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[Reprise] Une histoire de Charlie Hebdo, par Acrimed [2008]

Tuesday 27 January 2015 at 04:00

Intéressant article d’Acrimed de 2008…

La récente « affaire Philippe Val et consorts », dont Siné a été la cible (( « Quand Philippe Val, Charlie Hebdo et BHL maltraitent la liberté d’expression… Acrimed soutient Siné ». )) , est la conséquence, voire la conclusion, de seize années d’involution, d’un hebdomadaire, Charlie Hebdo (( Sur cette histoire, lire aussi la tribune de Stéphane Mazurier publiée sur le publiée sur le site de Télérama, le 24 juillet 2008, sous le titre “L’honneur perdu de Charlie Hebdo )) . Du hold-up sur un titre par Philippe Val au détournement de son orientation éditoriale avec le concours des plus jeunes : retour sur la normalisation de Charlie Hebdo.

Eté 1992. Charlie Hebdo, journal « mythique » des années 70, mort en décembre 1981 et enterré le 2 janvier 1982, chez Michel Polac sur TF1, renaît de ses cendres. A l’essentiel de l’équipe des anciens (Cavanna, Cabu, Gébé, Willem, Wolinski, Delfeil de Ton et Siné), s’ajoutent des nouveaux (Charb, Luz, Riss, Honoré, Bernar, Tignous, Plantu, Olivier Cyran, Oncle Bernard, etc.), des artistes du music-hall (Renaud et Patrick Font), et le chansonnier et ex-rédacteur en chef de La Grosse Bertha : Philippe Val. Le programme s’annonce alléchant. Un absent de marque toutefois : Georges Bernier, alias le Professeur Choron. Un signe.

Eté 2008. Le journal « mythique » des années 70 n’est plus que la pâle copie de ce qu’il était seize années plus tôt. Figure emblématique de l’hebdo, le dessinateur Gébé est mort, ainsi que Bernar et Pasquini. Des journalistes de talent ont pris la porte : au revoir Olivier Cyran, au revoir François Camé et Anne Kerloc’h, au revoir Michel Boujut, au revoir Mona Chollet… Un dessin de Lefred Thouron sur Patrick Font (en procès pour pédophilie) ne passe pas : Lefred quitte le navire (le dessin sera publié après son départ, avec un mot de Philippe Val). Renaud, un des principaux actionnaires, abandonne aussi l’hebdo. Patrick Font, condamné à une peine de prison, disparaît rapidement des photos de son ex-comparse, Philippe Val. Wolinski dessine pour Paris MatchLe Journal du Dimanche et les publicités St Yorre, Cabu donne ses meilleures caricatures au concurrent d’en face, le Canard Enchaîné et les jeunes (Jul, Charb, Tignous, etc.) font la queue pour griffonner pour la télévision, dans des émissions de bas de gamme.

Engraissée par les euros et les repas mondains, notabilisée par les soirées chez Ardisson et les cocktails avec BHL, glorifiée avec le procès des caricatures et la montée des marches à Cannes, l’équipe de Charlie Hebdo décide, à la quasi-unanimité, de renvoyer Siné pour propos prétendument antisémites (( Seuls Tignous et Willem ont signé la pétition de soutien à Siné. Michel Polac et Cavanna semblent également avoir été réticents à l’exclusion de Siné, mais se sont soumis, sans mettre leur démission dans la balance. )) .

On ne rigole plus à Charlie Hebdo. Avec son impertinence, l’équipe restante a aussi gommé de sa mémoire ses éclats de rire d’autrefois et les nôtres par la même occasion… Ainsi de cette brève parue dans son numéro 1, le 1er juillet 1992 : « Les premières mesures de la gauche au pouvoir en Israël : pour pallier la pénurie de calamars, le gouvernement lance une grande campagne de récupération des prépuces. » Une brève qui, selon le rédacteur en chef adjoint, Charb, avec lequel nous nous sommes entretenus par téléphone, « ne passerait plus aujourd’hui » (( L’entretien avec Charb a eu lieu le 22 août 2008. )) .

Pourquoi, et comment, un hebdomadaire satirique, mariant humour acide et critique sociétale, a-t-il subi une telle dérive ?

I. Le ver était déjà dans le fruit

Le processus de normalisation avait déjà commencé au sein de la Grosse Bertha, avant même la renaissance du titre Charlie Hebdo.

Les dessous de La Grosse

Hebdomadaire satirique et « bordélique »La Grosse Bertha est née au début de la guerre du Golfe, en janvier 1991. Quelques mois après le lancement, Philippe Val, tout droit venu de la scène, emprunte l’habit de rédacteur en chef. Et les querelles ne se font pas attendre :« On était partis avec “Un éclat de rire par page” et on se retrouvait sermonnés au nom du précepte : “Il faut des indignations.” » (( « Les dessous coquins de La Grosse », La Grosse Bertha, 29 août 1992, trouvé sur presselibre.net (mais le lien n’est plus accessible – août 2010) et reproduit sur le site Le Blog de Philippe V., éditorialiste martyr» )) Certains rédacteurs sont mis sur la touche. Et l’autoritarisme de Val en irrite (déjà) plus d’un. « Un jour, Godefroy [Jean-Cyrille Godefroy était le directeur de la publication] eut la surprise d’entendre de la bouche du rédacteur en chef : “Je te préviens, au prochain conflit entre nous, je te vire.” Un rédac’ chef virant le propriétaire du journal (( D’après Philippe Val, le titre a été trouvé par Gébé, mais a été déposé par Godefroy. )) , c’eût été une grande date de l’histoire de la presse. Du coup, Godefroy demanda à Philippe Val de rentrer dans le rang, pour que le journal retrouve son ambiance déconnante, sa joyeuse anarchie, l’excitation des bouclages où tout te monde dit son mot sur la couverture. » Val reste inflexible :« Refus outré. À notre grand désarroi, nous vîmes alors le doux Cabu faire bloc avec Val, ce génie méconnu, accusant Godefroy et quelques autres d’entraîner le journal “à droite”. Une accusation dont les lecteurs peuvent vérifier après coup la stupidité… Sidérés, ne comprenant pas grand-chose au conflit dont ils étaient pour la plupart éloignés, beaucoup de copains de la rédaction virent Cabu claquer la porte et appeler les masses à le suivre, avec un mauvais rictus qu’on ne lui connaissait pas. Quelques jours plus tard, l’opinion étonnée vit sortir du caveau le défunt Charlie Hebdo, un titre d’ailleurs piqué sans vergogne à son propriétaire, le professeur Choron. »1

La suite, on la connaît. Philippe Val, Cabu et les anciens, et avec le renfort de quelques jeunes talents, lancent Charlie Hebdo, deuxième époque. « Pour faire quel journal ? », s’interroge Val. « Eh bien nous avons fait un sondage représentatif de mille cons, pour solliciter leur avis, et on a fait le contraire. (( Charlie Hebdo, 1er juillet 1992.))  » Le contraire, vraiment ?

Quinze ans plus tard, Charb ne semble pas en être convaincu. Devant ses potes, lors du festival de Groland en septembre 2007, il affiche son désaccord : « Le truc qui est dur pour les gens de Charliec’est que Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo… c’est lui le directeur et c’est lui qui ressemble le moins au journal quasiment (…) (( Merci au correspondant qui nous a signalé l’omission de cet adverbe qui, lisible sur la vidéo) nuance le sens de la phrase (Acrimed, 17 août 2009). )) Si j’étais directeur d’un journal et si j’avais les moyens de faire un journal, il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas . » (( « Charlie Hebdo se fait Hara-Kiri », montage de Pierre Carles, disponible en ligne sur le site du Plan B, 2008. ))

 


Quand Charb parle de Philippe Val by acrimed

Extrait de « Charlie Hebdo se fait Hara-Kiri », montage de Pierre Carles, à voir sur le site Plan B.

Il affiche son désaccord… Mais il reste rue Turbigo. Contacté par Acrimed, il s’explique : « Dire que Charlie Hebdo est le journal parfait dans lequel je rêve de travailler est évidemment faux (…). Mais j’ai moins de liberté dans des journaux qui me sont plus proches politiquement que dans un journal dirigé par Val. » Nous voilà rassurés.

Les coulisses de Charlie

A peine paru en 1992, le journal écope d’un procès. Delfeil de Ton, aujourd’hui chroniqueur au Nouvel Observateur, membre de l’équipe du premier Charlie Hebdo, présent lors de la création du deuxième, fait état de souvenirs que nous ne pouvons pas vérifier, mais qui témoignent de l’opacité du contexte : « Bernier (alias Professeur Choron) proteste mais, en fait, il n’avait pas la propriété, le titre n’ayant jamais été déposé. Procès. Nous témoignons tous, sur le conseil de l’avocat Richard Malka, que Cavanna a inventé le titre. En réalité, bien malin celui qui pourrait dire qui l’a inventé. Tout le monde a tout de suite pensé à faire un « Charlie- Hebdo », en 70, quand « l’Hebdo hara-kiri » a été interdit  (( En réalité le journal a été interdit d’affichage. )) , puisque outre le mensuel « Hara-Kiri » on avait un autre mensuel qui s’appelait « Charlie », que j’avais d’ailleurs fondé. » (Le Nouvel Observateur, 14 août 2008) « L’astuce de Malka, poursuit Delfeil de Ton, c’était que, comme il n’y avait pas de propriété commerciale établie, il fallait jouer le droit d’auteur. Donc, tous ensemble, lettres au tribunal, comme un seul homme et tous fabulateurs : « C’est Cavanna qui a inventé le titre. » Voilà Cavanna proclamé auteur du titre par le tribunal. Conséquemment, il se retrouve également propriétaire de la valeur patrimoniale de « Charlie-Hebdo », de la marque « Charlie-Hebdo » comme disent les économistes. »

Et la conception de Charlie Hebdo nécessite un capital. Au début de 2 000 francs, « il est aujourd’hui de 240 euros, précise Le Monde (( “30 juillet 2008.” )) , chacune des 1 500 parts valant symboliquement 16 centimes. » Les actionnaires de départ sont Gébé, Val, Cabu, Bernard Maris et Renaud. Le départ de Renaud et la mort de Gébé ont réorganisé la répartition : 600 parts pour Val, 600 pour Cabu, 200 pour Maris et 100 pour Eric Portheault, le comptable. La situation est telle, qu’en 2006, « les Editions Rotative, éditrices de Charlie Hebdo, ont enregistré un résultat bénéficiaire de 968 501 euros. (…) [Et] 85% de cette somme ont été redistribués en dividendes. » (( “Ibid.” )) Ainsi, Val et Cabu ont chacun perçu 330 000 euros en 2006. Une broutille.

Comment en est-on arrivé là ? Delfeil de Ton replonge dans ses souvenirs (( “Le Nouvel Observateur, article cité.” )) : « Un jour, Cavanna, Val et moi, on se retrouve chez Malka. Pour Cavanna et moi, il était notre avocat à tous. En fait, il était l’avocat de Cabu et Val. Nous lui demandons de préparer des statuts à la manière de ce que nous pensions être ceux du Canard enchaîné  : les sept (dont Cabu) fondateurs encore vivants de Hara-Kiri hebdo (notre premier titre), puis de Charlie Hebdo, plus Val, seraient propriétaires temporaires à parts égales. Chaque part reviendrait à un collaborateur du journal choisi par les survivants après chaque décès. (…) Les semaines succèdent aux semaines et rien ne vient. Je fais irruption chez Malka. Je lui demande où il en est de ces statuts pour une société. Il me sort un brouillon de charte. J’ai compris qu’on se foutait de nous. »2 Le ver était déjà dans le fruit. Et l’hégémonie du chef ne s’affaiblissait pas… « Comme, déjà, l’autoritarisme de Val m’était insupportable, sa morgue, sa prétention, à quoi s’ajoutait l’ennui qui régnait dans la salle de rédaction, j’ai foutu le camp sans phrase, après cinq mois de collaboration, me contentant un dimanche de bouclage de ne pas envoyer mon article. Le mardi je recevais par la poste, sans un mot d’accompagnement, un « pour solde de tous comptes ». C’était en mars 1993. »

Charlie Hebdo, hebdomadaire décalé, bête et méchant ? Non.Charlie Hebdo, parodie de satire, et réelle entreprise capitaliste.

II. Et le fruit a pourri le panier

Adaptations à l’air du temps et normalisation interne produisent leurs effets : Charlie se transforme en hebdomadaire recentré, consensuel, convenable, déontologique, respectable.

  • Recentré. Dans le Charlie Hebdo du 21 mai 1997, avant les élections législatives, un sondage interne au journal dévoilait : « A “Charlie“, 9 votent Vert, 7 PC, 4 s’abstiennent, 1 LO, 1 LCR et … 2 PS », et un personnage dessiné par Charb s’inquiétait déjà : « 2 PS ? Merde… Je pensais pas que la droite avait infiltré “Charlie“. » (( Cité par Le Plan B, juin 2007. )) Une inquiétude ironique largement confirmée depuis, puisqu’une brève du 18 avril 2007 signale que « sur 38 collaborateurs de Charlie Hebdo : 18 votent Royal, 9 votent Voynet, 3 votent Buffet, 3 votent Besancenot, 3 votent Bayrou, 1 vote Bové, 1 vote blanc. » Soient 21 collaborateurs qui votent à « droite » et 16 à gauche. Charlie Hebdo, de droite ? Oui, si l’on en croit Philippe Val lui-même, puisque ce dernier, en juin 1998 écrivait que « la vraie droite aujourd’hui, c’est le PS. » Neuf ans plus tard, le 9 février 2007, il lâche chez Pascale Clark sur Canal+ (« en aparté ») : « Je voterai pour le candidat de gauche le mieux placé. » Le mieux placé ? Comprendre Ségolène Royal.
  • Consensuel. Sur les principales questions internationales,Charlie hebdo reproduit peu à peu les positions dominantes. Ainsi sur le Kosovo. Alors que dans les années 70, Cabu s’insurgeait« contre toutes les guerres » et collectionnait les procès intentés par l’armée, en 1999, il soutient, avec toute l’équipe de Charlie Hebdo, exception faite de Siné et Charb, l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo. Dans le n°361 de Charlie Hebdo (19 mai 1999), en lieu et place de la chronique de Charb, un texte de Riss (qui n’écrit pas d’ordinaire) reproche même aux pacifistes d’être des collabos ! De même sur le traité constitutionnel européen : si d’autres voix que celle de Philippe Val se font entendre, c’est lui qui conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du « non » au référendum.
  • Convenable. La normalisation du journal s’accompagne donc d’une réorientation de la ligne éditoriale. Celle-ci prend pour cibles prioritaires l’islamisme et le mouvement de contestation de la mondialisation libérale, généreusement amalgamés. Cette dérive a été renforcée avec l’arrivée en force de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, toutes deux en lutte contre « l’islamo-gauchisme ». Des positions qui plaisent. Ajoutez à cela, le procès des caricatures de Mahomet, et pour tout soutien celui, sans risques, à des causes très populaires – Ingrid Betancourt, Florence Aubenas, Ayaan Hirsi Ali… Et vous ne tarderez pas à voir rappliquer les mondains, Bernard-Henri Lévy en tête. BHL adore les livres de Caroline et de Philippe, et c’est réciproque. Il est loin le temps où le philosophe des beaux quartiers, « l’Aimé Jacquet de la pensée », selon Val, était hebdomadairement croqué par Luz et raillé par Val.« Prononcer le nom de nos têtes pensantes – BHL, PPDA, Finkielkraut, Luc Ferry, Johnny Hallyday, Comte Sponville, Alain Minc… – dans un amphi d’université, écrivait alors le patron deCharlie Hebdo, aujourd’hui, provoque à tous les coups une hilarité libératrice. (…) Le film de BHL avec Alain Delon, promu par tous les médias, a fait un bide. Le livre de Bourdieu sur la domination masculine, promu par personne, fait un triomphe. Si ça ne vous rend pas joyeux au point d’éclater de rire, c’est que vous avez vraiment mauvais caractère. » (« Les BHL se rebiffent », Charlie Hebdo, 23 septembre 1998) Charlie Hebdo est devenu convenable.Libres aux journalistes de Charlie Hebdo et aux lecteurs d’approuver sans haut-le-cœur cette nouvelle « offre politique » et cette entrée par la petite porte dans la cour des « grands ». Mais force est de constater qu’il s’agit d’un détournement d’héritage qui n’a pas été sans conséquences.Ce glissement politique de gauche à droite, de la paix vers la guerre, de la subversion vers l’orthodoxie, s’est fait progressivement, mais sûrement. On voit ainsi disparaître, dans le silence quasi-général, des signatures talentueuses (Cyran, Camé, Boujut,…) au profit de plumes conventionnelles et/ou médiatiquement plus « reluisantes » : le dessinateur Joan Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, le sociologue médiatique Philippe Corcuff (lui même acculé à démissionner (( Mais qui prend soin de préciser : « Mon départ ne change rien à ma solidarité avec la rédaction en général et avec Philippe Val en particulier face aux insultes répétées et aux informations erronées [lesquelles ?] diffusées par PLPL » et qui, conformément à ce type d’engagement, s’est courageusement abstenu de défendre Siné, préférant travailler « du côté des tonnelles ombragées de notre mélancolie politique ». Lire sur son blog : « Périls sur l’antiracisme en France : du Proche Orient à “l’affaire Sinéé” » (pour les plus pressés, et les moins courageux, se rendre directement au post scriptum). )) , Renaud Dély venant deLibération, Philippe Lançon du même, Anne Jouan du Figaro, etc.
  • Respectable. Cette normalisation contribue à une notabilisation du journal que Philippe Val justifie comme un choix majeur en 2005 : « J’ai de la chance, explique le patron de Charlie Hebdo, car j’ai en quelque sorte “hérité” d’un titre légendaire que j’exploite. [...]Son image est assez complexe et pas toujours porteuse. Son existence est légitime, mais son contenu pas toujours. C’est le paradoxe. [...] » (Entretien accordé au magazine TOC en février 2005). Parmi les options destinées à dénouer ce paradoxe, celle-ci : « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui j’entretiens des rapports cordiaux. » [C’est nous qui soulignons] Pour entretenir les « rapports cordiaux » avec les « gens » qui permettent de légitimer le titre, non seulement il faut émousser voire taire toute critique, mais surenchérir dans la dénonciation de la critique des médias. A quoi Philippe Val s’emploie dans ce même entretien, comme on peut le lire ici même sous le titre « Philippe Val, critique, stratège et … psychiatre », et dans l’ensemble de son œuvre (( Lire sur Acrimed : Philippe Val : « la critique radicale des médias alliée du grand capital »Philippe Val recycle son éditorial purificateur sur France InterPhilippe Val, épurateur chroniqueDroit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de pressePhilippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias)) .Telle est la dure loi du « milieu de l’information »  : les arrivistes doivent payer au prix fort leur arrivée.
  • Déontologique. Au prix fort… En effet l’évolution conjointe des positions politiques et du positionnement médiatique n’a pas été sans effet sur les pratiques journalistiques de l’hebdomadaire, et, au premier chef, de Philippe Val lui même : calomnies et mensonges (notamment sur Noam Chomsky), fausses rumeurs (par exemple sur le Forum social européen), diffamations de membres de l’Observatoire français des médias, refus des droits de réponse, que nous avons plusieurs fois relevés ici-même (( Echantillon : « Philippe Val, propagateur de calomnies et docteur ès déontologies » suivi de « Philippe Val sur France Inter : un récital de mensonges et de calomnies contre Chomsky »« Elle court, elle court la rumeur », suivi de « Charlie Hebdo court après les rumeurs qu’il répand » ))…
  • Pacifié. De telles pratiques journalistiques, la normalisation du journal et les prises de position de Val, auraient pu, auraient dû, susciter réaction et rébellion à Charlie Hebdo, et l’exclusion de Siné aurait peut-être permis à ceux qui pensaient tout bas, de sortir tout haut du rang. Il n’en a rien été. Même le rédacteur en chef adjoint du journal et (ex-)ami de Siné, Charb, est resté silencieux. Parce qu’il est celui qui semblait être le plus indomptable de tous, ses choix personnels, entre compromis et compromission, ont donc valeur d’exemple…

Charb a estimé, le 16 juillet 2008, que Siné avait porté – c’est un comble – « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo. Et c’est pourtant le même Charb qui dans sa chronique « Charb n’aime pas les gens » datée du 30 juillet 2008 écrit : « Personne n’a dit que Siné était antisémite (…) parce que ça n’a jamais été le sujet du débat. Aurait-on travaillé durant seize ans avec un antisémite ? Moi, non. » Si cela n’a jamais été le sujet du débat, alors pourquoi Philippe Val, dans son éditorial du même jour se pose la question et ressort une affaire vieille de 26 ans ? « Antisémite, Siné ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais au lendemain de l’attentat de la rue des Rosiers, en 1982, c’est lui-même qui déclarait sur la radio Carbone 14 : “Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien. Qu’ils meurent.” (( Sur cette affaire, Siné, qui s’était excusé le plus sobrement possible, s’explique sur le site de Rue89,. ))  » Le prétendu antisémitisme de Siné, a bien été le sujet du débat à Charlie Hebdo et le prétexte de son exclusion.

Dans la même chronique, Charb écrit : « Val aurait cessé de publier les chroniques de Siné parce qu’il critiquait la politique d’Israël dans les territoires occupés, (…) je serais parti du journal. »Cependant, dix ans auparavant, Siné a écrit une chronique sur le conflit israélo-palestinien, qui était passée à la trappe (n°319, 29 juillet 1998). Le libelliste a ensuite publié une version modifiée – plus courte et plus édulcorée – dans sa zone du 5 août 1998 (n°320). Charb n’avait pas démissionné pour autant. Compromis indispensable ? (( Son positionnement (stratégique ?) dans le renvoi de Siné, n’est-il pas dû alors au projet d’éditions qui anime l’équipe de Charlie ? La société d’éditions « Les Echappés », qui compte comme actionnaires principaux Riss, Luz, Catherine et Charb, et dans une moindre mesure Val et Cabu, aurait-elle pu voir le jour si Charb était allé au charbon et avait soutenu son « pote » Siné ? « Cela n’a rien à voir, répond-il, la maison d’éditions c’est un truc marginal par rapport à mon rôle dans Charlie Hebdo. » ))

De même, lorsqu’on rappelle à Charb ses positions sur les médias, celui-ci explique : « Je ne suis pas un spécialiste des médias (…). Quant au travail de Pierre Carles, l’affiche que j’ai faite pour son film [« Enfin Pris ? »], etc. Je ne renie rien et puis suivant ce que les uns et les autres sortent ou produisent … ça m’arrive de bien aimer leur boulot encore. Je n’ai pas changé de position là-dessus. Je n’ai pas l’impression que ce soit moi qui ai changé de position. C’est sûr qu’on ne me demande plus d’affiche pour Pierre Carles, mais enfin pourquoi pas ? » (( Peut-être fera-t-il celle du film « Charlie Hebdo se fait Hara Kiri », cité plus haut, dont il est le héros (involontaire) ? )) Pourtant, quand Val prend violemment à parti Serge Halimi en 2004, alors qu’il l’avait soutenu 7 ans plus tôt (( Voir quand Philippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias et le droit de réponse de Serge Halimi : Droit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de presse. )) , Charb regarde ailleurs.

Avant, Charb n’aimait pas les gens, mais maintenant, il a accepté, avec la pacification très relative de Charlie Hebdo, de monter les marches du festival de Cannes en compagnie de BHL et de Joffrin, de pérorer chez Ardisson ou de dessiner pour Marc-Olivier Fogiel… et, finalement, de renvoyer Siné.

Epilogue

L’exclusion de Siné pourrait bien sonner le glas de Charlie Hebdo.

Siné s’est toujours rangé du côté des « damnés de la terre », des « insoumis » et des « dominés », et toujours contre « tous les curés » et « les connards » du monde entier. Prendre prétexte d’une phrase pour le virer de Charlie Hebdo est donc lourd de signification. Relisons-là (une dernière fois) : «  [Jean Sarkozy]vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » Aurait-elle suscité tant de haine et tant de passion si Siné avait écrit : «  [Jean Sarkozy] vient de déclarer vouloir se convertir à l’Islam avant d’épouser sa fiancée, musulmane, et héritière des puits de pétrole d’Arabie Saoudite. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »  ? Aurait-on vu les BHL, Adler, Bruckner, Badinter, Wiesel, Delanoë, Voynet et consorts prendre leur plume et signer dans Le Monde un texte contre Siné [1er août 2008..]] ? Non et non. Il n’était pas question de religion, mais simplement d’opportunisme. Les bien-pensants n’ont rien compris.

