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[2 poids 2 mesures] Nouvelles frappes de l’Arabie saoudite au Yémen

Sunday 29 March 2015 at 05:20

Alors si je comprends bien :

  • il y avait un président légitime au Yémen
  • il a été chassé par une très large rébellion interne

Hmmmm, c’est moi ou ça me rappelle en gros la situation il y a 1 an dans un très grand pays dans l’Est de l’Europe ???

Mais là, le grand voisin explique tranquillement qu’il lance une coalition et bombarde “logiquement” ce pays pour mettre en déroute les rebelles – sans aval de l’ONU. Et c’est donc apparemment normal…

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A Sanaa, des rebelles Houthis manifestent contre les frappes aériennes menées par Riyad au Yémen, jeudi 26 mars.

L’Arabie saoudite poursuit son opération militaire au Yémen. Riyad a lancé de nouvelles frappes ce jeudi soir. C’est le deuxième jour d’un opération destinée à contrer l’avancée des rebelles chiites Houthis, qui contrôlent notamment la capitale Sanaa. Dix Etats soutiennent à des degrés divers cette opération, nommée « Tempête de fermeté ». Outre cinq pays du Golfe, ainsi que l’Egypte, la Jordanie et le Maroc - qui ont confirmé officiellement leur participation - et les Etats-Unis, le Pakistan et le Soudan pourraient également participer à cette initiative.

► Les forces en présence : L’Arabie saoudite a mobilisé 150 000 militaires et 100 avions de combat, tandis que les Emirats arabes unis ont engagé 30 avions de combat, Bahreïn et Koweït 15 appareils chacun et le Qatar 10 (source : al-Arabiya)

► Les pays mobilisés : les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (Oman excepté) + l’Egypte, la Jordanie, le Soudan, le Pakistan et le Maroc

L’opération militaire de la coalition menée par Riyad se poursuit ce soir, jeudi 26 mars, avec de nouvelles frappes aériennes qui ont visé la base militaire d’Al-Tarik, à proximité de Taëz, la troisième ville du pays, sur la route entre Sanaa et Aden, dans le Sud. Un porte-parole de la coalition a déclaré que les frappes allaient continuer jusqu’à ce que les « objectifs » soient atteints. Il a également précisé qu’il n’y avait pas de projet d’offensive terreste dans l’immédiat.

L’opération « Tempête de fermeté » a débuté par des frappes aériennes dans la nuit de mercredi à jeudi. Les bombardements ont visé des sites stratégiques tenus par la milice chiite des Houthis : une base aérienne, le palais présidentiel, le siège du bureau politique de la rébellion ainsi que l’aéroport international qui a été repris par les forces gouvernementales.

Les Houthis s’approchaient ces derniers jours d’Aden, la grande ville du Sud, et ils étaient en passe de contrôler le détroit de Bab el-Mandeb par où transitent des énormes quantités de pétrole par voie maritime à destination principalement de l’Occident. L’offensive étrangère au Yémen aurait fait au moins treize victimes, selon la Défense civile yéménite citée par l’AFP ce jeudi 26 mars au matin. Un quartier résidentiel de Sanaa a été notamment touché par les bombardements.

L’offensive annoncée des Etats-Unis

C’est lors d’une conférence de presse donnée à Washington que l’ambassadeur saoudien, Adel al-Jubeir, a annoncé l’offensive en cours au Yémen. Le fait est assez rare pour être souligné, pointe notre correspondante à Washington, Anne-Marie Capomaccio.

« L’opération vise à défendre le gouvernement légitime » du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, a déclaré le diplomate.

Les opérations se limitent à des frappes aériennes, mais d’autres forces militaires sont mobilisées et la coalition, qui implique, selon lui, dix Etats, « fera tout ce qu’il faudra », a ajouté M. Adel al-Jubeir. « Nous avons une situation où vous avez une milice qui contrôle ou pourrait contrôler des missiles balistiques, des armes lourdes et une force aérienne », a fait valoir l’ambassadeur saoudien.


mashambulizi ya operesheni ” Dhoruba ilio imara” katika mji mkuu wa Yemen, Sanaa, yamewaua watu kadaa, Alhamisi Machi 26 mwaka 2015.

L’opération a débuté mercredi à 23h00 TU, a-t-il précisé. Selon certaines sources, des avions de guerre auraient lancé tôt dans la nuit de jeudi une attaque contre l’aéroport de Sanaa. Des témoins et des sources militaires indiquent également que les raids aériens saoudiens ont visé des sites sensibles tenus par la rébellion chiite dans la capitale, dont la base aérienne al-Daïlami, dans le nord de la capitale, ainsi qu’un campement des forces spéciales. Selon ces mêmes sources, un incendie se serait déclaré dans le palais présidentiel.

Selon la chaîne de télévision Al Arabiya citée par Reuters, l’Arabie saoudite contribue à hauteur de 100 avions de guerre et de 150 000 soldats à l’opération militaire au Yémen. L’offensive réunit aussi des avions de l’Egypte, du Maroc, de Jordanie, du Soudan, du Koweït, des Emirats arabes unis, du Qatar et de Bahreïn, précise la chaîne.

Soutien des Etats-Unis « en logistique et en renseignement »

Dans un communiqué conjoint, publié par l’agence officielle de presse saoudienne, cinq Etats du Golfe déclarent avoir « décidé de répondre à la demande de Son Excellence Abd-Rabbou Mansour Hadi, président du Yémen, de protection du Yémen et de son cher peuple de l’agression des milices houthis. »

Informée de l’opération, la Maison Blanche a fait savoir dans un communiqué que les Etats-Unis l’approuvaient et allaient fournir un soutien « en logistique et en renseignement ». « Bien que les forces américaines n’agissent pas en direct sur le plan militaire au Yémen pour soutenir cet effort, nous sommes en train de mettre sur pied une cellule de planification commune avec l’Arabe saoudite », peut-on lire dans le communiqué de la présidence. Des responsables américainscités par l’AFP, envisagent plus clairement de fournir à Riyad du ravitaillement en vol et des avions radars.

« Nous travaillons étroitement avec nos partenaires saoudiens », expliquait hier la porte parole du département d’Etat, ajoutant que Washington était en contact avec le président yéménite en fuite, rapporte notre correspondante à Washington, Anne-Marie Capomaccio.Washington a évacué, le week-end dernier, tous ses personnels encore présents sur place, une centaine de diplomates et les hommes des forces spéciales qui se trouvaient toujours en territoire yéménite. L’Arabie saoudite, déclare l’ambassadeur aux Etats-Unis, s’est coordonnée avec Washington avant de lancer ces bombardements, et la Maison Blanche avait lancé des appels répétés à l’arrêt des combats ces derniers jours.

Des responsables américains avaient rapporté hier dans la journée que l’Arabie saoudite regroupait des troupes et du matériel militaire lourd, notamment de l’artillerie dans des zones situées près de sa frontière avec le Yémen.

Le Conseil de coopération du Golfe en soutien

YÉMEN : QUI SONT LES HOUTHIS ?


Yemen : qui sont les Houthis ? par rfi

Les pays du Conseil de coopération du Golfe, Oman excepté, soutiennent l’offensive, informe notre correspondante à Doha, Laxmi Lota. Le Qatar a signé le communiqué du Conseil de coopération du Golfe cette nuit : les pays du CCG ont décidé, peut-on lire, « de protéger le Yémen et son peuple face à l’agression de la milice [chiite] houthi ». On ne sait pas encore précisément de quelle manière le Qatar intervient. Les Emirats arabes unis ont, eux, envoyé 30 avions de combat.

L’option militaire a été prise « avec réticence », indiquait cette nuit l’ambassadeur saoudien à Washington. Le Qatar s’était dans un premier temps positionné en faveur du dialogue. Doha devait d’ailleurs accueillir la conférence de réconciliation inter-yéménite proposée par Riyad, mais aucune date n’avait été avancée pour cette réunion. Face à la dégradation continue de la situation au Yémen, les pays du Golfe ont finalement opté pour la force et la « fermeté ». Et pour ne pas être accusés d’ingérence, ils précisent dans leur communiqué que leurs appels au dialogue envers les chiites houthis sont restés sans réponse.

De son côté, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe ont décidé aujourd’hui même de mettre en place une force militaire conjointe, lors d’une réunion à Charm el-Cheikh en Egypte. L’objectif de cette force sera notamment de combattre les groupes terorristes. Le projet a donc été accéléré avec une intervention militaire arabe au Yémen, étant donné la nature de la situation dans le pays.

Mise en garde des Houthis contre une guerre dans la région

L’Egypte et la Jordanie ont confirmé officiellement ce jeudi matin leur participation à l’opération. L’Egypte devrait envoyer dans le Golfe d’Aden quatre navires de guerre pour protéger cette voie maritime stratégique. L’Egypte est un proche allié de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Ces pays ont déjà effectué des manoeuvres militaires communes.

Soutien actif de l’Egypte

Le communiqué de la diplomatie égyptienne indique qu’une coordination est en cours avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe en vue d’une participation de forces aériennes et navales à l’opération « Tempête de fermeté ». Il ajoute que l’Egypte est aussi disposée à participer avec des forces terrestres, « si cela s’avérait nécessaire », rapporte notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti. Dans la capitale égyptienne, des sources indiquent qu’une vingtaine d’avions de combats égyptiens ont été dépêché en Arabie saoudite et que des bâtiments de la marine égyptienne sont en route pour le détroit de Bab el-Mandeb qui contrôle l’entrée sud de la mer Rouge. Un détroit vital pour l’Egypte puisque sa fermeture entraînerait automatiquement celle du canal de Suez, une des principales sources de revenus pour Le Caire. L’Egypte semble toutefois moins partisane d’un engagement de troupes au sol, même si elle dispose d’une force d’intervention rapide de 50 000 hommes. On n’a pas oublié, au Caire, l’intervention militaire égyptienne des années 1960 au Yémen. Une guerre qui avait été surnommée « le Vietnam de l’Egypte ».

Selon une dépêche publiée par l’agence officielle saoudienne SPA, le Maroc, le Pakistan et le Soudan se sont également portés volontaires pour participer à l’opération. Plus concrètement, le Bahreïn et le Maroc vont fournir des avions de combat.

La réaction des miliciens houthis a été immédiate. Dans un entretien accordé à la chaîne al-Jazeera, cité par l’agence Reuters, Mohammed al-Boukhaiti, membre du bureau politique des Houthis, a déclaré qu’une « agression » était « en cours au Yémen ». « Nous y ferons face vaillamment », a-t-il déclaré, mettant également en garde contre une guerre dans la région.

