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L’Ukraine, de plus en plus européenne…

Friday 29 January 2016 at 04:10

Dans la famille “l’Union européenne” ça change votre vie, voici aujourd’hui l’Ukraine !

Voici donc un comparatif des salaires bruts mensuels en Chine et en Ukraine, minimaux et moyens :

On voit donc que, contrairement à la Chine, évidemment, l’Ukraine se rapproche de plus en plus de la logique de l’UE… Salaire minimal en 2015 : 46 € bruts par mois (il augmentera un peu en 2016), contre 230 € en Chine…

Comme vous allez me demander, le salaire moyen chinois tourne donc à 56 350 yuans en 2014, et environ 60 000 yuans en 2015, soit avec un yuan à 0,14 euro, on a bien 8400 € soit 700 € bruts mensuels – une grande partie devant cependant être économisée pour la retraite. Et il est très inégalement réparti…

Mais il monte vite, le plan quinquennal chinois prévoit une hausse annuelle du salaire minimal de 13 % par an… Soit un doublement tous les 5 ans à ce rythme. « Le peuple doit être notre priorité, assurer et améliorer son bien-être doit être le point de départ et le but de tout notre travail », avait déclaré Wen Jiabao, le Premier ministre chinois en mars 2011, lors de la présentation du plan quinquennal.

Vous me direz aussi que j’aurais pu faire un graphe en parité de pouvoir d’achat (PPA), mais ce qui m’intéresse ici n’est pas l’analyse du niveau de vie dans ces pays, mais bel et bien l’analyse de l’intensité concurrentielle pour nos emplois – et l’employeur qui délocalise ne s’intéresse en rien aux coûts en PPA, son analyse se base sur ces chiffres…

Et je vous rappelle que depuis le 01/01/2016, nous sommes en libre-échange avec l’Ukraine

Et il n’y a que les Néerlandais qui voteront à propos de cette folie…

Pauvres de nous…

 

Voici aussi au passage l’inflation 2015 en Ukraine…

“L’Europe”, ça vous gagne – et on a compris qu’ici, le peuple n’est pas sa priorité… (c’est l’effet BHL comme en Libye)

Source: http://www.les-crises.fr/lukraine-de-plus-en-plus-europeenne/


[Ukraine] Le jour où les parlementaires ont (de nouveau) sacrifié nos emplois à la globalisation…

Friday 29 January 2016 at 02:00

Et je ne parle même pas des relations avec la Russie pour récupérer le pays quasiment le plus pauvre d’Europe…

Je fais allusion à l’accord d’association UE-Ukraine, qui contient principalement un accord de libre-échange ua niveau économique.

Et cet accord a été ratifié cet été.

Merci à Didier qui nous a fait une belle synthèse des débats

Les débats au Sénat

Les débats sont consultables ici. Mais comme ils sont long, voici la synthèse :

Débat au Sénat préalable à la ratification des accords avec l’Ukraine et la Géorgie. Séance du 7 mai 2015    Florilège

La version gouvernementale :

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes : […] Je me suis moi-même rendu à Kiev, à l’occasion du premier anniversaire de « Maïdan », le 22 février dernier. J’ai alors pu mesurer les attentes des autorités et des citoyens ukrainiens pour qui l’Europe et le lien avec l’Europe sont synonymes d’État de droit, de démocratie, de lutte contre la corruption, de liberté, de solidarité, mais aussi de nouvelles perspectives sociales et économiques. […] La situation reste aujourd’hui très fragile dans l’est de l’Ukraine et de fortes tensions persistent, notamment autour de Donetsk et de Marioupol. Toutefois, le processus de sortie de crise négocié le 12 février à Minsk [...] est aujourd’hui la seule feuille de route pour la paix [et] doit être […] strictement respectée : le cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes, le volet politique concernant le futur statut des régions de l’Est et les élections qui doivent s’y tenir, le respect de l’intégrité territoriale des frontières et de la souveraineté de l’Ukraine.[...] Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux fournisseurs et investisseurs dans le pays, [...] profiteront de l’amélioration attendue de l’État de droit, du climat des affaires, des conditions d’investissement, qui seront facilitées, ainsi que des avancées réglementaires. [...] Cet accord ne porte pas sur une perspective d’adhésion à l’Union européenne. […] La conclusion de cet accord d’association avec l’Union européenne n’implique en aucun cas que l’Ukraine doive renoncer à ses relations avec la Russie. Le partenariat oriental n’est dirigé contre aucun pays et ne vise pas à créer de lignes de fracture sur le continent européen.

Les arguments en faveur des accords :

M. Daniel Reiner (PS), rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : […] C’est la décision du président Viktor Ianoukovytch de suspendre brutalement le processus de négociation [...] qui avait été l’élément déclencheur du soulèvement populaire de Maïdan. Néanmoins, très vite, la protestation a [...] débouché sur une crise politique et internationale aux multiples implications. Le gouvernement provisoire mis en place en février 2014 après le départ de Viktor lanoukovytch a, quant à lui, affirmé très vite son intention d’entériner l’accord. […] L’accord représente également un puissant levier pour moderniser son économie, en incitant à l’instauration d’un environnement favorable à la concurrence et aux investissements dans un pays où la corruption et l’économie informelle sont encore, hélas ! des réalités. […] À lui seul, le conflit à l’Est coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour. Depuis un an, l’activité s’est effondrée, la monnaie ukrainienne a perdu plus de la moitié de sa valeur, les réserves de change ont fortement diminué et le secteur bancaire se trouve largement fragilisé. […] Si l’application de l’accord est susceptible, dans un premier temps, de provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, l’Ukraine bénéficiera, pour certains produits sensibles, d’une asymétrie transitoire, la diminution des droits de douane étant plus rapide pour les exportations ukrainiennes que pour les exportations européennes. Enfin, l’Ukraine bénéficiera sur la période 2014-2020 d’une aide financière européenne […] approchant les 13 milliards d’euros sur la période. […] Il convient aussi de ne pas décevoir les aspirations de la société ukrainienne à l’égard de l’Europe. Néanmoins […] nous ne sommes pas favorables à un élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine.

M. Hervé Maurey (UDI, NC), président du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine. D’une part, cet accord a provoqué des événements politiques et historiques majeurs, parfois dramatiques ; d’autre part, la signature et la ratification de cet accord témoignent d’une volonté politique forte de l’Ukraine de construire son avenir en partenariat avec l’Europe. […] La volte-face du Président Ianoukovitch, à seulement quelques jours du sommet de Vilnius, a déclenché les événements de Maïdan […] Il a en effet fallu attendre que les caméras du monde entier se braquent sur les sacrifiés de Maïdan pour qu’une initiative conjointe des ministres des affaires étrangères français, allemands et polonais permette d’entendre la voix de l’Europe dans le règlement de cette crise. Sitôt installé, en février 2014, le gouvernement intérimaire a réaffirmé sa ferme volonté de parvenir à la signature de l’accord. […] Cet accord, pourtant obtenu de haute lutte, ne règle pas, tant s’en faut, tous les problèmes auxquels l’Ukraine est confrontée. […] Des violences se poursuivent à l’est de l’Ukraine, et, avec plus 6 000 morts à ce jour, ce conflit est le plus meurtrier que l’Europe ait connu depuis les années quatre-vingt-dix. Il entraîne avec lui son lot de violences contre les personnes et les biens, et de violation du droit international. À cet égard, nous ne devons pas oublier les conditions d’annexion de la Crimée. La question du retour des prisonniers n’est pas non plus réglée à ce jour.

M. André Gattolin (EELV) : ce serait une grave erreur que d’ignorer le choix libre d’un peuple européen de se rapprocher de valeurs si chères à l’Union européenne que sont la démocratie, l’état de droit et le respect des libertés fondamentales. […] Une telle intégration économique constitue globalement une réponse adaptée aux impacts provoqués par les embargos russes sur l’économie ukrainienne. […] Cet accord prévoit également une coopération en matière de nucléaire civil. […] Il ne s’agit pas là d’une source d’énergie [...] propre ou sûre. Mais, faute de mieux, [...] cette disposition permettra a minima de réduire les risques, vu le caractère vieillissant du parc nucléaire ukrainien [et] permettra aussi de desserrer le lien de dépendance à l’égard de la Russie en matière d’entretien des centrales nucléaires, en particulier du site de Tchernobyl. [..] La sécurisation du réseau ukrainien de transit de gaz naturel permettra à l’Union européenne de sécuriser son propre approvisionnement énergétique. […]  L’Union européenne et ses États membres doivent à très court terme relever un autre type de défi : [...] contrer les campagnes de désinformation massives actuellement menées par la Russie. L’Union européenne est d’ailleurs très préoccupée par cette manipulation de l’information. Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, élabore en ce moment […] un important plan d’action sur la communication stratégique.

M. Claude Malhuret (UMP). L’accord a déjà eu une conséquence majeure : la très grave crise internationale déclenchée par la Russie, avec la volte-face de Viktor Ianoukovitch, la révolution du Maïdan, la fuite du président ukrainien, l’annexion de la Crimée, l’invasion déguisée de l’est de l’Ukraine par les troupes russes, les sanctions occidentales, la crise économique en Russie, tout cela en quelques mois ! […] Que fait la Russie ? Elle s’abstient soigneusement de répondre aux questions et fait traîner au maximum les discussions. Elle a déjà obtenu le report à 2016 de la mise en place de l’accord. Pendant ce temps, elle continue de saigner l’Ukraine, mois après mois. […] Pour son malheur, l’Ukraine a fait partie pendant soixante-dix ans de l’Union soviétique. Elle est aujourd’hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Moldavie avant elle et peut-être demain les pays baltes, par la politique agressive de Vladimir Poutine, pour qui la chute de l’URSS est « la plus grande catastrophe du XXe siècle ». Nous savons, nous, que la catastrophe ne fut pas la mort, mais la naissance de l’URSS. La Russie aura donc, hélas, manqué par trois fois l’occasion de partager la réussite de l’Europe : au XIXe siècle à cause de l’autocratie tsariste, au XXe siècle en raison de la dictature communiste et au XXIe siècle du fait d’un nouveau nationalisme impérialiste et revanchard condamné à l’échec. Ce qui est étonnant, c’est que le Président russe passe encore souvent pour un stratège. Pendant des années, dans l’affaire syrienne, dans l’affaire iranienne, dans l’affaire géorgienne, on nous a rebattu les oreilles du génie de Poutine, de sa stratégie toujours gagnante contre une Europe impuissante et une Amérique démotivée.

Ce prétendu génie n’était dû qu’au traditionnel retard des démocraties à réagir et à leur aversion aux conflits. Mais l’avantage des démocraties, c’est que, lorsqu’elles prennent conscience du danger, la puissance de leurs institutions et de leur économie entraîne des réponses qui font mal. Alors que nous sommes, avec les sanctions, au bas de l’échelle des réactions possibles, le tigre de papier russe s’est effondré en quelques mois : récession de 5 % en 2015, fuite des capitaux massive, baisse de 30 % des réserves de change, chute du rouble de 40 %, taux de crédit à 17 %. Devant des démocraties qui ne tremblent plus, devant des alliés comme le Kazakhstan et la Biélorussie qui renâclent, car ils ont compris qu’ils risquaient d’être les prochaines victimes, la seule porte de sortie qu’a trouvée le génial Poutine est de se jeter dans les bras de la Chine, dix fois plus peuplée et trois fois plus riche, où Xi Jinping l’a accueilli à bras ouverts et s’est empressé de lui acheter à prix bradé tout le pétrole et le gaz disponible. Génial stratège, et pauvre Russie !

Mon deuxième sujet d’étonnement est que cette politique puisse trouver des soutiens chez nous. N’importe quel observateur objectif ne peut qu’être choqué par l’invraisemblable litanie des violations du droit international et du droit tout court opérées depuis quelques années par la Russie : intervention en Géorgie, soutien aux sécessions de l’Ossétie, de l’Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie, annexion de la Crimée, invasion quasi ouverte de l’est de l’Ukraine, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, violation des espaces aériens norvégiens, finlandais et portugais, envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, menaces contre des navires danois, affirmation publique par Poutine qu’il a envisagé l’utilisation d’armes nucléaires tactiques, augmentation de 30 % du budget militaire, propagande anti-occidentale massive, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, emprisonnement de Navalny et de bien d’autres, exil forcé pour Khodorkovski, Kasparov et tant d’autres, assassinat d’Anna Politkovskaïa, de Litvinenko, de Markelov, d’Anastasia Babourova, de Sergueï Magnitski, de Boris Beresovski, de Boris Nemtsov, plus récemment. Et la liste n’est pas exhaustive !

Pourtant, certains continuent de nier l’évidence. Les plus ardents soutiens de l’autocrate ne surprennent pas. Les extrémistes de droite et de gauche ont un flair infaillible pour renifler les dictateurs et leur faire la courte échelle. De Le Pen à Mélenchon, de Orban à Tsipras, qui gouverne à Athènes avec l’extrême droite et qui recueille les applaudissements du Front national français, c’est à qui gagnera le concours de courbettes. Alors que les troupes russes sont en Crimée et dans le Donbass, ils nous disent que les responsables de la situation sont les Américains. Les autres responsables à leurs yeux sont les dirigeants européens, cette Europe qu’ils haïssent et qu’ils veulent abattre ; cette Europe dont la politique de voisinage propose exactement ce que Poutine, tout comme eux, ne peut supporter : la démocratie, le respect de la loi et des droits de l’homme, le développement économique et la solidarité entre les États membres. Ce qui est navrant, en revanche, c’est le soutien incompréhensible de personnalités appartenant à des formations démocratiques, […] les libres opinions dans les journaux expliquant que la Crimée est russe, comme l’est de l’Ukraine, qu’il faut se dissocier des Américains qui sont des va-t-en-guerre, […]

Toutes ces actions derrière lesquelles la patte de l’ours russe n’est que trop visible me choquent profondément. Les arguments utilisés sont la transcription au mot près de la propagande russe, qui nous explique que « les Ukrainiens sont des fascistes, la nation ukrainienne n’existe pas, l’Ukraine fait partie de la sphère d’influence de la Russie, la Crimée a choisi volontairement son annexion par la Russie, la Russie a été humiliée pendant des années depuis la chute du mur de Berlin et il faut la comprendre ». Je remarque au passage que personne ne semble s’émouvoir de l’humiliation durant des décennies, ô combien plus grave, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois et de toutes les autres victimes de l’occupation soviétique, à commencer par les Ukrainiens. Les thuriféraires de Poutine ne se donnent même pas l’élégance d’habiller, au moins en façade, la propagande russe. […] Les nazis disaient vouloir défendre les minorités allemandes dans les Sudètes comme Poutine prétend vouloir défendre les « Russes ethniques » en dehors de la Russie. […]  Les sanctions sont une décision délicate ; elles ont un coût pour nous-mêmes. Pourtant, il fallait les décider, et il faut s’y tenir sans écouter les sirènes qui nous disent qu’elles n’ont aucun effet alors qu’à l’évidence leur effet est majeur. L’arrêt désormais assumé de la vente des Mistral est un acte courageux, qu’il faut soutenir.

Le fait que nous n’ayons jamais autant engrangé de contrats d’armement est d’ailleurs le meilleur démenti aux porte-voix de Poutine qui martelaient l’argument selon lequel notre crédibilité commerciale était en jeu. […] L’Ukraine est devenue un piège pour Poutine. Ses propres erreurs lui ont déjà infligé trois défaites. La première, qu’il n’avait pas prévue, fut la chute de Ianoukovitch et le printemps de Maïdan. La deuxième défaite fut que l’Ukraine soit très largement unie et capable de se battre, ce qu’il n’avait pas prévu non plus. Et la troisième défaite, encore moins prévue tellement est grand son mépris pour les Européens, fut que l’Europe soit capable de réagir. […] Que l’Europe reste unie, et unie avec les États-Unis. […] Un point dans ces accords est un véritable trou noir : l’impossibilité de contrôler la frontière russo-ukrainienne par où passent chaque jour – c’est un secret de Polichinelle – de nouveaux soldats et de nouvelles armes russes en prévision d’éventuels combats, à Marioupol par exemple.

Mme Gisèle Jourda (PS). Dès 2011, l’Ukraine a été fortement incitée par la Russie à rejoindre l’Union eurasiatique avec la Biélorussie et le Kazakhstan et surtout sa fameuse union douanière, incompatible avec la zone de libre-échange approfondi négociée avec l’Union européenne. […] Oui, l’Ukraine se bat pour l’Europe ! Le soulèvement populaire de Maïdan l’illustre parfaitement, tout comme la signature de cet accord. […] Pour la jeunesse ukrainienne, c’est un puissant symbole, un signe d’espérance et d’espoir. Pour Raphaël Glucksmann, conseiller de l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili, « ces documents incarnent l’Europe, la possibilité ou l’impossibilité d’un avenir ».

M. Jean-Yves Leconte (PS). Lorsque le Président Ianoukovitch a finalement refusé de signer l’accord d’association, la population s’est mobilisée pour protester, malgré les pressions russes qui commençaient à peser sur l’économie du pays. [...] Elle ne supportait plus le système kleptocratique et elle voyait en l’Europe une garantie de l’État de droit. Après le départ du Président Ianoukovitch, le pays a dû faire face, d’une part, à la plus grande violation du droit international en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – l’annexion de la Crimée – et, d’autre part, à une déstabilisation majeure. […] En raison de la situation de guerre dans le pays, les promesses de Maïdan semblent bien loin. La situation sociale est explosive, l’économie est totalement bloquée, l’oligarchie est toujours très présente et, en raison du conflit, les forces armées occupent une place très importante dans la société. Par ailleurs, il ne faut pas se le cacher, il y a des enjeux en termes de liberté d’expression. [….] Cet accord s’inscrit dans l’esprit de 1989, de la chute du mur de Berlin, des combats menés durant toute leur vie politique par Charles de Gaulle, Willy Brandt ou François Mitterrand pour sortir l’Europe du joug de Yalta, du joug totalitaire et faire en sorte que les peuples décident de leur avenir. […] L’histoire nous a montré que, lorsque la France et la Russie sont opposées, c’est l’ensemble de l’Europe qui est malade. Cette conviction historique ne doit pas nous empêcher de nous manifester quand la Russie commet l’inacceptable.

M. Alain Néri (PS). Évidemment, cet accord ne doit en aucun cas être interprété comme une perspective donnée à l’Ukraine d’adhérer à l’Union européenne ou à l’OTAN. Il précise d’ailleurs clairement qu’il n’est pas incompatible avec une participation à l’Union eurasiatique qui prend forme autour de la Russie. 