En 1981, Siné écrivait dans Charlie Hebdo, une phrase qui résume assez bien ses parti-pris : « J’aime le pognon mais pas les riches, j’aime la paix mais je suis prêt à tuer, (…) j’aime les juifs pas Israël, les arabes pas les émirs, les prolos pas le PC. » A près de 80 ans, celui qui avait fondé Siné Massacre pendant la guerre d’Algérie (dont la maquette inspira l’Hebdo Hara-Kiri, 7 années plus tard) et qui a créé L’Enragé en mai 68, s’apprête à sortir un nouveau journal. Son nom ? Siné Hebdo, naturellement.

Et Charlie Hebdo ? De Charlie Hebdo, il ne reste que le titre…

Post-scriptum (12 janvier 2015).

Charlie hebdo a continué, mais ce n’était plus le Charlie Hebdo des origines. Cet article, rédigé en 2008 suite au renvoi de Siné de Charlie Hebdo, reconstituait une histoire de l’hebdomadaire satirique depuis sa reparution en 1992. Depuis 2001, et surtout 2005, Charlie Hebdo, sous la direction de Philippe Val, avait connu une involution conformiste (et parfois pire) qu’il convenait de souligner. C’est ce que nous avons fait, en mettant en évidence, dans plusieurs articles, des pratiques journalistiques indignes. Après le départ de Philippe Val pour la direction de France Inter, nous avions cessé de le lire… et de le critiquer, comme l’aurait exigé la liberté d’expression dont nous avions fait preuve à son endroit. Après la tuerie, malgré la tuerie, Charlie Hebdo continue : tant mieux ! Nous ferons preuve à son égard de la même indépendance que celle qu’il revendique.

Source : Mathias Reymond, pour Acrimed,08/09/2008

  1. Ibid.
  2. Cette version des faits est contestée par Cabu et Val dans un long droit de réponse (publié, lui, à la différence de certains qui sont adressés à Charlie Hebdo) paru dans Le Nouvel Observateur du 4 septembre. Le texte de Val (et Cabu) est contestable sur plusieurs points sur lesquels nous ne reviendrons pas non plus. D’ailleurs, Delfeil de Ton maintient l’essentiel de sa version.

Source: http://www.les-crises.fr/une-histoire-de-charlie-hebdo-2008/


[Reprise] L’opinion du patron, la liberté d’expression selon Charlie Hebdo [2006, 2011]

Tuesday 27 January 2015 at 01:47

L’obscurantisme beauf, le tête-à-queue idéologique de Charlie Hebdo [04/03/2006]

Mercredi 19 novembre 1997, sous le titre « Les perroquets du pouvoir », Philippe Val consacrait la quasi-intégralité de son éditorial de Charlie Hebdo à l’enthousiasme délirant que lui inspirait la parution desNouveaux chiens de garde de Serge Halimi. Il y évoquait les « BHL, Giesbert, Ockrent, Sinclair », etc., tous « voguant dans la même croisière de milliardaires qui s’amusent », et qui « n’ont aucune envie de voir tarir le fleuve de privilèges qui prend sa source dans leurs connivences ou leurs compromissions ». Il jugeait certains passages « à hurler de rire », en particulier le chapitre « Les amis de Bernard-Henri », qu’il conseillait de « lire à haute voix entre copains ».

Six mois plus tard, mercredi 27 mai 1998, sous le titre « BHL, l’Aimé Jacquet de la pensée » (c’était juste avant la Coupe du monde de football), il volait encore au secours du livre de Halimi, contre lequel toute la presse n’en finissait plus de se déchaîner. Il épinglait le chroniqueur du Point pour avoir, dans son « Bloc-notes », assimilé Bourdieu à Le Pen. Et le futur défenseur du « oui » à la Constitution européenne se désolait : « Penser que le désir d’Europe sociale des uns est de même nature que le refus nationaliste de l’Europe des lepénistes ne grandit pas le penseur… » (En 2005, Philippe Val comparerait l’attitude des partisans du « non » à celle de Fabien Barthez crachant sur l’arbitre.)

Mercredi 1er mars 2006. Continuant d’exploiter le filon providentiel des caricatures danoises, Charlie Hebdo publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (sur la prolifération actuelle du mot « ensemble » et sa signification, lire l’analyse d’Eric Hazan dans LQR, La propagande du quotidien, qui vient de paraître chez Raisons d’agir), signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (auteure de best-sellers sur la menace islamique et membre de la rédaction de Charlie Hebdo), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et… Bernard-Henri Lévy. « L’Aimé Jacquet de la pensée » a droit, comme les autres signataires, à sa notice biographique (moins longue que celle de Caroline Fourest, quand même, hein ! Faut pas déconner !), qui commence ainsi : « Philosophe français, né en Algérie, engagé contre tous les “ismes” du XXe siècle (fascisme, antisémitisme, totalitarisme et terrorisme). » Ce coup des « ismes », le journal nous le refait dans son « manifeste » foireux, qui semble avoir été torché en cinq minutes sur un coin de table en mettant bout à bout tous les mots creux et pompeux dont se gargarisent en boucle, sur les ondes et dans la presse, les « perroquets du pouvoir » : « Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme. »

Il faut le savoir : contredire Philippe Val est aussi grave qu’envoyer un résistant en camp de concentration

Il en manque pas mal, des « ismes », dans cette liste : colonialisme, impérialisme, racisme, libéralisme… Autant de notions qui, à une époque, avaient pourtant droit de cité dans les colonnes de Charlie. Balayer d’un revers de main, ou ne même pas voir, depuis son pavillon cossu de la banlieue parisienne, les conditions de vie et les spoliations subies par les perdants du nouvel ordre mondial ; s’incommoder de ce que les opprimés, décidément, aient une manière tout à fait malséante d’exprimer leur désespoir, et ne plus s’incommoder QUE de cela ; inverser les causes et les conséquences de leur radicalisation (il n’y a pas d’attentats en Israël parce qu’il y a une occupation, mais il y a une occupation parce qu’il y a des attentats), et, au passage, accorder sa bénédiction à la persistance de toutes les injustices qui empoisonnent le monde ; parer l’Occident de toutes les vertus et l’absoudre de tous ses torts ou ses crimes : non, il fut un temps où on n’aurait jamais trouvé dans ce journal une pensée aussi odieuse.

Mais c’était à une époque où Charlie vivait et prospérait en marge du microcosme médiatique, qu’il ne fréquentait pas, et qu’il narguait de sa liberté de ton et de ses finances florissantes – quand il ne lui adressait pas de splendides bras d’honneur. L’équipe, dans sa grande majorité, se satisfaisait parfaitement de cette situation…. Mais pas Philippe Val, à qui la reconnaissance du méprisable ramassis de gauchistes que constituait à ses yeux le lectorat du journal suffisait de moins en moins – avant de finir par carrément l’insupporter. Son besoin de voir sa notoriété se traduire en surface médiatique devait le pousser d’abord à nouer un partenariat avecLibération, en convenant d’un échange d’encarts publicitaires entre les deux journaux. Pour justifier la chose aux yeux d’un lectorat très hostile à la publicité, il se livra à des contorsions rhétoriques dont la mauvaise foi fut impitoyablement disséquée par Arno sur Uzine (« Charlie se fait cobrander », 10 janvier 2001).

Philippe Val, qui, par un hasard facétieux, venait justement d’être connecté à Internet, tomba sur l’article, et piqua une crise de rage dont ses collaborateurs se souviennent encore. Le mercredi suivant (17 janvier 2001), les lecteurs de Charlie purent découvrir un édito incendiaire intitulé : « Internet, la Kommandantur libérale », qui fut suivi d’un autre, tout aussi virulent, quinze jours plus tard. On y lisait notamment que, si Internet avait existé en 1942, « les résistants auraient tous été exterminés en six mois, et on pourrait multiplier par trois les victimes des camps de concentration et d’extermination ». Il faut le savoir : contredire Philippe Val est aussi grave qu’envoyer un résistant en camp de concentration. Bien sûr, le « Kim Il-Sung de la rue de Turbigo », comme le surnomme aimablement PLPL, ne faisait nulle part mention de l’article d’Arno (il expliquait avoir choisi de traiter ce sujet cette semaine-là parce qu’on lui demandait souvent pourquoi Charlie n’avait pas de site !), et ne précisait pas que la seule forme de négationnisme à laquelle il avait été personnellement confronté dans ce repaire de nazis virtuel ne remettait en cause que son propre génie.

Flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin

S’étant peu à peu aliéné son lectorat d’origine, et ayant vu ses ventes baisser dangereusement, Charlie Hebdo en est désormais réduit, pour exister, à multiplier les coups de pub aussi lucratifs qu’insignifiants et à développer le « cobranding » tous azimuts. Après d’innombrables tentatives infructueuses pour créer un « buzz » médiatique autour du journal, comme en témoignaient semaine après semaine les titres d’un sensationnalisme maladroit étalés dans l’encart publicitaire de Libération, avec les caricatures danoises, enfin ! ça a pris. Le créneau ultra-vendeur de l’islamophobie, sur lequel surfe déjà sans vergogne l’écrasante majorité des médias, permet de copiner avec les puissants et de flatter les plus bas instincts des masses tout en se prenant pour Jean Moulin : bref, c’est idéal. Sauf que, en s’y précipitant comme sur une aubaine, le journal achève sa lente dérive vers un marécage idéologique dont la fétidité chatouille de plus en plus les narines.

Dans son éditorial de ce fameux numéro publiant les caricatures danoises, Philippe Val écrit doctement que « le racisme s’exprime quand on rejette sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres » (ce qui lui permet de conclure que « quand un dessinateur danois caricature Mahomet et que dans tout le Moyen-Orient, la chasse aux Danois est ouverte, on se retrouve face à un phénomène raciste comparable aux pogroms et aux ratonnades »). Or, « rejeter sur toute une communauté ce que l’on reproche à l’un des membres », c’est exactement ce que fait le dessin danois représentant Mahomet avec un turban en forme de bombe. Par une amère ironie du sort, Charlie Hebdo, ancien journal du combat antiraciste, a donc érigé en symbole de la liberté d’expression une caricature raciste. Dans le Monde diplomatique de ce mois, Alain Gresh cite le journaliste Martin Burcharth : « Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ». Et c’est dans ce journal-là queCharlie Hebdo vient de publier la version anglaise de son « manifeste » !

Mais peu importe, car le créneau islamophobe a un autre avantage, qui, dans le cas de nos amis, s’avère particulièrement précieux : il est tellement en phase avec la bien-pensance majoritaire qu’il permet de raconter plein de conneries, ou de recourir au terrorisme intellectuel le plus éhonté, sans jamais être discrédité ou sérieusement contesté. S’il en allait autrement, Val pourrait-il affirmer par exemple à la télévision que, si on fait l’amalgame entre islam et terrorisme, c’est de la faute des terroristes islamistes – un peu comme si on rendait responsables du vieux cliché sur les juifs et l’argent, non pas les antisémites, mais les juifs riches ?! Ou pourrait-il se féliciter, dans son édito, de ce que le dessin avec le turban en forme de bombe ne soit « pas très bon », car cela permet « d’exclure du débat sa valeur esthétique pour le recentrer sur la question de la liberté d’expression » – un sophisme qui, comme toutes ces pirouettes dont il est coutumier et dont il semble retirer une fierté sans bornes, est remarquablement débile ?

Sur ce dernier point, d’ailleurs, Caroline Fourest donne une version un peu différente de celle de son patron. Dans la page de publicité gratuite offerte par Libération (9 février 2006) à ce numéro spécial de Charlie, elle commentait : « On ne s’est pas lâché cette semaine. Le dessin qui nous a fait le plus rire n’est pas passé. C’était trop facile, gratuit et sans message derrière. » Parce que, derrière le turban en forme de bombe, il y a un « message » ? Tiens donc ! Et lequel ? (Au passage, cet article deLibération était cosigné par Renaud Dély, qui est, ou en tout cas a été, chroniqueur politique à Charlie Hebdo sous un pseudonyme : le cobranding, ça marche !) Il semblerait qu’on rie beaucoup aux dépens des Arabes – pardon, des « intégristes » – à Charlie Hebdo en ce moment. Ça ne date d’ailleurs pas d’hier : il y a quelques années, quand Nagui était arrivé sur Canal Plus pour présenter Nulle part ailleurs, Cabu l’avait caricaturé en Une de Charlie Hebdo en chameau des publicités Camel. Canal Plus avait alors fait livrer par coursier à la rédaction un montage dans lequel, au-dessus de ce dessin, le titre « Charlie Hebdo » avait été remplacé par « National Hebdo ».

« Esprit des Lumières » ou bombe éclairante ?

Le plus comique, c’est peut-être les tentatives désespérées de l’équipe pour nous faire croire que, malgré tout, elle reste de gauche. Dans son dernier opus, La tentation obscurantiste, consacré à l’épuration de la gauche telle qu’elle la rêve (168 pages avec que des listes de noms, un livre garanti sans l’ombre du début d’une idée dedans !), Caroline Fourest se désole parce que, dans un article, j’ai osé douter de sa légitimité à prétendre incarner la « vraie » gauche (par opposition à celle qui refuse de partager ses fantasmes d’invasion islamique). Outre le fait que la pensée qu’on a décrite plus haut, et que propage désormais Charlie, est une pensée d’acquiescement passionné à l’ordre du monde, ce qui n’est pas très « de gauche », nos vaillants éradicateurs devraient examiner d’un peu plus près le pedigree de leurs nouveaux amis. Caroline Fourest et Fiammetta Venner – elle aussi « journaliste » à Charlie - sont adulées parle Point et l’Express (lequel publie lui aussi le « manifeste »), deux titres, comme chacun sait, furieusement progressistes. Elles sont copines avec Ayaan Hirsi Ali, députée néerlandaises, amie de Théo Van Gogh intronisée en politique par le très libéral Frits Bolkestein, qui « fut le premier [aux Pays-Bas] à déclarer incompatibles, au début des années 1990, les valeurs des immigrés musulmans et celles de son pays » (lire l’article d’Alain Gresh, « Bernard Lewis et le gène de l’islam ») ; Ayaan Hirsi Ali a elle aussi signé le « manifeste ». Fiammetta Venner ne voit aucun problème à donner une interview à un site répondant au doux nom de « Primo-Europe », créé par des « citoyens qui considèrent que l’information sur le Moyen Orient est, en Europe en général et en France en particulier, diffusée en fonction de préjugés manichéens où le commentaire l’emporte sur le fait », et sur lequel elle figure aux côtés d’un Alexandre Del Valle, par exemple.

Mieux : comme l’a relevé PLPL, Venner et Fourest écrivent désormais aussi dans le Wall Street Journal, « organe de Bush, des néoconservateurs américains, de la droite religieuse et de Wall Street » ; elles s’y alarment de l’« incapacité des immigrants arabes à s’intégrer » et de la « menace pour les démocraties occidentales » de les voir rejoindre des « cellules terroristes islamistes » (Fourest, Wall Street Journal, 2 février 2005). La tribune dont sont extraites ces lignes s’intitule « War on Eurabia », « Eurabia » étant l’un des termes de prédilection d’Oriana Fallaci (dont le livre avait d’ailleurs été encensé dans les colonnes de Charlie par Robert Misrahi).

Quant à Philippe Val, la même page de PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : « Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (…) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. » Commentaire perfide du mensuel : « Il y a dix ans, Philippe n’avait qu’une idée : interdire le Front national, dont Mégret était alors le numéro 2. Désormais, Val inspire certains des chefs du MNR. »

Enfin, cette semaine, dans Libération (2 mars 2006), Daniel Leconte vient d’offrir à ses amis une tribune d’une page intitulée « Merci Charlie Hebdo ! ». Le présentateur-producteur d’Arte (lire « Quand Arte dérape »,le Courrier, 10 mai 2004) y rend hommage à ses confrères qui ont « refusé de céder à la peur », et se répand au passage en lamentations sur l’injustice dont la France a fait preuve à l’égard des Etats-Unis après le 11-Septembre, et sur les errements dont elle s’est rendue coupable lors de la guerre d’Irak, en les isolant devant le Conseil de sécurité de l’ONU et en « laissant entendre que, de victime, ils étaient devenus les fauteurs de troubles ». On se demande effectivement où on a bien pu aller chercher une idée pareille. Il conclut en réclamant sans rire le prix Albert-Londres pour Charlie Hebdo, estimant que le journal a défendu un « esprit des Lumières » qu’il confond visiblement avec la lueur des bombes éclairantes de l’armée américaine. Cadeau un brin empoisonné que cette tribune. On commence par prétendre ne faire que critiquer la religion musulmane, opium de ces pouilleux d’Arabes, en se prévalant de son passé de bouffeurs de curés, et on finit intronisé journal néoconservateur par des faucons à oreillette ! Mince, alors ! Quelque chose a dû merder en chemin, mais quoi ? Les voies de l’anticléricalisme sont parfois impénétrables.

Va-t-en guerre des civilisations

Leconte se félicite de ce que Charlie ait témoigné de ce que « la France n’est pas seulement cet assemblage de volontés molles ». Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement : « Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. » La volonté agressive d’en découdre, de « ne pas se dégonfler », suinte de partout dans cette affaire. Val affirme que ne pas publier les dessins serait aller à « Munich » – comme le faisait déjà Alain Finkielkraut, dont il partage la paranoïa identitaire, lors des premières affaires de voile à l’école. On n’est pas dans la défense des grands principes, mais dans cette logique d’escalade haineuse et guerrière, « œil pour œil dent pour dent », qui constitue le préalable indispensable de tous les passages à l’acte, et les légitime par avance. Tout le monde, d’ailleurs, fait spontanément le rapprochement entre les dessins danois et certains feuilletons antisémites diffusés par des chaînes arabes, admettant ainsi implicitement qu’ils sont de même nature. Le journal allemand Die Welt a par exemple publié les caricatures en les assortissant de ce commentaire : « Nous attacherions plus d’importance aux critiques musulmanes si elles n’étaient pas aussi hypocrites. Les imams n’ont rien dit quand la télévision syrienne, à une heure de grande écoute, a présenté des rabbins comme étant des cannibales buveurs de sang. »

Une telle attitude dénote en tout cas une mentalité à des années-lumière de la sagesse philosophique dont voudrait par ailleurs se parer le Bourgeois gentilhomme du marigot médiatique parisien. Répéter toutes les deux phrases, d’un air sinistre et pénétré, le mot magique de « démocratie », suffit peut-être à Philippe Val pour se faire adouber par ses compères éditorialistes, mais, pour prétendre au statut de penseur, il faudrait peut-être commencer par envisager le monde d’une manière un peu moins…caricaturale. En témoigne le tableau grotesque qu’il nous brosse du Danemark, merveilleuse démocratie peuplée de grands blonds aux yeux bleus qui achètent un tas de livres, ont une super protection sociale et ont refusé de livrer leurs ressortissants juifs aux nazis, tandis que le monde musulman se réduirait à un grouillement de masses incultes et fanatiques qui n’ont même pas la carte Vitale. Peu importe si par ailleurs la presse regorge d’articles sur la prospérité du racisme et l’actuelle montée de l’extrême droite au Danemark (bah, si on a sauvé des juifs pendant la guerre, on a bien le droit de ratonner un peu et de profaner quelques tombes musulmanes soixante ans plus tard, tout ça n’est pas bien méchant !). Et si on nous rappelle ici et là que le Danemark est un pays où l’Eglise n’est pas séparée de l’Etat : « Il existe une religion d’Etat, le protestantisme luthérien, les prêtres sont des fonctionnaires, les cours de christianisme sont obligatoires à l’école, etc. » (Alain Gresh dans le Diplode ce mois.)

Mais notre va-t-en guerre des civilisations ne s’encombre pas de tels détails. Lors de l’éclatement de la seconde Intifada, déjà, il avait décrété que Charlie devait défendre la politique israélienne, parce qu’Israël était une démocratie et parce que tous les philosophes importants de l’Histoire étaient juifs, alors que quand même, tous ces pays arabes grouillant de dictateurs (moue dégoûtée et geste de répulsion), c’était très loin de nous, tandis que son équipe effarée – il faut dire que sa composition était alors assez différente – tentait d’évaluer en un rapide calcul le nombre d’erreurs grossières, de raccourcis vertigineux et de simplifications imbéciles qu’il était ainsi capable d’opérer dans la même phrase. Pour ma part, abasourdie de devoir en arriver là, je m’étais évertuée à le persuader qu’il existait aussi des « lettrés » dans le monde arabe ; je m’étais heurtée à un mur de scepticisme réprobateur. Prôner la supériorité de sa propre civilisation, et faire preuve, par là même, d’une vulgarité et d’une inculture assez peu dignes de l’image qu’on veut en donner : c’est le paradoxe qu’on avait déjà relevé chez Oriana Fallaci, qui écrivait dans La rage et l’orgueil : « Derrière notre civilisation il y a Homère, il y a Socrate, il y a Platon, il y a Aristote, il y a Phidias. (…) Alors que derrière l’autre culture, la culture des barbus avec la tunique et le turban, qu’est-ce qu’on trouve ?… » Eh bien, je ne sais pas, moi… Ça, par exemple…?

Comme on le disait à l’époque, en voilà, un argument hautement « civilisé » : « Dans ma culture il y a plein de génies alors que chez toi il n’y a que des idiots, nana-nè-reu ! » Les civilisations n’ont rien à s’envier les unes aux autres, ni du point de vue des connaissances, ni de celui des valeurs. « Tenter de vendre les droits de l’homme comme une contribution de l’Occident au reste du monde, écrivait le prix Nobel d’économie Amartya Sen, n’est pas seulement historiquement superficiel et culturellement chauvin, c’est également contre-productif. Cela produit une aliénation artificielle, qui n’est pas justifiée et n’incite pas à une meilleure compréhension entre les uns et les autres. Les idées fondamentales qui sous-tendent les droits de l’homme sont apparues sous une forme ou une autre dans différentes cultures. Elles constituent des matériaux solides et positifs pour étayer l’histoire et la tradition de toute grande civilisation. » Non seulement le discours des Val et des Fallaci témoigne d’une méconnaissance crasse des autres cultures, mais il néglige aussi le fait que, comme n’a eu de cesse de le rappeler un Edward Saïd, aucune civilisation n’a connu un développement étanche, et toutes se sont constituées par des apports mutuels incessants, rendant absolument vain ce genre de concours aux points.

Défendre la démocratie, ne serait-ce pas plutôt refuser la logique du bouc émissaire, si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ?

Par les temps qui courent, raisonner à partir de telles approximations, en se contentant de manier des clichés sans jamais interroger leur adéquation au réel, peut s’avérer rien moins que meurtrier. Il est stupéfiant que, dans un « débat » comme celui suscité par les caricatures danoises, tout le monde pérore en faisant complètement abstraction du contexte dans lequel il se déroule : un contexte dans lequel un certain nombre d’instances de par le monde tentent de dresser les populations les unes contre les autres en les persuadant que « ceux d’en face » veulent les anéantir. En Occident, ces instances sont celles qui tentent de faire du musulman le bouc émissaire de tous les maux de la société, la nouvelle menace permettant d’opérer une utile diversion. Dès lors, de deux choses l’une : soit on adhère à cette vision, et alors on assume sa participation active à cette construction, avec les responsabilités que cela implique ; soit on la récuse, et on estime que la nécessité de l’enrayer – ou d’essayer de l’enrayer – commande d’observer la plus grande prudence. Laquelle prudence ne signifie pas qu’on est « mou de la bite », mais plutôt qu’on a peu de goût pour les stigmatisations déshumanisantes, sachant à quoi elles peuvent mener. Le courage ne commanderait-il pas plutôt de résister aux préjugés majoritaires, et la véritable défense de la démocratie, de refuser cette logique du bouc émissaire si utile aux démagogues qui veulent la subvertir à leur profit ? Ce qui est sûr, c’est qu’en aucun cas on ne peut se dédouaner en écrivant, comme le fait Philippe Val, que « si la Troisième Guerre mondiale devait éclater, elle éclaterait de toute façon », et que « l’amalgame entre racisme et critique de la religion est à peu près aussi cohérent que l’était, à l’époque de Franco, l’amalgame entre critique du fascisme et racisme anti-ibérique » : voilà vraiment ce qui s’appelle jouer au con.

En décembre dernier, toujours pour essayer de faire parler du journal, les caricaturistes de Charlie Hebdo avaient postulé par dérision à la succession de Jacques Faizant. Qu’ils se rassurent, ils ont toutes leurs chances : en matière d’ethnocentrisme rance, ils n’ont déjà plus rien à envier au défunt dessinateur du Figaro.