Le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, qui s’était réfugié à Aden après la chute de Sanaa, avait dû quitter sa résidence sous la pression des attaques des rebelles houthis. Hier, mercredi 25 mars, les milices chiites houthis, ainsi que des forces alliées à ces milices, ont accentué la pression sur Aden. Ils se seraient emparés de l’aéroport international de la ville dans l’après-midi. Le président yéménite, de son côté, a finalement quitté le pays pour rejoindre l’Arabie saoudite, où il est arrivé aujourd’hui, jeudi.

La chaîne de télévision al-Hadath, propriété de l’Arabie saoudite, a annoncé que les navires étrangers avaient été priés de ne pas approcher des ports yéménites.

Source : RFI, le 26 mars 2015.

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Au Yémen, le pari risqué de l’Arabie saoudite

LE MONDE |27.03.2015

Intervenir au Yémen, au risque de s’enliser dans un conflit impossible à remporter, ou ne rien faire, et alors perdre toute crédibilité dans sa zone d’influence immédiate ? Tel est le dilemme auquel a été confrontée l’Arabie saoudite ces dernières semaines, lorsque la rébellion houthiste, après avoir pris la capitale yéménite, Sanaa, à l’automne, a fondu sur Aden, la grande métropole du Sud, où s’était réfugié le président Abd Rabo Mansour Hadi, qui est arrivé dans la capitale saoudienne jeudi 26 mars.

C’est finalement la tentation de l’action qui l’a emporté à Riyad. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des avions de chasse saoudiens ont mené des raids contre les positions de la rébellion chiite, avant de reprendre leurs opérations jeudi soir et vendredi matin. Dans la foulée, huit pays arabes (Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Bahreïn, Egypte, Jordanie, Maroc, Soudan), en plus du Pakistan, annonçaient leur participation à la coalition dirigée par le royaume saoudien.

La coalition, qui témoigne de la forte capacité de mobilisation diplomatique de l’Arabie saoudite, ressemble fort à une alliance sunnite dirigée contre l’Iran et son axe chiite, soupçonné de financer et d’encadrer la rébellion houthiste. La Turquie, autre grande puissance sunnite non arabe, a d’ailleurs appuyé la décision saoudienne sans s’y associer. Après le Liban, l’Irak, la bande de Gaza et la Syrie, le Yémen entre donc à son tour dans la tourmente de la grande guerre régionale entre puissances chiites et sunnites, pas tant motivée par des raisons religieuses que de suprématie géopolitique.

Coup d’état

Même si cette grille de lecture ne s’applique que partiellement au complexe kaléidoscope yéménite, c’est elle qui s’est imposée aux dirigeants saoudiens : face à ce qu’ils ont interprété, à tort ou à raison, comme une nouvelle avancée de l’Iran dans un pays qu’ils considèrent comme leur arrière-cour, l’absence de réaction valait capitulation. Il est vrai que les bruyantes rodomontades des dirigeants iraniens, qui ne cessent depuis quelques mois de se vanter d’avoir reconstitué « l’empire perse » et de contrôler désormais quatre pays arabes (le Liban, la Syrie, l’Irak et le Yémen), notamment à la faveur de la guerre contre les djihadistes sunnites de l’organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, où Téhéran est massivement présent militairement, n’ont pu que hérisser une monarchie saoudienne fragilisée.

Les enseignements du passé avaient pourtant de quoi faire hésiter les dirigeants saoudiens : à deux reprises, le Royaume s’est fourvoyé militairement au Yémen, dans les années 1960 en soutenant sans succès le camp monarchiste (qui était à l’époque d’obédience zaïdite, une branche minoritaire du chiisme) puis en 2009 en intervenant, déjà, contre la rébellion houthiste à l’appel du président déchu Ali Abdallah Saleh. A chaque fois sans succès. Si la décision de s’engager a quand même été prise, c’est que les dirigeants saoudiens ont jugé leur survie en jeu.

Il est vrai que l’arrivée au pouvoir d’un groupe chiite aidé par l’Iran au Yémen pourrait réveiller la question chiite au Bahreïn, où Riyad était intervenu militairement en 2011 pour écraser un soulèvement interprété comme confessionnel, voire à l’intérieur du royaume saoudien qui compte une minorité chiite non négligeable. Mais la récente succession à la tête de l’Arabie saoudite semble avoir également joué un rôle important dans la décision de Riyad, ainsi que les négociations en cours sur le programme nucléaire iranien, dans lequel les dirigeants saoudiens soupçonnent Washington de vouloir trop céder à Téhéran, son ennemi héréditaire.

Les négociations en cours sur le nucléaire iranien semblent avoir joué un rôle important dans la décision de Riyad.

Après avoir pris Sanaa à l’automne, les houthistes ont en effet parachevé leur coup d’Etat le 6 février, moins de deux semaines après la mort du roi Abdallah d’Arabie saoudite. Le nouveau roi Salman et surtout son fils, le jeune Mohamed Ben Salman Al-Saoud, 35 ans, nommé depuis ministre de la défense et gouverneur de Riyad, ont jugé qu’il en allait de leur crédibilité. Mais l’opération lancée en fanfare mercredi soir au Yémen a tout d’un piège, même si elle a permis de desserrer l’étau autour d’Aden. Le risque est grand, en effet, de dresser contre l’Arabie saoudite une partie de la population en cas de dommages civils trop élevés (les bombardements saoudiens ont fait 39 morts depuis mercredi, selon l’AFP, dont plusieurs civils) et de devoir engager des troupes au sol sur un terrain particulièrement mouvant et risqué. Riyad, qui a mobilisé 150 000 hommes, dit pour l’instant ne pas envisager un tel scénario.

L’Arabie saoudite ne dispose, en effet, pas d’allié fiable sur le terrain. Le président Hadi, réfugié aujourd’hui à Riyad, ne peut compter que sur une partie de l’armée. Les unités d’élite, dont la garde républicaine, restent en effet acquises à l’ex-président Ali Abdallah Saleh, qui avait renoncé au pouvoir fin 2011, poussé dehors par une médiation saoudienne après plusieurs mois de manifestations. Depuis, Saleh, qui avait combattu les houthistes sans pitié de 2003 à 2011, alors même qu’il est issu de la même communauté zaïdite, s’est retourné pour faire alliance avec eux.

Le camp sunnite est affaibli et fragmenté : la grande confédération tribale des Hached, affiliée aux Frères musulmans a aussi été lâchée par l’Arabie saoudite ; Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), bien implanté dans l’est du pays, est en guerre ouverte contre la monarchie saoudienne et l’un de ses membres a tenté d’assassiner le vice-prince héritier, Mohamed Ben Nayef, par ailleurs ministre de l’intérieur, sans compter l’EI qui monte en puissance au Yémen et ne cache pas son projet de renverser la monarchie « impie » des Saoud.

« Printemps yéménite »

De fait, cela fait déjà un moment que l’Arabie saoudite a « perdu » le Yémen. Longtemps, le dossier yéménite a été géré, au sein de la famille royale, par le prince Sultan bin Abdelaziz Al-Saoud, ministre de la défense et prince héritier à partir de 2005. Pour contrebalancer l’influence d’Ali Abdallah Saleh, jugé peu fiable, Riyad s’appuyait sur Abdallah Al-Ahmar, le chef de la confédération tribale des Hached et président du Parlement. Mais cette politique du « diviser pour mieux régner » et de prébendes reposait en grande partie sur des liens personnels. La mort, en décembre 2007, d’Abdallah Al-Ahmar a privé le royaume d’un levier efficace. Et la maladie du prince Sultan a pesé ensuite sur la diplomatie saoudienne. C’est son fils Khaled qui prend, en 2009, la direction des opérations militaires saoudiennes contre les houthistes, avec de piètres résultats.

Dans les décombres d’un quartier résidentiel proche de l’aéroport de Sanaa, touché par une frappe saoudienne dans la nuit du 25 au 26 mars. KHALED ABDULLAH / REUTERS

La mort du prince Sultan, en octobre 2011, oblige alors le roi Abdallah à intervenir dans le « printemps yéménite » qui embrase le pays cette même année et qui agglomère houthistes, islamistes et chefs tribaux contre le président Saleh en place depuis 1978. Convaincu de l’isolement de ce dernier, le roi Abdallah se résigne à le sacrifier en novembre de la même année. Le suivi de la délicate transition yéménite (le président déchu a obtenu de pouvoir rester à Sanaa et ses proches dirigent encore les services de sécurité) subit un nouvel à-coup avec la mort subite du prince Nayef, en juin 2012, qui était chargé du dossier.

Soutien à Washington

Au Yémen, après le départ de M. Saleh, les forces concurrentes de l’opposition reprennent progressivement les combats. Un théâtre qui devient particulièrement compliqué pour les Saoudiens, qui se privent de surcroît d’un puissant relais lorsque le roi Abdallah décide de passer à l’offensive contre la confrérie des Frères musulmans particulièrement bien représentée dans le parti Al-Islah et chez la confédération tribale des Hached.

Les houthistes, qui ont rallié des tribus laissées pour compte, forment un groupe bien armé, bien encadré – notamment par des cadres du Hezbollah libanais, estiment des observateurs – et bien implanté dans le nord du pays, notamment la capitale. Mais la bataille en cours dépasse désormais largement le sort du Yémen.

La Turquie a salué l’initiative saoudienne. L’Iran a exigé pour sa part « une cessation immédiate de toutes les agressions militaires et frappes aériennes contre le Yémen et son peuple ». Son ministre des affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, présent à Lausanne dans le cadre des négociations sur le nucléaire qui doivent s’achever avant mardi 31 mars, a mis en garde de manière voilée les pays occidentaux contre un soutien à l’Arabie saoudite au Yémen (Washington a promis à Riyad une aide en ravitaillement, logistique et surveillance radar), tout en assurant que les événements en cours n’auraient aucune répercussion sur la question nucléaire.

Quant à l’Arabie saoudite, qui a fait de son intervention au Yémen le symbole de son « réveil » face à l’hégémonisme iranien, elle va pousser son projet de force militaire conjointe arabe au sommet de la Ligue arabe qui doit s’ouvrir samedi chez son principal allié, à Charm El-Cheikh, en Egypte. Un projet qui ressemble fort à une coalition anti-Téhéran.