OB : C’est triste une bêtise pareille, le type n’a pas l’air d’avoir réfléchi que quand un pays appartient à 2 zones de libre-échange, il n’y a pratiquement plus qu’une seule zone de libre-échange…

Arguments défavorables aux accords :

M. Michel Billout (PCF, opposé aux accords). Le refus par un gouvernement pro-russe de le signer a été à l’origine de la guerre civile et de la quasi-partition du pays en 2013. […] Nos actes auront inévitablement des répercussions sur l’évolution de la situation dans la région. […] Force est de constater que les représentants européens se sont montrés particulièrement prudents. […] C’est cette prudence de l’Union européenne qui explique la prise en compte assez large, pendant le sommet, des préoccupations des Russes en termes aussi bien d’approvisionnements gaziers que d’application du processus de paix dans le Donbass. En revanche, l’Union européenne a exigé des Ukrainiens des engagements substantiels en faveur des accords de Minsk, et ce malgré les violations du cessez-le-feu qui s’intensifient dans le Donbass. Dans un tel contexte, où le gouvernement ukrainien joue manifestement un rôle ambigu, est-il opportun de ratifier si rapidement cet accord ? La procédure accélérée [...] est assez inhabituel[le] pour les accords internationaux de ce type. […] Dans quelle mesure cette ratification par le Parlement français contribuera[-t-elle], ou non, à trouver une solution politique à la crise actuelle [?]

De plus, le contenu même de l’accord [...] nous paraît critiquable. […]  La stratégie de l’Union européenne, dite de politique de voisinage, […] au lieu de mettre en place chez nos voisins des politiques de coopération sur une base d’égalité et de réciprocité, vise en réalité à étendre la zone d’influence de l’Union européenne par le biais d’une libéralisation économique. […] En Ukraine, cette politique, en démantelant progressivement la structure étatique de l’économie et en favorisant la mise en coupe réglée des principaux secteurs stratégiques de l’industrie par des oligarques qui se sont partagé le pouvoir, a pris en otage la population, lui faisant subir des réformes ultralibérales dévastatrices ! Les Russes, de leur côté, ont perçu cette stratégie, qui vise de fait à instaurer un rapport de force, comme une menace directe [...]. N’entrons donc pas dans ce jeu, où l’Ukraine tient le rôle de tête de pont de l’économie libérale ! Notre pays gagnerait à ne pas s’inscrire dans une telle stratégie, qui veut isoler la Russie, sur fond de sanctions économiques et de surenchères militaires auxquelles la Pologne et les États-Unis poussent en permanence. […] Les événements récents nous ont montré que le rapprochement économico-institutionnel avec l’Union européenne n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser la situation dans cette région. […] La ratification de l’accord par notre pays nous semble prématurée.

M. Alain Bertrand (PS, s’abstient). Il reste encore beaucoup à faire pour que ces pays amis se hissent au niveau de nos standards européens, malgré les difficultés que nous connaissons.[...]  Il faut encourager le développement économique de ce pays, qui dispose d’atouts et d’un formidable potentiel, [...] par exemple [les] ressources minérales ou l’agriculture. L’Ukraine offre à l’évidence des perspectives d’investissements et de commerce importantes pour ses voisins. Mais le climat des affaires devrait être plus serein. […] L’Ukraine figure malheureusement en queue de peloton dans le classement sur la corruption. […] La Rada a adopté une stratégie anti-corruption pour 2014-2017, et les services de sécurité ont été largement réformés. Mais l’assassinat d’un député et d’un journaliste au mois d’avril dernier témoigne tragiquement des difficultés actuelles. […] Le conflit a fait plus de 6 000 morts. De nombreuses personnes ont été déplacées. […]

Nous pouvons légitimement nous interroger sur la stratégie du Gouvernement visant à engager rapidement la procédure de ratification […]. Personne n’ignore le fond du sujet : sa portée politique à l’égard de la Russie, qui s’inquiète de la concurrence exercée par l’Union européenne au détriment de l’Union économique eurasiatique et d’une potentielle avancée de l’OTAN vers l’Est. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’esprit de nos amis russes, et il convient de le prendre en considération. Notre diplomatie doit aussi se soucier de l’équilibre à trouver entre l’Europe, qui regarde légitimement vers l’Est, et la Russie, qui souhaite tout aussi légitimement conserver une aire d’influence, conformément à son histoire et à son poids sur la scène internationale. […] L’Ukraine constitue évidemment un point névralgique […] La Russie souhaite en faire une zone neutre, une zone tampon. D’ailleurs, l’Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. La révolution de la place Maïdan en a été l’illustration. Si le pouvoir actuel est pro-occidental aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Les liens historiques et culturels entre l’Ukraine et la Russie sont très forts ! […] À l’égard de la Russie, il sera opportun d’éviter les provocations telles que les entraînements militaires de l’OTAN à proximité des frontières russes. Enfin, l’Union européenne doit définir collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre dans sa relation avec la Russie, afin d’éviter de bâtir des murs d’incompréhension qui obscurciraient l’avenir des peuples.

M. Pascal Allizard (UMP, favorable aux accords). Le conflit est à l’origine de mesures et de sanctions de l’Europe à l’égard de son grand voisin russe, qui y répond par d’autres sanctions. Cette spirale funeste doit être arrêtée. Certes, c’est d’abord l’annexion de la Crimée qui est à l’origine de ces sanctions, mais cela fait déjà plusieurs années que nous savons que la politique européenne dite du « Partenariat oriental » va dans le mur. D’abord, elle coûte cher. Nous avons dépensé des milliards d’euros dans la politique de coopération sans vraiment savoir à qui étaient destinés les fonds. [E]lle repose sur une vision manichéenne et technocratique [qui] a placé les anciens pays du bloc soviétique dans une position trop difficile : choisir entre l’Union européenne ou l’Union eurasiatique proposée par la Russie, sachant que choisir l’un implique de rejeter l’autre. Quelle maladresse dans une zone où les identités, produits d’une histoire tourmentée, peuvent être multiples ! […] Deux langues sont communément employées en Ukraine : l’ukrainien et le russe. Si l’ouest est naturellement tourné vers l’Europe, la majorité des échanges de l’est du pays ont continué de se faire avec la Russie, même après l’indépendance de l’Ukraine, les populations des régions frontalières étant intimement liées. C’est pourquoi il faut que le Partenariat oriental évolue. Il doit mieux prendre en compte la position d’un partenaire aussi important que la Russie. Ne soyons pas candides, rien de durable ne pourra se construire dans cette région sans relations normalisées avec les Russes. Cela n’implique pas un renoncement aux valeurs et principes de l’Europe.

 

Mme Nathalie Goulet (UDI, AC, favorable aux accords). Pour faire partie de la commission Ukraine au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je sais l’importance de ce pays pour la sécurité de l’Europe. Personne n’a oublié le nuage de Tchernobyl… […] Le président de la commission des droits de l’homme, M. Rabinovitch, [...] a longuement insisté sur le problème de la corruption. Il est donc indispensable de veiller au bon usage de ces fonds. […] Il faut également parler des droits de l’opposition. Il existe bien une Constitution, mais celle-ci n’est pas respectée. […] Le fait que le gouvernement compte des membres qui ne sont pas de nationalité ukrainienne contribue à rendre plus complexe l’appréciation de la situation politique.

Extrait de dialogues :

M. Pascal Allizard (UMP). Je souhaite néanmoins que cette économie de marché ne soit pas accaparée par quelques oligarques de l’ancien système,…

M. Alain Néri (PS). Très bien !

M. Pascal Allizard (UMP). … reconvertis dans les affaires, comme cela a pu se passer dans d’autre pays. L’Europe devra y veiller attentivement pour que les Ukrainiens ne soient pas dépossédés des fruits du développement.

 

Les débats à l’Assemblée

Les débats sont consultables ici. Mais comme ils sont long, voici la synthèse :

Débat à l’Assemblée nationale préalable à la ratification des accords avec l’Ukraine et la Géorgie. Séance du 25 juin 2015    Florilège

La version gouvernementale :

Mme Annick Girardin (PRG), secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. Très similaires, ces accords visent à établir une « association politique et une intégration économique » entre l’Union européenne et, respectivement, l’Ukraine et la Géorgie. Ils constituent de puissants leviers de modernisation et de réforme au service des citoyens ukrainiens et géorgiens, et dans l’intérêt de la stabilité du voisinage de l’Union. Les accords d’association permettent [de] renforcer le dialogue politique et la coopération en matière de réformes intérieures, de politique extérieure et de sécurité, dans un large éventail de domaines d’intérêt communs. Ce dialogue est fondé sur les valeurs et principes fondamentaux de l’Union européenne, à commencer par le respect des valeurs démocratiques, des droits de l’Homme, de l’État de droit, de la bonne gouvernance et du développement durable. […] Alors que l’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Ukraine – 31 % des échanges commerciaux –, comme de la Géorgie – 27 %[, l]’accord permettra en effet à terme une libéralisation quasi-totale des échanges, assortie d’un calendrier de diminution des droits de douane, calendrier asymétrique afin de prendre en compte les différences de développement économique entre l’Union et ses partenaires. […] Les entreprises françaises, qui comptent parmi les principaux fournisseurs et investisseurs dans ces pays,[...] profiteront de l’amélioration attendue de l’État de droit, de conditions d’investissement facilitées ainsi que des avancées réglementaires […] par exemple en matière de protection des indications géographiques. […] Ces accords ne prévoient pas de perspective d’adhésion à l’Union européenne. […] Pour la France, comme pour l’Union européenne, la conclusion de ces accords d’association avec l’Union européenne n’implique en aucun cas que l’Ukraine et la Géorgie doivent renoncer à leurs relations avec la Russie. Les accords ne les remettent nullement en cause. […] En apportant votre soutien et votre approbation à ces textes, vous témoignerez de l’amitié profonde qui lie la France et ces pays. Vous soutiendrez le développement de ces pays dans le cadre d’une relation nouvelle qu’ils ont souhaitée avec l’Union européenne et contribuerez à renforcer la stabilité et la paix aux frontières de l’Union européenne.

La vision des partisans :

M. Jean-Pierre Dufau (PS), rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Ces pays ont en commun d’avoir engagé un effort considérable pour se rapprocher des standards démocratiques et économiques européens. […] Leurs peuples se sont battus et ont versé leur sang – la dernière fois, sur la place Maïdan. Ces pays ont aussi en commun d’avoir perdu le contrôle d’une partie de leur territoire et d’être de ce fait en situation de confrontation plus ou moins ouverte avec la Russie.

S’agissant de la Géorgie, chacun se souvient que depuis son indépendance, ce pays est confronté au séparatisme de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Ce fut même la cause en 2008 d’une guerre russo-géorgienne. […] L’arrivée au pouvoir en 2012 et 2013 de dirigeants moins hostiles à la Russie a permis un apaisement entre les deux pays [...]. Cependant, le dossier n’a connu aucune avancée sur le fond, bien au contraire […]. Cet hiver, la Russie a en effet signé des traités avec les soi-disant gouvernements des deux régions séparatistes, traités qui reviennent de fait à les intégrer à la Russie du point de vue économique et sécuritaire, ce qui est évidemment inacceptable pour la Géorgie. Dans ce contexte, la Géorgie a, depuis une décennie, fait le choix de l’Europe, ainsi que celui de se rapprocher de l’OTAN. Elle a mené de nombreuses réformes qui, même si tout n’est pas parfait, lui ont assuré des succès économiques relatifs et qui, aujourd’hui, en font certainement l’un des plus démocratiques des pays issus de l’ex-URSS. […] De même, la lutte contre la corruption a produit des résultats significatifs.

J’en viens à l’Ukraine. [...] La crise politique au niveau central, qui a culminé en février 2014 sur la place Maïdan, est pour le moment surmontée. J’entends par là que l’Ukraine a actuellement un président, M. Porochenko, qui a été largement élu […] et un Parlement, démocratiquement issu des élections d’octobre dernier et comportant une très forte majorité proeuropéenne. Cela rompt avec la période précédente où le pays était profondément clivé entre sa partie occidentale, très nationaliste et proeuropéenne à la fois, et sa partie orientale et méridionale, largement russophone. L’Ukraine est aujourd’hui plus unie qu’elle ne l’a jamais été – si l’on fait naturellement abstraction de la Crimée et du Donbass. […] Les combats se sont apaisés depuis les accords de Minsk 2 en février dernier, mais ils n’ont jamais cessé. La situation économique et humanitaire est très difficile, même si le pays ne connaît ni la famine ni les camps de réfugiés qui existent ailleurs. […] Ce pays ne traverse pas seulement une crise nationale, mais aussi une crise économique très grave. En 2014 et 2015, le PIB ukrainien devrait connaître une baisse cumulée de 12 % à 15 %. La monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur face à l’euro et au dollar. Le déficit public est de l’ordre de 10 % du PIB si l’on tient compte de l’entreprise publique gazière Naftogaz, et le ratio entre la dette publique et le PIB est passé de 40 % à 94 % entre 2013 et 2015.
Face à cela, l’Ukraine bénéficie d’aides internationales massives, notamment du FMI et de l’Union européenne. Au total, l’aide internationale s’élèverait à 41 milliards de dollars d’ici 2018, soit l’équivalent de la moitié du PIB annuel de l’Ukraine. […] L’Ukraine s’est engagée dans un ensemble très complet de réformes politiques et économiques qui touchent de nombreux domaines : réforme constitutionnelle, décentralisation, indépendance de la justice et des médias, lutte contre la corruption, marchés publics, marché de l’énergie, banques ou encore privatisations. […]  Il s’agit de se conformer aux standards européens afin que l’Ukraine soit en mesure de présenter une candidature à l’Union européenne en 2020. […] Chacun de ces accords est aussi un accord de libre-échange dit « complet et approfondi » tel que le promeut la politique commerciale de l’Union […] : les droits de douane doivent être supprimés sur la quasi-totalité des flux commerciaux – entre 98 % et 100 % selon les cas. [...] […]  Leur préambule est explicite : compte tenu de la forte demande exprimée par l’Ukraine et par la Géorgie […] il reconnaît certes « l’identité européenne », les « aspirations européennes » ou encore la situation de « pays européen » des deux pays.

Mme Élisabeth Guigou (PS), présidente de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires étrangères s’est beaucoup impliquée [...] dans le suivi des événements en Ukraine, qui ont provoqué plus de 6 400 morts et 16 000 blessés, et qui ont obligé près de deux millions de personnes à abandonner leur logement. Nous ne pouvons pas non plus oublier les épreuves que la Géorgie a traversées en 2008 et le fait que son intégrité territoriale est affectée par le séparatisme des régions d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie.

L’approbation de ces accords d’association est une manière de saluer la mémoire de tous ceux qui, en Ukraine comme en Géorgie, ont lutté pour que leur pays s’engage sur la voie des réformes.

[…]  Les intentions des gouvernements ukrainien et géorgien sont tout à fait claires et affichées. S’agissant de l’Union, leur objectif avoué est de mettre leurs pays respectifs en position de présenter leur candidature d’ici quelques années. Pouvons-nous écarter d’emblée ces futures candidatures ? Je crois que l’idéal européen et les traités européens ne nous le permettent pas.  Mais pouvons-nous attendre tranquillement que des candidatures se déclarent sans nous soucier du contexte géopolitique ? Ce serait aller de nouveau au devant d’une crise grave. […] La Russie est un partenaire économique et politique majeur. Il faut maintenir le dialogue afin, espérons-le, lorsque la crise en Ukraine sera surmontée, dans le respect de son intégrité territoriale, de construire ce partenariat Union européenne-Russie que nous appelons de nos vœux.

Mme Danielle Auroi (EELV, vice-présidente du groupe d’amitié France/Etats-Unis), présidente de la commission des affaires européennes. […]  L’application de l’accord de Minsk 2 demeure difficile et la situation n’est pas encore stabilisée, loin s’en faut. […]  Le cessez-le-feu n’a jamais été parfaitement respecté et l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, n’a pas les moyens de surveiller de façon draconienne l’immense territoire […]. Des problèmes demeurent, ne serait-ce que la question des prisonniers, en particulier des prisonniers ukrainiens en Russie. Il subsiste une dizaine de « points chauds » où les tirs d’artillerie lourde n’ont jamais cessé, occasionnant des pertes humaines quotidiennes parmi les forces loyales ukrainiennes comme parmi la population civile. Le niveau d’inquiétude est remonté d’un cran, début juin, avec le déclenchement par les séparatistes à Marinka, au sud-ouest de Donetsk, d’une attaque d’une violence sans précédent depuis la mi-février.

Les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud [...], qui représentent environ 20 % de la superficie du pays et sont majoritairement peuplés de russophones, ont en effet obtenu leur indépendance de fait il y a sept ans, suivant, me semble-t-il, une logique du même type que celle qui a conduit à l’annexion de la Crimée. Ces événements ont poussé le pays à se tourner vers l’Union européenne, qui est désormais son premier partenaire commercial.

M. Philippe Baumel (PS). […] L’étymologie« U-Kraïna », littéralement le pays de des confins, rappelle qu’elle a toujours été tiraillée entre plusieurs influences, polonaise ou russe, orientale ou occidentale, comme en témoigne son histoire. [...] En raison de l’annexion de la Crimée par la Russie et de la perte de contrôle d’une partie de la région du Donbass, l’Ukraine est confrontée à une crise majeure et doit relever simultanément un défi économique immense. […] Ce matin même, la Russie se prétendait impuissante à bloquer les volontaires russes qui partent au combat. L’Union européenne a donc décidé dès lundi de prolonger jusqu’en 2016 les sanctions économiques visant la Russie dont le rôle dans le conflit ukrainien n’est malheureusement plus à démontrer. […] Nous connaissons le rôle de l’accord d’association dans la crise politique ukrainienne. Le refus de l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovytch de le parapher en novembre 2013 a été à l’origine de manifestations ayant mené à la « révolution de la dignité » ou de Maïdan en février 2014. Le nouvel exécutif ukrainien a aussitôt repris la négociation de l’accord d’association qui a été ratifié le 16 septembre 2014. Celui-ci n’est évidemment pas responsable de la situation actuelle dont les racines profondes sont d’abord à chercher dans les divisions internes du pays, dans sa mauvaise gouvernance, en particulier au cours des années ayant précédé la récente révolution, et dans l’attitude de la Russie. […]

M. François Rochebloine (UDI). L’Ukraine subit encore de plein fouet les effets de la crise avec la Russie et les événements, malgré la signature des accords de Minsk II , ne sont toujours pas pacifiés. En dépit du cessez-le-feu, elle doit encore faire face aux forces russes, et, depuis la mi-mars, la situation s’est hélas à nouveau dégradée. La prolongation des sanctions de l’Union européenne contre la Russie en atteste.

M. Rémi Pauvros (PS, président du groupe d’amitié France/Ukraine). […]  L’accord d’association avec l’Ukraine […] est le fruit d’un combat douloureux mené depuis plusieurs mois par de nombreux citoyens ukrainiens, un combat pour la liberté et pour la démocratie. C’est avec beaucoup d’émotion que je souhaite ici saluer ce combat, car c’est l’esprit du mouvement de Maïdan qui résonne aujourd’hui dans cet hémicycle, l’esprit de ce mouvement né à Kiev par la volonté de citoyens ukrainiens qui se sont insurgés contre les velléités du président ukrainien de l’époque de s’opposer à la signature de cet accord d’association, un mouvement qui a porté haut et fort la voix des citoyens ukrainiens aspirant à un idéal européen de liberté, de démocratie et de modernité.