Source : Mona Chollet pour Périphéries


L’opinion du patron, la liberté d’expression selon Charlie Hebdo [04/03/2006]

Pour un coup de pub, c’est un coup de maître : en consacrant un numéro « spécial liberté d’expression » à l’affaire des crobards danois, Charlie Hebdo a battu tous ses records de vente. Quatre cent mille exemplaires se seraient arrachés durant la seule journée du 8 février, mieux que pour les attentats du 11 septembre ou la mort du pape. Une semaine plus tôt, le moribond France-Soir s’était déjà refait une santé en balançant les fameux dessins sous gros titre à la Une, façon « J’accuse ». Du jour au lendemain, une poignée de vignettes assimilant les musulmans à des terroristes devenaient l’étendard des plus hautes vertus démocratiques…

Tu en as dans le froc, question amour de la liberté d’expression ? Prouve-le si t’es un homme, et reproduis-les illico, sinon t’es une mauviette. Quand Charlie s’y est mis à son tour, tout le monde les avait déjà vu dix fois, ces foutus dessins. Pas grave, on en presserait le jus jusqu’à la dernière goutte. Ça ne coûtait rien : leurs auteurs, roulés en boule quelque part au Danemark, ne penseraient certainement pas à réclamer leur copyright.

Le droit à la caricature est une liberté fondamentale et Charlie a bien raison de la défendre bec et ongles. Plus discutable est la posture qui consiste à se faire mousser en rempart contre le péril sarrasin. Depuis le 11 Septembre, l’hebdomadaire ne cesse de rhabiller le vieux tropisme anti-arabe aux couleurs plus tendance de l’islamophobie. Ses deux spécialistes en capillo-détection, Fiammetta Vener et Caroline Fourest, martèlent semaine après semaine que les barbus sont partout, chez les banlieusards, les altermondialistes, les pacifistes… Un jour, elles ont même cru dénicher un poil à barbe islamique dans la tonsure de la Ligue des droits de l’Homme.

Mais le plus prompt à se poser en héros de la résistance anti-terroriste, c’est le patron, Philippe Val. Ses fulminations incessantes contre quiconque s’écarte de l’axe du bien ont découragé jusqu’à ses lecteurs les plus fidèles. Même Pascal Boniface, directeur du très « expert » Institut de relations internationales et stratégiques, et à ce titre peu suspect de ben-ladisme, en est tombé de sa chaise. Philippe Val est un « vendeur de l’idéologie néo-conservatrice américaine », constate-t-il :

« Sharon et Bush sont ses héros positifs, ceux qui osent les critiquer sont selon lui complaisants avec les terroristes. Dans la grande bataille des idées à laquelle nous assistons, Val constitue un élément important. La tonalité ironique du journal, les dessins humoristiques lui permettent de vendre l’idéologie néo-conservatrice contenue dans ses éditoriaux à un électorat qui n’aurait pas naturellement penché de ce côté. » [1]

Il est vrai qu’on ne saurait faire grief à « l’ami Val », comme l’appelle Serge July [2], de bomber le torse contre les forces du mal. La liberté d’expression réside précisément dans le droit reconnu à chacun de l’accommoder à sa propre sauce, fût-elle pleine de grumeaux. L’ennui, c’est que ce droit si abondamment étalé par le directeur de Charlie Hebdo ne vaut que pour lui-même et ceux qui pensent comme lui. Ses ex-collaborateurs à Charlie en savent quelque chose : en cas de divergence, l’esprit des Lumières vire subitement au despotisme pas du tout éclairé.

Exemple : le chroniqueur Philippe Corcuff, « poussé vers la porte de sortie » après trois ans de loyaux services. Bien que partageant l’essentiel des lubies valiennes, et en dépit d’une élasticité idéologique qui lui permet d’aller de Bayrou à Krivine sans se déchirer un tendon, Corcuff a en effet fini – un comble ! – par passer pour extrémiste aux yeux de son employeur. Dans un communiqué publié le 3 décembre 2004, le sociologue revient sur l’un des désaccords qui ont motivé son départ :

« Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo – hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication – s’est inscrit dans une croisade de la Civilisation (“européenne”) contre la Barbarie (“musulmane”). Dans cette perspective, on a été jusqu’à publiciser une fausse rumeur à propos du Forum Social Européen de Londres, où on a fait de ceux qui ne participaient pas à la nouvelle croisade (comme la LDH) des “alliés objectifs” des intégristes islamistes, en remettant ainsi à l’honneur une formule d’origine stalinienne. »

Pas d’accord ? Dehors !

Un an plus tôt, c’était le critique ciné Michel Boujut qui mangeait le bouillon pour cause d’hérésie. Dans un texte diffusé en mars 2003, il s’interroge :

« Opération épuration. Pfuitt… à la trappe ! [...] Je me pose une seule question, naïve comme toutes les vraies questions : peut-on être à la fois homme de morale (exigeante) dans ses éditos et homme de pouvoir (discrétionnaire) dans son “traitement des ressources humaines” ? Faire la leçon aux autres et se comporter comme ceux à qui on fait la leçon à longueur de colonnes ? Toujours cette foutue histoire de la paille et de la poutre. »

Fin 2000, Mona Chollet avait été virée elle aussi pour délit d’opinion : lors d’une réunion interne, elle avait osé contester un édito de Val qui qualifiait les Palestiniens de « non-civilisés ». « Il est tellement ignorant des autres cultures qu’il n’imagine pas qu’on puisse être “civilisé” autrement qu’en lisant Spinoza avec ses chats sur les genoux », dit-elle :

« Quelques jours après, il m’a convoquée, et il m’a annoncé qu’il arrêtait mon CDI après le mois d’essai, alors que j’étais pigiste depuis un an. Ça m’a sidérée. Il ne m’a pas dit pourquoi, mais ça crevait les yeux. Finalement il m’a dit : “je ne suis pas sûr que tu sois en accord avec la ligne que je veux donner au journal”. Je suis encore restée à Charlie quelque temps, mais en tant que pigiste, c’est-à-dire moins en position d’ouvrir ma gueule. »

Dans la ligne, le maquettiste Pierre-Yves Marteau-Saladin l’était lors de son embauche à Charlie. Croyant détecter en lui un serviteur de confiance, Val lui confie la mission secrète de moucharder les salariés suspects de dissidence et de lui rapporter leurs propos. C’est du moins ce que racontera le maquettiste une fois viré, écœuré par « l’état d’autocratie que Val a instauré ». Apparemment, l’indic n’a pas donné satisfaction.

« La liberté d’expression n’est pas négociable », bonimente Val à la télé. C’est vrai, à quoi bon négocier avec ses contradicteurs quand il suffit de s’en débarrasser ?

Source : Olivier Cyran (ancien de Charlie Hebdo) pour LMSI (Les Mots Sont Importants)

 

Charlie Hebdo et le spectre de l’islamisation [04/11/2011]

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-lopinion-du-patron-la-liberte-dexpression-selon-charlie-hebdo-2006-2011/


[Reprise] Polémique Charlie Hebdo / Le Grand Soir [2012]

Tuesday 27 January 2015 at 00:59

Réflexions sur les limites de la liberté d’expression sur Internet

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme – ou de Charlie Hebdo, ça dépend, par Viktor DEDAJ

Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi tranquillement proférée.

Cet article est erroné sur le fond (on s’en doute) et dans plusieurs détails.

Depuis, par le truchement d’amis communs et via des contacts directs (mails, coups de téléphone) avec le directeur de publication de Charlie Hebdo (Charb) et l’auteur de l’article (Eric Simon), nous avons tenté d’obtenir, non pas un « droit de réponse », mais un simple correctif, afin qu’une meute sans morale qui s’acharne sur LGS depuis le mois de mars 2011 ne puisse se prévaloir de Charlie Hebdo pour poursuivre sa cabale diffamatoire accompagnée d’actions pour nous empêcher de participer à des salons du livre ou de donner des conférences, sous peine de « coups de manche de pioche ».

Après 15 jours de réflexion, un discret entrefilet (22 août, p. 3) de Charlie Hebdo qualifie l’accusation infamante de simple mise « en cause » qui « n’était pas une attaque » contre les deux administrateurs du GS, mais une simple « mise en garde contre la porosité qui existe trop souvent entre les sites fachos et les sites de gauche ».

Bref, l’accusation de rouge-brunisme n’est pas retirée, les informations erronées de l’article d’Eric Simon sont validées et l’adjudant auto-chargé de la revue de détail invite LGS à faire « le ménage ».Cette corvée étant « parfois difficile » nous bénéficierons du renfort (non sollicité) d’une escouade. En effet, nous avons appris par ailleurs que M. Propre (Eric Simon) a monté à Charlie Hebdo une équipe (diplômée es-plumeaux et balayettes) renforcée d’éléments extérieurs « en France et à l’étranger » (sic) pour continuer à débusquer la poussière sous les tapis du GS.

C’est d’autant plus inutile que, dans un mail à un des administrateurs diffamés, Eric Simon ne voit plus en LGS un site rouge-brun : « Pour le moment, j’en reste au confusionnisme. », dit-il, contredisant (en privé) ses écrits ( publics).

Dans ce contexte de « confusionnisme » avéré de Charlie Hebdo, il nous est malheureusement impossible de différer plus longtemps notre propre mise au point.

L’article que vous allez lire est le premier d’une série qui vise, non pas à entretenir une querelle de cour de récréation, mais (au-delà même de Charlie Hebdo) :

- à poser des questions de fond, relatives au droit à publier sur Internet des analyses sur l’impérialisme,

- à défendre notre liberté d’expression qui ne peut, n’en déplaise aux modernes Torquemada, être plus limitée pour nous que pour l’ensemble des autres médias et en premier lieu que celle des incultes politiques qui nous dénigrent.

Au passage, nos assaillants apprendront que nous ne comptons pas nous cantonner dans une posture de défense, mais que nous sommes fondés à jeter un oeil dans leurs poubelles.

LGS


Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme – ou de Charlie Hebdo, ça dépend.

Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe.

Rappel historique

Mais je me souviens qu’en juin 2002, le rédacteur en chef du journal satirique français Charlie Hebdo nous expliquait comment la gauche pouvait s’en sortir. Dans un article fleuve publié en plusieurs parties et intitulé « Pour aller à gauche, c’est par où ? », Philippe Val avait décidé dans la deuxième partie de s’en prendre à Noam Chomsky. Ici, les contre-vérités se sont enchainées au rythme d’un scandale boursier à New York. Chomsky y fut qualifié « d’amoureux des sectes », «  il est gaga, (…) il empoisonne la réflexion de gauche en nourrissant une théorie du complot ne flattant que les instincts fascistes et visant à faire porter à un ’Autre’ les responsabilités des malheurs du monde ». Ou encore «  il est évident que jamais, contrairement à ce que pense Chomsky, les citoyens n’ont disposé d’autant d’informations ». Pas mal. Sauf que Chomsky est, et dit, à peu près tout le contraire. Sans oublier ce bijou : « le style (de Chomsky) est à l’usage des enfants du CM2 ». Pas mal pour le rédacteur en chef d’un journal qui fait dans le pipi-caca-prout.

En septembre 2007, dans sa chronique radiophonique sur France-Inter, Philippe Val – sous l’emprise de la jalousie ? – revient encore à l’attaque et lance « Chomsky-Ben Laden, même combat ! ». Non, ce n’était pas de l’humour.

Participant à un colloque du patronat en 2007, il se défendra en proférant ce Voltairisme à l’usage des enfants de CM2 : « dialoguer ou débattre, ce n’est en aucun cas être complice », et que l’essence même du dialogue était de réunir deux interlocuteurs de points de vue différents. (cf Wikipedia). On en pleurerait, tellement c’est beau.

Voilà tout le style de Philippe Val : pondre des articles supposés étaler une connaissance encyclopédique mais qui ne font en réalité que clapoter dans un jacuzzi.

Défenseur ardent de toutes les guerres de l’OTAN, toutes, il a quand même fini par être récompensé pour sa fidélité légendaire. Et c’est ainsi qu’il fut promu en mai 2009 (« bombardé » aurais-je envie de dire…) à la direction de France-Inter. Car ce n’est pas le tout que d’être un vendu, encore faut-il savoir se vendre.

Deux heures après sa nomination à France Inter, il renvoyait Frédéric Pommier qui faisait la revue de presse. En juin 2010, les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte sont licenciés de France Inter. Quatre mois plus tard, l’humoriste Gérald Dahan est licencié à son tour, au lendemain d’une chronique critique envers Michèle Alliot-Marie.

France-Inter est donc actuellement dirigée par un type capable de balancer à la fois « Chomsky-Ben Laden, même combat » et les derniers intervenants qui présentaient un quelconque intérêt sur cette radio (à l’exception de l’émission Là -bas si j’y suis, évidemment). Comment la situation pourraient-elle être pire que ça ?

Philippe Val a dirigé Charlie Hebdo de 1992 à 2009, soit 17 ans. 17 ans de propagande gaucho-impérialiste. 17 ans de complicités avec toutes les opérations d’assassinat à ciel ouvert de l’OTAN. 17 ans qui n’ont apparemment pas gêné plus que ça le reste de cette joyeuse équipe de soudards (à quelques rares exceptions près).

Mais Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe. Puis un jour on grandit et on est plutôt content de s’en passer.

Retour au présent

Pourquoi parler de Charlie Hebdo ? Dans le numéro daté du 8 août 2012, un article intitulé « Les soutiens bruns de Damas », annoncé en couverture («  Syrie. Cette extrême droite qui soutient Damas ») et signé Eric Simon, nous refait le coup de désigner Le Grand Soir, et nommément ses deux administrateurs, comme des relais de l’extrême-droite.

Sont également citées « des personnalités » telles que Michel Collon (salut Michel, ça va ? Qu’est qu’on rigole, non ?) qui, « avec l’intellectuel Jean Bricmont se sont fourvoyées à tel point que la CGT les a interdit de conférence à Paris en novembre 2011. »

Voilà une technique que l’on reconnaît immédiatement : le “petit” mensonge qui vient se glisser, ni vu ni connu. Bricmont n’a jamais été “interdit”, et Michel Collon, qui devait donner une conférence à la Bourse de Travail de Paris, en fut empêché suite à une campagne d’affiches émanant de milieux “anarchistes”. On commence déjà à deviner les sources d’inspiration de Charlie Hebdo. Avec Ornella Guyet, les anticonspis-truc et Rudy Machin-chose, et maintenant Charlie Hebdo, ce n’est même plus une technique, c’est devenu un style.

« Si l’analyse anti-impérialiste permet de débusquer les raisons cachées des guerres « justes » ou « humanitaires » du camp occidental, elle peut facilement dérailler si elle défend l’innommable commis par le camp d’en face. Si, en outre, elle laisse reprendre ses thèses par les sites d’extrême-droite, jusqu’à finir par s’inviter les uns chez les autres, la messe est dite. C’est ce qui est arrivé à des sites comme legrandsoir.info de Maxime Vivas et Victor (sic) Dedaj, qui publient aussi bien des articles d’Infosyrie que des (sic) contributions de Ginette Skandrani (…) voire des discours de Kadhafi ou Bachar el-Assad… »

Le journaliste de Charlie Hebdo n’a même pas su orthographier correctement mon prénom, c’est vous dire si son enquête fut méticuleuse. Même pour calomnier ? Surtout pour calomnier, tu rigoles ou quoi ? Mais faire du copier/coller, Eric, c’est pas bien, même pour un journaliste de Charlie Hebdo. Si vous pouviez faire corriger la coquille à ceux (et celle) qui vous ont inspiré, merci d’avance.

Figure imposée : la vérité, rien que la vérité.

LGS n’a jamais défendu «  l’innommable commis par le camp d’en face ». A l’heure où le camp occidental n’avait pas sifflé le signal de l’hallali, à l’heure où Bashir Al Assad jouissait de la considération de notre gouvernement (et donc de notre presse), LGS dénonçait un deal «  innommable » passé entre les USA et les tortionnaires au pouvoir en Syrie.

Par ailleurs, LGS «  laisse reprendre ses thèses par les sites d’extrême-droite » ? Oui, et par des sites inconnus de divers pays et par pas mal de sites de la vraie gauche. Charlie Hebdo sait comment interdire la reproduction d’articles en copyleft ? Est-ce qu’Eric Simon ne serait pas en train de nous dire : «  Taisez-vous et faites taire » ?

Alors voyons-voir : le nombre phénoménal d’articles d’Infosyrie repris par le Grand Soir s’élève à 2 (si j’ai bien compté) et dont le contenu est irréprochable – à mes yeux. Les (ah, un pluriel ?) contributions de Mme Skandrani s’élèvent à … 1 (au contenu irréprochable – oui, oui, nous sommes au courant maintenant, merci). Quant aux « discours de Kadhafi ou Bachar el-Assad », réunis il doit y en avoir 3 ou 4 (en comptant les interviews). Ces « discours » n’ont pas été publiés « comme ça », pour le fun, mais en pleine période d’agression militaire ouverte contre la Libye et la Syrie. Charlie Hebdo voudrait que l’on s’abstienne de donner la parole aux dirigeants en exercice de pays en proie à une agression militaire, ou de reprendre des informations qui contre-balanceraient un tant soit peu le rouleau-compresseur médiatique. Où est la surprise pour un hebdomadaire qui a soutenu toutes les guerres de l’OTAN ?

Charlie Hebdo ne dit rien sur les articles repris par Le Grand Soir (et qui se sont révélés plus exacts que pas, soit-dit en passant), mais nous sert un laïus sur l’administrateur du site Infosyrie. Ancien du GUD («  ancien », c’est bien, non ?) et autres affirmations qui demanderaient toutes à être vérifiées, vu la qualité et la précision habituelle de ce genre d’article. Mais tout ça au final pour dire quoi ? Rien. Aucun commentaire sur le contenu, sinon que le patron, ben il est pas de «  notre bord » (en ce qui concerne l’anti-impérialisme, il me semble que Charlie Hebdo non plus n’est pas de «  notre bord », en tous cas pas du mien). Mais Charlie annonce quand même une bonne nouvelle : Le Grand Soir et l’extrême-droite «  s’invitent les uns chez les autres ». C’est une bonne nouvelle parce que ça voudrait dire que l’ «  extrême-droite » se gauchise au contact du Grand Soir. Sacré service que nous rendons à l’humanité, qui en sera certainement reconnaissante, et Charlie avec sans doute.

Pardon, on me souffle dans l’oreillette que c’est forcément le contraire. Mince, la contagion à sens unique (je parle évidemment d’une poignée d’articles sur une dizaine de milliers, mais quitte à jouer à ce petit jeu, jouons le jusqu’au bout…).

Et par la grâce de ces mêmes lois mystérieuses, Charlie Hebdo, soutien indéfectible à toutes les guerres impérialistes et violations du droit international, ne saurait être, et en aucun cas, taxé de passerelle avec les fascistes néoconservateurs américains, parce que là, ça ferait «  confusionniste ».

Si tu cherches de l’eau dans un désert, il te faut marcher jusqu’au puits (dicton arabe, mais pas vraiment parce que je viens de l’inventer)

Les lecteurs (vous comme moi) n’auraient donc pas le droit de savoir ce que pourraient bien avoir à répondre les dirigeants des pays bombardés par nos forces militaires « humanitaires ». Donner à lire une intervention d’un responsable syrien ou libyen est «  rouge-brun ». Pour ne pas être rouge-brun, il faut donc s’abstenir de donner à lire. Et pour celui qui «  oserait » le faire (car on en est là …), il y a une punition à la clé.

La situation est donc celle-ci : lorsque l’Occident attaque ou menace d’attaquer un pays dirigé par un salaud, toute information émanant peu ou prou du pays en question sera interprété comme un signe de ralliement au salaud en question et, par association, fera de vous un salaud. Donc un rouge-brun. Donc un antisémite. Donc une cible. Bonjour l’ambiance «  USA post 11/9 ».

Encore un peu, et Charlie Hebdo dira qu’on est des mauvais Français et nous reprochera notre manque de patriotisme. Philippe Val n’est plus à la tête de Charlie Hebdo, mais son esprit rôde encore dans les locaux. Suis-je le seul à ressentir des frissons ?

Énoncée à voix haute, claire et intelligible, voilà ce que ça donne :

1) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, il est interdit de donner la parole aux agressés.

2) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, il faut imposer un black-out sur toutes les informations ou interventions en provenance du pays ciblé – sauf celles qui vont dans le sens ou servent le discours dominant.

3) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, le seules «  informations » issues du pays sont celles qui seront sélectionnées, filtrées, charcutées et commentées par les commentateurs officiels et attitrés du pays agresseur.

4) Lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, toute tentative de relayer in extenso, sans tripatouillages ou coupures, des informations provenant du pays agressé ou toute tentative de contre-balancer a minima la campagne de propagande sera qualifiée de rouge-brunisme (en attendant le jour où ils emploieront le mot «  trahison »).

5) Pour toutes les raisons qui précèdent, lorsqu’un pays est attaqué par l’Occident, toute la presse – y compris «  rebelle », «  anar », etc. – s’alignera.

Check-list : Irak, Afghanistan, Libye, Syrie… oui, ça marche et ça se vérifie à tous les coups. En une seule formule : 1) + 2) + 3) + 4) + 5) = propagande.

Voilà : nous ne sommes même plus dans une situation où un journal nie faire de la propagande (ce qui est de “bonne guerre”, ha, ha !), mais dans une situation où il la réclame, l’exige, tape du pied et se roule par terre devant ceux qui refusent de s’y plier.

Suis-je le seul à ressentir des frissons ?

Faites ce que je fais, pas ce que je dis que je fais

Le plus cocasse est que tous ces donneurs de leçons et moralistes n’ont et n’auraient – allez, soyons honnêtes - n’oseraient rien dire si le Monde ou Libération ou tout autre média appartenant à un grand groupe capitaliste hyper-soucieux du pluralisme publiaient des interventions de Kadhafi ou Bashir el-Assad ou Dieu sait qui. Non, non : eux seuls sont habilités à le faire, à décider lesquelles, à décider quels extraits, à commenter des phrases choisies sorties du contexte et à décider quand et où… Oui, on connaît la musique. Mais pas nous et pas vous. Pourquoi ? Parce que. Parce que quoi ? Parce que, quoi.

Alors, Charlie Hebdo : votre conception effarante et effrayante de “l’information”, gardez-la pour vous, roulez-la en forme de suppositoire et mettez-la où vous voulez.

Guerre humanitaire :
une éruption soudaine, inattendue et violente de bonté ?

Sans oublier une certaine loi de la nature : dans tout conflit, c’est plutôt l’agresseur qui recourt au mensonge. Pourquoi ? Parce que l’agresseur veut la guerre et cherchera donc des raisons pour la faire, quitte à les inventer. En réalité, l’agresseur est pratiquement obligé de les inventer. Pourquoi ? Eh bien parce que les justifications pour une guerre d’agression – selon le Tribunal de Nuremberg et selon le droit international – sont au nombre d’un chiffre très très proche de zéro. Et lorsque la loi ne convient pas, il y a pas trente-six solutions : il faut la respecter, la changer ou la violer. L’Occident, en particulier, est un adepte de la troisième.

Oui, je sais : il y a la «  guerre humanitaire ». On ferait des guerres «  humanitaires ». Comme d’autres feraient de la «  torture thérapeutique » ?. Risible, bien-sûr, mais pour la beauté du débat, admettons un instant ce concept de «  guerre humanitaire ».

Par conséquent : Il existerait un espace-temps (ici et maintenant apparemment) où des pouvoirs politiques seraient «  forcés » par des événements «  particulièrement tragiques » de faire une guerre pour des «  raisons humanitaires ». La cavalerie légère volant au secours de la veuve et de l’orphelin. Le petit garçon au fond de moi aime bien cette image. L’adulte, lui, lève un sourcil en entendant que les responsables politiques actuels seraient prêts à commettre le «  crime des crimes » (toujours selon Nuremberg et le droit international) pour venir au secours d’une population («  étrangère » qui plus est) dont jusqu’à présent ils se fichaient éperdument.

Etrange «  charge émotionnelle » et «  application de principes » de la part de dirigeants politiques qui sont par ailleurs incapables de prendre la moindre mesure «  humanitaire » lorsqu’il s’agit des sans papiers, des Palestiniens, des personnes âgées, de qui vous voulez. Ils sont pourtant là, sous leurs fenêtres, ou pas très loin. Ces mêmes responsables politiques qui pourraient sauver pour des raisons «  humanitaires » les 10.000 enfants qui meurent de faim par jour et pour un prix inférieur à un seul missile de croisière. Nan, trop compliqué. Allons plutôt bombarder un pays pour montrer toute l’étendue de notre «  bonté ».

