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[Grèce 1] La Grèce proche de la fin de la crise ?

Tuesday 16 June 2015 at 04:14

Grèce : Angela Merkel a-t-elle cédé ?

Angela Merkel a-t-elle choisi la voie de la conciliation ?

Angela Merkel a-t-elle choisi la voie de la conciliation ?

Selon Bloomberg, l’Allemagne ne demanderait plus qu’une “seule réforme” pour convenir d’un accord avec Athènes. Le signe d’une défaite cuisante pour Wolfgang Schäuble ?

On a beaucoup glosé sur les tensions au sein du gouvernement grec et entre Syriza et le premier ministre hellénique Alexis Tsipras. On en a fait la clé des négociations entre la Grèce et ses créanciers. Sans doute trop. Car on a oublié que la véritable clé réside bien plutôt à Berlin, au sein même du gouvernement allemand et de la coalition d’Angela Merkel. Or, ces tensions apparaissent de plus en plus réelles. Le 26 mai déjà, le quotidien conservateur Die Welt révélait que la chancelière et son ministre des Finances étaient sur des positions divergentes concernant l’attitude à tenir face à une Grèce qui refuse de céder aux injonctions de ses créanciers. Ce mercredi 10 juin, c’est un député social-démocrate, vice-président du groupe SPD au Bundestag, Carsten Schneider, qui confirme à la radio Deutschlandfunk que « le groupe parlementaire conservateur est divisé et le gouvernement aussi » sur le sujet grec.

Les deux visions allemandes

Cette division est connue : Wolfgang Schäuble est, depuis fort longtemps, un partisan de l’exclusion de la Grèce de la zone euro, sauf à ce que ce pays se plie aux conditions de ses créanciers. Il voit à cette méthode plusieurs intérêts : un effet « d’exemple » d’abord pour les autres pays qui seraient tentés de « ne pas respecter les règles », une cohérence renforcée ensuite pour la zone euro puisqu’on aura imposé une unique politique économique possible et, enfin, une sécurité pour les contribuables allemands. Face à lui, Angela Merkel refuse de prendre le risque de fragiliser l’euro tant pour des raisons économiques que politiques. Or, plus le blocage actuel de la situation entre la Grèce et ses créanciers oblige le gouvernement allemand à faire un choix entre ces deux positions : ou accepter de faire des concessions à Athènes pour la conserver dans la zone euro ou exiger jusqu’au bout une capitulation grecque au risque du Grexit.

Pourquoi Angela Merkel fait encore monter les enchères

Berlin a déjà lâché un peu de lest en oubliant dans le dernier plan les demandes de réforme du marché du travail et en abaissant les objectifs d’excédents primaires. Mais au prix d’exigences très dures sur les retraites. En fait, dans le jeu auquel se livre Athènes et Berlin, chacun tente de montrer à l’autre qu’il est prêt à la rupture, pour le faire céder en premier. On tente donc d’obtenir de l’adversaire le plus de concessions possibles. Avec le report au 30 juin de l’échéance du FMI, on peut donc encore continuer ce petit jeu. Angela Merkel serait sans doute fort aise de pouvoir présenter à son opinion publique une défaite d’Alexis Tsipras sur le terrain des retraites. Mais si le premier ministre grec ne cède pas et si le défaut se rapproche, il lui faudra nécessairement faire le choix présenté plus haut.

Wolfgang Schäuble sur la touche ?

Or, pour Carsten Schneider, ce choix est déjà fait. « Wolfgang Schäuble peut bien donner des interviews, il ne participe plus réellement aux négociations », a-t-il affirmé dans une autre interview à la chaîne de télévision ZDF. « Angela Merkel lui a retiré son mandat de négociation », ajoute-t-il à la Deutschlandfunk, avant de comparer le sort de Wolfgang Schäuble à celui de Yanis Varoufakis, qui avait été mis en retrait des négociations en mai par Alexis Tsipras. Désormais, donc, Wolfgang Schäuble ne servirait plus que d’aiguillon, jetant volontiers de l’eau sur le feu, évoquant à l’envi dans la presse, le Grexit ou le « Graccident », mais il n’aurait plus aucune prise sur les discussions. Du reste, sa ligne a déjà été largement écornée par les concessions acceptées par les créanciers dans leur dernier plan. Carsten Schneider, qui n’a sans doute pas parlé sans l’accord des dirigeants sociaux-démocrates présents dans le gouvernement, pourrait donc bien avoir raison.

Menace de la SPD

Angela Merkel pourrait donc avoir fait le choix d’une solution de compromis avec Athènes. Le durcissement de ses derniers jours serait tactique. A la fois pour faire céder, si c’est encore possible, Alexis Tsipras et pour montrer aux députés conservateurs allemands sa détermination à le faire. Mais Carsten Schneider se dit certain que « le groupe parlementaire conservateur suivra sa chancelière. » Du reste, prévient-il, si ce n’est pas le cas « ce sera la fin de ce gouvernement. » par la bouche de Carsten Schneider, la SPD met donc directement en garde la chancelière sur une explosion de la « grande coalition » en cas d’échec des négociations avec la Grèce.

Or, si les sondages demeurent encore largement favorables à la chancelière, il n’est pas certain que cette dernière ait envie de se lancer dans une campagne électorale maintenant, alors même qu’elle est engluée dans l’affaire de la collaboration entre les services secrets allemands et étatsuniens qui lui coûte cher en popularité. De même, des élections anticipées sur fond de rumeurs de Grexit pourrait donner une nouvelle vie aux Eurosceptiques d’AfD actuellement en voie de dissolution en raison de leurs divergences internes. Bref, le moment est assez mal choisi, d’autant qu’un accord avec la Grèce bénéficiera sans doute d’une large majorité au Bundestag, les groupes du Parti de gauche Die Linke et des Verts votant sans doute en sa faveur…

« Où il y a une volonté, il y a un chemin »

Dans ce cadre, le refus sec du « plan grec modifié » par la Commission ce mardi 9 juin, ne doit pas être interprété comme le signe d’un blocage irrémédiable de la part des créanciers. C’est bien plutôt un moyen de faire monter la pression. Mais Angela Merkel a, ce mercredi en début d’après-midi, affirmer par une phrase sibylline que les négociations continuaient : « où il y a une volonté, il y a un chemin. » Comprenez : la négociation se poursuit. Au reste, le vice-président de la Commission Valdis Dombrovskis, a reconnu que les créanciers « sont prêts à étudier des alternatives aux coupes dans les retraites. » Or, ces coupes sont le principal obstacle qui empêche aujourd’hui un accord. Selon Bloombergqu cite deux personnes familières des discussions, l’Allemagne se contenterait désormais “d’une seule réforme“. S’il n’est pas sûr qu’un accord soit trouvé la semaine prochaine, comme l’affirme Carsten Schneider, ni même qu’un accord soit in fine trouvé, il semble que la ligne Merkel, celle qui refuse la rupture avec la Grèce et le risque d’un Grexit l’ait bien emporté sur celle de Wolfgang Schäuble. Ce serait incontestablement une victoire pour Alexis Tsipras qui serait le fruit de sa persévérance.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 10 juin 2015.


Grèce : le piège tendu par les créanciers

Alexis Tsipras refuse de céder à "l'irréalisme" du plan des créanciers. A raison ?

Alexis Tsipras refuse de céder à “l’irréalisme” du plan des créanciers. A raison ?

Un examen des conditions du plan des créanciers montre que ces derniers renouvellent les erreurs d’analyse du passé. Un aveuglement qui a une fonction tactique.

« Les propositions soumises par les Institutions sont clairement irréalistes. » Vendredi 5 juin à la tribune de la Vouli, le parlement grec, Alexis Tsipras, le premier ministre grec, (dont on peut lire ici le discours traduit en français) a clairement repoussé la proposition d’accord de cinq pages soumis par les créanciers de la Grèce à son gouvernement. « Jamais je n’aurais pu croire, surtout, que des responsables politiques, et non des technocrates, échoueraient à comprendre qu’au bout de cinq années d’austérité dévastatrice il ne se trouverait pas un seul député grec pour voter, dans cette enceinte, l’abrogation de l’allocation accordée aux retraités les plus modestes ou l’augmentation de 10 points de la TVA sur le courant électrique », a expliqué l’hôte de Maximou, le Matignon hellénique. Cette réaction a déclenché des cris d’orfraies dans le camp des créanciers qui n’ont pas goûté le rejet sec de ces cinq pages qu’ils avaient eu tant de mal à élaborer. Jean-Claude Juncker a montré sa mauvaise humeur en faisant une de ses habituelles leçons de morale.

Une consommation basse et juste stabilisée.

La colère des créanciers est-elle justifiée ? Les propositions des créanciers sont-elles réalistes et rationnelles ? Peuvent-elles concrètement donner une nouvelle chance à l’économie grecque de rebondir ? Pour y répondre, il faut d’abord rappeler la situation de l’économie grecque. Cette situation est peu lisible aujourd’hui en raison du blocage entre créanciers et gouvernement, mais il est certain que la Grèce doit faire face à un problème de demande et la consommation est son point faible. La consommation des ménages a été en 2014 inférieure à celle de 2005. Elle a reculé en prix constants de 17,5 % depuis 2008 et de 0,4 % par rapport à 2013. Il y avait donc une stabilisation à un niveau bas qui n’assurait guère de base pour une vraie reconstitution de l’économie grecque dont la consommation des ménages représente les deux-tiers du total.

Les propositions sur la TVA

Dans ce contexte, les créanciers proposent certes d’abaisser le taux intermédiaire de 13 % à 11 %, mais ils cherchent à relever le poids de la TVA en supprimant le taux réduit de 6 % et en élargissant, notamment à la restauration et à l’énergie les services et les biens frappés par le taux supérieur de 23 %. En tout, l’alourdissement s’élèvera à 1,8 milliard d’euros dès le 1er janvier. L’effet de cette mesure peut être sensible dans la mesure où l’énergie est une dépense incompressible des ménages et que son renchérissement se fera directement ressentir sur d’autres dépenses. On a vu a contrario que la baisse du prix de l’énergie dans de nombreuses économies européennes, comme l’Espagne ou l’Italie, a permis un rapide redressement de la consommation.

Cercle déflationniste

Certes, en cas d’accord, dans un premier temps, il existera une compensation dans la mesure où la consommation des ménages grecs sera sans doute gonflée par les dépenses qui ont été restreintes durant les « négociations » avec les créanciers : les ménages thésaurisent actuellement pour se prémunir contre un éventuel « Grexit. » Mais, à terme, l’effet de cette hausse de la TVA risque de se faire durement ressentir sur l’économie grecque. Ce serait en réalité le maintien d’une logique déflationniste. Les entreprises ne pourront faire face à cette nouvelle baisse de demande que par des baisses de prix. Or, la Grèce est encore en déflation profonde (les prix ont baissé de 1,8 % en mai sur un an). Ceci présage d’une nouvelle hausse du chômage pour compenser ces baisses de prix. D’où une nouvelle baisse de la demande des ménages à attendre…

Le tourisme en danger

Cette hausse sera d’autant plus sensible qu’elle touche aussi un des derniers points forts de l’économie grecque : le tourisme. Avec la crise, la Grèce est devenue plus dépendante du tourisme qui représente 18 % de son PIB contre 16 % en 2009. Or, les créanciers et les autorités grecques proposent de supprimer les exemptions dont bénéficiaient les services touristiques dans les îles égéennes. Les créanciers veulent également faire passer de 11 % à 23 % la TVA sur la restauration. C’est mettre en danger les avantages compétitifs de la Grèce sur le marché du tourisme méditerranéen. Là encore, la seule parade sera soit de développer l’économie informelle, soit (et les deux options ne sont pas exclusives) de licencier. A la clé, c’est risquer de voir ce secteur important rapporter moins à l’économie, mais aussi aux caisses de l’Etat. C’est pourquoi le gouvernement grec propose de ne lever l’exemption dans les îles qu’après le 1er octobre, afin de pouvoir épargner la saison touristique de cette année.

Des choix qui n’ont rien appris des erreurs de 2010-2012

Cette politique de hausse du poids de la TVA semble contre-productive. Les créanciers renouvellent ici clairement leurs erreurs de 2010 et 2012, alors même que le FMI avait reconnu ses erreurs. En pratiquant une taxation supplémentaire d’une demande affaiblie, on s’assure à coup sûr de recettes inférieures aux prévisions pour l’Etat. Accepter cette logique pour Athènes serait accepter la logique des trois gouvernements précédents : ce serait accepter d’avance de nouvelles coupes budgétaires pour « entrer dans les clous. »

La question des excédents primaires

Voici pourquoi le gouvernement refuse aussi des objectifs d’excédents primaires trop importants. L’affaiblissement économique du premier semestre rend nécessairement caduc l’objectif du mémorandum de 2012 (3,5 % du PIB cette année) qui, du reste, semblait devoir l’être avant même les élections du 25 janvier. L’excédent de 1 % du PIB, soit 1,8 milliard d’euros, proposé par les créanciers semble un objectif atteignable. De janvier à avril, l’excédent primaire grec s’élevait encore à 2,41 milliards d’euros. Mais il convient de prendre en compte dans ce chiffre les arriérés du gouvernement, autrement dit les factures non payées dans les 90 jours, qui sont passées entre décembre et avril 2015 de 157 à 478 millions d’euros. Il faut que le gouvernement puisse payer ses fournisseurs rapidement, ou bien, là encore ce serait un coup dur porté à l’économie. Tout dépendra donc de l’évolution des recettes pour savoir s’il faudra ou non pratiquer de nouvelles coupes franches. Or, en mai, les recettes fiscales ont été mal orientées. L’objectif grec de 0,6 % du PIB, soit 1,1 milliard d’euros, permet de se prémunir contre une mauvaise surprise dans les recettes. Mais surtout, il s’agit de pouvoir libérer quelques centaines de millions d’euros pour mener des politiques de soutien, notamment sociales. Ces excédents sont des garanties pour les créanciers mais ne sont d’aucune utilité pour l’économie grecque. Athènes tente de sauvegarder quelques moyens d’actions. Néanmoins, il peut y avoir sans doute sur ce sujet des bases de discussions possibles sur quelques points de PIB.

De forts excédents pendant des années

Le principal problème vient des objectifs pour les années suivantes. Les créanciers et le gouvernement s’accordent sur un objectif d’excédent primaire de 3,5 % du PIB en 2018 (contre 4,5 % dans le mémorandum), mais les créanciers veulent aller plus vite que les Grecs (2 % contre 1,5 % en 2016,  3 % contre 2,5 % en 2017). On notera cependant qu’Athènes accepte le principe d’une progression  de l’excédent primaire. Ceci supposera ou une forte hausse des recettes par la croissance ou l’impôt, soit de nouvelles coupes. Il y a là une acceptation par le gouvernement grec d’une certaine austérité, même si elle est plus « douce » que celle proposée par le mémorandum de 2012 et par les créanciers. C’est une concession douloureuse de la part d’Alexis Tsipras qui accepte en quelque sorte le principe qu’une partie des richesses du gouvernement doit être réservée au remboursement de la dette. Il n’y a donc pas de « rupture » avec ce que l’économiste de la gauche de Syriza Costas Lapavitsas appelait le « péonage de la dette. »

Comment Alexis Tsipras veut compenser l’austérité qu’il a accepté

Mais, Alexis Tsipras espère contrer ces critiques par deux phénomènes. D’abord, cette concession s’accompagnerait d’investissements européens (les créanciers refusent tout plan de ce genre) et de l’intégration de la Grèce aux rachats de titres de la BCE, ce qui devrait favoriser la croissance, donc réduire le poids de l’effort du gouvernement. Ensuite, cet « effort » sera mieux réparti puisque le gouvernement entend modifier le barème du prélèvement de solidarité pour le faire porter sur les plus aisés. Les revenus de plus de 100.000 euros annuels verront ainsi cette contribution passer de 2,8 % à 6 %, ceux de plus de 500.000 euros de 2,8 % à 8 %. A noter cependant que le poids de cette contribution sera aussi fortement relevée pour les classes moyennes puisque le niveau de contribution sera relevée à partir de 30.000 euros de revenus mensuels (de 1,4 % à 2 %) et sera presque doublé pur ceux qui gagnent de 2,1 % à 4 %. L’effort sera donc mieux réparti, mais il touchera une grande partie des ménages et cela peut aussi avoir un effet négatif sur la consommation. Néanmoins, cette hausse de la contribution ne sera que de 220 millions d’euros en 2015, donc inférieur au milliard d’euros d’alourdissement de la TVA contenu dans le plan des créanciers.

