour signer des papiers dont elle ignorait tout (finalité, personnes concernées, etc.). Elle ne se souvenait même plus du nom ni de l’adresse du notaire où cela s’était passé. Une mère dévouée corps et âme à son fils, qui ne voulait rien voir, rien entendre, rien savoir. Seulement signer, les yeux fermés, quand il le lui demandait…

La mère de Nisman aurait dû, en réalité, être inculpée pour recel et blanchiment d’argent, mais vu les circonstances, la magistrate chargée de l’affaire Nisman (Fein) s’est contentée de transmettre le dossier, notamment en ce qui concerne le blanchiment d’argent, à un autre magistrat, qui continue l’enquête auprès des banques et autorités d’Uruguay et des Etats Unis (pour le moment …). Reste encore un fait étrange au sujet des coffres de Nisman  : dans un coffre qu’il détenait à l’AMIA, on a découvert deux documents signés de sa main : l’un  explique que le gouvernement et Cristina Kirchner l’avaient soutenu toujours dans sa tâche, avec le sincère désir de connaître la vérité, et qu’il n’y avait donc rien à leur reprocher. Dans l’autre document, Nisman y décrit la « conspiration » visant à étouffer l’affaire, à disculper les iraniens pour obtenir du blé contre du pétrole (que les raffineries argentines ne peuvent traiter, car ayant trop de souffre ..),etc. C’est sur la base de ce deuxième document qu’il a fait sa tonitruante demande d’inculpation de la présidente en plein milieu des vacances (d’été). Pourquoi ce choix ? Mystère.

La mère de Nisman a aussi révélé qu’en fouillant dans les affaires que son fils avait déposées chez elle, il y avait deux pistolets, dont un du même modèle que celui qui est à l’origine de sa mort. Nisman n’avait pas de port d’arme. Pourquoi ces pistolets non déclarés ? Mystère.

Reste aussi à trouver la provenance de l’argent ayant permis à Nisman de mener un train de vie exorbitant – voyages incessants, entretien ou achat de propriétés, etc. Ses cartes bancaires révèlent des achats de 7000 euros par mois, en moyenne – certaines estimations avançant un chiffre proche de 30.000 euros mensuels, si on tient compte de ses divers placements. Bien loin de ses revenus – sans parler de sa déclaration d’impôts.Nisman était quand même unhomme de loi …. 

Reste aussi à mettre le grappin sur l’ « agent secret » Stiusso, collaborateur et informateur (et manipulateur) privilégié de Nisman – disparu et recherché par Interpol à la demande du gouvernement argentin.

Pendant ce temps, Cristina K – dont c’est le « crépuscule », dans une « ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques » (Le Monde),  est fortement remontée dans les sondages, s’approchant des 45% d’approbation (après 12 ans au pouvoir : qui dit mieux ?). Si elle pouvait se représenter pour un troisième mandat, il y a de bonnes chances qu’elle serait réélue dès le premier tour.

On attend avec impatience que la « presse internationale » raconte enfin la suite de la passionnante histoire du petit magistrat intègre qui a osé s’attaquer à l’ogre populiste. Va-t-on le donner en exemple à nos enfants ?

Les 3 juges mentionnés :
Servini de Cubria (“neutre”, très respectée, pour son impartialité). Juge “de garde” ayant refusé de rompre la trêve estivale
Canicobal Corral : chargé du dossier, seul habilité à inculper. Pas hostile au gouvernement.
Rafecas : chargé de reprendre le dossier après la mort de Nisman. Plutôt en mauvais termes avec le gouvernement (il a inculpé le vice président pour une affaire compliquée, basée sur des ragots – cas Ciccone).
De Luca : juge ayant tranché définitivement après appel de la décision de Rafecas. Pas hostile au gouvernement.
Il faut voir que les deux derniers ont été soumis à une immense pression des medias : difficile de dire que leur “héros” avait un dossier vide.

Traduction d’un article du quotidien argentin de gauche Pagina 12

Dimanche, 1er mars 2015

Comment les dementis a la soi-disant CONSPIRATION se sont accumulés

Ce qui a provoqué l’effondrement de l’accusation faite par Nisman

L’ex directeur d’Interpol affirmant que tout était faux, les preuves de Timmerman (ministre des affaires étrangères imputé), le silence des associations juives concernées (AMIA et DAIA), le refus par la juge de service Servini de Cubría de rompre la trêve d’été et celui du juge responsable du dossier Canicoba Corral d’entériner l’accusation, l’ex agent secret Stiusso qui ne lui répondait pas au téléphone.

Par Raúl Kollmann et Irina Hauser

Le juge fédéral Daniel Rafecas, chargé de trancher sur les accusations portées par le procureur Nisman, a décidé de ne pas y donner suite. Pour justifier sa décision, il passe en revue minutieusement les preuves soumises par Nisman et les réfute toutes, une à une. L’intervention très remarquée de l’ex dirigeant d’Interpol, l’américain Ronald Noble – qui a publiquement qualifié, notamment dans le Wall Street Journal,  l’accusation de fausse – a largement contribué à son effondrement. Cependant, une étude chronologique encore plus large que celle du juge, sur la base des éléments contenus dans le dossier, prouve que la succession de coups subis en quelques jours par Nisman fut particulièrement rude.

Le retour

Il ressort du dossier que Nisman a décidé en décembre 2014 qu’il reviendrait d’Espagne le 12 janvier 2015 (rapport d’Iberia et témoignage d’une de ses secrétaires). Ce qui a été mal ressenti par sa fille aînée, alors qu’il l’avait amené en voyage à travers l’Europe. Nisman avait maintenu secret son retour. Il n’avait ni prévenu son ex femme, Sandra Arroyo Salgado, qui l’a très mal pris, ni ses proches

Pourquoi est-il revenu ? Il y a actuellement deux réponses différentes à cette question. La première est que lui était parvenue la rumeur qu’on voulait lui enlever la direction de l’enquête sur l’attentat de l’AMIA. Ce qui l’aurait poussé à rendre publique l’accusation, empêchant ainsi que l’affaire lui soit retirée. En fait, bien que les familles des victimes demandaient depuis longtemps son renvoi, le procureur général venait d’effectuer des changements en décembre sans que sa position ne change.

La deuxième réponse est que Nisman pensait provoquer un énorme coup de théâtre politique en pleine période estivale, avec des tribunaux tournant au ralenti – les nouvelles sont alors plutôt rares. Cette précipitation expliquerait les faiblesses du dossier qu’il a présenté, notamment l’absence de la transcription des écoutes téléphoniques – un élément présenté comme essentiel par l’accusation. A cela s’ajoute un fait surprenant relaté dans la sentence du juge Rafecas : on a trouvé dans le coffre de Nisman a l’AMIA un autre rapport signé de sa main, daté en janvier 2015, qui soutient exactement exactement le contraire de ce qu’il av avance dans son dossier d’ accusation. Dans cet autre rapport il explique que le mémorandum signé par le gouvernement argentin avec celui d’Iran ne peut être qualifié de délit ; il peut même être considéré comme un pas en avant compréhensible, son objectif n’étant pas d’aider les iraniens, mais au contraire d’ « asseoir les accusés devant le juge et permettre ainsi de faire avancer la cause et d’aboutir à un procès ». Ce rapport bis a été remis au juge Rafecas par le secrétaire juridique de Nisman, le docteur S. Castro.

Nisman a donc pris un avion à Madrid le 12 janvier, en suscitant un conflit familial, pour présenter une accusation mal fagotée et s’appuyant sur des faits supposés sur lesquels il avait aussi une opinion opposée ..

L’accusation

Le juge Rafecas dresse une liste de ce qui est arrivé les jours ayant suivi la mise an accusation faite par Nisman le 14 janvier.

- le jeudi 15, le ministre des affaires étrangères H. Timerman a rendue publique la lettre qu’il a envoyée, peu après la signature du mémorandum avec l’Iran, au directeur d’alors d’Interpol, R. Noble. Il y affirme deux fois qu’il n’est pas question de changer quoi que ce soit dans les mandats d’arrêt et que n’importe quelle modification ne pouvait être le fait que du juge Rodolfo Canicoba Corral, chargé du dossier. Cela alors que Nisman affirmait que le gouvernement avait essayé de faire lever les mandats d’arrêt.

- Le même jeudi  le juge Rodolfo Canicoba Corral fait une déclaration lapidaire :

“ L’accusation du docteur Nisman n’a aucune valeur, ou presque, en ce qui concerne les preuves apportées ».

Il signale qu’elle est basée sur un travail effectué par les services de renseignement, sans aucune valeur sur le plan juridique. Il reproche en outre à Nisman d’avoir travaillé pendant deux ans sans en avoir référé à aucun juge – contre tous les usages.

- La juge María Romilda Servini de Cubría a refusé le même jour de lever la trêve judiciaire, comme le demandait par Nisman. Elle n’en voyait pas l’urgence et surtout elle ne voyait pas où étaient les preuves permettant de soutenir l’accusation.

- Les deux organisations de référence de la communauté juive, AMIA et DAIA, n’ont pas émis de communiqué soutenant l’accusation. « Nous attendons les preuves » ont dit les principales associations des victimes.

- Le jour suivant Nisman a essayé de modifier le tir en disant que le gouvernement ne pouvait pas changer les mandats d’arrêt, mais qu’il avait tenté d’en modifier le caractère, en demandant qu’ils ne relèvent plus de l’urgence (« alerte rouge »).

- Ce même vendredi la nouvelle version de Nisman a reçu un coup fatal quand Timerman a rendu public le mail de R.Noble où il détaillait tout ce qu’avait fait le ministre pour qu’on ne modifie en rien les mandats d’arrêt. Y compris deux visites faites par Timerman au siège d’ Interpol à Lyon, alors que Nisman prétendait qu’il y était allé pour négocier la mise en veilleuse de ces mandats d’arrêt – retrait de l’ « alerte rouge ». Noble l’a démenti de façon catégorique, en allant jusqu’à affirmer le contraire publiquement, par écrit, en précisant que Nisman est venu à Lyon pour lui dire que “le gouvernement argentin était engagé à cent pour cent pour le maintien des mandats d’arrêt sous leur forme actuelle”.

- Le même jour, Nisman a reçu un autre coup très dur, selon l’ex Directeur des Operations des Services de renseignement (Secretaría de Inteligencia), Antonio “Jaime” Stiusso. Un des membres de l’équipe de Nisman a affirmé qu’il attendait que Stiusso lui apporte plus d’éléments (écoutes téléphoniques) pour soutenir son accusation. Ce vendredi, l’ex directeur de des « analyses » des services, Alberto Massino, lui a dit qu’il n’avait rien de plus à lui fournir..

- Le samedi 17 il était clair que Nisman allait être en grande difficulté le lundi suivant, devant le parlement. Il avait pensé faire sa présentation avec la seule présence de l’opposition. Les choses auraient été simples : il ferait un exposé à huis clos et ensuite une conférence de presse où il serait entouré des figures de l’opposition, qui l’approuveraient. Mais le parti gouvernemental, le FPV, venait d’annoncer que non seulement il serait là, mais demandait que la session soit télévisée. La député (violemment) d’opposition Patricia Bullrich a témoigné devant la magistrate chargé de l’enquête (Fein) combien Nisman était inquiet devant la perspective d’avoir à répondre aux questions que lui poseraient les législateurs du FpV..

- Ce même samedi, Nisman a apppelé trois fois l’agent Stiusso, en lui laissant des messages, lui demandant de le rappeler. Stiusso prétend avoir mis en veille ses appareils, mais cela n’explique pas pourquoi il n’avait pas rappelé celui qui avait travaillé en tandem avec lui pendant 10 ans. Le juge responsable du dossier, Canicoba Corral, avait expliqué que “la logique veut toujours que le procureur dirige et l’espion est son auxiliaire. Dans leur cas, c’était le contraire. Stiusso était celui qui apparaissait être aux commandes”. En outre, lors de sa déclaration devant Fein, Stiusso a pris ostensiblement ses distances par rapport à Nisman: “Nous lui avons donné les écoutes téléphoniques mais nous ne savons pas comment il allait établir un lien entre elles et les membres inculpés  du gouvernement”. “S’il m’avait consulté en ce qui concerne l’accusation, je lui aurait conseillé d’agir autrement ”.

Vu cette succession de démentis et de désaveux, le panorama était très sombre pour Nisman le dimanche 18, la veille de sa prestation (télévisée) devant le parlement..

Pagina 12

Complément : On a appris cette semaine que les 13 experts médicaux “officiels” (relevant de la Cour suprême) viennent de rendre leur rapport qu’aucun élément permettait d’appuyer la thèse de l’assassinat – avancée par la partie civile (seuls les 2 experts nommés par elle ont refusé de signer le rapport).


Comment les démentis a la soi-disant CONSPIRATION se sont accumulés

Ce qui a provoqué l’effondrement de l’accusation faite par Nisman

L’ex directeur d’Interpol affirmant que tout était faux, les preuves de Timmerman (ministre des affaires étrangères imputé), le silence des associations juives concernées (AMIA et DAIA), le refus par la juge de service Servini de Cubría de rompre la trêve d’été et celui du juge responsable du dossier Canicoba Corral d’entériner l’accusation, l’ex agent secret Stiusso qui ne lui répondait pas au téléphone.

Par Raúl Kollmann et Irina Hauser

Le juge fédéral Daniel Rafecas, chargé de trancher sur les accusations portées par le procureur Nisman, a décidé de ne pas y donner suite. Pour justifier sa décision, il passe en revue minutieusement les preuves soumises par Nisman et les réfute toutes, une à une. L’intervention très remarquée de l’ex dirigeant d’Interpol, l’américain Ronald Noble – qui a publiquement qualifié, notamment dans le Wall Street Journal, l’accusation de fausse – a largement contribué à son effondrement. Cependant, une étude chronologique encore plus large que celle du juge, sur la base des éléments contenus dans le dossier, prouve que la succession de coups subis en quelques jours par Nisman fut particulièrement rude.

Le retour

Il ressort du dossier que Nisman a décidé en décembre 2014 qu’il reviendrait d’Espagne le 12 janvier 2015 (rapport d’Iberia et témoignage d’une de ses secrétaires). Ce qui a été mal ressenti par sa fille aînée, alors qu’il l’avait amené en voyage à travers l’Europe. Nisman avait maintenu secret son retour. Il n’avait ni prévenu son ex femme, Sandra Arroyo Salgado, qui l’a très mal pris, ni ses proches

Pourquoi est-il revenu ? Il y a actuellement deux réponses différentes à cette question. La première est que lui était parvenue la rumeur qu’on voulait lui enlever la direction de l’enquête sur l’attentat de l’AMIA. Ce qui l’aurait poussé à rendre publique l’accusation, empêchant ainsi que l’affaire lui soit retirée. En fait, bien que les familles des victimes demandaient depuis longtemps son renvoi, le procureur général venait d’effectuer des changements en décembre sans que sa position ne change.

La deuxième réponse est que Nisman pensait provoquer un énorme coup de théâtre politique en pleine période estivale, avec des tribunaux tournant au ralenti – les nouvelles sont alors plutôt rares. Cette précipitation expliquerait les faiblesses du dossier qu’il a présenté, notamment l’absence de la transcription des écoutes téléphoniques – un élément présenté comme essentiel par l’accusation. A cela s’ajoute un fait surprenant relaté dans la sentence du juge Rafecas : on a trouvé dans le coffre de Nisman a l’AMIA un autre rapport signé de sa main, daté en janvier 2015, qui soutient exactement exactement le contraire de ce qu’il av avance dans son dossier d’ accusation. Dans cet autre rapport il explique que le mémorandum signé par le gouvernement argentin avec celui d’Iran ne peut être qualifié de délit ; il peut même être considéré comme un pas en avant compréhensible, son objectif n’étant pas d’aider les iraniens, mais au contraire d’ « asseoir les accusés devant le juge et permettre ainsi de faire avancer la cause et d’aboutir à un procès ». Ce rapport bis a été remis au juge Rafecas par le secrétaire juridique de Nisman, le docteur S. Castro.

Nisman a donc pris un avion à Madrid le 12 janvier, en suscitant un conflit familial, pour présenter une accusation mal fagotée et s’appuyant sur des faits supposés sur lesquels il avait aussi une opinion opposée ..

L’accusation

Le juge Rafecas dresse une liste de ce qui est arrivé les jours ayant suivi la mise an accusation faite par Nisman le 14 janvier.

- le jeudi 15, le ministre des affaires étrangères H. Timerman a rendue publique la lettre qu’il a envoyée, peu après la signature du mémorandum avec l’Iran, au directeur d’alors d’Interpol, R. Noble. Il y affirme deux fois qu’il n’est pas question de changer quoi que ce soit dans les mandats d’arrêt et que n’importe quelle modification ne pouvait être le fait que du juge Rodolfo Canicoba Corral, chargé du dossier. Cela alors que Nisman affirmait que le gouvernement avait essayé de faire lever les mandats d’arrêt.

- Le même jeudi le juge Rodolfo Canicoba Corral fait une déclaration lapidaire :

L’accusation du docteur Nisman n’a aucune valeur, ou presque, en ce qui concerne les preuves apportées ».

Il signale qu’elle est basée sur un travail effectué par les services de renseignement, sans aucune valeur sur le plan juridique. Il reproche en outre à Nisman d’avoir travaillé pendant deux ans sans en avoir référé à aucun juge – contre tous les usages.

- La juge María Romilda Servini de Cubría a refusé le même jour de lever la trêve judiciaire, comme le demandait par Nisman. Elle n’en voyait pas l’urgence et surtout elle ne voyait pas où étaient les preuves permettant de soutenir l’accusation.

- Les deux organisations de référence de la communauté juive, AMIA et DAIA, n’ont pas émis de communiqué soutenant l’accusation. « Nous attendons les preuves » ont dit les principales associations des victimes.

- Le jour suivant Nisman a essayé de modifier le tir en disant que le gouvernement ne pouvait pas changer les mandats d’arrêt, mais qu’il avait tenté d’en modifier le caractère, en demandant qu’ils ne relèvent plus de l’urgence (« alerte rouge »).

- Ce même vendredi la nouvelle version de Nisman a reçu un coup fatal quand Timerman a rendu public le mail de R.Noble où il détaillait tout ce qu’avait fait le ministre pour qu’on ne modifie en rien les mandats d’arrêt. Y compris deux visites faites par Timerman au siège d’ Interpol à Lyon, alors que Nisman prétendait qu’il y était allé pour négocier la mise en veilleuse de ces mandats d’arrêt – retrait de l’ « alerte rouge ». Noble l’a démenti de façon catégorique, en allant jusqu’à affirmer le contraire publiquement, par écrit, en précisant que Nisman est venu à Lyon pour lui dire que “le gouvernement argentin était engagé à cent pour cent pour le maintien des mandats d’arrêt sous leur forme actuelle”.