En résumé : les salopards qui nous gouvernent auraient des crises d’humanisme tellement fortes qu’ils sont capables de tout, y compris de commettre l’irréparable, pour accomplir le bien.

Elle est étrange, cette détermination – si soudaine, si inattendue, une véritable révélation – qui n’apparaît que lorsqu’il s’agit de faire la guerre, loin de préférence, dans un rapport de forces totalement déséquilibré de préférence (parce qu’il y a des limites chez eux, même aux principes), là où personne ne peut vraiment contrôler ce qui se passe, une détermination qu’on ne retrouve jamaisen temps de paix…

Oui, soudain, les voilà qui sont «  bons », et «  attentionnés », et «  inflexibles », et «  soucieux » du bien-être d’une population. Tellement soucieux qui si un membre de la population se présente à la frontière pour un bout de pain, ils le renverront chez lui avec ces mots d’encouragement : «  rentrez chez vous, on va bientôt vous envoyer des secours » (sur la gueule).

Oui, soudain, dans toutes les tribunes, les mots «  intolérables » et «  inadmissibles » leur sortent de la bouche, comme des colombes de la manche d’un prestidigitateur.

Oui, une véritable métamorphose. Mais qui ne dure, hélas, que le temps d’une guerre. Et qui disparaît, comme par enchantement, une fois la bête repue. A croire que toute leur posture n’aura été créée et tenue que pour la circonstance.

Mon Dieu que je suis mauvaise langue !

Le tout par des gens qui vous expliqueront avec tout le sérieux du monde et la main sur le coeur – de préférence autour d’un dîner bien arrosé – combien ils sont contre la peine de mort, critiquant au passage les pays qui l’appliquent encore (jusqu’à là, tout va bien) et qui enchaînent aussitôt qu’il faut faire la guerre, c’est-à-dire appliquer la peine de mort à une échelle industrielle, mais cette fois-ci sans procès, sans jugements, sans discrimination, contre une population très majoritairement innocente de tout crime.

Mon Dieu que je suis pinailleur !

Soutenir le fascisme suprême au nom d’un antifascisme de salon

Le Grand Soir ferait trop dans l’anti-impérialisme ? Comme peut-on être trop contre le crime des crimes ? Comment peut-on être trop contre « le stade suprême du capitalisme » ?

Le gant de velours du marché ne marchera jamais sans une main de fer derrière – McDonald ne peut prospérer sans McDonnell Douglas, le fabricant (de l’avion de guerre) F15. – Thomas L. Friedman “A Manifesto for a fast World” – New York Times Magazine, 28 Mars, 1999

Je croyais que la guerre était plutôt de droite et la paix plutôt de gauche. Je croyais que le respect du droit (y compris international) était plutôt de gauche et sa violation plutôt de droite. Je croyais que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était plutôt de gauche et l’ingérence plutôt de droite. Je croyais que la censure était plutôt de droite et la liberté d’expression plutôt de gauche. Je croyais que l’aveuglement idéologique était plutôt de droite et l’ouverture d’esprit plutôt de gauche. Je croyais que c’étaient nos actes et nos prises de position qui définissaient notre positionnement politique. Je croyais que s’endormir dans son lit et se réveiller dans un monde où toutes les valeurs étaient étrangement inversées n’arrivait que dans les romans de science-fiction.

Je trouve même totalement indécent que l’on n’ait rien d’autre à nous opposer, sinon que le président syrien ne serait pas l’Abbé Pierre (comme si nous ne le savions pas. Comme si n’avions pas nous-même rappelé que la Syrie, il y a encore peu, servait de centre de torture décentralisé pour les Etats-Unis – pas très reconnaissants, comme à leur habitude) ou que le responsable de tel site ne serait pas du même bord politique. Remarquez, ça pourrait être une autre bonne nouvelle parce que si ce n’est que ça, on va arranger ça ici et maintenant : «  Le président de la Syrie est un salaud et le patron d’Infosyrie pue de la gueule. » Ca vous va ? Tout le monde est content ? On peut aller à la manifestation maintenant et tenter d’arrêter le massacre – où allez-vous encore nous trouver une autre excuse à la con ? Genre : l’ancien du GUD a l’haleine fraîche. Eric Simon pourra trancher puisqu’il se vante d’avoir discuté avec lui (il a le droit ! Pourquoi ? Parce que la Sainte Inquisition a tranché ainsi : à Charlie Hebdo, on peut, au Grand Soir, ce serait sacrilège).

L’extrême-droite ferait de l’entrisme ? De l’entrisme dans quoi ? Le désert laissé par la gauche ? Et ce serait la faute du Grand Soir ? On entre dans une salle d’autant plus facilement qu’elle est vide. C’est plus difficile lorsqu’elle est pleine à craquer.

En réalité, ce n’est pas le Grand Soir qui alimente des « passerelles vers l’extrême-droite », mais des journaux comme Charlie qui se la jouent « contestataires/libertaires » à longueur de semaine et qui, au moment le plus crucial, tombent – presque «  naturellement » – du côté le plus sombre, laissant le champ libre, et même ouvrant la voie, à d’autres. Charlie Hebdo fait partie de cette presse, à l’instar de Libération, qui est devenu au fil du temps une véritable fabrique de «  gauche réactionnaire » et qui fait dire à un de ses journalistes (conversation téléphonique avec un des administrateurs du Grand Soir) : « l’anti-impérialisme me fait gerber ».

Heureusement que le Grand Soir est là pour sauver (un peu) l’honneur de la gauche française. Mais nous ne sommes pas seuls. Nous avons avec nous la quasi-totalité de la gauche latino-américaine, nord-américaine, asiatique et africaine. Alors, être « isolés » au sein de la gauche française, appelons ça « une position pas très confortable », mais sans plus.

Ce qui me fait penser à ce qu’Ignacio Ramonet (que j’apprécie beaucoup) avait écrit lors de la guerre contre la Libye – intervention qu’il a soutenue (eh oui…). En référence à l’opposition de la gauche latino-américaine à cette intervention, il a écrit que cette dernière avait commis « une erreur historique ». Curieux qu’il ne se soit pas demandé si, a contrario, ce n’était pas la gauche française, et lui avec, qui avait commis l’erreur historique en question.

Lorsque Charlie Hebdo se promène la braguette ouverte

Mais revenons à nos moutons (sic) de Charlie Hebdo : Charlie Hebdo, n’a apparemment rien à dire sur le fond de ce que nous publions et serait bien incapable de trouver un seul texte, une seule ligne, qui aille à l’encontre de notre ligne rédactionnelle – qui est ce qu’elle est, que ça plaise ou non. Nous, nous parlons de guerre et de paix, eux nous parlent du slip d’untel ou untel qui dépasserait alors qu’eux-mêmes se promènent la braguette grande ouverte. Exemples ?

Acrimed rappelle que (extraits) :

Une brève du 18 avril 2007 signale que « sur 38 collaborateurs de Charlie Hebdo : 18 votent Royal , 9 votent Voynet, 3 votent Buffet, 3 votent Besancenot, 3 votent Bayrou , 1 vote Bové, 1 vote blanc. » Soient 21 collaborateurs qui votent à « droite » et 16 à gauche. Charlie Hebdo, de droite ? Oui, si l’on en croit Philippe Val lui-même, puisque ce dernier, en juin 1998 écrivait que « la vraie droite aujourd’hui, c’est le PS. » Neuf ans plus tard, le 9 février 2007, il lâche chez Pascale Clark sur Canal+ (« en aparté ») : « Je voterai pour le candidat de gauche le mieux placé.  » Le mieux placé ? Comprendre Ségolène Royal.

(…) Sur les principales questions internationales, Charlie hebdo reproduit peu à peu les positions dominantes. Ainsi sur le Kosovo. Alors que dans les années 70, Cabu s’insurgeait « contre toutes les guerres » et collectionnait les procès intentés par l’armée, en 1999, il soutient, avec toute l’équipe de Charlie Hebdo, exception faite de Siné et Charb, l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo. Dans le n°361 de Charlie Hebdo (19 mai 1999), en lieu et place de la chronique de Charb, un texte de Riss (qui n’écrit pas d’ordinaire) reproche même aux pacifistes d’être des collabos ! De même sur le traité constitutionnel européen : si d’autres voix que celle de Philippe Val se font entendre, c’est lui qui conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du « non » au référendum.

(…)

Ce glissement politique de gauche à droite, de la paix vers la guerre, de la subversion vers l’orthodoxie, s’est fait progressivement, mais sûrement. On voit ainsi disparaître, dans le silence quasi-général, des signatures talentueuses (Cyran, Camé, Boujut,…) au profit de plumes conventionnelles et/ou médiatiquement plus « reluisantes » : le dessinateur Joan Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, le sociologue médiatique Philippe Corcuff (lui même acculé à démissionner [16]), Renaud Dély venant de Libération, Philippe Lançon du même, Anne Jouan du Figaro, etc.

(…)

…l’évolution conjointe des positions politiques et du positionnement médiatique n’a pas été sans effet sur les pratiques journalistiques de l’hebdomadaire, et, au premier chef, de Philippe Val lui même : calomnies et mensonges (notamment sur Noam Chomsky), fausses rumeurs (par exemple sur le Forum social européen), diffamations de membres de l’Observatoire français des médias, refus des droits de réponse, que nous avons plusieurs fois relevés ici-même …

(…)

Charb a estimé, le 16 juillet 2008, que Siné avait porté – c’est un comble – « atteinte » aux « valeurs essentielles » de Charlie Hebdo. Et c’est pourtant le même Charb qui dans sa chronique « Charb n’aime pas les gens » datée du 30 juillet 2008 écrit : « Personne n’a dit que Siné était antisémite (…) parce que ça n’a jamais été le sujet du débat. Aurait-on travaillé durant seize ans avec un antisémite ? Moi, non. » Si cela n’a jamais été le sujet du débat, alors pourquoi Philippe Val, dans son éditorial du même jour se pose la question et ressort une affaire vieille de 26 ans ? « Antisémite, Siné ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais au lendemain de l’attentat de la rue des Rosiers, en 1982, c’est lui-même qui déclarait sur la radio Carbone 14 : “Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro palestinien. Qu’ils meurent.” »

(…)

Une histoire de Charlie Hebdo http://www.acrimed.org/article2960.html

Etc.

Lorsque le dessinateur “de gauche” Plantu touche officiellement un chèque de 10.000 euros de la dictature brune-brune islamiste du Qatar, tout le showbiz, chasseurs de rouges-bruns et Charlie Hebdo réunis, regardent ailleurs. Vous appelez ça de la pudeur, de la honte ou de la complicité ?

(Tiens, et soudain je pense à cet autre ancien dessinateur vedette du journal le Monde, Konk, qui a fini par rejoindre l’extrême-droite.)

Lorsque Charlie “de gauche” Hebdo publie à trois reprises et interviewe à domicile une des sommités du “rouge-brunisme” en France, membre du FN qui plus est à l’époque, vous appelez ça du journalisme, de l’autisme ou de j’aurais-mieux-fait-de-fermer-ma-gueule-isme ?

Et on trouve tout ça sans même vraiment chercher.

Le problème, Charlie, c’est que vous ne savez même plus où vous en êtes pour venir faire les marioles autour de Grand Soir. On en rirait si ce n’était pas aussi pathétique. Alors le jour où Le Grand Soir examinera à la loupe certains médias comme ces derniers aiment tant le faire pour nous, il va y avoir de sacrées surprises. En attendant, Charlie Hebdo a bien fait de ne pas employer le mot « confusionnisme » parce que là , ils auraient eu l’air vraiment ballots…

Eh oui, Charlie Hebdo, c’est comme les couches-culottes : à une certaine époque de sa vie, on trouve ça bien et on est content que ça existe. Puis un jour on grandit et on est plutôt content de s’en passer. Et avec le recul, même si on n’en a pas honte, on n’en est pas forcément fiers pour autant.

Viktor Dedaj
« alors, on rajoute une couche ou on en reste là ? »

(Version 2).

Source : LeGrandSoir, 22/08/2012

 

Source: http://www.les-crises.fr/polemique-charlie-hebdo-le-grand-soir/


[Reprise] Rappel des polémiques autour des caricatures en 2012 [2012]

Tuesday 27 January 2015 at 00:55

Analyse critique (et clairement trop critique) de A. Reyes, datant de 2012, quand Charlie Hebdo a sorti ses pires caricatures sur Mahomet.

Ce billet ne vise NULLEMENT à vouloir faire porter la moindre responsabilité sur les pauvres victimes de la barbarie,

Il vise à rappeler du contexte polémique au moment de la publication des caricatures en 2012 – et donc bien avant le drame…

A lire donc avec esprit critique.

Ces caricatures, insultes politiques adressées aux musulmans

D’où vient que, soudain, une jeune fille voilée attira l’attention jusqu’à focaliser sur elle tous les discours ? Elle avait dû entrer en cachant son foulard dans son sac avant de le nouer sur sa tête dans l’Hémicycle. Elle était militante, allumée, ardente, jolie, électronicienne (je crois), membre d’Amnesty International (c’est ce qu’elle disait).

On n’écoutait pas vraiment ses propos confus, mais on ne voyait plus qu’elle. En trente secondes, elle était devenue l’élément érotique de l’Assemblée.

Allait-elle jeter une bombe ? S’immoler par le feu ? Se mettre à prier en public ? Non, elle avait l’air normale.

Mais comment pouvait-elle incarner volontairement une image aussi terrible de la sujétion de la femme ? N’était-elle pas la victime de son père et de ses frères ?

Ne défendait-elle pas, sans s’en rendre compte, la condition atroce de milliers de corps emprisonnés dans l’esclavage, le fanatisme, l’obscurantisme, le terrorisme, l’absence de sport, le refus de la science et du progrès, l’horreur de l’enfermement patriarcal et le respect absurde d’un Dieu meurtrier ? On la huait, mais elle était, à l’évidence, l’objet d’un trouble massif. On avait honte pour elle, mais avec curiosité.

Cachez ce voile que je ne saurais voir, lui disait l’un. « Et s’il me plaît, à moi, d’être voilée ? », semblait-elle répondre comme un personnage inconscient de Molière. Elle était odieuse, bien entendu, mais sympathique, comme tous les opprimés. Bon, ce n’était qu’un début, continuons le débat.

Philippe Sollers dans Le Monde, le 28-6-03

Cachez cette musulmane que je ne saurais voir… De débat, il n’y en eut pas, mais le combat occulte ne faisait que commencer. Il faudrait convoquer Freud pour commenter la névrose hystérique des anti-voile, mais cela ne suffirait pas à empêcher ses implications politiques désastreuses. « L’élément érotique de l’Assemblée » démangeant furieusement ces messieurs-dames les Français bon teint, dont le trouble désir, le « trouble massif », n’allait pas tarder à s’exacerber en furieuse envie de chasser et d’abattre.

L’affaire des caricatures du Prophète de l’islam par Charlie Hebdo a causé un grand scandale parce qu’elle n’est en fait que l’épiphénomène d’une islamophobie et d’un racisme qui se développent profondément et largement dans les esprits, tant parmi le peuple que parmi ses élites intellectuelles, saisies de panique au point d’en perdre la tête. La première énorme manifestation de ce phénomène fut sans doute la publication par Oriana Fallaci, journaliste italienne jusque là fameuse pour ses engagements progressistes, d’un livre extraordinairement nauséabond, par son islamophobie et son racisme délirants. La rage et l’orgueil se vendit très vite à plus d’un million d’exemplaires en Italie. En novembre 2002, lors de sa parution en France, ce livre fut défendu dans Charlie Hebdo par l’un de ses chroniqueurs, Robert Misrahi, qui en fit l’éloge, disant notamment : « Oriana Fallaci fait preuve de courage intellectuel » et « Elle ne proteste pas seulement contre l’islamisme assassin ». L’islam est en croisade contre l’Occident, telle est la thèse de l’ouvrage. On y trouve des phrases aussi nauséabondes que :

Ils se multiplient comme des rats

Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. 

leurs braillements Allah akbar-Allah akbar

debout, braves gens, debout ! Réveillez-vous ! Paralysés comme vous l’êtes par la peur d’aller à contre-courant ou de sembler raciste

Cette Europe clownesque et stupide qui fornique avec les pays arabes

Jean-Pierre Thibaudat raconte dans Libération du 10 octobre 2002 que pendant le procès intenté par la Licra, le Mrap et la Ligue des Droits de l’Homme lors de la publication du livre en France (les poursuites furent finalement annulées pour vice de précédure), Me Patrick Baudoin, l’avocat de la LDH, déclara : « C’est un livre qui pratique de bout en bout une politique de l’amalgame», en associant musulmans et extrémistes sous le terme «fils d’Allah». Citant abondamment l’ouvrage, il souligna l’usage d’un certain vocabulaire ­ «horde», «miasmes nauséabonds», l’usage répété du verbe «grouiller» ­ rappelant «la pire des littératures antisémites». Il cita l’un des moments les plus terribles du livre, celui où Oriana Fallaci décrit des Somaliens campant sur l’une des places de Florence. Elle parle des «braillements d’un muezzin», de «la fumée puante», «de leur bouffe», et «pour accompagner tout ça, les dégoûtantes traces d’urine qui profanaient les marbres du baptistère (parbleu ! Ils ont la giclée longue les fils d’Allah)…». De sa voix douce et posée, Me Baudoin ajouta : «Si cela n’est pas une provocation à la discrimination raciale, qu’est-ce qu’il faut écrire ?»

Devant le tollé suscité par le soutien de Charlie Hebdo à ce livre infect, le chroniqueur dut quitter le journal. Mais Oriana Fallaci, porteuse de son discours abject, n’en fut pas moins bienvenue sous de beaux plafonds (Benoît XVI notamment la reçut en 2005), et inspira, jusqu’à sa mort et maintenant encore, bien des intellectuels laïques ou religieux, à Rome, à Paris ou ailleurs. Anciens ou nouveaux compagnons de route d’une mouvance de gauche ou d’extrême-gauche, certains agissent en sous-main et main dans la main avec l’extrême-droite. Ces jours derniers le site web Riposte Laïque, fondé par l’ancien trotskyste Pierre Cassen, et auquel collabore Anne Zelensky, cofondatrice de la Ligue du droit des femmes avec Simone de Beauvoir, clamait : « Oriana Fallaci avait raison ».

Le site utilise d’ailleurs sans cesse un semblable vocabulaire ordurier pour désigner les musulmans. On s’y déclare « résistant » au « fascisme islamique », et comme dans les obsessions de Sollers, on s’y croit à Radio Londres. « Dans la France des années 30 (…) il y avait une hystérie antisémite, comme aujourd’hui il y a une hystérie antiraciste »  écrit Anne Zelensky, volant au secours de Marine Le Pen. Ainsi le temps des idéologies, des faux-semblants et de la falsification, achève-t-il d’enterrer le vrai, pour entrer dans le temps de l’inversion de la vérité : leur hystérie raciste devient dans leur parole fausse une « hystérie anti-raciste » de la société !

Le voile est une opération terroriste. (…) En France, les lycéennes savent que leur voile est taché de sang. (…) Dans nos écoles, question d’honneur, on n’enseigne pas à des élèves en uniforme. Sauf au temps du nazisme, écrivait André Glucksmann dans L’Express le 17 novembre 1994.

Tout aussi lamentable et dans un autre registre, la fantasmatique de ces messieurs puisant dans l’épouvante et la réaction violente, Jacques Julliard écrivait dans Le Nouvel Observateur du 16 septembre 2003 :  Inversez les deux voyelles, et dans voile, vous trouverez viol. En dissimulant ostensiblement le sexe au regard, fût-ce sous la forme symbolique de la chevelure, vous le désignez à l’attention ; en enfermant le corps féminin, vous le condamnez à subir l’effraction. (…) Toutes les coquettes le savent bien aussi, qui font de la comédie de la dissimulation la forme la plus raffinée de l’exhibitionnisme.

D’autres phobiques du voile islamique ne savent avancer que masqués des pieds à la tête. De même que les caricatures ne sont pas toujours celles qui en ont le plus l’air, ni ne viennent toujours d’où elles ont l’air de venir, ni ne vont où elles prétendent aller, les plus « voilées » ne sont pas les porteuses de foulard ni même de burqa. Les plus « voilées » sont les pensées et les actions phobiques d’hommes et de femmes régis par leurs tripes en déroute. « Philippe Sollers use-t-il de ses réseaux pour manipuler l’opinion ? » se demandait L’Express le 1er octobre 2002. Ce qui est certain c’est que les réseaux constitués par de tels « parrains » ou maîtres de l’édition, des médias et de la politique, finissent par constituer un monde assez petit et total, voire totalitaire, où il n’est pas impossible de s’entendre pour monter des manipulations à grande échelle de l’opinion.

Dans un long texte très documenté, intitulé Vendre « le choc des civilisations » à la gauche, paru sur le site Réseau Voltaire le 30 août 2007, Cédric Housez montre quel’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo et l’association féministe Prochoix, après s’être donné une identité libertaire et avoir trouvé une audience chez les électeurs de gauche, se sont mués en relais des thèses néoconservatrices du « choc des civilisations ». Cette rapide dérive leur a permis de trouver des soutiens institutionnels et médiatiques tout en conservant une partie de leur lectorat. Ils s’emploient désormais à vendre à gauche les politiques de Washington et de Tel Aviv et à casser le mouvement anti-impérialiste.

Cédric Housez raconte notamment qu’en novembre 2003, Philippe Val n’avait pas supporté qu’un sondage commandé par la Commission européenne établisse que 59 % des citoyens de l’Union européenne estimaient qu’Israël était une menace pour la paix dans le monde . Et reprenant un des pires axes de la propagande sioniste, il accuse les critiques de la politique coloniale israélienne de crypto-négationisme : « Nous arrivons au temps absurde où l’émotion suscitée par une attaque – condamnable – de l’armée israélienne dans une zone palestinienne permet d’ignorer la mémoire des victimes des nazis ». Ne s’agit-il pas là, comme dans le cas du prétendu « délire anti-raciste », d’une autre manipulation de la parole et de la pensée, inversant la vérité en faisant de la victime un bourreau, du bourreau une victime ?

En 2006, Charlie Hebdo publie les caricatures du Prophète parues dans un journal danois. Puis, raconte Mona Cholletcontinuant d’exploiter le filon providentiel… [il] publie à grand fracas un « Manifeste des Douze » (hou, hou ! morte de rire !) intitulé « Ensemble contre le totalitarisme islamique » (), signé notamment par Philippe Val, Caroline Fourest (), Salman Rushdie, Taslima Nasreen, et Bernard-Henri Lévy. À propos de ces caricatures danoises, elle rappelle les paroles du journaliste Martin Burcharth : « Nous, Danois, sommes devenus de plus en plus xénophobes. La publication des caricatures a peu de relations avec la volonté de voir émerger un débat sur l’autocensure et la liberté d’expression. Elle ne peut être comprise que dans le climat d’hostilité prégnante à tout ce qui est musulman chez nous. » Il précise aussi, ajoute Mona Chollet, que le quotidien conservateur Jyllands-Posten, qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, « avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature montrant le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ».

Quant à Philippe Val, dit-elle aussi, le site « PLPL nous apprend qu’en août 2005, un hommage lui a été rendu dans un discours par un dirigeant du MNR de Bruno Mégret : « Les musulmans sentent bien la force de leur nombre, ont un sentiment très fort de leur appartenance à une même communauté et entendent nous imposer leurs valeurs. En ce moment, des signes montrent que nous ne sommes pas seuls à prendre conscience de ce problème. (…) J’ai eu la surprise de retrouver cette idée chez un éditorialiste qui est à l’opposé de ce que nous représentons, Philippe Val, de Charlie Hebdo, dans un numéro d’octobre 2004. »

Et pour en revenir à l’origine névrotique de cette phobie de l’invasion, notons aussi ce passage du texte de Mona Chollet : « Déjà, la déclaration de Luz (attribuée par erreur à Philippe Val) selon laquelle la rédaction de Charlie, dans son choix des caricatures qu’elle allait publier, avait « écarté tout ce qui était mou de la bite », avait mis la puce à l’oreille du blogueur Bernard Lallement : « Toute la tragédie est là. Faire, comme du Viagra, de l’islamophobie un remède à son impuissance, expose aux mêmes effets secondaires indésirables : les troubles de la vue ; sauf, bien sûr, pour le tiroir caisse. »

Ailleurs, Mona Chollet raconte qu’en juin 2008, Caroline Fourest est envoyée par Charlie Hebdo aux Pays-Bas, afin de rencontrer un autre martyr de la liberté d’expression, le caricaturiste Gregorius Nekschot… Nekschot est l’auteur de dessins où l’on voyait, par exemple, un Arabe assis sur un pouf, avec cette bulle :

« Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs. » (…) Ou encore un imam habillé en Père Noël et sodomisant une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions. » Ou encore un imam (à moins que ça ne soit le Prophète Mahomet) sodomisant une fillette voilée – désopilant – ou encore – mort de rire ! – imposant une fellation à la petite Anne Frank…

En novembre 2011, Charlie Hebdo renoue avec le filon de la caricature de Mohammed, qui a l’avantage de faire exploser les ventes et donc de rapporter tout à la fois beaucoup d’argent au journal et beaucoup d’audience à son idéologie sournoise. Et 19 septembre 2012 donc, il récidive. Avant d’en venir à ces dernières caricatures, je suis allée consulter à la bibliothèque de mon quartier les quinze précédents numéros du journal qui s’y trouvent.