La vision des opposants :

M. Nicolas Dhuicq (UMP, président du groupe d’amitié France/Russie). Le groupe Les Républicains, ex-UMP, votera ces textes mais nous serons nombreux, issus en particulier de la famille gaulliste, à nous opposer résolument à ce type de provocation. Car c’est bien de provocation qu’il s’agit ! Quelle est la situation actuelle ? Les 1 200 entreprises françaises installées dans la Fédération de Russie, avec laquelle l’Occident a systématiquement refusé depuis le 11 septembre 2001 toute coopération sérieuse, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme, en ont assez des sanctions dont elles sont les premières à souffrir ! Comme le montre bien l’exemple de l’ancien chancelier Schröder qui travaille désormais pour Gazprom, l’Allemagne a parfaitement compris la situation et ses échanges économiques ne faiblissent pas. Pire encore, nous sommes passés derrière les entreprises italiennes au sein de la Fédération de Russie et nos banques timorées n’osent pas prêter à nos entreprises, tant aux grands groupes comme Total qu’aux PME, uniquement par peur des mesures de rétorsion des banques américaines ! Telle est la situation actuelle ! Il faudrait au moins cinquante milliards d’euros pour reconstruire l’économie ukrainienne. Avons-nous l’argent nécessaire ? L’Union européenne abondera-t-elle en monnaie sonnante et trébuchante l’économie de nos frères ukrainiens ? Que nenni ! […]

Et puisqu’il est question de valeurs européennes, qui ici s’interrogera sur la situation du président Porochenko dont la fortune personnelle a été multipliée par trois ou quatre depuis les derniers événements et qui commerce directement ou indirectement avec la Fédération de Russie à titre personnel ? Qui, dans cet hémicycle, s’interrogera sur son gouvernement, issu d’un véritable coup d’État, et sur l’action des services secrets à Maïdan, en particulier ceux de Varsovie ? […] Qui mènera les enquêtes sur certains assassinats perpétrés à Maïdan ? Qui s’interrogera sur la présence dans le gouvernement de M. Porochenko de trois ministres qui étaient encore de nationalité américaine trois jours à peine avant d’être nommés et dont l’un travaillait pour le département d’État ? […] Il s’agit, nous dit-on, d’ouvrir en grand les portes d’un libre-échange censé résoudre tous les problèmes alors que prévaut une situation de guerre civile dans laquelle des familles sont torturées et divisées de chaque côté de la frontière, dont certaines, russes orthodoxes, souhaitent dans leur âme profonde être rattachées à la grande patrie russe !

Mme Pascale Crozon (PS, favorable aux accords). Incroyable !

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Tant que nous n’aurons pas compris cela, nous nous tromperons sur l’Ukraine ! Tant que nous n’aurons pas parlé librement ici de la division Galicia de triste mémoire, qui massacra Polonais et Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et continue aujourd’hui à y défiler en uniforme officiel, nous nous tromperons sur l’Ukraine ! Qui vous parlera ici de ces affiches de propagande du gouvernement ukrainien appelant à écraser le cafard russe ? […] Plus cocasse, l’accord proposé avec la Géorgie. Qui ici dira que M. Saakachvili, qui lança son pays dans une opération funeste, dans une aventure terrible, a été nommé citoyen ukrainien et est désormais gouverneur de la ville et de l’oblast d’Odessa ?

Mme Pascale Crozon (PS, favorable aux accords). Et que voulez-vous qu’on y fasse ?

M. Nicolas Dhuicq (UMP). N’est-ce pas là un motif majeur d’interrogation ? Comment se fait-il que l’ancien président géorgien soit désormais ukrainien et administre une ville ukrainienne ? Ne pensez-vous pas, mes chers collègues, que ces accords sont une véritable provocation ? Que l’Ukraine, zone frontière, anciennement possession du royaume polono-lituanien, anciennement frontière du tsar, a toujours vocation à être une zone frontière entre la Fédération de Russie et nous ?

M. André Chassaigne (PCF).

En 2009, l’Union européenne lançait les négociations en vue d’un accord d’association avec l’Ukraine, la Géorgie et quatre autres pays de l’espace post-soviétique. Quatre ans après, l’interruption de ce processus de négociation par le président Ianoukovitch, sous la pression de la Russie, mettait l’Ukraine à feu et à sang, conduisant à une guerre civile et une quasi-partition de ce pays, qui a causé 6 000 victimes et réduit un million de personnes à l’état de réfugiés. C’est à l’aune de ce processus dramatique que nous devons aujourd’hui nous interroger sur le bien-fondé d’un nouvel accord et, plus largement, sur le rôle que la France peut jouer dans la stabilité de cette région. […] Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Dufau souligne à juste titre – je cite – « le rôle déclencheur qu’a joué la question de l’accord d’association dans la crise politique […] que traverse l’Ukraine ». […]

En ratifiant cet accord, ne prenons-nous pas le risque d’envenimer le conflit ukrainien et les séparatismes géorgiens ? Car, malgré la signature des accords de Minsk 2 en février dernier, le cessez-le-feu demeure précaire dans une région située au cœur d’un affrontement géopolitique ancien et vivace entre l’ancien espace soviétique et l’OTAN. En 1994, la Russie s’était engagée à s’abstenir de toute menace ou pression économique sur l’Ukraine en vue d’influencer sa politique, par le mémorandum de Budapest, également signé par les États-Unis. Cet accord garantissait l’indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières, un principe que nous devons défendre avec la plus grande fermeté. Puis en 1997, l’acte fondateur OTAN-Russie avait défini un modus vivendi entre les deux blocs militaires, l’OTAN s’engageant à ne pas déployer d’armements nucléaires chez ses futurs membres. Cet équilibre a été rompu, les engagements bafoués de part et d’autre, et l’Ukraine, comme la Géorgie, sont devenus le terrain d’affrontement des grandes puissances. Les États-Unis portent une responsabilité première de cette situation pour n’avoir jamais renoncé à étendre la sphère d’influence du bloc atlantique. Si l’OTAN a perdu sa raison d’être avec la fin de l’URSS, elle a pourtant poursuivi sans frein sa doctrine stratégique impérialiste, profitant de chaque faiblesse russe pour avancer ses pions.

Ce furent les adhésions de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne en 1999, puis celles de la Bulgarie, de la Slovaquie, des pays Baltes, de la Roumanie et de la Slovénie en 2004. Et que dire du projet d’adhésion de l’Ukraine, ravivé périodiquement par l’OTAN, notamment par Bush en 2008 ? La Russie de Poutine, obnubilée par son désir de puissance, n’espérait pas tant pour justifier sa politique de « grande Russie ». Aujourd’hui, tous nos efforts doivent converger pour refuser un embrasement géopolitique dont l’Europe serait la première victime. La mère des menaces, c’est évidemment la militarisation du conflit ukrainien et de l’ensemble de l’espace post-soviétique. Fort heureusement, l’accord de Minsk y a mis un coup de frein, mais il est impératif que nous obtenions des autorités russes la fin des livraisons d’armes aux insurgés. Dans le même temps, la France doit peser de tout son poids pour empêcher les provocations aux frontières russes. L’installation, en février dernier, de six nouvelles bases de l’OTAN, dotées de 40 000 hommes, entre la Baltique et la mer Noire, ne fait que contribuer à l’escalade, et les démarches engagées en décembre dernier par les nouvelles autorités ukrainiennes pour rejoindre l’Alliance atlantique risquent de conforter – je dis bien : conforter – la Russie dans son sentiment d’isolement. […]

Dans ce contexte géopolitique brûlant, les accords d’association entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Géorgie seront inévitablement interprétés comme un nouveau pas vers le rattachement de l’espace post-soviétique au bloc atlantique. […]  Est-il bien raisonnable de se prêter à un tel engrenage ? Est-ce le rôle de la France ? […] Il est bien difficile de ne pas interpréter le partenariat oriental lancé par l’Union européenne comme une prolongation de l’entreprise du bloc atlantique en matière économique. […]  Il s’agit d’ancrer l’Ukraine dans une économie de marché totalement déréglementée et, en contrepartie, de lui fermer les portes de l’économie russe, ce qui a déjà fait chuter, sur un an, le PIB ukrainien de 17,6 % et sa monnaie de 70 %. Si le peuple ukrainien voit l’Europe comme l’horizon d’une vie meilleure, ces mesures préparent des lendemains qui déchantent pour la majorité et, à n’en pas douter, de formidables profits pour une nouvelle caste d’oligarques ukrainiens. […]  En échange de 25 milliards de dollars d’aide, le FMI, la BCE et la Commission européenne – aujourd’hui, l’évocation de ces institutions éveille chez tout le monde la même pensée – souhaitent ainsi la libéralisation des entreprises publiques – notamment dans l’énergie – le gel des salaires et la baisse des dépenses publiques, un scénario à la grecque, en somme, qui produira le même marasme économique et les mêmes effets dévastateurs pour la population ukrainienne. Nous ne pouvons que déplorer que l’Union européenne se fasse ainsi le héraut d’un capitalisme sauvage.  […]

Nous ne pouvons passer sous silence les dérives réactionnaires qui travaillent le gouvernement ukrainien de l’intérieur. Le président Porochenko entend réécrire l’histoire au profit des forces nationalistes et fascistes qui ont collaboré avec l’armée nazie. […] En retour, le parti communiste, et tout ce qui a trait au communisme, pourrait prochainement être interdit et condamné à la clandestinité, comme aux pires heures de l’histoire. Enfin, les relents antisémites trouvent à s’exprimer comme jamais. […] Comment la France pourrait-elle apporter un blanc-seing à ces égarements ? […] C’est pourquoi nous regrettons que les pas de notre diplomatie se soient, sur d’autres dossiers – j’insiste sur ces mots – placés dans ceux des Américains…alors que l’intérêt de la France n’était pas celui-là. […] Trop souvent, notre politique étrangère a mis de côté les autorités russes : je pense à la crise syrienne, aux négociations sur le nucléaire iranien, mais aussi au boycott impensable des célébrations du soixante-dixième anniversaire de la victoire sur le nazisme à Moscou, vécu comme un véritable affront par le peuple russe. […] Enfin, la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l’OTAN, qui n’a pas été remis en cause par ce gouvernement, a affaibli notre indépendance nationale.

1er extrait de dialogues :

Mme Chantal Guittet (PS). Plusieurs raisons me conduisent à soutenir ces accords d’association. En premier lieu, ce rapprochement fait écho à une volonté exprimée à la suite de deux révolutions : celle de Maïdan, qui a eu lieu en février 2014,…

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Coup d’État !

Mme Chantal Guittet (PS). … et la révolution des roses de novembre 2003 en Géorgie.

M. Nicolas Dhuicq (UMP). Coup d’État !

Mme Chantal Guittet (PS). Elles ont amené au pouvoir des gouvernements pro-européens qui ont fait le choix stratégique du rapprochement avec l’Union européenne.

2nd extrait de dialogues :

Mme Annick Girardin (PRG), secrétaire d’État. Les atteintes à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ne peuvent rester sans réponse. Le régime de sanctions décidé par l’Union européenne est calibré, temporaire et peut être adapté à tout moment à l’évolution de la situation politique. […] Les choses sont claires, monsieur Chassaigne : l’Ukraine et la Géorgie doivent pouvoir choisir souverainement leur avenir.

M. André Chassaigne (PCF). Tout comme la Grèce !

Eh oui, seuls 10 % des présents ont voté contre (ce n’est pas très grave qu’ils n’étaient que 18, ça marche comme ça, ils se spécialisent. Ils auraient été 1 800, il y aurait eu 1 600 oui et 200 non, ça ne changeait rien. On a d’ailleurs vu avec les débats que la fine fleur intellectuelle du Parlement s’était mobilisée… heum heum)

Merci pour nos emplois en tous cas…

N’hésitez en tous cas pas à contacter les députés pour leur demander des explications…

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-le-jour-ou-les-parlementaires-ont-de-nouveau-sacrifie-nos-emplois-a-la-globalisation/


Une lettre du grand-père d’Assad à Léon Blum de 1936 prévoyait déjà le massacre des minorités par les musulmans

Friday 29 January 2016 at 00:15

Je suis retombé sur cette intéressante analyse de 2012…

Source : The Jewish Press, 20-09-2012

En 1936, Souleiman Assad, l’arrière grand-père de Bachar el-Assad, le dictateur syrien en difficulté, a averti la France des dangers d’une prise de contrôle par l’Islam sunnite.

Par le professeur Mordechai Kedar (Docteur en philosophie de l’université Bar-Ilan, c’est un Israélien) a servi pendant 25 ans dans les renseignements militaires des forces armées israéliennes et s’est spécialisé dans le discours politique arabe, les médias arabes, les organisations islamiques et la scène nationale syrienne. Il donne des conférences en arabe à l’université Bar-Ilan et est un expert des Arabes-Israéliens.

 

Le président syrien Bachar el-Assad menace du doigt — encore

Je commencerai par une note personnelle. Depuis le début des pogroms en Syrie il y a un an et demi, j’ai écrit à maintes reprises dans mes articles sur cette honorable scène, que les alaouites allaient se comporter avec cruauté, dureté et une totale insensibilité envers leurs opposants, parce qu’ils sont conscients de combattre non seulement pour garder entre leurs mains le contrôle du régime, mais aussi — et surtout — pour garder leur tête posée sur leurs épaules. Mon propos était une analyse, fruit d’une très longue recherche sur la scène nationale syrienne, qui a été publiée dans une thèse de doctorat que j’ai écrite (en 1998) et dans un livre qui en est tiré (2005). J’ai pu entendre et lire de temps en temps des expressions hostiles de la part des musulmans contre les alaouites, mais je n’ai jamais eu la preuve que les alaouites craignaient vraiment que les musulmans pourraient les massacrer s’ils en avaient l’occasion.

En arrière fond, c’est un fait historique, la Syrie moderne est issue du protectorat français, qui a été imposé à la Syrie après la Première Guerre mondiale et qui a pris fin en 1943. Comme dans d’autres États arabes du Moyen-Orient, nombre de maladies génétiques dont souffre la Syrie découlent des erreurs commises par les États en charge des mandats, la France et la Grande-Bretagne. L’Italie, qui contrôlait la Libye, est responsable dans une certaine mesure du chaos dans cet État. La principale erreur des États européens au Moyen-Orient a été de créer des États qui réunissaient des ethnies, des tribus, des religions différentes et des groupes sectaires antagonistes, avec l’espoir que le jour viendrait où tout ce monde-là s’assiérait autour d’un feu de camp et chanterait des chansons patriotiques en parfaite harmonie. Cela n’est pas arrivé, cela n’est pas en train de se produire aujourd’hui et il est probable que cela n’arrivera pas dans un avenir proche non plus.

Le 30 août de cette année s’est tenu un débat au Conseil de Sécurité des Nations Unies à propos de la guerre civile qui faisait rage en Syrie et qui était responsable d’environ cinq mille morts pour le seul mois d’août. Parmi les porte-parole qui participaient à la discussion, étaient présents le ministre français, Laurent Fabius, et le représentant syrien aux NU, Bachar al-Jaafari. Le délégué syrien a attaqué les États occidentaux et surtout la France pour son soutien aux rebelles. Le ministre français a réagi en déclarant :

Vous parlez défavorablement du mandat français, et je dois vous rappeler que le grand-père de votre Président a demandé à la France de ne pas quitter la Syrie et de ne pas lui accorder l’indépendance, et ceci dans un document officiel qu’il a signé et qui est aujourd’hui conservé au ministère français des Affaires étrangères, et si vous voulez je vous en donnerai une copie.

Fabius faisait référence à un document que les dirigeants alaouites, dont Souleiman el-Assad, l’arrière grand-père du Président syrien, avaient écrit, et qui se trouve dans les archives du ministère français des Affaires étrangères. Le document portait la date de réception — 15 juin 1936, et avait été écrit peu avant cette date au Premier ministre français de l’époque, Léon Blum.

À cette époque, le gouvernement Français était en contact avec un groupe d’intellectuels Syriens qui pensaient qu’on pouvait construire un état syrien plus grand en rassemblant des groupes différents les uns des autres, comme en Europe. Ce document a été publié par le passé dans le journal libanais al-Nahar et dans le journal égyptien al-Ahram, mais il n’a pas fait les gros titres. À l’intention de nos chers lecteurs, nous reproduisons ici le document complet, qui devra être lu en gardant à l’esprit ce qui se passe en Syrie depuis un an et demi. Mes commentaires sont entre crochets.

 

Cher M. Léon Blum, Président du Conseil de la France,

À la lumière des négociations en cours entre la France et la Syrie, nous — les dirigeants alaouites de Syrie — attirons respectueusement votre attention et celle de votre parti (les Socialistes) sur les points suivants :

1. La nation Alaouite [sic !!] qui a maintenu son indépendance pendant des années avec beaucoup de zèle et au prix de beaucoup de victimes, est une nation qui diffère des nations musulmanes sunnites par ses croyances religieuses, par ses coutumes et par son histoire. La nation Alaouite [qui vit dans les montagnes de la côte ouest syrienne] n’a jamais été soumise aux lois de ceux [musulmans] qui gouvernent les villes à l’intérieur du territoire.

2. La nation Alaouite refuse d’être annexée à la Syrie musulmane, parce que la religion islamique y est déclarée comme la religion officielle du pays, et que la religion islamique considère la nation Alaouite comme hérétique. Par conséquent nous vous demandons de considérer le destin tragique et terrible qui attend les Alaouites s’ils sont annexés de force à la Syrie, quand elle sera libérée de la surveillance du mandat et qu’elle aura le pouvoir d’établir des lois qui découlent de sa religion. [Selon l'Islam, les hérétiques idolâtres ont le choix de se convertir à l'Islam ou de se faire massacrer.]

3. Accorder l’indépendance à la Syrie et abandonner le mandat serait un bon exemple des principes socialistes en Syrie, mais l’indépendance complète signifie que quelques familles musulmanes auront le contrôle de la nation Alaouite en Cilicie, en Alexandrette [la bande d'Alexandrette que les Français ont retirée à la Syrie et annexée à la Turquie en 1939] et dans le massif d’Ansariyeh [les montagnes de la partie ouest de la Syrie, la continuité topographique des monts du Liban]. Même le fait d’avoir un parlement et un gouvernement constitutionnel ne garantira pas les libertés individuelles. Ce contrôle parlementaire, manquant de valeurs réelles, n’est qu’une façade et en vérité il sera contrôlé par le fanatisme religieux qui ciblera les minorités. Les dirigeants de France veulent-ils que les musulmans contrôlent la nation alaouite et qu’ils la plongent dans les affres de la misère ?

