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[Reprise] Emmanuel Todd : les libéraux occidentaux doivent applaudir les Russes

Saturday 1 November 2014 at 04:00

L’historien et sociologue français Emmanuel Todd il n’a jamais été prisonnier des idéologies, bien qu’il les ait minutieusement étudiées du point de vue scientifique. Auteur de nombreux livres et monographies, il a accepté de répondre aux questions de Rossiïskaïa gazeta.

Le monde occidental est parti en guerre contre la Russie, l’accusant de tous les péchés capitaux et de mauvaises intentions. Qu’en pensez-vous?

Emmanuel Todd : Avant les événements ukrainiens déjà, j’avais attiré l’attention sur cette tendance antirusse, manifestement planifiée, dans les médias occidentaux. Les premières attaques régulières contre Moscou ont porté sur le “rejet” des minorités sexuelles. Ensuite, de nombreux articles ont avancé que la politique de Poutine était “impossible à comprendre” et qu’il était “imprévisible”. Pour être franc, cela m’a beaucoup amusé. Car à mon avis, la ligne politique du gouvernement russe est au contraire très rationnelle et réfléchie. Les Russes sont fiers d’être Russes et s’ils disposent des moyens nécessaires, ils font tout pour éviter la cabale. Ainsi, le soutien affiché à la population russophone dans le sud-est de l’Ukraine s’inscrit parfaitement dans cette logique.

En ce qui concerne les préoccupations des Baltes ou des Polonais, persuadés que demain Moscou compte les engloutir, elles sont complètement infondées. Cela n’a absolument aucun sens. La Russie a déjà suffisamment de soucis pour aménager son vaste territoire.

Cela fait longtemps que vous vous intéressez à la Russie – essentiellement comme anthropologue et sociologue. En 1976 déjà, à l’âge de 25 ans, vous avez écrit un livre intitulé La Chute finale où vous évoquiez les causes susceptibles de désintégrer l’URSS. Ce livre, qui a fait beaucoup de bruit, n’a pas été pris au sérieux à l’époque. Quelle est votre vision de la Russie contemporaine?

Emmanuel Todd : Si vous vous penchez sur l’histoire de la Russie, vous comprenez que son rôle dans les affaires mondiales – et en particulier européennes – a toujours été positif. La Russie a subi une humiliation dans les années 1990, juste après l’effondrement de l’URSS. L’attitude de l’Ouest fut alors insupportable et injuste mais en dépit de cela, la transition a pu se faire dans une certaine dignité. Aujourd’hui, ce pays a retrouvé sa place dans les affaires mondiales et a atteint un équilibre interne. Il a atteint une stabilité démographique et enregistre même une croissance de sa population plus élevée que dans le reste de l’Europe. L’espérance de vie augmente. A terme, le taux de mortalité infantile sera inférieur à celui des États-Unis selon les statistiques. Le fait que la Russie attire un flux d’immigrés en provenance des pays voisins montre qu’elle revêt pour eux un intérêt économique.

À mon avis, la Russie joue un rôle particulier dans les affaires internationales, dont elle a hérité de la Guerre froide, qui est d’assurer l’équilibre mondial. Grâce à son arsenal nucléaire, la Russie est aujourd’hui le seul pays capable de contenir les Américains. Sans elle, le monde aurait connu un sort catastrophique. Tous les libéraux occidentaux devraient l’applaudir: contrairement aux démocraties européennes, elle a accordé l’asile à Edward Snowden. Quel symbole explicite: la Russie, bastion des libertés dont les pays européens se veulent les porte-drapeaux.

En 2002 sortait votre livre Après l’Empire, où vous évoquez les causes de l’affaiblissement, lent mais sûr, des USA. Qu’en est-il aujourd’hui?

Emmanuel Todd : En effet, j’ai écrit à l’époque que l’agressivité de l’Amérique n’était absolument pas une manifestation de sa puissance. Au contraire, elle cachait la faiblesse et la perte de son statut dans le monde. Ce qui s’est passé depuis a confirmé mes conclusions de l’époque. Et cela reste exact aujourd’hui également. Ne croyez pas que j’ai été motivé par un anti-américanisme quelconque. Pas du tout. Néanmoins, je constate que l’”empire” américain est en phase de déclin. Et cela peut être vu particulièrement dans la manière dont les États-Unis, à chaque fois qu’ils perdent l’un de leurs alliés, prétendent que rien de significatif ne s’est produit. Prenez l’exemple de l’évolution des relations de Washington avec l’Arabie saoudite. Les échecs permanents des Etats-Unis au Moyen-Orient sont flagrants pour tout le monde, notamment à travers les derniers conflits en Irak et en Syrie. Et Riyad, qui était autrefois leur plus proche allié dans la région, est en fait sorti du contrôle américain, même si bien sûr personne ne l’admet. Même chose pour la Corée du Sud, qui s’éloigne des États-Unis pour coopérer de plus en plus activement avec la Chine. Le seul véritable allié loyal des Américains en Asie reste le Japon. Mais à cause de sa confrontation avec Pékin, ce pays ne sait plus où se mettre.

Et l’Europe?

Emmanuel Todd : Le processus est similaire en Europe. La principale évolution que le Vieux continent ait connue ces dernières années est la montée en puissance de l’Allemagne. Avant, je pensais que l’Europe allait continuer à se développer, tirée par la locomotive d’intégration Berlin-Paris. Mais les choses se sont passées autrement. Tout d’abord, l’Union européenne ne s’est pas transformée en union des nations “libres et égales”, comme le rêvaient ses fondateurs. Elle a pris la forme d’une structure hiérarchique sous l’égide de l’Allemagne, qui a largement dépassé sur le plan économique tous les autres pays de l’UE. Par nature, les Allemands ne peuvent pas percevoir le monde autrement qu’à travers un prisme hiérarchique. Cette ascension de Berlin s’est accélérée notamment après la crise financière de 2008. Aujourd’hui, l’Europe est contrôlée par l’Allemagne. Les premiers signes d’une perte de contrôle sur Berlin par les Américains sont apparus au début de la guerre en Irak quand Paris, Moscou et Berlin, qui marchaient jusque-là dans le sillage des USA, s’y sont opposés. Ce fut une étape fondamentale.

Depuis, dans un domaine aussi crucial que l’économie internationale, l’Allemagne mène sa propre ligne pour défendre ses intérêts nationaux. Elle ne cède pas à la pression des Américains, qui croient que tout le monde devrait jouer selon leurs règles et insistent pour que les Allemands renoncent, par exemple, à leur politique d’austérité budgétaire. Cette ligne est imposée sous la pression de Berlin à l’ensemble de l’Union européenne, et les Etats-Unis ne peuvent rien y faire. Dans ce domaine, les Allemands n’accordent pas d’importance à l’avis des Américains. Nous pouvons aussi rappeler les récents scandales impliquant les écoutes téléphoniques, quand les Allemands – un cas sans précédent – ont expulsé le chef de la CIA à Berlin. Mais l’économie reste le plus important. Les Américains n’adoptent pas, dans ces circonstances, une attitude menaçante. Pas parce qu’ils ne veulent pas, mais parce qu’ils ne peuvent pas. En l’admettant tacitement, ils reconnaissent en quelque sorte que leur pouvoir touche à sa fin. Cela ne saute probablement pas aux yeux, mais c’est la réalité.

Néanmoins, certains pensent que les USA restent une puissance dirigeant les affaires mondiales, notamment européennes.

Emmanuel Todd : Il y a l’ancien monde et le nouveau monde. L’ancien monde, c’est la vision héritée de l’époque de la Guerre froide. Elle reste bien ancrée dans la conscience des faucons américains, dans les pays baltes et en Pologne. Il est clair que l’expansion de l’OTAN vers l’Est après la chute du mur de Berlin est un exemple typique de l’inertie de la pensée dans l’esprit de la Guerre froide, peu importe les termes employés. Dans l’ancien monde, l’Allemagne jouait plutôt un rôle de modérateur, d’élément rationnel préconisant une solution pacifique aux problèmes et favorable au partenariat économique. Mais un nouveau monde est apparu et il n’est plus contrôlé par les Américains.

Après le mur de Berlin, le mur des sanctions

L’Europe a aujourd’hui sa propre dynamique. Elle n’a pas d’armée, mais elle est dirigée par l’Allemagne. Et tout se complique, car cette dernière est forte, mais elle est instable dans ses concepts géopolitiques. A travers l’histoire, le pendule géopolitique allemand a oscillé entre une approche raisonnable et des élans mégalomanes qui ont conduit, rappelons-le, à la Première Guerre mondiale. C’est la “dualité” de l’Allemagne. Par exemple, Bismarck cherchait la paix universelle et l’harmonie avec la Russie, alors que Guillaume II, dans l’esprit “l’Allemagne est au-dessus de tous”, s’est brouillé avec tout le monde, à commencer par la Russie. Je crains que nous retrouvions aujourd’hui cette dualité. D’une part, l’ancien chancelier Schröder a prôné l’expansion des relations avec Moscou et il a maintenant beaucoup de partisans. D’autre part, on constate une position étonnamment ferme de Merkel dans les affaires ukrainiennes. L’agressivité du monde occidental envers la Russie ne s’explique donc pas uniquement par la pression des Etats-Unis.

En effet, tout le monde s’attendait à une médiation active de Berlin dans la crise ukrainienne, mais ce n’a pas été le cas.

Emmanuel Todd : Il me semble que l’Allemagne s’engage de plus en plus dans une politique de force et d’expansion voilée. La réalité de l’Allemagne après la réunification est qu’elle a miné les structures étatiques fragiles en Europe. Rappelez-vous la défunte Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, et aujourd’hui il semble que ce soit le tour de l’Ukraine. Pour la plupart des Européens, l’Ukraine n’aucun intérêt particulier. Pas pour les Allemands. Depuis l’époque de la réunification, l’Allemagne a mis la main sur la quasi-totalité de l’ancien espace de domination soviétique et l’utilise à ses propres fins économiques et industrielles. En c’est, je pense, l’un des secrets de la réussite de l’économie allemande. Face à un grave problème démographique et un taux de fécondité faible, elle a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché. Donc, si vous restez dans cette logique, obtenir par exemple les deux tiers des travailleurs ukrainiens est une opération très bénéfique pour Berlin.

D’ailleurs, le 23 août, Angela Merkel a été la seule des chefs d’Etats de l’UE à se rendre en visite à Kiev à l’occasion de la célébration de l’indépendance de l’Ukraine.

Emmanuel Todd : D’après moi, c’était un événement marquant. Et je pense que Moscou l’a également remarqué.

Pourquoi, d’après vous, les États-Unis montrent-ils un tel zèle dans les affaires ukrainiennes?