Justice fiscale

Enfin, le gouvernement grec entend aussi faire contribuer les grandes entreprises par une taxe extraordinaire et par une taxe sur les publicités. En tout, ceci devrait rapporter 1,16 milliard d’euros. Sans compter sa volonté de lutter contre la fraude fiscale. Par ailleurs, le gouvernement maintient l’impôt sur la propriété Enfia, qui est un poids sur la consommation hellénique, sans objectif de recettes. Les créanciers exigent le maintien de la recette de 2014, ce qui signifie une hausse du taux puisqu’il y a une baisse de la valeur des biens. Rien de plus faux donc que les propos des créanciers qui jugent que la proposition grecque ne contient aucun « effort. » Alexis Tsipras a fait de grandes concessions à la logique de l’austérité exigée par ces créanciers. Il est sans doute allé aussi loin qu’il le pouvait et qu’il le voulait dans ce domaine. Un pas de plus et il accepterait rien d’autre que de prendre la place de ses prédécesseurs…

Le nœud gordien des retraites

Reste un dernier point : les retraites dont on a déjà vu qu’il constituait le nœud gordien de la mésentente avec les créanciers. Ces derniers ont eu la main lourde dans ce domaine, alors même qu’il savait que c’était là un point sensible pour le gouvernement grec. Ils réclament non seulement une baisse de 1 % des retraites, soit 1,8 milliard d’euros de revenus ôtés aux ménages, mais le report de l’âge légal de la retraite à 67 ans. En mars, le taux de chômage en Grèce était de 25,6 %, avec un taux de 19 % pour la tranche d’âge 55-64 ans. En cas de report de l’âge de la retraite à 67 ans, il y aura donc mécaniquement moins d’emplois libérés et cela portera sur les tranches d’âge inférieures où le chômage est plus élevé. Par ailleurs, s’il est plus faible que dans les autres tranches d’âge, le chômage des 55-64 ans a connu la plus forte hausse entre mars 2014 et mars 2015 : alors que le chômage des 15-34 ans reculait, celui des 55-64 ans progressait de 1,6 point. Bref, on fera travailler davantage des gens qui sont davantage au chômage en faisant peser un risque sur le reste des salariés. Le tout sans incitations pour l’emploi. Bien au contraire, comme on l’a vu avec la TVA.

Le rôle social des retraites

Parallèlement, les retraites ont un rôle social important dans la société grecque. Elles freinent clairement les effets sociaux de l’austérité en offrant des revenus notamment aux chômeurs de la famille. En Grèce, seuls 14,4 % des chômeurs sont indemnisés. Ce serait surtout, encore une fois, faire payer les plus fragiles puisque, quoique considérées comme « généreuses » par les créanciers, 45 % des retraités grecs touchent moins de 665 euros, soit le niveau du seuil de pauvreté défini par Eurostat. La pension moyenne grecque est d’ailleurs de 664,7 euros à laquelle il faut ajouter les retraites complémentaires, en moyenne de 168,40 euros. Les créanciers veulent, outre les baisses des pensions, supprimer progressivement ce système d’ici à fin 2016. Ces exigences des créanciers seraient donc très négatives sur la croissance grecque. Or, rappelons-le, tout est lié. Un affaiblissement de la croissance se traduirait, pour tenir les objectifs fixés, par de nouvelles coupes. Comme de 2010 à 2013. C’est précisément ce que les Grecs veulent éviter, car leur stratégie d’une austérité « acceptable » s’effondrerait alors. Ils retrouveraient la logique des gouvernements précédents.

Le piège des créanciers

Le plan des créanciers est donc clairement un plan « politique. » Il entend maintenir une stratégie qui a échoué pour pouvoir mettre à genoux politiquement le gouvernement grec effacer le vote grec contre l’austérité du 25 janvier. Aucune logique économique ne peut réellement soutenir un tel plan. Même la volonté de « prendre des garanties » pour le remboursement futur des dettes ne tient pas. L’affaiblissement de la croissance grecque ne peut en aucun cas constituer une quelconque garantie. Les deux restructurations de 2011 et 2012 le prouvent. De surcroît, on a vu qu’Alexis Tsipras acceptait des concessions qu’il a, lui-même, qualifié de « douloureuses » (on pourrait aussi évoquer l’acceptation d’une partie des privatisations). Les créanciers ont déjà obtenu beaucoup et Alexis Tsipras aura déjà bien du mal à redresser le pays avec ces concessions.

Apprentis sorciers

Mais le maximalisme des créanciers, leur volonté d’imposer les erreurs du passé, prouvent qu’ils ne visent pas un objectif financier ou économique. En réalité, ce plan des créanciers n’est qu’un piège. En l’acceptant, Alexis Tsipras retomberait dans l’erreur de ses prédécesseurs. Pris dans le cercle vicieux des objectifs et d’une croissance faible, voire négative, il devrait passer sous les fourches Caudines des coupes budgétaires. La politique « alternative » prônée par l’exécutif grec deviendrait impossible. Si le gouvernement de Syriza ne tombe donc pas immédiatement, il subira le sort de tous les gouvernements de gauche « gestionnaires de l’austérité » et le parti disparaîtra comme le Pasok, dont le maintien à la Vouli est désormais incertain. Resteront alors face à face les partis assumant la sortie de l’euro (Parti communiste et Aube Dorée) et les « amis » de l’Europe de Bruxelles de Nouvelle Démocratie. Le but est de prouver qu’il n’y a pas d’alternative aux politiques d’austérité budgétaire. Cette tactique de la « terre brûlée » fait des créanciers aujourd’hui des apprentis sorciers bien dangereux pour l’avenir de l’Europe.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 8 juin 2015.


Comment Tsipras coince l’Europe, financièrement

Les Grecs accumulent les réserves hors de leur pays, avec l’aide complice de la BCE: c’est elle qui finance, en fait, la fuite des capitaux hors de Grèce. Va-t-elle mettre fin à cette situation, dont joue le premier ministre grec, Alexis Tsipras? Par Hans-Werner Sinn, président de l’Ifo

Les spécialistes de la théorie des jeux savent pertinemment qu’un plan A n’est jamais suffisant. Il est toujours nécessaire d’élaborer et de pouvoir proposer un plan B crédible – qui, par sa menace, permet de faire avancer les négociations entourant le plan A. Il semble que le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, soit expert en la matière. En effet, consacré « poids lourd » du gouvernement grec, Varoufakis travaille actuellement à la confection d’un plan B (une éventuelle sortie de la zone euro), tandis que le Premier ministre Alexis Tsipras se tient disponible dans le cadre du plan A (extension de l’accord de prêt intéressant la Grèce, et renégociation des modalités de renflouement du pays). Ainsi se retrouvent-ils en quelque sorte à jouer les rôles du « good cop, bad cop » – jusqu’à présent avec une grande réussite.

Le plan B se compose de deux éléments clés. Il revêt tout abord une composante de provocation pure et simple, destinée à échauffer l’esprit des citoyens grecs, afin d’attiser les tensions entre le pays et ses créanciers. On tente de persuader les citoyens grecs qu’en maintenant leur confiance dans le gouvernement, ils pourraient échapper à de grave injustices au cours de la période difficile qui suivrait une sortie de la zone euro.

Le gouvernement grec laisse s’opérer la fuite des capitaux

Deuxièmement, le gouvernement grec provoque parallèlement une hausse des coûts qu’engendrerait le plan B, en laissant s’opérer une fuite de capitaux de la part des citoyens. Dans un tel scénario, le gouvernement pourrait s’efforcer de contenir cette tendance au moyen d’une approche plus conciliante, ou de l’endiguer immédiatement grâce à l’introduction de contrôles sur les capitaux. Néanmoins, une telle démarche viendrait affaiblir sa position de négociation, ce qui est pour lui hors de question.

Cette fuite des capitaux ne signifie pas leur expatriation en termes nets, mais plutôt que les capitaux privés se changent en capitaux publics. Grosso modo, les citoyens grecs contractent des emprunts auprès des banques locales, prêts largement financés par la Banque centrale grecque, qui elle-même acquiert des fonds via le dispositif ELA de fourniture de liquidités d’urgence de la Banque centrale européenne. Ils transfèrent ensuite leur argent vers d’autres pays afin d’acheter des actifs étrangers (ou de rembourser leurs dettes), aspirant ainsi la liquidité des banques de leur pays.

Les autres banques centrales contraintes d’imprimer de nouveaux billets…

Les autres banques centrales de la zone euro sont ainsi contraintes d’imprimer de nouveaux billets afin que soient honorés les ordres de paiement des citoyens grecs, conférant alors à la Banque centrale grecque un crédit par découvert, tel que mesuré par les fameuses dettes TARGET. Aux mois de janvier et février, les dettes TARGET de la Grèce ont augmenté de presque 1 milliard d’euros par jour, en raison d’une fuite des capitaux des citoyens grecs et des investisseurs étrangers. Fin avril, ces dettes atteignaient 99 milliards d’euros.

…et qui perdraient leurs créances en cas de sortie de la Grèce de la zone euro

Une sortie de la Grèce ne viendrait pas affecter les comptes dont ses citoyens disposent dans d’autres États de la zone euro – et encore moins faire perdre aux Grecs les actifs dont ils ont fait l’achat grâce à ces comptes. En revanche, une telle sortie aboutirait à ce que les banques centrales de ces États se retrouvent coincées avec les créances TARGET, libellées en euro, des citoyens grecs vis-à-vis de la Banque centrale de Grèce, qui pour sa part détiendrait des actifs libellés exclusivement dans une drachme fraichement rétablie. Étant donné l’inévitable dévaluation de cette nouvelle monnaie, et sachant que le gouvernement grec n’est pas tenu de parer à la dette se sa banque centrale, il est quasiment certain qu’un défaut viendrait priver les autres banques centrales de leurs créances.

Tsipras renforce ainsi sa position de négociation

Une situation similaire survient lorsque les citoyens grecs retirent des espèces sur leurs comptes pour ensuite les stocker dans des valises ou les emporter à l’étranger. Si la Grèce venait à abandonner l’euro, une part substantielle de ces fonds – dont le total atteignait 43 milliards d’euros à la fin du mois d’avril – se déverserait alors dans le reste de la zone euro, que ce soit vers l’achat de biens et actifs ou vers le remboursement de dettes, ce qui entraînerait une perte nette pour les membres demeurant dans l’union monétaire.

Tout ceci vient considérablement renforcer la position de négociation du gouvernement grec. Il n’est donc pas étonnant que Varoufakis et Tsipras jouent la montre, en refusant de présenter un ensemble de propositions de réformes significatives.

La responsabilité de la BCE

La BCE partage une importante responsabilité dans cette situation. En échouant a rassembler au Conseil de la BCE les deux tiers de majorité nécessaires pour limiter la stratégie de self-service de la Banque centrale grecque, elle a permis la création de plus de 80 milliards d’euros de liquidités d’urgence, qui excèdent les quelque 41 milliards d’euros d’actifs recouvrables dont dispose la Banque centrale grecque. Les banques de Grèce étant ainsi certaines de bénéficier des fonds nécessaires, le gouvernement n’a pas eu à mettre en place de contrôles sur les capitaux.

La rumeur voudrait que la BCE s’apprête à réajuster son approche – et cela très prochainement. L’institution est consciente que l’argument selon lequel les prêts ELA sont garantis s’érode peu à peu, puisque dans bien des cas cette garantie présente une notation inferieure à BBB-, en dessous de la catégorie investissement.

Si la BCE décidait enfin d’admettre l’impasse, et de retirer le filet de sécurité qui sous-tend la liquidité de la Grèce, le gouvernement grec serait alors contraint de commencer à négocier sérieusement, puisqu’il n’aurait aucun intérêt à attendre plus longtemps. Pour autant, le stock d’argent envoyé à l’étranger et détenu en liquidités ayant d’ores et déjà explosé jusqu’à 79 % du PIB, sa position demeurerait solide.

Autrement dit, en grande partie grâce à la BCE, le gouvernement grec serait en mesure d’obtenir une issue plus favorable – notamment accroissement de l’aide financière et réduction des exigences de réforme – que jamais auparavant. Une large part des ressources acquises, mesurées selon les soldes TARGET, ainsi que des liquidités imprimées, se changerait ainsi en un véritable cadeau de dotations vers un avenir d’indépendance.

Beaucoup en Europe semblent considérer Varoufakis, spécialiste de la théorie des jeux mais en même temps néophyte sur le plan politique, comme incapable d’exploiter les cartes que joue la Grèce. Ceux-là feraient bien d’y réfléchir davantage – avant que la Grèce ne s’en aille avec la mise.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Hans-Werner Sinn, professeur d’économie et de finances publiques à l’Université de Munich, est président de l’Ifo Institute for Economic Research, et membre du Conseil consultatif du ministre allemand de l’économie. Il est l’auteur d’un récent ouvrage intitulé The Euro Trap: On Bursting Bubbles, Budgets, and Beliefs.

Source : Hans-Werner Sinn, pour La Tribune, le 5 juin 2015.


Grèce : les coupes dans les retraites jugées inconstitutionnelles

800.000 retraités grecs vont connaître une revalorisation de leurs pensions.

800.000 retraités grecs vont connaître une revalorisation de leurs pensions.

Le Conseil d’Etat grec a cassé les coupes dans les pensions décidées fin 2012 sous la pression de la troïka. Les pensions seront revalorisées. Quelles conséquences pour les négociations ?

C’est une excellente nouvelle pour les retraités grecs, mais c’est aussi un nouveau casse-tête pour le premier ministre hellénique Alexis Tsipras dans les négociations avec les créanciers. Mercredi 10 juin, le conseil d’Etat grec a annulé pour inconstitutionnalité les coupes dans les retraites et dans les retraites complémentaires décidées fin 2012 par le gouvernement d’Antonis Samaras. La plus haute juridiction administrative grecque a considéré qu’aucune étude sérieuse n’avait été menée concernant l’impact de ces coupes. Le Conseil d’Etat n’oblige pas l’Etat à rembourser les retraités qui ont subi ces coupes dans leurs revenus, mais il faudra rétablir le niveau d’avant 2012. Ces coupes concernaient les retraités touchant plus de 1.000 euros de retraites mensuelles, soit 800.000 personnes. La revalorisation va de 5 % à 15 % et coûtera entre 1 milliard d’euros et 1,5 milliard d’euros à l’Etat, soit une facture s’élevant de 0,5 % à 0,8 % du PIB.

La fin de la discussion sur les retraites ?

Cette décision ne va certainement pas manqué d’avoir une certaine influence sur les négociations où la question des retraites est centrale. Alexis Tsipras refusait jusqu’ici avec fermeté l’exigence des créanciers de couper davantage dans le niveau des pensions. Dans leur dernier plan, les Européens et le FMI demandaient des coupes de 1,8 milliard d’euros. La décision du Conseil d’Etat vient d’une certaine façon conforter la position grecque : il sera difficile de reprendre et d’aggraver des mesures déjà jugées inconstitutionnelles.

Du coup, il y a fort à parier (mais ce n’est pas sûr) que le nœud de la discussion se décale vers la question des excédents budgétaires primaires (hors service de la dette). Avec cette charge supplémentaire pour l’Etat, les objectifs budgétaires de l’Etat vont devenir plus difficiles à atteindre. Le plan des créanciers prévoyait un excédent primaire de 1 % du PIB en 2015, 2 % en 2016. Le plan grec « modifié », rejeté sèchement mardi 9 juin par Bruxelles, proposait 0,75 % du PIB. Mercredi, des rumeurs affirmaient que le gouvernement grec était prêt à s’aligner sur les exigences des créanciers, ce qui aurait constitué un effort supplémentaire d’un demi-milliard d’euros. Désormais, il faut ajouter le poids de cette revalorisation des pensions à la facture.