4. Le fanatisme et l’étroitesse d’esprit, dont les racines sont profondément ancrées au cœur des Arabes musulmans à l’encontre de tous ceux qui ne sont pas musulmans, est la mentalité qui nourrit perpétuellement la religion islamique, aussi n’y a-t-il aucun espoir que la situation change. Si le mandat est abandonné, le danger de mort et la destruction menaceront les minorités en Syrie, même si l’abandon [du mandat] décrète la liberté de pensée et la liberté confessionnelle. Pourquoi, même aujourd’hui nous pouvons voir comment les habitants musulmans de Damas obligent les Juifs vivant sous leur égide à signer un document dans lequel il leur est interdit d’envoyer de la nourriture à leurs frères juifs qui subissent un désastre en Palestine [pendant les jours de la grande révolution arabe], la situation des Juifs de Palestine étant la preuve la plus flagrante et la plus concrète de l’importance du problème religieux parmi les Arabes musulmans contre quiconque n’appartient pas à l’Islam. Ces bons Juifs ont apporté la civilisation et la paix aux Arabes musulmans et ont propagé la richesse et la prospérité en terre de Palestine, ils n’ont fait de mal à personne et ils n’ont rien pris de force. Pourtant, les musulmans leur ont déclaré une guerre sainte et n’ont pas hésité à massacrer leurs femmes et leurs enfants en dépit du fait que l’Angleterre est en Palestine et que la France est en Syrie. Un avenir noir attend donc les Juifs et les autres minorités si le mandat est abandonné et que la Syrie musulmane s’unit à la Palestine musulmane. Cette unification est le but ultime des Arabes musulmans.

5. Nous apprécions la bonté d’âme dont vous faites preuve en défendant la population syrienne et nous comprenons votre désir de la rendre indépendante, mais la Syrie est à l’heure actuelle loin du noble but que vous avez fixé pour elle, car elle est encore emprisonnée dans un esprit de féodalisme religieux. Nous ne pensons pas que le gouvernement français et le parti socialiste français seront d’accord pour l’indépendance des Syriens, car sa mise en œuvre causerait l’asservissement de la nation Alaouite et exposerait la minorité Alaouite au danger de mort et de destruction.

Nous ne pouvons pas imaginer que vous accéderez à la demande des Syriens (nationalistes) d’annexer la nation alaouite à la Syrie, parce que vos principes sacrés — s’ils soutiennent l’idée de liberté — ne pourront tolérer une situation dans laquelle une nation (les musulmans) entraverait la liberté d’une autre (les alaouites) en l’annexant de force.

6. Vous jugez peut-être bon de garantir les droits des Alaouites et des autres minorités par les termes du traité (le traité franco-syrien qui définit les relations entre les États), mais nous soulignons que les contrats n’ont aucune valeur dans la mentalité islamique syrienne. Nous avons vu cela par le passé, avec le pacte que l’Angleterre a signé avec l’Irak et qui interdisait aux Irakiens de massacrer les Assyriens et les Yazidis.

La nation Alaouite que nous, soussignés, représentons, implore le gouvernement français et le parti socialiste français et leur demande d’assurer la liberté et l’indépendance de notre nation à l’intérieur de ses petites frontières [un État alaouite indépendant !!]. La nation alaouite confie son bien-être aux mains des dirigeants socialistes français, elle est sûre qu’elle trouvera un soutien fort et indéfectible en tant que nation amie et loyale, ayant rendu de grands services à la France, et qui est aujourd’hui menacée de mort et de destruction.

(signé par): Aziz Agha al-Hawash, Mahmoud Agha Jadid, Mahmoud Bek Jadid, Souleiman Assad [le grand père d'Hafez], Souleiman al-Mourshid, Mahmoud Souleiman al-Ahmad.

Ainsi se conclut le document, écrit il y a 76 ans, mais qui aurait pu l’être hier. Le document porte en lui tous les maux du Moyen-Orient dont les peuples de la région ont souffert jusqu’à aujourd’hui : fanatisme religieux des musulmans, violence, marginalisation de quiconque n’appartient pas au groupe dominant, stéréotypes qui déterminent la pensée de groupe ainsi que l’ignorance et la naïveté (en français dans le texte) occidentales à propos de tout ce qui concerne les problèmes régionaux et la façon de les résoudre.

Et avec tout le respect dû aux auteurs du document, ils ne sont pas pour autant exempts de problèmes non plus. Bien qu’ils soient arabes et parlent l’arabe, ils se différencient de la scène arabo-musulmane globale et se définissent comme la « nation » alaouite, uniquement parce qu’ils sont membres d’une religion différente. Il se peut que la façon dont ils se considèrent soit fondée sur le fait qu’il s’agit de tribus séparées des tribus musulmanes, et qu’ils se voient comme d’authentiques natifs des montagnes de la Syrie occidentale, contrairement aux musulmans arabes qui ont envahi la région au septième siècle depuis la péninsule arabe sous le glaive du second calife musulman, Omar ibn al-Khattâb, qui a imposé l’Islam aux peuples conquis.

Nul doute que les Alaouites aient tiré les conclusions nécessaires de ce qui est écrit dans le document, car ils ont gouverné les musulmans depuis 1966 d’une poigne de fer cruelle et assoiffée de sang, parce qu’ils savaient bien ce qui arriverait si les musulmans les dominaient.

Il y a un autre détail intéressant dans le document : l’Empire ottoman n’est pas du tout mentionné, bien qu’il ait essayé d’islamiser les alaouites et les ait forcés à construire des mosquées dans leurs villages. Il se pourrait que les signataires se soient abstenus de faire référence aux Turcs à cause de la minorité alaouite qui vivait en Turquie, et de crainte que s’ils décrivaient ouvertement les Turcs en termes négatifs, ceux-ci pourraient prendre leur revanche sur leurs frères alaouites vivant en Turquie.

Mais le détail le plus intéressant dans le document réside dans les termes positifs que les auteurs ont employés pour dépeindre les Juifs en terre d’Israël.

Qui sait, peut-être qu’à l’avenir, lorsque les alaouites auront été forcés de fuir les villes musulmanes de Syrie pour sauver leur vie et échapper au destin qui est décrit dans le document, afin de garder leur tête posée sur leurs épaules, ils établiront ensuite leur État indépendant dans leurs montagnes, le massif d’Ansariyeh, et peut-être qu’alors — en tant qu’État d’une minorité persécutée — par ironie de l’histoire, ils essaieront de tendre la main à « l’entité sioniste », qui est toujours une entité illégitime et méprisée aux yeux des Arabes et des musulmans.

À propos de l’auteur : le Pr. Mordechai Kedar (Docteur en philosophie de l’université Bar-Ilan, c’est un Israélien) a servi pendant 25 ans dans les renseignements militaires des forces armées israéliennes et s’est spécialisé dans le discours politique arabe, les médias arabes, les organisations islamiques et la scène nationale syrienne. Il donne des conférences en arabe à l’université Bar-Ilan et est un expert des Arabes-Israéliens.

Source : The Jewish Press, le 20 septembre 2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lettre-du-grand-pere-dassad-a-leon-blum-de-1936/


La déchéance, c’est maintenant, par François de Smet

Friday 29 January 2016 at 00:03

Un bien beau texte, profond, bref et percutant… De l’anti-Valls….

Source : Libération, François de Smet, (Philosophe) 11-01-2016

Lors des vœux aux forces de sécurité, à la préfecture de police de Paris, jeudi.Photo Marc Chaumeil pour Libération

Créer deux catégories de Français ou démocratiser ladite déchéance pour tous, au risque de recréer des apatrides ? Tel est le débat hallucinant en ce début 2016.

Depuis quelques semaines, un débat surréaliste s’est installé en France. Le président de la République et son gouvernement se sont enfermés dans une spirale infernale autour de la déchéance de nationalité pouvant frapper les auteurs d’attentat terroriste. Chacun perçoit aisément que nul candidat kamikaze ne se verra freiné dans son action par la possibilité d’être déchu de sa nationalité – quelqu’un prêt à tuer au nom d’une cause n’a déjà plus d’autre appartenance que le territoire imaginaire inhérent à cette cause. Nous sommes donc en présence d’une mesure prônée délibérément et explicitement pour contrer les peurs et flatter les sentiments identitaires.

Cette mesure, en plus d’être inutile, est désastreuse parce qu’elle élude que la nationalité n’est pas en premier lieu un lien de loyauté envers un Etat comme le serait la carte de membre envers un club : généralement non choisie, elle est la matérialisation administrative du statut d’être humain et de son appartenance à la communauté qui le voit naître. Une nationalité n’est pas seulement un lien administratif, sentimental et identitaire avec un pays. Elle constitue aussi, et surtout, ce qui fait de tous les êtres humains sur Terre les récipiendaires d’un bagage commun. Après la Seconde Guerre mondiale, il avait été peu ou prou reconnu que les cas d’apatridie devaient être limités à tout prix. Car l’apatridie n’est rien d’autre qu’une forme de mort civile, qui a déjà été utilisée pour exclure de la communauté des individus n’ayant rien de terroriste. Oter la nationalité ne se réduit pas à punir symboliquement un individu, c’est aussi lui ôter tous les droits qui vont de pair avec cette nationalité, en premier lieu le droit de participer à la vie publique et celui de résider librement sur le territoire.

Encore une fois, en pratique, cela n’empêchera nullement le moindre terroriste de dormir, lui qui s’imagine déjà appartenir à un ailleurs – sur Terre, dans un pseudo-califat, ou dans l’au-delà. En revanche, cela abîme l’universalité de la condition humaine propre à la modernité et nous fait entrer dans un rapport de force identitaire souhaité par les fanatiques qui, en attaquant la France, attaquent précisément la nature universaliste de ses valeurs. Le poids de la nationalité comme matérialisation du genre humain est fortement éludé dans le débat, ce qui est d’autant plus surprenant en France, pays pouvant se vanter d’avoir apporté au monde une certaine idée de l’universalité du genre humain. Le problème est le suivant : comme tout le monde est supposé bénéficier d’une nationalité, cette dernière est en réalité devenue le substrat d’une humanité partagée : ce qui rend tous les êtres humains titulaires de droits, c’est le fait qu’ils bénéficient d’une nationalité qui leur permet de jouir des droits, fondamentaux ou non.

Lutter contre l’apatridie, c’était en finir pour de bon avec la mort civile de l’Ancien régime, par laquelle certains étaient privés de tout droit en punition de leur forfait. Car, comme cela a pu être mis en exergue bien plus tard dans le débat sur l’abolition de la peine de mort, il est humaniste de considérer qu’on est un être humain avant d’être un terroriste ou un assassin, même si c’est là, on le concède, un effort moral douloureux à accomplir ; et que cette appartenance au genre humain, au lieu de se voir naïvement refoulée par la mise à mort ou la déchéance de nationalité, doit être reconnue comme faisant partie intégrante du problème. C’est le fait que les assassins soient des êtres humains qui rend moralement injustifiable de les tuer comme ils tuent ; c’est leur appartenance à une nation de droits et devoirs qui rend moralement injustifiable de les déchoir de leur nationalité comme si cela allait régler quoi que ce soit. Comme s’il suffisait que le monstre ne soit pas français, belge, marocain ou syrien pour qu’il ne soit plus humain. Vouloir sortir les monstres de la nationalité, c’est vouloir les sortir de l’humanité qui, pourtant, nous relie à eux. C’est refuser de voir le problème en face. C’est préférer la facilité du symbole au travail de terrain. C’est tomber, par faiblesse, dans le piège de tous ceux qui véhiculent des visions manichéennes du monde, entre choc des civilisations, radicalisme religieux ou préférence nationale.

Bien sûr, la mesure rencontre un large plébiscite des citoyens. Comme la peine de mort jadis. Comme toute réaction populaire devant une menace ressentie – à juste titre – comme existentielle. Il ne fait guère de doute que si on posait par sondage la question du recours à la torture ou à l’exécution sommaire contre les terroristes (et, pourquoi pas, contre les meurtriers), l’adhésion serait spectaculairement large. Cela n’en ferait pas des mesures justes sur un plan humain, moral, selon une perspective devant dépasser la douleur incommensurable de l’événement.

Il existe en France depuis quelques années une étrange religion républicaine qui se cherche sans cesse de nouvelles incarnations, de nouvelles processions, de nouvelles épiphanies pour prouver son existence auprès de ses fidèles. L’éphémère ministère de l’Identité nationale en était une. La déchéance de nationalité, pour tous ou non, en est une autre. Il est normal que dans les temps obscurs, l’être humain désemparé tente de se parer de ses dernières certitudes. Mais dans la mécanique politique infernale dont elles ne peuvent désormais, sauf retournement, sortir sans perdre soit la face soit l’honneur, les autorités françaises risquent surtout d’envoyer un message destructeur. Là où l’idéal de la République était de porter des idéaux à vocation universelle, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à «Je suis Charlie», elle s’expose à devenir pour de bon, sur fond d’une surenchère matamoresque et un rien délirante, une nation aussi borgne que les autres. Une nation repliée sur ses peurs, enfermée dans les petites haines bien triviales vers lesquelles, avec mortifère jubilation, la poussent les terroristes.

Dernier ouvrage paru : Reductio ad hitlerum, PUF, 2014.

François de Smet Philosophe

Source :Libération, François de Smet, 11-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/la-decheance-cest-maintenant-par-francois-de-smet/


“Joffrin, l’histoire et les tyrans”, par Jacques Sapir

Thursday 28 January 2016 at 00:01

Source : Liberation, Laurent Joffrin, 20-01-2016

EDITO La gauche a oublié de se battre. Ou bien si elle l’a fait, elle s’y est prise comme un manche. Bien sûr, la montée en puissance des «intellos réacs» a des causes sociales et politiques profondes. La crainte de la mondialisation, la peur de l’immigration, le besoin de repères et d’autorité, les incertitudes de la modernité technologique et marchande : là sont les racines de la «Réac Academy». Dans des registres très différents, le succès d’un Finkielkraut ou celui d’un Zemmour, plébiscités par une opinion inquiète, a coïncidé avec l’ascension de la droite dure ou de l’extrême droite, qu’ils ont accompagnée, et parfois favorisée. Mais enfin, quelle cécité, quelle maladresse, quelle rigidité dans la gauche intellectuelle !

Il faut se souvenir, à l’origine, de la condescendance gênée, de l’afféterie arrogante avec laquelle le bouquin de Lindenberg, si prémonitoire, a été accueilli. Le livre est-il assez épais, assez farci de références ? L’auteur est-il assez titré ? N’est-ce pas un peu journalistique ? Et puis cette idée de faire une liste ! Cela rappelle les pires souvenirs… Et, enfin, s’attaquer à saint Houellebecq, alors l’idole du Paris branché ! Comme si le fait d’être un bon écrivain immunisait contre toute remise en cause politique. Lindenberg disait qu’une révolution conservatrice commençait. On ne l’a pas écouté. Pour avoir pris le relais, dans l’Obs ou dans Libé, on se souvient personnellement des leçons de morale reçues à l’époque, alors que l’évidence d’une dérive nationaliste crevait les yeux.

Si les intellos réacs tiennent aujourd’hui le haut du pavé, ils le doivent aussi à la gauche. Dans l’ancien camp progressiste, les uns ont été victimes d’une sourde attraction. Mettre en avant l’identité, l’autorité, l’héritage, la tradition, la laïcité vue comme une machine à éradiquer les différences et à dézinguer l’islam, c’était déjà la pente d’un certain chevènementisme, d’un souverainisme de gauche dont une bonne partie allait passer avec armes et bagages, tel Florian Philippot, au Front national, ou Natacha Polony au Figaro et dans la mouvance d’un Nicolas Dupont-Aignan, ou encore Jacques Sapir, dédié au projet une alliance antieuropéenne et rouge-brune. Mais ce n’est pas l’essentiel. Le reste de la gauche a négligé les sujets qui la gênaient. Pour certains, parler d’identité, d’immigration, de nation, de drapeau, c’était l’antichambre du fascisme ou, pire, du sarkozysme… Alors que sur tous ces points, une réponse de gauche existait, qu’on n’a pas su mettre en avant. La question de l’identité, maître mot de cette pléiade au talent médiatique réel, méritait mieux que des anathèmes. De ces débats, on s’est souvent détourné en se pinçant le nez, alors même que le bon peuple, inquiet pour la France qu’il avait connue, méritait tout de même une réponse. A l’identité «malheureuse» de Finkielkraut, le plus souvent immobile, passéiste, figée dans la nostalgie d’un âge d’or mythologique, il fallait évidemment opposer la vraie identité de la France, qui comporte dans son histoire suffisamment d’exemples progressistes depuis la Révolution française, en passant par la Commune, révolte sociale et patriotique, l’affaire Dreyfus ou le Front populaire, pour donner de la France, celle de la révolte et de la liberté, celle du drapeau tricolore des révolutionnaires de 1791, de Lamartine ou de Jean Moulin, un visage ouvert et tourné vers l’avenir, tout en parlant aux profondeurs d’un peuple qui croit toujours à la République, comme il l’a récemment montré dans le drame terroriste.

L’immigration ? Là aussi, les uns se sont mis à raser les murs en refusant de voir que l’accueil nécessaire des damnés de la planète poserait tout de même quelques problèmes d’intégration et de cohabitation dans les quartiers difficiles. Les autres ont réclamé, sans y avoir même réfléchi sérieusement, une ouverture totale des frontières qui n’est pratiquée nulle part à la surface du globe et qu’aucun gouvernement, le plus à gauche soit-il, n’a jamais pratiquée. Il fallait assumer l’accueil, à rebours de l’opinion, comme l’a fait cet été Angela Merkel pendant que le gouvernement français se mettait aux abonnés absents. Mais il fallait aussi assumer sa régulation, au lieu de s’évader, telle la gauche de la gauche ou certains écologistes, dans des palinodies inconséquentes teintées d’un humanisme hors-sol ignorant délibérément la situation des couches populaires, qui supportent l’essentiel des difficultés.

L’idée de progrès enfin, cible seconde mais décisive des intellos réacs, confits de déclinisme et de décadentisme, a été mal défendue. Il fallait évidemment en relever la bannière, au lieu de communier dans la déploration générale sur la mondialisation, qui comporte d’extrêmes duretés, mais qui porte en avant la technologie, le niveau de vie, qui sort de la misère des centaines de millions d’individus que trente ans de tiers-mondisme avaient laissés dans la stagnation. A force de dire que tout va mal en ce bas monde, l’opinion finit par le croire et réclame la protection des frontières, des nations et des lois. Il y avait une autre manière de parler du futur que d’en faire un film d’horreur. Sans optimisme historique, sans foi dans l’humanité, dans le savoir, dans la liberté, la gauche n’existe plus.