C’est dans le numéro daté du 22 août que figure cette page de caricatures glaçantes sur les Roms, en plusieurs tableaux effroyables où ils sont présentés comme des animaux souvent immondes, sans que rien n’indique qu’elle n’est pas à lire au premier degré ni ne permette d’en voir un autre. Un peu plus loin dans le journal, « La fatwa de la semaine » de Charb s’intitule Mort aux Roms ! Tout son texte manie une ironie si sordide et triste qu’on a du mal, là aussi, à y voir autre chose que ce qui y est. C’est vrai, le Rom pue, dit-il. Ou bien : Pourquoi ne les tue-t-on pas, les Roms ? Concluant : Les socialistes et l’UMP respectent la tradition coprophage des Roms, les deux partis ont la même éthique. Je crois que vous serez d’accord, il faut faire du caporal Valls notre Guide suprême afin que de son bras puissant il balaie la crasse Rom jusqu’au Danube. Amen. 

Dans le même numéro, Gérard Biard écrit, et là c’est sans ironie : Il devient urgent de nommer les islamistes modérés pour ce qu’ils sont : des obscurantistes sournois.  En double page centrale, un article sur le projet d’une ville réservée aux femmes en Arabie Saoudite. Un zoo féminin, dit Zineb, qui fait aussi cette remarque purement raciste :Depuis l’invention du zéro, dont les Saoudiens se coiffent toujours fièrement, il s’agira sans doute de la contribution la plus importante des Arabes à l’avancement de l’humanité.S’il mentionne que les Chinois ont déjà eu un même projet, ces derniers trouvent davantage grâce à ces yeux car dans leur ville les femmes auront le droit d’accueillir des hommes « pour des besoins de compagnie ».

À la fin du journal, la série de reportages de l’été, « Mes grandes vacances à Kaboul », est cette fois consacrée à la burqa. L’obsession de l’islam et des Arabes, doublée d’une insistance sur Marine Le Pen, court dans tous ces numéros de l’été. La tonalité « de gauche » du journal est marquée par des articles à caractère social ou écologique, un petit encadré est même réservé chaque semaine à l’association Réfugiés Sans Frontières, qui présente « l’expulsé du mois ». Mais la cause palestinienne, un classique de la gauche, n’est jamais évoquée.

Dans le numéro daté du 14 août, un article sur le porno donne ce titre de film, inventé :Beurettes de ma cité (vas-y, sors ta teub). Dans une BD, on voit deux collègues à attaché-case au café, il fait chaud. Le Blanc commande un demi, l’Arabe ne commande rien car le serveur est arabe aussi et c’est ramadan. Le Blanc insiste, bois quelque chose, mais son collègue arabe transpire de peur devant son coreligionnaire, qui dit : « Nous les muslims faut faire ramadan, c’est comme ça Monsieur. » On se croirait dans Tintin au Congo. La double page centrale s’intitule In bed with Mahomet. Il s’agit d’un reportage, textes et dessins, dans cinq mosquées de Paris pendant le Ramadan. Ramadan n’est pas qu’un mois de soif et de mauvaise haleine, est-il écrit, avant une description ironique desprosternations nocturnes devant Allah.  Page suivante, un reportage de Wolinski à Tunis :Devant la cathédrale, nous sommes soudain entourés par de jeunes femmes voilées brandissant des banderoles et hurlant des slogans à la gloire du ramadan. Des barbus les surveillent. Ma parole, décidément on dirait qu’ils ont tous plus peur des femmes voilées que des barbus !

Dans le numéro du 8 août, Wolinski, déjà à Tunis, raconte : c’est Dieu qui achète cette piété obscurantiste. Puis : Quant au travail on ne s’en soucie pas, l’important c’est de gagner de l’argent sans rien foutre. Dans la série des vacances à Kaboul, le témoignage d’une prostituée locale : Il y a quelques jours un client a voulu me sodomiser, j’ai dit non, il était rouge de rage. J’ai fini par comprendre qu’il ne savait pas que j’avais un autre trou, alors qu’il était marié depuis deux ans. Tandis que chez nous, sans doute, les clients des prostituées sont tous des types parfaitement bien dans leur peau.

Le 18 juillet, la chronique de Cavanna commence ainsi (inutile de vous pincer, je vous garantit que c’est vrai) : Il y a, dans la vie, des choses agaçantes. Par exemple, la disparition des chrétiens. Démonstration faite, il aboutit à : Résultat : il n’y a presque plus de curés en France. Ça ne peut pas durer. Il faut faire quelque chose. Des immigrés ? Les Arabes ne demandent pas mieux, avec quelques petits changements dans les détails… C’est à mettre à l’étude. Il faudra, bien sûr, faire quelques concessions, genre envoyer nos sœurs et nos épouses jouer au foot avec un voile là où ça se met [Toi aussi, Cavanna, le voile ! le ça ! le mettre !] Il y a du symbolique, là-dessous. [le là-dessous !]Mais les Arabes sont-ils beaux joueurs dans la discussion ? [Ne l’ont-ils pas plus grosse que nous ?] Ils vous clouent le bec d’un « Dieu est grand » sans réplique. Ils ne s’emmerdent pas avec des histoires de grand horloger, pas plus que d’œuf et de poule.[Ben voyons, ils sont si bêtes]. Expliquant ensuite que l’athée n’existe que par opposition aux croyants, il conclut : Il nous faut [non, pas des musulmans mais] des curés si nous voulons sauver l’athéisme.

Ah, c’est donc ça, la tactique ? C’est là que j’ai envie de faire une petite pause dans la lecture de tous ces Charlie pour aller nous rafraîchir avec la vraie parole d’Armand Robin, qui dans un livre intitulé La fausse parole, inspiré par les propagandes soviétiques et autres qu’il captait à la radio, écrivait sur ces hommes lamentables qu’on appelle puissants :

Ils n’ont jamais songé à s’emparer du non-pouvoir. Plus ils tombent, plus, comme pour aider absurdement à leur chute, ils s’alourdissent de leur “ eux-mêmes ”; à force de vouloir l’emporter dans les batailles du relatif, ils s’ajoutent l’un à l’autre l’épuisement que représente chaque succès remporté dans l’ordre des apparences. Quand ils perçoivent que de la haine rôde, ils ne conçoivent pas de la détourner sur eux afin de la retirer de la circulation et d’avoir ainsi l’occasion de rompre un enchaînement d’actes mauvais; au contraire, ils se hâtent d’apporter leur mal au mal général. Ils ont oublié que la parole sert à dire le vrai, sont fiers de répondre par des mensonges à d’autres mensonges, créent ainsi partout au-dessus de la planète des univers fantomatiques où même l’authentique, lorsque d’aventure il s’y égare, perd sa qualité; ils sont “ stratégiques ” et “ tactiques ”, expliquent-ils dans leur jargon, ce qui signifie qu’ils ne parlent que par antiparoles; derrière chacun de leurs mots on sent la présence de leurs intérêts de caractère matérialiste, c’est-à-dire la présence du néant. Devant cette sottise, on reste là, comme ça : même les poètes ne happent plus que des souffles accourcis en râles. 

Reprenons. Ce 18 juillet, au-dessous de la susdite chronique de Cavanna, se trouve un article intitulé Ramadan, la fête rasoir des barbus, racontant avec consternation qu’au Maghreb, tout cela n’arrange évidemment pas la saison touristique [tout cela ne nous arrange pas, nous autres Européens, et n’arrange pas non plus nos vacances].

Le 25 juillet – je vous les livre dans l’ordre où ils me sont tombés sous la main – la Une annonce : Non au port du voile aux J.O. Une obsession maladive, je vous dis. Et maladivement raciste. Le dessin représente deux athlètes féminines en train de courir, au stade. L’une est sombre, voilée façon Batman, l’autre blonde. La blonde prévient la voilée :Farida, on voit tes couilles. En effet, elles dépassent de son short. En dernière page, trois autres dessins associent J.O. et islam, comme si c’était le problème de ces Jeux, et le seul. Il est traité aussi en double page centrale, avec l’interview d’Anne Sugier – tiens, une contributrice du site ultra-raciste Riposte Laïque. Le petit monde est petit. En deuxième page, un article ironique appelant à se débarrasser des filles fatigantes en les jetant par la fenêtre (c’est pour moi ?) ; il s’intitule Le nouvel Abraham (en guise de fils, il sacrifie sa fille). Également au sommaire un article intitulé Le retour du grand Turc, ainsi présenté :Entre « printemps arabes » et déchéance européenne. Une association anxieuse entre monde arabe et Europe qui rappelle celle que faisait Oriana Fallaci.

Le 27 juin, en Une : Égypte. Enfin une femme de président qui ne tweete pas. Le dessin la représente en ménagère voilée, en train de faire la vaisselle. En deuxième page la chronique de Bernard Maris : Tout ça pour ça… Tout ça pour voir des barbus arriver en Égypte avec leurs poils sortant du nez, des yeux et des oreilles. Laissez-vous pousser les poils, les hommes, au cas où l’on vous confondrait avec des femmes ! Et cachez bien ceux de vos femelles ! Registre animal, un classique du racisme. Et cette obsession sexuelle, cette hantise de la confusion des sexes. On aurait presque pitié d’eux.

Toujours dans le même numéro, un article ambigu de Paul Klein, citant longuement des portraits très flatteurs de Marine Le Pen parus dans certains journaux américains. Pour conclure, sans démonstration, qu’en fait, contrairement à tout ce qui vient de nous être dit, son parti est « un mouvement fasciste ». Est-ce assez pour contrer cette longue image qui vient de nous être donnée d’une femme de gauche, qui veut seulement défendre ses concitoyens contre la mondialisation ?

Dans le numéro du 4 juillet, le même auteur poursuit sa réflexion. Qu’est-ce que le fascisme ? demande-t-il. Son développement se conclue ainsi : C’est pourquoi les discours « sociaux » de Mme Le Pen n’ont rien d’étonnant : ils ne signifient pas qu’elle est « de gauche », mais que, comme tout dirigeant fasciste digne de ce nom, elle mêle le  mensonge nationaliste à un socialisme frelaté. Et le discours de Charlie Hebdo, ne mêle-t-il pas le mensonge et le frelaté ?

Le 30 mai, en Une, Une taupe au Vatican. C’est le moment des fuites de documents, le pape est représenté avec une taupe qui sort de son habit au niveau de son estomac [mangez, ceci est mon corps ?], voire de son cœur [ceci est mon sang], disant « ça me change des enfants de chœur ». L’irrévérence est prudente et mesurée. Et Charb menteur, qui prétendait l’autre jour que lorsqu’ils avaient représenté le pape enculant une taupe, les chrétiens n’avaient rien dit, eux.  Non ce n’est pas ce qui est représenté, et le dessin n’a aucune commune mesure avec les dessins orduriers réservés à l’islam quelques semaines plus tard.

Le 6 juin en Une un dessin de Cabu : Madonna défie Marine Le Pen. À l’intérieur du journal deux autres dessins de Madonna vs MLP, dont l’un avec Madonna en Jeanne d’Arc. Et un article sur le financement par le roi du Maroc d’une nouvelle mosquée à Blois : Rien n’est trop beau pour la gloire d’Allah, surtout en terre laïque. Le 13 juin en Une revoilà le Front National, avec ce titre : Assemblée. Le FN espère trois sièges. Tiens je n’ai pas fait exprès mais c’est le dernier numéro que j’ai feuilleté (à la fin, j’en avais plus qu’assez, je suis passée vite) et nous voilà justement revenus d’où nous étions partis au début de ce texte : à l’Assemblée. Si j’ai bien compris donc, on préfère y voir des blondes martiales plutôt que des belles voilées. Paul Klein est assez culotté ma foi de dénoncer dans le même numéro « la collusion objective des médias » avec Marine Le Pen.

Et maintenant, comment ne pas admettre que ces « caricatures de Mahomet » parues la semaine dernière sont en fait des insultes politiques adressées aux musulmans, représentés en état d’invalidité puis de soumission. Représentés comme ces messieurs aimeraient qu’ils soient. Et comme ils ne sont pas.

Source : A.Reyes sur Son journal , le 25/09/2012

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-ces-caricatures-insultes-politiques-adressees-aux-musulmans-2012/


[Reprise] Nicolas Dupont-Aignan propose de « rouvrir Cayenne » pour les djihadistes français

Tuesday 27 January 2015 at 00:01

Hmmm enfin notre Guantanamo ?


Le patron de Debout la France souhaite prendre des mesures d’éloignement géographique contre les Français partis faire le djihad en Irak ou en Syrie et qui seraient de retour sur le territoire.

Certains proposent la déchéance de la nationalité, d’autres la perpétuité à vie ou des centres de «déradicalisation». Mais Nicolas Dupont-Aignan dévoile ce jeudi sur Sud Radio une nouvelle suggestion pour traiter de la question des djihadistes qui seraient de retour en France: il veut les éloigner géographiquement. Et pas n’importe où. Le député propose de «rouvrir Cayenne». Cayenne et son bagne, fondé sous Louis-Napoléon Bonaparte et officiellement fermé en 1938.

«Moi ce qui m’inquiète, c’est ceux qui peuvent revenir», lâche le député-maire de Yerres. «Je propose une autre hypothèse, qui, je sais, va faire hurler, mais ça m’est égal: je considère que lorsqu’un Français se livre au djihad, et se livre à des actes monstrueux, il doit à son retour en France être assigné à résidence et éloigné. Je propose qu’on rétablisse à Cayenne un centre de détention qui permette d’isoler ces fous furieux», considère Nicolas Dupont-Aignan.

«Isoler, rééduquer»

Un Guantanamo à la française? Pas vraiment. Le retour du bagne? Non plus, tempère-t-il. «Je propose un centre de détention, où on insiste sur le fait qu’il n’y a pas de retour possible», explique le parlementaire. Pour lui, ce centre de détention doit éloigner, «avec des conditions humaines, sous le respect de la justice». Avec un objectif: «Isoler, rééduquer.» «Cayenne, c’est une image. Je ne veux pas que ceux qui reviennent du djihad soit en libre circulation dans notre pays».

Avant lui, d’autres responsables politiques y sont allés de leurs propositions au gouvernement. Valérie Pécresse et Eric Ciotti suggèrent des centres de «désendoctrinement». Au FN, on souhaite fermer l’espace Schengen et étendre les critère de déchéance de la nationalité. De son côté, Xavier Bertrand propose, comme Nicolas Dupont-Aignan, la mise en place d’une «justice d’exception».

Source : Le Figaro

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-nicolas-dupont-aignan-propose-de-rouvrir-cayenne-pour-les-djihadistes-francais/


[2 très bonnes raisons de ne pas le faire !!!] Il faut secourir l’Ukraine, par BHL et George SOROS

Monday 26 January 2015 at 23:30

TRIBUNE

Une nouvelle Ukraine est née, il y a un an, sur le Maidan. Et l’esprit qui animait ses centaines de milliers de manifestants est, aujourd’hui, plus fort que jamais.

Cette nouvelle Ukraine est l’exact contraire de l’Ukraine d’hier, minée par la corruption et démoralisée.

C’est beau de faire disparaitre la corruption en quelques mois par la force de la pensée…

C’est une expérience rare de démocratie participative et de construction d’une nation par ses citoyens eux-mêmes.

Heinnnnn ?

Rappel, c’est une démocratie (imparfaite) depuis 1991…

C’est une belle et noble aventure menée par un peuple rassemblé dans le projet commun de s’ouvrir à la modernité, à la démocratie, à l’Europe.

On a vu la qualité du rassemblement…

Et c’est, jusqu’au sommet de l’Etat, le bel exemple donné par des hommes et des femmes d’exception qui n’ont pas craint, telle Natalie Jaresko, la nouvelle ministre des Finances, de renoncer à de brillantes carrières personnelles pour se vouer, corps et âme,

bah oui, le modèle parfait, vu que c’est une américaine d’origine ukrainienne qui a occupé divers postes au département d’État des États-Unis – c’est donc LE bon modèle pour l’Ukraine indépendante !

J’imagine que c’est la méthode Jean Monnet – la prostitution à not’bon’maitr’

au sauvetage d’un pays qui a payé au prix fort – celui des pires épreuves, parfois du sang – sa volonté de s’arrimer à l’Europe.

larguez les amarres – le bateau coule en plus…

Le problème, c’est que cette nouvelle Ukraine est menacée, comme dans toutes les révolutions, par les tenants de l’Ukraine d’hier. Le problème, c’est que les réformes engagées,

je propose désormais une psychothérapie d’office à toute personne employant les mots “les réformes” (engagées, indispensables, nécessaires etc.) sans préciser lesquelles

la mise en place d’une société ouverte fondée sur le système des check and balances

BHL, une autre façon de se faire comprendre du peuple

, la volonté de rupture avec la culture post-soviétique, le dirigisme d’Etat, la corruption généralisée et l’oligarchisme prédateur sont bloquées, comme toujours et comme, par exemple, dans la Géorgie de Saakachvili,

Saakachvili, ancien président de la Géorgie, ami de BHL. Malheureusement, la place manquait dans la tribune pour préciser qu’il avait été accusé d’avoir commandité plusieurs meurtres par son propres ministre de la Défense, et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt

par les réflexes, les habitudes et les intérêts du passé. Et le problème c’est, surtout, la fuite en avant de la Russie qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, accroît son offensive sur le double terrain où se jouent désormais les guerres.

Bien sûr…

Le terrain militaire avec, sur les frontières de l’Est et, en direction, désormais, de Debaltsevo, Marioupol et Avdeevka, l’escalade des combats et des provocations des séparatistes prorusses.

Et le terrain financer, où des signes nombreux et concordants indiquent qu’un Poutine affaibli par le double effet des sanctions et de la baisse des prix du pétrole est bien décidé à contre-attaquer sur le même terrain et à tenter de mettre à genoux le gouvernement de monsieur Porochenko. Les démocraties, face à cela, sont, comme d’habitude, lentes à répondre

Attention : UN Poutine mais MONSIEUR (le milliardaire blanc comme neige) Porochenko

Et cette association de démocraties qu’est l’Union européenne est, comme il se doit, plus lente encore.

Or beaucoup dépend de ce qui se passera dans les semaines, pour ne pas dire les jours, qui viennent.

Ou bien les dirigeants européens persistent dans leur inquiétante prudence

Sans quoi ils auraient déjà fait à l’Ukraine ce que BHL a fait à la Lybie ?

et, alors, non seulement Poutine poursuivra sa double agression, mais il arguera que les problèmes rencontrés par sa propre économie sont dus à l’hostilité de l’Ouest et gagnera ainsi sur tous les tableaux à la fois. Ou bien les dirigeants européens se rangent derrière Kiev ; ils exhortent les institutions financières internationales à voler au secours de ce pays de 45 millions d’habitants

et pourquoi le monde doit-il aider l’Ukraine et pas, disons, le Mali ?

qui, tandis qu’il semble toucher le fond, demeure politiquement et moralement debout ; ils obtiennent que tel fonds d’aide, en principe réservé aux peuples de l’Union, soit étendu à ces Européens de cœur et d’adoption que sont les Ukrainiens ;

genre, pour leur préter de l’argent comme on a fait aux Grecs ?

et alors Vladimir Poutine sera forcé de mettre un terme à son agression ;

OU ça dégénérera en vrai conflit…

l’Ukraine pourra reprendre sa longue et difficile marche en avant vers les réformes

une psychothérapie, une !

; et la responsabilité du désastre économique qui menace la Russie elle-même incombera clairement aux aventuriers qui la dirigent.

Ah la Lybie, quelle belle non-aventure…

Moi j’admire – sincèrement – BHL sur ce plan là : à sa place, j’aurais été obligé de me suicider de honte…

D’un côté, l’abandon de l’Ukraine : ce serait une perte terrible, peut-être mortelle, pour une Europe

OH OUI OH OUI OH OUI

qui aurait laissé la Russie diviser et régner. De l’autre, une mobilisation politique, économique et, à très court terme, financière des démocraties en direction d’un pays qui a foi en nos valeurs et qui, par sa foi même, les renforce : et l’Ukraine vivra ; et l’Ukraine l’emportera ; et peut-être même – qui sait ? -

HELAS, l’austérité exigée par Bruxelles ne permet pas de telles générosités, désolé…

le peuple russe prendra-t-il modèle sur la nouvelle Ukraine pour s’engager, à son tour, sur le chemin de la démocratie et des réformes.

Peuple russe, écoutez BHL, et votre pays sera bientôt comme l’Ukraine et la Lybie !!!!

Non, en fait, je pense – mais peut-être que je me trompe -, très cher BHL, que le peuple russe t’envoie te faire voir chez Syriza, et te prie de garder pour toi ton beau modèle démocratique Bruxellois, ton super Président SarkHollande, et tes valeurs générales de faucon néoconservateur.

Les heures à venir seront cruciales. L’Europe est à la croisée des chemins et de son destin.

Bernard-Henri LEVY philosophe et Georges SOROS financier américain, président des Open Society Foundations

Grand moment d’humour trouvé sur Libération, la voix des millionnaires.

Source: http://www.les-crises.fr/il-faut-secourir-l-ukraine/


[Reprise] L’alternative de Syriza : passer sous la table ou la renverser

Monday 26 January 2015 at 12:38

Par Frédéric Lordon

Ce dimanche 25 janvier ont lieu en Grèce des élections législatives qui pourraient s’avérer historiques : Syriza, la coalition de gauche d’Alexis Tsipras, est en tête des sondages. Mais pour Frédéric Lordon, l’étau allemand et les inconséquences de la formation grecque condamnent celle-ci à des acrobaties douloureuses…

Il y a maintenant longtemps que l’Europe s’est enfermée elle-même dans la nasse constitutionnelle des traités libéraux, d’où elle n’a plus laissé que deux voies de sortie, et deux seulement : 1) l’effondrement financier de la construction sous le poids de ses contradictions internes, ou bien 2) un accident politique qui renverse la table. La première issue ayant été – temporairement – enrayée par l’annonce du programme OMT de la Banque centrale européenne (BCE) [1], il ne reste que la seconde, raison qui conduit le grand parti institutionnel-européiste à regarder la démocratie, non comme un état normal de la vie politique, mais comme une source permanente de menaces, dont l’étouffement justifie tous les moyens.

De ce point de vue, il faut louer la persévérance dans l’être de la Corée du nord qui offre aux Européens l’inaltérable moyen de se rassurer quant à leurs créances démocratiques, et font passer pour telles que le président de la Commission déclare avoir une nette préférence pour « retrouver des visages connus » à l’issue du scrutin législatif grec, et que le commissaire Moscovici se fende d’une visite sur place pour encourager, à défaut du bien-vivre, le bien-voter, toutes ingérences qui disent assez la considération que les institutions européennes portent à la souveraineté des peuples.

Sans questionner davantage la solidité réelle du verrou tiré à la voie 1 (l’OMT), se peut-il que le degré de confiscation des institutions politiques dans à peu près tous les pays laisse la moindre chance à la voie 2 – hors bien sûr d’un soulèvement en bonne et due forme ? L’expérience Syriza, si tant est qu’elle ait lieu, nous donnera rapidement une réponse. On ne peut pas dire que les choses se présentent idéalement pour Tsipras. C’est que l’Allemagne, très consciente du danger, a par anticipation savonné la planche en déclarant que la sortie de la Grèce est une éventualité à laquelle la zone euro pouvait désormais très bien faire face, manière de fixer d’emblée les termes du rapport de force qui ne manquera pas de se former dès qu’un gouvernement Syriza en place fera connaître ses intentions de renégociation.