Comment financer ces nouvelles dépenses ?

Comment vont réagir les créanciers ? Réclameront-ils de nouvelles « garanties » sur le détail du financement de ces excédents, notamment de nouvelles coupes budgétaires ou de nouvelles recettes par l’organisation de davantage de privatisations ? Dans ce cas, les négociations pourraient à nouveau se bloquer après la tentative d’avancée dans la soirée du mercredi 10 juin où Alexis Tsipras a de nouveau rencontré Angela Merkel, François Hollande et Jean-Claude Juncker. A moins qu’il n’y ait eu une vraie avancée dans la nature des discussions. Le gouvernement grec a, après ces contacts, indiqué qu’il cherchait à mettre en place une solution qui « permette de faire repartir la croissance et pas seulement de couvrir les remboursements des créanciers. »

Casse-tête en termes de justice sociale

Reste cependant une question que soulève le blog grec Keep Talking Greece : cette revalorisation des pensions moyennes et élevées ne va-t-elle pas se faire au détriment des petites pensions de moins de 1000 euros qui ne sont pas concernées par cette mesure et que Syriza avait promis de revaloriser en décembre prochain ? Ce serait un coup de canif dans le programme du gouvernement et cela ne manquera pas de poser des problèmes de justice sociale. C’est là, à coup sûr, un casse-tête pour Alexis Tsipras.

Croissance ou nouvelles coupes budgétaires ?

Mais la clé du problème est bien la suivante : seule le retour de la croissance peut permettre au gouvernement grec de remplir ses objectifs budgétaires et de rembourser ainsi ses créanciers dans la durée. En théorie, ce serait donc également dans l’intérêt des créanciers de favoriser cette croissance et, pour cela, de mettre fin le plus rapidement possible au blocage actuel qui, en organisant et maintenant l’incertitude, fait plonger l’économie grecque vers les abymes. Dans ce cadre, la décision du conseil d’Etat peut être une chance en redonnant un coup de fouet à la consommation des ménages. A condition toutefois que les incertitudes soient levées, donc qu’un accord permettant une certaine visibilité soit obtenu. Dans ce cas, une partie des versements sur les pensions reviendront à l’Etat sous forme de TVA et d’impôts divers. C’est une logique encore étrangère aux créanciers. S’ils ne finissent par l’admettre, les maux de la Grèce sont loin d’être terminés.

Caractère sauvage de l’austérité des années 2010-2013

Mais la décision du Conseil d’Etat grec rappelle aussi une vérité trop souvent oubliée : le caractère « sauvage » qu’a pris l’austérité dans les années 2010-2013. Les créanciers ont exigé des mesures souvent inconstitutionnelles ou illégales sans s’en soucier. La cour constitutionnelle portugaise avait déjà dû casser par deux fois des mesures adoptées sous la pression de la troïka. Ces décisions hâtives, conduites par la seule logique du retour rapide à l’équilibre budgétaire, se sont révélé en réalité des pièges à long terme. Elles montrent aussi l’existence déjà d’une « zone euro à deux vitesses » que redoutaient Alexis Tsipras dans son texte publié dans le Monde le 1er juin dernier. Compte tenu de la sensibilité, par exemple, de l’Allemagne, au respect de ses règles constitutionnelles, on peut constater que ce type de mesures n’est possible que dans les pays « périphériques. » Si le gouvernement grec entend réellement ne plus accepter cet état de fait, la décision du Conseil d’Etat peut être plus qu’un casse-tête budgétaire. Ce peut être une chance de prouver qu’une décision juridique grecque a autant de valeur d’une décision de la Cour de Karlsruhe dans la zone euro. Et qu’il convient donc d’apprendre des erreurs du passé.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 11 juin 2015.


Grèce : le FMI quitte la table des négociations

Le FMI a rompu les négociations avec la Grèce

Le FMI a rompu les négociations avec la Grèce

Le FMI a annoncé que ses équipes avaient quitté Bruxelles. L’institution de Washington exige que la Grèce accepte les réformes exigées par ces créanciers.

Les négociations entre la Grèce et ses créditeurs sont à nouveau stoppées. Jeudi 11 juin vers 16h, le FMI a annoncé qu’il avait quitté la table des discussions. Les équipes de l’institution internationale ont quitté Bruxelles et sont retournées à Washington. Un signe de mauvaise humeur qui, selon le FMI, s’explique par le refus du gouvernement grec d’accepter le régime que demandent les créditeurs : coupes dans les retraites, réformes du marché du travail et objectif ambitieux d’excédents budgétaires primaires (hors services de la dette). « Il existe des différences majeures entre nous sur la plupart des sujets clé. Il n’y a eu aucun progrès pour réduire ces différences récemment », a souligné a indiqué Gerry Rice, le porte-parole du FMI. « La balle est à présent vraiment dans le camp de la Grèce », a-t-il conclu.

Ce durcissement du FMI vient stopper net les espoirs qui étaient nés dans la soirée du mercredi 10 juin. Alors que des informations de Bloomberg laissaient entendre que l’Allemagne était prête à accepter « une seule réforme », des contacts, rompus depuis près d’une semaine, avaient été repris. Alexis Tsipras avait rencontré Angela Merkel et François Hollande dans la nuit, et, par deux fois, Jean-Claude Juncker. Ces rencontres n’ont cependant rien donné. Selon Reuters, citant un « officiel européen », la rencontre de jeudi entre les deux hommes était « la dernière tentative » de parvenir à un accord. Ce dernier détail viendrait alors confirmer que le FMI n’est pas seul en cause dans la rupture des négociations. Les créanciers européens ont également rompu les ponts. Les marchés européens ont fortement réagi à cette nouvelle. Le DAX-30 de Francfort a perdu brutalement près d’un point de pourcentage de gains.

Négociations fermées ?

Tout espoir serait donc perdu ? Rien n’est sûr évidemment. Depuis plus de quatre mois, les négociations ont cessé, puis reprises. Mais, évidemment, plus on se rapproche de la fin du mois de juin et plus la situation devient critique. Sans accord, la Grèce devrait inévitablement ne pas payer les 1,6 milliard d’euros qu’elle doit rembourser au FMI avant la fin du mois. On entrera alors dans une autre phase de la crise, où la présence de la Grèce dans la zone euro ne tiendra plus qu’à un fil. Le FMI est-il prêt à prendre le risque de devoir faire face à un défaut grec ? Les Européens oseront-ils soutenir la Grèce sans l’institution de Washington ? Pour le moment, le mouvement du FMI est un énième moyen de faire pression sur Athènes pour lui faire accepter ce qui reste inacceptable pour le gouvernement grec.

Il n’est cependant pas à exclure que les discussions se poursuivent malgré tout. Comme l’a précisé Gerry Rice, « le FMI ne quitte jamais la table. » Et Christine Lagarde est attendue pour la réunion de l’Eurogroupe les 18 et 19 juin prochains. Les sujets qui empêchent toujours l’accord restent les mêmes : les retraites et les excédents primaires. A la mi-journée, jeudi, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, avait indiqué qu’il n’y avait pas d’accord sur l’objectif de 1 % du PIB pour l’excédent primaire de 2015. Cet objectif est lié pour les Grecs a un accord plus global, intégrant un prolongement du programme d’aide et un échange de dettes entre la BCE et le MES. Quant aux retraites, l’équation est rendu encore plus délicate par la décision du conseil d’Etat de rétablir certaines retraites à leur niveau de 2012.

Reste à savoir quelles seront les réactions à ce nouveau coup de théâtre côté grec. Il semble que le gouvernement hellénique soit allé jusqu’au bout de sa capacité de compromis. En allant plus loin, Alexis Tsipras mettrait en danger la cohérence de sa majorité et sa survie politique. Si les créanciers demeurent sur leur position consistant à réclamer une capitulation, les négociations ne reprendront plus.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 11 juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/grece-1-la-grece-proche-de-la-fin-de-la-crise/


[Média] BFM Business, Les Experts – 22 avril

Tuesday 16 June 2015 at 01:52

(Oups, j’avais oublié de le sortir – j’y repasse ce jour… Dommage, car c’était intéressant sur certains points…)

Nicolas Doze m’a invité à son émission sur BFM Business.

Avec Guillaume Dard, président de Montpensier Finance et André Lévy-Lang, professeur à l’université Paris-Dauphine (et ancien PDG de Paribas).

Voici la vidéo :

Partie 1 :

Partie 2 :

Bonus : un petit rappel historique :

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2 extraits importants :

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N’hésitez pas à réagir en direct par mail sur cette émission via ce lien – Nicolas Doze consulte bien les mails en direct, et est très demandeur ;) :

http://www.bfmtv.com/emission/les-experts/

(cliquez sur Lui écrire à droite)

Utilisez aussi Twitter : https://twitter.com/NicolasDOZE

Source: http://www.les-crises.fr/media-bfm-business-les-experts-22-avril/


[Reprise] Un entêtement suicidaire, par Milton Friedman 1/2 [1996]

Tuesday 16 June 2015 at 00:30

(On ne s’en lasse pas…)

Comme vous le savez, j’aime bien croiser les visions, pour me faire mon opinion. Cela me fait recevoir alternativement des mails me traitant “de vil gauchiste” puis après “de libéral” ou de “souverainiste” et autres bouilleurs d’enfants.

Moi, je pense qu’il faut donner de l’information, la plus complète possible, et laisser les gens se faire leur propre opinion, éclairée par des débats entre de vrais contradicteurs compétents. Et je pense qu’il y a souvent des choses intéressantes dans tous les bords intellectuellement charpentés, et qu’il est toujours utile de ne pas tout rejeter en bloc avant d’avoir écouté et analysé.

Pour illustrer, travaillant un peu sûr Maastricht, je suis stupéfait de voir que des propos phares du débat de 1992 sont totalement absents d’Internet, qui n’existait certes pas, mais enfin, je parle ici d’une trentaine de contributions phares à tout casser, des plus grands. Je n’ai d’ailleurs aucun doute que, si Internet avait existé à l’époque, le Non l’aurait emporté comme en 2005.

Alors, pour combler le vide comme je le fais avec Allais) je vous propose aujourd’hui une interview de Milton Friedman de 1996, réalisé pour le magazine Géopolitique, que j’ai trouvée hallucinante.

Bien sûr, vous savez que Friedman est un des pères spirituels du néolibéralisme, avec sa vision intégriste du marché, des inégalités et de l’égoïsme cupide. Ceci étant, disons aussi que ce néolibéralisme a échappé à ses créateurs, et que Friedman – pour intégriste qu’il fût – n’aurait très probablement jamais accepté les renflouements des banques en 2008, le non-retour à la séparation des activités bancaires, le retour des bonus faramineux et les interventions à outrance des banques centrales. Le néolibertarisme, c’est la liberté du libéralisme, mais surtout sans la contrepartie des responsabilités/sanctions.

Mais si on oublie son intégrisme des marchés, sa vision de la monnaie (c’était son sujet d’études économiques, qui lui a valu le prix Nobel) est des plus intéressantes, et il fait preuve ici de ce qui manque en général aux économistes (en particulier à Robert Mundell, autre prix Nobel et “père de l’euro”, par exemple – car oui, “en théorie”, ça peut marcher, comme le communisme…), à savoir le besoin de tenir compte AUSSI des réalités politiques ! Et encore, en tant qu’américain, il lui en manque certaines, comme l’absence totale de vision démocratique ou de responsabilité de nos talibans politico-économiques, que Charles Gave appelle si bien “les oints du Seigneur”, ce qui explique qu’il se soit trompé dès la première question. Mais la suite est passionnante…

Pour commenter, je me suis contenté de mettre en gras ce que j’ai adoré, et en italique mes points de désaccord profond. À vous de vous faire maintenant votre opinion en exerçant votre esprit critique ! :)

par Milton Friedman [1996]

Unification économique, unification politique et souveraineté
L’autonomie de la politique économique
Intégration par les marchés et Intégration politique


Unification économique, unification politique et souveraineté

Milton Friedman

Robert Lozada – Croyez-vous à la possibilité d’une monnaie unique en Europe ?

Milton Friedman – Pas de mon vivant en tout cas. Du vôtre peut-être, encore que je sois sceptique, mais pas du mien. Je ne crois pas à la création d’une monnaie unique en Europe dans les années à venir. Pas plus en 1997, la date originellement mentionnée, qu’en 1999, celle qui est maintenant avancée, qu’en 2002.

R.L. Mais n’en est-on pas à discuter la forme des pièces et la couleur des billets ? Un calendrier précis de mise en œuvre du projet a été établi et un nom nouveau, l’euro, a été adopté pour la monnaie européenne. Quelle preuve supplémentaire voulez-vous de la détermination de nos dirigeants à faire aboutir cette entreprise ?

Milton Friedman : Se mettre d’accord sur un nom est une chose. Rendre opérationnel un pareil projet est autre chose. Le rêve d’unification européenne ne constitue pas exactement ce que l’on peut appeler une récente découverte. Sans remonter plus loin, les projets abondent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La monnaie unique, on en parlait déjà au temps de l’Union européenne des paiements (UEP) et de la création du Marché commun dans les années 50, on en parlait encore à la fin des années 60 sous le nom de Communauté économique, on continuait d’en parler au temps du serpent monétaire de 1972 à 1978, puis du Système monétaire européen qui lui succéda en 1979 et dont la quasi-fixité des changes, avec une marge de fluctuation de chacune des monnaies limitée à 2,25 % de part et d’autre de la parité, était censée constituer un prélude à la monnaie unique.

Or, le système s’est, en fait, effondré, sinon officiellement, du moins en pratique sous le coup des crises de 1992 et 1993 qui ont conduit, soit à la sortie de certaines monnaies (lire, livre sterling), soit à l’élargissement des marges dans des proportions telles, 15 % de part et d’autre du taux pivot, que cela équivaut à un flottement de fait. Et je n’évoque pas ici les échecs d’autres tentatives de changes fixes non limitées à l’Europe : Le Fonds monétaire international dans sa version originelle de 1944 ou l’accord du Louvre de 1987 entre les sept pays les plus industrialisés. Pourquoi accorder davantage de chances de succès à la tentative en cours qu’aux précédentes ?

R.L. N’est-ce pas une affaire de volonté politique ? En Allemagne, le chancelier Kohl a imposé, en 1990, l’unification monétaire avec la RDA à un taux de parité entre les deux marks qui paraissait inconcevable à la Bundesbank. De la même façon, n’imposera-t-il pas sa vision politique pour la monnaie unique en 1998, au moment de la décision ?

Milton Friedman : Je n’ai aucun doute que M. Kohl croit sincèrement à l’opportunité de créer une monnaie unique en Europe. Mais cette aspiration ne fonde pas d’elle-même les institutions et les conditions économiques nécessaires à la réussite du projet. Or, ces conditions ne me paraissent pas réunies. Nous sommes nombreux sur cette terre à aspirer à des choses irréalisables. Le projet de monnaie unique suppose la suppression du rôle de toutes les banques centrales existantes, Banque d’Angleterre, Banque de France, Banque d’Italie, etc. Et même la Bundesbank. Toutes remplacées dans leurs fonctions essentielles par une Banque centrale unique, la Banque centrale européenne (BCE), dont les pays membres du système sont censés devoir accepter les décisions. À mon avis, pour que cette banque puisse imposer son autorité, il faut que la zone couverte soit politiquement unifiée ou dans une situation équivalente sur le plan monétaire.

On peut avoir une unification économique sans unification politique. À condition de combiner la liberté du commerce et des mouvements de capitaux avec des changes flottants, car ceux-ci préservent l’autonomie des politiques économiques des pays concernés. Si les changes sont fixes, cette autonomie disparaît. Il n’existe plus de politique économique spécifique à chaque pays et répondant aux conditions particulières existant dans le pays en question.