Source : Le Monde.fr

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Carte : le Proche-Orient déchiré entre chiites et sunnites

Source: http://www.les-crises.fr/2-poids-2-mesures-nouvelles-frappes-de-larabie-saoudite-au-yemen/


“Comment devient-on rouge-brun ?”, par Daniel Schneidermann

Sunday 29 March 2015 at 00:19


Jean Quatremer

Vous savez quoi ? C’est fait. Je suis un « rouge brun ». C’est vrai, c’est Quatremer qui l’a dit. Il l’a dit dans un tweet, aussitôt après la chronique du matinaute de mercredi. Un tweet promptement repris par quelques confrères, comme Leparmentier, du Monde, ou l’ineffable Renaud Dély de L’Obs, le fan de Le Pen (Jean-Marie).

C’est ma semaine : l’autre jour, j’étais traité par Soral de « sioniste de gauche ». Je devrais arriver à en rire, comme d’habitude. A traiter ça de haut. S’agissant de Soral, je n’ai pas de mal. S’agissant de son symétrique Quatremer, je n’y arrive pas.

Rouge brun. Brun comme les chemises brunes. Il faut se souvenir de ce que les mots veulent dire, Quatremer, avant de tweeter. C’est la première fois qu’on me traite de nazi, ça fait drôle. Enfin non, ça ne fait pas drôle du tout. C’est juste ignoble. Mais on en est là. Un journaliste de Libération en est là. Je sais que je ne suis pas le premier. Que pour Quatremer, et le carré d’« excommunicateurs » de sa secte, quiconque critique l’UE est aussitôt soupçonné. Parmi bien d’autres, Todd ou Sapir en ont fait l’expérience, pour ne pas parler de Mélenchon. Mais c’est la première fois que je ressens, dans ma chair, l’infamie de ce marquage. Fin de la parenthèse personnelle.

« Toral »

Après le tweet, il revient dans l’affaire sur son blog [une note reprise par Rue89, ce vendredi en fin de matinée, ndlr]. Pas lui, mais un de ses internautes, dont il reproduit le post, anonyme évidemment, sous le pseudonyme de « Toral ».

Entretemps, il faut croire qu’il s’est un peu calmé. Ce brave garçon qui me traite de nazi explique qu’il expurge le texte de « Toral » d’une « attaque personnelle ». Monsieur est trop bon. Attaque qu’on peut encore néanmoins liredans le forum d’un autre billet, et où j’apprends que je « passe le plus clair de mon temps à cracher mon amertume et ma bile ». Oui, c’est dans les commentaires du blog de Quatremer. Le même qui bannit impitoyablement tous ceux qui critiquent son eurolâtrie.

A propos de la vente par l’Etat de 3,96% de Safran, je résume donc les arguments de « Toral », endossés par Quatremer. Oui, l’Etat français a peut-être vendu quelques bijoux de famille, mais c’étaient des petits bijoux. Dont il n’avait pas vraiment besoin. Qui ne rapportaient pas grand-chose. Et il les a vendus un bon prix. Fermez le ban.

Avec ma petite licence en droit…

Comme le rappelle obligeamment « Toral », je ne suis pas économiste. Pas davantage que le juriste Quatremer, d’ailleurs, ou même le littéraire François Lenglet, de France 2, dont je reprenais en l’occurrence l’analyse. Mais la différence, c’est que je ne fais pas semblant.

L’objet de la chronique de mercredi n’était d’ailleurs pas tant de dénoncer cette vente en tant que telle, mais de la relier à un autre phénomène passé inaperçu : la création de « sociétés de projet », chargées de louer frégates et avions à l’armée. Avec ma petite licence en droit, j’ai tout de même quelques convictions de base, dont celle-ci : je préfère voir un certain nombre d’entreprises stratégiques entre les mains de l’Etat, plutôt qu’entre celles du privé. C’est mon opinion de citoyen, chacun a le droit d’en avoir une autre.

Mais ce n’est pas ce qu’on me reproche – sans quoi Quatremer s’en serait pris à Lenglet. Ce qu’on me reproche, c’est d’avoir cité Florian Philippot, comme seul responsable politique français à avoir critiqué cette cession. Quel crime ! Citer Philippot ! Reconnaître qu’il existe dans ce pays un parti nommé le Front national !

Alors précisons les choses, puisque Quatremer en a visiblement besoin : si je relève que Philippot est le seul à avoir à ce jour réagi, j’en suis, en citoyen, désespéré. Comme je suis désespéré à chaque fois que sur un sujet ou un autre je me sens « exprimé » par le seul FN, sachant bien ce que nous ne cessons de répéter ici : que le FN n’est en aucune manière une solution à quoi que ce soit, qu’il est resté dans ses profondeurs un mouvement xénophobe et parfois raciste, que sa « dédiabolisation » est pour une large part une création médiatique (à laquelle il est d’ailleurs arrivé que participe Libé, notre journal commun avec Quatremer). Mais ce n’est pas une raison pour – en tant que journalistes – passer sous silence ce qu’ils disent, ni souligner qu’ils sont les seuls à le dire.

« Bruxelles n’a rien demandé de tel »

A la vérité, je me reconnais un tort, même si je doute que ça me « dérougebrunise » aux yeux de Quatremer. J’aurais dû rappeler qu’un autre responsable politique a régulièrement dénoncé les privatisations rampantes d’entreprises stratégiques, sur son blog : c’est Mélenchon. Pas cette fois-ci, mais lors des cessions précédentes (car l’Etat vend petit bijou par petit bijou). Il l’avait évoqué le 17 avril 2013. Il y est revenu, plusieurs fois, par exemple le 4 décembre dernier. Bref, il était présent sur le sujet, bien avant Philippot, comme me l’ont fait remarquer plusieurs abonnés, ici, dans nos forums. Dont acte.

Mais vous savez quelle est la meilleure phrase du billet de Quatremer ? C’est celle-ci, à propos de la vente de Safran : « Bruxelles n’a rien demandé de tel. » Oui, il écrit ça. Ce n’est pas la Commission européenne, qui exige que la France réduise son déficit. Comme ce n’est certainement pas la Troïka, qui a imposé à la Grèce l’austérité qui l’a enfoncée dans l’impasse.

Attention : ne me rappelez pas que la Grèce avait maquillé ses comptes, et que la France a ratifié le traité de Lisbonne. Je connais tous ces arguments, ils sont recevables, et on peut parfaitement débattre des responsabilités partagées, dans la situation actuelle, de l’UE, des Etats, et des peuples. Mais on ne débat pas avec quelqu’un qui vous traite de nazi. Le meilleur agent de l’europhobie en France, il ne faut pas le chercher très loin. Il s’appelle Jean Quatremer.

Source : Daniel Schneidermann, fondateur d’@rrêts sur images, sur son Blog Rue89, le 6 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-devient-on-rouge-brun-par-daniel-schneidermann/


[Propagande] Annexion de la Crimée : Poutine était prêt à une confrontation nucléaire

Sunday 29 March 2015 at 00:13

Énorme, non ?

Tout ça parce que les Russes ont dit en gros que si on les attaquait, ils répondraient !

Absent depuis le 5 mars de la sphère publique, le président russe est apparu dimanche dans un documentaire. En docteur Folamour.

Alors que le président russe, Vladimir Poutine, n’est pas apparu en public depuis plus de dix jours, alimentant les rumeurs les plus folles, il a surgi dans un documentaire télévisé diffusé dimanche 15 mars et un confié un secret explosif : ses forces militaires étaient prêtes à une confrontation nucléaire lors de la crise en Crimée.

“Nous étions prêts à le faire”, à mettre en état d’alerte le dispositif nucléaire face “à la tournure la plus défavorable qu’auraient pu prendre les événements”, a déclaré le président russe dans ce documentaire diffusé sur la chaîne publique Rossia 1 à la veille des commémorations pour le première anniversaire du “retour” de la Crimée dans le giron russe.

L’armée russe aurait positionné en Crimée des batteries de missiles de défense côtière “Bastion”, des armes susceptibles de dissuader un navire de guerre américain qui était alors en mer Noire de s’immiscer, raconte Vladimir Poutine.

“On ignorait alors” si l’Occident allait intervenir militairement, poursuit-t-il. “C’est pourquoi j’ai été obligé de donner les instructions qu’il fallait à nos forces armées (…), de donner des ordres sur l’attitude de la Russie et de nos forces armées en toutes circonstances”, dit aussi Vladimir Poutine.

“Nous ne pouvions pas les abandonner”

“J’ai parlé avec mes collègues [occidentaux, NDLR] et je leur ai dit que c’était notre territoire historique, que des Russes habitaient là-bas, qu’ils étaient en danger et que nous ne pouvions pas les abandonner”, a poursuivi le président russe qui assure avoir sauvé la Crimée en déployant ses troupes pour empêcher un “effusion de sang”.

Martelant que la Russie n’avait pas eu l’intention d’annexer la Crimée avant la chute, en février 2014, du président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch, il a insisté :

C’était une position franche et ouverte. Et c’est pourquoi, je ne pense pas que quelqu’un ait eu envie de déclencher un conflit mondial.”

“Nous devions renforcer notre présence militaire en Crimée pour que le nombre de nos soldats permette de créer les conditions propices à l’organisation d’un référendum, un référendum sans effusion de sang”, a jugé Vladimir Poutine à propos du déploiement du GROu, la Direction du renseignement militaire de l’armée russe.

Il a toutefois assuré que le nombre des militaires russes envoyés sur cette péninsule n’avait pas dépassé celui de “20.000 personnes autorisées” par un traité avec l’Ukraine sur la base navale russe de Sébastopol, le port d’attache de la Flotte russe de la mer Noire en Crimée.

L’objectif final n’était pas la prise de la Crimée ou son annexion. L’objectif final, c’était de donner aux gens une possibilité d’exprimer leur opinion sur comment ils veulent vivre dans l’avenir.”

Un coup d’Etat en cours pour certains

Le tournage de ce documentaire de près de trois heures a pris huit mois, selon la chaîne, qui ne précise pas la date d’enregistrement de l’entretien avec le président russe. Le Kremlin, qui refuse de commenter la longue absence de Vladimir Poutine et multiplie les communiqués et la diffusion de photos du président russe sans que l’on puisse dater les événements présentés. De multiples informations contradictoires ont été relayées ces derniers jours : Vladimir Poutine a été papa, malade ou carrément mort.