Laurent Joffrin Directeur de la publication de Libération

Source : Liberation, Laurent Joffrin, 20-01-2016

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Joffrin, l’histoire et les tyrans

Source : Russeurope, Jacque Sapir, 24-01-2016

Monsieur Joffrin s’exerce aux leçons de politiques. Dans un éditorial, « La gauche larguée face à la «Réac Academy», publié le 20 janvier, il s’essaye aux leçons de politiques et de morale[1]. L’effort est méritoire, mais le résultat calamiteux. Mais, quand on veut donner des leçons, il vaut mieux maitriser son sujet. Et de cela, Monsieur Joffrin en est loin. Cela ne semble pas l’émouvoir ; et pour cause. Il ne s’agit pas ici d’analyse ou d’effort réel pour comprendre la situation. Monsieur Joffrin parle le bobo pour les bobos.

 La guerre est finie

Notre éditorialiste ignore manifestement que la guerre est finie. Peut-être qu’au lieu d’écrire il eut mieux fait de voir le beau film d’Alain Resnais qui porte ce titre.

Cette guerre, c’est bien entendu celle de 1914-1918, celle que George Brassens disait dans une célèbre et ironique chanson préférer[2], mais aussi celle de 1939-1945. Les deux sont liées bien entendu. Les conséquences de la guerre totale, menée entre 1914-1918, expliquent à bien des égards le contexte des années 1920 et 1930. Le Nazisme n’est ainsi pas compréhensible sans une analyse de la violence de masse et de ses conséquences tant politiques que psychologiques sur les sociétés européennes. C’est pourquoi toutes les comparaisons entre la situation actuelle et celle des années 1930 sonnent faux. Ceux qui s’y livrent réfléchissent comme des miroirs et résonnent comme des tambours, les tambours d’une posture qui se veut héroïque et qui n’est que ridicule.

Il en est ainsi de cette tarte à la crème insipide sur la soi-disant « alliance rouges-bruns ». Le terme est directement issu des débats de la fin des années 1920 en Allemagne. Il fut notamment utilisé pour décrire la « tendance » au sein du NSDAP (le parti Nazi) des frères Strasser et les (distantes) sympathies de certains des dignitaires (Himmler et Goebbels) pour l’Union soviétique. Or de ce contexte, ce terme est vide de sens. C’est en particulier le cas aujourd’hui. Ni le Front National (et c’est bien heureux) ni l’extrême-gauche ne communient dans une même haine pour les institutions (que tous acceptent à des degrés divers) et dans une même fascination pour la violence.

En fait, non seulement la guerre unique en réalité de 1914 à 1945, et dont la période de 1918 à 1930 ne constitua en réalité qu’une trêve, est bien finie, mais les guerres de la décolonisation, celle d’Indochine et celle d’Algérie en ce qui concerne la France sont aussi révolues. Ce n’est pas simplement le fait du temps qui passe inexorablement. Le contexte politique a changé, conduisant à de nouveaux affrontements et de nouvelles menaces. Ce qui est grotesque et pathétique dans la position des bobos dont Joffrin est indiscutablement un idéologue, même s’il est loin d’être le seul, c’est de vouloir imiter les postures de résistants célèbres dans des références, explicites ou implicites, aux combats de ces années là. Mais il est vrai que l’imitation évite de penser le monde actuel. Nos pseudo-résistants ne sont en vérité que des flemmards de la pensée.

 De nouveaux combats s’annoncent

Si l’on veut donner des leçons de politique, il faut les fonder sur une analyse de la situation. Une première caractéristique de celle-ci est que la place des nations européennes a fondamentalement changé depuis maintenant près de trente ans. Dans les années 1930 les pays d’Europe occidentale se disputaient la prééminence du monde avec les Etats-Unis. La crise de 1929 correspond au processus de réalisation de l’hégémonie étatsunienne, et à la contradiction qu’il existait à l’époque entre la représentation du monde par ces élites (qui restaient en partie gagnée à l’isolationnisme) et la réalité de la puissance tant économique et financière que militaire. Depuis 1945, nous sommes entrés de plain pied dans un monde largement dominé par les Etats-Unis. Aujourd’hui, en fait depuis le début du XXIème siècle, cette hégémonie tend à s’éroder[3]. Une des conséquences de cet état de fait est la montée de nouvelles puissances, la Chine, l’Inde, et l’ouverture d’un espace politique permettant à diverses nations de recouvrer leur souveraineté. Mais, en Europe, le combat pour la souveraineté des peuples se double d’un combat pour la démocratie, ce que laissait prévoir les suites du référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne[4] et ce qu’a confirmé l’affrontement antre la Grèce et les institutions européennes.

En juin 2014, candidat du groupe de la Gauche Unitaire Européenne à la présidence du Parlement Européen, Pablo Iglesias, le responsable de PODEMOS, justifiait ces choix politiques et stratégiques en ces termes : « la démocratie, en Europe, a été victime d’une dérive autoritaire (…) nos pays sont devenus des quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n’a élus sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale et politique de nos sociétés ». Car nous en sommes là. La dérive autoritaire que l’on peut constater tant en France que dans les autres pays européens, est justifiée et mise en œuvre dans des cadres de relations quasi-coloniales dont l’Union européenne sert de vecteur. Monsieur Jean-Claude Juncker l’a clairement dit : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens »[5].

Les dirigeants européens reprennent consciemment le discours de l’Union soviétique par rapport aux pays de l’Est en 1968 lors de l’intervention du Pacte de Varsovie à Prague : la fameuse théorie de la souveraineté limitée. Ils affectent de considérer les pays membres de l’Union européenne comme des colonies, ou plus précisément des « dominion », dont la souveraineté serait soumise à la métropole[6]. Sauf qu’en l’occurrence, il n’y a pas de métropole. L’Union européenne constitue donc un système colonial sans métropole et en fait n’est qu’un colonialisme par procuration. Derrière la figure d’une Europe soi-disant unie, mais qui est aujourd’hui divisée dans les faits par les institutions européennes, on discerne la figure des Etats-Unis.

Les combats d’aujourd’hui s’enracinent dans cette réalité. Mais, ignorant cette dernière, vous ne pouvez, vous et vos semblables, que chercher à les défigurer. Vous ne pouvez donc pas comprendre le combat pour l’éducation de Natacha Polony, un combat pour que TOUTE la population ait accès à la culture et non pas seulement les enfants des privilégiés. Vous ne pouvez comprendre le combat de ces syndicalistes, qu’ils soient ouvriers ou paysans, qu’ils défendent les fonctionnaires ou les employés, et qui ont compris, ou qui sont en train de comprendre, que leur combat ne pourra aboutir qu’une fois que nous aurons recouvré notre souveraineté. Ces combats prennent des formes et des médiations qui sont naturellement différentes de celles héritées de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Mais, ces combats sont ceux, toujours recommencés, ou la lutte pour la défense des conditions d’existence se mélange indissolublement avec la lutte pour la construction de la souveraineté.

 Paix entre nous et mort aux tyrans

Mais, dans le même temps, cette tentative à deux niveaux de faire passer les pays européens sous la coupe d’un pouvoir colonial qui ne dit pas son nom, et de faire passer après cette Europe asservie sous la coupe de la puissance américaine par le biais du Traité de Libre Echange Transatlantique, a engendré une des crises les plus profondes et les plus polymorphes que nous ayons connues. La crise, Monsieur Joffrin, qui dure depuis son déclenchement de 2007, et qui a muté de crise du financement de l’immobilier en une crise générale affectant l’ensemble des pays, est la première crise de cette « mondialisation »[7] que vous vous acharnez à croire heureuse.

Cette « mondialisation », vous concédez qu’elle puisse engendrer bien des malheurs, baste, il faut bien montrer aux « sans dents » que vous n’êtes pas sans cœur, mais c’est pour ajouter immédiatement après qu’elle : « porte en avant la technologie ». Tout à votre fureur obscurantiste qui vous fait pourchasser « l’intello réac » à chaque tournant de votre plume, ce que vous ne manquez pas de faire au prix de raccourcis douteux, d’approximations hasardeuses, et de dénonciations calomniatrices, vous ne vous rendez même pas compte que d’une part vous identifiez technique et technologie, suivant ainsi un « américanisme » révélateur, et que d’autre part vous reprenez la vielle antienne, elle tout à plein réactionnaire et scientiste, d’un monde qui ne serait conduit que par le progrès technique.

Alors, ne nous étonnons pas de ne pas trouver mot sous votre plume de ce gouvernement qui se prétend socialiste alors qu’il met en œuvre une politique, qui elle, est bien de droite ; de même n’y trouvera-t-on pas de référence à l’Union européenne, ce corps d’institutions qui s’est proclamé « Europe » dans un parfait hold-up sur les symboles, et que nos ouvriers et nos paysans sont parfaitement capables d’identifier – eux – comme la cause de bien de leurs maux.

Votre imaginaire en est resté à la seule notion du changement technique. Mais, en réalité, il ne voit que cela. En fait, c’est l’une des figures de la disparition du politique que vous nous entonnez là. Cette figure va d’ailleurs de paire avec l’évocation accablée des malheurs du temps auquel la technique, et son conjoint le progrès, n’ont pu encore remédier. Mais, cette disparition du politique dont vous vous faites l’écho, que ce soit consciemment ou « à l’insu de votre plein gré », elle porte en elle la fin de la démocratie et elle vous inscrit parmi ceux qui pensent qu’ils « savent mieux » que le commun des mortels, et que cela leur donne un droit, un droit technique bien sûr mais tout aussi antidémocratique que l’ancien « droit divin », de régenter leurs vies. La fin du politique a toujours été une aspiration des « puissants », une volonté de masquer la froide réalité de la domination. Elle vous classe définitivement parmi les défenseurs et les thuriféraires de la Tyrannie.

Vous avez donc fait votre choix, et c’est celui du « 1% » de la population, ce 1% qui accumule aujourd’hui les ressources et le pouvoir, contre les 99% restants. Ce 1% qui peut d’ailleurs se payer toutes les plumes mercenaires dont il a besoin. Mais faites attention. Ce 1% vous méprise tout comme il vous utilise. Il se pourrait bien qu’un jour il se décide à tirer l’échelle, vous laissant alors seul et éberlué, n’ayant d’autre recours que de crier comme le valet de Don Juan, « mes gages, mes gages ».

A cela il n’est qu’un réponse possible, celle qui reprend ce vieux slogan du mouvement ouvrier et républicain et qui dit : « Paix entre nous et mort aux tyrans ».

[1] Joffrin L., « La gauche larguée face à la «Réac Academy», éditorial posté sur l’édition électronique de Libération le 20 janvier, http://www.liberation.fr/france/2016/01/20/la-gauche-larguee-face-a-la-reac-academy_1427830

[2] http://www.chartsinfrance.net/Georges-Brassens/id-100217101.html

[3] Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, le Seuil, Paris, 2008

[4] Sapir J., La fin de l’euro-libéralisme, Le Seuil, Paris, 2006

[5] AFP cité par le Point, « Grèce, la ‘provocation’ de Jean-Claude Juncker », publié le 13/12/2014, http://www.lepoint.fr/monde/juncker-veut-des-visages-familiers-a-athenes-13-12-2014-1889466_24.php

[6] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016

[7] Sapir J., La Démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.

Source : Russeurope, Jacque Sapir, 24-01-2016


Source: http://www.les-crises.fr/joffrin-lhistoire-et-les-tyrans-par-jacques-sapir/


[Recommandé] Le stratège de la terreur : des dossiers secrets révèlent la structure de l’État islamique, par Christoph Reuter

Wednesday 27 January 2016 at 01:59

Un article majeur sur Daech – merci aux volontaires pour la traduction !

On regardera, comme d’habitude, les choses avec recul, en particulier la seconde partie

Source Spiegel.de, le 18 avril 2015

Un officier irakien a planifié la prise de contrôle de la Syrie par l’État islamique. SPIEGEL a obtenu un accès à ses documents en exclusivité. Ils décrivent une organisation animée par un fanatisme religieux de façade, mais qui est en réalité froidement calculatrice.

Distant, poli, prévenant, extrêmement vigilant, réservé, malhonnête, énigmatique, malveillant. Se remémorant leur rencontre avec lui qui remontent à plusieurs mois, les rebelles nord-syriens évoquent un homme aux multiples facettes. Mais ils s’accordent sur une chose : « Nous n’étions jamais sûrs de savoir à qui nous avions affaire. »

En fait, pas même ceux qui ont tiré sur lui et l’ont tué après un bref échange de coups de feu dans la ville de Tal Rifaat un matin de janvier 2014, ne connaissaient la véritable identité de cet homme de grande taille qui approchait la soixantaine. Ils ne savaient pas qu’ils avaient tué le chef stratégique du groupe autoproclamé « État islamique » (EI). Ce fut le résultat d’une rare mais fatale erreur de calcul commise par le brillant stratège. Les rebelles locaux placèrent le corps dans un réfrigérateur, dans lequel ils avaient l’intention de l’enterrer. Ils l’en ressortirent seulement après s’être rendu compte de l’importance de cet homme.

Le véritable nom de cet irakien dont la rudesse des traits était adoucie par une barbe blanche était Samir Abd Muhammad al-Khlifawi. Mais personne ne le connaissait sous ce nom. Même son pseudonyme le plus utilisé, Haji Lakr, n’était pas connu de tous. Mais cela faisait précisément partie du plan. Cet ancien colonel du renseignement dans l’armée de l’air de Saddam Hussein tirait les ficelles de l’EI depuis des années. D’anciens membres de l’organisation l’avaient à plusieurs reprises mentionné comme l’un de ses leaders. Son rôle n’avait cependant jamais été clairement établi.

Mais à sa mort, le concepteur de l’État islamique laissa derrière lui ce qu’il avait voulu garder strictement confidentiel : le projet de cet État. Il s’agit d’un dossier, rempli d’organigrammes manuscrits, de listes et de programmes, qui décrivent la façon d’assujettir un pays progressivement. SPIEGEL a obtenu l’accès exclusif à ces 31 pages, dont plusieurs sont restées collées entre elles. Elles révèlent une structure à plusieurs niveaux et des directives opérationnelles, dont certaines déjà testées et d’autres nouvellement conçues pour s’adapter à l’anarchie régnant dans les zones sous contrôle rebelle. En un sens, ces documents constituent le code source de l’armée terroriste la plus efficace de l’histoire moderne.

Jusqu’à présent, une grande partie de l’information sur l’EI provenait des combattants déserteurs et de données internes à l’administration de l’EI saisies à Bagdad. Mais tout ceci ne constituait pas une explication suffisante de l’ascension fulgurante de cette organisation jusqu’à une telle domination, avant que les frappes aériennes de la fin de l’été 2014 ne mettent un coup d’arrêt à sa marche triomphale.

Pour la première fois, les documents de Haji Bakr permettent de déterminer comment s’organise le commandement de l’EI et quel rôle y jouent les hauts responsables déchus du gouvernement de l’ancien dictateur Saddam Hussein. Et surtout, ils montrent comment la planification de la prise de contrôle du nord de la Syrie à d’abord rendu possible la progression de l’organisation en Irak. De plus, des mois de recherches effectuées par SPIEGEL en Syrie, ainsi que de nouveaux documents récemment découverts, auxquels SPIEGEL a eu accès en exclusivité, montrent que les instructions de Haji Bakr ont été méticuleusement exécutées.

Les documents de Bakr ont été longtemps cachés dans la minuscule annexe d’une maison dans la région des combats au nord de la Syrie. Leur existence fut d’abord signalée par un témoin oculaire qui les avait vus dans la maison de Haji Bakr peu de temps après sa mort. En avril 2014, une seule page du document a été exfiltrée en Turquie où SPIEGEL a pu l’étudier pour la première fois. Ce n’est qu’en novembre 2014 qu’il a été possible de se rendre à Tal Rifaat pour examiner l’ensemble des pages manuscrites.

Ce document est une ébauche établie par Haji Bakr, d’une structure possible de l’administration de l’EI.

« Notre plus grande crainte était que ces plans puissent tomber entre de mauvaises mains et ne soient jamais divulgués », dit l’homme qui a gardé les notes de Haji Bakr après les avoir tirées d’un monceau de boîtes et de couvertures. Cet homme, craignant les escadrons de la mort de l’EI, souhaite rester anonyme.

Le schéma directeur

L’histoire de cet ensemble de documents commence à une époque où peu de gens avaient entendu parler de l’« État islamique ». Quand Haji Bakr, de nationalité irakienne, voyagea en Syrie comme membre d’une minuscule avant-garde fin 2012, il avait un plan apparemment absurde : l’EI s’emparerait d’autant de territoires que possible en Syrie. Ensuite, utilisant ce pays comme tête de pont, il envahirait l’Irak.

Bakr avait élu résidence dans une maison discrète de Tal Rifaat, au nord d’Alep. Le choix de cette ville était judicieux. Dans les années 80, beaucoup de ses habitants l’avaient quittée pour aller travailler dans les États du Golfe, essentiellement en Arabie saoudite. Quand ils sont revenus, certains s’étaient forgé des convictions radicales et des contacts. En 2013, Tal Rifaat allait devenir le bastion de l’EI dans la province d’Alep, où seraient basés des centaines de combattants.

C’est là que le « Seigneur de l’ombre », comme certains l’appelaient, esquissa la structure de l’État islamique, y compris jusqu’à l’échelon local, compila des listes concernant l’infiltration progressive des villages et décida qui allait superviser qui. À l’aide d’un stylo à bille, il dessina sur des feuilles de papier les chaînes de commandement de l’appareil de sécurité. C’est probablement une coïncidence, mais ce papier à lettres provenait du ministère syrien de la Défense et portait l’en-tête du département en charge du logement et du mobilier.

Ce que Bakr a mis sur le papier, page après page, avec des encadrés délimitant soigneusement les responsabilités individuelles, n’était autre qu’un programme pour une prise de pouvoir. Ce n’était pas une proclamation de foi, mais un plan technique précis pour un « service secret de l’État islamique — un califat gouverné par une organisation qui ressemblait à la célèbre Stasi, le service de renseignement est-allemand.

Graphique : Une image numérique de l’organigramme de l’État islamique de Haji Bakr.

Ce projet a été appliqué avec une précision étonnante au cours des mois suivants. Le plan commençait invariablement de la même façon : le groupe recrutait des partisans sous le prétexte d’ouvrir un bureau pour la da’wa, un centre de mission islamique. Parmi ceux qui venaient écouter les conférences et suivre des cours sur la vie islamique, un ou deux hommes étaient sélectionnés et recevaient pour consigne d’espionner leur village et d’obtenir toute une série d’informations. Dans ce but, Haji Bakr rédigeait des listes telles que celle-ci :

Faire la liste des familles influentes.

Désigner les individus influents dans ces familles.

Découvrir leurs sources de revenus.

Trouver le noms et la taille des brigades (rebelles) dans le village.

Découvrir le nom de leurs chefs, qui contrôle les brigades et quelle est leur orientation politique.

Découvrir leurs activités illégales (selon la charia), qui pourraient être utilisées pour les faire chanter si nécessaire.