Emmanuel Todd : Parce que leur stratégie vise à affaiblir la Russie. En l’occurrence par la crise ukrainienne. Mais n’oublions pas qui l’a provoquée. Après tout, le point de départ était la proposition de l’UE de conclure un accord d’association avec Kiev. Puis l’Union européenne a soutenu le Maïdan conduisant au coup d’Etat, qui s’est déroulé avec le consentement silencieux des capitales européennes. Quand les événements en Crimée se sont produits, les Américains ne pouvaient pas rester à l’écart, au risque de “perdre la face”. Les “faucons”, partisans des idées de la Guerre froide, sont alors passés au premier plan pour définir la politique américaine vis-à-vis de la Russie. Je ne pense pas que les Américains souhaitent l’exacerbation de ces conflits, mais nous devons suivre de près jusqu’où pourrait aller leur désir de “sauver la face”.

Source : RIA, 12/10/2014, source vo RG

Source: http://www.les-crises.fr/emmanuel-todd-les-liberaux-occidentaux-doivent-applaudir-les-russes/


Revue de presse du 01/11/2014

Saturday 1 November 2014 at 00:01

Bonne lecture !

Source: http://www.les-crises.fr/rdp-01-11-2014/


Happy Halloween !

Friday 31 October 2014 at 23:50

Signe des temps…

Source: http://www.les-crises.fr/happy-halloween-2014/


[Reprise] Ce que l’extrême droite ne nous prendra pas, par Frédéric Lordon

Friday 31 October 2014 at 00:01

Papier intéressant de Lordon de 2013 – même si je ne le suis pas sur tous les points, en particulier sur les régularisations (il y a des choses qu’une corps social accepte en période de croissance et ne peut accepter en période de crise, il faut aussi en tenir compte).

En hommage aussi à tous les petits Fouquier-Tinville aux tous petits pieds faisant des procès en extremedroitisme dès qu’on n’est pas d’accord avec eux…

(N.B. Pour les mal-comprenants, non, je n’ai aucune complaisance pour “l’extrême-droite“, arrêtez de me harceler avec ça, merci d’avance – cela devient lourd)

[Exemple, je trouve qu'il faut juger à la CPI tout État attaquant un État, bombardant et tuant des civils, cela va donc des USA à la Syrie, de l'État Islamique à l'Ukraine et d'Israël à la France (Libye) - c'est bien la preuve que je suis humaniste me semble t-il...]

La colorimétrie des demi-habiles ne connaissant que deux teintes, toute mise en cause de l’Europe, fût-elle rendue au dernier degré du néolibéralisme, est le commencement d’une abomination guerrière, toute entrave au libre-échange est la démonstration manifeste d’une xénophobie profonde, toute velléité de démondialisation l’annonce d’un renfermement autarcique, tout rappel au principe de la souveraineté populaire la résurgence d’un nationalisme du pire, tout rappel au principe de la souveraineté populaire en vue d’une transformation sociale, la certitude (logique) du… national-socialisme, bien sûr ! Voilà sur quel fumier intellectuel prospère le commentariat européiste quand, à bout d’argument, il ne lui reste plus que des spectres à brandir.

Le pire cependant tient au fait que ces imputations, où le grotesque le dispute à l’ignoble, font sentir leurs effets d’intimidation jusque dans la gauche critique, terrorisée à l’idée du moindre soupçon de collusion objective avec le FN, et qui se donne un critère si bas de cet état de collusion que le moindre regard jeté sur une de ses idées par les opportunistes d’extrême droite conduit cette gauche à abandonner l’idée – son idée – dans l’instant : irrémédiablement souillée. A ce compte-là bien sûr, la gauche critique finira rapidement dépossédée de tout, et avec pour unique solution de quitter le débat public à poil dans un tonneau à bretelles. Comme on sait, sous couleur de ne pas donner prise aux accusations de « repli national », elle a laissé tomber de fait toute idée de mettre quelque entrave que ce soit au libre-échange puisque toute restriction à la libre circulation des conteneurs est une offense égoïste faite aux peuples des pays exportateurs – et la démondialisation y a été vue comme une inacceptable entorse à un internationalisme de principe. En bonne logique ne faudrait-il pas, à cette partie de la gauche, renoncer également à la critique de la déréglementation financière internationale au motif que l’extrême droite, elle aussi, en fait l’un de ses thèmes de prédilection, en conséquence de quoi la chose ne pourrait plus être dite ?

Souverainisme de droite, souverainisme de gauche


« Repli national », en tout cas, est devenu le syntagme-épouvantail, générique parfait susceptible d’être opposé à tout projet de sortie de l’ordre néolibéral. Car si cet ordre en effet se définit comme entreprise de dissolution systématique de la souveraineté des peuples, bien faite pour laisser se déployer sans entrave la puissance dominante du capital, toute idée d’y mettre un terme ne peut avoir d’autre sens que celui d’une restauration de cette souveraineté, sans qu’à aucun moment on ne puisse exclure que cette restauration se donne pour territoire pertinent – n’en déplaise à l’internationalisme abstrait, la souveraineté suppose la circonscription d’un territoire – celui des nations présentes… et sans exclure symétriquement qu’elle se propose d’en gagner de plus étendus !

Prononcer le mot « nation », comme l’un des cas possibles de cette restauration de la souveraineté populaire, peut-être même comme l’un de ses cas les plus favorables ou du moins les plus facilement accessibles à court terme – précision temporelle importante, car bien sûr le jacquattalisme du gouvernement mondial, lui, a le temps d’attendre… –, prononcer le mot « nation », donc, c’est s’exposer aux foudres de l’internationalisme, en tout cas de sa forme la plus inconséquente : celle qui, soit rêve un internationalisme politiquement vide puisqu’on en n’indique jamais les conditions concrètes de la délibération collective, soit qui, les indiquant, n’aperçoit pas qu’elle est simplement en train de réinventer le principe (moderne) de la nation mais à une échelle étendue !

En ce lieu de la souveraineté, qui donne naissance à toutes les confusions politiquement intéressées, il pourrait être utile de commencer par montrer en quoi un souverainisme de gauche se distingue aisément d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant généralement comme souveraineté « de la nation », quand le premier revendique de faire droit à la souveraineté « du peuple ». Les tenants de la « souveraineté nationale » en effet ne se posent guère la question de savoir qui est l’incarnation de cette souveraineté, ou plutôt, une fois les évocations filandreuses du corps mystique de la nation mises de côté, ils y répondent « tout naturellement » en tournant leurs regards vers le grand homme, l’homme providentiel – l’imaginaire de la souveraineté nationale dans la droite française, par exemple, n’étant toujours pas décollé de la figure de de Gaulle. L’homme providentiel donc, ou tous ses possibles succédanés, comités de sages, de savants, de compétents ou de quelque autre qualité, avant-gardes qualifiées, etc., c’est-à-dire le petit nombre des aristoi (« les meilleurs ») à qui revient « légitimement » de conduire le grand nombre.

La souveraineté vue de gauche, elle, n’a pas d’autre sens que la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent. Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration (légitime) des moyens de gouverner mais exclusivement rendus à des gouvernants qualifiés en lesquels « la nation » est invitée à se reconnaître – et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant.

Faute de ces élémentaires distinctions, une partie de la gauche en est venue à ostraciser l’idée de souveraineté quand elle prétend par ailleurs lutter pour une extension de la démocratie… qui n’en est que le synonyme ! Démocratie, souveraineté populaire : une seule et même idée, qui est celle de la maîtrise par une communauté de son propre destin. On mesure donc les effets de captation et de terrorisme intellectuels de l’extrême droite, et les effets de tétanie de la gauche critique, à cette aberration d’auto-censure et d’intoxication qui a conduit cette dernière à abandonner l’idée de souveraineté, faute d’être simplement capable de se souvenir que, sous l’espèce de la souveraineté populaire, elle est l’une de ses propres boussoles idéologiques depuis la Révolution française !

Contre l’« armée de réserve » des sans-papiers : la régularisation !


Il est bien vrai cependant que le FN se montre d’une redoutable habileté dans le pillage éhonté des idées de la gauche critique. Il aurait tort de se gêner puisqu’il ne vient personne pour lui rappeler les orientations foncièrement reaganiennes de sa « pensée économique » jusqu’au début des années 2000, ni lui faire observer les légères traces de pneu qui résultent d’un tête-à-queue idéologique aussi parfait – mais les journalistes politiques qui disent déplorer le dépérissement du « débat d’idées » ne sont visiblement pas très intéressés par ce genre d’idées… Le terrain de l’imposture intellectuelle ainsi grand ouvert, le FN s’avance gaiement, sans le moindre complexe ni la moindre vergogne, se goinfrant de thèmes de gauche pour mieux semer une réjouissante confusion, mais affinant également son art de couler ses obsessions xénophobes de toujours dans une critique du néolibéralisme de fraîche date.

Ainsi, dans cette veine, sa nouvelle empathie pour les travailleurs revient-elle périodiquement souligner que l’immigration irrégulière constitue une « armée de réserve » prête à s’employer aux pires conditions, et vouée par là à faire une concurrence déloyale aux salariés réguliers (on est invité à comprendre nationaux), notamment à tirer vers le bas les salaires. Il n’y aurait pas pire objection que celle qui se réfugierait dans le pur et simple déni de tout effet de cette sorte. Car il est hautement vraisemblable que l’entretien d’une armée de réserve, et même d’une « sous-armée de réserve », constituée de travailleurs rendus au dernier degré de la précarité pour être exclus de toute protection légale, offre au patronat une formidable masse de main d’œuvre corvéable à merci avec, oui, pour effet de tirer vers le bas tous les standards sociaux, en tout cas de faire une concurrence directe aux salariés « réguliers » du niveau juste au dessus.

Le MEDEF, lui, ne s’y trompe pas qui défend l’immigration avec des accents que ne renierait pas Harlem Désir : « Restons un pays ouvert, qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage » déclare la main sur le cœur Laurence Parisot [1], inquiète des tours de vis de l’équipe Guéant-Sarkozy en 2011 qui pourrait bien tarir la source miraculeuse aux exploitables. « Je ne crois pas qu’il faille faire de l’immigration un problème », ajoute-t-elle avec un humanisme criant de sincérité. Bien sûr – il ne s’agit tout de même pas de se mettre le gouvernement d’alors à dos –, Parisot ne manque pas de préciser que l’immigration à laquelle elle pense est l’immigration de travail légale – mais c’est celle dont Guéant se propose de réduire les volumes… Il suffirait cependant de pas grand-chose pour imaginer que Parisot étendrait volontiers le métissage et l’accueil de toutes les cultures à une immigration moins légale, celle, précisément qui fait les meilleures (sous-)armées de réserve.