Dimanche, le très sérieux quotidien israélien, Haaretz, rapporte qu’il aurait été victime d’un coup d’Etat. Citant un ancien ambassadeur israélien en Russie, Zvi Magen, le journal explique que de nombreux responsables pensent qu’il y a beaucoup de signes d’un changement de gouvernement ou du moins une tentative de changement de gouvernement.

Zvu Magen estime qu’une partie de l’armée ou encore de riches hommes d’affaires, qui peuvent emprunter les couloirs du Kremlin librement, seraient à l’origine d’une telle action d’envergure en raison des sanctions économiques qui les touchent au premier chef. “Je ne pense pas qu’il y ait de désaccords politiques autour de Vladimir Poutine. Seulement, ils veulent protéger leurs intérêts”, souligne l’ancien diplomate.

Vladimir Poutine doit rencontrer le président du Kirghizistan Almazbek Atambaïev, ce lundi 16 mars à Saint-Pétersbourg.

Source : L’Obs, le 16 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-annexion-de-la-crimee-poutine-etait-pret-a-une-confrontation-nucleaire/


GEAB – Médias, finances, système-pétrole, appareil militaro-industriel, QE : la guerre des narratifs

Sunday 29 March 2015 at 00:01

Je partage avec vous aujourd’hui un extrait du « GlobalEurope Anticipation Bulletin », qui est pour moi de loin une des meilleures sources d’information sur la Crise…

Bon, ce numéro est particulièrement “europtimiste” – ce que je ne partage pas -, mais cela donne un autre point de vue…

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Dans le chaos qui caractérise toute crise, les discours explicatifs se multiplient comme autant de tentatives d’imposer sa vision du monde, dont l’enjeu est la domination de celui-ci. La « béance[1] » chaotique ouverte par une crise est aussi un espace de guerre narrative dont les vainqueurs seront soit les plus forts (pour un temps court), soit les plus lucides (pour un temps long).

Pour le citoyen ou acteur lambda, la grande difficulté consiste à ne pas perdre la tête au milieu de ces innombrables storytellings. La mission que se donne le GEAB depuis janvier 2006 est précisément celle-ci : aider ses lecteurs à dépasser les évidences et les bruits dominants, et tenter de se rapprocher au plus près de la réalité des évolutions profondes. Ce travail est important à titre individuel dans les décisions que chacun doit continuer à faire dans un contexte instable. Mais c’est plus important encore sur le plan collectif, car le choix narratif est bien entendu un choix d’avenir. Or, entre la narration qui s’impose par la force et celle qui prévaut par la réalité, une société peut s’enfermer dans un système idéologique ou s’engager résolument dans un monde ouvert.

Au XXe siècle, les peuples qui ont basculé dans des systèmes idéologiques déconnectés de la réalité ont probablement eu peu le choix. Aujourd’hui, les sociétés ultra-connectées et multi-informées ont une vraie responsabilité du choix de leur avenir. C’est pourquoi le GEAB et l’anticipation politique, sans prétendre avoir toujours raison, proposent une grille de lecture des narrations tentant d’optimiser l’objectivité et aider ses lecteurs à conserver le plus possible de distance face aux événements, à distinguer entre information factuelle et opinion, entre information fallacieuse et information fiable, et à se donner les outils pour forger et avoir confiance en sa propre opinion.

Nous avons déjà évoqué le fait que 2015 serait caractérisé par un « chevauchement monstrueux » entre monde d’avant et monde d’après, où les deux mondes sont en apparence à égalité : l’un par la puissance des outils de pouvoir dont il disposait et qui sont encore opérationnels (médias, armées, finance…), l’autre par sa force intrinsèque.

En réalité, le monde d’avant est désormais éminemment affaibli et son résidu de domination n’est plus que le fruit de ses efforts surhumains à « faire parler » ses outils de puissance à sa place, effort dans lequel il s’épuise, tout autant que l’URSS s’était épuisé dans la course à l’armement.

Notre équipe a choisi de rendre publique la première partie de la section « Perspectives », consacrée aux outils de puissance en crise, sachant que la deuxième partie propose une analyse du QE européen et de la parité euro-dollar.

Quatre outils de puissance en crise

Observons un instant où en sont ces fameux outils du pouvoir du monde d’avant :

. des médias en plein questionnement sur leur objectivité, leur professionnalisme, leur valeur ajoutée, etc., avec l’affaire Charlie Hebdo en événement emblématique de cette profonde remise en question. Le contraste entre des chefs de rédaction aux méthodes ultra-autoritaires soudain fiers de se badger « Je suis Charlie » ne manque pas d’interroger des classes entières de journalistes, mais aussi les citoyens, sur la liberté d’expression. Un débat sain sur le travail réalisé par les médias occidentaux sur l’Ukraine, par exemple, apparaît timidement. La question se pose quant à la pertinence de médias pyramidaux bien trop petits (problème de plomberie) pour pouvoir retraiter correctement l’immense complexité de la réalité d’un monde multipolaire, multiculturel, multilinguistique, etc. La question aussi de la légitimité de cette auto-proclamation comme « quatrième pouvoir » qui ressemble de plus en plus à une « usurpation de pouvoir », celle des citoyens qu’ils avaient en effet comme mission implicite de représenter avant Internet. Mais celui-ci est là, et désormais, si les médias ont un rôle à jouer, ce n’est certainement pas celui d’un quelconque exercice de quatrième pouvoir, mais bien celui, originel et incontournable, de contribuer à la bonne information du vrai quatrième pouvoir : les gens. La couverture de la crise ukrainienne a révélé la mise sous tutelle des médias par des intérêts divers, mais aucunement citoyens. Les dégâts pour cette profession sont considérables, lui imposant de persister en une officialisation de son virage propagandiste ou de se réinventer. Mais dans les deux cas, les médias auront bien du mal à servir de manière crédible le système d’avant.

. un système financier dollaro-centré en pleine surchauffe[2], dopé par l’instabilité et les opportunités de spéculation, mais totalement déconnecté de ses missions premières de financement de l’économie. La réalité, c’est que les banques de détail continuent à licencier et à faire faillite[3] ; seules les banques d’investissement spéculatif prospèrent, mais d’une manière qui n’obtient plus l’adhésion de qui que ce soit. Les particuliers ont quitté le monde des actions boursières qui s’était ouvert à eux tel un pays de cocagne dans les années 1990[4]. Les États-souverains (en particuliers émergents, telle la Chine) ne savent plus quoi inventer pour se protéger des bulles qu’elles essaiment sur leur passage, provoquant toujours plus d’instabilité et perturbant toute planification économique stratégique[5]. L’économie réelle s’en éloigne aussi, qui n’en obtient plus les financements dont elle a besoin pour se développer et cherche désormais du côté de nouvelles formules, telles que le crowdfunding pour n’en citer qu’une[6].

. un « système-pétrole » en plein effondrement. La mainmise nord-américaine sur la suprême ressource énergétique du XXe siècle s’est effondrée sous le triple choc du découplage pétrole-dollar opéré par l’arrivée de l’euro en 2002 (suivi des efforts de certains pays producteurs de vendre leur pétrole en euros pour se dégager de la tutelle US), de la dislocation du système américano-centré de gouvernance du pétrole, l’Opep, induite à l’instigation des États-Unis eux-mêmes par les forages schisteux, enfin de la transition énergétique menée par l’Europe au premier plan, bientôt suivie par tous les émergents, aboutissant à l’effondrement des cours… et de ce qu’il restait de crédibilité au dollar.

. un appareil militaro-industriel occidental attaqué par les coupes budgétaires et les plans d’austérité. Et ce n’est pas parce que le ministre allemand des Finances, Schaüble, annonce qu’il va falloir réaugmenter les budgets militaires à l’horizon 2017 (!) que cela change quoi que ce soit au fait que les dépenses militaires allemandes ne font que baisser – encore cette année[7] – et que la Grèce de Tsipras ne manquera pas d’entreprendre de diminuer la monstrueuse ponction effectuée par l’armée sur les Grecs via le financement d’une armée totalement disproportionnée avec la « menace » turque[8]. On observe également les réductions du budget militaire britannique qui inquiètent les Américains[9], la Bulgarie vient pour sa part d’annuler tout budget militaire[10], etc. La réalité, c’est que l’Occident n’a plus les moyens de sa politique.

Les grincements stridents de ces outils émoussés

Alors, bien sûr, ces quatre piliers de la puissance du monde d’avant n’ont jamais crié aussi fort que maintenant. Et les grincements stridents de tous ces outils émoussés créent de vrais dangers :

. du côté des médias, tout en manifestant des vraies tentatives de réinvention, la tentation subsiste de s’idéologiser encore davantage, s’y autorisant même pour contrer la propagande, très officielle celle-ci, de la machine médiatique russe, par exemple[11].

. les banques, les marchés financiers, les statistiques, les montants des amendes et des profits, et surtout les hausses toujours plus improbables des cours de la bourse remplissent les pages des médias financiers et les esprits hypnotisés par le précipice qui sépare ces sommes astronomiques de la réalité économique. Mais la puissance que donnent ces chiffres faramineux autorise le système bancaire et financier à dicter pour quelque temps encore sa loi aux banques centrales et aux gouvernements.

. l’effondrement du pétrole rend plus centrales que jamais les puissances pétrolières aux abois et en plein impératif de réorganisation : Arabie Saoudite, au premier plan, qui tente de faire main basse sur la région via ses armées d’islamistes daeshiens répandant le wahhabisme sur le Moyen Orient[12].

. l’Otan, quant à elle, a tenté un coup d’État militaire sur l’Europe en 2014, tirant profit d’une gestion inepte des relations de voisinage de l’UE. Le fait est qu’il n’est pas facile de demander sa bourse à celui qui tient le pistolet… La stratégie de l’appareil militaro-industriel occidental est donc simple et parfaitement logique : capitaliser sur, voire créer des conflits pour se rendre indispensable et parvenir à maintenir/redresser ses budgets.

C’est ainsi que l’affaiblissement considérable des outils de pouvoir, qui restaient l’apanage d’un monde d’avant malade, fait courir encore un temps des risques importants à la planète, à savoir : risques de guerre (pétrole, Otan), risques d’enfermement idéologique d’un camp occidental sur lui-même (médias), risques d’effondrement économique (marchés financiers)…

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[1] Le mot « chaos » vient du grec «  khaos » qui signifie « béance, faille ». Source : Wikipedia

[2] Notre équipe s’est souvent demandée dans quelle mesure la sortie de route de l’étalon-dollar ne se ferait pas plutôt par le haut que par le bas. La surchauffe actuelle de la monnaie étasunienne, même si elle n’est pas définitive, semble consommer actuellement la transition du dollar US hors de son statut d’étalon mondial.