On demandait aux espions de noter si quelqu’un était un délinquant ou un homosexuel, ou encore avait une liaison secrète, afin d’avoir des munitions pour un éventuel chantage. « Nous nommerons les plus intelligents cheikhs de la charia », avait noté Bakr. « Nous les formerons pendant un certain temps avant de les déployer. » Il avait ajouté en post-scriptum que plusieurs « frères » seraient choisis dans chaque ville pour épouser les filles des familles les plus influentes, de façon à « infiltrer ces familles à leur insu ».

Les espions devaient découvrir tout ce qu’ils pouvaient dans les villes ciblées : qui y vivait, qui était aux commandes, quelles familles étaient religieuses, à quelle doctrine islamique elles appartenaient, combien de mosquées y avait-il, qui en était l’imam, combien de femmes et d’enfants avait-il et quel était leur âge. Il fallait se renseigner sur la teneur des sermons de l’imam, s’il était plus ouvert au soufisme ou à une variante mystique de l’Islam, s’il soutenait l’opposition ou le régime, quelle était sa position sur le djihad. Bakr voulait également des réponses à des questions comme : l’imam reçoit-il un salaire ? Si oui, qui le paie ? Qui le nomme ? Enfin : combien y a-t-il dans le village de farouches partisans de la démocratie ?

Les agents étaient censés jouer le rôle d’ondes sismiques envoyées pour débusquer les moindres recoins aussi bien les plus minuscules fissures que les failles séculaires de la société — en bref, toutes les informations qu’on pourrait utiliser pour diviser et soumettre la population locale. Dans les rangs des informateurs, on trouvait d’anciens agents de renseignements, mais aussi des opposants au régime qui s’étaient querellés avec l’un des groupes rebelles. Certains étaient de jeunes hommes et des adolescents qui avaient besoin d’argent ou qui étaient emballés par ce travail. La plupart des hommes sur la liste des informateurs de Bakr, comme ceux de Tal Rifaat, avaient tout juste vingt ans, mais certains n’avaient pas dépassé 16 ou 17 ans.

Les plans incluent des parties dédiées au financement, aux écoles, aux crèches, aux médias et aux transports. Mais il y a un thème central récurrent, qui est traité méticuleusement dans les organigrammes, les listes de responsabilités et les exigences de signalement : surveillance, espionnage, meurtre et enlèvement.

Pour chaque conseil provincial, Bakr avait prévu qu’un émir ou un commandant serait responsable des meurtres, des enlèvements, des snipers, de la communication et du cryptage, tandis qu’un autre émir superviserait les autres émirs — « au cas où ils ne feraient pas correctement leur boulot ». Le noyau de cet État religieux serait la mécanique démoniaque d’une structure de cellules et de commandos conçue pour propager la peur.

Depuis le tout début, le plan était d’avoir des services de renseignements opérant en parallèle, même au niveau des provinces. Un service de renseignements généraux relevait de « l’émir pour la sécurité » dans la région sous les ordres duquel se trouvaient les émirs adjoints pour chaque district. Un chef de cellules d’espionnage secrètes et un « directeur du service des renseignements et de l’information » rendaient des comptes à chacun de ces émirs adjoints. Les cellules d’espionnage au niveau local relevaient de l’émir adjoint du district. Le but était d’arriver à ce que tous se surveillent les uns les autres.

Un plan manuscrit montre les idées de Bakr sur l’instauration de l’État islamique.

Ceux qui devaient former les « juges de la charia à la collecte de renseignements » dépendaient également de l’émir du district, tandis qu’un département distinct d’« officiers de sécurité » était assigné à l’émir de la région.

La charia, les tribunaux, l’obligation de piété — tout ceci ne servait qu’un seul et unique but : la surveillance et le contrôle. Même le terme que Bakr utilisait pour désigner la conversion des musulmans authentiques, takwin, n’est pas un terme religieux mais technique, qu’on peut traduire par « mise en œuvre », un terme prosaïque employé en géologie ou dans le bâtiment. Il y a 1200 ans pourtant, le cheminement de ce mot avait eu sa brève heure de gloire. Les alchimistes chiites s’en servaient pour décrire la création de la vie artificielle. Au IXe siècle, dans son “Livre des Pierres”, le Perse Jabir Ibn Hayyan écrivait — en se servant d’une écriture et de codes secrets — à propos de la création d’un homoncule : « Le but est de tromper tous les hommes, hormis ceux qui aiment Dieu. » Cela peut aussi avoir été du goût des stratèges de l’État islamique, quoique le groupe perçoive les chiites comme des apostats ayant déserté le véritable Islam. Mais pour Haji Bakr, Dieu et les 1400 ans de foi en Lui n’étaient qu’un des nombreux modules qu’il avait à sa disposition et qu’il pouvait arranger à sa guise, afin de servir une cause supérieure.

Les débuts en Irak

On aurait dit que George Orwell servi de modèle pour cette engeance de surveillance paranoïaque. Mais c’était beaucoup plus simple que ça. Bakr était simplement en train d’adapter ce qu’il avait appris dans le passé : l’appareil de sécurité omniprésent de Saddam Hussein, dans lequel personne, pas même les généraux des services de renseignements ne pouvait être certain qu’il n’était pas espionné.

L’écrivain irakien expatrié Kanan Makiya a décrit dans un livre cette « République de la peur » comme un pays dans lequel n’importe qui pouvait tout simplement disparaître et dans lequel Saddam pouvait sceller son investiture officielle en 1979 en révélant une conspiration montée de toutes pièces.

Il y a une raison élémentaire pour laquelle il n’y a aucune mention dans les écrits de Bakr de prophéties en rapport avec l’établissement d’un État islamique prétendument décrété par Dieu : il croyait que les convictions religieuses fanatiques seules n’étaient pas suffisantes pour atteindre la victoire. Mais il croyait aussi profondément que la foi des autres pouvait être exploitée.

En 2010, Bakr et un petit groupe d’anciens officiers des renseignements irakiens ont fait d’Abu Bakr al-Baghdadi l’émir puis plus tard le « Calife », le dirigeant officiel de l’État Islamique. Ils pensèrent que Baghdadi, un prêtre instruit, donnerait une image religieuse au groupe.

Bakr était « un nationaliste, pas un islamiste », témoigne le journaliste irakien Hisham al-Hashimi, se rappelant l’ancien officier de carrière qui avait été en garnison avec le cousin d’Hashimi à la base aérienne de Habbaniya. Le « colonel Samir », comme Hashimi l’appelle, « était d’une grande intelligence, d’une grande fermeté d’âme et un excellent stratège ». Mais quand Paul Bremer, alors chef des autorités d’occupations des États-Unis à Bagdad, « a dissous l’armée par décret en mai 2003, il se retrouva au chômage, amer ».

Des milliers d’officiers sunnites bien entraînés furent privés de leurs moyens de subsistance d’un trait de plume. En agissant ainsi, l’Amérique créa ses ennemis les plus intelligents et les plus implacables. Bakr est entré dans la clandestinité et a fait la connaissance d’Abu Musab al-Zarqawi dans la province d’Anbar, à l’ouest de l’Irak. Zarqawi, Jordanien de naissance, avait auparavant dirigé un camp d’entraînement pour pèlerins terroristes internationaux en Afghanistan. A partir de 2003, il avait acquis une reconnaissance mondiale en tant que cerveau d’attaques contre les Nations Unies, les troupes américaines et les musulmans chiites. Il était même considéré comme trop radical par l’ancien dirigeant d’Al-Qaïda Oussama ben Laden. Zarqawi est mort dans une frappe aérienne des États-Unis en 2006.

Bien que le parti baas dominant en Irak fut laïque, au final les deux systèmes partageaient la conviction que le contrôle des masses devrait se trouver dans les mains d’une élite restreinte qui ne devrait avoir à répondre devant personne — parce qu’elle dirigerait au nom d’un plan supérieur légitimé ou par Dieu ou par la gloire de l’histoire arabe. Le secret de la réussite de l’État islamique réside dans la combinaison des contraires, les croyances fanatiques d’un groupe et les calculs stratégiques d’un autre.

Bakr devint progressivement un des chefs militaires en Irak et fut détenu de 2006 à 2008 au camp militaire américain de Bucca et à la prison d’Abu Ghraib. Il survécut aux vagues d’arrestations et d’exécutions menées par les unités spéciales américaines et irakiennes, qui menacèrent en 2010 l’existence même de ce précurseur de l’État islamique qu’était l’État islamique en Irak.

Pour Bakr et nombre d’anciens officiers hauts gradés, cela représentait une opportunité de ramener le pouvoir au sein d’un cercle nettement plus restreint de djihadistes. Ils utilisèrent leur temps au camp Bucca pour établir un large réseau de contacts. Mais les plus hauts dirigeants se connaissaient déjà depuis longtemps. Haji Bakr et un autre officier faisaient partie de la petite unité de services secrets rattachée à la division anti-aérienne. Deux autres leaders de l’État islamique étaient originaires d’une petite communauté de Turkmènes sunnites de la ville de Tal Afar. L’un deux était aussi un officier de haut rang des renseignements.

En 2010, l’idée d’essayer de vaincre militairement les forces du gouvernement irakien semblait dérisoire. Mais une puissante organisation clandestine prit forme à travers des actes de violence et de racket de protection. Quand la révolution contre la dictature du clan Assad explosa en Syrie voisine, les leaders de l’organisation flairèrent une opportunité. Fin 2012, particulièrement dans le nord, les forces gouvernementales autrefois toutes-puissantes avaient été défaites et expulsées. Des centaines de conseils locaux et de brigades rebelles avaient pris leur place, en un mélange anarchique dont personne ne pouvait tracer la structure. C’est cette situation de vulnérabilité que le groupe d’anciens officiers solidement organisé s’attelait à exploiter.

Les tentatives d’expliquer la rapide montée au pouvoir de l’État islamique varient suivant les sources. Les experts du terrorisme voient l’État islamique comme un rejeton d’Al-Qaïda et attribuent le manque d’attaques spectaculaires à ce jour comme un manque d’organisation. Les criminologues voient l’État islamique comme une société mafieuse cherchant à maximiser ses profits. Les chercheurs en sciences humaines attirent l’attention sur les déclarations apocalyptiques des services de communication de l’EI, sa glorification de la mort et la croyance de son implication dans une mission sacrée.

Mais les visions apocalyptique seules ne suffisent pas pour s’emparer de villes et de pays. Les terroristes ne fondent pas de pays et il est improbable qu’un cartel criminel génère suffisamment de passion parmi des partisans à travers le monde pour qu’ils soient disposés à abandonner leur vie pour voyager au « Califat » et éventuellement vers leur mort.

L’État islamique a peu en commun avec ses prédécesseurs comme Al-Qaïda, à part l’étiquette djihadiste. Il n’y a fondamentalement rien de religieux dans ses actions, sa planification stratégique, ses changements d’alliances sans scrupules et ses récits de propagande élaborés avec précision. La foi, même dans ses formes les plus extrêmes, n’est qu’un des nombreux moyens d’arriver à ses fins. La seule maxime constante de l’État islamique est l’expansion du pouvoir à n’importe quel prix.

La mise en œuvre du plan

L’expansion de l’EI a commencé avec une telle discrétion que beaucoup de Syriens, un an après, devaient réfléchir un moment avant de se rappeler quand les djihadistes avaient fait leur apparition parmi eux. Les bureaux de la da’wa qui avaient été ouverts dans de nombreuses villes du nord de la Syrie au printemps 2013 avaient l’air d’anodines officines missionnaires, guère différentes de celles que des œuvres caritatives musulmanes ont ouvert partout dans le monde.

Quand un bureau de la da’wa s’est ouvert à Raqqa, « tout ce qu’ils dirent était que nous étions frères, sans jamais dire un mot sur l’État islamique », rapporte un médecin qui a fui la ville. Au printemps 2013, une agence de la da’wa a également été ouverte à Manbij, une ville progressiste de la province d’Alep. « Au début je ne l’ai même pas remarquée », se rappelle un jeune militant des droits civiques. « Chacun avait le droit d’ouvrir ce qu’il voulait comme bureau. Nous n’aurions jamais suspecté qu’en dehors du régime quiconque puisse nous menacer. Ce n’est que lorsque les combats éclatèrent en janvier que nous avons appris que Daech » (acronyme arabe de l’EI) « avait loué plusieurs appartements où il pouvait stocker des armes et cacher ses hommes. »

La situation était similaire dans les villes d’Al-Bab, Atarib et Azaz. Début 2013, des agences de la da’wa furent aussi ouvertes dans la province avoisinante d’Idlib, dans les villes de Sermada, Atmeh, Kafr Takharim, Al-Dana et Salqin. Aussitôt qu’il avait identifié suffisamment « d’étudiants » qui pourraient être recrutés comme espions, l’EI accrut sa présence. À Al-Dana, des locaux supplémentaires furent loués, des drapeaux noirs hissés et des rues fermées à la circulation. Dans les villes où la résistance était trop importante ou celles où les partisans n’étaient pas en nombre suffisant, l’EI se retirait provisoirement. Au début, son mode opératoire était de s’étendre sans trop s’exposer à une résistance ouverte et d’enlever ou de tuer les « individus hostiles » sans avouer une quelconque implication dans ces abominables pratiques.

Les combattants eux-mêmes restèrent discrets au début. Bakr et l’avant-garde ne les avaient pas fait venir d’Irak, ce qui aurait pourtant été logique. En fait, ils avaient explicitement interdit à leurs combattants irakiens de venir en Syrie. Ils décidèrent aussi de ne recruter que très peu de Syriens. Au lieu de quoi, les chefs de l’EI choisirent l’option la plus compliquée : ils décidèrent de regrouper tous les éléments radicaux étrangers qui se rendaient dans cette région depuis l’été 2012. Des étudiants d’Arabie saoudite, des employés de bureau de Tunisie et des déscolarisés d’Europe, tous sans aucune expérience militaire, étaient censés composer une armée avec des Tchétchènes et des Ouzbek aguerris. Cette armée serait basée en Syrie sous commandement irakien.

Dès la fin 2012, des camps militaires avaient été établis dans plusieurs endroits. Initialement, personne ne savait à quel groupe ils appartenaient. Les camps étaient organisés de manière très stricte et les hommes provenaient de quantité de pays différents — et ne parlaient pas aux journalistes. Très peu d’entre eux étaient irakiens. Les nouveaux venus recevaient deux mois d’entraînement et étaient matraqués d’exercices pour devenir inconditionnellement obéissants au commandement central. L’organisation passait inaperçue et offrait également un autre avantage : malgré un départ inévitablement chaotique, ce qui en émergea furent des troupes d’une loyauté sans faille.

Les étrangers ne connaissaient personne hormis leurs camarades, ils n’avaient aucune raison de faire preuve de pitié et pouvaient être rapidement déployés à différents endroits. Ceci contrastait fortement avec les rebelles syriens qui se concentraient sur la défense de leurs villes de résidence, devaient s’occuper de leur famille et aider aux récoltes. À l’automne 2013, les registres de l’EI comptaient 2 650 combattants dans la seule province d’Alep. Sur le total, les Tunisiens en représentaient un tiers, suivis des Saoudiens, des Turcs, des Égyptiens et, en plus petit nombre, des Tchétchènes, des Européens et des Indonésiens.

Par la suite, les cadres djihadistes ont été désespérément dépassés en effectifs par les rebelles syriens. Toutefois, même si les rebelles se méfiaient des djihadistes, ils n’unirent pas leurs forces pour défier l’EI parce qu’ils ne voulaient pas courir le risque d’ouvrir un deuxième front. Néanmoins l’État islamique augmenta son pouvoir avec un simple stratagème : les hommes se montraient le visage toujours couvert d’un masque noir, ce qui non seulement les rendait terrifiants d’apparence mais signifiait aussi que personne ne pouvait savoir combien ils étaient en réalité. Quand des groupes de 200 combattants surgissaient, l’un après l’autre, dans cinq endroits différents, cela voulait-il dire que l’EI avait 1 000 hommes ? Ou 500 ? Ou juste un peu plus de 200 ? De surcroît, des espions veillaient à ce que la direction de l’EI fut constamment informée des points de faiblesse ou de division au sein de la population ou encore de conflit locaux, permettant ainsi à l’EI de se proposer comme une puissance de protection, afin de s’implanter dans la place.

La prise de Raqqa

Raqqa, autrefois ville de province endormie sur les rives de l’Euphrate, devait devenir le prototype de la conquête totale de l’EI. L’opération a commencé avec une certaine subtilité, avant de devenir de plus en plus brutale et, à la fin, l’EI l’a emporté sur des adversaires de plus en plus nombreux, en se battant à peine. « Nous n’avons jamais été très politiques », expliquait un médecin qui avait fui Raqqa pour la Turquie. « Nous n’étions pas très religieux et nous ne priions guère. »

Quand Raqqa est tombée aux mains des rebelles en mars 2013, un conseil municipal a vite été formé. Des avocats, des médecins et des journalistes se sont organisés. Des groupes de femmes ont été constitués. L’Assemblée de la jeunesse libre a été fondée, ainsi que le mouvement « Pour nos droits » et des dizaines d’autres initiatives. Tout semblait possible à Raqqa. Mais aux yeux de certains qui fuyaient la ville, cela marqua aussi le début sa chute.

Conformément au plan de Haji Bakr, la phase d’infiltration a été suivie par l’élimination de chaque leader ou opposant potentiel. La première victime a été le chef du conseil municipal, qui a été enlevé à la mi-mai 2013 par des hommes masqués. La deuxième personne à disparaître a été le frère d’un romancier connu. Deux jours plus tard, le dirigeant du groupe qui avait peint un drapeau révolutionnaire sur les murs de la ville s’est évaporé.

« Nous avions une idée de qui l’avait enlevé », explique un de ses amis, « mais plus personne n’osait faire quoi que ce soit ». Le système de terreur s’instaura progressivement. A partir de juillet, des dizaines, puis des centaines de personnes disparurent. Parfois on retrouvait leur corps, mais en général ils disparaissaient sans laisser de traces. En août, les chefs militaires de l’EI envoyèrent plusieurs voitures conduites par des kamikazes vers le quartier général des brigades de la ASL [Armée Syrienne Libre], les « Petits-fils du prophète » , tuant des dizaines de combattants et faisant fuir le reste. Les autres rebelles se contentaient de regarder. La direction de l’EI avait établi un réseau d’accords secrets avec les brigades afin que chacun pense que seuls les autres pouvaient être la cible d’attaques de l’EI.

Le 17 octobre 2013, l’État Islamique convoqua à une réunion tous les dirigeants civils, les religieux et les avocats de la ville. A ce moment-là certains pensaient qu’il pouvait s’agir là d’un geste de conciliation. Parmi les 300 personnes qui assistèrent à la réunion, deux seulement protestèrent contre la prise de contrôle en cours, les enlèvements et les meurtres commis par l’EI.