« La CDU » et « l’égoïsme », ou l’asile de la cécité européiste

C’est en général le mauvais moment à passer pour le commentariat européiste, désespéré de cette obstination dans la rigidité qui finit – il s’en rend bien compte – par fabriquer une Europe à sale gueule, et qui, pour contenir son accablement, n’a trouvé que la double ressource de mettre la chose au compte de la CDU [2] (« ça n’est pas l’Allemagne, c’est la droite allemande »), ou bien à celui des « égoïsmes » (« les Allemands ne veulent pas payer pour les autres »). Evidemment la double ressource est une double erreur, comme suffit d’abord à le faire apercevoir l’adhésion zélée aux principes de l’Europe libérale de la « gauche » française, et en fait de toutes les gauches de droite européennes, équivalents fonctionnels du SPD [3], lui-même aussi droitier qu’elles toutes. Mais comme l’atteste également la permanence de l’indigent réflexe « intellectuel » qui retourne systématiquement à l’explication morale des choses, ou à l’explication des choses par la morale, en l’occurrence l’« égoïsme », quand évidemment la « solidarité » règlerait tous nos problèmes – misère d’une construction politique qui n’a plus que le recours de la vertu pour espérer contenir ses tares congénitales.

Or rien, dans cette affaire allemande, n’a à voir ni avec la « droite » ni avec l’« égoïsme », et tout avec la défense de principes – qui n’ont rien de moraux. Des principes monétaires, inscrit dans une croyance collective, transpartisane, formée à l’épreuve du trauma de l’hyperinflation de 1923, conçue, à tort ou à raison – en l’occurrence à tort –, comme l’antichambre du désastre maximal, le nazisme.

Il reste que, dans les négociations à répétition avec la Grèce, il y va moins, pour l’Allemagne, de « payer » ou de « ne pas payer », que de maintenir des principes d’orthodoxie – équilibre budgétaire, indépendance absolue de la banque centrale, interdiction de tout financement monétaire des déficits – dont elle s’est fait une constitution économique, une identité nationale de remplacement, un rempart imaginaire contre le chaos social, et la condition sine qua non de sa participation à la monnaie unique. Perdre des milliards d’euros, l’Allemagne y consentirait sans ciller si d’aventure l’abandon par l’Europe des impératifs monétaires catégoriques qu’elle lui a imposés jusqu’ici la déterminait à sortir – elle ! – de l’euro, au prix d’une réappréciation du néo-mark qui torpillerait ses surplus commerciaux. Mais plutôt ça, que transgresser. Et plutôt seule avec ses principes que mal accompagnée par des irresponsables.

Merkel bluffe-t-elle ? – non

Comme souvent, la sauvegarde des valeurs les plus sacrées s’accomplit au travers des manœuvres les plus troubles. Il n’échappe à personne, spécialement depuis les déclarations d’Angela Merkel, qu’un grand jeu de poker est en train de se mettre en place, avec stratégies de pré-intimidation et construction avancée du rapport de force. Au poker, comme on sait, tout l’art est dans l’appréciation du bluff. Merkel bluffe-t-elle ?

Il y a de quoi se poser la question quand on sait les angoisses qui ont entouré en 2012 l’éventualité d’une sortie de la Grèce. Les choses ont-elles changé depuis qui donneraient quelque nouveau crédit à l’apparente légèreté allemande quant à cette perspective ? En fait oui, et pour une raison essentielle : la restructuration de la dette grecque de 2012, telle qu’elle a eu pour effet, après digestion du haircut par les créanciers privés [4], de remettre la plus grande part des titres grecs aux mains des créanciers publics – l’Union européenne (UE), le Mécanisme européen de stabilité (MES), le Fond monétaire international (FMI) et la BCE détenant ensemble 254 milliards d’euros [5] contre 44 au secteur privé. Or les craintes qu’inspirait le scénario d’une sortie de la Grèce avait essentiellement partie liée avec la réactivation d’un risque de système en cas de défaut sur une dette à l’époque de 360 milliards d’euros, mais surtout détenue à presque 85 % par les investisseurs privés. Le fait même de la restructuration aura montré que cette crainte était probablement surestimée, puisque la sphère des créanciers privés aura absorbé des pertes entre 50 % et 70 % de valeur nominale sans dommage apparent. A fortiori maintenant le risque systémique n’est-il plus sur la table – « on peut y aller » conclut l’Allemagne, qui n’a jamais cessé de penser à ses banques dans toute cette affaire [6].

Si les effets collatéraux proprement financiers d’une sortie-défaut semblent assez contrôlables, qu’en est-il cependant des effets collatéraux politiques – alias la contagion ? Car il est bien certain que la sortie d’un pays aurait l’effet d’un coup de tonnerre, aux fortes propriétés d’émulation. Spécialement au Portugal et en Espagne, où des élections législatives doivent se tenir respectivement en novembre et décembre. Mais où en seront les effets d’émulation à ce moment précis ? Probablement pas à leur meilleur, c’est à craindre. Car il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’entre difficultés logistiques de la réinstallation de la drachme, imperfections de la mise en place des contrôles de capitaux, super-dévaluation de fait, immédiateté de l’inflation importée, temps de réponse des exportations, etc., un processus de sortie-défaut commencera par une phase passablement chaotique, dont la stabilisation, puis la matérialisation des bénéfices, demanderont au moins douze et plus probablement dix-huit mois. Fin 2015, ce sera le fond du creux – soit la plus mauvaise image possible à offrir pour une stratégie de sortie de l’euro, et un caviar pour les « on vous l’avait bien dit » européistes.

N’y a-t-il pas cependant un coin à enfoncer dans le gambit allemand, tout de même marqué par une fameuse contradiction ? Car l’Allemagne déclare par avance s’opposer à toute restructuration de la dette détenue par les créanciers publics si la Grèce reste… mais n’aurait plus qu’à se passer le papier grec en tisane si jamais elle sortait. Annoncer que la moindre perte est intolérable avant, pour consentir – de fait – à tout perdre après, signale au minimum une logique un peu branlante. Et moyennement crédible. Il n’y a là cependant de contradiction qu’au regard d’une logique incomplète, car il faut dire à nouveau que l’Allemagne est moins près de ses sous qu’elle n’est près de ses principes. Refuser de concéder en matière de dette grecque n’a pas à voir avec un égoïsme qui veut faire des économies, mais avec la sauvegarde d’un dogme monétaire – celui que l’Allemagne a imposé à l’Europe monétaire, dont le rigoureux maintien est la condition de sa propre participation, et pour lequel elle est prête à payer des milliards.

La « négociation », ou la certitude du dessous

Dans ces conditions, disons tout de suite que, pour Syriza, le gosse se présente par le siège. Il est vrai que le parti de Tsipras s’est lui-même mis dans un mauvais cas, à soutenir, avec la plus complète inconséquence, et son projet de revenir sur le mémorandum, et son désir de rester dans l’euro. Il y avait là une contradiction que son aile gauche, incarnée par des économistes comme Stathis Kouvelakis, n’avait pas manqué de relever, et depuis quelque temps déjà : la marge des accommodements avec l’Euro-Allemagne sur la dette grecque a été épuisée avec la restructuration imposée aux créanciers privés, imaginer qu’elle pourrait être étendue aux créanciers publics, a fortiori quand on compte parmi ceux-ci la BCE, tient maintenant du rêve éveillé.

L’alternative pour Syriza est donc des plus simples : plier ou tout envoyer paître. Mais il n’y aura pas de tiers terme. Et si Tsipras imagine qu’il pourra rester dans l’euro et obtenir davantage que des cacahuètes, il se raconte des histoires. Sans doute pourra-t-on compter sur le commentariat européiste pour nous faire paraître les pistaches de gigantesques avancées, peut-être même des victoires triomphales, en tout cas la démonstration en acte de la formidable flexibilité des institutions européennes. La vérité c’est que Tsipras ne dépassera pas le stade de l’apéro, et plutôt bon marché, car l’Euro-Allemagne ne cèdera rien de significatif – demanderait-il davantage que Merkel lui montrerait aussitôt la porte.

Lire Alexis Tsipras, « Notre solution pour l’Europe », Le Monde diplomatique, février 2013.

Mais que veut Tsipras exactement ? Tendanciellement de moins en moins, semble-t-il. En deux ans, Syriza est passé d’une remise à plat complète du mémorandum à un très raisonnable rééchelonnement de la dette détenue par les créanciers publics. Il est certain qu’à ce degré d’affadissement, pour ne pas dire de renonciation, les contradictions sont moins aiguisées… Il ne l’est pas moins que toute entreprise de délestage réel de la dette, et d’affranchissement de la camisole de force des politiques économiques, conduirait à une éjection de fait de la zone euro, dont on remarquera qu’il n’est nul besoin d’un article (en l’occurrence manquant) des traités européens pour y procéder, ainsi que le cas chypriote a commencé d’en faire la démonstration : il suffit à la BCE de mettre le système bancaire grec sous embargo – concrètement : de lui interdire l’accès au refinancement – pour lui faire connaître dans les 24 heures une tension d’illiquidité telle que la reconstitution en urgence d’une banque centrale nationale est le seul moyen de le sauver de l’effondrement complet. Laquelle reconstitution équivaut à celle d’une monnaie nationale, puisqu’il ne saurait être question que la BCE reconnaisse comme euros des émissions monétaires en provenance de sources autonomes, situées hors de son contrôle. Les banques grecques pourraient être assez vite réintégrées dans le réseau international des paiements interbancaires, tout ce qui vient d’elles cependant étant compté comme drachmes, le cas échéant à un taux de change de un pour un à l’instant t = 0 – en attendant la dégringolade qui ne manquerait pas de se produire.

Le chemin rectiligne de la normalisation à la désillusion

Ce sera donc l’euro et la camisole, ou bien aucun des deux. Or rien ne semble préparer à ce second terme de l’alternative si l’on considère et la dérive politique de Syriza et le prétexte que lui donnent des sondages assurant que la population grecque demeure très attachée à la monnaie unique – et pour cause : Syriza, dérivant, a de fait abandonné de produire l’effort requis pour ancrer l’abandon de l’euro dans l’opinion comme une option possible, conformément par exemple à une stratégie d’affrontement gradué, au bout de laquelle l’arme ultime de la sortie est indiquée comme fermement intégrée à l’arsenal d’ensemble.

Mais l’on n’en revient pas de ces abandons successifs qui ont conduit un mouvement prometteur à une normalisation si rapide. Et le condamnent à brève échéance à de douloureuses désillusions : car il faut avoir un gros moral pour imaginer que de simples opérations de rééchelonnement, à politique économique globalement invariante, pourrait avoir quelque effet significatif sur l’économie grecque, dont on rappellera tout de même qu’elle a perdu 20 % de PIB depuis 2010 – soit un score qui qualifie pour les annales de la Grande Dépression façon Etats-Unis années 30, mais sans New Deal pour en sortir.

On n’en revient pas, donc, mais en fait, si, on en revient très bien. Car il n’y a là rien d’autre que l’effet écrasant des institutions du parlementarisme, dont le jeu réglé condamne irrésistiblement les disrupteurs politiques, soudainement magnétisés par l’objectif électoral, à nécessairement trahir tout ce qui a fait leur entrée en scène fracassante en infléchissant leur course vers le centre, à la manière dont Syriza a entrepris de récupérer les troupes atomisées du Pasok – un destin que Podemos connaîtra à son tour, à n’en pas douter (mais c’est en réalité déjà fait).

Après deux ans d’édulcoration déjà si prononcée, ne serait-il pas de l’ordre du miracle politique que Syriza ait la ressource interne d’en revenir à sa radicalité première pour envisager à nouveau une sortie de l’euro au cas – probable – où la renégociation du mémorandum ne livrerait que des queues de cerise ? La politique n’étant pas exactement le lieu d’élection du miracle, l’écrasement sous le poids des institutions européennes et du parlementarisme national réunis, et l’abandon de fait de toute ambition d’en finir avec la camisole néolibérale, sont bien le résultat prévisible de cette chronique d’une normalisation annoncée. Rude – mais salutaire – leçon de choses pour tous les partis de la (vraie) gauche européenne qui, à l’image du Front de gauche, n’en finissent pas de tourner autour du pot – s’ils tournent encore… – pour se perdre dans le rêve d’une « transformation de l’euro de l’intérieur », cette chimère dont Syriza leur montrera bientôt et l’inanité et le coût politique.

La réaction européiste, entre le bâton et la carotte

En vérité, la leçon sera, à terme, cuisante pour tout le monde. Car un gouvernement Syriza déconfit et ramené à une austérité à peine adoucie, sera moins la preuve en acte de la qualité des compromis européens que celle de ce que la zone euro est une taule qui ne connait pas les remises de peine. C’est pourquoi l’européisme, lui aussi, va devoir s’employer pour rattraper les dégâts, selon deux lignes prévisibles, la première, celle des intégristes, qui, déterminés à ne jamais rien céder sur rien, se mettront en devoir de justifier que les demandes grecques étaient « économiquement » impossibles à satisfaire ; la seconde, celle des ébranlés, dans l’esprit desquels les quatre années écoulées ont fini par faire passer l’ombre d’un doute, et qui se mettent déjà le cervelet au court-bouillon pour tenter de sauver leur belle Europe, moyennant un nouveau tour de manège constitutionnel.

Lire « Quand l’austérité tue », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

D’une certaine manière, c’est l’intégrisme qui a la vie facile. La décision de se tenir à la croyance quoi qu’il arrive simplifie la réflexion, et ne demande que de trouver des chevilles pour accommoder les éventuels « défauts ». Ici l’intégrisme dira : parmi les créanciers publics, le plus précieux, le plus vulnérable, le plus délicat, c’est la BCE. Annuler la dette grecque, c’est prendre le risque de la mettre en perte, et condamner les Etats-membres, c’est-à-dire – ici néon – le contribuable, à devoir la recapitaliser.

On notera d’abord la faible consistance de l’argument qui, parmi les créanciers publics, fait grand cas des pertes de la BCE mais fort peu de celles du MES et de l’UE elle-même (27,7 milliards d’euros d’un côté contre 141 milliards d’euros + 53 milliards d’euros de l’autre pourtant). Mais c’est que dans « banque centrale », il y a « banque », qui permet de faire jouer toutes les associations d’idées avec la crise financière de 2007-2008, comme si la BCE était une sorte de Lehman Brothers en plus gros. « La faillite d’une banque » (de plus), et le spectre à nouveau du « grand effondrement », voilà l’épouvantail agité par les demi-habiles du monétarisme européen.

A l’opposé exact de leurs vaticinations cependant, de toutes les « banques » (et en fait de toutes les entités économiques), la banque centrale est la seule pour laquelle la prise de perte est d’une totale innocuité, en tout cas la faillite une catégorie entièrement dénuée de sens, et ceci pour cette simple raison que la faillite est un état d’illiquidité… que la banque centrale ne peut connaître puisqu’elle est, elle-même, la source de toute liquidité ! La banque centrale crée la liquidité. Elle la crée ex nihilo, par une opération qui n’a rien de magique, mais exprime une croyance collective en l’acceptabilité du signe monétaire comme équivalent général, inscrite dans des institutions particulières (qui, par ailleurs, se distinguent par leurs propriétés à reproduire plus ou moins bien cette croyance). Instance ultime de la liquidité, sommet de la pyramide du refinancement, au-delà duquel il n’y a plus rien – oui, c’est un peu vertigineux pour certains esprits innocents –, la banque centrale n’a pas à être elle-même « refinancée » ou recapitalisée, contresens conceptuel qui témoigne d’une incompréhension profonde des mécanismes monétaires : la banque centrale, si besoin est, apure ses propres pertes et s’autorecapitalise par création monétaire pour ainsi dire pro domo.

Comme souvent cependant, au voisinage immédiat des demeurés, il y a les cyniques – et les idéologues. Ceux-ci savent très bien que la banque centrale peut combler ses pertes par ses propres moyens de création monétaire, mais ils ne le veulent pas – essence même du dogme monétariste qui regarde toute création monétaire « anormale » comme un fléau en cours de formation. Mais qu’est-ce que l’« anormalité » en cette matière ? A cette question, le monétarisme appliqué répond invariablement : tout ce qui excède les besoins de refinancement des banques privées, et notamment tout ce qui pourrait constituer une opération plus ou moins médiate de soutien aux Etats – en quoi consisterait indiscutablement une annulation de la dette grecque inscrite à l’actif de la BCE.

Voilà pourquoi, en passant, le monétarisme se soucie bien moins des pertes du MES que de celles de la BCE en dépit de leurs ordres de grandeur comparés. Les premières sont des pertes sèches pour les Etats-membres, et ceux-ci devront les combler par de nouvelles ressources financières, prélevées ou empruntées – et ça leur coûtera. Les secondes relèvent d’une pure opération de monétisation, qui plus est à destination d’un Etat (grec) – de celles qui appellent le pieu en bois.

En tout cas, la théorie dite « quantitative » [7] ignore ici étrangement toutes les considérations de quantité pour ne répondre en fait qu’à des critères qualitatifs. Que le programme LTRO de la BCE [8] ensevelisse les banques privées européennes sous mille milliards d’euros à des taux proches de zéro et pour des échéances tout à fait hors des standards habituels de la politique monétaire, la chose est déclarée parfaitement « normale ». Que l’Etat grec se voie offrir une remise de dette de 27 milliards d’euros par la BCE, c’est le commencement d’un laxisme aussitôt affublé par les médias de l’étiquette « planche à billets », elle-même annonciatrice de la remise en circulation des brouettes pour aller acheter le pain.

Les eurobonds, ou la politique du plombier

Quoiqu’il ne soit jamais si visible qu’en ces situations très concrètes où le maniement à géométrie variable des mêmes arguments apparaît dans toute sa splendeur, l’entravement de la puissance publique est l’omniprésent non-dit de la construction européenne, dont les articles de traité ne donnent qu’une expression technique, affadie et méconnaissable comme telle. De l’interdiction des aides d’Etat à la fermeture de tous les degrés de liberté de la politique économique, l’impotence de la puissance publique, pour mieux dégager la piste aux puissances privées, est pourtant méthodiquement organisée. C’est le genre de chose qu’à l’inverse des « intégristes » – dont c’est le projet même ! –, les « ébranlés » peinent un peu à voir. Il est vrai que munis de la prémisse que l’Europe est par essence destinée au bien, c’est presque tout leur champ de vision qui pendant des décennies n’a été qu’une gigantesque tache aveugle. Aussi, passé le moment sans doute un peu tardif de l’ébranlement, se mettent-ils précipitamment en devoir de rafistoler le bouzin, avec malheureusement pour seul viatique intellectuel une idée de la politique qui oscille entre une vision de plombier et celle, plus enfantine, de l’ardoise magique.

En suivant d’abord leur ligne de plus grande pente, celle du bricolage technique, comme si quelques nouvelles tubulures financières pouvaient apporter de réelles solutions à des problèmes fondamentalement politiques. Le désastre de la monnaie unique était déjà un pur produit de cette forme de pensée, mais peu importe, c’est sans doute qu’« on n’était pas allé assez loin ». Si la monnaie unique est un peu branlottante, ce serait d’avoir oublié de la compléter de la dette unique. Et toujours pas un pour s’aviser que l’élément manquant n’est pas à chercher dans quelque introuvable instrument miraculeux de la politique monétaire ou financière, les eurobonds ou autre chose, mais dans une authentique communauté politique, pour encore longtemps manquante. Et faute de laquelle toute mise en commun des instruments techniques, loin de faire faire quelque progrès, n’a pas d’autre effet que d’approfondir la crise politique chronique, symptôme par excellence de la malfaçon européenne.

Cette crise politique est une crise de la souveraineté, crise de la soustraction à la délibération démocratique de la politique économique, réduite à une automatique asservie à des valeurs-consignes déposées dans les traités. Dans ces conditions le rapport des institutions européennes aux Etat-membres ne peut être qu’un rapport de surveillance. Et de mise sous tutelle quand les écarts de trajectoire passent un seuil critique. C’est cette logique que la mutualisation de la dette, solution fétiche des ingénieurs-économistes dépourvus de toute vision politique, va porter à un degré inouï. Car, à supposer même que l’Allemagne donne son aval à des eurobonds (auxquels, en première instance, elle a tout à perdre), ce ne pourrait être qu’à la contrepartie d’un dispositif de surveillance sans précédent dès lors que s’établit un mécanisme très formel de garantie solidaire.

Peut-on imaginer que l’Allemagne (et pas seulement elle d’ailleurs) consentirait à apposer sa signature sur des papiers émis solidairement par la Grèce, l’Espagne, le Portugal… et même la France, sans s’assurer de l’absolue rectitude de leurs politiques économiques, c’est-à-dire de leur absolue soumission à des règles draconiennes qui donneront rétrospectivement à celles d’aujourd’hui des airs de camp de vacances. Ce sont donc tous les caractères présents de la monnaie unique que les eurobonds viendraient accuser, et notamment celui de la dépossession pure et simple de souveraineté, la moindre entorse par un Etat-membre donnant lieu à une prise des commandes en direct de sa politique économique par les instances européennes, soit une forme de troïkation aggravée, désormais établie comme institution permanente de l’Union – et il faut avoir de sérieuses propensions au rêve éveillé pour voir dans cette nouvelle configuration du knout une formidable avancée.

L’ardoise magique de l’« avancée démocratique »

Mais la propension au rêve n’est pas ce qui fait défaut à l’européisme ébranlé. « Seule une refondation démocratique de l’Europe permettrait de mener des politiques de progrès social » déclare ainsi avec emphase Thomas Piketty [9]. Sans doute – d’ailleurs si ma tante en avait. Malheureusement (?), elle n’en a pas. Il s’agirait donc de s’aviser que la neutralisation des souverainetés populaires n’est pas une erreur accidentelle, ou une mauvaise tournure malencontreusement acquise en cours de route, mais bien un parti pris constitutionnel et réfléchi, voulu au premier chef par l’Allemagne pour garantir l’absolu respect des principes auxquels elle a conditionné sa participation à la monnaie unique.

De même que Syriza rêve en pensant avoir et le maintien dans l’euro et l’affranchissement de l’austérité, l’européisme ébranlé rêve quand il espère tenir ensemble la participation allemande et la remise complète de la politique économique à la discrétion démocratique. Car la discrétion, c’est-à-dire le maniement souverainement flexible des instruments de la politique économique, notamment monétaire, c’est le cauchemar par excellence de l’ordolibéralisme allemand transplanté à l’échelle européenne. Si donc, en cette matière, la démocratie s’assimile à la discrétion, et que l’Allemagne fait du refus de la discrétion un point d’intransigeance, la réclamation emphatique d’une refondation démocratique a à peu près autant de consistance que celle qui voudrait réformer la curie romaine sur la base d’un club naturiste.

Evidemment, ce sont là des questions qui excèdent passablement la vue économiste des choses, et qui requièrent de s’interroger préalablement sur les conditions de possibilité de la constitution d’une communauté démocratique pluri-nationale. Non que cette constitution soit impossible par principe. Mais que rien, symétriquement, ne garantit qu’elle soit de l’ordre de l’évidence [10]. Si l’on veut bien se souvenir que l’Allemagne n’est entrée dans la communauté monétaire européenne qu’à la condition de lui imposer ses propres principes – tels qu’ils font l’objet chez elle d’une adhésion largement transpartisane et pour ainsi dire méta-politique –, on devrait tout de même avoir à l’idée de se poser quelques questions, et notamment celle de la compatibilité d’un tel ultimatum avec toute construction démocratique.

Lire « Un peuple européen est-il possible ? », Le Monde diplomatique, avril 2014.

Mais, questionneur, il y a beau temps que l’européisme a oublié de l’être. Il est vrai que le monde des abstractions constitutionnelles est autrement plus confortable que le réel. C’est pourquoi on s’adonne avec ardeur à l’architecture en chambre, à la manière du « Manifeste pour une union politique de l’euro » [11], manifeste politique sans pensée politique, incapable de voir tout ce que la construction d’institutions politiques appelle de prérequis, et notamment l’existence d’une consistance communautaire minimale, où résident les conditions d’acceptation de la loi de la majorité – le cœur concret de la démocratie. Mais jamais l’européisme, qui rêve maintenant d’un parlement de l’euro, ne se soucie de savoir si l’Allemagne, qui pourtant a soumis jusqu’ici toute la construction monétaire européenne à ses seuls impératifs, pourrait accepter que soit remis en discussion l’indépendance de la banque centrale, l’interdiction du financement monétaire public, le dogme de l’équilibre budgétaire, l’exposition permanente des politiques économiques aux marchés financiers conçus comme auxiliaires de surveillance, etc. – c’est-à-dire accepter d’être mise en minorité sur ces sujets qui lui sont névralgiques.