- Le même jour, Nisman a reçu un autre coup très dur, selon l’ex Directeur des Operations des Services de renseignement (Secretaría de Inteligencia), Antonio “Jaime” Stiusso. Un des membres de l’équipe de Nisman a affirmé qu’il attendait que Stiusso lui apporte plus d’éléments (écoutes téléphoniques) pour soutenir son accusation. Ce vendredi, l’ex directeur de des « analyses » des services, Alberto Massino, lui a dit qu’il n’avait rien de plus à lui fournir..

- Le samedi 17 il était clair que Nisman allait être en grande difficulté le lundi suivant, devant le parlement. Il avait pensé faire sa présentation avec la seule présence de l’opposition. Les choses auraient été simples : il ferait un exposé à huis clos et ensuite une conférence de presse où il serait entouré des figures de l’opposition, qui l’approuveraient. Mais le parti gouvernemental, le FPV, venait d’annoncer que non seulement il serait là, mais demandait que la session soit télévisée. La député (violemment) d’opposition Patricia Bullrich a témoigné devant la magistrate chargé de l’enquête (Fein) combien Nisman était inquiet devant la perspective d’avoir à répondre aux questions que lui poseraient les législateurs du FpV..

- Ce même samedi, Nisman a apppelé trois fois l’agent Stiusso, en lui laissant des messages, lui demandant de le rappeler. Stiusso prétend avoir mis en veille ses appareils, mais cela n’explique pas pourquoi il n’avait pas rappelé celui qui avait travaillé en tandem avec lui pendant 10 ans. Le juge responsable du dossier, Canicoba Corral, avait expliqué que “la logique veut toujours que le procureur dirige et l’espion est son auxiliaire. Dans leur cas, c’était le contraire. Stiusso était celui qui apparaissait être aux commandes”. En outre, lors de sa déclaration devant Fein, Stiusso a pris ostensiblement ses distances par rapport à Nisman: “Nous lui avons donné les écoutes téléphoniques mais nous ne savons pas comment il allait établir un lien entre elles et les membres inculpés du gouvernement”. “S’il m’avait consulté en ce qui concerne l’accusation, je lui aurait conseillé d’agir autrement ”.

Vu cette succession de démentis et de désaveux, le panorama était très sombre pour Nisman le dimanche 18, la veille de sa prestation (télévisée) devant le parlement..

Pagina 12, 1er mars 2015

Source: http://www.les-crises.fr/laffaire-nisman-ce-que-vous-ne-trouverez-pas-dans-les-media/


Discours de la Présidente argentine à l’ONU : “Il y a aussi des terroristes économiques”

Thursday 28 May 2015 at 00:10

Après avoir lu la piètre tambouille des dirigeants occidentaux à l’ONU, je vous propose aujourd’hui celle de la présidente Argentine, dans ses 2 discours, le premier au Conseil de Sécurité (dont elle vient de prendre la présidence mensuelle) à propos de la résolution 2178 (début de Patriot Act mondial), le second dans le discours annuel à l’Assemblée Générale.

C’est un peu long, mais il est bon de voir ce qu’il y a dans la tête des grands pays non occidentaux…

Résolution 2178 de l’ONU – Discours de la Présidente Fernández De Kirchner

Le discours de la Présidente Fernández De Kirchner :

Conseil de sécurité – Mercredi 24 septembre 2014, à 15 heures

Je suis venue assister à cette séance du Conseil avec certaines certitudes et certaines questions, et bien entendu pour voter pour la résolution 2178 (2014) que nous venons d’adopter et aussi pour condamner le terrorisme, résolument et explicitement. Mon pays, la République argentine, et les États-Unis, sont les seuls pays des Amériques qui ont fait l’objet d’attaques terroristes sauvages. L’on a fait sauter l’ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992 et le siège de l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA) en 1994.

Depuis lors, je me pose beaucoup de questions parce que tout ce qui se passe actuellement – ce phénomène qui vient d’apparaître, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), qui était inconnu l’année dernière–, c’est comme ce qui s’est passé en Argentine depuis 1994. À l’époque, aussi bien dans mon pays que dans le reste du monde, l’on disait que le Hezbollah était responsable de l’attentat contre le siège de l’AMIA. Aujourd’hui, le Hezbollah est un parti politique au Liban. Par la suite, en 2006, la justice de mon pays, suite à la création d’une entité spéciale au sein du ministère public sur l’initiative du Président Kirchner, a mené une enquête exhaustive sur l’attentat qui s’était produit en 1994–cette année, cela fait 20 ans que s’est produit cet attentat et les coupables n’ont toujours pas été jugés.

À la suite des enquêtes menées par le Procureur, le juge de première instance a décidé d’inculper huit citoyens iraniens vivant à Téhéran. Après cela, l’ancien Président Kirchner, et moi-même par la suite, de 2007 jusqu’en 2012, à chacune des sessions de l’Assemblée générale qui se sont tenues ici à l’ONU, avons demandé à la République islamique d’Iran de coopérer pour que nous puissions interroger ces accusés.

Nous avons même proposé des solutions de rechange, comme dans l’affaire de Lockerbie, par exemple que ces personnes soient jugées dans un pays tiers. Finalement, en 2012, le Ministre iranien des affaires étrangères nous a proposé une réunion bilatérale et c’est ainsi qu’en 2013 a été élaboré un mémorandum d’accord en vue de la coopération judiciaire entre les deux pays, dans le seul but de faire en sorte que ces citoyens iraniens puissent faire une déposition devant un juge. En effet, le système judiciaire argentin n’autorise pas les condamnations par contumace. Les accusés doivent être interrogés et jugés, ce qui contribue au respect de la Constitution et des droits fondamentaux. Suite à la signature de cet accord, aussi bien dans mon pays qu’au sein des organisations communautaires qui avaient toujours appuyé nos demandes de coopération à l’Iran, l’on nous a accusé de nous être mis d’accord avec les Iraniens. Cela m’a amené à me demander si au moment où l’on nous priait de demander à l’Iran de coopérer, c’était réellement dans le but d’obtenir cette coopération ou de provoquer un casus belli.

Dans ce pays également, les États-Unis, on a fait pression sur le Congrès américain, principalement les fonds dits vautours –on peut voir cela sur les sites Web du groupe de travail sur les fonds vautours, où on a affiché des photos où on peut me voir en compagnie d’Ahmadinejad. Jusqu’à l’année dernière, on qualifiait ce pays d’État islamique terroriste et on nous condamnait pour avoir conclu avec lui un mémorandum d’accord sur la coopération judiciaire.

Avec surprise, mais pas avec dégoût, parce que le dialogue ne peut jamais être une mauvaise chose, nous avons appris que le week-end dernier, le Chef du Département d’État américain a rencontré son homologue iranien dans un hôtel bien connu de cette ville pour discuter du problème de l’EIIL –l’on sait que ce groupe est sunnite et que l’Iran est gouverné par des chiites- pour voir quel degré de coopération ou de progrès ils pouvaient espérer en ce qui concerne le programme nucléaire. Par la suite, nous avons constaté qu’il y avait un discours beaucoup plus convivial, plus amical, de la part de ceux qui l’année dernière étaient accusés, tout comme nous, qui avions discuté avec eux, d’être des terroristes.

Je ne dis pas que c’est mal de dialoguer, je ne peux que m’en réjouir. Je crois que le dialogue entre les nations est toujours une bonne chose. La question que je me pose, c’est qu’après cet attentat en 1994, il y a eu l’attentat contre les tours jumelles, commis par Al-Qaida, conçu et planifié par Oussama ben Laden, qui lui non plus, n’est pas apparu subitement comme un champignon après la pluie. Oussama ben Laden a été entraîné, aux côtés des Talibans, pour combattre la Russie durant la guerre froide. Comme j’ai coutume de le dire, l’Afghanistan est un pays à part dont seul Alexandre le Grand est sorti vivant. Ensuite il y a eu le fameux «Printemps arabe», pendant lequel tout le monde était, semble-t-il, des combattants de la liberté, et dont de nouvelles démocraties allaient surgir, alors qu’il s’avère en fait que nombre de ces combattants de la liberté étaient des fondamentalistes qui recevaient alors un entraînement militaire et qui combattent aujourd’hui dans les rangs de l’EIIL ou embrigadent de jeunes recrues.

Sur une note personnelle, je voudrais dire au passage que, moi aussi, j’ai été menacée par l’EIIL. La justice de mon pays enquête actuellement contre les menaces qui ont été proférées contre ma personne par l’EIIL. Franchement, je ne crois pas que l’EIIL se préoccupe beaucoup de la Présidente de la République argentine. Je suis sincère quand je dis cela. Mais le fait est que l’EIIL m’a menacée et a déclaré qu’elle allait intenter à ma vie en raison de mon amitié avec le pape François et parce que je reconnais et défends l’existence de deux États, l’État de Palestine et l’État d’Israël, et l’idée qu’ils puissent vivre côte à côte pacifiquement.

J’ai noté quelques questions qui ne me sont venues à l’esprit parce qu’également, au milieu de tout cela, il y a eu le problème de Saddam Hussein et des armes chimiques en Iraq. On a fini par se débarrasser de Saddam Hussein, mais depuis, la situation en Irak n’a fait que se compliquer toujours davantage. En fait, c’est le monde qui devient de plus en plus complexe. Les choses sont plus compliquées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient l’an passé, où il semblait que le problème le plus important était celui de la menace nucléaire posée par l’Iran. Aujourd’hui, on n’en parle plus et on est passé à l’EIIL, ce nouveau groupe terroriste dont on ne sait qui lui fournit du pétrole, qui lui vend des armes, qui l’entraîne mais qui, à l’évidence, a des ressources économiques, détient des armes et dispose d’outils de communication et de diffusion dignes de studios de cinéma. Cela m’amène à me demander ce qui est réellement en train de se passer et comment, en définitive, nous pouvons combattre efficacement le terrorisme. Évidemment, face à l’agression, il faut se défendre –personne ne le conteste- d’où la pertinence d’une riposte militaire. Mais il est clair que la façon dont, jusqu’ici, nous avons lutté contre le terrorisme n’est pas la bonne. En effet, à chaque fois, la situation se fait plus complexe; à chaque fois, les groupes sont plus nombreux; à chaque fois, ils sont plus violents; à chaque fois, ils sont plus puissants.

La logique veut que lorsqu’on suit une méthode donnée pour combattre un problème et que ce problème, au lieu de disparaître ou de reculer, s’accentue et gagne du terrain, il faut au moins revoir la méthode et les moyens utilisés, puisque quelque chose ne fonctionne pas. Je ne prétends pas détenir la vérité ou avoir la science infuse. Je ne prétends pas savoir avec une certitude absolue ce qu’il faut faire, mais ce que je sais c’est que, dans mon pays, un vieux proverbe dit que la seule chose qu’on ne peut pas faire face à des cannibales, c’est les manger.

Il me semble que le plus important est de bien comprendre que la logique du terrorisme consiste à déclencher une réaction parfaitement symétrique, du point de vue tant de la violence que des attaques, afin de pouvoir justifier le sang versé à l’infini, car les terroristes vont tuer deux personnes si on tue un des leurs, trois si on en tue deux, quatre si on en tue trois. C’est l’escalade sanguinaire, la loi du talion, et ce, d’autant plus, dans un contexte –celui du Moyen-Orient– où on continue à ne pas reconnaître l’État de Palestine, où il y a eu un usage disproportionné de la force contre la population civile palestinienne sans qu’aucune tête ne tombe du côté de ceux qui lançaient des roquettes. Au contraire, ce sont des enfants, des femmes, des personnes âgées, des innocents que nous avons vu mourir. Cela ne fait à chaque fois qu’un peu plus le lit de ces groupes.

C’est pourquoi, pour parler franchement, nonobstant la résolution 2178 (2014), à laquelle nous souscrivons, que nous approuvons, et que nous allons appliquer, il serait cynique et mensonger de ma part de dire au Conseil que ça y est, nous tenons la bonne méthode. Je crois que la situation au Moyen-Orient ne peut manquer de se compliquer.

L’année passée à Saint-Pétersbourg –en novembre, ce qui n’est pas si vieux, puisque cela fait moins d’an– nous, les membres du Groupe des Vingt, considérions que l’ennemi juré était le Gouvernement syrien et que ceux qui le combattaient étaient des combattants de la liberté. Or maintenant, on découvre que nombre de ces combattants de la liberté ont rejoint les rangs de l’EIIL. Mais qui soutenait les opposants? Qui leur fournissait des armes, des ressources, à ces combattants de la liberté? Je crois donc que nous devons nous poser toute une série de questions, à commencer par ceux qui sont beaucoup mieux informés que la Présidente de la République argentine que je suis.

Comme les membres le savent, mon pays ne fabrique pas d’armes, ne vend pas d’armes. Au contraire, nous avons besoin d’acheter du pétrole parce que nous n’avons pas assez de ressources énergétiques, même si nous avons découvert un important gisement de pétrole qui va faire de nous un grand producteur –et je ne sais pas si je dois me réjouir quand je dis cela, étant donné que tous les pays qui ont du gaz ou du pétrole ont également de grands problèmes. Quoi qu’il en soit, nous ne fabriquons pas d’armes, nous importons l’énergie et nous n’avons pas toutes les informations dont disposent les grandes puissances. Mais je pense que très souvent disposer des informations ne suffit pas, il faut également comprendre ce qui se passe au sein de chaque société, de chaque peuple et essayer de déterminer quels sont les moyens les plus appropriés pour contrecarrer véritablement le terrorisme. Il ne serait pas surprenant en effet de constater l’année prochaine, en 2015, que l’EIIL a disparu de la scène au profit d’un autre groupuscule au nom étrange et aux méthodes encore plus violentes et virulentes, et que, finalement, nous n’avons fait qu’aggraver le problème.

Pour terminer, je crois également qu’une autre question fondamentale dans cette lutte est le respect des droits de l’homme. Et j’en parle parce que l’Argentine a connu une dictature génocidaire sans égale et qu’elle a rendu la justice de façon inédite. Nous n’avons pas eu besoin d’un tribunal de Nuremberg ni de faire juger les dictateurs à La Haye. C’est l’Argentine elle-même, et son système judiciaire, qui a jugé et condamné les responsables, y compris ceux qui avaient fait tuer des ressortissants français, je pense notamment aux religieuses françaises, ou étaient à l’origine de la disparition de ressortissantes suédoises. Je pense donc que nos antécédents nous permettent de dire que la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits de l’homme, afin précisément de ne pas continuer à alimenter le monstre.

Le Président Obama (parle en anglais)

Je voudrais juste rappeler que cette séance doit être levée à 17 heures et que nous avons une longue liste d’orateurs, y compris les membres du Conseil. Il faudrait donc que nous fassions en sorte de respecter les limites de temps.

Source : ONU

P.S. La présidente Kirchner fait référence aux attentats qui ont eu lieu en Argentine, sous la présidence de Carlos Mennem :

- le 17 mars 1992 : un attentat à la bombe fait 29 victimes et plus de 280 blessés à l’ambassade d’Israël à Buenos Aires.
- le 18 juillet 1994 : attentat à la voiture piégée, devant un bâtiment rassemblant plusieurs associations juives, dont l’Association Mutuelle Israëlite Argentine (AMIA) à Buenos Aires. L’attentat a fait plus de 80 morts et de 200 blessés.


Assemblée générale 2014 – Discours de la Présidente Fernández De Kirchner

24 septembre 2014

Madame la Présidente, chère compatriote,
Mesdames et Messieurs les chefs des délégations des États membres des Nations unies,

Je voudrais prendre la parole ici à un moment très spécial non seulement pour le monde, mais également pour mon pays. Je voudrais commencer par une réflexion sur ce qu’a dit Monsieur le Secrétaire général Ban Ki-moon en ouvrant cette 69ème session de l’Assemblée générale. Il est revenu sur beaucoup de problèmes, de tragédies, de calamités qui frappent le monde aujourd’hui et il a dit, si je me souviens bien, que ces « turbulences » – car c’est ainsi qu’il les a définies – « qui secouent le monde aujourd’hui, mettent en danger le multilatéralisme ».

Sincèrement, je pense qu’une grande partie des problèmes qui frappent le monde aujourd’hui – problèmes économiques et financiers, problèmes en matière de terrorisme et de sécurité, en matière d’emploi de la force et d’intégrité territoriale, en matière de guerre ou de paix – bon nombre de ces problèmes sont dus précisément à l’absence d’un multilatéralisme efficace, concret et démocratique.

C’est la raison pour laquelle je voudrais commencer ici mon allocution en félicitant et en remerciant cette Assemblée générale de l’adoption de la résolution 68/304 du 9 septembre dernier, à une large majorité de 124 votes positifs, qui a finalement décidé d’engager cette Assemblée dans la voie de la rédaction d’une convention multilatérale donnant un cadre légal aux réglementations applicables à la restructuration des dettes souveraines de tous les pays. [applaudissements] Il s’agit d’une tâche que nous devons mener à bien. Cela fait depuis 2003 que je participe à cette assemblée, d’abord en tant que sénatrice, puis depuis 2007 en tant que présidente ; et nous avons depuis le début réclamé une refonte des différents organismes, du Conseil de sécurité comme du Fonds monétaire international. Nous nous basons sur notre expérience en république d’Argentine, mon pays. Dans ce contexte international, mondial, mon pays, la république d’Argentine, j’ose le dire, est un triple cas d’école [« leading case » en anglais dans le texte], en matière économique et financière, en matière de terrorisme et de sécurité, et aussi en matière d’emploi de la force et d’intégrité territoriale.

Sur le premier sujet, la crise économique, qui s’est répandue dans le monde à partir de l’année 2008, qui perdure encore aujourd’hui, et qui commence à menacer les économies des pays émergents, (alors qu’ils ont connu jusqu’ici une grande croissance économique) ; je veux dire que mon pays, a vécue cette m crise en 2001 lorsqu’il y a eu défaut [« default » en anglais dans le texte] de la dette souveraine, sans doute le plus grand défaut [« default » en anglais dans le texte] que l’on ait jamais connu. A l’époque, l’Argentine en était arrivée là avec le consentement des organismes multilatéraux… parce que lorsque l’on doit 160 % de son PIB, la faute n’est pas imputable uniquement au débiteur mais également aux créanciers.