On remarquera au passage que, dans une asymétrie caractéristique, l’endos enthousiaste de l’immigration par le MEDEF est un de ces rapprochements bizarres qui pose curieusement moins de problème que la récupération de la démondialisation par le FN… Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans l’instrumentation éhontée de l’immigration par le patronat telle qu’elle donne symétriquement sa matière à la xénophobie d’extrême droite, qui trouve ici le moyen idéal de se rendre présentable en se ripolinant de critique sociale. Vu de loin, on admirera l’habileté tactique, car c’est indéniablement une manœuvre très réussie que de faire cheminer ainsi un fond inaltérable de racisme sous les dehors les plus honorables de la préoccupation pour la condition ouvrière, la seconde, protestée de bonne foi, permettant alors de faire vibrer implicitement toutes les cordes du premier sans avoir l’air d’y toucher – parfois aussi sans prendre la peine de ne pas avoir l’air…

Rien n’oblige cependant à tomber dans des stratagèmes aussi grossiers, et ceci d’autant plus que les capacités de récupération idéologique de l’extrême droite atteignent assez vite leur limite, en tout cas ici on va les leur faire atteindre, et rapidement. Car, au-delà de l’immigration légale à laquelle Laurence Parisot affecte de s’en tenir, on fera observer à Marine Le Pen qu’on règle très facilement le problème de la sous-armée de réserve des clandestins : par la régularisation intégrale ! Plus de clandestinité, plus de vulnérabilité ; plus de vulnérabilité, plus de chantage patronal, donc plus de salaires de misère ni de traitement de quasi-esclaves. Les régularisés auront les mêmes salaires et les mêmes droits que les nationaux et les résidents légaux – auxquels ils appartiendront –, cessant par là même de créer cette poche de sous-salariat dépressionnaire qui produit objectivement tous ses effets de dumping social intérieur, et ceci d’autant plus violemment qu’on a poussé plus loin la déréglementation du marché du travail.

Faucher la nation au FN


Mieux encore : s’il est évident que l’abandon de toute régulation des flux de population est une aberration indéfendable, il n’est pas moins évident que les résidents et les régularisés qui le souhaitent ont pleinement vocation à être intégrés dans la nationalité française. Ce sont des femmes et des hommes qui travaillent, qui contribuent à la vie matérielle et sociale de la collectivité, qui payent leurs cotisations et leurs impôts – eux.

Au lieu de se laisser défaire en rase campagne et de tout abandonner sans même combattre, la gauche critique ferait mieux non seulement de se tenir un peu fermement mais aussi de songer à quelques contre-mesures, manière de retourner contre le FN ses propres procédés. Cette question de l’immigration et de la régularisation offre peut-être l’occasion idéale de lui faucher la nation, dont elle s’est fait le monopole et qu’elle a constitué en pôle toxique du débat public, mais au prix bien sûr d’en avoir défiguré l’idée. Par un effet de tétanie aussi navrant que caractéristique, la gauche critique n’a pas même fait l’effort de s’y attaquer et, là encore, comme à propos de la souveraineté dont elle est évidemment profondément solidaire, la nation s’est trouvée de fait rendue à l’idée que s’en fait l’extrême droite – et à ses seuls usages.

Là contre, il faut dire que la nation n’est en aucun cas le fantasme ethnique que propage le FN, et qu’on ne voit pas au nom de quoi la gauche devrait abandonner l’idée de la nation ouverte, jouant le sol contre le sang, assise sur la citoyenneté et sur elle seule, qui lui a été, elle aussi, léguée par la Révolution. S’il est vrai que, sous couleur de « République », on a longtemps bourré les crânes avec « nos ancêtres les Gaulois », ce temps-là est révolu. A quelque chose malheur étant bon, l’époque de crise profonde est on ne peut plus propice à expliquer, et dès l’école !, qu’appartenir à la nation s’apprécie en tout premier lieu par le respect de ses devoirs fiscaux, que cette appartenance n’est pas une affaire de naissance, encore moins de lignée (pour ne pas dire de souche…), mais d’une démonstration simple et permanente de citoyenneté comprise comme participation à une forme de vie commune dont la reproduction emporte naturellement des sujétions contributives. A ce compte-là, pour parler comme Le Pen, et aussi pour parler très différemment d’elle, on voit très vite qui est « vraiment français » et qui ne l’est pas – et c’est un nouveau crible qui va sans doute lui faire tout drôle, on attend de voir si elle va le récupérer celui-là.

Car voilà le nouveau paysage de la nationalité : Bernard Arnault ? Pas français. Cahuzac ? Pas français. Johnny et Depardieu qui se baladent dans le monde comme dans un self-service à passeports ? Pas français. Les Mamadou et les Mohammed qui triment dans des ateliers à sueur, font les boulots que personne d’autre ne veut faire, et payent leurs impôts sont mille fois plus français que cette race des seigneurs. Le sang bleu évadé fiscal, dehors ! Passeport et bienvenue à tous les basanés installés sur le territoire, qui, eux contribuent deux fois, par leur travail et par leurs impôts, à la vie collective, double contribution qui donne son unique critère à l’appartenance de ce qui, oui !, continue de s’appeler une nation – mais pas la même que celle du Front « National ».

Immigration et chômage ?


Il y a peu de crainte que le FN vienne nous chercher sur ce terrain-là. Davantage que, dans sa comédie de néo-macroéconomiste, il vienne nous objecter que si la régularisation fait disparaître le « dumping interne » et la concurrence intra-salariale déloyale, elle ne règle rien à la concurrence intra-salariale « ordinaire », et même l’intensifie en faisant grossir une population active déjà confrontée à une pénurie objective d’emplois. Mais d’où vient cette pénurie elle-même ? Il faut toute l’emprise du biais xénophobe pour refuser de poser cette simple question et, par défaut – en fait par propos délibéré – faire des immigrés la cause générale, voire unique, du problème du chômage.

Or on ne répond à ce genre de question qu’en commençant par remarquer combien les liens entre démographie et emploi sont autrement plus complexes que ne le supposent ceux dont l’outillage intellectuel s’arrête aux quatre opérations de l’arithmétique élémentaire, pour conclure que si la démographie augmente alors le chômage aussi « puisqu’il y a plus de gens pour le même nombre d’emplois »… Il faudrait d’ailleurs que le FN finisse par arrêter une position car ce même argument qui cherche à singulariser les immigrés s’appliquera tout autant aux bonnes familles françaises, invitées par lui à croître et à se multiplier… Petits français de souche, ou immigrés, ça ne va pas changer grand-chose à ses équations simplistes du chômage…

En vérité il n’y a aucune détermination univoque aussi rudimentaire entre démographie et chômage. On le sait bien depuis le fordisme qui a connu simultanément une démographie salariale galopante, notamment du fait du mouvement de salarisation des femmes, et un plein-emploi éclatant… au point d’ailleurs que le patronat français n’a pas manqué d’aller faire de massives campagnes de recrutement en Afrique du Nord. Dans cette affaire, loin de se combattre, croissance démographique et emploi se soutiennent : l’afflux de nouveaux salariés employés injecte plus de revenu dans l’économie, donc plus de consommation, plus de demande… et plus d’offres d’emploi. La croissance démographique vient donc intensifier les propriétés vertueuses, établies par ailleurs, du régime d’accumulation fordien.

Le régime qui succède au fordisme est tout autre. A l’exact opposé de ce que soutient la doctrine néolibérale, la déréglementation généralisée ne produit aucune croissance : il suffit de comparer en longue période le taux de croissance moyen en Europe sur les périodes 1945-75 et 1985-2013 pour que l’affaire soit vite entendue. Les mondialisateurs libéraux répondent en général à ce genre d’objection en préférant détourner le regard vers les BRICS et autres pays émergents… à ceci près, comme l’a montré Rodrik [2], que le succès de ces pays doit tout ou presque… au fait qu’ils ont pris bien soin de n’appliquer aucune des recettes que leur préconisait le FMI, la Banque mondiale et l’ensemble des prescripteurs autorisés du néolibéralisme !

Dans le dispositif néolibéral tel qu’il s’est appliqué aux pays les plus industrialisés, un élément s’est révélé particulièrement nuisible, il s’agit du pouvoir actionnarial qui est l’un des « charmes » de la déréglementation financière. Les exigences de rentabilité des fonds propres en constant relèvement ont en effet conduit à passer à la trappe tous les projets d’investissement qui ne passent plus la barre des 15 %, et forcent les entreprises à se saigner en dividendes ou en buy-back pour rétrocéder leur cash « oisif » aux actionnaires – forcément il est « oisif » puisqu’on lui interdit de travailler à moins de 15 %… Le néolibéralisme est donc un régime d’accumulation dépressionnaire par inhibition actionnariale de l’investissement.

Il suffit d’y ajouter toutes les pertes d’emploi liées à la large ouverture aux délocalisations et à la concurrence très distordue du libre-échange, plus les politiques économiques aberrantes d’austérité en période de crise, pour avoir toute les données structurelles de la pénurie d’emploi – dont on voit alors qu’elle est le propre des orientations profondes de l’accumulation du capital en régime néolibéral, et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la présence des immigrés sur notre sol. Toutes choses égales par ailleurs, l’occupation des emplois par des immigrés nourrit la boucle macroéconomique « revenu-consommation-demande » et contribue à la création d’emplois pour tout le monde – raison pour quoi, en passant, le renvoi instantané de tous les immigrés que fantasme le FN n’améliorerait en rien la situation de l’emploi, au contraire !

Mais toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Diffèrentes, donc, les caractéristiques structurelles du régime d’accumulation en vigueur. C’est de ce côté-là, et de ce côté-là seulement, qu’il faut aller chercher les causes du chômage, et non du côté de la couleur de peau de ceux qui occupent les postes. C’est la forme dépressionnaire prise par l’accumulation du capital en régime néolibéral qui donne toute l’explication de la pénurie d’emploi. Et ce sont ces structures-là le problème de première instance – pas l’immigration.

Le FN ou la « réconciliation nationale »… sous l’égide du capital


Mais ce problème-là, le FN a-t-il quelque envie sérieuse de s’y attaquer ? Tout à son nouveau rôle, il clame vouloir faire la peau à la mondialisation et à la finance. Voire. Comme l’attestent ses revirements de longue période, le FN est un invertébré idéologique quand il s’agit d’économie, où il n’a d’autre boussole que l’opportunisme. Il se trouve qu’il peut compter avec une paire d’effrayés et d’éditorialistes décérébrés pour que tout lui profite. Mais on n’est pas forcés de s’y laisser prendre. Ni d’oublier de rappeler ce que sont les grands invariants de l’extrême droite en France (et sans doute ailleurs) : loin d’être, comme une lobotomie médiatique en entretient l’idée, l’apanage du peuple affreux, sale et méchant, l’extrême droite est un projet qui plaît beaucoup à une certaine fraction de la bourgeoisie, et dont d’autres, la bourgeoisie d’affaire notamment, s’accommoderaient très bien s’ils ne font pas œuvre de soutien manifeste.