Considérez, par exemple, la situation des États-Unis au cours du demi-siècle écoulé. Il y a quelques années, la Nouvelle-Angleterre souffrait d’un ralentissement économique nettement plus marqué que celui sévissant dans le reste du pays. Les capitaux et les hommes fuyaient vers le sud des États-Unis. Si la Nouvelle-Angleterre avait été une entité nationale, elle aurait dévalué sa monnaie pour endiguer cette détérioration économique. Mais les liens politiques ancestraux empêchant de même songer à une pareille démarche. La situation en Europe est toute différente. Les pays de la zone n’ont pas la même homogénéité politique, sociale et culturelle que les cinquante États américains. La mobilité des hommes et même des biens et des capitaux reste limitée, les langues sont diverses, les autorités politiques des différentes entités nationales ne sont pas prêtes à sacrifier l’intérêt de leur pays, tel qu’ils le conçoivent, à l’intérêt supérieur de l’Union européenne et à ajuster leur politique économique à celle déterminée par la Banque centrale unifiée.

R.L. Il me semble que vous êtes en train de dire que l’unification européenne ne constitue pas une proposition politiquement réaliste. Pourtant, vous avez souvent souligné que les économistes devaient se limiter à évaluer la validité économique des projets qui leur sont soumis, sans chercher à estimer leur opportunité politique, car cette estimation est pleine d’aléas.

Milton Friedman : Non, mon jugement n’est pas strictement d’opportunité politique. Ce n’est pas exact. Il s’agit d’apprécier quelle institution politique est nécessaire pour qu’une Banque centrale européenne puisse réellement fonctionner.

Les citoyens des pays participants devront non seulement accepter l’effacement de leur propre Banque centrale, mais aussi les conséquences économiques qui en résulteront, par exemple davantage de chômage ou d’inflation, sans pouvoir essayer de tempérer ces conséquences. La monnaie unique fait perdre à chaque pays sa liberté d’appréciation concernant la politique économique qui est la plus appropriée à sa situation. C’est un sacrifice considérable auquel je ne crois pas les Européens prêts.

L’exemple le plus évident des problèmes qui se posent est celui de la réunification allemande. Avant cette réunification, l’Allemagne de l’Ouest avait un excédent de sa balance des paiements, elle vendait plus à l’étranger qu’elle ne lui achetait. Autrement dit, elle exportait des capitaux, pour l’essentiel vers les pays de la Communauté européenne. En un sens, les partenaires européens de l’Allemagne obtenaient de celle-ci des marchandises sans avoir à en payer le prix. Cette situation supposait que les prix allemands étaient bas relativement à ceux en vigueur chez leurs partenaires ou encore que le deutsche mark était sous-évalué par rapport aux autres devises européennes.

Survient la réunification. L’Allemagne ne veut plus être exportatrice de capitaux, mais importatrice, car elle a besoin de ces capitaux pour développer l’ancienne RDA. La réunification modifie le caractère de son économie et, en conséquence, de sa balance des paiements.

Cette transformation d’exportateur en importateur de capitaux suppose une modification du rapport des prix entre l’Allemagne et ses partenaires européens, dont la France. Cette modification peut se produire de trois façons : soit une inflation en Allemagne, ce dont les intéressés ne veulent pas et la Bundesbank agit en conséquence ; soit une dévaluation des monnaies européennes par rapport au deutsche mark qui, en rendant la monnaie allemande plus chère, freine les exportations de ce pays, stimule les importations et donc permet le renversement recherché de la balance des paiements; soit, troisième possibilité, une déflation chez les partenaires de l’Allemagne afin de faire baisser leurs prix chez eux par rapport aux prix allemands.

Très rapidement, en septembre 1992, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne n’insistent pas et choisissent la dévaluation. Par contre, la France adopte la voie du fameux franc fort, c’est-à-dire de la déflation. Non seulement en septembre 1992, mais même en août 1993, lorsque la spéculation oblige les autorités à une défense élastique en acceptant un élargissement des marges à 15 %, la Banque de France choisit de tenir le niveau du franc par rapport au deutsche mark par des taux d’intérêt à court terme élevés. Le coût inévitable est la montée du chômage dans votre pays.

Franchement, cet entêtement m’a paru à l’époque, et me paraît encore aujourd’hui, relever d’un comportement suicidaire.

R.L. Il prouve aussi qu’on ne peut pas écarter l’hypothèse que les autorités françaises, après tant de sacrifices, se sentent tenues, au moment de la décision de 1998, d’accepter le passage à la monnaie unique qui est en somme devenue la Terre promise.

Milton Friedman : C’est possible. D’autant plus que l’Allemagne est en récession, ce qui l’incite à une politique d’expansion monétaire de nature à aider la France à sortir de l’ornière dans laquelle elle s’est enfoncée. La politique du franc fort peut s’en trouver provisoirement revigorée. Mais, dans l’avenir, des tensions ne manqueront pas de réapparaître, car ces nations qui portent le poids d’une longue histoire distincte ne vivent pas rigoureusement au même rythme. D’autres crises surviendront jusqu’au moment où la tentative de changes fixes ou d’unification monétaire sans fusion politique s’effondrera.

Au demeurant, la question est de savoir s’il y aura une véritable monnaie européenne, c’est-à-dire incluant non seulement la France et l’Allemagne, mais également la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, etc.

C’est cela le traité de Maastricht et non pas seulement une union monétaire franco-allemande complétée par les petits pays limitrophes de l’Allemagne et dont la monnaie est traditionnellement rattachée au deutsche mark : Benelux, Autriche et peut-être Danemark.

L’autonomie de la politique économique

R.L. Les partisans de la monnaie unique soulignent que celle-ci laisse place à des différences de politique budgétaire entre les pays participants. L’abdication de souveraineté ne serait donc pas totale.

Milton Friedman : Les États américains, Californie, État de New York, etc., ont chacun leur budget, mais ils n’ont pas la possibilité de battre monnaie. Leur capacité d’endettement est donc rigoureusement limitée. De plus, leur autonomie est réduite par l’accroissement de la puissance relative du gouvernement fédéral. La France est-elle vraiment prête à devenir… serait-ce même l’État de New York des États-Unis d’Europe ?

Il est vrai que l’on trouve sur la planète des pays indépendants, tous relativement petits, qui ne croient pas devoir posséder leur propre Banque centrale.

L’exemple type, à ma connaissance, est Hong-Kong. Ce territoire de six millions d’habitants utilise le dollar bien qu’il l’appelle dollar de Hong-Kong. Il a donc une monnaie commune avec les États-Unis tout en ayant une politique budgétaire bien différente. Mais Hong-Kong ignore les droits de douane et la structure des salaires y est extrêmement flexible. Incidemment, l’Argentine essaie, elle aussi, de lier sa monnaie avec le dollar, mais, comme dans le cas de l’euro, la réussite du projet est beaucoup plus douteuse parce que l’économie de l’Argentine est loin d’être aussi libre que celle de Hong-Kong.

R.L. Il existe des pays qui ont une Banque centrale et dont la parité avec une monnaie de référence n’est nullement mise en question. Les Pays-Bas et l’Autriche dont les monnaies respectives sont fixes par rapport au deutsche mark constituent des exemples frappants.

Milton Friedman : Je ne connais pas ces cas en détail. Mais la seule explication logique que je vois est que ces pays se comportent sur le plan monétaire comme si la Banque centrale n’existait pas. En principe, il est absolument nécessaire en matière monétaire, si l’on veut éviter un complet contresens, de distinguer l’unification des monnaies, type Hong-Kong (Luxembourg avec le franc belge ou encore Panama avec le dollar) où les partenaires du pays de référence renoncent purement et simplement à leur Banque centrale. Leur monnaie, même si elle existe sur le papier – la monnaie de Panama s’appelle en principe le balboa et non pas le dollar – est en fait celle du pays de référence. Par contraste, beaucoup de pays dans le monde prétendent lier leur monnaie à une autre ; c’est le cas des pays qui, dans le cadre du Système monétaire européen, sont attachés au deutschemark. Ils préservent, toutefois, l’existence de leur Banque centrale propre, ce qui prouve tout simplement qu’ils ne sont pas vraiment sérieux dans leur volonté de fusion monétaire puisqu’ils se gardent le moyen, sous la forme de leur institut d’émission, de reprendre éventuellement leur liberté monétaire si la politique de la Banque centrale de référence ne leur convient plus.

Sur le papier, les Pays-Bas et l’Autriche appartiennent à cette catégorie des ” changes administrés ” qui est radicalement différente de l’unification monétaire même si les apparences sont les mêmes. En pratique, tout se passe comme si la Banque centrale des Pays-Bas et celle d’Autriche se comportaient vis-à-vis du deutsche mark comme la caisse de conversion de Hong Kong se comporte vis-à-vis du dollar. C’est-à-dire de façon totalement passive. Il n’existe pas, semble-t-il, de politique monétaire néerlandaise ou autrichienne indépendante de celle de la Bundesbank. Ce qui explique la pérennité des taux de change. Dans d’autres cas, la situation est beaucoup moins nette parce que le petit pays, voisin du grand, n’abdique pas son indépendance monétaire. Pensez à la Suisse vis-à-vis de l’Allemagne ou au Canada face aux États-Unis (et qu’en serait-il si le Québec était indépendant?).

Or, la France, en principe, depuis la création du SME en 1979 et résolument depuis 1983, prétend se comporter monétairement à l’égard de l’Allemagne comme les Pays-Bas ou l’Autriche, tout en s’efforçant par le verbe de sauver les apparences d’un condominium monétaire franco-allemand. C’est un exercice d’équilibre qui n’est pas commode.

R.L. Une monnaie a besoin d’un point d’ancrage. Il est nécessaire de maîtriser sa production par un mécanisme ou par un autre. Au XIXe siècle, pour le franc, c’était l’étalon-or Aujourd’hui, c ‘est à la recherche de la fixité du change avec le deutsche mark que le gouvernement a recours pour assurer cette régulation. L’étalon deutsche mark a remplacé l’étalon-or. Est-ce inconcevable ?

Milton Friedman : Ce n’est pas inconcevable, mais c’est déconcertant. De même que Hong-Kong a choisi de se lier au dollar, la France est libre d’attacher sa monnaie au deutsche mark. C’est ce qu’elle fait avec une détermination digne d’un meilleur sort depuis dix ans. Ce qui revient à dire que les Français ont plus confiance dans la politique monétaire allemande que dans la leur propre. Je peux à la rigueur comprendre qu’un pays pratique une telle politique pendant un certain temps, mais qu’une nation de taille relativement importante et très sourcilleuse de sa souveraineté comme la France accepte de façon permanente de sacrifier son autonomie monétaire me paraît peu crédible. L’Allemagne, tout au long de son histoire, n’a pas toujours été un modèle d’orthodoxie monétaire. Elle a connu des hyperinflations, des dépressions, qui sait ce qu’il en sera dans l’avenir.

R.L. Les défenseurs (à Paris) de la monnaie unique expriment l’espoir que ce système rendra la politique monétaire de la France moins dépendante de la Bundesbank qu’elle ne l’est actuellement, car le pouvoir sera partagé au sein de la Banque centrale européenne.

Milton Friedman : D’abord, la France est monétairement dépendante de la Bundesbank parce qu’elle le veut bien. La seule façon indiscutable de recouvrer la pleine souveraineté monétaire serait non pas de se fondre dans un organisme collectif, mais de rompre avec l’attitude de soumission à l’égard du deutsche mark. L’économiste Alain Cotta écrit : “L’idée de derrière la tête de nos inspecteurs des Finances est de déterminer “enfin”, “eux aussi”, la politique monétaire européenne, une fois l’unification réalisée. Cette ambition tient de l’arrogance“. Je crains qu’il n’ait raison. D’ailleurs, si les autorités françaises ne se croient pas capables de mener une politique monétaire saine de leur propre chef, pourquoi croient-elles que leur action au sein de la Banque centrale européenne sera mieux inspirée ? Comme le dit un autre de vos économistes, Pascal Salin : “Ce qui est utile aux citoyens, ce n’est pas une monnaie unique, ce sont de bonnes monnaies, c’est-à-dire essentiellement des monnaies non inflationnistes”. A ce sujet, la libre circulation des capitaux et des monnaies constitue une condition plus décisive que la monnaie unique. Margaret Thatcher, elle aussi, distingue une Europe de nations indépendantes commerçant librement les unes avec les autres d’une Europe dominée par une bureaucratie centralisée qui prétend imposer ses règlements à l’ensemble des pays participants.

Intégration par les marchés et Intégration politique

R.L. Pascal Salin, que vous venez de citer condamne le concept d’intégration mis en œuvre par la Commission européenne, comme n’étant qu’une vaste politique de cartel s’exprimant en particulier par la fameuse ” harmonisation ” des politiques.

Milton Friedman : J’approuve complètement. Il faut distinguer l’intégration par les marchés d’un côté, la seule intégration authentique aux yeux des libéraux, de l’intégration bureaucratique qui prétend mettre en place des soi-disant politiques communes dans le but déclaré de permettre la fusion des différentes économies nationales et qui aboutit à la négation de l’économie de liberté.

L’action de la France depuis l’origine, c’est-à-dire la signature du traité de Rome en 1957, a tendu à faire triompher cette conception étatique et le projet de monnaie unique représente une expression caractéristique de cette tendance. La démarche doit aboutir à la formation d’un super-État européen, mais c’est une logique abstraite qui me paraît avoir peu de chance de résister à l’épreuve des faits.

J’éprouve beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi les Français, qui constituent l’un des peuples de la Terre le plus attaché à son identité nationale, dont le patriotisme est proche du chauvinisme, pourquoi ce peuple croirait-il renforcer son autorité en se fondant dans un État multinational dans lequel il ne constituera qu’une minorité.

Revenons un instant à cette question centrale de la nécessité d’un point d’ancrage de la politique monétaire assurant la stabilité des prix. Une raison essentielle, semble-t-il, de l’opinion favorable dont bénéficie le Système monétaire européen en France tient au rôle décisif qu’on lui attribue dans la quasi-disparition de l’inflation dans un pays qui paraissait voué depuis 1914 à la dégradation monétaire. C’est une illusion d’optique, car le recul de l’inflation est un phénomène mondial et non pas uniquement français ni même européen. Le SME n’explique pas le ralentissement profond de la hausse des prix aux États-Unis, au Chili, en Nouvelle-Zélande ou même en Grande-Bretagne. Ce phénomène général tient moins à la mise en œuvre de tel ou tel mécanisme qu’à un changement d’attitude de l’opinion vis-à-vis de l’inflation et aussi à la quasi-disparition des avantages que les gouvernements pouvaient attendre de la hausse des prix (les tranches d’imposition sont indexées et le marché mondial des obligations est extrêmement sensible à toute déviation monétaire).

R.L. En 1984, à Paris, vous aviez, en effet, annoncé la probabilité de perspectives non inflationnistes à long terme dans le monde.

Milton Friedman : Et le SME ne jouait aucun rôle dans cette appréciation. Ce mythe d’un SME indispensable à la victoire contre le laxisme monétaire vous aura coûté très cher en entretenant la confusion entre discipline monétaire française et soumission à la règle allemande dans ce domaine.

R.L. Supposons que la Banque centrale européenne soit effectivement instituée en 1999. Comment voyez-vous le système fonctionner ?

Milton Friedman : Je ne me pose guère la question, car je crois qu’en quelques années au plus le système s’effondrerait. Comme se sont effondrées toutes les tentatives semblables depuis cinquante ans ?

R.L. Mais n ‘expliquez-vous pas que la différence entre une entreprise privée et une institution publique réside dans le fait que, en cas d’échec, la première disparaît tandis que la seconde continue et, au besoin, se développe ?

Milton Friedman : Pas dans ce cas. Le projet paraît si contraire à la tendance politique fondamentale que je ne crois pas même à la possibilité d’une survie artificielle. Je considère le patriotisme français comme une force politique fondamentale. De même que le nationalisme italien ou britannique. Je ne peux pas croire que la Grande-Bretagne soit prête à sacrifier la Banque d’Angleterre, une institution vieille de trois cents ans, sur l’autel de la monnaie unique.

R.L. La Grande-Bretagne a renoncé à des traditions qu’on aurait pu croire impérissables. Elle a décimalisé son système monétaire, elle a accepté le tunnel sous la Manche, surtout, elle est entrée dans le Marché commun européen en 1972. Pourquoi pas un renoncement supplémentaire ?