Et depuis la dictature du 24 mars 1976 en passant par l’étape du néolibéralisme, pendant laquelle l’Argentine était présentée comme une élève modèle dans l’assemblée du Fonds monétaire international, elle a finalement accumulé une dette sans précédent qui l’a fait imploser en termes économiques mais également en termes politiques. Nous avons eu 5 présidents en une seule semaine. Ici, personne n’a accepté de prendre ses responsabilités pour ce qui était arrivé en Argentine. L’Argentine a dû se débrouiller comme elle le pouvait. Et en 2003, un président arrivé au pouvoir avec seulement 22 % des voix s’est présenté ici, devant cette assemblée, quelques mois seulement après sa prise de fonctions, et a déclaré qu’il était nécessaire de mettre en place un modèle de croissance et de développement pour le pays qui lui permette d’assumer ses dettes. Car il a dit, dans une métaphore plus qu’intéressante, que les morts ne payaient pas leurs dettes. Et que les pays doivent pouvoir vivre, se développer, et croître pour faire face à leurs obligations. Mais il a également dit que ce niveau de dette – je le répète : 160 % du PIB – n’était pas de la seule responsabilité du pays. Nous assumions en tant que pays l’adoption des politiques qui nous avaient été imposées, nous assumions notre responsabilité, mais nous demandions et nous prétendions aussi que les organismes multilatéraux comme le Fonds monétaire international et les créanciers qui avaient consenti des prêts à des taux usuraires (qui pouvaient atteindre jusqu’à 14% en dollars) assument également une part de responsabilité dans cet endettement.

Cet homme, ce président, qui est arrivé au pouvoir avec 22 % des voix, s’est retrouvé face à 25 % de chômage, 54% de pauvreté et 27% d’indigents, sans écoles, sans santé, sans sécurité. Cet homme, avec un modèle de développement et de croissance, est parvenu à créer non seulement des millions d’emplois, des millions de retraités et de pensionnés qui ont pu être couverts par les systèmes sociaux, mais de surcroît à générer une participation de 6 points du PIB destinés à l’éducation, et à destiner des sommes importantes à l’infrastructure du pays. Nous avons pu bâtir des routes, des centrales nucléaires et hydroélectriques ; des réseaux d’eau, de gaz et d’électricité, qui aujourd’hui s’étendent dans tout le pays, dans un processus d’inclusion sociale sans précédent pour réduire la pauvreté, pour réduire l’indigence à un pourcentage à un seul chiffre aujourd’hui, et le FMI lui-même reconnaît que la croissance économique de l’Argentine entre 2004 et 2011 a été la 3ème croissance la plus importante au niveau mondial. En termes de qualité de croissance, nous ne sommes dépassés que par la Bulgarie et la Chine. En Amérique latine, nous affichons la meilleure prévision de croissance et le meilleur niveau de pouvoir d’achat des travailleurs.

Tout cela, nous y sommes parvenus en supportant la dette qui avait été générée par d’autres. Il est bon de rappeler que nos gouvernements n’ont pas été ceux qui ont déclaré le défaut sur la dette. Ce ne sont pas non plus nos gouvernements qui ont été responsables de la dette, mais nous avons dû l’assumer. C’était notre devoir et depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui, nous avons payé plus de 190 milliards de dollars, je répète le nombre, plus de 190 milliards de dollars. Parce que nous avons restructuré la dette avec 92,4 % des créanciers pour deux volets de dette. Il y a eu tout d’abord ce qui a été accompli en 2005 par le président Kirchner et ensuite ce que j’ai fait en 2010. La vérité c’est que nous sommes parvenus à ce que 92,4 % des créanciers de l’Argentine régularisent leur situation et de là, nous avons commencé à rembourser régulièrement cette dette. Nous avons également remboursé en totalité notre dette envers le Fonds monétaire international, qui se soutenait en permanence avec des bicyclettes financières, à travers ce que l’on appelle des standby [NDT : en anglais dans le texte]. Nous avons donc également totalement annulé cette dette que nous avions à l’égard du Fonds monétaire international.

Il y a quelques mois nous avons mené à bien une négociation concernant une dette que nous traînions depuis 1956 avec le club de Paris. Figurez-vous que la présidente qui vous parle avait 3 ans quand cette dette a été contractée, et le ministre de l’économie de mon pays, qui discutait de la restructuration avec le club de Paris, n’était même pas né en 1956. Mais malgré cela, nous sommes parvenus à un accord avec 19 ministres de l’économie de l’Union européenne pour enfin restructurer cette dette, et nous avons déjà remboursé la première tranche de 642 millions de dollars. Et ça ne s’arrête pas là. Nous sommes parvenus à régulariser la situation des jugements du CIADI de la Banque mondiale, des jugements qui avaient commencé non par des actes ou des actions commises au cours de nos gouvernements, mais par des actions de gouvernements antérieurs qui ont fini par amener des procès devant la Banque mondiale. Cela aussi, nous l’avons résolu. Nous sommes aussi arrivés à un arrangement avec Repsol, lorsque nous avons décidé de reprendre le contrôle de nos ressources énergétiques et que nous avons exproprié 51 % des actionnaires de cette entreprise pétrolière. Nous avons aussi restructuré cette dette et nous sommes parvenus à un accord.

Tout cela, nous l’avons fait, de plus, grâce à nos ressources propres, sans avoir accès au marché des capitaux. Car l’Argentine, étant donné le défaut de 2001, était interdite d’accès au marché des capitaux. Rendez-vous compte, un processus d’inclusion sociale sans précédent – et je dis sans précédent sciemment, alors que je sais que d’aucuns, dans mon pays, diront peut-être qu’au cours des années 50, il y avait des processus d’inclusion similaires. Vous savez quelle est la différence ? Que nous, ce processus d’inclusion, nous l’avons démarré en partant d’une banqueroute totale. Totale et absolue. Au beau milieu du défaut de paiement, nous avons réussi à surmonter le défaut [« default » en anglais dans le texte], nous sommes parvenus à travailler avec les Argentins et à obtenir des acquis sociaux pour eux, nous avons réussi à nous désendetter. Aujourd’hui, nous avons un taux de dettes parmi les plus faibles du monde.

Il y a l’autre cas d’école dont je voulais parler, à savoir l’apparition de ce que l’on appelle les fonds vautours. Il ne s’agit pas des dirigeants populistes sud-américains qui utilisent ce terme de fonds vautours, ni des dirigeants des pays d’Afrique, puisque les pays d’Afrique ont également été victimes de ces fonds vautours. Un des premiers dirigeants à utiliser cette expression l’a fait ici en 2002, et la version de son discours a été déposée et enregistrée aux greffes, c’est le Premier Ministre Gordon Brown, Premier Ministre britannique qui a mentionné ces fonds vautours en disant que moralement il était indigne que ces fonds minent les efforts des pays qui visent à réduire la pauvreté de la population, et qui visent à faire davantage en matière d’éducation et de santé. Aujourd’hui, l’Argentine, avec la complicité du système judiciaire de ce pays, est harcelée par ces fonds vautours.

De qui s’agit-il ? Il s’agit en fait de 1 % de ceux qui n’ont pas participé à la restructuration que nous avons négocié en 2005. Ils ne pouvaient pas participer, parce qu’ils avaient acheté des valeurs en 2008. Vous le savez, ce sont des fonds spécialisés, comme leur nom l’indique, dans l’achat de valeurs ou de titres de pays qui sont en défaut de paiement ou vont l’être sous peu. Leur objectif n’est pas de les réclamer au pays, mais de les poursuivre en justice, dans diverses juridictions, afin d’obtenir des gains exorbitants.

Je ne parlerai même pas de « gains » dans ce cas, parce que ce 1 % à la suite d’un procès ici, dans la juridiction de New York, a obtenu un taux de 1608 % sur 5 ans, en dollars. Dites-moi un peu si vous connaissez une compagnie, une entreprise, un investisseur qui parvient à avoir une rentabilité de plus de 1600 % en à peine 5 ans? C’est pour cela qu’on les appelle les fonds vautours. Aujourd’hui ces fonds empêchent ceux qui ont fait confiance à l’Argentine (les 92,4 % des créanciers), empêchent ces 92,4 % d’obtenir ces remboursements. C’est pourquoi je suis très heureuse que l’Assemblée générale ait pris le taureau par les cornes et j’espère que cette année et l’année prochaine, avant l’Assemblée générale de 2015, nous aurons pu construire – parce qu’il s’agit de cela, il s’agit d’un exercice multilatéral actif et constructif – j’espère que nous aurons été capable de mettre en place un cadre réglementaire pour les restructurations des dettes souveraines afin qu’aucun autre pays ne se retrouve dans la situation où se trouve l’Argentine aujourd’hui : un pays qui a des capacités de paiement et qui veut payer et qui va rembourser ses dettes malgré le harcèlement de ces fonds vautours.
[applaudissements]

Des fonds vautours qui menacent d’entreprendre des actions à l’encontre de l’économie de notre pays. Des fonds qui diffusent des rumeurs, des infamies et des calomnies sur les personnes, sur l’économie et sur la finance. Ils agissent comme des agents déstabilisateurs, c’est une sorte de terrorisme économique et financier.

Car ceux qui mettent des bombes sont peut-être des terroristes mais il y a aussi des terroristes économiques, ceux qui déstabilisent les pays et qui sont responsables de la pauvreté et de la faim, à partir du péché de la spéculation. Il faut le dire en toutes lettres. C’est pourquoi nous plaidons pour que cet accord multilatéral démarre rapidement, avec diligence. Pas pour l’Argentine, mais pour tous les pays du monde. Parce qu’en outre, nous pensons qu’un équilibre économique et financier qui attaque les inégalités économiques et sociales est nécessaire – entre les pays, et à l’intérieur des différentes sociétés – sera aussi un antidote puissant contre ceux qui recrutent des jeunes qui n’ont aucun espoir, des jeunes qui n’ont aucun avenir, des jeunes qui sont enrôlés dans des croisades insensées que nous déplorons tous. Nous ne pouvons pas nous limiter à une lecture superficielle des événements, nous devons aussi aller en profondeur et lutter contre les causes de ces problèmes.

J’ai dit que mon pays était un cas d’école à trois égards [« leading case » en anglais dans le texte]. Je parlais du terrorisme et de la sécurité. Mon pays est le seul pays, avec les États-Unis, qui a été victime d’attentats terroristes sur le continent américain. Deux attentats terroristes : un en 1992, lorsqu’on a attaqué l’ambassade d’Israël et en 1994, contre le siège de l’AMIA. Cela fait 20 ans qu’il y a eu cette attaque contre l’AMIA.

Et j’ose dire ici devant cette assemblée et en présence des familles de victimes qui nous ont accompagnées, que le gouvernement du président Kirchner est celui qui a le plus œuvré pour démasquer les véritables responsables. Pas seulement parce qu’il a ouvert l’ensemble des archives des renseignements de mon pays, pas seulement non plus parce qu’il a créé une unité spéciale d’enquête, mais aussi parce qu’en 2006 face à la justice de mon pays, il a accusé certains citoyens iraniens d’être impliqués dans l’attentat contre l’AMIA. Et il a été le seul président, avec moi, à oser proposer, à oser demander à la république islamique d’Iran de collaborer, de coopérer avec l’enquête.

Cette demande est intervenue de manière régulière, en 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, et finalement la république islamique d’Iran a donné suite à cette requête. Avant, la question ne pouvait même pas être mentionnée. Mais l’Iran a ensuite accepté une réunion bilatérale. Il y a eu un protocole d’accord entre l’Iran et l’Argentine en matière de coopération judiciaire. Pourquoi ? Afin de garantir que les citoyens iraniens qui étaient impliqués et qui vivaient à Téhéran, en République islamique d’Iran, puissent passer devant le juge.

Que s’est-il passé lorsque nous avons signé ce protocole d’accord ? Apparemment, on avait ouvert une boîte de Pandore, à l’intérieur et à l’étranger.

Les institutions d’origine juive qui étaient à nos côtés depuis toutes ces années, et qui nous avaient toujours accompagnés ici pour exiger cette coopération, se sont retournées soudain contre nous. Lorsque la coopération a été décidée, ces institutions nous ont accusées de complicité avec l’Iran. Même chose ici dans ce pays : lorsque les fonds vautours ont fait pression sur le Congrès américain, ils nous ont accusés d’être des partenaires de « l’État terroriste d’Iran » – à l’époque, certains ne disaient pas état islamique d’Iran comme aujourd’hui, mais « l’Etat terroriste d’Iran ».

Ces fonds vautour ont fait du lobbying même sur leur sites Web, en mettant ma photo aux côtés du Président Ahmadinejad, comme si nous étions partenaires.

Cette semaine nous avons appris qu’un hôtel emblématique de cette ville, le Waldorf Astoria, accueille la rencontre entre le chef du département d’Etat des Etats-Unis et de son homologue iranien. Nous n’y sommes pas opposés. Au contraire, nous sommes toujours favorables à tout dialogue, à toutes les discussions.

Mais ce que nous voudrions demander, c’est la chose suivante. Ceux qui accusaient l’Iran d’être un pays de terroristes l’année dernière – je ne parle pas d’il y a un siècle, je parle de l’année dernière – que disent-ils aujourd’hui ? Que disent ceux qui, l’année dernière, parlaient de « combattants de la liberté » luttant en Syrie contre le gouvernement d’Al Assad, alors que les mêmes font partie de l’EIIL maintenant ? Que disent-ils aujourd’hui ?

Cela rejoint l’autre problème que nous avons face à l’insécurité, face au terrorisme. Les grandes puissances échangent bien trop facilement les concepts d’ennemis et d’amis, de terroriste ou non-terroriste. Et le problème est que nous devons définir, une fois pour toutes, que nous ne pouvons continuer à utiliser la politique internationale ou les situations géopolitiques, pour obtenir des positions de pouvoir.

Et je parle en tant que militante contre le terrorisme international. Pour vous donner un exemple amusant, la justice argentine enquête en ce moment sur une menace qui m’a été adressée par l’EIIL, pour deux raisons. Tout d’abord, parce que je suis proche de sa Sainteté, le pape François. Et deuxièmement, parce que j’ai dit qu’il était nécessaire qu’Israël et la Palestine soient deux États qui cohabitent – et au passage, je réitère ma demande devant cette assemblée, de la reconnaissance définitive de la Palestine comme nouvel Etat membre de plein droit. [applaudissements]

J’en profite pour le répéter. Il faut commencer à dénouer les nœuds gordiens. Il n’y en a pas qu’un, mais plusieurs. Il faut commencer à dénouer les nœuds gordiens du Moyen-Orient.

La reconnaissance de l’Etat palestinien ; le droit d’Israël à vivre dans le cadre de ses frontières ; le droit pour la Palestine de ne pas voir la force utilisée de manière disproportionnée comme on l’a vu récemment dans ce qui a provoqué la mort de centaines d’enfants et de femmes, ce que nous condamnons comme nous condamnons ceux qui lancent des missiles contre Israël.

Fondamentalement, nous croyons que dans ce monde de vautours économiques et de faucons de guerre, nous avons besoin de davantage de colombes de la paix pour construire un monde plus sûr. Nous avons besoin de plus de respect du droit international. Il faut davantage d’égalité de traitement entre tous ceux qui sont assis ici.

J’ai entendu, ici, à cette tribune ce matin, parler de l’utilisation de la force pour attenter à l’intégrité territoriale d’un pays, ou pour ne pas respecter cette intégrité territoriale. Là encore, la République argentine est un cas d’école. Car cela fait plus de 100 ans que nous avons un litige de souveraineté avec le Royaume-Uni. Nous réclamons que le Royaume-Uni négocie avec l’Argentine sur la question de la souveraineté des îles Malouines, et nous réclamons que l’Assemblée générale demande au Royaume-Uni de le faire. Personne ne s’inquiète de ce cas, il n’y a pas de véto du Conseil de sécurité.

Parce que l’Argentine ne fait pas partie du Conseil de sécurité ou des nations qui décident de la marche du monde. Et tant que ce sera le cas, tant que le vote des cinq membres permanents assis au Conseil de sécurité pèsera plus lourd que le vote de la Côte-d’Ivoire, du Ghana, du Kenya, de l’Égypte, de l’Ouganda, de l’Argentine, du Bahreïn ou des Émirats arabes unis, on ne réglera rien. Il n’y aura que des discours ! Et nous nous réunirons tous les ans, ici, sans parvenir à la moindre solution. [applaudissements]

Nous devons lutter. Cette Assemblée doit reprendre les rênes du pouvoir qu’elle a délégué. Des pouvoirs qu’elle a délégués à un Conseil de telle sorte que, c’est un paradoxe, l’Assemblée doive demander la permission au Conseil en cas d’adhésion d’un nouveau membre. Nous devons rappeler que c’est cette Assemblée, l’Assemblée souveraine des Nations-Unies, où chacun de nous vaut un vote, qui représente la véritable démocratie mondiale.

Quand cette démocratie mondiale sera concrétisée, je ne dis pas qu’on réglera tous les problèmes, mais je crois que nous aurons un début de solution.

Moi, je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, je veux être réaliste. En tout cas, entre pessimisme et optimisme, si je dois choisir, je choisis toujours l’optimisme, mais un optimisme réaliste parce que l’optimisme sans réalisme est soit de la naïveté, soit du cynisme et je ne veux être ni naïve, ni cynique face à vous tous.

Je voulais simplement vous dire ce qu’on pense dans mon pays. En Argentine, nous réclamons depuis très longtemps la réforme du Conseil de sécurité, et la réforme du Fonds monétaire international.

Figurez-vous qu’en 2003, il semblait quasi indispensable de réformer le FMI. Mais presque personne aujourd’hui ne réclame cette réforme, parce qu’il a perdu du poids dans toutes les décisions. De plus, le Fonds monétaire international lui-même, sa directrice et une ancienne directrice, Anne Kruger, demande une réglementation des restructurations des dettes souveraines. Parce que tant qu’il n’y aura pas un traité international adopté par cette Assemblée générale avec des dispositions applicables aux restructurations – tant que nous n’aurons pas ça – il y aura toujours un juge, quelque part sur la planète, comme ce Griesa, qui décidera que les accords ne valent rien et qu’il faut appliquer à un pauvre pays des taux usuraires pour le saigner à blanc.

C’est ce qui est en train de se passer. Parce qu’en définitive, il me semble que ce qu’on veut mettre à bas est la restructuration de la dette souveraine qui a coûté tant de travail au peuple argentin.

Avant de venir ici, je me suis rendue à Rome. Et j’y ai rencontré un compatriote qui occupe aujourd’hui une position très importante, une position non seulement religieuse, mais aussi morale et exemplaire. Je voudrais ici relayer le message de paix, de construction de la paix.