L’histoire a suffisamment montré que la bourgeoisie avait le libéralisme politique qui s’arrêtait là où commence sa liberté de valoriser le capital. Rien ne permet d’exclure formellement une remise au goût du jour du « Hitler plutôt que le Front populaire » si la situation « l’exigeait ». Mais surtout rien ne permet de douter que la sociologie de ses élites dirigeantes, et de celles qu’elles recruteraient dans l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir, conduirait le FN à mener une politique conforme aux intérêts du capital, ou disons à passer avec le capital un compromis politique, sans doute différent de celui de la mondialisation néolibérale, mais tout à fait satisfaisant pour la préservation de ses intérêts.

Lire le dossier « Les extrêmes droites à l’offensive », Le Monde diplomatique, janvier 2011

L’extrême droite prête à défier le capital pour les travailleurs est une fable qui ne résiste pas un instant à l’analyse. Ni encore moins aux enseignements de l’histoire. Car très loin de tout anticapitalisme, l’extrême droite est plutôt un rêve de « réconciliation nationale »… autour d’un ordre social dominé de fait par le capital. Aucun des fascismes n’a jamais cherché la confrontation avec le capital, tout au contraire : ils n’ont cessé de poursuivre la chimère d’un corps national fondu dans l’unité affective d’une appartenance mystique, cette fusion étant d’ailleurs explicitement conçue comme le moyen d’un dépassement de toutes les (inutiles) divisions « secondaires » – au premier rang desquelles le conflit de classes bien sûr…

C’est peut-être le Metropolis de Fritz Lang qui en donne la représentation la plus frappante, puisque, commençant à la manière d’un Marx cinéaste, campant la lutte des classes entre le sous-sol des prolétaires asservis et la surface de la bourgeoisie jouisseuse, il finit dans l’exaltation pré-nazie [3] de la réconciliation du capital et du travail, dont les personnages représentatifs finissent par triompher de leurs animosités respectives et se donner la main… sous le porche de la cathédrale !, soit exactement la trajectoire prévisible d’une Marine Le Pen qui tiendrait presque le discours de la lutte des classes, et emprunte tout ce qu’elle peut au discours de la gauche critique, mais finira à coup sûr dans le plus complet déni du conflit capital-travail – dont on sait qu’il est bien fait pour garantir et la domination et la tranquillité du capital –, et ceci au nom du « rassemblement » dans la « communauté nationale unanime ».

Récupérations lepénistes et braiements médiatiques


Faute de ces rectifications élémentaires, les erreurs intellectuelles et politiques s’enchaînent les unes aux autres. La gauche critique abandonne la souveraineté populaire et la nation-citoyenne à l’extrême droite qui les défigure en souveraineté du chef et nation ethnique ; et l’incapacité à qualifier, c’est-à-dire à affirmer le qualificatif pertinent – populaire pour la souveraineté, citoyenne pour la nation – suffit à rabattre ces deux idées sur les usages qu’en fait l’extrême droite, qui ne les fait plus exister implicitement que sous ses propres qualificatifs à elle – où l’on retrouve incidemment que les entreprises de récupération trouvent aussi leur possibilité dans la passivité de ceux qui se laissent dépouiller.

Or la souveraineté du peuple inscrite dans une citoyenneté élective, constituée dans et par le consentement fiscal, est cela-même qui ne cesse d’être attaqué par le néolibéralisme, comme l’attestent et les confiscations technocratiques (augmentées du pur et simple pouvoir des marchés…), et la généralisation de l’évasion fiscale des possédants. Il est certain que la lutte contre le néolibéralisme s’en trouve singulièrement compliquée lorsqu’on abandonne à l’ennemi les deux thèmes à la fois les plus centraux politiquement et les plus susceptibles de faire, à raison, levier dans l’opinion publique…

On comprend mieux alors, dans ce vide créé par une désertion intellectuelle, que des militants, voire des publicistes, sincèrement de gauche, finissent par s’égarer sérieusement en louchant du mauvais côté – mais le seul restant qui fasse vivre, quoique pour le pire, des thèmes qui leur sont chers, mauvais côté auquel ils cèdent sous l’habileté captieuse d’une extrême droite qui, comme toujours en période de grande crise, sait s’habiller des oripeaux de la révolution sociale.

Il leur suffirait pourtant d’aller creuser sous ces convergences trompeuses, et d’interroger ceux qu’ils envisagent de se donner pour nouveaux compagnons de route sur la régularisation des sans-papiers, sur leur intégration entièrement justifiée dans la nationalité, sur la profonde bêtise de la « théorie » qui lie chômage et immigration, pour recueillir des réactions qui leur montreraient le primat de la compulsion xénophobe, la manière dont elle ordonne et même dont elle subordonne toute la « doctrine », et pour voir combien ce qu’on pourrait appeler le délire de l’homogène nourrit un fantasme de « communauté nationale », littéralement parlant le fantasme d’une communauté et non d’une société, c’est-à-dire d’une fusion qui impose son principe (mystique) à tous les clivages, à tous les dissensus… à commencer bien sûr par celui qui oppose le capital et le travail.

Le voile est bien mince qui sépare cet arrière-plan de toujours de l’extrême droite de la comédie « sociale » qu’il nous joue à l’avant-scène. La stratégie de la récup’ est à coup sûr d’une grande habileté ; elle n’a cependant rien d’irrésistible, il est même assez simple de remettre quelques pendules à l’heure, pour peu qu’à gauche, on n’ait pas le désir de se laisser contraindre à un strip-tease intégral. La chose n’est pas seulement simple : elle est de la plus urgente nécessité. Elle l’est pour conserver des éléments de fond pertinents de la critique du néolibéralisme, elle l’est au moins autant pour ôter leur fourrage aux braiements médiatiques intéressés, trop content de se précipiter – « ah ! vous voyez bien ! » – sur la dernière récupération lepéniste, et dont l’empressement opportuniste à l’amalgame est le symétrique de celui du FN, l’un et l’autre également obstacles objectifs à la perspective de la transformation sociale.

Notes


[1] « Immigration : Parisot s’oppose à Guéant », Le Figaro, 16 avril 2011.

[2] Dani Rodrik, Nations et mondialisation. Les stratégies nationales de développement dans un monde globalisé, La Découverte, 2008.

[3] Le scénario de Metropolis a été co-écrit par Fritz Lang et par son épouse Thea von Arbou que ses inclinations nazies ont fini par faire adhérer au NSDAP.

Source : Le Monde Diplo

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-ce-que-lextreme-droite-ne-nous-prendra-pas-par-frederic-lordon/


[Socialisme 1.0] 1973, François Mitterrand parle du socialisme

Thursday 30 October 2014 at 04:00

Quoiqu’on en pense sur le fond, la hauteur du niveau de débat, à une heure de grande écoute à la télévision (avec 3 chaines) ce 25 juin 1973, est cruelle face aux dirigeants actuels…

Quand à sa vision du socialisme en 1973 par rapport à la situation actuelle…

JP. Elkabbach : M. Mitterrand, est-ce que vous croyez que cette pédagogie révolutionnaire et socialiste, vous pouvez la faire avec les élus, les notables socialistes, et avec ceux que vous avez appelés vous-même à Grenoble “les vrais petits bourgeois” ?

D’abord, votre définition – révolutionnaire et socialiste – n’engage que vous. Je ne vais pas me lancer dans des discussions qui nous entraineraient trop loin, sur le réformisme et la révolution, ce grand débat qui existe de tous les temps, et en tous cas depuis l’ère industrielle, dans les fractions de la gauche – ce serait trop long, quoique j’ai beaucoup à dire là-dessus, on en parlera une autre fois si vous le voulez bien.

La démarche du Parti Socialiste doit être comprise comme révolutionnaire dans la mesure où le Parti Socialiste entend casser les structures du grand capitalisme. C’est vrai !

Il nous semble qu’il arrivera à un moment où les grandes sociétés multinationales et les monopoles nationaux capitalistes, la puissance de l’argent, apparaitront si désuets, si enfermés dans le passé de l’Histoire que la féodalité au temps du Moyen-Âge – et aussi inadapté aux tâches de l’économie… Nous, c’est notre conviction. C’est donc une vue historique.

Et puis, allons plus loin. Il me semble que, en vérité, l’ère industrielle (qui en est à son 3ème stade, que le développement de la technologie) telle qu’elle évolue maintenant, que les révolutions de la science et aussi l’application à la France du système Napoléonien, ont fait que, de plus en plus, ceux qui gouvernent se sont séparés de ceux qui sont gouvernés. Bref il y a le besoin de changer considérablement l’organisation de l’État et de rendre au citoyen face au pouvoir, au travailleur dans l’entreprise, sa capacité, sa responsabilité.

Moi, je crois que la liberté est le bien le plus précieux. Les chrétiens jugent la liberté comme l’élément supérieur, qui est en somme la part qui leur reste, non décidée à l’avance par le Créateur. Ceux qui ne sont pas chrétiens, qui sont libres-penseurs, pensent que par leur raison qu’ils doivent conquérir la responsabilité et la conscience d’eux-mêmes. Eh bien, nous, nous pensons que la conscience de la liberté est maintenant telle que chacun, chaque homme, chaque femme, lorsqu’il a une formation suffisante, aspire à une responsabilité directe, à la connaissance. Et n’accepte plus que cet argent se mette à leur place, pour juger à leur place.

Alors je voudrais maintenant que le notable – nous avons maintenant beaucoup d’élus, et nous espérons en avoir davantage lors des prochaines élections – ne soit plus un notable, c’est-à-dire quelqu’un coupé de la base, mais soit un représentant authentique du peuple. On s’y efforce en tout cas. »

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Dix ans plus tard, c’est 1983, et cette phrase rapportée par Jacques Attali :

« Je suis partagé entre deux ambitions : celle de la construction de l’Europe et celle de la justice sociale. Le Système Monétaire Européen est nécessaire pour réussir la première, et limite ma liberté pour la seconde. » [François Mitterrand, 19 février 1983, cité par Jacques Attali dans « Verbatim. 1981-1986 », Fayard, Paris, 1994 - Source]

Quelques semaines plus tard, il choisira hélas la première – la jugeant synonyme de paix…

Source: http://www.les-crises.fr/1973-francois-mitterrand-parle-du-socialisme/


[Socialisme 2.0] 2014, Valls enterre le socialisme : “Il faut en finir avec la gauche passéiste”

Thursday 30 October 2014 at 02:59

Fa-bu-leu-se interview de Manuel Valls parue dans le Nouvel Obs du 23 octobre 2014.