Milton Friedman : C’est vrai. La Grande-Bretagne a accepté bien des choses que je n’aurais pas cru possible qu’elle acceptât. Mais il y a des limites à ces renoncements. Je ne vois pas la vieille dame de Threadneedle Street (la Banque d’Angleterre) être jetée par-dessus bord afin de faire place à l’union monétaire avec l’Allemagne. Le Royaume-Uni est entré dans le Marché commun, mais il semble n’avoir jamais cessé de le regretter depuis lors. Si un référendum était organisé sur ce sujet, je ne suis pas certain que les partisans de l’Europe l’emporteraient. Pas plus qu’en Allemagne d’ailleurs. Mais les gouvernements de nos pays ne sont pas vraiment démocratiques.

R.L. En France, nous avons eu, en septembre 1992, ce référendum que vous évoquez. Vous connaissez le résultat : le traité de Maastricht a été approuvé par 51 % des voix contre 49%.

Milton Friedman : Je trouve démentiel un système politique qui permette une modification aussi fondamentale de l’équilibre politique de la nation que celle prévue par le traité de Maastricht au bénéfice d’une majorité aussi courte que 51 contre 49 ! Il faudrait une majorité massive, proche de l’unanimité, pour que le système ait une chance de fonctionner. Cette approbation, plus que chichement mesurée, présente toutes les apparences d’un ” oui ” de politesse qui n’engage, au fond, personne et dont les promoteurs du projet, eux-mêmes, ne sont pas sûrs de la consistance. Il me semble qu’il existe des cas évidents où la règle de la majorité simple ne devrait pas suffire. Si 51 % des électeurs votent en faveur de la mise à mort des 49 autres %, faut-il obéir à ce verdict ?

Suite de l’interview demain, ici.


P.S. Au début de l’interview, Friedman fait référence au célèbre Triangle d’incompatibilité de Mundell, principe monétaire qui indique que dans un contexte international, un État ne peut pas atteindre simultanément les trois objectifs suivants :

L’euro est un régime de change fixe, il faut donc choisir entre la libre circulation des capitaux et l’autonomie des politiques monétaires. La première étant un principe fondateur de l’Organisation de Bruxelles, c’est donc la seconde qui a été sacrifiée. Mais en fait, on observe bien qu’au delà de la politique monétaire, c’est bien la politique économique et même budgétaire qui sont à sacrifier.

Le tout pour une monnaie unique dont on se passait assez bien avant 1999…

Source: http://www.les-crises.fr/entetement-suicidaire-1/


[Reprise] Un entêtement suicidaire, par Milton Friedman 2/2 [1996]

Tuesday 16 June 2015 at 00:07

Suite et fin de l’interview de Milton Friedman, le début étant ici.

par Milton Friedman [1996]

Les avantages de la monnaie unique en question
Le monétarisme n’est pas responsable

Les avantages de la monnaie unique en question

Milton Friedman

Robert LozadaLes avocats du projet de monnaie unique lui prêtent divers avantages :
- les exportateurs français n’auront plus à craindre les dévaluations compétitives comme celle, par exemple, de la livre sterling depuis 1992 ;
- la monnaie unique sera une bonne monnaie qui permettra la baisse des taux d’intérêt ;
- elle supprimera l’incertitude inhérente aux changes flottants ;
- elle libérera l’Europe de la tutelle du dollar.

Quels commentaires vous inspirent ces affirmations ?

Milton Friedman – Sur le premier point, la livre sterling flotte vis-à-vis des monnaies du Système monétaire européen, mais je ne vois pas que l’on puisse parler de dévaluation compétitive puisque la Banque d’Angleterre n’a fixé aucun taux de change à sa monnaie et ne vend pas, que je sache, du sterling sur le marché pour le faire baisser. En tout état de cause, les pays européens que vos commentateurs accusent de dépréciation compétitive risquent de ne pas participer à la monnaie unique. Celle-ci ne changera donc rien à la situation existante. Deuxième point : la monnaie unique ne dérogera pas à la règle commune sous le prétexte qu’elle est “unique”. Elle sera, comme toutes les monnaies, bonne ou mauvaise, c’est-à-dire inflationniste ou pas, suivant la façon dont elle sera gérée. Si, comme certains de ses promoteurs en ont la tentation, elle représentait une sorte de qualité moyenne par rapport aux différentes monnaies qui la composent, elle serait automatiquement moins bonne que certaines de celles-ci ; moins bonne que le deutsche mark en particulier. Il y aurait recul et non pas progrès par rapport à la situation actuelle. Troisième point : la fusion des monnaies supprime évidemment l’incertitude de change entre les monnaies concernées. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas là. Nous nous trouvons en présence d’un système de changes administrés ou encore de flottement impur, c’est-à-dire comportant l’intervention constante des banques centrales. Vue sous cet angle, l’affirmation des défenseurs de la monnaie dite unique ne constitue que la reprise des arguments traditionnels contre les changes flottants et en faveur des changes administrés. Dans un article publié en 1953, ” The case for flexible exchange rate “, je réfutais déjà ces arguments. Il se trouve que le livre contenant cet article vient de paraître dans sa traduction française (1).

Je continue d’adhérer pleinement à l’analyse théorique que je formulais il y a plus de quarante ans. Je me contenterai ici de dire que les changes administrés n’éliminent en rien l’incertitude, tout au plus en modifient-ils la forme. Quant au dernier point, l’euro comme monnaie de réserve ? Soit, mais quel bénéfice les Européens croient-ils qu’ils retireraient de cette promotion ? Les États-Unis ne tirent guère avantage du fait que le dollar constitue la monnaie de réserve internationale. Le Japon, a contrario, a-t-il souffert du fait que le yen ne sera pas monnaie de réserve ?

Ne vous méprenez pas, je n’ai rien en soi contre la perspective d’une monnaie unique en Europe. Si les institutions politiques sont adaptées, la monnaie unique comporte assurément quelque mérite. Mais, même sur ce point, nombre de commentateurs se font des illusions sur les avantages économiques à attendre d’une telle innovation. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’époque où il y avait une monnaie unique en Europe qui était l’étalon-or. D’abord la période d’authentique étalon-or dans le monde a été courte, au plus de 1879 à 1914. Ensuite, durant cette période, des crises répétées ont sévi aux États-Unis, en Grande-Bretagne et même en France. Les fluctuations cycliques durant la période de l’étalon-or furent plus marquées qu’elles ne l’ont été depuis cette période. Aux États-Unis, la grande dépression, elle-même, s’est produite alors que le pays était encore sous l’étalon-or. Une monnaie unique, qu’il s’agisse de l’étalon-or ou d’une monnaie fiduciaire, ne constitue pas par elle-même une garantie contre la déflation. Contre l’inflation non plus, nous l’avons dit, si la monnaie unique est mal gérée.

R.L. J’aimerais à ce propos vous lire un commentaire d’un des avocats de la monnaie unique, M. Paul Mentré, inspecteur des Finances et proche de l’ancien président de la République, M. Valéry Giscard d’Estaing : ” Une des raisons de la fragilité du dollar est le surdimensionnement de son rôle en matière de placements internationaux. Une monnaie unique européenne… contribuera à un meilleur équilibre global au service de l’activité et de l’emploi “. Cette citation vous inspire-t-elle à votre tour un commentaire ?

Milton Friedman : Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Le dollar ne me parait pas du tout fragile. En quoi l’est-il ?

R.L. Il a beaucoup baissé vis-à-vis du yen et du DM. Les phrases citées sont extraites d’un article paru dans Le Figaro du 31 mars 1995 à l’époque où le taux de change de monnaie américaine chutait vis-à-vis des deux autres monnaies mentionnées, à la suite de la crise mexicaine et de l’aide apportée par les États-Unis à leur voisin.

Milton Friedman : Le dollar ne baisse plus. Demain, peut-être, il remontera. Mais admettons l’argument de la baisse : ce fait est-il plus significatif que la supériorité du niveau de vie des États-Unis par rapport à la France, elle-même reflet de la persistance d’une productivité plus grande de la première citée de ces économies par rapport à la seconde ? La baisse d’une monnaie A par rapport à une monnaie B n’est pas nécessairement une marque de faiblesse de l’économie dont la monnaie baisse. Pas plus que la hausse de la monnaie B par rapport à A n’est en soi un signe de vitalité. La variation des deux monnaies l’une par rapport à l’autre exprime un phénomène monétaire qui n’a rien à voir avec la force relative des deux économies en présence.

En mars 1995, c’est le yen qui était fragile à cause du niveau trop élevé qu’il avait atteint par rapport au dollar. Cette surévaluation ne pouvait se maintenir et effectivement elle n’a pas tenu. J’ai personnellement gagné de l’argent en vendant du yen à court terme. Quand une monnaie baisse par rapport à une autre, pourquoi qualifier de ” fragile” la première et non pas la seconde ? La baisse d’une monnaie par rapport à une autre est-elle nécessairement un événement négatif ?

R.L. Pas nécessairement, en effet, pour le pays dont la monnaie baisse, répondront vos contradicteurs. Mais il n ‘en va pas de même pour ses partenaires commerciaux.

Milton Friedman : Si le dollar s’effondre, vous pouvez acheter des produits américains très bon marché. Où est le préjudice ?

R.L. Vous présentez le point de vue des consommateurs alors que vos contradicteurs pensent à celui des producteurs. Ils diront que si le producteur perd son emploi, il ne peut plus être consommateur. A quoi bon des produits importés à bas prix si on ne peut plus les acheter ?

Milton Friedman : La réponse facile et décisive à ce type de raisonnement est fournie par l’Histoire. La révolution industrielle au XIXe siècle a provoqué des déplacements importants de personnes et de capitaux entre les pays alors développés (Europe) et les pays qui ne l’étaient pas (en particulier les États-Unis), ce que les commentateurs que vous citez craignent aujourd’hui. Les travailleurs anglais, les plus concernés, ont-ils souffert les maux (chômage, salaire réel diminué) que l’on attribue à cette concurrence ? En fait, le résultat fut le développement du bien-être pour des centaines de millions d’êtres humains répartis sur la surface du globe.

Je ne crois pas du tout que le dollar soit ” fragile “. C’est une monnaie forte et l’une de ses forces tient à sa capacité de fluctuer sans que ces fluctuations ne provoquent de craintes particulières. Sa volatilité est une force et non une faiblesse parce qu’il permet à l’économie américaine de s’ajuster plus rapidement à des circonstances changeantes. Cette volatilité évite d’autres formes d’ajustement qui seraient plus pénibles. Le critère essentiel de la ” solidité ” d’une monnaie réside dans la stabilité des prix dans le pays concerné. A ce titre, la performance américaine depuis plus de dix ans, avec une hausse de prix de l’ordre de 3 % par an et aucun signe d’accélération, est satisfaisante. Aussi longtemps que ce résultat subsiste, il n’y a pas à se préoccuper de la variation du dollar par rapport aux autres monnaies. C’est au marché des changes seul qu’il incombe de fixer la valeur relative des monnaies les unes vis-à-vis des autres.

R.L. Je voulais surtout obtenir votre opinion concernant la deuxième phrase du texte de M. Mentré où il exprime l’espoir qu’il met dans la monnaie unique comme facteur d’un meilleur équilibre économique dans le monde.

Milton Friedman : Je ne vois pas du tout ce que cela peut vouloir dire. Non, je ne le vois vraiment pas. Le problème ne concerne pas je ne sais quel ” équilibre global “, il concerne la situation concrète des Français, des Allemands, des Suédois, des Italiens, etc. Comparé à ces nations charnelles, existe-t-il une entité que l’on puisse qualifier de globale ? Que signifie ” équilibre ” ? Faut-il entendre que les exportations doivent être égales aux importations pour chacun des pays du monde ? N’est-il pas approprié que certains pays épargnent plus qu’ils n’investissent et soient donc exportateurs de capitaux ?

R.L. D’autres partisans français de la monnaie unique, professeurs d’économie, soulignent que le système actuel entretient l’incertitude.

Milton Friedman : Le cimetière est le seul endroit où l’on échappe à l’incertitude. Celle-ci est-elle néfaste lorsqu’elle est liée à une évolution progressive et dynamique? Le mal central dont souffre l’Europe depuis cinq ou dix ans consiste en un excès de certitude ou de sécurité. Trop de sécurité en ce qui concerne le salaire, trop de sécurité en ce qui concerne l’emploi. Pas assez d’incertitude, c’est-à-dire pas assez de flexibilité. L’incertitude est un ingrédient indispensable au progrès. Ce dont vous souffrez, ce n’est pas d’un excès d’incertitudes, mais d’un trop plein de clichés, de phrases convenues, de sophismes. Le texte que vous me soumettez me parait parfaitement creux.

R.L. Vous n’êtes pas opposé cependant à la stabilité du Système monétaire international ?

Milton Friedman : Stabilité ne signifie pas rigidité. De plus, si les différents pays appliquent des politiques monétaires non inflationnistes, la stabilité des taux de change s’ensuivra.

R.L. L’inflation est réduite depuis plus de dix ans dans les pays occidentaux, pourtant les changes ont continué d’être chahutés.

Milton Friedman : La volatilité a beaucoup diminué. Les crises de change les plus marquées que l’on a connues dans le cadre du Système monétaire européen en 1992 et 1993, ou dans le cas mexicain en 1995, ont eu pour origine la volonté de maintenir des changes fixes contre la tendance profonde du marché.

Le monétarisme n’est pas responsable

R.L. La politique de change fixe entre le franc et le DM menée par la Banque de France est constamment qualifiée en France de ” monétarisme “. Voici un exemple : ” C’est le monétarisme absolument dément pratiqué par nos autorités monétaires depuis cinq ans – en l’occurrence une véritable diminution de notre masse monétaire certaines années – qui explique la hausse non moins démente de nos taux d’intérêt réel “. Approuvez-vous cette analyse ?

Milton Friedman : Permettez-moi de réécrire ce texte de la façon suivante : ” C’est l’insistance démente mise par la Banque de France à lier le franc français au deutsche mark à un taux déterminé qui a obligé cet institut d’émission à réduire (ou à accroître) la masse monétaire de temps à autre et à maintenir des taux d’intérêt réels très élevés “. Cette politique n’a rien à voir avec le monétarisme qui consiste dans l’affirmation, sur le plan théorique, d’une étroite corrélation entre la quantité de monnaie et le niveau des prix et, dans l’affirmation complémentaire que l’évolution de la quantité de monnaie constitue le meilleur guide de la politique économique d’un pays. En aucun cas, le monétarisme ne consiste à affirmer que la politique économique d’un pays doit être fondée sur le maintien d’un taux de change fixe avec un autre pays. La politique suivie par la Banque de France est celle des changes administrés. La qualifier de monétarisme constitue un contresens absolu.

Au fond, l’expression ” politique du franc fort ” constitue un bel exercice d’autosuggestion. Bien loin de traduire, comme les termes semblent l’indiquer, une inébranlable confiance en soi, elle parait plutôt refléter un étrange complexe d’infériorité en matière monétaire ; complexe qui s’efforce de se dissimuler sous un vocabulaire avantageux mais quelque peu dérisoire.

N’est-ce pas vous-même qui m’aviez fait remarquer qu’en dehors du bref épisode du franc Poincaré, dont le succès, incidemment, fut beaucoup plus dû à l’exceptionnelle autorité du gouverneur de la Banque de France de l’époque, Émile Moreau, qu’à Poincaré lui-même, la France depuis 1914, et surtout depuis 1936, aura successivement accroché sa monnaie à la livre sterling jusqu’en 1940, au dollar jusqu’en 1972 et, depuis, au deutsche mark ? Comme si elle se sentait incapable par elle-même de résister aux sirènes de l’inflation. Si j’étais Français, je n’accepterais pas cette autoflagellation.

R.L. A ce sujet, voyez-vous un parallèle entre la politique du franc fort suivie depuis plusieurs années et la politique de déflation menée de 1931 à 1936 dans l’espoir de maintenir la parité du franc non pas, à l’époque, avec telle ou telle monnaie mais avec l’or ?