Si nous voulons vraiment lutter contre le terrorisme, nous devons œuvrer à la paix. On ne combat pas le terrorisme en faisant résonner les tambours de guerre ! Au contraire, c’est justement ce que veulent les terroristes, une réaction symétrique pour que la roue tourne et qu’il y ait toujours un crédit de sang à réclamer.

Réfléchissons en profondeur à ces questions. Si cette Assemblée, les Nations-unies redeviennent chef de file, si cette assemblée récupère son mandat, face à certains pays qui reconnaissent le droit international pour les autres mais ne se l’appliquent pas à eux-mêmes, je suis sure que nous aurons contribué de manière importante à la construction de la paix et à la lutte contre le terrorisme, dans laquelle personne ne sera absent de la lutte pour laisser à nos enfants un monde meilleur que celui que nous connaissons aujourd’hui.

Et enfin je voudrais rappeler que, l’année passée, les problèmes étaient différents. L’année dernière, nous parlions d’autres thématiques, d’autres dangers, en matière de sécurité.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Les mauvais d’hier ne semblent plus aussi mauvais. Ceux qui hier devaient être envahis et rayés de la carte semblent désormais collaborer pour faire disparaître l’EIIL.

Hier, c’était Al Qaïda. Moi, je me demande : Al Qaïda, les talibans, comment sont-ils apparus ? D’où sortent-ils leurs armes ? D’où tirent-ils leurs ressources ? Mon pays ne produit pas d’armes. Qui leur vend des armes ?

Et puis il y a eu ce qui devait être le printemps arabe, qui a viré à l’automne, voire même à l’hiver et dont les combattants de la liberté sont devenus des gens qui méritaient ensuite d’être poursuivis, parfois même emprisonnés.

Aujourd’hui, c’est l’EIIL, cette nouvelle engeance, qui décapite des gens à la télévision lors de vraies mises en scène dont on se demande comment ? d’où ?… Parce que, pardonnez-moi, mais je suis devenue extrêmement méfiante après avoir vu tout ce qui s’est passé. Les séries de télévision qui nous divertissent tant sont de toutes petites fictions à côté des réalités que nous vivons dans le monde actuel.

C’est pour ça qu’il est bon de nous demander comment ces choses vont crescendo, comment il se fait que des problèmes surgissent de plus en plus rapidement, et sont de pires en pires.

Des choses qui font dire au Pape que nous sommes quasiment dans une Troisième guerre mondiale, une guerre qui n’est plus certes la guerre conventionnelle que nous avons connue au XXème siècle, mais des guerres focalisées dont les seules vraies victimes sont les populations civiles.

C’est pourquoi, dans quelques instants, dans ce Conseil de sécurité dont nous faisons temporairement partie, nous allons soulever quelques-uns de ces problèmes, quelques questions. Nous n’avons pas de certitude, nous ne détenons pas de vérité absolue mais nous avons beaucoup de questions et nous voulons les adresser à ceux qui disposent de bien plus d’informations que nous, de bien plus de données que nous, qui ont des réseaux de renseignement bien plus établis que ceux de mon pays.

C’est incroyable qu’avec tant de d’informations, tant de données, on en sache tant mais qu’on en comprenne si peu en réalité. Et il faut comprendre ce qui se passe pour pouvoir construire une solution définitive.

Je salue une fois de plus la volonté politique des 124 pays qui ont voté pour la résolution 68/304. Je sais, nous le savons tous, il y a eu des pressions pour qu’on n’atteigne pas ce chiffre ou pour qu’il n’y ait pas de vote, mais je crois que l’exercice de multilatéralisme pratique, réel et démocratique de cette résolution démontre que tout n’est pas perdu. Au contraire, il nous incombe – à chacun de nous et de nos pays – de trouver des solutions réelles, efficaces, aux problèmes du monde.

Je vous remercie et je vous souhaite à tous et à toutes une excellente fin de journée.

[applaudissements].

Source: http://www.les-crises.fr/discours-presidente-argentine-onu/


Actu’Ukraine 27 mai 2015

Wednesday 27 May 2015 at 05:03

Le contenu est trop long, merci de visiter notre site

Source: http://www.les-crises.fr/actuukraine-27-mai-2015/


Le chef du service de renseignement belge avoue qu’il a menti sur des attentats pour faire approuver Prism

Wednesday 27 May 2015 at 01:16

Il a menti sur trois attentats: le chef du service de renseignement belge avoue

Eddy Testelmans, le patron du service de renseignement militaire, a donné une fausse information en 2013 sur trois attentats en Belgique qui auraient été déjoués grâce aux services de renseignement américains (NSA). Il n’en était finalement rien, lit-on mercredi dans De Tijd.

Afin de démontrer l’utilité du travail de la NSA, Eddy Testelmans aurait souligné, lors d’une interview au magazine MO* en 2013, que trois attentats avaient été déjoués grâce aux informations provenant de la NSA. “Dans trois cas, en effet un possible acte terroriste a été déjoué sur la base d’une info dont nous pouvons supposer qu’elle venait directement du système Prism (le programme d’espionnage controversé de la NSA). Si la NSA ne nous avait pas relayé l’info, nous n’en aurions rien su”, avait-il dit.

Un rapport du Comité I rejette la version que trois attentats ont été déjoués grâce aux Américains. Eddy Testelmans a aussi reconnu cela dans un écrit.

Source : RTL.be, le 6 mai 2015.

Le patron du renseignement belge avait menti (sans le savoir ?)

Le patron des services de renseignement belge a dû démentir cette semaine une information qu’il avait lui-même fournie en 2013, selon laquelle la NSA aurait permis de déjouer trois attentats en Belgique grâce au programme PRISM. Il se défend en affirmant qu’il avait à l’époque de mauvaises informations.

En 2013, alors qu’éclatait l’affaire PRISM avec les premières révélations d’Edward Snowden sur l’accès de la NSA aux données stockées chez les géants du web américains, le patron du renseignement belge Eddy Testelmans avait tenu à défendre le programme de ses homologues, en faisait une révélation. “Dans trois cas, un possible acte terroriste a été déjoué sur la base d’une info dont nous pouvons supposer qu’elle venait directement du système Prism, et qui nous a été fournie par les canaux classifiés“, avait-il affirmé. “Si la NSA ne nous avait pas relayé l’info, nous n’en aurions rien su“.

Le militaire en profitait pour expliquer que ses révélations justifiaient que l’Europe se dote des mêmes capacités de renseignement pour être “suffisamment armée pour la lutte contre le terrorisme, contre la criminalité transfrontalière grave et la prolifération des armes de destruction massive“.

C’est dans cet esprit que la France vient d’adopter en première lecture sa loi Renseignement, malgré l’opposition d’une coalition inédite d’associations et de personnalités que le Premier ministre Manuel Valls a dénoncé comme étant des “pressions” sur les parlementaires, qu’ils n’auraient “heureusement” pas suivi.

MENTEUR OU MANIPULÉ

Mais on apprend cette semaine qu’Eddy Testelmans avait menti, ou alors qu’il s’est fait avoir comme un débutant par les services américains. Le journal néerlandophone De Tijd indique en effet qu’un rapport d’un Comité officiel belge a démenti les informations communiquées à l’époque par le patron du Renseignement dans le magazine MO*, et que celui-ci a confirmé qu’il s’était un peu trop avancé. “Au moment de l’interview le 6 août 2013, je n’avais que des informations de la NSA elle-même, basées sur des informations qu’ils avaient principalement fourni aux États“, tente-t-il d’expliquer. “C’est seulement rétrospectivement, et après davantage d’analyse par les services de renseignement belges, qu’il est venu à ma connaissance que les informations de la NSA devaient être mises en perspective et atténuées“.

En d’autres termes, au moment où le scandale PRISM apparaissant, les Etats-Unis ont affirmé à leurs homologues que le programme illégal de la NSA avait permis de fournir différentes informations permettant de déjouer des attentats, et qu’il était donc légitime à défaut d’être légal. Affirmations que le patron du renseignement belge avait choisi de relayer en l’état, sans aucune précaution, parce qu’elles lui permettaient de demander le même jouet que les Américains.

Source : Guillaume Champeau, Pour Numerama, le 7 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-chef-du-service-de-renseignement-belge-avoue-quil-a-menti-sur-des-attentats-pour-faire-approuver-prism/


[Reprise] 7 mythes sur la Russie de Poutine : l’URSS 2.0 par Alexandre Latsa et Pierre Gentillet

Wednesday 27 May 2015 at 00:44

Un regard positif sur la Russie, publié il y a 1 an… La propagande a gagné…

Tribune commune d’Alexandre Latsa, écrivain et analyste français résident à Moscou, et de Pierre Gentillet, président des Jeunes de la Droite Populaire

Le président russe Vladimir Poutine, qu’une commentatrice talentueuse a récemment qualifié de « volcan de givre », vient de jouer un drôle de tour à la communauté internationale en agrandissant le territoire de la Russie vers l’ouest et l’Europe.

Pourtant cette réunification des territoires russes n’est pas si inattendue qu’il peut paraître et s’inscrit dans une logique politique et stratégique tout aussi méconnue que l’est la situation réelle en Russie, pays victime de préjugés et de mythes apparus au cours des dernières années au sein de la majorité des médias occidentaux.

Par souci de vérité et volonté de réinformation nous avons choisi de porter un regard critique sur ces mythes afin de permettre aux lecteurs de se faire une idée un peu plus objective de la Russie d’aujourd’hui.

Mythe n°1 : La Russie ce pays qui a annexé la Crimée de force

A tel point que la population s’est prononcée à plus de 96 % en faveur du rattachement à la Russie avec une participation de 83 %. En réalité si l’on étudie un peu l’histoire on s’aperçoit que la Crimée est devenue définitivement une province Russe dès 1774 grâce à Catherine II. C’est en 1954 que l’Ukraine va rattacher administrativement la péninsule de Crimée à la république soviétique d’Ukraine.

En somme la Crimée ne reste véritablement Ukrainienne que de 1991 à 2014, soit à peine 23 ans. Contrairement à certaines idées reçues le Kremlin n’avait pas manigancé ce rattachement de la Crimée. La Russie avait en effet depuis déjà quelques années lancé une politique de rapatriement des russes vivant en Crimée et souhaitant réintégrer le territoire russe. L’argument de velléité impériale est donc totalement hors de propos. La Russie a simplement saisi l’occasion historique qu’elle n’attendait pas de pouvoir réunifier son territoire en y rattachant la Crimée qui est un territoire russe sur le plan ethnique, linguistique, culturel et historique. Un rattachement vécu en Russie comme les Allemands de l’Ouest ont vécu la réunification avec l’Allemagne de l’est en 1991.

Mythe n°2 : La Russie, ce pays ou Vladimir Poutine est élu via des élections truquées

Depuis 13 ans celui-ci remporte en réalité haut la main et au premier tour toutes les échéances électorales présidentielles ou il se présente obtenant 52,52 % des voix en 2000, 71,22 % en 2004 et 63,6 % en 2013.

Seule la dernière élection de 2013 a été critiquée par des ONG américaines qui prétendent que celui-ci n’aurait dû obtenir que 55 % au premier tour et non pas 63 % !

Le parti dominant, Russie-Unie a lui obtenu 37 % en 2003, 64,1 % en 2007 et 49,3 % en 2011. En réalité les soupçons de « fraude électorale en Russie » sont nés des élections législatives de la fin 2011 qui ont été entachées d’irrégularités administratives réelles. Pour autant nombre d’études ont démontré que ces fraudes locales et identifiés n’auraient pu influer sur les scores finaux puisque ne comptant pas (selon les analyses sérieuses a ce sujet) pour plus de 3 à 5 % des bulletins dans le pire des scénarios.

Il faut noter que ces fraudes ne concernent du reste pas que le parti du pouvoir mais également tous les partis politiques participant aux élections notamment ceux d’opposition.

Mythe n°3 : La Russie, ce pays qui a orchestré un génocide en Tchétchénie

La Russie est toujours présentée comme le pays dont le pouvoir aurait orchestré un véritable génocide en Tchétchénie. La réalité n’est évidemment pas aussi simple.

En 1994, une prise de pouvoir par la force et des élections entraînent la proclamation de l’indépendance de la Tchétchénie. Craignant que la vague sécessionniste ne s’étende, le pouvoir russe décide d’intervenir pour mater ce coup d’Etat militaire intérieur. Cette guerre régionale durera 2 ans et fera plus de 100.000 morts jusqu’au cessez le feu d’août 1996 qui laisse à la Tchétchénie un statut d’autonomie régionale mais ne lui octroie pas l’indépendance.

Peu à peu la rébellion va s’islamiser avec la présence croissante de combattants djihadistes étrangers (Wahhabites) souhaitant l’instauration d’un califat islamique pancaucasien. En 1999 la guerre reprend lorsque des attentats terroristes frappent Moscou mais aussi car des groupes armés mènent de nombreuses incursions dans les régions voisines du Caucase pour y attaquer les forces de l’ordre et kidnapper des civils dont certains seront décapités.

La guerre verra la victoire de l’armée russe dont la réaction musclée a sans doute néanmoins évité que ne se constitue dans cette région un authentique Djihadistan qui aurait été déstabilisateur pour toute la région. Il est également difficile d’appréhender les évènements de cette époque dans cette région sans les mettre en relief au cœur de la bataille stratégique que se livrent l’Amérique et la Russie pour le contrôle des ressources énergétiques régionales et notamment de la Caspienne.

Mythe n°4 : La Russie, ce pays ou le pouvoir tue les journalistes

La Russie est souvent décrite comme le pays dans lequel on assassine les journalistes puisque 300 journalistes ont été tués dans la Russie post-soviétique, soit l’équivalent d’un journaliste par mois.

Pourtant si l’on prend en compte les journalistes tués de façon avérée dans l’exercice de leurs fonctions ou à cause de leur activité de journaliste, le chiffre tombe à 56 selon le CPJ dont 28 entre 1992 et 2000, soit avant que Vladimir Poutine n’arrive au pouvoir.

Depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, 26 journalistes ont été tués de façon avérée dans l’exercice de leurs fonctions ou à cause de leur activité de journaliste. La tendance longue semble elle à la normalisation puisque 13 ont été tués entre 2000 et 2005, 9 entre 2000 et 2010 et 4 entre 2010 et 2014.

Il faut noter que parmi ces 26 journalistes 12 ont été tués dans le Caucase russe, 3 à Rostov sur le Don et 2 dans la ville de Togliatti, soit dans des zones relativement « mafieuses » et donc à haut risque.

Mythe n°5 : La Russie, ce pays où l’on ne fait pas d’enfants

La Russie est souvent présentée comme un pays avec une démographie déclinante et donc voué à disparaître. Fort mal en point durant les années qui ont suivi l’effondrement de l’Union Soviétique la démographie russe s’est redressée dans les années Poutine en surpassant les scénarios démographiques les plus optimistes.

De 1992 à 2000 le nombre de naissances s’est effondré et le nombre de décès a augmenté entraînant une baisse naturelle de population de 6.830.423 habitants soit une baisse moyenne annuelle de 758.935 habitants. Cette diminution fut cependant compensée par l’immigration retour vers la Russie des russes ethniques habitant dans les républiques soviétiques.

A titre d’exemple pour la seule année 1999 avec 1.214.689 naissances et 2.144.316 décès la population a baissé de 929.627 habitants. Le taux de fécondité est durant cette période passé de 1,89 enfants / femme en 1991 à 1,17 enfants / femme en 1999.

A partir de 2001 le nombre de naissances s’est mis à remonter et dès 2005 le nombre de décès à diminuer. Année après année, l’amélioration des conditions de vie associée à une forte propagande d’Etat protégeant la famille et incitant à faire des enfants ont eu des résultats plus qu’inattendus. Le nombre de naissances ne cesse d’augmenter et l’année 2012 a même vu une hausse naturelle de population avec 1.901.182 naissances et 1.878.269 décès, le taux de fécondité atteignant 1,73 enfants / femme soit plus que dans l’UE.

Mythe n°6 : La Russie, ce pays qui ne profite qu’aux riches

On renvoie souvent l’idée fausse que la richesse en Russie ne profiterait qu’à des élites financières, militaires et aux fameux oligarques. Il s’agit de remettre un peu de vérité en apportant quelques éléments de ré-information.

Tout d’abord, le revenu annuel moyen des russes est passé de 1.322 euros en 2000 (arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine) à 7.988 euros en 2013. Le taux de pauvreté quant à lui a littéralement fondu passant de plus de 35 % en 1999 à près de 13 % en 2012, soit l’équivalent de la moyenne française, pendant que le taux de chômage n’est que de 5,5 %.

Dans le même temps le pays a connu l’apparition d’une très importante classe moyenne qui représente selon les critères de définition de 25 % à 40 % du pays. Ces résultats économiques ne sont pas dus qu’à la rente énergétique (qui ne constitue que 20 % de la création des richesses et 50 % des recettes du budget fédéral) mais aussi à une relativement saine gestion économique ayant permis des taux de croissance positifs sur 12 des 13 dernières années.

Mythe n°7 : La Russie, ce pays ou Vladimir Poutine serait détesté

Tellement détesté que le dernier sondage sur sa cote de popularité dépasse les 80 % d’opinions favorables. Plus sérieusement il s’agit maintenant de sortir de l’image du despote tsariste aux relents staliniens pour constater que l’immense majorité du pays soutient le président russe.

Le parti présidentiel Russie Unie est le premier parti du pays depuis 15 ans, les élections présidentielles ont toujours été remportées par une très large majorité des suffrages dès le premier tour et les récents évènements ont vu l’ensemble du peuple russe très largement favorable à l’action de Vladimir Poutine en Crimée.

Cette adhésion populaire se couple sans difficulté à l’exercice d’un pouvoir fort, seul capable de maintenir l’unité et l’importance de la Russie dans le jeu des grandes puissances du monde.

Malgré avoir pris les rênes d’un pays au bord du gouffre et traversé deux guerres (en 2000 et 2008) ainsi qu’une crise économique (en 2009) la cote de popularité du président russe sur les 13 dernières années n’est jamais descendue au-dessous des 60 %.

Les mouvements de contestation de 2011 n’ont finalement jamais réuni plus de 80.000 personnes dans tout la Russie (en réalité surtout Moscou et dans une moindre mesure Saint-Pétersbourg) ce qui correspondrait, toute proportion égale, à 30.000 personnes en France.

Loin de l’image du despote tsariste aux relents staliniens trop souvent véhiculée il faut accepter de comprendre que l’immense majorité du pays soutient le président russe et que cette tendance devrait s’accentuer à l’avenir puisque des JO de Sotchi (que la Russie a organisé et remporté) à la Crimée le seuil de popularité du président russe atteint désormais les 80 %, preuve que les attentes des russes de voir leur pays redevenir une grande puissance sont réelles.