Belle leçon de libéralisme (en jaune)… Je ne commente pas (trop) à ce stade, pour ne pas sombrer dans une inévitable vulgarité.

Condoléances aux cocus cependant.

La crise s’éternise, le pouvoir sombre dans l’impopularité, la majorité se divise, et Martine Aubry le somme de changer de cap. Le Premier ministre riposte et lance un défi à la gauche : “se réinventer ou mourir”

Les Français ont le sentiment que tous les sacrifices auxquels ils ont consenti depuis deux ans et demi n’ont servi à rien. Les déficits sont toujours aussi inquiétants, le chômage toujours aussi haut et la croissance toujours aussi nulle. Comment l’expliquez-vous ?

- Je ne partage pas un constat aussi sévère, mais il est vrai qu’il y a un grand désarroi, de l’inquiétude pour l’avenir, de la colère aussi. On l’a bien vu aux dernières élections municipales et européennes. Nous aurions dû faire dès 2012 un constat plus clair sur la situation de la France, sur sa triple crise : crise de croissance, crise de la dette et des déficits, crise de confiance. Tout part de là. Si nous étions partis de l’analyse très lucide de la Cour des Comptes de juillet 2012, le sens des réformes et le cap du quinquennat auraient été davantage affirmés. Ils l’ont été progressivement par la suite avec les conclusions du rapport Gallois en novembre 2012 qui a mis l’accent de manière implacable sur le décrochage de compétitivité de notre économie et de nos entreprises depuis dix ans.

Vous ne l’aviez pas mesuré avant?

L’enjeu de la production avait été un des thèmes forts de la campagne de François Hollande, mais nous avons sans doute sous-estimé l’ampleur de la crise de compétitivité et de la crise de confiance. Cela nous a empêchés – c’est une responsabilité collective – d’aller plus vite, dès le début.

Vous avez pris du retard ou vous avez fait des mauvais choix à l’époque ?

- Nous avons sans doute pris du retard et il y a eu des mauvais choix.

Lesquels ?

- La hausse de la fiscalité a frappé durement nos concitoyens, notamment les couches populaires et les classes moyennes. Nous avons privilégié l’impôt par rapport à la diminution de la dépense publique. Or ces décisions sont venues s’ajouter à celles effectuées à la fin du précédent quinquennat. 30 milliards de hausse de la fiscalité avec la droite, 30 milliards avec la gauche. C’est ce qui a provoqué un véritable ras-le-bol fiscal. Pendant sa campagne, François Hollande avait été extrêmement raisonnable quant aux promesses, il était lui-même très lucide sur la situation. La victoire de 2012 a créé dans le pays une espérance, une urgence. Et comme les résultats tardent à venir, il y a de la déception.

Cette espérance s’incarnait dans le slogan de campagne : “Le changement, c’est maintenant”. Aujourd’hui, le changement c’est quoi ?

Le changement, depuis le début, c’est redresser la France.

Ça, c’est le discours, mais en quoi cela change-t-il la vie des Français?

Il faut du temps. Certains nous disent : « Faites d’abord des réformes, la croissance viendra après. » C’est illusoire. D’autres nous disent :  « Tant que la croissance ne sera pas là, il faut différer les réformes. » C’est dangereux. Il faut, en même temps, réformer la France et l’Europe. Il faut surtout expliquer la cohérence de ce mouvement de réformes sans précédent. Il a trois finalités. La première, c’est libérer la création d’emplois par tous les moyens. La seconde, et c’est sans doute là où il a manqué des explications, c’est la lutte contre les inégalités. Cela passe d’abord par la refondation de l’Ecole. Avec 1 milliard d’euros supplémentaires en 2015, l’Education redevient le premier budget de la nation. Cela a-t-il été entendu? Pas assez. La troisième finalité, c’est la préparation de l’avenir, avec nos grandes réformes de structures. Au  fond ce que nous recherchons, c’est ce que nous avons perdu : la  confiance. Si les efforts que nous demandons sont expliqués et compris, la cohérence du quinquennat de François Hollande apparaîtra plus évidente.

Et les résultats, c’est pour quand ? Il reste six mois, avez-vous dit…

- Je n’ai jamais dit ça !

NdR : « Si d’ici trois à six mois, la situation ne s’est pas inversée, ce sera foutu » – Source AFP, 15/09/2014

Je sais bien que nous vivons sous la dictature de l’immédiat, mais il faut assumer devant les Français que réformer un pays qui a perdu sa compétitivité prendra dix ans. Je comprends leur impatience, mais il faut du temps pour que la France rattrape pleinement son retard. L’étude de l’OCDE publiée récemment est encourageante. Elle juge que les réformes que nous menons auront un impact significatif sur la croissance.

Pas de lendemain qui chantent d’ici à la fin du quinquennat, alors ?

Evitons le simplisme. Nous agissons aussi à  court terme. La baisse des impôts, intervenue  à l’automne sera amplifiée en 2015, pour 6 millions de ménages supplémentaires, la baisse du coût du travail et de la fiscalité pour les entreprises, la grande réforme des allocations familiales, tout cela, c’est du concret pour les Français.

Vous avez fait “cadeau” aux entreprises de 41 milliards pour qu’elles reconstituent leurs marges et recommencent à embaucher. Jouent-elles le jeu aujourd’hui ?

Voilà un beau cliché ! Les 41 milliards, c’est pour la France, pour rendre notre économie, nos entreprises plus compétitives, pour que nous ne décrochions pas du reste de l’Europe et du monde. Sans compétitivité, il n’y a pas de création de richesses, et sans création de richesses, il n’y a pas d’emplois. Moi, je ne confonds pas les entreprises avec leurs seuls dirigeants ou leurs seuls actionnaires. Les entreprises, ce sont aussi des salariés, des ouvriers, des techniciens, des cadres. Nous devons bâtir des compromis sociaux qui permettent de protéger les salariés sans nuire  à la compétitivité des entreprises. La clé, c’est la qualité des rapports sociaux et c’est la marque de ce quinquennat Je réunirai le 4 novembre prochain l’ensemble des partenaires sociaux pour faire le point sur les aides aux entreprises. Quand la nation tout entière consent un effort aussi important, il faut que les entreprises assument leurs responsabilités.

Réformer, c’est aussi affronter les corporatismes. Or sur Air France, l’écotaxe, ou encore la suppression des conseils généraux, vous avez reculé

Réformer, c’est difficile, il y a toujours des résistances – car beaucoup de Français, dans le privé comme dans le public, ont peur d’être déclassés, de perdre leur situation. Mais il faut savoir les surmonter. La réforme ferroviaire adonné lieu à une grève particulièrement longue au mois de juin. Pourtant, je n’ai pas cédé. Pour Air France, l’essentiel de la réforme concernait le développement de la compagnie low cost Transavia France, pas Transavia Europe. J’ai soutenu personnellement la direction. La grève a été longue mais, pour la première fois, ce ne sont pas les pilotes qui ont eu raison ! Le gouvernement a tenu bon.

Sur l’écotaxe, n y a eu un recul.

Ça ne sert à rien de s’entêter! Le projet d’écotaxe voté par l’Assemblée à la quasi-unanimité, en 2011, s’est révélé il y a un an impossible à mettre en oeuvre pour des raisons techniques et politiques. Ce qui a été inventé en juin dernier ne fonctionnait pas non plus. Nous aurions dû y renoncer plus tôt. Gouverner, ce n’est pas s’entêter, c’est être pragmatique, c’est reconnaître aussi quand des erreurs ont été commises.

Et c’est pour ne pas vous entêter que vous avez cédé aux demandes du PRG sur les conseils généraux ?

Vous voudriez m’enfermer dans un débat que je connais par coeur… Soit on réforme et on est une brute, on passe sur tous les corps intermédiaires : partis, syndicats, élus … Soit on les écoute, et alors c’est le recul ! La réforme la plus importante, c’est celle des régions. Parce qu’elle va changer profondément la réalité du pays avec 12 régions plus fortes, à taille européenne, ayant désormais toutes les compétences sur le volet économique. Cette réforme jugée « impossible » sera votée avant la fin de l’année. Nous avons créé les grandes métropoles, réformé les intercommunalités pour leur donner davantage de moyens d’action. Mais il y a aussi dans certains territoires ruraux, périurbains, un sentiment profond d’abandon, un grand besoin de proximité. Il n’est donc pas absurde que, dans les départements ruraux, on conserve les conseils départementaux. Le pragmatisme n’est en rien contradictoire avec la réforme.

Sur les professions réglementées, la réforme Macron semble moins ambitieuse que oelle de son prédécesseur.

Au contraire ! Mais je refuse qu’on jette à la vindicte des professions qui comptent pour notre pays : notaires, professions de droit, pharmaciens… Grâce au dialogue, nous bâtissons une loi qui libère les énergies dans ces secteurs. La loi croissance et activité ouvrira aussi avec les contreparties prévues dans le rapport Bailly, davantage de possibilités de travailler le dimanche pour favoriser notamment l’attractivité des zones touristiques. Nous y intégrerons enfin le fruit du dialogue social sur la représentativité et le lissage des seuils sociaux.

Plus de liberté pour les autocars et les professions réglementées, ça ne suffira pas pour ramener la croissance, mais ça suffira peut-être pour donner des gages à Bruxelles ?

Nous faisons cette réforme d’abord pour nous-mêmes!

Comment expliquez-vous que ces réformes ne suffisent pas à convaincre Angela Merkel ?

Qu’en savez-vous? La chancelière elle-même a déclaré que notre programme de réformes était impressionnant par son ampleur et par sa diversité.

Vous aurez donc son soutien sur la question des déficits que la France réduit moins vite que prévu ?

C’est un autre sujet. Ramener nos déficits à 3% dès l’an prochain est impossible. Baisser de 30 milliards supplémentaires la dépense par rapport aux 21 milliards déjà engagés nous plongerait dans l’austérité et bloquerait le pays. Aujourd’hui, l’Europe sous-estime la gravité de sa situation. Certains voyaient, il y a six mois, la croissance revenir doucement. Ce que je vois se profiler, si nous ne faisons rien, c’est un risque de déflation et de récession. Les politiques d’ajustement non coordonnées ont-elles fini par tuer la croissance? Je le crains. Mais il y a deux avancées dont on ne parle pas assez : la baisse de l’euro, que j’avais moi-même réclamée, et l’annonce du plan Juncker de 300 milliards d’euros d’investissements. Cela veut dire que nous pouvons changer la politique budgétaire et monétaire de l’Union européenne. C’est ce que ne cesse de dire François Hollande depuis deux ans et demi.