[3] Le grand nettoyage, en particulier aux États-Unis, s’est certes surtout produit au début de la crise (2008-2010), et le nombre réduit de survivants rend plus anecdotiques leurs difficultés. Cela dit, les banques souffrent toujours comme en témoigne cette liste de licenciements et faillites récentes : Boston BankDoral Bank Puerto Ricobanques hongroisesbanques polonaisesANZ Bank AustralieBank of AmericaJP Morgan, Royal Bank of Scotland, etc…08/01/2013)

[4] Sources : La Tribune, 08/01/2013; CNN, 27/12/2012

[5] Source : Ecns.cn, 02/03/2015

[6] Source : BusinessBecause, 18/02/2015

[7] Source : Deutsche Welle, 01/03/2015

[8] Source : The Guardian, 19/04/2012

[9] Source : Washington Post, 12/03/2015

[10] Source : Novinite, 24/02/2015

[11] Nos équipes ont constaté une hystérie sur la prétendue guerre médiatique entre l’Occident et la Russie, qui semble autoriser l’usage de discours propagandistes pour équilibrer les forces en présence. Un média comme Ukraine Today, par exemple, s’est créé dans le camp occidental ukrainien avec pour objectif officiel de faire de la contre-propagande (soit de la propagande, bien entendu). Il est intéressant de lire ce que dit la BBC sur ces questions (03/03/2015)

[12] Source : New Statesman, 27/11/2014

Source : GEAB (Global Europe Anticipation Bulletin), 2015.


Abonnement : pour ceux qui en ont les moyens, en particulier en entreprise, je ne peux que vous recommander l’abonnement à cette excellente revue de prospective sur la Crise, qui avait annoncé dès 2006 la crise actuelle.

Je rappelle que LEAP ne reçoit aucune subvention ni publique, ni privée, ni européenne, ni nationale et que ses ressources proviennent uniquement des abonnements au GEAB.

Source: http://www.les-crises.fr/geab-medias-finances-systeme-petrole-appareil-militaro-industriel-qe-la-guerre-des-narratifs/


Revue de presse du 28/03/2015

Saturday 28 March 2015 at 05:09

Cette semaine dans la revue, la Chine entre immobilier et matières premières, les rendements négatifs, quelques considérations sur l’idéologie en France, les marchés toujours aussi mesurés, et pour finir une revue dans la revue. Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-28-03-2015/


Information, désinformation, manipulation : Cessons de fabriquer un ennemi russe, par Philippe Migault

Saturday 28 March 2015 at 02:06

Philippe Migault est chercheur à l’IRIS, spécialisé dans l’étude des partenariats entre Russes, Français et Européens en matière d’armement, d’aéronautique, d’espace et d’énergie.

Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/plongee-dans-galaxie-pro-russes-francais-philippe-migault-et-alexandre-del-valle-et-olga-bronnikova-993540.html#G0isWDwF5MF7eZoY.99

Le traitement médiatique de l’assassinat de Boris Nemtsov par la presse “occidentale” a été l’occasion, une fois encore, de constater les manquements flagrants à la déontologie de certains journalistes français.

La dépouille de M. Nemtsov n’avait sans doute pas encore fait l’objet de l’autopsie de rigueur que déjà la twittosphère française vibrait de messages d’indignation avec, en ligne de mire, Vladimir Poutine. “Coupable, forcément coupable, Vladimir P. ” pourrions-nous dire pour paraphraser Marguerite Duras. Celle-ci, rappelons-le, couvrait une autre affaire sordide d’assassinat il y a trente ans pour le quotidien Libération. Elle avait attribué la culpabilité d’un crime à la mère d’un enfant-martyre, sans la moindre preuve, la moindre enquête. Le procédé foulait aux pieds toutes les règles de la profession journalistique mais qu’importe: l’émotion primant sur la réflexion, Libération avait publié cette infamie sans plus de précautions. L’art officiel, n’est-ce pas, peut l’emporter sur les faits.

Nous ne savons pas encore qui a tué Boris Nemtsov. Peut-être ne le saurons-nous jamais. Mais ce qui est certain c’est que nous savons qu’il existe un double standard dès qu’il s’agit de parler de Vladimir Poutine, dès qu’il s’agit de parler de la Russie. Pour le chef de l’Etat russe, pour son peuple qui, les sondages en attestent, le soutient massivement, pas de présomption d’innocence. Ex-agent du KGB, Vladimir Poutine est nécessairement un nostalgique de l’Union Soviétique qui, via une propagande magistralement orchestrée par des médias sous contrôle total du Kremlin, a hypnotisé son opinion publique et l’entraîne dans une dangereuse spirale ultranationaliste et impérialiste. Cette dérive, bien évidemment présentée comme fascisante par les médias occidentaux, est susceptible de selon eux de mener le Président russe à conquérir l’Ukraine et, qui sait, demain les pays Baltes, ou la Pologne.

Il suffit d’ouvrir n’importe quel journal, d’écouter quelques heures la radio pour que, sans cesse, le même mythe d’un retour de la guerre froide revienne avec, en arrière-plan, le spectre menaçant d’une armée rouge ressuscitée. Français stockez des pâtes. Comme en mai 1981, les chars russes se préparent à défiler place de la Concorde. Tout cela serait comique si, en définitive, un vrai climat de haine et de paranoïa ne s’installait pas peu à peu en France, tout individu ne hurlant pas avec les loups contre le péril russe étant qualifié d’agent d’influence à la solde de Moscou. Il n’est plus possible aujourd’hui de parler, d’échanger, de raisonner, d’argumenter dès qu’il s’agit de la Russie, de Vladimir Poutine. Vous êtes contre et vous êtes dans le camp du bien. Ou bien vous n’êtes pas sur la ligne dominante et vous participez de l’axe du mal ou, au mieux, êtes suspect de trahison envers la nation. Ne parlons même pas de ceux qui écrivent dans les colonnes d’un média gouvernemental russe…

Le pire est que l’on retrouve ce manichéisme dans certains des cercles de réflexion supposés les mieux informés. Loin des caméras et des micros, alors que la discussion pourrait être sereine entre individus aux opinions divergentes, mais censés se caractériser par leur sang-froid, leurs capacités d’analyse, les craintes les plus folles s’expriment vis-à-vis de la Russie. La Russie c’est l’ennemi. Et gare à celui qui ose apporter la contradiction. “Il suffit d’observer les programmes militaires que les Russes développent prioritairement pour se rendre compte qu’il s’agit essentiellement de programmes défensifs”, constatait récemment un brillant penseur militaire français, ancien officier supérieur, lors d’une discussion à laquelle l’auteur de ces lignes prenait part. Le silence de plomb qui a suivi ses propos en disait long sur la prudence de ceux qui, partageant cette opinion n’osaient acquiescer, et la réprobation de ceux qui le tenaient pour un individu “politiquement incorrect”.

Nous sommes sortis du raisonnable. Il convient de vite y revenir. Fragile, le cessez-le-feu tient malgré tout pour l’heure, dans le Donbass. Timidement, pas à pas, certains dirigeants européens renouent un dialogue plus apaisé avec la Russie. Il faut poursuivre dans ce sens, dans les mois qui viennent, pour régler le problème ukrainien en concertation, avec toutes les parties concernées en Europe. Les responsables français, allemand, russe et ukrainien ont signé un accord à Minsk  et évoquent “la création d’un espace humain et économique commun, de l’Atlantique au Pacifique”. On n’avait pas évoqué une perspective aussi ambitieuse et optimiste depuis l’époque de François Mitterrand, Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev, il y a de cela vingt ans. Vingt ans perdus. Nous devons nous accrocher à cet espoir et cesser en France et en Russie —car les médias russes ont leur part de responsabilité — une guerre médiatique absurde qui ne fait que creuser le fossé entre les nations. “Une information et son démenti, cela fait deux informations”, déclarait Pierre Lazareff, le plus célèbre des patrons de presse français, cité encore en exemple dans toutes les rédactions et toutes les écoles de journalisme de l’hexagone. Il faut en finir avec ce cynisme. Car le démenti arrive toujours trop tard et le mal est fait.

Source : Philippe Migault, pour Sputnik News France, le 10 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/information-desinformation-manipulation-cessons-de-fabriquer-un-ennemi-russe-par-philippe-migault/


[Propagande] Russie : La torture, c’est la routine

Saturday 28 March 2015 at 00:06

On appréciera le recul, la prudence, la finesse d’analyse des journalistes… Enfin, bon, c’est pas aux États-Unis qu’on verrait ça quand même…

(P.S. ce billet ne vise en rien à dire que tout est rose en Russie, bien évidemment).

Mort de Boris Nemtsov : deux suspects arrêtés

[...] “Les autorités russes ont tenus à annoncer la nouvelle à la télévision : c’est sur une chaîne d’état que deux noms ont été dévoilés par Alexandre Bortnikov, le chef du FSB. Deux auteurs présumés du meurtre de l’opposant russe Boris Nemtsov ont été arrêtés aujourd’hui Il n’aura fallu qu’une semaine aux services de sécurité russes pour peut-être désigner les coupables : Goubachev et Zaour Dadaïev s’ont ainsi soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat de Boris Nemtsov. Tous deux sont des habitants du Caucase, ce qui cautionne la thèse de la provocation évoquée à plaisir par Vladimir Poutine, provocation pour déstabiliser la situation politique en Russie. Le fait de désigner ces deux hommes pose évidemment beaucoup d’autres questions car en Russie, les Caucasiens sont souvent des coupables bien commodes, surtout s’ils permettent d’accréditer la thèse par le président russe depuis le début. Moscou, Caroline Larson.

Source : France Inter, le 7 mars 2015.


Russie : soupçons de torture dans l’affaire Nemtsov

Zaour Dadaïev, le 8 mars au tribunal.

L’affaire se complique. L’ancien policier tchétchène Zaour Dadaïev, principal suspect dans l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov, tué par balles le 27 février à Moscou, se rétracte. Ses aveux mis en avant par les enquêteurs russes auraient été extorqués sous les coups, ont dénoncé, mardi 10 mars, deux membres d’une commission des droits de l’homme qui ont pu lui rendre visite dans la prison de Lefortovo où cet homme de 31 ans, mis en examen par un tribunal de Moscou, est incarcéré depuis son interpellation. Furieux, le comité d’enquête russe a réagi en dénonçant une « intrusion inadmissible » dans le cadre d’une affaire criminelle, destinée à « empêcher une enquête complète et objective ». Cet organisme, chargé de tous les dossiers sensibles en Russie, a annoncé que les visiteurs de M. Dadaïev allaient « être convoqués » pour interrogatoire.