Sa gouvernance réformatrice (modernisation économique du pays) et conservatrice (sur le plan des valeurs) mais aussi relativement verticale et autoritaire semble parfaitement conforme aux attentes du peuple russe et permet d’atténuer l’apparition de potentielles tendances d’inerties territoriales voir séparatistes, tendances inévitables sur un aussi grand et vaste territoire.

Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Source : Sputnik, 22 avril 2014

Source: http://www.les-crises.fr/7-mythes-sur-la-russie-de-poutine/


Sortir de l’Euro, par Jacques Sapir

Tuesday 26 May 2015 at 01:13

La question de la sortie de l’Euro a une dimension technique. Mais, elle a pris une dimension politique. On sait que de nombreux français, en particulier chez les plus de 50 ans, sont hostiles à cette solution car ils craignent d’en supporter le coût. L’opinion publique est actuellement convaincue que l’Euro représente bien un obstacle à la croissance et au développement du pays, mais elle est hostile à une sortie, en raison de cette inquiétude exploitée par une presse faisant assaut de prédictions catastrophistes. C’est pourquoi cette question doit être abordée publiquement. D’un part, il convient de commencer un travail de pédagogie pour convaincre de la faisabilité d’une telle sortie. D’autre part il faut aussi éviter de se trouver enfermé dans ce que l’on peut appeler « l’option grecque » : un refus de l’austérité et un refus d’une sortie de l’Euro. Ces deux propositions sont en réalité contradictoires. Mais, elles présentent pour tout gouvernement qui accepterait de se situer dans cette alternative le risque de se dédire sur les deux terrains.

A. Le constat.

Il est donc important de pouvoir avoir un débat sur la question de l’Euro en dehors de tout contexte catastrophiste. C’est une nécessité pour la démocratie, mais c’est aussi une nécessité pour que l’option d’une sortie ne soit pas bloquée par avance par de fausses prédictions. Lors de la réunion publique que j’ai eu le 6 mai avec Xavier Ragot, un certain nombre de thèmes ont pu être abordés et des convergences sont apparues sur plusieurs de ces thèmes. Ces thèmes portent à la fois sur le bilan que l’on peut tirer de l’Euro, mais aussi sur les perspectives de sa sortie.

I. Il convient de rappeler tout d’abord ce que l’Euro a coûté à l’économie française[1].

  1. L’Euro est directement responsable de 30% du chômage actuel, en raison de l’effet de freinage qu’il a exercé sur la demande et sur l’activité de la France, depuis la seconde moitié des années 1990. Le chiffre de 30% a été avancé par Ragot, sur la base des calculs de l’OFCE. Il est plus que probable que l’on puisse l’étendre non seulement aux demandeurs d’emplois de la catégorie A mais aussi à ceux des autres catégories.
  2. L’Euro est indirectement responsable, par le biais des politiques d’austérité qui ont été imposées de puis 2011 pour ramener la compétitivité de l’économie française au niveau de l’Allemagne sans procéder à une dépréciation monétaire, d’environ 20% du chômage actuel[2]. Ici encore cette estimation a été validée par Xavier Ragot. Mais, les effets de l’Euro ne s’arrêtent pas là.
  3. L’Euro est aussi responsable, dans le long terme, d’une accélération du processus de désindustrialisation de la France, dont le coût (hors les effets de (a) et (b)), en terme de restriction de la demande par baisse relative des salaires due à la place des services dans l’économie, peut-être estimé à 15% du chômage. On mesure que cette désindustrialisation s’est accélérées dès le début des années 1990, soit à partir du traité de Maastricht et de la nécessité pour la France de se « qualifier » pour l’Euro. Il convient donc de comprendre que les effets négatifs de l’Euro se sont fait sentir avant sa création officielle (1999), par le cadre macroéconomique qu’il a imposé et qu’il légitime. Il n’est pas évidemment le seul responsable de cette désindustrialisation, mais il a incontestablement accéléré le phénomène. On peut donc lui imputer de 5% à 10% du chômage lié à la baisse de la demande solvable résultant du transfert d’emplois industriels vers des emplois de service.

C’est donc au total de 60% à 65% du chômage qui est causé – directement ou indirectement – par l’Euro. Ceci est confirmé par des études plus anciennes qui insistent sur la dimension dépressive de l’Euro[3]. Il convient alors de souligner le coût tant humain que financier de ce chômage pour la France. La question du coût financier est ici importante. Les chômeurs et quasi-chômeurs ne cotisent aux caisses sociales qu’une fraction de ce qu’ils auraient cotisés s’ils avaient un emploi. Par ailleurs, l’Etat prend en charge une partie des prestations pour certaines catégories, justement pour « aider » des chômeurs à retrouver un emploi. Mais, ce faisant il crée des « emplois aidés » qui coûtent chers et dont le débouché vers de l’emploi stable est des plus limités. En réalité, le chômage a un coût induit sur l’équilibre des régimes sociaux qui est considérable. Il a aussi un coût direct élevé à la fois dans le développement de pathologies liées au travail (stress au travail, burn-out) mais aussi de pathologies directement liées à la privation d’emploi.

 II. Il convient, ensuite, d’insister sur ce que l’Euro coûtera, en chômage et en austérité, pour pouvoir être maintenu.

  1. Contrairement à ce que l’on affirme, la France n’a pas encore appliqué l’ensemble des mesures qui seront imposées par la zone Euro. De ce point de vue l’ampleur de l’ajustement est resté limité par rapport à ce qu’ont subi la Grèce, l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal. L’impact dépressif, qui a été limité sur la période 1999-2008 par une déficit budgétaire important[4], devrait être bien plus fort dans les 3 à 5 ans à venir, sans que cela ait un impact positif, car la baisse de la demande en France qui en résultera aura pour effet de faire baisser la demande dans l’ensemble de la zone Euro. Ces mesures sont explicitement évoquées par certains politiciens (comme Fillon et Juppé) mais aussi de manière en réalité très transparente par des membres du gouvernement, comme on a pu le constater avec Emmanuel Macron ou François Rebsamen.
  2. Compte tenu du multiplicateur fiscal estimé pour la France par le FMI[5], il faut donc s’attendre, si l’on procède aux coupes budgétaires prévues et programmées ainsi qu’à de nouvelles qui s’imposeront, à une stagnation de la croissance, voire une baisse, jusqu’en 2018-2020, qui devrait entraîner une baisse du revenu médian de 10% à 15% et une hausse du chômage (cat. A) au-delà des 4 millions[6].
  3. Mais, ceci n’inclut pas l’effet induit sur les déficits (tant des systèmes sociaux que budgétaire) par le chômage de masse et par la faible croissance. De nouveaux plans d’austérité seront « nécessaires » si la France reste dans l’Euro. Leurs effets cumulatifs entraînera une baisse totale du revenu médian de 15% à 20% et pousser le chômage (cat. A) à 4,5 millions et le chômage réel vers les 6 millions.

Non seulement l’Euro a coûté très cher à la France, même si ce coût a été réparti largement sur une large part de la société par le budget public, mais ce coût va s’amplifier dans les prochaines années et conduire au démantèlement total du système social françaisCe démantèlement ne se manifeste pas seulement par la réduction des prestations sociales et des retraites, mais aussi par un démantèlement général de tous les services publics, en particulier dans la santé et dans l’éducation. Les « économies » réalisées dans ces services auront des conséquences extrêmement importantes à moyen et long terme sur la société françaiseLa combinaison de la stagnation (ou de la réduction) des revenus directs et de la régression des revenus (et droits) indirects provenant de l’étiolement des services publics va pousser la société française vers une crise extrêmement profonde.

III. Il convient enfin de rappeler que l’Union Economique et Monétaire n’est pas principalement une monnaie, mais avant tout un système assurant la domination de la finance libéralisée, et censé « discipliner » les sociétés, c’est-à-dire les obliger à se conformer aux dogmes sociaux du néo-libéralisme.

C’est l’idée d’un gouvernement des sociétés par des normes et des règles qui a été imposée sous le couvert de mesures dites « techniques » et donc prises au nom d’une rationalité indiscutable. De ce déni de démocratie, à la fois massif et subtil découle une bonne part de la crise des institutions européennes qui n’osent pas se déclarer comme ouvertement anti-démocratique ni affronter leur image dans les différentes opinions publiques. Ceci introduit une autre dimension dans le coût politique de l’Euro, un coût qui naturellement n’est pas quantifiable mais qui n’en existe pas moins. Cette dimension politique de l’Euro ou plus précisément de ses conséquences, mais elles ont été parfaitement voulues par un certain nombre des promoteurs de la monnaie unique, pose un problème majeur de légitimité et de démocratie au sein de la zone Euro. C’est aussi l’une des raisons du rejet de cette solution.

L’Euro est en réalité un système qui aboutit à sortir les questions économique de la sphère politique souveraine nationale, et à y assujettir l’ensemble des questions sociales. Ce discours sur les conséquences passées et futures de l’Euro doit être constamment rappelé pour convaincre les français que la poursuite de l’Euro ne leur offre qu’un avenir de restrictions et de misère.

B. La gestion de la sortie de l’Euro.

Il est évident par ailleurs qu’une sortie de l’Euro doit être gérée, et implique des mesures à la fois techniques (pour certaines d’entre elles), financières et macroéconomiques. Il convient donc, si l’on a pris conscience des problèmes tant actuels que futures, tant économiques que politiques, que soulève l’existence de la monnaie unique, de regarder les mesures qu’il conviendra de prendre. Ces mesures sont connues en réalité, mais d’un petit cercle de spécialistes. Une partie du discours « alarmiste » joue justement de l’ignorance dans laquelle est maintenue une grande partie de l’opinion. On présente la sortie de l’Euro comme un « saut dans l’inconnu », ce qu’elle n’est pas. On affirme que le « choc financier » sera terrible et sera combiné à un « choc économique » qui pourrait provoquer un recul important de la production et un accroissement du chômage. Ces affirmations sont en réalité des mensonges. Et ces mensonges sont proférés par des personnes qui, le plus souvent, sont particulièrement bien placées pour connaître les faits. Ceci est particulièrement grave.

Non qu’il ne puisse par ailleurs exister des incertitudes, plus ou moins importantes, en fonction de la politique macroéconomique qui sera adoptée, sur l’évolution de l’économie française. On peut discuter de l’ampleur des effets positifs (de 3% à 6% de croissance), de leurs effets d’entraînement, de leur durée (de 3 à 5 ans). Mais ces incertitudes sont en réalité du même ordre que celles qui accompagnent toute politique macroéconomique. Par ailleurs, une sortie ou une dissolution, de l’Euro aura des conséquences sur le système monétaire internationale. Il faut présenter alors les alternatives possibles à ce niveau.

I. Mesures techniques et financières.

Une partie du débat s’est focalisé sur les procédure techniques par lesquelles on peut passer d’une monnaie à une autre. En fait, ces procédures sont assez simples et ce problème sera réglé rapidement.

  1. La monnaie fiduciaire. On appelle « monnaie fiduciaire » les pièces et les billets. La production des billets est simple à décider (une nouvelle matrice électronique) et elle peut être achevée en trois semaines, avec l’approvisionnement des distributeurs. Dans l’intervalle, les billets en euro seront tamponnés d’une lettre « F ». Les pièces portent déjà sur une de leur face la mention du pays d’émission.
  2. La monnaie scripturale. Il faudra opérer une conversion au taux de 1 pour 1 de la totalité des comptes bancaires (comptes courants et comptes d’épargne). Cette opération, que équivaut à une manipulation informatique devra avoir lieu le jour même du changement.
  3. Les mesures financières. Ces mesures financières sont très nettement les plus importantes. Instinctivement, on se dit que le risque est que l’on ait des dettes en monnaies étrangères alors que les avoirs vont se déprécier avec le cour de la nouvelle monnaie. Mais, une règle (et une jurisprudence) du droit international distingue non la monnaie mais le lieu d’émission de la dette. Autrement dit, cette dette est-elle émise en droit français, ou allemand, ou britannique, ou singapourien, etc…En fait, l’idée d’un fort accroissement des dettes à la suite d’une sortie de l’Euro, et d’une dépréciation de la nouvelle monnaie française, idée qui est souvent avancée par les adversaires d’une sortie de l’Euro, ne repose pas sur des bases sérieuses. On le voit en regardant précisément les questions de la dette publique, la dette des ménages et les dettes d’entreprises.
  4. La question des dettes publiques. La dette publique française est composée à 97% de titres émis en droit français. La Lex Monetae, qui est un principe du droit international, implique leur conversion automatique dans la nouvelle monnaie ayant cours légal en France.
  5. Les dettes des ménages. Les dettes des ménages sont très majoritairement (à 98%) des dettes émises en droit français. Le même principe s’y applique. Les ménages auront donc des avoirs et des dettes en Franc pour la même valeur nominale que leurs avoirs et dettes en euro. Le problème des frontaliers, qui ont pu souscrire une dette en droit étranger peut poser un problème local.
  6. Les dettes des entreprises. Il faut faire ici la distinction entre les dettes des Petites et Moyennes Entreprises et celles des groupes internationalisés. Les études faites par différentes sociétés de gestion obligataires montrent que dans une proportion écrasante les dettes des PME ont été souscrites auprès de banques françaises. Pour les groupes internationalisés, si une partie importante de leur endettement est en droit étranger (britannique ou américain), une large partie de leur chiffre d’affaires est aussi en monnaie étrangère. Diverses simulations ont été faites dont les résultats vont d’un équilibre global à l’apparition de pertes globales (pour l’ensemble des entreprises) d’un montant de 2 milliards de dollars. Ces pertes doivent être rapportés aux profits réalisés par ces grands groupes et apparaissent en réalité insignifiantes.
  7. La question des banques et des sociétés d’assurance. L’internationalisation du secteur bancaire et assurancielle français est importante, avec des opérations importantes sur l’Italie, sur la Belgique, et dans une bien moindre mesure sur l’Espagne. Mais, une sortie de l’Euro par la France entraînerait en fait un éclatement de cette zone. On verra que l’Italie devrait elle aussi sortir de l’Euro et laisser sa monnaie se déprécier, l’écart devant être de 5% à 10% avec la France. Ici encore des estimations ont été faites en 2012 et en 2014. La conclusion est que pour l’ensemble du secteur financier français les pertes ne devraient pas excéder 5 milliards d’Euros (actuels). Par contre, certains établissement connaitraient des problèmes plus sérieux alors que d’autres réaliseraient des profits. Il importera donc, pour pouvoir réaliser une gestion globale du secteur financier des effets d’une sortie de l’Euro, de procéder à une nationalisation temporaire de ce secteur (banques et assurances).

II. Les mesures macroéconomiques.

  1. La question de l’inflation induite ou « importée ». On présente ce risque comme un risque majeur comme si la dépréciation de la monnaie entraînait immédiatement une hausse des prix annulant les effets positifs de cette dernière. En réalité, la hausse des prix induite est une fraction faible de la dépréciation, et cette hausse des prix n’est pas immédiate mais s’étend sur plusieurs années. Dans le cas d’une dépréciation du « nouveau » Franc de 20%, et en tenant compte des effets de la dépréciation des autres monnaies (en Espagne, Italie, Portugal….) l’effet de hausse des prix global devrait être de 8%, réparti sur trois ans. Plus de la moitié de cet effet se manifesterait dans la première année, puis baisserait rapidement (4,5% la première année, 2,5% la deuxième et 1% la troisième). Cela implique que si les prix libellés en francs sont de 80% des anciens prix en euros (à l’export), trois ans après, et en supposant les autres causes de l’inflation stable, ils seraient à 86,5%. Le gain de compétitivité de la dépréciation monétaire continuera donc de se manifester.
  2. L’élasticité de la demande. L’effet d’une dissolution de l’Euro sera d’entraîner certaine monnaie à se déprécier et d’autres aux contraires à s’apprécier. On aura des effets positifs sur les pays dépréciant leur monnaie et des effets négatifs sur les pays connaissant une forte appréciation. L’élasticité de la demande et de l’offre doivent être étudiées attentivement. On sait, par expérience, que cette élasticité n’est pas identique entre les pays, et qu’elle n’est pas stable mais dépend de l’ampleur de la dépréciation (ou de l’appréciation) de la monnaie. De ce point de vue, deux dépréciations de 10% ne sont pas équivalente à une dépréciation de 20%. Il convient donc de préciser les ordres de grandeur de ces mouvements. Par ailleurs, si le volume de la demande peut décroitre dans un pays connaissant une forte appréciation de sa monnaie (l’Allemagne), le niveau monétaire de cette demande se réduira moins que le volume, en raison de l’effet d’appréciation. Ces éléments nous disent (à travers de nombreuses simulations) que l’on aura un effet positif sur tout une série de pays France, Italie, Portugal, Espagne et Grèce) et un effet négatif moins important que ce que l’on peut penser sur l’Allemagne et les pays du « bloc allemand ». Un éclatement de l’Euro aura donc des effets positifs sur la croissance, sur la réduction du chômage, mais aussi sur les finances publiquesSi des débats continuent (et continueront) quant à l’ampleur de ces effets positifs, leur réalité est aujourd’hui indiscutable. Alors que la France fait environ 50% de son commerce extérieur hors de la zone Euro, la dépréciation de l’Euro de l’automne dernier en engendré une forte croissance au 1ertrimestre de 2015. C’est dire ce qu’une sortie de l’Euro accompagnée d’une forte dépréciation pourrait engendrer.
  3. Il y aura-t-il une « guerre des monnaies » ? C’est l’une des objections que l’on entend au sujet d’un éclatement de la zone Euro. Une « guerre des monnaies » signifierait que certains pays fassent une surenchère dans le domaine de la dépréciation. Mais, en réalité, on peut mesurer le niveau que devraient atteindre les différentes monnaies dans une Europe « post-Euro ».

Graphique 1

Source : OCDE, FMI et CEMI-EHESS

Ce que nous apprend ce graphique, où l’on combine à la fois les effets de l’inflation (par rapport à l’Allemagne) et les gains de productivité (par rapport à l’Allemagne) c’est l’ampleur des dépréciations. Par rapport au taux de change de l’Euro, ces dépréciations devraient être les suivantes.