Milton Friedman : Tout à fait. Il est frappant, dans ce contexte, de constater la permanence de certaines attitudes monétaires dans la vie des nations. Je n’ai jamais mieux compris les querelles à propos de la politique monétaire internationale au cours des années 60, en particulier la politique du général de Gaulle à l’égard de l’or et du dollar, qu’en lisant les mémoires du gouverneur Moreau relatant ses relations avec les Britanniques et les Américains de 1926 à1930. En ce qui concerne le politique déflationniste de la France dans la première moitié des années 30, l’épilogue n’en fut pas heureux et je crains que, sous une autre forme, il n’en aille de même cette fois-ci.

R.L. Vous n’attribuez pas, je présume, au franc fort la responsabilité totale ou même principale des 12 % de chômage que connaît la France, n’est-ce pas ?

Milton Friedman : Non. Comme dans pratiquement tous les pays de la planète, on retrouve en France les maux qui caractérisent nos économies modernes, à des degrés divers il est vrai : niveau trop élevé des dépenses publiques en raison des débordements de l’Etat-providence, 54 % en France d’après ce que j’ai lu dans un rapport de l’OCDE, abus des réglementations, rigidité excessive du marché du travail, système éducatif en pleine décadence : il faut arrêter de produire des diplômés qui ne savent souvent ni lire, ni écrire, ni compter.

Toutefois, à ces maux s’ajoute un élément qui, lui, est proprement français et pour cela attire l’attention perplexe voire médusée des observateurs extérieurs dans mon genre : cette bizarre politique du franc fort qui a aggravé vos difficultés structurelles depuis dix ans et qui rend dérisoires les déclarations pathétiques et les efforts sporadiques du gouvernement français contre le sous-emploi.

Vous savez, l’effort des pays européens pour établir une monnaie unique me suggère une comparaison qui, à première vue, peut paraître lointaine, mais que je crois très éclairante : l’établissement d’une langue commune pour surmonter l’obstacle représenté par la diversité linguistique ; obstacle au moins aussi sérieux que celui constitué par la diversité monétaire.

Personne, pourtant, n’a suggéré d’entamer des négociations destinées à établir une langue commune ni l’adoption de règlements par la Commission européenne tendant à assurer l’utilisation de cette langue et l’amélioration de ses caractéristiques.

Certains pays, en particulier la France, s’efforcent à une maîtrise administrative du développement de leur langue afin d’empêcher l’introduction de mots étrangers. Mais sans grand succès.

Pourtant, l’Europe est bien plus proche aujourd’hui de la langue commune que de la monnaie unique. En dépit de l’opposition française, l’anglais est devenu la langue des échanges intra-européens.

Non pas à cause d’accords intergouvernementaux ou de sommets à Maastricht, mais simplement par la libre décision des personnes engagées dans ces échanges et qui ont constaté que l’anglais représentait la plus utile seconde langue à maîtriser.

Très exactement le processus même de coopération volontaire et d’échange qui rend l’économie de marché si efficace dans l’utilisation des ressources.

Rien ne garantit que l’anglais demeurera indéfiniment la langue commune. Pendant des siècles, ce fut le latin et ensuite le français. Si les conditions changent, une autre langue remplacera peut-être l’anglais comme le français avait succédé au latin. On peut sans doute me chicaner sur des détails, mais mon message central demeure : l’évolution linguistique a été le fruit de changements spontanés et graduels et non pas de la mise en oeuvre d’un plan gouvernemental.

Pourquoi ne pas procéder de la même façon avec les monnaies ? Que chaque pays conserve sa monnaie librement échangeable avec les autres monnaies au taux de change que les parties à la transaction choisissent d’utiliser (autrement dit, par recours aux taux de change flexibles).

Et qu’une monnaie commune s’impose de la même façon que la langue commune s’est imposée : par coopération volontaire. Le marché assure de bien meilleures chances de succès que la politique.

R.L. Vous vous êtes exprimé en toute liberté. Mais sur ce sujet de la probabilité de la monnaie unique en Europe, nombre de vos collègues économistes américains font preuve du même scepticisme que vous. Au point que les Français, partisans de cette monnaie unique, dénoncent un ” complot anglo-saxon ” destiné à démolir un projet qui ferait ombre à la prééminence américaine. Que répondez-vous ?

Milton Friedman : Il n’existe pas plus de conspiration contre l’Europe qu’il n’y en a afin d’établir l’anglais comme langue universelle.

Comme vous le savez, j’ ai de profonds désaccords avec nombre de mes collègues américains et je ne ménage pas mes critiques à l’égard de la politique économique américaine. En particulier en ce qui concerne l’excès de réglementations, de dépenses publiques et de décisions de caractère protectionniste. Il se trouve, cependant, que la plupart des économistes américains, et sur ce point je partage leur jugement, considèrent que les économies anglo-saxonnes s’adaptent mieux à la concurrence mondiale que les pays européens ; les États-Unis surtout mais aussi la Grande-Bretagne. Vous avez le droit de ne pas partager ce jugement mais vous auriez tout à fait tort de croire qu’il est fondé sur une volonté de vous nuire. Il n’y a pas parmi les économistes américains d’hostilité personnelle à l’égard de la monnaie unique.

Il n’y a rien d’autre qu’un scepticisme de caractère professionnel à l’égard de la viabilité du projet. S’il y a complot c’est celui d’une même réaction intellectuelle devant un problème donné. Mon scepticisme à l’égard du projet européen n’est pas récent. Dès 1950, me trouvant comme consultant à Paris dans le cadre du plan Marshall, j’exprimais dans un rapport la conviction qu’une véritable unification économique européenne, entendue comme un marché libre, n’était possible qu’avec un système de changes flottants.

Déjà à l’époque, j’avais exclu la possibilité d’une fusion des monnaies parce que politiquement irréalisable. Une Banque centrale européenne ne se conçoit que dans le cadre des États-Unis d’Europe. Or, un de mes éditoriaux dans le magazine Newsweek en 1973 expliquait pourquoi je ne croyais pas à la réussite de ce projet. Je me référais à un texte d’un des fondateurs de la République américaine, Alexander Hamilton, texte publié dans ses célèbres Federalist papers en 1787 ou 1788. J’avais été frappé par le fait que la critique adressée par Hamilton à la première forme de l’Union américaine, une confédération d’États, valait également pour la Communauté européenne dont la structure politique correspondait, et correspond toujours, à celle de la Confédération américaine de 1787. Pour créer une vraie nation européenne, il faudrait instituer un gouvernement dont l’autorité se substituerait à celle des nations existantes.

Mais, écrivais-je en 1973, les loyautés nationales sont beaucoup plus fortes dans les pays du Marché commun qu’elles ne l’étaient dans les treize États de la Confédération américaine et les différences culturelles beaucoup plus grandes. Les treize États n’acceptèrent de se fédérer qu’après un âpre combat et à une courte majorité. Il y a peu de chance pour que les pays du Marché commun acceptent une pareille limitation de leur souveraineté “.

En ce qui concerne plus précisément la création d’une Banque centrale européenne, mes sources sont également anciennes puisqu’il s’agit du célèbre livre Lombard Street (1873) du fondateur de l’hebdomadaire The Economist, Walter Bagehot. L’auteur explique que les institutions monétaires ne se sont pas créées du jour au lendemain ; elles se développent au fil du temps. Vous pouvez établir toutes les institutions que vous voulez sur le papier avec toutes les conditions possibles et toutes les précisions opérationnelles voulues. Mais vous pouvez aussi être assuré que la réalité ne répondra pas à vos anticipations. Si vous fondez une autorité supranationale baptisée Banque centrale indépendante, vous constaterez à l’expérience que l’indépendance n’est pas quelque chose que l’on impose de l’extérieur, elle se gagne avec le temps.

Si je complote, c’est donc pour le réalisme et contre les illusions onéreuses, pour la Démocratie et contre l’oligarchie bureaucratique, pour la liberté et contre l’étatisme destructeur. Et ce complot présente la particularité de se dérouler à livre ouvert.

(1) Essais d’économie politique. Editions Litec.

Source : Géopolitique, n°53, “Monnaie unique, le débat interdit”, 1996.

Source: http://www.les-crises.fr/entetement-suicidaire-2/


Noam Chomsky lit le New York Times – et explique pourquoi le “Journal de référence” est pure propagande

Monday 15 June 2015 at 02:51

Depuis le Laos jusqu’au Moyen-Orient, un tour d’horizon des articles du Times qui ont attiré l’attention d’intellectuels estimés.

Par Noam Chomsky / Alternet, le 20 mai 2015

Un article de Une est consacré à une histoire non étayée de viol sur un campus par le magazine Rolling Stone, dénoncée par le journal majeur de critique des médias. Le déraillement vis-à-vis de l’intégrité journalistique est jugé si fort que le sujet est aussi repris dans l’article à la une de la rubrique économique, une page intérieure entière étant dédiée à la suite des deux articles. Ces comptes rendus indignés parlent des crimes passés de la presse : quelques cas de fabrication d’information, révélés sans s’y arrêter, et des cas de plagiat (“trop nombreux pour être énumérés”). Le crime spécifique du Rolling Stone est son “manque de scepticisme”, et qui est “à bien des égards le plus insidieux” des trois catégories précitées.

Voir Times si engagé dans la défense de l’intégrité journalistique a quelque chose de réjouissant.

En page 7 de la même édition, on trouve un article important de Thomas Fuller intitulé “La mission d’une femme pour libérer le Laos de ses munitions non-explosées”. Il rend compte de “l’effort opiniâtre” de Channapha Khamvongsa, une Lao-Américaine, “pour débarrasser sa terre natale des millions de bombes qui y sont toujours enterrées, héritage de neuf ans d’une campagne américaine menée par air qui a fait du Laos le pays le plus lourdement bombardé du monde” – il allait bientôt être détrôné par le Cambodge rural, à la suite des ordres de Henry Kissinger donnés aux forces aériennes américaines : “Une campagne de bombardement massive sur le Cambodge. Tout ce qui vole sur tout ce qui bouge.” Un semblable appel à un quasi-génocide serait très difficile à trouver dans les archives. Il a été évoqué par le Times dans un article sur des cassettes du président Nixon rendues publiques, et a provoqué peu de réactions.

L’article de Fuller sur le Laos rapporte que le lobbying de Mme Khamvongsa s’est traduit par une augmentation généreuse du budget américain annuel pour la neutralisation des bombes non explosées de 12 millions de dollars. Les plus mortelles sont les bombes à sous-munitions, qui sont conçues pour “causer le plus grand nombre possible de blessés parmi les troupes” en répandant des “centaines de sous-munitions sur le sol.” Environ 30% d’entre-elles y restent non explosées et provoquent la mort ou la mutilation des enfants qui ramassent les pièces, des fermiers qui les heurtent dans leur travail, ou bien d’autres malchanceux. Une carte annexe représente la province de Xieng Khouang située au nord du Laos, plus connue sous le nom de Plaine des Jarres, la principale cible des bombardements intensifs qui ont connu leur pic de frénésie en 1969.

Fuller raconte que Mme Khamvongsa “a été poussée à l’action après avoir découvert une collection de dessins des bombardements réalisés par des réfugiés et réunis par Fred Branfman, un activiste anti-guerre qui a œuvré à révéler la Guerre Secrète.” Les dessins sont publiés dans le remarquable livre du regretté Fred Branfman, Voices from the Plain of Jars [NdT : Les Voix de la Plaine des Jarres], publié en 1972 et réédité par les presses universitaires du Wisconsin avec une nouvelle introduction. Les dessins dévoilent de manière saisissante les souffrances des victimes, pauvres paysans d’une zone reculée qui n’avaient pratiquement rien à voir avec la guerre du Vietnam, ce qui a d’ailleurs été reconnu officiellement. Un rapport typique effectué par une infirmière de 26 ans saisit la nature de la guerre aérienne : “Il n’y avait pas une nuit où nous pensions que nous allions vivre jusqu’au matin, pas un matin où nous pensions que nous allions survivre jusqu’à la nuit. Est-ce que nos enfants pleuraient ? Oh oui, et nous pleurions aussi. Je me contentais de rester dans ma grotte. Je n’ai pas vu la lumière du soleil pendant deux ans. A quoi pensais-je ? Oh, je répétais dans ma tête ‘s’il-vous-plaît, que les avions ne viennent pas, s’il-vous-plaît que les avions ne viennent pas, s’il-vous-plaît que les avions ne viennent pas.’”

Les vaillants efforts de Branfman ont véritablement permis de faire naître une certaine prise de conscience de cette atrocité hideuse. Ses recherches constantes ont aussi mis au jour les raisons de la destruction sauvage d’une société paysanne sans défense. Il en dévoile à nouveau les raisons dans l’introduction de la nouvelle édition de Voices. En ces termes :

“Une des révélations les plus terribles à propos du bombardement a été de découvrir pourquoi il s’était si énormément intensifié en 1969, comme l’ont décrit les réfugiés. J’ai appris que le président Lyndon Johnson, après avoir décrété un arrêt des bombardements sur le Vietnam du nord en novembre 1968, avait simplement dérouté les avions vers le nord du Laos. Il n’y avait pas de raison militaire à ceci, c’était simplement parce que, comme l’a attesté le chef de mission adjoint Monteagle Stearns devant la commission du Sénat aux affaires étrangères en octobre 1968 : “Bien, nous avions tous ces avions qui restaient là à ne rien faire, et nous ne pouvions les laisser là à ne rien faire”.

Donc, les avions inutilisés étaient lancés sur de pauvres paysans, dévastant la pacifique Plaine des Jarres, loin des ravages des guerres d’agression meurtrières de Washington en Indochine.

Maintenant regardons comment ces révélations ont été transformées dans le New York Times Newspeak : “Les cibles étaient les troupes du Vietnam du Nord – spécialement le long de la piste Ho Chi Minh, dont une grande partie traverse le Laos – aussi bien que les communistes laotiens alliés du Nord-Vietnam.”

Comparez les paroles du chef de mission adjoint américain avec les descriptions et témoignages poignants des écrits de Fred Branfman.

Véritablement, le journaliste a une source : la propagande américaine. Cela suffit sûrement à submerger les simples faits d’un des plus grands crimes de l’après seconde guerre mondiale comme le détaille sa source même : les révélations cruciales de Fred Branfman.

Nous pouvons être certains que ce colossal mensonge au service de l’état ne méritera pas d’être longuement dévoilé et dénoncé comme méfait honteux de la Presse Libre, comme le sont le plagiat et le manque de scepticisme.

Le même numéro du New York Times nous inflige un rapport par l’inimitable Thomas Friedman, relayant avec le plus grand sérieux les mots du président Obama présentant ce que Friedman nomme “la Doctrine Obama” – chaque président doit avoir une doctrine. La Doctrine profonde est “‘engagement’, combiné avec la préservation des besoins stratégiques principaux.”

Le président a illustré cela avec un cas crucial : “Vous prenez un pays comme Cuba. Tester la possibilité que l’engagement mène à un meilleur résultat pour le peuple cubain ne représente pas beaucoup de risques pour nous. C’est un petit pays minuscule. Ce n’est pas un pays qui menace nos objectifs de sécurité principaux et ainsi [il n'y a aucune raison de ne pas] essayer cette idée. Et s’il s’avère que cela ne mène pas à de meilleurs résultats, nous pouvons ajuster notre politique.”

Et là, le lauréat du Prix Nobel de la paix s’étend sur ses raisons d’entreprendre ce que le journal intellectuel américain majeur de la gauche-libérale, le New York Review, salue comme une étape “courageuse” et “vraiment historique”, le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba. C’est un mouvement entrepris pour “donner plus de pouvoir au peuple cubain,” a déclaré le héros, nos efforts précédents pour leur apporter la liberté et la démocratie ayant échoué à réaliser nos nobles objectifs. Les efforts précédents comportaient un embargo écrasant condamné par le monde entier (excepté Israël) et une guerre terroriste brutale. La suite est comme d’habitude balayée de l’histoire, hormis des tentatives d’assassinat contre Castro, un détail très mineur acceptable car on peut les disqualifier avec mépris comme étant des magouilles ridicules de la CIA. Quand on se tourne vers les archives internes déclassifiées, on apprend que ces crimes ont été entrepris à cause du “succès de la remise en cause” par Cuba de la politique américaine qui remonte à la doctrine Monroe, qui déclarait l’intention de Washington de gouverner cet hémisphère. Mais ils sont tous inavouables et bien trop nombreux pour les narrer ici.