L’un des deux était Muhannad Habayebna, journaliste et militant pour les droits civiques bien connu dans la ville. On le trouva cinq jours plus tard, ligoté et exécuté d’une balle dans le crâne. Ses amis reçurent un courriel anonyme avec une photo de son cadavre. Le message se réduisait à une seule phrase : « As-tu de la peine pour ton ami maintenant ? » En quelques heures une vingtaine de chefs de l’opposition s’enfuirent en Turquie. La révolution était terminée à Raqqa.

Peu de temps après, les 14 chefs des principaux clans prêtèrent serment d’allégeance à l’émir Abu Bakr al-Baghdadi. Il y a même un film de la cérémonie. Il y avait là les cheikhs des mêmes clans qui avaient juré loyauté indéfectible au président syrien Bachar el-Assad à peine deux ans auparavant.

La mort de Haji Bakr

Jusqu’à la fin 2013, tout se déroulait selon le plan de l’État Islamique ou du moins selon celui de Haji Bakr. Le califat s’étendait de village en village sans guère rencontrer de résistance unifiée de rebelles syriens. En effet, les rebelles semblaient paralysés face au sinistre pouvoir de l’EI.

Mais quand les sbires de l’EI eurent brutalement torturé à mort un chef rebelle qui était un médecin apprécié, en décembre 2013, quelque chose d’inattendu survint : dans tout le pays des brigades syriennes — laïques ou appartenant au front radical al-Nosra — se sont liguées pour combattre l’État islamique. En attaquant l’EI partout en même temps, elles ont réussi à priver les islamistes de leur avantage tactique — celui de pouvoir déplacer rapidement des unités là où elles étaient le plus urgemment nécessaires.

En quelques semaines, l’EI a été chassé d’une grande partie du nord de la Syrie. Même Raqqa, la capitale de l’État islamique, était presque tombée, quand 1300 combattants de l’EI sont arrivés d’Irak. Mais ils ne se sont pas joints à la bataille. Ils ont plutôt employé une ruse, se rappelle le médecin qui a fuit. « Dans Raqqa, il y avait de si nombreuses brigades sur le terrain que personne ne savait exactement où se trouvaient les autres. Soudain, un groupe habillé en rebelles a commencé à tirer sur les autres rebelles. Ils se sont simplement tous enfuis. »

Une petite mascarade toute bête a aidé les combattants de l’EI à remporter la victoire : simplement remplacer leurs vêtements noirs par des jeans et des blousons. Ils ont fait la même chose dans la ville frontalière de Jerablus. Ailleurs et à plusieurs occasions, les rebelles ont capturé des conducteurs de véhicules-suicide de l’EI. Les conducteurs leur demandaient, surpris : « Vous êtes sunnites aussi ? Notre émir m’a dit que vous étiez des infidèles de l’armée d’Assad. »

Une fois achevée, l’image semble absurde : les instruments auto-proclamés de Dieu sur terre qui vont conquérir un futur empire temporel, mais avec quoi ? Avec des tenues de ninja, des ruses minables et des cellules d’espionnage camouflées en bureaux de missionnaires. Pourtant cela a marché. L’EI a gardé Raqqa et a réussi à reconquérir certains de ses territoires perdus. Mais c’est arrivé trop tard pour le grand architecte Haji Bakr.

Haji Bakr était resté à l’arrière dans la petite ville de Tal Rifaat, que l’EI contrôlait depuis longtemps. Mais quand les rebelles ont attaqué à la fin janvier 2014, il n’a pas fallu plus de quelques heures à la ville pour se diviser. Une moitié est restée sous la domination de l’EI, tandis que l’autre en a été libérée par l’une des brigades locales. Haji Bakr s’est trouvé coincé dans la mauvaise moitié. En outre, pour rester incognito, il n’avait pas voulu se rendre au quartier général, très bien gardé, de l’EI. Et c’est alors que le parrain du mouchardage a été mouchardé par un voisin. « Un cheikh de Daech vit à côté ! », cria-t-il. Un commandant local du nom d’Abdelmalik Hadbe et ses hommes se rendirent chez Bakr. Une femme ouvrit brusquement la porte et dit de but en blanc : « Mon mari n’est pas là. »

Mais sa voiture est garée devant, ont répliqué les rebelles.

A cet instant, Haji Bakr est apparut à la porte en pyjama. Hadbe lui ordonna de le suivre, sur quoi Bakr protesta qu’il voulait s’habiller. Non, répéta Hadbe : « Viens avec nous ! Immédiatement ! »

D’une souplesse surprenante pour quelqu’un de son âge, Bakr bondit en arrière et ferma la porte d’un coup de pied, selon les deux personnes qui ont assisté à la scène. Il se cacha ensuite sous l’escalier et cria : « J’ai une ceinture d’explosifs, je vais tous nous faire sauter ! » Il sortit ensuite avec une kalachnikov et se mit à tirer. Habde alors fit feu et tua Bakr.

Plus tard, lorsque ces hommes ont appris qui ils avaient tué, ils ont fouillé la maison, ramassé les ordinateurs, les passeports, des cartes SIM de téléphones mobiles, un appareil GPS et, plus important encore, des documents. Nulle part, ils n’ont trouvé de Coran.

Haji Bakr mort, les rebelles locaux ont arrêté et détenu sa femme que, plus tard, ils ont échangée contre des otages turcs à la demande d’Ankara. Les précieux papiers de Bakr sont restés dissimulés plusieurs mois dans une chambre.

La seconde cachette de documents

L’État de Bakr a continué à fonctionner même sans son créateur. La façon précise dont ses plans ont été appliqués — point par point — est confirmée par la découverte d’un autre dossier. Lorsque l’EI a été contraint d’abandonner rapidement son quartier général d’Alep en janvier 2014, ils ont essayé de brûler leurs archives, mais ils se sont heurtés à un problème similaire à celui qu’avait connu la police secrète de l’Allemagne de l’Est 25 ans plus tôt : ils avaient trop de dossiers.

Certains sont restés intacts et sont tombés aux mains de la brigade al-Tawid, le plus grand groupe rebelle d’Alep à l’époque. Après de longues négociations, le groupe a accepté de mettre les documents à disposition de Spiegel avec un droit exclusif de publication — tout sauf une liste d’espions de l’EI à l’intérieur d’al-Tawid.

Un examen des centaines de pages de documents révèle un système très complexe impliquant la surveillance de tous les groupes, y compris les membres de l’EI. Les archivistes djihadistes conservaient de longues listes mentionnant les informateurs qu’ils avaient installés dans telle ou telle brigade rebelle et milice gouvernementale. Il était même indiqué qui parmi les rebelles espionnait pour les services de renseignement d’Assad.

« Ils en savaient plus que nous, beaucoup plus », a déclaré le dépositaire des documents. On y trouvait les dossiers personnels de combattants, y compris les lettres détaillées de candidatures d’étrangers entrants, comme le Jordanien Abou Nidal Eysch. Ce dernier donnait la liste de ses contacts avec des terroristes, y compris leurs numéros de téléphone, et le numéro de dossier d’une affaire criminelle instruite contre lui. Ses passe-temps étaient également cités : la chasse, la boxe, la fabrication de bombes.

L’EI voulait tout savoir, mais en même temps, le groupe voulait tromper tout le monde sur ses buts véritables. Un rapport de plusieurs pages, par exemple, donne soigneusement la liste de tous les prétextes dont l’EI pourrait se servir pour justifier la prise de la plus grande minoterie du pays, au nord de la Syrie. Il comprenait, entre autres justifications, des détournements de fonds, des conduites impies de la part des ouvriers. La réalité — il fallait s’emparer de toutes les unités de production stratégiquement importantes, comme les boulangeries industrielles, les silos à grain et les génératrices, et envoyer leurs équipements à Raqqa, la capitale officieuse du califat — devait rester secrète.

Maintes et maintes fois les documents révèlent les conséquences des plans de Haji Bakr concernant la création de l’EI — par exemple encourager les mariages dans des familles influentes. Les dossiers d’Alep comprenaient également une liste de 34 combattants qui voulaient des épouses, en plus d’autres demandes pour leur vie quotidienne. Abu Luqman et Abu Yahya al-Tunis indiquaient par exemple qu’ils avaient besoin d’un appartement. Abu Suheib et Abu Ahmed Osama demandaient des meubles de chambre à coucher. Abu al-Baraa al Dimaschqi réclamait une aide financière, en plus d’un mobilier complet, tandis que Abu Azmi voulait une machine à laver entièrement automatique.

Changement d’alliances

Mais dans les premiers mois de 2014, un autre héritage de Bakr se mit alors à jouer un rôle décisif : sa décennie de contacts avec les services de renseignement d’Assad.

En 2003, le régime de Damas fut pris de panique à l’idée que le président d’alors, George W. Bush, après sa victoire sur Saddam Hussein, pourrait laisser ses troupes continuer en Syrie pour renverser Assad de la même manière. Ainsi, les années suivantes, les responsables du renseignement syrien ont organisé le transfert de milliers de radicaux de Libye, d’Arabie saoudite et de Tunisie vers Al-Qaïda en Irak. Quatre-vingt-dix pour cent des kamikazes sont entrés en Irak via la Syrie. Une étrange relation s’est développée entre des généraux syriens, des djihadistes internationaux et d’anciens officiers irakiens qui avaient été loyaux envers Saddam — une entreprise commune d’ennemis jurés, qui se rencontrèrent à maintes reprises à l’ouest de Damas.

A cette époque le but principal était de transformer en enfer la vie des Américains en Irak. Dix ans après, Bachar el-Assad avait une autre raison de redonner vie à cette alliance : il voulait se présenter au monde entier comme un moindre mal. La terreur islamique, la plus est horrible étant préférable, était trop importante pour être laissée aux mains des terroristes. Les relations du régime avec l’État islamique sont — comme avec son prédécesseur dix ans auparavant — marquées d’un pragmatisme complètement tactique. Chaque partie essaie d’utiliser l’autre dans l’espoir qu’elle va en sortir plus forte, capable de vaincre le discret collaborateur d’hier. Inversement, les dirigeants de l’EI n’avaient aucun scrupule à recevoir l’aide des forces aériennes d’Assad, en dépit de tous les engagements du groupe à anéantir les chiites apostats. A partir de janvier 2014, des avions syriens auraient régulièrement — et exclusivement — bombardé les positions rebelles et leurs quartiers généraux pendant les combats entre l’EI et les troupes rebelles.

En janvier 2014, au cours des batailles entre l’EI et les rebelles, les jets d’Assad ont régulièrement bombardé des positions rebelles seulement, tandis que l’émir de l’État islamique a ordonné à ses combattants de s’abstenir de tirer sur l’armée. Cet arrangement a laissé beaucoup de combattants étrangers profondément désillusionnés; ils avaient imaginé le djihad différemment.

L’EI a déployé tout son arsenal contre les rebelles, en envoyant plus de kamikazes en quelques semaines que durant toute l’année précédente contre l’armée syrienne. Grâce en partie aux frappes aériennes, l’EI a pu reconquérir le territoire qu’il avait brièvement perdu.

Rien n’illustre mieux le renversement d’alliances tactiques que le destin de la 17e division de l’armée syrienne. La base isolée près de Raqqa était assiégée par des rebelles depuis plus d’un an. Puis des unités de l’EI défirent les rebelles et l’armée de l’air d’Assad fut à nouveau en mesure d’utiliser cette base pour des vols de ravitaillement sans avoir à craindre d’attaques.

Mais six mois plus tard, après la conquête de Mossoul par l’EI et sa mainmise sur un énorme dépôt d’armes qui s’y trouvait, les djihadistes se sont sentis assez forts pour attaquer ceux qui les avaient aidés autrefois. Les combattants de l’EI ont mis en déroute la 17e division et ont massacré les soldats qu’ils avaient, peu de temps auparavant, protégés.

Ce que l’avenir pourrait réserver

Les revers essuyés par l’EI dans les derniers mois — la défaite dans le combat pour l’enclave kurde de Kobané et, plus récemment, la perte de la ville irakienne de Tikrit, ont donné l’impression d’une fin de règne pour l’État islamique. Comme si, dans sa mégalomanie, à trop vouloir en faire, il avait perdu son mysticisme, battait en retraite et allait rapidement disparaître. Mais cette sorte d’optimisme forcé est prématuré. Même si l’EI a perdu de nombreux combattants, il continue cependant à étendre son pouvoir en Syrie.

Les expériences djihadistes de gouvernement d’un territoire spécifique ont, il est vrai, échoué dans le passé, surtout d’ailleurs parce que ceux qui s’y sont essayés ne savaient pas administrer une région, voire un État. C’est exactement de cette faiblesse que les dirigeants de l’EI ont depuis longtemps été conscients — et qu’ils ont éliminée. À l’intérieur du « Califat » ceux qui ont le pouvoir ont construit un régime plus stable et plus souple qu’il semble être vu de l’extérieur.

Abu Bakr al-Baghdadi passe pour le dirigeant officiel, mais on ne connaît pas précisément l’étendue de ses pouvoirs. En tout cas, quand un émissaire du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a contacté l’EI, c’est Haji Bakr et d’autres officiers du renseignement, et non al-Baghdadu, qu’il a approchés. Par la suite, cet émissaire s’est plaint de « ces serpents et de ces imposteurs qui trahissent le vrai djihad ».

Au sein de l’EI, on trouve des structures, une bureaucratie et des autorités étatiques. Mais on trouve aussi une structure de commandement parallèle : des unités d’élite à côté des troupes classiques ; des commandants supplémentaires à côté du chef militaire en titre Omar al-Shishani ; des éminences grises qui déplacent ou éloignent les émirs des villes ou des provinces et les font même disparaître à la demande. Mais il y a plus : les décisions devraient être prises par les conseils traditionnels, littéralement la plus haute instance décisionnaire. Au lieu de cela, elles sont prises par les « gens qui déposent et élisent » (ahl al-hall wa-l-aqd), une structure clandestine dont le nom est emprunté à l’Islam médiéval.

L’État islamique est capable d’identifier toutes sortes de révoltes internes et de les étouffer. En même temps, sa structure hermétique de surveillance lui est aussi utile pour exploiter financièrement ses sujets.

Les frappes aériennes menée par la coalition dirigée par les États-Unis ont peut-être détruit des puits de pétrole et des raffineries. Mais personne ne peut empêcher les autorités financières du Califat d’extorquer de l’argent aux millions d’habitants des régions contrôlées par l’EI — sous forme de taxes nouvelles, d’impôts ou simplement par la confiscation de propriétés. Après tout, l’EI sait tout grâce à ses espions et grâce aux données récoltées auprès des banques, des bureaux de cadastre et des bureaux de change. Il sait qui possède quelles maisons et quels champs ; il sait qui possède beaucoup de moutons ou beaucoup d’argent. Les sujets peuvent être malheureux, mais ils n’ont guère le loisir de s’organiser, de s’armer et de se révolter.

Alors que l’Occident concentre son attention en premier lieu sur la possibilité d’attaques terroristes, on a sous-estimé un scénario différent : l’imminence d’une guerre intra-musulmane entre chiites et sunnites. Un tel conflit permettrait à l’EI de passer du rang d’organisation terroriste honnie à celui de pouvoir central.

Dès aujourd’hui les lignes de front en Syrie, en Irak et au Yémen suivent cette ligne confessionnelle, avec des Afghans chiites se battant contre des Afghans sunnites en Syrie et l’EI profitant de la barbarie et de la brutalité des milices chiites en Irak. Si cet ancien conflit islamiste continue à s’amplifier, il pourrait déborder dans les États de confessions mixtes tels que l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn et le Liban.

Dans ce cas, la propagande de l’EI annonçant la venue de l’apocalypse pourrait devenir une réalité. Dans son sillage, une dictature absolue au nom de Dieu pourrait être instaurée.

Source Spiegel.de, 18 avril 2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-stratege-de-la-terreur-des-dossiers-secrets-revelent-la-structure-de-letat-islamique-par-christoph-reuter/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Béchade)

Wednesday 27 January 2016 at 00:51

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: “Monsieur Draghi est un âne” – 25/01

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (1/2): Japon, Chine, pétrole, BCE : grands perturbateurs des marchés ? – 25/01

Olivier Delamarche VS Emmanuel Lechypre (2/2): Les politiques accommodantes des banques centrales ont-elles déstabilisé l’économie mondiale ? – 25/01

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: “Aucun projet ne peut aboutir avec un pétrole… – 20/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (1/2): Quels facteurs pourraient stopper le cycle baissier des marchés ? – 20/01

Philippe Béchade VS Serge Négrier (2/2): Quelles sont les conséquences économiques et boursières de la chute des matières premières ? – 20/01

III. Michel Onfray


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-bechade-3/


[C'étaient les Guignols] LA PEUR (“Nos attentats, c’est votre sécurité”)

Tuesday 26 January 2016 at 03:15

Très fine analyse prémonitoire des Guignols en 2005… RIP.

 

Ben Laden explique la manipulation du terrorisme
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Monsieur Sylvestre : Messieurs, bonjour. Davos, c’est bientôt, et je vous apprendrai rien en vous disant que notre situation est fragile. Ça patoche depuis 10 ans, marché saturé, concurrence sauvage des chintoks qui fabriquent mieux et 40 fois moins cher… (depuis les gradins, les représentants du gouvernement chinois le saluent d’un signe de la main)

Monsieur Sylvestre : Ouaih bonjour. Les matières premières qui s’épuisent… (les représentants arabes saluent également)

Monsieur Sylvestre: Salut, ouaih ouaih… Je parle même pas de la pollution et des catastrophes naturelles. Bref, c’est la merde.

Alain Madelin: Pas de panique, les Américains y vont nous sauver !

Monsieur Sylvestre: Ouaih justement, mange-boule, faut plus trop compter sur nous…

Bernadette Chirac, se signant : Jésus-Marie-Benoît !

Bertrand Meheut en aparté (Canal +) : Mon Dieu mais… À qui va-t-on acheter des séries ?

Patrick Le Lay (TF1) : Tu veux un vieux Navarro ?

Monsieur Sylvestre : Eh oh ! C’est grave ce que je dis, là ! On crée de la misère partout, les peuples n’ont plus d’espoir, on est aux limites de notre système. Alors comment faire pour éviter la révolution et garder le pouvoir ? Parce que c’est quand même ce qui nous va le mieux, hein !

Nicolas Sarkozy: Il faut libéraliser les énergies, flexibilité, baisser les impôts…

Monsieur Sylvestre : Eh, Arnold et Willy ! T’as pas entendu ? Ça fait cent ans qu’on fait du libéralisme plein-pot chez nous. Résultat on est à 65 millions de pauvres. On est mal, là !

Ernest-Antoine Seillière (Medef) : Mais, vous êtes loin de la révolution, que diantre ! Pas de grève chez vous !

Monsieur Sylvestre : Justement, t’as mis le doigt dessus : comment garder un pays calme avec des pauvres qui crèvent dedans ?