Tableau 1

Ampleur des dépréciations monétaires dans le cas

d’une sortie de l’Euro

Dépréciation Dépréciation relative à l’Allemagne sans contrôle Dépréciation par rapport à la France (avec contrôle).
France -20,0% -40,0% 0
Espagne -17,5% -37,5% +2,5%
Portugal -12,5% -32,5% +7,5%
Italie -27,0% -57,0% -7,0%
Grèce -25,0% -55,0% -5,0%
Allemagne (avec contrôle) 0,0% +20,0%
Allemagne (sans contrôle) + 20,0% 0

On voit que l’écart entre le Franc et les autres monnaies (sauf cas de l’Allemagne) est assez faible, ce qui n’était pas le cas quand avait été publié l’étude faite pour la Fondation Res Publica (2013)[7]. Les différences ici correspondent aux évolutions des situations entre la fin de 2012 et la fin de 2014. Le « bloc » Espagne, Portugal et Grèce apparaît bien plus resserré. Par contre, la situation de l’Italie s’est détériorée.

On constate aussi, mais ceci correspond aux résultats obtenus dans différentes simulations, que la situation de l’Allemagne est très différente selon qu’elle acceptera ou n’acceptera pas un contrôle des capitaux.

En fait, la « guerre des monnaies » n’apparaît pas comme nécessaire ni, bien entendu, inéluctable. Mais, ceci passe par l’introduction de contrôles des capitaux.

4. Faudra-t-il un contrôle des capitaux ? il est néanmoins clair qu’il faudra adopter un régime de contrôle des capitaux (mais pas de contrôle des changes) et que les Banques Centrales adoptent des « cibles » de taux de change réel pour la période suivant la sortie de l’Euro. Le contrôle des capitaux aura pour but d’éviter que les marchés financiers ne commencent à « jouer » sur les cours des monnaies. Ce contrôle doit restreindre les mouvements des capitaux de court et très court terme, tout en laissant libre les mouvements de long terme qui correspondent à des flux d’investissement. Compte tenu du fait que pratiquement la totalité des mouvements de capitaux sont gérés électroniquement, la mise en place de ces contrôles serait en réalité bien plus facile aujourd’hui qu’elle ne l’avait été dans les années 1980. Une fois ces politiques mises en place, il deviendrait possible, si un accord politique se dessinait entre certains pays de l’ex-zone Euro, d’aboutir à une « co-fluctuation » des taux de change, avec des révisions périodiques (tous les ans) pour tenir compte de la détérioration ou de l’amélioration du taux de change réel (soit le taux nominal corrigé de l’inflation et de la productivité). En fait, il serait possible d’aboutir à un système monétaire « européen » (ou sur une partie de l’Europe) qui respecterait les spécificités nationales en matière de modèle social et de modèle productif, qui garantirait la flexibilité nécessaire pour que chaque pays puisse s’ajuster en cas de crise et qui dans le même temps serait relativement stable par rapport à l’extérieur. Nous aurions l’équivalent du Système Monétaire Européen mais sans les inconvénients qu’il avait à l’époque[8]. L’explicitation d’un objectif en matière de taux de change réel pour les Banques Centrales, combiné à des objectifs en matière d’inflation (avec la définition d’un taux d’inflation structurel) et d’un objectif en matière de stabilité du système bancaire et financier donnerait à la fois une flexibilité bien plus importante à ce nouveau système et imposerait un dialogue constant entre l’autorité politique et la Banque Centrale. Les mesures économiques et financières qu’il faudra donc techniquement mettre en œuvre dans le cas d’une dissolution de la zone Euro dessinent en réalité un mécanisme plus souple et plus robuste que la monnaie unique, et ceci sans les aspects dépressionnaires qui sont connus à cette monnaie unique.

5. Qu’est-ce qui prendra la place de l’Euro ?

  1. La question des monnaies de  réserve. On sait qu’en matière de monnaie internationale de réserve, l’Euro n’a pas été capable de concurrencer le dollar des Etats-Unis. La part dans les réserves de change des Banques Centrales correspond en fait à ce que représentaient le DM et le Franc avant la mise en place de l’Euro. Cette monnaie n’a donc pas été un substitut, et encore moins un concurrent, au dollar, en dépit de ce que l’on entend parfois.

Graphique 2

Part des devises dans les réserves des Banques Centrales

A - Monnaies réserves

Source : FMI

C. Les alternatives politiques.

Les alternatives sont donc les suivantes : soit rester dans l’Euro tel qu’il est (avec les conséquences économiques et sociales catastrophiques qui en découlent), soit imposer un changement de la gouvernance de l’Euro, mais qui implique que l’Allemagne accepte de transférer aux pays du « Sud » de la zone Euro de 220 à 250 milliards d’euros par an sur une période de dix ans (soit de 80% à 100% de son PIB), soit sortir de l’Euro. Cette dernière solution apparaît comme le choix du réalisme et du pragmatisme face à l’immobilisme (Euro tel qu’il est) ou l’irréalisme (« imposer » à l’Allemagne de transférer entre 8% et 10% de son PIB par an). Il faut cependant indiquer que la gestion concrète de cette sortie impose un certain nombre de règles qu’il faudra strictement observer.

I. Les propositions de référendums sur ce sujet particulier, telles qu’elles figurent au programme de certains partis (le FN) ou dans les discussions au sein d’autres partis (le PdG mais aussi Syriza en Grèce[9]) doivent être proscrites, à la fois pour des raisons de faisabilité et des raisons politiques.

  1. La tenue d’un référendum sera en réalité techniquement impossible, car la spéculation la plus débridée sera immédiate et l’on ne peut fermer les marchés financiers pendant plus de quelques jours.
  2. Par ailleurs, un référendum sur une sortie de l’Euro donnerait lieu à toutes les manipulations politiques possibles et ne correspondrait pas à une réelle échéance démocratique.
  3. Un gouvernement élu sur le constat que l’on a fait de la nocivité de l’Euro doit considérer qu’il a reçu mandat d’évaluer toutes les possibilités y compris celle d’une sortie de l’Euro. En fait, l’Euro a été présenté comme une mesure purement technique et c’est donc d’un point de vue purement technique qu’il faut aborder son démantèlement. Or, la procédure référendaire n’a de sens que si elle porte sur des questions politiques.

Si l’on peut très légitimement envisager un référendum sur l’appartenance à l’UE (la Grande-Bretagne va y procéder) pour obtenir un mandat particulier sur ce point, il faut rejeter le piège du référendum sur l’Euro. L’Euro est une mesure à dimension technique et financière qui ne se prête pas du tout à un référendum.

II. La nécessité de discuter de la possibilité d’un démontage concerté doit être affirmée ; mais il ne faut pas que ceci puisse aboutir à une paralysie de la décision préjudiciable à l’économie et à la liberté de décision.

  1. L’option d’un changement de gouvernance doit être mise sur la table, mais en précisant les implications réelles de ce changement. En particulier, il faudra préciser l’ampleur des transferts qui devraient être consentis par certains pays si l’on voulait que la zone Euro fonctionne.
  2. L’option d’une dissolution concertée de la zone Euro doit aussi mise être sur la table, car cette solution est incontestablement la meilleure.
  3. Mais, la période de proposition et de négociation doit être réduite à 48h-72h ici encore pour éviter le long enlisement que l’on connaît actuellement en Grèce. Le gouvernement (ou la Présidence) français doit proposer ces solutions à ses partenaires en leur demandant des engagements de principes. En cas de refus ou d’absence de position claire il doit s’estimer dégagé de toute obligation envers ses partenaires.
  4. Un fois la période de proposition écoulée, il faudra que la France prenne ses responsabilités.

La période de négociation doit donc être courte. Elle peut couvrir une réunion de l’Eurogroupe. En tout état de cause elle ne doit pas excéder une semaine à partir de l’élection.

III. Des garanties doivent être avancées répondant aux soucis légitimes des français.

  1. La garantie des dépôts bancaires (en monnaie nationale), pour les particuliers comme pour les entreprises, et ce sans limite de somme doit être réaffirmée. Ceci n’est pas entièrement satisfaisant du point de vue d’une analyse en termes de justice sociale. Mais, ici encore, ce qui prime est bien la notion de « confiance ». De ce point de vue, une garantie pour la totalité des dépôts apparaît bien plus apte a convaincre la population de l’engagement du gouvernement plutôt qu’un système certes théoriquement plus juste mais bien plus complexe à mettre en œuvre de garanties différenciées. De ce point de vue la « justice » des mesures dépendra en réalité de leur capacité à engendre la confiance.
  2. La possibilité d’une nationalisation temporaire du système bancaire doit être envisagée. Ici encore, il est certain que des mesures différenciées, nationalisation pour certains établissements, contrôles pour d’autres, seraient en théorie justifiées et sans doute plus adaptées. Mais, la différence entre le monde théorique et le monde réel est que dans ce dernier apparaissent des « frictions » qui compromettent les mesures en apparence les meilleures mais aussi les plus complexes. Il conviendra de faire simple et robuste. C’est pourquoi, la nationalisation temporaire de l’ensemble des banques et des assurances sera très probablement la mesure la plus robuste et susceptible de produire les effets les plus positifs.
  3. Les systèmes d’assurance-vie doivent être garantis en monnaie nationale avec si nécessaire un échange des obligations des pays de la Zone Euro par des obligations publiques françaises.

Ceci répondra aux préoccupations immédiates des épargnants mais aussi des entrepreneurs français en garantissant les sommes nominales déposées dans le système bancaire et en garantissant que ce dernier fonctionne bien de manière continue.

[1] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[2] Artus P. « France : il faudrait pouvoir faire baisser tout le nominal », Flash-Economie, Natixis, n°206, 13 mars 2014.

[3] Bibow J., « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This », in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007

[4] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[5] O. Blanchard et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C., 2013. A. J. Auerbach et Y. Gorodnichenko « Measuring the Output Responses to Fiscal Policy », American Economic Journal: Economic Policy 2012, Vol. 4, n° 2, pp 1–27.

[6] A. Baum, Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, « Fiscal Multipliers and the State of the Economy »,IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC, 2012

[7] Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand, ) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013.

[8] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[9] Kouvelakis S., « L’Heure de la Rupture », in https://www.ensemble-fdg.org/content/grece-lheure-de-la-rupture

Source: http://www.les-crises.fr/sortir-de-leuro-par-jacques-sapir/


Thinkerview – Interview de Peter Dale Scott

Tuesday 26 May 2015 at 00:35

Peter Dale Scott, professeur émérite de Littérature anglaise à l’Université de Berkeley, Californie. Il a travaillé durant quatre ans (1957-1961) pour le service diplomatique canadien. Expert dans les domaines des opérations secrètes et du trafic de drogue international. Il est connu pour ses positions anti-guerre et ses critiques à l’encontre de la politique étrangère des États-Unis.

Interview en français réalisé le 23 juin 2013 à Berkeley USA.

Source: http://www.les-crises.fr/thinkerview-interview-de-peter-dale-scott/


Noam Chomsky et la stupidité institutionnelle

Monday 25 May 2015 at 02:13

En janvier, Noam Chomsky a reçu le trophée décerné par Philosophy Now [NdT : revue bimestrielle de philosophie diffusée aux États-Unis, en Angleterre, en Australie et au Canada, et aussi en ligne https://philosophynow.org/], pour son combat contre la stupidité].

Introduction par Rick Lewis :

Bienvenue à cette 4e remise du prix de Philosophy Now pour les contributions à la lutte contre la stupidité. Je suis très heureux d’annoncer que nous l’attribuons cette année au professeur Noam Chomsky.

La stupidité peut se présenter sous plusieurs formes. Généralement, elle est plus facile à identifier lorsqu’elle se manifeste chez les autres, et plus difficile à remarquer lorsqu’on en est soi-même victime, la stupidité étant ici entendue comme le fait de se fier à des affirmations non vérifiées, des schémas de pensée bien ancrés ou des raisonnements boiteux. Pourtant, nous cédons tous parfois à de tels vices. Essayer de les éviter pour ne pas se mettre le doigt dans l’œil est le problème central de la philosophie.

Alors, en quoi Chomsky peut-il nous être utile pour ce problème ? Un des intellectuels les plus connus au monde, il a d’abord connu la gloire pour ses travaux en linguistique, en particulier pour sa théorie selon laquelle la grammaire serait innée et sous-tendrait toutes les langues naturelles du monde. Ensuite il a mené un travail important et novateur sur beaucoup de sujets variés, incluant la traduction automatique, la logique, la philosophie et la nature des médias. Commentateur infatigable de la société, il n’hésite pas à marquer son engagement politique sur un grand nombre de sujets extrêmement polémiques.

La récompense

Nous voulons décerner le Prix de la Lutte contre la Stupidité à Noam Chomsky non pas pour son militantisme, car Philosophy Now reste neutre sur les questions politiques, ni pour ses fascinants premiers travaux sur la grammaire universelle, mais principalement pour ses travaux sur la structure des médias, et pour son apologie incessante de la pensée critique indépendante. Dans leur livre de 1988, Manufacturing Consent [NdT : La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie], Chomsky et son collaborateur Edward S. Herman ont examiné divers biais institutionnels qui affectent les médias partout dans le monde. Chomsky a continué à explorer le sujet avec des travaux comme son livre de 1991, Media Control: The Spectacular Achievements of Propaganda.

Emmanuel Kant a dit que notre expérience dépend non seulement de la nature du monde extérieur mais aussi de notre appareil perceptif et de nos catégories mentales. Il y a le monde phénoménal, le monde tel qu’on en a l’expérience, et il y a le monde nouménal, le monde extérieur tel qu’il est en réalité, et que l’on ne peut jamais pleinement connaître.

Le projet de Chomsky, sous certains rapports fait penser à celui de Kant. Il étudie de quelle façon on obtient notre connaissance du monde social et du monde politique. Le monde étant très vaste, il n’est pas possible d’être témoin direct de la plupart des événements qui s’y déroulent, et à la place on doit les découvrir par des intermédiaires, sous une forme condensée. C’est parce qu’ils sont des intermédiaires qu’on les appelle des médias. Mais avant de diffuser des informations, ils doivent décider de ce qui mérite d’être diffusé, et de quelle façon. Dans les régimes autoritaires ce processus est soumis à une censure qui est souvent flagrante et parfois brutale.

Chomsky soutient que, dans les démocraties capitalistes aussi, la manière de diffuser les informations est façonnée par de puissants intérêts, quoiqu’ils s’y prennent de façon beaucoup moins visible. Dans Manufacturing Consent, Chomsky et Herman montrent que le choix et la présentation des nouvelles en Occident est soumise au passage de cinq “filtres”. Le premier est le propriétaire (les conglomérats géants qui à présent possèdent la plupart des médias du monde ont des intérêts commerciaux étendus et ont tendance à décourager le rapport de nouvelles qui nuiraient à ces intérêts). Le second est que les médias dépendent de la vente de placards publicitaires, et auront tendance à exclure les sujets qui entreraient en conflit avec les “humeurs d’achat”. Le troisième est que, étant donné les ressources éditoriales limitées, ils dépendent tous de nouvelles fournies par des organismes extérieurs, y compris les services de presse des gouvernements et des entités commerciales, et sont souvent peu disposés à s’aliéner ces sources. Le quatrième est qu’ils sont contenus par leur désir d’éviter d’être “descendus en flammes” par la critique, en d’autres termes d’éviter les réactions hostiles à leurs articles. Et le cinquième est qu’ils travaillent sous contrainte idéologique, dans le passé c’était l’anticommunisme, et maintenant c’est la guerre contre la terreur. Chomsky et Herman présentent aussi des analyses statistiques sur les différents sujets traités, afin de tester la validité de leur modèle. Si l’on prend pour argent comptant les nouvelles telles qu’elles sont écrites sans prendre en considération les forces qui les déterminent, on peut s’égarer. Si l’on comprend ces mécanismes, alors on peut aussi les prendre en compte et peut-être y gagner une compréhension plus claire du monde lui-même.

Dans sa fonction de critique social, Chomsky met constamment en question la politique publique et la présentation des informations. Il pose des questions épineuses, et même si vous n’êtes pas d’accord avec lui, il vous force à justifier ce que vous pensez de la société et de ses valeurs. Pour toutes ces raisons, il est cette année le très méritant gagnant du prix.

Chomsky intervenant à la cérémonie des Philosophy Now Awards au Conway Hall de Londres en visioconférence depuis sa maison du Massachusetts

Réponse de Noam Chomsky :

Naturellement je suis très heureux de recevoir cet honneur, et de pouvoir aussi accepter cette récompense au nom de mon collègue Edward Herman, co-auteur avec moi de la Fabrique du Consentement, et qui a lui même effectué un grand nombre de remarquables travaux sur ce sujet crucial. Évidemment, nous ne sommes pas les premiers à l’avoir traiter.

Comme on peut s’y attendre, on dira que l’un des tout premiers a été George Orwell. Il a écrit un essai pas très connu qui est une introduction à son livre célèbre la Ferme des Animaux. Il n’est pas connu parce qu’il n’a pas été publié – on l’a trouvé des décennies plus tard dans ses papiers non publiés, mais il est à présent disponible. Dans cet essai il souligne que la Ferme des Animaux est évidemment une satire de l’ennemi totalitaire ; mais il presse le peuple de la libre Angleterre de ne pas trop se sentir porté à donner des leçons là-dessus, parce que, comme il le dit, en Angleterre, les idées impopulaires peuvent être interdites sans qu’il soit fait usage de la force. Il poursuit en donnant des exemples de ce qu’il veut dire, et seulement quelques mots d’explication, mais je crois qu’ils frappent exactement là où il faut.

L’une des raisons, dit-il, est que la presse appartient à de riches personnes qui ont tout intérêt à ce que certaines idées ne soient pas exprimées. La deuxième raison qu’il invoque est un point intéressant, que nous n’avons pas développé, mais nous aurions dû le faire : la qualité de l’éducation. Si vous êtes allés dans les meilleures écoles, on vous aura inculqué qu’il y a certaines choses qu’il serait inconvenant de dire. C’est là, affirme Orwell, un puissant moyen pour prendre les gens au piège, qui va bien au-delà de l’influence des médias.

La stupidité se présente sous plusieurs formes. Je voudrais dire quelques mots d’une forme particulière que je crois être la plus inquiétante de toutes. On peut l’appeler la « stupidité institutionnelle ». C’est une sorte de stupidité entièrement rationnelle dans le cadre où elle s’exerce, mais le cadre lui-même s’étend du grotesque au virtuellement dément.

Au lieu d’essayer de l’expliquer, il est probablement plus utile d’évoquer deux ou trois exemples pour illustrer ce que je veux dire. Il y a trente ans, au début des années 80 – les premières années de Reagan – j’ai écrit un article intitulé « la rationalité du suicide collectif ». C’était au sujet de la stratégie nucléaire, et de comment des gens parfaitement intelligents étaient en train de définir un projet de suicide collectif d’une façon qui était raisonnable dans leur cadre d’analyse géostratégique.