En recherchant plus loin nous trouvons d’autres merveilles, par exemple, l’article de réflexion en première page sur l’accord avec l’Iran par Peter Baker quelques jours plus tôt, mettant en garde contre les crimes iraniens régulièrement listés par le système de propagande de Washington. Tous s’avèrent très révélateurs à l’analyse, quoique aucun ne soit pire que le dernier des crimes iraniens : “la déstabilisation” de la région par le soutien aux “milices chi’ites qui ont tué des soldats américains en Irak.” Voici de nouveau l’image standard. Quand les EU envahissent l’Irak, le détruisant pratiquement et créant des conflits sectaires qui déchirent le pays et désormais la région entière, cela entre dans le cadre d’une “stabilisation” dans la rhétorique officielle et par conséquent médiatique. Quand l’Iran soutient des milices  résistant à l’agression, c’est de la “déstabilisation”. Et il pourrait difficilement y avoir un crime plus odieux que de tuer des soldats américains qui attaquent votre maison.

Tout cela, et bien plus, beaucoup plus, est parfaitement clair si nous montrons une obéissance absolue et acceptons sans critique la doctrine approuvée : les EU sont les propriétaires du monde et c’est leur droit, pour des raisons expliquées de manière lucide dans le New York Review, dans un article de mars 2015 écrit par Jessica Matthews, l’ancien président de la Carnegie Endowment for International Peace [NdT : Fondation Carnegie pour la paix internationale] : “Les contributions américaines à la sécurité internationale, à la croissance économique mondiale, à la liberté et au bien-être de l’humanité ont été si évidemment uniques et ont été si clairement dirigées au profit d’autres que les Américains ont longtemps cru que les EU représentaient une sorte de pays tout à fait différent. Là où d’autres servent leurs intérêts nationaux, les EU essayent de promouvoir des principes universels.” Fin de la plaidoirie.

Noam Chomsky est professeur de linguistique et de philosophie au MIT (Massachusetts Institute of Technology).

Source : AlterNet, le 20/05/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/noam-chomsky-lit-le-new-york-times-et-explique-pourquoi-le-journal-de-reference-est-pure-propagande/


Interview d’Axelle Lemaire sur la Loi Renseignement, par Thinkerview

Monday 15 June 2015 at 00:27

Intéressante interview d’Axelle Lemaire (secrétaire d’Etat chargée du numérique) sur la Loi Renseignement, la stratégie européenne, la neutralité du net, la surveillance de masse, etc. au côté de Gilles Babinet, Benjamin Bayart, Eric Scherer et Eric Leandri – réalisée par l’excellente chaine Thinkerview.

Source: http://www.les-crises.fr/interview-daxelle-lemaire-sur-la-loi-renseignement-par-thinkerview/


29 mai, par Jacques Sapir

Sunday 14 June 2015 at 12:25

Le 29 mai 2015, nous fêterons le dixième anniversaire du referendum sur le projet constitutionnel, qui vit ce dernier rejeté par une large majorité (54,68%). Ce vote ne fut pas isolé. Quelques jours plus tard, les électeurs néerlandais rejetaient à leur tour le projet de traité. Mais, ce 29 mais sera l’occasion aussi de commémorer, car peu de gens auront à cœur de « fêter » cela, le déni de démocratie qui vit, quelques années après, l’essentiel du traité qui avait été rejeté être finalement adopté par un tour de passe-passe dans lequel l’UMP comme le P« S » ont été connivents. Ce déni a provoqué une véritable rupture dans la vie politique française. Nous en vivons aujourd’hui les conséquences. Dix années, donc, se sont écoulées, et les enseignements que l’on peut tirer des événements qui sont survenus depuis fondent la situation politique actuelle.

La crise démocratique.

Il ne faut guère aller chercher beaucoup plus loin la crise de la démocratie institutionnelle que traverse notre pays. J’écris « démocratie institutionnelle » et non démocratie, car de nombreux indices témoignent de ce que la démocratie est, elle, bien vivante même si les formes qu’elle prend peuvent surprendre, voire scandaliser. Ce qui est en cause c’est la crise de certaines institutions, crise qui découle de leur perte de légitimité.

Commençons par la presse : rarement depuis qu’il y a une presse libre en France son discours a été aussi et autant discrédité. On le constate dans l’effondrement du lectorat, mais aussi dans l’émergence, certes brouillonne et non dénuée de problèmes et d’abus, d’une « presse alternative ». Cette dernière s’est largement développée sur INTERNET. Le pire y côtoie le meilleur. Mais ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. Le présent carnet en témoigne, avec un nombre de connexions mensuelles et un nombre de lecteur qui sont dignes d’un grand hebdomadaire. Pourtant, si tant de français vont aller chercher sur INTERNET des informations qu’ils n’estiment plus être fiables dans les médias institués, c’est bien parce que ces derniers ont par trop confondu l’opinion – légitime – avec l’information. Le fait qu’en 2005 ils aient pris, dans leur immense majorité, fait et cause pour le projet de traité sans laisser aux opposants, qui allaient pourtant s’avérer majoritaire, un espace d’expression digne et équilibré, n’y est pas étranger.

Mais, cette crise de légitimité touche aussi les partis traditionnels. A multiplier les grands écarts entre les proclamations d’avant les élections et les actes une fois arrivés au pouvoir, en étalant par trop leur cynisme et leur arrogance, ils ont rompu le lien de confiance qui les unissaient à la population. On voit ainsi la côte de popularité monter et descendre dans les sondages au gré de leur exercice du pouvoir. Tel Président, honni à la fin de son mandat, se refait une – timide – santé parce que son successeur s’est avéré aussi hypocrite et aussi cynique que lui même ne l’avait été. Entre le discours du Bourget, où François Hollande clame que « son ennemi est la finance » et la pratique du pouvoir qui le voit s’accroupir devant cette même finance au point de nommer un ancien banquier d’affaires comme Ministre de l’économie, on comprend qu’il y ait un malaise. Et le refus du président d’en prendre acte ne fait que le rendre plus important et plus évident.

Sur le fond, la crise de légitimité qui touche nos institutions, car la justice est elle aussi frappée, traduit l’impuissance, soit subie soit assumée, de ceux qui nous gouvernent. Et cette impuissance a un nom : la crise de l’Etat. Victor Hugo, dans Le Roi s’amuse fait dire au bouffon Triboulet « Je ne viens pas vous réclamer ma fille/ Quand on n’a plus d’honneur on n’a plus de famille ». Ces vers furent l’une des raisons de l’interdiction de la pièce par le pouvoir royal. On peut dire que quand on n’a plus d’Etat, quand on a abdiqué la souveraineté, on ne peut plus prétendre à la légitimité. Ajoutons à cela une atmosphère générale de collusion et de corruption au sein des élites, et l’on aura un tableau, certes pas exhaustif – il y faudrait un livre – des maux qui rongent notre démocratie depuis 10 ans et qui condamnent nombre des institutions de cette dernière.

Les transformations des partis politiques.

Dans ce cadre, on assiste à la transformation à marche forcée des principaux partis politiques français.

Pour le parti « socialiste », il est clair que l’on a deux mensonges pour une même expression. Ce n’est plus un parti depuis longtemps, mais une bande de dirigeants qui consentent, de temps à autre, à se plier aux rites d’une onction, à vrai dire assez peu démocratique, de la part de leurs sympathisants. Ce n’est pas, non plus, un parti « socialiste » ou les mots n’ont plus aucun sens quand ont voit le gouvernement issu de ce parti, et avec l’appui de la majorité de ses représentants, casser le code du travail, détruire l’école républicaine, renier ses promesses aux travailleurs, multiplier les cadeaux aux grandes entreprises alors même que les plus fragiles sont confrontés à une insécurité juridique destructrice. Plus fondamentalement, le parti « socialiste » a acquis sa base de classe. Il est devenu le parti de la petite bourgeoisie cosmopolite, celle qui ne voit dans l’Euro qu’un instrument utile pour ses déplacements (ignorant semble-t-il que moins de 10% des français va passer ses vacances à l’étranger). Assurément, il reste à l’intérieur de ce mouvement des femmes et des hommes de qualité et qui sont porteurs d’une réelle aspiration socialiste et républicaine. Mais, ces personnes sont condamnées à n’être que des buttes témoin d’une évolution aujourd’hui irrémédiable.

Le tableau n’est pas plus brillant pour l’UMP, désormais en passe d’être rebaptisé « Les républicains » par un de ces tours de prestidigitateur dont la communication politique est farcie. Mais, en réalité, nous n’avons qu’un conglomérat d’ambitions personnelles qui, pour l’instant, sont fédérées par un chef, pas si charismatique que cela, et dont on ne sait s’il finira devant le Parquet ou sur le tapis. Le programme de ce conglomérat est une catastrophe dans l’attente d’un détonateur. Qu’il s’agisse des propositions économiques, dont on voit bien qu’elles replongeraient la France dans la récession. Qu’il s’agisse des éléments de programme social, qui rivalisent dans l’ardeur réactionnaire avec celles des « socialistes ». Car, si ce sont eux qui portent à l’école de la République l’assaut final, ce dernier a bien été préparé par les réformes d’un dénommé Luc Chatel, ex-chef de produit chez L’Oréal, et qui avait mis en place tous les éléments idéologiques des décisions actuelles. Mais, du corps idéologique du gaullisme, que l’on pouvait admirer ou combattre mais qui avait sa cohérence et sa logique, il ne reste plus rien.

Face à ces deux transformations, aujourd’hui achevées, le champ politique présente des forces en mutation. La mouvance écologiste, dont EELV est une des principales composantes, est traversée par des crises à répétition. Certains, conscients qu’ils ne seront jamais gagnants préfèrent jouer placés en se rapprochant du P« S ». Si le rêve d’un mouvement écologique indépendant survit, ses forces déclinent alors même que de plus en plus de personnes sont convaincus de l’urgence de la crise écologique. La mouvance écologique a clairement échoué dans sa mutation. Pour la gauche radicale, le Front de Gauche et en son sein le Parti de Gauche, c’est aussi d’un échec qu’il nous faut bien parler. Jean-Luc Mélenchon avait mené une belle campagne lors des élections présidentielles de 2012. Mais, il a gaspillé une large part de son acquis à ne pas savoir choisir entre une logique clairement souverainiste et le fédéralisme européen. Cela témoigne, aussi, d’une incompréhension de la période ouverte avec le résultat du référendum de 2005. Il témoignait de la montée en puissance des thèses souverainistes, que ce soit par une intime conviction ou par le constat de l’échec du fédéralisme européen. Le saut aurait dû être fait, si ce n’est en 2012, très vite en 2013. A avoir trop voulu tergiverser, Jean-Luc Mélenchon, et avec lui le Front de Gauche, ont laissé échapper la possibilité que se constitue en France un mouvement similaire à SYRIZA ou à PODEMOS. On peut le regretter, mais il faut en prendre acte.

Dernière force en mutation, le Front National. On ne dira pas le cheminement compliqué, et seulement en partie réalisé, qui a conduit d’une formation clairement d’extrême droite vers un grand parti populiste. Rien n’était acquis en 2005. Pourtant, l’évolution est claire. Elle a bénéficié de la paralysie du Front de Gauche après l’élection de 2012. En un sens le FN-Phillipot est le produit de l’échec du FdG-Mélenchon. Mais, aujourd’hui, l’espace politique structuré par les idées souverainistes est en passe d’être hégémonisé par le Front National. Ce dernier connaît des crises internes, et la dernière a été la plus spectaculaire. Mais, ces crises sont le symptôme et non le moteur de cette évolution.

Dès lors, pour tous ceux qui ont voté « non » en 2005, il y a dix ans de cela, se pose la question de leurs relations avec le Front National. Dans un espace politique où la question de la souveraineté, c’est-à-dire celle de l’Etat, est aujourd’hui la question centrale en cela que toutes les autres en dépendent, il faudra bien l’aborder de face et trancher ou renoncer.

La crise de l’Union européenne.

Car ce qui donne à la question de la souveraineté toute son importance c’est aussi le fait que dans ces dix dernières années la crise des institutions de l’Union Européenne est allée en s’amplifiant.

Le Traité de Lisbonne, cette monstruosité née d’une forfaiture, établit de fait un régime de souveraineté limitée pour les pays qui en sont signataires. On a vu les conséquences s’en développer depuis la crise de 2008-2009. Le Traité sur la gouvernance européenne, que la France a ratifié sur la base d’un reniement (celui de François Hollande) et d’une nouvelle forfaiture, n’a fait qu’approfondir cette situation. Nous en voyons tous les jours les applications, qu’il s’agisse de notre impuissance organisée sur le plan diplomatique, qui se manifeste tant sur le dossier de l’Ukraine ou sur celui de la négociation du Traité de Libre-Echange transatlantique connu sous le nom de TAFTA, ou qu’il s’agisse de réformes imposées par la logique de Bruxelles et par celle de Francfort, c’est à dire l’Euro. Ces réformes inspirent les mesures mise en place par le gouvernement, que ce soit sur le droit du travail ou sur l’éducation.

Mais, en même temps qu’elle étendait et confortait son pouvoir en dehors de toute sanction démocratique véritable l’Union européenne entrait aussi dans une crise profonde. Les prémisses étaient visibles dès les années 1990 quand l’UE s’est lancée, faute de projet interne cohérent, dans la course aux adhésions, course qui a aboutit aujourd’hui à une crise diplomatique majeure avec la Russie. Mais, cette crise s’est surtout développée au moment même où se jouait la négociation du Traité de Lisbonne. Aujourd’hui il est clair que l’UE est un échec économique. Dans pratiquement tous les pays dits du « Sud » de l’Europe, mais ceci inclut aussi la France, le PIB par habitant stagne, voire est resté inférieur, à ce qu’il était avant la crise de 2008-2009. Et encore ceci n’inclut pas les pays qui ont été ravagés par des politiques d’austérité aussi stupides que meurtrières. Jamais les relations entre les Etats de l’UE n’ont été aussi hypothéquées par des récriminations, des critiques, voire des retours de l’Histoire. L’UE, établie soi-disant au nom de la paix dresse actuellement les peuples les uns contre les autres, provoque par son action inconsidérée des conflits à sa périphérie, et se révèle incapable d’y faire face.

Cette crise de l’Union européenne ne se limite pas à a crise de l’Euro. Car la zone Euro est bel et bien en crise. Quand bien même les problèmes de la Grèce seraient-ils réglés que l’on verrait surgir ceux de l’Italie, et derrière ceux de l’Espagne. Même le très conservateur, et très soumis à Mme Merkel, Premier-ministre espagnol commence à ruer dans les brancards. Il faut y voir, bien entendu, une des conséquences des succès électoraux remportés par PODEMOS récemment. Mais, au-delà de la crise de la zone Euro, on constate tous les jours la réalité d’une crise de l’UE, crise qui aiguise les appétits des Etats et dont la première victime a été le budget de l’UE. Les progrès des partis « eurosceptiques » ou souverainistes dans de nombreux pays ne font que refléter la profondeur de cette crise. Avec le référendum britannique, qui se tiendra soit en 2016 soit en 2017, l’UE va affronter un test sévère.

Si, encore, l’UE reconnaissait la réalité de cette crise, il y aurait un espoir d’évolution. Mais, plus la crise s’approfondit et plus elle est niée par les politiciens européens. Plus elle s’approfondit et plus l’UE se plonge dans les délices d’une gouvernance délivrée de tout contrôle démocratique. Désormais, la « démocratie sans le peuple » semble être son unique avenir. L’UE s’est lentement mais surement transformée en une machine d’oppression. C’est le signe indiscutable qu’elle est entrée dans sa crise terminale. De ce point de vue aussi, les dix ans qui nous séparent du 29 mai 2005 n’ont pas été anodins. Certains diront qu’ils ont révélé la véritable nature de l’UE. Je pense, pour ma part, qu’incapable de supporter la moindre critique, incapable de se livrer à la moindre autocritique, elle s’est lancé dans une fuite en avant qui en a changé la nature.

La révolution qui vient.