Bertrand Meheut : Le foot ?

Patrick Le Lay : Star-Academy !

Monsieur Sylvestre : Ouaih, ça joue deux minutes. Non, il faut trouver des partenariats privilégiés. Et notre partenaire privilégié du moment, c’est notre invité de ce soir. Applaudissements s’il-vous-plaît pour Oussama Ben-Laden ! (ce dernier monte sur scène, murmures dans les gradins)

Oussama Ben-Laden : Salam Aleikoum ! Je sais, ça peut choquer. Mais mettons nos émotions de côté et regardons les choses de façon pragmatique.

Bernadette Chirac : Jésus-Marie-Benoît !

Oussama Ben-Laden : Notre implantation aux États-Unis il y a quatre ans a permis de renforcer les pouvoirs de monsieur Bush.

Georges W. Bush : C’est moi !!!

Oussama Ben-Laden : Oui, Georges, merci, oui. Et grâce à nous, grâce à la peur : développements des crédits militaires sans précédent, contrôle des citoyens, Patriot Act…

Monsieur Sylvestre : Guantanamo…

Oussama Ben-Laden : Exactement ! Le pays est tenu. Espagne : nous renversons le cours d’une élection à deux jours du vote. France : vidéo-surveillance en extension, arrestations de terroristes supposés, peur générale comme thème de campagne…

Nicolas Sarkozy : Chut ! Ah non non, faut pas le dire !

Monsieur Sylvestre : Excuse, Arnold et Willy mais je te jure, ça se voit.

Oussama Ben-Laden : Bref, d’une manière ou d’une autre, nous sommes partenaires, mais hélas si fragile… Notre recrutement devient de plus en plus difficile chez vous. Je sais. Pour que notre partenariat fonctionne encore longtemps, je vous demande souplesse et flexibilité.

Nicolas Sarkozy en aparté à Fabius : Ah tu vois, c’est ce qu’on disait !

Laurent Fabius : Non non non, je suis de gauche maintenant.

Nicolas Sarkozy : Sans déconner ?!

Oussama Ben-Laden : Je suis ici pour vous demander : un, d’accentuer l’amalgame entre musulman et terroriste ; deux, de développer la misère ; trois, communiquer sur les actions d’Al-Qaïda. En échange, je vous offre… la peur ! Nos attentats, c’est votre sécurité ! Merci de votre attention. (murmures dans le public, seul Georges W. Bush applaudit quand Oussama Ben-Laden quitte la scène)

Georges W. Bush: Bravo !

Alain Madelin: Pourquoi vous ne l’arrêtez pas ? Il s’en va !

Monsieur Sylvestre : Mange-boule, t’as encore rien compris ! Tu sors ! Les autres, on passe à notre deuxième partie : comment faire entrer Al-Qaïda en bourse sans que ça se voit trop…

Source: http://www.les-crises.fr/cetaient-les-guignols-la-peur-nos-attentats-cest-votre-securite/


[Terrorisme] Loïc Garnier : “L’action kamikaze relève de la psychiatrie”

Tuesday 26 January 2016 at 01:50

Source : Matthieu Delahousse et Violette Lazard, pour L’Obs, le 7 janvier 2016.

Le patron de la coordination anti-terroriste française parle rarement. A “l’Obs”, Loïc Garnier se confie sur la course d’endurance entamée contre des ombres, prêtes à tout pour se dissimuler.

Lorsqu’il dirigeait la crim, Loïc Garnier avait appris que le temps est bien souvent le meilleur allié des enquêtes. Désormais, il mène une course permanente contre la montre. Patron de l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (Uclat) depuis 2009, Loïc Garnier est chargé de faire circuler les informations entre les différents services et de favoriser le lien entre eux. Sur la base de tous les renseignements qui atterrissent sur son bureau, il rédige chaque semaine une synthèse sur l’état de la menace terroriste en France… Elle n’a jamais été aussi élevée.

Loïc Garnier

“Le terrorisme est une maladie très compliquée”, diagnostique Loïc Garnier. “Parmi ceux que nous recherchons et que nous pistons, certains ont des motivations religieuses. Mais d’autres ont surtout des problèmes psychiatriques.” Loïc Garnier se souvient par exemple de ce candidat au djihad interpellé avant son entrée en Syrie avec un exemplaire de “l’Islam pour les nuls” dans son sac.

Pour moi, l’action kamikaze relève de toute façon de la psychiatrie. Le suicide n’a jamais été un précepte de l’Islam.”

Interpellé par les autorités françaises, un autre avait expliqué sa démarche en ces termes :

Je ne suis pas musulman, je suis djihadiste.”

Face à cette menace multiforme, le chef de l’Uclat admet que la France est confrontée à “un problème de volume” : “Nos objectifs sont extrêmement nombreux. Cela nous oblige à prioriser certains profils, et donc à faire des choix… Avec le risque de l’erreur…”

Depuis les attentats du 13 novembre, tous les niveaux de vigilance ont été relevés. Ce qui était auparavant considéré comme des signaux faibles de radicalisation sont aujourd’hui pris au sérieux immédiatement, ce qui aurait permis les interpellations du mois de décembre.

Des techniques de dissimulation

Peu avant Noël, une jeune femme présentant un profil radical a été arrêtée à Montpellier (Hérault). A son domicile, les enquêteurs ont retrouvé un faux ventre de femme enceinte qui aurait pu servir à commettre un attentat. Mi-décembre, ce sont deux habitants d’Orléans en lien avec l’Etat islamique soupçonnés de préparer un attentat contre les forces de l’ordre qui ont été interpellés. Au total, dix projets d’attentats ont été déjoués en deux ans selon le ministère de l’Intérieur.

Pour faire face aujourd’hui, les fonctionnaires de l’Uclat sont sur le pont en permanence et très peu sont partis en vacances pendant les fêtes. C’est d’ailleurs le cas de tous les services concernés…

Pour permettre aux différents services de lutte contre le terrorisme de partager une mémoire collective, un fichier au nom imprononçable (le FSPRT) a été créé. Classifié, il recense le nombre de personnes dangereuses, radicalisées, ayant montré des velléités de départ vers la Syrie… Loïc Garnier note :

Ces fichiers permettent d’avoir une mémoire, de recouper les informations, et de détecter des signaux inquiétants.”

Mais il sait qu’une part de la menace demeurera invisible : plus que jamais, le groupe Etat islamique recommande à ses membres les techniques de dissimulation. Pour se cacher, ceux que Daech considère comme des “combattants” sont incités à ne pas porter la barbe. Serrer la main des femmes. Et même de manger du porc… Garnier conclut :

Nous luttons contre le terrorisme avec un filet. Certains poissons arrivent à maigrir suffisamment pour passer dans les mailles, puis regrossissent juste avant de passer à l’action…”

Les mailles ne peuvent pas être resserrées à chaque attentat. Et l’accepter fait partie du boulot.

Source: http://www.les-crises.fr/terrorisme-loic-garnier-laction-kamikaze-releve-de-la-psychiatrie/


COP21 : les points clés de l’accord universel sur le climat

Monday 25 January 2016 at 00:15

Source : Le Monde, Pierre Le Hir, 13-12-2015

« Un accord différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant. » C’est en ces termes que le président de la COP21, Laurent Fabius, a présenté l’accord universel sur le climat qui a été adopté par consensus, le samedi 12 décembre au soir, par les 195 Etats participant à la conférence. « Le texte, a-t-il ajouté, constitue le meilleur équilibre possible, un équilibre à la fois puissant et délicat, qui permettra à chaque délégation de rentrer chez elle la tête haute, avec des acquis importants. » Décryptage des points essentiels.

L’accord est plus ambitieux que l’objectif initial de la COP21, qui visait à contenir le réchauffement sous le seuil des 2 °C. Il prévoit de le maintenir « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Et ce « en reconnaissant que cela réduirait significativement les risques et impacts du changement climatique. »

La mention du seuil de 1,5 °C était une revendication portée par les petits Etats insulaires menacés de submersion par la montée des mers. Elle a surtout une portée symbolique et politiquerester sous le plafond de 1,5°C étant irréaliste en l’état actuel des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Ce volontarisme est contrebalancé par la faiblesse de l’objectif à long terme de réduction des émissions mondiales. Il est seulement prévu de viser « un pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre dès que possible ». Des versions antérieures retenaient un objectif de baisse de 40 % à 70 %, ou même de 70 % à 95 %, d’ici à 2050. Ces mentions, jugées trop contraignantes par certains pays, ont été gommées. A plus long terme, « dans la seconde moitié du siècle », l’objectif est de parvenir à « un équilibre » entre les émissions d’origine anthropique et leur absorption par des puits de carbone (océans, forêts ou, sans que le texte le formule explicitement, enfouissement du CO2).

Rappelons que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) juge nécessaire de baisser de 40 % à 70 % les émissions mondiales d’ici à 2050, pour éviter un emballement climatique incontrôlable.

La différenciation des efforts qui doivent être demandés aux différents pays, en fonction de leur responsabilité historique dans le changement climatique et de leur niveau de richesse – ou de pauvreté – a, cette fois encore, cristallisé l’opposition entre Nord et Sud. Le texte rappelle le principe des « responsabilités communes mais différenciées » inscrit dans la Convention onusienne sur le climat de 1992.

Il pose que les efforts doivent être accomplis « sur la base de l’équité », et acte que « les pays développés continuent de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus ». Les pays en développement « devraient continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation (…) eu égard aux contextes nationaux différents », formulation qui prend donc en compte leur niveau de développement. Enfin, l’accord souligne qu’« un soutien doit être apporté aux pays en développement » par les nations économiquement plus avancées.

Pour solder leur « dette climatique », les pays du Nord ont promis à ceux du Sud, en 2009, de mobiliser en leur faveur 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) par an, d’ici à 2020. Les nations pauvres veulent davantage, après 2020, pour faire face aux impacts du dérèglement climatique, sécheresses, inondations, cyclones et montée des eaux.

Le texte entrouvre une porte, en faisant de ces 100 milliards « un plancher », qui est donc appelé à être relevé. De plus, « un nouvel objectif chiffré collectif » d’aide financière devra être présenté « avant 2025 ». C’est une nette avancée, même si elle laissera les pays pauvres sur leur faim.

Sur ce sujet très sensible pour les pays les plus menacés par le dérèglement climatique, l’accord reconnaît « la nécessité d’éviter et de réduire au minimum les pertes et dommages associés aux effets négatifs du changement climatique, incluant les événements météorologiques extrêmes [inondations, cyclones…] et les événements à évolution lente [montée des eaux…], et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et dommages ».

Mais il se contente, de façon très générale, de mentionner que les parties « devraient renforcer la compréhension, l’action et le soutien » sur cette question. Il exclut toute « responsabilité ou compensation » des pays du Nord pour les préjudices subis par les pays en développement.

C’est un point essentiel de l’accord. Les « contributions prévues déterminées au niveau national » annoncées par les Etats, c’est-à-dire leurs promesses de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, sont aujourd’hui nettement insuffisantes pour contenir le réchauffement à un maximum de 2 °C, et a fortiori de 1,5 °C. A ce jour, 190 pays sur 195 ont remis leurs contributions qui, additionnées, mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement d’environ 3 °C. Ces engagements seront annexés à l’accord, mais ils n’en font pas partie stricto sensu. Etant volontaires, ils n’ont pas de valeur contraignante.

Le texte prévoit un mécanisme de révision de ces contributions tous les cinq ans, donc théoriquement à partir de 2025, l’accord global devant entrer en vigueur en 2020. Un « dialogue facilitateur » entre les parties signataires doit être engagé dès 2018 sur ce sujet.

Pour les ONG, le rendez-vous de 2025 est beaucoup trop tardif. L’Union européenne, les Etats-Unis, le Brésil et quelque 80 pays en développement, réunis au sein d’une Coalition pour une haute ambition, qui s’est constituée durant la COP, envisageaient de prendre les devants en s’engageant à une première révision avant 2020.

Pour entrer en vigueur en 2020, l’accord devra être ratifié, accepté ou approuvé par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais, « à tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord pour un pays », celui-ci pourra s’en retirer, sur simple notification.

Droits humains : satisfaction mêlée d’une vive inquiétude

Tout en saluant la reconnaissance notable des droits humains, les ONG regrettent vivement le manque d’engagement clair des États à respecter ces droits, dans leurs actions contre le changement climatique. Pour la première fois, le devoir des États à « respecter, promouvoir et prendre en compte les droits humains » est inscrit dans le préambule de l’accord. « C’est là une vraie avancée qui souligne la responsabilité des États à agir dans le respect des droits humains. Mais le texte ne les y oblige pas », relève Fanny Petitbon, de l’ONG Care France, qui déplore que cette reconnaissance ne figure pas dans l’article 2, qui fixe les objectifs de l’accord.

Les Etats ont refusé d’ancrer dans l’accord cette reconnaissance et notamment celle de la sécurité alimentaire. Il n’est fait mention dans l’article 2 que de « production alimentaire » : le texte souligne que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas menacer la production agricole. « C’est une façon pour les États de repousser la transition  pourtant urgente et nécessaire  et leurs systèmes agricoles vers des modèles moins polluants », s’alarme Peggy Pascal, d’Action contre la faim. L’article 2 rappelle cependant l’objectif de développement durable d’éradication de la pauvreté.

Source : Le Monde, Pierre Le Hir, 13-12-2015

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L’accord obtenu à la COP21 est-il vraiment juridiquement contraignant ?

Source : Le Monde, Audrey Garric, 14-12-2015

L’accord de Paris sur le climat est-il vraiment juridiquement contraignant ? Le ministre des affaires étrangères et président de la COP21, Laurent Fabius, l’a fièrement annoncé samedi 12 décembre, au moment de l’adoption du texte par les 195 Etats de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Une condition qu’il n’avait cessé de marteler tout au long de la préparation de cette conférence des parties, qui marque une étape historique dans les négociations climatiques. Mais cette question délicate, à l’origine d’une passe d’armes entre Paris et Washington à la mi-novembre, suscite encore un débat parmi les juristes.

« Du point de vue du droit international, l’accord n’est pas à strictement parler contraignant dans la mesure où il ne prévoit pas de mécanisme coercitif ou de sanction pour les pays qui ne respecteraient pas leurs engagements », avance Matthieu Wemaëre, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles, expert en droit du climat et négociateur pour le Maroc lors de la COP21. « Dans cet accord, il n’y a rien de contraignant : il n’y a pas de sanction, donc les Etats font ce qu’ils veulent, regrette Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace Franceinterrogé par RTL dimancheSi demain matin, les Etats qui vont signer ces accords aujourd’hui ont envie de partir dans une toute autre direction, personne ne peut les empêcher. »

Pas de mécanisme de sanction

De fait, les 29 articles de l’accord n’instaurent ni « comité de contrôle du respect des dispositions », ni de mécanisme de sanction, comme le prévoyait le protocole de Kyoto, le précédent accord sur le climat adopté en 1997 et entré en vigueur en 2005. A Kyoto, les pays développés, les seuls concernés par des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s’étaient engagés à rattraper d’éventuels dérapages dans leurs engagements en assumant une forme d’« amende » de 30 % de réduction d’émissions supplémentaire. Mais les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le protocole, et le Canada, sous la menace de sanctions, en est tout simplement sorti en 2011, ainsi que la Russie, le Japon et l’Australie par la suite. Sans aucune conséquence pécuniaire ou juridique.

L’accord de Paris, qui doit prendre le relais à partir de 2020, a donc essayé de ne pas tomber dans les écueils du protocole de Kyoto et d’un mécanisme de sanction inefficace, voire repoussant. « C’est un texte contraignant à de nombreux points de vue, car la contrainte ne passe pas seulement par la punition, estime de son côté Laurent Neyret, professeur de droit à Versailles spécialisé en environnementOn est bien dans du “droit dur”, des actes obligatoires, et non pas du “droit mou”, comme les résolutions ou les déclarations. »

Traité international

Tout d’abord, de par sa forme juridique, à savoir un protocole additionnel à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’accord de Paris a une valeur de traité international. « Il ne porte pas le nom de protocole ou de traité, sans quoi il aurait dû passer devant le Congrès américain, majoritairement républicain, qui aurait empêché sa ratification, explique Matthieu Wemaëre. Mais il en a bien la force. » Ce qui l’oblige à « être exécuté de bonne foi par les parties », comme le prévoit la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

Pour entrer en vigueur, il devra avoir fait l’objet d’une ratification, acceptation, approbation ou adhésion, à partir du 22 avril 2016, par « au moins 55 pays » représentant « au moins 55 % » des émissions mondiales. Dans le cas de la France, il s’agira d’une loi votée par le Parlement, en parallèle d’une décision d’approbation au niveau de l’Union européenne. Aux Etats-Unis, Barack Obama devrait privilégier la voie de l’executive agreement, une forme de décret présidentiel lui permettant de contourner l’obstacle du Sénat.

« Shall » et « should »

L’accord de Paris comporte par ailleurs de nombreuses obligations juridiques de résultats, mentionnées dans le texte par les « shall » [doit], ou de moyens (« should » [devrait]). Leur portée et leur force se jouent dans les nuances. Par exemple, les contributions nationales livrées par les pays, c’est-à-dire leurs engagements précis de réduction d’émissions, n’ont pas de valeur contraignante, étant volontaires dans leur ambition et ne faisant pas partie de l’accord stricto sensu. En revanche, chaque Etat a malgré tout l’obligation d’en établir une, de la mettre en œuvre, et surtout de la réviser à la hausse tous les cinq ans, selon les articles 3 et 4 de l’accord.

Enfin, le texte, et son article 13, prévoit un mécanisme de transparence, qui conduira un comité d’experts internationaux à vérifier, publiquement, les informations fournies par les pays en termes de suivi de leurs émissions et des progrès accomplis pour les réduire. Contrairement au protocole de Kyoto, ce mécanisme dit de MRV (Monitoring, reporting and verification, ou « Suivi, notification, vérification ») s’appliquera non seulement aux pays développés mais également à ceux en développement – avec plus de souplesse. « Tout l’enjeu de la transparence est de permettre la confiance et le dialogue entre les pays, afin de s’encourager mutuellement à augmenter leur ambition », avance Matthieu Wemaëre.

Car la transparence met également en jeu la réputation des pays vis-à-vis de leurs pairs et de leur opinion publique. « La règle du “name and shame” [montrer du doigt] fait office de punition et peut encourager les Etats à respecter leurs promesses, estime Laurent Neyret. Sans quoi, la déception de la société civile face à un accord de Paris qui ne serait pas respecté pourra se traduire par une judiciarisation des questions climatiques, et des condamnations des Etats par des juges nationaux. »

Source : Le Monde, Audrey Garric, 14-12-2015

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Pour approfondir :

-Les engagements par pays

-L’accord en français

Source: http://www.les-crises.fr/cop21-les-points-cles-de-laccord-universel-sur-le-climat/