Le salut pour Syriza ne viendra ni de quelque compromis européen, ni d’une chimérique reconstruction institutionnelle à froid, promesse aussi vide de réalisme politique que faite pour être renvoyée à des horizons perpétuellement repoussés. Mais l’inanité des fausses solutions n’exclut pas qu’il y en ait de vraies. Puisqu’il y a toujours une alternative. En l’occurrence, non pas caler le pied de table, pour ravauder son estime de soi avant de passer dessous, mais la renverser.

Pour tous ceux qui, au loin, contemplent dans un mélange d’inquiétude, de doute et d’espoir ce qui peut advenir en Grèce, il ne reste qu’une chose à faire vraiment : contre la force gravitationnelle des institutions qui s’efforce de ramener les déviants à leur ordre, rappeler à Syriza, en ce point de bifurcation où elle se trouve, tout ce qui dépend d’elle – et qui est considérable : contester vraiment l’austérité de la seule manière possible, la rupture, signifier à la face de l’« Union » la sédition ouverte d’avec son ordre néolibéral, c’est-à-dire créer un événement libérateur, pour le peuple grec, mais aussi pour tant d’autres qui espèrent avec lui.

Notes
[1] Annoncé en juillet 2012, mis en place en septembre de la même année, le programme OMT (Outright Monetary Transactions) autorise la BCE à racheter des volumes potentiellement illimités de titres souverains de l’eurozone. Cette décision a eu un effet quasi-instantané sur les investisseurs, et a probablement sauvé l’euro de la troisième attaque (juin 2012) qui promettait de lui être fatale.
[2] L’Union chrétienne-démocrate, le parti allemand au pouvoir
[3] Le Parti social-démocrate allemand
[4] L’haircut est une réduction de la valeur de la dette d’un emprunteur dans le cadre d’une restructuration de dette.
[5] Qui se décontractent en UE : 53 milliards d’euros ; MES : 141,8 milliards d’euros ; FMI : 32 milliards d’euros ; BCE : 27,7 milliards d’euros (d’après Flash Natixis, 5 janvier 2015, n° 12).
[6] Comme tous les autres pays d’ailleurs.
[7] Le monétarisme repose sur la théorie dite « quantitative » de la monnaie pour laquelle seul le volume des agrégats monétaires est déterminant.
[8] Long Term Refinancing Operations, programme de refinancement exceptionnel des banques européennes mis en place fin 2011 et début 2012.
[9] Thomas Piketty, « 2015 : quels chocs pour faire bouger l’Europe ? », Libération, 29 décembre 2014.
[10] Pour une discussion plus substantielle de ce problème, voir La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui Libèrent, chapitre 6, « Un peuple européen est-il possible ? ».
[11] « Manifeste pour une union politique de l’euro », Le Monde, 16 février 2014.

Source : Le blog de Lordon sur le Diplo

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-alternative-de-syriza/


[Reprise] Le délit d’apologie du terrorisme déporté vers le Code pénal

Monday 26 January 2015 at 03:30

Reprise de ce billet poste le 2 novembre 2014 – dont on a vite vu les dégâts…

Reprise d’un billet du Point et d’Eric Verhaeghe du mois dernier (que j’avais sous le coude). Application dans le billet suivant.

C’est officiel : le délit d’apologie d’actes de terrorisme bascule dans le Code pénal, devenant un délit terroriste. Alors que les députés examinent à l’Assemblée nationale en procédure d’urgence le projet de loi antiterrrorisme, ils ont voté mercredi soir le déplacement controversé du délit de provocation à des actes terroristes ou d’apologie de ces actes de la loi sur la presse de 1881. L’article 4 du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme a pour objectif d’appliquer des délais de prescription allongés et des règles de procédure plus souples prévues dans le régime dérogatoire en matière terroriste.

Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a appelé à la “lucidité” face à “un phénomène récent et gravissime” et défendu l’article comme “nécessaire” face à “la stratégie médiatique” des groupes djihadistes et au fait qu’”Internet offre aux thèses les plus extrêmes une caisse de résonance démultipliée”, pas comparable avec la diffusion d’images à la télévision. Il a affirmé, entre autres, que “le basculement (vers le Code pénal) ne modifie en rien la définition et le champ d’application de ces délits existant déjà en droit positif” et que “laisser croire que la liberté de la presse est menacée relève d’une contre-vérité absolue”.

Une disposition qui ne fait pas l’unanimité

Lors du débat dans l’hémicycle, cette disposition a été contestée par plusieurs députés socialistes et écologistes, mais aussi quelques élus UMP. L’écologiste Isabelle Attard a redouté “un nouveau délit d’opinion, outil dangereux dans les mains d’un gouvernement démocratique et arme atomique dans les mains d’un gouvernement autoritaire”, et “un détricotage de la loi de 1881″. “Extrêmement réaliste sur l’existence d’une menace nouvelle et barbare, mais aussi attentif à la défense des libertés liées à l’existence des réseaux numériques”, le socialiste Christian Paul a notamment bataillé en vain contre la création d’une circonstance aggravante liée à l’usage d’Internet. Sur la même ligne, l’UMP Laure de la Raudière a assuré de sa “volonté de supprimer les contenus odieux d’Internet, mais Internet n’est pas hors la loi et je ne voudrais pas qu’on prenne le travers de créer une police privée qui serait les hébergeurs d’accès”.

Et, a critiqué Lionel Tardy, “95 % de ce qui passera sur Internet ne sera pas concerné puisque cela ne se passera pas sur le territoire français”. Soulignant que ses deux collègues ne reflétaient pas la “position dominante” de l’UMP, Guillaume Larrivé a défendu la “pertinence” du dispositif “pour avoir plus de moyens procéduraux de lutter contre ces délits”. Ancien magistrat, l’UMP Alain Marsaud a considéré cet article comme “l’un des plus difficiles à mettre en application”. “Imaginons un intellectuel français avec une chemise blanche, dans un hôtel à Benghazi, qui appelle à l’insurrection de la rébellion libyenne, est-ce qu’il ne pourrait pas tomber sous le coup de cet article ?” a-t-il ironisé, dans une allusion à Bernard-Henri Lévy.

Source : Le Point, 17/09/2014

Liberté du Net et République : Tardy et La Raudière sauvent (un peu) l’honneur, par Eric Verhaeghe

Engrenage sécuritaire

La discussion à l’Assemblée Nationale du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme a donné lieu à d’ahurissantes tirades de la part du gouvernement et des élus sur la liberté du Net. En dehors de Lionel Tardy, et à certains égards de Christian Paul, peu de députés ont fait entendre la voix des libertés dans l’hémicycle. Rappelons que ce texte prétend lutter contre le terrorisme en restreignant l’accès à Internet. Une démarche à la chinoise qui a divisé à gauche comme à droite, et a permis à certains de dériver dans des délires stupéfiants.

Voici un florilège des interventions:

Bernard CazeneuveCette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme – même ces nouvelles mesures ne peuvent garantir à elles seules un risque zéro. Mais l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée, compliquée, empêchée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé aux actions de propagande et de glorification du crime. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs.

Sébastien Pietrasanta, rapporteur (socialiste) du texte: S’agissant, enfin, des garanties devant entourer la décision de blocage, toute décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, dont l’indépendance et l’impartialité ne peuvent pas être mises en doute. Il s’agira là d’une garantie essentielle, dont l’importance ne saurait être minimisée.

On relira ici mes différents articles sur la connivence entre le juge administratif, qui est un fonctionnaire, et l’Etat, pour mesurer la mauvaise foi du rapporteur.

Alain Marsaud (UMP) à Bernard Cazeneuve: Vous avez passé huit minutes à rassurer, à vous justifier devant votre majorité en lui expliquant que vous n’étiez pas en train de vous asseoir sur les libertés individuelles et les libertés publiques. Mais ce n’est pas de cela que nous vous soupçonnons et ce n’est pas là le procès que nous vous ferons, bien au contraire.

Alain Tourret (PRG): Jusqu’où devrons-nous suspendre les libertés démocratiques ? Cette question est très importante. Je n’ai pas dit « supprimer », j’ai dit « suspendre » ! Nous avons su, dans notre histoire, suspendre à un moment donné les libertés démocratiques. Celles-ci, en effet, ne peuvent pas avoir le même contenu en temps de paix et en temps de guerre. Or la guerre nous a été déclarée. Nos grands textes sur l’état de nécessité en démocratie – je relisais l’œuvre du professeur Morange – ou sur l’état d’exception, à travers l’article 16 de la Constitution, permettent à l’évidence de considérer que, pendant un certain temps, lorsque la guerre nous est déclarée, les libertés démocratiques doivent être, sinon mises à l’écart, du moins appréciées en fonction du risque subi.

Marie-Françoise Bechtel (SRC): En définitive, c’est l’individualisation de la pulsion terroriste qui est traquée à travers ce projet de loi. Les réseaux sociaux, le partage, l’interactivité permettent certes à la redoutable puissance d’internet de contribuer à la vie collective des idées et des échanges, voire à une forme bienvenue de démocratie participative, mais ces progrès ont aussi un prix : l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres, ainsi que la mise à disposition permanente, et quasiment gratuite, de la formation, idéologique ou matérielle, à l’attentat terroriste. Ce prix, la société tout entière le paie. C’est pourquoi – nous aurons un débat sur cette question – il ne paraît pas excessif que ceux qui ont la charge de faire vivre internet – et qui sont aussi ceux qui en vivent : opérateurs, fournisseurs d’accès, hébergeurs, éditeurs – soient responsabilisés, dès lors qu’ils le sont dans un cadre sécurisé, respectueux de la libre expression, mais aussi protecteur du droit à la sécurité, et dans certains cas, du droit à la dignité.

Merci à Marie-Françoise, donc, d’avoir tout haut ce qui guide le texte tout bas: la lutte contre « l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres » dont Internet est le vecteur. Voilà ce qui en coûte à un pays d’avoir une classe politique périmée, qui ne comprend rien à l’évolution technologique: nos décideurs ont peur du progrès et cherche à l’encadrer coûte-que-coûte.

Pierre Lellouche (UMP): tout doit être fait pour empêcher le retour de ces terroristes, qui représentent autant de menaces mortelles – et je pèse mes mots – sur nos concitoyens. Tel est le sens de la déchéance de nationalité – mesure dont je mesure la gravité –, que je propose, avec d’autres collègues, d’introduire dans notre droit et qui s’appliquerait à tous les « Français » qui combattent au nom de l’État islamique. Qu’ont-ils de commun, ces égorgeurs, avec notre pays et avec les valeurs qui fondent notre République ? En choisissant le djihad, ces « Français »-là actent leur sortie définitive de la communauté nationale. Pour ma part, je les invite à rester en Irak et Syrie – et, si possible, à y trouver la mort de martyr qu’ils souhaitent.

Guillaume Larrivé (UMP): Je pense en outre qu’une mesure complémentaire doit être envisagée. Je propose, avec une vingtaine de collègues qui ont bien voulu cosigner un amendement en ce sens, que des policiers spécialement habilités, dans un cadre procédural défini par le Gouvernement, puissent agir comme des « corsaires » habilités à neutraliser, par des opérations techniques de piratage légal, des contenus informatiques provoquant à la commission d’actes terroristes.Il y a dans notre droit, notamment depuis l’adoption de la loi de programmation militaire, un dispositif analogue permettant de répondre à une cyber-attaque. Dans une logique antiterroriste, je propose que nous dotions les services spécialisés de la police nationale d’une immunité pénale leur permettant de s’introduire dans certains systèmes informatiques et de les détruire.

Thierry Mariani (UMP): nous le savons tous, internet contribue pour une part déterminante à cette évolution qui nuit aux intérêts fondamentaux de notre nation. C’est l’outil grâce auquel nombre de djihadistes suivent les étapes d’un processus d’auto-radicalisation et d’embrigadement.
Ces différentes mesures attribuent à la justice et aux services de police des moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions. Cependant, si ces propositions intéressantes représentent des réelles avancées, elles risquent aussi d’être rapidement insuffisantes, de sorte que nous serons obligés d’aller plus loin dans les années à venir, particulièrement si un attentat devait malheureusement survenir sur notre sol.
Ainsi, s’il est vrai que le blocage administratif des sites internet faisant l’apologie du terrorisme réduira la diffusion de propos qui sont les principaux vecteurs de radicalisation, je regrette qu’une démarche de riposte informatique contre ces sites ne soit pas envisagée.

Face à ces délires et ces surenchères liberticides, je cite in extenso quelques interventions qui me paraissent sauver l’honneur de l’esprit démocratique:

Laure de la Raudière: Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, oui, la France doit être unie en matière de lutte contre le terrorisme. Cependant, mon intervention ne sera pas à l’unisson de celles des autres membres du groupe UMP ; c’est pourquoi je remercie au préalable le groupe UMP de m’avoir laissé la parole pour apporter un éclairage différent.

Beaucoup d’entre nous sont déjà intervenus pour rappeler la gravité de la situation et l’obligation de garder à l’esprit, au moment de prendre des décisions, que le pire est sans doute à venir. Aujourd’hui, tous les experts s’accordent sur le fait, très inquiétant, que la France peut connaître sur son sol de nouveaux actes terroristes, comme l’affaire Merah l’a malheureusement montré en 2012.

Les départs et la radicalisation de jeunes dans la pratique du djihadisme ne sont pas des faits nouveaux : ils sont connus, observés, analysés et surveillés depuis le milieu des années 1990. Mais tous les experts s’accordent aussi à dire que le phénomène syrien atteint une ampleur jamais égalée auparavant. Les départs sont beaucoup plus importants et concernent des individus aux profils très différents, qui deviennent par conséquent souvent difficiles à identifier.

Nul non plus ne pourrait nier l’usage que font d’internet les groupes terroristes recruteurs et les jeunes aspirant à se radicaliser. Internet n’est qu’un moyen, qui vient généralement en appui à des contacts bien physiques et locaux. L’usage d’internet est facile, rapide et discret ; il permet ainsi à ceux qui le souhaitent de chercher des informations, puis, éventuellement, de s’endoctriner, et enfin d’entrer en contact avec des groupes constitués sur place et d’élaborer un projet de départ.

En revanche, les différentes personnes auditionnées, notamment le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sont en désaccord quant aux moyens à mettre en œuvre pour contrôler ou empêcher efficacement ces sites internet de nuire. Et pour cause ! La plupart estiment que les dispositions de ce projet de loi relatives à l’usage d’internet comme outil de propagande seront sans effet pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, seul le retrait à la source des contenus illicites est efficace ; il est donc urgent d’entamer des négociations sur ce point avec les États-Unis et le Canada.

Pourquoi dès lors vouloir introduire coûte que coûte de telles dispositions dans ce texte ? Je veux m’arrêter spécifiquement sur cet aspect du projet de loi, sur votre volonté, votre persévérance, votre obstination, devrais-je dire, à prévoir une aggravation des sanctions quand le délit est commis via internet et à élargir encore, par une extension de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le champ d’application du rôle de police privée des hébergeurs et du filtrage administratif, sans contrôle judiciaire d’internet.

Je constate malheureusement plusieurs choses récurrentes. Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire.

Le parti socialiste se perd une nouvelle fois dans ses contradictions, puisqu’il avait combattu en 2011 les dispositions prévoyant un filtrage administratif de la pédopornographie en ligne, à l’article 4 de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dans le cadre d’un amendement du groupe parlementaire SRC signé par l’ensemble des députés socialistes. J’ai encore en mémoire les propos de Patrick Bloche, de Christian Paul, qui était dans cet hémicycle il y a quelques instants, et même de Corinne Erhel. Pourquoi sont ils tous les trois si discrets ce soir ?

Monsieur le ministre, tout ceci donne l’impression que, face au constat de l’utilisation d’internet dans le phénomène de radicalisation, vous avez réagi comme votre prédécesseur, et même comme le ministre de l’intérieur précédent. Vous vous êtes dit : « On doit faire quelque chose pour arrêter la diffusion et la consultation de ces sites internet ; alors on va mettre en place le même dispositif que pour la lutte contre la pédopornographie en ligne. On va filtrer, sans passer par un juge, car il faut aller vite, il faut être réactif. » Et hop, la décision est prise ! Est-ce sérieux ?

Monsieur le ministre, vous êtes-vous posé deux questions essentielles ? Quelles sont les conséquences du fait de vouloir systématiquement écarter la justice a priori lorsqu’il s’agit d’internet ? Le dispositif proposé est-il réellement efficace et utile ? N’a-t-il pas, au contraire, des effets pervers ? Non, vous ne vous êtes pas vraiment posé ces questions, c’est évident ! Et pourtant, elles sont primordiales. Pour vous, l’important était de montrer que vous preniez des décisions et que vous agissiez face à ces nouveaux cyber-risques. C’est exactement la posture que vous reprochiez hier, avec force, à un certain Nicolas Sarkozy. Alors, je vais me permettre de répondre à ces deux questions.

La première question porte sur les conséquences de votre choix d’écarter le juge judiciaire préalablement. En quoi un délit commis sur internet doit-il faire l’objet d’une procédure ne permettant pas le débat contradictoire préalable et l’expression de la défense ?

M. Bernard Cazeneuve,ministre. C’est faux !

Mme Laure de La Raudière. Tout le monde reconnaît que les images de pédopornographie en ligne ou de provocation au terrorisme sont abjectes et ignobles, et qu’il est de bon sens de les interdire et d’empêcher leur diffusion le plus rapidement possible. Mais, loi après loi, vous mettez le doigt dans un engrenage bien pervers. Texte après texte, vous diffusez une doctrine attentatoire aux libertés individuelles : quand un délit est commis sur internet, alors aucun juge n’est saisi au préalable. Or internet n’est pas un monde à part ou placé hors du droit. Le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à permettre le respect de l’ensemble des intérêts en présence lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques. Non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression, mais il vise aussi à préserver la liberté de communication et la neutralité des réseaux. Votre choix risque d’entraîner une systématisation du filtrage administratif ; c’est d’ailleurs ce qui avait été initialement proposé, dans une récente proposition de loi déposée par le groupe SRC, pour lutter contre les sites de proxénétisme.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé en février 2014 une commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Composée de treize députés de tous bords et de treize personnalités qualifiées, cette commission est co-présidée par le député socialiste Christian Paul et l’ancienne bâtonnière Christiane Féral-Schuhl. Elle s’est fixé l’objectif de définir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés à l’âge numérique, et ainsi d’éclairer les travaux parlementaires sur cette question. Elle a remis à la commission des lois un avis très réservé sur l’article 9. Alors qu’il est issu du travail de députés et d’experts qualifiés, cet avis n’a pas été pris en compte.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. À la commission des lois, nous avons aussi travaillé sérieusement !

Mme Laure de La Raudière. La deuxième question porte sur l’efficacité du dispositif proposé. Monsieur le ministre, vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour défendre votre mesure de blocage des sites internet. Telle est la réalité ! En effet, le diagnostic sur les techniques de blocage et de filtrage fait l’objet d’un consensus : ces techniques sont totalement inefficaces, et vous le savez.

Rentrons un peu dans le détail du choix des technologies qui s’offrent à vous pour mettre en place ce blocage – c’est important pour savoir si la loi sera applicable, mais vous ne nous en avez pas parlé. Les blocages par adresse IP ou par nom de domaine sont les plus aisés à mettre en place, mais soit ils conduisent à des « surblocages » de sites licites, soit ils sont très facilement contournables. Les blocages par inspection du contenu sont lourds à mettre en œuvre, dégradent la qualité de service internet et sont très attentatoires aux libertés individuelles, car ils consistent à inspecter l’ensemble des échanges sur internet et à bloquer les flux jugés illicites.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Et là, que fait-on ?

Mme Laure de La Raudière. C’est le genre de technique qu’utilisent les pays totalitaires. Je n’ose imaginer que vous utiliserez soit une technologie totalement inefficace, soit une autre très attentatoire aux libertés individuelles… Aussi aurez-vous l’amabilité, monsieur le ministre, d’indiquer devant la représentation nationale ce que vous avez prévu de faire avec l’article 9.

Les études montrent de plus que 80 % des contenus qu’il faudrait bloquer sont diffusés via des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Youtube. Les techniques de blocage actuelles, que je viens de citer, ne permettent pas de bloquer, sur ce type de sites, un seul contenu, une seule URL, une seule vidéo ou un seul message. On peut donc être sûr que les dispositions de l’article 9 ne seront quasiment jamais mises en œuvre, à moins de bloquer entièrement des sites parmi les plus fréquentés au monde. Parce que nous sommes là pour faire la loi – une loi applicable et efficace au regard d’un objectif fixé que nous soutenons tous –, je vous demande de revoir votre position sur l’article 9 relatif au filtrage d’Internet et de suivre l’avis éclairé de la commission ad hoc de l’Assemblée nationale, qui s’est opposée à ces dispositions.

Mme Isabelle Attard et M. François de Rugy. Très bien ! (…)

A propos du blocage administratif des sites (article 9):

M. Lionel Tardy. Mes soucis – mon malaise, dirais-je – devant le projet de loi se concentrent principalement sur cet article 9. J’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. Cet article instaure ce contre quoi le parti socialiste s’était toujours opposé sous l’ère Sarkozy : le blocage administratif des sites.

En préambule, je souhaite préciser que je partage l’objectif de lutte contre le terrorisme. La France doit se donner les moyens de mener cette lutte et ne pas se priver de possibilités nouvelles. Le problème n’est pas là. Dans cet article 9, nous touchons à la liberté d’expression et aux limites techniques du projet de loi. Faut-il, une fois encore, faire reculer les libertés pour lutter contre le terrorisme ? Le meilleur exemple est celui de la NSA américaine qui, pour isoler des terroristes, finit par espionner toute la population.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ce n’est pas faux !

M. Lionel Tardy. La France s’engage, à petits pas, dans cette direction. Vous  me répondrez que vous avez pleine confiance dans les services de police, où travaillent des gens compétents. Moi aussi. Mais le problème n’est pas là non plus.

Les incertitudes techniques, les risques de surblocage et l’absence d’intervention d’un juge a priori font du blocage administratif un dispositif qui peut être dangereux pour ceux qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, et totalement contre-productif dans la lutte contre ceux qui baignent dedans. Monsieur le ministre, vous êtes, je le sais, conscient de ces risques. Persévérer en disant « on verra bien » ne me paraît pas raisonnable.

Si le Conseil constitutionnel a estimé que cette mesure était acceptable de façon exceptionnelle pour lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs, cette exception serait-elle valable en matière de lutte contre le terrorisme ? La question mérite d’être posée, et je souhaite que le Conseil constitutionnel soit saisi.

Qui va décider du blocage ? Pour quels sites ? Suivant quels paramètres ? Les réponses à ces questions sont trop incertaines.

Comme je viens de le dire, le Gouvernement a opté, pour des raisons d’efficacité, et à rebours de la position historique des socialistes sur le sujet, pour le blocage administratif, au détriment du recours classique à un juge tel que la loi le prévoit déjà. C’est la méthode qui avait déjà été retenue dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, contre les contenus pédopornographiques. Lorsque la LOPPSI avait été adoptée, l’opposition socialiste avait saisi le Conseil constitutionnel, notamment sur la question du blocage sans juge. Parmi les députés signataires de la requête figuraient de nombreux poids lourds de l’actuelle majorité, dont un certain Manuel Valls, et vous également, monsieur le ministre de l’intérieur. Cette mesure de blocage administrative n’a jamais été mise en œuvre, je le rappelle,…

Mme Laure de La Raudière. Le Gouvernement n’a jamais pris de décret !

M. Lionel Tardy. …faute de décret d’application. Les négociations entre les pouvoirs publics et les fournisseurs d’accès à internet – les FAI – avaient achoppé sur les questions du dédommagement et de la méthode du blocage. Dans l’étude d’impact du projet de loi, fournie lundi à la commission, on apprend que le décret d’application de la LOPPSI est quasiment finalisé et qu’un seul et même décret d’application serait envisagé pour les deux textes.

En l’état actuel du projet de loi, les FAI se verront communiquer par les services de renseignement, si ces derniers n’ont pas réussi à obtenir la suppression du contenu auprès de l’hébergeur ou de l’éditeur, une liste de sites à bloquer. Mais, trois ans après l’adoption de la LOPPSI 2, cette solution reste un véritable casse-tête, quelle que soit la solution utilisée. Laure de La Raudière l’a expliqué excellemment tout à l’heure.

Outre le risque de bloquer des sites qui ne devraient pas l’être, les dispositifs envisagés dans ce projet de loi sont très facilement contournables, que ce soit par les tenanciers des sites ou par leurs visiteurs. Ce risque était souligné dès 2011 dans le rapport sur la neutralité des réseaux de Corinne Erhel et Laure de La Raudière. Certaines pratiques de chiffrement, « notamment le chiffrement, présentent des risques pour la sécurité bien supérieurs à la défense des intérêts protégés, de manière inefficace, par le blocage ou le filtrage », écrivaient les députées. Je les rejoins.