« Il y a des raisons de croire que Zaour Dadaïev a avoué sous la torture », affirme Andreï Babouchkine, l’un des représentants du Conseil des droits de l’homme, une institution rattachée au Kremlin, qui était accompagné de la journaliste Eva Merkatcheva. « Nous ne pouvons pas affirmer qu’il a été torturé (…), mais nous avons découvert de nombreuses blessures sur son corps », a-t-il ajouté, cité par l’AFP, en évoquant des « écorchures » de menottes sur les poignets et les jambes.

« Tueurs à gages »

Selon ces deux témoins, M. Dadaïev, qui a quitté les forces spéciales tchétchènes le 28 février, soit le lendemain de la mort de Boris Nemtsov, a affirmé avoir passé « deux jours, menotté avec un sac en tissu sur la tête » après son arrestation en Ingouchie, une république voisine de la Tchétchénie où il réside. L’ancien policier, qualifié de « vrai patriote de la Russie » par le président tchétchène Ramzan Kadyrov le soir même de son arrestation, s’est plaint également d’avoir été privé de nourriture pendant quarante-huit heures et de n’avoir pu boire que « trois ou quatre gorgées d’eau » durant cette période. « On me criait tout le temps : “C’est toi qui as tué Nemtsov ? Je répondais que non », a déclaré M. Dadaïev, d’après les propos rapportés par M. Babouchkine. Le principal suspect se trouvait avec un ami au moment de son arrestation, selon ses dires. Les policiers « ont dit que si j’avouais, ils allaient le relâcher, a-t-il déclaré, toujours selon son interlocuteur. J’ai accepté en pensant que j’allais ainsi le sauver. Je pensais que lorsque je serais emmené à Moscou, je pourrais dire devant le tribunal toute la vérité, dire que je suis innocent. Mais le juge ne m’a pas donné la parole ».

Quatre autres suspects, tous originaires du Caucase du Nord, également incarcérés, continuent pour leur part de clamer leur innocence. Pour ajouter à la confusion, l’agence russe Interfax citait, mercredi soir, une source anonyme « proche de l’enquête » affirmant que Zaour Dadaïev ne revenait pas sur ses aveux.

Le climat est de plus en plus délétère. Mercredi, le journal indépendant Novaïa Gazeta a affirmé que des « tueurs à gages en provenance de Tchétchénie »avaient établi une liste de personnalités russes à abattre, dont Alexeï Venediktov, rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, et l’ex-oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski. Le même jour, Olga Pismanen, assistante de M. Khodorkovski, annonçait avoir découvert une couronne mortuaire près de la porte de son domicile.

Source : Isabelle Mandraud, pour Le Monde, le 12 mars 2015.


Russie : La torture, c’est la routine

>Le coupable désigné de l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov aurait avoué sous la torture. L’Occident se scandalise. Mais en Russie, le recours à ces méthodes est fréquent.

Trois suspects de l'assassinat de Nemtsov, avant l'aveu de Zaour Dadaiev, à Moscou le 8 mars. (DMITRY SEREBRYAKOV / AFP)
Trois suspects de l’assassinat de Nemtsov, avant l’aveu de Zaour Dadaiev, à Moscou le 8 mars.

Il avait avoué. C’était lui qui avait tué le 27 février dernier le leader de l’opposition russe Boris Nemtsov, abattu de quatre balles dans le dos au pied du Kremlin. Zaour Dadaïev était un coupable idéal. C’est un Tchétchène, ex-membre des forces spéciales de la police locale. Et dans la psyché des Russes, bercés dès l’enfance de chansons où le “méchant tchétchène” vient les égorger la nuit avec un grand couteau, ces Caucasiens sont toujours un peu des tueurs.

Mais voilà que le Conseil consultatif pour les droits de l’homme, organisme formellement rattaché au Kremlin, se met en tête de faire son travail. Il va visiter en prison ce coupable parfait. Conclusion :

Il y a des raisons de croire que Zaour Dadaïev a avoué sous la torture.”

“Nous ne pouvons pas affirmer qu’il a été torturé, mais nous avons découvert de nombreuses blessures sur son corps”, a expliqué Andreï Babouchkine, un des responsables du Comité.

Le Tchétchène d’une trentaine d’années, qui a été privé de son avocat et s’est vu attribuer un homme de loi de l’État, raconte à ses visiteurs avoir passé “deux jours, menotté et avec un sac en tissu sur la tête” après son arrestation. Il leur explique n’avoir avoué que pour “sauver” un ami arrêté en même temps que lui en Ingouchie, république voisine de la Tchétchénie.

Pour pimenter l’affaire, Andreï Bouchkine et Eva Merkacheva, les militants des droits de l’homme qui ont révélé l’affaire, sont menacés de poursuites criminelles, selon Amnesty International…

Torture puis exécution

En Occident, c’est le scandale. En Russie, c’est la routine. Du commissariat, après l’arrestation, en passant par les prisons jusqu’aux colonies pénitentiaires (sorte de camps de travail issus du Goulag), la torture est une pratique courante et répandue. Un rapport de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture de novembre 2013 dénonce, enquête à l’appui, ce monde de tortionnaires.

Sous Poutine, l’épicentre, le laboratoire de la torture, c’est la petite république rebelle de Tchétchénie, écrasée dans le sang et sous la terreur. Pour faire avouer, pour faire dénoncer les indépendantistes ou simplement pour le plaisir de voir souffrir ces “culs noirs”, les services russes ou leurs supplétifs tchétchènes pro-russes passent à la Question les suspects, souvent avec des moyens modernes, comme l’électricité sur les parties génitales. Sans oublier bien sûr les méthodes plus traditionnelles comme le viol collectif.

S’il ne meurt pas pendant le traitement, le supplicié est ensuite exécuté. Puis on fait disparaître le corps. Une des méthodes prisée est de réduire le cadavre en purée à l’explosif. C’est ce qu’on appelle une simple “disparition”. Si un rescapé va porter plainte, il est menacé. Et sait ce qui l’attend.

Mauvais traitements en prison

Dans les prisons russes, les conditions de détention sont telles qu’elles sont assimilables à de la torture. La surpopulation est effrayante. Dans certaines cellules, les détenus sont obligés de dormir par roulement, les autres étant obligés de se tenir debout, en attendant leur tour de s’allonger. Humidité, manque hygiène, de soins : la tuberculose fait des ravages.

Contre les mauvais traitements, aucun recours n’est possible. Les prisons russes sont une zone de non droit. Même les détenus les plus célèbres, les mieux défendus ne sont pas à l’abri. En 2005, Sergueï Magnitski, avocat russe d’Hermitage Capital, le plus gros fonds d’investissement étranger en Russie, se met en tête de dénoncer des fraudes et la corruption au plus haut niveau de l’Etat.

Mal lui en prend. Il est aussitôt accusé de “fraude fiscale” et emprisonné. On le jette dans une cellule inondée, glaciale, sans eau. Or il est gravement malade de la vésicule biliaire. Même le médecin de la prison en convient. “Maintien en détention, opération refusée”: tel est le verdict des autorités.

Lorsqu’il est tellement mal en point que l’administration finit par appeler une ambulance, Magnistki se croit sans doute sauvé. Mais à la place, il est jeté dans une cellule isolé. Et battu à mort.

Source : Jean-Baptise Naudet, pour L’Obs, le 12 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/russie-la-torture-cest-la-routine/


[Pour en finir avec les bêtises] Les abstentionnistes voteraient pratiquement comme les votants !

Friday 27 March 2015 at 05:00

J’avais ces infos sous le coude depuis les européennes, j’en profite pour les sortir…

En effet, plusieurs d’entre vous ont réagi au dernier billet sur les analyses des votes aux départementales par CSP sur le thème, je cite par exemple :

“Si je regarde bien avec le tableau des abstentions : 49 % des 48 % des ouvriers votants choisissent le FN. Sauf erreur de ma part cela fait environ 23 % des ouvriers ! C’est toujours beaucoup trop mais c’est beaucoup moins qu’indiqué par ce titre… [...] Continuez à être exigeant avec la réalité des faits pour aider à la réflexion collective pour sortir de cette impasse redoutable et rejetez la facilité et la pauvreté intellectuelle des médias dominants et bien pensants…”

C’est un refrain fréquemment sorti pour finalement interdire d’analyser tout résultat électoral, quand ça arrange… (je me rappelle que Ruquier l’a sorti après les élections pour le FN – se gardant bien de faire la même chose avec le PS, bah oui, il n’a pesé que 5,7 % des électeurs inscrits, il serait temps pour lui de rendre le pouvoir si on le disait trop…). (N.B. Ce billet ne vise nullement à nier l’importance du phénomène d’abstention et son interprétation, c’est un AUTRE sujet)

Ce raisonnement conduit finalement à définir une nouvelle Catégorie Socio-Prof : “abstentionniste”, ce qui est stupide. Si on a souvent 50 % d’abstentions dans les petites élections, il n’y en a plus que 15 % à la présidentielle : il arrive donc bien aux abstentionnistes de voter, ils ont donc bien (évidemment) une opinion politique.

L’Ifop (sources ici et ici) a donc intelligemment fait une enquête pour les européennes 2014 sur ce sujet, leur demandant pour qui ils auraient voté si le vote avait été obligatoire. Les résultats sont éloquents :

Ils le restent, en gros, par CSP :

Ce qui est d’ailleurs assez logique : quand 2 millions d’ouvriers votent, il y a quand même peu de chance que le résultat soit très différent de la vision des 5 millions d’ouvriers (dont près de 4,5 millions votent à la présidentielle)… C’est un des principes de la loi des grands nombres – le biais de “vote à cette élection” n’est pas très important…

Bref, bonne nouvelle : plus la peine de se prendre la tête pour les analyses des votes !