Réduire les dépenses de 50 milliards, ce n’est pas l’austérité ?

Absolument pas. Mais je suis conscient que pour ceux qui connaissent la crise depuis des années, qui sont au chômage ou dans la précarité, la question peut se poser. Pourtant c’est la réalité ! Quand nous créons 60 000 postes d’enseignants pour lutter contre l’échec scolaire, et aussi des postes de policiers, de magistrats, quand nous augmentons les bourses pour les étudiants, quand nous augmentons les rémunérations des catégories B et C de la fonction publique, nous ne faisons pas de l’austérité ! Nous avons à faire des choix. La dépense publique dans notre pays représente 57 % de la richesse. Réduire ce montant n’est en rien une politique dictée par Bruxelles. Nous le faisons pour nous, pour préparer l’avenir, pour que la dette ne pèse pas davantage sur nos enfants, pour ne pas perdre notre souveraineté.

NdR : vous notez la malhonnêteté visant à rapprocher le niveau des “dépenses publiques” de la dette, alors que rien n’interdit de voter un budget équilibré – mais cela a des conséquences. Les États-Unis ont une dette supérieure à la nôtre, avec des “dépenses publiques” parmi les plus faibles.

Le prix Nobel d’économie Jean Tirole juge le marché du travail en France « assez catastrophique », c’est aussi votre avis ?

ll faut d’abord se féliciter de ce prix Nobel ! Le marché du travail ne fonctionne pas bien, c’est un fait. Et le niveau du chômage est aussi une résultante de ce dysfonctionnement. Se poser la question de l’efficacité et de l’équité des règles est donc légitime. Elle se pose d’ailleurs tous les deux ans à l’occasion de la renégociation de la convention d’assurance-chômage entre partenaires sociaux. Ils le feront au plus tard en 2016. Cela ne doit pas nous empêcher d’ici là d’en parler! D’autant plus que le régime est aujourd’hui en déficit de près de 4 milliards d’euros.

Y a-t-il des abus? Ce régime est-il à vos yeux trop généreux ?

Il faut éviter les caricatures : le haut niveau du chômage ne résulte pas d’un refus des chômeurs de travailler. Il y a toujours des abus, mais personne n’est au chômage par plaisir. Et, vous le savez, seulement la moitié des demandeurs d’emploi sont indemnisés. Mais se poser la question des devoirs des chômeurs, de leur formation, d’un meilleur accompagnement par Pôle emploi, des bonnes incitations pour retrouver un travail, ce n’est pas une régression sociale. Le fonctionnement du marché du travail n’est pas satisfaisant car il ne crée pas assez d’emplois, il génère des inégalités importantes entre, d’une part, des salariés très protégés en CDI et, d’autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim. C’est là-dessus qu’il faut agir.

NdR : traduction : ami lecteur en CDI, tu es un peu un salaud quand même, tu devrais avoir honte et partager ta sécurité…

Vous dessinez le contrat unique?

Les partenaires sociaux n’ont pas souhaité s’engager sur le contrat unique. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant. Mais il faut être pragmatique. Certains économistes comme Jean Tirole en sont venus à proposer cette idée parce qu’ils font le constat qu’aujourd’hui un certain nombre d’entreprises ne veulent pas embaucher en raison du coût trop élevé du licenciement, notamment parce que l’incertitude juridique est trop forte. Je partage ce constat. La loi de sécurisation de l’emploi votée l’an dernier encourage fortement la recherche d’un accord entre partenaires sociaux. Et déjà le nombre de recours juridiques suite à des plans sociaux a chuté. Pour ce qui est des conflits individuels, une concertation s’engage. Elle devra permettre de rendre la justice prud’homale plus rapide et plus efficace.

La gauche au pouvoir a toujours mené des réformes emblématiques : les lois Auroux, la cinquième semaine de congés payés, les 35 heures, la CMU… On cherche en vain la grande réforme sociale du quinquennat Hollande ?

- Il ne faut pas s’enfermer dans l’idée de la réforme emblématique, même si nous avons déjà fait beaucoup de choses. Le mariage pour tous, c’est une grande avancée pour l’égalité des droits. Personne ne reviendra dessus. Je suis certain qu’on retiendra de ce quinquennat la refondation de l’École et cette réforme historique qui vient d’être votée : la transition énergétique. C’est une grande loi de gauche ! Mais méfions-nous des symboles pour les symboles…

L’histoire de la gauche est jalonnée de symboles…

- Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c’est comment orienter la modernité pour accélérer l’émancipation des individus.

Cette gauche est pragmatique plus qu’idéologique ?

- Oui parce que l’idéologie a conduit à des désastres mais la gauche que je porte garde un idéal : l’émancipation de chacun. Elle est pragmatique, réformiste et républicaine.

Pas socialiste ?

- Je le répète : pragmatique, réformiste et républicaine.

Vous avez dit que la gauche pouvait mourir ?

Oui. Si la gauche est menacée, c’est parce qu’elle n’a pas réussi à articuler des réponses fortes sur des questions essentielles : comment faire face à la globalisation qui crée des gagnants et des perdants ? Comment réformer l’Etat-providence ? Quelles réponses apporter en termes de citoyenneté, de laïcité, d’égalité femme-homme, notamment avec la construction d’un islam de France compatible avec nos valeurs ? Comment encore répondre à l’individualisme, qui épanouit et fragilise en même temps ? Le temps des solutions globales, identiques pour tous, est révolu. Il faut rechercher l’universalité des principes tout en tenant compte de l’hétérogénéité des situations.

C’est ce que nous faisons en réformant les allocations familiailes. C’est pourquoi j’assume totalement cette réforme. Un autre enjeu fondamental, c’est la question de l’identité. La gauche l’a négligée car elle pensait que seule comptait l’identité sociale. D’où votre question : « Quelle est la grande réforme sociale emblématique de ce quinquennat ? » Cette négligence nous revient aujourd’hui conune un boomerang parce que la nation n’est pas soluble dans le social. On peut mener les politiques le plus sophistiquées sur le plan technique, si nos concitoyens n’ont pas le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand, ils retombent dans la défiance.

Si la gauche croit encore au progrès, la France, elle , n’y croit plus. Le pays sombre dans le déclinisme… 

- Face au repli que propose l’extrême droite – on sort de l’euro, on ferme les frontières, on accable les immigrés et les musulmans de tous les maux –, face à une droite elle aussi aspirée par le déclinisme, il est essentiel que la gauche se réarme intellectuellement. faut aussi qu’elle redonne de la fierté aux Français. La France est un grand pays, la cinquième puissance économique mondiale, la deuxième en Europe, sa parole compte et elle contribue pleinement à la stabilité du monde. La gauche est forte quand elle s’adresse à tous. Le projet de cette gauche moderne, c’est de combattre tout ce qui aliène et enferme l’individu. Sa valeur cardinale, c’est l’émancipation. Son combat, c’est la République. Mais, si la gauche ne se réinvente pas, oui, elle peut mourir…

NdR : vous noterez le bug due à la contradiction absolue entre la vision proclamée du discours “notre projet est de combattre tout ce qui aliène”, et le fond du discours qui est une soumission totale aux diktats du néolibéralisme – qui aliènent pas mal, si, si…

Beaucoup pensent que c’est vous l’assassin…

- Quand la gauche se recroqueville sur le passé, sur les totems, elle cesse d’être fidèle à l’idéal du progrès, et donc à elle-même.

[NdR. Pensée pour Orwell et Jean-Claude Michéa - mais nous en parlerons bientôt...]

Ceux qui vous accusent de trahir sont des représentants de la gauche du passé ?

- Moi, j’évite l’insulte, la caricature, mais je pense, oui, qu’ils sont dépassés. La gauche qui renonce à réformer, qui choisit de défendre les solutions d’hier plutôt que de résoudre les problèmes d’aujourd’hui, cette gauche-là se trompe de combat. Ce que je reproche à la démarche de Jean-Luc Mélenchon, c’est son manque d’imagination. Aux autres, je demande si laisser filer les déficits et augmenter les impôts, c’est une nouveauté ? Non. C’est ce qui a été fait systématiquement depuis quarante ans et cela n’a pas marché !

[NdR. Comme le néolibéralisme, en fait ?]

Si un assouplissement de notre marché du travail, une intervention repensée de l’État ou la remise en cause de telle ou telle rente de situation contribuent à lutter contre les inégalités et à faire progresser l’intérêt général, il est de mon devoir d’envisager ces solutions. 57% de dépenses publiques, est-ce que l’on considère que c’est efficace ? Non. Face à ce modèle inefficace qui redistribue aveuglément sans tenir compte des besoins de chacun, et revient a posteriori sur les inégalités pour les corriger, nous devons proposer un modèle que j’appelle la prédistribution pour prévenir les inégalités. D’où la nécessité d’investir massivement dans l’éducation, la recherche, la formation et la culture.

Cette gauche, au fond, elle est sociale-libérale ?

J’écarte les mots piégeux qui visent à enfermer. Et j’invite toutes les forces progressistes à envisager leur propre dépassement. On ne milite plus au XXIe siècle comme au XIXe siècle.

Le PS doit-il changer de nom ?

Pourquoi pas ? Mais ce changement ne peut être que l’aboutissement d’un processus. Depuis la refondation du PS au congrès d’Epinay de 1971, la gauche réinvente le monde dans l’opposition, puis elle gouverne de façon pragmatique, mais comme elle ne l’assume pas, elle perd les élections. Ce cycle d’Epinay est terminé. Moi, je suis d’une gauche qui marche et qui assume les responsabilités. A l’heure des réseaux sociaux, le verticalisme des partis ne fonctionne plus. Ils doivent changer. J’invite donc à un nouveau compromis entre toutes les forces progressistes du pays.

Sous quelle forme ?

L’idée pourrait être de bâtir une maison commune dans laquelle chacun se retrouve.

Mais les écologistes ont quitté le gouvernement, le PRG a menacé de le faire, et le fossé entre les formations de gauche n’a jamais paru aussi profond.

Si nous restons tous dans nos chapelles et nos boutiques à défendre nos prés carrés, nous ne nous en sortirons pas. Nous devons créer demain une maison commune, une fédération ou une seule formation, tout est ouvert, mais, en tout cas, c’est le chemin à suivre. Le paradoxe, c’est que les différences aujourd’hui entre les partis de gauche sont beaucoup moins importantes qu’elles ne l’étaient hier.

Parce qu’il n’y a plus d’idéologie ?