Mme Laure de La Raudière. Ce rapport n’a pas pris une ride !

M. Lionel Tardy. Sauf à vouloir interdire tous les sites sécurisés, notamment dans le domaine bancaire ou de la vente par internet, vous ne pourrez rien faire contre le chiffrement des données, seul garant de la sécurisation des transactions. On se mord donc la queue.

L’annonce du recours au blocage de sites a été fraîchement accueillie par les groupes de défense des libertés sur internet, mais aussi, plus surprenant, par le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, l’organisme chargé de la sécurité informatique de l’État.

Mme Laure de La Raudière. Il a fait part de ses réserves lors de son audition !

M. Lionel Tardy. Lors d’un colloque organisé le 10 septembre, le directeur de l’ANSSI, Guillaume Poupard, a expliqué être « très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique », ainsi que l’a rapporté le site Nextinpact.

Mme Laure de La Raudière. Il a dit la même chose lors de son audition par la commission !

M. Lionel Tardy. Internet constitue un bon moyen de repérer et de suivre les candidats au djihad qui, très souvent, se font repérer en commettant des erreurs, ne pensant pas être surveillés. Le blocage risque donc de priver les services de police, au sens large, d’une partie de leurs moyens de surveillance. Cette critique a été formulée par le Conseil national du numérique dans son rapport du 15 juillet relatif au projet de loi. Le CNN estime que le blocage fait courir « le risque de pousser les réseaux terroristes à complexifier leurs techniques de clandestinité, en multipliant les couches de cryptage et en s’orientant vers des espaces moins visibles du réseau ».

Alors, vous aurez beau nous assurer qu’un arbitrage sera fait entre l’intérêt qu’ont les services à maintenir des sites en ligne, quitte à alerter les djihadistes de la mise sous surveillance de leur site, et le danger que font peser ces sites, notamment les sites de recrutement, sur les Français. L’inefficacité de ces mesures et leurs dommages collatéraux ne disparaîtront pas par enchantement.

M. Pietrasanta, rapporteur du texte, se félicitera sûrement d’avoir introduit des garde-fous qui n’étaient pas prévus dans le texte initial. À sa sortie du ministère de l’intérieur, le projet de loi prévoyait qu’un juge de l’ordre judiciaire contrôlerait a posteriori la liste fournie par les autorités, sans pouvoir de sanction. La commission des lois de l’Assemblée a remplacé ce juge par une personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui aura un pouvoir de recommandation auprès de l’autorité administrative et pourra saisir le juge administratif si sa recommandation n’est pas suivie.

Un principe de subsidiarité a été introduit à l’article 9 en commission des lois. L’autorité administrative cherchera d’abord à faire supprimer le contenu auprès de l’hébergeur et de l’éditeur à la source avant de recourir au blocage au niveau des FAI : quelques mesurettes à la marge, mais le compte n’y est pas.

Que faire, me direz-vous ? La seule solution efficace et respectueuse des droits fondamentaux des citoyens pour faire disparaître un contenu illicite est de le supprimer directement à la source, là où il est hébergé. Et, si besoin, de faire comparaître son auteur devant un juge après une enquête de police.

Vous l’aurez compris, la difficulté est liée au fait que si le contenu illicite est hébergé à l’étranger, votre loi n’y pourra rien. Il serait au demeurant intéressant, monsieur le ministre, de connaître la proportion de sites terroristes hébergés en France et à l’étranger. Pour ma part, je pense que la fourchette se situe à environ 5 % de sites en France contre 95 % à l’étranger. Ce qui signifie que votre loi sera inefficace dans 95 % des cas.

De mon point de vue, il vaut mieux renforcer nos moyens de surveillance, ce qu’on appelle « se mettre dans le flux », plutôt que de procéder à des mesures de blocage administratif, lesquelles iront à l’encontre de l’objectif visé et des intérêts de nos concitoyens en termes d’efficacité.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. L’article 9 suscite nombre de critiques, l’une venant d’être exprimée par notre collègue Tardy; et beaucoup de députés, monsieur le ministre, sur tous les bancs, partagent ce qui vient d’être dit à l’instant. C’est du reste la position qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil national du numérique, instance créée par le Gouvernement et régulièrement consultée lorsque des projets de loi ou des politiques publiques concernent les enjeux numériques et les libertés. C’est également la position qui a été prise à l’unanimité par la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge numérique, au sein de notre Assemblée. Ces positions sont aussi partagées par de nombreux experts et par des magistrats, y compris celui qui a été cité à plusieurs reprises ce soir dans nos débats. Je mentionnerai du reste un extrait de son intervention devant le Conseil national du numérique.

La question est simple. Faut-il une mesure de police administrative pouvant être renvoyée devant le juge administratif, ou faut-il une décision préalable du juge judiciaire pouvant permettre de faire obstacle à des sites qui font l’apologie du terrorisme et qui veulent procéder à des recrutements ? Dans ce dernier cas, le ministère de l’intérieur, la puissance publique, par une procédure qui serait à préciser, peut saisir à la fois le parquet et par son intermédiaire le juge judiciaire, par exemple le juge des libertés.

Nous avons ainsi à faire ce soir le choix soit de maintenir l’article 9 soit de le supprimer, ce que je proposerai par mon amendement. Cet arbitrage doit prendre en compte un certain nombre de paramètres.

Le premier est bien sûr la question de l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

M. Lionel Tardy. Bien sûr.

M. Christian Paul. Après avoir pris connaissance des travaux de la commission des lois, de vos propres déclarations, nous avons compris que 80 %, peut-être même 90 % des contenus incriminés se déploient sur les réseaux sociaux – Facebook, Twitter ou d’autres.

M. Lionel Tardy. En effet.

M. Christian Paul. Dans ce cas, la question posée n’est pas celle du blocage, mais celle du retrait de ces contenus par la coopération des réseaux sociaux. De ce point de vue, les modifications apportées en commission des lois par le rapporteur vont dans le bon sens s’agissant en quelque sorte de l’introduction de la subsidiarité du blocage et de la priorité au retrait. Jusque-là, nous pouvons être d’accord.

Pourquoi faisons-nous germer dans le pays une polémique sur l’article 9 alors qu’il s’agit en l’occurrence de quelques dizaines de site chaque année ? Non des milliers qui viendraient engorger les institutions judiciaires, mais quelques dizaines, pas davantage.

C’est la raison pour laquelle je voudrais porter à votre connaissance l’appréciation du juge Trévidic dont il a fait part lors des travaux du Conseil national du numérique. « Ces quelques sites de recrutement pourraient être bloqués en urgence, tout en restant dans le cadre de procédures judiciaires. Ces sites de sélection doivent être bloqués immédiatement » – sélection signifie recrutement. « La question des sites de propagande est plus problématique » – je pense qu’il est fait là allusion aux réseaux sociaux. « Le blocage de ces quelques sites officiels qui sont au nombre d’une dizaine peut se faire par référé. »

M. Lionel Tardy. Bien sûr.

M. Christian Paul. « Ces sites seraient bloqués dans leur totalité. »

Évidemment, la question de la technique à laquelle on a recours se pose : « Les sites de propagande trop nombreux ne peuvent être tous traités par référé » – l’essentiel est sur les réseaux sociaux. « En cas de référé, c’est un juge civil qui sera chargé de rendre la décision – un juge spécialisé pourrait s’en charger. Les juges antiterroristes connaissent les sites en cause. »

Voilà une appréciation – qui en vaut certainement d’autres – sur l’efficacité du dispositif. Je reviendrai plus tard sur les effets collatéraux et les questions de surblocage. La question qui nous est posée – parce qu’il y va aussi de principes –, c’est de savoir s’il est utile de mettre fin à un principe ou plutôt à la défense par notre groupe de ce principe. Cela n’a rien de politicien, monsieur le ministre. Pendant dix ans, nous nous sommes battus avec beaucoup de celles et ceux qui sont présents ce soir en faveur du respect de ce principe,…

M. Lionel Tardy. Oui.

M. Christian Paul. …c’est-à-dire pour le recours au juge judiciaire en cas de demande de blocage d’un site, avec une procédure préalable qui peut être contradictoire – moins quand il s’agit d’un site hébergé dans des situations non coopératives. Si l’on veut ouvrir une brèche et mettre fin à ce principe que nous avons défendu sans relâche, y compris devant le Conseil constitutionnel,…

M. Lionel Tardy. Tout à fait.

M. Christian Paul. …il faudrait faire la démonstration – permettez-moi d’inverser la charge de la preuve – que l’on ne peut pas faire autrement. Certes, il est vrai que la menace djihadiste sur internet est sans doute nouvelle par rapport à des combats menés il y a trois, cinq ou dix ans. Face à cette menace nouvelle, il faut une détermination particulière, mobiliser les services du ministère de la justice sans pour autant créer des dizaines de postes de magistrats. Nous avons souvent regretté au cours des années 2000 et encore récemment qu’il n’y ait pas davantage de magistrats spécialisés en matière de cybercriminalité.

Mme Laure de La Raudière. Oui !

M. Christian Paul. Oui, il faut davantage de magistrats et de policiers spécialisés en matière de cybercriminalité ou de cyberterrorisme. L’enjeu est là.

M. Lionel Tardy. Exactement.

M. Christian Paul. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de la mobilisation du Gouvernement, comme nous l’avions demandé au précédent.

Voilà les raisons pour lesquelles l’article 9 ne me paraît pas utile et c’est pour cela qu’avec un certain nombre de collègues du groupe SRC – Patrick Bloche, Corinne Erhel, Laurence Dumont première vice-présidente de l’Assemblée nationale, Marie-Anne Chapdelaine, membre de la commission des lois, Cécile Untermeier et d’autres –, nous avons souhaité vous exposer très sereinement, mais avec conviction notre point de vue sur ce débat lequel n’est pas le premier sur ces questions. Très franchement, je n’ai pas entendu jusqu’à présent de raisons valables d’oublier ce principe ou d’introduire une exception forte. Je ne les ai pas entendues dans la présentation du texte par le Gouvernement ni dans les travaux de la commission des lois. J’ai certes apprécié les amendements déposés par le rapporteur, mais je persiste à croire qu’il s’agit d’une erreur et je vous invite, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ne pas la commettre.

Source : Blog, Eric Verhaeghe,19/09/2014

Source: http://www.les-crises.fr/delit-apologie-du-terrorisme/


Beaucoup de journalistes ont aussi été tués à Gaza, par Noam Chomsky

Monday 26 January 2015 at 02:00

Les attentats de Paris montrent l’hypocrisie de l’indignation occidentale, par Noam Chomsky, 19/01/2015

NdE : Noam Chomsky est professeur émérite du département de linguistique et de philosophie de l’Institut de Technologie du Massachussetts (MIT). Il a publié récemment « Masters of Mankind » [NdT : « Les maîtres de l'humanité »]. L’adresse de son site web est www.chomsky.info. Les opinions exprimées dans ce texte n’appartiennent qu’à l’auteur.

(CNN) Après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo qui a fait 12 morts dont le rédacteur en chef et quatre autres dessinateurs, et le meurtre de quatre juifs le lendemain dans un supermarché casher, le premier ministre français Manuel Valls a déclaré « la guerre contre le terrorisme, contre le djihadisme, contre l’Islam radical, contre tout ce qui vise à détruire la fraternité, la liberté, la solidarité. »

C’est sous la bannière « Je suis Charlie » que des millions de personnes ont manifesté pour condamner ces atrocités et dénoncer en chœur ces horreurs. Il y eut d’éloquents discours d’indignation, brillamment résumés par Isaac Herzog, chef du parti travailliste israélien et candidat favori aux prochaines élections, qui a déclaré que « Le terrorisme, c’est le terrorisme. Il n’y a pas d’autre manière de le définir », et que « toutes les nations qui cherchent la paix et la liberté [font face] à l’énorme défi » de la violence brutale.

Ces crimes ont également provoqué un torrent de commentaires, cherchant les racines de ces agressions choquantes dans la culture islamique et explorant des façons de contrer cette vague meurtrière de terrorisme sans sacrifier nos valeurs. Le New York Times a qualifié l’attentat de « choc des civilisations », mais il a été corrigé par l’éditorialiste du Times, Anand Giridharadas, qui a tweeté que cela « n’était pas et ne serait jamais une guerre de civilisations, entre elles. Mais une guerre POUR la civilisation, contre des groupes qui se trouvent de l’autre côté de cette ligne. #CharlieHebdo. »

Le déroulement des événements à Paris a été décrit de manière très détaillée dans le New York Times par Steven Erlanger, correspondant vétéran du journal en Europe : « une journée de sirènes, de survols d’hélicoptères, de bulletins d’informations ; de cordons de police et de foules angoissées ; de jeunes enfants emmenés loin des écoles par mesure de sécurité. C’était un jour comme les deux précédents, de sang et d’horreur, dans Paris et ses alentours. »

Erlanger a également cité un journaliste survivant qui disait que « Tout s’est effondré. Il n’y avait pas d’issue. Il y avait de la fumée partout. C’était terrible. Les gens hurlaient. C’était comme dans un cauchemar. » Un autre a raconté « une énorme détonation, puis tout est devenu noir. » La scène, rapporte Erlanger, « était une scène de plus en plus familière faite de verre brisé, de murs effondrés, de poutres tordues, de peinture brûlée, de dégâts émotionnels. »

Cependant, ces dernières citations – comme nous le rappelle le journaliste indépendant David Peterson – ne datent pas de janvier 2015. En fait, elles proviennent d’un reportage d’Erlanger datant du 24 avril 1999, qui avait reçu moins d’attention. Erlanger y décrivait « l’attaque des missiles de l’OTAN sur le siège de la télévision nationale serbe » qui avait « fait disparaître Radio Television Serbia des ondes », tuant 16 journalistes.

« L’OTAN et les responsables américains ont justifié l’attaque », a écrit Erlanger, « en disant qu’il s’agissait d’un effort pour affaiblir le régime du président Slobodan Milosevic de Yougoslavie. » Kenneth Bacon, le porte-parole du Pentagone a déclaré lors d’une réunion à Washington, que « la télé serbe fait autant partie de la machine meurtrière de Milosevic que son armée », ce qui en faisait par conséquent une cible militaire légitime.

Il n’y eut aucune manifestation ni pleurs d’indignation, ni slogan « Nous sommes RTV », pas d’enquête sur la raison des attaques, dans la culture chrétienne et son histoire. Au contraire, l’attaque contre la presse a été applaudie. Le très respecté diplomate américain Richard Holbrook, alors représentant en Yougoslavie, a décrit le succès de l’attaque de la RTV comme un « développement positif et, je pense, extrêmement important », sentiment partagé par d’autres.

Il y a beaucoup d’autres événements qui n’appellent aucune enquête sur la culture occidentale et son histoire – par exemple la pire atrocité terroriste en Europe de ces dernières années, en juillet 2011, lorsque Anders Breivik, un extrémiste chrétien ultra-sioniste et islamophobe, a massacré 77 personnes, principalement des adolescents.

Dans la « guerre contre le terrorisme », la campagne terroriste la plus extrême des temps modernes est aussi passée sous silence – la campagne mondiale d’assassinats de Barack Obama visant quiconque suspecté de peut-être vouloir nous faire du mal un jour, ainsi que les malheureux se trouvant dans les parages. On ne manque pas d’exemples de ces malchanceux, comme ces 50 civils tués dans un bombardement américain en Syrie, en décembre, dont on a à peine parlé dans les medias.

Une personne a effectivement été punie, en lien avec le bombardement du siège de la RTV (Radio-TV Serbe) par l’OTAN. Ce fut Dragoljub Milanović, le directeur général de la station, qui a été condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme à 10 ans de prison pour n’avoir pas réussi à faire évacuer le bâtiment, selon le Comité de Protection des Journalistes. Le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie a examiné l’attaque de l’OTAN et a conclu que ce n’était pas un crime, et bien que les pertes civiles aient été « malheureusement élevées, elles n’apparaissaient pas comme clairement disproportionnées. »

La comparaison entre ces cas nous aide à comprendre la condamnation du New York Times par l’avocat des droits civiques Floyd Abrams, connu pour son infatigable défense de la liberté d’expression. « Il y a des moments pour la retenue », a écrit Abrams, « mais dans le sillage immédiat de la plus grande attaque contre le journalisme de mémoire d’homme, [les éditeurs du Times] auraient mieux servi la cause de la liberté d’expression en s’engageant pour elle », en publiant les dessins de Charlie Hebdo ridiculisant Mahomet qui ont provoqué cette attaque.

Abrams a raison de décrire l’attaque de Charlie Hebdo comme « étant de mémoire d’homme, le plus grave assaut contre le journalisme. » La raison est liée au concept de « mémoire d’homme », une catégorie minutieusement élaborée pour inclure leurs crimes contre nous, tout en excluant scrupuleusement nos crimes contre eux – ces derniers n’étant pas des crimes, mais une noble défense des plus hautes valeurs, parfois perverties par inadvertance.

Ce n’est pas l’endroit pour analyser ce qui « était à défendre » lorsque la RTV fut attaquée, mais une telle recherche nous en apprend beaucoup (voir mon livre A New Generation Draws The Line [NdT: « Une nouvelle génération fixe ses règles »).

Il y a bien d’autres illustrations de cette intéressante catégorie qu’est la « mémoire des faits ». L’une d’elles est l’attaque des Marines contre Falloujah en novembre 2004, l’un des pires crimes commis lors de l’invasion de l’Irak par l’alliance américano-britannique.

L’attaque a commencé par l’occupation de l’hôpital général de Falloujah, un crime majeur en soi, au-delà de la manière dont elle s’est déroulée. L’attaque a été largement reprise à la Une du New York Times, accompagnée de photos décrivant comment “les patients et le personnel soignant ont été sortis de leur chambre à la hâte par des soldats armés. Ceux-ci leur ont ensuite ordonné de s’asseoir ou de s’allonger sur le sol pendant que des soldats leur attachaient les mains derrière le dos”. L’occupation de l’hôpital était louable et justifiée, a-t-on estimé : elle a « forcé l’arrêt de ce que les agents considéraient comme une arme de propagande pour les militants : l’hôpital général de Falloujah et son flot de blessés civils. »

De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une attaque contre la liberté d’expression, et cela n’entre pas dans la catégorie « mémoire des faits. »

D’autres questions viennent à l’esprit. On pourrait naturellement se demander comment la France fait respecter la liberté d’expression et les principes sacrés de « fraternité, liberté, solidarité ». Est-ce par exemple grâce à la Loi Gayssot, appliquée à de nombreuses reprises, qui accorde à l’état le droit de décider de la Vérité Historique et de punir quiconque a une interprétation divergente ? Ou bien en expulsant les malheureux descendants des survivants (Roms) de l’Holocauste vers l’Europe de l’Est où les attend une implacable persécution ? Ou alors en traitant de manière déplorable les immigrants nord-africains des banlieues de Paris dans lesquelles les terroristes de Charlie Hebdo sont devenus des djihadistes ? Est-ce enfin quand le courageux journal Charlie Hebdo a licencié le dessinateur Siné au motif qu’un de ses commentaires aurait eu des connotations antisémites ? Cela soulève tout de suite beaucoup d’autres questions.

Quiconque ayant les yeux ouverts aura immédiatement remarqué d’autres omissions assez frappantes. Ainsi, les palestiniens sont au premier rang de ceux qui affrontent « l’ énorme défi » de la violence brutale. A l’été 2014, lors d’une nouvelle attaque vicieuse d’Israël sur Gaza, au cours de laquelle de nombreux journalistes ont été assassinés, quelquefois dans des voitures clairement identifiables comme appartenant à la presse, en même temps que des milliers d’autres victimes, alors que cette prison à ciel ouvert gérée par Israël était à nouveau réduite à l’état de gravats, sous des prétextes qui ne résistent pas une seconde à l’analyse.

L’assassinat de trois autres journalistes d’Amérique latine en décembre, portant le total de l’année à 31, a également été ignoré. Il y a eu plus d’une douzaine de journalistes tués rien qu’au Honduras depuis le coup d’état militaire de 2009, qui a été reconnu par les États-Unis (mais par peu d’autres pays), ce qui place probablement le Honduras en tête de la compétition du meurtre de journalistes par habitant. Mais là encore, ce n’est pas, de mémoire d’homme, une attaque contre la liberté de la presse.

Ce n’est pas bien compliqué de détailler. Ces quelques exemples illustrent un principe très général qui est observé avec professionnalisme et constance : plus nous pouvons imputer de crimes à nos ennemis, plus ils sont violents ; plus notre responsabilité y est importante – et par conséquent plus nous pouvons les faire cesser – moins nous y porterons intérêt, plus nous aurons une tendance à l’amnésie ou même au déni.

Contrairement à l’éloquente déclaration, ce n’est pas vrai que « Le terrorisme, c’est le terrorisme. Il n’y a en a pas deux sortes ».

Il en existe clairement deux : le leur contre le nôtre. Et pas seulement pour le terrorisme.

Source : CNN, le 19/01/2015 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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En bonus, un discours d’Howard Zinn, ami de Noam Chomsky, sur la guerre source : partage-le.com) :

Source: http://www.les-crises.fr/beaucoup-de-journalistes-ont-aussi-ete-tues-a-gaza-par-noam-chomsky/


Attaque contre “Charlie Hebdo” : Michel Onfray regrette que les médias n’aient été “que dans l’émotion”

Monday 26 January 2015 at 01:52

Un bel extrait où Onfray pose de très bonnes questions.

Je vous proposerai la version intégrale très rapidement…

Invité sur le plateau de “On n’est pas couché“, Michel Onfray est revenu sur le traitement par les médias des attentats de la semaine dernière. Il se faisait ainsi l’écho d’une de ses tribunes, dans laquelle il racontait sa perception des évènements le mercredi 7 janvier dernier, jour de l’attaque contre “Charlie Hebdo”. Affirmant avoir ressenti une vive émotion lorsqu’il a appris l’attentat contre le journal satirique, il n’a cependant pas caché avoir été “sidéré” par ce qu’il avait vu et entendu devant sa télévision ce jour-là.

À REGARDER ICI

“J’ai juste vu de l’émotion”

Je n’ai pas vu de mise en perspective de ce qui avait eu lieu avec de la politique, de la géopolitique, avec des explications qui auraient pu nous expliquer pourquoi on en était arrivé là” a-t-il regretté. “J’ai juste vu de l’émotion”, a-t-il poursuivi. “Ca me paraît normal l’émotion. On est tous des enfants ou des petits-enfants de Cabu ou Wolinski“, a-t-il commenté. Avant de réaffirmer sa critique vis-à-vis des médias : “Je me suis dit : ‘Effectivement, ça ne pense pas beaucoup et ça n’a pas pensé beaucoup pendant très longtemps’“.

Une prise de position qui n’a pas convaincu Léa Salamé. “Pardonnez-moi, mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement quand il y a une tuerie avec 12 personnes qui sont tuées en plein Paris. Comment voulez-vous qu’on fasse des analyses géopolitiques à chaud ? (…) Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’émotion ?“. “Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas de l’émotion“, a rectifié Michel Onfray, précisant qu’il n’y avait eu “que de l’émotion“. Alors que Léa Salamé évoquait un état naturel d’effroi face à ces faits, le philosophe a critiqué les journalistes. “Je pense que les journalistes sont prescripteurs. Ils ont des avis sur tout. Ils commentent en permanence. Ils nous disent ce qu’il faut penser, où est le bien, où est le mal… En permanence c’est ça“, a-t-il estimé.

“On a envie d’autres choses”

Avant de poursuivre : “Et on a une information qui nous est donnée à jet continu et on y va dans le pathos. C’est normal le pathos. On a tous été choqué. Mais je pense que quand on a des journalistes qui font des écoles de journalistes, qui sont payés pour être journalistes, c’est à dire pour être informés, c’est à dire pour connaître les dossiers, on a envie d’autres choses que ce que l’on voit en temps normal, c’est à dire du surcommentaire. A un moment donné sur mon écran, il n’y avait pas moins d’une dizaine informations. Et on commentait ce que l’on voyait“, a-t-il expliqué, évoquant les descriptions par les journalistes des images montrées en direct à l’antenne.

Et de conclure : “Il y avait des informations. Le président de la République qui était en train de faire quelque chose, d’un seul coup s’arrête. Il quitte l’Elysée et, nous dit-on, il dévale quatre à quatre les marches en compagnie de son conseiller en communication. L’obscénité, elle est aussi là, me semble-t-il“. 

Source: http://www.les-crises.fr/onfray-regrette-que-les-medias-naient-ete-que-dans-l-emotion/