Les résultats des votes exprimés sont toujours assez proches de ceux de la population totale

(c e qui, évidemment, n’empêche pas d’analyser par ailleurs le fait que tant de sens s’abstiennent, ce qui a un sens réel)

Source: http://www.les-crises.fr/les-abstentionnistes-voteraient-pratiquement-comme-les-votants/


[Loi Renseignement] La Presse se soulève (timidement) avec les défenseurs de l’Internet Libre

Friday 27 March 2015 at 04:34

Le combat solitaire des opposants au projet de loi sur le renseignement

Lors d'une manifestation contre le projet Hadopi (Richard Ying, Creative Commons)

Les associations de défense des libertés en ligne sont remontées contre les mesures de surveillance envisagées par le gouvernement. La mobilisation s’annonce difficile.

Ils repartent en campagne. Depuis la semaine dernière, les défenseurs des libertés en ligne s’érigent contre les mesures envisagées par le gouvernement pour muscler le renseignement. La Quadrature du Net s’indigne d’une «désastreuse dérive du gouvernement Valls sur la surveillance», tandis qu’Amnesty International estime que «la France donne un blanc-seing au renseignement». «Ce projet de loi est négatif, inutile et contre-productif», sermonne Thomas Watanabe-Vermorel, porte-parole du Parti pirate en France. «Je n’ai jamais vu pareil déluge d’outils de surveillance en France», a tweeté jeudi Marc Rees, rédacteur en chef du site NextInpact, engagé pour les libertés numériques.

Ce noyau dur de partisans des libertés en ligne se retrouve autour de la défense de la liberté d’expression sur le Web, du rejet de toute forme de surveillance privée ou administrative et du recours systématique à un juge. Ils ont déjà livré beaucoup de combats, dont l’issue leur a parfois été favorable. Ils ont fait leurs armes entre 2004 et 2006, lors de l’examen de la LCEN et de la Dadvsi, des lois sur le commerce électronique et le droit d’auteur. Ils ont gagné de l’influence en 2008 lors de l’opposition à l’Hadopi. Ils ont poursuivi sur leur lancée avec les lois Loppsi sur la surveillance intérieure, étendu leurs compétences jusqu’à Bruxelles en gagnant leur combat contre l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) et en influant sur les discussions de l’accord Transatlantique.

Le projet de loi sur le renseignement les pousse à repasser à l’action. Depuis les attentats de janvier, Internet est accusé de bien des maux. Le Web, entend-on, favorise la radicalisation, la propagation des discours de haine. Pour y remettre de l’ordre, les premiers cas de filtrage administratif de sites Web sans décision judiciaire sont intervenus. On évoque désormais une surveillance en temps réel des données de connexion sur les réseaux des opérateurs télécoms, etune détection de potentiels terroristes par des algorithmes.

Une quasi-unanimité politique

La bataille contre ce train de mesures, redoutées depuis des années, s’annonce laborieuse. «Hadopi était une partie de plaisir par rapport à ce qui nous attend», estimait Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, rencontré par Le Figaro quelques semaines avant la présentation du projet de loi Renseignement en Conseil des ministres. Le projet de loi sur le renseignement doit protéger les Français contre le terrorisme. Il a été présenté au lendemain de la terrible attaque contre le musée du Bardo, et trois mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes. Des sondages ont montré que les Français étaient favorables à un surplus de surveillance, quitte à rogner sur leurs libertés.

«Hadopi était une partie de plaisir par rapport à ce qui nous attend»

Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net

Difficile, dans ce contexte, de mobiliser l’opinion publique contre la loi Renseignement. Il ne s’agit plus plus de contester l’envoi de messages d’avertissement aux internautes qui piratent de la musique et des films sur Internet, et la coupure des connexions en cas de récidive. «Ce qui est en jeu, c’est l’équilibre entre la vie privée et la surveillance, et le risque de diminuer la confiance dans Internet», explique Frédéric Donck, directeur du bureau européen de l’Internet Society. Les termes du débat sont complexes et intéressent moins les Français. Les associations de consommateurs, aux avant-postes lors de l’examen de l’Hadopi, ne se sentent plus concernées. Le service de presse de l’UFC-Que Choisir, questionné sur le sujet par Le Figaro, a découvert jeudi après-midi l’existence du projet de loi.

L’opposant est aussi d’une tout autre envergure. Depuis dix ans, les débats sur Internet se sont cristallisés autour du droit d’auteur et du piratage. Les projets de loi étaient portés par la Culture, soutenus du bout des lèvres par le Numérique. «Nous avons cette fois en face de nous l’industrie de la sécurité et des officines qui, depuis des années, se servent de la peur pour augmenter leurs budgets», estime Jérémie Zimmermann. Le projet de loi sur le renseignement a été présenté jeudi par Manuel Valls, entouré de ses ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense, et de la secrétaire d’État chargée du Numérique. Les argumentaires sont rodés et les sessions d’explication aux médias s’enchaînent. Le texte supprime les zones grises dans lesquelles pouvaient s’engouffrer les enquêteurs. Une indéniable avancée, entend-on.

La configuration politique n’aide pas non plus. En 2009, lors des débats autour d’Hadopi, les discussions à l’Assemblée nationale avaient donné lieu à de mémorables passes d’armes à l’Assemblée nationale. Le texte avait été rejeté une première fois, après un coup de théâtre des députés PS et les débats s’étaient éternisés. En 2011, les mesures des filtrage des sites pépornographiques envisagées par la Loppsi 2 étaient un moyen de dénoncer la politique sécuritaire menée par Nicolas Sarkozy.

Une manifestation contre Hadopi, en 2009. (Source: Flickr/CC/Richard Ying)

Diviser et déminer

Sans grand soutien politique, avec de faibles relais dans l’opinion, les défenseurs des libertés sur Internet doivent se débrouiller seuls. En coulisse, des représentants des ayants droit, qui bataillent depuis dix ans contre ces militants des libertés en ligne, savourent une forme de revanche. La tâche serait déjà assez ardue si ce milieu n’était pas traversé par des dissensions. Les révélations d’Edward Snowden ont laissé des traces. Les géants du Web, qui pourraient hurler à la surveillance de masse, sont marqués par leur collaboration avec le programme Prism de la NSA. Le gouvernement français insiste sur ces divisions. Les mesures du texte de loi «n’ont rien à voir avec ce qui est pratiqué dans le droit privé» par toutes ces sociétés, glissait la semaine dernière un conseiller, lors d’une réunion avec des journalistes spécialisés dans le numérique. Ambiance.

Le gouvernement est aussi parvenu à surmonter les critiques d’autres acteurs du numérique. La position de la CNIL, publiée jeudi, a été plus mesurée que prévu. Plutôt que d’enfoncer le gouvernement, elle le félicite d’avoir pris en compte plusieurs de ses remarques afin de produire une nouvelle version du texte. Celle-là même qui a été âprement critiquée par les défenseurs des libertés numériques. «Des garanties substantielles ont été apportées» sur les conditions de la surveillance, affirme-t-elle, tout en promettant de rester attentive aux suites qui seront données au texte. En clair: peut mieux faire, mais ça pourrait être pire. Dans la conférence de presse qui a suivi le Conseil des ministres, jeudi, Manuel Valls ne s’en inquiétait pas. «En un sens, la CNIL est dans son rôle», a-t-il commenté. «Mais ses craintes ne correspondent pas à la réalité.»

Le Conseil national du numérique n’est pas non plus perçu comme une menace. Dans un communiqué publié, l’organisme consultatif, chargé d’éclairer le gouvernement sur les sujets numériques, a dit «s’inquiéter d’une extension du champ de la surveillance». Des recommandations seront publiées dans le courant du mois d’avril. Malgré cette salve de reproches, le CNNum n’envisage pas à ce jour d’autosaisine sur ce projet de loi, en raison de sa charge de travail actuelle, mais aussi parce que le sujet ne fait pas l’unanimité au sein de l’organisation. Et puis, l’avis du Conseil contre le blocage des sites terroristes n’a pas incité le gouvernement à reculer.

Outre la CNIL et la CNNum on recense une douzaine de prises de position critiques contre le texte. Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, a qualifié le projet de «faute sérieuse». L’ARCEP, le gendarme des télécoms, s’est plutôt inquiété des possibles perturbations de réseau et du remboursement aux opérateurs des coûts de la surveillance. D’autres soutiens oscillent enfin entre le modeste (le moteur de recherche européen Qwant) et l’inattendu (la Fédération française des motards en colère du Territoire de Berlfort). Sur Twitter, l’intérêt reste faible. Seuls 3900 tweets contenaient le hashtag «#loirenseignement» vendredi soir. Les articles n’émergent pas dans la liste des plus commentés ou des plus lus des sites d’information. Les blogs, essentiels dans l’opposition à l’Hadopi, ont perdu en influence depuis l’avènement des réseaux sociaux.

Le gouvernement a l’air déterminé, mais nous n’en sommes encore qu’au tout début.

Tristan Nitot, ancien porte-parole de la fondation Mozilla en Europe.

Le premier ministre, qui a le champ libre, veut aller vite. Manuel Valls défendra lui-même le projet de loi à l’Assemblée nationale à partir du 13 avril et compte sur une adoption en urgence avant l’été. Si le gouvernement a promis d’écouter encore les représentants du numérique durant les prochaines semaines pour préciser son texte, personne n’a oublié l’examen interminable de l’Hadopi. Aux États-Unis, les débats autour de la neutralité du Net ou du chiffrement ont prouvé qu’il était possible d’intéresser les citoyens à des thématiques complexes. Il s’agit aussi d’un bel exemple de coopération entre les associations de défense des libertés en ligne et des géants du Web.

«Le gouvernement a l’air déterminé, mais nous n’en sommes encore qu’au tout début. Le projet de loi pourrait être pourtant l’occasion de faire de la realpolitik», encourage Tristan Nitot, ancien porte-parole de la fondation Mozilla en Europe. Bref, d’entendre parler d’une même voix groupes privés et membres de la société civile. Google, Apple, Twitter et Facebook doivent répondre à l’invitation de Bernard Cazeneuve lors d’une réunion à Paris en avril, deux mois après la visite du ministre de l’Intérieur dans la Silicon Valley. Au moins l’un d’entre eux se pose la question de sa présence, mais ne tient pas encore à le faire savoir publiquement. «Il y a une telle peur autour du terrorisme, que dire que l’on soutient les libertés en ligne, cela revient à laisser penser que l’on soutient les terroristes», déplore Tristan Nitot.