Oui, et parce que les modèles ont failli. L’histoire est passée par là. C’est pourquoi nous devons nous réinventer, mais en acceptant de gouverner. Un autre impératif nous y contraint, c’est la menace d’une droite dure et d’une extrême droite qui progresse…

Si vous échouez, après vous, c’est le FN ? Vous avez dit que l’extrême droite était aux portes du pouvoir…

Quand je regarde les résultats des élections et les sondages, c’est une réalité. La progression du FN s’appuie sur un courant décliniste, anti-européen, celui d’une France rétrécie qui propose comme solution la régression, ça s’appelle la réaction. Le camp progressiste, lui, est divisé, morcelé, sur la défensive…

La gauche est-elle minoritaire en France?

En ce moment, électoralement sans doute, au vu des millions d’abstentionnistes, comme on l’a constaté aux municipales. Mais il y a une bataille d’idées à mener. Soyons gramsciens : il nous faut reconquérir l’hégémonie culturelle. Sur beaucoup de sujets, le mariage pour tous, la priorité à l’école, la réforme des allocations familiales, la nécessité de l’ordre républicain, le soutien aux entreprises, sommes-nous minoritaires dans l’opinion ?

[NdR. Fantastique, le type au pouvoir qui donne des leçons d e Démocratie à la terre entière explique tranquillement qu'il est "minoritaire électoralement", mais bon, c'est sans importance. RIP de Gaulle...]

L’aide aux entreprises, ce n’est pas vraiment un canon de la gauche…

Il y a les canons de la gauche et il y a les thèmes que nous avons conquis : la sécurité, l’aide aux entreprises, la réduction de la dépense publique, ce sont des idées que nous portons désormais.

À gauche, Martine Aubry vous somme de changer de cap.

- Martine Aubry a assumé les responsabilités du pouvoir. Aujourd’hui, elle participe au débat d’idées. Je ne partage pas sa proposition consistant à revenir en arrière et donc à perdre tous les fruits de nos efforts, et ce alors même que les choix que nous avons faits viennent de se mettre en place. Le débat, c’est utile, mais il y a aussi la responsabilité, l’unité et le devoir de cohésion. J’y suis attaché. Je suis adhérent du PS depuis l’âge de 18 ans. Mes inspirations sont multiples : Clemenceau, Mendès, forcément Jaurès et Blum, mais aussi Felipe González, Olof Palme, Willy Brandt. Et j’ai eu la chance de travailler avec Rocard et Jospin. Cette filiation, c’est aussi celle de Martine Aubry. Mais ma gauche à moi se nourrit de ce passé, sans s’y enfermer. Elle est pragmatique.

Cette gauche pragmatique, c’est aussi le visage d’Emmanuel Macron, très critiqué par une bonne partie de la gauche ?

- C’est une nouvelle génération qui assume ses responsabilités. Le plus grand danger qui guette la gauche, c’est le sectarisme. Parce qu’il a été banquier, Emmanuel Macron ne pourrait pas être de gauche ? Notre impératif, c’est le rassemblement. François Mitterrand, en 1981, a su s’entourer de gens qui venaient d’horizons très divers. En 2012, nous avons commis l’erreur de ne pas tendre la main à François Bayrou. Peut-être l’aurait-il refusée, mais nous aurions dû le faire, alors qu’il avait appelé à voter pour François Hollande. Il n’y a rien de pire que le sectarisme au nom d’une prétendue pureté.

C’est une question qui ne se pose qu’à gauche ?

C’est vrai! Peut-être parce qu’on demande beaucoup plus à la gauche. On est plus exigeant Oui être de gauche, c’est plus difficile, mais c’est passionnant. Alors, vive la gauche !

Propos recueillis par Matthieu Croissandeau, Renaud Dély et Sophie Fay pour le Nouvel Obs.

P.S. Lire aussi pour mémoire ce fabuleux billet :  ”Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie” de François Rebsamen

Source: http://www.les-crises.fr/valls-enterre-le-socialisme/


[Socialisme 3.0] 2017, Emmanuel Macron réinvente le socialisme ?

Thursday 30 October 2014 at 02:50

Parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer, laissons la parole à Nicolas Canteloup…

P.S. Le code d’intégration pour vos blogs… :)

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Source: http://www.les-crises.fr/2017-emmanuel-macron/


[Hommage] Rémi Fraisse, et le silence de l’Etat, par Daniel Schneidermann

Wednesday 29 October 2014 at 05:01

Pas un mot. Pas un mot de Hollande. Pas un mot de Valls. Pas un mot de Royal. Pas un mot de Le Foll. Pas un mot de Cazeneuve. Pas un mot de Cambadélis. Pas un mot d’aucun gouvernant socialiste, après la mort de Rémi Fraisse, le jeune manifestant contre le barrage de Sivens, dans le Tarn, dont le premier rapport d’autopsie indique qu’il est mort “après une explosion”, lors d’un échange de projectiles entre manifestants et gendarmes, cocktails molotov contre grenades assourdissantes. Pas un mot (ah si. On me souffle (1) que Cazeneuve a envoyé un communiqué lundi soir, peu avant minuit, soit plus de 24 heures après la nouvelle, communiqué dans lequel il “pense à la famille et aux proches” de la victime). L’expression de la révolte et de la douleur est laissée aux écolos -il fallait entendre Cécile Duflot ce mardi matin, sur France Info. Mais peut-être n’ont-plus de mots. Peut-être n’ont-ils plus de larmes. Peut-être les ont-ils toutes versées pour le PDG de Total, dont les obsèques se déroulaient lundi, en présence de Hollande et Valls.
Rémi Fraisse était botaniste bénévole à Nature Midi-Pyrénées, association affiliée à France Nature Environnement, association qui n’est pas connue pour être un repaire de boutefeux. Il venait de passer un BTS environnement. Soyons prudent : on ne sait pas d’où venait le projectile qui l’a tué. Mais on sait qu’il est mort pour ses idées. “Mourir pour des idées, c’est une chose, mais c’est quand même relativement stupide et bête.” Qui a proféré ces fortes paroles ? Le président (socialiste) du Conseil général du Tarn, Thierry Carcenac. (2) Soyons prudent : on ne connait pas la pensée profonde du président (socialiste) du Conseil général du Tarn. On ne sait pas si c’est Rémi Fraisse, que Carcenac juge “relativement stupide et bête”, ou si c’est la situation elle-même.
Sur la brutalité apparemment très particulière dont font preuve les gendarmes dans l’occupation de Sivens, sur les réserves techniques émises sur le projet de barrage lui-même par un rapport d’experts du ministère de l’environnement, tout est dit, et très bien, par cet article de Mediapart (3). En gros, le projet est surdimensionné, les études ont été bâclées, mais on ne peut pas l’arrêter, maintenant que les opérations de déboisement ont commencé. Et si on l’arrête, on perd le bénéfice des subventions européennes qui doivent le financer partiellement. Toutes les informations sur le mouvement sont par ailleurs disponibles sur le blog Tant qu’il y aura des bouilles (4). Sur tous ces aspects, pas plus que sur la mort d’un jeune écolo de 21 ans, le gouvernement ne dit rien. Sur les projets pharaoniques qui transforment l’un après l’autre l’agriculture française, sur Sivens comme sur la ferme de Mille vaches (5), peut-être n’ont-ils tout simplement plus de mots.
Daniel Schneidermann – 28/10
Source : ASI
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Finalement, Valls a réagi :

“Le Premier ministre Manuel Valls a également défendu son ministre de l’Intérieur en expliquant qu’il “n’accepterait pas les mises en cause, les accusations qui ont été portées en dehors de l’hémicycle”, a-t-il dit à l’Assemblée, dans un silence total.

Je n’accepterai pas la mise en cause des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs [et qui sont] confrontés souvent à une violence extrême”, a-t-il ajouté.

Je n’accepterai pas non plus ces violences [...] Il n’y a pas de place dans notre République et dans la démocratie pour les casseurs et là aussi la justice doit passer”, a lancé le Premier ministre. Il a fait appel à “la dignité” et “à la responsabilité”, “à la décence et à la tempérance” par “respect” pour le jeune homme.” (Source)

Manuel Valls, une vraie vision humaniste de la vie…

P.S. d’ailleurs, c’est comme pour le MH17, pas la peine d’attendre le résultat de l’enquête, le petit jeune mort, c’était un casseur… D’ailleurs Fraisse, ça sonne pas un peu russe des fois ? Bref, attendons les résultats de l’enquête avant d’avoir un avis arrêté – la mort du manifestant étant de toutes façons inexcusable…

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P.P.S. ah, tiens, au fait :  ”Je n’accepterai pas la mise en cause des policiers et des gendarmes – Il n’y a pas de place dans notre République et dans la démocratie pour les casseurs”.

C’est joli, mais cette règle s’applique-t-elle aussi à Kiev ?

Parce qu’il me semble qu’il y avait peu de solidarité avec l’ancien président démocratiquement élu qui s’est retrouvé avec des milliers de miliciens armés tirant sur la police…

(ceci étant dit sans lien direct avec les manifestants français, évidemment sans comparaison avec les miliciens ukrainiens. Je me demande juste comment régirait Valls face à la même chose, vu que les socialistes ont condamné l’ancien président ukrainien…)

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Les proches de Rémi Fraisse témoignent : « Il n’a pas mesuré ce qui l’attendait »

Ils n’ont voulu parler qu’à Reporterre et ne s’exprimeront plus dans les médias. Anna, l’amie de Rémi Fraisse, sa soeur Chloé, et des amis proches racontent dans ce texte qui était celui qu’ils aimaient, et ce qui s’est passé le soir du 25 octobre


- Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne), reportage

Trois jours après le drame du Testet, les proches de Rémi Fraisse ont demandé à Reporterre de transmettre ce qu’ils avaient à dire sur la mort de Rémi. Ce témoignage de son amie Anna, de sa soeur, et d’autres amis, a été publié avec leur accord plein et entier.

Dans ce texte, ils reviennent sur la personnalité du jeune homme, le déroulé des évènements du 25 octobre où il se trouvait avec son amie, et les conséquences de cette nuit funeste.

Comme ils le précisent, cet entretien sera pour eux l’unique qu’ils accepteront de livrer sur l’affaire.

« Un type bienveillant, pacifiste et un peu grande gueule »

Nous connaissions Rémi depuis le collège. C’était vraiment quelqu’un de gentil et de doux. Il était très tolérant, sincère, honnête, mais un peu grande gueule. C’est clair qu’il n’hésitait pas à dire ce qu’il pensait, et il n’était pas du genre à se laisser embarquer sans raison par n’importe qui. Un type bienveillant, très apaisant. Il était extrêmement sociable et parvenait sans peine à se faire de nombreux amis où qu’il allait.