J’ignorais à l’époque à quel point la situation était mauvaise. Nous avons depuis beaucoup appris. Par exemple, un numéro récent du Bulletin of Atomic Scientists présente une étude des fausses alarmes lancées par les systèmes de détection automatique que les États-Unis et d’autres utilisaient pour détecter les attaques de missiles et d’autres menaces pouvant être perçues comme une attaque nucléaire. L’étude porte sur les années 1977 à 1983 et on estime que durant cette période il y eut un minimum d’environ 50 fausses alarmes, et au plus d’environ 255. Il s’agit d’alarmes auxquelles une intervention humaine a mis fin, prévenant le désastre à quelques minutes de l’irréparable.

Il est plausible de supposer que rien de fondamental n’a changé depuis. Mais en réalité, la situation a empiré – ce que je n’avais pas non plus compris à l’époque de la rédaction du livre.

En 1983, à peu près au moment où je l’écrivais, il y avait une très grande peur de la guerre. C’était dû en partie à ce que l’éminent diplomate George Kennan appelait à l’époque « les caractéristiques indubitables de la marche vers la guerre – et rien d’autre ». Elle a été initiée par des programmes que l’administration Reagan a entrepris dès l’entrée en fonctions de Reagan. Tester les défenses russes les intéressait, ils ont donc simulé des attaques aériennes et navales sur la Russie.

C’était une période de grande tension. Des missiles Pershing américains avaient été installés en Europe occidentale, ce qui leur donnait un temps de vol jusqu’à Moscou de cinq à dix minutes. Reagan a aussi annoncé son programme de « guerre des étoiles », compris par les stratèges des deux camps comme une arme de première frappe. En 1983, l’Opération Able Archer a inclus un entraînement qui « a amené les forces de L’OTAN à une simulation grandeur nature de lancement d’armes nucléaires ». Le KGB, nous l’avons appris d’archives récemment publiées, a conclu que les forces américaines avaient été placées en état d’alerte, et auraient même commencé le compte à rebours.

Le monde n’a pas tout à fait atteint le bord de l’abîme nucléaire; mais en 1983, sans en être conscient, il en a été terriblement près – certainement plus près qu’à tout autre moment depuis la Crise cubaine des Missiles de 1962. Les dirigeants russes ont cru que les États-Unis préparaient une première attaque, et qu’ils auraient bien pu avoir lancé une frappe préventive. Je cite en fait une analyse récente faite à un haut niveau des services secrets américains, qui conclut que la peur bleue de la guerre a été réelle. L’analyse indique qu’au fond d’eux-mêmes, les russes gardaient l’ineffaçable mémoire de l’Opération Barberousse, le nom de code allemand pour l’attaque de 1941 d’Hitler sur l’Union soviétique, qui a été le pire désastre militaire de l’histoire russe et a été bien près de détruire le pays. L’analyse américaine dit que c’était exactement ce que la situation évoquait pour les russes.

C’est déjà assez grave, mais il y a encore pire. Il y a un an, nous avons appris que en plein milieu de ces événements menaçant le monde, le système de première alerte de la Russie – semblable à celui de l’Ouest, mais beaucoup plus inefficace – avait détecté l’entrée d’un missile lancé des États-Unis et avait lancé l’alerte de plus haut niveau. Le protocole pour les militaires soviétiques consistait à riposter par une frappe nucléaire. Mais l’ordre doit passer par un être humain. L’officier de service, Stanislav Petrov, décida de désobéir aux ordres et de ne pas transmettre l’avertissement à ses supérieurs. Il a reçu une réprimande officielle. Mais grâce à son manquement au devoir, nous sommes maintenant en vie pour en parler.

Nous avons connaissance d’un nombre énorme de fausses alertes du côté des États-Unis. Les systèmes soviétiques étaient encore bien pires. Mais maintenant les systèmes nucléaires ont été modernisés.

Le Bulletin des Scientifiques atomistes possède une célèbre Horloge de la fin du monde et ils l’ont récemment avancée de deux minutes. Ils expliquent que l’horloge « affiche maintenant trois minutes avant minuit parce que les dirigeants internationaux ne remplissent pas le plus important de leurs devoirs, assurer et préserver la santé et la vitalité de la civilisation humaine. »

Individuellement, ces dirigeants internationaux ne sont certainement pas stupides. Cependant, dans leur fonction institutionnelle, leur stupidité a des implications mortelles. Si l’on regarde rétrospectivement depuis la première – et unique jusqu’ici – attaque atomique, cela semble un miracle que nous en ayons réchappé.

La destruction nucléaire est une des deux menaces majeures et très réelles de notre survie. La deuxième, bien sûr, est la catastrophe environnementale.

Il existe au sein de PricewaterhouseCoopers une équipe reconnue de services professionnels qui vient tout juste de publier son étude annuelle sur les  priorités des PDG. Au sommet de la liste se trouve la sur-réglementation. Le rapport indique que le changement climatique n’apparaît pas dans les dix-neuf premières. Encore une fois, sans aucun doute, les chefs d’entreprise ne sont pas des individus stupides. On peut supposer qu’ils gèrent leurs entreprises intelligemment. Mais la stupidité institutionnelle est colossale, littéralement c’est une menace pour la survie des espèces.

On peut remédier à la stupidité individuelle, mais la stupidité institutionnelle est beaucoup plus résistante au changement. A ce stade de la société humaine, elle met réellement en danger notre survie. C’est pourquoi je pense que la stupidité institutionnelle doit être une préoccupation de première importance.

Merci.

Questions du public :

Comment pourrions-nous surmonter la propagande médiatique et améliorer les médias ? par l’éducation ?

C’est un vieux débat. Aux États-Unis, cela a été débattu pendant près d’un siècle dans le cadre du premier amendement de la constitution américaine, lequel interdit au gouvernement de censurer une publication. Notez que cela ne protège pas la liberté de parole, et n’empêche pas d’être sanctionné pour un discours.

Avant le XXe siècle, il n’y a vraiment pas eu beaucoup d’affaires en rapport avec le premier amendement. Auparavant la presse américaine était très libre, et il existait une large gamme de médias de toutes sortes : journaux, magazines, tracts. Les “Pères fondateurs” croyaient en la liberté de l’information, et beaucoup d’efforts étaient faits pour pousser à avoir la plus large gamme possible de médias indépendants. Néanmoins, la liberté de parole n’était pas fortement protégée.

Des décisions sur la liberté d’expression avaient commencé à être prises au temps de la première guerre mondiale, mais pas par les tribunaux. Ce n’est qu’à partir des années 60 que les États-Unis établissent un niveau de protection élevé de la liberté d’expression. Pendant ce temps, durant l’entre-deux-guerres nombre de discussions avaient pris place dans le cadre de ce qui avait été dénommé liberté “positive” et liberté “négative”, selon Isaiah Berlin, de ce que le Premier Amendement impliquait pour la liberté d’expression et de la presse. Il y avait un point de vue parfois appelé “libertarianisme du monde des affaires”, qui tenait que le Premier Amendement devait s’occuper de la liberté négative : c’est-à-dire que le gouvernement ne peut pas interférer avec le droit des propriétaires des médias à faire ce qu’ils veulent. L’autre point de vue était social démocrate, et était issu du New Deal après la Grande Dépression et au début de l’après seconde guerre mondiale. Celui-là tenait qu’il devait y avoir aussi la liberté positive : en d’autres termes, que les gens devaient avoir droit à l’information en tant que base d’une société démocratique.

La bataille a été menée dans les années 40, et le libertarianisme du monde des affaires a gagné. Les États-Unis sont un cas rare de ce point de vue. Il n’y a aux États-Unis rien qui ressemble à la BBC. La plupart des pays ont des sortes de médias nationaux qui sont aussi libres que l’est la société. Les États-Unis rejettent brutalement tout ceci dans les marges. Les médias ont été fondamentalement remis à des puissances privées qui se servent de leurs moyens selon leur bon vouloir. C’est une interprétation de la liberté d’expression en termes de liberté négative : l’état ne peut pas intervenir et n’affecte en rien les décisions des propriétaires privés. Il y a quelques restrictions, mais pas beaucoup. Les conséquences sont pratiquement l’existence d’un contrôle des idées tel qu’Orwell le décrit, et Edward Herman et moi en discutons de façon très détaillée.

Comment venir à bout de ce problème ? Un moyen est l’éducation ; mais un autre est de revenir au concept de liberté positive, ce qui signifie que dans une société démocratique un grand prix est accordé au droit des citoyens d’accéder à un large éventail d’opinions et de croyances. Ceci signifierait, aux États-Unis, revenir à ce qui en effet était la conception première des fondateurs de la République, à savoir qu’il devait y avoir non pas tant de réglementation de ce qui est dit, mais plutôt un soutien du gouvernement pour une large variété d’opinions, de recueil et d’analyses d’informations – ce qui peut être stimulé de beaucoup de façons.

Gouvernement signifie public : dans une société démocratique, le gouvernement ne doit pas être quelque Léviathan prenant des décisions. Il y a plusieurs importants projets fondamentaux qui cherchent à développer des médias plus démocratiques. C’est un grand combat, à cause de l’énorme pouvoir du capital concentré qui évidemment cherche à empêcher cet avènement par tous les moyens. Mais c’est un combat qui se poursuit depuis longtemps, et il y a des problèmes fondamentaux en jeu, y compris la question des libertés négatives ou positives.

Avez-vous une idée de l’impact que peuvent avoir les algorithmes de recherche et le bouillonnement des recherches sur les tentatives individuelles d’obtenir des informations en vue d’essayer de subvertir le Grand Média ?

Comme vous tous, je me sers tout le temps de moteurs de recherche. Pour les gens suffisamment privilégiés, internet est très utile ; mais en gros il ne vous est utile que dans la mesure où vous avez des privilèges. “Privilèges” ici signifie éducation, ressources, une aptitude de fond à savoir ce qu’il faut chercher.

C’est comme une bibliothèque. Supposons que vous décidiez “je veux être biologiste”, et alors vous vous inscrivez à la bibliothèque du département de biologie de l’université de Harvard. Tout y est, donc en principe vous pouvez devenir biologiste, mais évidemment tous ces livres ne servent à rien si vous ne savez pas quoi chercher, si vous ne savez pas comment interpréter ce que vous voyez, et ainsi de suite. C’est la même chose avec internet. Il y a là une énorme quantité de matériel, parfois de valeur et parfois sans valeur, mais il faut de la compréhension, de l’interprétation et une préparation ne serait-ce que pour savoir quoi chercher. C’est un problème assez différent du fait que le système Google, par exemple, ne soit pas un système neutre. Il reflète les intérêts des annonceurs par ce qu’il met ou ne met pas en avant, et vous devez apprendre à trouver votre chemin dans ce dédale. Donc nous en revenons à l’éducation et l’organisation qui vous permettent d’agir.

Il faut mettre l’accent sur le fait que, en tant qu’individu, vous êtes assez limité dans ce que vous pouvez arriver à comprendre, dans les idées que vous pouvez développer, et même pour savoir comment penser. Donc être isolé limite fortement votre capacité à avoir et à évaluer des idées, que ce soit pour devenir un scientifique créatif ou un citoyen à part entière. C’est une des raisons pour lesquelles le mouvement ouvrier a toujours été en première ligne dans le combat contre la suppression de l’information, avec par exemple des programmes d’éducation des travailleurs, qui avaient autrefois une grande influence à la fois en Angleterre et aux États-Unis. Le déclin de ce que les sociologues appellent les “associations secondaires”, où des gens se réunissent pour chercher et se renseigner, est l’un des processus d’atomisation qui conduit les gens à se retrouver isolés et à devoir faire face seuls à cette masse d’information. Donc, le net est un instrument de valeur, mais comme tous les outils, vous devez être en état de l’utiliser, et ce n’est pas simple. Il exige un développement social significatif.

Comment serait-il possible de rendre les institutions moins stupides ?

Eh bien, cela dépend de quelle institution il s’agit. J’en ai mentionné deux : l’une est le gouvernement au contrôle d’une capacité nucléaire ; l’autre est le secteur privé, qui est pratiquement contrôlé par des concentrations assez réduites de capitaux. Ils exigent des approches différentes. En ce qui concerne la situation du gouvernement, cela nécessite l’élaboration d’une société démocratique qui fonctionne, dans laquelle des citoyens informés joueraient un rôle central dans la détermination de la politique. Le public ne souhaite pas être confronté à la mort et à la destruction par des armes nucléaires, et dans ce cas nous connaissons, en principe, la façon d’éliminer cette menace. Si le peuple était impliqué dans l’élaboration des politiques de sécurité, je pense que cette stupidité institutionnelle pourrait être surmontée.

Il existe une thèse en théorie des relations internationales selon laquelle la principale préoccupation des états serait la sécurité. Mais cela laisse ouverte la question : la sécurité pour qui ? Si vous y regardez d’un peu plus près, il s’avère qu’il ne s’agit pas de la sécurité de la population, mais de celle des secteurs privilégiés de la société – les secteurs qui détiennent le pouvoir de l’état. Il y a des preuves accablantes à cela, malheureusement, je n’ai pas le temps de les passer en revue. Donc, une chose à faire est d’arriver à comprendre de qui l’état protège en fait la sécurité : ce n’est pas la vôtre. Ceci peut être résolu par la construction d’une société démocratique qui fonctionne.

Sur la question de la concentration du pouvoir privé, il y a aussi essentiellement un problème de démocratisation. Une entreprise est une tyrannie. C’est le plus pur exemple d’une tyrannie que vous puissiez imaginer : le pouvoir réside au sommet, les commandes sont envoyées vers le bas étage par étage, et au plus bas de l’échelle, vous avez la possibilité d’acheter ce qu’elle produit. Les gens, les prétendues parties prenantes de la communauté, n’ont presque aucun rôle dans le choix que fait cette entité. Et ces entités ont reçu des droits et pouvoirs extraordinaires, bien au-delà de ceux de l’individu. Mais rien de tout cela n’est gravé dans la pierre. Rien de tout cela n’est fondé par la théorie économique. Cette situation est le résultat, essentiellement, de la lutte des classes, réalisée par les classes d’affaires hautement conscientes de leur position sociale sur une longue période, qui ont maintenant établi leur domination effective sur la société sous diverses formes. Mais cette situation n’a pas de raison d’être, elle peut changer. Encore une fois, la question est de démocratiser les institutions de la vie sociale, politique et économique. Facile à dire, difficile à faire, mais je pense que c’est essentiel.

Source : Philosophy Now, le 04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/noam-chomsky-et-la-stupidite-institutionnelle/


Le témoignage d’une commandante de police fait exploser le dossier Kerviel

Monday 25 May 2015 at 00:11

Excellent article de Médiapart (pensez à les soutenir :) ) sur un sujet évident : la Société Générale a une énorme part de responsabilité dans cette affaire…

C’est une déposition sans précédent, qui transforme le dossier Kerviel en un scandale Société générale. La commandante de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière a raconté au juge d’instruction Roger Le Loire les dysfonctionnements rencontrés lors de ses enquêtes, menées entre 2008 et 2012. Son témoignage fait basculer le dossier et ne peut que forcer la justice à rouvrir l’enquête.

C’est une déposition sans précédent dans l’histoire judiciaire. Elle met à bas tout le dossier Kerviel et pourrait contraindre la justice à rouvrir l’enquête et à réviser ses jugements. Elle pose aussi la question du rôle du parquet qui, dans cette affaire, semble avoir oublié la notion de justice équitable, en soutenant sans réserve et sans distance la position de la Société générale.

Le 9 avril, selon nos informations, le dossier de l’affaire Kerviel a explosé dans les bureaux du juge d’instruction Roger Le Loire. Ce jour-là, le vice-président du tribunal de grande instance de Paris a auditionné un témoin hors norme dans le cadre d’une plainte contre X pour escroquerie au jugement déposée par Jérôme Kerviel : la commandante de police de la brigade financière chargée de l’affaire Kerviel. Celle qui a mené deux fois l’enquête, une première fois en 2008, une seconde en 2012.

Faisant preuve d’un courage exceptionnel et d’une rare intégrité intellectuelle, Nathalie Le Roy, qui a depuis changé d’affectation, avoue devant le juge les doutes qu’elle nourrit sur son enquête de 2008. Cette enquête qui a amené à la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts en appel (le montant des dommages et intérêts est en cours de révision à la cour d’appel de Versailles, après l’arrêt de la Cour de cassation annulant le jugement de la partie civile). L’enquêtrice explique devant le juge avoir complètement changé d’avis sur le dossier.

Alors qu’elle était convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel en 2008, Nathalie Le Roy a commencé à avoir des interrogations, puis des certitudes, quand elle a repris l’enquête en 2012. « À l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », assure-t-elle devant le juge.

Elle détaille les faits troublants et les dysfonctionnements qu’elle a eu à connaître dans le cadre de cette enquête et qui donnent une tout autre dimension à l’affaire. Son récit est stupéfiant et bouscule tout ce qui a été dit jusqu’ici sur ce dossier. À l’issue de cette audition, le juge Le Loire a, semble-t-il, été ébranlé. Car le dossier a basculé. La justice ne peut plus fermer les yeux sur ses errements : ce n’est plus de l’affaire Kerviel qu’il s’agit, mais bien d’une affaire Société générale.

Jamais jusqu’alors, cette commandante de police n’avait raconté cette enquête et exprimé ses doutes sur son déroulé. Ce n’est que parce qu’elle a eu à répondre à la convocation du juge Roger Le Loire qu’elle a accepté de briser le silence. Elle s’en explique devant le juge. « Je ne me suis jamais manifestée pour ne pas interférer dans le cours de la justice, mais j’avoue que ma convocation aujourd’hui m’apporte un soulagement. Je me suis très longtemps remise en question », confie-t-elle lors de son audition.

Face au juge Le Loire, elle revient en détail sur les différentes procédures qu’elle a eu à mener de 2008 à 2012. Elle raconte une enquête complètement prise en main par la Société générale. La banque impose sa version, choisit les interlocuteurs mais fait aussi pression sur les témoins, refuse de répondre aux réquisitions quand elles dérangent. L’enquêtrice parle aussi de l’étrange attitude du parquet. Malgré les doutes dont elle avait fait part, malgré les témoignages qu’elle avait recueillis, malgré les demandes d’expertise qu’elle avait formulées après avoir repris l’enquête en 2012, le parquet préfère enterrer le dossier et s’en tenir au récit largement développé par la banque, sans aller chercher plus loin.