Les opposants à la loi Renseignement sont encore à la recherche des bons arguments, qui éviteront cet écueil et toucheront les Français. Certains veulent mettre en garde contre la possibilité de généraliser ces outils de surveillance contre les internautes qui piratent de la musique ou critiquent les élus en ligne. D’autres estiment qu’il faut s’appuyer sur les élections départementales, en sensibilisant la base des militants PS. Avec l’idée que les mesures de surveillance pourront tomber, un jour, dans d’autres mains. Un bon soutien ou un argument bien trouvé peuvent encore faire basculer la situation. Sur Internet, c’est bien connu, tout va très vite.

Source : Benjamin Ferran & Lucie Ronfaut, pour Le Figaro Economie, le 23 mars 2015.


Projet de loi renseignement : l’Etat de droit a beaucoup à perdre

Au salon du mobile, en 2014.
Au salon du mobile, en 2014.

Le texte présenté jeudi ne se contente pas d’offrir plus de moyens aux services de renseignement. En prévoyant une détection automatisée, encore très floue, de la menace terroriste, il franchit le cap de la surveillance indiscriminée.

Aux dires du gouvernement, le projet de loi sur le renseignement, présenté jeudi par Manuel Valls en personne à la sortie du conseil des ministres, serait un «texte équilibré». On ne compte pourtant plus les réactions alarmées. De la Commission nationale de l’informatique et des libertés au Conseil national du numérique, des opérateurs de télécommunications aux services Internet, du Syndicat de la magistrature à l’Ordre des avocats de Paris en passant par le juge antiterroriste Marc Trévidic, de l’association de défense des libertés en ligne La Quadrature du Net à Amnesty International : tous dénoncent une extension préoccupante de la surveillance. Jusqu’au commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’émeutd’une «approche exclusivement sécuritaire».

Comme tous ces acteurs, qu’on peut difficilement considérer comme des jusqu’au-boutistes inconséquents, on ne peut que s’inquiéter des contours du texte porté par Manuel Valls, et des risques en matière de libertés publiques. Encadrer l’action des services de renseignement – et l’usage de pratiques jusqu’ici illégales – était un souci légitime. Nul ne conteste la nécessité de la lutte antiterroriste. Mais inscrire dans la loi – pour des motifs étendus et souvent bien flous, qui devraient questionner ceux qui disent n’avoir «rien à cacher» – le recours à des techniques très intrusives sans l’aval d’un juge, voilà qui mérite un débat de fond, que la procédure accélérée au Parlement ne va pas faciliter. Pourtant favorable à une loi, le président de l’actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, vouée à être remplacée par une nouvelle autorité administrative, estime dans Le Monde que «la nouvelle commission disposera de moins de pouvoirs qu’aujourd’hui». Le renforcement du contrôle était pourtant présenté comme la contrepartie à l’extension des moyens.

«Pas de surveillance généralisée des citoyens», a promis Manuel Valls. Mais que dire alors du très nébuleux «dispositif» de détection automatique d’une menace terroriste, qui pourrait être déployé chez les opérateurs et les hébergeurs ? Pour traquer via un algorithme les éventuelles connexions suspectes, il faudra bien passer tout le monde au tamis. Le principal artisan du texte, le député Jean-Jacques Urvoas, se plaît à répéter que la France pratique la «pêche au harpon» quand les Etats-Unis sont adeptes de la«pêche au chalut». A ce stade, la différence devient purement sémantique. Depuis deux jours, Matignon multiplie les réunions avec les acteurs du numérique, sans doute pour les convaincre que «sans loi sur le renseignement, tout le monde y perd, avec une loi, tout le monde y gagne», comme l’assénait Manuel Valls hier. Avec le texte actuel, l’Etat de droit a pourtant beaucoup à perdre.

Source : Johan HUFNAGEL & Amaelle GUITON, pour Libération, le 21 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/loi-renseignement-la-presse-se-souleve-timidement-avec-les-defenseurs-de-linternet-libre/


[La guerre, c'est cool !] En Ukraine, le soldat Elisaveta a vaincu son handicap

Friday 27 March 2015 at 00:01

FEMMES DU MONDE – Chaque semaine, Karen Lajon, grand reporter au JDD, raconte le combat exceptionnel ou peu ordinaire de femmes dans le monde. Cette semaine, envoyée spéciale à Kiev en Ukraine, elle rencontre Elisaveta Shaposhnik, handicapée aux mains et soldat volontaire, dans le fameux bataillon Aidar.

Une fois la paix installlée, les guerres recèlent de héros et d’héroïnes. Elisaveta Shaposhnik, 28 ans, pourrait bien en être une. Pour de bon. La jeune femme a passé trois mois en zone de conflit, dans la région de Louhansk. Rien de spécial à première vue, il existe un certain nombre de femmes, dans les rangs militaires ukrainiens. Alors, il faut bien en parler, au risque de paraître dérangeant, il faut bien aborder le handicap de ses mains. Mais c’est justement cette petite différence qui donne, désormais, à Elisaveta ce regard pénétrant, empreint d’une fierté toute nouvelle, empreint d’une confiance qui va bien au-delà de tous les mots: Elisaveta est devenue normale, aux yeux des autres. Son handicap a disparu. La guerre, en quelque sorte, l’a drapée d’une dignité retrouvée et infinie.

“Je me suis dit que je ne pouvais rester, sans rien faire”

En réalité, la bataille de la jeune femme a commencé à la maison. Avec ses parents. Elle voulait rejoindre les révolutionnaires de la place de Maïdan, eux, soutenaient Vladimir Poutine, et s’y opposaient. La violence verbale domestique grimpe dans les aiguës, un peu à la mesure de celle des armes, sur le terrain. La jeune femme quitte son Odessa natale pour rejoindre le Donbass. Sa vie d’avant était celle d’une jeune femme de l’ombre. Elisaveta souffre d’un handicap aux mains (malformation spécifique dûe à la prise d’un médicament dans les années 60) qui la prive de toutes ces petites choses qui règlent la vie des filles de son âge. Elle est aussi d’un milieu modeste, elle travaille sur les marchés et rêve sans doute d’un avenir meilleur. La guerre, paradoxalement, va le lui apporter. “J’ai trouvé normal de rejoindre ces hommes qui se battaient pour ma région. Je me suis dit que je ne pouvais rester sans rien faire”, raconte Elisaveta, dans les couloirs de l’hôpital Central militaire, au centre de Kiev. La jeune femme se fait soigner pour une faiblesse cardiaque qui pour l’heure, l’éloigne de la ligne de front.

Cette ligne de front qui lui a redonnée une vie, une forme, une voix. Les tâches de la jeune femme vont de la cuisine, au ménage mais aussi aux nuits de garde, dans les différentes positions de cette armée de volontaires. “Nous étions toujours deux parce que lorsqu’il fallait prévenir le bataillon, si on ne pouvait le faire avec le talkie-walkie, l’un de nous rejoignait l’arrière, en courant, afin de les informer de tout nouveau développement”. C’est là, que le regard que l’on porte sur la jeune femme devient embarrassant. On ne peut s’empêcher de remarquer ses mains, si peu compatibles avec l’exercice du combat.

Ce jour-là, dans ce couloir d’hôpital, elle a joliment soigné ses ongles, revêtus d’un vernis violet. Son pantalon de treillis est immaculé. Mais n’est-il pas français? Elisaveta sourit et raconte, avec des étoiles dans les yeux, qu’elle était à Paris, en mars 2014. Qu’elle a acheté ce pantalon de l’armée française, dans un surplus militaire ainsi que cette doudoune, bien moins réglementaire, et qui avec ses dessins de bambous, suggère une tenue camouflage. Du bricolage! Mais qu’importe, Elisaveta est prête à tout pour faire partie de ce groupes d’hommes et de femmes qui défendent leur patrie, le fameux bataillon Aidar.

François Hollande fait la bise à Elisaveta

Paris. Un autre tournant de la vie de cette jeune femme qui prend les contours d’un destin peu courant. “On m’avait choisie pour un voyage en France, parce qu’ils ont dit que je représentais une sorte de symbole fort des révolutionnaires de Maïdan. Je suis restée six jours, j’ai rencontré François Hollande et Bernard Henry-Lévy “. Ce qu’elle retient de ce voyage qu’elle semble avoir traversé avec la modestie des justes, c’est la chaleureuse accolade du président français. “En Ukraine, les présidents ne nous embrassent pas! “, dit-elle, en riant.

Elle a gardé les photos de ce moment historique et personnel, sur son téléphone portable qu’elle sort habilement de son anorak et manipule avec une agilité déconcertante, compte-tenu de son handicap. A cette époque, elle affiche une coupe de cheveux plus féminine qu’aujourd’hui. Ses cheveux, depuis, ont été coupés à la façon nationaliste, court sur les côtés et avec une sorte de grande mèche qui part du haut du crâne pour aller vers le bas du dos. Pas forcément très seyant mais qui a le mérite de situer la personne, au premier coup d’oeil.

Lisa a gagné, les gens ne la regardent plus

A la guerre, elle habite dans un immeuble abandonné, les toilettes sont à l’éxtérieur. “Pour se laver, on allait chez les gens qui voulaient bien nous accueillir”. La nuit est réservée aux gardes. Qu’elle accomplit avec tout le courage que son corps frêle possède et que l’effroi entrave parfois. “Une nuit, j’ai eu vraiment peur, parce qu’un obus est tombé sur la position, à une centaine de mètres de nous. Les deux garçons ont été réduits en cendre. Il y a des gars du bataillon qui sont partis avec des sachets en plastique, afin de ramasser les cendres, justement. C’était très perturbant mais en même temps, je savais que ma place était là et pas ailleurs, même si j’etais terrifiée”. Des photos, Lisa en a encore. Elle manipule à nouveau son téléphone et s’arrête sur cette image, source de fierté infinie: un panneau, un camion, de la neige à hauteur d’homme et elle, Elisaveta, une kalachnikov dans les bras, tout sourire, la preuve absolue qu’elle ne raconte pas d’histoires: ” Avant je souffrais de mon handicap, aujourd’hui, ce n’est plus le cas, le regard des autres sur moi est différent, il a changé “. Mieux, les gens ne la regardent plus. Elle n’est plus une handicappée. ” Je me dis qu’il n’y a pas de bonheur sans aide du malheur “. Elisaveta est enfin devenue Elisaveta Shaposhnik. Elle est comme tout le monde. Elle sait que désormais le rêve de sa vie, créer une association pour handicapés, est à portée de main. Une victoire que Poutine n’aurait sûrement pas imaginée.

Source : Karen Lajon, pour Le JDD, le 12 février 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-cest-cool-en-ukraine-le-soldat-elisaveta-a-vaincu-son-handicap/