Rémi n’avait aucune implication dans des mouvements politiques organisés, sinon ses activités de botaniste dans l’association France Nature Environnement. Il participait à la protection de la nature dans la région toulousaine. Après un BTS en gestion et protection de l’environnement, il travaillait durement comme intérimaire et avait plein de projets : un voyage en Amérique du Sud, la reprise d’une école mais surtout l’achat d’un terrain. Il souhaitait monter une exploitation de plantes médicinales, se renseignait auprès de professionnels. Il avait trouvé sa voie.

Rémi aimait la musique, jouait avec nous de la guitare, du blues, appréciait beaucoup le reggae. Il avait un jour récupéré un bout de bois mort et creusé lui-même un didgeridoo. Il aimait beaucoup faire des choses de ses mains, par lui-même.


- Renoncule à feuille d’ophioglosse : Rémi participait au groupe de protection de cette plante -

« Il est venu à Sivens presque par hasard »

Rémi est venu à Sivens le samedi 25 octobre presque par hasard. Ce n’était pas un militant, encore moins un activiste. Mais il s’intéressait à la protection de l’environnement, se sentait concerné par ce combat. Comme il connaissait d’autres personnes qui y allaient, il a voulu s’y rendre aussi pour afficher un soutien pacifique.

Je suis arrivé avec lui vers 16 heures sur place [c’est Anna qui parle], on voyait déjà au loin la fumée, l’hélicoptère, on ne s’attendait pas du tout à ça. Mais des personnes nous ont rassurés en nous disant que tous ces événements se déroulaient de l’autre côté de la zone, à deux kilomètres. L’ambiance était étrange entre la fête joyeuse, les animations et discussions près des chapiteaux et de l’autre côté au loin les affrontements, les gaz lacrymogènes qui montaient dans le ciel et les bruits d’explosion.

Nous sommes restés du côté du chapiteau, Rémi a rencontré plein de gens, chantait des chansons, les messages inscrits un peu partout nous faisaient rire, il y avait un bon esprit. C’est là dedans que nous voyions notre place. Nous sommes restés à proximité toute la soirée, à faire la fête.

Vers deux heures moins le quart, dans la nuit, des amis sont allés plus loin voir ce qui se passait. À leurs dires, ça avait l’air impressionnant, on entendait encore les explosions fortes. Rémi a voulu y aller. Le temps de faire le trajet, nous sommes arrivés sur les lieux des affrontements. Les flics tiraient en rafale. Le spectacle était très violent, l’ambiance très particulière, nous n’avions jamais vécu ça. Face à une telle scène d’incompréhension et d’injustice, Rémi ne pouvait que réagir d’une manière ou d’une autre. Il avait un peu bu dans la soirée, mais n’était pas ivre, il avait juste une bouteille de vin et des gâteaux apéritifs dans son sac à dos.

Je l’ai vu partir d’un coup en criant « Allez, faut y aller ! » Il a commencé à courir devant. Il n’avait rien pour se protéger, il n’a pas mesuré ce qui l’attendait. Les flics ont tiré en rafale, je me suis écarté pour me mettre à l’abri. Quand je me suis retournée, Rémi n’était plus là.

Ensuite, les gendarmes ont fait une sortie. On a commencé à le chercher, en allant même tout devant, sans succès. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. J’ai crié son nom dans le champ mais il ne répondait pas. J’ai passé la nuit dehors à le chercher puis à retrouver sa voiture. C’était un cauchemar. Pendant toute cette phase, j’ai perdu mon portable, un objet précieux car il contient nos dernières photos ensemble.

J’ai dormi quelques heures et dès le lever du soleil, j’ai recommencé à le chercher sur la zone des combats. Il n’y avait plus personne sur les lieux. J’ai juste rencontré une fille qui m’a accompagnée jusqu’à l’infirmerie où il n’était pas non plus. Peu après, quelqu’un a crié « Rémi Fraisse ! », il avait retrouvé son portefeuille, perdu en début de soirée. En retrouvant les amis à la voiture, j’ai découvert qu’ils ne savaient pas non plus où il était.

À 10 heures, j’ai donné son signalement au point d’accueil. Ça a beaucoup trainé. Je suis finalement tombé sur un de ses amis qui venait d’appeler les organisateurs. Ce sont eux qui m’ont appris que son corps avait été retrouvé inerte dans la nuit par les gendarmes. J’avais cru qu’il avait été embarqué. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’il arriverait un tel évènement.

« Nous ne souhaitons pas que sa mort soit instrumentalisée »

Tout a été beaucoup trop vite depuis sa mort. La famille a été contactée par téléphone pour l’identification. Elle n’a fait qu’une description verbale et nous avons transmis une photo d’identité qui a confirmé qu’il s’agissait bien de lui. Nous n’avons eu aucun droit en amont, on nous a dit d’attendre l’expertise légale. À ce jour, aucun proche n’a pu avoir accès au corps. Nous avons appris le résultat de l’autopsie par les médias. C’est notamment ce manque d’information qui nous a décidé à porter deux plaintes, pour « homicide volontaire » et pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner », pour avoir accès au dossier.

Rémi était quelqu’un de foncièrement pacifiste. L’après-midi avant sa mort, il avait une nouvelle fois défendu cette attitude non violente dans une discussion avec des occupants de la zone.

Rémi est très vite devenu un instrument médiatique et politique. C’est à la fois désolant et révélateur d’une société qui à bien des égards marche sur la tête. Nous ne demandons pas l’arrêt du projet en son nom, mais il va de soi que ce barrage ne doit pas être construit. Il n’y a pas besoin d’être politisé pour se rendre compte qu’à Sivens se déroule une mobilisation citoyenne légitime, et la violence que certains utilisent là-bas beaucoup moins.

Nous témoignons ici afin qu’un tel drame ne se reproduise pas. Avec ce texte, nous voulons poser les choses une fois pour toute et pouvoir ensuite gérer ça entre nous aussi sereinement que possible.

Nous n’accepterons plus après la publication de cet article aucune sollicitation de la part d’aucun média. Que ceux-ci cessent le harcèlement autour de la famille et des proches, que toute la lumière soit faite sur les causes exactes de sa mort pour que nous puissions faire notre deuil en paix.

- Propos recueillis par Grégoire Souchay

NDLR : nous remercions sincèrement les personnes interrogées pour leur confiance et saluons celles et ceux qui ont permis de rendre cet entretien possible.

Source : Grégoire Souchay pour Reporterre

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En savoir plus sur le projet de barrage ici

Le rapport officiel à la Ministre de l’écologie est ici (finalement publié après 2 mois de grève de la faim d’opposants…) :

“Le choix d’un barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume stocké est élevé. [...]  La mission conclut à une surestimation des besoins de substitution de l’ordre de 35%.[...] Le contenu de l’étude d’impact est considéré comme très moyen [...] Il existe un véritable problème de compatibilité entre le projet, tel qu’il est actuellement présenté, les règles d’intervention du FEADER, et les règles applicables en matière d’aides publiques.”

Rapport d’expertise Barrage de Sivens publié par les-crises
Edit : Le Nouvel Obs, en “une”, toujours un journalisme de qualité (je précise que je n’ai cependant pas d’avis définitif sur ce barrage) :
=> en fait, c’est juste l’avis d’un ponte de la FDSEA… (logique, le barrage n’existe pas, si on ne le fait pas, c’est donc une catastrophe, CQFD…)

Source: http://www.les-crises.fr/remi-fraisse-et-le-silence-de-l-etat/


[Reprise] On essaye de nous attirer dans une nouvelle guerre froide, par Mikhaïl Gorbatchev

Wednesday 29 October 2014 at 03:00

Dans une interview à la RTS du 17 septembre 2014, le Nobel de la paix et ex-président de l’URSS a critiqué l’Otan et jugé “révoltantes” les sanctions européennes contre la Russie.

 

Transcription de l’interview :

Q : Les sanctions de l’Union européenne contre la Russie, est-ce que c’est risqué, c’est dangereux selon vous ? Une provocation ?

MG : C’est indéfendable ! Quelle genre de politique est-ce que c’est ? C’est révoltant ! Ça veut dire essayer d’étouffer notre pays pour que la Russie cesse sa politique, sa stratégie de coopération, de développement. Cela veut dire que notre partenaire va mal.

Q : Il y a 25 ans, moment historique : vous avez accepté le mouvement d’époque, une Allemagne unifiée dans l’OTAN, une maison commune (c’étaient vos paroles). Est-ce que l’OTAN a trahi en voulant tellement s’étendre du côté de la Russie ? Est-ce qu’elle a trahi ?

MG : L’OTAN n’est pas nécessaire ! On n’en a plus besoin.  L’OTAN n’est plus nécessaire.

Q : Elle devrait être dissoute ?

MG : On n’a plus besoin de l’OTAN. On s’est bien débarrassé du Pacte de Varsovie. Mais l’OTAN veut toujours prouver qu’elle a sauvé le monde ! Ils veulent, à l’OTAN, faire en sorte que partout sur tous les territoires, on leur obéisse. Ils disent : « pour la paix » ; mais en fait ils veulent simplement avoir une influence universelle sur la politique de tous les pays.

[…]

Q : Cette femme si puissante [Angela Merkel], une Allemagne prospère, équilibrée… A quoi vous pensez ?

MG : Je pense que la génération actuelle et la précédente ont fait beaucoup de choses pour changer l’Allemagne, pour changer la réputation de l’Allemagne. C’est un pays démocratique. Mais je vois que la chancelière Mme Merkel – je la respecte beaucoup – mais elle va dans tous les sens.

Q : Sur la question de l’Ukraine vous dites ?

MG : Oui. Sur les sanctions surtout. Mais je ne pense pas que les Allemands puissent permettre une complication de nos relations.

Q : Vous avez mis fin à la guerre froide. Aujourd’hui, est-ce qu’il y a dans les têtes de certains, aux États-Unis, en Russie, un retour de guerre froide ?

MG : ça y ressemble quelque part. J’ai l’impression parfois aussi que l’on essaye de nous attirer dans une nouvelle guerre froide. Mais il faut tout faire pour ne pas admettre ça. Il faut arrêter quiconque veut une nouvelle guerre froide.

Source : Interview de Mikhaïl Gorbatchev à la RTS, sur le site du Point

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-mikhail-gorbatchev-rts/


[Médias] François Hollande se veut le garant de l’unité du pays

Wednesday 29 October 2014 at 02:00

Ah ce stade, le commentaire est inutile – comme la lecture de l’article. Tout est dans la photo…

François Hollande se veut le garant de l’unité du pays.

En déplacement à Dijon, le président de la République a prononcé un discours rassembleur dans lequel il a fustigé “ceux qui pensent que c’était mieux avant.” (clin d’oeils aux lecteurs de Michéa)

Source : Nouvel Obs

Source: http://www.les-crises.fr/medias-francois-hollande-se-veut-le-garant-de-lunite-du-pays/