Dès la révélation de l’affaire aux premières heures du 24 janvier 2008, la Société générale a imposé sa version des faits : la banque était victime d’un trader fou, travaillant en solitaire, jouant des milliards à l’insu de sa hiérarchie, de tous les contrôles. Ses positions extravagantes avaient coûté 4,9 milliards d’euros de pertes à la banque, avait alors affirmé son PDG, Daniel Bouton, alors même que toutes les opérations n’étaient pas débouclées, comme l’indique le rapport de la Commission bancaire. Depuis, la Société générale n’a jamais varié ni dans son récit ni sur le montant de ses pertes. Par deux fois, la justice a confirmé la version de la banque et a condamné Jérôme Kerviel pour abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse dans les systèmes informatiques.

Tous les témoins qui ont essayé à un moment ou à un autre de contester la ligne de défense de la Société générale, d’expliquer le fonctionnement des marchés et du monde bancaire, de démontrer qu’il était impossible que la banque ignore tout, de suggérer des pistes d’enquête, ont été ignorés, parfois dénigrés. Certains salariés de la Société générale, comme Philippe Houbé, qui travaillait chez Fimat, filiale de la banque chargée des opérations de compensation, ont été licenciés pour avoir osé contredire « l’histoire officielle ».

Cette fois, la Société générale et la justice vont-elles pouvoir balayer d’un revers de la main ce nouveau témoin ? Nathalie Le Roy est un personnage respecté à la brigade financière et dans le monde judiciaire. Connue pour sa rigueur et son expertise, elle s’est vu confier des dossiers très lourds et est très appréciée par les juges d’instruction.

Quand Eva Joly a commencé à s’intéresser – très tardivement, a-t-elle regretté – à l’affaire Kerviel, elle a écouté longuement ses proches, notamment Julien Bayou, des connaisseurs du dossier, l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, lui expliquer l’affaire. Si les arguments des uns et des autres l’ont convaincue, un détail à chaque fois la choquait : l’enquête avait été menée par Nathalie Le Roy. « J’ai eu à travailler avec elle dans de nombreuses enquêtes. Je connais son professionnalisme et sa rigueur », objectait Eva Joly. Pour l’ancienne juge d’instruction, l’enquête ne pouvait avoir été bâclée. Bâclée ? Elle ne l’a certes pas été. Mais orientée, cadrée, détournée de certains sujets qu’il ne fallait pas approcher ? Peut-être.

« J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée »

Avec le recul, c’est ce doute qu’exprime Nathalie Le Roy lors de son audition, en revenant sur ses premiers moments à la banque. « J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale », confie-t-elle au juge. Une instrumentalisation facilitée par le fait que l’enquêtrice débarque dans un monde financier totalement inconnu. « J’ai été saisie de l’affaire le 24 janvier 2008. Ce dossier m’a été attribué alors que je n’avais aucune connaissance boursière », déclare-t-elle.

La Société générale pourvoit à tout, et prend les inspecteurs de la brigade financière en main, les guide dans la jungle de la finance.  « J’ai tout d’abord entendu madame Dumas [adjointe au responsable des opérations à GEDS, le département où travaille Jérôme Kerviel – ndlr], alors que dans un même temps se déroulaient les perquisitions au siège de la Société générale par les collègues de service. L’ordinateur de Jérôme Kerviel était déjà mis à l’écart (…). Il avait peut-être été étudié, mais ça je ne le sais pas. (…) L’ensemble des documents qui ont été requis dans cette enquête auprès de la Société générale nous ont été fournis par cette dernière, car nous n’avions pas le matériel informatique pour l’exploitation. (…) C’est la Société générale elle-même qui m’adresse les personnes qu’elle juge bon d’être entendues. Je n’ai jamais demandé : “Je souhaiterais entendre telle ou telle personne.” C’est la Société générale qui m’a dirigé tous les témoins », raconte-t-elle. « C’était une position assez confortable », reconnaît-elle devant le juge, avec regret semble-t-il.

« Consignes générales : restituer les faits négatifs en recherchant leur portée, en les remettant dans leur contexte, en les noyant dans les faits positifs, en utilisant la complexité technique », recommandait la Société générale à ses salariés dans un autre dossier, celui du Sentier. Ce procédé est largement utilisé dans l’enquête sur Kerviel. Les témoignages sont noyés dans la technique et le jargon. Les personnes interrogées y parlent beaucoup de positions « short » et « long », de « put » et de « call », de warrants et d’opérations pending, de système Eliot et d’opérations sur Click options. Mais elles se gardent bien d’indiquer les carrefours importants des opérations financières, d’évoquer les appels de marge ou les effets des positions sur la trésorerie quotidienne, de faire allusion au système Zantaz logé aux États-Unis qui conserve tous les mails, ou même de la chambre de compensation Eurex. Bref, de tout ce qui  peut permettre de retracer les mouvements et les contreparties des opérations réalisées par Jérôme Kerviel.

Tous les témoins entendus par la brigade financière accréditent alors la thèse d’un Jérôme Kerviel, trader solitaire, pouvant engager 50 milliards d’euros – plus que les fonds propres de la banque – dans des opérations spéculatives, à l’insu de tous. Ce que conteste Jérôme Kerviel dès sa première audition. « J’ai entendu Jérôme Kerviel qui s’était présenté spontanément pendant 48 heures dans le cadre de sa garde à vue. Déjà à l’époque, il développait la théorie selon laquelle il avait effectivement pris les positions qui lui étaient reprochées, ce en pleine connaissance de la hiérarchie, ce qu’il a toujours maintenu », se rappelle Nathalie Le Roy devant le juge.

L’enquête se poursuit dans le cadre de l’information judiciaire confiée aux juges Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset le 28 janvier 2008. Il faut boucler très vite, d’autant que la commission bancaire et surtout le rapport de l’inspection des finances, commandé par la ministre Christine Lagarde, ont déjà tranché le sujet dès mars 2008 : la Société générale est totalement victime des agissements de son trader.

En octobre 2008, l’enquête de la justice est à son tour achevée. « Sur la masse de scellés que nous avions réalisés, vu l’urgence, compte tenu du peu d’effectifs dans le groupe et de la masse de travail qu’il y avait à effectuer, certains n’ont pas été exploités », reconnaît l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. D’autant qu’il faut parfois des équipements spéciaux pour pouvoir les exploiter. Alors, les enquêteurs s’en tiennent à ce que la Société générale leur fournit. « À titre d’exemple, le fameux entretien qui a eu lieu entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs hiérarchiques à la découverte des faits, ça devait être les 20 et 21 janvier 2008 de mémoire, tous les enregistrements qui ont été faits dans cette salle nous ont été transcrits de manière manuscrite par la Société générale », précise-t-elle.

Le juge Van Ruymbeke puis le président du tribunal correctionnel, Dominique Pauthe, ont refusé à plusieurs reprises à la défense de Jérôme Kerviel, alors représentée par l’avocat Olivier Metzner, d’avoir accès à ces scellés. Ce n’est que quelques semaines avant le procès en appel que la présidente, Mireille Filippini, a accepté que la défense puisse y accéder. Trop tard pour pouvoir les exploiter à temps pour le procès.

David Koubbi, le nouvel avocat de Jérôme Kerviel, découvrira plus tard que certains scellés, dont l’ordinateur de Jérôme Kerviel ou des contenus de boîtes mails, n’ont jamais été ouverts. Il mettra aussi la main sur ces fameuses bandes – 45 au total – ayant enregistré les conversations entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs. La défense découvrira les propos de Jean-Pierre Mustier, alors numéro deux de la Société générale, reconnaissant avoir perdu un milliard d’euros dans les subprimes. Et elle découvrira surtout des blancs, d’énormes blancs dans les enregistrements, blancs qui ne sont pas signalés dans la transcription manuscrite. Plus de deux heures et quarante-cinq minutes de conversations ont ainsi disparu (lire notre enquête : Les silences des bandes de la Société générale) !

Un mail à tête de mort

« L’enquête étant clôturée, j’ai fait mon rapport de synthèse à charge contre Jérôme Kerviel, tout en mettant en avant les manquements et les dysfonctionnements au sein de la Société générale. Nous sommes en 2008. Je suis convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel et de la véracité des témoignages recueillis », déclare l’ancienne enquêtrice de la brigade financière au juge. Ce dossier l’a passionné, reconnaît l’enquêtrice. Elle se souvient avoir suivi toutes les audiences du procès. D’autant que, à la suite de cette première affaire, elle s’est formée dans les affaires boursières et on lui confie nombre d’enquêtes dans ce domaine, à la brigade financière.

Les premiers doutes viendront plus tard, en 2012, quand Jérôme Kerviel dépose deux plaintes, pour faux et usages de faux et escroquerie au jugement. Elle est à nouveau chargée de l’enquête préliminaire. Elle raconte que David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, lui demande alors si elle est prête à recevoir des documents et des témoins, même si ceux-ci peuvent contredire ses conclusions initiales. « Je ferai mon devoir et entendrai tous les témoins qu’il est nécessaire d’entendre », assure avoir répondu Nathalie Le Roy.

Des témoignages, l’avocat de Jérôme Kerviel en a reçu de multiples. Car le procès en première instance puis le procès en appel ont réveillé des consciences, suscité des indignations. Des connaisseurs du monde financier, d’anciens traders ou banquiers, même s’ils n’ont aucun lien avec la Société générale, se sont manifestés pour expliquer que la thèse soutenue par la banque était tout simplement impossible. Les uns et les autres ont fait œuvre de pédagogie pour expliquer le fonctionnement des marchés, les points de contrôle, les contreparties extérieures. Tous aboutissaient aux mêmes conclusions : la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions considérables qu’il avait prises. « C’était visiblement connu sur le marché puisqu’il était surnommé par certains traders “le gros” », raconte Nathalie Le Roy.

Des salariés ou d’anciens salariés de la Société générale sont aussi intervenus, expliquant que tout le monde connaissait les pratiques de Jérôme Kerviel (lire Les confessions d’un ancien trader). « Certains ont accepté de témoigner sous leur nom, d’autres sous couvert d’anonymat », relève l’ancienne enquêtrice.

Celle-ci a en particulier détaillé devant le juge le témoignage de Florent Gras, un ancien salarié de la Société générale. « Il m’a tout de suite dit que l’activité de Jérôme Kerviel était connue, qu’il avait lui-même alerté madame Claire Dumas, qui était dans sa ligne hiérarchique. Il m’a dit avoir envoyé à cette dernière et à d’autres un mail avec une tête de mort pour attirer leur attention », déclare-t-elle. L’avertissement aurait été lancé en avril 2007, soit plus de neuf mois avant le scandale.

« J’avais demandé à la Société générale l’extraction des mails de Florent Gras et le mail en question n’y figurait pas. D’où la réquisition judiciaire du 10 octobre 2012 adressée à M. Oudea (PDG de la Société générale) pour obtenir l’extraction de la messagerie de madame Dumas, ciblée avec ses échanges avec Florent Gras et qui est restée lettre morte », poursuit-elle.

La Société générale n’a pas répondu à cette réquisition de la brigade financière. Comme elle n’a pas répondu à la réquisition pour obtenir les boîtes mails de certains supérieurs hiérarchiques, comme elle n’a pas répondu à d’autres demandes. La banque n’a aucune envie en 2012 de rouvrir une enquête, alors que sa position de victime a été reconnue par la justice en première instance et qu’un procès en appel est encore en cours.

Mais il n’y a pas que la Société générale qui refuse de revenir sur le dossier Kerviel. Le parquet de Paris a également tout fait pour enterrer définitivement l’affaire. Alors que les éléments et les témoignages s’accumulent, laissant penser que la Société générale n’est peut-être pas qu’une simple victime, l’enquêtrice, déclare-t-elle au juge Le Loire, s’est ouverte de ses doutes et de ses questionnements à sa hiérarchie. Celle-ci tente de la rassurer en disant qu’elle avait mené son enquête « en fonction des éléments qui lui avaient été communiqués ». Elle a également alerté le parquet, insistant sur les zones obscures qui ne cessaient d’apparaître dans ce dossier. Pour permettre d’y voir plus clair, elle demande d’engager de nouveaux actes et de nouvelles expertises portant à la fois sur les bandes et sur la saisie des mails stockés aux États-Unis.

Mais tout cela reste aussi lettre morte. Le parquet oppose un refus à tout et décide de classer les deux plaintes sans suite, avant même que l’enquêtrice ait rédigé un rapport de synthèse. « Les deux enquêtes (…) ont fait l’objet d’un retour en l’état à la demande du parquet, deux jours avant l’audience [qui devait prononcer le jugement de la cour d’appel – ndlr], sans synthèse de ma part. J’ai appris le lendemain, soit la veille de l’audience, que les plaintes étaient classées sans suite dans le cadre d’un non-lieu ab initio », dit-elle.

« Vous souvenez-vous de la date ? » demande le juge Roger Le Loire. « Il me semble que l’audience avait lieu le 24 octobre 2012 et que j’ai renvoyé le dossier sans synthèse le 22 », déclare-t-elle. Le parquet estimait manifestement qu’il y avait urgence à clore l’enquête, à fermer toutes les portes, avant le verdict de la cour d’appel condamnant définitivement Jérôme Kerviel comme seul responsable des pertes de la Société générale. Pourquoi ? Sur ordre de qui ? Faut-il croire que les intérêts du monde bancaire sont désormais supérieurs à ceux de la justice ?

« Cadres séquestrés »

Ce classement sans suite ordonné par le parquet perturbe d’autant plus l’enquêtrice qu’à l’occasion de ce procès en appel, auquel elle assistait, elle a rencontré de nombreux traders, outrés par le sort réservé à Jérôme Kerviel.  Un témoignage dans l’assistance l’a alors particulièrement frappée, dit-elle.

« Lors du délibéré, dans les couloirs, j’ai assisté à une conversation d’une dame qui se présentait comme étant aux ressources humaines de la Société générale encore actuellement, qui ne pouvait donc se manifester et qui disait qu’elle était ulcérée que Jérôme Kerviel serve de fusible. Ne sachant comment comprendre ses propos, je me suis présentée à elle en tant que commandant de police à la brigade financière. Elle m’a dit se nommer G. C.. (…) Tout en connaissant ma qualité, elle a surenchéri en m’expliquant qu’en janvier 2008, après la découverte des faits, Frédéric Oudéa, à l’époque directeur financier, avait “séquestré” un certain nombre de cadres afin de leur faire signer un engagement de confidentialité de tout ce qu’ils avaient pu apprendre et qu’ils s’engageaient même à ne pas en parler à leur propre conjoint. De ce qu’elle me disait, la plupart des personnes ont signé cet engagement », rapporte Nathalie Le Roy sur le procès-verbal d’audition. Selon nos informations, des témoins extérieurs ont également assisté à cet échange.

Après cette conversation, Nathalie Le Roy lui a laissé son numéro de téléphone. « Elle m’a appelée. Nous nous sommes rencontrées et elle m’a dit être dans la réflexion de savoir si elle était disposée à témoigner mais de manière anonyme. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles », dit-elle. La peur, sans aucun doute, l’a dissuadée d’aller au-delà.

Ainsi, Frédéric Oudéa, actuel PDG de la Société générale, aurait pu faire pression pour empêcher que certains salariés témoignent devant la justice. Le soupçon avait déjà émergé lors du procès en appel (lire notre article Affaire Kerviel: le prix du silence). Un des responsables hiérarchiques de Jérôme Kerviel, Martial Rouyère, était appelé à témoigner devant le tribunal. Il avait été licencié à la suite du scandale mais en bénéficiant d’une prime de sept années de salaire. Du jamais vu dans l’histoire des prud’hommes.

« Est-ce le prix du silence ? » avait alors demandé la présidente du tribunal, Mireille Filippini. « Le fait de signer un accord comme celui-là ne vous lie que si vous ne voulez pas subir les conséquences… », répondit alors Martial Rouyère. « Qu’est-ce qui se passe si vous parlez ? » demanda l’avocat de Jérôme Kerviel. « Je dois rendre l’argent », répliqua Martial Rouyère. La déclaration ne fit même pas sursauter les juges. Plutôt que de pousser plus loin son questionnement, la présidente préféra clore l’audition, sans demander d’autres éclaircissements. Le pouvoir de l’argent peut beaucoup, même faire oublier à la justice quelques principes fondamentaux.

Mais pourquoi ces accords de confidentialité, ces compensations hors norme et peut-être ces pressions sur témoins ? Pourquoi la banque refuse-t-elle de délivrer des documents demandés par les enquêteurs, après leur en avoir obligeamment sélectionné d’autres ?  La Société générale aurait-elle quelque chose à cacher ?

« Dans le cadre du fonctionnement procédural de cette enquête, je me suis étonnée qu’il n’ait jamais été possible d’obtenir une expertise sur le montant des pertes déclarées par la Société générale », soulève Nathalie Le Roy durant son audition. C’est un des points clés de ce dossier hors norme. Les pertes de la Société générale, reconnues par la justice, l’ont été aux seuls dires de la banque. Même si le montant peut être révisé par la cour d’appel de Versailles, Jérôme Kerviel a tout de même été condamné par deux fois à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts sur la seule parole de son ancien employeur.

 « Il faudrait solliciter une expertise afin de s’assurer que les pertes annoncées sont bien en totalité liées aux opération de Jérôme Kerviel, chercher à savoir quelles sont les contreparties des opérations de débouclage. Car si la Société générale a perdu les 4,9 milliards, il y a forcément quelqu’un qui en a bénéficié », remarque, en guise de conclusion, l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. Une suggestion qui pourrait être retenue par le juge d’instruction Roger Le Loire.

Jusqu’à présent, ce mystère reste entier. Officiellement, personne n’a gagné face à la Société générale. Aucun intervenant financier, en tout cas, ne s’est vanté d’avoir réalisé de gains substantiels dans ces opérations. Les 4,9 milliards d’euros perdus par la Société générale se sont évanouis dans la nature.

Et encore la banque n’a-t-elle, in fine, pas tout perdu. Car dès mars 2008, sans attendre les décisions de la justice, Bercy, s’appuyant sur le rapport de l’inspection des finances, accordait un avoir fiscal de 1,7 milliard d’euros à la banque, du fait de ses pertes, inclus dans ses comptes 2007, alors que tout s’était passé en 2008. Ce cadeau fiscal a vite servi. Dans l’année, la direction de la SG – banque pourtant très touchée par la crise des subprimes – décidait de verser 420 millions d’euros, soit 45 % de son bénéfice, de dividendes à ses actionnaires et de racheter pour 1,2 milliard d’euros d’actions. À quelques millions près, c’est la somme dont lui ont fait cadeau les contribuables.

Source : Martine Orange, pour son blog Mediapart, le 17 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-temoignage-dune-commandante-de-police-fait-exploser-le-dossier-kerviel/