Pourtant, d‘autres évolutions auraient été possibles. S’il est bon et juste d’accabler tant Nicolas Sarkozy que François Hollande, les deux vaincus du 29 mai 2005, les deux dirigeants qui s’étaient le plus engagés pour le « Oui » et qui ont été désavoués lors du référendum, ceux là même qui sont devenus par la suite Président de la République, il convient de ne pas oublier la responsabilité de Jacques Chirac. Au soir du référendum, il avait toutes les cartes en main. Il aurait pu fédérer les « non » et s’appuyer sur eux pour tout à la fois imposer une renégociation et reconstruire une alliance politique qui lui aurait permis de faire élire son successeur désiré, dont on peut penser qu’il ne s’appelait pas Nicolas Sarkozy. Venant après l’attitude courageuse qui avait été la sienne en 2003 lors de l’intervention américaine en Irak, ceci lui aurait conféré une écrasante légitimité et l’aurait fait maître du jeu. Mais, il faut croire que toute son énergie avait été dépensée justement en 2003. En 2005, il fit les mauvais choix, et ces chois ont conditionné, en bonne partie, la suite.

Dés lors, et compte tenu de la décomposition sur pied des deux partis dominants, de la perte totale de légitimité qui les frappe et qui frappe aussi certaines de nos institutions, il est de plus en plus évident que nous sommes entrés dans une période révolutionnaire. Il faut cependant bien mesurer les mots. Cela ne veut pas dire qu’il y aura nécessairementune révolution – l’histoire se rit des déterminismes sommaires – ni que cette révolution correspondra nécessairement aux modèles de celles du XIXème et du XXème siècle. Parler de révolution signifie que l’ordre constitutionnel sera probablement interrompu, et en tous les cas probablement à reconstruire et que les partis, et les alliances politiques, que nous connaissons seront vraisemblablement pulvérisés ou à tout le moins profondément transformés. Cela veut aussi dire que la violence directe retrouvera sa place dans la lutte politique. On le sait, « la révolution n’est pas un dîner de gala ».

Dans une période révolutionnaire, il convient avant tout de ne pas se tromper d’ennemi. Le seul, le véritable ennemi des français et de la France, c’est tout ce qui s’oppose à ce que le pays retrouve sa souveraineté et, avec elle et grâce à elle, les conditions réelles de la démocratie. Si nous voulons retrouver la capacité de penser un modèle social dans un cadre collectif, si nous voulons mettre à bas l’euro-austérité, il nous faudra au préalable retrouver notre souveraineté. C’est ce que SYRIZA a bien compris en passant une alliance non pas avec le parti avec lequel les points d’accord étaient les plus grands sur la question sociale, mais avec les “Grecs Indépendants” (ou An.El) qui partageaient avec SYRIZA cette conception de la lutte pour l’austérité.

Le camp de ceux qui veulent sincèrement que la France et son peuple regagnent la souveraineté est composite. On peut y trouver nombre de points d’opposition, voire de fracture. Ceci fut déjà le cas dans la Résistance et l’une des taches du CNR fut justement de donner un cadre où ces oppositions pouvaient se manifester mais sans porter atteinte au combat pour la Libération. Que ce camp soit composite est d’ailleurs profondément logique dans une société qui est largement hétérogène et traversée d’intérêts différents. Mais, la constitution, et ici on a envie de dire la reconstitution de ces « choses communes », de ces res publica est aujourd’hui une priorité absolue. A quoi bon, en effet, se battre pour des parcelles de « pouvoir » si ce dernier est vide de sens ?

Cela impose que, dans le camp des souverainistes, on établisse une trêve sur ce qui divise afin de se concentre sur ce qui nous unit. J’écris « trêve » et non paix, car, une fois la souveraineté retrouvée, une fois l’Etat reconstruit, les luttes sociales et politiques reprendront de plus belle. Mais, dans la période actuelle, il faut comprendre que ces luttes doivent être soumises à l’objectif principal, celui du rétablissement de la souveraineté. Non que ces luttes soient contradictoires avec cet objectif. Je suis persuadé que dans la lutte contre le TAFTA tout comme dans celle contre la réforme des collèges et la casse de l’éducation nationale, c’est en réalité la souveraineté que l’on défend. Mais, nous pouvons avoir, et il n’y a rien de plus normal à cela, des points de vue qui différent dans le cadre de ces luttes. Ces contradictions, il faudra si ce n’est les faire taire, du moins les réguler pour qu’elles n’empêchent pas la constitution d’une large alliance. Cela implique que nos coups devront porter en priorité contre l’ennemi et non entre nous. Mais cela implique aussi qu’entre la souveraineté et l’utopie fédérale, il faudra choisir.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 28 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/29-mai-par-jacques-sapir/


“D’une crise à l’autre : Vers un nouveau monde?” – Conférence d’Hervé Juvin

Sunday 14 June 2015 at 01:50

Conférence d’Hervé Juvin, donnée à l’École Militaire devant la Société de Stratégie (18/04/2013)

Source: http://www.les-crises.fr/dune-crise-a-lautre-vers-un-nouveau-monde-conference-dherve-juvin/


Revue de presse du 13/06/2015

Saturday 13 June 2015 at 01:13

Merci aux participants de cette revue et bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-13062015/


« Ne jamais croire un Grec, surtout s’il t’amène un présent », par Charles Gave

Saturday 13 June 2015 at 00:13

Une vision du libéral Charles Gave…

“TIMEO DANAOS ET DONA FERENTES “

Laocoon, dans l’Énéide de Virgile, qui voulait refuser l’entrée du cheval à Troie

La tragédie Grecque continue à faire la première page des journaux un peu partout, les journalistes nous expliquant que le gouvernement Grec est d’une incompétence inimaginable et que le pire est à venir pour la population. Plus le temps passe, moins j’en suis sur. Réfléchissons deux minutes.

Imaginons par exemple que le gouvernement grec ait parfaitement compris qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir et que la seule solution était pour la Grèce de faire faillite.

Dans la première crise Grecque en 2011, la dette était détenue en quasi-totalité par des banques étrangères (Françaises, Italiennes…) installées en Grèce et qui avaient fait preuve de beaucoup de légèreté dans les crédits qu’elles avaient octroyées à des emprunteurs Grecs. C’est un principe du droit commercial qu’accorder des crédits à des gens qui ne pourront jamais les rembourser est une faute lourde. De ce fait, ne pas rembourser des banques étrangères est historiquement une pratique assez courante. Logiquement donc, les banques étrangères auraient du s’asseoir avec leurs débiteurs Grecs et négocier avec eux les pertes qu’elles allaient devoir prendre.

Hélas, nous sommes dans un monde gouverné par des banquiers, au profit des banquiers. Le but essentiel de la première négociation fut donc non pas de permettre à la Grèce d’assainir une fois pour toutes ses finances, mais de protéger les intérêts des banquiers qui avaient commis une énorme boulette et monsieur Sarkozy se distingua particulièrement dans cette tache.

Papandreou, le premier ministre de l’époque, qui voulait organiser un referendum sur le sujet fut remplacé assez rapidement par le Quisling de service, Lucas Papademos, ancien de la BCE (!) qui négocia un remarquable accord, extrêmement favorable aux banques étrangères et désastreux pour la Grèce, en substituant des organisations internationales aux banques étrangères. Les banques étrangères furent  donc sorties sans trop de dégâts du trou dans lequel elles s’étaient mises  et remplacées par la BCE, le FMI etc.…

L’ennui est que la dette Grecque est  maintenant due à des organisations internationales et qu’il est  impossible juridiquement  de renégocier avec ces organisations des remises de dettes, sauf à perdre pour un grand moment tout crédit auprès d’elles. Voila qui parait être une situation sans issue. La Grèce et son gouvernement sont coincés et bien coincés, du moins en apparence.

Et c’est la qu’entre en jeu monsieur Yanis Varoufakis, bon spécialiste de la théorie des jeux puisqu’il l’enseignait à l’Université du Texas.

Les lignes qui vont suivre ne sont bien sur qu’une tentative pour expliquer que tant que la Grèce reste dans le cadre légal que lui impose l’Euro, elle n’a aucune chance de s’en sortir. Par contre, si elle prend le risque de sortir, alors, elle a beaucoup plus de cartes en main qu’on veut nous le faire croire. Inutile de dire que je n’ai aucune information spéciale, n’étant pas dans le secret des Dieux.

Pour comprendre ce qu’est peut être la stratégie du gouvernement Grec, il faut se rappeler une boutade célèbre : Si vous devez 100.000 euro à votre banquier, vous avez un problème. Si vous lui devez 300 milliards, il a un problème Donc soyons clairs, ce sont la BCE, le FMI etc. qui ont un problème, pas la Grèce.

Or le gouvernement Grec sait très bien  que dés qu’il aura fait faillite, ce qui est inévitable, il n’aura plus accès à aucun financement  et ce pendant un grand moment. Il lui faut donc se constituer un trésor de guerre, que les autorités internationales ne pourront pas saisir. Logiquement, il aurait du installer comme à Chypre, des contrôles des changes, des contrôles des capitaux et que sais je encore, pour garder le peu de devises qu’il avait. Or qu’est que je constate? Les déposants Grecs peuvent librement transférer de l’argent  de leur compte en Grèce à n’importe quel compte étranger (à leurs cousins en Australie, en Allemagne ou aux USA…), ou, s’ils n’ont pas de cousins, ils peuvent transformer leurs dépôts en billets de banque et les mettre dans un coffre chez eux.

La masse monétaire Grecque s’effondre donc, puisqu’elle est en train de se déverser aux USA, en Allemagne ou en Australie. Dans une situation « normale », le taux de change de la monnaie Grecque devrait s’effondrer, mais il n’en est rien puisque ces transferts sont financés par …la BCE.

Explication.

La banque commerciale Grecque de base n’a plus de dépôts et donc plus de cash, mais elle a en réserve d’importantes quantités de bons du Trésor Grecs, émis pour financer le déficit budgétaire Grec par le passé. Notre banque commerciale présente donc ces bons à la banque centrale Grecque, pour réescompte. Laquelle les présente  à la BCE, pour avoir du cash. Et les transmet à la banque commerciale Grecque qui peut financer les retraits. Et ce cash se retrouve dans les poches …des citoyens Grecs.

Le trésor de guerre est dans les mains des citoyens Grecs et ces sommes resurgiront des que la Drachme sera recréée. On parle déjà de plus de 100 milliards d’Euro avancés par la BCE  à la banque centrale de Grèce. .

Ce petit jeu durera aussi longtemps que la BCE escomptera et donc le gouvernement Grec a tout intérêt à faire ses échéances aussi longtemps qu’il le peut puisque tant qu’il paye 500 millions, les citoyens Grecs peuvent tirer 5 milliards. Le but du gouvernement  Grec est à l’évidence de faire trainer les choses le plus longtemps possibles en espérant que la BCE ne va pas siffler la fin de la partie, ce qui la forcerait à prendre ses pertes immédiatement. La BCE est donc dans une situation,ou si elle arrête les financements, elle perd puisque cela forcerait la Grece a sortir et si elle ne les arrête pas, elle perd aussi.

Monsieur Tsipras est dans le rôle du bon flic  tandis que monsieur Varoufakis joue le méchant.

C’est là où le cheval de Troie revient en mémoire, et peut être la BCE  aurait du se poser des questions sur ces paiements mais nos banquiers centraux sont non seulement incompétents mais incultes.

Quand la musique s’arrêtera, l’Etat Grec fera défaut sur 300 milliards, ces 300 milliards étant en grande partie dans les comptes de citoyens Grecs en dehors de Grèce, ou en billets de banque en  Euro, qui resteront parfaitement valables. Quand la Grèce sortira de l’Euro, les citoyens Grecs auront donc une forte hausse de la valeur de leur épargne, ce qui leur permettra de consommer à nouveau. Quand la Drachme sera réintroduite, elle baissera de 50 % ou plus, ce qui permettra à l’économie Grecque de repartir comme une fusée. Je viens de passer quatre jours à Rhodes, où 80 % de l’activité provient du tourisme. Question : Qui ira en Espagne, en Italie ou en France pour payer deux fois plus cher qu’en Grèce?  Réponse, personne.

En Grèce, les transactions domestiques habituelles pour acheter la feta, les olives, ou pour payer les salariés de l’hôtel  se passeront évidemment en monnaie locale, mais si vous voulez vous acheter une maison à Patmos, il faudra le faire en dollar ou en Euro.

Parallèlement, le gouvernement Grec, qui sera toujours dans l’Union Européenne, commencera à ouvrir des négociations avec la Russie par exemple, pour louer à cet autre paria une grande base maritime proche de la Turquie, et ce ne sont pas les ports qui manquent en Grèce. Et la Russie se retrouverait pour la première fois de son histoire avec un port de l’autre coté du Bosphore, ce qui serait bien pratique pour contrôler la première armée Sunnite du monde, l’armée Turque et pour surveiller les flottes Américaines ou Turques. Monsieur Erdogan risque de tousser un peu, mais ce grand démocrate demandera aux USA que faire et j’attends avec impatience la réponse de ce génie de la politique étrangère qu’est monsieur Obama.

Voila qui pose la question à terme du maintien de la Grèce dans l’Otan, mais en virer la Grèce ne sera pas facile. Autrefois, les USA auraient demandé à l’armée Grecque de faire un coup d’Etat, mais il parait que cela n’est plus de mode, sauf en Ukraine bien sur. Avec le brillant résultat que tout un chacun peut constater.

Peut être le gouvernement Grec, s’il a le sens de l’humour, ira-t-il jusqu’à solliciter des crédits aux nouvelles institutions financières qui viennent de voir le jour en Chine, pour financer un gazoduc qui irait de la Russie a l’Autriche, en passant par le Grèce. Ou bien demanderont ils de l’argent pour financer le développement du port d’Athènes, qui après tout, appartient aujourd’hui aux Chinois.

Et donc, contrairement à ce que vous lisez dans tous vos journaux, la Grèce a beaucoup de cartes en main et l’Europe beaucoup moins que l’on essaie de nous en convaincre.

La seule solution pour les puissants esprits qui ont créé l’Euro serait d’annuler totalement la dette grecque, mais l’Italie, l’Espagne et le Portugal demanderaient immédiatement  la même chose, ce qui mettrait le système financier Allemand en faillite puisque les balances « target » qui ne sont que la somme des excédents des comptes courants allemands contre le reste de l’Europe depuis les débuts de l’Euro sont aux alentours de 1000 milliards d’euro. Et ces mille milliards qui n’en vaudront que 500 à tout casser dans le cas de remises des dettes généralisées sont dans l’actif des institutions financières Allemandes  tandis  que les fonds propres de ce système financier Allemand sont de 350 milliards. Prendre une perte de 500 milliards avec des fonds propres de 350 milliards n’est pas chose facile .Et l’électeur de Madame Merkel n’apprécierait sans doute pas.

Bref, l’Euro n’était pas une bonne idée, y faire rentrer la Grèce et l’Italie une imbécillité. Merci Goldman Sachs qui n’a jamais été poursuivi pour avoir  tripatouillé les comptes de ces deux pays, ce qui est bien normal puisque celui qui a négocié avec Goldman pour maquiller les comptes de l’Italie n’était autre que monsieur Draghi.

Conclusion:

Surtout, surtout, ne croyez pas un mot de ce que vous disent les médias. Que le gouvernement Allemand fasse tout ce qui est en son pouvoir pour protéger son système financier est bien normal. Que le gouvernement Grec en fasse autant est plus douteux. Les Grecs ne sont pas des Irlandais. L’Allemagne a déjà subi une défaite gigantesque avec la victoire de Cameron, la sortie de la Grèce constituerait un vrai cataclysme pour nos voisins, et sans doute pour nous. La bonne nouvelle est que nous avançons vers le dénouement car nous commençons à entrevoir la fin du Frankenstein financier qui plombe l’Europe depuis 15 ans, et  cela me rend plutôt content.

“ Il vaut mieux la fin de l’horreur qui horreur sans fin ” (proverbe Allemand)

Source : Charles Gave, Institut des Libertés, le 1er juin 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/ne-jamais-croire-un-grec-surtout-sil-tamene-un-present-par-charles-gave/